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Thème 11

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Revue d'économie financière

Le risque de système et les moyens de le prévenir dans l'union


économique et monétaire
Michel Aglietta

Citer ce document / Cite this document :

Aglietta Michel. Le risque de système et les moyens de le prévenir dans l'union économique et monétaire. In: Revue
d'économie financière. Hors-série, 1992. Le Traité de Maastricht : quelles conséquences pour l'Europe financière ? . pp.
177-194.

doi : 10.3406/ecofi.1992.4616

http://www.persee.fr/doc/ecofi_0987-3368_1992_hos_2_1_4616

Document généré le 16/10/2015


LE RISQUE DF SYSTÈME ET LES MOYENS

DE LE PRÉVENIR DANS L'UNION

ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE

Michel Aglietta *,
Professbi;*, Université Paris X

Les répercussions mutueUes de la formation d'un marché unique des


services financiers et de l'étabUssement de l'union économique et
monétaire (UEM) sont encore mal connues. Le texte du Traité de
Maastricht est lui-même fort discret dans le domaine du contrôle
prudentiel et de la sécurité financière en Europe.
D'aUleurs les moyens de contenir les risques financiers, dont les dix
dernières années ont vu l'augmentation speaaculaire, font l'objet des 177
préoccupations des autorités monétaires nationales, de la Commission
Européenne et des groupes d'investigation créés sous l'égide du Comité des
gouverneurs de Bâle. Aussi, n'est-U pas prématuré de rassembler les
observations sur les transformations de la finance et de les confronter aux
avancées théoriques sur le risque de système pour tenter d'énoncer les
principes et d'esquisser les orientations de ce que pourrait être un fUet de
sécurité financière en Europe.
Cet excercice prospectif est utUe à condition d'être bien conscient de son
caractère hautement conjectural.
Nous cherchons à montrer que l'ouverture et la UbéraUsation des systèmes
financiers en Europe a déjà accru et va encore accroître le risque de système.
Puis nous essaierons d'identifier et d'analyser les problèmes posés par
l'organisation d'un dispositif de prévention à partir des principes inscrits
dans le traité de l'UEM.

* L'essentiel des arguments de ce texte provient d'une étude plus détaillée et plus approfondie de
M. Aglietta et P. Moutot, Risque systématique, prêteur en dernier ressort et union économique et monétaire, à
paraître dans les Cahiers Economiques et Monétaires de la Banque de France, à l'automne 1992.
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

L'INTÉGRATION FINANCIÈRE EUROPÉENNE


ET LE RISQUE DE SYSTÈME

La théorie du risque de système permet de repérer les éléments des


structures financières qui les rendent plus ou moins vulnérables. On doit
prendre en considération : le développement des marchés financiers et ses
incidences sur les systèmes de paiements ; le degré de séparation ou de
recouvrement des activités des banques et des non-banques ; l'intensité de la
concurrence bancaire et la tendance opposée vers une plus grande
concentration. Ces éléments fournissent une griUe de lecture pour analyser
l'évolution des structures financières sous l'effet des déréglementations
nationales et de la UbéraUsation internationale. Leur combinaison permet de
porter un diagnostic sur l'augmentation probable du risque de système en
Europe.

Développement des marchés et des transactions financières

On connaît l'essor des marchés financiers en Europe au cours des années 80.
L'importance des marchés pour le financement des économies nationales est
pourtant demeurée fort inégale. Ainsi la réforme londonienne en matière
178
d'organisation de la bourse a-t-eUe été largement imitée en France, tant pour
l'introduction de la cotation informatisée en continu que pour la suppression
des commissions réglementées. En revanche, aucun changement ne s'est
produit en AUemagne où un système efficace de cotation et de Uvraison
existait déjà, et où la position dominante des banques aUemandes dans
Pintermédiation de marché n'a pas été entamée. Cependant la côte
londonienne est beaucoup plus large que ceUe de ses rivales dont eUe
détourne une part de l'activité sur les mêmes valeurs. Aussi Londres
demeure-t-eUe la place boursière dominante en termes de capitalisation
comme de volume de transactions.
De leur côté les marchés de titres pubUcs se sont développés dans
plusieurs pays à cause de l'ampleur des besoins de financement publics et des
difficultés à gérer une dette soUicitant fortement l'épargne privée. Mais les
marchés dérivés n'ont diversifié leurs instruments et atteint de grands
niveaux d'activités qu'à Londres et à Paris. Au contraire, les marchés de
titres publics aUemands demeurent peu liquides, du fait de marchés
secondaires des valeurs du Trésor étroits et de l'absence de spécialistes en
valeurs du Trésor, domaine où l'Italie est en flèche à l'instar de la France.
Mais la marchéisation des économies nationales est surtout inégale pour
les titres de créances négociables du secteur privé. Seules la France et
l'Angleterre ont des marchés larges et bien organisés de bUlets de trésorie.
Seule Londres a un grand marché secondaire de créances hypothécaires.
RISQUE DE SYSTEME ETUEM

