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Vocation Virginale

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J.-B.

AUBRY
Prêtre des Missions Étrangères

VOCATION VIRGINALE

QUATRIÈME ÉDITION

0
PARIS-VI

PIERRE TÉQUI, LIBRAIRE - ÉDITEUR


82, RUE BONAPARTE, 82

1925
Biblio!èque Saint Libère

http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2009.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
DÈS MÊMES AUTEURS

La méthode des Etudes ecclésiasti-


ques t
PREMIÈRE PARTIE : Les UniVCTSltêS. 8 »
DEUXIÈME PARTIS : Les grands
nu 1res, in-8* do 170Q p a g e s . . . . 15 »
Le Christianisme cl la liaison,
in-8 de 500 pages S »
L'EglUe : Incarnation conti-
nuée, in-8° de 500 pages 8 »
Méditations sacerdotales,
de 400 pages 8 »
Eludes sur v Ecriture Sa i n te,
#
ln-8 de 660 pages 8 »
Cours d'Histoire ecclésiastique,
Théologie de l'Histoire* 2 vol.
in-8* 16 »
Correspondance inédite, 3 vol.
iu-S° de 1800 p-'iges 84 »

Tous ces ouvrages ont été approuvés


par S. S. Léon XIII, Sa Sainteté
Pie X et par un grand nombre de
théologiens.
IMPRIMATUR :

Cambrai, le 4 septembre 1903.


•f- M. A. SONNOIS.
Archevêque de Cambrai.
AVERTISSEMENT

Aller toujours aa plus par-


fait, telle a été la méthode du
Père J.-B. Aubry, dans son
élan vers le sacerdoce le plus
élevé. : le ministère évangéli-
que. Au point que nous ose-
rions lui appliquer, à la lettre,
le mot d'un vieil hagiographe :
Vir per omnia vere apostolicus..
Apôtre, H le fut de toutes
pièces,, par la plénitude de sa
vocation, par toutes les aspira-
tions de son âme dès la petite
VI

enfance ; plus tard, dans Ven-


seignement des sciences sa-
crées ; surtout, dans sa vie hé-
roïque de missionnaire, et dans
ses nombreux éGrits, devenus
une lumière et une grâce pour
les âmes, particulièrement pour
les âmes sacerdotales.
La vie apostolique du P. Au-
bry fut d'autant plus féconde,
qu'elle avait été préparée par
une formation dogmatique re-
marquable, et qu'elle puisait
son alimentation, son soutien et
son réconfort, dans une vie in-
térieure, qui s'éleva rapidement
à la plus haute spiritualité.
Cette âme, profondément dé-
licate et tendre, toujours prise
entre l'antagonisme de ses at-
traits naturels et surnaturels, et
TEL

toujours surnaturellement vic-


torieuse ; toujours ensanglantée
et chantante ; toujours écrasée,
mais libre et joyeuse; cette âme,
elle se révèle^ sans ombre, dans
sa pureté limpide, dajis son ar-
dent amour du Bon Maître, de
Celui qu'elle appellera si sou-
vent le Divin Compagnon de sa
vie (i).
C'est ici un émouvant plai-
doyer entre Jésus et Vâme qui
veut se donner à lui par une
vocation virginal».
La réponse du disciple à Vin-
terragation du Bon Maître est
généreuse ; aux tendres sollici-
tations de Jésus il se rend avec
une ineffable tendresse. C*est,
(l) Cf. Biographie : B. Aubry.
théologien et missionnaire.
VIII

après une véritable agonie inté-


rieure, le don absolu, sans re-
tour, l'acceptation joyeuse, en-
thousiaste de iGus les sacrifices!
Puissent ces tendres effusions,
destinées à demeurer toujours
le secret d'une âme si aimanté
et si sacerdotale, donner à ceux
qui les liront la grâce d'y re-
connaître aussi la voix du Bon
Maître, d'embrasser
9
la croix,
et de travailler, dans l'allé-
gresse, ad majorem Dei gloriam !
Augustin AUBRY,
aumônier du Carmel
de Compiègne.
En la fête de l'Assomption 1934.
Vocation Virginale

DIALOGUE
ENTRE JÉSUS ET UNE AME
QUI VEUT? SE DONNER A LUI
PAR UNE VOCATION VIR £1 PALIS.

Jésus
I

Ame chrétienne, mais choi-


sie parmi les autres, et qui dési*
< * *

rez vivre plus près de moi,


vous donner plus intimement à
moi, recevoir une part plus dé-
licate de mon amour et de mes
grâces, je ne vous repousse pas,
et je veux bien consentir à vos
désirs. Mais savez-vous ce que
j'ai demandé, dans l'Évangile,
aux âmes qui veulent être par-
faites? Vous parlez d'embrasser
la perfection de la we inté-
rieure ; c'est très bien. Mais je
Yeux d'abord vous interroger
un peu, pour constater que vous
y êtes vraiment appelée, et pour
vous montrer les conditions à
remplir. Que venez-vous cher-
cher auprès de moi? Savez-vous
ce que vous demandez?

L'ÂME

Seigneur, il est bien vrai, je


ne le sais pas moi-même, et ja-
mais encore je n'ai pu m'en
rendre compte. Ce que je sais
bien, c'est que je suis attirée
près de vous, pour me donner
à vous plus que les autres. Mais
d'où et comment m'est venu
cet attrait, où doit-il me con-
duire, et que suis-je venue
chercher près de vous, je ne
puis le dire; je ne sais même pas
au juste ce que je désire. Sans
doute, vous le savez mieux que
moi, vous qui êtes la Lumière
des cœurs et qui connaissez les
nôtres bien mieux que nous, ne
les connaissons nous-mêmes.
Tout ce que je sais, le voici : Je
vois bien qu'on peut être frt
qu'il faut être chrétien et faire
son salut dans toutes les condi-
tions de la vie ; mais cela ne
me suffit pas. Dès que j'ai eu
l'impression des vérités reli-
gieuses, et senti dans mon âme
une pensée surnaturelle, j'ai
instinctivement désiré, cherché,
appelé, quelque chose de mieux,
de plus beau, de plus élevé, d3
plus pur, et c'est ce que je
viens vous demander.

Jésus

Très bien; et ce que vous avez


cherché je .vous le dirai mieux
que vous ne le savez vous-,
même; et je vous montrerai ce
que vous avez vaguement senti,
ce que vous ne pourriez pas dé-
crire, ce dont vous ne pour-
riez aucunement vous •rendre
*

compte à vous-même. Toutes


les âmes sans exception sont
appelées à la, sainteté ; elles ont
. - i) -

les grâces nécessaires pour y


arriver ; Dieu n'interdit même
à aucune la perfection de la vie
spirituelle, et, quelque âme
qui veuille y parvenir et fasse
.ce qu'il faut, Dieu lui donnera
le nécessaire pour cela. Mais
elles y sont appelées par divers
chemins, sous diverses formes
ét à divers degrés; il y a des
mesures variées du don surna-
turel (i). Quand les vérités sur»
naturelles sont annoncées à
chacun, il en recueille l'im-
pression voulue et proportion-
née à la capacité, à la mesure
qu'il à dans son âme, et il sent
de suite l'idéal que Dieu pro-
pose à sa vie. Or, il y a des

(1} Ephes.
âmes que Dieu appelle plus
haut, et auxquelles il 'propose
un idéal plus grand pour pro-
curer sa gloire d'une manière
plus haute. Pour celles-là, dès,
leurs jeunes années, iî les attire
par un charme intérieur; par un
attrait plus élevé, plus délicat,
yague d'abord, parce que Dieu
ne brusque rien et n'expose
pas imprudemment ses dons;
mains cet attrait va grandis-
sant ; la volonté s'affermit, ce
désir absorbe toutes ses pen-
sées, et bientôt elle peut se
rendre compte qu'elle est appe-
lée à un état de vie plus rap-
proché de ma grande immola-
tion et plus exclusivement con-
sacré à me servir.
— 7 ~

L'AME

Voilà bien, ô mon Sauveur,


ce que j'ai ressenti dès mon
enfance. Avant que je connusse
même le nom de la vie reli-
gieuse, l'idéal en. existait dans
mon cœur ; et, plus tard, si je
ne l'avais pas rencontrée, j'au-
rais, voulu l'inventer pour moi
seule. Il me semblait que j+>
voudrais être choisie entre les
enfants de mon âge, pour une
destinée meilleure, plus sainte
et plus choisie, pour une vie
virginale, pour une vocation
plus élevée.
• La supériorité de l'idéal que
je rêvaisj ne. consistait pour-
tant pas dans les richesses, les
honneurs, les choses du monde,
les joies terrestres, qui sédui-
sent les autres. II me semblait,
au contraire, que je devais les
quitter, et que la séparation»
l'abandon même de toutes ces
choses, était pour moi la forme
spéciale de la vocation de la vie
chrétienne, #t la condition
même de mon bonheur, parce
que c'était la seule voie pour
satisfaire les tendances les plus
profondes, les plus intimes et
les plus chères de mon cœur.
Je sentais le vide de tout cela
d'une manière saisissante.
Je sentais bien que ce que je
désirais était plus haut et bien
au-dessus de tout cela; je sen-
tais bien que j'avais une voca-
tion ambitieuse. A certains
moments, j'étais effrayée de
moi-même et de mon ambi-
tion; je me disais que peut-être
c'était de l'orgueil de désire
un sort différent de celui de.
autres enfants; qu'en tout cas
si cé n'était pas de l'orgueil,
c'était un vain et irréalisable
désir, qu'il faudrait en faire
mon sacrifice, et laisser toutes
ces rêveries comme de vaines
imaginations d'enfant. Pour-
tant, je sentais bien que ce
n'était pas de l'orgueil; et, le
plus souvent, je me trouvais ef-
frayée moi-même de la diffi-
culté de réaliser ces aspirations,
écrasée surtout et comme acca-
blée à la vue 'des sacrifices qu'il
y aurait à faire pour cela, etf je
me demandais : Qucmodù fièt
istudf Ces dégoûts du monde,
2
ces désirs que je croyais irréa-
lisables et même extravagants,
k
bien que j'en sentisso le charme
et la souveraine raisonnabilité,
ces aspirations dont l'objet ne
m'était pas connu et dont le
but même n'était pas précisé
mais vague, et auxquelles je ne
savais même pas s'il y avait un
objet possible, cet état d'aspi-
ration insatisfaite et toujours
persistant, mais uniquement
pour solliciter mes désirs, sans
1
jamais leur donner rien de ce
qu'ils demandaient, tout cela
me torturait, me mettait dans
un état de souffrance vague qui
m'a souvent conduit jusqu'aux
larmes. Et ce qui ajoutait à ma
souffrance et la complétait,
c'était de ne pouvoir ou de.
n'oser communiquer mon état
et mes désirs à personne. J'en-
tendais, au fond de mon cœur,
comme une voix douce et plain-
tive, et je ne pouvais dire à per-
sonne ce qu'elle me disait ; il
fallait donc tout concentrer et
tout garder.

