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Le Français Va Très Bien - Merci Les Linguistes Atterrées

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À l’heure du soupçon, il y a deux attitudes possibles.

Celle de la désillusion
et du renoncement, d’une part, nourrie par le constat que le temps de la
réflexion et celui de la décision n’ont plus rien en commun ; celle d’un regain
d’attention, d’autre part, dont témoignent le retour des cahiers de doléances et
la réactivation d’un débat d’ampleur nationale. Notre liberté de penser, comme
au vrai toutes nos libertés, ne peut s’exercer en dehors de notre volonté de
comprendre.
Voilà pourquoi la collection « Tracts » fera entrer les femmes et les hommes
de lettres dans le débat, en accueillant des essais en prise avec leur temps mais
riches de la distance propre à leur singularité. Ces voix doivent se faire entendre
en tous lieux, comme ce fut le cas des grands « tracts de la NRF » qui parurent
dans les années 1930, signés par André Gide, Jules Romains, Thomas Mann
ou Jean Giono – lequel rappelait en son temps : « Nous vivons les mots quand
ils sont justes. »
Puissions-nous tous ensemble faire revivre cette belle exigence.
ANTOINE GALLIMARD
N ous, linguistes, sommes proprement atterrées par
l’ampleur de la diffusion d’idées fausses sur la langue
française, par l’absence trop courante, dans les programmes
scolaires comme dans l’espace médiatique, de référence aux
acquis les plus élémentaires de notre discipline. Les discours
évaluatifs, qui indiquent ce qui serait « correct », saturent
quasiment l’espace éditorial et médiatique contemporain,
incitant à réduire toute réflexion sur la langue à la recherche
simpliste des formes sans faute. Mais ce qui fait la différence
entre une faute et une évolution, c’est la place qu’elle
occupera à long terme dans l’usage majoritaire, le vôtre, le
nôtre, qui entérine le changement. Et l’usage, ça s’étudie
avec minutie.
L’accumulation de déclarations catastrophistes sur l’état actuel de
notre langue a fini par empêcher de comprendre son immense vitalité,
sa fascinante et perpétuelle faculté à s’adapter au changement, et
même par empêcher de croire à son avenir ! Il y a urgence à y
répondre.
DÉCRIRE OU PRESCRIRE ?
La langue française est un sujet qui nous relie et nous divise. C’est le cas de
toutes les langues du monde : la langue est un pouvoir. Maitriser la langue,
c’est se faire entendre, avoir voix au chapitre. Mais les langues, si elles
permettent d’écrire les lois, sont également soumises à des règles.
Dès leur entrée à l’école, les francophones entretiennent un rapport ambigu
à leur propre langue, entre amour et crainte, créativité et contrainte. Bien que
des règles soient nécessaires pour se comprendre les uns les autres, elles ont en
français un poids particulier : celui de la peur de la faute. Les questions qu’on
apprend en premier à se poser sur la langue commencent souvent par « Est-ce
que ça se dit ? Est-ce que c’est correct ? Est-ce que c’est français ? ».
Pourtant, la forme correcte d’aujourd’hui est souvent la faute d’hier. La
plupart des évolutions de notre langue au fil de son histoire sont liées à des
adaptations phonétiques, des écarts ou des assimilations. Nécessité faisant loi,
les langues évoluent en tendant à une certaine économie ou en visant
l’efficacité. Pour la plupart, les raccourcis empruntés par l’usage se sont
implantés à une époque où l’idée même de norme n’était pas évidente. Pour ne
citer qu’un exemple, le mot fromage vient du latin tardif formaticum. La forme
correcte d’un point de vue étymologique est donc formage et non fromage. Ce
sont les mêmes raisons de modification phonétique qui ont présidé à
l’inversion du forma en froma qui font aujourd’hui prononcer parfois par
mégarde infractus ou génicologue. En ce sens, on pourrait dire, sans trop tordre
notre histoire que, finalement, le français actuel, c’est d’abord du latin tardif
oral et régional avec des « fautes », ensuite du français ancien.
Les linguistes qui mènent des recherches sur le langage savent que la langue
est en perpétuelle mutation. Ils l’observent comme les biologistes observent un
être vivant, avec toute la rigueur que le souci d’objectivité leur impose. Ils ont
élaboré des méthodes d’observation des usages, des contacts entre les langues,
de la diffusion dans le temps et l’espace des traits de prononciation ou des
néologismes (mots nouveaux), des méthodes expérimentales pour décrire et
comprendre l’acquisition du langage par les enfants, les pathologies du langage,
la fréquence de certaines tournures, les principes qui gouvernent les dialogues
et interactions humaines, les rapports entre langues et cognition, etc. Le but de
leurs recherches est de décrire et de comprendre.
On entend trop rarement dans les grands médias, par exemple : Non, la
langue ne se réduit pas à l’orthographe et modifier cette dernière peut
améliorer notre système d’écriture sans attenter à celle-ci ; les outils de
communication modernes n’appauvrissent pas nécessairement la pensée et
peuvent sous-tendre des formes d’expression nouvelles d’une grande richesse ;
bien qu’ils répondent à une certaine mode, les anglicismes ou autres emprunts
ne mettent pas notre langue en danger ; personne ne « déforme » la langue
française ; tout le monde a un accent, y compris à Paris ; le participe passé avec
l’auxiliaire avoir tend à devenir invariable en français contemporain, et tant
d’autres choses encore que les scientifiques de la langue ont mis au jour.
On entend en revanche souvent, sans discours contradictoire, des contrevérités
ou des pseudo-théories sur la langue qui n’ont comme fondement que
l’intuition de celles et ceux qui les énoncent ou les répètent, sans qu’aucun
travail d’investigation ne vienne les étayer. Le grand public connait surtout les
discours puristes et la norme scolaire en partie arbitraire ; il est temps de rendre
la recherche plus accessible.
Ce manifeste entend rassembler ce qui fait consensus dans la communauté
scientifique. Nous appelons à nuancer les discours omniprésents qui prennent
les grammaires et les dictionnaires pour des tables de lois immuables, gravées
dans le marbre.
Les arguments ici réunis, rédigés collectivement, visent donc à rétablir
quelques faits face à des contrevérités qui sont encore trop souvent véhiculées
et à éclairer les débats futurs. Sur quelles bases solides pourrait-on
recommencer à discuter ? Que proposons-nous ? Sur quoi peut-on tomber
d’accord et sur quoi est-il nécessaire de continuer à débattre ? Quels sont les
objets qui méritent vraiment de saines disputes ? Peut-être changerez-vous
d’avis après cette lecture.
Nota bene – ce texte a été rédigé en respectant les Rectifications orthographiques
de 1990, en appliquant l’accord de proximité, ainsi que l'invariabilité du participe
passé des verbes conjugués avec avoir : à vous de juger l’effet que cela produit sur
votre lecture.
1. LE FRANÇAIS N’EST PLUS « LA LANGUE DE
MOLIÈRE »
Idée reçue – Le français classique avait atteint la perfection au XVIIe siècle, et depuis
il ne fait que décliner.
Citation – « Aussi belle soit-elle, la langue de Molière est souvent chahutée par les
Français. Les fautes d’orthographe ou de grammaire sont fréquentes. » Article sur
BFMTV.com, 11 mai 2016
Aujourd’hui, il est encore courant d’entendre qu’on « écorche la langue de
Molière ». Heureusement que ce n’est pas le cas ! La langue de Molière est
datée historiquement, elle est enclose dans ses pièces, et n’est plus guère
écorchable.

LA LANGUE A CHANGÉ

Cette expression commode, « langue de Molière », comporte un grave


inconvénient. Elle laisse entendre que Molière écrivait la même langue
qu’aujourd’hui. Or, c’est loin d’être le cas. Les pièces de Molière ont en
moyenne 350 ans d’âge. Beaucoup de mots doivent être expliqués, et pas
seulement les savoureux jocrisse (« niais » ; Les Femmes savantes) ou pimpesouée
(« femme maniérée » ; Le Bourgeois gentilhomme). Hymen pour « mariage » ne
s’emploie plus. Mais cela touche aussi le vocabulaire resté courant. Les verbes
connaitre, penser, intéresser, n’avaient pas exactement le même sens
qu’aujourd’hui. « J’ai pensé vomir » (L’École des femmes) signifie « j’ai failli
vomir », par exemple. Transport signifiait « vive émotion » et alarme « état de
trouble ».
La grammaire a aussi changé. Il faut comprendre que, non, il n’y a pas de
faute dans « je vous le demande avec larmes » (Dom Juan), car le nom pouvait
encore s’employer sans article. Le relatif dont pouvait être employé de façon
très libre : « je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne »
(« avec laquelle » ; Dom Juan). Est-ce que par hasard Molière n’écorcherait
pas… la langue de Molière ?

TRADUIRE MOLIÈRE ?

Depuis une vingtaine d’années, plusieurs propositions ont été faites de traduire
Molière en français contemporain. C’est un signe. Cela avait déjà été fait pour
Montaigne, né un siècle avant, et, il est vrai, beaucoup plus difficile à lire. Mais
Molière ? Cela a soulevé des protestations, car on touchait au symbole. Pour
certains, traduire Molière en français contemporain, ce serait pour ainsi dire
traduire du bon français en mauvais français.
En tenant ce type de discours, on entretient une illusion, on fossilise l’image
qu’on donne du français. Car on ne lit pas Molière dans la graphie d’origine !
Si on le faisait, on découvrirait des signes étranges pour nous, comme le tilde
au-dessus de la voyelle pour indiquer qu’elle est nasale : nous voyõs. Moi
s’écrivait moy et français françois, prononcé fransoué. Eh oui, la prononciation
aussi a changé. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les lectures reconstituées
par Benjamin Lazar sur Youtube. La fameuse « langue de Molière » y apparait
presque comme une langue étrangère.

MOLIÈRE N’ÉTAIT PAS UN PURISTE

Molière n’est d’ailleurs pas un bon candidat, pour représenter le « français


classique ». Il est venu trop tôt. À son époque, les grammairiens se battaient
encore pour savoir quel mot, quelle construction accepter.
S’appuyer sur Molière pour défendre une vision puriste de la langue est donc
paradoxal – lui qui a truffé ses pièces de « patois », de « jargons », lui qui a
adoré triturer la langue, allant même jusqu’à des inventions délirantes (qu’on
pense à la cérémonie du Mamamouchi du Bourgeois gentilhomme, ou à la fin du
Malade imaginaire). En 2016, le voilà qui s’est retrouvé de plus associé à une
« clause » prétendant imposer l’usage du français dans les appels d’offres de
marchés publics nationaux, la trop fameuse « clause Molière », heureusement
rejetée par le Sénat en 2017, et disparue semble-t-il des débats.

LE FRANÇAIS ÉVOLUE COMME TOUTES LES LANGUES

Depuis les Serments de Strasbourg, au IXe siècle, époque de naissance de


l’ancien français par rapport au latin, la langue n’a cessé d’évoluer et nous ne
reviendrons jamais à la langue de Molière. C’est le XVIIe siècle qui s’est plu à
construire cette fausse image d’une fixité, d’une pérennité du français à travers
les siècles. On croyait au « génie de la langue », une représentation confuse et
indémontrable de son identité. Le XIXe siècle, et même le XXe, a parfois
continué à s’accrocher aux anciens mythes, pour des raisons souvent politiques,
ou par nostalgie d’un âge qu’on sentait s’éloigner.
Les changements continueront, car le français de 2023 n’est déjà plus celui
de 2000. Des « fautes » d’aujourd’hui deviendront sans doute la norme
en 2050. Molière utilisait est-ce que, mais il était impensable alors de dire « Est-
ce qu’il pleuvra demain ? ». Est-ce que n’interrogeait, en effet, que sur un fait
connu (« est-ce bien le cas que… » ?). Il en sera toujours ainsi : on observe à
chaque moment de l’histoire une coexistence de diverses manières de dire, du
fait de la diversité des usages, des phénomènes de modes, des contacts de
langues, de la pression à la régularisation de certaines exceptions, des besoins
d’innovations… et à un moment une variante s’impose (plus ou moins) par
rapport aux autres.

ÉTUDIER LA LANGUE DE MOLIÈRE PLUTÔT QUE L’INVOQUER !