Au total, l'influence des marchés est prépondérante au Royaume-Uni ; eUe


est devenue importante en France, mais eUe demeure Umitée en AUemagne et
en Italie. Une tendance puissance et globale existe. Ses caractéristiques
essentieUes vont dans le sens d'une intensification de la concurrence :
déréglementation des commissions, réduction drastique des taxes sur les
transactions, diversification des titres de créances négociables, ouverture des
professions à des intermédiaires polyvalents. Mais cette tendance s'exerce
avec des décalages considérables et des rythmes très différents selon les pays.
Ces circonstances déterminent le degré de concurrence que les banques
subissent de la part des marchés et la plus ou moins grande rapidité avec
laqueUe eUes doivent s'adapter, un rythme rapide étant source d'une fragUité
plus grande.
La transition vers l'UEM devrait toutefois accélérer la tendance dominante
par la mobUité des capitaux et par la libre prestation de services. Car la
formation de marchés plus intégrés va dissocier les besoins de financement
de l'économie nationale de leurs propres places financières. Les cotations des
titres étrangers sur les plus grandes places financières vont gagner en
importance, ainsi que les transactions financières qui vont s'y effectuer. Il
deviendra donc de plus en plus difficUe de segmenter des catégories de
financement et de les progéger de l'influence des marchés internationaux.
179
Cette indépendance territoriale entre les besoins de financement et les
apports d'épargne sera accrue par la Ubre prestation des services financiers.
La Uquidité des marchés qui dépend de l'activité des intermédiaires
spécialisés (market markers), la rapidité et la sûreté des règlements-Uvraisons
de titres, vont devenir les avantages déterminants des places financières. A
côté des grandes entreprises qui ont déjà bénéficié de cette évolution sur les
marchés mondiaux, l'intégration financière européenne devrait faire accéder
des firmes intermédiaires nombreuses à des instruments de financement
réduisant le coût du capital. In fine, les Uens tissés par les systèmes bancaires
entre épargnants et emprunteurs nationaux devraient se distendre
sensiblement sous l'effet d'une concurrence globale.
Cette évolution ne peut manquer aussi de globaUser les risques. Or
l'expérience des années 80 a amplement montré qu'un accroissement rapide
de l'importance des marchés, à dispositifs de supervision et de contrôle
prudentiel inchangés, donc inadaptés aux structures de la finance globaUsée,
augmentait sérieusement le risque de système. Pour ne citer que les grands
pays qui ont connu les excès d'inflation financière les plus grands, les
Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon sont tous dans une phase longue et
pénible de contraction des actifs de mauvaise quahté et de réduction des
niveaux d'endettement. Toutes les crises à caractère systémique, c'est-à-dire
qui ont eu des répercussions étendues dans le système financier, ont eu pour
origine les retournements de prix d'actifs instables sur les marchés d'actions,
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

de créances négociables à hauts risques, de propriétés foncières et


immobUières. Toutes ces crises ont été nourries par des cycles très accusés du
crédit, consenti dans des conditions où la concurrence intense pour les parts
de marché entraînait la sous-évaluation du risque.
Ce n'est pas le Ueu ici de rappeler les raisons profondes qui expUquent
l'instabiUté des prix des actifs financiers. Quoi que l'on pense des
comportements élémentaires qui entraînent les spéculations déstabilisantes,
U est clair que la globaUsation financière leur fournit un terrain propice. Plus
les montants de fonds Uquides à la recherche de plus-values immédiates sont
importants, plus la profusion d'informations véhiculant des signaux
trompeurs agit sur les anticipations, plus le levier du crédit à la spéculation
est grand, plus le risque systématique sera élevé. Or ces conditions sont
favorisées par la taiUe et la connexion des marchés, par la rapidité
d'apparition d'instruments nouveaux et' mal connus, par l'écrasement des
marges et des commissions qui pousse au volume et à la prise de risque. Des
épisodes de crises variées ont été observés depuis plus de dix ans.
L'intégration financière rendra plus vulnérable à de tels phénomènes les
systèmes financiers de l*Europe continentale qui en avaient été préservés
auparavant. Mais U est un domaine où la croissance des transactions
financières renforce le risque de système à l'insu des non spécialistes ; ce sont
180
les systèmes de paiements.

Globalisation financière et interconnexion des paiements

Les systèmes de paiments constituent les infrastructures des économies de


marché. La continuité de flux des paiements réalise la cohérence quotidienne
de la multitude des échanges décentralisés. EUe est fort loin d'aUer de soi.
Des organisations centraUsées, des règles rigoureuses, des techniques de
pointe, des obUgations soigneusement définies sont nécessaires pour que des
accidents locux ne se propagent pas immédiatement et ne créent par des
désordres graves dans toute l'économie. Or la globalisation financière a accru
énormément l'espace de circulation des grandes devises, a multipUé les
montants de transactions financières à régler chaque jour, a élevé
démesurément les positions débitrices entre les institutions financières au
sein d'une même journée. Le risque de système est devenu beaucoup plus
présent que dans les économies protégées par les contrôles sur les
mouvements internationaux de capitaux et par la segmentation des circuits
de financement. La montée des risques dans les systèmes de paiements à fait
réagir les autorités. Aux Etats-Unis le Fed a développé un programme de
réduction des risques depuis 1986. En France et dans les autres grands pays
européens des réformes profondes ont été engagées pour accroître la
robustesse des systèmes de compensation et de règlement. Un accord
RISQUE DE SYSTÈME ET UEM

international a été conclu au sein du G10. De son côté, la Commission de


BruxeUes, avec les banques centrales et les associations de la profession
bancaire, étudie les dispositions à prendre pour réaUser l'interconnexion des
systèmes de paiements impUquée par l'UEM.
Les risques dans les systèmes de paiements ont des causes diverses. Les
transformations de la finance les ont affectés de plusieurs manières. Ainsi dès
1974, les répercutions de la faUUte de la banque Herstatt sur les paiements
interbancaires en doUars ont montré à quel point les risques étaient Ués au
développement du marché de l'eurodoUar. En 1985 c'est le risque
informatique qui a été Ulustré par la panne d'ordinateurs d'une banque
new-yorkaise très active dans les règlements des transactions sur les bons du
Trésor. Plus généralement, les systèmes centraUsés de compensation et de
règlement en doUars ont vu les niveaux de risque de Uquidité et de crédit
augmenter très rapidement à la suite de l'énorme accroissement des
transactions financières en doUars couvrant le monde entier. Ces transactions
ont provoqué le bourgeonnement de places off shore où des systèmes de
compensation dégagent des positions nettes qui doivent être réglées dans les
systèmes centraux des Etats-Unis. Or les transactions de non-résidents
compensées sur les places off-shore véhiculent à la fois des risques de change
et des risques attachés aux titres internationaux. Une faUUte importante sur
ces places off-shore non réglementées se répercute sur le règlement des 181
transactions de gros montants entre agents financiers aux Etats-unis. En
outre, l'expansion des transactions compensées et réglées par les Chambres
qui centraUsent l'exécution des contrats sur les marchés dérivés peut faire
varier rapidement les positions des banques sur les institutions membres de
ces marchés organisés. Ces changements se répercutent sur les engagements
croisés des banques dans les systèmes de paiements interbancaires et agissent
sur les règlements ultimes en monnaie centrale. Aux Etats-Unis, les risques
de crédit qui s'inscrivent dans les deux systèmes centraux interconnectés de
compensation et de règlement (CHIPS et Fedwire) ont augmenté avec la
taiUe des découverts intra-journaUers. Quand au risque informatique, U est
devenu crucial parce qu'U porte sur l'instrument indispensable de traitement
et de transmission des flux financiers. Des non-transferts, des pertes
d'information, des erreurs ou des fraudes peuvent se transmettre
instantanément. Aussi le niveau de sécurité informatique d'un système de paiments
est-U dépendant des étabUssements membres de ce système qui ont le niveau
de sécurité le plus bas.
C'est pourquoi l'UEM, qui fera dépendre les systèmes de compensation
nationaux les uns des autres, devra s'accompagner d'une homogénéisation
de leurs niveaux respectifs de sécurité. En dépit des réformes déjà
accompUes par les autorités nationales, les règles adoptées pour maîtriser les
risques de Uquidité et de crédit sont encore fort disparates. Or les banques
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

