Genetically Modified Organism">
Pour La Science N°421 - 2012-11 - La Conjecture ABC
Pour La Science N°421 - 2012-11 - La Conjecture ABC
Pour La Science N°421 - 2012-11 - La Conjecture ABC
Science croyanceS
: comment : un
sauver amalgame
la pêche inquiétant
et les pêcheurs ?
La conjecture aBc
Une énigme de la théorie
des nombres résolue ?
Les Led blanches
L’éclairage de demain
exoplanètes
Quel temps y fait-il ?
doSSier
ÉPidÉMie d’oBÉSitÉ
L’impact de l’environnement M 02687 - 421 - F: 6,20 E
Allemagne : 9,30 e - Belgique : 7,20 e - Canada /S : 10,95 CAD - Grèce /S : 7,60 e -Guadeloupe/St Martin /S : 7,30 e - Guyane /S : 7,30 e - Italie : 7,20 e - Luxembourg : 7,20 e
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ÉDITO
POUR LA de Françoise Pétry directrice de la rédaction
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L
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Site Internet: Philippe Ribeau-Gésippe assisté de Yoan Bassinet goras d’Abdère (–485 à –410 environ). Il considérait que
Marketing: Élise Abib toute cause est défendable et que l’homme est la mesure
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Fabrication : Jérôme Jalabert assisté de Marianne Sigogne serait universelle. Ce relativisme, qui semble interdire la possibilité
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Ont également participé à ce numéro : Gregory Barsh,
Maximilian Bauer, Bernard Bégaud, Serge Berthier, les savoirs et toutes les opinions se vaudraient. Dans ce contexte, les
Michel Brune, Nicole Capitaine, Patrick De Kepper,
Hélène Morlon, Florence Noble, Christophe Pichon, Éric frontières entre science, opinions, croyances, voire mysticisme, se
Reyssat, Daniel Rouan, Daniel Tacquenet, Elisabeth Vangioni. brouillent. Certains scientifiques, notamment aux États-Unis, partici-
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Directeur de la Publicité : Jean-François Guillotin pent à ce courant, profitant de leur image de chercheur reconnu par
(jf.guillotin@pourlascience.fr) leurs pairs et de personnage médiatique pour instiller dans leurs ouvrages
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Commande de livres ou de magazines : parfois chez certains, déçus que la science n’ait pas répondu à tous
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DIFFUSION DE POUR LA SCIENCE gresse, tâtonne, s’aventure dans des voies sans issue, se trompe
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Tel : 04 88 15 12 41 parfois et remet sans cesse l’ouvrage sur le métier. Même en mathé-
Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, matiques (ou surtout en mathématiques ?), la prudence est de mise.
Québec, H3N 1W3 Canada.
Suisse: Servidis: Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - Bogis Un mathématicien japonais a annoncé avoir résolu un problème de la
Belgique: La Caravelle: 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 Bruxelles. théorie des nombres, la conjecture ABC. L’annonce de sa résolution a
Autres pays: Éditions Belin: 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06.
été prise avec circonspection : étant donné la longueur de la démons-
SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristina. Editors: Ricky Rus-
ting, Philip Yam, Gary Stix, Davide Castelvecchi, Graham Collins, Mark Fischetti, tration, elle n’a pas encore été vérifiée (voir La conjecture ABC, page 24).
Steve Mirsky, Michael Moyer, George Musser, Christine Soares, Kate Wong.
President : Steven Inchcoombe. Vice President : Frances Newburg.
Pourtant, la résolution de cette conjecture soulagerait la communauté
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou des mathématiciens. Si l’on n’avait pas mis en évidence le boson de
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents conte- Higgs, les physiciens auraient dû revoir le modèle fondamental de la
nus dans la revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific Ameri-
can », dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées physique. Si la conjecture ABC était fausse, la géométrie algébrique
par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06.
tremblerait sur son socle...
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adap-
tation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et le nom Selon le philosophe Alain (1868-1951) : « Un homme savant a com-
commercial «Scientific American» sont la propriété de Scien- pris un certain nombre de vérités. Un homme cultivé a compris un cer-
tific American, Inc. Licence accordée à «Pour la Science S.A.R.L.».
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de repro- tain nombre d’erreurs. Et voilà toute la différence entre l’esprit droit
duire intégralement ou partiellement la présente revue sans et l’esprit juste. L’esprit droit surmonte l’erreur sans la voir ; l’esprit juste
autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation
du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris). voit l’erreur. » (Les vigiles de l’esprit, 1942). Le scientifique doit voir
l’erreur... et la surmonter. Est-il droit et juste ? I
Actualités 24 MAthéMAtiques
la conjecture Abc
6 oGM : une étude Gerhard Frey
qui en appelle d’autres
DOSSIER
Il est impossible de définir
une loi de probabilité uniforme
sur l’ensemble des nombres entiers.
obésité
86 science & fiction
la force des Jedis
L’épidémie d’ , 88
J.-S. Steyer et R. Lehoucq
Art & science
entre gènes et environnement piero della francesca
et les « piles d’assiettes »
Loïc Mangin
90 idées de physique
54 éradiquer l’obésité ?
épidéMioloGie propulsions préhistoriques
Jean-Michel Courty
et Édouard Kierlik
D. Meyre et Ph. Froguel
93 science & GAstronoMie
56 les perturbateurs
endocrinoloGie des goûts et des récepteurs
Hervé This
endocriniens, 94 À lire
acteurs silencieux
de l’obésité ?
J.-B. Fini,
Rendez-vous sur
M.-S. Clerget-Froidevaux
et B. Demeneix
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Le site de référence
64 l’obésité
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BLOC-NOTES
de Didier Nordon
MOI ET LES MATHS Dans les dîners en ville, les mathé- à cacher soit qu’il n’y a pas d’idée, soit
maticiens s’agacent d’entendre leur voi- que celle-ci est banale. Dans l’écriture d’un
CENTRE RELATIF
ACTUALITÉS
Biologie végétale leur action antioxydante. Ainsi,
L
celui retenu par Monsanto dans un
e 19 septembre, la revue article de 2004 pour évaluer un maïs
Food and Chemical Toxicology résistant au glyphosate et, d’autre
publiait une étude de Gilles- part, celui recommandé par l’OCDE
Éric Séralini, de l’Université de pour tester la toxicité de divers pro-
Caen et du Comité de recherche duits. Les auteurs mettent en avant
et d’information indépendantes la durée de leur étude (24 mois
sur le génie génétique (le CRIIGEN), contre 3 le plus souvent), le nombre
consacrée aux effets de la consom- de doses testées (trois contre deux),
mation d’un herbicide et d’un le nombre de paramètres mesurés
maïs génétiquement modifié résis- notablement supérieur…
tant à ce produit. La publication La méthodologie semble
a fait grand bruit, beaucoup de exemplaire et Food and Chemical
réactions ont été enflammées… et Toxicology est une revue qui publie
tous en ont appelé à la raison! Soit, après vérification par les pairs
examinons sans passion les dif- sans parti pris. Pourtant, plusieurs
férents aspects de ce nouveau objections à l’étude ont été sou-
Wavebreakmedia/shutterstock.com
rebondissement dans la contro- levées. D’abord, l’usage de la
verse sur les OGM. souche Sprague-Dawley de rats
D’abord, en quoi a consisté a été critiquée, car elle est connue
l’étude ? Elle s’intéressait au maïs pour sa propension à développer
NK603, commercialisé par la firme diverses tumeurs et son espérance
Monsanto, génétiquement modi- est d’environ deux ans. En 1979,
fié pour résister au Roundup, l’un Le maïs NK603, génétiquement modifié pour résister au Roundup, est-il sans une étude a montré que parmi
des herbicides les plus utilisés effets sur la santé ? Une étude sur des rats montre que non. Elle est criti- 100 rats ayant vécu plus de deux
dans le monde. Quelque 200 rats quée, mais relance le débat sur les procédures de tests des OGM. ans, 81 avaient développé une
de la souche Sprague-Dawley ont tumeur. Précisons que l’organe le
été répartis en plusieurs groupes : décès ultérieur était attribué à Les auteurs concluent que le plus touché était la thyroïde et
un groupe contrôle ; trois groupes l’âge. Dans le groupe contrôle, glyphosate, le principe actif du non les glandes mammaires, le
nourris avec diverses concen- 30 pour cent des mâles et 20 pour Roundup, est toxique à des teneurs foie ou les reins. En outre, cette
trations de maïs NK603 non traité cent des femelles sont morts avant bien inférieures à celles acceptées souche est celle utilisée pour des
au Roundup ; trois groupes simi- cet âge. Ces chiffres atteignent 50 par les autorités sanitaires. De tests de cette nature, notamment
laires aux précédents, mais dont et 70 pour cent chez les rats nour- plus, la consommation de l’OGM ceux de Monsanto en 2004. Fallait-
le maïs avait été traité avec l’her- ris avec l’OGM, mais la mortalité NK603 seul aurait les mêmes effets il prendre une souche plus robuste
bicide ; trois groupes au régime n’était pas proportionnelle à la délétères sur le foie, les reins, les et rendre la comparaison moins
alimentaire sans OGM, mais dont dose. Les auteurs supposent un glandes mammaires… pertinente ou bien la même
l’eau contenait du Roundup à effet de seuil : la surmortalité Le mécanisme proposé est souche et rendre délicate l’inter-
des concentrations variables. apparaîtrait dès une certaine fondé sur le rôle de l’enzyme EPSP prétation des résultats ?
Au total, 20 groupes (10 pour quantité, faible, d’OGM ingérée. synthase. Chez les plantes, elle Autre problème, le nombre de
chaque sexe) de dix animaux ont Chez les femelles, la plupart participe à la synthèse de l’acide rats par groupe. À raison de dix
été testés. Pendant deux ans, le des morts étaient dues à des shikimique, un précurseur clef de par groupe (en tenant compte du
sang des rats a été prélevé toutes tumeurs des glandes mammaires nombreux composés essentiels. sexe), les résultats sont-ils statis-
les trois semaines environ afin qu’y ou de l’hypophyse. Chez les mâles, Le glyphosate est un inhibiteur tiquement fiables ? Certains en
soient mesurés 31 paramètres. Au les organes les plus touchés étaient de cette enzyme, ce qui est fatal doutent et ce d’autant plus que
terme de l’expérience, tous les le foie et les reins. Les tumeurs à la plante. Or, chez le maïs NK603, la souche choisie a un faible taux
organes des animaux ont été exa- étaient deux à trois fois plus fré- un gène d’une version bacté- de survie. Une population totale
minés selon divers procédés. quentes chez les rats testés que rienne de l’EPSP synthase (insen- de 200 animaux est souvent ce qui
Les mâles et les femelles du dans le groupe contrôle. Le sible au glyphosate) est introduit a été choisi dans d’autres études,
groupe contrôle ont vécu en nombre et la taille des tumeurs dans le génome de la plante. mais ici le nombre de doses et de
moyenne 624 et 701 jours, ces n’étaient pas proportionnels à la Celle-ci produirait moins de com- combinaisons testés diminue la
durées de vie ayant servi de base dose ingérée, ce qui trahirait, là posés phénoliques dérivés de taille des groupes et affaiblit la
pour tester la mortalité : tout encore, un effet de seuil. l’acide shikimique, connus pour portée des résultats. Remarquons
A c t u a l i t é s
toutefois que l’étude de 2004 aussi le toxicologue José Domingo, tocole en vigueur a été établi pour
En bref
bien que les préconisations de constatait que la plupart des des substances chimiques et est
DU SEL POUR LE PARASITE
l’OCDE sont également fondées études sur la toxicité des plantes fondé sur le dogme de la pro-
sur des groupes de dix rats. Des génétiquement modifiées étaient portionnalité, selon lequel c’est la L’aquaculture des crabes bleus
groupes plus importants seraient conduites à la demande des socié- dose qui fait le poison. Or ce est confrontée à un taux de
certes nécessaires... mais dans tés qui commercialisent ces dogme a déjà été mis à mal par mortalité qui peut s’élever jus-
tous les cas ! plantes. Il déplorait le manque plusieurs études portant sur les qu’à 50 pour cent à cause du
La troisième critique concer- d’études indépendantes. Celle de perturbateurs endocriniens, parasite unicellulaire Hema-
nait le plan média (documen- G.-E. Séralini comble-t-elle ce notamment le bisphénol. Les todinium. Jeff Shields, de l’Ins-
taire, film, livre…) qui a déficit ? Difficile de se prononcer. modifications souhaitées porte- titut de science marine de
accompagné la publication de Peut-être doit-on attendre la mise raient sur la durée des tests, sur Virginie, aux États-Unis, a étu-
l’étude. En outre, les journalistes à disposition des données brutes, l’accès public aux données et dié le cycle de vie du parasite
qui pouvaient avoir accès à cet promise par les auteurs. Cepen- sur l’indépendance des agences et a découvert que ses spores
article avant la levée de l’em- d’évaluation. Le ministre de ne survivent que dans l’eau très
bargo étaient tenus à une
clause de confidentialité qui
RIGUEUR, TRANSPARENCE
l’Agriculture a également
demandé à l’Agence nationale
salée. Cette observation per-
mettra de contrer la dispersion
leur interdisait de solliciter et indépendance : quand de sécurité sanitaire d’exper- de Hematodinium en utilisant,
des avis extérieurs. Une façon les procédures d’évaluation tiser les travaux de l’équipe par exemple, des bassins d’iso-
de faire peu orthodoxe qui a des risques liés aux OGM de G.-E. Séralini. lement remplis d’eau peu salée.
rendu soupçonneuses la com- respecteront-elles ces critères ? C’est peut-être ce qu’il faut
munauté scientifique et celle retenir de cette étude qui VERS DES LACS PLUS VERTS
des journalistes. dant, ils réclament la même trans- montre, au plus, que la consom-
Lars-Anders Hansson et ses col-
Autre sujet de tension, les pos- parence de la part de l’Autorité mation d’un OGM (le maïs NK603),
lègues, à l’Université de Lund,
sibles conflits d’intérêts. L’étude européenne de sécurité des ali- parmi de nombreux autres, n’est
ont étudié les conséquences
est financée par le CRIIGEN (plu- ments (l’EFSA) qui a rendu un avis pas sans danger. La nécessité de
d’une élévation de la tempéra-
sieurs auteurs de l’article en sont favorable pour cet OGM en 2009 nouvelles procédures pour éva-
ture sur l’équilibre de la chaîne
membres), organisme qui ne cache (avis que la Commission euro- luer les risques des OGM avec
alimentaire dans les lacs. Là
pas ses réticences contre les OGM, péenne n’a pas encore validé) et rigueur, en toute transparence et
où les poissons sont absents,
la Fondation Charles-Léopold qui vient de critiquer l’étude de de façon indépendante des divers
le zooplancton consomme les
Mayer, l’Association CERES qui ras- G.-E. Séralini. intérêts en jeu, est criante.
algues et régule leur proliféra-
semble certaines enseignes de la Le gouvernement français a . Loïc Mangin.
tion. Mais dans les lacs où vivent
grande distribution et enfin le rappelé l’initiative qu’il a prise en G.-E. Séralini et al., Food and Chemical
Toxicology, en ligne, 19 septembre 2012 des poissons, une hausse de
ministère français de la Recherche. juillet de réclamer à l’EFSA une
la température favorisera la
En 2011, l’un des éditeurs révision des procédures d’éva-
croissance de ces derniers. Et
de Food and Chemical Toxicology, luation des OGM. De fait, le pro-
comme certains poissons se
nourrissent de zooplancton, ces
lacs verront un fort développe-
Biophysique ment d’algues.
L
Nos ancêtres mangeaient régu-
es baies de Pollia condensata, une herbacée d’Afrique centrale, lièrement de la viande il y a
sont d’un puissant bleu métallique constellé de minuscules iri- 1,5 million d’années. C’est ce
descences vertes et rouges. Leur couleur est due non pas à des qu’indique un fragment de crâne
pigments, mais à un mécanisme optique similaire à celui à l’œuvre découvert dans les gorges d’Ol-
dans les élytres des scarabées, quoique plus perfectionné encore; c’est duvai, en Tanzanie, par une
ce qu’a montré une équipe de l’Université de Cambridge par microsco- équipe internationale dirigée par
pie électronique. Comme chez les scarabées, la lumière interfère avec des Manuel Dominguez-Rodrigo et
structures hélicoïdales – ici les fibres de cellulose empilées formant la Travis Pickering. Cet os appar-
Silvia Vignolini et al., PNAS, 2012
paroi des cellules qui enveloppent la baie. Périodique, l’empilement ne tiendrait à un enfant hominidé
réfléchit qu’une longueur d’onde – principalement du bleu, mais aussi âgé de deux ans et présentant
du rouge ou du vert, selon la cellule. Là réside la nouveauté : chaque des traces d’ostéoporose liée
cellule réfléchit une couleur qui lui est propre, ce qui donne au fruit son à une anémie. La viande serait
aspect moucheté. La lumière réfléchie est en outre polarisée circulaire- ainsi devenue indispensable
ment, vers la droite ou vers la gauche selon les cellules. Ces fruits sans dans la nutrition à cette époque
Les fruits de Pollia condensata sont intérêt nutritif tromperaient les oiseaux qui, attirés par leurs couleurs et son absence aurait provoqué
des baies d’un intense bleu métal- chatoyantes, les cueilleraient et participeraient ainsi à leur dispersion. la maladie chez l’enfant.
lique, qui persiste plusieurs dizaines . Marie-Neige Cordonnier.
d’années après leur cueillette. S. Vignolini et al., PNAS, en ligne le 10 septembre 2012
A c t u a l i t é s
Neurosciences
Kuzma/shutterstock.com
que parmi les plus de 65 ans, le risque de déve- tômes de démence au début du suivi. Parmi
lopper une démence – des troubles cognitifs per- eux, 968 n’ont jamais pris de benzodiazépines,
sistants – est supérieur d’environ 50 pour cent et les 95 autres ont commencé à en prendre entre
chez ceux qui consomment ces molécules. trois et cinq ans après le début de l’étude. En
En France, près d’un tiers des plus de 65 ans 15 ans, 253 cas de démence ont été diagnosti-
et près de 40 pour cent des plus de 85 ans qués, dont 32 pour cent des consommateurs accru de démence chez les consommateurs de
consomment des benzodiazépines de façon de benzodiazépines, contre 23 pour cent de ceux benzodiazépines. Si cette étude ne prouve pas
régulière. Pourtant, depuis une dizaine d’an- qui n’en prenaient pas. En outre, la démence qu’il existe un lien de cause à effet entre le
nées, certains scientifiques se demandent si se déclarait plus tôt chez les consommateurs. traitement et la survenue de démence, elle incite
un usage chronique des benzodiazépines ne Même après la prise en compte des facteurs à la prudence. Dans le doute, il est recommandé
favorise pas la démence : plusieurs études ont potentiels de démence tels que l’âge, le sexe, de limiter les traitements à quelques semaines.
mis en évidence un risque accru de démence le niveau d’études ou des symptômes de dépres- . M.-N. C..
chez les consommateurs de benzodiazépines, sion, les scientifiques ont observé un risque S. Billioti de Gage et al., BMJ, vol. 345, e6231, 2012
149 597 870 700 MÈTRES: c’est la valeur exacte de l’«unité astronomique»,
unité de distance qui vient d’être redéfinie par l’Union astronomique internationale.
Géophysique
soma
maaliien
enne
ne toute la région a été secouée par Ainsi, tandis que la « plaque
un mégaséisme (de magnitude 9,3) indienne » se déplace vers le
ue i
lie
nn Les deux séismes atypiques plonge sous la Sonde à la vitesse
e
AUSTRALIE de 2012 se sont produits à l’inté- de 56 millimètres par an. L’Aus-
rieur de la plaque indo-austra- tralie tend donc à s’arracher à
Le mégaséisme de 2004 (point rouge) a déclenché les deux grands séismes lienne et en retrait de l’épicentre l’Inde, qui la freine.
intraplaques de 2012 (points jaunes) et de nombreux autres séismes qui du mégaséisme de 2004. De tels . François Savatier.
traduisent tous une déformation à long terme de la plaque indo-australienne. « séismes intraplaques » sont fré- Nature, en ligne le 26 septembre 2012
A c t u a l i t é s
Cosmologie
En bref
Éclaircie dans l’énigme du lithium cosmique COUP DE PATTE VÉGÉTAL
L e lithium a été produit alors que l’Univers Drosera glanduligera, une plante
n’était âgé que de deux minutes. La théorie de carnivore australienne, ne se
la nucléosynthèse primordiale permet de contente pas d’embuscades pas-
D
sur la couleur du pelage.
e nombreuses bactéries O. Cordero et ses collègues ont toutes issues d’un individu
produisent des antibio- cultivé des bactéries marines de unique, qui leur aurait transmis
tiques, toxiques pour la famille des Vibrionacées, qui se un gène de résistance ? Non, car
leurs congénères. Ces armes chi- sont réparties en micropopulations bien qu’elles soient génétiquement
miques déciment-elles aveuglé- géographiquement distinctes, puis plus proches entre elles qu’avec les
ment toutes les autres bactéries, ont étudié leurs interactions. Ils ont bactéries des autres populations,
dans une guerre de chacun contre constaté qu’une petite fraction des elles ne sont pas identiques: elles
tous ? Selon Otto Cordero, de bactéries (moins de cinq pour cent) n’ont que 72 pour cent de gènes
l’Institut de technologie du Mas- produit des antibiotiques particu- communs en moyenne, bien moins
sachusetts (MIT), et ses collègues, lièrement efficaces, qui inhibent que si elles étaient toutes issues du
© Alexander Raths/Shutterstock
ce n’est pas le cas : certaines bac- la croissance du quart des indivi- même individu. C’est donc leur
téries marines forment des dus présents dans le milieu de proximité géographique, et non
micropopulations où quelques culture. Les biologistes ont aussi une filiation commune, qui aurait
individus fabriquent des « armes montré que les bactéries apparte- favorisé la transmission des gènes
collectives », c’est-à-dire des sub- nant à la même population qu’une de résistance, lors d’échanges dits
stances toxiques uniquement de ces productrices, c’est-à-dire ses horizontaux.
pour les bactéries des autres voisines proches, résistent à ces sub- . Guillaume Jacquemont. Des colonies de bactéries cultivées
populations. stances. Est-ce parce qu’elles sont O. Cordero et al., Science, en ligne, 7 sept. 2012 dans une boîte de Pétri.
A c t u a l i t é s
Médecine
Un antibiotique naturel contre la tuberculose
L a tuberculose tue aujour-
d’hui près de deux millions
de personnes dans le
monde chaque année. De nom-
breux médicaments existent, mais
fulvum, est active même contre
certaines formes résistantes de la
tuberculose.
En étudiant diverses souches
mutées de Mycobacterium tuber-
vée par M. tuberculosis pour agir.
Pour certaines souches de cette
bactérie, le processus d’activation
est altéré et elles deviennent résis-
tantes à l’isoniazide. Le mode opé-
des souches résistantes de la bac- culosis, le bacille à l’origine de la ratoire de la pyridomycine est plus
térie sont apparues ces dernières maladie, S. Cole et ses collègues direct, ce qui ouvre donc une piste
années, pour lesquelles les trai- ont mis en évidence l’enzyme sur prometteuse pour développer un
tements sont inopérants. laquelle agit la pyridomycine. antibiotique efficace contre une
Afin de trouver une parade, Ce composé modifie la confor- maladie présentant de plus en
les chercheurs étudient des bac- mation de l’enzyme InhA néces- plus de résistances aux traite-
téries, qui produisent des sub- saire pour la synthèse d’acides ments à base d’isoniazide. De
stances susceptibles de neutraliser mycoliques, des cires présentes plus, la pyridomycine pourrait se
Stewart Cole/EPFL
ou tuer des organismes concur- dans la paroi de M. tuberculosis. révéler efficace contre d’autres
rents. L’équipe de Stewart Cole, En l’occurrence, InhA était déjà la mycobactéries, par exemple celle
à l’École polytechnique fédérale cible du traitement à base d’iso- responsable de la lèpre.
de Lausanne, vient de montrer niazide, une autre molécule uti- . S. B.. Des colonies de deux souches de la bactérie
que la pyridomycine, produite lisée contre la tuberculose. Mais R. C. Hartkoorn et al., EMBO Molecular responsable de la tuberculose,
par la bactérie Dactylosporangium l’isoniazide nécessite d’être acti- Medecine, en ligne, 17 septembre 2012 photographiées à différents stades.
A c t u a l i t é s
Météorologie Physique
se révèlent plus marqués dans les régions semi-arides telles que le de Leidenfrost repose sur l’idée mètres, inférieure au diamètre de
Sahel et l’Australie. Or les principaux modèles numériques du cli- que son poids est équilibré par la la surface de contact (de l’ordre
mat reproduisent mal ce phénomène : les simulations actuelles surpression créée par le flux de du rayon de la goutte). Les images
pourraient donc surestimer localement les épisodes de sécheresse. vapeur qui s’écoule horizontale- montrent que quand le rayon des
. S. B.. ment sous sa surface de contact gouttes devient inférieur à la hau-
C. M. Taylor et al., Nature, en ligne, 12 septembre 2012 avec la surface chaude (son teur de lévitation pendant le
« ventre »). Cette surpression est régime stable, elles décollent tout
proportionnelle à la différence en continuant à s’évaporer. L’ob-
de température entre la plaque et servation d’un grand nombre de
la goutte, et à la pression au sein cas montre que les gouttes se
Françoise Guichard et Laurent Kergoat/CNRS
D
change radicalement, car le poids vite pour qu’elle puisse léviter.
ans une grotte, l’usage de l’espace est vite brouillé par les occu- devient nettement plus petit que . F. S..
pations successives. Ce n’est pas le cas d’un site en plein air la poussée verticale due à la vapeur. Physical Review Letters, vol. 109, 034501, 2012
qui n’a été occupé qu’une fois. À Breitenbach, près de Zeitz
en Allemagne, des conditions exceptionnelles de conservation dans
un sol loessique ont livré l’organisation spatiale d’un atelier de sculp-
teurs d’ivoire datant de l’Aurignacien (40 000 à 30 000 ans avant
notre ère). Autour d’Olaf Jöris, du Centre de recherche archéologique
Monrepos à Neuwied, une équipe internationale fouille cette sta-
tion de plein air où des premiers Européens modernes sont venus
exploiter des carcasses de mammouths. L’équipe a identifié un espace
où l’ivoire était débité en lamelles et un autre, reconnaissable à des
accumulations de petits éclats spécifiques, où on le sculptait. Ainsi,
il semble que dès l’Aurignacien, l’organisation spatiale de la pro-
duction était un trait culturel de nos ancêtres européens. Rien n’in-
dique pour le moment que ce trait ait été partagé par les Néandertaliens,
leurs prédécesseurs en Europe. Une goutte d’azote liquide en lévitation sur une surface chaude.
