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Article Association Indigène

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International Journal of Scientific Research and Management (IJSRM)

||Volume||10||Issue||10||Pages||SH-2022-1263-1268||2022||
Website: www.ijsrm.in ISSN (e): 2321-3418
DOI: 10.18535/ijsrm/v10i10.sh04

Les Associations D’entraide D’indigènes En Côte D’ivoire Coloniale


1937-1960
Lékpéa Alexis DEA, Soro Doyakang Fousseny
enseignant-chercheur, Maitre-Assistant, département d’Histoire, Université Jean Lorougnon Guede Daloa,
BP 150 Daloa
enseignant-chercheur, Maitre-Assistant, département d’Histoire, Université Jean Lorougnon Guede Daloa

Résumé :
Les rapports entre colons et colonisés dans la colonie de Côte d’Ivoire ont longtemps été marqués par la
méfiance mutuelle et la domination totale des premiers, à savoir les colons sur les Indigènes Ivoiriens. De
nombreuses frustrations subies par ces derniers les ont finalement conduits à s’organiser pour assurer leur
survie sur leur propre territoire désormais confisqué par le colonisateur français. L’un des cadres de cette
organisation fut l’association d’entraide qui fait son apparition à partir de 1924. Si l’objectif des premières
associations d’Indigènes était de créer un climat de solidarité et d’entraide dans une société sous forte
domination étrangère, progressivement, ces associations se transforment en de véritables mouvements de
revendication syndicale et politique. Cet article, réalisé sur la base de documents d’archives et
d’informations issues d’ouvrages divers sur l’Histoire coloniale de la Côte d’Ivoire est une contribution à
l’étude de la vie sociale et particulièrement communautaire des Indigènes dans la colonie de Côte
d’Ivoire.

Mots-clés : Associations, Indigènes, colonies, émancipation, politique.

Summary :
Relations between settlers and colonized in the colony of Côte d'Ivoire have long been marked by mutual
distrust and the total domination of the former, namely the settlers over the Indigenous Ivorians. Many
frustrations suffered by the latter finally led them to organize themselves to ensure their survival on their
own territory now confiscated by the French colonizer. One of the frameworks of this organization was the
mutual aid association which appeared in 1924. If the objective of the first indigenous associations was to
create a climate of solidarity and mutual aid in a society under strong foreign domination, gradually, these
associations are transformed into real trade union and political protest movements. This article, produced on
the basis of archival documents and information from various works on the colonial history of Côte d'Ivoire,
is a contribution to the study of the social and particularly community life of the Indigenous peoples in the
colony of Ivory Coast.

Keywords: Associations, Natives, colonies, emancipation, politics.

L’un des tristes et inoubliables souvenirs de la colonisation française en Côte d’Ivoire est celui des
frustrations de tous genres subies par les populations indigènes sur leur propre territoire. Pour les témoins
encore vivants de cette douloureuse époque, les blessures psychologiques provoquées par la colonisation
restent encore béantes et très puantes. Pour la mémoire collective des Ivoiriens, il s’agit d’un épisode assez
triste pour l’Histoire du pays, qui a laissé des traces que plus rien ne peut effacer. En effet, l’une des
caractéristiques de la colonisation de la Côte d’Ivoire a été l’écart entre colons et colonisés. Cet écart se
manifestait par la création et la juxtaposition de deux sociétés diamétralement opposées à tous les niveaux.
D’un côté, il y avait la société dite "civilisée", celle de Européens et de leurs assimilés qui avaient le droit et
le privilège de "vivre" et de l’autre côté se trouvait la masse compacte des Indigènes, privée de toute liberté