Il est impératif de renforcer la culture linguistique dans l’enseignement


secondaire français. Il vaudrait mieux faire découvrir la langue de Molière
comme une langue différente. Ne pas se contenter de traduire en français
moderne les mots d’« ancien français » des textes qu’on fait lire, mais faire
comprendre que chaque époque (comme chaque langue) a ses manières de
dire. On accèderait plus facilement à toute sa richesse, car c’est en abordant sa
propre langue comme une langue étrangère qu’on saisit son fonctionnement et
qu’on entre véritablement dans ce qu’elle a à nous dire.

ET SI ?

Et si on enseignait des éléments d’histoire de la langue dès le collège ? Si on


montrait les textes de Molière en graphie de l’époque ? Si on faisait écouter des
enregistrements en prononciation restituée ? Si même on s’y entrainait !
RESSOURCES
Alain Rey, Frédéric Duval et Gilles Siouffi, Mille ans de langue française : histoire d’une passion,
Perrin, 2007. Version abrégée parue dans la collection « Tempus (poche) » en 2011.
Frédéric Duval, Jacques Dürrenmatt, Jean Pruvost, Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt,
Chronologie de l’histoire de la langue française, Bescherelle/ Hatier, 2022.
Nathalie Fournier, Grammaire du français classique, Belin, 1998.
Base de textes littéraires numérisés depuis le Moyen Âge : www.frantext.fr
2. LE FRANÇAIS N’APPARTIENT PAS À LA FRANCE
Idées reçues – Le français est la langue des Français. Tout le monde en France parle
français.
Citation – « L’invasion de l’e muet nous est arrivée du Québec, contaminée par les
revendications des ligues féministes des États-Unis. Une affaire de Huronnes. J’ai
une profonde affection pour les Québécois. Mais ce n’est pas chez eux que j’irai
prendre des leçons de langage. Ils ont emporté outre-Atlantique le parler
patoisant du Poitou du début du XVIIe siècle, avant Vaugelas et Voiture, avant
Boileau, avant Racine. » Maurice Druon, Le Figaro, 29 décembre 2005.
Le français s’est d’abord constitué et transmis en Europe, sur le territoire de
l’actuelle France hexagonale, Wallonie et Suisse romande. Mais du fait de la
colonisation et de la diaspora européenne, le français a ensuite été exporté et/
ou imposé dans des territoires éloignés par la géographie et la culture : dans
tout le Maghreb et une bonne part de l’Afrique subsaharienne, des Antilles au
Québec et à Terre-Neuve, de Madagascar à Pondichéry… On estime à présent
que plus de 300 millions d’humains ont le français en partage à des degrés
divers : la plupart sont plurilingues, certains n’emploient cette langue que dans
une partie de leurs activités, d’autres l’emploient en tout temps et en tout lieu ;
certains et certaines l’ont appris dans leur famille, d’autres à l’école ou au
travail, sur le tas.
Pour des raisons historiques, le français fait partie des dix langues les plus
présentes sur Internet, et des cinq langues les plus parlées, si l’on prend en
compte toutes les personnes qui l’emploient à des niveaux différents de
maitrise : cela lui donne un poids énorme au niveau mondial.
L’avenir du français comme langue planétaire se joue en Afrique, où se
trouve actuellement la plus grande ville francophone du monde : Kinshasa,
17 millions d’habitants, en République démocratique du Congo.
LE FRANÇAIS N’EXISTE PAS

Le français n’a jamais été homogène. Le standard unique est un mythe. Les
linguistes décrivent la variété des prononciations, des répertoires lexicaux
(vocabulaire) et des tournures grammaticales, mais il est impossible de compter
les variétés du français car elles sont imbriquées. Les entités géographiques ne
traduisent pas toujours des frontières linguistiques. On trouve je vais en
concurrence avec je vas en français québécois et acadien, mais ils sontaient (ils
étaient) est plus fréquent en français acadien.
L’hétérogénéité du français vient des contextes divers de son emploi et des
nombreuses langues avec lesquelles il entre en contact. Pourtant, quand on
l’enseigne comme langue étrangère, on enseigne UN français artificiellement
épuré. Cela suppose de se mettre d’accord, à plus de 300 millions, pour
enseigner par exemple j’appris, le passé simple, mais pas j’ai eu appris, le passé
surcomposé ; quatre-vingts-dix mais pas nonante ; parfum prononcé avec le in
parisien et non avec le un lorrain, toulousain, québécois…

FRANCOPHONIE DU NORD

Dans les pays dits du Nord (Belgique, Canada, France, Suisse), il y a de vraies
tensions autour de la notion de français de référence ; ces pays se dotent
d’instances officielles de régulation du français (voir ci-dessous, point 4) et
revendiquent la reconnaissance de leurs apports au français « courant,
commun » ; les dictionnaires établis à Paris se font de plus en plus accueillants,
même si les mots qui ne sont pas employés en région parisienne continuent à
être affublés de l’étiquette « régionalisme », ce qui n’est pas le cas pour les
régionalismes parisiens.
Les tensions prennent parfois la forme de guerres commerciales, comme
l’embargo que la France refuse toujours de lever, depuis la Deuxième Guerre
mondiale, sur toute diffusion vers l’Europe des films en version française
(doublage) réalisés au Québec.
FRANCOPHONIE DES SUDS

Durant la colonisation, notamment en Afrique, le français était la langue des


colons mais aussi la langue des élites, de l’émancipation, de la modernité, la
langue convoitée à laquelle les « Indigènes » n’avaient quasiment pas accès.
Cette ambivalence, conservée par les élites nationalistes après l’indépendance, a
laissé des traces encore observables dans les pays de l’ancien Empire colonial
français. Certains ont donné le statut de langue officielle au français, d’autres
non, mais ont préservé sa transmission scolaire et familiale.
La politique d’entrave à l’éducation des « Indigènes » menée par la France
coloniale a durablement marqué les mémoires : le spectre des moqueries visant
le français petit nègre du « y’a bon Banania » est toujours là. Cela empêche
encore les francophones des Suds de revendiquer leurs normes locales. On y
observe une insécurité linguistique particulièrement forte qui les pousse à un
conservatisme linguistique exacerbé et à l’autostigmatisation de leurs créations
néologiques ou de l’« accent africain ».

LES FRANÇAIS, DES FRANCOPHONES COMME LES AUTRES

Pendant un moment, on a séparé littérature française et littérature


francophone, comme s’il existait une hiérarchie ; comme si on pouvait
rassembler toute la littérature d’expression française sauf celle produite en
France, car celle-ci devait jouir d’une légitimité différente. Cette division ne
tient plus. Le temps est venu que les Français appliquent à la francophonie le
multilatéralisme qu’ils défendent, car les pressions entre les différentes
légitimités augmentent comme dans une cocotte-minute.
Inversement, il est temps de reconnaitre qu’en France aussi, des dizaines de
langues coexistent : en 1999, le rapport Cerquiglini en comptait 75, l’alsacien,
le basque, le breton, le catalan, le corse, l’occitan, les créoles mais aussi les
langues parlées en Guyane et en Nouvelle-Calédonie… Même si le français y
tient une place centrale, la France est un pays plurilingue, comme les autres
pays francophones. Malheureusement, la formulation actuelle de l’article 2 de
sa Constitution, adopté en 1992, qui stipule « La langue de la République est
le français » l’empêche de ratifier la Charte européenne des langues régionales.

ET SI ?

Et si on favorisait partout l’éducation plurilingue, l’éveil aux langues,


l’éducation à l’intercompréhension des langues romanes et des différentes
variétés de français pour sortir progressivement de la culture de la norme
unique forgée par Paris ? Et si on révisait la Constitution française pour que la
France ratifie et applique la Charte européenne sur les langues régionales ?
RESSOURCES
Anne Abeillé, Danièle Godard (dir.), La Grande Grammaire du français, Introduction : Qu’est-ce
que le français ?, Actes Sud/Imprimerie nationale éd., 2021.
Michel Candelier (dir.), Le CARAP - Un Cadre de Référence pour les Approches plurielles des
Langues et des Cultures – Compétences et ressources, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2012 [en
ligne].
Bernard Cerquiglini, Les Langues de France : rapport au ministre de l’Éducation nationale, de la
recherche et de la technologie et à la ministre de la culture et de la communication, 1999.
Marty Laforest. 2021, États d ’âme, états de langue ; essai sur le français parlé au Canada, Presses
de l’Université de Montréal, 2021.
Michel Launey, La République et les langues, Raisons d’agir, 2023.
France Martineau, Wim Remysen, André Thibault, Le Français au Québec et en Amérique du
Nord, Ophrys, 2022.
Cécile Van den Avenne, De la bouche même des indigènes, Éditions Vendemiaire, 2017.
Baromètre Calvet du poids des langues [en ligne sur le site www.culture.gouv.fr].
3. LE FRANÇAIS N’EST PAS « ENVAHI » PAR
L’ANGLAIS
Idées reçues – Le français est menacé par l’anglais. Emprunter un mot, c’est
appauvrir sa langue.
Citation – « La langue française […] est exposée au risque de s’effondrer en français
pourri, en une sorte de dialecte de l’empire anglo-saxon. » Alain Borer, Speak White,
Tracts Gallimard, 2021.
Spam, spoileur, dating, asap, lol ! Régulièrement, on entend, dans les médias, les
puristes se plaindre de ce qu’ils appellent les anglicismes : notre langue serait
envahie, menacée, abimée par un usage excessif de l’anglais, ou de ce que
certains considèrent comme un mauvais anglais (le « globish ») et un mauvais
français (le « franglais »). Le nombre inquiétant d’emprunts à l’anglais serait le
signe de la défaite, de la soumission, de la mise à mort prochaine du français.
Les puristes emploient des mots qui font peur (invasion, menace), décrivant
les échanges linguistiques en termes guerriers : il y aurait un vainqueur et un
vaincu. Celles et ceux qui étudient la langue sans a priori seraient au mieux des
moutons, au pire des collabos, qui précipitent la fin du français tel qu’il doit se
parler. Les linguistes, au premier rang, devraient ne pas se contenter de décrire,
mais prescrire, dire comment il faut parler et résister en français.

LE FRANGLAIS N’EXISTE PAS EN EUROPE

Le problème, c’est que les notions brandies par les puristes, dont le « franglais »
condamné par René Étiemble en 1964, n’ont pas d’assise scientifique. On voit
bien ce que veulent dire celles et ceux qui dénoncent le franglais, une sorte de
mélange d’anglais et de français, perçu comme une monstruosité linguistique. Il
existe parfois des langues qui se mélangent dans des conditions historiques
particulières, créant des langues nouvelles ; ce sont les langues créoles, qui
deviennent les langues maternelles des nouvelles générations, qui peuvent
même devenir des langues officielles ; ce ne sont pas des monstres.
En français, il y a des emprunts lexicaux, selon un processus d’appropriation
lent, graduel. Dans « Je ne vais pas te spoiler ta série », spoiler n’est pas un verbe
anglais : c’est un verbe français du premier groupe, terminé par -er. Surtout,
défions un anglophone de reconnaitre « son » verbe spoil lorsqu’un
francophone le prononce. La façon dont il le prononce l’a déjà rendu autre. À
quel moment un mot cesse-t-il d’être anglais et devient-il français ? Spoiler est-
il plus anglais que weekend ? Weekend est devenu un nom français avec un
genre masculin, alors que l’anglais ne connait pas de genre grammatical. La
lecture nationaliste d’un mot est un contresens, car elle néglige l’histoire de la
langue. Nous naissons à un moment donné dans une ou plusieurs langues, en
oubliant qu’on les reçoit en héritage, qu’elles sont le produit d’une riche et
complexe réalité, constituée au fil des siècles, la réalité de ce qui se passe quand
des langues sont en contact.

DEUX LANGUES COUSINES RESTÉES EN CONTACT

L’anglais et le français sont des langues cousines appartenant à la grande famille


linguistique des langues indo-européennes. Comme l’italien, l’espagnol,
l’allemand, le russe, mais aussi le persan ou l’hindi.
Après l’arrivée de Guillaume le Conquérant sur le trône anglais, au XIe siècle,
ces deux langues ont cohabité pendant plus de trois siècles. On estime à près de
la moitié la part du lexique anglais empruntée à l’ancien français ou au
normand. Si l’on tient au terme « franglais », il convient bien mieux à l’anglais
qu’au français ! Ainsi « spoiler », par exemple, vient en fait du français espoillier,
du latin spoliare. « Notre » verbe « spolier », proche par le sens, ne s’emploie pas
dans le même contexte.
Si l’on retient un mot, c’est qu’il nous apporte quelque chose (une nuance
sémantique, un contexte). La langue a le sens pratique, elle emprunte pour
s’enrichir. Ainsi le follower se rencontre sur les réseaux sociaux, mais les clubs de
sport ou les magazines ont des abonnés, pas des followers ; faire du shopping
n’est pas la même chose que faire les courses. Même au Canada, où les
francophones sont le plus exposés à l’anglais, la recherche linguistique montre
que la langue d’accueil (le français) n’est pas altérée par les emprunts, qu’elle
incorpore et digère sans problème. Le contact entre les langues ressemble
davantage à un jeu à somme positive qu’à une guerre : ce que « gagne » l’une,
l’autre ne le perd pas. De même que le vocabulaire de chacune est illimité : les
mots ajoutés (par emprunt) ne remplacent pas les mots existants, ils permettent
d’apporter une nuance de sens.