Jésus

Il est vrai, c'était une souf-


france, mais ce fut un bien.
Secretum régis abscondere bo-
num est; ce devait rester un
petit mystère entre vous et moi.
Je suis délicat dans ces choses,
et j'aime bien à posséder les
prémices et tout le parfum des
fleurs qui grandissent pour
moi. Du reste, ceci était bien,
même pour l'avenir <b votre
vocation ; et vos désirs grandis-
saient et s'exaltaient par leur
concentration môme. — Quaad
on disait, devant vous, quelque
chose qui avait du rapport avec
votre vocation, m'entendiez-
vous? j'étais là, je vous parlais,
j'observais quelle impression
vous éprouviez.

L'AME

Seigneur! c'était donc vous!


Ahl je ne m'étonne plus de re
que j'éprouvais alors, et de
cette impression douce, forte,
profonde, de cet ébranlement!
Mais vous m'avez parlé plus
souvent encore sans intermé-
diaire ; plus rarement par les
— i3 —

hommes, car le plus souvent


leurs paroles n'entraient guère
dans mes vues, et j'en ai ren-
contré bien peu qui aient su
me parier et traduire vraiment
votre parole; souvent leurs pa-
roles n'étaient qu'un balbutie-
ment et un obstacle.

Jésus

Ce qu'ils ont fait', cepen-


dant, c'était de vous fournir les
vues de la foi, et de vous don-
ner des conseils et l'approba-
tion, la direction générale,
l'enseignement. Voilà ce que
vous leur devez; vous voyez
que c'est beaucoup encore, et
vous devez leur être reconnais-
sant.
L'AME

C'est vrai, mon Dieu! Mais je


veux dire que pour le reste s'ils
m'ont fourni le nécessaire»
c'est bien vous directement qui
m'avez conduit, nourri et servi
de directeur.

Jésus

Et, maintenant, je vais vous


dire de quelle source vous ve-
naient vos désirs. Le péché ori-
ginel a dégradé l'homme ; le
Baptême et la grâce le relèvent
et ferment ses plaies, non tou-
tefois sans laisser une cicatrice,
pour témoigner et du mal dont
il a guéri, et de sa guérison
même. Auteur de cette belle ci-
catrice, adoucie par la miséri-
corde ae Dieu, il reste encore,
pour rappeler à l'homme la
plaie originelle et le pousser à
la perfection, une souffrance
vague, une soif de sacrifice, un
besoin d'immolation, qui est
tout à la fois la conséquence et
la réparation du péché, une
marque et un bel ornement de
sa condition nouvelle, une
. douce torture et une suavité de
souffrance et de larmes.
Il y a des âmes surtout à qui
il ne suffit pas d'être en paix
avec Dieu et de recouvrer la
grâce, d'obtenir le pardon et de
vivre de la vie des justes, mais
qui sentent une démangeaison
de sacrifice. En elles.aussi c'est
la suite du péché, mais du pé-
— i6 — •

ché réparé. C'est la voix de la


pénitence qui. les sollicite, les
tourmente et les presse de
payer, par des souffrance libre-
ment acceptées, non. seulement
ce qu'elles doivent en rigueur
de justice, mais ce que l'amour
de Dieu et la délicate ambition
de leur cœur demande à leur
générosité. Cette voix rédemp-
trice qu'elles entendent et qui
leur arrache quelquefois des
larmes, c'est la mienne; ne
l'avez-vous pas entendue? cette
voix que vous entendiez au
fond de votre cœur, qui vous a
sollicitée si longtemps, et dont
la tendresse et les accents sup-
pliants vous arrachaient parfois
des larmes, c'était la mienne,
et je vous disais alors ce que je
— *7 —

dis aux âmes sur lesquelles ma


miséricorde a jeté son dévolu et
que j'appelle à une destinée
particulière de sacrifice et de
grâce ; Audi, filia, et vide.
Obiiviscere... Ducam eam * in
solitudinem... La reconnaissez-
vous aujourd'hui, et n'est-ce
pas bien là ce que je vous de^
mandais alors?

I/AME

Oui, Seigneur, je reconnais


votre voix; c'est bien la même,
et ce qu'elle me dit excite en
moi les plus douces pensées, et
réveille en mon cœur mille sou-
venirs, qui me remuent. .Dès
mon enfance, j'ai bien senti vi-
brer dans moa cœur la fibre du
— i8 —

sacrifice; mais je ne l'avais


point comprise, et je ne savais
ce qu'étaient et d'où venaient
ces aspirations qui m'entraî-
naient vers quelque chose de
mieux. Aujourd'hui, je com-
mence à comprendre cette im
pétuosité de mes aspirations au
sacrifice, et ce besoin que
j'avais de chercher une immo-
lation ; je sais du moins d'où
me venait ce besoin et ce qu'il
me demandait; aujourd'hui, ce
besoin se réveille avec plus de
grandeur et d'impétuosité et
non moins de charme ; mais il
est vague encore, et n'est pas
localisé ; montrez-moi son ob-
jet. Jè n'y suis pas fidèle, et
souvent je sens que j'y manque.
Montrez-moi comment me sau-
vegarder contre ma propre fai-
blesse ; inslruisez-moi davan-
tage sur ce que vous demandez
de moi, et commencez vrai-
ment mon éducation religieuse.

Jésus

Ma fille, prêtez l'oreille, et


entendez ce que mon cœur de-
mande au vôtre. Vous sentez-
vous capable de tout quitter
pour moi? Vous êtes, sortie de
la maison de vôtre père et de
votre mère; vous leur avez crevé
le cœur ; votre œuvre n'est pas
complète encore, et j'exige que,
vous donnant plus entièrement
encore à moi, vous viviez sépa-
rée de tout ce que la nature
vous avait appris à aimer. Vous
20

oublierez votre père et votre


mère, vos frères cl vos sœurs,
les amis dont votre enfance a
été entourée ; vous anéantirez
les espérances qu'ils ont placées
en vous ; vous oublierez ce
foyer, paternel si doux et tant
aimé, tes douceurs de la fa-
mille, les attentions d'une ten-
dre mère que votre départ a
déjà miso en larmes, les souve-
nirs de l'enfance qui vous sui-
vront en tous lieux ; et vous
n'aurez plus ni famille, ni ami-
tié, ni espérance sur la terre,
mais moi seul. En un mot»
vous quitterez toutes, les choses
humaines ; elles ne valent pas
votre amour et les peines que
vous YOUS y donneriez ; les
mondains qui y goûtent
, n'éprouvent que déception, ils
l'avouent, et cependant ils
n'ont pas le courage de profiter
de leur expérience ; c'est que le
cœur tyrannise et prime la rai-
son. Ce courage, vous, ayez-le,
plus vous quitterez, moins vous
perdrez. Vous sentez-vous capa-
ble de tout quitter pour moi P

L'AME

Seigneur, vous savez bien que


c'était tout mon désir, et qu'au
v

fond de ces vagues aspirations


dont mon enfance a été rem-
plie, c'est cè sacrifice que j'ai
désiré, que j'ai rêvé* Oui, je les
quitterai, je' les ferai pleurer
ceux que j'aime, et je pleurerai
moi-même; car si le sacrifice
est cruel pour eux, il l'est aussi
pour moi, dont la souffrance
est agrandie de la leur, et qui,
en me séparant d'eux, me sé-
pare de tout. Je me déchirerai
moi-môme, mais je trouverai
mes délices, ma récompense 3t
ma consolation dans ce tour-
ment.

JÉSUS

Ce n'est pas tout ; mais,


après ce grand sacrifice, ici
même vous ne trouverez que le
sacrifice. Vous sentez-vous ca-
pable de vous ensevelir avec
moi dans l'oubli, d'être ou-
bliée dé tous, de n'être vue de'
personne? Peut-être vous avez
rêvé quelquefois des vertus hé-
— a» —

roïques et des actions éclatan-


tes, le martyre, l'apostolat, la
conversion des antres, des sacri-
fices qui étonneront tout le
monde et vous attireront l'ad-
miration. Vous les ferez ces sa-
crifices ; ils seront pour vous
pleins de douleur et .souvent
d'amertume; ils n'étonneront
personne et ne seront même
pas. remarqués. Vous vivrez
dans l'abjection et l'obscurité
de ma maison, et personne ne
pensera à vous. Le peu même
» *

de personnes qui vous connaî-


tront vous croiront inutile, ne
verront pas à quoi sert votre
vie, et ne sauront pas si vous
êtes bonne h quelque chose sur
la terre. Enfin, il faudra
* * I

résigner à mourir sans avoir


— 24 —

rien fait de glorieux ni


d'aperçu, ni même d'apprécié.
L'AMB

Mais, au moins, si je parais


inutile, je ne le serai pas de-
vant YOUS ; mon sacrifice ser-
vira du moins à votre gloire et
au salut des âmes. Me deman-
dez-vous aussi le sacrifice de
désir ?
JÉSUS

Non pas de ce désir, mais de


tout ce qui pourrait le satis-
faire, le récompenser sur la
terre, et faire de lui une con-
solation pour vous. Vous sen-
tez-vous capable d'un pareil sa-
crifice, d'une pareille conti-
nuité de sacrifices?
— 25 —

