CDR 10 2019
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COURRIER DE ROME
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2 Courrier de Rome Octobre 2019
fondément doctrinale beaucoup plus large. Nous nous pour lequel chacun peut se sauver en suivant dans sa
limitons à dire que la vraie problématique soulevée par propre voie.
ce document n’est pas tant le célibat ecclésiastique que Mais l’élément le plus intéressant et nouveau de la
la vision ouvertement panthéiste, qui en fait le mani- lettre de Ratzinger est un passage qui nous montre à
feste d’une religion éloignée du catholicisme, dernier quel point le théologien bavarois est proche d’une cer-
stade du modernisme déjà dénoncé par Pascendi. Un taine « droite » américaine et d’une certaine vision –
panthéisme extrêmement utile aux slogans des élites entre autres – politique, à laquelle il donne son aval
mondialistes, qui est l’application concrète de ce que le théologique, justifiant la confiance que Bannon et ses
Pape François avait déjà exposé dans l’Encyclique partisans ont en lui. En effet, peut-être pour la première
Laudato sì, et que nous avons étudié dans un article fois, on a une sorte de justification « théologique » non
paru dans le numéro 98 de cette revue 1. seulement de la religion juive, mais aussi de l’État
Une fois de plus, nous commençons ces notes amères même d’Israël. Pour Ratzinger, l’État d’Israël ne peut
avec la figure du silencieux ermite, le « Pape émérite », pas être le royaume messianique promis au peuple
c’est-à-dire l’Évêque Ratzinger. Depuis le calme de sa hébreu, non pas parce que le véritable royaume promis
retraite, le prédécesseur du Pape Bergoglio a voulu par Dieu est spirituel, mais seulement parce qu’il est
nous instruire avec deux nouvelles sorties. La première fondé comme un pays laïc, cette laïcité positive qui
est la publication dans la revue Communio de la corres- plaît tant au « pape émérite » et aux Américains de
pondance entre l’ex-pape admirateur du cabaliste « droite ». Mais même s’il n’est pas le royaume mes-
Buber et le rabbin viennois, au sujet du dialogue théo- sianique, l’État hébreu est quoi qu’il en soit un signe
logique entre chrétiens et juifs. Dans sa lettre datée du de la fidélité de Dieu à Israël (sic). Nous avons donc
23 août 2018, Ratzinger nous explique que la bonne appris de Ratzinger que l’État d’Israël est voulu direc-
interprétation des Écritures au sujet du Messie restera tement par Dieu, une légitimation dont même le Saint
inconnue jusqu’à la fin des temps (sic), et que l’unité Empire Romain n’a jamais pu rêver de la part d’un
des deux lectures de la Bible (la lecture chrétienne et la Pape (ou ex-pape, en l’occurrence).
lecture hébraïque) concerne Dieu. Ratzinger rappelle En avril est également sortie une longue lettre de
que s’il existe une communauté chrétienne, c’est seule- Ratzinger sur la question des abus sexuels, dans laquel-
ment parce qu’ « après la destruction du temple et à la le on peut lire que le problème trouve son origine dans
suite de la mort et de la résurrection de Jésus de Naza- une décadence doctrinale qui a suivi le Concile et mai
reth, une communauté s’est formée autour de lui, soixante-huit, avec pour conséquence la tentative de
convaincue que la Bible hébraïque dans son ensemble refonder sur de nouvelles bases la morale chrétienne.
traitait de lui et était à interpréter par rapport à lui ». Il Cela aurait, avec le nouveau climat général de liberté
est déjà très problématique de dater la naissance de sexuelle, conduit à l’égarement du clergé, dont on est
l’Église à « après la destruction de Jérusalem » ; mais en train de sortir grâce à la nouvelle théologie morale
pour l’historien moderniste, naturellement, à l’origine élaborée sous Jean-Paul II, et aux interventions du
on ne distinguait pas juifs et chrétiens, et l’« Église » Pape François (sic). La première chose qui frappe dans
telle que nous l’entendons n’existait certainement pas, ce document est le fait que l’auteur semble étranger
mais une « communauté » rassemblée autour de la vie aux événements qu’il raconte. Et pourtant, quand il
d’un certain Jésus de Nazareth. parle de crise doctrinale, Ratzinger devrait rappeler
Naturellement, Ratzinger s’empresse de rappeler que qu’il a été pendant près de trois décennies Préfet de la
« cette conviction n’a toutefois pas été partagée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et ensuite
majorité du peuple juif. C’est ainsi qu’a surgi la dis- Pape pendant huit ans. Mais les choses surprenantes
cussion sur la question de savoir si l’une ou l’autre qui émergent de ce texte sont autres. La thèse fonda-
explication était juste ». Nous sommes donc dans l’at- mentale du pape émérite peut être résumée ainsi : avant
tente de la fin des temps pour savoir si le Messie doit le Concile, il y avait une morale fondée sur la loi natu-
venir ou revenir, d’après le savant professeur bavarois, relle (sic), que l’on a voulu refonder selon les exi-
qui s’empresse de rappeler à quel point les chrétiens se gences de la mentalité et de la philosophie contempo-
sont comportés de façon incorrecte et autoritaire dans raines. Il s’est ensuivi une période de chaos, avec diffé-
cette discussion : il ne s’agissait même pas de choses rentes tentatives avortées (comme celle de refonder la
importantes, au fond – semble-t-il dire – c’était juste morale uniquement sur la Sainte Écriture). Finalement,
une calme discussion académique, qui a dégénéré en Jean-Paul II a refondé la morale catholique dans une
persécution anti-juive. Aussi absurde que cette lettre perspective nouvelle avec l’Encyclique Veritatis splen-