LA VISIBILITÉ DE L’ANGLAIS DANS L’ESPACE PUBLIC

Alimentant les discours puristes anti- « franglais », fustigés dans le rapport de


l’Académie française publié en février 2022, et très visibles dans l’espace public,
il y a tous ces jeux avec l’anglais qu’affichent les slogans publicitaires de type
« Ouigo » ou « Made in France ». Ce genre de communication s’adresse à une
cible, une target. Si nos communicants, qui veulent frapper les esprits,
souffrent peut-être de jeunisme, cet excès, bien que visible, n’est pas
représentatif du français vraiment parlé par la plupart (y compris les jeunes)
qui n’incorpore qu’une dose limitée d’emprunts. Du point de vue de la
grammaire, mis à part quelques rares calques et quelques cas où l’ordre des
mots autour du nom s’est inversé (certains noms propres comme « Montreux
Jazz Festival » pour Festival de jazz de Montreux, ou slogans comme « bus
attitude » pour attitude dans le bus), où il s’agit toujours de retenir l’attention,
les langues gardent leur spécificité. On n’est pas près de boire une chaude eau
avec un maison gâteau (un gâteau maison).

LES LANGUES VIVANTES BOUGENT


Le mélange, l’impur sont signes de vitalité pour une langue. Le séparé, le pur,
une vue de l’esprit, un idéal, une langue statufiée. La langue se renouvèle
d’abord parce que le monde change et qu’il faut le nommer, pour le meilleur et
pour le pire (« covid » est-il un mot anglais ou français ?), mais aussi par besoin
expressif, par jeu, pour faire place aux jeunes, aux autres, à l’altérité. Nombreux
sont les anglicismes à avoir été détrônés. Aujourd’hui, pour dire que c’est cool,
les jeunes disent que c’est frais, ou que c’est stylé. Les emprunts, agaçants ou
sympathiques, sont souvent éphémères.
Des commissions de terminologie (comme la Commission d’enrichissement
de la langue française en France ou l’Office québécois de la langue française)
travaillent à proposer des termes nouveaux, pour désigner des réalités
nouvelles. Le français a ordinateur et confinement, là où l’italien a computer et
lockdown. Les linguistes observent l’usage : certaines propositions sont adoptées
par l’usage (logiciel pour software), d’autres non (pourriel pour spam), parfois
l’usage hésite (divulgâcher pour spoiler). Plusieurs formes peuvent coexister
(abonné et follower, interview, entrevue et entretien), avec des sens différents, et
nous avons le choix. Comme l’anglais, qui a tant emprunté au français et qui se
porte bien, le français est capable d’accueillir une infinité de synonymes.

L’ANGLAIS COMME LANGUE DOMINANTE

Bien sûr, l’anglais aujourd’hui est LA langue dominante à l’échelle planétaire,


sur Internet ou sur le marché des traductions. C’est la langue des
multinationales, des affaires, d’une bonne part de la science, mais aussi des
chansons, des films à succès. Au XVIe siècle, c’était l’italien qui connotait le
succès en Europe, et un certain Henri Estienne dénonçait le snobisme d’une
cour de France italianisante. Et entre le Moyen Âge et le XVIIe siècle, le latin
était la langue de la science et de la culture en Europe, sans que cela empêche
les langues nationales de s’imposer progressivement et durablement, dans le
droit et dans les faits, comme langues officielles. Il est possible que l’anglais soit
amené à jouer le rôle du latin à l’échelle mondiale, dans un monde plurilingue.
Mais il est possible aussi que les élites d’une culture cessent de transmettre leur
langue et la pénalisent fortement, comme cela est arrivé à l’occitan ou au
picard, progressivement remplacés par le français. C’est sur le statut des langues
et du plurilinguisme qu’il faudrait débattre ; et non sur la concurrence entre
spoiler et divulgâcher !

ET SI ?

Et si on enseignait l’histoire du français et de l’anglais, l’histoire des mots, la


notion de contexte, de nuance sémantique ? Et si on expliquait que la
concurrence entre langues est une concurrence entre groupes sociaux ? Et si on
encourageait les traductions (du français vers l’anglais et de l’anglais vers le
français) et le plurilinguisme, la diffusion des films majoritairement en VO à la
télévision comme au cinéma ?
RESSOURCES
FranceTerme : le dictionnaire en ligne des propositions de la Commission d’enrichissement de
la langue française : www.culture.fr/franceterme
Le grand dictionnaire terminologique québécois (3 millions de mots) : gdt.oqlf.gouv.qc.ca
Louis-Jean Calvet & Alain Calvet, Les Confettis de Babel. Diversité linguistique et politique des
langues, Éditions Écriture, 2013.
Salvatore Digesto & Shana Polack, Le Français canadien, un français comme les autres. Tomber
en amour ne vient donc pas de “to fall in love” ? Dommage !, France Forum, nouvelle série, no 65,
avril 2017, p. 93-94.
Romain Filstroff, Les Mots sont apatrides, Slatkine, 2023.
Jean Pruvost, La Story de la langue française, Taillandier, 2020.
Henriette Walter, Honni soit qui mal y pense, Robert Laffont, 2001.
4. LE FRANÇAIS N’EST PAS RÈGLEMENTÉ PAR
L’ACADÉMIE FRANÇAISE
Idée reçue – L’Académie française fixe les règles de la langue française en se fondant
sur l'usage et sanctionne les mauvais usages.
Citation – « La sphère politique a oublié qu’en France, c’est l’Académie française
qui fixe, depuis 1635, les règles de l'usage du f rançais. » Bernard Accoyer, élu UMP,
automne 2012 ; propos issus de son blog et rapportés par différents médias, dont le Huffington Post,
24 janvier 2014.
Dans les débats publics qui tournent autour de questions linguistiques
(orthographe, féminisation, écriture inclusive, anglicismes), l’Académie
française est souvent invoquée dans les médias pour jouer le rôle d’arbitre
(« d’après l’Académie française… », « l’Académie dit que… », « selon les
Immortels… »). On lui prête un rôle qu’elle n’a pas.

L’ACADÉMIE FRANÇAISE A ACCOMPAGNÉ LES ÉVOLUTIONS DE LA LANGUE


JUSQU’EN 1835

Fondée par Richelieu en 1634 pour renforcer le pouvoir royal en s’appuyant


sur les grands écrivains de l’époque, l’Académie française a alors pour
principale mission, comme l’indiquent ses statuts, de « travailler avec tout le
soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue
et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».
Cependant, en défendant une conception qui confond langue et littérature,
l’Académie française propose, surtout aujourd’hui, une vision trop souvent
élitiste de la langue. Elle a pu, parfois, entériner avec bonheur des évolutions et
a même contribué, notamment au XVIIIe siècle, à des réformes orthographiques.
Mais depuis le XIXe siècle, elle ne suit plus l’évolution de la langue : elle s’est
opposée à la réforme de l’orthographe prévue en 1901 pour accompagner
l’accès de tous les enfants à l’école. Son Dictionnaire, seule production officielle
actuelle, en est à peine à sa neuvième édition et n’est pas du tout à jour :
ministre est dit nom masculin, mariage est défini comme l’union légitime d’un
homme et d’une femme. Si l’Académie n’est pas à jour sur le vocabulaire, elle
ne l’est pas non plus en grammaire. Sa seule Grammaire date de 1932 et a été
tellement critiquée qu’elle n’a plus osé en publier d’autre.

L’ACADÉMIE FRANÇAISE N’A AUCUN POUVOIR SUR LA LANGUE

L’institution n’a pas de lien direct avec le ministère français de l’Éducation


nationale et ne participe aucunement à l’élaboration des programmes scolaires
de français, ni en France ni dans le reste de la francophonie. L’Académie
n’édicte pas de loi, ni de circulaire elle-même, et ne peut aucunement
sanctionner des usages linguistiques qui ne suivraient pas ses
« recommandations ». Son seul pouvoir concret : autoriser la publication au
Journal officiel de la République française de termes issus du travail des
commissions ministérielles de terminologie, auxquelles elle participe.
L’Académie française reconnait elle-même en 2019 que son Dictionnaire
« n’a pas pour vocation de recenser la pluralité des usages en train de naître ou
de se former, mais de dire le “bon usage” dès lors qu’il est établi et consacré ».
L’usage, « bon » ou pas, ce sont les francophones qui, au quotidien, le
fabriquent, le façonnent, le font évoluer. Les changements ne sont jamais
décrétés par les dictionnaires : selon leur politique éditoriale, les dictionnaires
les entérinent plus ou moins vite. Celui de l’Académie est le plus mince
(32 000 mots dans sa huitième édition, la dernière complète à ce jour). Les
francophones lui préfèrent largement les dictionnaires des maisons d’édition
privées Larousse ou Robert, ou le Wiktionnaire collaboratif en libre accès, en
prise directe avec les évolutions et intégrant de plus en plus les mots de toute la
francophonie (60 000 mots pour le Petit Larousse ou le Petit Robert,
100 000 mots pour le Grand Robert, plus de 400 000 pour le Wiktionnaire).
Rappelons que le vocabulaire est infini, et par définition bien des mots
disponibles ne figurent pas dans les dictionnaires : beaucoup de noms propres,
de mots en -ment, de mots en - able. La langue permet d’en créer sans limite :
revaccinable par exemple.

D’AUTRES INSTITUTIONS TRAVAILLENT SUR LA LANGUE

En France et en Afrique francophone, l’Académie française bénéficie d’une


aura symbolique, d’un prestige que lui confèrent son ancienneté, son apparat
(bâtiments, costumes, épées), ses membres (écrivains reconnus, politiques…).
On y accède sans aucune formation à la linguistique. Le travail sur le
dictionnaire est réalisé par des agrégés de lettres dont le public ignore l’identité.
Il en est de même pour sa rubrique « Dire, ne pas dire », mise à jour de
manière très inégale. Elle a ainsi préconisé en juillet 2020 de ne pas utiliser les
mots distanciel et présentiel sous prétexte qu’ils seraient des anglicismes. Ce
qu’ils ne sont pas…
Les pays francophones du Nord n’accordent de toutes façons aucun crédit à
l’Académie de la France et ont leurs propres institutions qui effectuent un
travail d’aménagement linguistique professionnel en prise avec les besoins des
communautés : l’Office québécois de la langue française, le Conseil des langues
et des politiques linguistiques de la Fédération Wallonie Bruxelles, la
Délégation à la langue française en Suisse.
En France, c’est davantage la Délégation générale à la langue française et aux
langues de France (DGLFLF) qui travaille sur l’évolution du vocabulaire.
Dépendante du ministère de la Culture, elle s’intéresse au français dans sa
diversité et en contact avec les autres langues de France (au sens large du terme,
jusque dans les territoires d’outre-mer et les langues d’immigration). Elle
travaille en lien étroit avec des linguistes, publie des études, des rapports,
propose un « observatoire des pratiques linguistiques » et finance le
Dictionnaire des francophones (plus de 500 000 mots), qui s’appuie lui-même
sur le dictionnaire collaboratif en ligne et en libre accès Wiktionnaire,
continuellement mis à jour.
En définitive, qui a le pouvoir sur la langue ? Toutes celles et ceux qui la
parlent. Notons que la langue anglaise, si présente dans le monde, ne dispose
pas d’institution de type « académie ».

ET SI ?