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et luttant quotidiennement pour sa survie. L’un des cadres visibles de cette triste catégorisation sociale est
l’association ou le cercle d’amitié.
D’abord exclusivité européenne, les premières associations et cercles d’amitié n’accordaient aucune place
aux indigènes. Elles étaient le lieu par excellence de "recréation" de la société européenne. Les Indigènes,
pourtant nombreux et d’origines diverses, ont longtemps vécu frustrés à côté et en marge de cette société. Il
a fallu attendre 1937 pour voir le droit d’associations accordé aux populations africaines, notamment
ivoiriennes. Les associations qui se créent par ceux-ci sont une tentative de réponse à la frustration subie de
la part des Européens depuis le début de la colonisation.
Il est vrai que la question de l’associationnisme en Côte d’Ivoire a intéressé d’éminents auteurs tels que
Jean Noël Loukou (1976), Alain Tirefort (1979) et Kipré (2005). Mais les associations à caractère fraternel
et social créées par les Indigènes dans le but de lutter contre les frustrations coloniales sont très peu étudiées.
Pourtant, il s’agit d’un aspect important de l’Histoire coloniale de la Côte d’Ivoire. Cet article est donc une
contribution à la connaissance de la société coloniale qui tente d’expliquer les différences sociales créées par
le fait colonial avec son corollaire de frustrations inoubliables à partir de l’exemple des associations.
Construit sur la base d’informations issues des archives nationales, notamment du Journal officiel, et
d’ouvrages divers sur l’histoire de la Côte d’ivoire, cette contribution est organisée autour de trois axes. Le
premier axe présente les facteurs de la création de ces associations indigènes. Le deuxième présente les
associations et leurs objectifs et le troisième axe est consacré à leur impact sur la société coloniale.
I- Les facteurs de la création des associations d’indigènes en Côte d’Ivoire
La création des associations typiquement indigènes dans la colonie de Côte d’Ivoire s’explique d’une part
par l’attitude des colons à l’égard de la population autochtone, mais aussi par l’évolution politique marquée
par la loi de 1936 qui accorde un peu plus de liberté aux Indigènes.
1- Les frustrations coloniales
« J’ai parlé de contact. Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée,
l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le
mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des
masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui
transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en gardes-chiourme, en chicotte et
l’homme indigène en instrument de production. » (A. Césaire, 2004, pp22-23)
Ces propos du poète traduisent l’essentiel des rapports entre colons et colonisés en Côte-d’Ivoire. En
effet, l’une des manifestations majeures de la colonisation française en Côte d’Ivoire est d’avoir créé un
véritable fossé entre colons et colonisés. Cette distanciation sociale s’explique, dans un premier temps, par le
regard mutuel de ces deux catégories sociales. Il est important de noter que jusqu’en 1925, la civilisation
africaine en général et ivoirienne en particulier, était perçue par les Européens comme « un état de
civilisation voisin de la sauvagerie »1. Aussi, les rapports politiques de 1913 à1929 sur les noirs vivant en
Côte-d’Ivoire présentent ces hommes comme des êtres primitifs, barbares, non civilisés, bref, comme des
êtres inférieurs auxquels il était impossible pour les Européens de s’associer. Ce portrait du noir a créé chez
le Blanc un véritable complexe de supériorité.
Dans un second temps, il faut relever la méfiance qui reste un élément explicatif de cette grande
distance entre colons et colonisés. Gustave De Meyer, en partant pour la colonie de Côte-d’Ivoire a reçu en
guise d’adieu la phrase suivante : « Vous êtes fou pour aller chez ces sauvages, ils vont vous manger. » (A.
DEA, 2008, p50). Les Européens dans la colonie de Côte-d’Ivoire, bien que maîtres des lieux, étaient
généralement animés par un sentiment d’insécurité et de méfiance.
En plus et en conséquence de ces préjugés entretenus sur les populations ivoiriennes, la vie des
Européens en Côte d’Ivoire a longtemps été caractérisée par le reflexe racial, souvent perceptible au sein des
premiers associations et clubs d’amis qui ont vu le jour dans la colonie. L’histoire de ces associations nous
montre un net clivage entre les blancs et les noirs. Ces associations, typiquement européennes n’admettaient
en leur sein aucun Africain, même citoyen français d’origine sénégalaise (A. Tirefort, 1989, p274).