. F. S.. Elle est sustentée par la vapeur émise au niveau de sa face inférieure.
A c t u a l i t é s
Astrophysique Physiologie
L
vations avaient déjà montré que la miers résultats montrent qu’ils res-
a plupart des mères auraient de l’ADN de leur fœtus dans le peau de leur queue est faiblement semblent à ceux mis en jeu dans la
cerveau. C’est la conclusion d’une étude menée par William attachée aux muscles et aux os sous- régénération des membres entiers
Chan, de l’Université de l’Alberta, au Canada, et ses col- jacents, ce qui explique la facilité chez certains reptiles, notamment
lègues. Les biologistes ont autopsié des femmes ayant eu un enfant avec laquelle elle se détache. Les les salamandres. Un tel phénomène
mâle et ont montré que 63 pour cent d’entre elles avaient des cel- biologistes ont voulu en savoir plus chez des mammifères est inédit.
lules cérébrales contenant des fragments de chromosomes Y, vrai- et se sont intéressés à deux espèces, . L. M..
semblablement issus du fœtus. Acomys kempi et A. percivali. Les spé- A. Seifert et al., Nature, vol. 489, pp. 561-565, 2012
Un tel phénomène, nommé microchimérisme fœtal, était connu
pour le sang, mais pas pour le cerveau. W. Chan et ses collègues
pensent que le matériel génétique du fœtus a pénétré dans le cer-
veau maternel à la faveur de modifications de la barrière hémato-
encéphalique (la barrière physiologique qui sépare le sang du système
A. Seifert et al., Nature, 2012
P r i x N o b e l 2 0 1 2
OPINIONS
POINT DE VUE
D
epuis quelques années, une Ces sociétés, qui ont tendance à dis- leur permettant de perpétuer leur domina-
notion issue des sciences paraître de même que leurs langues et leurs tion sur les autres groupes sociaux – les
sociales a fait son entrée productions matérielles ou intellectuelles, « dominés ». L’autre utilisation fait suite aux
dans la sphère politique : vivaient dans un temps cyclique, centré sur travaux de l’anthropologue anglais Richard
la culture. Aujourd’hui, la tendance se ren- les mythes et les rites traditionnels. Il s’agit Hoggart sur la « culture du pauvre » dans
force à travers presque tout l’ensemble bien entendu d’un modèle théorique, mais les années 1950. Selon lui, contrairement à
du spectre politique : certains promeuvent des écarts existent indéniablement entre une idée reçue, le peuple, usant de scepti-
la « culture française » ou défendent les ces peuples à historicité lente (« sociétés cisme ou de cynisme, sait prendre ses dis-
« valeurs culturelles françaises et euro- froides » comme les nommait Lévi-Strauss) tances par rapport aux produits de masse
péennes » pour lutter contre le « malaise et la majorité des peuples contemporains, qu’il consomme, en les adaptant aux valeurs
identitaire des Français », d’autres parlent vivant dans un temps linéaire et dans un de sa propre classe sociale ; en d’autres
d’« insécurité culturelle »... Ainsi a-t-on pu espace globalisé (« sociétés chaudes »). termes, il s’approprie la culture de masse
entendre récemment que le double meurtre Quoi qu’il en soit, les anthropologues convien- et la transforme en une culture de classe.
d’Échirolles, fin septembre, pouvait s’expli- nent aujourd’hui par commodité, à la suite Ses recherches ont lancé les cultural stu-
quer par les particularités culturelles des de Tylor, qu’une culture (traditionnelle) dies, un mouvement universitaire qui a
banlieues. Dans tous ces cas de figure, le est constituée d’un ensemble de savoirs, mis du temps à être reconnu en France, pro-
mot devient envahissant et son usage de de croyances, d’arts, de morale, de lois et, posant l’étude des cultures « dominées »
plus en plus imprécis. (aussi nommées subcultures), c’est-
La notion de culture (Kultur) fut AU RISQUE D’AMBIGUÏTÉ, à-dire l’ensemble des règles de conduite
inventée au milieu du XIXe siècle par
des philologues allemands à la suite
voire de contresens, les politiques qui caractérisent des petits groupes
souffrant d’une faible reconnaissance
des travaux de Wilhelm von Humboldt, devraient relire Lévi-Strauss sociale ou subissant des discrimina-
dans une optique à la fois nationaliste et Hoggart ou, a minima, tions : on parle alors d’une culture des
et antiraciste. Elle caractérisait au éviter ce terme ! pauvres, d’une culture ouvrière, de cul-
départ la « communauté spirituelle » tures régionales ou encore des cultures
(Volksgeist) formée par le peuple allemand, à la suite de Lévi-Strauss, qu’elle s’organise des populations récemment immigrées.
en particulier grâce à l’usage de la langue en système cohérent, à l’image des langues. Toutefois, toutes ces «cultures» ne sont
– sorte d’inconscient collectif supposé repré- Mais l’histoire de cette notion continue pas des notions comparables. Dans la concep-
senter l’esprit d’un peuple, et véhiculant un dans la seconde moitié du XXe siècle, car elle tion anthropologique classique, un peuple se
découpage particulier de la réalité. Or, au est réutilisée par la sociologie, cette science définit à la fois par ses mythes, ses rites, sa
cours du développement de l’anthropologie qui analyse les phénomènes sociaux dans religion et sa langue. Pour ceux restés long-
comme science autonome, entre la fin du le monde occidental contemporain, c’est-à- temps isolés des autres groupes humains,
XIXe siècle et jusqu’à la moitié du XXe, avec dire dans les sociétés que n’étudient clas- le rapport à la nature ou les conceptions rela-
chronologiquement Edward Tylor en Angle- siquement pas les ethnologues. On peut tives au fonctionnement de l’esprit et du corps
terre, Franz Boas aux États-Unis et Claude repérer alors deux utilisations. Pierre Bour- pouvaient être radicalement différents, ce
Lévi-Strauss en France, cette notion a été dieu distingue la culture des dominants et qui n’est pas le cas des minorités contem-
remaniée pour décrire les particularités des celle des dominés – les premiers disposant poraines. En outre, ces cultures ne sont
sociétés exotiques et traditionnelles, autre- d’un capital à la fois matériel, social et cul- pas figées et encore moins « pures », et
fois qualifiées de « primitives ». turel (les façons de se tenir, de parler...) aujourd’hui, elles ne sont plus exclusives les
Opinions
unes des autres. Chacun peut être conduit élites) et d’un ensemble varié de cultures qui prétend lutter contre un supposé sen-
à endosser différentes appartenances cul- ou de subcultures dominées, selon l’ac- timent d’« insécurité culturelle » chez nos
turelles selon le contexte : on peut être nor- ception des cultural studies. De même, évo- concitoyens, ne reflète aucune réalité et
mand et d’ascendance algérienne. quer une « culture musulmane » n’est pas relève d’une nouvelle forme de racisme : il
Il faut donc éviter d’utiliser ce concept rigoureux non plus, car au sein des peuples consiste à enfermer chaque nation dans
à toutes les sauces. Par exemple, parler de pratiquant l’islam, les disparités culturelles une culture nationale dominante figée. Au
« culture française » n’a pas vraiment de sont grandes : un Ouïghour chinois ne vit risque d’ambiguïté, voire de contresens, les
sens, car nous vivons dans un monde post- pas dans le même univers culturel qu’un politiques devraient relire Lévi-Strauss et
industriel où les solidarités traditionnelles Marocain musulman berbérophone ! Hoggart ou, a minima, éviter ce terme ! I
(Église, famille patriarcale...) sont affaiblies, La culture est une notion définie par les
et nous sommes soumis à la mondialisation anthropologues et les sociologues dans le
qui favorise les emprunts culturels les plus cadre de leurs recherches. L’utiliser hors de Régis MEYRAN est docteur de l’EHESS.
Anthropologue et historien de l’anthropologie,
variés (ainsi, les musiques rock ou hip-hop son contexte scientifique peut vite conduire il prépare, avec le sociologue Valéry Rasplus,
font partie d’une culture internationale). Par à des relectures tendancieuses de la notion un livre sur le culturalisme en politique
ailleurs, les vagues d’immigration y sont de culture. Ainsi, un poncif traverse désor- (à paraître en 2013).
nombreuses depuis des siècles. Il faudrait mais presque tout le champ politique fran- R. Meyran, Le mythe de l’identité nationale,
donc plutôt parler d’une culture dominante çais, selon lequel les cultures, supposées Berg International, 2009.
(centrée sur la langue, les symboles, les nationales et religieuses, ne doivent pas se
rites nationaux et l’histoire nationale, fai- mélanger entre elles afin de conserver Réagissez en direct
à cet article sur
sant l’objet d’affrontements entre différentes leur vitalité. Ce « différentialisme culturel », www.pourlascience.fr
DÉVELOPPEMENT DURABLE
D
ans une économie dite cir- type de recyclage qui ne l’était pas aupa- mélangés de multiples façons et dotés de
culaire, on remettrait dans ravant. C’est aussi ce qui se produit avec les divers additifs. Les matériaux résultants
le circuit de la matière tout matières premières minérales et les pro- sont ensuite assemblés en composants,
ce que l’on a consommé, duits pétroliers, où certains gisements (tels puis en un produit final.
au lieu de le brûler ou de l’envoyer à la les gisements marins en eau profonde), À chaque stade (élaboration de l’alliage,
décharge. C’est un modèle vers lequel il faut autrefois trop chers ou trop peu accessibles, création des composants, assemblage du
tendre, dans le contexte actuel de pénurie sont devenus exploitables. produit, collecte de déchets divers), la com-
et d’augmentation importante du prix de Les limites sont aussi techniques, liées plexité est multipliée : même si les produits
certaines ressources. Le recyclage est donc à la complexité des flux de produits à recy- sont fabriqués à partir d’un nombre assez
de plus en plus crucial, mais une question cler et à la dégradation de la matière. Les limité de briques élémentaires, celles-ci
se pose : quelles sont ses limites ? matériaux constitutifs d’un produit, extraits sont associées en plusieurs millions de
Elles sont d’abord technico-écono- de gisements (fer, cuivre...) ou synthéti- combinaisons. Les déchets (tels des écrans
miques: plus les techniques sont complexes, sés (polyéthylène, PVC...), perdent leur pureté d’ordinateur et de télévision) sont alors des
plus elles sont coûteuses. Cependant, le dès les premiers stades de la fabrication : assemblages hétéroclites, qu’il faut défaire
progrès technique et l’augmentation du prix pour obtenir les propriétés physiques, méca- avant le recyclage, une tâche compliquée
de la matière peuvent rendre rentable un niques ou chimiques recherchées, ils sont par leur grande variabilité.
Opinions
Étant issus de mélanges, les matériaux le mercure ou les additifs bromés des plas-
produits par le recyclage sont le plus sou- tiques, est parfois restreinte ou interdite.
vent contaminés par des éléments divers, Pour recycler la totalité de nos déchets,
même après le tri et le traitement. C’est il faudrait donc que la demande soit crois-
notamment le cas de l’acier recyclé, où se sante, afin de disposer de débouchés
mêlent plusieurs « nuances » (des aciers adaptés à la qualité des matériaux recy-
ayant des teneurs différentes en carbone, clés, ou qu’elle soit constante et que les
en molybdène, en vanadium...) et d’autres technologies permettent d’obtenir des
composants, tel du cuivre. Provenant par matériaux recyclés de qualité identique
exemple des petits bobinages de moteurs à ceux d’origine.
électriques automobiles (utilisés
pour les lève-vitres, le réglage des
sièges, etc.), ce dernier est diffi-
LA QUALITÉ DES MATÉRIAUX
cile à séparer de l’acier. En consé- que l’on peut obtenir est limitée
quence, l’acier recyclé a de moins par le coût et par l’impact
bonnes propriétés mécaniques sur l’environnement.
que le «neuf». Le même problème
se pose pour le polyéthylène, utilisé par Diverses techniques peuvent fournir
exemple pour les emballages plastiques : des matériaux de haute qualité. Ainsi, on
de multiples éléments y sont ajoutés (telles sait récupérer du cuivre pur à 99,9 pour
des argiles, qui le rigidifient), compliquant cent par électrolyse. Cependant, cette tech-
sa purification. nique est gourmande en énergie. De façon
Le recyclage des matières organiques générale, la qualité des matériaux que l’on
(plastiques, papier...) est soumis à un pro- peut obtenir est limitée par le coût et par
blème supplémentaire par rapport à celui l’impact sur l’environnement. Les techniques
des matières minérales (métaux, verre...) : de recyclage consomment de l’énergie
les chaînes carbonées se cassent, entraî- (broyage, fusion...), émettent des gaz à
nant une dégradation accrue. Dès lors, les effets de serre, répandent des polluants
défauts s’accumulent au cours des cycles dans l’eau (notamment lors du désencrage
successifs. Ainsi, l’acier peut contenir de des papiers)... Toutefois, l’impact est presque
plus en plus de cuivre à mesure des recy- toujours moindre que si les mêmes maté-
clages, tandis que les fibres du papier devien- riaux étaient produits d’une autre façon.
nent trop fragmentées pour être utilisables Pour minimiser l’impact sur l’environne-
en cinq à dix cycles. En raison de leur qua- ment, la directive européenne sur les déchets
lité souvent inférieure, les matériaux préconise de réemployer les composants
recyclés sont en général utilisés pour des et les produits, plutôt que de revenir aux maté-
produits différents du produit d’origine. riaux bruts. Cela présente en outre un avan-
On parle de recyclage en boucle ouverte. tage économique, celui de conserver le plus
Par ailleurs, la réflexion sur un recyclage longtemps possible la valeur ajoutée des pro-
infini doit intégrer la question des débou- duits : un ordinateur a plus de valeur que les
chés. En période de croissance, où la matériaux à recycler qui le composent.
demande augmente, les matériaux issus Finalement, l’idée du recyclage infini
du recyclage trouvent preneurs (à condi- semble illusoire, en raison des contraintes
tion que leur prix soit compétitif). Ce n’est technico-économiques. Elle doit malgré tout
pas toujours le cas lorsque la demande dimi- guider les efforts visant à limiter notre
nue : ainsi, lors de la crise de fin 2007 et impact sur l’environnement... I
début 2008, les achats de ferrailles (les
débris de pièces de fer, de fonte ou d’acier)
se sont totalement arrêtés pendant plu- Alain GELDRON dirige le Service Filières
responsabilité élargie du producteur
sieurs semaines en France. En outre, l’uti- et recyclage, à l’ADEME (Agence
lisation de certaines substances contenues de l’environnement et de la maîtrise
dans les produits à recycler, tels le cadmium, de l’énergie).
Vrai ou faux
L
es femmes semblent relativement obstruction). Elles amélioreraient aussi la cir- Chez les femmes ménopausées, les
épargnées par les maladies cardio- culation sanguine et l’oxygénation des tissus. estrogènes continuent de circuler dans le
vasculaires : à 50 ans, par exemple, Cependant, ces résultats n’ont pas été sang à de faibles concentrations. Ils pourraient
elles sont deux à trois fois moins confirmés chez l’homme. Les estrogènes protéger les femmes peu après la méno-
victimes que les hommes de ces maladies, ont de multiples fonctions et leurs effets, pause, mais ils auraient un rôle délétère
causées notamment par l'obstruction d’une bénéfiques ou délétères, varient notable- à un âge plus avancé. Des concentrations
artère. La différence s’estompe après la mé- ment, en particulier selon l'âge et les organes. sanguines élevées d’estrogènes après 65 ans
nopause, mais ne disparaît pas. Comment L’impact de la carence en estrogènes sur sont corrélées à un risque accru d’infarc-
s'explique-t-elle ? l’augmentation du risque cardio-vasculaire tus du myocarde ou d’accident vasculaire
De multiples pistes ont été explorées. après la ménopause reste à prouver : les cérébral, sans que le lien de cause à effet ne
L’une d’elles concernait des facteurs géné- importantes modifications liées au vieillis- soit démontré. D’autres résultats suggèrent
tiques ; elle s’est soldée par un échec. Une sement survenant après 50 ans (augmen- que les estrogènes favorisent l’obstruction
deuxième piste pointe des inégalités par tation du poids et de la pression artérielle, des artères, par exemple en entraînant la
rapport aux principaux facteurs de risque hypercholestérolémie, etc.) pourraient aussi formation de caillots sanguins.
cardio-vasculaire : tabagisme, hypertension participer à cet accroissement du risque. En fait, on ignore si les estrogènes ont
artérielle et hypercholestérolémie. De nom- réellement un impact sur les maladies car-
breuses études ont montré que les femmes De vastes essais dio-vasculaires. Notons que ces maladies
ont un profil plus favorable, notamment parce
qu’elles font plus attention à leur santé. Cela
non concluants constituent la première cause de mortalité
chez les femmes : en France, 85 000 d'entre
explique en partie – mais pas totalement – Plusieurs arguments plaident même en elles en meurent chaque année (le cancer
les différences. défaveur d’un effet cardio-protecteur des du sein fait huit fois moins de victimes). Les
On a aussi envisagé un rôle des hormones, estrogènes. De vastes essais, où l’on ad- femmes meurent même plus souvent que les
en particulier des estrogènes. Ces derniers ministrait des estrogènes à des femmes hommes de maladies cardio-vasculaires, bien
jouent un rôle clef dans le développement ménopausées, ont été réalisés aux États- que le risque soit plus faible quand on compare
sexuel et la reproduction chez la femme. À Unis au début des années 2000. Ils n’ont les hommes et les femmes ayant le même
la ménopause, l’arrêt du fonctionnement des révélé aucune réduction du risque cardio- âge. Cet apparent paradoxe est dû à la plus
ovaires entraîne une chute importante des vasculaire. Ces hormones ont aussi été grande longévité des femmes et à la survenue
concentrations sanguines d’estrogènes. On testées sur des hommes... sans succès ! tardive de ces maladies. Quel que soit le sexe,
constate alors une augmentation rapide du Avant ces travaux, on préconisait un traite- les facteurs de risque doivent donc être sur-
risque cardio-vasculaire, ce qui fait penser à ment hormonal (comprenant notamment veillés, et des stratégies de prévention mises
la perte d’un facteur protecteur. des estrogènes) lors de la ménopause, en œuvre. Elles visent à limiter les facteurs de
De fait, plusieurs effets bénéfiques des afin de prévenir les maladies chroniques risque par des approches pharmacologiques
estrogènes ont été mis en évidence sur des (maladies cardio-vasculaires, ostéoporose, et une meilleure hygiène de vie... n
modèles animaux. Ces hormones limiteraient démence...) ; ce traitement n’est plus recom-
l’athérosclérose (un dépôt graisseux sur les mandé, sauf en cas de troubles tels que Pierre-Yves scarabin est directeur
parois des artères, aboutissant parfois à leur les bouffées de chaleur. de recherche à l’inserm, à Villejuif.
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✔ Pourquoi Pas de masse ? un cadre mathématique pour représenter les ➜ réPonse de françois forget
selon l’article Le boson de Higgs, et après ? particules et leurs interactions. Ce formalisme Laboratoire de météorologie dynamique,
Université Paris 6/cnrs
(Pour la Science n° 419, septembre 2012, repose sur des règles de symétries et traite des
http://bit.ly/419_higgs), les particules n’ont quantités intrinsèques associées aux particules, Les roches qui intéresseront le plus Curiosity sont
pas de masse dans le modèle standard. les « charges ». L’introduction de la masse comme les argiles. Communes sur Terre, elles restent
mais pourquoi ? La masse n’est-elle pas propriété intrinsèque n’est pas possible dans assez rares sur Mars et n’ont été découvertes
indispensable pour décrire la trajectoire ce cadre, car elle ne respecte pas certaines que récemment par la sonde Mars Express. Leur
d’une particule chargée lors d’une collision ? symétries. On résout cette difficulté en intro- formation requiert a priori une longue altération
Andrea Kapka, Paris duisant le mécanisme de Higgs (matérialisé par de l’eau liquide. Elles forment aussi des petites
par une nouvelle particule, le boson de Higgs). cellules autour des impuretés, qui peuvent protéger
➜ réPonse d’oLivier arnaez La masse est alors une propriété effective, qui des molécules organiques ou des microfossiles.
CERN / Université de Mayence provient de l’interaction de la particule avec le Le cratère Gale, que va explorer Curiosity, abrite
Les équations de la dynamique classique ou champ de Higgs. une haute montagne de sédiments. Des affleu-
relativiste nécessitent bien une masse pour rements d’argiles riches en fer (nontronites) ont
décrire les trajectoires, mais c’est une approche ✔ des roches, mais LesqueLLes ? été identifiés près de la base du pic, dans les ter-
différente de celle du modèle standard, qui vise Le rover Curiosity s’est posé sur mars rains anciens. Un peu au-dessus se trouvent des
à décrire l’ensemble des interactions des parti- à la recherche de traces de vie(voir Déchiffrer sulfates, eux aussi probables signatures de l’eau
cules, et pas uniquement leurs mouvements. Les la planète rouge (Pour la Science n° 418, liquide. Le cratère Gale est peut-être un ancien lac
phénomènes de désintégration, en particulier, août 2012, http://bit.ly/418_curiosity). quels où des sédiments se sont accumulés. Cependant,
ne peuvent pas être décrits par les équations types de roches sont les plus prometteurs ? il pourrait aussi s’agir de sédiments volcaniques
de la dynamique. Le modèle standard fournit Georges Wattelse, Gand altérés par une circulation hydrothermale.
entretien
➜ Yves GinGras : Il est difficile de mesurer ■ BioGraPhie Yves GinGras : On peut citer The Physics of
ce phénomène, mais un indice frappant est la Yves giNgraS, historien Immortality (1994) de l’Américain Franck
multiplication, depuis la fin des années 1980 et et sociologue des sciences, Tipler, God and the New Physics (Dieu et la
surtout aux États-Unis, d’ouvrages de vulgarisa- est professeur à l’Université nouvelle physique) (1983) de l’Anglais Paul
du Québec à Montréal.
tion scientifique utilisant dans leur titre des mots Davies ou encore The God Particle (La particule-
ou expressions suggérant que la science peut Y. gingras interviendra Dieu) (1993) du prix Nobel de physique américain
résoudre les mystères profonds de l’existence, sur la contribution Leon Lederman. Il existe depuis une vingtaine
des scientifiques
et qu’elle rejoint ainsi les « sagesses » les plus à la montée du mysticisme d’années une multitude de tels ouvrages de
anciennes, taoïste, indienne ou bouddhiste. lors de la 13e rencontre vulgarisation aux titres accrocheurs et écrits
Au cours des décennies récentes, la science « Physique et interrogations par des scientifiques de renom, souvent des
fondamentales », qui se tiendra
a d’abord été perçue comme incompatible avec à Paris le 24 novembre 2012 physiciens. La France ne fait pas exception,
les croyances religieuses et accusée de désen- et qui portera sur Les nouvelles même si le phénomène est plus récent et, du
chanter le monde. Aujourd’hui, certains scien- lumières. Comment la physique moins pour l’instant, plus limité. Je pense à
continue d’éclairer le monde
tifiques la présentent, sur un ton romanesque, (http://sfp.in2p3.fr/CP/ La mélodie secrète (1988) ou Le cosmos et
comme capable de répondre à notre quête de pifn/intropage.htm). le lotus (2011) de l’astrophysicien Trinh Xuan
sens. Le contraste est frappant entre l’ouvrage Thuan, à Le tout, l’esprit et la matière (1987) du
classique de Jacques Monod, Le hasard et la physicien Jean Charon. Et je ne parle pas des
nécessité (1970), qui affiche une vision somme ■ BiBlioGraPhie pseudoscientifiques qui qualifient de « visage
toute mécaniste de l’Univers où l’être humain de Dieu » la distribution du rayonnement pri-
Y. Gingras,
est un élément contingent et sans significa- Propos sur les sciences. mordial de l’Univers...
tion, et celui du chimiste Ilya Prigogine et de Entretiens avec Yanick Villedieu, Ce courant a émergé au milieu des an-
la philosophe Isabelle Stengers, qui préconise Raison d’agir, 2010. nées 1970 avec le livre Le Tao de la physique écrit
une « Nouvelle alliance » entre l’homme et Y. Gingras et G. Caillé, par le physicien américain d’origine autrichienne
la nature (1979). On n’est pas encore dans le Nouvel Âge et rhétorique Fridjof Capra. Cet ouvrage, où F. Capra affirmait
mysticisme déclaré qui deviendra évident dix de la scientificité, Interface, que les équations de la théorie quantique des
vol. 18(2), pp. 6-8, 1997.
ans plus tard sous d’autres plumes, mais la champs s’apparentent à d’anciens textes mys-
continuité est réelle entre ces démarches qui tiques indiens, a eu un succès retentissant.
laissent entendre que science et croyance sont Depuis sa parution en 1975, il n’a cessé d’être
du même ordre. réédité.
Pls Ainsi, L. Lederman avait plutôt un but politique mystère, on laisse planer l’idée qu’un créateur
Que reprochez-vous précisément en publiant en 1993 son ouvrage. Les physi- doit avoir fixé ces valeurs pour nous faire ensuite
à ce genre d’écrits ? ciens américains cherchaient à l’époque des apparaître. Cela n’a rien de scientifique, mais
appuis publics pour convaincre leurs autorités c’est très attrayant pour les esprits qui cherchent
➜ Yves GinGras : Ces livres, qui se veulent être de ne pas mettre fin à la construction du ssc, à conforter leurs croyances religieuses ou spi-
de la vulgarisation scientifique, sont destinés au un collisionneur de particules gigantesque et rituelles en se servant de la science.
grand public et jouissent de l’aura de leurs au- coûteux qui devait permettre de découvrir le
teurs, dont le statut et la réputation scientifiques boson de Higgs, particule clef prédite par les
sont acquis. Les lecteurs leur accordent donc une théoriciens. Pls
forte crédibilité. Or ces auteurs outrepassent leur comment réagissent les autres
compétence scientifique en mettant en avant scientifiques face à cette dérive ?
des conceptions religieuses ou mystiques qui Pls
sont étrangères à la science. Ils profitent de les scientifiques qui jouent sur le registre ➜ Yves GinGras : Ils sont plutôt indulgents
leur image de scientifiques pour diffuser leurs mystique, mais qui n’ont pas de visée envers leurs confrères, comme si une forme
opinions personnelles. Leurs livres se veulent stratégique, sont-ils malgré tout suspects ? de corporatisme leur soufflait que tout est bon
une présentation des découvertes de la science pour promouvoir les sciences. J’ai été stupéfait
moderne, mais leurs titres et une partie de leur ➜ Yves GinGras : Chacun est libre de croire en de lire un compte rendu du livre The Physics
contenu suggèrent, en général de façon subtile ce qu’il veut, mais promouvoir ses convictions of Immortality dans la revue hebdomadaire
et indirecte, des liens entre la science de pointe spirituelles en s’appuyant sur la science est, au Science, qui était somme toute positif et ne
et la spiritualité, la solution des mystères de la mieux, une preuve de grande naïveté épistémo- disait mot de l’absurdité de prétendre démontrer
vie et des origines de l’Univers. Ils jouent sur logique de la part de personnalités censées être l’immortalité de l’âme en invoquant des équa-
l’ambiguïté, sur la fibre du mystère, comme d’un haut niveau scientifique. tions de la théorie quantique des champs – des
le fait X-Files, série télévisée où l’on navigue Il faut aussi remarquer que la vague de publi- équations présentes dans le livre simplement
constamment entre la science et les croyances cation d’ouvrages de vulgarisation scientifique pour impressionner les lecteurs. Et je n’ai pas
paranormales. C’est également flagrant avec les faisant l’amalgame entre science et religion ou vu beaucoup de physiciens déconstruire le Tao
spéculations, invérifiables par définition, sur les mysticisme a été fortement encouragée par les de la physique ou critiquer les interprétations
« univers parallèles ». activités de la fondation américaine Templeton abusives du « principe anthropique ». Au lieu
créée en 1987. Ayant pour mission de promouvoir de se contenter de dénoncer les astrologues
les liens entre science, théologie, spiritualité et et autres charlatans évidents, ce qui est assez
Pls religion, elle décerne notamment un prix annuel facile, les scientifiques rationalistes devraient
De telles incursions hors de la science de plus de un million de dollars à une personna- rappeler à l’ordre ceux parmi leurs collègues qui
pourraient n’être qu’une simple stratégie lité ayant fait « une contribution unique à une mélangent les genres. N’oublions pas que les
commerciale de la part de l’auteur ou de son meilleure compréhension de Dieu et des réalités scientifiques, malgré certaines critiques, ont
éditeur, pour mieux appâter les lecteurs... spirituelles ». encore une forte crédibilité, dont doit découler
Or plusieurs scientifiques, qui ne sont nulle- une vraie responsabilité.