puisse paraître, nous invitons tous nos lecteurs à la lire dor. Ratzinger avait déjà expliqué quelle était cette
(on la trouve facilement sur internet) pour qu’ils com- perspective nouvelle dans son livre interview avec See-
prennent que nous n’exagérons pas. Du reste il n’était wald, au titre mensonger Dernières conversations : il
pas nécessaire de s’agiter autant autour de cette ques- s’agit du personnalisme, qui a dépassé ce que Ratzin-
tion : Ratzinger nous a en effet rappelés de nombreuses ger appelait alors déjà la vision précédente « fondée
fois que l’ancienne alliance n’est pas révoquée, dans le sur la loi naturelle », qui était encore présente (selon
sillage de Nostra Ætate et du nouveau catéchisme, lui) dans Humanæ vitæ. Nous passons sur le fait que
Ratzinger qualifie la morale catholique traditionnelle
de morale « fondée sur la loi naturelle », comme s’il la
1. La Tradizione Cattolica. réduisait à une école parmi d’autres, et nous ne cher-
Octobre 2019 Courrier de Rome 3
peu, que les protestants sont eux aussi admis à ce pro- il d’accord avec le philosophe idéaliste ? Le problème
cessus. Certes, Ratzinger disait que nous ne pouvons de la vérité dans le temps étant posé, et la solution des
pas appeler « églises » les communautés protestantes, anciens de l’immuabilité de la vérité étant exclue, c’est
qui pourtant ont le baptême en commun avec nous : Hegel qui a raison ? Le futur Pape écarte la solution
pour lui, il fallait aussi l’Ordre. Mais le minimum, nous marxiste, pour laquelle le processus de transformation
l’avons vu, s’établit au cas par cas. Si l’intégralité ne de la vérité est constante révolution, mais il ne donne
sert plus, établir quel point du processus est déjà bon pas une réponse définitive au problème : il ne fait que
est question de conventions. On substitue la logique du le poser. Précisément comme Hegel : face à la contra-
devenir à celle de l’être. Et toujours dans son discours diction, à la thèse/antithèse, il ne faut pas s’étonner
à son retour de Roumanie, François continue : « Dans mais laisser vivre le paradoxe qui est le ressort de l’his-
une ville d’Europe il y avait – il y a ! – un bon rapport toire (ce qui est comme dire qu’il faut « engager des
entre l’Archevêque catholique et l’Archevêque luthé- processus », expression chère au Pape François : peut-
rien. L’Archevêque catholique devait venir au Vatican être plus simple, mais de même signification). Dans le
dimanche soir et il a appelé pour dire qu’il arriverait même livre, au chapitre Histoire du salut, métaphy-
lundi matin. Quand il est arrivé, il m’a dit : "Excuse- sique et eschatologie, est affirmée clairement « la pri-
moi, mais hier l’Archevêque luthérien a dû aller à une mauté de l’histoire sur la métaphysique », puisque
réunion et m’a demandé : ‘S’il te plaît, viens à ma Dieu n’est pas à considérer avant tout comme un être
cathédrale et fais toi-même le culte’ ". Quelle immuable, au contraire il lui est « essentiel d’être en
fraternité ! Arriver à cela c’est beaucoup ! Et c’est relation et d’agir ». Et attention, ce n’est pas l’agir
aussi le catholique qui a prêché. Il n’a pas fait l’Eucha- dans le sens de l’acte d’être, ni la relation dans le sens
ristie, mais il a prêché. Cela, c’est de la fraternité. de La Trinité, mais ce sont l’action et la relation avec le
Quand j’étais à Buenos Aires j’ai été invité par l’église monde qui sont essentiels : « création et révélation
écossaise à faire de nombreuses prédications, et j’y sont les deux énonciations fondamentales sur lui. »
allais, je faisais la prédication… On le peut ! » De qui
François a-t-il appris qu’on le peut, sinon de Ratzinger Certains, qui veulent expliquer ce qui est clair à l’ai-
qui, comme Pape, a prêché au culte luthérien à Rome, de de ce qui n’est pas clair, en inversant l’évident critè-
prenant part à tout l’office hérétique ? re interprétatif des lois et des actes légaux, s’obstinent
encore à dire que Ratzinger est resté Pape. On se
Au fond, c’est la conception de Dieu qui n’est plus demande, au-delà de l’absurde tentative de tourner
statique, mais évolutive, elle aussi sujette à change- autour de la réalité, quel devrait réellement être l’avan-
ment, à devenir, et même dépendante de la création. tage pour l’Église dans un tel cas. Nous serions ancrés
Nous en entendrons encore parler au synode sur sur la même théologie, mais avec un maître, au lieu
l’Amazonie : Dieu est en dépendance de la création, ou d’un médiocre disciple. Un maître qui a réussi à main-
plutôt Dieu est la création (voir Laudato sì). Le Pape tenir tout le monde autour de ses positions, maintenant
François formulait cette hypothèse très explicitement il que celles-ci portent leurs fruits, juste au moment où il
y a quelque temps, dans l’audience du 7 juin 2017 :
faudrait réagir en revenant vraiment à la doctrine
« Mais l’Évangile de Jésus-Christ nous révèle que Dieu
catholique et à l’immuabilité de Dieu et de sa Révéla-
ne peut rester sans nous, et cela est un grand mystère !
tion. Des réactions qui touchent l’un ou l’autre point
Dieu ne peut être Dieu sans l’homme : un grand mystè-
problématique, mais non la question fondamentale de
re que celui-là ! » Dieu dépend des créatures ? Il n’est
la nature divine, sont objectivement – nous regrettons
donc pas immuable en lui-même, il n’est pas l’Être
de le dire étant donné la bonne foi de certains – des
dont tout dépend, qui après la création est exactement
miroirs aux alouettes.
le même qu’avant. Pour Dieu, la création est
essentielle ? La relation avec l’homme est essentielle ?