commerciales vont mettre les systèmes nationaux en concurrences, puisque


la deuxième directive bancaire de la Commission leur accorde le droit de
solUciter l'adhésion à l'ensemble des systèmes de paiements de la
communauté. Les banques, aiguiUonnées par la concurrence, seront
poussées à privUégier les systèmes qui leur paraîtront les moins coûteux ou
les moins contraignants. Dans le cas, où, par exemple, un pays choisirait de
tolérer les découverts intra-journaUers sans limite et sans facturation en
intérêts, alors qu'un autre obUgerait les banques à couvrir leurs positions
avec des coUatéraux, un détournement de trafic du second système vers le
premier aurait Ueu. En plus du risque inhérent à l'interconnexion, U y aurait
alors Ueu de craindre que les systèmes les mieux protégés soient contaminés
par la concentration des transactions acheminées par les banques les moins
sûres dans les systèmes de paiements les moins contraignants. C'est un
domaine où la déréglementation compétitive serait particulièrement
dangereuse. Or le phénomène de détournement jouera à plein dans le marché
intérieur européen parce que les solidarités de place entre banque nationales
vont être irrémédiablement affaiblies. Si l'on veut éviter que la sécurité des
paiements européens ne soit ceUe de son maiUon le plus faible,
l'homogénéisation des niveaux de sécurité avec une exigence élevée est une
tâche à accomplir par le système européen de banques centrales, et plus
182 probablement à engager auparavant par l'Institut Monétaire Européen.

Amenuisement de la séparation entre les métiers de la banque


et les autres professions de la finance

Ce phénomène est lourd de conséquences pour la propagation des risques.


Car U entraîne la marchéisation des bUans des banques. CeUes-ci deviennent
vulnérables aux variations de prix des actifs négociables. Plusieurs évolutions
ont concouru à augmenter la part des actifs de marché dans les avoirs et les
engagements des banques : émission de certificats de dépôts, titrisation de
certains types de crédits, augmentation des portefeuiUes boursiers et
obligataires. Rarement ces changements de valeur provoqués par les
variations des prix peuvent être parfaitement couverts. De plus, la moindre
séparation entre les activités financières incite les banques à jouer
directement le rôle de « market makers » sur les marchés des créances
négociables ; ce qui les conduit à prendre des positions ouvertes
importantes.
Au-delà de la marchéisation proprement dite, le rapprochement délibéré
des banques et d'autres institutions financières, voire de grandes sociétés
commerciales, au sein de conglomérats financiers est une source nouveUe de
risque de système. Car, des événements récents l'ont bien montré, ces
conglomérats ont des structures financières particulièrement opaques. La
RISQUE DE SYSTÈME ET UEM

multipUcation des comptes-écrans et des sociétés fantômes, qui sont placées


en des Ueux aveugles pour le contrôle prudentiel, fait de ces conglomérats
des foyers très élevés de risque. La soUdarité financière interne aux groupes,
qu'aucune muraiUe de Chine juridique ne saurait proscrire même entre
finales pleinement autonomes, soumet les banques participantes aux risques
d'étabUssements non bancaires beaucoup moins réglementés, voire non
réglementés du tout s'U s'agit de sociétés non financières. Cela signifie qu'en
plus des risques de marché directs découlant de la marchéisation de leurs
bUans, des risques contingents qui découlent de leurs engagements hors
bUan, les banques peuvent être soumises à des risques indirects provoqués
par le soutien d'étabUssements en difficulté dans les conglomérats dont eUes
sont membres. Or l'identification de ces risques présuppose une qualité de
supervision et de contrôle prudentiel que l'on est très loin d'approcher
actueUement. Il faudrait, en effet, rendre compatibles les normes pruden-
tieUes de professions financières différentes qui sont jalouses de leurs
prérogatives. Il faudrait calculer des positions consoUdées à partir de la
connaissance des Uaisons financières internes aux conglomérats, alors qu'on
ne sait pas grand chose de leurs structures et qu'on ne peut même pas
toujours identifier la tête de groupe. Le degré de coUaboration à atteindre
entre autorités de supervision dans différentes professions et dans différents
pays exige un effort de coopération très important. 183
Cela est particuUèrement le cas en Europe où la UbéraUsation financière
est très permissive. Banques et assurances sont considérées comme des
métiers voisins qui s'interpénétrent de plus en plus. La grande distribution
offre des services financiers en dehors de tout cadre réglementaire (cartes de
débit, crédits aux ménages à travers des fUiales de financement). En
AUemagne, par exemple, des entreprises non contrôlées peuvent s'occuper
d'affaturage, de crédit-baU, de conseUs financiers, de gestion de portefeuiUe,
de courtage en valeurs mobiUères, de fusions d'entreprises.
On peut s'attendre à la coexistence dans le marché intérieur européen
d'une grande variété d'organisations financières. Même si la banque
universeUe est encouragée, les conglomérats pluri-fonctionnels sont à la
mode. Les prises de participations" et les fusions dans le secteur financier
s'accélèrent dans la Communauté. Ces évolutions pourraient entraîner des
domaines de fragUité si l'intégration financière répète en Europe certains des
phénomènes observés aux Etats-Unis au cours des années 80. On sait que la
conjonction de la déréglementation brutale de secteurs protégés (les caisses
d'épargne) et d'une supervision inadéquate ont provoqué un désastre. Or U
ne manque pas dans nombreux pays de la Communauté, de secteurs
protégés qui vont devoir affronter la concurrence sous le couvert de la Ubre
prestation de service. Que l'on songe à l'impact des buUding societies
anglaises sur les marchés hypothécaires du continent. Ces organismes, qui
RE VUE D'ECONOMIEFINANCIERE