➜ Yves GinGras : Quand seul le titre joue sur ment philosophes ou théologiens, ont obtenu
la corde mystique et pas le contenu, on peut ce prix. Le premier fut d’ailleurs P. Davies, phy-
croire que oui. Mais cela confirme la tendance à sicien reconnu et auteur prolifique de livres Pls
vouloir marier science et religion, ou du moins où abondent les mots Dieu, science, esprit, Quelle attitude devraient-ils adopter ?
science et spiritualité, ce qui crée une confu- miracle, etc. La stratégie de la fondation de
sion dangereuse. Et même dans cette situation, donner l’impression que science et spiritualité ➜ Yves GinGras : Il faut, selon moi, constam-
l’auteur a une responsabilité quant au choix du sont compatibles est tellement évidente qu’il ment rappeler la spécificité des sciences, dont
titre et ne peut se défausser sur son éditeur. était possible (je l’ai fait !) de prédire que l’astro- les méthodes n’ont pas vocation à répondre à
Utiliser comme titre The God Particle comme physicien britannique Martin Rees l’obtiendrait, tout. L’honnêteté intellectuelle oblige à dire que
l’a fait L. Lederman – ou comme l’ont fait de ce qui fut le cas en 2011. M. Rees fait partie de l’on ne trouvera jamais Dieu dans un accéléra-
nombreux journaux et magazines à propos de ceux qui ont surinterprété le soi-disant « prin- teur de particules ! Et même quand l’objectif
la récente découverte au cern du boson de cipe anthropique » selon lequel les constantes est juste de faire la promotion des sciences, il
Higgs – ne fait qu’entretenir la confusion entre de la nature sont précisément calibrées pour faut rester sur les rails. La fin ne justifie pas les
ce qui relève de la science et ce qui relève de permettre l’apparition de l’homme. Or ce principe moyens, même lorsqu’il s’agit de faire « aimer »
la spiritualité. Cela étant, l’usage stratégique n’est qu’une tautologie, qui consiste à dire que les sciences. ■
des soi-disant liens entre science et religion si le monde avait été différent, nous ne serions
ne se limite pas à faire mousser les ventes. pas là ! Au lieu d’expliquer qu’il n’y a là aucun Propos recueillis par Maurice Mashaal.
La conjecture
Gerhard Frey
À
première vue, la conjecture abc de Fermat par une méthode différente de
semble être d’une trompeuse sim- celle utilisée par Andrew Wiles et Richard
plicité. Elle énonce une certaine pro- Taylor en 1994.
priété sur trois nombres entiers naturels La plupart des problèmes concernant
a, b et c liés par la relation la plus simple les nombres entiers impliquent d’une façon
possible : a + b = c. Ce qu’elle affirme exac- ou d’une autre leurs facteurs premiers. Les
tement n’est pas évident. L’idée est que nombres premiers sont les nombres qui
si les facteurs premiers de deux nombres ne sont divisibles que par eux-mêmes et
a et b se répètent beaucoup, il y a peu de par 1. La suite commence ainsi : 2, 3, 5, 7,
chance pour que ce soit aussi le cas pour 11, 13, 17… À première vue, la répartition
leur somme. des nombres premiers semble aléatoire.Y
La conjecture abc a été énoncée chercher une structure occupe les mathé-
en 1985 par Joseph Oesterlé, de l’Université maticiens depuis des siècles. Le « théorème
Paris vi, et David Masser, de l’Université des nombres premiers » fournit cependant
de Bâle, en Suisse. Malgré de solides une estimation : le nombre de nombres
indices en faveur de la validité de cette premiers inférieurs à n croît comme n / ln (n)
conjecture, aucune piste de démonstra- lorsque n devient grand.
tion ne semblait jusqu’ici très évidente, D’après le théorème fondamental de
et la preuve paraissait encore éloignée. l’arithmétique, chaque entier naturel se
Cependant, cela pourrait avoir changé : décompose de façon unique en un pro-
un mathématicien reconnu de l’Univer- duit de nombres premiers (à l’ordre des
sité de Kyoto, Shinichi Mochizuki, affirme facteurs près). Par exemple, 6 936 = 233172
aujourd’hui avoir démontré la conjecture
abc. Ses pairs ont commencé à examiner
1. La « richesse » des triplets A, b, c
sa démonstration, très longue et faisant d’entiers où c = a + b est représentée ici pour a
appel à des outils nouveaux, mais il est (en abscisse) et b (en ordonnée) compris
trop tôt pour dire si son approche a été entre 2 et 50. La couleur et la taille des cercles
couronnée de succès. indiquent la valeur de la richesse (a, b, c)
La preuve de la conjecture abc apporte- (de 0,37, en rouge sombre, à 1,22, en blanc).
Les lignes qui se dessinent suggèrent qu’en
rait une solution à de nombreux problèmes
général, pour qu’un triplet d’entiers soit riche,
importants de la théorie des nombres. il faut que l’un des membres le soit. On voit
En particulier, dans sa version forte, elle déjà dans cet échantillon modeste que la
entraînerait la preuve du grand théorème richesse se raréfie pour les grands nombres.
Des théorèmes
■■
importants de la théorie
des nombres, le théorème
de Fermat notamment,
découlent aisément
de la conjecture abc.
■■ La conjecture abc
semble vraie, mais
sa démonstration se fait
toujours attendre.
23.35 =1944
3.29 =1536
2.36 =1458
35 =243
123 =1728
64 =1296
6 36 =729 d(424) = log (424)/log (106) = 1,29726..., et
évidemment d(437) = log (437)/log (437) = 1.
Un petit programme suffit à calculer
4 rapidement la valeur moyenne d* de d pour
un ensemble de nombres. En tirant plusieurs
fois au hasard 10 000 entiers entre un et
2
un milliard, nous avons obtenu successi-
vement les moyennes d* = 1,047519..., puis
0 d* = 1,05267..., et d* = 1,04793... Un tirage
de 100 000 nombres au hasard sans limite
2. La richesse d’un nombre entier n, notée d(n), correspond à la puissance de taille a donné d* = 1,049266… Cela sug-
moyenne des facteurs premiers qui le composent. Ce graphique montre d(n) pour les entiers
compris entre 2 et 2 048. Les nombres les plus riches sont les « puissances pures » gère qu’un nombre « moyen » ne vit que
(comme 211), suivies de près par les nombres « puissants » (tous les facteurs premiers légèrement au-dessus du seuil de pauvreté.
sont à la puissance 2 au moins). Le hasard semble régir cette distribution. En règle générale, on s’attend à ce que la
puissance moyenne ne dépasse pas 1,06.
n’est divisible par aucun autre nombre structure multiplicative, cette dépendance Cette valeur moyenne suffit-elle à cap-
premier que 2, 3 et 17. semble presque aléatoire. Le grand théo- turer la diversité des nombres entiers ?
La conjecture abc porte sur les facteurs rème de Fermat, selon lequel il n’existe Évidemment, non. Il existe des cas isolés
premiers des nombres entiers, et plus préci- pas d’entiers non nuls a, b et c vérifiant qui sont loin de toute valeur moyenne. Par
sément sur leur diversité et leur fréquence. l’égalité an + bn = cn pour n 2, mélange exemple, dans l’intervalle allant de un à
Un entier pris au hasard a en général peu de ainsi addition et multiplication (sous forme un milliard, on trouve le nombre richis-
facteurs premiers, bien que certains soient de puissances), pour un résultat d’une sime 67 108 864 = 226, qui a une puissance
présents plusieurs fois. Tout multiple de 9 redoutable complexité. moyenne d = 26. Et la richesse n’est pas
contient par exemple deux fois au moins bornée, puisqu’il existe des puissances de 2
le facteur premier 3 (car 9 = 32). Mais il est Richesse et pauvreté avec un exposant aussi grand que l’on veut.
rare que la majorité des facteurs premiers
apparaissent de nombreuses fois dans
chez les nombres entiers Cherchons le nombre le plus riche
parmi 10 000 choisis au hasard dans l’in-
la décomposition. Les puissances pures, Mais revenons à la notion de nombre excep- tervalle précédent. Un premier essai donne
comme 67 108 864 = 226, sont peu fréquentes, tionnel. On dit qu’un entier est « riche » si n = 692 599 663, avec d(n) = 3,831201… Sa
de même que les nombres « puissants », certains de ses facteurs premiers sont pré- décomposition en facteurs premiers est
où chaque facteur premier apparaît avec sents plusieurs fois dans la décomposition n = 77292. Une deuxième tentative donne
un exposant au moins égal à 2 (comme (c’est-à-dire avec une puissance supérieure n = 614 810 677 = 133234, avec d(n) = 3,55004…
dans 614 810 677=133234). Si a et b sont ou égale à deux). On l’« appauvrit » en sup- Les nombres riches sont en général des
deux nombres exceptionnels comportant primant les facteurs premiers redondants nombres puissants. Par définition, la puis-
des puissances élevées de leurs facteurs pour ne conserver qu’un seul exemplaire sance moyenne des nombres puissants vaut
premiers, il faudrait que le diable s’en mêle de chaque. Cette version dépouillée d’un au moins deux, donc la valeur maximale
pour que leur somme a + b = c soit encore entier n est appelée son radical, noté Rad(n). de d pour un grand échantillon de nombres
un entier exceptionnel. La conjecture abc Par exemple, ne peut pas être inférieure à 2. En général,
précise cet énoncé un peu flou. Rad (324) = Rad (2234) = 23 = 6 ; elle est nettement supérieure, comme le
Cette conjecture cache une particularité Rad (424) = Rad (2353) = 253 = 106 ; montrent les exemples.
de la théorie des nombres. La structure Rad (437) = Rad (2319) = 2319 = 437. Nos expériences numériques montrent
additive des entiers naturels est particuliè- Le radical d’un nombre est toujours en outre que les nombres puissants sont
rement simple, et la structure multiplicative inférieur ou égal à ce nombre. Les nombres plus fréquents que les puissances pures (du
n’est guère plus compliquée. Mais les deux premiers et ceux qui contiennent une seule type 226), ce que confirment des arguments
structures ne cohabitent pas bien : si on fois chacun de leurs facteurs premiers sont – difficiles – de la théorie des nombres.
les combine, les choses se compliquent… « au seuil de pauvreté » : ils sont égaux à Plus fréquents encore sont les nombres
et deviennent intéressantes. En d’autres leur radical. À l’inverse, si chaque facteur « presque puissants », c’est-à-dire puis-
termes, des propriétés de la somme a + b, premier de n est muni d’un exposant élevé, sants à un facteur près, petit par rapport
du point de vue de la structure additive, alors Rad (n) est beaucoup plus petit que n. à ce nombre (par exemple, 5 000 000 est
dépendent de façon très régulière de celles Pour quantifier la richesse d’un nombre, presque puissant, car 5 est petit devant
de a et de b, mais du point de vue de la on lui associe sa « puissance moyenne » d(n), 1 000 000, très puissant). Eux aussi ont une
L a croissance d’une fonction Cette distinction est essen- croît exponentiellement avec la
f(x) quand x tend vers l’infini tielle pour les calculs numé- variable considérée (problème
peut être similaire (entre autres) à riques. Un problème où le temps np, pour non polynomial), le pro-
cas, (a, b, c) est supérieur à 1,4. Par ail-
leurs, dans la plupart des cas, (a, b, c) est
beaucoup plus petit. Cette borne est à la
celle d’un polynôme xa ou à celle de calcul nécessaire croît de fa- blème est considéré comme dif- fois trop grande et trop petite.
d’une exponentielle ax (a fixé). çon polynomiale en fonction ficile et dépasse vite les capa- Pour contourner ce problème, on intro-
Peu importe le comportement de la variable étudiée (ou pro- cités de calcul existantes. Une
duit une deuxième constante. À la place
de f(x) dans un intervalle fini, blème p) est considéré comme des sept « questions du millé-
de l’équation précédente, on pose :
la croissance exponentielle de- « facile » : il peut être résolu en naire » est de savoir si les pro-
a + b d [Rad(ab(a + b))]a
vient tôt ou tard plus rapide que un temps raisonnable. Si, en re- blèmes np peuvent se ramener
la croissance polynomiale. vanche, le nombre d’opérations à des problèmes p.
où d est une constante qui devrait être
effective. En exprimant cette inégalité en
fonction de , on obtient l’inégalité suivante :
d’équation n’a aucune solution parmi les est supérieur à 1, et ces valeurs élevées sont log d
(A, B, C) a +
entiers naturels non nuls (par exemple, intimement liées à des solutions d’équations log(Rad(ABC))
x3 + y3 = z3 n’a pas de solutions, d’après polynomiales à trois variables. À première vue, la conjecture initiale
le théorème de Fermat), parfois elles en est si déformée qu’elle semble vidée de sa
ont une infinité. La version forte substance. Si un contre-exemple ne véri-
Si les nombres x, y, z sont à peu près
du même ordre de grandeur et sont très
de la conjecture abc fie pas l’inégalité, on n’a qu’à choisir une
valeur de d plus grande pour que l’inéga-
supérieurs aux coefficients a, b et c, alors Tous ces résultats expérimentaux per- lité soit satisfaite. Supposons que l’on ait
on obtient, par une estimation analogue à mettent enfin de proposer – avec toute cherché un contre-exemple parmi tous les
la précédente, que (a, b, c) d(x) et que la prudence requise vis-à-vis de résultats nombres inférieurs à un milliard ; il suffit
cette valeur est probablement inférieure empiriques – la conjecture suivante : la de prendre d supérieur au plus grand des
à 1,06. Si, en revanche, x est beaucoup plus puissance moyenne (a, b, c) des triplets nombres c testés, soit un milliard, pour que
petit (de plusieurs ordres de grandeur) (a, b, c), où a, b et c sont premiers entre la conjecture soit vérifiée pour tout a, ce
que y et z, on obtient (a, b, c) 3/2 d(x). eux et tels que a + b = c, est bornée, c’est- qui n’a aucun intérêt.
Le triplet (513, 5493, 22323) donne par à-dire qu’il existe un nombre positif a tel Mais cette première impression est
exemple (a, b, c) = 1,27509…, le triplet que (a, b, c) a. trompeuse. On a montré que plus a, b
(1, 1773, 183) donne = 1,31962…, et le On peut exprimer la même chose sans et c sont grands, plus log (Rad (abc))
triplet (1, 524, 333) donne = 1,29… faire référence aux quantités c et , qui devient grand, bien que plus lentement.
Le dernier exemple est particulièrement dépendent de a et de b. Un peu de tra- Ainsi, le degré de liberté que nous offre
intéressant, car 81 = 34 = 524 + 1 est une vail donne : la constante d devient négligeable lorsque
solution de l’équation x4 = 5y4 + zk, où k est a + b [Rad(ab(a + b))]a les nombres considérés deviennent grands.
un entier aussi grand que l’on veut. Plus Plutôt que d’affirmer l’existence d’une Pour les nombres « très grands », seule la
les exposants dans l’équation sont élevés telle borne a, on aurait préféré qu’elle soit borne a compte.
(2 et 3 dans les exemples précédents), plus calculable. Des algorithmes qui peuvent Cependant, cette formulation contient
la valeur de (a, b, c) que l’on peut obtenir en principe déterminer cette valeur ont encore trop de choix. Pour faire rentrer un
est grande – si tant est que l’équation contre-exemple dans le rang, on a le
en question admette encore des solu- Tailler Le Costume Idéal choix d’augmenter a ou d. Le but est
tions. Or il n’y en a pas beaucoup. Gerd pour les entiers signifie couvrir tous les pourtant de tailler, par un choix appro-
Faltings, lauréat de la médaille Fields
cas, mais avec une approximation aussi prié de a et d, un « costume idéal »
en 1986 pour sa démonstration de la pour tous les entiers naturels : il devrait
conjecture de Mordell, a montré par
proche du corps que possible. tout couvrir (aucun contre-exemple)
celle-ci que l’équation x4 = 5y4 + zk n’a, pour été mis au point ; mais en pratique, le et en même temps être aussi proche du
chaque exposant k 4, qu’un nombre fini temps de calcul prendrait des siècles, voire corps que possible (l’approximation ne
de solutions dont les termes sont premiers plus. On cherche toujours un algorithme doit pas être trop large). Cela signifie que
entre eux. On pense même que l’ensemble effectif, c’est-à-dire qui pourrait livrer pour au moins quelques triplets, l’inégalité
des solutions pour tous k confondus est un résultat en un temps raisonnable, par ci-dessus devrait être une égalité. En pre-
fini, c’est-à-dire que l’ensemble des tri- exemple une semaine de calcul sur un nant a et d légèrement plus petits que ces
plets (x, y, z) premiers entre eux et pour ordinateur personnel. valeurs bien ajustées, on pourrait trouver un
lesquels il existe un entier k 4 tel que Même si l’on parvenait à démontrer contre-exemple. Diminuer a demanderait
x4 = 5y4 + zk est fini. la conjecture pour une très grande valeur d’agrandir d et inversement.
Résumons. Nos expériences numériques de a, cela ne servirait pas à grand-chose : La conjecture abc dans la version
suggèrent qu’en moyenne, la puissance une approximation trop grossière ne dit énoncée par J. Oesterlé et D. Masser est
moyenne (a, b, c) d’un triplet est d’envi- plus grand-chose sur le comportement encore plus forte que notre dernière ver-
ron 0,5 ; dans tous les cas étudiés, est des triplets. La borne a doit être aussi sion. Elle dit qu’il suffit de prendre a
inférieur à 2 ; pour de nombreux exemples, petite que possible. D’après nos résul- supérieur à 1, mais aussi proche de 1
Winfried Scharlau
teur des courbes elliptiques » entraîne la
conjecture abc. Ces deux dernières sont
même équivalentes dans le cadre des fonc-
5. Alexandre Grothendieck (ici au Vietnam en 1967) a refondé dans les années 1960
tions rationnelles. la géométrie algébrique. Né en 1928, ce fils d’un anarchiste russe a découvert
En exploitant la très riche théorie des très jeune des résultats révolutionnaires, malgré une formation sommaire.
courbes elliptiques, développée depuis En 1970, notamment par conviction antimilitariste, il quitte l’Institut des hautes études
plus de 200 ans, notamment en utilisant scientifiques, près de Paris. Depuis 1991, il vit retiré du monde dans les Pyrénées.
des résultats qui ont conduit G. Faltings à
la preuve de la conjecture de Mordell, j’ai appelé « surfaces arithmétiques ». Ces
ainsi trouvé une borne – malheureusement objets jouent un rôle clef dans la démons- ■■ BIBLIOGRAPHIE
toujours exponentielle – de c en fonction tration de la conjecture de Mordell, et les
de Rad(abc). propriétés des surfaces arithmétiques qui S. Mochizuki, Inter-universal
Mais on a fait encore mieux. Par sa permettraient de prouver la conjecture sur Teichmuller theory I :
Construction of Hodge
relation avec l’arithmétique des courbes la hauteur des courbes elliptiques sont bien theatres, 2012. Prépublication :
elliptiques, la conjecture abc s’intègre à la identifiées. Nous sommes cependant loin www.kurims.kyoto-u.ac.jp/
géométrie algébrique. Cette branche des d’avoir trouvé ces propriétés... ~motizuki/Inter-universal/
Teichmuller/Theory/I.pdf
mathématiques, qui donne une interpré- Les travaux de S. Mochizuki ont-ils
tation géométrique à des problèmes de changé la donne ? Expert reconnu dans G. Frey, Der Beweis
la théorie des nombres et apporte ainsi le domaine des surfaces arithmétiques, des Fermatschen Theorems,
Moderne Mathematik,
des éclaircissements surprenants, a été S. Mochizuki a prouvé des résultats dif- pp. 166-175, Spektrum
révolutionnée dans les années 1960 par le ficiles sur la relation entre les « groupes Akademischer Verlag, 1996.
mathématicien Alexandre Grothendieck. fondamentaux au sens de Grothendieck » G. Frey, Links between
D’après moi, la conjecture sur la hauteur et les surfaces. Derrière ces termes et ces solutions of a – b = c and elliptic
des courbes elliptiques n’est pas seulement résultats se cachent encore des idées pro- curves, Number Theory -
un énoncé profond sur ces objets en ques- fondes de A. Grothendieck reliant la théorie Lecture Notes in Mathematics,
vol. 1380, pp. 31-62, Springer,
tion, mais aussi l’arrière-plan structurel de Galois à l’arithmétique. De nombreux 1989.
recherché pour la conjecture abc. Et pour spécialistes de la théorie des nombres se
J. Oesterlé, Nouvelles
J. Oesterlé, la motivation essentielle de sont attelés à la vérification des travaux approches du théorème de
la conjecture abc était son rapport avec de S. Mochizuki, qui occupent des cen- Fermat, Séminaire Bourbaki,
l’arithmétique des courbes elliptiques. taines de pages et qui utilisent des objets et exposé 694, 1987-88.
La conjecture sur la hauteur des courbes méthodes mathématiques peu classiques. F. Beukers, Introduction
elliptiques étant vraie pour le corps des En attendant leur verdict, la conjecture abc to the ABC conjecture,
fonctions rationnelles, la conjecture abc reste non démontrée. conférence donnée le
9 septembre 2005 :
l’est aussi pour ce corps. Ma démonstration On est au moins sûr d’une chose. La www.math.leidenuniv.nl/
en est simple et courte, mais on ne peut conjecture abc n’est pas une bizarrerie gra- ~desmit/ic/abc/
malheureusement pas la transposer du tuite de la théorie des nombres. Elle a de fritsABCpresentation.pdf
monde géométrique vers celui des nombres. vastes conséquences et découle elle-même La liste des bons triplets :
En revanche, la démonstration initiale de d’autres conjectures, dont il y a de bonnes www.rekenmeemetabc.nl/
L. Szpiro, bien plus compliquée, fournit raisons de penser qu’elles sont vraies. La ?item=h_stats.
une ébauche d’une telle transposition. relation entre théorie des nombres et géo- Projet de calcul collaboratif
Cette preuve tire parti de l’arithmétique métrie qui sert de fondation depuis 50 ans des bons triplets :
des surfaces algébriques, bien étudiées en à la géométrie algébrique serait mise à rude www.abcathome.com
géométrie algébrique. Il existe un analogue épreuve si la conjecture abc était fausse.
à ces surfaces dans le monde des nombres, Il est difficile de l’imaginer. n
diode électroluminescente, LED, nitrure de gallium, LED blanche, LED bleue, luminophore, addition des couleurs, lampe fluocompacte, rendement lumineux, température de couleur, indice de rendu des
Technologie
D’autres lampes à incandescence, ingé- testé environ 6 000 substances végétales, de 10 pour cent de la consommation d’élec-
nieusement combinées, sont exposées dans des le choix d’Edison se porta sur le bambou tricité en France. Dans les grandes villes,
salles voisines de celles de M. Edison mais pour sa flexibilité. La durée de vie des ce chiffre peut même dépasser 30 pour cent.
aucune ne donne sa lumière douce et pure, sa premières lampes était de 45 heures. Puis De nombreux systèmes d’éclairage
clarté fixe, et n’est rattachée à aucun système Lewis Latimer, ingénieur de la Edison Com- alternatifs ont été développés au cours
d’installation véritablement pratique. pany, perfectionna la fabrication des lam- du XXe siècle. Il en est ainsi des lampes à
Disons-le, dans l’intérêt de la vérité, du pes pour prolonger leur temps d’utilisation. décharge, qui produisent de la lumière par
progrès, du bien-être général, le système de En 1898, Carl Auer von Welsbach rem- excitation d’un gaz sous l’effet d’un arc
M. Edison constitue une complète révolution plaça le filament de carbone par un fila- électrique. Différents gaz sont utilisés,
dans l’éclairage domestique; il est appelé à rem- ment métallique pour obtenir les lampes tels le néon ou le sodium. Ces derniers sont
placer dans un temps très rapproché tous les à incandescence modernes, dont la durée souvent utilisés dans l’éclairage public,
systèmes en usage. de vie atteint aujourd’hui entre 1 000 et mais donnent des lumières de mauvaise
Le Journal des débats, 1881 2 000 heures. Bien qu’omniprésentes au qualité, très loin du spectre solaire, dans
L
XXe siècle, ces lampes ne sont plus autori- des tons orangés pour les lampes à sodium
ors de l’Exposition internationale sées à la vente au sein de l’Union euro- mélangé à du néon.
d’électricité, à Paris, en 1881, Tho- péenne depuis septembre 2012, car leur Les lampes fluorescentes appartiennent
mas Edison fit la démonstration rendement énergétique est catastrophi- à la famille des lampes à décharge, mais la
de ses lampes à incandescence. L’extrait que : seulement cinq pour cent de l’éner- paroi interne est recouverte d’un revête-
du Journal des débats ci-dessus décrit les qua- gie électrique sont convertis en lumière ment fluorescent. Le fonctionnement de ces
lités de ce système novateur qui se géné- visible. Ces lampes ont néanmoins l’avan- dispositifs repose aujourd’hui sur l’excita-
ralisa à l’éclairage public et domestique. tage de produire une lumière blanche tion de vapeur de mercure contenue dans
Edison se lança dans le développement des chaude très proche de la lumière du jour. une atmosphère d’argon. Après excita-
ampoules électriques dès 1879. Il perfec- Quel type d’éclairage peut remplacer tion, les atomes de mercure reviennent à
tionna le modèle de l’Anglais Joseph Swan. la lampe à incandescence et satisfaire les leur état fondamental en émettant un rayon-
Les premières lampes étaient constituées contraintes d’une lumière agréable, une lon- nement ultraviolet, qui est absorbé par des
d’un filament de carbone, obtenu à partir gue durée de vie et une faible consomma- matériaux fluorescents recouvrant les parois
d’une fibre de bambou du Japon, et placé tion? La question est un enjeu économique du tube, matériaux qui réémettent de la
dans une ampoule sous vide. Après avoir important, car l’éclairage représente plus lumière à différentes longueurs d’onde pour
Nicolas Grandjean
produire de la lumière blanche. Ces lampes est de l’ordre de 100 lumens par watt pour
sont de plus en plus présentes dans nos les LED blanches, 50 à 80 lumens par watt
foyers, en particulier sous la forme d’am-
L’ E S S E N T I E L pour les lampes fluocompactes et envi-
poules fluocompactes, grâce à l’améliora- ron 15 lumens par watt pour les ampou-
L’éclairage représente
tion constante de la qualité de la lumière, les à incandescence, qui émettent surtout
plus de dix pour cent
la réduction du délai d’allumage et la dimi- dans l’infrarouge.
de la consommation
nution du prix d’achat. Le principe de fonctionnement des LED
d’électricité en France.