Mais si l’essence de Dieu est relation avec les sujets Le meilleur pour la fin.
qu’il crée ou auxquels il se révèle, alors tout est Dieu, Le 29 juin dernier, à l’occasion de la solennité de
et surtout, quand les sujets ou leurs qualités changent, Saint Pierre et Saint Paul, le Pape François a fait pré-
c’est Dieu lui-même qui change. D’où la possibilité sent au Patriarche de Constantinople Bartholomée
d’une théologie et une doctrine constamment évolu- d’un reliquaire contenant neuf fragments osseux de
tives. Mais d’où viennent donc de telles idées ? Qui les Saint Pierre.
a prononcées ? Dans son livre Éléments de théologie
Les reliques du premier Pontife furent trouvées,
fondamentale, publié à Munich en 1982, Ratzinger
entre 1939 et 1941, pendant les recherches archéolo-
pose le problème de l’être et du temps, résolu – à ce
giques voulues par Pie XII sous la basilique Saint-
qu’il dit – à l’avantage exclusif de l’être par les philo-
sophes de l’Antiquité, y compris Platon et Aristote. La Pierre.
question – dit-il – a été reprise de façon décisive par Le 26 juin 1968, Paul VI voulut placer 19 reliquaires
Hegel : pour le philosophe allemand, « l’être lui-même transparents, avec les fragments des os du premier
est considéré comme temps, le Logos puise lui-même Pape, sous l’autel papal de la basilique vaticane. Les
dans l’histoire (…) la vérité devient fonction du neuf fragments en question ont été retirés de ce groupe
temps ; le vrai n’est jamais simplement vrai, puisque de reliques pour les porter, à la demande de Paul VI,
même la vérité n’est pas en mode complet et simple ». dans la chapelle privée de l’appartement papal du
Ainsi Ratzinger expose la pensée hégélienne : mais est- Palais Apostolique.
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Depuis le 30 juin 2019, les neuf fragments, contenus pas été demandé : neuf fragments des os de Saint Pier-
dans un coffret de bronze, sont à Istanbul, remis par re, trouvés à Rome.
Mgr Andrea Palmieri, sous-secrétaire du Conseil pon- En conclusion, nous citons les paroles du Pape
tifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.
François, pour nous éclairer sur la profondeur de son
Nous rapportons la déclaration de l’archevêque Job geste :
de Telmessos, chef de la délégation du patriarcat
orthodoxe de Constantinople, à qui fut remis le coffret « Je ne vis plus dans le Palais Apostolique, je n’utili-
contenant les reliques : se jamais cette chapelle, je ne célèbre jamais la sainte
Messe ici, et nous avons les reliques de Saint Pierre
« Les reliques du saint apôtre Pierre furent toujours dans la basilique, donc ce sera mieux si ces reliques
gardées à Rome. L’Église orthodoxe ne les a jamais
sont conservées (sic) à Constantinople. »
réclamées parce qu’elles n’ont jamais appartenu à l’É-
glise de Constantinople. » Don Mauro Tranquillo
Donc on a donné quelque chose qui n’avait même Traduit de La Tradizione Cattolica, n° 2, 2 019
LA « MORT CÉRÉBRALE » ET L’INDUSTRIE
DES TRANSPLANTATIONS
Du 20 au 21 mai dernier s’est tenu au cœur de Rome Différents rapports ont été présentés pas la professeu-
un important congrès international de bioéthique orga- re Doyen Nguyen, hématopathologiste et professeure
nisé par la JAHLF (John Paul II Academy for Human dans différentes universités américaines, ainsi que par
Life and the Family), ayant pour objet le thème contro- le Dr Thomas Zabiega et le Dr Cicero Coimbra, tous
versé de ce que l’on appelle la « mort cérébrale » : deux neurologues, et par d’autres intervenants de haut
« Brain Death – A Medicolegal Construct : Scientific niveau scientifique. Beaucoup de ces noms sont par
& Philosophical Evidence ». ailleurs réunis dans un livre fondamental pour com-
L’Académie, dirigée par le professeur Josef Seifert, prendre le problème que nous allons aborder : « Finis
s’est constituée en superposition à l’Académie Pontifi- vitæ. La morte cerebrale è ancora vita ? 1 », édité par
cale pour la Vie, pour défendre ces valeurs morales que Rubettino et sous la direction du prof. Roberto De Mat-
l’Académie dirigée par Mgr Vincenzo Paglia, actuel tei, lui aussi membre de la JAHLF.
président, a abandonnées depuis longtemps. Différents Le but du congrès était de déconstruire tout le raison-
membres de la JAHLF, en effet – à commencer par le nement faussement inoculé et tristement accepté dans
prof. Seifert – étaient membres de l’APV, et l’ont les académies de bioéthique sur la « Brain Death »,
quittée à cause de ses évidentes dérives bioéthiques, tâche à laquelle personne ne s’était vraiment attelé.
théologiques et morales.
Origines fallacieuses de la « mort cérébrale »
L’un des sujets qui ont poussé de nombreux membres
de l’actuelle JAHLF à prendre leurs distances avec Au siècle dernier, à partir du début des années cin-
l’APV est précisément le sujet inhérent au débat sur la quante, les neurologues, en particulier européens, com-
« mort cérébrale » (MC), point donné comme établi, et mencèrent à attirer l’attention sur un nouvel état de
qui n’est de fait même plus débattu parmi les spécia- coma dans lequel le cerveau aurait été irrémédiable-
listes de bioéthique tendance Harvard et suivant les ment lésé, cessant de fonctionner tout en continuant de
logiques du monde pro-mort : d’où le congrès qui a maintenir la fonction cardiaque et la fonction respira-
dévoilé une vérité proprement bouleversante. toire. En 1959, les neurologues français Mollaret et
Parmi les rapporteurs, outre le nom prestigieux du Gonion redéfinirent cet état de coma comme « coma
prof. Seifert, philosophe autrichien et professeur de dépassé », c’est-à-dire un état « au-delà du coma ». Ce
plusieurs chaires universitaires de philosophie, se trou- fut en substance le début d’une nouvelle redéfinition de
vait le Dr Paul Byrne, l’un des plus importants la mort telle qu’elle était auparavant connue, c’est-à-
pédiatres au monde, père de 12 enfants, grand-père de dire à travers le critère de l’arrêt cardio-circulatoire.