1
ANCI, Guide du colon, 1925 (sp)
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Le réflexe racial ne se limite pas aux seules associations volontaires. Il apparaît aussi à l’occasion des
réceptions officielles et des fêtes. Selon une expression de l’époque, « chacun doit rester à sa place ». Le
colonisateur ne se mêle pas au colonisé et vice versa (P. Kipré, 2005, p185). Cette discrimination est
entretenue par le code de l’indigénat qui distingue rigoureusement Blancs et Noirs demandant aux noirs de
rester à leur place.
Si animés par le complexe de supériorité, les Blancs ne s’associent pas aux Noirs, les Indigènes
quant à eux admettent leur statut d’infériorité et n’osent même pas s’approcher des colons qu’ils observent et
envient à distance. Comme le rapporte cet instituteur guinéen, décrivant la vie des Européens au cercle
sportif de Bingerville, aucun Africain de cette époque ne pouvait cacher son admiration de l’organisation
sociale des Européens en Côte d’Ivoire:
« Presque tous les blancs se retrouvaient le soir au cercle après le travail. C’étaient les
retrouvailles. On buvait, on jouait on se racontait les aventures heureuses et malheureuses
survenues au bureau, à la plantation, à la factorerie ou à la maison chez soi. Pour les noirs une
telle ambiance était alléchante. Nous les regardions avec envie, ils avaient l’air de s’entendre. »
(J. Ngolo, 1981, p130)
Les Africains (Indigènes) se sont contentés de leur place donnée par le colonisateur. Même au niveau
des habitations, des lieux de travail, des postes et des salaires, la discrimination était toujours exprimée.
Ainsi, dans chaque ville, l’on trouvait des quartiers européens et des quartiers indigènes. Cette
discrimination a provoqué une véritable frustration à laquelle les Indigènes ne pouvaient répondre qu’à
travers la création de leurs propres associations.

2- La loi de 1937
En mai 1936 le candidat du Front Populaire GEORGE Nouelle est élu en France. Avec cette victoire du
Front Populaire et l’installation à la tête des colonies de personnalités proche de ce parti, des mesures sont
prises qui doivent traduire dans la colonie les acquis de juin 1936 (A. DEA, 2008, p45.). La promulgation
des décrets du 11 mars 1937 annonce une rupture avec les pratiques antérieures. Deux textes autorisent la
création des associations et syndicats en Côte-d’Ivoire, comme ailleurs en AOF dans l’entre-deux-guerres.
Ce sont le décret du 11 mars 1937 fixant les conditions d’application en AOF des titres 1 et 2 du livre III du
code du travail et le décret du 20 mars 1937 instituant les associations professionnelles pour la
représentation et la défense des intérêts de certains travailleurs indigènes.
Ces lois, bien que restrictives dans leur application, donnent un certain droit d’association et de contestation
aux Africains (M. Zehe, 1985, p27).
II- Les associations d’Indigènes et leurs objectifs
1- La création des associations
Présentes déjà mais en très petit nombre sur le territoire ivoirien depuis le premier quart du XXè siècle, les
associations d’Indigènes se multiplient à partir de 1937 du fait de l’application du décret du 11 mars de cette
même année. Elles concernent d’abord les assimilés, les Africains non ivoiriens et quelques Ivoiriens. Ainsi
sont créés successivement l'Union sénégalaise de Grand-Bassam et la Société amicale libano syrienne de
Grand-Bassam en I9242, le ‘’Réconfort Amical d’Anoumabo’’ et la Société Amicale de la Jeunesse
d’Adjamé (S.A.J.A) en 19313.
En 1937, l’on assiste à la naissance de l’Association de Défense des intérêts des Autochtones de la Cote
d’Ivoire (A.D.I.A.C.I.)4 qui donnera naissance à la (Mutualité bété). D’autres associations d’entraide et de
solidarité ethnique, telle l’Union fraternelle de la jeunesse attié et ébrié originaire du cercle des lagunes
(créée en 1937), la Société Amicale de bienfaisance de la Jeunesse Abbey à Abidjan (1937), la Société des
jeunes Bété d’Agboville (1938) et l’UFOCI (Union fraternelle des originaires de Côte d’Ivoire, créée en
1939) naissent avec pour principal leitmotiv, la défense de la cause des « Côte d’Ivoiriens », comme on
disait à l’époque.