ont joué un grand rôle dans l'embaUement de la spéculation immobUière


anglaise entre 1987 et 1989, sont d'autant plus redoutables que la
déréglementation financière leur a donné le droit de pénétrer les activités
bancaires. Quand aux fonds de pension britanniques, on sait qu'Us sont
dispensés de contraintes de placements auxqueUes ont été assujettis jusqu'ici
les investisseurs institutionnels du continent. La recherche agressive des
plus-values à court terme va-t-eUe devenir un trait de la gestion des caisses de
retraite sur le modèle anglais ? Le passage d'une diversification bien balancée
et prudente parce qu'imposée par la loi, à une gestion ouvertement
spéculative ne pourrait qu'élever les risques : liquidités réduites, part des
actions accrue au détriment des obligations, mais aussi des contrats offerts
aux cUents dont les revenus fluctuent avec les rendements des placements.

La concurrence bancaire

Le marché intérieur européen va prolonger les déréglementations nationales


pour intensifier la concurrence des banques. Il va également susciter
l'antidote : la concentration. CeUe-ci est actueUement assez inégale selon les
pays. EUe est élevée en France tant du côté des dépôts que des crédits. EUe
n'est grande en Angleterre que du côté des dépôts. Pour les crédits, les
184
principales banques commerciales sont concurrencées par des banques
d'affaires, des maisons d'escompte, des buUdings societies. En revanche,
l'Allemagne a un degré de concentration faible. Cela n'a pas mis en pérU la
rentabiUté des banques jusqu'ici parce que la concurrence des non-banques
est limitée par le faible développement des marchés. La densité
d'implantation des entreprises industrieUes régionales permet aux différents réseaux de
caisses d'épargne publiques de concurrencer les banques privées sans que la
rentabUité en soit affectée.
Le marché unique pourrait accentuer la pression sur les marges
d'intermédiation bancaire et accélérer à la fois la concentration et la
diversification des banques dans l'ensemble de la finance. Mais cette
restructuration des banques ne sera pas paisible. Les parts de marché vont
varier et les baisses des prix vont mettre en difficulté les banques dont les
coûts d'exploitation sont rigides. Comme la croissance interne par extension
des guichets et implantation de succursales directes à l'étranger est trop
coûteuse, la croissance externe va être le moyen principal du redéploiement
des banques. C'est de la concentration par fusions et absorptions que l'on
peut atteindre la réaction à la fragUité accrue qui résulte de la disparition des
segmentations qui protégeaient auparavant les systèmes bancaires. Des
banques étrangères moyennes capables de devenir des fUiales rentables,
parce que disposant de cUentèles durables, vont être les proies des grandes
banques internationales. C'est donc dans le domaine intermédiaire que la
RISQUEDESYSTÈMEETUEM

concurrence devrait devenir plus aiguë, avec augmentation des transactions


transfrontaUères et abaissement des barrières à l'entrée dans les économies
régionales. Les cibles seront les petites et moyennes entreprises, ainsi que les
particuliers à revenus aisés. En effet, la banque de gros est déjà très
internationalisée et très concurrentieUe. Les marges y sont extrêmement
réduites et les marchés déjà globaUsés. A l'opposé, le marché intérieur
européen n'affectera la banque de détaU que si les produits financiers qui
s'adressent au plus grand nombre de ménages salariés peuvent être vendus
sans l'existance d'un réseau de guichets. Sinon, la croissance externe par
acquisition des réseaux existants sera le seul moyen de pénétration des
banques étrangères.
Au total la vulnérabiUté des banques au risque de crédit devrait
augmenter. Car, même si le degré de concentration bancaire s'élève en
Europe, U sera probablement plus faible qu'U ne l'était dans les pays lorsque
les systèmes bancaires étaient séparés et protégés. L'intensification de la
concurrence devrait donc se poursuivre et la qualité des crédits baisser dans
les domaines désegmentés, à supervision inchangée et situation
macroéconomique donnée.
Si l'on rassemble les conséquences des évolutions qui devraient affecter les
structures financières, on aboutit à une configuration qui pourrait être
spontanément plus propice au risque de système. La théorie, confirmée par 185
l'expérience historique, suggère que la configuration la plus propice au
risque de système est la suivante : grande importance des marchés, absence
de séparation entre les banques et les autres activités de la finance, faible
concentration bancaire. Ce fut la configuration qui rendit possible
l'effondrement du système financier américain au début des années 30. Ce
fut aussi ceUe qui produisit le sinistre des caisses d'épargne dans les
années 80 lorsque l'instabUité des marchés fut ravivée et que la
déréglementation réduisit la protection de ces organismes. Ce fut encore ceUe qui facUita
la déroute des banques secondaires anglaises, lorsque le crédit fut
déréglementé au début des années 70.
Ainsi les choix institutionnels orientent-Us les configurations qui confèrent
aux systèmes financiers une plus grande robustesse ou une plus grande
fragUié. Dans les années 30, le Congrès américain a posé le principe de la
banque à compétences limitées, en instituant une stricte séparation entre les
banques commerciales et les autres domaines de la finance. Dans les
années 70 au Royaume-Uni, la banque d'Angleterre a encouragé la
concentration par l'acquisition des banques secondaires au sein de groupes
dirigés par les grandes banques de clearing. A l'époque de sa grande
croissance, la France avait un système financier fondé sur le faible rôle des
marchés, la séparation entre les banques commerciales et les intermédiaires
spéciaUsés et une grande concentration, c'est-à-dire un système particuUère-
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

ment robuste mais coûteux. L'AUemagne a conservé le plus longtemps une


configuration originale : faible rôle des marchés, banque universeUe, mais
forte concurrence interbancaire. Ce système a su conciUer un haut degré de
sécurité et une efficacité raisonnable dans l'aUocation des capitaux.
Les tendances de l'intégration financière européenne feront évoluer les
structures financières vers une plus grande fragUité à dispositif prudentiel
inchangé. On va y trouver, en effet, la combinaison de marchés financiers
très importants, d'une absence de séparation dans les activités financières
que les conglomérats plurifonctionnels reflètent le plus complètement, une
probable diminution de la concentration, certes combattue par des
regroupements déjà en voie de réaUsation.
Dans ces conditions des décisions seront nécessaires pour choisir un
compromis satisfaisant vis-à-vis du dUemme entre efficacité
microéconomique et stabiUté macroéconomique. Un dispositif pour contrôler le
risque doit être construit à partir des systèmes de prévention et de
surveillance disparate des pays membres. Il n'est pas sûr que, dans ce
domaine, les principes inscrits dans le traité de Maastricht soit à la mesure de
la globaUsation des risques prévisible en Europe.