36 petits-enfants et de 7 arrière-petits-enfants, fonda- Le 3 décembre 1967, trois ans plus tard, au Groote
teur de Life Guardian, parmi les plus grandes fonda- Schur Hospital du Cap, en Afrique du Sud, l’équipe
tions catholiques pro-life américaines. Le Dr Byrne, au chirurgicale du Dr Christian Barnard effectua la pre-
cours de sa carrière de médecin, a parcouru le monde mière transplantation cardiaque au monde, célébrée par
pour sauver des enfants d’une véritable machine de le gouvernement sud-africain comme un semi-miracle,
mort, qui aurait voulu prélever des organes sur des malgré la mort du patient receveur, survenue 18 jours
enfants dont le cœur battait encore mais considérés plus tard.
comme « morts cérébralement », ou arrêter les apports Peu de temps après, à la Harvard Medical School de
vitaux pour tuer de petits innocents. L’un des derniers Cambridge, en 1968, était institué un Comité ad hoc
cas dans lesquels le Dr Byrne a été impliqué – sans composé de 10 médecins (anesthésistes, neurologues,
succès, hélas, à la différence d’autres cas – est celui du
psychiatres et experts en transplantations), un théolo-
petit Alfie Evans, l’enfant anglais condamné à mort par
le bras de l’État, sans que le Vatican n’intervienne de
façon claire et résolue. 1. « Finis vitæ. La mort cérébrale est-elle encore la vie ? »
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gien, un avocat et un historien, chargés de redéfinir façon autonome et sans oxygène pendant environ tren-
mondialement et une fois pour toutes la mort comme te heures, jusqu’au moment où les aides-soignants du
« mort cérébrale », considérant le « coma irréversible » Alder Hey Children’s Hospital de Liverpool furent
comme le critère pour confirmer et accepter la mort. contraints de redonner un peu d’oxygène au petit, mais,
Le Comité de Harvard ne mit que six mois à effec- dans l’embarras le plus général vis-à-vis de la résistan-
tuer le travail, et publia son rapport dans le « Journal ce autonome de l’enfant, ils cessèrent alors toute ali-
of the American Medical Association » le 5 août de la mentation, avec pour conséquence de le laisser littéra-
même année, et proposa, sans aucune opposition, que lement mourir de faim.
l’état d’irréversibilité du patient en état de coma soit Le Dr Coimbra, lors de son intervention au congrès,
dorénavant diagnostiqué sur des bases purement fonc- a montré, études et données scientifiques à l’appui, que
tionnelles 2. beaucoup des médicaments importants qui devraient
L’équipe d’Harvard profita en outre de ce que l’on être administrés à des patients atteints de graves lésions
avait dépassé les obstacles légaux à la transplantation cérébrales et prêts pour être déclarés « mort cérébrale-
présents aux États-Unis, pour redéfinir la mort : « des ment » ne sont pas administrés, et parmi eux en pre-
critères obsolètes pour la définition de la mort peuvent mier lieu l’hormone thyroïdienne, indispensable pour
mener à des controverses dans l’obtention d’organes les centres respiratoires. En n’administrant pas ces
pour la transplantation 3. » médicaments, on compromet le cycle hématique et les
centres respiratoires eux-mêmes, qui ainsi ne répon-
Aspects cliniques contre la « brain death » dent pas aux tests d’apnée utilisés pour chercher à
Pendant le congrès de Rome, en particulier dans les constater la « brain death ». Ces tests, qui sont en sub-
interventions de la professeure Doyen Nguyen, ont été stance proposés comme diagnostics, finissent en réalité
abordées les évidences cliniques et scientifiques contre par endommager de façon irréversible tout le tronc
ceux qui veulent déclarer que la « mort cérébrale » encéphalique. Nous nous trouvons face à une véritable
existe par systématicité scientifique. inversion de l’éthique médicale et biologique avec ces
méthodes de preuve de la MC, en particulier le test
La mort est avant tout un événement, et non un pro- d’apnée, dans lequel toute la ventilation est suspendue
cessus qui peut se dérouler à travers une cessation gra- chez la personne gravement cérébrolésée pendant un
duelle des fonctions principales de l’encéphale. maximum (sic !) de dix minutes de façon à constater si
De nombreux cas de continuation de grossesse puis elle est « cérébralement morte » et incapable de respi-
de naissance du fœtus se sont vérifiés chez des per- ration spontanée, laquelle peut être soutenue par un
sonnes se trouvant, à la suite d’accidents graves ou respirateur, en regardant seulement la fonction de
plus généralement d’hémorragies cérébrales, en état de pompe musculaire du diaphragme et non les poumons
coma profond et jugé irréversible. Comment une vie et la respiration.
humaine pourrait-elle continuer à se former, et même Dans le processus d’un tel test, que nous pourrions
naître, chez un sujet mort ? Tout cela est évidemment comparer à la demande faite à un homme tout juste
impossible et va à l’encontre de toute logique dictée opéré des poumons de faire une course dans la cam-
par la loi naturelle elle-même. pagne, on montre un total désintérêt pour le donneur
Certains voudraient affirmer que la respiration artifi- d’organes, comme si celui-ci n’était pas une personne
cielle est l’un des moyens utilisés pour maintenir en humaine mais juste un réservoir d’organes séparés les
vie des patients qui, autrement, mourraient. Cela aussi uns des autres.