2- Les caractéristiques et objectifs de ces associations

2
Statuts de l’Union Sénégalaise de Grand-Bassam, JOCI, 1924.
3
Statuts de la Société amicale de la Jeunesse d’Adjamé, JOCI, 1931.
4
Statuts de l’A.D.I.A.C.I, JOCI, 1937.
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Les associations d’entraide mises en place par les Indigènes en Côte d’Ivoire sont avant tout des associations
de taille moyenne et à caractère ethnique et nationaliste. Elles se développent d’abord autour de
ressortissants d’une même région ou des membres d’un même groupe ethnique résidant dans une localité
donnée. C’est ainsi que l’on peut identifier des associations des Bété d’Agboville, des originaires du cercle
des lagunes et bien d’autres. Avec une telle configuration, l’objectif poursuivi par les membres de ces
associations est de créer ou recréer les liens fraternels brisés par la mobilité liée à la colonisation. Il s’agit de
se refaire une famille dans laquelle les valeurs traditionnelles de solidarité et de fraternité réapparaissent et
sont respectées. En effet, pendant la période coloniale, les contraintes de mise en valeur des régions les plus
productives ont conduit l’administration à soumettre les populations à une immigration forcée vers ces
zones. Ainsi, contre leur gré, des hommes et des femmes se sont retrouvés loin de leur habitat d’origine,
maltraités, frustrés quotidiennement par le colon qui n’a pour objectifs que la domination et l’exploitation
des richesses. Pour faire face à ces vices coloniaux, les Indigènes créent ces associations pour se soutenir
mutuellement.
Ainsi, le "Reconfort d’Anoumabo", se définit-il comme un club qui réunit des individus dans un but de
rencontres amicales et de distractions, tout en gardant pour objectif essentiel le concours moral et pécuniaire
aux adhérents5.
Quant à la Société Amicale de la jeunesse d’Adjamé (S.A.J.A), elle se veut avant tout une société d’entraide
et de solidarité. L’article 23 de ses statuts précise que « pour tout membre frappé d’un malheur, la société
doit lui porter assistance »6. Quelle que soit l’association d’Indigènes de cette époque, le but est le même. Se
porter mutuellement assistance dans une ambiance fraternelle en vue d’échapper ou de résister aux
frustrations imposées par la colonisation.

III- L’impact de ces associations sur la société coloniale


Créées dans le but de développer la solidarité et l’entraide entre les Indigènes sous le poids de la
colonisation, les associations de colonisés finissent par jouer un rôle primordial dans le processus de prise de
conscience et d’émancipation des Ivoiriens. Elles ouvrent le chemin de la revendication et permettent de
jeter les bases d’un sentiment nationaliste, principal facteur de l’émancipation et de la décolonisation du
pays.