Et si l’Académie française élisait pour moitié des linguistes, en s’inspirant de


l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ? Et si on
créait un véritable Collège des francophones, avec des personnes issues des
différentes régions francophones ? Et si on proposait plus systématiquement à
l’école (au collège par exemple) une introduction à la lexicographie afin de
sensibiliser les élèves aux dictionnaires et de leur faire rédiger une entrée de
dictionnaire ?
RESSOURCES
Création d’un Collège des francophones proposée par OPALE (Organisme francophone de
politique et d’aménagement linguistique) : www.reseau-opale.org/Resolutions/Resolutions/Les-
resolutions-du-reseau-OPALE
Christophe Benzitoun, Qui veut la peau du français ?, Le Robert, 2021.
Laélia Véron & Maria Candea, Parler comme jamais. La langue, ce qu’on croit et ce qu’on en sait,
Le Robert, 2021 [en particulier le chapitre « Votre dictionnaire est-il de gauche ou de
droite ? »].
Éliane Viennot, Maria Candea, Yannick Chevallier, Sylvie Duverger, Anne-Marie Houdebine,
L’Académie contre la langue française. Le dossier « féminisation », Éditions IXe, 2016.
Chaine Youtube Linguisticae, La VÉRITÉ sur l’Académie française, mise en ligne en 2019 :
www.youtube.com/watch?v=hfUsGmcr1PI
5. LE FRANÇAIS N’A PAS UNE ORTHOGRAPHE
PARFAITE
Idées reçues – Les francophones écrivent de plus en plus mal. L’orthographe, c’est la
langue.
Citation – « La réforme de l’orthographe, c’est vraiment changer la langue en
effaçant les traces. Comme s’il ne devait rien subsister du passé dans le présent.
C’est une émeute des vivants contre les morts. » Alain Finkielkraut, de l’Académie française,
émission L’Esprit de l’escalier, 7 février 2016.

L’ORTHOGRAPHE N’EST PAS LA LANGUE

Il ne faut pas confondre langue et orthographe. L’orthographe, c’est d’abord le


code graphique qui permet de la transcrire. Elle permet à tous et à toutes de
partager un code graphique commun, qu’on considère comme le seul
acceptable. Le mot orthographe est issu d’un emprunt au grec orthos qui signifie
« droit », « correct ». L’orthographe, c’est l’écriture « correcte » de la langue. Ce
terme ne se répand d’ailleurs qu’au XVIIe siècle, lorsqu’on décide de fixer la
graphie du français. Avant cela, tout le monde écrit un peu comme il l’entend.
L’orthographe des textes de Montaigne ou Rabelais variait d’un imprimeur à
l’autre. C’est l’école de la Troisième République qui va en répandre la pratique
et l’assoir par la même occasion comme une norme sociale qu’on va
progressivement confondre avec la faculté même d’écrire, voire avec la langue
elle-même.
Mais la complexité d’une phrase ou la subtilité d’un mot de vocabulaire n’a
aucun rapport avec la difficulté de son orthographe. Sinon, le mot œuf serait
plus complexe et subtil que le mot paradigme.
Au-delà de sa fonction phonographique (transcrire des sons), l’orthographe
peut également servir à marquer la morphologie, à travers les flexions verbales
par exemple. Cette fonction permet de distinguer « ils mangent » de « il
mange ».
L’orthographe contemporaine contient enfin des marques étymologiques
empruntées à l’histoire du mot. Certaines ont été conservées du latin mais la
plupart avaient disparu au Moyen Âge et ont été réintroduites au fil de
l’histoire. Ces marques complexifient l’écriture mais permettent de créer des
familles de mots (sang, sanguin, sanguinaire) et de distinguer certains
homophones qui pourraient être confondus à la lecture (sang, sans, cent).
Le problème, c’est que notre orthographe présente aujourd’hui un certain
déséquilibre entre ces trois fonctions. À tel point qu’il est devenu pratiquement
impossible d’écrire sans faire aucune faute. Et les francophones se toisent du
haut de leur niveau de maitrise de l’orthographe, ce qui parait tout à fait
incongru dans d’autres langues.
Si notre orthographe est devenue si difficile d’accès, c’est parce qu’elle n’a
pas été réformée (contrairement à ce qui a été fait pour la plupart des langues
européennes) depuis la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française
en 1835. Cela fait presque deux siècles que toutes les tentatives successives de
réforme ont échoué et la dernière en date, celle de 1990, peine à s’imposer dans
les pratiques, bien qu’elle soit l’orthographe de référence officielle de la plupart
des systèmes éducatifs francophones, y compris de l’Éducation nationale
française depuis 2008.
Si notre orthographe ne parvient pas à faire peau neuve, c’est parce qu’elle
est devenue un marqueur social extrêmement puissant qui donne l’illusion de
pouvoir juger des facultés linguistiques de quelqu’un sans entrer dans la
complexité de la syntaxe, du vocabulaire ou de tout ce qui constitue la véritable
qualité d’un texte écrit.

L’ORTHOGRAPHE FRANÇAISE N’EST PAS TOUJOURS LOGIQUE NI


ÉTYMOLOGIQUE
Selon Paul Valéry, l’orthographe française va du « cocasse » à l’« absurde ». Elle
n’a pas été conçue avec un plan d’ensemble, comme un jardin à la française.
Son état actuel résulte plutôt d’une succession d’ajustements, comme nénufar
(mot arabe d’origine perse) devenu nénuphar en 1935 dans le Dictionnaire de
l’Académie française. Or, comme pour nénuphar, bon nombre d’explications
étymologiques qui ont dirigé notre orthographe sont fallacieuses. Bonheur,
malheur ne viennent pas du latin hora (dont dérive heure), mais de augurium
(« chance »), qui a donné heur (comme dans Je n’ai pas eu l'heur de lui plaire).
Leur h n’est donc pas historique. Dompter vient du latin domitare, qui ne
contient pas de p. Forcené est indépendant de force : il est relatif à quelqu’un
qui est en dehors (for) du sens (sen-). Le c n’est pas d’origine. Legs appartient à
la famille de laisser (sans g), pas de léguer. Poids a été rattaché indument au latin
pondus, alors qu’il vient du latin pensum, sans d. Posthume n’a rien à voir avec
humus (sinon que son orthographe fait penser à enterrer), il dérive du latin
postumus, superlatif de posterus. Le h n’a donc pas de raison d’être. Asile, abime,
cime, cristal s’écrivent avec un i, alors que leur ancêtre comportait un y (asylum,
abyssus, cyma, crystallus). Mais lacrymal, lys transforment un i latin en y
(lacrima, lilium, hic). Le χ (khi) grec est transcrit par c dans acariâtre, caméléon,
caractère, carte, colère, colique, corde, cristal, école, estomac, mécanique,
mélancolie. Mais par ch dans archaïsme, archange, chaos, chlore, chœur, choléra
(qui a le même ancêtre que colère), chrétien, chrome, chronique, chrysalide.
Aspect, respect, suspect ont gardé de leur origine un c muet. Mais pas objet,
préfet, projet, sujet, rejet.
De même, tous les pluriels en x, comme bateaux, neveux ou même hiboux,
n’ont rien d’étymologique. Ils proviennent d’une erreur de recopiage. Les
moines copistes utilisaient une abréviation pour le -us final très fréquent en
latin : le signe . On a progressivement confondu cette abréviation avec la
lettre x et on a ajouté un u pour que cela corresponde à la prononciation.
Ces choix graphiques ne se justifient ni par la prononciation, ni par le souci
de distinguer des homophones comme dans père/paire. Leur mémorisation est
donc le seul moyen efficace de les apprendre. Ils ne laissent pas de place à un
réel raisonnement. Pire, ils biaisent ce raisonnement en ne s’alignant pas sur
des principes généraux enseignables.

LES JEUNES N’ÉCRIVENT PAS DE PLUS EN PLUS MAL…

L’idée d’une décadence du français est loin d’être récente. En 1909,


l’académicien Émile Faguet prétendait que tous les professeurs et examinateurs
étaient d’accord sur le fait que les jeunes Français écrivaient mal. Il n’y a, en
réalité, jamais eu d’âge d’or de l’orthographe où une majorité de la population
en connaissait les subtilités. Ce qui donne aujourd’hui l’illusion d’une
dégradation, c’est qu’il existe une myriade de scripteurs amateurs, qui écrivent
directement sans être relus et que ces productions sont aujourd’hui à la vue de
tout le monde (voir point 6). Bref, l’écriture s’est démocratisée, et ne passe plus
toujours par le filtre d’éditeurs, de correcteurs, d’imprimeurs, contrairement
aux époques antérieures. Mais si l’écriture s’est démocratisée, il n’en va pas de
même de l’orthographe.

… MAIS LA MAITRISE DE L’ORTHOGRAPHE RÉGRESSE

Nous ne sommes pas tous et toutes égaux face à l’orthographe. La recherche a


montré que l’activité de lecture personnelle permettait d’améliorer le niveau
d’orthographe chez certains élèves mais pas chez d’autres. Sans même aborder
la question de la dyslexie, nos cerveaux n’ont pas tous le même rapport à la
graphie, et nous ne pouvons donc pas conclure que lire serait le seul moyen
efficace d’acquérir l’orthographe.
Alors que faire ?
Depuis des décennies, le nombre d’heures consacrées à l’enseignement de
l’orthographe diminue régulièrement. À l’école primaire, l’année scolaire a été
réduite d’environ un tiers en un siècle et les matières enseignées se sont
fortement diversifiées : langues étrangères, informatique, etc. Il manque donc
des centaines d’heures pour pouvoir enseigner l’orthographe française
convenablement à tous les élèves.
Dans le contexte actuel, l’enseignement de la complexité de l’orthographe
est donc une véritable gageüre. À l’école, elle occupe un temps considérable au
détriment d’autres matières essentielles et pour un niveau dont tout le monde
se plaint. Le niveau de compréhension et de lecture des francophones s’en
ressent, comme en attestent toutes les études internationales (PISA).

IL FAUT MOINS DE DICTÉES

Quand Pap Ndaye, ministre de l’Éducation nationale, tout comme Jean-


Michel Blanquer avant lui, a réagi aux mauvais résultats en compréhension des
petits Français aux études PISA, il a déclaré : « La dictée, la dictée quotidienne
doit devenir une réalité dans nos écoles primaires. » Mais comment la dictée
pourrait-elle améliorer la compréhension ?
La dictée est souvent présentée comme un exercice permettant d’apprendre à
écrire sans faute. Mais, les spécialistes de l’éducation l’ont bien montré, on
n’apprend pas en faisant apparaitre des fautes. On apprend en montrant des
règles. En 1880, Jules Ferry, considéré comme le père fondateur de la
démocratisation de l’école, tentait déjà, en vain, de réduire la place de la dictée
pour justement travailler plus la compréhension : « […] à la dictée – à l’abus de
la dictée – il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant et plus
substantiel […] épargnons ce temps si précieux qu’on dépense trop souvent
dans les vétilles de l’orthographe, dans les règles de la dictée qui font de cet
exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête chinois. »
(Jules Ferry, discours au Congrès pédagogique, 2 avril 1880).
Il est en effet essentiel d’apprendre le sens des mots, la grammaire des
constructions, plutôt que des centaines de pièges orthographiques. Dès les
débuts de la généralisation de l’instruction, on a questionné l’efficacité de la
dictée. Il existe aujourd’hui une multitude de techniques pour améliorer la
maitrise de l’orthographe, qui s’éloignent des méthodes traditionnelles souvent
inefficaces et décourageantes. Les chercheurs en didactique proposent par
exemple d’évaluer en pourcentage de formes correctes plutôt qu’avec le bon
vieux « un point par faute », d’éviter d’enseigner ensemble les homophones
grammaticaux ou lexicaux (qui ont tendance à créer des confusions dans la tête
des élèves là où il n’y en avait pas), de pratiquer un enseignement plus explicite
ou d’entamer plus systématiquement une réflexion sur la nature des erreurs
commises.
Au Québec, les étudiants en première année à l’université ne font pas de
dictée : ils apprennent à se servir du logiciel Antidote. Si les étudiants français,
et même les candidats au baccalauréat peuvent utiliser la calculatrice en
sciences, pourquoi ne pas autoriser les correcteurs d’orthographe en lettres ?
Les situations de la vie privée ou professionnelle dans lesquelles nous ne
pouvons pas utiliser de correcteur ont presque disparu.