est absolument faux : la respiration à travers trachéoto- En réalité, à cause des tests d’apnée, fortement
mie ne peut fonctionner que si le patient est vivant et a contre-indiqués du point de vue médical, beaucoup de
pour seule fonction d’oxygéner le sang et de soutenir, patients meurent de mort réelle. Par conséquent appli-
mais pas forcément de remplacer, la respiration du quer ce test clinique comme diagnostic, prescrit par les
patient. Quand on a retiré la ventilation au petit Alfie codes éthiques et par les lois médicales avant la décla-
Evans, on ne lui avait donné que quelques minutes de ration de « mort cérébrale », est irresponsable et même
vie, car on soutenait que c’était le respirateur méca- une négligence criminelle de l’intérêt des patients.
nique qui le maintenait en vie. À la grande stupeur de
tous, au contraire, l’enfant continua de respirer de La réalité, c’est que, comme cela a été écrit dans le
protocole de Pittsburgh en 1993, on a « besoin d’or-
ganes », d’organes qui soient bien conservés, et donc –
2. M. GIACOMINI, « A Change of Heart and a Change of seule modalité possible – dans des corps vivants.
Mind ? Technology and the Redefination of Death in 1968 »,
En effet, si l’on y réfléchit, une personne morte est
in « Social Science and Medicine », 44, 10, 1997, pp. 1465-
1482. C ICERO G ALLI C OIMBRA : « Le test d’apnée : un
habituellement transportée à la morgue, ou bien dans
"désastre" létal au chevet du malade pour éviter un une chapelle ardente ; les patients pour lesquels a été
"désastre" légal en salle d’opération », in « Finis vitæ. La déclarée la « mort cérébrale », on se demande bien
morte cerebrale è acora vita ? », p. 144. pourquoi, sont transportés en salle d’opération. Une
3. A Definition of Irriversible Coma. Report of the Ad Hoc fois dans l’abattoir, avant d’éventrer un corps déclaré
Committee of the Harvard Medical School of Exmaine Brain mort dont le cœur bat encore, et dont la température
Death », in « Journal of the American Medical Associa- correspond encore aux paramètres vitaux de la norme,
tion », 205, 1968, pp. 337-340. les anesthésistes procèdent à l’administration de puis-
Octobre 2019 Courrier de Rome 7
âme-corps : c’est-à-dire l’être humain lui-même. qui confie substantiellement l’identification des signes
Certains, parmi de prétendus philosophes catholiques biologiques pour constater la mort à un « moyen scien-
mais en réalité fils d’une philosophie matérialiste, ont tifiquement certain ».
tenté de résoudre la question en concluant que l’âme Le discours se poursuit avec l’admission en substan-
résiderait dans le cerveau. Mais cette conclusion est ce et l’acceptation de la « conception anthropolo-
absurde tant du point de vue bio-historique que du gique » de la « mort cérébrale » :
point de vue évolutif : si l’âme est présente dès la « En ce qui concerne les paramètres utilisés aujour-
conception, quand le cerveau n’est pas encore présent, d’hui pour déclarer avec certitude la mort – que ce
comment l’âme peut-elle résider dans le cerveau ? soient les "signes cérébraux" ou les signes cardio-respi-
L’âme réside plutôt dans tout le corps. ratoires plus traditionnels – l’Église ne prend pas de
Des hommes d’Église en faveur de l’explantation décisions techniques. Elle se limite au devoir évangé-
et de la prédation des organes ? lique de comparer les données offertes par la science
médicale avec une conception chrétienne de l’unité de
Le peu de connaissance de l’âme et le maigre intérêt la personne, en soulignant les similitudes et les conflits
pour son salut sont communs dans la hiérarchie actuelle. possibles capables de mettre en danger le respect pour
Il n’est donc pas étonnant que le laissez-passer donné à la dignité humaine. Ici, l’on peut dire que le critère
certaines des théories qui voudraient faire résider l’âme adopté récemment pour déclarer avec certitude la mort,
dans le cerveau, de façon à enjamber d’éventuels obs- c’est-à-dire la cessation complète et irréversible de
tacles philosophiques et théologiques pour tuer les per- toute activité cérébrale, s’il est rigoureusement appli-
sonnes soit arrivé jusqu’aux milieux modernistes. qué, ne semble pas en conflit avec les éléments essen-
Bien que l’Académie Jean-Paul II porte le nom du tiels d’une anthropologie sérieuse. »
Pape Wojtyla, on a pu entendre, pendant le congrès, de Une totale impréparation sur un sujet qui allait ensui-
nombreuses critiques objectives de certaines de ses te se répandre dans toutes les académies « pro-life » de
déclarations à propos de la « MC », en particulier dans l’Église Catholique.
les discours adressés aux participants au Congrès Mon-
dial pour les Transplantations, à la fin des années Même Ratzinger – quand il était encore le cardinal
quatre-vingt-dix et en 2000. Ratzinger – n’y échappa pas. Peu de gens savent que le
prélat bavarois tint à faire un remarquable coming-out.
S’il est vrai que la hiérarchie actuelle ne s’est jamais
C’était en 1999, quand, dans une interview accordée à
prononcée de façon officielle sur ce sujet (et ceci n’est
La Repubblica, le Préfet de la Congrégation pour la
assurément pas un bien), il est également vrai que les
Doctrine de la Foi déclara ouvertement qu’il s’était ins-
rares discours et les rares documents existants auxquels
crit sur une liste de donneurs d’organes, définissant ce
on peut se référer – comme par exemple les chapitres
don comme « un acte d’amour moralement permis, qui
consacrés aux transplantations présents dans la Nuova
doit toutefois être fait volontairement ». Cette inscrip-
Carta degli operatori Sanitari 6 de 2017 – sont remplis,
tion fut ensuite annulée quand il fut élu Pape, car les
comme toujours avec le modernisme – d’une glaçante
organes des Papes – du moins pour le moment – ne
ambiguïté.
peuvent pas être explantés. La chose constituerait en
Prenons justement pour exemple un extrait d’un dis- effet une parfaite analogie : l’Église pillée par la « néo-
cours que Jean-Paul II adressa le 29 août 2000 aux par- église » prédatrice.
ticipants au Congrès International sur les Transplanta-
Revenons à l’acte d’amour : peut-on parler d’« acte
tions :
d’amour » pour le don d’organes ? Manifestement,
« La mort de la personne, comprise dans son sens étant donné les conditions et les argumentations
premier, est un événement qu’aucune technique scien- exprimées jusqu’ici au sujet de la notion de « mort »
tifique ni empirique ne peut identifier directement. par les préposés à la transplantation, la réponse est non.