Xi*AME

Non, Seigneur, par moi-


même, par ma pauvre nature
humaine, je n'en suis pas ca-
pable ; car mon triste cœur
humain me porte à tout ce qui
est bas, terrestre, égoïste. Je
n'ose même pas. dire qu'avec
votre grâce je m'en sens capa-
ble ; car. cette parole me parait
encore pleine d'une audace et
d'une présomption qui m'ef-
fraye, et j'aurais peur d'être
punie d'un tel orgueil. Cepen-
dant, mon Dieu, s'il n'est pas
présomptueux de dire la pen-
sée intime de mon cœur, je la
dirai : Si profond, si effrayant
que soit ce sacrifice, si con-
traire qu'il soit aux goûts in-
s
— a6 —

férieurs de ma nature, c'est lui


qui m'attire, et il m'attire
d'autant plus qu'il est plus-
profond, comme l'abîme attire
le voyageur qui le côtoie, et lui
donne le vertige. C'est le sacri-
fice qui m'attire dès l'enfance
vers cette vie d'union à vous,
de virginité et de don de moi-
même ; et si le sacrifice ne fai-
sait pas le fond de la vie reli-
gieuse, je resterais dans le
monde. J'ai toujours senti un
attrait pour le sacrifice, un dé-
goût pour les vulgaires jouis-
sances de la terre ; je ne com-
prenais pas d'où venait cet at-
trait, puisqu'il était contraire
aux goûts de ma nature, mais
je sentais qu'il parlait de ce
qu'il y a en moi de plus in-
— 27 —

time et de plus profond, et que


ma vie ne serait pas remplie et
satisfaite, que je porterais un
regret jusqu'à la mort, si je ne
me jetais dans cet abîme. J'y
tombe aujourd'hui auprès de
vous ; mais je sens combien je
suis incapable de m'y tenir
(

toute une vie, et d'être fidèle


en tout à ma vocation. Mettez
en moi une grâce extraordi-
naire, aussi grande qu'il la
faudra ; versez en moi votre
forcé, et je n'aurai plus peur,
et je pourrai dire sans orgueil
avec saint Paul : Cum infirmor,
tnnc potens sum ; je suis forte
de ma faiblesse même, parce
que je la connais et que toute
ma force vient d'en haut; je
suis toute-puissante de la toute-
— a8 —

puissance divine : Omnia pos-


snm in eo qui me confortât.

JÉSUS

Vous demandez si votre sa-


crifice servira du moins à ma
gloire. Sans doute, s'il est bien
persévérant à travers les dé-
goûts et sans rien pour l'entre-
tenir ; vous me demandez si
vous servirez à convertir les au-
tres? Peut-être. Mais comme ce
serait bien de l'honneur pour
vous, vous abandonnerez cela à
ma volonté, sans vous inquiéter
d'en savoir le fin mot. Et si
vous servez en effet à quelque
chose pour le salut des autres,
ce ne sera qu'à force de. renon-
cement, de patience, de dégoûts
29

bien endurés. Encore, per-


sonne no saura rien de ce que
vous aurez fait ; vous-même,
vous n'en saurez rien ; on vous
croira, et vous aurez lieu vous-
même de vous croire inutile.
Acceptez-vous encore?

L'AME

Oui, mon Dieu! c'est dur,


mais au moins saurai-je que je
suis dans ma voie et que mes
souffrances vous plaisent ; et si
je suis méprisée des autres, je
ne le serai pas de vous.

Jésus

Regardez-y bien à* deux fois,


et prenez garde aux illusions
— 3o —

poétiques, qui sont généreuses,


mais souvent trompeuses. Je
vous préviens que cet attrait
qui vous charme encore au-
jourd'hui et vous fait trouver
du goût dans les sacrifices et
los souffrances, n'est qu'une
ruse de ma part pour attirer
d'abord ; mais il passera en
vous, et vous vous trouverez
alors seule el dépouillée, triste,
abandonnée ; c'est là que com-
mencera le vrai sacrifice, car
jusqu'ici ce n'est qu'un sacri-
fice doux et selon votre goût ;
mais je ne vous traiterai pas
toujours si doucement.
Il vous semble beau de vous
rassasier du mépris des créa-
tures, et de ne travailler abso-
lument que pour moi. Mais
— 3i —

-c'est beau à distance, et je vais


juger si le désir que vous en
avez n'est pas une illusion. Les
premiers jours de votre sacri
fice vous sembleront char*
mants, c'est possible ; mais le
jour viendra bientôt où vous en
aurez assez de cette vie unique-
ment vouée au sacrifice et à 3a
pénitence et toujours vide de
compensations humaines ; elles
sont bien rares les âmes qui
peuvent persister. Le dégoût
viendra, vous déflorant tout,
vous faisant regarder votre vil
comme bien vulgaire, bien en-
nuyeuse, bien séparée de tout
.ce qui relève, soutient et con-
sole,, bien dépouillée de tout
charme, et ôtant à votre Voca-
tion même et à vos sacrifices
tout ce charme qu'ils ont en-
core aujourd'hui ; alors plus
d'élan, plus d'attrait, plus de
jeunesse, plus de goût, main
froideur et ennui. Votre zèle r

votre courage survivra-t-il à la


perte de ce charme, de cet at-
trait, à cet effeuillement des
illusions déÛeuries ; et ce dé*
goût ne sera pas d'un jour,
mais vous «n aurez peut-être
pour la fin de vos jours. Qu'en
dites-vous cette fois, vous sen-
tez-vous capable de passer à
travers ce dégoût?

L'ÂME

C'est dur, mais il le faut


bien. Sans votre grâce je ne le
puis ; imais puisque vous
— as—

m'avez inspiré le désir d'être à


vous envers et contre tout,
vous m'en donnerez la force»

Jésus

Sans «toute, et ceci est mon


affaire, ma part à moi. Cette
force, il faut précisément que
vous mo la demandiez, en re-
connaissant que vous ne l'avez
•pas vous-même. Humiliez-vous
donc beaucoup, aujourd'hui
que vous êtes jeune encore et
pleine d'ardeur et d'élan, afin
que j'aie mon tour, quand
vous vous trouverez vieillie et
dégoûtée.
Ï/AME

Oui, mon Dieu, je suis fai-


ble, et je ne puis rien! Humi-
liez-moi vous-même intérieu-
rement. Je crois que je ne,
pourrais pas me soutenir, si
les dangers sont si grands;
mais vous • serez avec moi, et
vous me donnerez la force ; ie
ferai ce que je pourrai.

Jésus

Ii y a en vous, tout à la fois,


un désir des souffrances qui
vient de la grâce, et une hor-
reur des souffrances qui vient
de la nature. Mais votre besoin
est plus profond encore que vo-
tre désir. Il faut que la nature
35

se soumette, mais c'est fort dif-


ficile. Voici un moyen : Etu-
diez-la, cette nature si exi-
geante, si tyraanique et qui a
tant d'horreur pour le mal. Si
vous la considérez bien, vous
découvrirez en elle deux côtés
faibles par où vous la prendrez
pour la soumettre, à la grâce :
Le premier, c'est qu'elle est ca-
pable d'endurer des souffran-
ces, quand elle a compris qu'il
y va de son intérêt ; faites-lui
donc comprendre, par de bon-
nes méditations, quel intérêt
il y a ici pour vous et par con-
séquent pour elle aussi ; car la
nature elle-même doit être pu-
rifiée et sauvée par les souf-
frances. Le second, c'est que,
par amour, elle peut devenir
— 36 —

capable d'endurer ; tâchez donc


de lui donner cet amour, et,
pour cela, deux moyens :
i° commencer par souffrir sans
amour de ses souffrances et par
simple raison et résignation ;
l'amour viendra certainement
comme un fruit de ce sacrifice;
2 ° demander à Dieu cet amour,
c'est le point où l'on est le
plus sûr d'être exaucé, si la
prière est sincère, puisqu'elle
est. elle-même l'acte suprême
de l'amour. Une fois que vous
aurez l'amour des souffrances,
tout sera d'accord en vous.
D'abord que vous aurez fait
*

ce que vous aurez pu, je me


charge du reste. Mais vous
n'êtes pas encore au bout. Si
déjà vous vous sentez moins
- 3 7 -

hardie, que sera-ce tout à


l'heure ? Ecoutez encore :
Croyez-vous vraiment YOUS être
bien rendu compte de la diffi-
culté qu'il y aura pour vous,
quand l'heure des dégoûts aura
sonné, à continuer votre tâche
de renoncement? toujours et
toujours se renoncer : quelle
viol Vous la figurez-vous bien?
Au dégoût et à la perte de l'at-
trait intérieur par lequel j'ai
commencé d'agir sur vous,
viendront s'ajouter des* tenta-
tions, des séductions. Il
viendra des jours où cette soli-
tude que vous avez choisie pour
votre partage pèsera bien lourd
sur vous, et accablera votre
âme. Il vous faudra sacrifier
alors, non plus seulement les
— 38 —

biens de ce monde et les jouis-


sances terrestres, mais encore
toute joie, tout goût et toute
consolation. Vous sentez-Vous
la force de sacrifier même les
jouissances du cœur, et d'être
solitaire non seulement dans
votre maison, mais dans votre
cœur et par vos affections?
Vous verrez autour de vous îa
joie des mondains, et vous en-
tendrez le bruit de leurs fêtes
et l'harmonie de leurs con-
certs ; vous rencontrerez, sur
votre chemin, des familles
heureuses et charmantes dont
le spectacle même est une sé-
duction et un attrait ; îa douce
image du bonheur dans la paix
et des affections légitimes dans
la famille, ne vous fera-t-elle
- 3 « -

pas trop d'impression, et ne


yous fera-t-elie pas trouver
bien amère la solitude à la-
quelle vous avez condamné vo-
tre vie ; votre cœur ne pren-
dra-t-il pas en dégoût votre
pauvre cellule où vous vivrez
seule avec moi seul?

L'ÂME

Cette impression, je l'ai déjà


quelquefois éprouvée!

Jésus

Il vous faudra même quel-


quefois vous mêler de corps à
ce monde séduisant, et en rap-
porter cependant un cœur in-
tact ; il vous faudra regarder
- H o -
ce spectacle sans sourciller,
sans perdre votre énergie. La
vie virginale est belle, sans
doute ; mais il y aura des mo-
ments où sa beauté vous tou-
chera bien peu, et où la vie
d'immolation vous- semblera
bien sèche, bien rebutante,
bien peu poétique. Ne vous de
viendra-t-cllo pas un supplice,
et pourrez-vous en supporter le
fardeau pendant toute une car-
rière qui sera longue peut-être?
Toujours, toujours immoler les
désirs de son cœur et les élans
d'une nature qui a besoin de
tendresse et qui a faim d'affec-
tion sur la terre, voir les au-
tres profiter de ce monde, se li-
vrer aux charmes de la vie et
n'en profiter jamais soi-même,
— 4i —

vieillir triste et solitaire, mou-


rir sans avoir jamais goûté aux
joies du monde! Oh! qu'il vous
paraît dur par moments de ne
vous être pas réservé du moins
celles qui sont légitimes, et
d'avoir voué votre jeunesse et
votre existence entière à une
vie triste et pénitente! Vous au-
riez pu, comme les autres,
avoir une famille et goûter aux
joies des familles bénies ; la
pensée vous viendra que vous
auriez pu servir Dieu dans la
condition des épouses et des
mères chrétiennes, et que Dieu
vous aurait bénie dans vos en-
fants que vous lui auriez
d'abord offerts. Vous vous di-
rez : J'aurais pu être une mère
heureuse, entourée d'enfants
4
— te —
gais et charmants ; j'ai renonce
à tout cola, et me voici triste,
isolée, vieillissant, loin des
joies qui m'étaient permises et
auxquelles j'ai renoncé sans y
être obligée.