RÉFORMER L’ORTHOGRAPHE EST UN NIVÈLEMENT PAR LE HAUT

Rappelons tout d’abord que les Rectifications de 1990 ne mettent pas la langue
en danger et ne concernent qu’un nombre très restreint de formes (un mot
toutes les deux pages en moyenne). Il s’agit en fait d’une mise à jour et d’une
rationalisation ; la simplification en sera la conséquence, et non la cause ! Mise
à jour d’une graphie plus conforme à la prononciation (ognon, évènement –
comme cela s’est produit pour collége dont l’accent a été changé en 1878),
suppression des î et û inutiles, systématisation (portemonnaie soudé comme
portefeuille, charriot avec deux r comme charrette) et généralisation (pluriel en -s
pour la plupart des noms composés (un après-midi, des après-midis)… Cette
réforme n’est pas une résignation à une baisse de niveau mais bien une
amélioration de notre système graphique dont l’application entrainerait une
plus grande accessibilité de la langue écrite.
Les réformes à venir, réclamées par la Fédération internationale des
professeurs de français, sont connues et étudiées (notamment par le groupe
ÉROFA) : rationalisation des consonnes doubles, dépénalisation de
l’invariabilité des participes passés avec l’auxiliaire avoir, passage de x à s pour
les pluriels irréguliers. Leur nécessité est défendue par une grande partie de la
communauté scientifique même si leur rythme doit être progressif pour éviter
les modifications trop brusques qui risqueraient de diminuer la vitesse de
lecture et pour faciliter leur intégration par l’usage.

ET SI ?

Et si on revoyait la place de l’orthographe en tant qu’outil de sélection ? Si on


régularisait davantage l’orthographe en commençant par appliquer les
Rectifications de 1990 ? Et si on autorisait les correcteurs automatiques aux
examens comme les calculatrices en maths ou en physique ?
RESSOURCES
Nina Catach, L’Orthographe française, 5e édition, Armand Colin, 1985.
André Chervel, L’Orthographe en crise à l’école. Et si l’histoire montrait le chemin ? Retz, 2008.
Arnaud Hoedt & Jérôme Piron, La Faute de l’orthographe : la convivialité, Textuel, 2017.
Georges Legros & Marie-Louise Moreau, Orthographe : qui a peur de la réforme ?, Ministère de
la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2012 [en ligne].
Danièle Manesse, Danièle Cogis, Michèle Dorgan & Christine Tailler, Orthographe : à qui la
faute ?, ESF, 2007.
Benoît Melançon, Le Niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso
éditeur, 2015.
Liste des mots à l’orthographe rectifiée : www.renouvo.org/liste.php
Site de l’ÉROFA, Études pour la Rationalisation de l’Orthographe Française d’Aujourd’hui :
erofa.free.fr
6. L’ÉCRITURE NUMÉRIQUE N’@BIME PAS LE
FRANÇAIS
Idée reçue – Internet et les réseaux sociaux annoncent et précipitent le déclin du
français.
Citation – « Oh ben écoute, la prochaine fois que t’as besoin de moi, tu m’achètes
un dictionnaire pour sms ou non mieux, t’apprends à écrire. » Campagne de promotion
pour la première journée de la langue française Dites-le en français, Ministère français de la Culture,
2015.
Depuis l’apparition des réseaux sociaux en ligne, à la fin du siècle dernier, on
n’a jamais autant communiqué par écrit. Des milliards de messages sont
échangés quotidiennement sur téléphone, tablette ou ordinateur, y compris par
des personnes qui, autrefois, auraient pratiquement cessé d’écrire après avoir
quitté l’école. C’est d’ailleurs la première fois, depuis l’invention de l’écriture il
y a plus de 5000 ans, qu’on peut lire ce qu’écrivent tous les usagers de la
langue, de tous milieux sociaux, et qu’on diffuse à large échelle non seulement
l’écrit des livres et de l’élite mais également un écrit libre, spontané, qui se
construit en même temps que les usagers s’approprient les nouveaux outils de
communication disponibles.
De grands projets internationaux, comme sms4science ou 88milSMS, ont été
lancés afin d’étudier dans plusieurs pays francophones ces nouveaux écrits, en
particulier les SMS. Grâce aux données massives et authentiques collectées, les
scientifiques ont pu constater comment les écritures numériques révélaient la
grande faculté d’adaptation et d’innovation en français.

LE FRANÇAIS SUR INTERNET ET LES RÉSEAUX SOCIAUX N’EST PAS UN


MAUVAIS FRANÇAIS
De même qu’on parle différemment selon les contextes, plusieurs genres d’écrit
sont possibles, et même nécessaires, selon les situations : on adapte son
expression notamment parce que les affects et l’humour n’ont pas la même
place quand on écrit aux amis, à des inconnus sur un réseau social ou à des
collègues. Dans les écrits numériques tels que le SMS ou les discussions en
ligne, on échange le plus souvent avec des proches. On a donc souvent recours
à des tours familiers et à des écritures plus ou moins standardisées qui
permettent des échanges rapides et spontanés, proches du rythme de la
conversation orale. À ce titre, le français des écritures numériques n’est pas un
« mauvais » français : c’est simplement l’une des multiples variétés de français
qui existent aujourd’hui.
Savoir laquelle de ces variétés utiliser selon les contextes est en revanche un
enjeu essentiel, en particulier pour les plus jeunes, qui doivent pouvoir passer,
lorsque c’est nécessaire, d’une écriture libre et spontanée à un français plus
normé. Plutôt que de condamner les usages du numérique, il est préférable de
souligner les frontières existant entre les différentes situations d’écrit et de
donner aux élèves les moyens d’être autonomes dans chacune d’entre elles.

ON N’ÉCRIT PAS SES SMS COMME SES LETTRES DE MOTIVATION

Dans la base 88milSMS, un garçon de 12 ans écrit « Wesh trkl tkt [tranquille
t’inquiète] ;) tu fou quoi ? » et une femme de 57 ans demande « As tu u le tps
de fer le virment a XXX ? ». Il n’y a donc pas de fracture générationnelle
évidente entre des jeunes écrivant « n’importe comment » et des adultes
rédigeant en « bon français ». Les jeunes locuteurs peuvent parfois recourir aux
« néographies » (variante d’écriture s’éloignant de l’orthographe standardisée),
mais ils n’en ont pas l’exclusivité, et par ailleurs, cet usage ne témoigne pas
d’une dégradation de leurs compétences orthographiques. Non seulement les
abréviations sont une pratique banale (les moines copistes du Moyen Âge en
utilisaient bien avant l’invention des smartphones), mais c’est aussi une
pratique inoffensive : des chercheurs en psychologie ont pu montrer que les
SMS n’ont pas d’influence négative sur l’orthographe des collégiens. Au
contraire, même, la production et l’interprétation des néographies nécessitent
des compétences linguistiques avancées, qui s’ajoutent aux compétences
linguistiques fondamentales. Les dispositifs numériques incitent ainsi les
usagers à devenir « pluricompétents ».

LES EMOJIS AUGMENTENT L’ÉCRITURE, ILS NE LA REMPLACENT PAS

L’importance des emojis et des émoticônes au sein de nos messages n’a cessé de
croitre depuis leur introduction sur les téléphones portables. D’une grande
souplesse d’emploi, ils peuvent simplement redoubler une information déjà
exprimée (Je t’aime aussi grand comme ça !!!), ou remplacer
visuellement un mot (Nos ados sont des . Non, plutôt des ), mais ils
sont aussi parfois nécessaires pour adoucir le ton d’un message (Hihi j’ai pas
envie de travailler, alors t’engueuler c’est fun ) ou en indiquer le caractère
ironique, ce que ne permet pas la ponctuation ordinaire (Super !! Merci !! T’es
trop gentille !!! ). D’une manière générale, si les emojis connaissent
aujourd’hui un tel succès, c’est parce qu’ils permettent de compenser à l’écrit
l’absence des mimiques et des gestes, si importants à l’oral. En revanche, les
emojis ne sont pas à même d’exprimer l’abstraction ni les nuances de la pensée
complexe, ce qui rend peu probable qu’ils supplantent prochainement la
communication verbale. L’emoji ne constitue pas davantage une écriture
universelle : de nombreux signes possèdent en effet un sens variable d’une
culture à l’autre, voire d’un locuteur à l’autre, et le même emoji peut se
comprendre de manières très différentes dans deux contextes distincts.
À rebours des idées reçues, les études scientifiques montrent la très grande
richesse des écritures numériques. Les innovations qui s’y rencontrent
n’annoncent pas la fin du français, elles témoignent au contraire de sa vitalité et
montrent que la langue résonne avec son temps. Le français est très présent sur
Internet. Une langue absente de la toile serait une langue morte !

ET SI ?

Et si nous accompagnions mieux les jeunes dans l’usage de la technologie et


dans l’identification des sources fiables ? Et si nous les aidions à y reconnaitre
ce qui relève de la sphère privée et de la parole publique, en distinguant
l’échange spontané et le débat construit ?
RESSOURCES
Corpus de SMS : 88milsms.huma-num.fr
Cédrick Fairon, Jean-René Klein & Sébastien Paumier, SMS pour la science. Corpus
de 30 000 SMS et logiciel de consultation, Presses universitaires de Louvain, 2006 :
www.sms4science.org
Antoine Gautier & Florence Mourlhon-Dallies, « Les écritures numériques », dans Anne
Abeillé & Danièle Godard (dir.), La Grande Grammaire du français, Arles, Actes
Sud/Imprimerie nationale, 2021.
Lénaïs Maskens, Louise-Amélie Cougnon, Sophie Roekhaut & Cédrick Fairon, Nouveaux
médias et orthographe. Incompétence ou pluricompétence ?, Discours 16, 2015 [en ligne].
Rachel Panckhurst, Catherine Détrie, Cédrick Lopez, Claudine Moïse, Mathieu
Roche & Bertrand Verine, Dites-le dans le français que vous voulez !, Les invités de Mediapart,
2 avril 2015 : blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/020415/dites-le-dans-
le-francais-que-vous-voulez
7. LE FRANÇAIS PARLÉ N’EST PAS DÉFICIENT
Idée reçue – Les Français parlent mal.
Citation – « Bravo, Madame, d’avoir aimablement repris “pallier” mal utilisé par
votre invité. Continuez à bien parler français contrairement à presque tous les
animateurs et journalistes. » Message extrait du site de la médiatrice de Radio France,
18 octobre 2022.

COMME DANS TOUTES LES LANGUES, L’ORAL PRÉCÈDE L’ÉCRIT

On entend souvent dire que l’oral serait une version appauvrie de l’écrit. Dans
la conversation ordinaire, on aurait un vocabulaire réduit, des phrases courtes
(Ça va ?), parfois sans verbe (Pourquoi pas ?).
On a l’impression que l’oral échappe à la grammaire et on oublie qu’on a
d’abord appris à parler et seulement quelques années plus tard à lire et à écrire.
On oublie aussi que le français, comme toutes les langues, a existé d’abord à
l’oral et bien plus tardivement à l’écrit et qu’il existe sur la planète une majorité
de langues sans tradition écrite. L’écrit vient plus tard dans l’histoire des
langues et dans nos vies. Les soi-disant lacunes du français parlé viennent du
point de vue graphocentré (centré sur l’écrit) de nos sociétés.

ORAL/ÉCRIT : EST-CE COMPARABLE ?

Il existe de très nombreux genres discursifs à l’écrit comme à l’oral. L’oral de la


conversation est produit spontanément, de manière ultra rapide, sans
préparation préalable. L’écrit soigné, lui, est produit après un long temps de
réflexion et peut être corrigé sans laisser de traces, contrairement à l’oral où les
corrections se font en direct.
Les modes de production de l’écrit et de l’oral sont très différents : d’un côté
on sépare les mots et on utilise la mise en page, le jeu des polices et la
ponctuation ; de l’autre on ne sépare que les groupes de souffle et pas les mots,
on utilise l’intonation, les mimiques et la gestuelle. Tout ceci a des
conséquences sur les formes linguistiques que nous utilisons à l’oral et à l’écrit.

L’ORAL A UNE GRAMMAIRE QUI DEVRAIT ÊTRE ENSEIGNÉE

La plupart du temps, on apprend qu’il y a six voyelles en français a, e, i, o, u, y,


que les mots sont séparés par des blancs (ou espaces), qu’une phrase commence
par une majuscule et finit par un point. C’est une représentation
complètement faussée de la langue : le français compte au moins quatorze
voyelles (le ou, les voyelles nasales on, an, in, un, le eu de jeu différent du œu de
sœur…), les mots se suivent à l’oral dans un flux sonore continu, et les phrases
se reconnaissent à leur mélodie. Les linguistes étudient depuis longtemps le
français parlé dans de vastes bases de données orales transcrites ; ils y observent
des évolutions (la disparition progressive de ne pour marquer la négation, par
exemple), le plus souvent les mêmes qu’à l’écrit d’ailleurs, mais à des vitesses
différentes. C’est cela qu’il faudrait aussi enseigner.