Pourtant, l’expérience humaine montre que lorsque la Mais ce n’est pas seulement pour ces raisons, et c’est
mort a lieu, certains signes biologiques suivent inévita- encore le Dr Paul Byrne qui nous l’a expliqué à Rome,
blement, que la médecine a appris à reconnaître avec lorsqu’il a avec courage déclaré haut et fort qu’il était
une précision croissante. Dans ce sens, le "critère" pour temps d’en finir avec le faux angélisme selon lequel
déclarer avec certitude la mort utilisé par la médecine donner ses organes est un acte de bonté. Byrne a étayé
aujourd’hui ne devrait pas être compris comme la sa prise de position en soutenant à juste titre que notre
détermination technique et scientifique du moment corps est une chose inviolable et disposée par Dieu, et
exact de la mort d’une personne, mais comme un que pour aucune raison on ne peut le priver de ce qui le
moyen scientifiquement certain d’identifier les signes compose.
biologiques qui montrent qu’une personne est effecti-
vement morte. » Conclusion
En particulier dans la dernière phrase, on peut facile- Toutes ces considérations ne peuvent nous mener
ment reconnaître une définition ambiguë des « nou- qu’à une conclusion : la définition et le critère de
veaux critères pour déclarer avec certitude la mort », « mort cérébrale » doivent être considérés comme
aberrants à tous points de vue : clinique, éthique, philo-
sophique. Nous devons continuer à nous battre pour
6. Nouvelle Charte des Professionnels de Santé. affirmer que la seule notion à laquelle on peut se réfé-
Octobre 2019 Courrier de Rome 9
rer est celle de la mort clinique ou naturelle. Tout le Tout cela n’est rien d’autre que la subversion bioé-
reste et une nébuleuse de mots, savamment créée pour thique. Mais surtout un renversement satanique de la
permettre les explantations à cœur encore palpitant, Croix du Christ, qui par son Sacrifice perpétuel a
une véritable industrie des organes et de corps char- détruit toute tentative de sacrifice humain aux dieux de
cutés, dont on estime le chiffre d’affaires à 51 millions païens, réhabilitant l’homme dans sa noblesse spirituel-
de dollars entre 2017 et 2025 7. le et corporelle, de sa conception à sa mort naturelle.
La mort n’est pas liée à un jugement arbitraire puis- Citant une magnifique adaptation latine du prof.
qu’elle porte avec elle des caractéristiques évidentes et
Joseph Seifert, nous pouvons conclure en disant : Cete-
puissantes. En revanche il est totalement arbitraire
d’identifier un événement aussi flagrant que la mort rum censeo definitionem mortis cerebralis esse delen-
avec la « mort » du tronc encéphalique. dam.
Opposons-nous aux nécro-culteurs du nouveau millé- Cristiano Lugli
naire, fidèles héritiers d’une culture païenne réapparue Traduit de La Tradizione Cattolica, n° 2, 2019
et prête à faire son appel mortifère : revenir au sacrifice
humain, c’est-à-dire à l’idée d’« aider quelqu’un » en
tuant et en sacrifiant quelqu’un d’autre. Tuer un indivi- 7. https://www.grandviewresearch.com/press-release/global-
du pour sauvegarder la collectivité. transplantation-market.
Francisco de Roma e Francisco de Assis – Uma nova truction d’un nouveau front international, après la fin
primavera na Igreja ? (Mar de Ideias, 2014). Le slogan de l’Union Soviétique et la chute du Mur de Berlin.
de Hummes est que « le cri de la nature et le cri des Dom Claudio Hummes affirma que « Lula est autant
pauvres sont le même unique cri » (Il Sinodo per catholique que tous les autres catholiques du Brésil »
l’Amazzonia, p. 29), en répétant à la lettre le titre d’un (O Estado de San Paolo, 7 avril 2005) et pendant une
livre ultra-écologiste de Leonardo Boff, Grido della Messe dans la chapelle de l’Alvorada à Brasilia il le
Terra, grido dei poveri – Per una ecologia cósmica (tr. compara à Jésus-Christ et à saint François (Folha de
it. Cittadella, 1996). San Paolo, 28 mai 2007).
Critique féroce du gouvernement de Bolsonaro, Le cardinal Walter Brandmüller a manifesté son opi-
Hummes a participé le 2 septembre dernier à un mee-
nion sur l’influence du cardinal Hummes dans le Syno-
ting, à São Paulo du Brésil, qui a réuni tous les secteurs
de de l’Amazonie avec ces mots : « Le fait même que
de la gauche brasilienne, avec la participation du socio-
logue américain Noam Chomsky. le cardinal Hummes soit le président (rapporteur géné-
ral) du Synode et qu’il exerce ainsi une influence
Dans la ville de Santo André, où Hummes a été sérieuse dans un sens négatif est suffisant pour que
évêque jusqu’à 1996, naquit en 1980 le Parti des Tra- notre préoccupation soit fondée et réaliste. » Samedi
vailleurs (PT), fruit de l’union des syndicalistes, des 5 octobre, alors qu’au centre de Rome un congrès
intellectuels progressistes de l’Université de São Paulo
international, de l’Institut Plinio Corrêa de Oliveira,
et des catholiques de la Théologie de la Libération.