1- Le développement du sentiment nationaliste


Le mouvement associatif indigène en Côte d’Ivoire a eu pour premier impact le développement d’un
sentiment nationaliste dont l’une des manifestations majeures fut le rejet souvent violent des populations
d’origine étrangère. Bien que fondées souvent sur des bases ethniques, les premières associations se sont très
vite transformées en instrument de défense des Ivoiriens à l’échelle de toute la colonie. Ainsi, l’Union
fraternelle des originaires de Côte d’Ivoire (UFOCI), créée en 1939 se donne pour leitmotiv la défense de la
cause des "Côte d’Ivoiriens", comme on disait à l’époque. Comme le note R. BANEGAS (2000, p30).
« Ces associations revendiquaient la spécificité ivoirienne (…) et surtout la priorité à accorder aux "Côte
d’Ivoiriens" dans l’accès aux postes de l’administration coloniale et des entreprises de négoce ». La
politique d’ivoirisation des cadres de la fonction publique remonte à cette époque.
P. Kipré (2005, p132) rappelle que « ce sont ces associations qui seront à l’origine des premières violences
xénophobes à l’encontre des Dahoméens en 1928 ».
En effet, pendant la colonisation, la Côte d’Ivoire était considérée comme l’un des territoires les plus riches
sous la domination française. Par conséquent, sa mise en valeur était une priorité pour le colonisateur. Mais
le pays était alors sous-peuplé et ses populations avaient du mal à accepter la domination, ce qui suscitait de
nombreuses et sanglantes résistances.
« Pour corriger ces déséquilibres, les colons firent venir, aux côtés des Européens, des
auxiliaires africains non-ivoiriens. Ainsi, des Sénégalais appelés de Dakar alors capitale de
l’A.O.F. et des Dahoméens occupèrent les postes de commis dans l’administration. Ils
étaient également maçons, mécaniciens, commerçants, infirmiers, instituteurs » (S.
Bredeloup, 2003, p7).

5
Cf. Statuts du Réconfort d’Anoumabo, JOCI, 1931.
6
Article 23 de la SAJA, JOCI, 1931.
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Au regard de cette forte présence étrangère dans l’administration coloniale, les Ivoiriens se sentaient écartés
des privilèges professionnels par l’administration coloniale au profit des Etrangers, ce qui entrainait des
revendications à caractère xénophobes. Cette situation a donc conduit à plusieurs reprises à des violences
xénophobes contre les immigrés. Ainsi, en 1958, à l’initiative de la Ligue des originaires de Côte d’Ivoire
(LOCI), l’on assiste à une nouvelle explosion de violence contre les Dahoméens et les Togolais accusés de
la hausse du chômage urbain.
Ces premières associations d’Indigènes qui ont constitué le cadre d’éclosion du sentiment nationaliste
ivoirien, ont, par ailleurs, été un facteur important de prise de conscience et d’émancipation des populations
ivoiriennes.

2- La contribution à la construction d’un cadre de revendication et d’émancipation