LE REDOUBLEMENT DU SUJET N’EST PAS UNE FAUTE

L’essayiste Christian Combaz a critiqué François Hollande dans FigaroVox de


septembre 2014 pour la « médiocrité de son langage », avec des exemples
censés illustrer sa « mollesse syntaxique » et son « registre grammatical étroit »
et il les corrigeait entre parenthèses comme un professeur face à un élève. Selon
lui, la phrase de Hollande « La France sur tous ces sujets, elle est à l’initiative »
aurait dû être « Sur tous ces sujets, la France a l’initiative ».
Or, ce double sujet (comme l’absence du ne) est ancien et n’a rien d’une
faute. L’ordre des informations sert l’argumentation et participe du jeu
toujours subtil entre ce qui est connu et ce qui est nouveau, entre le point de
départ d’une argumentation et son point d’arrivée. Les linguistes parlent de
thématisation (« La France, elle est à l’initiative »), avec un thème en début de
phrase, ce qui permet d’opposer la France à d’autres pays. Dans la version
recommandée par Combaz, on comprend qu’on oppose une liste de sujets à
une autre où la France n’a pas l’initiative. C’est bien différent.
Si l’oral use de tours plus complexes, c’est pour introduire des nuances.
Et ceux qui critiquent le supposé « relâchement » de l’oral, Combaz compris,
utilisent les mêmes tours, sans s’en rendre compte, dans toutes les situations où
ils ne lisent pas leur discours.

UNE DISTINCTION ÉCRIT/ORAL QUI PERD DE SA PERTINENCE AUJOURD’HUI

Avec l’explosion des écrits sur téléphone et sur les réseaux sociaux, on voit
fleurir des tours autrefois réservés à l’oral ; ils attirent les foudres des puristes
qui cherchent à blâmer le style familier et ordinaire, pas l’oral en tant que tel.

ET SI ?

Et si on faisait connaitre la grammaire de l’oral en intégrant au collège et au


lycée des cours comparant écrit réel et oral réel en français, comme c’est déjà le
cas pour les cours de langue étrangère ? Et si on incitait chacun à s’enregistrer
pour apprendre à observer ses propres usages ?
RESSOURCES
Claire Blanche-Benveniste, Approches de la langue parlée en français, Ophrys, 2010.
Bases de données du français parlé contemporain (Belgique, France, Suisse) sur le site Orfeo :
orfeo.ortolang.fr
Le corpus de français parlé parisien des années 2000 : cfpp2000.univ-paris3.fr
Le corpus de français parlé au Québec : applis.flsh.usherbrooke.ca/cfpq
8. LE FRANÇAIS N’EST PAS « MASSACRÉ » PAR LES
JEUNES, LES PROVINCIAUX, LES PAUVRES OU LES
BELGES
Idée reçue – On peut abimer une langue en l’utilisant.
Citation – « Notre langue est mise en péril par l’homme de la rue, par les gens du
monde, par des ignorants de tout poil comme par des bacheliers qui ne savent
plus écrire, par les journalistes, par les politiciens, par les amateurs de sport. »
André Moufflet, Contre le massacre de la langue française, Paris, Privat-Didier, 1930.
L’ancienneté du sentiment de panique face à l’observation des emplois de la
langue devrait en soi être rassurante. En effet, ces craintes séculaires et sans
cesse répétées sur la crise du français ne reposent sur aucune observation
scientifique et n’ont en réalité aucun fondement.

« LA LANGUE DES JEUNES »

Les jeunes sont souvent caricaturés pour leur façon de parler : leur débit rapide,
leurs tournures familières et leur vocabulaire parfois incompréhensible aux
adultes. Cela n’a rien de nouveau ; chaque génération a son jargon, comme
signe de reconnaissance. Dans les années 1950, les jeunes disaient « c’est
vachement bath » alors que leurs petits-enfants disent « c’est trop stylé » en
suscitant les mêmes réactions chez les plus conservateurs. S’ils utilisent le verlan
depuis les années 1980, il s’agit d’un sociolecte, comme l’argot des bouchers ou
des coiffeurs. Et dès qu’un mot « jeune » passe dans le vocabulaire commun
(meuf pour femme, ouf pour fou), il est remplacé par d’autres (respectivement go
et chtarbé).
Les travaux des sociolinguistes montrent que quiconque a été socialisé dans
une langue apprend à s’adapter aux situations de communication : personne ne
parle de la même façon à ses copains, à ses parents ou à ses enfants, à ses profs
ou à ses collègues. L’ampleur de cette capacité peut être très hétérogène. La
taille du vocabulaire d’un adolescent, comme celui d’un adulte, peut aller de
quelques milliers à quelques dizaines de milliers de mots. Dans les situations
très familières et routinisées, on n’a pas besoin d’un vocabulaire riche. Le succès
d’une communication est gouverné par un seul principe : la pertinence. La
même tournure (« à la fin de l’envoi, je touche »), réplique de Cyrano de
Bergerac dans la pièce d’Edmond Rostand, peut être belle dans une situation et
banale, ridicule ou incompréhensible dans une autre.

LE FRANÇAIS, COMME TOUTES LES LANGUES, PRÉSENTE DES VARIATIONS

Là où les puristes blâment le barbarisme, la faute ou le « mauvais » français, les


linguistes observent des variations : vous prononcez anana ou ananaS, rôse ou
rose avec o ouvert, vous employez soixante-dix ou septante, aller au dentiste ou
chez le dentiste, vous dites « tu » ou « vous » à votre belle-mère ? Percevez-vous
une différence de sens entre on verra et on va voir, entre j’habite à Lyon ou sur
Lyon ? Souvent on parle de niveaux de langue, comme s’il existait une
hiérarchie naturelle : les linguistes parlent de registre et de style (familier,
formel, administratif, emphatique, etc.) et de variation régionale ou sociale,
sans les hiérarchiser.

LE MÉPRIS DE CLASSE DERRIÈRE LA CONDAMNATION

Si certaines variantes grammaticales, lexicales ou de prononciation sont plus


valorisées que d’autres (la langue de la Cour avant la Révolution, celle des élites
parisiennes par la suite), c’est pour des raisons de distinction sociale et non
pour leur beauté, clarté ou élégance. Ce sont des facteurs sociaux et historiques
qui conduisent à valoriser tel accent et à discriminer tel autre. On appelle
« glottophobie » l’ensemble des comportements et discours qui visent à rejeter
quelqu’un en raison de son langage. Et on sait ce que cela provoque chez ses
victimes : de l’insécurité linguistique, qui peut se manifester par la peur de
parler ou d’écrire, jusqu’au mutisme.

LA LANGUE EST SURTOUT UN ENSEMBLE DE PRATIQUES SOCIALES

Une langue n’est en danger que si ses emplois se réduisent et se cantonnent à


certaines activités humaines. Une langue rend possibles nos interactions et nos
pensées ; si on ne l’utilise plus dans certaines situations, sa capacité à être
employée dans ces situations se détériore, elle devient lacunaire, elle cesse
d’évoluer. Il est donc irrationnel de craindre qu’on puisse l’abimer autrement.
Une langue ne peut pas et n’a pas à être protégée dans un zoo ou dans un
musée. Il n’existe donc qu’une seule et unique manière de « massacrer » une
langue : c’est de ne pas l’utiliser et de ne plus la transmettre. C’est ce qui est
arrivé et est en train d’arriver à plusieurs langues parlées dans le monde : le
français a pratiquement disparu à Terre-Neuve, des langues autochtones
disparaissent sur le territoire canadien, et en France de nombreuses langues
régionales sont en grand danger, comme le picard ou le gallo.

ET SI ?

Et si on valorisait la créativité langagière, qu’elle soit littéraire ou non ? Et si on


parlait de registres et de styles plutôt que de « niveaux » de langue ? Si on
évitait de parler de « langue des jeunes », de « langue des banlieues », comme si
c’était une autre langue ?
RESSOURCES
Dictionnaire des Francophones : www.dictionnairedesfrancophones.org
Mathieu Avanzi, Atlas du français de nos régions, Armand Colin, 2019.
Philippe Blanchet, Combattre la glottophobie, Textuel, 2016.
Maria Candea & Laélia Véron, Le Français est à nous ! Petit manuel d ’émancipation linguistique,
La Découverte, 2021.
Arnaud Hoedt & Jérôme Piron, Le Français (n’) existe (pas), Le Robert, 2020.
Françoise Gadet, La Variation sociale en français, Ophrys, 2007.
Françoise Gadet (dir.), Les Parlers jeunes dans l’Île-de-France multiculturelle, Éditions Ophrys,
2017.
9. LE FRANÇAIS N’EST PAS EN « PÉRIL » FACE À
L’EXTENSION DU FÉMININ
Idées reçues – On ne peut pas changer la grammaire et le genre des mots est
arbitraire en français. La langue est machiste.
Citation – « Devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve
désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable
devant les générations futures. » Déclaration de l’Académie française, octobre 2017.
Bonjour à tous ? à tous et à toutes ? à toutes et à tous ? à toustes ? Nous entendons
des versions variées depuis quelque temps, nous hésitons nous-mêmes à écrire
Chers collègues quand nous nous adressons à un groupe composé de femmes et
d’hommes.
D’où vient ce trouble dans le genre grammatical ? Dédramatisons les débats
et précisons les choses.

GENRE GRAMMATICAL ET GENRE SOCIAL

Contrairement à d’autres langues européennes comme l’allemand ou le grec, le


français n’a pas de genre neutre. Il a deux genres grammaticaux, appelés
masculin et féminin. Les noms (d’objets ou d’humains) et les pronoms
appartiennent à l’un ou l’autre, et ils entrainent l’accord des déterminants, des
adjectifs et des participes passés (la petite belette est sortie, le tabouret est petit).
Certains noms humains génériques sont invariables en genre et désignent des
individus des deux sexes (une personne, un bébé) mais ce n’est pas le cas
général : le plus souvent, les noms humains vont par paires (une fille, un
garçon) ou varient en genre selon le genre social du porteur (un cousin, une
cousine), même si la marque de genre ne se voit que sur l’article (un ou une
élève, le ou la journaliste). En effet, pour les noms humains, le genre
grammatical tend à être interprété comme genre social, ce que les
grammairiens Damourette et Pichon appelaient la sexuisemblance.

LA FÉMINISATION DES NOMS DE MÉTIER

À partir du moment où l’on interprète un nom humain masculin comme


référant à un homme, on comprend l’existence ancienne de noms féminins
pour des professions exercées par les deux sexes (vendeur/vendeuse,
coiffeur/coiffeuse). Mais pour les professions considérées comme nobles ou
prestigieuses, il n’en a pas été de même. Au XVIIe siècle existaient les féminins
autrice et ambassadrice pour une femme auteur ou ambassadeur, mais ces usages
se sont perdus ensuite. Au XIXe siècle s’est développé un féminin dit conjugal,
selon lequel une préfète était l’épouse d’un préfet et une générale celle d’un
général. Il faut attendre la fin du XXe siècle et l’ouverture aux femmes d’un
certain nombre de professions pour que l’on (re)commence à utiliser une
avocate, une juge, une médecin, ce qui a été explicitement recommandé par les
gouvernements de plusieurs pays francophones, à commencer par le Québec.
L’Académie française s’est farouchement opposée à l’utilisation de l’accord au
féminin pour les noms de métiers, grades et fonctions dans différentes
déclarations officielles de 1984 jusqu’en 2019 lorsqu’elle a fini par accepter ce
principe. La généralisation d’une mise au féminin par suffixe (sculptrice), ajout
d’un -e (avocate, agente) ou article féminin (une ministre) s’est faite
progressivement, d’abord au Québec et après 2000 en France.

LA QUESTION DU MASCULIN GÉNÉRIQUE

Comme de nombreuses langues européennes, le français a tendance à utiliser le


masculin, singulier ou pluriel, pour un emploi générique et non spécifique (les
habitants, le candidat). Les psycholinguistes ont montré que ce masculin n’était
pas toujours bien compris, car son sens premier reste de désigner un ou
plusieurs hommes ; des expériences ont vu moins de candidatures féminines si
une offre d’emploi était rédigée entièrement au masculin. C’est pour éviter ce
suremploi du masculin qu’on cherche, tous azimuts, dans plusieurs langues
occidentales depuis les années 1980, des alternatives clairement génériques
pour désigner les humains sans ambigüité quant à la mixité des genres.