L'ÂME

Oui, Seigneur, j'accepte. Et


si les sacrifices sont grands, si
la perspective est effrayante,
quand je me considère moi-
même avec ma faiblesse et
comme si j'étais seule à ce
travail; je suis consolée à
l'avance de mes douleurs et ras-
surée sur mes forces, à la pen-
sée que vous serez avec moi,
que vous me soutiendrez, et
qu'il y aura, dans votre, grâce
- 4 3 -

et dans rassurance que me


donne la foi de travailler se-
lon vos désirs, une compensa-
tion à mes sacrifices. Car c'est
tout ce que je demande pour
compensation et pour quitter
joyeusement le monde, c'est
d'être assurée que vous me de-
mandez ce sacrifice, que vous '
m'appelez parmi ces âmes qui
sont à Dieu seul, que ma voca-
tion est vraiment de vous, et
que je vous plairai. Mais ins-
truisez-moi, car je doute encore
de moi-môme, et, sans votre
lumière, je ne serai pas tran-
quille et rassurée.
Jésus
Ma fille, écoutez-moi main-
tenant et rassurez-vous ; ne fal-
— A4 —

lait-il pas que je vous éprouva


par mes questions, et que je
vous fasse constater à vous-
même que vous avez envisagé
dans tout son jour la vie que
vous embrassez ? Oui, c'est
moi-môme qui vous y appelle
sans cela, je ne vous aurais pas
fait ainsi envisager en détail
tous les côtés de la vie reli-
gjeuse ; mais je vous aurais
abandonnée à vos illusions, à
vos idées fausses, comme ces
gens du monde, comme ces
chrétiens vulgaires qui ont si
peu d'idées justes sur la vie re-
ligieuse, et qui la compren-
nent si rarement sous son vrai
jour. voulais vous amener à
reconnaître, votre néant et la
nécessité, la puissance de ma
— 45 —

grâce, et à me demander la lu-


mièro et la force ; maintenant
que vous m'avez demandé la
lumière, il faut que je vous ins-
truise.
L'AMIS

Oui, Seigneur, instruisez-


moi ; vous voyez, c'est vous que
je cherche ; je n'ai qu'un peu
de volonté qui vient de vous
si je n'ai que de bons désirs,
que je les aie au moins aussi
généreux que possible. Mais,
sans vous je ne. puis rien^ pas
même vous aimer, pas même
désirer votre amour. Montrez-
moi le chemin, et donnez-moi
la grâce de chercher ce désir et
cet amour. Que les hommes
sont légers et aveugles, Sei-
— £6 —

gnour, de s'arrêter aux choses


terrestres qui ne sont que vos
ouvrages, et de leur demander
en vain le bonheur, sans songer
que vous êtes l'unique source
du bonheur!

Jésus

Il faut, comme toujours,


que vous commenciez par le sa-
crifice ; et ceux que je vous de-
manderai ne sont pas doux ;
mais vous les avez acceptés
d'avance. Mon amour ne vient
pas tout de suite, et n'entre
pas tout 'de suite dans les
cœurs. Quand vous m'appelez
avec l'Ecriture un « Dieu ca-
ché », comprenez que cela ne
veut pas dire un Dieu étranger,
- 4 7 -

lointain, qui se tient à dis-


tance de YOUS ou même hors
de vous. C'est au fond de vous-
même que je suis caché ; c'est
là qu'il faut me chercher. Ne
faites pas comme les mondains,
qui me cherchent partout
excepté là ; votre vocation vous
appelle à la vie intérieure, à
rentrer en vous-même et à me
trouver là. Une fois que vous
m'aurez trouvé et que vous
m'aimerez, tout vous sera
doux ; ceci est la loi de
l'amour. Voyez les gens qui ai-
ment une créature; rien ne leur
coûte pour se faire aimer et
pour lui plaire ; le mal. qu'ils
se donnent leur semble doux.
Ne jl 'avez- vous pas éprouvé
quelquefois vous-même, quand
—, 48. —

il vous est arrivé d'attacher


trop vivement voire cœur à
quelqu'un ; que n'auriez-vous
fait, et combien n'auriez-vous
pas été heureux de souffrir
quelque chose à son service II
en est de même vis-à-vis de
l'amour de Dieu : voyez le»
saints ; ce que je vous ai dit est
bien l'explication, de votre vie,
et c'est la nonne pour com-
prendre cette joie étrange des
saints dans leurs souffrances,,
et cet amour singulier et pour-
tant sincère qu'ils* ont montré
pour la souffrance. Quand on
aime vraiment Dieu, tout de-
vient doux ; l'Imitation ne-
vous le dit-elle pas? Mais cet
amour ne vient pas de suite ;
il est un mérite, mais aussi
— 4& —

une récompense ; il faut passer


à travers les. épines pour y ar-
river, et le gagner à la sueur
#

de son front. Il faut d'abord


que vous souffriez sans compenr
satiort, et -en vous reposant
aveuglément sur ma promesse
pour la suite ; que vous y em-
t

ployiez toute votre foi et toute


la confiance que vous avez en
moi ; que vous souffriez même
mon abandon ; je vous ferai
attendre longtemps, et je vous
laisserai gémir un peu et ga-
gner à la sueur de votre front
le don céleste; heureuse, «4
vous savez ne pas vous rebuter,
mais gagner ce don à la pointe
de l'épée.
J'aime à venir trouver des
cœurs solitaires que d'autres
— 5o —

amours ne remplissent pas et


ne partagent pas. Mais, encore
une fois, il est difficile à ceux
qui vivent mêlés avec le monde
et en contact continuel avec
lui, comme vous le serez, il
leur est difficile, et c'est leur
grande épreuve, de garder si
bien leur cœur, que jamais il
ne se laisse attendrir et gagner
par ce charme des affections,
humaines au moins innocentes.
Votre cœur est de chair, les
créatures sont misérables, mais
elles ont des séductions; il y a
des moments où votre cœur
sentira comme un besoin d'ai-
mer, de s'épancher ; vous ren-
contrerez des âmes mii auront
le don, par leur innocence
même, par leur générosité, par
leur élévation, d'attirer votre
sympathie et de vous attacher a
elles d'un lien, pur sans doute,
mais humain et capable d'en-
lever à votre piété, à votre
amour pour moi, sa fleur, sa
délicatesse, et cette tendre inti-
mité qui ne souffre pas de ri-
val. Prenez-y garde ; réservez-
moi votre cœur, tout entier,
sans partage ; vous savez que je
me suis appelé un Dieu jaloux,
c'est pour vous surtout, pour
vous autres qui avez reçu en hé-
ritage une vocation virginale.
Il faut que vous puissiez dire
tous les jours de votre vie : Do-
minus pars hœreditaiis meae et
calicis meî, je n 'en veux pas
d'autre; Prenez-y garde, cette
tentation viendra ; elle viendra
— 52 —

séduisante, presque irrésistible.


C'est la tentation délicate par
excellence ; et le sacrifice qui
vous sera demandé alors,. sera
aussi le sacrifice délicat par
excellence, celui du cœur. Ne
me le refusez pas. Peut-être ne
me comprenez-vous pas et sur-
tout ne sentez-vous pas la portée
de cet avertissement, aujour-
d'hui que vous n'avez pas en-
core passé par cette tentation ;
mais elle viendra, séduisante et
presque irrésistible ; alors, sou-
venez-vous de ma prière, n'en-
durcissez pas votre cœur, refais
entendez ma' voix plaintive et
suppliante, qui résonnera dou-
cement au fond de votre cons-
cience, vous demandant ce sa-
crifice, le plus délicat et le plus
— 53 —

doux que jamais vous puissiez


m'ohrir, par lequel vous puis-
siez jamais récompenser mon
amour et assurer votre salut.
Nolile contrisiqtre Spiritum
sanctuml quand on lui refuse
certain sacrifice délicat, l'Es-
prit-Saint se retire, non entiè-
rement sans doute, car il n'y i
pas péché, surtout péché grave,
mais en partie ; il se met à
l'écart, comme un ami au
cœur sensible et tendre, qui
continue d'aimer et qu'on n'a
pas chassé, mais qu'on a cou-
tristé, en lui refusant quelque
chose qu'il avait espéré obtenir
de notre tendresse ; il se retire
non courroucé, mais triste ; et
alors combien nous avons
perdu!
—. 54 —

L'AME

0 mon Dieu, pourquoi me


faire attendre, gémir ainsi loin
de vous, et perdre ainsi mes
années à chercher, tandis qu'il
serait si simple de me donner
Yotre amour de suite, en me ré-
vélant votre beauté, et en me
faisant goûter le charme d'être
h vous?