186 Problèmes posés par l'organisation


de la prévention du risque systémique
dans l'union monétaire

Le traité mentionne bien le rôle du système européen de banques centrales


(SEBC) en matière de contrôle prudentiel et de stabUité du système
financier. Mais ce rôle paraît très limité et fort imprécis. Cette mention se
trouve dans l'article 3.3 des statuts du SEBC qui stipule : « le SEBC doit
contribuer à la conduite sans à coups des politiques poursuivies par les
autorités compétentes, concernant la supervision prudentieUe des
institutions de crédit et la stabiUté du système financier ».
L'article 25.1 des mêmes statuts ajoute : « la banque centrale européenne
peut offrir ses avis ou être consultée par le ConseU, la Commission et les
autorités compétentes des Etats membres sur la teneur et la mise en uvre de
la législation communautaire portant sur la supervision prudentieUe des
institutions de crédit et la stabUité du système financier ».
Enfin l'article 25.2 des statuts reprend l'article 105 du traité pour
envisager que des missions plus spécifiques soient confiées à la banque
centrale européenne : « eUe pourra remplir des tâches spécifiques
concernant les poUtiques portant sur la supervision prudentieUe des institutions de
crédit et des autres institutions financières à l'exception des entreprises
d'assurance ». Mais c'est pour ajouter que ces missions ne pourront être
RISQUE DE SYSTÈME ET UEM

demandées que sur décision du ConseU statuant à l'unanimité, sur


proposition de la Commission et sur avis conforme du Parlement Européen.
Autant dire que ces fameuses missions ne verront jamais le jour !
Le flou de ces textes saute aux yeux. Nul ne sait ce que peut signifier
contribuer à la bonne conduite de poUtiques menées par des autorités jamais
définies, tout en étant compétentes. On se trouve devant un jargon juridique
qui cache mal un compromis boiteux. On voudrait invoquer une subsidiarité
qui n'ose pas dire son nom parce que la supervision prudentieUe ne peut être
indépendante de la fonction de prêteur en dernier ressort. Or cette dernière
est tout autant une et indivisible dans un espace où existe une seule monnaie
que l'élaboration de la poUtique monétaire. Si l'on prend l'article 3.3 au pied
de la lettre, cette fonction serait eUe-même justiciable de la subsidiarité. On
aurait alors inoculé les conflits d'intérêts et l'aléa moral entre des autorités
nationales qui sont concernées par le risque de système, mais qui n'ont pas le
diagnostic global des crises et le souci de l'ensemble des externaUtés à
empêcher. Le manque de clarté en ce domaine sur le champ des
responsabUités, alors que les interconnexions financières globalisent le
risque, conduit à accroître la tolérance aux dynamiques de propagation que
l'on prétend combattre. D'aiUeurs, les discordances entre les autorités
prudentieUes disparates et soucieuses de leurs prérogatives ont joué un grand
rôle dans le pourrissement de la crise des caisses d'épargne aux Etats-Unis et 187
ont laissé se propager les faiUites par pure passivité. Les atermoiements qui
ont précédé la fermeture beaucoup trop tardive de la BCCI ne plaident pas
non plus pour la qualité de coopération entre les différents organismes de
supervision qui étaient concernés par cette affaire.
En l'absence d'une mission clairement définie de la banque centrale
européenne dans la préservation de la stabUité financière, en l'absence d'une
imputation des coûts des interventions en dernier ressort sans quereUes entre
les banques centrales nationales, une large capacité de blocage, donc de
paralysie en cas de crise, sera laissée aux autorités nationales hostUes à ces
interventions. Dans ces conditions U est probable que le rôle du SEBC dans
la prévention du risque systémique devra s'imposer dans la pratique, en
inventant des procédures qui feront jurisprudence et qui devront aUer
au-delà des textes. A partir des analyses de la première partie sur les facteurs
de la globalisation du risque en Europe, nous devons essayer d'esquisser les
principes que pourrait suivre cette pratique, principes que le traité a laissés
dans l'ombre.

Assurer la sécurité des systèmes de paiements en Europe

Il existe des principes généraux pour organiser les paiements de manière à


garantir un degré satisfaisant de sécurité, tout en préservant la capacité, la
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