L’ÉCRITURE DITE INCLUSIVE

Pour favoriser le sens générique, les doublets de type Françaises, Français ou la


parenthèse utilisée sur les documents officiels à la fin du XXe siècle (né(e),
domicilié(e)) ne semblaient pas gêner grand monde. Le terme « écriture
inclusive » désigne parfois toutes ces techniques ou bien, par restriction, un
seul procédé d’abréviation, permettant d’éviter les doublets et de gagner de la
place : les étudiant.e.s, étudiant-e-s ou étudiant·es abrégeant les étudiants et
étudiantes. Ces formes nouvelles sont également utilisées pour dépasser le
binarisme du genre grammatical et désigner des personnes se revendiquant
comme non binaires. En ce sens, un·e étudiant·e ne dit pas exactement la même
chose que un étudiant ou une étudiante. Ces néographies, qui peuvent rendre la
lecture moins fluide du moins quand on les découvre, se répandent mais sont
controversées voire interdites dans certains documents officiels.

L’ENSEIGNEMENT DU MASCULIN QUI L’EMPORTE

Au pluriel, un groupe unisexe garde son genre grammatical (certains garçons,


certaines filles), mais on enseigne généralement que pour les groupes mixtes
l’accord doit se faire au masculin (Les garçons et les filles sont contents). Vaugelas
justifie cet accord au XVIIe siècle en arguant que le genre masculin est « le plus
noble ». Jusqu’au XIXe siècle l’accord dit de voisinage ou de proximité, qui existe
dans de nombreuses langues, était enseigné mais seulement pour les noms de
choses (certaines régions et départements), sans enjeu de domination d’un sexe
sur l’autre. Les linguistes ont montré que cet accord est toujours possible
aujourd’hui pour les adjectifs qui suivent une série de noms (des chants et danses
bretonnes), et qu’il est même obligatoire avant le nom : on ne dit pas certains
régions et départements. Il n’y a donc aucune raison de ne plus l’enseigner, que
ce soit pour les noms de choses ou pour les noms d’humains.

LES PRONOMS NON GENRÉS

Le français présente une incertitude de genre pour la plupart des pronoms


personnels : pour je, tu, nous, vous, c’est seulement l’accord éventuel qui
indique le genre de la personne qui parle et écrit ou qui écoute et lit (je suis
contente), mais il peut rester indéterminé (tu es timide). À la troisième
personne, le genre est marqué (il, elle), et cela aide à clarifier à qui ou à quoi
réfère le pronom. Né au début du XXIe siècle, le néopronom iel, comme
d’autres innovations récentes (ellui, celleux, toustes) permet de garder
l’indétermination ; créé au départ pour désigner une personne non-binaire, iel
évolue vers un emploi générique (surtout au pluriel).
En bref, les questions du pronom iel ou de l’écriture dite inclusive ne sont
qu’un tout petit bout de l’iceberg du genre grammatical.

ET SI ?

Et si on accordait enfin tous les noms de métiers et fonctions au genre de la


personne qui les exerce ? Si l’on réenseignait l’accord de proximité en français à
côté de l’accord au masculin pluriel ? Si l’on continuait à tester des techniques
pour exprimer le genre, puisque seules les plus plébiscitées resteront en usage ?
RESSOURCES
Anne Abeillé, Yingqin Hu & Aixiu An, L’évolution de l’accord de proximité : quelques
considérations diachroniques, Discours 31, 2023 [en ligne].
Annie Becquer, Bernard Cerquiglini, Nicolas Cholewka, Martine Cloutier, Josette
Frécher & Marie-Josèphe Mathieu (dir.), Femme, j’écris ton nom… Guide d’aide à la
féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, Rapport technique, Institut national
de la langue française, 1999.
Pascal Gygax, Sandrine Zufferey & Ute Gabriel, Le Cerveau pense-t-il au masculin ?, Le Robert,
2021.
Raphaël Haddad et al., L’Écriture inclusive : et si on s’y mettait ?, Le Robert, 2023.
Julie Neveux, La Guerre des sexes : un point, c’est trop ! (Comédie en un acte sur l’écriture
inclusive) – La grammaire du français enfin rendue à la vie, Collection Imprimés d’AOC, 2022.
Avis no 3 du Conseil de la Langue française, des Langues régionales endogènes et des Politiques
linguistiques concernant l’élaboration des arrêtés d’exécution du décret relatif au renforcement
de la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre et aux bonnes pratiques non
discriminatoires quant au genre dans le cadre des communications officielles ou formelles ;
adopté lors de la séance plénière du 26 janvier 2022, Fédération Wallonie-Bruxelles.
10. LINGUISTE, C’EST UN MÉTIER
Idée reçue – Les linguistes sont des laxistes pour lesquels tous les usages se valent.
Citations – « Ce sont des linguistes aujourd’hui qui nient farouchement la
mutilation de la langue, l’effondrement de la syntaxe, l’atrophie du vocabulaire,
la ruine de la grammaire. » Renaud Camus, Du sens, POL, 2002 ; « Si l'on
pense qu’il existe un bon usage, alors on peut précisément mesurer le déclin, voire
l’effondrement de la langue. Si on pense en revanche que le bon usage, c’est un
préjugé de classe, une manière de discriminer les gens bien des autres, alors on n’a
plus de moyens de mesurer le phénomène, on l'accompagne » Alain Finkielkraut,
émission Répliques, France Culture, 23 avril 2011.
Il est rare que les médias donnent la parole à des linguistes, et quand c’est le
cas, c’est souvent avec méfiance : au mieux on les considère comme
bienveillants, tolérants, bref un peu naïfs face au déclin de notre belle langue,
au pire comme de dangereux gauchistes pour qui tous les usages se valent et
des complices de ce déclin. Qu’un film à succès (Premier contact ; en anglais :
Arrival, 2016) mette à l’honneur un personnage exerçant ce métier est
exceptionnel, même si sa performance de décryptage magique d’une langue
extraterrestre a suscité l’hilarité des linguistes.

LES LINGUISTES NE SE DEMANDENT PAS SI UNE TOURNURE EST CORRECTE


OU NON

Les linguistes sont les scientifiques de la langue. Quand on est linguiste, on ne


se demande pas si les anglicismes, les parlers jeunes, le rap, les tics de langage,
l’orthographe rectifiée, l’écriture inclusive…, c’est bien ou mal. On observe les
faits linguistiques. Rien n’interdit d’avoir ses propres gouts et ses opinions, bien
entendu, mais on n’étudie pas une langue ou une tournure parce qu’on la
trouve « belle » ou « élégante » ; et à l’inverse on n’écarte pas des corpus d’étude
une langue ou une tournure parce qu’elle serait « laide » ou « familière ».
En revanche, on est en mesure de répondre à des questions précises : quand
cette tournure est-elle apparue ? Estelle fréquente ? Où et par qui est-elle
utilisée ? Comment un nom comme pas est devenu un adverbe de négation ?
Par quel processus des mots comme putain ou espèce ont-ils perdu une partie de
leurs propriétés de noms, et leur genre, pour devenir des outils grammaticaux
comme dans un putain de caillou ou un espèce de salaud ?
Mais les questions pointues s’inscrivent dans des approches qui répondent à
des questions bien plus larges, et il nous en reste encore beaucoup à
approfondir. Comment les ambigüités sont-elles évitées dans la conversation ?
Dans quel ordre les enfants apprennent-ils les sons d’une langue, notamment
quand ils sont bilingues ? Comment le cerveau des bébés reconnait-il la langue
de son entourage avant d’en comprendre le sens ? Comment diagnostiquer au
mieux et au plus vite les troubles et les pathologies du langage ? Comment et à
quelle vitesse se diffuse un néologisme ? Comment se construisent les
hiérarchies entre une langue et un dialecte ?
En linguistique générale, on s’intéresse à ce qui est commun à toutes les
langues humaines, aux opérations logiques dans les langues, aux familles de
langues, voire à l’ensemble des instruments de communication et de
signification (la sémiotique). Les spécialistes s’intéressent à une aire
linguistique, à des phénomènes plus spécifiques de la prononciation
(phonétique et phonologie), de la formation et de l’ordre des mots
(morphologie et syntaxe), de la construction du sens (sémantique) ou aux
enjeux sociaux liés à tel ou tel usage précis (sociolinguistique).

POURQUOI LES LINGUISTES NE PRIVILÉGIENT PAS LA LITTÉRATURE ET LE


BON USAGE
La linguistique ne privilégie pas les « bons auteurs », ni l’écrit d’ailleurs.
D’abord parce que la moitié des langues humaines sont sans tradition écrite,
ensuite parce que l’oral reflète un usage plus spontané et permet de voir des
évolutions en cours, souvent masquées dans l’écrit normé, relu et édité, même
si avec Internet et les réseaux sociaux, des usages écrits plus spontanés sont
devenus accessibles (voir ci-dessus, points 6 et 7).
Les exemples littéraires s’évaluent comme reflétant un usage plus large, ou à
l’inverse comme particularité stylistique de tel auteur ou telle autrice. Ainsi, la
littérature ne peut pas servir seule d’alibi pour autoriser ou interdire telle ou
telle construction. C’est d’ailleurs souvent parce qu’un usage devient
majoritaire (à l’oral) que la littérature s’en empare, par exemple pour faire
dialoguer des personnages en situation ordinaire : C’est pas possible ! Moi, je vais
venir.
La langue parlée n’est pas moins difficile à étudier que la langue écrite, elle
l’est même davantage. On n’est plus au temps où on notait à la volée des
phrases entendues au café ou sur le trottoir. Les linguistes ont constitué de
grandes bases de données, en enregistrant des francophones dans des lieux et
des situations différentes, en retranscrivant fidèlement leurs propos (en notant
même les hésitations et les pauses), en les anonymisant pour protéger l’identité
des personnes qui ont donné leurs voix, en ajoutant toutes sortes
d’informations (par exemple les catégories des mots ou l’intonation) et en
rendant ces bases de données publiques ou accessibles à des fins de recherche.
C’est un travail considérable qui se compte parfois en dizaines d’années.
D’ailleurs, même si on n’a pas d’enregistrements médiévaux, les linguistes
savent reconstituer la prononciation médiévale pour étudier l’oral d’époques
anciennes : études des rimes, des querelles, des témoignages sur la
prononciation…

LES LINGUISTES SONT PLUS EXIGEANTS QUE LES PURISTES


Ce sont les mesures précises des usages et leurs descriptions minutieuses qui
permettent aux linguistes de formuler des règles. La plupart du temps, ceux qui
disent que tel tour est « enfantin » ou « populaire » ne s’appuient sur aucune
étude ; or, quand on observe les données, on s’aperçoit que le conditionnel
après si n’est pas réservé aux enfants (si j’aurais su) et que les relatives en que au
lieu de dont (ce que j’ai besoin) sont aussi utilisées par des cadres.
La norme puriste n’est autre chose qu’un discours sur la langue, un objet
d’étude en tant que tel, et non la vérité sur la langue. Ce qui compte comme
LE bon usage est historiquement daté et varie selon les époques : à l’époque
classique, car était blâmé et pour ce que était recommandé. Si l’on compare les
« ne dites pas » des puristes, on voit qu’ils se contredisent entre eux, depuis
plusieurs siècles, et qu’ils sont souvent bien peu clairs. Vaugelas écrit que
l’accord au masculin doit l’emporter mais ajoute aussitôt « l’oreille a de la peine
à s’y accoutumer » et le féminin est parfois « plus doux ». L’Académie française
dit qu’il faut dire quand et non quand est-ce que (deux interrogatifs seraient
redondants) mais ne pas et non pas (alors que deux négatifs devraient être
redondants également). Rien d’étonnant donc à ce qu’ils soient peu appliqués,
et n’aient que peu d’influence sur la coexistence à tout moment de plusieurs
variantes et sur l’évolution naturelle de la langue.
Comme les autres sciences sociales, la linguistique – héritière de la
philologie – a recours à des méthodes rigoureuses, qualitatives (études de
situations, de cas, d’entretiens, observations) ou quantitatives (constitution et
dépouillement de grandes bases de données écrites ou orales). Pour constituer
les données à observer et analyser, on a recours à la récolte sur le terrain, aux
enquêtes, à la fouille de données numériques, des big data – aussi bien récentes
qu’issues de la numérisation de manuscrits ou d’éditions anciennes –, aux
questionnaires, aux expérimentations en laboratoire, à la neuroimagerie
cérébrale…
LE COMBAT DES LINGUISTES DANS LA SOCIÉTÉ EST UN COMBAT
DÉMOCRATIQUE

Face aux puristes qui prétendent éradiquer des façons de parler, rendre
mutiques des catégories entières de gens, discréditer quiconque ose ne pas
suivre leurs pseudo règles, les linguistes permettent à chacune et chacun de se
réapproprier sa langue. Les linguistes ne nient pas l’existence des discours
normatifs, puisque ce sont aussi des usages linguistiques. Mais il est important
à la fois de savoir que la négation en français est marquée avec ou sans ne et
l’interrogation avec ou sans inversion, que les deux variantes coexistent, qu’elles
n’ont pas les mêmes emplois et ne sont pas perçues de la même façon, et de
savoir que les deux sont tout aussi « françaises » et légitimes. Toutes les
variantes ont une histoire et une place dans le système de la langue.
Le débat public sur la langue, souvent sclérosé, mérite de placer au centre de
l’attention les travaux scientifiques. Il est grand temps de cesser de donner la
prééminence à des idées reçues ou à de simples opinions personnelles qui
obscurcissent les discussions, et de laisser plus de place aux recherches sur la
langue française, son histoire et ses dynamiques. Tout le monde y gagnera.