Jésus

Ce serait trop facile, et où se-


rait votre mérite et ma gloire?'
Je suis plus lier que cela,
j'aime à être cherché et à coûter
quelque chose. Il faut donc
que vous m'installiez en vous
par la voie du sacrifice et à
— 55

force de sacrifice. Il faut que


vous m'installiez en vous
comme dans, ma demeure pour
toujours ; j'occuperai toutes vos
facultés, toutes vos puissances,
tous les recoins de votre cœur;
je m'établirai dans votre vie
tout à mon aise, j'en chasserai
tout autre occupant; je m'at-
tacherai à vous par le dedans,
jusqu'à identifier ma substance
à la vôtre, tellement qu'on ne
puisse vous distinguer de moi,
et que vous soyez transformée,
transfigurée, transsubstantiée en
moi; je vous pénétrerai, comme
une liqueur précieuse et sub-
tile ; je vous absorberai, je vous
perdrai en moi, je vous. chan-
gerai en moi, jusqu'à ce quTl
n'y ait plus en vous ni une fa-
56

culte, ni un membre, ni uua


veine, ni une molécule, ni un
atome qui ne soit moi ; je vous
imprégnerai, je vous imbiberai
de moi ; je détruirai tout ce qui
est vous ; je tuerai, Tune après
l'autre et jusqu'à la dernière,
toutes les parties de votre na-
ture ; il ne restera en vous rien
de vous, mais tout sera moi, et.
je mettrai ina substance là où
était la vôtre. Croyez-vous que
ceci soit un rêve, et n'entendez-
vous pas. mon apôtre vous dire
que vous deviendrez partici-
pante de la nature divine? Je
serai vous, et vous serez moi ;
quand vous passerez, on sen-
tira, autour de vous, mon es-
prit, ma respiration, ma bonne
odeur, on me verra dans vos
- 57 —

yeux ; quand vous parlerez, on


entendra, on sentira que je suis
dans votre poitrine, on sentira
en vous ma présence réelle.
Vous serez ma figure, mon ap­
parition, mon portrait, une
prédication vivante de moi ;
vous me cacherez en vous, et je
me montrerai au travers de
vous; je respirerai par tous vos
pores ; j'éclaterai par vos yeux
et je résonnerai dans vos pa-
rôles.

L'AME

Seigneur» à quel grand, à


quel saint état vous m'appelez!
Pourquoi retarder à m'y faire
parvenir ; pourquoi ne puis-je
i
— 58 —

y armer que graduellement,


lentement, pièce à pièces
Mais mes péchés, qui sont
grands, ne seront-ils pas un
obstacle à une si belle éléva-
tion, et ceux que peut-être j'au-
rai le malheur de commettre
encore, puis les dangers qui
m'entoureront ne m'empêche-
ront-ils pas?
Jésus
Quant à vos péchés, oui, vous
les pleurerez ; mais ne vous en
inquiétez pas. Je veux sans
doute que vous les pleuriez :
mais je ne vous en ferai pas de
reproche ; au contraire, je vous
en consolerai moi-même ; je les
oublie, oubliez-les vous-même,
je le veux, et donnez-vous à moi
parce que "vous m'aimez et
parce que je vous aime, mais
sans vous tourmenter die ce qoae
vous avez pleuré et «de ce que
mou cœur à pardonné. Quant
aux dangers futurs, n'àvez-
vous pas confiance» en moi, et
ne comptez-vous pas sur mon
amour? Ne pensez qu'à rester
à moi, et tout est sauvé?
Si je tarde à vous fairo par-
venir à ce bel état auquel je
vous appelle, c'est qu'il répu-
gne à ma sainteté et à l'excel-
lence de ma nature, d'entrer
ainsi brusquement dans une
nature imparfaite. Je ne puis
entreT en vous qa'à mesure
que vous vous retirerez de vous-
même pour me laisser la place,
à mesure que vous vous détrui-
— 6o —

rez vous-même. Il faut donc


que je tue! Et plus vos sacrifices
seront grands, plus je pénétre-
rai vite et avant.

Mais, mon Dieu, n'est-ce pas


une cruauté de vous repaître
ainsi de nos larmes, et de cher-
cher votre gloire dans nos
douleurs et nos déchirements?

Jésus

Non, parce que je le fais par


amour. Ce serait une cruauté,
si je le faisais pour le plaisir de
vous faire souffrir ; or, je ne le
fais que par amour et par tou-
6i ~

tes les raisons délicates que


peut avoir J'amour, d'exiger
des sacrifices. Je souffre de vous
voir souffrir ; mais c'est la loi
de votre nature ; je sais que
par ce chemin vous arriverez
vous-même a une récompense
plus haute. Je serai votre ré-
compense magn-a nimis. Et
puis, je suis là près de vous,
vous encourageant à bien ac-
cepter vos sacrifices; j'y met-
trai pour vous tant d'amour,
que vous y trouverez une joie;
enfin, j'adoucirai' la douleur
surnaturellement le plus possi-
ble, enlevant le moins possible
de son amertume naturelle. Je
suis cruel comme une mère qui
supplie son enfant de prendre
le remède amer et rebutant qui
le guérira ; elle l'encourage,, elle
le supplie, elle le caresse, elle
y goûte avant lui!
Quel beau travail que cette
occupation tente et progres-
sive., cotte lutte pkd à pied ;
c'est tout le travail; de. la sain-
teté ; les gens* du monde n'en
ont pas une idée juste, et vous-
même, jusqu'ici, vous ne l'aviez
pas non plus ; vous vous iniar
giniez qu'on- pouvait, ainsi,,
d'un seul coup», arriver au but*
et, du. jour au lendemain, at-
teindre la sainteté. ; vous aviez
de la. sainteté, un idéal juste,
mais, pas une idée .assez exacte
de sa préparation- et du cbemim
à. suivre:. Apprenez qu'il faut
gémir, et que? les choses valent
ce qu'elles coûtent... C'est
alors, quand TOUS aurez bien
souffert, qu'un beau jour, peu
à peu, discrètement*, je com-
mencerai £ vous-' révéler m»
•face par où vous ne l'attendiez
pas, et vous serez assez surprise
de me rencontrer là et de me
voir sous ces traits que vous ne
vous- étiez pas figurés. Un jour
<qm vous- auvez* souffert, je
me- montrerai discrètement et
dPaèorel pour un seul instant ;
et à? peine m'aùrez-vous regarda
à travers les-.larmes dont vos
1
yeux seront encore rempîrs, que
je ne.serai pbis ï&. Vous me <$&•
manderez, comme MâxMeme
au» jardinier; vous Tducfeear me
toucher, et J'aurai disparu?,- je
suis déKcat, et je ne me donne
-
pas tout entier en un©- fois.
— 64 —

L'AME

Oht Seigneur! que je vou


drai3 déjà être arrivé à ce jourl
Fem, Domine Jesui
*

Jésus

Prenez garde, et contentez-


YOUS de ce que je veux. Sachez
seulement aUendre et ne pas le
retarder, ce jour, en me refu-
sant vos sacrifices. Pour votre
consolation, rapj»elez-vous .et
apprenez de moi que je suis là
dans vos sacrifices. Mais, je
vous l'ai dit, je suis délicat, et
je veux des sacrifices non pas
faits faute de mieux, non pas
faits en considération de la va-
nité trompeuse du bonheur bu-
main; la belle grâce et le beau
sacrifice que vous me feriez, en
renonçant à un bonheur auquel
vous ne croyez pas! Au contraire,
figurez-vous ce bonheur comme
réel et vrai ; par la pensée
ajoutez-y encore des charmes.
Vous renoncez à tout cela ; et
plus lé sacrifice est grand et pé-
nible, plus il doit coûter à vo-
tre cœur, plus aussi vous devrez
vous réjouir de me le faire,
parce que c'est un signe que je
vous appelle à me procurer, par
votre sacrifice, une plus grande
somme de gloire, une gloire
plus délicate ; songez combien
il est glorieux pour moi de re-
cevoir un tel hommage. —
Quand il vous vient des tenta-
tions de regarder en arrière.
— 66. —

vers les choses, auxquelles vous


avez renoncé, je vous permets,
de: vous consoler mi peut paar las
considération de leuir néa-at ;
tout cela est si peu de chose ; ïi
y a si peu d<a réalité, dans ces
jouissances ; la vieillesse; vient
si vite, emportant, tout avec elle,
et ne laissant, que les* choses» dm
ciel. Mais ne vous amusez- pas
trop à cette considération: du
néant des choses; de* ca mondes ;
surtout ^qu'elle ne soit pas ven-
tre seule consolation,, m la der-
nière sur laquelle vous- fixerez
les. yeux ; quanid elles seraient
plus précieuses*, votre généro-
sité ne me les safîi?ifieirait-ella'
plus?
Quand, vous chercherez, votre
voie, en interrogeant, lat partie
— &7 —

généve&se de votre; cœur, et


non pas. vos passions; quand
vous la chercherez sérieuse-
ment, devant Dieu, avec mi
vrai désir â& la trouver, de la
suivre, e«, pour ta suivre-, de
couper, de tailler, de* trancher
et de retrancher- mexornble-
mm£, viriUmmt, Mroïquie*
1
meM de votre cœur tout ce qui
n'est pas. selon elle, alors vous
là trouverez.

L'ÂME

Mais d'oà v i e n n e ces cou-


tradictions que je trouve dans
ma mature? Je me suis pourtant
donné à vous, et c'est de bon
cœwr que je* vous m consacré
ma vie. Maïs, dans; les moments
— 68 —

mômes où je veux être toute &


vous, par un autre côté de
moi-même je suis tentée de
pleurer ce que j'ai quitté, de
regretter ce qui est périssable
et de le croire préférable à
vous, ô Dieu qui êtes pourtant
la joie et la lumière des cœurs,
et de trouver la part des mon-
dains enviable et plus belle que
la mienne. Quand mon cœur
sera-t-il .désenchanté ?
D'où viennent, Seigneur, ces
mouvements désordonnés et
contradictoires d'un cœur ar-
dent mais inquiet, qui cherche
le repos sans le trouvera Une
tristesse infinie me dévore, tout
en même temps qu'un im-
mense enthousiasme d'amour
pour vous me transporte. Ohl
— 6o —

Seigneur, achevés, achevez de


purifier mon cœur et d'élever
mon âme ; tout en moi vous
cherche ; tout en moi crie vers
vous, ; mais je ne puis encore
me reposer, parce que je ne puis
voys atteindre ; et je ne puis
vous atteindre, parce que mon
cœur tient encore aux choses
créées, par d'innombrables at-
taches dont le tiraillement me
torture : Irrequietum cor do-
nec requiescat in te. Détachez-
moi vous-même, mon Dieu, dé-
tachez-moi vous-même ; faites-
le, s'il vous plaît. Seigneur,
pendant que je suis encore
jeune, afin que j'aie encore
quelque chose d'ardent et d'ai-
mant à vous donner. Je ne veux
pas vous donner les restes de
ma vie ; pnen&z-la dès ce mo
ment, et «qu'elle s'attache à
vous avec toutes ses énergies,
tout .son enthousiasme et toute
l'ardeur «t la sève de toutes ses
puissances. Empêchez-moi 4e
me perdre en désirs, 4e dépen-
ser en rêves toute l'ardeur 4e
mon âme, et faites-moi entrer
enfin dans .les actes, dans, la
réalité de la vie sacerdotale,
afin que je n'arrive pas à la fin
de ma carrière, -coirime tant
d'autres, les mains vides, pleu-
rant mon idéal irréalisé, mes
projets de sainteté restés vains
et perdus, tombés dans leur
fleur, mes beaux rêves de jeu-
nesse disparus sans retour, et.
mes bons désirs restés sans ef-
fort
Jésus