Les associations d’Indigènes en Côte d’Ivoire ont jeté les bases d’un cadre de revendication. L’on peut
même affirmer sans risque de se tromper qu’elles ont été la mère du syndicalisme ivoirien. Si les toutes
premières associations s’étaient donné pour mission de réunir les ressortissants d’une même région autour
des valeurs de solidarité et d’entraide mutuelle en vue de faire face au "mal colonial", très vite, celles-ci se
muent en un véritable organe de défense des intérêts, et ce, à partir des années 40.
En effet, l’un des effets marquants de la loi de 1937 sur le mouvement associatif en Côte d’Ivoire en général
et dans le monde indigène en particulier a été d’avoir ouvert la voie au syndicalisme puis, plus tard, aux
partis politiques.
La création de L’Union Fraternelle des Originaires de Côte d’Ivoire, première véritable association de
contestation en 1929, et son remplacement en 1934 par l’Association de Défense des Intérêts Autochtones
(ADIACI), en vue de durcir la lutte contre la trop grande place prise par les « étrangers » dans la vie locale,
avait donné le ton d’un vaste mouvement de quête d’émancipation qui allait atteindre plusieurs régions de la
colonie. « On retrouve le même phénomène à la fin de la décennie dans l’Ouest de la colonie, alors que
celui-ci connaît une augmentation des flux migratoires et un développement de l’arboriculture » (V.
Bonnecase, 2017, p14). Une Mutuelle bété est ainsi créée en 1939, avant d’être remplacé six ans plus tard
par l’Union des Originaires des six Cercles de l’Ouest de la Côte d’Ivoire. La résistance des « autochtones »
face à l’augmentation de planteurs étrangers en constitue l’un des principaux fils directeurs.
« Face à ces mouvements porteurs de revendications d’autochtonie, d’autres organisations se
développent à l’initiative d’élites sociales. En 1937, des planteurs, profitant de l’assouplissement
de la législation coloniale sous le Front Populaire, créent le Syndicat agricole de Côte d’Ivoire
(SACI). Celui-ci rassemble au départ à la fois des exploitants Européens et Africains, mais la
différence de traitement des uns et des autres met rapidement un terme à cette association » (V.
Bonnecase, 2017, p14).
En 1944, sous la férule de Félix Houphouët-Boigny, les membres africains du SACI quittent ce syndicat
pour créer le Syndicat agricole africain (SAA). La majorité de ses adhérents est originaire du pays baoulé et,
dans une moindre proportion, des cercles dioulas et voltaïque du Nord.
En 1945, des intellectuels soutenus par des planteurs de la basse Côte-d'Ivoire créent le comité d'action
patriotique de Côte-d'Ivoire (C.A.PA.CI). C’est ce parti qui fait sa mutation en parti politique, le Parti
progressiste. Quant au syndicat agricole africain, il prend de plus en plus un caractère politique à partir de
1945 et réussit à former avec le parti des six cercles de l'Ouest un mouvement, parti de fait, qui recevra au
lendemain du congrès de Bamako en 1946, le nom de parti démocratique de Côte-d'Ivoire. En effet, comme
le fait remarquer F. Wodié (1969, p825),
« En 1944 avait été créé le Comité d'Etudes Franco-Africaines (C.E.F.A.). Les éléments « les
plus avancés » formèrent le groupe d'études communistes (G.E.C). Le P.D.CI. est né de la
fusion du C.E.F.A., du G.E.C., du groupe des six cercles de l'Ouest et du Syndicat Agricole
Africain. Aussi à sa naissance le P.D.C.I. était-il plus un front uni qu'un parti politique ».
En définitive, les syndicats d’Indigènes, et plus tard les partis politiques qui émergèrent en Côte d’Ivoire
pendant la période coloniale tirent leur source des associations d’entraide, nées dans le but de répondre aux
nombreuses frustrations coloniales.

Conclusion
Les associations indigènes d’entraide sont apparues en Côte d’Ivoire dans le contexte très douloureux de la
domination française. Les nombreuses frustrations et injustices subies par les Ivoiriens sur leur propre
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territoire pendant toute la période coloniale ont été à l’origine de ce mouvement associatif qui se voulait
avant tout une panacée contre toutes ces maltraitances. Organisées au départ sur la base de liens ethniques
ou régionaux, celles-ci avaient pour objectif majeur de maintenir l’harmonie et promouvoir l’entraide entre
les membres.
Mais très vite, ces objectifs évoluent et prennent un caractère nationaliste. Les associations deviennent alors
de véritables cadres d’émancipation, de revendication syndicale et politique.
En définitive, les associations indigènes d’entraide ont posé la base de la lutte émancipatrice et ont contribué
de diverses manières à son succès.

Sources et références bibliographiques


Sources
ANCI, (1925), Guide du colon, 1925 (sp)
JOCI, 1920-1950.
Références bibliographiques
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coopération française sur les brisées du legs colonial, fonds d’analyse des sociétés politiques,
http://fasopo.org/sites/default/files/legscolonial2_rib_1206.pdf
3. Bonnecase V., 2001, Les étrangers et la terre en Côte d’Ivoire à l’époque coloniale, IRD REFO,
Régulations foncières, politiques publiques, logique des acteurs, document de l’unité de
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