Cependant, un autre type d’éclairage blanches est très différent de celui des lam-
Le remplacement des
est apparu récemment sur le marché : les pes à incandescence et fluorescentes. Nous
lampes à incandescence
lampes à diodes électroluminescentes (LED, allons voir qu’il est fondé sur la physi-
par des lampes plus
pour Light-Emitting Diode) blanches. Ces que des semi-conducteurs et qu’il a néces-
efficaces, à base de diodes
systèmes offrent des perspectives intéres- sité une cinquantaine d’années de
électroluminescentes
santes pour un éclairage de qualité et à fai- recherches et de développements avant
(LED), entraînera
ble consommation; ils pourraient remplacer d’aboutir à des lampes commerciales
des économies d’énergie.
les ampoules incandescentes d’ici une – dont le coût devrait baisser avec l’amé-
dizaine d’années. lioration des techniques de fabrication.
En attendant, ces dispositifs peu- Les LED au nitrure
de gallium émettent
vent encore être améliorés pour arriver
une lumière bleue, dont Fluorescence
à maturité. Cela passe notamment par
une augmentation du rendement lumi- une fraction est convertie contre rendement
neux, défini comme le rapport du flux en jaune pour donner Expliquons d’abord pourquoi les lampes
lumineux émis dans le domaine visible de la lumière blanche. fluocompactes ont un rendement lumineux
à la consommation électrique. Les LED non optimal. La raison principale est liée
blanches ont un rendement lumineux déjà Plusieurs pistes existent au phénomène de fluorescence et à l’éner-
RealCG/shutterstock.com
élevé, mais il reste inférieur aux maxima pour fabriquer du nitrure gie des photons impliqués – énergie direc-
théoriques qui, en fonction de la qualité de gallium moins cher tement reliée à la longueur d’onde (ou la
de la lumière blanche, sont d’environ 350 à et de bonne qualité. couleur) du photon. La désexcitation des
400 lumens par watt. Le rendement actuel atomes de mercure produit des photons
Kirill Volkov/shutterstock.com
Kostsov/shutterstock.com
Sorbis/shutterstock.com
Rendement (en lumens/watt) Rendement (en lumens/watt) Rendement (en lumens/watt) Rendement (en lumens/watt)
12-20 70-120 50-80 70-100
Indice de rendu des couleurs Indice de rendu des couleurs Indice de rendu des couleurs Indice de rendu des couleurs
100 40-90 85-90 80-85
Durée de vie (en heures) Durée de vie (en heures) Durée de vie (en heures) Durée de vie (en heures)
1 000-2 000 6 000- 15 000 6 000-15 000 25 000-50 000
1. DIFFÉRENTS SYSTÈMES D’ÉCLAIRAGE ont été développés ces ampoule, son rendement est très faible : une grande partie de l’énergie
130 dernières années. Si la lampe à incandescence s’est imposée est dissipée sous forme de chaleur. Les lampes à LED présentent un
grâce à la qualité de sa lumière et au faible coût de fabrication d’une rendement élevé, qui peut encore être amélioré.
Énergie
B. Bourgeois
gie à proximité de la bande de va- Trou
lence peut alors piéger un élec- Bande de valence Puits quantique
bleue et réémet du jaune, il était désor- deux difficultés majeures: il était difficile viduels (sur le même principe que les galet-
mais possible d’obtenir de la lumière blan- de fabriquer des cristaux de bonne qua- tes de silicium de l’industrie électronique).
che, par addition du bleu et du jaune. lité, et le dopage de type p n’était pas maî- Cela tient aux conditions extrêmes de tem-
Le cœur des LED blanches à haute effi- trisé. Seules quelques équipes japonaises pérature et de pression requises pour sa
cacité est donc constitué de semi-conduc- ont poursuivi leurs travaux sur le nitrure croissance (près de 2 000 °C et 2 kilobars).
teurs inorganiques, composés de nitrures de gallium. En 1989, l’équipe d’Isamu Aka- Le nitrure de gallium existe donc presque
de gallium, d’aluminium ou d’indium. saki, de l’Université de Nagoya, élabora exclusivement en couches minces, de quel-
Ces matériaux étaient connus depuis long- une technique pour doper le nitrure de gal- ques micromètres d’épaisseur, déposées
temps pour leur capacité à émettre de la lium. Cette avancée permit la fabrication sur des cristaux de nature différente tels
lumière aux courtes longueurs d’onde et de jonctions p-n et le développement de la que le saphir.
avaient fait l’objet de nombreuses étu- LED de S. Nakamura, qui inventa par la Cependant, faire croître du nitrure de
des à la fin des années 1960. Afin de for- suite le premier laser bleu, aujourd’hui au gallium sur du saphir n’est pas aisé, leurs
cer les recombinaisons électron-trou, donc cœur des lecteurs DVD Blu-ray. natures chimiques et leurs structures cris-
l’émission de photons, on met en contact tallines étant très différentes. Comme
deux semi-conducteurs «dopés» avec des
impuretés différentes, de façon à augmen-
Du nitrure de gallium l’espacement entre les atomes du subs-
trat et ceux du nitrure de gallium est dif-
ter le nombre de trous dans la bande de Le désintérêt des chercheurs pour le nitrure férent, des défauts nommés dislocations
valence (dopage p) et le nombre d’élec- de gallium pendant plus de 20 ans, se forment dans le semi-conducteur pour
trons dans la bande de conduction (do- entre 1970 et 1990, tient pour une bonne raccorder les mailles cristallines à l’inter-
page n). On forme ainsi une jonction p-n part à la piètre qualité des matériaux syn- face. On dénombre près d’un milliard de
(voir l’encadré ci-dessus). thétisés. Le nitrure de gallium est difficile dislocations par centimètre carré, densité
Les chercheurs étudiant le nitrure de à produire sous forme d’un cristal massif, si élevée que l’émission de lumière par le
gallium étaient, à l’époque, confrontés à qui est ensuite découpé en éléments indi- semi-conducteur n’est, en principe, plus
DE L A LU MI È R E BL A NC H E AV EC U N E LE D BLEU E
Électrode
b
GaN (dopage p)
Puits quantique
GaN (dopage n)
a
Substrat
©
Ph Recombinaison
ilip
sL
igh
d’une paire électron-trou
tin
g Lu
mi
led
s
LsureCelle-ci
cœur d’une LED blanche (a) est constitué d’une bleue.
(b) se compose généralement d’un substrat en saphir
lequel sont déposées des couches de nitrure de gallium de
LED en prenant soin de ne pas recouvrir toute la surface, pour ne pas
absorber la lumière émise. Le deuxième contact est placé sur
la couche de type n après gravure de la structure. La taille des
quelques micromètres d’épaisseur. Des atomes de silicium sont LED varie de 0,3 millimètre de côté pour les LED standards à
incorporés dans la première couche de nitrure de gallium pour plus d’un millimètre pour les LED blanches de puissance.
obtenir un dopage de type n. La couche supérieure a un Dans le puits quantique, les électrons et les trous se
dopage de type p grâce à l’insertion d’atomes de magnésium. recombinent et émettent un rayonnement bleu (b). La LED est
Entre ces deux couches est placé un puits quantique (une ou recouverte d’un luminophore qui absorbe de la lumière bleue
plusieurs couches) composé d’un alliage de nitrure de gallium et réémet dans le jaune (c). L’épaisseur du luminophore est choi-
et d’indium d’une épaisseur de quelques nanomètres. L’en- sie de telle sorte qu’une partie seulement de la lumière bleue
semble est relié à une alimentation électrique. Pour cela, on est absorbée. En ajustant les rapports d’intensité entre bleu et
dépose un contact métallique sur le nitrure de gallium de type p jaune, la lumière perçue est blanche.
possible. Ces défauts créent en effet des dré page 35). Les puits quantiques consti- D’une part, on peut réduire le volume total
niveaux d’énergie autorisés dans la bande tués de nitrure ont la particularité de pié- du dispositif, afin de limiter la probabilité
interdite. Les électrons ne passent alors plus ger les électrons et les trous qui n’ont plus que le photon soit réabsorbé. Pour ce faire,
directement de la bande de conduction à la possibilité de se déplacer et, ainsi, ren- la couche de semi-conducteur doit être très
la bande de valence en émettant un pho- contrer une dislocation. En revanche, les mince, inférieure au micromètre, ce qui
ton visible. Ils sont captés par ces nouveaux porteurs de charge se recombinent et don- limite le trajet du photon et les risques d’ab-
états, des «pièges» qui dissipent l’énergie nent ainsi lieu à une émission de photons. sorption. D’autre part, on peut limiter les
de l’électron sous forme de vibrations du réflexions internes multiples si la surface
réseau cristallin. Il n’y a plus émission de
photon: le retour à l’état fondamental de
Extraire les photons est très rugueuse: un plus grand nombre
d’orientations de la surface augmente la
l’électron est «non radiatif». Il ne suffit pas d’avoir un excellent ren- probabilité que le photon y arrive avec un
On a pu contourner cet obstacle dans dement quantique interne, encore faut-il bon angle. Le coefficient d’extraction – la
les LED bleues à base de nitrure de gal- pouvoir extraire les photons du cœur de proportion de photons qui sortent de la
lium et obtenir un bon rendement quanti- la LED avant qu’ils ne soient réabsorbés LED – dans une LED bleue dépasse 90pour
que interne. Ce dernier est défini comme par le matériau lui-même. Or du fait de cent. Mais une part des photons est perdue
le rapport du nombre de photons émis au la forte interaction entre la lumière et la à cause d’autres phénomènes de réflexion
nombre d’électrons injectés provenant du matière dans les semi-conducteurs, l’in- et d’absorption qui apparaissent lors de
courant électrique qui alimente la jonc- dice de réfraction est élevé (2,4 pour le l’intégration de la LED au sein de la lampe.
tion p-n. Si les électrons étaient captés par nitrure de gallium). Le photon doit par- Le rendement quantique interne et l’ef-
les pièges non radiatifs, le rendement quan- venir quasi perpendiculairement à la ficacité d’extraction ne sont pas tout. Il faut
tique interne serait très faible. Cependant, surface pour s’échapper; sinon, il est réflé- aussi considérer le rendement à la prise,
en ajoutant dans le semi-conducteur une chi vers l’intérieur du matériau et finit par c’est-à-dire la puissance optique émise
couche de quelques nanomètres d’épais- être réabsorbé. Seule une petite fraction par rapport à la puissance électrique injec-
seur de nitrure de gallium contenant de l’in- de photons sortira de la LED. tée. Il est de 60pour cent pour les meilleu-
dium, on crée un puits quantique, où les Pour y remédier et augmenter le ren- res LED bleues. Pourquoi n’est-il pas plus
électrons et les trous tombent (voir l’enca- dement, deux approches sont possibles. élevé ? Pour obtenir un photon bleu de
exoplanète,géante gazeuse, jupiter chaud, atmosphère, modèle, modèle de circulation générale, température, vitesse des vents, transit, vitesse radiale, courbe de phase, éclipse secondaire
Astrophysique
Le climat
des exoplanètes
Kevin Heng
L’ E S S E N T I E L
On a découvert à ce jour
plus de 800 exoplanètes
C es dernières années, les astrophy-
siciens ont découvert de nombreu-
ses planètes extérieures au Système
solaire. En deux ans, le télescope spatial
Kepler a localisé plus de 2 000 candi-
sité due au passage d’une planète derrière
son étoile, l’« éclipse secondaire ». En d’au-
tres termes, les techniques astronomiques
ont tant progressé que l’on peut détecter
à quel moment une étoile masque la
et plusieurs centaines dates au titre d’exoplanète, et de l’eau lumière de son exoplanète.
dont il faudra confirmer liquide pourrait être présente sur cer-
le statut. taines dont la taille est proche de celle de
la Terre. Ces objets – qui semblent fré- Le spectre
Les méthodes
de détection donnent
quents dans la galaxie – restent minus- des exoplanètes
aujourd’hui accès
cules aux « yeux » des télescopes actuels,
mais l’amélioration des techniques per-
devient accessible
au spectre lumineux
met d’étudier leurs propriétés. Au point Cet effet est faible, tout au plus quelques
de certaines exoplanètes,
ce qui permet d’étudier qu’établir une carte des températures et pour mille dans le rayonnement infrarouge
ESA, NASA, G. Tinetti (University College Londres) et M. Kornmesser (ESA/Hubble)
les propriétés des vents de leurs atmosphères ne relève et beaucoup moins dans le visible. Lors
de leur atmosphère. plus de la science-fiction. d’une éclipse secondaire, la lumière d’un
Complétant les nombreux relevés du système exoplanétaire est uniquement celle
Des modèles ciel nocturne effectués depuis le sol, les de l’étoile, et ces données permettent de
numériques, adaptés télescopes spatiaux Hubble, Kepler et calculer les contributions respectives de
des modèles climatiques Spitzer observent le cosmos sans être gênés chacun des deux astres, notamment la
terrestres, reproduisent par l’atmosphère terrestre. Ces instru- lumière de l’exoplanète et de son atmos-
les caractéristiques ments détectent une exoplanète en enre- phère. Grâce à une telle technique, les astro-
de l’atmosphère gistrant la baisse de luminosité au moment nomes ont effectué les premières détections
des jupiters chauds, où l’objet, situé sur une orbite que l’on de la lumière directement émise par une
planètes géantes voit par la tranche, passe devant son étoile exoplanète, dont le maximum de lumino-
gazeuses relativement hôte (méthode dite du transit). Depuis sité se situe généralement dans l’infrarouge.
proches de leur étoile. quelques années, les astronomes sont La mesure des transits et des éclipses à
capables de détecter la baisse de lumino- différentes longueurs d’onde permet de
1. L’EXOPLANÈTE HD 189733B
est un jupiter chaud, une géante
gazeuse proche de son étoile
(ici dans une vue d’artiste).
De nouvelles techniques
permettent de mesurer la vitesse
des vents dans son atmosphère
et de cartographier
la température de sa surface.
pls_421_p000000_exoplanete_sb_0510.qxp 5/10/12 17:55 Page 42
HD 209458b à environ deux kilomètres par Cela implique que les propriétés de l’at- complexes, soumises à diverses interac-
seconde, soit une centaine de fois plus mosphère des jupiters chauds ont une éten- tions présentant des signatures chimiques,
vite que les vents terrestres. due globale, sur l’ensemble de la planète. dynamiques et radiatives sur des échelles
Ces découvertes marquent l’aube de Les atmosphères des exoplanètes proches de temps très diverses. Isaac Held, du Labo-
la météorologie exoplanétaire. L’intérêt de leur étoile présentent alors un régime ratoire de dynamique des fluides géophy-
pour ce nouveau domaine commence à de circulation qui est inconnu dans le Sys- siques de Princeton, dans le New Jersey, a
s’étendre à des champs apparentés : les tème solaire. Les simulations des flux affirmé que, pour bien comprendre ces sys-
sciences de l’atmosphère et la climatolo- atmosphériques doivent donc être glo- tèmes complexes, il faut construire une hié-
gie, la géophysique et la planétologie. Des bales et non locales. rarchie de modèles théoriques.
chercheurs d’horizons divers se voient Dans le cas du Système solaire, les Ces simulations vont des modèles
confrontés à des conceptions et pratiques chercheurs se sont rendu compte que les analytiques unidimensionnels qui isolent
scientifiques différentes, en particulier atmosphères planétaires sont des entités un élément physique clef aux modèles
pour la modélisation des phénomènes.
C’est particulièrement saillant lors des
conférences interdisciplinaires où nous
TRANSIT ET COURBE DE PHASE
avons du mal à comprendre nos jargons Les atmosphères planétaires absorbent et réémettent le rayonnement de leur étoile.
respectifs. Les spécialistes de l’atmosphère Quand une exoplanète dont on voit l’orbite de profil passe devant son étoile, elle
et du climat, comme les géophysiciens, entraîne une éclipse primaire ou transit, associée à une légère baisse de lumino-
travaillent sur des bases de données riches sité. L’éclipse secondaire correspond au passage de la planète derrière l’étoile.
et fiables, car ils vivent au sein de leur sys- La plupart des exoplanètes détectées seraient en rotation synchronisée, avec
tème d’étude. Cependant, les observations un côté jour permanent faisant face à l’étoile, et un côté nuit permanent. L’étude de
sont si fines qu’aucun modèle ne peut ren- l’émission lumineuse de la planète permet d’obtenir la courbe de phase, une courbe
dre compte de tous les phénomènes obser- de luminosité en fonction des phases de l’orbite. Sans vents, la courbe de phase
vés. Il est nécessaire d’utiliser plusieurs est, en principe, à son maximum pendant l’éclipse secondaire (mais masquée par
échelles de modélisation, chacune iso- l’étoile), mais s’il y a des vents qui redistribuent la chaleur (et donc le rayonnement
lant certains aspects clefs de la physique. infrarouge) autour de l’atmosphère exoplanétaire, ce pic sera décalé (en bas).
2,5
2,0 des jupiters chauds
1,5 Nous avons fait partie des chercheurs
Point
substellaire qui ont exploré cette voie. Ainsi, nous
1,0
avons généralisé aux jupiters chauds
0,5 l’étude climatique d’une (exo)planète. Le
0 transport de chaleur de l’hémisphère
American Scientist
0 60 120 180 240 300 360 diurne à l’hémisphère nocturne d’une exo-
Longitude (en degrés)
planète en rotation synchronisée peut être
réduit à un problème bidimensionnel. Mais
3. UN MODÈLE DE CIRCULATION GÉNÉRALE de l’atmosphère, initialement conçu pour la
pour bien prendre en compte les échelles
Terre, a été adapté pour simuler une carte de la température et de la vitesse des vents pour une
atmosphère jovienne chaude (en haut). La couleur traduit la température, tandis que les flèches de temps et les perturbations radiatives,
indiquent la vitesse du vent (de l’ordre du kilomètre par seconde). La carte de luminosité en une analyse tridimensionnelle est néces-
fonction de la longitude, moyennée sur la latitude (en bas), montre un décalage angulaire du maxi- saire, ce qui impose l’utilisation des modè-
mum par rapport au point substellaire (longitude pour laquelle l’étoile est au zénith). Cela indi- les de circulation générale. Nous avons
que la présence de vents atmosphériques qui redistribuent la chaleur du côté jour au côté nuit. résolu les équations de ces modèles par
diverses techniques, puis comparé les
tridimensionnels complets de circulation chauds et des naines brunes (des astres résultats pour nous assurer de l’accord
générale utilisés pour les prévisions cli- trop peu massifs par rapport aux étoiles entre les méthodes.
matiques et météorologiques, qui intègrent pour permettre à leur noyau de dévelop- Plusieurs équipes ont maintenant
de nombreux phénomènes pour resti- per et entretenir une fusion nucléaire) par- adapté avec succès les modèles de circu-
tuer les interactions de l’atmosphère, des tagent plusieurs caractéristiques, beaucoup lation générale à la modélisation des
continents et des océans sur la Terre. Ces des modèles pionniers développés pour atmosphères exoplanétaires et obtiennent
modèles de circulation générale résolvent les naines brunes ont été transposés aux des résultats compatibles avec les obser-
simultanément un ensemble d’équations jupiters chauds. vations. Les modèles de circulation géné-
qui traitent l’atmosphère comme un fluide Les premiers modèles se concentraient rale seront encore plus pertinents avec
ainsi qu’une équation thermodynamique, sur le spectre des jupiters chauds, et les l’étude d’exoplanètes ressemblant à la Terre
et tiennent compte de divers facteurs tels traitements les plus élaborés s’inspi- par la taille et leur température.
que le relief et le couvert végétal. Beau- raient des techniques utilisées en climato- Nous ne faisons que commencer à
coup de ces paramètres ne sont pas pris logie et en sciences de l’atmosphère. À comprendre les propriétés essentielles
en compte dans les analyses théoriques partir du spectre d’une exoplanète, les des jupiters chauds, par exemple pour-
des atmosphères exoplanétaires, et l’un astrophysiciens déterminent la composi- quoi certains semblent plus dilatés que
des principaux défis est donc de déter- tion chimique de l’atmosphère et le pro- d’autres et pourquoi certains paraissent
miner comment et quand simplifier un fil pression-température compatible avec redistribuer la chaleur plus efficace-
modèle conçu initialement pour la Terre. les données. Par exemple, Nikku Madhu- ment de leur hémisphère diurne à leur
Délibérément ou non, les astrophysi- sudhan, de l’Université Yale, et ses collè- hémisphère nocturne. Dans le cas de
ciens se sont inspirés de cette approche gues ont étudié le spectre de l’exoplanète HD 189733b et HD 209458b, les spectres et
et ont développé une hiérarchie de modè- WASP-12b. Ils en ont déduit un rapport car- courbes de phase calculés au moyen des
les théoriques allant de une à trois dimen- bone/oxygène élevé, double de celui de modèles de circulation générale sont
sions. Comme les traitements des jupiters l’étoile. De nouvelles études indiquent que conformes aux observations. Tant que la
a c
b d
Kevin Heng
de carbone
disponibles, à savoir la méthode du tran-
sit et celle des vitesses radiales.
Nikku Madhusudhan de l’Université Yale
Aujourd’hui, plus personne n’ignore le fait que les La gestion des ressources des matières premières
ressources naturelles s’épuisent. Les impacts générés cosmétiques, leurs origines, leurs synthèses, l’essor
par les activités humaines deviennent de plus en plus des biotechnologies, les extractions des végétaux,
préoccupants pour la planète et notre environnement. l’amélioration « éco » des chaînes de conception des
Les conséquences sur l’économie de demain seront produits du marketing à la production constituent
importantes car, sur les marchés mondiaux, nous nous une préoccupation majeure de nos marques comme
trouvons toujours au cœur d’un choc des ressources l’a précisé Monsieur Claude Martinez, Président de
énergétiques et des métaux précieux, indispensables à Parfums Christian Dior, représentant l’ensemble des
notre mode de vie très technologique. marques de LVMH Recherche, en ouverture de ce
Les demandes de matières premières, d’eau et symposium.
d’énergie (pétrole) explosent sous la pression Aujourd’hui, analyses et projections les plus fines
démographique (neuf milliards d’individus en 2050), n’indiquent pas les solutions à mettre en place. C’est
les besoins de consommation et les bouleversements pour cette raison que LVMH Recherche a décidé de
technologiques nouveaux. Les faibles diversifications réunir au Collège des Bernardins à Paris, plus de 160
des pays producteurs, les risques géopolitiques, la spécialistes issus d’horizons divers avec les acteurs
diminution des surfaces agricoles, la dégradation des majeurs du secteur cosmétique, afin de réfléchir
forêts, l’acidification des océans, l’accumulation des collégialement aux stratégies et aux chantiers d’avenir.
déchets, les recyclages insuffisants renforcent les Imaginer de nouvelles matières premières, d’autres
craintes d’une issue irréversible pour l’espèce humaine. composites, de nouveaux polymères biosourcés,
des matières novatrices totalement recyclables, peu
énergivores… sont quelques-uns des thèmes qui ont
été abordés.
Publirédactionnel
Évolutions mondiales
Fondé en 1980, LVMH Recherche est un Groupement d’Intérêt Économique (G.I.E.) dont les membres sont
aujourd’hui Parfums Christian Dior, Guerlain, Parfums Givenchy et Fresh. Sa mission? Concevoir et développer
Parfums, Dérivés Parfumants, Produits de Soin, Produits de Maquillage pour plusieurs marques du groupe
LVMH (Moët Hennessy - Louis Vuitton).
Website : www.lvmhrecherche-symposium.com
Publirédactionnel
e : 6 ,95
e
x de vent
es – p r i
120 pag Kant déplorait l’absence d’un « Newton du brin d’herbe »,
mais ce serait supposer que des lois simples suffiraient à rendre
compte de la fantaisie du monde végétal ! Imaginez des plantes
qui ont besoin du feu pour fleurir, des plantes presque carnivores,
des plantes à « sang chaud »... Le monde végétal fait preuve
d’une inventivité sans limite que ce dossier vous invite à découvrir.