rapidité et la fluidité des paiements de gros montants. Des initiatives


pubUques et privées devront se combiner pour étabUr un système de
paiements efficace en Europe à partir des systèmes nationaux existants. Le
SEBC devra avoir un rôle prépondérant pour les mettre en compatibUité et
superviser leur fonctionnement. On ne saurait trop insister, en effet, sur
l'importance des systèmes de paiements sûrs pour l'activité des banques. Les
transferts de montants élevés en monnaie scripturale présentent des risques
de Uquidité et de crédit, dont la maîtrise insuffisante pourrait entraîner des
blocages et des sinistres qui seraient préjudiciable à l'efficacité du marché
interbancaire.
Le risque de crédit provient du défaut d'un agent impUque dans un
paiement ou d'une des banques qui tiennent les comptes au travers desquels
le paiement est effectué. Le risque de Uquidité est rencontré par les banques
qui participent à un système multUatéral de compensation, au moment
d'effectuer le règlement de leurs positions nettes. Le risque systémique
découle de la vulnérabiUté d'un réseau de paiements à des réactions en
chaîne lorsque l'Uliquidité ou le défaut d'une banque participante à un
système de compensation se transmet à d'autres membres du système.
Les principes fondamentaux pour limiter ces risques ont été énoncés par
un comité spécialisé dans le cadre du G10. Le premier principe de bonne
188
gestion du risque systématique est l'irrévocabiUté des positions découlant de
la compensation. Ce principe permet, en effet, d'individuaUser et de séparer
les risques de Uquidité et de crédit qui peuvent se manifester. A contrario, si
les règlements demeurent révocables pour leurs bénéficiaires avant d'avoir
été effectifs, des chaînes de paiements concernant des tierces parties, sans
Uen avec le participant défaiUant, peuvent être remises en cause. L'ilUquidité
s'étend alors de proche en proche ; ce qui aurait des conséquences
désastreuses dans des économies fonctionnant en continu.
Le second principe est la présence d'agents de règlement à la large surface
financière pour assurer la gestion centralisée du risque de liquidité
conformément au principe d'irrévocabUité. Lorsqu'une défaiUance survient,
en effet, l'irrévocabUité impUque la substitution au moins temporaire d'un
agent de règlement au participant défaiUant. L'agent considéré, qui est le
plus souvent une banque centrale, ne doit pas assurer les pertes Uées aux
défaiUances. C'est pourquoi le risque de liquidité doit être séparé du risque
de crédit.
Le troisième principe est donc le partage du risque de crédit parmi les
membres du système de paiements. Cela implique qu'Us limitent leurs
positions bUatérales, qu'Us apportent des sûretés à la Chambre de
Compensation, qu'Us absorbent coUectivement les pertes éventueUes.
ActueUement les disparités sont grandes à l'égard de ces principes parmi
les systèmes existant en Europe. Si l'on se fonde sur ses principes, on peu se
RISQUE DE SYSTÈME ET UEM

demander quel sera le rôle du SEBC compte tenu de l'incidence prévisible de


l'union monétaire sur les systèmes de paiements : une interconnexion étroite
entre les systèmes et la possibiUté pour les banques de mettre en concurrence
les règles et obUgations si eUes demeurent disparates. A l'opposé de la
déréglementation compétitive, la sécurité des transferts de fonds existe de
faire converger les règles des systèmes existants vers le niveau le plus élevé de
garantie de bonne fin des opérations. Cette homogénéisation des niveaux de
sécurité ne sera pas possible sans coopération approfondie des banques
centrales au sein du SEBC. Pour éviter les détournements de trafic vers les
systèmes le moins mûrs, U faut établir les règles uniques pour les différents
systèmes qui seront interconnectés. Mais cela n'est pas suffisant. Il faut
encore contrôler l'exposition au risque de Uquidité des étabUssements qui
opèrent dans chaque système de paiements. Ce risque n'est évidemment pas
indépendant de la situation financière des banques auquels Us appartiennent.
Or le contrôle prudentiel est confié aux autorités du pays d'origine ; le risque
d'un étabUssement est suivi par les organismes gestionnaires du système de
paiements dans les pays d'accueU. Une coordination internationale étroite,
supportée par des Ugnes d'informations multilatérales en temps réel,
s'avérera donc indispensable entre les autorités de tuteUe des banques et les
institutions centrales des systèmes de paiements. Il faudra construire une
infrastructure particuUèrement lourde. 189
Au-delà de la réglementation prudentieUe et de la surveillance, des choix
d'organisation sont à faire sur la structure du futur système des paiements
européens. Ils dépendent à la fois des initiatives privés et du cadre pubUc.
Un premier choix fondamental existe entre la formation d'un système
global de compensation et de règlements européen qui remplacerait les
système nationaux ou la connexion des systèmes actuels. Les deux options
ont des inconvénients. La première dévaloriserait de très lourds
investissements déjà faits et serait longue et coûteuse à réaUser. C'est une option qui ne
peu s'envisager que dans l'union monétaire déjà étabUe. La seconde suppose
aussi des investissements coûteux si eUe doit interconnecter l'ensemble des
ordres paiements, les gros montants comme les paiements au détaU. Si on ne
le fait pas, U faut s'en remettre aux relations de correspondants entre
banques commerciales. C'est la solution la moins coûteuse à l'heure actueUe.
Mais étant donné l'énorme accroissement à attendre des transactions
transfrontaUères dans le marché intérieur européen, eUe s'avérera peu
efficace. Cela déclenchera une concentration des paiements au sein de
quelques grandes banques, car on sait qu'en ce domaine les rendements
croissants s'imposent. Lorsque cette concentration aura eu Ueu, la voie d'un
système centraUsé sous l'égide du SEBC sera sans doute plus acceptable.
On peut d'aUleurs penser que, selon l'exemple de l'évolution américaine,
l'étabUssement d'un système de paiments géré par le SEBC pour les
REVUE D'ECONOMIE FINANCIÈRE

transferts interbancaires de gros montants sera utUe. Il permettrait d'assurer


les transferts entre banques de la communauté dans les mêmes conditions de
sécurité et de rapidité qu'entre les banques d'un même pays. Un tel système
est d'aUleurs l'infrastructure d'une monnaie unique, qui est d'abord une
communauté de paiements. La sécurité de ces transferts est très importante
pour réduire le risque systémique. Il revient au SEBC d'en être l'agent
central, puisque les banques centrales nationales auront des comptes
réciproques dont les mouvements quotidiens refléteront les soldes nets de
paiements entre les différents pays qui deviendront les régions d'une
communauté de paiements. Ce système de comptes centraux remplacera,
bien sûr, les marchés des échanges qui mettent actueUement en
communication les paiements qui concernent plusieurs devises. Cette fonction centrale
du SEBC dans les paiements interbancaires à haute densité mettra en
pratique le principe d'irrévocabUité, puisque l'agent du système sera le
prêteur en dernier ressort européen, contrepartie sans risque de crédit de
toutes les banques membres du système.