Cet état passera, mais qu'anâ


je voudrai ; 'et plus vous serez
^généraux, phus il passera vite,,
•parce que chacun de vos sacri-
fices avance ie travail ; votre
cœur finira par se désenchanter
dm monde «& par s'enchanter
de Dieu. Si pourtant vous êtes
généreux et qu'il me plaise de
vous tenir dans cet état de
lutte, jugez que par amour j'ai
voulu vous fournir l'occasion
de mériter beaucoup, en vojas
tenant plus longtemps ea souf-
france, et en vous demandant
davantage.
Pour aider ce travail, étudiez
la vie intérieure, priez, méditez
lisez de bons et saints livres,
ceux des saints ; ils vous diront
le vrai sens de la piété ; péné-
trez-vous, remplissez-vous de
l'Evangile ; allez vous pénétrer
de ma parole dans l'Ecriture;
cherchez-la surtout* dans saint
Paul ; il est, comme saint Au-
gustin, le docteur de la grâce.
Avez-vous remarqué que les
docteurs de la grâce sont ceux
qui ont plus péché ? Il Faut, ma
fille, que ma parole vous pénè-
tre, vous travaille, vous dévore,
vous ronge, vous consume,
comme un feu souterrain.

L'AMB

Mais comment fcrai-je, Sei-


gneur? Je ne suis qu'une pau-
- 73 -

vre fille ignorante et bornée ;


et mes péchés me seront un.
obstacle.

JÉSUS

Pour vivre d'immolation et


• »

vous sacrifier, il n'est pas be-


soin d'être savante ; et, d'ail-
leurs, en proportion de votre
humilité, je vous donnerai ma
lumière intérieure qui remplace
l'étude, c'est la science des
saints ; tous les saints l'ont re-
çue, et bien -des savants ne *

l'ont même pas soupçonnée.


Voici votre voie : Humble et
retirée, parlant peu, méditant
beaucoup, cherchant toujours h
vous sanctifier par vos occupa
tions ordinaires, et y trouvait
6
- 7 4 -

toujours le côté par où elles se


prêtent au développement de la
vie intérieure par l'union à
moi ; gardant le recueillement
intérieur, blottie dans le sanc-
tuaire de votre cœur, évitant
de regarder vers le monde et
d'y chercher des attaches, de
vous attacher à rien ; attachée
à Dieu seul qui est l'ami véri-
table et constant.

L'AME

Si peu que vaillent mon


amour et ma confiance, je sais
que vous êtes un Dieu jaloux et
que je vous contristerais, si j'al^
lais d'abord les dépenser au-
près des créatures. Il n'y a pas
de marque de tendresse et de
- 7 5 -

confiance, parmi les hommes,


pareille à celle qu'on donne à
quelqu'un, quand on va lui
confier ses peines ; c'est dans le
sejn du véritable ami qu'on va
pleurer. Je n'irai donc pas men-
dier la consolation auprès des
hommes, et perdre là le mérite
de mes peines; ce sera le secret
entre vous et moi.

Jésus

Vous serez ma famille, vous


vivrez dans ma maison, à l'om-
bre de mon sanctuaire, tout
près du tabernacle où je ré-
side ; la meilleure et la pre-
mière partie de votre temps se
passera en ma présence, à médi-
ter mon amour et à vous entre-
- 7 6 -

tenir avec moi dans l'oraison.


Vous viendrez au pied de
l'autel où je réside réellement
présent ; votre foi vous fera
sentir ma présence, et,' pour
ainsi dire, entendre à deux pas
de vous, derrière la porte fra-
gile du tabernacle, les batte-
ments de mon cœur qui a tant
aimé les hommes et qui vous a
aimée, vous, plus que les au-
tres. Non pas des yeux de votre
corps que vous tiendrez fermés,
pour être plus recueillie et plus
à moi, mais des yeux de votre
âme, vous apercevrez, vous sen-
tirez ce cœur ouvert devant
vous, pour verser en vous les
grâces dont il est la source ei
le trésor ; vous ouvrirez le vô-
tre, et vous recevrez, dans la
paix de l'oraison et dans le si-
lence intérieur de l'âme, ces
effluves de grâces que je tiens
en réserve pour vous. Vous ar-
riverez à cette tendresse de
piété, à cette familiarité
d'amour qui est, sur la terre,
la récompense du sacrifice,
ravant-goût du ciel et la plus
grande somme de bonheur à la-
quelle on puisse arriver ici-bas.

L'AMK

Seigneur, je voudrais bien ar-


river à la vie intérieure ; mais
je n'y vois rien!

Jésus
Ne cherchez pas d'abord à
voir et à comprendre. Bornez-
- 7 8 -

YOUS à être humble et cachée,


et à chercher la sainteté. Vous
arriverez ainsi à la vie divine.
La patience, le sacrifice, l'hu-
milité, la prière, l'union avec
moi, les sacrements, la péni-
tence reçue avec ferveur en vue
d'augmenter en vous la grâce
sanctifiante, l'Eucharistie sur-
tout, que de moyens d'avancer,
que d'aliments célestes « dans
lesquels vous sucerez l'es-
sence de la vie divine (i) » sans
vous en douter. L'important
n'est pas que vous vous sachiez
unie à moi, mais que vous le
soyez, et que, sans être éclairée
sur la nature de la vie surnatu-
relle, vous en jouissiez.
(l) Paber, Progrès de t'<2roe,ch.VH
7.
— 79 —

Imitez surtout et suivez ces


grandes saintes, sans vous
imaginer que vous allez les
égaler ou même leur ressem-
bler de loin; mais tenez-vous
bien à votre place, dans votre
petit coin, et regardez-vous
comme une pauvre fille bien
incapable et indigne d'être
choisie par moi et élevée au
rang de mes servantes.
Je ne vous parle pas de l'hu-
milité. Vous n'avez qu'à lire ce
qu'en ont écrit mes serviteurs
les saints ; vous avez leurs li-
vres, je vous renvoie à eux pour
ce qui est de l'humilité consi-
dérée, en particulier, comme
aussi des autres vertus spéciales.
Je me contente de vous rap-
peler combien est fondamental
— So-
ie rôle qu'elle joue dans la vie
spirituelle. Soyez humble, mais
sincèrement et de bonne foi, et
non par calcul et par tour de
force. Âma nesciri et pro nihilo
reputari; c'est pour vous, pour
vous surtout que cette parole a
été dite.
Fréquentez mes saints ; mê-
lez-vous à leur vie, en lisant
leurs ouvrages ot leur histoire.
Leurs exemples et leurs ensei-
gnements ont plus qu'une va-
leur personnelle ; car ces saints
avaient, outre la tâche de faire
leur salut, une mission publique
dans le monde, que je leur
avais conférée, c'était de fon-
der un trésor de spiritualité
pour tous ceux qui, dans.l'ave-
nir, se sentiraient inspirés, par
— S i -
mon Esprit parlant à leur cœur,
de les imiter et de me servir
dans une vie plus parfaite.
Voués à la prière et à la con-
templation, trempés par l'orai-
son, baignés dans la lumière dé
la grâce, ils n'ont pas parlé par
?
eux-mêmes, mais c est moi qui
ai parlé en eux par mon Esprit;
et, après un peu d'exercice,
vous reconnaîtrez en eux, dans
leurs livres, dans leurs paroles,
ma voix et mon parfum.
Vous avez lu quelquefois,
dans les ouvrages dé mes saints,
ces beaux traités de la vie inté-
rieure,, ces belles descriptions
des opérations que ma grâce
produit dans les âmes, et des
voies par où je conduis jusqu'à
la perfection de l'union avec
— 8a -~

moi, celles qui se prêtent à mon


action. Vous passerez par ces
voies.

L'AMK

Mais, mon Dieu, je ne suis


pas savante, et quand je lisais
ces belles choses, je sentais bien
qu'il s'agissait là de quelque
chose de grand ; mais je ne
comprenais pas grand'chose à
toutes ces belles explications et
à tous ces mots inconnus pour
moi. Il n'est jamais entré dans
ma pensée que je puisse faire
de si belles choses, passer par
tant de beaux états. Et puis,
ceci est pour les grandes âmes,
et la mienne est trop grossière
et médiocre.
JÉSUS

Laissez-vous faire seulement,


et ne craignez rien. Ce que les
savants sont capables de dé-
crire, mon Esprit-Saint est bien
capable de l'opérer peut-être ; et
il l'opère aussi bien et souvent
mieux dans une âme ignorante,
que dans une âme savante. Je
fais en vous des choses que vous
sentez et dont vous ne connais-
sez pas le nom. Et puis, avez-
vous remarqué comme de
grands savants sont ordinaire*
ment ignorants des choses de
Dieu, tandis que. de pauvres
âmes, bien, humbles et. sans
instruction, sont quelquefois
inondées d'une lumière mer-
veilleuse sur les choses célestes.
— 84 —
1
C'est cette science que vous de­
vez mo demander, c'est la
science de Dieu, la science des
saints, c'est celle-là que me de­
mandait David : Scientiam
sanclorum doce me. Restez sim­
ple et ignorante, quand il
s'agit des choses de ce monde,
et que le monde ne voie en
vous qu'une pauvre fille sans
éducation ; mais ambitionnez
et demandez-moi cette autre
science des choses célestes.

L'AME

Eh bien, oui, mon Dieu,


puisque vous me permettez
cette ambition, je vous la de­
mande aussi ; enseignez-moi
cette divine sagesse, cette
science des saints ; donnez-moi
voire esprit ci ses lumières,
Donnez-moi cette intelligence
de vos voies, cette compréhen-
sion de la vie surnaturelle et
des choses divines, afin que
j'arrive aussi à ces goûts céles-
tes, et à ce véritable amour de
Dieu et de vous-même, qui sont
le but de mon sacrifice et qui
doivent être, je le sens, tout le
repos de mon cœur.