➔ Feuilletez les premières pages sur www.pourlascience.fr
http://twitter.com/pourlascience
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Dossier
L’épidémie d’
entre gènes et environnement
obésité
Éradiquer l’obésité? par D. Meyre et Ph. Froguel, p. 54 • Les perturbateurs endocriniens, acteurs silencieux de l’obésité?
par J.-B. Fini, M.-S. Clerget-Froidevaux et B. Demeneix, p. 56 • L’obésité dans les gènes ? par D. Meyre et Ph. Froguel, p. 64
Prénom Nom auteur
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Épidémiologie
démie n’ont jamais été aussi accessibles I LES AUTEURS déclencheurs potentiels de mécanismes épi-
qu’aujourd’hui, car les causes de l’obésité génétiques qui peuvent conduire à l’obésité.
sont de mieux en mieux cernées. Ces der- Face à ce panorama inquiétant, il existe
nières sont multiples. Tout d’abord, il existe des raisons d’espérer. Toutes ces causes
des prédispositions génétiques (voir l’arti- constituent des pistes pour prédire, préve-
cle page 64). Selon une hypothèse proposée nir et traiter la maladie. D’ici 15 ans, la géné-
en 1962 par le généticien américain James tique de l’obésité devrait permettre de
Neel, les mutations prédisposant à l’obésité David MEYRE est directeur déterminer qui a des prédispositions pour
auraient même été favorisées par la sélec- de recherche INSERM en cette maladie avant que celle-ci ne se déclare,
tion naturelle, au fil de l’évolution – une détachement à l’Unité CNRS et de préconiser des mesures de prévention
UMR8199 à Lille. Il est professeur
hypothèse confortée par plusieurs études associé au Département à la carte, adaptées au profil de chaque indi-
récentes de génétique des populations. De d’Épidémiologie clinique vidu. Mais des mesures peuvent être prises
génération en génération, des gènes per- et de biostatistiques dès maintenant à l’échelle des populations.
mettant l’accumulation rapide des graisses de l’Université McMaster D’une part, en matière d’éducation : la
à Hamilton, au Canada.
auraient été favorisés – une capacité avan- prévalence de l’obésité est plus forte parmi
tageuse au temps des chasseurs-cueil- Philippe FROGUEL est les populations défavorisées. Associer cam-
leurs, lorsque l’apport de nourriture, professeur à l’Université Lille 2 pagnes d’information et enseignement
Droit et Santé où il dirige l’Unité
irrégulier, dépendait de la chasse, mais qui, CNRS UMR8199. des principes d’une alimentation équilibrée
à notre époque où la nourriture abonde, dès le plus jeune âge pourrait changer la
est devenue un inconvénient : l’homme donne. D’autre part, en supprimant les ali-
mange par anticipation d’une famine qui ments trop caloriques. En interdisant les
ne survient plus depuis des siècles.
L’impact
de l’environnement
gamapserver.who.int/mapLibrary/Files/Maps/Global_Overweight_BothSexes_2008.png, 25/09/12
obésité, perturbateurs endocriniens, hormones, diabète, environnement, polluants hormonaux, bisphénol A, DDE, dioxines, phtalates, hypothalamus, hypophyse, métabolisme, homéostasie énergétique
Endocrinologie
Les perturbateurs
acteurs silencieux d
Les polluants hormonaux présents dans l’environnement 1.
de
seraient une des causes de l’épidémie mondiale d’obésité. ce
tro
Ils agiraient de multiples façons sur le métabolisme, pa
la
et ce, dès le stade fœtal. en
ue
s endocriniens
l’exposition in utero au distilbène, qui
imite l’hormone féminine estradiol (l’em-
preinte transgénérationnelle implique pro-
bablement des mécanismes épigénétiques,
nous y reviendrons). Tous les types de signa-
de l’obésité ?
lisations hormonales peuvent donc, en théo-
rie, être perturbés par des molécules de
l’environnement.
C’est la cas pour l’équilibre métaboli-
que, contrôlé par de nombreuses hormo-
nes. Le corps humain a la capacité de stocker
l’énergie fournie par les aliments sous forme
1. L’OBÉSITÉ est une maladie qui touche de graisse dans des cellules dites adipeu-
de plus en plus de personnes. Même ses, les adipocytes, situées principalement
celles qui ne mangent pas d’aliments sous la peau et autour de l’appareil diges-
trop gras ou trop sucrés sont tif, et de réutiliser cette énergie en cas de
parfois en surpoids. Quelle en est besoin. Les hormones interviennent à de
la cause? Les perturbateurs
multiples étapes dans ce processus.
endocriniens sont sur la sellette.
La ghréline est produite dans l’esto-
mac lorsqu’il n’est plus distendu, et déclen-
che une sensation de faim qui provoque
une prise alimentaire. À l’inverse, dans le
tissu adipeux, la leptine est sécrétée quand
on mange. Première réserve d’énergie de
l’organisme, le tissu adipeux est en effet
une glande produisant plusieurs dizai-
nes d’hormones nommées adipokines,
L’ E S S E N T I E L
I Les perturbateurs
endocriniens sont
des molécules
de l’environnement
qui bloquent l’action
des hormones
ou les imitent.
I On s’interroge
aujourd’hui sur leur rôle
dans l’épidémie
d’obésité.
Christelle Forzale
entre le sang et le cerveau. Les hormones ACTIVATION
atteignent l’hypothalamus, la région du
cerveau qui coordonne l’activité endocri- Ghréline
nienne (la régulation de la sécrétion des
hormones) et la régulation du métabolisme sée alors, cette hypothèse a pris de l’am-
énergétique. C’est dans certains centres de pleur plus récemment grâce à l’identifica-
l’hypothalamus – nommés noyaux – que Glossaire tion de produits chimiques favorisant le
ces hormones activent les neurones qui I HOMÉOSTASIE ÉNERGÉTIQUE développement de cellules adipeuses – l’adi-
stimulent la prise alimentaire ou la satiété, C’est l’équilibre énergétique pogenèse – et l’obésité, chez les animaux
mais aussi le stockage ou l’utilisation des stable que maintient comme chez les humains.
réserves énergétiques. l’hypothalamus en régulant Habituellement, l’adipogenèse est
En outre, nous y reviendrons, d’autres le métabolisme. déclenchée lorsque la quantité d’acides
voies hormonales, commandées elles aussi gras fournis par l’alimentation dépasse les
par l’hypothalamus, agissent sur l’équili- I RÉCEPTEURS NUCLÉAIRES capacités de stockage du tissu adipeux exis-
bre énergétique : les hormones sexuelles Ces protéines du noyau tant. Chaque adipocyte accumule les aci-
produites par les organes reproducteurs, cellulaire sont activées des gras (reçus par le sang) dans une poche
les glucocorticoïdes des glandes surréna- par certaines hormones. (vésicule lipidique) qui grossit en consé-
les ou les hormones thyroïdiennes influent Elles se lient à des séquences quence ; quand les adipocytes atteignent
sur le métabolisme du tissu adipeux. d’ADN spécifiques qui régulent leur taille maximale, ils envoient des
la transcription des gènes signaux qui déclenchent la différencia-
Des molécules qu’elles contrôlent. tion de cellules souches en adipocytes. Cer-
Adipogenèse Obésité
Phtalates Plastifiants Adipogenèse en culture, et résistance
(ex : DEHP) et axe du stress diminution du poids à l'insuline
chez la souris
Organochlorines Voie des hormones Syndrome
(ex : DDE)" Pesticides sexuelles – métabolique
et diabète
Produits chimiques Augmentation
Retardateurs utilisés Voie des hormones de la lipolyse, Syndrome
de flamme dans les plastiques, sexuelles, diminution de la glycolyse métabolique
bromés et blocage des hormones
Polluants organiques persistants
dans le sang des produits de dégradation de l’organisme, et d’agir en conséquence les systèmes neuronaux et hormonaux qui
de certains phtalates a été corrélée à une sur la régulation de l’équilibre énergéti- assurent l’équilibre entre les apports
augmentation du tour de taille chez les hom- que. En 1940, il a été montré que des lésions d’énergie et sa consommation. Par ce biais,
mes, et ces molécules sont désormais consi- de l’hypothalamus entraînent une obésité il maintient un état énergétique stable – une
dérées comme des obésogènes potentiels. chez le rat. Ces observations ont été confir- homéostasie énergétique – via des régula-
mées chez l’homme, avec la description tions fines des différents axes hormonaux.
du cas d’une femme présentant une lésion En outre, l’hypothalamus reçoit des
L’hypothalamus, du noyau ventro-médian de l’hypothala- signaux (afférences) neuronaux qui ren-
centre intégrateur mus: cette lésion stimulait la prise alimen- dent compte, par exemple, de l’activité du
du métabolisme taire, entraînant une obésité morbide. Au
contraire, des lésions chez le rat d’un autre
tractus gastro-intestinal, telle la distension
de l’estomac en fin de repas, et contribuent
Ainsi, la liaison de xénobiotiques au récep- noyau, l’hypothalamus latéral, provo- ainsi à la régulation de la balance énergé-
teur PPAR␥ expliquerait une partie des quaient une anorexie. À partir de ces obser- tique. L’hypothalamus intègre ces multi-
effets observés sur le stockage des grais- vations s’est développée l’idée que les ples signaux afférents et produit en
ses. Toutefois, l’excès de ce stockage n’est noyaux de l’hypothalamus contrôlent conséquence des neuropeptides qui sti-
pas la seule caractéristique de l’obésité. l’équilibre énergétique en étant influencés mulent la faim ou, au contraire, déclen-
Pourquoi, chez une personne obèse, la sen- par des signaux périphériques. chent une sensation de satiété.
sation de faim est-elle différente, et pour- Les travaux récents sur la régulation À côté de cette voie directe de régula-
quoi la prise de poids dépend-elle de l’âge de l’équilibre énergétique montrent que tion métabolique, d’autres axes de produc-
et du sexe de l’individu ? La réponse se le noyau arqué de l’hypothalamus fonc- tion hormonale régulés par l’hypothalamus
situe principalement dans le cerveau. tionne comme un détecteur de signaux sont eux aussi impliqués dans le maintien
Parmi les régions du système nerveux métaboliques convoyés par le sang – des de la balance énergétique. L’axe du stress,
central impliquées dans le métabolisme, hormones telles la leptine, l’insuline et la activé par un stress extérieur, entraîne chez
l’hypothalamus est aujourd’hui considéré ghréline, ainsi que des nutriments (glu- nombre de personnes une prise alimentaire
comme le chef d’orchestre, capable d’in- cose, acides gras…). Ainsi, l’hypothala- et, par conséquent, une balance énergéti-
tégrer de multiples informations méta- mus fait le lien entre les informations sur que positive. L’axe thyroïdien régule de
boliques issues des différentes régions le statut métabolique de l’organisme, et nombreux processus dans l’organisme,
notamment le métabolisme. L’axe somato- l’implication des hormones thyroïdiennes I LES AUTEURS
trope, qui régule la croissance de l’orga- dans de nombreuses autres régulations
Jean-Baptiste FINI,
nisme par la production d’hormones de physiologiques. post-doctorant, Marie-Stéphanie
croissance, active la consommation des Des molécules qui altèrent la signalisa- CLERGET-FROIDEVAUX, maître
stocks de graisse (la lipolyse) et la crois- tion thyroïdienne peuvent augmenter le de conférence, et Barbara
sance musculaire. Enfin, la stimulation, risque de diabète ou d’obésité (liée ou DEMENEIX, professeur,
travaillent dans l’UMR
principalement à la puberté, de l’axe gona- non au diabète). Ainsi, l’exposition à des CNRS/MNHN 7221 Évolution
dotrope, qui régit la production des hor- polychlorobiphényles (PCB, bannis dans les des régulations endocriniennes,
mones sexuelles, entraîne une perte de poids années 1970, mais toujours utilisés dans au Muséum national d'histoire
naturelle à Paris.
(balance énergétique négative) chez la certains pesticides) est associée à une modi-
femme, et une augmentation du rapport fication des concentrations d’hormones thy-
muscle/tissu adipeux chez l’homme. roïdiennes dans le sang et à un risque de
Tous ces axes fonctionnent de façon simi- diabète accru. De même, bien que l’expo-
laire: l’hypothalamus envoie un signal hor- sition aux perfluoropentanes (PFOA, PFOS,
monal vers l’hypophyse, une glande utilisés comme agent anti-adhésif dans
endocrine attenante qui, en réponse, stimule les ustensiles de cuisine ou traitement
la synthèse d’hormones par la glande sur- imperméabilisant dans l’industrie textile)
rénale, ou la thyroïde, ou les gonades, etc. n’ait pas été associée à une augmentation
Ces hormones, d’une part, effectuent un de l’incidence de diabète de type 2, des étu-
rétrocontrôle sur l’hypothalamus et, d’au- des récentes montrent qu’une exposition
tre part, circulent dans le sang jusqu’à in utero au PFOA entraîne l’obésité des
leurs tissus cibles, où elles activent, de façon souriceaux. Les perfluoropentanes modi-
directe ou indirecte, un récepteur nucléaire fient aussi les concentrations et les actions
spécifique qui déclenche la transcription des hormones thyroïdiennes dans des
d’un ou plusieurs gènes. modèles animaux.
Comment agissent ces molécules ?
La voie des hormones Contrairement à la poche de liaison du
récepteur nucléaire PPAR␥, celle du récep-
thyroïdiennes teur nucléaire des hormones thyroïdien-
Le maintien de l’homéostasie énergéti- nes est très spécifique. La probabilité pour
que repose ainsi sur des ajustements que la perturbation ait lieu sur ce récep- I BIBLIOGRAPHIE
constants des signaux métaboliques et sur teur est donc faible. Pourtant, il existe plus A. Janesick et B. Blumberg,
une communication harmonieuse entre de produits chimiques identifiés comme Obesogens, stem cells and
le cerveau et la périphérie, fondée sur les perturbant l’homéostasie thyroïdienne que the developmental programming
of obesity, International Journal
neurotransmetteurs, des boucles de rétro- sur n’importe quelle autre voie endocri- of Andrology, vol. 35,
contrôle et sur l’expression des neuro- nienne. Les récepteurs thyroïdiens parta- n° 3, pp. 437-448, 2012.
peptides. Le moindre grain de sable qui gent le même partenaire que PPAR␥, la
S. Decherf et B. A. Demeneix,
viendrait gripper cette machine com- molécule RXR. Des molécules se liant à RXR The obesogen hypothesis: A shift
plexe aurait des conséquences immédia- pourraient perturber la signalisation of focus from the periphery to the
tes ou différées sur le maintien de l’équilibre thyroïdienne. Mais les xénobiotiques peu- hypothalamus, J. Toxicol. Environ.
énergétique. Voici quelques exemples de vent agir à bien d’autres strates de l’axe Health B Crit. Rev., vol. 14(5-7),
pp. 423-428, 2011.
perturbations de ces axes et de leurs consé- thyroïdien : sur la production des hor-
quences métaboliques. mones par la glande thyroïde, le long du C. Casals-Casas et B. Desvergne,
Les hormones thyroïdiennes sont pro- transport sanguin ou dans le processus Endocrine disruptors : From
endocrine to metabolic
duites par la glande thyroïde, sous contrôle d’élimination des surplus d’hormones. disruption, Annu. Rev. Physiol.,
de l’hypothalamus et de l’hypophyse. Le Ces mécanismes restent pour la plupart vol. 73, pp. 135-162, 2011.
lien entre métabolisme énergétique et hor- à étudier (voir l’encadré page 62).
mones thyroïdiennes est bien décrit. Les Les hormones sexuelles – ou stéroï- M. Tohmé et al., Des polluants
hormonaux, Pour la Science,
personnes hyperthyroïdiennes, qui pro- des – sont produites principalement n° 396, pp. 32-40, 2010.
duisent trop de ces hormones, ont une par les gonades, sous contrôle hypotha-
dépense énergétique accrue, ce qui entraîne lamique. Le lien entre stéroïdes et prise H. Patisaul, Le bisphénol A :
un danger pour la santé ?,
une perte de poids. À l’inverse, les per- de poids est également assez bien décrit. Pour la Science, n° 396,
sonnes hypothyroïdiennes présentent un Par exemple, contrairement aux effets pp. 42-49, 2010.
métabolisme ralenti, souvent associé à observés chez l’adulte, l’exposition péri-
un surpoids. Devant ces faits, des extraits natale à un excès d’estrogènes entraîne L. Trasande et al., Association
between urinary bisphenol A
de thyroïde ont été prescrits (à tort) dans une prise de poids pendant la vie adulte. concentration and obesity
les années 1980 comme régime amaigris- Des souris gestantes traitées pendant la prevalence in children and
sant : ils ont entraîné des effets secondai- période néonatale avec le distilbène ont adolescents, JAMA, vol. 308,
pp. 1113-1121, 2012.
res cardiaques parfois mortels dus à donné naissance à des souriceaux plus
petits et de plus faible poids, mais qui de risques d’avoir un enfant ayant un Malgré un grand nombre d’études dis-
ont développé un surpoids plus tard. indice de masse corporelle élevé à l’âge ponibles, les effets du bisphénol A sur la
Ce médicament fut d’ailleurs utilisé pen- adulte. Plus récemment, Michelle Men- santé restent controversés. De récents tra-
dant la Seconde Guerre mondiale pour dez, du Centre de recherche en épidémio- vaux montrent chez l’homme un lien entre
engraisser les vaches et les poulets à logie environnementale, à Barcelone en les concentrations de bisphénol A dans
moindre coût… Espagne, et ses collègues ont montré l’urine et l’obésité. Selon le moment d’ex-
Le dichlorodiphényl-dichloroéthylène que l’exposition prénatale au DDE est asso- position aux estrogènes, les conséquen-
(DDE), principal métabolite du DDT (un ciée à un gain de poids rapide chez le nour- ces varient: une exposition fœtale entraîne
insecticide très utilisé après la Seconde risson et à un indice de masse corporelle un surpoids, tandis qu’une exposition tar-
Guerre mondiale dans l’agriculture et pour élevé chez l’enfant. De même, des souris dive a plutôt tendance à protéger contre
lutter contre le paludisme, voir l’article ou rates gestantes traitées avec du bisphé- l’insulino-résistance et le diabète. Actuel-
page 76), est à la fois un estrogène et un nol A, un estrogène synthétique dit de fai- lement, l’expérimentation animale suggère
anti-androgène. Les mères qui ont vécu ble activité, ont donné naissance à une que de faibles doses d’exposition au bis-
le long des rives du lac Michigan aux États- progéniture qui, lors de sa croissance, a phénol A durant la gestation conduisent
Unis, exposées à des concentrations éle- développé un surpoids par rapport à celle au développement de l’obésité et au dia-
vées de DDT, ont eu jusqu’à trois fois plus non exposée. bète de type 2. Il est probable que le bis-
phénol A exerce ses effets obésogènes en
agissant comme un estrogène lors du déve-
Hypothalamus LE S É TA PE S PE RT U R B É E S loppement; néanmoins, le mécanisme d’ac-
Les perturbateurs endocriniens peuvent modifier le métabo- tion reste là aussi à étudier.
lisme en agissant à de multiples étapes de chaque voie hormo-
nale impliquée dans le métabolisme. Voici ces étapes, décrites
ici pour la voie thyroïdienne. L’axe du stress
Hypophyse Les hormones produites lors d’un stress
Les perturbateurs endocriniens peuvent
fausser les données métaboliques enregistrées – les glucocorticoïdes, sécrétés par les glan-
Signaux des surrénales – influent aussi sur la prise
de régulation comme référence par l’hypothalamus lors
du développement fœtal, modifiant à vie de poids. Une surproduction de cortisol,
Rétroaction le métabolisme. le principal glucocorticoïde, est liée à l’obé-
sité; les glucocorticoïdes augmentent l’adi-
Ils peuvent bloquer la synthèse des hormones pogenèse ; une exposition excessive aux
(ici une hormone thyroïdienne) au sein de
Thyroïde glucocorticoïdes in utero est souvent asso-
la glande correspondante (ici la thyroïde).
ciée à un poids de naissance faible et à un
Vaisseau sanguin risque accru de maladies cardio-vasculai-
Les hormones sont transportées par des protéines. res, hypertension et diabète à l’âge adulte ;
Les perturbateurs peuvent être transportés par
Hormone thyroïdienne ces protéines à la place des hormones, ce qui
des singes dont les mères sont traitées à
Protéine de transport empêche le transport des hormones et augmente la dexamethasone, un glucocorticoïde de
la concentration d’hormones libres dans le sang, synthèse, pendant la gestation ont un poids
faussant l’information reçue par le cerveau. normal à la naissance, mais développent
Tissu un surpoids à deux mois et une obésité à
adipeux l’âge adulte, associée à un syndrome méta-
Dans les tissus cibles, les hormones
se lient à un récepteur spécifique, bolique (pression artérielle et cholestérol
qui active la transcription d’un gène élevés, résistance à l’insuline). Ainsi, la per-
cible en se liant à son promoteur turbation de cet axe tant au sein de l’hy-
(une séquence en amont du gène pothalamus pendant le développement
Récepteur
nucléaire qui déclenche la transcription). fœtal que dans le tissu adipeux entraîne-
Les perturbateurs se lient rait une augmentation de l’adipogenèse.
Promoteur au récepteur à la place
Gène Or différentes études sur cultures cellu-
cible de l’hormone et soit déclenchent
la transcription, soit l’empêchent. laires ont montré que plusieurs molécu-
Cellule Ils peuvent aussi bloquer les de synthèse, telles que le bisphénol A,
adipeuse
la transcription en modulant l’insecticide endosulfane et le fongicide
le recrutement des co-activateurs vinclozoline, perturbent l’activité des récep-
Noyau ou des corépresseurs, teurs hormonaux intervenant le long de
qui régulent la transcription. l’axe du stress.
Ainsi, les perturbateurs endocriniens
Les perturbateurs peuvent bloquer peuvent agir à de multiples étapes du
ou activer les enzymes de dégradation
contrôle de l’homéostasie énergétique. De
des hormones, ce qui modifie
Christelle Forzale
leur concentration dans le sang: l’information surcroît, leurs conséquences à long terme
transmise au cerveau est incorrecte. – effets à l’âge adulte après exposition in
utero, voire sur plusieurs générations –
Circulation vers d’autres tissus cibles (foie, muscles, cerveau)
et dégradation du surplus
N
génique. Comme l’a récemment montré otre exposition aux pertur- ballages en plastique,utiliser des Éviter des cosmétiques avec des
Stéphanie Decherf au sein de notre équipe, bateurs endocriniens se fait matériaux dits inertes pour la pré- conservateurs tels que les para-
des souris exposées in utero au TBT ou au par l’air, l’eau, la nourriture et la paration ou le stockage des ali- bens. Laver les vêtements neufs
TBBPA ont une activité transcriptionnelle peau. Les concentrations de pol- ments (bocaux ou biberons en avant de les porter. Enfin, limiter
modifiée dans l’hypothalamus. Ces expo- luants organiques mesurées chez verre, poêles en acier inoxyda- sa contribution à la contamina-
sitions perturbent l’expression d’un gène les ours polaires montrent qu’il ble ou en céramique) ou pour tion de l’environnement en ré-
clef de la régulation de la prise alimentaire est vain de penser qu’on peut vi- réchauffer au four à micro-ondes. duisant le nombre de contenants
(le gène codant le récepteur de type 4 de vre sans en accumuler certains. Favoriser l’achat de produits is- et l’utilisation de produits ména-
la mélanocortine), ce qui entraîne une Néanmoins, nous pouvons faire sus d’une agriculture biologique. gers non nécessaires.
satiété altérée (besoin de manger plus pour quelques gestes simples à l’échelle Éviter l’emploi des bombes aéro- À l’échelle des pouvoirs pu-
atteindre la satiété) et des préférences individuelle pour limiter notre ex- sols d’imperméabilisants.Ne pas blics, plusieurs polluants ont déjà
alimentaires différentes (choix d’une ali- position à certaines classes de per- dormir à côté d’un ordinateur été interdits depuis parfois plu-
mentation plus grasse ou plus sucrée). turbateurs endocriniens, notam- ou d’un téléphone portable en sieurs années, mais persistent
ment les pesticides,les plastifiants, fonctionnement. D’une manière dans l’environnement, et d’au-
les retardateurs de flammes et les générale, éviter la moquette et tres font partie de notre quoti-
Altération épigénétique imperméabilisants. les revêtements de sol en poly- dien. Il est urgent de substituer
au stade fœtal Par exemple, éviter de con-
sommer trop de nourriture ayant
chlorure de vinyle dans les cham-
bres d’enfant et renouveler fré-
des composés plus sûrs aux subs-
tances les plus incriminées en-
En d’autres termes, une exposition fœtale
été en contact direct avec des em- quemment l’air des habitations. core en circulation.
peut entraîner des modifications irré-
versibles. L’organisme dispose de multi-
ples stratégies pour retrouver un équilibre l’alimentation maternelle sur la méthyla- rents axes hormonaux dépendant de l’acti-
après des changements physiologiques, tion de l’ADN : les souris dont la mère avait vation hypothalamo-hypophysaire peuvent
mais encore faut-il que le « réglage » du reçu un régime pauvre en protéines pré- être perturbés à de multiples étapes: lors du
métabolisme mis en place lors du déve- sentaient une hyperméthylation d’une contrôle central effectué par l’hypothala-
loppement fœtal, qui restera toute la vie séquence (un transposon) qui contrôle l’ex- mus, mais aussi lors de la production des
comme référence, soit correct. Si le niveau pression du gène agouti, et inversement. hormones par les glandes endocrines, lors
« normal » enregistré par l’hypothalamus Les souris hyperméthylées étaient min- de leur liaison à leur récepteur dans le noyau
est erroné, le métabolisme s’en trouve ces et de pelage brun, tandis que les sou- des cellules cibles ou encore lors de leur trans-
modifié à vie. ris hypométhylées présentaient un port par le sang. De plus, des changements
Comment les perturbateurs endocri- surpoids et un pelage jaune. D’autres nutritionnels ou l’exposition prénatale peu-
niens dérèglent-ils le contrôle central du études ont montré qu’une carence en acide vent entraîner des modifications épigéné-
métabolisme? Cela implique très pro- tiques qui perturberont le contrôle
bablement des modifications épigéné-
tiques, c’est-à-dire des modifications
IL EST PRIMORDIAL du métabolisme énergétique et de l’ho-
méostasie des lipides, conduisant à
de l’expression des gènes sans altéra-
de prendre en considération le versant une prise de poids, voire à une obésité.
tion des séquences de l’ADN. Le degré perturbateurs endocriniens dans les plans Jusqu’à présent, les effets ont sur-
de compacité de la molécule d’ADN de lutte contre l’obésité. tout été observés sur des cellules en
varie et, avec lui, l’expression des gènes. culture ou des modèles animaux.