dénonçait l’orientation panthéiste du Synode sur
Hummes est un très bon ami de Luiz Inácio Lula da
Silva, ancien président communiste brésilien qui a été l’Amazonie, dans les Jardins du Vatican avait lieu une
condamné à une peine de douze ans et un mois de pri- cérémonie en honneur des divinités païennes de la fer-
son pour corruption, recyclage et d’autres crimes. Lors tilité, avec la bénédiction du cardinal Hummes et du
des manifestations des syndicalistes des années quatre- pape François.
vingt au Brésil, l’ancien évêque de Santo André autori- Le cardinal Hummes est au Synode de l’Amazonie
sa les paroisses à en accueillir les disciples. ce que le cardinal Kasper était au Synode sur la famil-
Pendant son épiscopat à Santo André, dom Hummes le. Tous les deux sont des hommes de confiance du
choisit comme responsable de la Pastorale Ouvrière Pape, tous les deux ont participé à la mystérieuse ren-
l’agitateur dominicain Frei Betto, et autorisa son pre- contre du 25 juin de cette année, pour planifier la
mier voyage à Cuba (Américo Freire e Evanize Sydow, stratégie ultra progressiste des prochains mois). Leur
Frei Betto – Biografia, préface de Fidel Castro, Civili- rôle de destruction de l’Église doit être documenté,
zação Brasileira, 2016, pp. 246-247). De cette ren- aussi en future mémoire.
contre, grâce à Frei Betto, entre Lula et Fidel Castro,
Roberto de Mattei
en 1990 naquit le Forum de São Paulo, l’organisation
latino-américaine qui rassemble tous les groupes poli- Correspondance européenne : http://www.correspon-
tiques d’extrême gauche ayant comme but la recons- danceeuropeenne.eu, 11 octobre 2019
consacrer à Dieu en devenant prêtre. comment avez-vous eu l’idée d’offrir tous vos mérites
« Je me retirai pour faire une retraite et j’ai tout pour une âme complètement inconnue ? » « J’en ai pris
expliqué à mon confesseur. À trente ans je commençais l’habitude encore quand j’étais dans le monde », était
alors des études de théologie. Le reste vous est connu. sa réponse. « À l’école, le curé nous a appris comment
Et si vous pensez maintenant que je fais du bien, vous il faut offrir ses mérites pour ses proches. D’ailleurs,
savez qui en a réellement le mérite. C’est cette reli- avait-il dit, il faut beaucoup prier aussi pour les per-
gieuse qui a prié pour moi, peut-être sans même me sonnes dont l’âme est en danger de se perdre. Mais
connaître, car je suis persuadé que quelqu’un a prié comme Dieu seul sait qui en a plus besoin, la meilleure
pour moi et qu’il le fait encore et que sans cette prière chose est d’offrir ses mérites au Sacré-Cœur de Jésus
je ne serai pas là où Dieu m’a mis aujourd’hui. » afin qu’il les accorde à l’âme qu’il a choisie dans sa
sagesse divine. C’est ainsi que je l’ai fait, conclua-t-
« Avez-vous une idée de la personne ou du lieu où on elle, et j’ai toujours pensé que Dieu trouverait cette
a prié pour vous ? » demanda l’évêque du diocèse. âme. »
« Non, je peux seulement prier Dieu tous les jours
qu’il la bénisse, et si elle vit encore, et qu’Il lui rende Jour de naissance et de conversion
mille fois ce qu’elle a fait pour moi. » « Quel âge avez-vous ? » demanda Ketteler. « Tren-
te-trois ans » était la réponse. Frappé, l’évêque s’arrêta
La sœur de l’étable un instant. Puis il dit : « Quand êtes-vous née ? »
Le jour suivant, Monseigneur Ketteler visita un cou- Connue la date, l’évêque ne put retenir une exclama-
vent de la ville et y célébra la Sainte Messe. Il était tion. Le jour de la naissance de la sœur était le jour de
déjà à la fin de la distribution de la communion quand la conversion de l’évêque ! Ce jour-là, il l’avait vue
son regard resta fixé sur une sœur. Il devint très pâle et exactement comme il la voyait maintenant devant lui.
resta figé ; mais se reprenant avec peine il donna la « Et ne savez-vous pas du tout si votre prière et vos
Sainte Communion à la sœur si pieuse qui n’avait rien sacrifices ont eu du succès ? », « Non, Monseigneur. »
remarqué du retard. Calmement il finit la Sainte Messe. « Et souhaitez-vous le savoir ? ». Réponse : « Le Bon
L’évêque du diocèse dont il était l’invité, était venu Dieu le sait, et cela suffit. » L’évêque était bouleversé.
au couvent pour le petit-déjeuner. Après celui-ci, Mon- « Alors continuez au nom de Dieu ! » dit-il.
seigneur Ketteler pria la Mère prieure de rassembler La sœur s’agenouilla pour demander la bénédiction.
toutes les sœurs et bientôt toutes furent réunies. Les Et avec une profonde émotion Ketteler la bénit : « Je
deux évêques s’approchèrent d’elles et Monseigneur vous bénis avec toute la force et la puissance qu’un
Ketteler survola d’un regard les rangées des sœurs. évêque possède pour bénir. Je bénis votre âme, je bénis
Mais il ne semblait pas trouver ce qu’il cherchait. Dou- vos mains pour le travail. Je bénis votre prière et vos
cement il s’adressa à la Mère prieure : « Est-ce que sacrifices, vos efforts et votre obéissance. Je vous bénis
vraiment toutes les sœurs sont ici ? » Celle-ci regarda tout spécialement votre dernière heure et demande à
attentivement toutes les sœurs et dit ensuite : « Mon- Dieu qu’Il vous soutienne à ce moment-là avec toutes
seigneur, je les ai toutes fait appeler mais en effet il ses consolations. » Amen répondit la sœur qui se leva
manque une sœur. » « Pourquoi n’est-elle pas et partit.