Organiser la supervision dans un cadre plurinational

La globalisation des risques due à l'intégration des marchés et à la


190 concurrence bancaire plaide pour un sérieux renforcement de la supervision
dans l'union économique et monétaire. Deux types de risques proviennent
spécifiquement du caractère multUatéral du contrôle prudentiel. Le premier
est induit par l'aléa moral sécrété par la coexistence de multiples
superviseurs nationaux, qui ont des informations incomplètes et des intérêts
particulier en présence d'externalités transnationales. Le second découle du
coût de la transmission d'information et de la coordination pour prendre une
décision coUective, lorsque ces multiples superviseurs ajoutés à plusieurs
prêteurs en dernier ressort seront confrontés à une crise systématique
s'étendant à toute l'Europe. Pour surmonter le premier handicap, la création
d'une instance communautaire de supervision serait une décision sage. Mais
pour maîtriser le second, la reconnaissance d'un prêteur en dernier ressort
européen et l'établissement de Uens privUégiés avec les prêteurs en dernier
ressort nationaux sont incontournables.
La seconde directive bancaire permet en principe une approche cohérente
de la supervision pour ce qui concerne les banques multinationales
implantées dans toute l'Europe. Le superviseur qui a délivré l'agrément dans
le pays d'origine de la maison mère se charge du contrôle prudentiel de
l'ensemble du groupe. Comme la banque universeUe est acceptée dans toute
la communauté, l'homogénéisation des règles prudentieUes est probable et
les normes envisagées écartent le danger de la déréglementation compétitive.
Ces dispositions sont cependant bien loin de traiter complètement le
RISQUE DE SYSTÈME ET UEM

problème de l'efficacité de la supervision. Ainsi les domaines couverts par les


directives sont très loin de recouvrir l'ensemble des activités financières,
alors que la concentration conglomérat s'étend rapidement. La supervision
consolidée est la seule manière d'éviter l'intensification du risque véhiculé
par les conglomérats : conflits d'intérêts entre les soUdarités de groupe et le
service de la clientèle des banques ; surenchères de déréglementation par
détournement de fonds d'un élément fortement réglementé d'un groupe à un
élément peu réglementé ; propagation des risques de crédit par les
engagements indirects et inconnus des banques vis-à-vis des membres en
difficulté d'un même groupe. Il ne peut y avoir de contrôle consoUdé sans
coUaboration étroite de superviseurs, à la fois entre professions différentes et
pays différents. Cette coUaboration devrait s'étendre au-delà des frontières
de l'Europe.
La coUaboration institutionnalisée de la superviseurs nationaux. Il faut
pouvoir harmoniser les normes prudentieUes et les méthodes comptables qui
s'appliquent aux banques et aux non banques. Il faut encore mettre en
commun systématiquement les informations recueillies entre les différents
types de superviseurs contrôlant un même groupe financier. Il faut enfin
examiner un groupe en totaUté pour saisir l'ensemble des informations
internes pertinentes. Il faut donc des Ugnes de communication bien établies
entre tous les superviseurs pour aboutir à la synthèse. Ces lignes doivent 191
concrètement être suivies par les inspecteurs opérant sous la direction de
l'inspecteur de la société mère. Pour que cette communication soit efficace et
aboutisse à des synthèses permettant de diagnostiquer les risques à fort
pouvoir de propagation, la désignation de leaders est nécessaire et la création
de centres supranationaux de coordination pourrait être utUe.
Le danger principal dans le domaine bancaire, hormis le traitement des
conglomérats, est contenu dans la deuxième directive bancaire eUe-même.
En confiant aux superviseurs nationaux le contrôle exclusif des banques
agréées nationalement, cette directive met en concurrence les autorités
prudentieUes dans un domaine où la coopération étroite s'impose. Chaque
superviseur sera incité à défendre les intérêts nationaux ; la quaUté de la
supervision d'un point de vue global, la seule qui compte, sera abaissée.
Lorsque des groupes nationaux seront en difficulté, U est à craindre que les
superviseurs nationaux réagissent lentement et avec réticence. C'est ce qui se
passe aux Etats-Unis : la coUusion entre les contrôleurs des banques dans les
Etats avec les intérêts poUtiques et financiers locaux met souvent en échec
l'intervention des autorités fédérales. L'aléa moral se loge au sein même du
dispositif de prévention du risque systématique. Pour l'éviter U faut que
l'autorité ultime, c'est-à-dire le prêteur en dernier ressort pour l'ensemble du
système financier, ait la prérogative d'un accès direct aux informations
détenues par les différents superviseurs nationaux.
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

Une autre solution possible, si l'on veut éviter une impUcation trop étroite
des banques centrales dans la supervision, est de créer une instance
européenne de supervision avec pouvoir de coordination des activités des
superviseurs nationaux sur le terrain. En aucun cas la coopération ne doit
être laissée au bon vouloir des procédures ad hoc. Si toutefois, le principe de
subsidiarité est privUégié, une structure de contrôle prudentiel décentraUsée
permettra aux superviseurs nationaux, au contact des opérateurs de marché,
de jouer un rôle plus actif. Ce sont les Uens direas avec le prêteur en dernier
ressort, c'est-à-dire le SEBC, qui paraissent fournir la solution préférable.

Donner au prêteur en dernier ressort un champ d'action européen

La réflexion et le débat sur le prêteur en dernier ressort sont fort discrets en


europe. On peut observer cependant que le traitement des crises financières
a été largement plus efficace en Europe qu'aux Etats-Unis à l'exception
toutefois du Royaume-Uni. Le moindre développement des marchés en
Europe continentale jusqu'à une époque récente a certainement Umité les
-risques des banquiers et leur vulnérabUité aux fluctuations des prix des actifs
financiers. Mais le développement des marchés financiers en Europe efface
cet avantage. Les autres atouts des pays européens dans le passé ont été
192 l'unité de tuteUe et de réglementation des banques d'une part, la préférence
pour le modèle de la banque universeUe d'autre part. Une meiUeure
diversification des risques s'en est ensuivie, tandis que le niveau du risque
était Umité par le faible développement des marchés et par les contraintes des
réglementatons nationales.
Les traitements des crises ont gagné en efficacité grâce à l'apprentissage
des leçons des crises précédentes. L'assurance des dépôts à été introduite
dans la plupart des pays européens. Mais les garanties sont moins favorables
qu'aux Etats-unis et incitent moins à l'aléa moral. Vont dans le même sens
des traitements de sinistres importants qui font partager les pertes par les
organismes d'une même place financière ou par les actionnaires des
étabUssements en difficulté. Ainsi la banque consortiale de Uquidité en
AUemagne, créée après l'accident de la banque Herstatt, est chargée de
stopper la propagation d'une crise de Uquidité à la suite d'une défaiUance
bancaire. La Bundesbank et les principales banques privées en sont
co-actionnaires. En France, l'article 52 de la loi bancaire prévoit de mobUiser
la soUdarité de place. Le gouverneur de la banque de France peut faire appel
aux actionnaires d'un établissement de crédit en difficulté pour apporter les
concours nécessaires. Au-delà, l'assistance de l'ensemble des institutions de
crédit résidentes peut-être sollicitée pour assurer le bon fonctionnement du
système bancaire et sauvegarder la réputation de la place de Paris.
Toutefois l'intégration financière européenne remet en cause la plupart
RISQUE DE SYSTÈME ET UEM