Selon le moment de l’apparition de ces mar- folique (vitamine B9), source principale de Chez l’homme, les études, épidémiologi-
ques et le type de cellules, ces modifications groupes méthyles via l’alimentation, ques, n’ont révélé que des associations
sont transmissibles de la mère à l’enfant et entraîne une déméthylation du transpo- entre perturbateurs endocriniens et obé-
restent silencieuses tant que la voie de signa- son, tandis qu’une alimentation riche en sité, qui ne prouvent pas l’existence d’un
lisation n’est pas activée (lors de la puberté, acide folique, en vitamine B12, en choline lien de cause à effet. Néanmoins, avec l’ac-
par exemple) – une propriété qui caracté- ou en génistéine (composant du soja) empê- cumulation de tous ces résultats, la ques-
rise le mode d’action de certains perturba- che le développement du phénotype tion se pose. La nourriture étant l’une
teurs endocriniens. obèse/pelage jaune. Et une exposition au des routes privilégiées d’exposition à
De nombreuses études ont montré que bisphénol A a l’effet inverse, conduisant à des perturbateurs endocriniens, il est légi-
des changements dans l’environnement une déméthylation du transposon ainsi qu’à time de s’interroger sur les effets de ces
nutritionnel, notamment via des perturba- l’apparition du phénotype obèse/pelage substances sur la préprogrammation de
teurs endocriniens, entraînent des altéra- jaune. Chez l’homme, une méthylation notre devenir métabolique. De tels méca-
tions dans le statut de méthylation de gènes, accrue du promoteur du récepteur RXR␣ nismes expliqueraient, du moins en par-
c’est-à-dire du nombre de groupes méthyle a été associée à une augmentation de la tie, pourquoi certaines personnes ont du
(CH3) qu’ils portent – une forme de modi- masse grasse des enfants à neuf ans. mal à perdre du poids, et l’incidence accrue
fication épigénétique. En particulier, l’uti- Ainsi, une perturbation des mécanismes des maladies métaboliques. Il est donc pri-
lisation de souris portant le gène agouti (un de régulation lors de leur programmation mordial de prendre en considération le
gène qui donne un poil bichrome à domi- initiale peut avoir des conséquences à vie versant perturbateurs endocriniens dans
nante jaune) a mis en évidence l’effet de sur le métabolisme énergétique. Les diffé- les plans de lutte contre l’obésité. I
obésité, génétique de l’obésité, prédisposition, mutation, diabète, syndrome métabolique, facteurs génétiques, leptine, pomc, gpr120, fto, mc4r, 16p11.2, délétion, insuline, obésité monogénique, obésité
Génétique
L’obésité dans
les gènes ?
David Meyre et Philippe Froguel
sité
mutées. Ces cas graves sont étudiés en détail, Une approche globale non biaisée de l’en-
car ils aident à repérer de nouveaux gènes
L’ E S S E N T I E L semble du génome était nécessaire. En 1998,
impliqués dans l’obésité; toutefois, la majo- I Les facteurs génétiques notre première étude génomique de famil-
rité des personnes obèses sont atteintes de expliqueraient 70 pour les d’obèses a porté sur 700 personnes.
formes plus modérées d’obésité qui, pour cent du risque individuel Parmi les 400 régions polymorphes d’ADN
la plupart, ne sont pas monogéniques, mais de devenir obèse. repérées, nous avons identifié des muta-
polygéniques, c’est-à-dire liées à plusieurs tions pointant la responsabilité de quatre
gènes mutés. On a d’abord recherché la cause I En comparant le génome gènes participant tous au contrôle du stock
de l’obésité commune dans les gènes de de personnes obèses de lipides ou de l’appétit.
modulateurs du métabolisme exprimés dans et des membres de Tout s’est accéléré après le séquençage
les tissus adipeux ou musculaire, avec l’idée leur famille, on découvre du génome humain en 2001 et l’identifica-
que le déséquilibre énergétique était avant de nombreux gènes tion de millions de variants fréquents de
tout lié à un défaut de dépense énergétique. impliqués dans l’obésité. l’ADN qui expliquent en partie la diversité
Cette approche a été peu probante, humaine. Et par la mise au point de puces
jusqu’à l’étude récente du récepteur des I Une alimentation saine et à ADN, qui permettent aujourd’hui d’étu-
acides gras oméga-3 GPR120. L’activation du sport contrebalancent dier en dix minutes quatre millions de poly-
de ce récepteur stimule la production la loterie génétique. morphismes génétiques, c’est-à-dire de
d’insuline et la sécrétion d’hormones de séquences mutées au sein de gènes connus.
satiété, tel le GLP-1 (glucagon-like peptide 1). En moins de cinq ans, plus de 60 gènes ou
Il intervient aussi dans le goût pour les grais- séquences impliqués dans l’obésité ont été
ses et la production de nouvelles cellules identifiés et confirmés, avec cependant de
adipeuses qui stockent les graisses. Des sou- nombreuses zones d’ombre sur la physio-
Leremy/Shutterstock.com
ris dont le gène GPR120 est inactif déve- logie de cette maladie. Le meilleur exemple
loppent plus souvent une obésité en est le gène FTO (découvert simultanément
présence d’une alimentation riche en grais- par nous et un groupe anglais), dont on a
ses; le séquençage du gène chez l’homme appris en 2007 que certaines mutations aug-
a permis de découvrir, chez trois pour cent mentent de 67 pour cent le risque d’obé-
de la population en Europe, une mutation sité (134 pour cent pour les personnes
qui bloque l’activité du récepteur et aug- présentant ces mutations sur les deux copies
mente de 60 pour cent le risque d’obésité. du gène) et d’environ trois kilogrammes le
poids des personnes non obèses. Le gène FTO
Plus de 60 gènes est à ce jour celui qui prédispose le plus à
WARS2, ZNRF3
Notamment, deux études indépendantes
ont montré qu’une délétion rare d’un frag-
ment (16p11.2) du chromosome 16 aug-
LOCALISATION DES RÉGIONS où s’expriment les gènes de prédisposition à l’obésité réperto- mente de 50 pour cent le risque d’obésité.
riés à ce jour. La plupart de ces gènes contrôlent la sensation de faim ou de satiété dans le cer-
veau ou sont impliqués dans le développement et le maintien du tissu adipeux gras. Quelques Cette délétion, qui expliquerait 0,7 pour
gènes ont aussi un rôle dans l’activité du muscle squelettique, la production d’hormones contrô- cent des cas d’obésité morbide, avait été
lant l’appétit dans l’intestin ou la protection de l’estomac face aux infections bactériennes. La auparavant associée à l’autisme, à la schi-
fonction de beaucoup de gènes de prédisposition à l’obésité reste à découvrir. zophrénie et au retard mental – des carac-
PLAISIR
la nouvelle
carte cérébrale
Morten Kringelbach et Kent Berridge
D
ans les années 1950, le psychiatre B-19, était un homosexuel âgé de 24 ans,
Robert Heath, de l’Université Tulane, qu’il tentait de guérir de sa dépression et de
aux États-Unis, lança un programme priver de son désir pour les hommes : lors L’ESSENTIEL
controversé : il consistait à implanter des d’une séance, B-19 déclencha ses électrodes
■ On a découvert dans
électrodes dans le cerveau de patients quelque 1 500 fois en trois heures ! Selon
le cerveau des « points
atteints d’épilepsie, de schizophrénie, de Heath, cette autostimulation obsession-
chauds hédoniques »,
dépression et d’autres maladies mentales nelle procurait à ce patient des sensations
qui accroissent le plaisir
graves. Son objectif initial était de localiser de plaisir ; il se sentait alerte et empli de
lorsqu’ils sont stimulés.
le siège biologique de ces maladies et de bienveillance. Le patient protesta vigou-
les guérir en stimulant artificiellement les reusement contre l’arrêt des stimulations ■ Ils diffèrent du circuit dit
régions cérébrales en cause. en fin de séance. de la récompense, qui
Selon Heath, les résultats furent specta- Ces expériences ont aidé à définir le serait le médiateur du
culaires. Des patients dans un état quasi cata- « centre du plaisir », un ensemble de struc- désir plus que du plaisir.
tonique – une attitude psychomotrice parfois tures cérébrales supposé associé à cette
Scientific American, © Getty Images, thinkstock, NASA
la tête. Ces réactions apparaissent aussi Cependant, même s’ils ne se déplacent pas
n
atri
k/ K
chez les rats, les souris et les primates non vers les friandises, ils les trouvent bonnes
toc
ers
humains. Plus les sujets aiment le goût, plus – à s’en lécher les moustaches – quand elles
utt
Sh
ils se lèchent les babines, comme pour en sont placées dans leur bouche.
©
capturer les dernières molécules. En les Ainsi, la dopamine semble plus contri-
filmant lors de l’ingestion de nourriture buer à la motivation qu’à la sensation de
et en comptant le nombre de fois où ils plaisir. Chez l’homme aussi, la concen-
1. DE NOMBREUX MAMMIFÈRES se lèchent manifestent ce comportement, nous avons tration en dopamine est plus étroitement
les babines quand ils ressentent du plaisir
en mangeant. On considère alors le nombre estimé à quel point les stimulus gustatifs liée à la fréquence à laquelle des individus
de fois où ils effectuent ce geste comme étaient appréciés. Nous avons ensuite uti- déclarent « désirer » une friandise qu’à
une mesure du plaisir. lisé cette information pour localiser plus celle à laquelle ils disent « l’apprécier ».
L ’A NA TOMIE DU PL A IS IR
Le plaisir est un ressenti complexe, lié à l’anticipation, au désir, aux sensations, Désir
à la satisfaction... Il n’est donc pas surprenant que plusieurs régions cérébrales
interagissent pour créer ce ressenti. Plaisir
Plaisir conscient
postsynaptique
par exemple, entraîne la libération d’enképhaline, un opioïde
fabriqué dans le cerveau (à gauche dans le zoom). L’enképhaline se fixe sur son
Anandamide récepteur situé sur un neurone voisin, déclenchant la production d’anandamide,
un analogue du cannabis. L’anandamide quitte le neurone et interagit avec
des récepteurs situés sur le neurone présynaptique, ce qui intensifie le plaisir
Récepteur de et stimule peut-être la production d’enképhaline par une rétroaction positive.
l’enképhaline
Trois prix Nobel dans une même famille : le cas est unique. Si Pierre
et Marie Curie ont découvert la radioactivité des atomes lourds à
la fin du xixe siècle, Frédéric et Irène Joliot-Curie ont découvert la
radioactivité artificielle, à l’origine de précieuses applications. Un
récit passionnant et magnifiquement illustré.
Editions Belin / Pour la Science 2005
160 pages – 16,25 euros – ISBN 978-2-7011-4224-1
Réf. 004224
Petit précis de Physique à déguster Petit précis de Chimie à déguster Niels Bohr
Isaac Mc Phee Joël Levy Les génies Nobel de physique 1922
Vous êtes intrigué par la physique, mais Depuis les premiers penseurs grecs de la science n°34
la théorie vous rebute ? Vous vous inter- jusqu’aux questions les plus contem- Février 2008
96 pages
rogez sur les applications de la physique poraines, le lecteur est entraîné au fil 6,90 euros
ou sur l’histoire des idées ? Alors, vous des pages dans un voyage fascinant Réf. 075093
prendrez plaisir à lire ce Petit précis de à travers la vie et les découvertes
Réf. 005958 Physique à déguster. Compagnon par- des grands chimistes. Ce Petit pré- Réf. 005959
fait du débutant curieux comme de l’amateur éclairé, cis de Chimie à déguster comporte des exercices
cette introduction ludique au monde de la physique récréatifs, des énigmes théoriques, etc. Autant Pierre-Gilles
s’adresse à tous. de défis à la portée de tous. de Gennes Nobel de physique 1991
Editions Belin 2011 Editions Belin 2011
176 pages - 16,30 euros – ISBN 978-2-7011-5958-4 176 pages - 16,30 euros – ISBN 978-2-7011-5959-1 Les génies
de la science n°40
Août 2009
96 pages
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Sous-thème
REGARDS
HISTOIRE DES SCIENCES
L
e 16 juin 1962, l’hebdomadaire Mais, comme on l’expliquera ici, c’est nouvellement installés dans la région. On
New Yorker, connu pour ses l’essor combiné de l’agriculture intensive cherche à lutter contre sa prolifération par
engagements en faveur de la lit- aux États-Unis et des industries chimiques tous les moyens, et l’on découvre que le vert
© Bettmann/Corbis
térature contemporaine amé- durant la seconde moitié du XIXe siècle qui de Paris (un acéto-arsénite de cuivre), sou-
ricaine, publie des extraits d’un nouveau a favorisé le fort développement des pes- vent utilisé comme colorant, est efficace.
livre, Silent Spring (Printemps silencieux). ticides de synthèse. Le vert de Paris débute sa carrière d’in-
L’auteure, Rachel Carson (1907-1964), n’est secticide en 1867 et le monde agricole amé-
pas une inconnue des lecteurs de ce maga- L’Amérique du Nord, ricain vante très vite ses mérites. Cet
zine, ses livres précédents ayant également emballement pour les insecticides chimiques
fait l’objet de bonnes feuilles. Elle abandonne paradis pour insectes transforme les pratiques agricoles: les pages
dans ce nouvel opus ses sujets de prédi- nuisibles de la presse spécialisée se remplissent de
liction, la mer et la biologie marine, pour recettes, de dessins d’appareils de pulvé-
dresser un panorama impitoyable de l’im- Au début des années 1840, un inoffensif risation, de publicités pour une large gamme
pact du DDT et des pesticides de synthèse coléoptère des montagnes Rocheuses, le de produits, mélanges un peu effrayants de
sur l’environnement et la santé humaine. doryphore (Leptinotarsa decemlineata), se soude, de kérosène, d’aniline, d’arsenicaux,
Lu par des millions de personnes, Silent découvre un appétit démesuré pour les de plomb, de cuivre...
Spring a eu des retombées sociales consi- champs de pommes de terre des colons Cela a pourtant immédiatement sus-
dérables: l’ouvrage a fait des questions envi- cité des oppositions. Ce fut le cas des api-
ronnementales un enjeu pour l’ensemble culteurs qui se sont alarmés dans les
des citoyens, et a fait entrer l’écologie dans années 1880 de la destruction de leurs
le vocabulaire des politiques. Mais comment ruchers, consécutive à des pulvérisations de
une question principalement agricole est- vert de Paris dans les vergers. Les proprié-
elle devenue un tel enjeu de société ? taires des vergers niaient que les pesticides
La lutte chimique contre les insectes employés aient pu être la cause de la mort
est ancienne, puisqu’on a utilisé de la chaux des abeilles, insectes qu’ils considéraient
et du soufre dès l’Antiquité. L’arsenal des de toute façon avec une certaine hostilité, car
agriculteurs s’est enrichi avec les voyages ils avaient la réputation d’abîmer les fruits.
et les progrès techniques : la nicotine du Il s’ensuivit l’une des premières contro-
tabac d’origine américaine a commencé à verses scientifiques autour des pesticides,
être utilisée à la fin du XVII e siècle ; les qui n’a été résolue qu’en1895, lorsqu’un rap-
pyréthrines, tirées de plantes de la famille port établit de façon certaine que les tissus
des Astéracées, ont été employées dans des abeilles mortes à proximité de vergers
les Balkans et le Caucase au début du contenaient bien de l’arsenic. Ce rapport a
XIXe siècle ; la roténone, tirée d’une Fabacée 1. UN PULVÉRISATEUR de vert de Paris (un fait naître l’une des toutes premières recom-
(Paradellis elliptica) cultivée en Malaisie, acéto-arsénite de cuivre), dessin paru dans l’ou- mandations environnementales en matière
faisait l’objet d’une production quasi indus- vrage Spraying Crops (Pulvériser les cultures) de pesticides, avec la prohibition des pul-
trielle vers 1850. de C. M. Weed (1895). vérisations durant la floraison des vergers.
.
Regards
© Bettmann/Corbis
La place de la chimie dans l’agriculture Ils firent du bureau de recherche entomo- par l’abandon de la culture du coton en
américaine traduisait des changements pro- logique un véritable empire au sein du minis- bordure de l’aire de répartition de l’in-
fonds, liés à l’amélioration des transports : tère fédéral de l’Agriculture. L’entomologie secte, la mise en place de quarantaines, la
une régionalisation de l’agriculture où la américaine se professionnalisa et s’orienta diversification des espèces cultivées, la
polyculture cédait devant la monoculture, résolument vers des questions appliquées, destruction par le feu des cultures infes-
les surplus étant facilement écoulés sur des avec des publications et une société savante tées, etc. Mais les préconisations de Town-
marchés de plus en plus globalisés. La sim- spécifiques, des formations standardisées send ne pouvaient être appliquées qu’avec
plification des écosystèmes conduisait à la dans les principales universités... Surtout, la pleine coopération des agriculteurs et un
prolifération de certaines espèces d’in- elle se donna pour mission d’améliorer par strict contrôle par le gouvernement. L’idée
sectes, dont la dissémination était facilitée tous les moyens la production agricole, ce que certains agriculteurs puissent déro-
par les transports... L’origine étrangère de qui explique son implication dans l’émer- ger à ces recommandations, et ainsi rui-
la plupart des plantes cultivées en Amé- gence et la diffusion d’une « culture » chi- ner les efforts de chacun, contribua
rique du Nord accentuait encore les pro- mique dans l’agriculture américaine. largement à rejeter ces propositions.
blèmes : leurs ravageurs ne tardaient pas On testa et on breveta alors une infinité
à être importés accidentellement de leurs Les entomologistes de remèdes, allant des pièges lumineux à
régions natales, l’Europe ou l’Asie. l’électrification du sol, mais ce sont les
Les États-Unis n’étaient pas qu’un para- impliqués méthodes chimiques qui eurent la plus
dis pour les insectes, ils étaient aussi une Pour autant, les scientifiques américains grande faveur des agriculteurs. Au début du
terre d’élection pour les scientifiques. Le ne cherchaient pas à imposer aux agricul- XXe siècle, les entomologistes du minis-
Hatch Act de 1887, en instaurant un réseau teurs des solutions chimiques, ils répon- tère fédéral de l’Agriculture préconisèrent
de stations expérimentales agricoles unique daient simplement à une demande sociale. ainsi l’arséniate de calcium, en précisant
au monde, permit l’émergence d’un corps Lorsqu’en 1894, un fermier du Texas informe toutefois que ce produit ne pouvait être effi-
de professionnels spécialisés dans les ques- le ministère de l’Agriculture que ses champs cace qu’en complément aux modifications
tions agricoles et entomologiques. de coton sont victimes d’un petit coléoptère, des pratiques culturales déjà conseillées.
Deux hommes orientèrent durablement le charançon du coton (Anthonomus gran- Cette précision fut rapidement oubliée et la
l’entomologie appliquée aux États-Unis et la dis), Howard dépêche immédiatement un chimie devint le moyen unique de contrôle
lieront intimement à l’industrie chimique : entomologiste, Charles Townsend, pour l’étu- du charançon.
Charles Riley (1843-1895) et son élève et dier. Ce dernier recommande alors la modi- En 1918, l’unique fabricant peinait à
successeur, Leland Howard (1857-1950). fication des pratiques culturales, notamment fournir 23 tonnes d’arséniate de calcium ;
Regards
en 1920, plus de 20 producteurs en écou- et 1917. Bien sûr, ces nouveaux géants qu’il ne faut prendre en compte que la
laient plus de 4 500 tonnes par an ; en 1927, (DuPont, Hercules, Dow Chemical Company...) dose d’intoxication des produits. En d’autres
une compagnie se spécialisa dans les pul- ne produisaient pas que des pesticides, mais mots: si aucun effet direct n’est constatable,
vérisations aériennes et s’annonçait capable ils en sont devenus des acteurs majeurs, le produit est sûr. D’un autre côté, les
de traiter plus de 2 000 kilomètres carrés... notamment en matière de régulation. La Pre- consommateurs et leurs associations,
Jusqu’à la commercialisation du DDT, l’ar- mière Guerre mondiale changea aussi la per- l’Agence fédérale américaine des produits
séniate de calcium a été, avec l’arséniate ception de la chimie : le rôle des gaz sur le alimentaires et médicamenteux (la FDA)
de plomb, la substance chimique la plus uti- champ de bataille comme les innovations et quelques spécialistes de la santé publique
lisée comme insecticide. en matière d’explosifs démontrèrent l’effi- s’intéressaient aux conséquences d’une
cacité de la chimie moderne. exposition sur une longue durée et à des
L’essor de la chimie Gagner enfin la guerre contre les doses trop faibles pour provoquer un effet
insectes nuisibles devenait envisageable. immédiat et visible.
américaine après 1914 L’utilisation d’arsenic sur des substances Un véritable bras de fer s’engagea entre
Ce développement de la chimie ne peut se alimentaires posait pourtant des problèmes ces deux forces très inégales, dont l’enjeu
comprendre sans être replacé dans le cadre sanitaires. Durant l’entre-deux-guerres, se était la mise en place d’une régulation accep-
de la Grande Guerre. Avant 1914, l’essentiel sont mises en place deux façons de consi- table par les industriels. La bataille fut lar-
de la production des substances chimiques dérer cette question, qui expliquent en gement gagnée par le lobby pro-insecticides,
de base était assuré par l’Allemagne. L’em- grande partie les conditions d’utilisation qui non seulement mit un terme au pro-
bargo imposé sur l’industrie allemande et de popularisation du DDT. D’un côté, le gramme de recherche de la FDA sur les effets
permit aux compagnies américaines de trou- monde agricole (et ses alliés, les hommes d’une exposition aux pesticides à des faibles
ver de nouveaux débouchés : leurs chiffres politiques), les entomologistes et une grande doses, mais augmenta le seuil de tolérance
d’affaires ont été multipliés par 60 entre1914 partie des autorités de santé considéraient des résidus de plomb dans les aliments, qui
passa de 0,018 gramme par livre en 1935 à
0,025 gramme par livre en 1938.
Le parcours d’une auteure à succès Le DDT, ou dichlorodiphényltrichloroé-
thane, apparaît sur la scène internatio-
R achel Carson (1907-1964) est très tôt passionnée par la nature et l’écri-
ture, et fait paraître son premier texte à dix ans dans un célèbre ma-
gazine pour enfants, St. Nicholas. Elle lutte une grande partie de sa vie
nale en 1943. Ce composé a été synthétisé
en 1874, mais son action insecticide n’a été
démontrée qu’en 1939 par le chimiste suisse
pour subvenir aux besoins de sa famille après la mort de son père et de
sa sœur. Parce qu’elle est contrainte de rechercher un emploi, elle aban-
Paul Müller. Or la guerre mondiale fait naître
donne ses études de zoologie et son projet de thèse. Elle passe brillam- un grand besoin en insecticides : on craint
ment le concours d’entrée dans l’administration fédé- les éventuelles épidémies de typhus (dont
rale et obtient un poste à l’U. S. Bureau of Fisheries (bu- les poux sont vecteurs) en Europe et le palu-
reau fédéral des pêches). disme pour les troupes engagées dans le
Cependant, Rachel Carson ne cesse jamais d’écri- Pacifique. Fin 1943, les États-Unis testent
re et, outre les publications réalisées pour son employeur, le DDT en grandeur réelle en Italie, afin d’y
elle fait paraître de nombreux textes pour le grand pu- combattre les poux. La même année, une
blic sur la nature et sur la mer. Dès son deuxième livre, production industrielle de grande ampleur
The Sea Around Us (Cette mer qui nous entoure, 1951), se met en place.
elle obtient un succès qui lui permet de devenir un écri-
vain à part entière, s’inscrivant dans la longue tradition
américaine des auteurs sur la nature, ou Nature Writing. 1943: le DDT, bombe
La célébrité de Silent Spring (Printemps silen- atomique des insectes
cieux), paru en 1962, a fait oublier le reste de l’œuvre
Et ce fut l’engouement : entre le mois de
© Pittsburgh Post-Gazette/ZUMA Press/Corbis
Regards
Tiré de E. H. Forbush et Ch. H. Fernald, The Gypsy Moth [...], Wright & Potter, 1896
sur la faune sauvage à partir de 1945.
C’est cette riche littérature scientifique, sou-
vent produite au sein des organismes
gouvernementaux, qu’a exploitée Rachel
Carson pour son livre.
L’histoire du DDT est indissociable des
transformations du monde de l’après-guerre.
Son usage n’avait de sens que parce que
l’agriculture s’industrialisait massivement :
la place croissante de la monoculture favo-
risait la prolifération des ravageurs; les varié-
tés cultivées étaient plus productives, mais
aussi plus fragiles, ce qui nécessitait l’em-
ploi intensif d’engrais chimiques ; la méca-
nisation diminuait le besoin en main-d’œuvre, 3. DES ARBRES TRAITÉS AVEC UN INSECTICIDE dans le Massachusetts, au XIXe siècle, pour
mais son coût incitait à rechercher une lutter contre la spongieuse, ou bombyx disparate (Lymantria dispar). Ce papillon a été introduit
rentabilité maximale en augmentant les sur- involontairement en Amérique en 1869 par le scientifique français Étienne Léopold Trouvelot, et
y est devenu un fléau.
faces de monocultures... Par ailleurs, le
contexte de la guerre froide a facilité l’ex- sous le terme « acclimatation » par l’ento-
portation du modèle américain, le DDT étant mologiste Axel Melander, et le premier cas
l’un de ses symboles au même titre que le observé de résistance au DDT (chez une I L’AUTEUR
plastique, l’automobile ou la télévision. mouche domestique) fit l’objet d’une publi- ValérieCHANSIGAUD,
cation en 1947. Pourquoi cette découverte historienne
n’a-t-elle pas conduit à une modification des des sciences et de
La collusion entre l’environnement,
pratiques ? Principalement parce que l’on est chercheuse
recherche et industrie s’était déjà engagé dans une course folle associée
dénoncée aux nouvelles molécules toujours plus puis- au Laboratoire SPHERE (Science,
philosophie, histoire) du CNRS
santes et plus efficaces.
et de l’Université Paris-Diderot.
Les inquiétudes les plus vives au sujet du Rachel Carson est partie de ce phéno-
DDT ont été exprimées par des naturalistes mène de résistance pour expliquer l’exis-
amateurs de la Société nationale Audubon, tence d’autres alternatives. Silent Spring,
et par des professionnels, dont ceux tra- bien loin d’être un discours contre la science I À ÉCOUTER
vaillant pour l’U. S. Fish and Wildlife Service. ou le progrès, plaidait pour une action rai-
Jeudi 1er novembre,
Le monde de l’entomologie appliquée était, sonnée contre les insectes et mettait en Valérie Chansigaud interviendra
quant à lui, largement indifférent à ces ques- avant la logique inhérente aux pesticides en compagnie de Patrick Matagne
tions, d’autant que, avec le succès du DDT, les de synthèse : une foi aveugle dans la capa- dans l’émission La marche
recherches d’après-guerre ont été réorien- cité du progrès technique à répondre à tous des sciences consacrée
à Rachel Carson : celle qui
tées vers la toxicologie ou la chimie, au détri- les problèmes. Avant Rachel Carson, le déve- transforma l’Amérique !,
ment de la biologie des organismes. loppement de ces substances – et les choix sur France Culture de 14 h à 15 h.