venue ? » « Elle s’occupe de l’étable d’une façon si
exemplaire qu’elle oublie parfois dans son zèle les Une leçon pour toute la vie
autres devoirs. » « Je souhaiterais voir cette sœur. » L’évêque, ébranlé intérieurement, retourna chez son
Après un certain temps elle arriva. Encore une fois ami, l’ordinaire du diocèse et lui confia : « Maintenant,
l’évêque pâlit et après quelques mots adressés à toutes j’ai trouvé celle à qui je dois me conversion. C’est la
sœurs, il demanda de le laisser seul avec cette sœur. plus insignifiante et pauvre du couvent. Je ne peux pas
« Me connaissez-vous ? » demanda-t-il alors. « Je assez remercier Dieu pour sa miséricorde car cette reli-
n’ai jamais vu son excellence. » « Avez-vous une fois gieuse prie pour moi depuis presque vingt ans. Dieu a
prié ou fait des bonnes œuvres pour moi ? » demanda accepté sa prière par avance et a permis ma conversion
Monseigneur. « Je n’en suis pas consciente parce que le jour de sa naissance, voyant déjà ses prières et ses
je n’ai jamais entendu parler de Votre Excellence. » bonnes œuvres pour moi. Quelle leçon et quel avertis-
Puis l’évêque demanda : « Quelle dévotion préférez- sement pour moi ! Si jamais j’ai la tentation de devenir
vous ou que vous pratiquez ? » « La dévotion au Sacré- orgueilleux devant les hommes à cause de certains
Cœur », fut la réponse. « Il me semble que vous avez le succès, je devrais toujours me rappeler : ceci tu le dois
travail le plus dur dans le couvent. » « Oh non, Mon- à la prière et au sacrifice d’une pauvre religieuse qui
seigneur, mais je ne peux pas nier qu’il me répugne. » travaille dans l’étable d’un couvent. Et si un travail me
« Et que faites-vous lors que viennent ces contra- semble insignifiant, je penserai que cette sœur se sacri-
riétés ? » « J’ai pris l’habitude de faire justement ces fiant dans un esprit d’obéissance et avec un effort sur
choses qui me coûtent avec plaisir et zèle pour l’amour elle-même, a obtenu devant Dieu les mérites qui ont
de Dieu. Et alors je me sacrifie pour une âme de ce donné un évêque à l’Église.
monde. C’est à Dieu de choisir cette âme, je lui laisse Traduit de La Tradizione Cattolica, n° 2, 2019
cette décision et je ne veux pas savoir. L’heure d’adora-
tion devant le Saint Sacrement, tous les soirs de huit à
neuf heures, je l’offre aussi à cette intention. » « Et
12 Courrier de Rome Octobre 2019
Le droit de la messe
romaine
À partir du début de 1964, la litur-
gie latine entre dans une période de
très forte mutation, à la suite de la
Constitution Sacrosanctum Conci-
lium, promulguée le 3 décembre
1963 par le concile Vatican II (1962-
1965).
En 1967, se fonde le bimensuel
Courrier de Rome, qui va contester
310 pages, 21 € cette réforme liturgique et bien
d’autres bouleversements auxquels ce concile a ouvert les
portes.
L’abbé Raymond Dulac est alors l’un des premiers ani-
mateurs et rédacteurs de ce périodique. D’une plume alerte
et chatoyante, emplie d’allusions littéraires et historiques,
avec une vigueur polémique remarquable, il va démonter
(Prix 22 €, 25 € avec frais de port) un à un tous les prétendus arguments, historiques, théolo-
Après 50 ans, il est plus facile de faire un bilan sérieux giques, liturgiques, canoniques, pastoraux, qu’on apporte
du Concile Vatican II, bilan d’autant plus objectif que en faveur de ce formidable bouleversement.
moins passionné : le recul commence désormais à être L’abbé Dulac s’attache particulièrement, analyse minu-
suffisant. tieuse à l’appui, à démontrer que la messe en vigueur au
Alors que les arguments triomphants et déclamatoires moment du concile Vatican II, messe dite « de saint
ont perdu une bonne partie de leur consistance, les Pie V » (du nom de celui qui en publia en 1570 une version
catholiques ont été largement déçus dans leur autorisée), n’a jamais été interdite, et ne pouvait l’être en
espérance. Au lieu du printemps et du renouveau aucun cas : une conclusion reconnue officiellement comme
annoncés, ils ont vécu et vivent encore une crise vraie, vingt ans après sa mort, par le Motu Proprio Summo-
ecclésiale universellement reconnue. Cependant, un rum Pontificum.
vrai débat sur le Concile a été enfin ouvert. L’abbé Dulac aborde, dans ce recueil des principales
Les intervenants de ce Congrès (historiens, chroniques qu’il a publiées entre 1967 et 1972, bien
philosophes, théologiens…) ont su montrer avec une d’autres points d’histoire liturgique et ecclésiastique, de
grande compétence que les racines doctrinales et droit canonique, de philosophie politique, de théologie, de
pastorales de la crise de l’Église, se trouvent dans les littérature, qui éclairent d’un jour saisissant la situation
textes mêmes du Concile, au-delà de toute actuelle de l’Église et de la société.
herméneutique. L’abbé Raymond Dulac (1903-1987), ancien élève du
Les travaux de ce Congrès montrent qu’il est plus que Séminaire français de Rome, diplômé en philosophie, théo-
jamais nécessaire de continuer ces études à peine logie, droit canonique et lettres, successivement curé,
commencées. Car seul un débat sérieux pourra aumônier de lycée et avocat ecclésiastique, fut de 1967 à
clarifier les textes de Vatican II, dont la valeur dépend 1971 la principale « plume » du bimensuel Courrier de
essentiellement de sa conformité à la Tradition. Rome.