JÉSUS

Ma fille, vous demandez là


non seulement une grande
chose, mais, une chose infinie et
qui ne vous sera jamais accor-
dée entièrement sur la terre.
Pour cela, il faudrait voir Dieu;
face à face, c'est le partage des
saints au ciel : /Vcmo facile Je-
sum videt ; nemo potest Jesum
videre constiliilus in terra (i).
Vous pouvez cependant en ob-
tenir sur la terre une participa*
tion, car la terre est le lieu des
commencements et des avant-
goûts. Mais retenez ceci : Au-
cun homme, aucune créature
ne peut vous montrer cela, vous
faire comprendre cette science,
ni vous aider dans cette voie,
sinon à vous diriger, à vous,
faire profiter des leçons de
l'Esprit-Saint et à vous aider à
l'entendre. Le Saint-Esprit,
avec moi, sera votre seul vrai
maître intérieur.

U) In Offic., Dedic. Bceles., vu lect.


— ,87 —

U faut obéir aux prêtres qui


vous dirigeront, mais ne comp-
ter sur leur parole et sur leur
lumière que pour vous montrer
la mienne. Us vous comman-
dent et vous instruisent ; mais
ils n'ont le droit, le pouvoir et
la prétention que de vous aider
à m'entendre et à écarter les
obstacles. Leur action, leur,
travail, le fruit de leur travail
consistera principalement à
vous amener à mes leçons, et à
vous avertir de les entendre,
comme ces surveillants de col-
lège qui amènent les élèves aux
leçons d'un maître habile, et
qui les surveillent pour les obli-
ger à écouter. Ainsi, tout res-
tera à faire ; ce sont des hom-
mes ; ils ne feront pas la beso-
— 88 —

gne pour YOUS ; c'est à vous de


la l'aire.

I/AME

J'obéirai aux prêtres. Maïs


comment faire ensuite; en quoi
consistera cette besogne?

Jésus

Ici, comme en toutes choses,


vous commencerez par la partie
la plus dure, la plus amère de
la vie chrétienne, par le travail
aride et sans fruit apparent.
Vous entrerez dans cette voie*
sans comprendre, sans goûter
les promesses qui vous sont pro-
posées, la douce récompense qui
la termine. Vous y entrerez
— 89—

parce qu'on vous l'a dit et que


vous avez confiance, croyant
sur parole, mais sans goût et,
pour ainsi dire, sans désir, car
Ignoti nulto capido; du moins,
sans autre désir que de goûter
un jour ce qu'on vous a pro-
mis et ce que vous ne goûtez
pas encore.
Tout ne sera longtemps pour
vous que sacrifice sans joie, sé-
cheresse, obscurité, oraisons pé-
nibles, prières sans consolation,
souffrance intérieure sans pro-
;
grès visible, obéissance sans
joie. Le jour sera longtemps à
se faire sur votre téte ; ne
voyant rien venir, vous serez
tentée de vous décourager, "de
rentrer dans l'ornière vulgaire
où la plupart des âmes traî-
90

nent leur vie chrétienne, dans


une médiocrité qui n'est ni
sainte ni coupable. Si vous'
poursuivez cependant votre
;
route, à chaque sacrifice, à cha-
que effort, vous augmenterez
votre part future d'intelligence
et de communications divines,
et un jour viendra où, la lu-
mière se faisant petit à petit
dan* votre dîne, vous montrera
peu à peu les richesses que vous
avez amassées dans l'obscurité,
et vous permettra d'apercevoir
enfin ces biens qu'on vous pro-
mettait et dont vous n'auriez
jamais compris la beauté, ni
goûté la douceur. Vous com-
mencerez alors à goûter la vie
intérieure, travaillant encore,
mais, consolée et heureuse dé-
— 9i —-

sormàis, parce que les ayant-


goûts vous sont donnés. Voilà
ce que j'appelle produire dû
fruit dans la patience.

LAME

Seigneur, les grandes saintes


ont eu des visions, des révéla-
tions, des douceurs, dés fa-
veurs particulières.. Si j'en
avais, peut-être, je deviendrais
meilleure, plus unie à vous?

Jésus

N'attendez pas tout cela, et.,


contentez-vous des grâces que
vous recevez par l'Eglise. Rien
bors d'elle n'a de valeur. Vous
— 92 —

me possédez en vous par ma


grâce ; vous me trouvez réelle-
ment présent au tabernacle ;
vous me recevez et vous vous
unissez à moi dans l'Eucharis-
tie. Je n'ai pas d'union plus in-
time que celle-là à donner à
mes serviteurs, et j'ai dit, sur
l'union avec moi, mon dernier
mot dans l'Evangile, en atten-
dant l'union du ciel. Conten-
tez-vous de cela, et ne cherchez
pas plus haut; car il n'y a rien
de plus haut, en attendant le
ciel.
Quant aux révélations que je
vous ferais, à quoi serviraient-
elles, et ne savez-vous pas tout
ce qu'il vous est utile de sa-
voir, quand vous savez qu'il
faut être humble de cœur et
- 9 3 -

pauvre d'esprit, qu'il faut vous


humilier dans la pensée de vos
péchés, et que c'est par le che-
min de la croix, c'est-à-dire de
l'obéissance, des souffrances,
du renoncement à soi-même et
de l'obscurité, qu'on arrive à
mon amour ?
Or, tout ceci, avez-vous be-
soin de visions et de révélations
pour le savoir, et ne le savez-
vous pas assez par la foi que
vous donne l'Eglise?

L'AME

Seigneur, me demandez-vous
de me détacher tellement de
moi-même, que je ne vous aime
plus pour moi, et que je sols
indifférente à vous posséder où
- 9 4 -

à vous perdre, et que je ne con-


sidère plus votre amabilité dans
le rapport qu'elle doit avoir avec
mon futur bonheur et pour me
réjouir de vous posséder un
jour?

Jésus

Pas du toutl Sans doute je ne


veux pas que vous ne cherchiez
que votre bonheur à vous seul;
je ne veux pas qu'il vous suf-
fise d'être heureux au ciel, quô
je sois glorifié ou non. Je veux
que vous m'aimiez pour moi et
a cause de moi, parce que vous
me trouvez aimable ; mais aussi
je veux que, dans votre amour,
vous ne puissiez vous faire à
l'idée d'être hors de moi, à
- 9 5 -

l'idée'de ne pas jouir de mes


perfections et do mon amabi-
lité ; et comme mes délices sont
d'être avec les enfants des
hommes, je veux que vos déli-
ces soient d'être avec moi, de
me sentir avec vous* d'espérer
que vous jouirez de moi. Au-
tant je suis ravi de vous voir
me sacrifier tout, autant je se-
rais affligé de voir que vous me
sacrifieriez moi-même. Non,
non, ne me sacrifiez pas ; dési-
rez-moi, appelez-moi, élancez-
vous vers moi, cherchez-moi
pour me saisir, et demandez-
moi d'être à vous, car mes dé-
lices sont d'être avec les en-
fants des hommes.
LAME

Oui, Seigneur, je vous dé-


sire, je vous cherche, j'ai des
élans vers voire beaulé infinie 1
Mais il me semble que c'est au
fond de moi-même que je puis
vous trouver ; vous sortez, pour
ainsi dire, du fond de moi-
même par tous les côtés ; par
la nature et par la grâce, par
votre image gravée en moi, par
mes idées universelles et im-
muables qui sont une commu-
nication de vous-même, par
tous vos dons à mon esprit,
par une certaine participation
de votre divine nature, la-
quelle constitue la grâce où je
suis, par l'élévation de mon
être entier à l'ordre surnaturel
— 97 —

qui est votre vie même, par vos


aspirations et vos grâces ac-
tuelles qui me révèlent votre
présence à tout moment, par
votre habitation mystique en
moi. Je vous trouve partout et
en tout moi-même.

JÉSUS

Faites bien attention à ce que


je vais vous dire, et notez bien
dans votre cœur le conseil que
je vais vous donner, pour le
mettre en pratique. Etudiez-
vous à creuser dans la vie inté-
rieure, à acquérir ma connais-
sance, qui est le principe et la
clef de la vie intérieure, à
vous rendre bien compte de
mes opérations en vous, à vous
- 9 8 -

familiariser avec cette idée que


je suis en vous, au fond do vo-
tre cœur, et à prendre l'habi-,
tude de rnc chercher au fond
de vous et non hors de vous,
selon le conseil des maîtres de
la vie spirituelle.
C'est moi qui serai votre di-
recteur ; et, tout en obéissant
beaucoup, il faut que vous pre-
niez l'habitude de vous passer
des hommes. Vous pourrez,
dans le cours de votre vie, ren-
contrer quelques âmes qui sau-
ront vous parler et aller à votre
âme ; je ne vous le promets pas,
mais c'est possible; mais quand
elles vous parleront, ou vous
ne les entendrez pas, ou si vous
les entendez, c'est que j'aurai
eu soin de prendre.leur parole
— 99 —

et de la transporter jusqu'à vo-


tre âme, et de la fairo pénétrer
jusqu'à cette demeure inté-
rieure de l'âme où je réside
seul avec vous et où nulle créa-
ture, quelle -qu'elle soit, ne doit
jamais pénétrer. Ecoutez-moi,
et si vous savez m'entendre, jd
vous suffirai.
Soyez délicate dans votre ma-
nière de' garder la virginité ;
gardez-la, non pas seulement
dans la chair, mais dans le
cœur, et ne permettez jamais
que rien le partage avec moi ;
car vous savez en quel sens il
est dit que je suis un Dieu ja-
loux; c'est pour vous surtout
que je le suis. Comprenez bien,
sentez bien les exigences de
mon amour, et que. votre
conscience soit prompte à
s'alarmer et à vous avertir de
ce qui, quoiqu'innocent et
excusable, pourrait en vous
blesser ou contrister mon
amour dans ses rocherches déli-
cates, dans ses exigences jalou-
ses et dans ses espérances.

L'AME

Seigneur, donnez-moi le dé-


goût des choses du monde, l'in-
telligence, le sens, le goût des
choses célestes!