des conditions de succès des prêteurs en dernier ressort nationaux. Devant


l'expansion des marchés et leurs interconnexions, l'unité de tuteUe et de
réglementation disparaît tant que l'organisation de supervision à l'écheUe de
l'Europe entière n'est pas réaUsée. L'internationaUsation des marchés fait
jouer une concurrence plus large et plus intense qui ne peut qu'affaiblir les
soUdarités de place. Aussi les méthodes consistant à introduire une
responsabUité coUeaive, en faisant partager aux membres d'une place
l'insistance fianancière, deviennent d'usage déUcat lorsque les aaionnaires
sont étrangers et que les banques non résidentes qui interviennent sur une
place peuvent s'en dégager facUement. L'intervention rapide et secrète des
prêteurs en dernier ressort nationaux devient aussi plus difficUe. Car les
étabUssements de crédit dont les difficultés éventueUes peuvent créer un
risque systémique dans un pays, qui concerne la banque centrale de ce
pays-là, ne sont pas nécessairement supervisés dans le même pays. Ils le sont
par les autorités de tuteUe du pays d'origine de la maison mère. La rapidité et
le secret des informations qui permettent au prêteur en dernier ressort
d'anticiper les crises de système seront probablement moins facUes à réaUser
si, en conformité avec la lettre du traité de Masstricht, aucune organisation
de la supervision n'est construite à l'écheUe européenne.
Prendre en compte les interconnexions des marchés dans les règles et les
principes d'intervention paraît être une exigence minimale qui est conforme 19^
à la conception classique du prêteur en dernier ressort. C'est le cas du
marché volatUe des dépôts et des avances interbancaires. La contagion des
fuites des dépôts y demeure possible. Aussi l'intégration des marchés
monétaires impUque-t-eUe logiquement de mettre en uvre des moyens de
surveUlance bancaire et d'intervention en dernier ressort à la même écheUe. Il
faut donc des principes clairs étabUssant l'unicité du prêteur en dernier
ressort au sein du système européen des banques centrales. Il n'est pas
tolerable, en effet, de laisser une banque étrangère mettre en pérU le marché
monétaire du pays où eUe opère, parce que les autorités dont eUe dépend
estiment que, de leur point de vue, une intervention n'est pas nécessaire. Il
faut donc qu'une institution prenne la mesure des externaUtés susceptibles
de se propager à l'écheUe où eUes peuvent se produire. Il faut qu'eUe ait la
compétence et les moyens d'étouffer la propagation des risques. Seule la
banque centrale européenne peut avoir cette perspeaive et supprimer les
quereUes sur l'appréciation du risque pour prendre les décisions d'urgence
en temps de crise.
Si une pluraUté de prêteurs en dernier ressort subsiste dans une Europe
financière intégrée, l'aléa moral prendra une dimension supérieure lorsque
les banques centrales se mettront à défendre des intérêts particuUers, parce
qu'aucune charte n'aura assigné cette fonaion indivisible à une institution
supérieure. Pour neutraUser le risque de système, U ne faut pas seulement
REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE

homogénéiser les normes prudentieUes, ni seulement faire coUaborer les


organismes de supervision. Il faut encore unifier les acteurs de l'intervention
en dernier ressort. Le prêteur en dernier ressort européen ne saurait être
autre que la SEBC agissant comme une entité unique.
Le prêteur en dernier ressort européen doit pouvoir inscrire son action
dans un fUet de sécurité. Il faut engager une réflexion sur la construction des
lignes de défense qui entourent le prêteur en dernier ressort. Car la quaUté de
ces lignes de défense réduit le risque de système et protège le prêteur en
dernier ressort, dont les interventions peuvent alors être ultimes et
conformes à l'intérêt général. L'Institut Monétaire Européen est le lieu
naturel de cette réflexion. Il faudrait notamment étudier comment on
pourrait étendre au niveau européen les pratiques nationales qui font appel
aux soUdarités de place. La participation aux lignes de défense ne pourra
plus être envisagée sur une base nationale. C'est la contribution des « market
makes » sur les principaux marchés, queUe que soit leur nationaUté et queUe
que soit la localisation de la tête des groupes auxquels Us appartiennent, qui
pourrait être opératoire pour constituer ces lignes de défense.
Un autre moyen de la sécurité financière peut-être trouvé dans les codes
de déontologie des professions eUes-mêmes. La malheureuse affaire de la
BCCI a souligné l'influence désastreuse que pouvait avoir la déontologie.
194
Un dispositif dense de prévention et de surveiUance, comportant de
multiples Ugnes de défense, peut seul permettre au prêteur en dernier ressort
de tenir l'aléa moral en respect. C'est pourquoi la qualité des transferts
d'information entre les différentes catégories de superviseurs et le prêteur en
dernier ressort européen sera cruciale. De la qualité d'information
dépendent la synthèse sur les risques d'une situation, le repérage des
processus de propagation, l'identification des maiUons faibles. C'est la
matière première pour prendre ou non la décision d'intervenir, pour établir
où et comment U faut intervenir. Les superviseurs doivent à la fois être
immergés dans les marchés, donc être décentralisés et agir conformément à
une doctrine unique pour ne pas cristaUiser des centres de pouvoirs
autonomes. Ils doivent donc avoir des liaisons organiques avec le prêteur en
dernier ressort européen. Celui-ci doit aussi pouvoir compter sur les banques
centrales nationales pour orienter le travaU des superviseurs. Mais le
jugement d'une situation et la décision ultime ne sauraient être partagés. Ils
lui appartiennent en propre conformément à sa mission : stopper les crises
de Uquidité aux points les plus appropriés et donner les directives pour la
résolution des défaiUances majeures. Plus globale sera son information, plus
anticipatrice eUe sera sur la perception des crises, plus précises seront les
règles respectées par les superviseurs, mieux le risque systémique sera
maîtrisé.

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