Pourtant, l’entomologie américaine a agricoles, industriels et environnementaux www.franceculture.com
longtemps été pionnière en écologie et elle qu’ils supposent – reposait entièrement
disposait de tous les outils intellectuels et sur un trio constitué par les scientifiques,
scientifiques pour comprendre et antici- les industriels et le pouvoir centralisé. Son I BIBLIOGRAPHIE
per une bonne partie des problèmes posés ouvrage, en dénonçant la collusion entre J. E. McWilliams, American
par le DDT. Le cas du phénomène de résis- recherche et industrie et en vulgarisant des Pests : The Losing War
tance aux insecticides est à ce titre expli- résultats scientifiques confidentiels, a mar- on Insects from Colonial Times
cite. Le premier exemple de résistance à un qué une étape décisive en permettant to DDT, Columbia University
Press, 2008.
pesticide inorganique avait été décrit en1914 aux citoyens d’entrer dans le débat. I
D
ans un dé à six faces, le « 1 », 1/p ou de 1/e est exactement 1/25, car la la physique, l’économie et toutes sortes de
comme chacune des autres zone favorable est composée des deux mor- problèmes concrets. « Tirer un entier au
faces, a la probabilité 1/6 de ceaux disjoints [1/p – 1/100, 1/p + 1/100] et hasard, sans en favoriser aucun » n’a, en
« sortir » et en lançant le dé [1/e – 1/100, 1/e + 1/100) dont la longueur revanche, mathématiquement pas de sens
on a une probabilité de 3/6 = 1/2 d’obtenir totale est 4/100 = 1/25 (voir le schéma en pour quiconque veut rester dans le cadre de la
un nombre pair. Sur un ensemble ayant bas de la page). théorie des probabilités fixé en 1933 par Andreï
n éléments, une probabilité est équilibrée La mesure de Lebesgue montre aussi que Kolmogorov. Nous allons voir cependant qu’il
(on dit aussi « uniforme ») quand chaque les nombres rationnels sont négligeables : la existe de subtiles et merveilleuses solutions
élément, comme une face d’un dé, a la même probabilité de tirer au hasard un nombre ration- de remplacement, nommées densités, mises
probabilité. La probabilité d’un sous-en- nel est nulle et la probabilité de tirer un nombre au point pour les besoins de l’arithmétique
semble de p éléments est alors p/n, irrationnel est égale à un. En effet, on et qui sont importantes pour comprendre les
le quotient du nombre de « cas sait enfermer les rationnels, qui sont distributions statistiques concrètes.
favorables » sur le nombre total numérotables par des entiers (ils
de cas. Cette probabilité p/n est sont dénombrables), dans une réu- Probabilités
l’outil de base pour comprendre
la roulette des casinos et les
nion d’intervalles de longueurs c/2n,
de longueur cumulée c que l’on peut
non uniformes
tirages du loto. La question est : rendre aussi petite que possible. Pour déterminer la probabilité d’un ensemble
que se passe-t-il quand le nombre Étrangement, bien que l’infini dénom- de nombres entiers positifs en oubliant tem-
total d’éléments est infini ? brable (celui des nombres entiers 1, 2, ..., n, ...) porairement l’exigence d’uniformité, nous
Pour l’ensemble infini des nombres réels précède et soit plus simple que l’infini des réels prenons une série (an) de nombres
compris entre 0 et 1, il est facile de définir de l’intervalle [0, 1] (dénommé « continu »), positifs ou nuls dont la somme est
une probabilité uniforme. On obtient la mesure il est impossible d’y définir une probabilité égale à 1, par exemple an = 1/2n qui
de Lebesgue découverte par Henri Lebesgue uniforme qui jouerait, pour les entiers, le rôle vérifie bien 1/2 + 1/4 + ... + 1/2n
(1875-1941) au début du xxe siècle. Cette que la mesure de Lebesgue joue pour [0, 1]. + ... = 1. Une fois (an) choisi,
mesure sur [0, 1] est fondée sur la longueur C’est très ennuyeux, car cela interdit de don- la probabilité d’un ensemble
des intervalles [a, b] de [0, 1] auxquels on ner un sens mathématique au choix aléatoire d’entiers A est la somme des
attribue la probabilité b – a. Elle donne un équitable d’un entier. « Tirer un nombre réel au termes an dont l’indice n est un
sens à l’opération « tirer un nombre réel hasard entre 0 et 1 sans en favoriser aucun » élément de A.
équitablement entre 0 et 1 ». Elle indique est mathématiquement possible et la théorie Avec le choix an = 1/2n, nous
par exemple que la probabilité pour qu’un tel moderne des probabilités déduit de la solu- trouvons que l’ensemble I des nombres
nombre se trouve à moins d’un centième de tion de Lebesgue des résultats concernant impairs {1, 3, ..., 2n + 1, ...} a pour probabi-
1/π 1/e lité 1/2 + 1/8 + 1/32 + ... + 1/22n + 1+ ... = 2/3
et que l’ensemble P des nombres pairs
{2, 4, ..., 2n, ...} a pour probabilité 1/3. Ce
0 2/100 2/100 1
n’est guère satisfaisant : cela ne semble
Regards
106
En rouge, le nombre d’occurrences
105
associées à certains nombres.
2 (3 081 154)
Nombre d’occurrences
104
1 024
4 096
du nombre n
2 048
105 103
102
10
104
120 (8 173) 0 2 000 4 000 6 000 8 000 10 000
256 (4 111)
512 (2 420)
720 (1 954) 1 024 (1 892)
576 (1 561)
729 (1 538) 840 (1 377)
1 000 (1 106)
103 1 001 (995) 1 260 (841) 1 296 (932)
374 (626)
695 (257)
934 (167)
1 047 (130)
102 n
103
aient chacun le poids 1/2 servira de critère.
104
Fréquence du Fréquence
103
10
La recherche de ce substitut à l’impossible
102 probabilité uniforme sur les entiers semble
1 10 102 103 104 Rang du mot avoir une solution. Nous allons voir qu’elle
10 est liée à la théorie de la complexité de Kol-
mogorov, qui est la tentative mathématique
la plus générale pour définir la notion de
1 10 102 103 104 Rang du mot simplicité. Mais avant d’explorer les aspects
théoriques et peut-être spéculatifs de cette
Analogue au nuage de Sloane de la page précédente, mais totalement indépendante, solution, laissons-nous guider par des don-
la courbe ci-dessous a été obtenue par Jim Fowler en utilisant les données de cinq mil- nées concrètes.
lions de livres numérisés par la Société Google. Comme pour l’encyclopédie de Sloane, En 1949, George Zipf examine la fré-
on a compté le nombre d’occurrences des entiers écrits en chiffres dans l’énorme base de quence d’usage des mots dans le roman
textes de plus de 100 milliards de mots, constituée par le projet Culturomique autour de Ulysse de James Joyce. L’œuvre comporte
Jean-Baptiste Michel, de l’Université Harvard. 260 430 mots, dont 29 899 mots différents.
L’allure générale du « nuage des cinq millions de livres » est semblable à celle du Le mot le plus courant, the, apparaît environ
nuage de Sloane. On a affaire à une loi de Zipf. Les biais sociaux produisent des effets de
deux fois plus que le deuxième (of), trois
nature différente. Les nombres qui sont mentionnés en excès le sont non plus pour des
fois plus que le troisième, ..., 100 fois plus
raisons d’intérêt mathématique reconnu, mais pour des raisons contextuelles ou liées à
que le centième, etc. Dit autrement : en
l’usage du système décimal, qui favorise par exemple les nombres ronds (10, 50, 100,
1 000, 1 500, 5 000, etc.). Entre 1 et 100, un graphique à plus grande échelle ferait appa-
classant les mots par fréquence décrois-
raître que le nombre 12 et ses multiples sont favorisés, ce qui est lié au rôle particulier sante, la fréquence fn du mot classé en
du nombre 12 dans notre culture. position n est environ C/n, où C est une
constante. Cette remarque qui s’étend à
d’autres textes et d’autres langues est à
l’origine du nom « loi de Zipf » donné à ce
108 Fréquence des entiers type de relations. Si des objets, pris dans
dans le corpus de Google un ensemble comportant éventuellement
107 des répétitions et classés par fréquence
décroissante f1, f2, ..., fn,..., vérifient approxi-
10
106 8 Fréquence des entiers mativement une relation du type fn = C/n,
dans le corpus de Google on dit qu’ils suivent une loi de Zipf.
10
105 7 L’histoire est souvent injuste. En effet,
dès 1916, le Français Jean-Baptiste Estoup
10
104 6
(1886-1950) avait fait une observation équi-
105 1000 3000 5000 7000 9000 valente en étudiant des textes français. Zipf le
savait puisqu’il indique dans son livre de 1949 :
104 « La première personne (à ma connaissance)
à avoir remarqué la nature hyperbolique de la suggère qu’à la place de l’impossible probabilité sont retenues. La base de suites – qui est aussi
fréquence d’usage des mots fut le sténographe uniforme sur les entiers, nous devrions, quand une base de nombres entiers – associe une
français J.-B. Estoup. » rien ne s’y oppose, considérer que les entiers probabilité à chaque nombre entier, déduite
Passons sur cette navrante iniquité et ont une probabilité naturelle de la forme C/ne de son nombre d’apparitions dans la base :
indiquons que, depuis, on a vu ou cru voir des (e proche de 1). le nombre d’occurrences d’un entier dans
lois de Zipf dans un nombre considérable de Récemment, grâce à la puissance des sys- la base est une mesure de son importance
situations concrètes. La loi semblerait concer- tèmes informatiques, deux nouveaux types mathématique et peut-être de sa probabilité
ner aussi bien la taille des villes classées de données, que nous nommerons « nuage objective d’apparition, si une telle notion a un
par population décroissante, le nombre de de Sloane » et « nuage des cinq millions de sens. Le nombre d’occurrences de l’entier n
citations que reçoit un article scientifique, le livres », ont été constitués et ont appuyé l’idée dans la base, notons-le Sloane(n), ne suit pas
nombre d’articles qu’écrit un chercheur durant qu’il y a quelque chose de particulier concer- une courbe décroissante régulière. Cela est
sa carrière, le nombre d’espèces par genre nant les distributions de probabilité en C/ne dû à ce que les mathématiciens concentrent
dans la classification des êtres vivants, le pour e proche de 1. Il semble de plus en plus leur attention sur certains entiers plus que sur
nombre de visites que reçoit une page Inter- certain que les distributions de probabilité sur d’autres. Les puissances de 2 (2, 4, 8, 16, ...)
net, l’expression des gènes, la musique, les les entiers de type loi de Zipf jouent un rôle sont par exemple nettement favorisées, de
cratères lunaires, les tremblements de terre, spécifique et nullement fortuit. même que les nombres premiers, ou les
les taches solaires, etc. nombres ayant beaucoup de facteurs.
On a généralisé la loi de Zipf par une loi La courbe Sloane(n), que nous nommons
de type fn = C/ne, où e est un exposant proche
le nuage de Sloane nuage de Sloane (voir l’encadré 2), doit être
de 1. On la nomme aussi loi de puissance ou Le nuage de Sloane est obtenu en comptant vue comme une représentation de l’intérêt
loi de Pareto (même quand e n’est pas proche le nombre d’occurrences de l’entier n dans mathématique relatif des nombres entiers.
de 1). Nous ne considérerons que les situa- l’encyclopédie des suites numériques de L’étude de ce nuage, suggérée par Philippe
tions où des objets sont classés par ordre de Neil Sloane (http://oeis.org/). Chacune des Guglielmetti, a été menée dans un article
fréquence décroissante et où la fréquence 200 000 suites de l’encyclopédie, que N. Sloane paru en 2011. Sous sa forme de nuage, ou
trouvée pour l’objet en position n est donc réunit depuis 1965 avec l’aide de la commu- redessinée pour classer les entiers par
assimilable à une probabilité associée au nauté mathématique, est stockée (on n’y nombres d’occurrences décroissantes, on
nombre entier n. La régularité avec laquelle garde qu’un nombre limité de termes, environ a affaire à une courbe proche de C/n1,3, une
apparaissent des distributions de probabilités 150 caractères pour chaque suite). Seules les loi de Zipf d’exposant 1,3. C’est tout à fait
de type C/ne (e proche de 1) pour les entiers suites présentant un intérêt mathématique remarquable et la justification théorique de
cette distribution que nous allons présenter validé par l’étude du nuage de Sloane. Cette ou même 7 500, 8 500, etc., sont plus cités
établit un lien entre probabilité naturelle sur analyse est encore renforcée par l’étude que leurs voisins et se retrouvent donc au-
les entiers, complexité de Kolmogorov et loi d’un autre nuage étonnant, indépendant dessus de la courbe générale. Notre usage
de Zipf, ce que l’on peut voir comme un fon- du premier, et qui est cette fois tiré d’une du système décimal et la pratique des arron-
dement théorique à la loi de Zipf. base de données de cinq millions de livres dis faussent la fréquence d’utilisation des
La complexité de Kolmogorov K(n) d’un numérisés par la Société Google et exploitée nombres entiers en favorisant de manière
entier est la taille du plus petit programme statistiquement par une équipe de chercheurs prévisible certains d’entre eux.
qui engendre n (dans un langage de pro- de l’Université Harvard réunie autour de Jean- L’étude détaillée du nuage montre
grammation fixé). Les entiers ayant une Baptiste Michel. L’article de cette rubrique d’autres étrangetés pas toujours aussi
définition simple (par exemple 21 000 000) dans Pour la Science d’août 2011 présentait faciles à expliquer, mais qui proviennent de
ont une faible complexité de Kolmogorov cette mise à disposition et la science nais- conventions, de codes ou de règles d’usage
et ont en conséquence beaucoup de défi- sante qu’on prétend en déduire, dénommée favorisant certains entiers. Malgré ces effets
nitions assez simples. La théorie indique « culturomique ». perturbateurs divers, la courbe (éventuelle-
aussi que K(n) est lié à la probabilité qu’un ment redessinée pour classer les nombres
programme tiré au hasard produise n, par le nuage des cinq par fréquence décroissante) se conforme
la relation Proba (n) ≈ 1/2K(n), et donc à la
probabilité que les suites mathématiques
millions de livres très bien à une loi de Zipf d’exposant e proche
de 1, comme celle du nuage de Sloane.
collectées dans l’encyclopédie de N. Sloane Jim Fowler, mathématicien à l’Université de La comparaison des deux courbes
contiennent cet entier un grand nombre de l’Ohio, aux États-Unis, a calculé et représenté est amusante et riche d’enseignement :
fois. Cette dernière remarque suppose qu’on l’équivalent du nuage de Sloane pour les cinq là où l’intérêt mathématique favorisait les
assimile ces suites numériques à des pro- millions de livres de la base de données de puissances de 2 et les nombres avec de
grammes, ce qui n’a rien d’absurde. Autre- Google. Il a compté le nombre d’occurrences nombreux diviseurs, c’est maintenant les
ment dit, le nuage de Sloane est une version de chacun des nombres entiers de 1à 10 000 conventions liées à la numération décimale
mathématique, concrète et humaine de la et a dessiné les 10 000 points correspon- ou à la mention des années du calendrier
courbe représentant la fonction 1/2 K(n) dants. La courbe obtenue (voir l’encadré 2) qui créent les plus fortes déviations. Aussi
déterminée par la complexité des entiers. présente le même aspect général que le nuage bien le nuage « mathématique » de Sloane
Or la théorie indique que cette courbe suit de Sloane. Cependant, plusieurs différences que le nuage « culturel » des cinq millions
une loi de Zipf, car K(n) vaut typiquement sautent aux yeux... et s’expliquent facilement. de livres exhibent un tracé conforme à une
log2(n) et que 1/2log2(n) = 1/n. La complexité On observe notamment une sorte de loi en C/ne. Ces traitements sur des données
de Kolmogorov indiquait par avance que l’on sursaut violent de la courbe avant et du massives confirment que les répartitions de
a une loi de Zipf pour le nuage de Sloane, ce côté de l’entier 2 000. Cette perturbation probabilité en C/ne (e proche de 1) tiennent
que l’étude statistique du nuage a confirmé. correspond évidemment aux nombres dési- un rôle spécifique et doivent être retenues
Tout cela est remarquable et nous aide à gnant des années proches, car ces nombres par défaut comme probabilités naturelles
comprendre la loi de Zipf. Même si d’autres sont cités fréquemment dans les textes des sur les entiers. Deux arguments de nature
mécanismes engendrent une loi de Zipf, celui livres. Il s’agit d’un effet temporel et la même mathématique vont s’ajouter à celui de la
lié à la théorie de la complexité est particu- courbe tracée en 2100 montrera un sursaut complexité de Kolmogorov et justifier notre
lièrement frappant, puisqu’il indique un lien équivalent du côté de 2 100. Un autre effet, affirmation.
avec une distribution de probabilité naturelle cette fois « décimal », est aussi très net : les Un premier argument porte sur la den-
fondée sur la complexité des entiers, lien nombres ronds comme 1 000, 5 000, 8 000 sité naturelle (voir l’encadré 3). Un second
résultat quasi miraculeux confirme que C/n elle la loi de Benford ? Autrement dit, le
est théoriquement la plus équitable attribu- quotient (Nombre d’entiers < n commen- n■ l’auteur
tion de poids aux entiers. La densité De(A) çant par le chiffre i)/n a-t-il pour limite J.-P. DELAHAYE
= ∑{1/ke, k dans A }/∑{1/ke, k entier} est log10 (1 + 1/i) ?Il se trouve que non : ce est professeur
toujours définie si e > 1, car maintenant le quotient n’a pas de limite quand n tend à l’Université
de Lille
dénominateur est fini (car la série de terme vers l’infini, mais oscille sans cesse, car et chercheur
1/ke est de somme finie quand e > 1). les nombres commençant par i n’ont pas au Laboratoire
Comme 1/ke est proche de 1/k si e est de densité naturelle. Maintenant que nous d’informatique fondamentale
de Lille (LifL).
proche de 1, pour contourner la divergence savons qu’on peut étendre la densité natu-
de la série ∑1/k, on définit la densité Dz (A) relle, reformulons la question : l’ensemble
de l’ensemble A d’entiers comme la limite, des entiers commençant par i (i = 1, 2,
si elle existe, de De(A) quand e tend vers 1. ..., 9) a-t-il une densité logarithmique (ou,
On la nomme parfois « densité zêta » (à ce qui revient au même, une densité Dz) ?
cause du dénominateur qui est la fonction Comme par miracle, la réponse est oui, et
zêta de Riemann), d’où le « z ». Les ensembles la densité trouvée est log10 (1 + 1/i). Les
d’entiers A dont la densité Dz existe sont les entiers, traités équitablement, suivent la
mêmes que ceux pour lesquels la densité loi de Benford et il n’est donc pas étonnant
logarithmique (voir l’encadré 3) existe, et que cette loi se rencontre si fréquemment.
alors les deux densités coïncident. Ce résultat À défaut de mesure de probabilité uniforme
remarquable est publié dans la thèse de Persi sur les entiers, la loi de Zipf joue le rôle d’une
Diaconis (voir la bibliographie). mesure naturelle. On le voit en observant la
Les deux façons envisageables d’étendre prévalence de cette loi pour des données n■ BIBlIOGraPhIe
la notion de densité naturelle en se fondant concrètes (telles les fréquences d’utilisation N. Gauvrit, J.-P. Delahaye
sur l’idée d’attribuer (autant que possible) des mots dans un texte). On le voit quand on et H. Zenil, Sloane’s gap :
une probabilité 1/n à l’entier n fonctionnent s’aperçoit que la loi de Zipf est liée à la com- do mathematical and social
factors explain the distribution
et conduisent de manière inattendue à la plexité de Kolmogorov des entiers. On le voit of numbers in the OeIS ?,
même notion. Le sens de ces théorèmes aussi quand on recherche les densités qui, Journal of Humanistic
mathématiques est que, moyennant un petit pour les ensembles d’entiers, jouent le rôle Mathematics, à paraître, 2012.
passage par des limites pour contourner la de probabilités uniformes. N. Gauvrit et J.-P. Delahaye,
divergence de ∑1/n, il est possible de formuler La preuve mathématique qu’avec ces Pourquoi la loi de Benford n’est
pas mystérieuse, Mathématiques
une définition de « choix aléatoire équitable » densités en C/n, les entiers eux-mêmes et Sciences Humaines,
entre entiers. Ainsi, la loi de Zipf est dans une vérifient la loi de Benford (et c’est vrai aussi vol. 182-2, pp. 7-15, 2008
position privilégiée par rapport à toutes les des nombres premiers), renforce la convic- (http://msh.revues.org/10363).
autres lois envisageables sur les entiers. tion que ces densités tirées de la loi de Zipf M. Newman, Power laws, Pareto
sont les bonnes façons de choisir au hasard distributions and Zipf’s law,
des nombres entiers. Le fait que la loi de Contemporary Physics, vol. 46,
Benford retrouvé Benford redonne en un certain sens la loi
pp. 323-351, 2005.
Un dernier théorème s’ajoute aux arguments de Zipf est un argument supplémentaire, G. Tenenbaum, Introduction
pratiques et mathématiques. La loi de Ben- car il existe des explications directes de to analytic and Probabilistic
Number Theory, Cambridge
ford apparaît quand on examine le premier la loi de Benford, telle celle proposée par University Press, 1995.
chiffre d’une série de données : la probabi- Nicolas Gauvrit et l’auteur de cette rubrique,
P. Diaconis, Weak and Strong
lité pour qu’un nombre entier pris dans un et qu’elles sont donc aussi des explications averages in Probability
ensemble assez grand (par exemple dans de la loi de Zipf. and Theory of Numbers, thèse
le tableau des longueurs de tous les fleuves Le monde mathématique est déconcer- de l’Université Harvard, 1974,
mesurées en kilomètres) commence par tant : l’infini dénombrable, le plus simple de http://www-stat.stanford/
edu/~cgates/PERSI/
le chiffre i (i = 1, 2, ..., 9) est log10 (1 + 1/i) tous, semble interdire qu’on en pioche les Persi_PhDdiss.pdf (c’est le
et il y a donc plus de 30 % de chances (car éléments au hasard équitablement, alors document à lire sur les densités
log10 (2) = 0,30103) que le premier chiffre que le continu de l’intervalle [0, 1], plus gros étendant la densité naturelle).
d’un tel nombre soit 1 (voir l’article de jan- et plus compliqué que l’infini dénombrable, G. Zipf, Human Behaviour
vier 2007 dans cette rubrique). l’autorise. Heureusement, la loi de Zipf, à sa and the Principle of Least effort,
Une question s’est posée depuis façon, joue ce rôle de probabilité uniforme Addison-Wesley Publishing,
1949.
longtemps : la liste des entiers vérifie-t- sur les entiers. n
«
Q
ue la Force soit avec toi ! » Quant au chloroplaste, c’est un organite
La Force est cette source spécifique des cellules végétales qui per-
de pouvoir des chevaliers met la synthèse de la chlorophylle dans les
Jedis dans l’univers de Star algues et les plantes. Les mitochondries et les
Wars. On apprend dans chloroplastes ont leur propre adn, et seraient
le premier épisode, La menace fantôme issus de bactéries (cyanobactéries pour les
(1999), que la Force a un support maté- chloroplastes et protéobactéries pour les mito-
riel, d’étranges organismes microscopiques chondries) qui se seraient « alliées », il y a 1,5
nommés midichloriens. Une discussion entre à 2 milliards d’années, avec des cellules pour
le jeune Anakin Skywalker et son mentor finir par y vivre en symbiose. Cette hypothèse
Qui-Gon Jinn, nous en précise la nature : de l’endosymbiose a été proposée en 1967.
« Les midichloriens sont des formes de Ainsi, les mitochondries et les chloroplastes
vie microscopiques qui résident dans toutes sont synonymes d’énergie vitale tant pour les
les cellules vivantes et communiquent avec animaux que pour les végétaux. L’assemblage
la Force. [Ils vivent] dans tes cellules. Nous des deux confère apparemment des pouvoirs
vivons en symbiose avec les midichloriens. » hors du commun aux porteurs de midichloriens.
En introduisant les midichloriens dans Mais, même s’ils semblent présenter des
l’histoire, le réalisateur George Lucas tente propriétés symbiotiques identiques à celles
alors, au grand dam de ses fans, de donner des mitochondries ou des chloroplastes, les
une explication rationnelle à la Force. Approche midichloriens sont, toujours selon la descrip-
scientifique ? Loin s’en faut si l’on regarde de tion de Maître Qui-Gon Jinn, des organismes
20 th Century Fox
plus près qui sont ces midichloriens venus et non des organites. Ils peuvent même être
de l’espace. Éliminons d’abord une éventuelle considéréscommedesorganismespathogènes
nature virale, les virus étant considérés comme ou mutagènes à part entière. Dès lors, du point
des parasites intracellulaires, alors que les 1. AnAkin SkywALker, qui deviendra dark de vue microbiologique, les Jedis seraient des
midichloriens sont des symbiotes, d'après Vador dans les épisodes ultérieurs de La guerre mutants contaminés, et une analyse de sang
la définition. Remarquons que le mot « midi- des étoiles, a une affinité marquée avec la permet d’identifier le stade de contamination,
chlorien », forgé par G. Lucas, semble être Force. Cette dernière lui est conférée par les voire le degré de contagiosité ! D’ailleurs, pour
midichloriens, des micro-organismes présents
un assemblage des mots « mitochondrie » notamment dans son sang.
tester l’affinité du jeune Anakin avec la Force,
et « chloroplaste », deux organites présents Qui-Gon Jinn lui fait une prise de sang visant
dans les cellules terriennes. Les mitochondries, à déterminer la quantité de midichloriens
localisées dans le cytoplasme, fournissent les présents dans son organisme. Le fait que la
molécules d’atp (adénosine triphosphate), qui présence de midichloriens soit quantifiable
permet aux cellules de stocker de l’énergie. semble leur donner une base scientifique.