ET SI ?

Et si on introduisait une initiation à la linguistique dans le secondaire, comme


en Espagne ? Si on rattachait l’enseignement de la grammaire au raisonnement
scientifique pour ne plus réduire celle-ci à un apprentissage par cœur de règles
arbitraires et ennuyeuses ? Si on établissait des ponts entre la grammaire en
cours de français et la grammaire en cours de langues vivantes (harmoniser les
terminologies par exemple) ? Si, au lieu d’inculquer les comment, on
encourageait les pourquoi pour faire découvrir les vraies règles de la langue ?
LES LINGUISTES ATTERRÉES
MAI 2023

RESSOURCES
Josie Bernicot & Alain Bert-Erboul, L’Acquisition du langage par l'enfant, Éditions In Press,
2014.
Jean-Louis Chiss, Jacques Filliolet & Dominique Maingueneau, Introduction à la linguistique
française, Hachette, 2017.
Nathalie Garric, Introduction à la linguistique, Hachette, 2013. (L’ouvrage contient des
exercices.)
Jean-Marie Klinkenberg, Précis de sémiotique générale, Seuil, 2000.
Gilles Siouffi & Dan Van Raemdonck, 100 fiches pour comprendre la linguistique : 1er cycle
universitaire, Bréal, 2018.
Anne Abeillé – Professeure de Linguistique à l’Université Paris Cité, membre
du Laboratoire de Linguistique formelle-CNRS, codirectrice de la Grande
Grammaire du français, spécialiste de syntaxe.
Julie Auger – Professeure titulaire de Linguistique à l’Université de Montréal,
spécialiste de variation sociolinguistique, français québécois et picard.
Christophe Benzitoun – Maitre de conférences en Linguistique française à
l’Université de Lorraine et à l’ATILF, membre du comité éditorial de
l’Encyclopédie grammaticale du français.
Heather Burnett – Directrice de recherches au CNRS, membre du
Laboratoire de Linguistique formelle, spécialiste de sémantique et
pragmatique.
Maria Candea – Professeure de Sociolinguistique et Linguistique française à
l’Université Sorbonne Nouvelle, membre du laboratoire CLESTHIA,
spécialiste de sociophonétique.
Françoise Gadet – Professeure émérite à l’Université Paris Nanterre, membre
du Laboratoire Modyco-CNRS, spécialiste de syntaxe et sociolinguistique.
Médéric Gasquet-Cyrus – Maitre de conférences à l’Université d’Aix-
Marseille, membre du Laboratoire Parole et Langage-CNRS, spécialiste des
accents et du français de Marseille.
Antoine Gautier – Maitre de conférences en Linguistique française à
Sorbonne Université.
Arnaud Hoedt – Licencié en Langue et Littératures romanes de l’Université
Libre de Bruxelles, auteur et comédien, membre du Conseil des langues et des
politiques linguistiques de la Fédération Wallonie Bruxelles.
Jean-Marie Klinkenberg – Professeur émérite de l’Université de Liège (Chaire
de sémiotique et rhétorique), membre de l’Académie royale de Belgique.
Michel Launey – Professeur honoraire de l’Université Denis-Diderot et
directeur de recherches honoraire à l’Institut de Recherche pour le
Développement IRD-Guyane.
Julie Neveux – Maitresse de conférences en Linguistique anglaise à Sorbonne
Université, membre du CELISO (Centre de Linguistique en Sorbonne),
Présidente de la Société de Stylistique et d’Analyse de Discours Anglophones.
Rachel Panckhurst – Professeure en Linguistique-Informatique à l’Université
Paul-Valéry Montpellier 3, membre du laboratoire Dipralang, spécialiste des
discours numériques.
Jérôme Piron – Licencié en Langues et Littératures romanes de l’Université
catholique de Louvain-La-Neuve, auteur et comédien, membre du Conseil des
langues et des politiques linguistiques de la Fédération Wallonie Bruxelles.
RF. Monté de Linguisticae, auteur, vidéaste et vulgarisateur en
sociolinguistique et linguistique historique indo-européenne.
Corinne Rossari – Professeure de Linguistique française à l’Université de
Neuchâtel, spécialiste de sémantique et de pragmatique.
Gilles Siouffi – Professeur à Sorbonne Université, spécialiste d’histoire du
français.
Laélia Véron – Maitresse de conférences en stylistique et langue française à
l’Université d’Orléans, membre du laboratoire POLEN.
GALLIMARD
5, rue Gaston-Gallimard, 75328 Paris cedex 07
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Directeur de la publication : Antoine Gallimard
Direction éditoriale : Alban Cerisier
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© ÉDITIONS GALLIMARD, 2023. Pour l'édition papier.
© Éditions Gallimard, 2023. Pour l'édition numérique.
Nous, linguistes de France, de Belgique, de Suisse, du Canada, sommes proprement
atterrées par l’ampleur de la diffusion d’idées fausses sur la langue française.
LES LINGUISTES ATTERRÉES

L esmédiatique
discours sur les « fautes » saturent quasiment l’espace éditorial et
contemporain. Mais la différence entre une faute et une
évolution, c’est la place qu’elle occupera à long terme dans l’usage. Et
l’usage, ça s’étudie avec minutie. C’est le travail des linguistes. Face aux
rengaines déclinistes, il devient indispensable de rétablir la rigueur des faits.
Non, l’orthographe n’est pas immuable en français. Non, les jeunes, les
provinciaux ou les Belges ne « déforment » pas la langue. Oui, le participe
passé tend à devenir invariable. Non, le français n’appartient pas à la
France. Oui, tout le monde a un accent, voire plusieurs.
Dix idées reçues sur la langue, et surtout trente propositions pour en
sortir.

COLLECTIF DE LINGUISTES : TRACT-LINGUISTES.ORG.

MAI 2023
Cette édition électronique du livre Le Français va très bien, merci de Les Linguistes atterrées a été réalisée
le 09 mai 2023 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l'édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782073036698 - Numéro d'édition :
613632).
Code produit : U59747 - ISBN : 9782073036711 - Numéro d'édition : 613634
Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako www.isako.com à partir de
l'édition papier du même ouvrage.
Table des matières

Couverture

Avant-propos

Nous, linguistes, sommes proprement atterrées...

DÉCRIRE OU PRESCRIRE ?

1. LE FRANÇAIS N’EST PLUS « LA LANGUE DE MOLIÈRE »

LA LANGUE A CHANGÉ

TRADUIRE MOLIÈRE ?

MOLIÈRE N’ÉTAIT PAS UN PURISTE

LE FRANÇAIS ÉVOLUE COMME TOUTES LES LANGUES

ÉTUDIER LA LANGUE DE MOLIÈRE PLUTÔT QUE


L’INVOQUER !

ET SI ?

2. LE FRANÇAIS N’APPARTIENT PAS À LA FRANCE

LE FRANÇAIS N’EXISTE PAS

FRANCOPHONIE DU NORD

FRANCOPHONIE DES SUDS

LES FRANÇAIS, DES FRANCOPHONES COMME LES AUTRES

ET SI ?
3. LE FRANÇAIS N’EST PAS « ENVAHI » PAR L’ANGLAIS

LE FRANGLAIS N’EXISTE PAS EN EUROPE

DEUX LANGUES COUSINES RESTÉES EN CONTACT

LA VISIBILITÉ DE L’ANGLAIS DANS L’ESPACE PUBLIC

LES LANGUES VIVANTES BOUGENT

L’ANGLAIS COMME LANGUE DOMINANTE

ET SI ?

4. LE FRANÇAIS N’EST PAS RÈGLEMENTÉ PAR L’ACADÉMIE


FRANÇAISE

L’ACADÉMIE FRANÇAISE A ACCOMPAGNÉ LES ÉVOLUTIONS


DE LA LANGUE JUSQU’EN 1835

L’ACADÉMIE FRANÇAISE N’A AUCUN POUVOIR SUR LA


LANGUE

D’AUTRES INSTITUTIONS TRAVAILLENT SUR LA LANGUE

ET SI ?

5. LE FRANÇAIS N’A PAS UNE ORTHOGRAPHE PARFAITE

L’ORTHOGRAPHE N’EST PAS LA LANGUE

L’ORTHOGRAPHE FRANÇAISE N’EST PAS TOUJOURS


LOGIQUE NI ÉTYMOLOGIQUE

LES JEUNES N’ÉCRIVENT PAS DE PLUS EN PLUS MAL…

… MAIS LA MAITRISE DE L’ORTHOGRAPHE RÉGRESSE


IL FAUT MOINS DE DICTÉES

RÉFORMER L’ORTHOGRAPHE EST UN NIVÈLEMENT PAR LE


HAUT

ET SI ?

6. L’ÉCRITURE NUMÉRIQUE N’@BIME PAS LE FRANÇAIS

LE FRANÇAIS SUR INTERNET ET LES RÉSEAUX SOCIAUX


N’EST PAS UN MAUVAIS FRANÇAIS

ON N’ÉCRIT PAS SES SMS COMME SES LETTRES DE


MOTIVATION

LES EMOJIS AUGMENTENT L’ÉCRITURE, ILS NE LA


REMPLACENT PAS

ET SI ?

7. LE FRANÇAIS PARLÉ N’EST PAS DÉFICIENT

COMME DANS TOUTES LES LANGUES, L’ORAL PRÉCÈDE


L’ÉCRIT

ORAL/ÉCRIT : EST-CE COMPARABLE ?

L’ORAL A UNE GRAMMAIRE QUI DEVRAIT ÊTRE ENSEIGNÉE

LE REDOUBLEMENT DU SUJET N’EST PAS UNE FAUTE

UNE DISTINCTION ÉCRIT/ORAL QUI PERD DE SA


PERTINENCE AUJOURD’HUI

ET SI ?
8. LE FRANÇAIS N’EST PAS « MASSACRÉ » PAR LES JEUNES, LES
PROVINCIAUX, LES PAUVRES OU LES BELGES

« LA LANGUE DES JEUNES »

LE FRANÇAIS, COMME TOUTES LES LANGUES, PRÉSENTE


DES VARIATIONS

LE MÉPRIS DE CLASSE DERRIÈRE LA CONDAMNATION

LA LANGUE EST SURTOUT UN ENSEMBLE DE PRATIQUES


SOCIALES

ET SI ?

9. LE FRANÇAIS N’EST PAS EN « PÉRIL » FACE À L’EXTENSION


DU FÉMININ

GENRE GRAMMATICAL ET GENRE SOCIAL

LA FÉMINISATION DES NOMS DE MÉTIER

LA QUESTION DU MASCULIN GÉNÉRIQUE

L’ÉCRITURE DITE INCLUSIVE

L’ENSEIGNEMENT DU MASCULIN QUI L’EMPORTE

LES PRONOMS NON GENRÉS

ET SI ?

10. LINGUISTE, C’EST UN MÉTIER

LES LINGUISTES NE SE DEMANDENT PAS SI UNE TOURNURE


EST CORRECTE OU NON
POURQUOI LES LINGUISTES NE PRIVILÉGIENT PAS LA
LITTÉRATURE ET LE BON USAGE

LES LINGUISTES SONT PLUS EXIGEANTS QUE LES PURISTES

LE COMBAT DES LINGUISTES DANS LA SOCIÉTÉ EST UN


COMBAT DÉMOCRATIQUE

ET SI ?

Le collectif

Copyright

Présentation

Achevé de numériser

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