Jésus

Vous avez surtout besoin,


pour vôtre salut éternel, pour
le succès de votre vocation,
IOI —

mais aussi pour votre bonheur


sur la terre, d'arriver à cette
compréhension, à cette intelli-
gence, à cette vision de. cette
partie intime et tendre de la
piété que si peu d'âmes ont eu
le don de comprendre. Vous ne
pouvez vous contenter de sacri-
fice, il vous faut un attrait ; le
devoir est un chemin, mais il
vous faut une force et, par con-
séquent, un amour. Ce besoin,
c'est la foi qui Ta fait en vous,
mais la foi s'incarnant, s'épa-
nouissant, fleurissant en une
vocation élevée à ce degré su-
périeur de lumière et d'attrait
céleste qui s'appelle vocation;
elle a, pour ainsi dire, creusé
ce besoin dans votre âme,
comme l'eau du ciel creuse les
— 102 —

abîmes sur la terre; et vous ne


serez en repos que quand vous
l'aurez satisfait. Jamais vous ne
le satisferez entièrement sur la
terre ; mais vous entrerez sur
la voie, vous entreverrez ce
bonheur; et celle demi-vision
sera pour vous une joie ineffa-
ble en même temps qu'un tour-
ment béni. Plus vous le satis-
ferez, plus vous sentirez encore
ce qui vous manque et plus
vous augmenterez ce tourment.
Mais vous aurez, du moins la
consolation de savoir qu'au ciel
il sera rassasié. C'est ce qui fait
que mes saints ont tant désiré
la mort et le ciel; désir incom-
préhensible pour les chrétiens
sans piété.
Ce tourment, je l'éprouve; ce
besoin, je le sens, je l'ai tou-
jours senti, je.voudrais tout sa-
crifier pour le satisfaire et pour
arriver à cet état dont vous me
parlez. Les besoins terrestres —
Sœcularia desideria — bien que
parfois ils remontent encore
jusqu'à mon cœur pour le ten-
ter, je les méprise au fond, et
vous m'avez fait la grâce d'en
comprendre la vanité, en m'ap-
pelant à une vocation qui me
détache d'eux. Complétez votre
œuvre, et accordez-moi aussi la
grâce d'éprouver plus forte-
ment ce besoin et d'arriver à
cette partie intime et tendre de
la piété; mais puisque je dois y
— io4 —

travailler moi-même, que faut*


il que je fasse?

JÉSUS

Commencez par la partie


amère et pénible qui est la des-
truction des obstacles inté-
rieurs, la purification de l'âme,
le sacrifice sans compensation,
la méditation sans attrait, la
prière sans goût, l'étude sans
joie, "le travail sans récompense.
Vous ne verrez rien d'abord, et
si vous vous écoutiez, vous ne
croiriez pas à ce qu'on vous dit
des joies dè la piété ; mais ne
pouvant y croire par votre pro-
pre persuasion, croyez-y par le
témoignage et travaillez à
l'aveugle, mais de confiance...
— io5 —

N'éventez pas vos peines.en


les confiant, et n'en perdez pas
le fruit en cherchant parmi le*
créatures des aides pour les
porter. Vous n'avez rien à faire,
rien à dire, même aux plus in-
times; il y a des peines mie,
même votre confesseur, qui est
aussi un homme, ne doit pas
entendre; cet état passif est
lui-même bien plus pénible que
l'activité. Pensez que je l'ai
sanctifié au Jardin des Oliviers,
dans mon agonie...
En offrant pour moi vos mé-
rites, et en m'en faisant cadeau,
vous ne vous èn dépouillerez
•pas vous-même, et vous n'eu
priverez pas votre famille spiri-
tuelle à qui vous vous devrez
premièrement. Car il en est des
s
biens spirituels tout au contraire
des biens matériels ; plus on en
donne, plus on en gagne ; et
plus on les étend, par sa direc-
tion d'intention, plus il y en a
pour chacun do ceux à qui on
les adresse et surtout pour celui
qui les adresse ; c'est la loi de
la charité qui veut cela en vertu
de la comunion des saints.
Vous porterez du fruit... dans
la patience! Vous travaillerez
lentement, doucement, dans la
paix, par le sacrifice, par l'élé-
vation du coeur, par le dévoue-
ment à tous mes intérêts, et
par la pratique de l'oraison, a
réaliser en vous ce grand type
religieux que je vous ai montré
dans mes saintes qui ont été les
vrais modèles de la perfection
— 107 —

dans la vie religieuse ; vous tâ­


cherez de devenir comme elles,
en les étudiant et en. prenant
leur esprit, une âme simple,,
forte, nourrie d'oraison, re­
cueillie au milieu du monde,
inaccessible aux désirs mon­
dains, portant sur votre visage
ce grand air de passion vaincue
que j'imprime au front de mes
épouses, qui impose le respect
aux gens du monde, et donne
une puissance irrésistible et
pleine (^'attraits. Voilà votre
idéal et l'ambition que vous
avez à poursuivre.

L'AME

Mon Dieu, que je suis loin


de cela ; je ne me sens pas de
grandeur, je ne suis qu'un en-
fant. Pour devenir ce que vous
dites, il faut un grand caractère
et quelque chose d'élevé dans
l'âme ; je n'ai rien, je ne sens
pas en moi l'étoffe pour arri-
ver à une telle grandeur et à un
si bel état.

JÉSUS

Ne craignez rien. Vous savez


que ma méthode est de choisir
ce qui est petit pour confondre
ce qui est grand, et de regarder
l'humilité. C'est ce que je veux
faire en vous, moyennant une
seule chose, la bonne volonté.
Ayez la bonne volonté, je ré-
ponds du reste. Après cela,
j'aime à varier mes œuvres, et
— IQ9 —

je ne vous dis pas quelle forme


je veux donner à celle que je
poursuis en vous ; seulement,
soyez sûre que si vous vous y
prêtez, et que si mon action en
vous n'est pas entravée par des
obstacles, je ferai en yous d>
grandes choses, d'une façon ou
de l'autre. Pour le reste, repo-
sez-vous en sur moi.
J'ai, dans mes trésors, d'ad-
mirables, d'étonnantes récom-
penses de spiritualité, de u-
mière intérieure, de vie surna-
turelje,, d'aptitude à la contem-
plation et aux choses célestes,
pour les âmes qui, ayant été
éprouvées intérieurement par de
grandes tentations du côté du
cœur, ont triomphé de oette,
épreuve et sont sorties pures de*
— IIO —

la tempête, surtout si elles ont


•conservé non seulement ce
qu'il y a de plus élémentaire,
d'escntiei et, pour ainsi dire,
de matériel dans la vertu, mais,
encore cette délicatesse de
conscience et cette fleur d'in-
nocence qui sont le charme et
le parfum de la virginité. Dans
ces âmes, la tentation a creusé
des abimes qui, restés vides,
parce que le péché a été re-
poussé et le sacrifice complet,
appellent et exigent, du côté de
Dieu, d'immenses largesses de
grâce et d'amour.

L'AME

Ah! Seigneur, si j'avais une


fois entrevu, pressenti et goûté
cette douceur et cette suavité
que vous communiquez dans le
mystère de votre grâce, je se-
rais pour toujours désenchan-
tée de tout ce qui est terrestre,
je serais ravie et séduite par vo-
tre céleste vision intérieure,
j'aurais lavant-goût du ciel et
le bonheur sur la terre ; en
même temps je serais assurée et
toute-puissante contre toute dé-
fection, toute faiblesse et tout
mal, parce que mon cœur serait
soutenu par ce qu'il & vu et
senti.

Jésus

C'est là le mystère, le secret'


1
de ce bonheur où nous voyons
les saints, de ce rayonnement
heureux de leur vie intérieure
sur leur visage et dans toute
leur vie extérieure, c'est qu'ils
avaient vu cela. Quand vous
serez arrivé à ce point, vous
serez dans la vie intérieure ; et
pour que vous jugiez être arrivé
à la vie intérieure, il faut que
vous ayez senti quelque chose
de cela.

L'AME

Montrez-la-moi donc d'abord,


6 Jésus, cette divine beauté,
afin qu'elle me saisisse et ra-
visse mon cœur, et qu'ainsi je
sois assurée d'y arriver ; car j'ai
tant de mal à me dégoûter du
inonde, je n'en viens pas à
bout. En me la montrant, vous
—- ÏI3 —

aurez plus tôt fait, et je n'aurai


plus qu'à marcher.

JÉSUS

Vous voudriez avoir de suite


* * *

ce que je ne veux vous donner


qu'après, et ce qu'il faut méri-
ter. On y arrive par le sacrifice,
et il faut d'abord .travailler dans
le sacrifice pour porter son v

fruit dans la patience ; la ré-


compense vient ensuite. Cette
vision étant du ciel, je n'ea
donne qu'un avant-goût sur
terre, et je le fais attendre et
gagner. Vous l'aurez cependant.
Que cotte confiance vous aide et
vous soutienne. Mais d'abord,
travaillez, creusez et méritez.
Vivez occupée à faire mourir
— II4 —

votre volonté dans la mienne.


Vous cultiverez aussi cette
grande, douce, consolante et
sanctifiante dévotion à mon Sa-
cré-Cœur, à la manifestation et
à la propagation de laquelle j'ai
moi-même mis la main, et qui
a pris, dans ces derniers temps,
un si beau développement. Mais
vous ne la cultiverez pas seule-
ment comme les autres, car elle
est votre héritage, votre pro-
priété, votre vocation particu-
lière à vous, puisque vous avez
le privilège d'être consacrée à
mon cœur et incorporée, à ma
famille, à une partie plus in-
time de ma famille. Ma parole
a eu pour vous des accents in-
connus aux autres. À partir de
ce moment béni je ne suis plus
votre maître, je suis votre ami,
votre frère, votre époux, le
frère et l'ami de votre âme.
Vous vivrez désormais recueil-
lie en vous-même, solitaire avec
moi, souriant £ quelque chose
d'intérieur et de céleste. Un
jour viendra où vieillie et désen-
chantée du monde, vous n'au-
rez plus qu'un sourire à donner
à toutes ces douleurs aujour-
d'hui si poignantes, et vous
n'aurez plus que le regret
d'avoir si mal fait ces sacrifices.
Votre âme alors, illuminée inté-
rieurement par la lumière invi-
sible de l'aurore éternelle, et
souriant aux joies célestes
qu'elle aura, commencé d'entre-
voir dans la terre des vivants,
s'élancera vers moi — Credo
videre bona Domini in terrja vi~
veniium.

L'AME

Grâce à vous, ô mon Dieu,


pour votre don inénarrable, déjà
sur la terre, où vous m'avez fait
connaître et goûter votre amour!
Mais accordez-moi de chanter
vos miséricordes dans l'éter-
nité : Misericordias Domini in
œternum cantaboi.

FIN

IMP. TÉQUI, 94, RUB S E VATJGIRÀRD

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