La mitochondrie est l’usine énergétique des Résultat : 20 000. En quelle unité ? On
cellules à noyau, dites eucaryotes, aussi bien l’ignore... Est-ce le corps du jeune homme qui
animales que végétales. en contient cette quantité ? Est-ce seulement
la goutte de sang prélevée ? Quoi qu’il en soit, 2. ce midichLorien observé au microscope nellement. Ils se propageraient dans l’espace
cette valeur (supérieure à celle de Maître révèle une double spirale volumineuse qui avant de trouver l’âme sœur... Ils évoqueraient
Yoda !) est si élevée que le Conseil des Jedis contient son information génétique. Sur cette alors les tardigrades, ces pseudo-arthropodes
vue d'artiste, la membrane lumineuse ainsi
se demande si le jeune héros, qui n’a aucun que les « particules d'énergie » (en vert) tra- minuscules, capables de tolérer le vide spatial
père biologique rappelons-le, n’aurait pas lui- hissent la Force qu'il véhicule. et rentrant en léthargie lorsque les conditions
même été créé par des midichloriens pour de vie ne sont pas favorables.
rétablir l’équilibre de la Force dans l’Univers. nutrition, etc.) que certains se demandent Mais étant donné l’éventail très large des
Cette vieille prophétie souvent citée dans même si ces animaux ne seraient pas plutôt Jedis et de leurs mondes d’origine, on peut se
Star Wars n’a bien sûr aucun sens en termes des superorganismes... demander d’où viennent les midichloriens qui
d’évolution : elle rappelle l’ancienne théorie pullulent ainsi dans l’Univers. Sont-ils transpor-
de la « génération spontanée », selon laquelle Résistant tés par des météorites, astéroïdes ou autres
des organismes vivants complexes pouvaient
apparaître sans ascendant, simplement à
aux conditions extrêmes comètes, ceux-là même qui, selon l’hypothèse
de la panspermie, auraient apporté sur Terre
partir de matière inanimée. Ainsi, nous savons désormais que la Force est certains des acides aminés à l’origine de la
Admettons un instant qu’Anakin ait réel- directement liée au nombre de midichloriens. vie ? En raison des distances qui séparent
lement été fabriqué par des midichloriens ; Mais... Si les midichloriens confèrent la Force étoiles et planètes, et donc les Jedis dans une
son cas serait intéressant à l’aune de la clas- et se multiplient dans le sang, pourquoi une galaxie, la dissémination et la divergence des
sification systématique du monde vivant : simple transfusion ne suffit-elle pas pour midichloriens auraient pu avoir lieu durant la
notre héros passerait du statut d’organisme devenir un Jedi ? « jeunesse » de l’Univers. Et si l’ancêtre com-
pluricellulaire (un jeune humanoïde) à celui Puisque les midichloriens sont présents mun à toute forme de vie, luca (Last Universal
de superorganisme, colonie dont les individus partout dans l’Univers, « infectant » les Jedis Common Ancestor), hypothétique organisme
hyperspécialisés seraient des midichloriens. de toutes espèces et de toutes planètes, ces archaïque âgé de 3,6 à 4,1 milliards d’années,
Cette frontière entre organisme et superor- organismes doivent être des extrêmophiles, avait été un midichlorien ? G. Lucas, comme
ganisme est parfois floue sur Terre : c’est, par capables de résister au vide intergalactique. le sont parfois les auteurs de science-fiction,
exemple, le cas des siphonophores, groupe En cela, ils évoquent certaines bactéries, serait alors un visionnaire ! n
bien réel d’étranges cnidaires (des sortes de telles que Serratia liquefaciens ou Esche-
méduses), qui vivent en colonie et dont les richia coli, qui colonisent nos intestins, et J.-S. Steyer est paléontologue au cnrs-mnhn,
tentacules peuvent atteindre 40 mètres de sont capables de résister en laboratoire aux à Paris. r. Lehoucq est astrophysicien
au cea, à Saclay.
longueur. Aux plans morphologique et fonction- conditions drastiques qui règnent sur Mars.
nel, chacune des parties d'un siphonophore Autre solution : les midichloriens pourraient
est tellement spécialisée dans la réalisation s’enkyster pendant des millénaires, formant
fr
Retrouvez les articles de J.-S. Steyer et R. Lehoucq sur
de taches variées (locomotion, reproduction, des formes végétatives hibernant quasi éter- www.pourlascience.fr
Q
u’ont en commun l’église Saint- ordonne d’enfouir la poutre. Elle resurgit environnant, la poussée d’Archimède le fait
Calixte de Pontpierre (Moselle), la au moment de la crucifixion puis disparaît remonter. Ces deux effets opposés, ajoutés au
chapelle des Incurables de l’hos- encore. Elle sera retrouvée au IVe siècle par déplacement horizontal de l’air, impriment au
pice de Baugé (Maine-et-Loire), la Hélène, la mère de Constantin, l’Empereur mouvement une oscillation dont les sommets
paroisse copte orthodoxe de Sarcelles (Seine- qui convertit les Romains au catholicisme, sont distants de cinq à dix kilomètres : c’est
Saint-Denis) et l’abbaye de Saint-Guilhem-le- puis retrouvera sa place à Jérusalem, dans la période spatiale de l’onde stationnaire.
Désert (Hérault) ? Tous ces établissements l’église du Saint-Sépulcre. Aux différents maxima de l’oscillation, en
religieux revendiquent la possession d’un Dans la plupart des ciels représentés altitude, la masse d’air s’étend, se refroidit
morceau de la croix sur laquelle Jésus aurait par Piero della Francesca, des nuages ont (par détente adiabatique) et peut se saturer
été crucifié. Ils ne sont pas les seuls et, selon une forme inhabituelle. Il en est ainsi dans en eau : des nuages se créent et adoptent
un adage, avec tout le bois de la croix, dite le troisième épisode (voir la figure c) où des la forme d’une lentille, voire de plusieurs
Vraie Croix, « on aurait pu chauffer Rome hommes s’emploient à cacher le morceau lentilles empilées. C’est le cas des nuages
pendant un an » ! de bois. Ces nuages ressemblent à des piles peints par della Francesca. D’autres formes
L’histoire de cette relique connaît plu- de nuages liés à des ondes orographiques
sieurs versions. La plus connue est contenue L’immobilité et la forme sont possibles, notamment les nuages en
dans la Légende Dorée de Jacques de Vora- capuchon, au sommet d’une montagne, et
gine (1228-1298), archevêque de Gênes
des nuages lenticulaires les allées de tourbillons dits de von Karman
et dominicain. On la retrouve sous la forme expliqueraient certaines (voir les figures a et b).
d’un cycle de fresques dans le chœur de la observations d’ovni ! Étonnamment, les nuages lenticulaires
chapelle Bacci de la basilique Saint-François, semblent immobiles, même par grand vent.
à Arezzo, en Toscane. On doit cette Légende d’assiettes de différentes tailles et sont dis- En fait, ils sont alimentés en permanence
de la Vraie Croix au peintre et mathémati- tincts des « moutons », des cumulus et des par le vent du côté de la montagne et dispa-
cien italien Piero della Francesca (1412- bandes parallèles de certains cirrus. Sont-ils le raissent de l’autre côté. On observe alors un
1492) qui prit la suite de l’artiste Bicci di fruit de l’imagination du peintre ? Non, ils sont nuage stationnaire quand le vent est fort.
Lorenzo à sa mort en 1452, à la demande réalistes. Ces nuages sont des altocumulus Cette immobilité apparente, associée à la
de la famille Bacci. lenticularis, aussi nommés nuages lenticu- forme discoïdale, fait de ces nuages des
L’œuvre, achevée en 1466, reprend laires. Ils se forment près des montagnes, explications possibles à certaines préten-
en 12 tableaux les péripéties du bout de sous le vent, quand l’air prend de l’altitude dues observations de soucoupes volantes !
bois sacré selon le récit de Voragine. En pour passer l’obstacle. Lorsque les conditions Arezzo étant installée au pied des
voici à grands traits l’histoire : à la mort sont stables, ce premier mouvement se traduit « Alpes de Catenaia », au Sud de la chaîne
d’Adam, son fils Seth sème dans sa bouche par l’apparition d’une onde stationnaire, dite de l’Apennin septentrional, on peut imagi-
une graine dont sort un arbre. Sur ordre orographique, en aval du relief. ner que della Francesca a vu plusieurs de
de Salomon, l’arbre est ensuite abattu et Plus précisément, l’air qui s’est élevé pour ces nuages lenticulaires. Les a-t-il trouvés
affecté à la construction d’un pont. Averti passer au-dessus des montagnes redescend particulièrement esthétiques au point d’en
par la reine de Saba que ce bois serait lié sous l’effet de son poids. Cependant, quand faire l’unique type de nuages dans les ciels
à un destin funeste pour les Juifs, le roi sa densité devient inférieure à celle de l’air de son cycle de fresques ? n
a
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b
© Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Tatge
NASA
idées de physique
Propulsions préhistoriques
Pour lancer loin, il faut lancer vite. Pour le faire à main nue ou presque,
on doit mouvoir ses membres les uns après les autres.
Jean-Michel courty et Édouard kierlik
C
omment lancer à la main un
objet le plus loin possible ? Le
choix de l’objet est évidem-
ment crucial : on a l’intuition
atteint près de 30 mètres par seconde, d’où Pour un poids de cinq kilogrammes, ■■ Les auteurs
une portée de 90 mètres (pour un calcul on trouve une portée de 5,5 mètres, cela
précis, on doit tenir compte des forces sans tenir compte de la vitesse acquise
aérodynamiques). par la mise en mouvement du buste et
Les 40 mètres de portée que l’on a men de la hauteur initiale du projectile – para-
tionnés laisseront songeur quiconque a jeté mètre négligeable lorsque la portée est
des pavés d’un kilogramme. Lorsqu’on aug- grande, mais qui devient important ici.
mente la masse de l’objet lancé, la vitesse Pour une telle masse, supérieure à celle Jean-Michel COURTY
obtenue n’est en effet plus celle de la main de l’avant-bras, le « dernier étage » du et Édouard KIERLIK
sont professeurs de physique
vide. La vitesse de la main est due à la rota- geste de lancer devient inefficace et même à l’Université Pierre
tion de l’avant-bras et correspond à la vitesse contre-productif. et Marie Curie, à Paris.
de son extrémité. Les lanceurs de poids ont donc une autre Leur blog : http://blog.idphys.fr
Sachant que la masse de l’avant-bras technique : après la mise en mouvement
est d’environ deux kilogrammes pour un du corps et la rotation du buste et des
homme adulte, on peut déduire de cette épaules, c’est le bras entier qui se déplie,
vitesse l’énergie cinétique de ce segment du effectuant une poussée vers l’avant et vers
3. Le propulseur préhistorique, semblable à l’atlatl des Mé- vitesse élevée un projectile léger, ou de réduire l’effort nécessaire
soaméricains, est une sorte de levier qui constitue un étage de pro- pour propulser un projectile lourd et ainsi d’assurer une meilleure
pulsion supplémentaire au lancer manuel. Il permet de lancer à une précision du lancer.
existe une technique plus simple utilisée d’atteindre, pour des flèches de moins
■■ BIBLIOGRAPHIE dès la Préhistoire pour lancer des flèches de 100 grammes, des vitesses frôlant les
R. Cross, Physics of overarm ou des lances : le « propulseur » (l’atlatl 35 mètres par seconde, très au-delà de
throwing, American Journal des Aztèques ou le woomera des aborigènes celles atteintes à main nue.
of Physics, vol. 72, australiens). Pour un projectile de 250 grammes, la
pp. 305-312, 2004.
Il s’agit d’un levier long de 30 centi- vitesse de lancer dépassait les 20 mètres
R. A. Baugh, Dynamics of spear mètres à 1 mètre et se terminant par un par seconde. Dans ce cas, le gain n’est
throwing, American Journal
of Physics, vol. 71, crochet, qui permet de pousser l’extrémité pas spectaculaire, mais l’intérêt du pro-
pp. 345-350, 2003. arrière de la lance. En prolongeant la main, pulseur ne réside pas nécessairement
cet instrument ajoute un segment à la dans une portée accrue. Cet outil utilisé
chaîne de propulsion et met à profit l’effort par des chasseurs ou des guerriers a
musculaire que peut fournir le poignet. C’est pour fonction de toucher une cible : en
ce que font déjà les lanceurs au base-ball, diminuant l’effort requis pour lancer à une
qui tiennent la balle dans les doigts et non même distance, il autorise une meilleure
dans la paume : ils bénéficient ainsi du précision. De plus, par rapport à un arc, il
mouvement de rotation du poignet, avec a le grand avantage d’être utilisable avec
un bras de levier de 10 à 15 centimètres. une seule main (la seconde étant alors
fr Retrouvez les articles Le propulseur accentue l’effet de ce bras disponible pour tenir une autre arme ou
de J.-M. Courty et E. Kierlik sur de levier. Un tel lanceur de 40 centimètres un bouclier) et d’envoyer des projectiles
www.pourlascience.fr a ainsi permis à des expérimentateurs bien plus lourds qu’une flèche. n
regards
J.-M. Thiriet
Hervé THis
I
l y a plus, dans le royaume des cium, a conduit les cuisiniers à goûter ces sels, présence de calcium. Mieux encore, alors
saveurs, que les quatre classiques d’abord le chlorure de calcium (qui impose que le récepteur T1r3 est une sous-unité
(sucré, salé, acide, amer) ! La réglisse un rinçage, tant il est amer), puis le lactate des récepteurs de la saveur sucrée et des
n’est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni de sodium, à la saveur plus admissible et récepteurs de la saveur du glutamate de
amère. De même l’éthanol, le bicarbonate de plus originale : ni vraiment sucrée, ni acide, sodium, les cellules qui n’ont que le récep-
sodium et bien d’autres composés ont une ni amère. Ainsi, peu à peu s’imposait l’idée teur T1r3 et pas les autres parties des deux
saveur spécifique, et aucun ne se réduit à d’une saveur originale des ions calcium. récepteurs ne détectent pas le sucré ou
une combinaison des autres. Aujourd’hui on Les physiologistes américains ont d’abord le glutamate de sodium. Par ailleurs, les
reconnaît au calcium sa saveur. Les cuisiniers identifié, chez la souris, un récepteur mis en volontaires entraînés pour reconnaître la
anticipaient la découverte, mais Michael Tor- jeu dans la perception du calcium. Ils ont mon- saveur du calcium distinguent parfaitement
doff et ses collègues de l’Institut Monnell, à tré que le gène Tas1r3, qui code le récepteur les saveurs amères et acides.
Philadelphie, ont confirmé les intuitions en T1r3, est associé à des préférences pour le Ces résultats font penser que nous
identifiant le récepteur des ions calcium. calcium chez 40 souches de souris différentes, reconnaissons le calcium par sa saveur ori-
La théorie de l’évolution était une indi- et que l’inactivation du gène rend les souris ginale. Pour autant, T1r3 n’est probablement
cation : le calcium est important pour la pro- incapables de percevoir la saveur du chlorure pas le seul récepteur qui intervient dans la
pagation de l’espèce (c’est un constituant de calcium. De surcroît, des enregistrements détection « sapictive » du calcium. Aurions-
essentiel des os). Pour l’avoir en suffisance, de l’activité électrique de la corde du tympan, nous, pour d’autres ions, des récepteurs
notre organisme doit le reconnaître, ce qui un nerf de la langue impliqué dans le goût, particuliers, et des saveurs spécifiques ?
suppose l’existence de récepteurs. Pas des ont montré que l’activité engendrée par le Le cas du magnésium est intéressant, mais
récepteurs olfactifs, les ions ne s’évaporant calcium consommé est moins importante les diverses espèces semblant en avoir des
pas, mais des récepteurs associés aux papilles. chez les souris modifiées. perceptions différentes, l’étude sera plus
Les études de la fin des années 1990 Il semblait toutefois difficile de croire complexe. En attendant, nous sommes
avaient montré que de nombreux animaux que les récepteurs T1r3 étaient les récep- invités à goûter les eaux : leurs saveurs
satisfont leurs besoins physiologiques de cal- teurs du calcium, parce qu’ils interviennent distinctes résultent de la présence d'ions
cium en localisant les sels de calcium et en dans la saveur de sucres et du glutamate de qui ne se réduisent pas seulement à du salé,
les consommant. L’« appétit » pour le calcium sodium (très utilisé par la cuisine asiatique). du sucré, de l’acide ou de l’amer. n
est régi par la saveur : les sels concentrés Un composé, le lactisole, inhibe la perception de
de calcium sont rejetés par les animaux qui la plupart des édulcorants et du glutamate de Hervé THis est chimiste
ont assez de cet élément, mais avidement sodium ; les physiologistes ont donc pensé que dans le Groupe iNRA
consommés par ceux qui en manquent. Les le lactisole interagit avec les récepteurs T1r3. de gastronomie moléculaire,
professeur à AgroParisTech
études portaient sur des amphibiens, mais les L’étude fut d’abord faite in vitro, puis avec des et directeur scientifique
résultats faisaient défaut pour notre espèce. volontaires humains qui évaluaient l’intensité de la Fondation science
En quoi la cuisine avait-elle donné des d e la perception du lactate de calcium avec & Culture Alimentaire
indications ? Promu avec la « cuisine molé- et sans lactisole. (Académie des sciences).
culaire », depuis le début des années 1990, Des cellules que l’on modifiait en y
l’emploi d’alginate de sodium, extrait d’algues, introduisant le récepteur T1r3 devenaient Retrouvez les articles de H. This sur
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pour faire des gels, en présence d’ions cal- capables de réagir spécifiquement à la
fr
© Pour la Science - n° 421 - Novembre 2012 Science & gastronomie [93
À LIRE
§ BIOLOGIE Car si certains modèles, sou- « l’égoïsme, la tromperie et la hié- imparfaites de valeur d’usage et
vent limités par leur réduction- rarchie génétique » ! valeur d’échange. Il préférera à ces
Le gène généreux nisme mécaniste abusif (tels les dernières d’autres notions plus à
.§ Georges Chapouthier.
Joan Roughgarden modèles dits «sociobiologiques», même de reconsidérer l’impor-
Centre Émotion, USR 3246,
Seuil, 2012 pour qui la survie des gènes est La Pitié-Salpêtrière, Paris tance sociale de la richesse: la va-
(320 pages, 24 euros). le seul mécanisme pris en comp- leur du lien, support du don, et la
te), ont pu être construits sur le
À l i r e
Tefcros Michaelides ces inconnus...) se faire expliquer Gianpierro Rossi C. Cardi et G. Pruvost
Le Pommier, 2012 des mathématiques ! La Découverte, 2012 La Découverte, 2012
(288 pages, 17 euros). (168 pages, 14,50 euros). (442 pages, 32 euros).
Nos deux Grecs sont pris dans
O
les remous qui agitent leur pays. n découvrira dans cet ouvrage trou-
P P
our ceux qui n’ont pas eu L’un d’eux, en 1920, est sur le point our dénoncer l’un des plus blant un inventaire des violences exer-
la chance de se trouver à d’obtenir un poste dans une uni- grands scandales sani- cées par les femmes, dont l’intensité, la
Paris lors du Second versité créée en Grèce sous l’im- taires de l’histoire, celui de cruauté et la récurrence sont comparables
Congrès des mathématiciens (il pulsion de Carathéodory (ce ma- l’amiante, l’auteur nous fait re- à celles de la violence des hommes, même
si cette dernière est plus ample et tradi-
s’est tenu en 1900...), il existe un thématicien, qui a laissé un nom vivre l’histoire de la petite ville
tionnellement plus acceptée. L’ouvrage
moyen d’assister, comme s’ils y en analyse, fut aussi un adminis- italienne de Casale. Située au
porte aussi sur la représentation de cet-
étaient, à la fameuse conférence trateur brillant). Mais, des troubles cœur du Piémont, la cité est en-
te violence, que l’on dénonçait dans le
que David Hilbert y a prononcée : ayant éclaté en Asie Mineure, tièrement dépendante, au plan passé comme aberrante, tandis que les
lire le roman policier que propo- l’université ne vit jamais le jour. économique, de l’usine de trai- héroïnes de cinéma aussi sexy que vio-
se Tefcros Michaelides. Les pro- Plus que les mathématiciens tement de l’amiante, ouverte lentes se multiplient aujourd’hui.
tagonistes en sont deux mathé- et les circonstances historiques, dans les années 1950. L’aug-
maticiens grecs. Eux, qui étaient toutefois, les mathématiques elles- mentation alarmante, parmi les
alors jeunes, ont assisté à cette mêmes – et leurs questions éter- ouvriers de l’usine, de cancers de
conférence. Elle fut d’ailleurs un nelles ! – font la substance du ro- la plèvre, le mésothéliome, est SPORTIFS HIGH TECH
moment déterminant de leur vie, man. Là, je ne puis en dire plus. d’abord vécue comme une fata- N. Lanotte et S. Lem
puisque c’est à cette occasion qu’ils Non que l’auteur ait échoué à les lité avant de provoquer un réveil Belin, 2012
firent connaissance, commençant exposer de façon compréhensible salutaire dans la population. (160 pages, 23 euros).
D
une amitié nourrie de discussions Journaliste à L’Unita, puis ré- éjà entendu parler du «doping tech-
passionnées sur les fondements dacteur en chef de l’hebdoma- nologique» ? Depuis qu’en étudiant
des mathématiques, amitié à la- daire « A », G. Rossi a suivi tou- de près le nageur Johnny Weismuller, les
quelle seule la mort put mettre fin. te l’affaire et déroule pour nous coachs japonais ont transformé en cinq
Enthousiastes et éblouis de- ces 30 années de drames et de ans leurs petits athlètes en médaillés
vant les sommités réunies au combats pour que soient enfin re- d’or, le sport de haut niveau est devenu af-
Congrès, ces débutants regardent connues d’abord la responsabi- faire d’avantages techniques, qu’il s’agis-
de tous leurs yeux, écoutent de lité de l’amiante dans la surve- se de gestuelle ou d’accessoires. Ce livre
toutes leurs oreilles. Par leur in- nue du mésothéliome, puis cel- en brosse un tableau plein de science.
termédiaire, le lecteur, lui aussi, dé- le de la multinationale Eternit qui
visage les mathématiciens illustres a poursuivi l’exploitation de l’usi-
qui composent l’auditoire, per- ne tout en sachant les risques en- LA PRÉHISTOIRE DES AUTRES
çoit leur fièvre avant l’intervention courus par la population.
de Hilbert, dont on savait qu’elle L’intérêt de ce livre tient au- Nathan Schlanger
et Anne-Christine Taylor
serait marquante, assiste aux dis- tant au fond qu’à la forme. Le
La Découverte/INRAP, 2012
cussions après. L’auteur excelle à style narratif est fluide, souvent
(337 pages, 28 euros).
redonner vie aux débats de à tous – au contraire, il y réussit poignant. L’excellente traduc-
I
l’époque, et le lecteur s’amuse en fort bien. Seulement, elles éclai- tion laisse intactes toutes les nventée en Europe, la science préhis-
constatant que, comme les nôtres, rent le mobile du crime, donnent nuances des sentiments habitant torique reste eurocentrique, de sorte
ils mêlaient oppositions intellec- la clé de l’énigme. les protagonistes. Tout en res- que les sociétés non occidentales sem-
tuelles loyales nourries d’estime Raconter l’intrigue d’un ro- pectant le fil de l’histoire, l’auteur blent n’avoir quitté leur préhistoire qu’avec
réciproque, animosités person- man policier, cela ne se fait pas. recentre le récit sur trois « lieux » l’arrivée des Européens. Le colloque dont
nelles, vexations d’amour-propre... Il se peut que Gödel ait une res- symboliques, partant du plus in- est issu ce livre était un effort pour, en
croisant les regards anthropologiques et
Les deux héros du roman ponsabilité morale indirecte dans time pour aller au plus collectif.
archéologiques, faire éclater l’évidence
n’oublient pas de profiter de la vie le meurtre, mais chut ! j’en ai déjà Une famille ordinaire, rattrapée
que la même profondeur temporelle exis-
parisienne. Ils fréquentent des ar- trop dit. par « l’épidémie » de mésothélio-
te partout, quelle que soit la distance d’une
tistes marginaux, inconnus à me, l’usine, Léviathan ambivalent, culture avec sa propre préhistoire.
.§ Didier Nordon
l’époque et désargentés, ce qui maudite mais seule richesse de
À l i r e
T
ricycle électrique, oiseaux méca- de la réalité, s’opposant à la fata-
niques, bateau à moteur électrique,
lampe frontale, épées et bijoux lumineux
sont quelques-unes des nombreuses in-
ventions de Gustave Trouvé, touche-à-
tout prolifique du XIX e siècle. Au fil
lité ambiante. Ce combat du pot
de terre contre le pot de fer sem-
blait pourtant perdu d’avance.
Contre toute attente, il s’est sol-
dé par une victoire exemplaire : le
L e risque d’inondation a fait
depuis une vingtaine d’an-
nées l’objet d’analyses nou-
velles, tant dans la compréhen-
sion des inondations historiques
d’extraits de lettres, brevets, gravures et 13 février 2012, après que l’amian- que dans l’évaluation du risque
ouvrages d’époque, l’auteur dresse un
te est interdite sur tout le territoi- dans nos métropoles contempo-
portrait vivant de cet inventeur oublié qui
re italien, les dirigeants d’Eternit raines. Dans un langage qui dé-
a inspiré nombre d’objets modernes.
sont condamnés par le tribunal de note un rare talent de vulgarisa-
Turin à 16 ans de prison. tion, l’auteure s’attache à rendre nagement urbain permettrait de
Au-delà du récit, la postface accessibles au grand public les dépasser la « stratégie Pampers »
LES PLANTES pour l’édition française donne la questionnements savants sur la élaborée depuis la crue de 1910.
ET LEURS NOMS parole aux trois principaux leaders vulnérabilité de l’espace pari- M. Reghezza-Zitt développe des
François Couplan
de ce combat. Ils reviennent, avec sien aux inondations, et elle pose idées utiles aux décideurs publics:
Quæ, 2012 le recul nécessaire, sur ces années la question des réponses appor- la question de la gouvernance du
(224 pages, 36 euros). de lutte et tirent des conclusions tées face au risque de crue cen- risque, aujourd’hui enchevêtrée
qui font écho à l’interview du pro- tennale en région parisienne. en un mille-feuille administratif
C
e beau livre consacré à l’étymolo-
gie des noms de plantes plaira au
cureur de Turin et d’une juge d’ins- Une crue centennale coûterait et politique, qui empêche une pré-
lecteur curieux des mots comme à celui quelque 17 milliards d’euros et vention claire ; la question du
curieux de la nature. On y découvre une causerait dix fois plus de dégâts choix politiquement compliqué
parenté inattendue entre l’orchidée et qu’en 1910. Elle immobiliserait les entre protection du territoire par
l’avocat : à cause de leur forme, les or- réseaux de transports pendant blocage de la densification ur-
chidées tirent leur nom du terme grec deux mois, nuirait au tourisme et baine et la poursuite du déve-
signifiant testicule, et l’avocat d’un mot l’inaccessibilité des sous-sols de la loppement du tissu industriel ;
aztèque ayant ce même sens. On apprend Défense et du cœur de Paris blo- la question de l’acceptation du
aussi que la fleur de la véronique res- querait une partie du commerce risque par l’opinion publique, qui
semble à l’empreinte du visage du Christ, mondial. Paradoxe: «La conscien- limiterait l’inévitable chasse aux
d’où son nom (vraie image : vera ikona). ce du risque reste faible alors que responsabilités. À l’aide de com-
la mémoire du risque est forte. » paraisons claires et fouillées avec
La vulnérabilité parisienne d’autres catastrophes, elle plai-
LE CAMION ET LA POUPÉE pose des questions politiques. de pour « l’adaptation au dan-
Jean-François Bouvet Comment une puissance mon- ger et au changement ». Ni ca-
Flammarion/NBS, 2012 diale peut-elle laisser son cœur tastrophisme, ni fatalisme, ni es-
(230 pages, 19 euros).
économique et culturel sous la pérance en la toute-puissance de
Imprimé en France – Maury Imprimeur S.A. Malesherbes – Dépôt légal 5636 – NOVEMBRE 2012 – N° d’édition 077421-01 – Commission paritaire n° 0912K82079 –
Distribution : NMPP – ISSN 0 153-4092 – N° d’imprimeur I01/176 719 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé.