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Thème
Présentée par :
Mohammed Zakaria ALI-BENCHERIF
Sous la co-direction de :
M. Boumediène BENMOUSSAT (Professeur Université ABOU-BAKR BELKAÏD - TLEMCEN)
Mme. Jacqueline BILLIEZ (Professeur Université STENDHAL - GRENOBLE 3)
Membres du jury :
M. Hadj MILIANI (Pr. Université ABDEL-HAMID IBN BADIS - MOSTAGANEM)…..…..Président
M. Boumediène BENMOUSSAT (Pr. Université ABOU-BAKR BELKAÏD - TLEMCEN)…Co-rapporteur
Mme. Jacqueline BILLIEZ (Pr. Université STENDHAL - GRENOBLE 3).……………....Co-rapporteur
M. Philippe BLANCHET (Pr. Université de RENNES 2)………..……..……………......Examinateur
Mme. Latifa KADI (MC. Université BADJI MOKHTAR - ANNABA)….………………..Examinatrice
M. Mohammed HADJADJ AOUL (MC. Université ABOU-BAKR BELKAÏD - TLEMCEN).Examinateur
Les membres du jury qui ont accepté de lire et d’évaluer mon travail et de participer
à cette soutenance.
Ma mère, mes frères et mes sœurs qui ont toujours été à mes côtés.
A ma mère.
Table des matières
INTRODUCTION………..…………………....……………………………………… 8
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE 1
CADRE GENERAL DE L’ETUDE....................................................................................... 13
1. La problématique..................................................................................................... 13
1 – 1. Genèse du travail………………………………………………………….......... 13
1 – 2. Délimitation de l’objet de la recherche.......……………………………………. 14
1 – 3. Objectifs……………………………………………………………………....... 16
1 – 4. Questions de recherche……………………………………………………….... 17
1 – 5. Hypothèses.......………………………………………………………………… 19
2. Méthodologie.........………………………………………………………………. 21
2 – 1. L’approche ‘‘micro’’ : l’observation d’un corpus d’échanges langagiers entre
trois locutrices.................................................................................................... 21
2 – 1 – 1. Les participantes aux conversations : biographie et profils langagiers......... 23
2 – 1 – 2. Les caractéristiques du corpus..……………………………………………. 26
2 – 1 – 3. La transcription du corpus ...................…………………………………….. 29
2 – 2. Les enquêtés sur les représentations et les attitudes face au parler bilingue, aux
alternances codiques et aux façons de parler des immigrés/non-immigrés....... 32
2 – 2 – 1. Les entretiens semi-directifs...…….……………………………………….. 33
2 – 2 – 2. Le questionnaire : l’enquête ‘‘macro’’.…….………………......................... 35
2 – 2 – 3. Le questionnaire type……...………………..……………………………… 37
2 – 2 – 4. l’échantillon de l’enquête par questionnaire.................................................. 39
3. Cadrages théoriques.......……………………………..………………………….. 41
3 – 1. La sociolinguistique entre la diversité des approches et des situations............... 41
3 – 2. Contact des langues et bilinguisme......………………………........…….…...... 43
3 – 3. Parler bilingue, locuteurs bilingues, plurilinguismes...............………….…….. 44
3 – 4. La notion d’alternance codique…......……………………………….........…... 45
3 – 4 – 1. L’alternance codique : les différentes approches……………………...….. 46
3 – 4 – 2. Les types d’alternances codiques…………………………………….…..... 49
3 – 4 – 3. La typologie de POPLACK............................................................................... 49
3 – 4 – 4. La typologie de GUMPERZ.............................................................................. 50
3 – 4 – 5. La typologie de DABENE & BILLIEZ............................................................... 51
3 – 5. D’autres orientations de recherche....................................................................... 53
3 – 6. Attitudes, représentations et conscience linguistique........................................... 55
1
Table des matières
CHAPITRE 2
ATTITUDES, REPRESENTATIONS ET CONSCIENCE LINGUISTIQUE DES IMMIGRES
NON-IMMIGRES ENVERS L’ARABE DIALECTAL, LE FRANÇAIS ET LES ALTERNANCES
CODIQUES....................................................................................................................... 58
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE 1
DEVELOPPEMENT ET APPROPRIATION DU PARLER BILINGUE EN
INTERACTION................................................................................................................. 111
2
Table des matières
CHAPITRE 2
COMMUNICATION BILINGUE/EXOLINGUE : CHOIX ET ALTERNANCE DES LANGUES 170
3
Table des matières
TROISIEME PARTIE
CHAPITRE 1
LES MODES DE FONCTIONNEMENT DE L’ALTERNANCE CODIQUE DANS LES
ECHANGES BILINGUES DES LOCUTRICES IMMIGEE/NON-IMMIGREES.......................... 239
4
Table des matières
CHAPITRE 2
LE ROLE DE L’ALTERNANCE CODIQUE DANS L’ORGANISATION DE LA PAROLE EN
INTERACTION................................................................................................................. 303
CONCLUSION……………………………………………………………………....... 348
BIBLIOGRAPHIE…................................…………………………………………….. 352
ANNEXES...................................................................................................................... 375
TRANSCRIPTION DES CONVERSATIONS................................................................... 375
EXTRAITS D’ENTRETIENS.......................................................................................... 436
INDEX DES AUTEURS........................................................................................... 448
5
Liste des tableaux
pages
Tableaux : Première partie : chapitre 1
Tableau 1 Tableau récapitulatif de la biographie des locutrices et leur profil langagier... 25
Tableau 2 Tableau récapitulatif des enregistrements : les participantes et les
thèmes abordés........................................................................................ 27
Tableau 3 Les conventions de transcription............................................................. 30/31
Tableau 4 Système de translittération...................................................................... 32
Tableau 5 Biographie langagière des enquêtés par entretiens semi-directifs.......... 35
Tableau 6 Pourcentages des informateurs par catégorie : immigrés/non-immigrés 40
Tableau 7 Répartition des informateurs (non-immigrés/immigrés) par sexe........... 40
Tableau 8 La typologie proposée par Louise DABENE (1994)................................. 52
6
Tableau 13 Longueur moyenne des énoncés pour chaque locutrice et pour l’ensemble de
la conversation 3.............................................................................................. 200
Tableau 14 Nombre des unités en arabe dialectal et en français dans la conversation 4.... 201
Tableau 15 Le nombre des unités par locutrice en arabe dialectal et en français dans la
conversation 4.................................................................................................. 202
Tableau 16 Les spécificités linguistiques des tours de parole dans la conversation 4........ 203
Tableau 17 Longueur moyenne des énoncés pour chaque locutrice et pour l’ensemble de
la conversation 4.............................................................................................. 206
Tableau 18 Nombre des unités en arabe dialectal et en français dans la conversation 5.
Tableau 19 Nombre des unités par locutrice en arabe dialectal et en français dans la
conversation 5.................................................................................................. 209
Tableau 20 Les spécificités linguistiques des tours de parole dans la conversation 5........ 211
Tableau 21 Longueur moyenne des énoncés pour chaque locutrice et pour l’ensemble de
la conversation 5.............................................................................................. 212
Tableau 22 Tableaux synthétiques des résultats correspondant aux trois indices par
langues............................................................................................................... 216
Tableau 23 Tableaux synthétiques des résultats correspondant aux trois indices par
locutrice............................................................................................................. 218
7
______________________________________________________
INTRODUCTION
Introduction
INTRODUCTION
C’est pour cette raison que nous nous sommes intéressé aux pratiques langagières
des locuteurs issus de l’immigration dans le pays d’origine des parents. A notre
connaissance peu d’études ont été consacrées à ces descendants de l’immigration
algérienne lors de leurs échanges langagiers en Algérie. Or, en miroir, il nous a paru
pertinent et original d’appréhender ces échanges avec des sujets algériens qui, bien que
n’ayant que peu ou jamais quitté l’Algérie, présentent aussi un bi-plurilinguisme de même
composition linguistique. La particularité de cette recherche est qu’elle s’intéresse aux
pratiques langagières des non-immigrés par rapport à celles des immigrés dans le pays de
la culture d’origine des parents, afin d’examiner les ressources linguistiques mobilisées par
les uns et les autres, et leurs impacts sur la communication et la dynamique des pratiques
langagières de part et d’autre.
1
Nous pouvons citer les recherches menées par Sakina BENMOUSSA et Zohra REHIOUI (1981) qui se sont
intéréssées aux échanges verbaux de locutrices immigrées en milieu d’origine et Khaoula TALEB-IBRAHIMI
(1985) auprès de jeunes immigrés algériens en milieu d’origine et en milieu d’accueil.
8
Introduction
Le travail de recherche que nous présentons ici vise, en premier lieu, à décrire et à
analyser les pratiques langagières de trois locutrices observées en milieu familial à
Tlemcen, une immigrée en France en vacances d’été et deux autres non-immigrées vivant
depuis toujours à Tlemcen.
Nous voulons également examiner ce qui réunit et ce qui différencie les locutrices
immigrée/non immigrées, à partir de leurs pratiques langagières, pour ainsi pouvoir en
mesurer les écarts. Quels sont alors les éléments qui les caractérisent ? Quelle est la langue
dominante dans leurs conversations ? Est-ce que le recours à l’une ou l’autre langue ou à
l’alternance codique est dû à une maîtrise insuffisante dans l’une des langues ? Ce sont là
les questions qui découlent de la question principale qui a motivé notre recherche à savoir :
dans quelle mesure et comment l’arabe dialectal et le français interviennent-ils dans les
échanges verbaux entre la locutrice immigrée et les deux non-immigrées ?
2
Pour ce qui est du plurilinguisme arabe dialectal, berbère et français nous nous référons aux travaux de
Rabah KAHLOUCHE (1993) quant aux Algériens en Algérie et à Safia ASSELAH RAHAL (2004) quant aux
immigrés algériens en France.
9
Introduction
langagières en Algérie. Ils sont en effet plus de deux millions à nouer des contacts avec le
pays d’origine de leurs parents, ce qui est important par rapport à l’ensemble de la
population qui vit dans les villes du nord du pays. La mobilité des immigrés entre la France
et l’Algérie, à savoir les allers et retours et les va-et-vient jusqu’à trois fois par an pour
certains, n’est pas sans conséquences sur leurs propres pratiques langagières et celles des
Algériens qui vivent en Algérie.
Notre étude s’inscrit donc dans le cadre plus large des dynamiques langagières à
l’œuvre en Algérie et en France, et à leur intervention.
Deux types d’approches ont à l’origine orienté et nourri notre réflexion : les travaux de la
sociolinguistique nord américaine avec William LABOV (1976), John GUMPERZ (1989),
Shana POPLACK (1988, 1990), MEYERS-SCOTTON (1983, 1986, 1993) et les recherches
européennes sur les populations migrantes, notamment les travaux sociolinguistiques et
didactiques des chercheurs français (DABENE & BILLIEZ, 1984, 1988 ; DEPREZ, 1994, 2000
et CAUBET, 2002, 2004) et suisses (LÜDI & PY, 2003, GROSJEAN, 1982, etc.). Enfin, pour
analyser le corpus de conversations, nous nous appuierons non seulement sur des travaux
de sociolinguistes, mais nous nous référerons aussi à des domaines annexes et connexes,
comme l’analyse conversationnelle, le courant acquisitionniste, inscrivant ainsi notre étude
dans une dimension pluridisciplinaire.
Notre travail est divisé en trois parties réparties en chapitres. La première contient
trois chapitres : dans le premier, nous allons présenter la genèse et les motivations de ce
travail, la problématique, les hypothèses ainsi que les questions de recherche. Ensuite, nous
retracerons les étapes de l’enquête de terrain à savoir la pré-enquête, la description des
caractéristiques du site où se sont déroulés l’observation et les enregistrements. De même
que nous mettrons l’accent sur la biographie langagière des participantes/informatrices
pour une meilleure compréhension des locutrices dans leur rapport aux langues qu’elles
parlent. Nous exposerons quelques notions relatives à la sociolinguistique interactionnelle
qui vont constituer l’arrière plan théorique dans notre analyse. Dans le deuxième chapitre,
nous décrirons les paysages linguistiques en France et en Algérie en nous appuyant sur des
recherches qui ont fait état des politiques linguistiques adoptées dans les deux pays et ce,
dans le but de caractériser les réalités linguistiques (contact des langues en présence) des
10
Introduction
immigrés et des non-immigrés. Cette section débouchera naturellement sur l’étude des
attitudes et des représentations envers l’emploi des langues en présence notamment de
l’alternance codique comme façon de parler valorisée ou stigmatisée et cela à partir d’une
enquête réalisée en Algérie auprès de locuteurs algériens immigrés/non-immigrés.
11
PREMIERE PARTIE
______________________________________________________
PREMIERE PARTIE
Cette première partie est divisée en deux chapitres. Dans le premier, nous
présenterons le cadre général de l’étude, les motivations, la problématique, les questions de
recherches ainsi que les outils et la démarche méthodologiques. Nous passerons ensuite en
revue le champ conceptuel dans lequel s’inscrit notre étude en mettant l’accent sur
quelques éléments qui s’avèrent essentiels pour nos analyses. Dans le second chapitre,
nous présenterons un bref aperçu sociohistorique des langues en Algérie et en France en
mettant l’accent sur la place de l’arabe dialectal et du français dans les deux pays. Enfin, la
deuxième section de ce chapitre expose les résultats de l’enquête macrosociolinguistique
afin d’avoir plus d’indications sur l’emploi alterné de l’arabe dialectal et du français par les
immigrés/non-immigrés ainsi que sur les attitudes et représentations envers l’emploi des
deux langues et de l’alternance codique.
12
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
CHAPITRE 1
LE CADRE GENERAL DE L’ETUDE
Cette première partie est consacrée à présenter la genèse des questionnements qui
nous ont conduit à élaborer notre problématique, à fixer nos objectifs et à formuler nos
hypothèses. Puis, nous allons présenter les outils méthodologiques ainsi que les
caractéristiques des échantillons soumis à des questionnaires et à des entretiens
exploratoires. Enfin, nous nous centrons sur les pratiques déclarées des langues et des
alternances codiques afin d’étudier les attitudes, les représentations et la conscience
linguistique dominantes chez les deux populations immigrées/non-immigrées face au
phénomène d’alternance codique ou du parler bilingue.
1. La problématique
1 – 1. Genèse du travail
La présente recherche est née d’une interrogation sur les phénomènes d’alternance
et de mélange de langue, sur ce qui permet, dans des situations de contacts de langues, de
les identifier, de les comprendre et de les différencier.
L’alternance et le mélange de l’arabe dialectal et du français ont attiré notre attention dès la
première recherche que nous avons effectuée dans le cadre du magistère et qui a porté sur
les hispanismes, il y a déjà 9 ans. Notre questionnement sur le mélange de ces langues a
pris forme lors de nos enquêtes3 de terrain effectuées dans différentes villes d’Algérie où
nous avions eu l’occasion d’observer des pratiques langagières diverses. A cette époque,
nous nous étions demandé comment les locuteurs, issus de la deuxième ou troisième
génération de l’immigration qui pouvaient maîtriser peu ou prou l’arabe dialectal,
3
Ces enquêtes de terrain étaient liées aussi bien à notre premier sujet de thèse qu’au projet de recherche
CNEPRU n° U/1301/25/2003 en sociolinguistique auquel nous étions associé de 2003 à 2006.
13
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
arrivaient communiquer dans le pays d’origine des parents avec les non-immigrés qui
présentaient ce type de mélange. Nous avions également formulé le même questionnement
sur les façons de parler des non-immigrés face aux immigrés. C’est à partir de là et, dans le
cadre de l’EDAF (Ecole Doctorale Algéro-Française de Français) de notre rencontre avec
Jacqueline BILLIEZ que l’idée de travailler sur les conversations bilingues entre
immigrés/non-immigrés a été entreprise.
Cette question de l’alternance codique a pris également corps lors de nos rencontres
avec des jeunes issus de l’immigration, où nous avions l’occasion d’employer nous-même
l’arabe dialectal et le français simultanément pour communiquer avec eux. Cette
expérience nous a permis, entre autres, de nous interroger sur cette façon de parler et sur la
manière d’employer l’arabe dialectal à côté du français par les immigrés entre eux et avec
les locuteurs non-immigrés.
14
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
15
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
dialectale, soit parce que les locuteurs algériens maîtrisent mal le français. Cependant,
même ceux qui maîtrisent ou emploient fréquemment les deux langues (qu’ils soient
immigrés ou non), recourent à l’alternance codique comme stratégie discursive ou pour
structurer leurs échanges verbaux à plusieurs plans. Nous supposons que l’alternance
codique présentera également des spécificités et des divergences intéressantes au plan
synchronique selon que les locuteurs pratiquent ou non fréquemment les deux langues.
Le présent travail est donc consacré, comme son titre l’indique, à l’étude de
l’alternance codique dans des conversations bilingues entre locuteurs algériens non-
immigrés en contact avec des immigrés d’origine algérienne venus en Algérie pour passer
les vacances d’été. Ce que nous entendons par conversation bilingue dans cette optique,
c’est le fait de mobiliser des ressources langagières en énoncés alternés appartenant aux
deux langues, l’arabe dialectal et le français. Le fait d’employer deux langues dans une
conversation implique forcément des locuteurs qui manifestent au moins une compétence
bilingue de réception. Il arrive aussi, dans de telles situations, qu’un des locuteurs se
trouve en situation d’exolinguisme.
Nous souhaitons donc par notre étude montrer que, dans leurs interactions, les
locuteurs algériens immigrés/non-immigrés recourent couramment aux alternances
codiques, mettant en jeu les langues présentes au sein de leurs espaces respectifs. Parmi ces
langues nous nous intéresserons à celles qui sont le plus en usage dans la plupart des villes
du nord du pays et dans les banlieues en France : le français et l’arabe dialectal.
1 – 3. Objectifs
16
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Nous allons donc tenter par une analyse d’un corpus de conversations enregistrées
entre trois locutrices (une immigrée et deux non-immigrées) :
1 – 4. Questions de recherche
4
L’on peut parler de « mélange » lorsque les locuteurs parlent des alternances codiques.
17
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Nous avons également réalisé une enquête sociolinguistique de type ‘‘macro’’ par
questionnaire écrit auprès d’un échantillon (immigrés et non-immigrés) pour tenter
d’étudier les rapports et les différences entre les pratiques langagières et les représentations
18
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
que se font les uns et les autres des langues et des alternances de ces langues et les façons
de parler des immigrés et des non-immigrés.
Ceci sera appuyé par des entretiens semi-directifs qui concernent un groupe de dix
interviewés (descendants de l’immigration, immigrés et non-immigrés) ainsi que les trois
participantes aux conversations soumises à l’analyse pour compléter la démarche
microsociolinguistique. Ainsi, le retour sur les façons de parler par les locuteurs nous
permettra de comprendre certaines caractéristiques du corpus étudié.
1 – 5. Hypothèses de travail
Pour mener à bien notre travail et aboutir à une meilleure compréhension de l’objet
de cette recherche nous avons formulé les hypothèses de travail suivantes :
19
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
20
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
2. Méthodologie
Le moins que l’on attende d’une enquête sociolinguistique est qu’elle conduise à
concrétiser certains faits sous-jacents ayant un rapport avec les pratiques langagières
réelles selon le contexte et la situation. De même que l’enquête de terrain permet de mettre
en évidence les attitudes et les représentations et leur rapport avec l’usage réel de la (les)
langue(s), ce qui est nécessaire pour mesurer la distance entre pratiques langagières et
représentations.
Nous baserons notre recherche sur l’articulation entre les deux approches classiques
dites micro et macro (BLANCHET, 2000) qui représentent une démarche devenue courante
chez les chercheurs « de la deuxième génération » en sociolinguistique, notamment, pour
étudier le bilinguisme en milieu familial, souvent observé de l’extérieur (DEPREZ, 2000 :
60).
Notre étude principale, au cœur de cette thèse, se base, comme nous l’avons déjà
annoncé, sur des conversations enregistrées au sein du milieu familial entre une locutrice
immigrée et ses deux partenaires non-immigrées ; corpus par lequel nous tenterons de
décrire et de comprendre les caractéristiques des échanges verbaux compte tenu de la
situation globale, celle d’une communauté mixte qui se compose de locuteurs
immigrés/non-immigrés.
21
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Le corpus6 que nous avons finalement retenu pour notre étude est composé de cinq
conversations d’une durée totale de deux heures onze minutes (2h 11’’ 48’’), il s’agit de
conversations entre trois jeunes adultes de sexe féminin, âgées de 28 à 33 ans.
Le choix de les enregistrer au sein de la maison familiale est motivé par des raisons
pratiques et méthodologiques étant donné que la famille est devenue un terrain
d’investigation privilégié pour étudier les pratiques bilingues (DEPREZ, 1999, 2000).
Le nombre des participantes et le site où se sont déroulées les conversations étaient des
conditions favorables pour disposer d’un enregistrement de qualité.
5
Cf. Sophie ALAMI et al., (2009) sur le rôle majeur des méthodes qualitatives par rapport à celles uniquement
quantitatives.
6
Nous avons enregistré d’autres conversations auprès de plusieurs groupes de locuteurs mixtes immigrés
non-immigrés hommes et femmes, mais en raison de la mauvaise qualité des enregistrements nous
n’exploiterons que quelques données pour apporter plus d’éclairage aux zones d’ombre.
22
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
autres avec l’accord des participantes8. Au départ notre complice non-immigrée a introduit
le magnétophone dans sa chambre et a appelé ses partenaires sous prétexte de passer un
moment ensemble, après avoir tout préparé. Cette première tentative était réussie malgré
son caractère expérimental. A la suite de cette première expérience nous avons essayé de
convaincre nos locutrices et obtenir leur accord pour les enregistrer en leur expliquant
l’objet et la finalité de notre étude ; il a fallu également trouver le moyen pour éviter de
stopper l’enregistrement et de faire oublier le magnétophone.
Nous avons été tout au long des enregistrements en retrait comme observateur9 ; ce
qui nous a aidé à avoir davantage d’informations sur la procédure de l’enquête et son
déroulement. Les conditions d’enregistrement des différentes rencontres et les thèmes
abordés ont favorisé une certaine spontanéité chez nos enquêtrices. Au début de
l’enregistrement de la deuxième conversation, à un moment donné, la présence du
magnétophone a plus ou moins limité la participation aux échanges. Nous reviendrons en
fin de parcours sur certains faits susceptibles d’avoir infléchi dans un sens ou un autre les
interactions et les choix de langues.
Nous avons réalisé auprès des trois enquêtées des entretiens afin de présenter la
biographie de chacune des locutrices et de dégager leur profil langagier compte tenu de
7
Amaria est une personne de notre propre famille qui vit dans la maison de la belle-famille.
8
Nous avons enregistré les quatre conversations suite à un accord avec nos informatrices à qui nous avons
expliqué le principe de l’enregistrement et sa finalité dans notre recherche. Mais il faut dire que nous avons
réellement enregistré ces conversations qu’après plusieurs tentatives, c'est-à-dire après avoir ressenti que les
trois jeunes femmes se sont familiarisées avec le magnétophone.
9
Afin d’éviter ce que William LABOV appelle « le paradoxe de l’observateur », nous n’avons pas participé
directement aux conversations. Mais notre présence parmi les locutrices et la confiance que nous avons pu
installer avant, pendant et après les enregistrements (surtout lors des entretiens) constituent pour nous à la
fois une « observation participante et une participation observante » (LAMBERT, 2005). Par ailleurs, Philippe
BLANCHET (2000 : 90-91) souligne « … la nécessité d’une implication consciente du sujet chercheur » ; à son
tour Monica HELLER (2002 : 10) ajoute que « […] le positionnement du/de la chercheur(e) fasse partie de la
réflexion. La recherche doit donc comprendre sa propre action et son propre positionnement vis-à-vis de la
question posée et des gens concernés, c’est-à-dire qu’elle doit adopter un point de vue critique face à elle-
même. ».
23
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
leurs déclarations10. Ainsi, l’écart entre l’usage et/ou la maîtrise déclarés des langues sera
pris en compte pour mieux saisir le fonctionnement et les caractéristiques de leurs
conversations bilingues. La nécessité de prendre en compte les données « psycho-socio-
biographiques » comme outil offre la possibilité pour approcher la personne dans sa
globalité et lui donner l’occasion, comme le souligne Christine DEPREZ (1996 : 158) :
« … d’articuler sa position par rapport aux autres dans des espaces-temps qu’il va lui-
même définir ». Il s’agit également d’une articulation entre l’individuel et le social sur
lesquelles l’interviewé porte un regard réflexif qui l’amène à une distanciation et une prise
de conscience de la complexité des faits. L’importance de la biographie langagière réside
dans le fait que cette dernière « … repose sur la capacité de l’individu à relater les
éléments constitutifs de son expérience dans les domaines linguistique et culturel » écrit
Muriel MOLINIE (2006 : 6). William LABOV (1978 : 289) lui même souligne au sujet des
situations d’interview que : « ... les plus efficaces sont celles qui produisent des récits
d’expériences personnelles11 où les locuteurs, se consacrent tout entier à construire, voire à
revoir des événements de leur passé ». Nous précisons donc à la suite de William LABOV
(ibid.) que l’enquête sociolinguistique n’échappe pas aux effets de l’interaction avec
l’observateur.
Ainsi, les entretiens autobiographiques ont été réalisés quelques jours après la
période des enregistrements des conversations. Nous avons interviewées les trois locutrices
chacune à part sur leurs contacts sociaux avec le français et l’arabe dialectal, et puis sur le
recours à l’alternance codique. Les entretiens12 ont eu lieu dans le même domicile où se
sont déroulés les enregistrements des conversations. Ces entretiens nous ont permis d’avoir
plus d’informations13 sur leurs profils langagiers et la mise en discours de leurs
expériences particulières concernant la pratique des deux langues et de l’alternance
10
La prise en compte du discours des informateurs dans l’entretien est illustrée par Lorenza MONDADA
(1996 : 220-221) qui précise : « Au lieu de traiter le dire et le faire comme deux dimensions disjointes, de
creuser la dualité entre discours et pratiques sociales – ne serait-ce qu’en utilisant le premier pour décrire les
seconds, quitte à s’étonner de leurs non-correspondances – il s’agit au contraire de reconnaître l’unité
constituée par les activités sociales et les façons d’en rendre compte, en traitant ces deux aspects comme étant
partie intégrante l’un de l’autre ».
11
C’est l’auteur qui souligne.
12
Nous présenterons les transcriptions des entretiens dans les annexes.
13
Il nous a paru indispensable d’appuyer notre analyse par des entretiens semi-directifs comme piste
supplémentaire pour explorer le terrain (cf. BLANCHET, 1996). De même que la diversification des méthodes
et des outils d’investigations aident non seulement à connaître le terrain mais aussi à obtenir des données
fiables.
24
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
* FARIDA (F.ii) : est âgée de 28 ans, elle est née et vit en France (Lille, Nord Pas-de-
Calais), elle est titulaire d’un bac comptabilité, examen au cours duquel elle a d’ailleurs
passé une épreuve d’arabe dialectal algérien à l’oral. Elle est mariée à un Algérien qui a
émigré il y a cinq ans, mère d’une fille d’un an et demi. Elle est conseillère téléphonique
(dans la vente par correspondance) depuis un an.
En ce qui concerne les langues, elle nous a affirmé qu’elle emploie très souvent le français
et l’arabe dialectal que ce soit en Algérie ou en France. Elle vient chaque année en Algérie
depuis son enfance.
14
Nous avons codifié les prénoms selon les catégories immigré et non-immigré : pour la locutrice issue de
l’immigration (F.ii), et les deux autres non-immigrées (A.ni et L.ni).
25
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
* AMARIA (A.ni) : âgée de 33 ans, elle est née et vit en Algérie, elle a quitté l’école à l’âge
de 15 ans, mariée sans enfants, elle est couturière de profession. Le français représente
pour elle une langue de communication qui a toujours eu une place dans son
environnement social à côté de l’arabe dialectal. Elle a affirmé qu’elle les a toujours
utilisées d’une manière alternative selon les circonstances avec les membres de sa famille,
même si parfois l’usage se limite à quelques mots ou expressions. Quant à la présence des
immigrés, ils représentent pour elle non seulement une population établie en France mais
une partie de son vécu. Elle précise que ce sont des membres de la famille qui n’ont jamais
coupé les liens avec le pays. Ils ont une partie de leur vie ici, notamment les proches avec
qui elle passait parfois jusqu’à deux mois. Il s’agit notamment de cousins et cousines nés
ou ayant immigré après leur mariage.
* LINDA (L.ni) : âgée de 32 ans, elle est née et vit en Algérie, de niveau terminale, elle est
mariée et mère de trois filles. Coiffeuse de formation au chômage, elle s’occupe de ses
trois filles. Le français représente pour elle une langue de communication qu’elle utilise
parfois dans son entourage avec son mari et avec ses filles. Elle estime que son niveau en
français est moyen, elle a affirmé également qu’elle emploie surtout des mots et des bouts
de phrases qu’elle mélange avec l’arabe dialectal. Elle a déclaré elle aussi, qu’elle a vécu et
vit dans un milieu plurilingue où le dialectal arabe et le français sont toujours présents. Elle
a un frère qui a émigré il y a quelques années.
Notre corpus oral est composé de cinq conversations familières (TRAVERSO, 1996).
Il a pour objectif premier l’analyse du fonctionnement effectif des échanges et de la
dynamique des répertoires verbaux. Les trois participantes en question manifestent tout au
long des conversations des alternances de langues propices pour remplir les objectifs de
notre étude.
26
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Le tableau qui suit présente les cinq conversations avec leurs caractéristiques
propres.
27
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
28
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
2 – 1 – 3. La transcription du corpus
Les données réunies ont été transcrites après plusieurs écoutes afin d’éviter des
omissions et des confusions. Nous avons également demandé aux participantes de nous
aider à décrypter certains passages inaudibles. Par conséquent, dans certains énoncés
incompréhensibles, nous avons transcrit seulement les parties compréhensibles. Devant la
complexité de la transcription, nous avons décidé de ne traiter que ce qu’il est possible de
traiter selon notre connaissance du terrain. Notre procédure d’analyse des données s’appuie
sur « le principe de significativité et non du principe de représentativité » comme dirait
Philippe BLANCHET (2007 : 347) qui affirme, par ailleurs, que : « le rôle du corpus est
d’exemplifier un repérage interprétatif des traits saillants proposés comme significatifs
d’une situation sociolinguistique particulière, d’une dynamique en hélice où la
fréquentation du terrain éclaire le « corpus » qui à son tour aide à rendre lisible la
complexité du terrain » (ibid. : 344).
29
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Pour ce qui est des conventions de transcription des conversations, nous nous
sommes basé sur plusieurs modèles : à savoir celui de Robert VION (1992 : 265) et celui du
CLA de Neuchâtel. Nous avons adapté ces conventions à notre corpus car il présente un
certain nombre de faits spécifiques aux conversations au niveau du verbal et du non verbal.
Les alternances codiques sont signalées à travers le genre et la taille de la police. Courier
New (11) italique gras pour l’arabe dialectal et Courier New (11) normal pour le français,
quant aux traductions nous les avons mises entre parenthèses en Times New Roman (11).
Les emprunts aux autres langues sont écrits en Courier New gras. Les énoncés en langue
arabe sont orthographiés15 en graphie latine standard avec certains aménagements compte
tenu de certaines caractéristiques phoniques de l’arabe dialectal.
Conventions de transcription
/ rupture de l’énoncé sans qu’il y ait réellement de pause
\ interruption d’un énoncé par l’intervention d’un interlocuteur
+, ++, +++ pause très brève, brève, moyenne
& enchaînement rapide de paroles
intonation montante après ce signe
intonation descendante après ce signe
¨OUI, BRAVO accentuation d’un mot, d’une syllabe
oui: bon:: allongement de la syllabe ou du phonème qui précède
N:::on le nombre de : est proportionnel à l’allongement
<alors/allons> hésitation à transcrire l’une ou l’autre forme
15
Nous avons opté pour la translittération que propose Jean CANTINEAU (1960).
30
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
31
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
2 – 2. Les enquêtes sur les représentations et les attitudes face au parler bilingue, aux
alternances codiques, aux façons de parler des immigrés/non-immigrés
Comme nous l’avons précisé plus haut, les entretiens permettent aussi bien l’étude
des attitudes et des représentations envers les langues, le mélange et les questions
identitaires que le repérage des indices pour une meilleure compréhension des phénomènes
qui apparaissent dans les conversations.
32
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Le second s’est intéressé à un groupe de dix (10) enquêtés dont trois issus de
l’immigration, quatre immigrés et trois non-immigrés. L’objectif de ces entretiens est de
recueillir les représentations que chacun se fait des deux langues, les pratiques de ces
langues en France et en Algérie au sein de la famille et en dehors du milieu familial. Ainsi,
les interviewés devaient également donner leurs opinions sur le rôle des deux langues dans
les conversations et de révéler leurs attitudes face aux ‘‘mélanges’’ de langues c'est-à-dire
aux alternances codiques.
Nous nous sommes appuyé sur un guide d’entretien comportant des questions ayant
pour fonction de les amener à répondre avec une certaine précision17.
16
Vu la mauvaise qualité de l’enregistrement de l’entretien qui s’est déroulé en arabe dialectal avec Linda
nous avons retenu seulement quelques données biographiques nécessaires pour notre travail.
17
Nous avons adapté les questions en fonction des enquêtés. Les (re)formulations nous ont été d’une grande
utilité dans la conduite des entretiens dans la mesure où dans certains cas nous avons pu recueillir des
informations complémentaires sur les faits explorés.
33
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
34
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Les questions ont été (re)formulées (en arabe dialectal ou en français) en fonction
des personnes interviewées (leur niveau d’instruction, la compréhension des questions, leur
degré de participation aux activités, de la pertinence des réponses fournies, la maîtrise des
deux langues, etc.).
Code Age Sexe Lieu de Situation Niveau Contacts Contacts Connaissance Connaissance
naissance/ familiale d’instructi sociaux avec sociaux avec de l’arabe du français
de on l’arabe le français
résidence
Kha.F.N-I.2 20 F Algérie Célibataire Bac + 1 Usage Selon les Très bonne Bonne
courant circonstances
Sou.F.N-I.3 19 F Algérie Célibataire Bac + 2 Usage Selon les Très bonne Bonne
courant circonstances
Nass.H.I.4 35 H Algérie/ Marié Bac + 7 Usage Usage Très bonne Très bonne
France courant courant
ème
Moh. H.I.5 34 H Algérie/ Marié 3 AS Usage Usage Très bonne Très bonne
France courant courant
Yas.H.I.6 19 H Algérie/ Célibataire 3ème AS + Selon les Usage Moyenne Très bonne
France (diplômé) circonstances courant
Abdel.H.I.7 36 H Algérie/ Marié Usage Usage Très bonne Très bien
France courant courant
Mir.F.I-I.8 28 F France Célibataire Bac Usage Usage Très bonne Très bonne
courant courant
Lam.F.I-I.9 20 F France Célibat Diplômée Selon les Usage Moyenne Très bonne
circonstances courant
Sam.H.I- 37 H France Marié Diplômé Selon les Usage Bonne Très bonne
I.11 circonstances courant
Nad.H.N- 32 H Algérie Célibataire Diplômé Usage Selon les Très bonne bonne
I.12 courant circonstances
Tableau 5 : Biographie langagière des enquêtés par entretiens semi-directifs.
Nous avons divisé le questionnaire (voir infra) en cinq (05) sections visant à
recueillir des données relatives à l’identité de l’enquêté (l’âge, le sexe, le lieu de résidence,
le niveau d’instruction et la profession), à son profil langagier, aux usages et à la maîtrise
déclarée des langues, aux représentations, aux attitudes envers les langues en question,
35
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
ainsi qu’à la perception de l’alternance codique et de son rôle dans les pratiques
langagières.
Nous nous sommes fixé comme règle, pour mener à bien cette enquête, de présenter
le questionnaire en français et en arabe dialectal à nos enquêtés et de les guider en
simplifiant les questions (questionnaire dirigé et semi-dirigé).
La plupart des enquêtés ont répondu par écrit au questionnaire dont le but était de
cerner et de délimiter quelques-unes des questions qui s’avèrent fondamentales quant à la
question de la conscience linguistique, le choix et le mélange de langues. En ce qui
concerne les sujets qui ne pouvaient pas remplir le questionnaire, nous les avons
questionnés sur place, la durée de passation des questions était de 10 à 15 minutes environ.
Les échanges étaient de type question-réponse, incluant des commentaires de la part des
sujets et c’est nous même qui avons rempli le questionnaire. Nous avons essayé de traduire
en arabe dialectal et de reformuler certaines questions.
36
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
2 – 2 – 3. Le questionnaire type
Voici le questionnaire type que nous avons distribué (et rempli pour les enquêtés
qui ne savent ni lire ni écrire le français sur la base des questions en arabe dialectal).
Questionnaire de recherche
Nous vous prions de bien vouloir remplir ce questionnaire de recherche en répondant avec soin
aux questions posées. Nous tenons à vous préciser que le but de notre recherche est d’étudier le
mélange de l’arabe et du français dans des conversations bilingues.
Nous vous remercions d’avance de votre contribution.
A - Age :…………………………………………………….......................
- Sexe :…………………………………………………...........................
- Lieu de résidence (de naissance):…........................................................
- Niveau d’instruction :…………………………………..........................
- Profession :……………………………………………….....................
C- 1. Dans quelles langues vous vous exprimez le plus souvent ? Arabe dialectal – français. Dites
pourquoi ?
………………………………………………………………………….....................................................
2. a- En ce qui concerne la langue française : est-elle une langue de communication dans votre
quotidien ?
Oui O Non O
Précisez :
………………………………………………………………………….....................................................
b- Est-elle présente dans vos conversations et celle de vos interlocuteurs ?
Oui O Non O
c- Si c’est oui, l’usage du français concerne-t-il :
- les mots O
- les phrases O
- toute la conversation O
- une partie de la conversation O
3. a- Avec qui préférez-vous utiliser (parler en) le français / arabe dialectal et où ?
37
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
b- Comment parler-vous le français (pour les immigrés) l’arabe dialectal (pour les immigrés) ?
- très bien O
- bien O
- plus ou moins bien O
- moyennement O
- mal O
c- Comment vos interlocuteurs parlent-ils le français (pour les non-immigrés) (pour les immigrés) ?
- très bien O
- bien O
- plus ou moins bien O
- moyennement O
- mal O
4. Que représente le français dans votre entourage (l’arabe dialectal pour les immigrés) ?
- seulement un moyen de communication O
- une langue de prestige O
- une langue privilégiée O
- une langue des usages occasionnels O
- une langue utilisée à égalité avec la première langue O
D-1- a- Les Algériens (immigrés ou non-immigrés) mélangent-ils l’arabe dialectal et le français ?
Oui O Non O
b- Si oui, le mélange relève-t-il d’un choix individuel ou
social ?…………………………………………………...........................................................................
……………………………………………………………………………………………………………
2- Préférez-vous utiliser l’une des deux langues (l’arabe dialectal ou le français) ou les deux à la
fois ?............................................................................................................................................................
38
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Sur les 300 exemplaires du questionnaire que nous avons fait passer nous n’avons
conservé que 241, et après le dépouillement nous en avons jeté 6 à cause de l’âge des
enquêtés qui était de plus de 37 ans. L’échantillon est donc composé de 235 enquêtés dont
38,29 % de sexe masculin soit un total de 90 et 61,71 % de sexe féminin soit un total de
145. Les enquêtés issus de l’immigration ayant répondu au questionnaire représentent
35,31 % soit un total de 83 sujets de l’ensemble de la population enquêtée alors que les
non-immigrés représentent un taux de 64,68 %, soit 152.
Les dix (10) interviewés soumis aux entretiens semi-directifs ne rentrent pas dans le
compte des deux tableaux ci-dessous (1 et 2) relatifs aux réponses du questionnaire écrit.
Nous nous sommes intéressé à leurs discours sur la langue française et son emploi à côté
de l’arabe dialectal et sur le contact entre immigrés/non-immigrés. Contrairement au
caractère sommaire des réponses obtenues par le questionnaire écrit, à travers l’entretien
les enquêtés ont fourni des commentaires18 longs concernant les questions ouvertes, de
même qu’ils ont apporté des précisions quand il s’agissait de réponses affirmatives pour les
questions fermées (par oui - non). Les entretiens ont été réalisés individuellement dans des
lieux variés : maison, café, boutique, etc.
18
Nous n’avons exploité de ces commentaires que ce qui nous a semblé pertinent. Certes, les dires des uns et
des autres diffèrent à bien des égards, mais ils se rejoignent sur certains points. Ces données complémentaires
s’ajoutent à celles obtenues du questionnaire écrit et des entretiens biographiques des trois
locutrices/informatrices (F.ii., A.ni., L.ni.) enregistrées in situ (en milieu familial) comme appui pour
renforcer notre interprétation et nuancer les propos.
19
Nous rappelons que nous n’avons pas suivi la méthode de quotas pour la constitution de l’échantillon. Les
personnes sollicitées ont été rencontrées sur le terrain, elles ont accepté volontiers de remplir le
questionnaire.
39
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
pour obtenir une quantité de données sur un terrain dont les acteurs ne sont pas habitués à
ce type d’examen20.
Immigrés / non-immigrés
Hommes 90 / 38,29 %
Femmes 145 / 61,71 %
Total 235
Tableau 7 : Répartition des informateurs (non-immigrés/immigrés) par sexe.
20
A noter que beaucoup d’enquêtés ont hésité à remplir le questionnaire et cela malgré les explications et les
orientations que nous leur avons données sur la finalité de notre recherche ; il a pu paraître trop compliqué
voire inintéressant.
40
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
3. Cadrages théoriques
Le cadrage théorique permet d’inscrire notre analyse dans la lignée des recherches
de la sociolinguistique de l’immigration et de présenter les notions fondamentales qui vont
favoriser l’appréhension des particularités sociolangagières des cinq conversations qui
constituent notre corpus d’étude, ainsi que le vaste domaine des représentations, attitudes à
l’égard des langues.
Nous entendons en effet présenter ici le cadre théorique dans lequel nous inscrivons
notre recherche en rappelant brièvement les différentes mutations qu’a connues la
sociolinguistique. Nous présenterons ensuite quelques-unes des caractéristiques
définitoires de l’alternance codique afin de mettre en valeur quelques aspects communs à
toutes les définitions, et ce dans le but de rendre compte des critères qui amènent à
caractériser les pratiques langagières « bilingues » entre locuteurs immigrés/non-immigrés.
Certains éléments théoriques seront précisés dans les parties suivantes au gré des
caractéristiques qui ressortent de l’analyse du corpus.
Le cadre théorique dans lequel nous inscrivons notre étude des conversations
bilingues et des alternances codiques qui en résultent s’articule autour de plusieurs
approches : la sociolinguistique variationniste adoptée par William LABOV (1976, 1978), la
sociolinguistique interactionnelle inspirée de John GUMPERZ (1989) et l’ethnographie de la
communication proposée par Dell HYMES (1984). L’étude de l’alternance codique dans la
conversation bilingue entre locuteurs manifestant des asymétries des répertoires verbaux
nécessite forcément une approche multidimensionnelle qui prenne en considération les
dimensions sociolinguistique, interactionnelle et ethnographique. Nous avons voulu à
l’instar des trois approches citées plus haut, nous inscrire dans une perspective
41
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
évolutionniste nourrie des différents travaux réalisés autour du parler bilingue, notamment
ceux qui se sont intéressés aux pratiques langagières des populations migrantes21.
La diversité des situations bilingues observées et étudiées par les linguistes, les
sociolinguistes, les psycholinguistes et les didacticiens montre bien le renouveau aux plans
théoriques et méthodologiques. En fait, la diversité notable des approches témoigne de la
continuité et de l’évolution de la sociolinguistique sur les plans théorique et
méthodologique qui depuis ne cesse de démultiplier les tentatives pour la réhabilitation des
phénomènes auxquels elle porte un intérêt particulier. Entre la crise de la linguistique et la
crise conjoncturelle qui l’a vue naître, la sociolinguistique22 (MARCELLESI & GARDIN,
1974) s’est intéressée aux phénomènes linguistiques sous plusieurs angles (social, culturel,
économique, etc.) avec la prise en compte des méthodologies des autres disciplines. En
effet, le terme sociolinguistique lui-même renvoie à la construction d’un domaine
interdisciplinaire (BOUTET & HELLER, 2007).
21
Nous nous référons au propos de Jaqueline BILLIEZ (1997) selon lequel elle considère la sociolinguistique
qui s’intéresse aux populations migrantes comme une sociolinguistique impliquée.
22
Voir outre William LABOV (1973) pour qui « la sociolinguistique est la linguistique », Pierre ENCREVE
(1977) et Cécile CANUT (2000) sur la genèse de la sociolinguistique et ses rapports avec les autres disciplines
notamment la linguistique, la sociologie du langage et la dialectologie.
42
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Définir le bilinguisme ou les phénomènes qui lui sont associés n’est pas une chose
facile du fait de la variété voire de l’originalité des situations de communication et des
raisons qui amènent un locuteur à employer deux langues ou à passer d’une langue à
l’autre à un moment donné de l’échange verbal.
A travers les recherches empiriques parant sur les différentes situations des contacts des
langues, les chercheurs ont tenté de mettre en lumière les comportements langagiers qui
résultent de l’emploi de deux langues chez un même locuteur ou une communauté. Ainsi,
les nouveaux regards portés par les chercheurs sur le bilinguisme en tant que phénomène
né des mutations historiques et sociales comme les guerres et les flux migratoires ont
contribué à l’élargissement du champ d’investigation et à l’éclaircissement de certaines
zones d’ombre.
Le bilinguisme n’est plus vu comme une exception mais comme une règle
(WEINREICH, 1968), il n’est pas spécifique seulement aux pays bilingues23 mais « il touche
la majorité de la population du globe terrestre » estime William MACKEY (1976 : 13). Par
ailleurs, Georges LÜDI et Bernard PY (2003 : 2-3) montrent fort bien que :
[…] dans le monde aujourd’hui, le plurilinguisme est le plus souvent la règle que
l’exception.
a) D’abord il n’y a guère de pays en Europe ni dans le monde sur le territoire
duquel il ne se parlerait pas plus d’une langue […].
b) En raison des nombreuses migrations, de nouvelles langues ont fait leur
apparition, telles que l’espagnol et l’arabe en France, l’espagnol, le portugais, le
turc, l’albanais et le grec en Suisse et en Allemagne etc.
c) Extrêmement nombreux sont d’autre part les individus capables de
communiquer dans plus d’une langue en famille, à leur lieu de travail, en
vacances etc. […].
23
Il s’agit des pays (ou des communautés) historiquement bilingues où le bilinguisme est institutionnalisé
comme par exemple la Belgique le Canada, la Suisse, etc.
43
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Au-delà de la prise en compte des seules exceptions de l’emploi d’une seule langue,
l’attention des chercheurs était centrée sur le monolingue du fait qu’il utilise plusieurs
variétés de langue (registres, styles, lectes) et recourt à travers ses activités langagières à
certaines formes qui se rapportent au bilinguisme tels que les alternances codiques, les
interférences et les emprunts (GROSJEAN, 1984). L’évolution qui s’amorce depuis un peu
plus de trente ans en sociolinguistique est plus féconde et plus profonde. Les phénomènes
jugés jusque-là comme fautifs s’imposent comme objets d’étude en sociolinguistique, en
psycholinguistique et en didactique des langues.
44
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Il convient de souligner de prime à bord que les recherches portant sur l’alternance
codique ont fourni une terminologie abondante (ZONGO, 2004 : 14) du fait de la complexité
de chaque situation observée et/ou étudiée sous des angles divers. Dans la configuration
des conversations des locuteurs immigrés/non-immigrés, l’examen de l’alternance codique
constitue un observable essentiel pour mettre en évidence les caractéristiques du parler
bilingue comme conséquence du contact des deux langues. La mobilisation stratégique des
ressources langagières bilingues au niveau de la conversation montre en effet la complexité
de la tâche aussi bien au niveau de la connaissance des langues que la capacité de
communiquer en se servant de celles-ci.
Comme tous les phénomènes qui découlent des contacts des langues, l’alternance
codique requiert une attention particulière dans la recherche sociolinguistique du fait des
caractéristiques des pratiques langagières de chaque communauté linguistique et des
langues qu’elle emploie. En effet, l’étude de cas permet d’une manière ou d’une autre de
dégager des types d’alternance codique et par conséquent de proposer d’autres traits
définitoires.
45
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Notre propos ici est de présenter les principales facettes théoriques qui ont mis
l’accent sur l’alternance codique ceci dans le but de concevoir le phénomène dans la
complexité et la dynamique des travaux qui s’y intéressent. Bernard ZONGO (2004 :
17) précise que : « son réexamen [c'est-à-dire le code switching] permet des réajustements
et des reformulations indispensables au regard des données nouvelles émergentes », cela
conduit évidemment à s’interroger sur d’autres éléments sous-jacents de l’alternance
codique spécifiques à telle ou telle communauté.
a)- L’approche dite fonctionnelle ou situationnelle relative aux travaux de John GUMPERZ
dont l’objet était « d’analyser les effets de contact de langues et d’étudier les fonctions
conversationnelles et pragmatiques des alternances codiques comme éléments modulateurs
du discours » (THIAM, ibid. : 33-34).
46
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
e)- L’approche conceptualiste consiste, souligne Ndiassé THIAM (ibid. : 35), « à construire
un modèle de la façon dont l’alternance codique s’organise » en se basant sur des notions
abstraites et des modèles pré-existants. Ainsi, d’autres modèles ont vu le jour, comme la
théorie de « l’accommodation discursive » de GILES et la théorie du « marquage » de
Carolle MEYERS-SCOTTON.
L’alternance codique, par définition, est l’usage alternatif de deux codes dans une
conversation. Une telle définition peut signifier d’une manière générale et avec beaucoup
de réserves, qu’il s’agit de conversations bilingues. En effet, s’il est nécessaire de remonter
aux travaux des spécialistes, notamment John GUMPERZ (1972, 1982, 1989a), Shana
POPLACK (1988), Carol MEYERS-SCOTTON (1993), qui ont étudié le phénomène, c’est
précisément pour aboutir à une définition englobant un certain nombre de traits et de
critères que l’on doit mettre en exergue avec la réalité de notre population d’enquête.
47
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Ce qui attire l’attention dans cette définition c’est l’aspect linguistique qui
caractérise l’échange verbal par la présence des énoncés de deux systèmes différents, là où
la juxtaposition et la succession laissent entendre que les locuteurs produisent des énoncés
bilingues structurés grammaticalement sans qu’il y ait une rupture au niveau de la forme.
Dans ce cas là, il s’agit d’habitudes verbales acquises ou apprises spécifiques aux sujets
parlants bilingues, ce qui renseigne aussi sur l’appropriation partielle ou totale de la
grammaire des deux langues ainsi qu’une grammaire commune ayant une fonction
régulatrice des échanges, où la qualité des énoncés alternés est prise en compte comme
fondamentale assurant la communicabilité et l’interaction. A partir de là, l’accent peut être
mis sur le rôle de l’alternance codique dans la régulation du discours du locuteur bilingue
ou supposé bilingue. On peut souligner également, que cette définition s’inscrit dans une
perspective fonctionnelle d’orientation interactionnelle. Elle repose essentiellement sur le
fait conversationnel où les locuteurs sont inconscients car l’objectif principal est
l’intercompréhension, et c’est pourquoi d’ailleurs John GUMPERZ distingue l’alternance
codique conversationnelle et l’alternance codique situationnelle, sur laquelle nous allons
revenir.
Dans cette perspective, il est à noter qu’il est beaucoup plus question de respecter
les structures syntaxiques et morphologiques des deux langues. Car comme le fait
remarquer l’auteur cela peut concerner aussi bien une phrase qu’une partie d’une phrase,
pourvu que les énoncés alternés répondent aux normes : syntaxique, morphologique et
phonologique de l’une des deux langues. Désignée du point de vue linguistique,
l’alternance peut toucher aussi bien la structure syntaxique au niveau intraphrastique, que
les niveaux morphologique et phonologique au niveau extraphrastique. Shana POPLACK
(1988 : 23) affirme aussi que : « L’alternance peut se produire librement entre deux
48
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
éléments quelconques d’une phrase, pourvu qu’ils soient ordonnés de la même façon selon
les règles de leurs grammaires respectives ».
Etant donné le nombre de travaux qui ont porté sur le phénomène d’alternance
codique ainsi que les modèles proposés par les spécialistes, nous présentons trois types
d’alternances codiques qui nous semblent complémentaires et nous permettent de décrire
notre corpus, il s’agit plus précisément des typologies de Shana POPLACK, de John
GUMPERZ et de Louise DABENE et jacqueline BILLIEZ.
3 – 4 – 3. La typologie de POPLACK
b)- Dans l’alternance codique intra-phrastique les éléments grammaticaux des deux
langues doivent se plier aux positions qu’ils occupent à l’intérieur des structures
syntaxiques. L’alternance peut affecter également des mots (par exemple un préfixe ou un
suffixe de l’arabe dialectal lié à un lexème du français). La mobilisation des éléments des
deux langues implique une maîtrise bilingue.
49
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
La contrainte d’équivalence a été appliquée par Shana POPLACK (1988) aussi aux
langues éloignées tamoul/anglais et finnois/anglais. Cette règle s’est révélée significative et
pertinente. Par ailleurs, il était question de mettre l’accent sur la distinction entre
l’alternance codique et l’emprunt opérée selon des critères liés à aux aspects
grammaticaux spécifiques à chacune des deux langues et à l’insertion sans que certains
éléments des deux langues alternées ne soient croisés ou répétés. En se basant sur
l’alternance codique fluide et l’alternance codique balisée, Shana POPLACK (ibid. : 23) a
soulevé la difficulté de distinguer l’alternance codique de l’emprunt vu la fréquence de ce
dernier qui est souvent inséré comme unité isolée dans des structures syntaxiques de la
langue emprunteuse en obéissant aux règles grammaticales des deux systèmes. Ainsi, pour
identifier l’emprunt par opposition à l’alternance codique, elle a tenté une analyse basée
sur des critères morphologiques et syntaxiques ainsi que des méthodes distributionnelles
quantitatives.
3 – 4 – 4. La typologie de GUMPERZ
50
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Les études sur le parler bilingue des immigrés24 se sont intéressées aux « différents
modes d’insertion dans le discours » (DABENE 1994 : 94). De leurs recherches ressort une
classification des types d’alternances codiques et des stratégies différentes. On constate à
travers cette typologie un lien entre ces recherches et celles de John GUMPERZ (ibid.) et de
Shana POLACK (1980) voire une complémentarité :
24
Voir entre autres les recherches de Louise DABENE et Jacqueline BILLIEZ (1988) sur les jeunes issus de
l’immigration algérienne.
51
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
inter-intervention intra-intervention
inter-acte intra-acte
segmentale unitaire
insert incise
Tableau 8 : Figure représentant la typologie proposée par Louise DABENE (1994 : 95).
Comme nous l’avons signalé plus haut, les enquêtes auprès des populations
migrantes montrent que leur parler bilingue recouvre des stratégies argumentatives
52
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Il existe en outre d’autres orientations qui reposent sur le choix des codes, en
considérant l’alternance codique entre pairs provoquant une certaine intimité où on
souligne la complicité des participants. D’après Carol MYERS-SCOTTON (1983) il s’agit du
principe de coopération adopté comme stratégie par le locuteur bilingue motivé par
l’accomplissement de la communication. En s’appuyant sur les travaux de John GUMPERZ,
Carol MYERS-SCOTTON (1986, 1993) propose une approche sur les motivations de
l’alternance codique opposée à celle de David SANKOFF et Shana POPLACK (1981), selon
laquelle les motivations de l’alternance codique sont considérées comme accidentelles et
idiosyncrasiques.
Les travaux récents lancés par Bernard ZONGO (2004, pp. 32-42) se réfèrent à une
approche par perspectives, cette dernière se base sur quatre perspectives :
53
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
54
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Il reste entendu que ces approches sont admises pour la simple raison qu’elles
concernent des cas de figures qui présentent des différences selon la parenté et
l’éloignement entre les langues, leur statut et leur fréquence dans l’usage.
Il a été question dans ces quelques pages de présenter certains éclairages théoriques
concernant la notion d’alternance codique dans le champ de la recherche sociolinguistique
afin de mettre l’accent sur quelques caractéristiques fondamentales qui le sous-tendent.
Nous reviendrons plus loin sur d’autres aspects théoriques pour préciser certains faits
relatifs à l’alternance codique.
En nous appuyant sur les résultats tirés de l’analyse quantitative des questionnaires,
nous allons aborder la question de la conscience linguistique que nous essaierons de
soumettre plus précisément aux données d’ensemble relatives aux attitudes et aux
représentations. Mais avant de passer à l’analyse, nous donnons d’abord quelques
définitions sur les notions d’attitudes et de représentations. Ensuite, nous tentons de définir
ce que signifie la conscience linguistique dans la littérature des linguistes pour ainsi la
traiter par rapport aux situations observées et aux données recueillies. Seront exploités ici
les données obtenues suites aux différents entretiens réalisés avec les informateurs.
55
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Outre ces propos, Denise JODELET (1989 : 53) précise que les représentations sont : « …
une forme de connaissance, socialement élaborées et partagées, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.».
Depuis William LABOV la recherche sur les attitudes et les représentations sociales
tend à apporter de nouveaux regards sur le rapport entre ce que les gens disent faire et ce
56
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
qu’ils font réellement, plus précisément sur les écarts entre les déclarations voire les
représentations et les pratiques langagières réelles. C’est pourquoi les chercheurs se
mettent à étudier les indicateurs dans et travers les pratiques réelles des langues (cf.
DABENE, 1987 et DABENE & BILLIEZ, 1988). La pertinence de certains critères
méthodologiques pour analyser les représentations, comme la prise en compte du
quantitatif et du qualitatif selon un modèle « mutifocal » (BILLIEZ & MILLET, 2001 : 44) et
les conditions de la collecte des données qui aident à réduire les incidences et le flou sur le
bon déroulement des l’enquête et les résultats qui en découlent (cf. BLANCHET, 1996 et
MONDADA, 1996). Ainsi une bonne conduite de l’enquête où le chercheur est impliqué
pour observer de près le comportement et la réaction des locuteurs/informateurs25 au
moment des interactions amène à des résultats plus fiables. A noter aussi que le discours
sur la langue peut être aussi repérable au niveau des conversations ordinaires (BILLIEZ,
2004).
25
Observer les sujets sous cette double casquette, celle du participant en tant que locuteur/informateur donne
une vue contrastée pour mettre en perspective ce qui relève des écarts qui ressortent du dire et du faire.
57
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
CHAPITRE 2
ATTITUDES, REPRESENTATIONS ET CONSCIENCE LINGUISTIQUE DES
IMMIGRES/NON-IMMIGRES ENVERS L’ARABE DIALECTAL, LE FRANÇAIS ET LES
ALTERNANCES CODIQUES
Cette section sera consacrée à présenter d’une part un bref aperçu sociohistorique
des langues en Algérie dans le but d’en dégager quelques caractéristiques du bilinguisme
voire du plurilinguisme. Afin de mieux situer le phénomène d’alternance codique dans le
contexte sociolinguistique algérien, nous allons nous pencher ici sur les mutations, les
statuts et les usages des langues en question. D’autre part, nous nous intéresserons à la
réalité linguistique des immigrés en France (leur parler bilingue voire plurilingue) en
mettant en évidence tout à la fois certains des aspects sociaux (économiques,
professionnels, culturels et éducatifs) qui la dynamisent et les démarches scientifiques
permettant d’en rendre compte.
58
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Les mouvements des populations, les invasions, les colonisations et les infiltrations
ont introduit en Algérie des populations de langues diverses. Le contact des langues et des
cultures orientales et occidentales a contribué à l’émergence du bilinguisme et du
plurilinguisme.
De tous les peuples établis en Algérie, les Arabo-Musulmans ont joué un rôle très
important dans l’histoire du pays. Unis sous le nom de l’Islam et du Coran les autochtones
et les Arabo-Musulmans propagèrent l’Islam sur le territoire et sur l’autre rive de la
Méditerranée. Le métissage des Berbères et des Arabes a conduit à l’apparition d’une
langue mixte et d’une variété de dialectes maghrébins. Il faut souligner que l’arabisation du
territoire s’est faite en même temps que son islamisation. L’hégémonie de la culture et la
civilisation arabes a joué un rôle majeur dans l’unification du peuple selon Jean DESPOIS
26
En ce qui concerne le berbère, on peut dire qu’il est (re)fonctionnalisé par les autorités politiques qui lui
ont accordé le statut de langue nationale. Le berbère est enseigné à l’école depuis plus de dix ans, mais la
réalité des deux dialectes parlés en Algérie demeure sans statuts officiels. Même si la langue berbère est
reconnue comme langue nationale, elle reste cantonnée dans les régions où elle est considérée comme langue
maternelle. Les deux dialectes « ne doivent leur statut qu’à l’oralité dont la société est culturellement
imprégnée, tradition qu’ils contribuent puissamment par ailleurs à perpétuer » écrit Tahar KHALFOUNE,
(2002 : 117).
27
Dire que le français est une langue étrangère sans se référer au contexte social, ceci peut laisser entendre
que le français est réservé aux pratiques scolaires, alors qu’en Algérie le français est également pratiqué
comme langue seconde. Voir Jean-Pierre CUQ (2000) pour la question de langue étrangère et langue seconde.
59
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
(1949 : 149) : « Parmi les influences étrangères qui se sont succédées dans l’Afrique du
Nord jusqu’à l’arrivée des Français au X1Xe siècle, ce sont incontestablement l’Islam et la
civilisation musulmane qui ont le plus profondément imprégné la société »28.
A partir de 1830, l’Algérie devient une colonie française. Ainsi, la langue française
s’impose et se propage partout en Algérie au détriment des langues indigènes : l’arabe
dialectal, le berbère et l’arabe classique. L’administration coloniale avait envisagé une
politique d’acculturation basée sur l’institutionnalisation de l’obscurantisme et de
l’ignorance qui visait surtout l’oblitération de l’identité et de la culture arabo-musulmane et
berbère (TALEB-IBRAHIMI, 1994), même si le gouvernement français sous la troisième
république envisagea une nouvelle politique permettant aux Algériens de s’instruire
(AGERON, 1968 : 319). Quoi qu’il en soit la domination de la langue française persiste
durant toute la période coloniale comme langue officielle.
28
Quant à la présence des Espagnols on peut parler de deux périodes, la première remonte à 1509 avec le
débarquement de la flotte gouvernée par Don Diego Fernandez de Cordoba, une occupation qui se maintient
jusqu’en 1792. La seconde correspond aux vagues migratoires des années trente, il s’agit de réfugiés
politiques, républicains pour la plupart. Parmi les populations européennes établies dans certaines villes de
l’ouest les deux tiers (2/3) étaient de souche espagnole. La présence des Espagnols a laissé beaucoup de
traces linguistiques dans les parlers en Algérie. Après avoir chassé les Espagnols, les Turcs occupent
l’Algérie de 1516 jusqu’à 1830. Pendant toute cette période, la langue turque était la langue officielle de
l’administration ottomane, mais son usage était restreint par rapport à la langue arabe, il faut dire que « la
domination turque fût à peu près exclusivement militaire et fiscale » (DESPOIS, 1949 : 130).
29
A ce sujet Aziza BOUCHERIT (2004 : 65) a écrit : « de l’indépendance de l’Algérie à nos jours, la langue
arabe a été considérée comme l’expression de la souveraineté, de l’identité et de l’unité de la Nation.
Quarante ans après l’indépendance, les différences linguistiques et culturelles devraient pouvoir être
60
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Cependant, la réalité des langues demeure tout autre, dans l’immense majorité des cas,
l’essentiel de la vie quotidienne se passe en arabe dialectal, en berbère et en français.
Toutefois les problèmes linguistiques sont dus au désaccord entre les tenants et les
adversaires de la politique linguistique adoptée par les institutions, la politique scolaire et
l’idéologie dominante. Il faut bien admettre qu’il n’y a pas eu une véritable planification
linguistique fondée sur des études crédibles et approfondies ; il ne s’agit en fait que de
décisions prises pour parachever le processus d’arabisation qui n’est rien d’autre qu’une
attitude liée au conformisme préconisé par les adeptes de l’arabité (MILLIANI, 2003 et
2004).
Les décisions politiques n’avaient rien de commun avec ce qui était attendu de la
part du peuple. En effet, ces décisions in vitro se sont annexées aux décisions politiques de
la fin des années soixante dont le but était de tout nationaliser. Toutefois, l’unique objectif
auquel s’attendait la population fût le désir de se débarrasser de la pauvreté et de s’en sortir
socialement. Ainsi le français continue d’être enseigné et employé dans le quotidien des
Algériens. Même considérée comme étrangère, la langue française s’affirme comme
langue de la science et de la technologie au sein des institutions scolaires et universitaires.
Outre les profondes modifications qu’a connues le système scolaire depuis les années
soixante dix, le français ne cesse d’être la langue privilégiée et préférée d’une grande partie
de la population, ainsi le français « a été au fur et à mesure admis comme instrument
utilitaire d’ascension sociale » (MOATASSIME, 1986 : 68) dans l’esprit de ceux qui le
pratiquent réellement dans des situations socioprofessionnelles et familiales.
Dans l’expérience commune des Algériens, le français est sans doute une langue
qui possède sa place au sein de la société au même tire que l’arabe classique et les autres
langues. Cependant, l’arabe classique comme le français visent un bilinguisme éducatif30 et
considérées non comme des facteurs de désunion mais de rassemblement dans le cadre d’un Etat où
coexisteraient les composantes arabes et berbères de la Nation et où se verrait assumer le passé colonial sous
tous ses aspects, négatif et douloureux, mais aussi positif et, en ce sens, la langue pourrait être vue comme un
moyen d’ouverture au monde ».
30
En s’intéressant à l’appropriation du français dans le système éducatif algérien Latifa KADI (1997 : 347) a
conclu que le français : « … est bien une composante de la réalité linguistique et éducative algérienne. La
61
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
administratif qui est loin de faire l’unanimité (ibid. : 79). L’arabe classique persiste comme
langue de l’identité commune dans la vie profonde des Algériens. Néanmoins, et malgré
les circonstances et les événements historiques qui ont jalonné la période coloniale, le
français est resté en contact permanent avec toutes les langues existantes en Algérie31. On
peut parler de fonction véhiculaire du moment que le français tout comme l’arabe dialectal
assurent la communication et l’intercompréhension de beaucoup d’Algériens. La langue
française participe comme dirait Rabah SEBAA (2002 : 57-58) : « […] d’un imaginaire
linguistique social en acte, qui mêle invariablement usages et systèmes linguistiques dans
un foisonnement créatif qui ignore les frontières et les rigidités idiomatiques
conventionnelles ». Il va sans dire, dans le contexte actuel, que ‘‘les langues maternelles’’
représentent une composante essentielle. Les reconnaître officiellement comme langues
nationales et symboles de la citoyenneté peut conduire à une sorte de paix assurée par le
pluralisme linguistique et culturel ne serait-ce que pour mettre fin au malaise provoqué par
les discours officiels versant le plus souvent dans le linguistiquement correct. En fait, tous
les problèmes linguistiques qu’a connus l’Algérie sont dus au « refus de reconnaissance
officielle des langues endogènes » comme dirait Abdou ELIMAM (2004 : 69). Ainsi, le
processus d’arabisation à conduit à la fois à la minoration des langues ‘‘maternelles’’ et au
recul de la langue française (BILLIEZ et KADI : 2000). En ce qui concerne la langue arabe
dialectale, les promoteurs de la politique linguistique la considèrent comme impure et
composite sous prétexte qu’elle recèle des mots du français refusant ainsi son
enseignement à l’école (cf. BENRABAH, 1993). Au-delà du débat « passionnel » dont les
promoteurs veulent incarner un idéal nationaliste, il faudrait envisager le rôle des langues
‘‘maternelles’’ dans la vie quotidienne de la quasi-totalité des citoyens et puis regarder la
place qu’occupe le français par rapport à ces langues et donc s’inscrire dans un processus
de planification fondé sur de véritables questions identitaires et des décisions qui évitent
les conflits linguistiques (voire identitaires). Il faut dire qu’en Algérie, il y a bien eu, des
politiques linguistiques qui ont amené à une situation linguistique complexe ayant favorisé
le débat idéologique au détriment du débat rationnel voire réaliste. Les décisions prises
pour accorder les statuts aux langues n’étaient pas le fruit d’une politique linguistique,
langue française n’en est jamais totalement absente. Certes, les progrès de l’arabisation ont conduit à sa
réduction, mais non à sa disparition.
31
Le processus d’arabisation n’avait pas d’autres ambitions que de contrer le français loin d’une planification
linguistique pour donner à l’arabe classique la place qu’il mérite. Par cette tentative de récupération les
politiques voulaient que la place du français soit diminuée et rabotée (MANZANO, 2003).
62
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
c'est-à-dire que les interventions n’avaient pas été menées sur la base d’une réflexion
profonde en amont32 (MORSLY, 2000). Au sujet des variétés du berbère, Abderrezak
DOURARI (1997) soulève les problèmes qui résultent de la mauvaise gestion du pluralisme
linguistique, qui ne tient pas compte de l’identité et de l’unité nationales surtout quand il
s’agit d’une variété de dialectes. Le politique et le linguistique n’ont jamais fait l’objet
d’un débat rigoureux pour aboutir à une convergence linguistique où le statut et la fonction
de chaque langue seraient précisés. S’agissant du dialecte arabe parlé dans pratiquement
toutes les villes, les choses ne sont ni clairement posées, ni totalement assumées surtout si
l’on tient compte de l’envergure des travaux des chercheurs algériens qui se sont intéressés
à toutes les variétés dialectales et au français parlé en Algérie. Il n’y a plus lieu aujourd’hui
de parler de monolinguisme ou de s’attacher uniquement aux langues locales, il n’y a pas
lieu non plus de rester indifférent face au plurilinguisme qu’impose la mondialisation. En
outre, si, dans le cadre d’une politique sensée, on ne posait pas les questions en termes de
mondialisation, de plurilinguisme et de gestion raisonnable et raisonnée des langues
locales, écrites ou orales, officielles ou non, il serait très difficile de parler du devenir
linguistique du pays. Le modèle gravitationnel33 ou la tripartition fonctionnelle – qui
concerne ‘‘ l’utilisation d’une langue grégaire en famille, une langue d’état dans la vie
publique et une troisième langue dans la communication internationale’’ (CALVET, 2002 :
39-42) – nous amène, dans le cas de l’Algérie, à envisager presque la même hiérarchisation
des langues. Ainsi, ce modèle n’est pas sans conséquences sur la situation des langues
parlées ou les langues qui représentent uniquement l’officialité.
63
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Les Algériens sont les premiers (parmi les maghrébins) à avoir immigré en France,
et ce depuis les premières années de la colonisation (ASSELAH-RAHAL, 2004 : 60-61). Mais
l’immigration la plus importante est celle du début des années soixante, définie comme une
immigration de colonisés (SAYAD, 1985 : 19). On l’a également définie comme une
immigration de travail et un réservoir de main d’œuvre compte tenu de l’importance
économique qu’on lui a accordée.
Considérés comme immigrés temporaires, les Algériens sont allés en France pour des
raisons économiques (GRANOTIER, 1976). Originaires de la campagne pour la plupart, les
individus de la première génération34 de l’immigration algérienne, ne possédaient aucune
qualification professionnelle et aucune instruction, émigrés essentiellement pour travailler
et assurer une vie meilleure pour leur famille restée en Algérie. Les principales professions
qu’ils occupaient se limitaient au domaine du bâtiment ou de l’industrie. Cette situation
socioprofessionnelle et économique n’était pas sans conséquences (linguistiques entre
autres) sur les membres des familles. Les immigrés algériens représentaient une main-
d’œuvre souhaitée idéale35, mais qui n’a pas bénéficié de conditions socioéconomiques
décentes.
34
Par immigrés de la première génération il faut entendre des individus ayant émigré vers la fin des années
cinquante pour des raisons économiques. C’est pour cela qu’on l’a qualifiée d’immigration de travail.
35
Abdelmalek SAYAD (1985 : 36), écrit au sujet des immigrés algériens qu’il qualifie d’exemplaires : « A
considérer l’immigré algérien et, surtout, à considérer sa contribution sous le seul rapport économique (et
étroitement économique) c'est-à-dire abstraction faite de toutes les autres significations qui s’attachent à sa
présence (présence dédaignée, méprisée, de peu d’égards, présence dominée) ainsi que de toutes les
64
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Vers le milieu des années soixante dix la situation a connu des changements
profonds : les immigrés temporaires venus pour travailler ont décidé de rester en France et
d’y vivre en famille. Ainsi, les autorités se sont rendues compte de la situation sociale des
travailleurs migrants qui avaient ramené leur famille en France pour le regroupement
familial. Ces familles n’avaient pas en effet bénéficié des mêmes chances sociales que les
autres populations migrantes, en l’occurrence les Européens (Espagnols, Portugais et
Italiens). Il faut rappeler que la plupart des immigrés (Maghrébins et Européens) ne
parlaient pas la langue française à leur arrivée. De multiples problèmes ont été soulevés à
ce sujet aussi bien au niveau familial (familles très mal imprégnées du français)
qu’institutionnel38 (l’intégration scolaire des enfants).
incidences (sociales, culturelles politiques, etc.) que comporte cette présence, on peut dire qu’il a longtemps
été, d’une certaine manière, l’immigré que la France peut tenir, à juste tire, comme l’immigré « idéal » , celui
qui lui « coûte » le moins et même ne lui « coûte » rien (dans la mesure où il n’est pas, pour elle, totalement
et ordinairement étranger) et celui qui lui « apporte » le plus ; bref, celui, qui , pour elle, présente la marge la
plus étendue de « bénéfices ».
36
Par « issus de l’immigration » on entend les individus nés en France de parents ayant immigré en France,
ce qui leur donne le droit du sol et donc à la nationalité française.
37
De naissance ou de résidence selon les cas.
38
Voir la recherche de Jacqueline BILLIEZ (1989) concernant les difficultés rencontrées par les enseignants
ainsi que les attitudes des parents envers l’apprentissage du français et de l’arabe.
39
Sur la question de l’enseignement des langues et des cultures d’origine, voir les travaux réunis dans la
revue LIDIL, n° 2, coordonné par Louise DABENE, décembre 1989.
65
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Les pratiques langagières sont en partie déterminées par les différentes mutations
qu’à connu (ou que connaît) l’individu immigré ou issu de l’immigration au sein de la
société ou du groupe auquel il appartient. Les recherches en sociolinguistique ont porté un
intérêt particulier au bilinguisme lié au phénomène migratoire (DE HERREDIA-
DEPREZ, 1976). Cette orientation vers cet objet d’étude, animée le plus souvent par un
intérêt pour les langues minorées (BILLIEZ, 1997), amène à s’interroger sur d’autres
phénomènes. Au-delà de l’action militante initiée dans le cadre associatif, la réflexion a
amené à une légitimité scientifique et à « la création par le CNRS du réseau de chercheurs
40
Il est mentionné dans la circulaire du 9 avril 1975 que : « le maintien des enfants étrangers dans la
connaissance de leur langue et de leur culture d’origine peut constituer un élément positif de l’adaptation des
enfants dans les établissements français », BO n° 15 du 17/4/1975 intitulé : L’enseignement des langues
nationales à l’intention d’élèves immigrés dans le cadre du tiers-temps des écoles élémentaires (cité par
Christine HELOT, 2007 :115).
41
Face à la multiplicité des références socioculturelles, la compétence interculturelle se révèle importante
dans la mesure où l’individu issu de l’immigration se positionne par rapport à la culture d’origine et celle du
pays de naissance, d’accueil ou de résidence (MANÇO, 2003).
42
A ce sujet Louise DABENE & Jacqueline BILLIEZ (1984) parlent de parler vernaculaire intra-familial
lorsque les deux langues sont mélangées par les membres de la famille et de parler véhiculaire interethnique
employé par les différentes communautés qui emploient le français avec des incrustations de leurs langues.
66
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Par ailleurs, la scolarisation des enfants d’immigrés a connu d’autres problèmes que
posent les langues enseignées, en l’occurrence la langue officielle du pays d’origine que ce
soit pour ceux qui sont nés en France ou ceux qui s’y sont nouvellement installés dans le
cadre d’un regroupement familial.
43
Il s’agit de l’intérêt scientifique porté à l’enseignement des langues et à l’étude de la diversité linguistique
des populations migrantes. (cf. NOYAU, 1976 et DABENE, 1989).
44
Des accords bilatéraux ont été signés entre la France et l’Algérie concernant les programmes ELCO en
1982. Du fait de la non-reconnaissance des langues vernaculaires (l’arabe dialectal et le berbère) les accords
visaient uniquement l’enseignement de l’arabe classique, langue officielle du pays, et pas les autre les autres
langues.
67
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
du bilinguisme avec les langues de l’immigration ont amené à réfléchir sur d’autres
problèmes relatifs aux conditions sociales et scolaires.
45
Voir également d’autres contributions dans le numéro 2 de LIDIL « Les langues et les cultures des
populations migrantes : un défi à l’école française ».
68
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
cours de « langues de la culture d’origine » et aux séjours passés dans le pays des parents
et « aux mariages mixtes entre locuteurs d’ici et de là-bas » comme le souligne Christine
DEPREZ (2006 : 123). En effet, leur rapport avec la cellule familiale, les groupes de pairs,
l’école et le pays d’origine des parents leur ont donné cette caractéristique d’être
plurilingues (ou manifestant au moins une compétence plurilingue) et de posséder des
répertoires verbaux mixtes, hétérogènes voire plurilectaux. La langue d’origine jouit d’une
valeur symbolique comme marqueur d’identité (BILLIEZ, 1985.a), pour certains elle sert
aussi dans la communication interpersonnelle et sociale. La langue que parlent les jeunes
descendants de l’immigration dite langue métissée (MELLIANI, 1999.a, 1999.b) est née du
bi-plurilinguisme urbain et des réseaux personnels de communication dans différents
groupes de pairs (MERABTI, 1991). De ce métissage langagier résultent : « un parler
vernaculaire intra-familial » et « un parler véhiculaire interethnique » comme deux codes
reflétant les caractéristiques identitaires et générationnelles46 (DABENE & BILLIEZ, 1984). Il
s’agit d’un système de communication en évolution à travers lequel les structures
langagières d’une ou plusieurs langue(s) sont mêlées. Les transformations rapides que
connaît ce système témoignent d’un changement linguistique qui transgresse les frontières
existantes entre les groupes et leurs langues. A de rares exceptions près de monolinguisme
en français, les jeunes issus de l’immigration sont bi-plurilingues. En particulier presque
tous les jeunes emploient l’arabe dialectal à côté du français en entraînant des alternances
codiques. L’emploi des langues d’origine est, en effet, lié à des situations de
communication intragroupe en remplissant différentes fonctions (cryptique, ludique, etc.).
Par conséquent le français est la langue véhiculaire pour les différents groupes d’origines
différentes. S’ajoute à cela le verlan comme langage crypté employé pour des fins
communicatives bien précises (MELA, 1997).
46
Henri BOYER (1997) plus tard emploiera pour désigner ce parler « sociolecte générationnel ».
69
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
47
Il en est de même pour la langue berbère chez les familles algériennes berbérophones.
48
Hormis les données que fournissent les recherches sur l’usage de la langue arabe dialectal en France par les
immigrés, nous avons nous-même constaté lors de nos voyages en France ces cinq dernières années (surtout
depuis que nous nous traitons ce sujet), l’omniprésence de l’arabe chez les individus d’origine algérienne, ils
l’emploient aussi bien dans la rue qu’à l’intérieur des foyers familiaux.
70
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
49
Nous entendons par groupe aussi bien la famille, le groupe de pairs que l’appartenance à la communauté.
50
Ce métissage constitue une des caractéristiques de la variété dite « parler jeune » caractérisé par la
créativité comme diraient Cyril TRIMAILLE et Jacqueline BILLIEZ (2008 : 96) « [...] tant sur le plan des
procédés de création qu’au niveau de leur fonction et du contexte sociologique dans lequel elles sont
utilisées ... ».
51
Il est d’autres facteurs qui conduisent à la prédominance du néocodage ou à la transgression langagière et
sociale chez les jeunes issus de l’immigration (TRIMAILLE, 1993).
71
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Il en résulte de la situation sociolinguistique que les locuteurs dans les deux pays
ont développé des attitudes et des représentations envers l’emploi de l’arabe dialectal, du
français, et des ‘‘mélanges’’. Notre but ici est donc de présenter les données recueillies
auprès de 24752 enquêtés immigrés/non-immigrés, hommes et femmes interrogés en
Algérie par questionnaire écrit et par des entretiens semi-directifs.
52
Il s’agit de la somme des deux échantillons relatifs à l’enquête par questionnaire écrit et l’enquête par
entretiens semi-directifs.
72
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
dialectal et du français. Une attention particulière sera portée ensuite aux déclarations53 des
enquêtés interrogés afin d’éviter les discours pré-construits et pour ne pas perdre de vue les
implications méthodologiques et théoriques liées à la finalité de notre recherche.
Les analyses qui vont suivre seront avant tout quantitatives mais étayés par des
extraits d’entretiens conduits auprès de dix sujets immigrés/non-immigrés et des trois
participantes aux conversations.
Afin d’étudier le rapport entre les caractéristiques principales des enquêtés, leurs
profils langagiers54 et leurs déclarations sur l’usage des langues nous présenterons d’autres
éléments susceptibles de fournir des pistes sur la maîtrise déclarée des deux langues et
l’alternance codique. Ensuite, nous nous intéresserons à tout ce qui a trait au choix, à
l’alternance codique et l’(auto)-évaluation des usages langagiers.
53
Comme nous l’avons souligné dans la méthodologie, les commentaires des enquêtés qui ne savent pas
écrire ont été pris tels quels sans interprétation aucune. Il en est de même pour le reste des informateurs.
Nous avons été pratiquement tout le temps présent au moment où les enquêtés remplissaient le questionnaire,
et nous avons dû intervenir à maintes reprises pour les aider à remplir et pour leur fournir des explications.
Nous avons également pris beaucoup de notes sur les représentations que se font les enquêtés de leurs
pratiques langagières.
54
Il s’agit plus précisément de la maîtrise déclarée des langues ; les données chiffrées nous permettent en
effet de mesurer la distance entre les déclarations, l’auto-évaluation et l’évaluation des compétences des
autres.
73
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Non-immigrés/immigrés
Situations Non-immigrés Immigrés Total
74
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Chez les immigrés nous constatons que seulement 9,64 % sont de non-actifs ; la
plupart ont reçu une instruction à l’école et ont bénéficié également d’une formation
professionnelle dont 32,54 % de diplômés contre 46,98 % non diplômés et 20,48 % sont
des femmes au foyer qui s’occupent de leur maison. 32,53 % des enquêtés sont encore
scolarisés et 57,83 % occupent un emploi (ouvriers, enseignants, cadre dans des
entreprises, etc.).
Les jeunes et jeunes adultes forment une classe importante55 par rapport à
l’ensemble de la population. Ils ont tous ou presque un niveau d’instruction qui nous
permet de conclure qu’ils ont été confrontés aux principales langues d’enseignement à
savoir l’arabe classique et le français pour les non-immigrés. Il n’en va pas de même pour
les immigrés, qui n’ont pas forcément suivi des cours d’arabe classique56. Il faut également
souligner que l’écart entre le taux des non-actifs immigrés et non-immigrés permet de dire,
notamment à partir des jeunes ayant récemment émigré, qu’il s’agit d’une émigration de
travail.
55
Concernant les immigrés et les descendants de l’immigration cette classe possède des qualifications sur le
plan professionnel contrairement à leur aînés qui ont émigré à l’époque coloniale ou après l’indépendance.
56
Beaucoup d’enquêtés notamment les descendants de l’immigration (deuxième et troisième génération) ont
affirmé qu’ils n’ont pas une grande maîtrise de l’arabe classique, une langue qu’ils utilisent très rarement.
Les travaux menés par Louise DABENE et Jacqueline BILLIEZ (1984) ont montré que l’influence des cours
d’arabe classique n’était pas conséquente. Cependant, les jeunes immigrés, ayant été scolarisés en Algérie,
ont un degré de maîtrise de cette langue qui reste relatif à leur niveau d’instruction.
75
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Le croisement des données de cette série de questions avec celle qui concerne la
connaissance déclarée de l’arabe dialectal et du français ainsi que les circonstances qui ont
fait que l’une ou l’autre langue est utilisée et/ou maîtrisée, conduit à parler d’un parler
bilingue résultant de la coexistence des deux langues, comme non allons le découvrir.
Les enquêtés issus de l’immigration nous ont précisé qu’ils ont appris l’arabe
dialectal, selon les cas, au sein du réseau familial, dans la rue (groupe de pairs) et à travers
leurs séjours passés dans le pays d’origine des parents (ou de naissance pour ceux qui ont
émigré avec leurs familles). Entre les déclarations des sujets enquêtés qui sont nés en
France et ceux qui sont partis à l’âge de six (06) ou dix ans (10), se dessinent des
divergences concernant la maîtrise et l’usage de l’arabe dialectal. Par contre pour les
jeunes qui sont partis à l’âge de vingt (20) ou trente ans (30), les choses sont différentes.
Les divergences sont encore plus significatives entre les garçons et les filles. Certains
recherches ont montré que les filles57 issues de l’immigration sont les gardiennes de la
langue (DABENE & BILLIEZ, 1984, 1988 ; BILLIEZ, 1985 ; BILLIEZ et al., 2003.a).
En effet, nous avons remarqué que la majorité des filles révèle une nette tendance à
valoriser le bilinguisme tant au niveau individuel que social, cela varie selon l’âge et le
niveau d’instruction ou le niveau socioculturel de la famille. Parmi les déclarations des
enquêtées immigrées/non-immigrées nous avons retenu les propos suivants :
On peut dire qu’on parle plusieurs langues nous les jeunes / on a eu la chance d’être à l’école / il y
a la télé / la situation s’est améliorée on a tout / ce n’est pas comme nous parents / le français les
filles l’utilisent beaucoup même celles qui ne vont plus à l’école elles continuent à le parler
(Sou.F.N-I. 2).
Par rapport à mes frères j’utilise beaucoup la langue du pays / je la parle pas couramment mais
j’emploie des petites phrases / je réponds à mes parents / ici au bled j’essaye de parler en arabe /
57
Cela renvoie également à un type de représentation nommé « proclamation volontariste » (BILLIEZ et al.,
2002). Il faut signaler à ce propos l’importance accordée à cette catégorie – c'est-à-dire les filles – dans de
nombreuses recherches portant sur les représentations et les pratiques langagières des descendants de
l’immigration, voir entre autres, l’article de Jacqueline BILLIEZ & Patricia LAMBERT (2008.a) qui passent en
revu sur les attraits de ce sujet en sociolinguistique.
76
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
enfin j’utilise les deux / en France les jeunes parlent les deux / on a pas appris l’arabe à l’école /
c’est la famille et les vacances ici (Mir.F.I-I. 8).
Les enquêtés issus de l’immigration ont déclaré qu’ils parlent plusieurs langues et
estiment parler une seule langue selon les circonstances. Même si l’arabe dialectal coexiste
avec le français dans le quotidien des immigrés, son usage reste lié aux réseaux sociaux
comme la famille et les amis pratiquant cette langue. Ceci a été signalé par la plupart des
enquêtés qui étaient soumis aux entretiens. Par exemple, dans l’extrait ci-dessous tiré d’un
entretien avec une enquêtrice immigrée (Far.F.I-I. 1) nous constatons que l’emploi et
l’apprentissage de l’arabe dialectal est lié à la mobilité spatiale (cf. BILLIEZ & LAMBERT,
2005). Il en est de même pour (Mir.F.I-I. 9) qui a passé quelques années dans le pays
d’origine des parents et, qui depuis un certains temps fait beaucoup de va-et-vient entre les
deux pays.
Je parle deux langues couramment / ça dépend le français et l’arabe maghrébin / ben je parle le
français quand je suis avec les Français / ah oui avec les Français je ne parle que le français mais
quand je suis avec les Maghrébins c’est vrai je mélange les deux / ah je trouve très bien / parce que
j’avais deux langues à la naissance l’arabe et le français étant donné que ma mère est une immigrée
/ j’ai pas eu des problèmes / je parlais déjà les deux langues quand j’étais en Algérie / j’ai deux
langues maternelles en fait (Mir.F.I-I. 8).
Les sœurs un peu de tout / nahadrou chouwiyya (on parle un peu) arabe chouwiyya (un peu)
français / mais netfahmou (on se comprend) mais beaucoup plus en arabe mais pas l’arabe
littéraire / l’arabe algérien maghrébin (…) le fait de venir chaque année au pays d’origine avec les
parents ça nous a permis d’apprendre beaucoup plus facilement l’arabe ça c’est sûr parce que
comme je disais si on ne venait pas chaque année en Algérie jamais je ne saurais parler comme je le
fais aujourd’hui (…) là on trouve l’occasion c’est de parler en français et en arabe / ben on l’a fait
et ça marche super bien // on parle en verlan c’est des codes / on placera des mots en arabe et ça
marche super bien /// ouais on va dire / mais avant l’Algérie c’était la France // mais je me retrouve
bien parce que je vis en France et je sais parler l’arabe quand même je me sens bilingue (Far.F.I-I.
1).
Ces résultats peuvent donc être pondérés selon le contexte et la situation, de même
que cela peut nous indiquer que la corrélation âge / connaissance des langues est essentielle
pour parler de l’acquisition des formes linguistiques de l’arabe dialectal et du français ainsi
que l’existence d’un français parlé. Notons que la majorité estime connaître en plus de
77
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Les langues que j’ai apprise à l’école / beaucoup d’anglais / six ans d’anglais // niveau scolaire / la
base / c’est vraiment la base scolaire // j’avais également le choix avec l’espagnol que je n’avais
pas pu apprendre car j’ai arrêté l’école au bac // par contre j’ai passé mon bac avec la mention de
choix / l’algérien maghrébin (Far.F.I-I. 1).
Oui je parle plusieurs langues / je parle le français / un peu l’anglais / et l’espagnol // à l’école oui /
oui // et l’arabe c’est notre langue //l’arabe classique pas tellement // à l’école // pour lire un livre /
voilà // l’anglais est une langue internationale pour moi / on l’utilise et on l’apprend avec les gens
qui parlent cette langue // oui on parle un peu le français à la maison surtout avec ma sœur
(Sou.F.N-I. 2).
Je viens en Algérie moi personnellement depuis que j’avais huit ans / chaque année je viens avec
mes parents / sachant que même après huit ans je ne comprenais pas du tout l’arabe / donc
j’écoutais mais pour répondre je ne savais pas répondre / j’observais mes parents / mes tantes / mes
oncles // c’était au fur et à mesure que mes parents me ramenaient en Algérie que j’ai appris
l’algérien / sinon franchement sinon jamais je l’aurais appris / même avec ma mère on parlait en
58
Il s’agit d’un apprentissage scolaire qui concerne les deux catégories confondues (non-
immigrés/immigrés). C’est la raison pour laquelle nous avons écarté certaines questions qui n’étaient pas très
pertinentes ou parce qu’elles étaient trop dirigées.
59
Il s’agit de locuteurs qui comprennent mais qui ne s’expriment pas en anglais ou en espagnol. Même quand
ils tentent d’employer des phrases ou des mots on sent chez eux une attitude d’insécurité linguistique. Lors
des entretiens certains nous ont donné l’exemple des médias (radio et télévision).
60
Pour cette catégorie d’enquêtés nous les avons inscrits parmi les non-immigrés étant donné qu’ils sont
rentrés définitivement avec leurs parents il y a plus de vingt ans alors qu’ils étaient encore enfants pour la
plupart. Même s’ils ne gardent pas beaucoup de souvenirs du pays natal et des expériences individuelles là-
bas, nous soulignons à travers leurs déclarations le sentiment des bilingues ayant acquis les deux langues
naturellement au sein de la société.
78
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
français /elle ne nous comprenait pas / par contre avec mon père on parlait beaucoup le français en
France /mais on parle pas l’arabe tous les jours en tous les cas (Far.F.I-I. 1).
Le français c’est leur langue maternelle // l’arabe c’est leur langue d’origine on va dire / d’origine
de leur parents / c’est pour ça qu’ils restent attachés à cette langue mais il n’y a pas de règles par
ce que nous-mêmes /// voilà c’est une langue familiale // c’est exactement ça (…) ils ont besoin
d’une double culture // c’est un équilibre (Nas.H.I. 4).
J’ai appris à parler les deux langues mais c’était d’abord la langue arabe du fait que mes parents
parlaient l’arabe dans le foyer et partout et surtout lors de mes vacances en Algérie / puis on parlait
un peu de français / mais c’est surtout à l’école que j’ai appris à bien parler cette langue / ce qui
m’a permis d’être bilingue (Sam.H.I-I. 11).
Catégories
Lieux d’apprentissage Non-immigrés Immigrés Total
82,95 % 17,04 %
A l’école 185 38 223
58,82 % 14,61 % 44,24 %
13,79 % 86,21 %
L’école et la maison 28 175 203
11,48 % 67,31 % 40,28 %
38 % 62 %
L’école et la rue 19 31 50
7,78 % 11,93 % 9,93 %
42,85 % 57,15 %
Ecole et les médias 12 16 28
4,92 % 6,15 % 5,55 %
Total 244 260 504
48,42 % 51,58 % 100 %
Tableau 3 : Lieux d’apprentissage du français.
Parmi ceux qui ont déclaré comme lieu unique d’apprentissage du français l’école
on trouve 82,95 % de non-immigrés et 17,04 % d’immigrés. 58,82 % des non-immigrés
ont déclaré qu’ils l’ont appris à l’école contre seulement 14,61 % des immigrés. Il n’est pas
étonnant si 67,31 % des immigrés déclarent qu’ils ont appris le français à l’école et au sein
de la famille contre 11,48 % des non-immigrés. Ceci nous amène à conclure qu’il s’agit
d’un bilinguisme scolaire pour les non-immigrés qui se développe lors des différents
79
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
contacts au sein de la société. Chez les immigrés le français est une langue apprise en
milieu familial au même titre que la langue de la culture d’origine.
Il se trouve que l’apprentissage du français à l’école est bien représenté sur le plan
quantitatif compte tenu des autres possibilités. La majorité des non-immigrés a opté pour
ce choix soit un pourcentage de 58,82 % contre 14,61 % pour les immigrés. Il faut préciser
que parmi les enquêtes (immigrés/non-immigrés) il y a ceux qui ont déclaré aussi l’école et
la maison, l’école et la rue comme lieux d’apprentissage. Parmi les non-immigrés, 11,48 %
ont déclaré qu’ils ont appris le français à l’école et à la maison61 contre 67,31 % des
immigrés. En effet, 11,48 % des réponses des non-immigrés concernent le choix de la
deuxième proposition c'est-à-dire le français appris à l’école et à la maison. Comme nous
l’avons déjà signalé il ne s’agit en aucun cas ici de bilinguisme familial ou du français
langue maternelle62 mais d’un usage qui reste lié au niveau socio-économique et
socioculturel des membres de la famille. Cependant, le taux de 67,31 % correspond aux
réponses des immigrés pour ce choix. L’écart entre les réponses des immigrés et des non-
immigrés sont significatifs et renseignent sur la position des deux langues : langue apprise
à l’école et/ou au sein de la famille. Les représentations en ce qui concerne le lieu
d’apprentissage de ces langues sont en corrélation avec l’aptitude des locuteurs à manier
telle ou telle langue et l’environnement langagier. Si le français est enseigné et appris à
l’école comme langue étrangère (par la quasi-totalité des non-immigrés) pour des fins
scolaires (intellectuelles), pour les immigrés, le français est une deuxième langue apprise
au sein de la famille et développée à l’école. 38 % des enquêtés ont déclaré qu’ils ont
appris le français à l’école et dans la rue chez les non-immigrés contre 62 % des immigrés.
Ce troisième choix est représenté globalement par 7,78 % des non-immigrés contre 11,93
% des immigrés. Parmi les non-immigrés 42,85 % ont déclarés qu’ils ont appris le français
à travers l’école et les médias contre 57,15 % des immigrés. Pour ce qui est du quatrième
61
Nous avons associé l’école aux quatre propositions pour montrer la complémentarité en ce qui concerne
l’apprentissage du français. Que ce soit pour les non-immigrés ou pour les immigrés l’apprentissage scolaire
semble essentiel et renseigne sur les composantes du répertoire verbal.
62
Il n’est pas question de mariages mixtes où l’individu acquiert les deux langues en même temps, il est
plutôt question de l’emploi de deux langues (arabe dialectal/français) qui ont leur place au sein de la société.
Même dans le cas d’un bilinguisme précoce, l’arabe dialectal reste la langue de la première socialisation.
Outre ces considérations, certaines formes bilingues sont acquises à travers l’emploi de l’arabe dialectal qui
compte un nombre important de mots et d’expressions empruntés à la langue française. N’entre pas ici en
ligne de compte la proportion de 03,29 % des sujets qui déclarent avoir appris le français à la maison comme
langue maternelle.
80
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
choix nous constatons que les taux sont relativement bas à comparer avec ceux des trois
premières propositions soit 4,92 % de choix faits par les non-immigrés et 6,15 % par les
immigrés. Ainsi, la rue, les médias et la maison sont des catalyseurs qui amènent les
individus à acquérir d’autres formes pour la communication au sein de la société.
Concernant le français, on peut dire que la coexistence de la langue maternelle (ou de la
culture d’origine pour les immigrés) avec le français privilégie l’acquisition des formes de
communication bilingues. Ces données se combinent de façons différentes selon les
individus, leurs attitudes envers les deux langues et leurs aptitudes à les parler. Outre les
quatre propositions, certains interviewés ont ajouté qu’ils ont appris le français à travers les
voyages et au travail, d’autres ont souligné également l’importance d’Internet dans
l’appropriation de certaines formes du français.
Les jeunes immigrés, installés depuis quelques années en France, pour la plupart,
évoquent le rôle de l’arabe dialectal et du français dans leur vie quotidienne en soulignant
leur aspect utilitaire. Ils considèrent le français avant tout comme langue de
communication nécessaire aussi bien dans le travail que dans les échanges quotidiens tout
en considérant la nécessité de l’emploi de l’arabe dialectal en famille et avec les
Maghrébins. Voici les propos de trois immigrés illustrant le rôle que jouent les deux
langues dans le quotidien des immigrés, il s’agit en l’occurrence de la descendante de
l’immigration ayant participé aux enregistrement des conversations (Far.F.I. 1) et deux
autres immigrés (Nas.H.I. 4) ayant émigré il y a quinze ans et (Moh.H.I. 5) immigré
depuis dix ans :
Au sein de la famille je parle l’argot et le verlan avec l’algérien maghrébin chouiyya menna
chouiyya men (un peu de tout) // je parle avec mes frères l’algérien maghrébin // ben en admettant
je leur demande du café je leur dis du choika / je parle avec ma sœur beaucoup de verlan / par
63
Beaucoup de recherches de terrain de nature qualitative et/ou quantitative ont déjà fait état de l’usage et de
la transmission des langues d’origine par les parents (mères et pères) dans la communication intra-familiale
(DEPREZ, 1994 ; BILLIEZ & DABENE 1984 ; BILLIEZ, 1985, BILLIEZ, et al., 2003.c).
81
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
contre quand je viens ici en Algérie ben je parle un peu de tout français / arabe / mais pas
forcément l’arabe directement ou le français directement / avec les parents / avec ma mère
directement laçreb (les Arabes pour désigner l’arabe) /la langue arabe impossible bach tefhem
(impossible de comprendre) le français donc ça c’est sûr et certain / d’ailleurs quand je suis avec
elle / il faut que je lui fasse comprendre tout / quand elle veut acheter quelque chose ben il faut que
je sois là // par contre ce qu’elle sait faire c’est compter l’argent / elle connaît très bien / d’ailleurs
toutes les mères maghrébines en France elles connaissent super bien l’Euro // elles savent super
bien compter /// Mon père en fait il parle très bien l’arabe / très bien le français / d’ailleurs il est né
ici / par contre il parle aussi patois / ben c’est la langue du Nord-Pas-de-Calais / il parle chtimi //
ensuite les frères ben c’est français / c’est l’argot / le verlan / énormément verlan / c’est des rebeus
/ donc sachant qu’ils sont jeunes / qu’ils sont en France / immigrés / ils parlent énormément l’argot
/// les sœurs un peu de tout / nahadrou chouwiyya (on parle un peu) arabe chouwiyya (un peu)
français / mais netfahmou (on se comprend) mais beaucoup plus en arabe mais pas l’arabe
littéraire / l’arabe algérien maghrébin // avec les voisins maghrébins on parle en français avec eux /
mais avec les Français on parle français mais un français littéraire / il n’y a pas de mots
maghrébins à part de temps en temps ki (quand) on leur dit kif kif yefehmou (ils comprennent) tout
de suite (Far.F.I-I. 1).
Pour la deuxième génération de France // le français c’est leur langue maternelle / le français c’est
leur langue maternelle // l’arabe c’est leur langue d’origine on va dire / d’origine de leur parents /
c’est pour ça qu’ils restent attachés à cette langue mais il n’y a pas de règles par ce que nous-
mêmes /// voilà c’est une langue familiale // c’est exactement ça (Nas.H.I. 4).
Je parle les deux / les deux / avec les Français je parle le français / tu veux dire en France ou en
Algérie / en France je parle le français avec les Français / avec les arabes comme moi / les
musulmans / je parle en arabe / mais en Algérie je parle en arabe / ce n’est pas nécessaire de parler
en français même si beaucoup l’utilisent (Moh.H.I. 5).
Q.C.1- : «Dans quelle(s) langue(s) vous vous exprimez le plus souvent ? – Arabe dialectal
– français. Dites pourquoi ? ».
90,04 % 9,06 %
Arabe dialectal 113 12 125
74,34 % 14,46 % 53,19 %
35,45 % 64,56 %
Français 39 71 110
25,66 % 85,54 % 68,81 %
Total 152 83 235
64,68 % 35,32 % 100 %
Tableau 4 : La fréquence de l’emploi de l’arabe dialectal et du français.
82
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Pour cette question 53,19 % des enquêtés (non-immigrés et immigrés) ont affirmé
qu’ils s’expriment le plus souvent en arabe dialectal, soit 74,34 des non-immigrés et 14,46
% des immigrés. 68, 81 % ont déclaré qu’ils s’expriment le plus souvent en français soit
35,45 % des non-immigrés et 64,56 % des immigrés. Ces pourcentages sont relatifs aux
réseaux dans lesquels les locuteurs sont inscrits et les faisceaux des situations de
communication.
Si l’on compare les résultats obtenus pour les réponses des non-immigrés et des
immigrés, on peut noter des écarts significatifs concernant les deux langues que ce soit
chez les deux populations réunies ensemble ou séparées ou encore pour les taux obtenus
pour chaque langue.
Il en résulte que les enquêtés éprouvent le besoin d’utiliser les deux langues, pour
des fins communicatives et d’intercompréhension comme le montrent ces quatre
propos d’immigrés et de non-immigrés :
Quand j’utilise l’arabe c’est surtout des petites phrases et des mots / des fois je parle l’arabe pour
expliquer / souvent pour expliquer / il y en a beaucoup qui sortent des mots arabes / je pense que ça
c’est normal (Yas.H.I. 6).
On mélange c’est parti tout seul / c’est les jeunes / au fur et à mesure / on parle c’est pour se faire
comprendre / çla khater (parce que) il y a beaucoup d’immigrés qui ne savent pas parler l’arabe //
donc euh yahadrou bel français (ils parlent en français) (Far.F.I-I. 1).
On utilise trop de mots en arabe quand on parle en français // pour que les gens nous comprennent /
on est libre de parler l’arabe à côté du français / on utilise souvent le français et l’arabe / les
commerçants / les jeunes etcetera / les mots français sont très utilisés / on utilise l’arabe et le
français pour que les gens nous comprennent (Sou.F.N-I. 3).
(...) automatiquement pour se faire comprendre on utilise le français // mais généralement nous les
Algériens on utilise beaucoup le dialecte et le français / des fois on commence une phrase en
français et on la termine en arabe ou le contraire / mais parfois on trouve plus de français que de
l’arabe / moi aussi je parle les deux langues en même temps // d’ailleurs c’est le cas de beaucoup
83
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
d’Algériens / c’est naturel / parce que les Algérien maîtrisent les deux langues on est bilingues
(Nad.H.N-I. 12).
De même que le choix d’une des deux langues est nécessaire sur les plans
socioprofessionnel et intellectuel comme diraient certains immigrés, (Nas.H.I.4) par
exemple, à propos de l’évitement de l’arabe dialectal et la nécessité de l’emploi du français
avec ses collègues français :
En présence d’un Français je parle rarement en arabe / rarement / ça m’arrive pour des termes /
qu’on ne peut pas faire passer en français // oui mais après en essayant de leur faire comprendre
des termes / parce qu’il y a des termes qu’on ne peut pas traduire / ça m’arrive souvent oui !
(Nas.H.I. 4).
64
Plusieurs recherches ont montrées la place qu’occupe l’arabe maghrébin (l’algérien, le tunisien et le
marocain) au sein du paysage linguistique en France (CAUBET, 2004, 2007 ; BARONTINI, 2007).
84
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
57,99 % 42,01 %
Oui 98 71 169
64,47 % 85,54 % 71,91 %
83,33 % 16,67 %
Non 10 2 12
6,58 % 2,41 % 5,11 %
81,48 % 18,52 %
Avec des restrictions 44 10 54
28,95 % 12,05 % 22,98 %
Total 152 83 235
64,68 % 35,32 % 100 %
Tableau 5 : Le français comme langue de communication.
Par ailleurs, 6,58 % des non-immigrés ne considèrent pas le français comme langue
de communication, il s’agit de différentes catégories de jeunes, ceux qui ont quitté l’école
très tôt, ceux qui considèrent l’usage du français comme facultatif et ceux qui manifestent
une attitude négative par rapport à la langue française tant au niveau social qu’au niveau
individuel. La cause du rejet chez certains est liée à leur compétence jugée inadéquate.
85
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
C’est la langue du Coran et de tous les musulmans on l’entend surtout à la radio et à la télé (…) le
français je le parle pas toujours / il est toujours présent / j’hésite beaucoup / j’ai peur parfois / et je
suis / nKhaf naghlet (j’ai peur de me tromper) (…) ça dépend avec qui on emploie les deux langues
/ les gens ne font pas la différence entre l’arabe de l’école et l’arabe dialectal / quand on sait pas
parler une langue / on choisi la plus facile / la plus utilisée et on abandonne l’autre moi j’aimerais
bien parler en français mais puisque je ne sais pas le faire / je préfère l’arabe dialectal / même
l’arabe de l’école je ne le maîtrise pas bien et je ne l’emploie pas toujours (Ama.F.N-I. 101).
C’est la deuxième pour moi après l’arabe // l’arabe parlé / le dialectal // par contre on ne parle
jamais l’arabe classique à la maison / c’est toujours à l’école // c’est la langue des pratiques
religieuses / on est musulmans ça reste notre langue même si on la pratique pas couramment (Kha.
F.N-I. 2).
La France nous a pas aidés pour rester Arabes pendant la colonisation / en parlant la langue arabe
avec les immigrés de la deuxième de la deuxième ou la troisième génération / ils se sentent mieux /
ils ressentent qu’ils appartiennent à cette culture arabo-musulmane ou arabe / donc le fait qu’ils
comprennent l’arabe / la culture pour eux elle est un petit peu étrangère (Abdel.H.I. 7).
Nous pouvons souligner une position idéologique orientée vers l’arabité qui
implique une vision monolithique stéréotypée, et une attitude d’insécurité linguistique qui
se rapporte à l’auto-évaluation de la compétence langagière. Cependant, des attitudes
paradoxales du rejet du français ne concernent pas seulement l’insécurité due à
l’incompétence, il est d’autres faits liées aux représentations des francisants et l’absence du
français dans l’environnement social des sujets. Les immigrés quant à eux considèrent le
français comme la langue de leur quotidien et de leur pays natal ou de résidence.
86
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Sur l’ensemble des enquêtés non-immigrés 74,34 % estiment que le français est
présent dans les conversations quotidiennes contre 25,66 % qui ont déclaré le contraire.
Ces proportions correspondent au résultat négatif obtenu dans la question (Q.C-2.a) qui est
de 5,58 %. Quant aux enquêtés immigrés 74,69 % déclarent que l’arabe dialectal est
présent dans leurs conversations contre 25,31 % qui ont répondu par non. A première vue
ces résultats confirment l’hypothèse du mélange de l’arabe dialectal et du français chez les
immigrés et les non-immigrés.
Pour les deux catégories réunies ensemble 74,47 % ont répondu par oui soit 67,57
% des non-immigrés et 34,43 % des immigrés contre seulement 25,53 % ayant répondu par
non soit 65 % des non-immigrés et 35 % des immigrés.
87
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Parmi les enquêtés non-immigrés 76,31 % ont affirmé que l’usage du français
concerne les mots, les phrases et une partie de la conversation. 23,69 % ont opté pour les
deux dernières propositions (c'est-à-dire toute la conversation). Ces chiffres parlent d’eux-
mêmes et montrent à quel point les enquêtés sont conscients de la fréquence de l’emploi
des mots et des phrases (énoncés) du français ou de l’arabe dialectal dans les
conversations. Nous pouvons conclure à travers les attitudes des sujets interviewés que
cette omniprésence du français est inhérente pour le bon déroulement des conversations.
(Voir infra les propos de certains enquêtés).
L’arabe dialectal est, selon les déclarations de certains enquêtés immigrés, présent
dans leurs conversations quotidiennes. Les chiffres obtenus jusque-là montrent la valeur
utilitaire de l’arabe dialectal dans le quotidien des immigrés du moins dans un cadre
familial65. Notons que 86,68 % estiment que la présence de l’arabe dialectal concerne les
mots, les phrases et une partie de la conversation contre 31,32 % pour toute la
conversation. Effectivement, les chiffres reflètent assez bien l’importance de l’insertion des
éléments d’une langue dans l’autre et permettent d’envisager le poids de l’emploi alterné
des deux langues. 73,61 % des enquêtés immigrés/non-immigrés estiment que la présence
de l’arabe dialectal ou du français concerne (selon la première langue des enquêtés) les
mots, les phrases et une partie de la conversation, contre seulement 26,39 % pour toute la
conversation.
65
Plusieurs études ont déjà montré le rôle que joue l’arabe dialectal au sein des familles algériennes en
France et ce, malgré la prépondérance du français dans les conversations quotidiennes (BILLIEZ & MERABTI,
1990 ; DEPREZ, 1999, 2000).
88
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Q. C-3. a- : « Avec qui préférez-vous utiliser (parler en) le français / l’arabe dialectal et
où ? ».
Avant de passer à l’analyse des résultats de cette question, il faut préciser que,
parmi les enquêtés non-immigrés/immigrés, beaucoup se sont demandés s’il y a une
différence entre parler et utiliser une langue. Posée de cette façon, la question prend une
dimension profonde qui conduit à mesurer le degré de conscience des enquêtés et la
pertinence du questionnement, surtout que certains ont précisé qu’ils parlent le français
mais qu’ils ne le pratiquent que dans des situations et des contextes spécifiques. Ainsi, la
différence entre les sujets qui savent parler en français sans le pratiquer ou l’utiliser
fréquemment et ceux qui parlent en français et le pratiquent couramment, se dessine une
différence de compétence, ce qui permet de distinguer des sujets bilingues qui emploient
les deux langues différemment dans des situations de communications différentes. Dans les
deux cas l’alternance codique prend la forme d’un parler bilingue parce que parler, utiliser,
connaître et comprendre une langue sont des faits qui font que le sujet parlant est en
mesure de recourir à telle ou telle langue et/ou la mélanger. C’est pourquoi le recours à
l’analyse des répertoires verbaux est nécessaire pour mesurer les clivages entre les
déclarations et l’usage réel de la/les langue(s).
89
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
A travers ces affirmations, nous pouvons dire que l’idée de préférence et celle de
l’emploi du français est révélatrice surtout si l’on sait que les autres questions ont donné
des résultats par lesquels on peut expliquer la place qu’occupent le français et l’arabe
dialectal dans le quotidien des locuteurs et les représentations qu’ils se font. Le français est
donc présent partout en Algérie dans le quotidien, comme nous l’avons souligné plus haut,
de façon plus ou moins spécifique, aux côtés des autres langues. L’emploi généralisé de
ces langues n’est pas sans conséquences sur les pratiques langagières et les attitudes des
locuteurs. En effet, la concurrence et le sentiment d’insécurité linguistique sont deux faits
tangibles qui résultent de cette situation que l’on peut qualifier d’asymétrique. Il est
essentiel de lever toute ambiguïté concernant l’idée d’insécurité linguistique ; il faut
l’examiner sous l’angle de la diversité pour se rendre compte de l’ampleur de la complexité
de ce fait. Beaucoup de locuteurs se sentent gênés quand ils ne savent pas répondre en
français, d’autres trouvent le français parlé par leurs interlocuteurs comme fautif et
inadéquat. Quant aux recours fréquents au français, certains le considèrent comme moyen
pour s’en sortir et afficher une compétence langagière bilingue lors des conversations et
sauver la face surtout avec les filles, comme l’a affirmé un jeune enquêté qui travaille dans
une banque :
Le français est une langue qui a une valeur importante pour travailler si tu maîtrises le français tu
es bien vu / on te considère bien compétent // avec les gens aussi / si tu parles français tu es bien vu
/ avec les fille le français c’est quelque chose bien / avec une fille si tu parles mal le français c’est
dévalorisant et c’est vexant (Nour.H.N-I. 12).
Au-delà de toutes les considérations évoquées on peut dire que l’évaluation des
façons de parler, le choix et la préférence d’une langue plutôt que d’une autre relèvent de
la conscience linguistique des locuteurs qui évoluent dans les espaces bi-plurilingues, tel
est le cas de nos enquêtés non-immigrés/immigrés. Malgré les écarts existants entre les
déclarations des non-immigrés et des immigrés, il existe une grande ressemblance qui nous
amène à les considérer bilingues ou du moins disposant d’une compétence bilingue en
construction.
90
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
91
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Pour ce qui est de l’auto-évaluation des compétences de la part des immigrés 21,68
% des enquêtés déclarent qu’ils parlent « très bien » l’arabe dialectal, 42,17 % « bien »,
18,07 % « plus ou moins bien », 13,26 % « moyennement bien ». La combinaison des deux
mentions « très bien » et « bien » permet d’obtenir un taux de 63,85 %. La somme des
deux autres à savoir « très bien » et « moyennement bien » est de 31,33 %. En outre, des
écarts soulignés entre le taux obtenu à travers la mention « bien » qui est 42,17 % et le
dernier pour la mention « mal » qui est de 4,82 %, ressort que les immigrés se considèrent
comme bilingues.
Il est intéressant de constater sur l’ensemble des données relatives aux deux
catégories (immigrés et non-immigrés), que les deux mentions « bien » et « moyennement
bien » représentent 52,76 %. La comparaison des chiffres en ligne horizontale
correspondant au total des réponses par mention nous permet également de rendre compte
du degré de compétence bilingue selon l’auto-évaluation que les enquêtés font de leur
deuxième langue (l’arabe dialectal pour les immigrés et le français pour les non-immigrés).
Cela relativise un peu l’insécurité linguistique mentionnée plus haut.
92
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Q.C-3.b- : « Comment vos interlocuteurs parlent-ils le français (l’arabe dialectal pour les
immigrés) ? Très bien- bien- plus ou moins bien- moyennement bien- mal ».
93
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
L’évaluation des compétences des autres quant à l’emploi de l’arabe dialectal chez
les immigrés montre que 37,35 % estiment que leurs interlocuteurs immigrés parlent « plus
ou moins bien » l’arabe dialectal, 25,54 % pensent qu’ils le « parlent bien », 14,46 % « très
bien », 10,84 % « moyennement bien » et 4,81 % « mal ». La combinaison de ces
tendances, notamment celles relatives à « moyennement bien », « très bien », « bien », et
« plus ou moins bien », nous amènent à postuler l’existence d’un bilinguisme arabe
dialectal/français ou du moins un degré de bilinguisme qui peut se concrétiser par
l’alternance codique.
Nous constatons chez les immigrés et chez les non-immigrés que l’évaluation de la
compétence des interlocuteurs en langue 2 (le français pour les non-immigrés et l’arabe
dialectal pour les immigrés) reflète tout de même l’existence d’une compétence bilingue de
part et d’autre. Les chiffres obtenus pour les deux catégories réunies ensemble le
confirment : 14,89 % des enquêtés estiment que leurs interlocuteurs parlent « très bien » la
deuxième langue (soit 65,71 % concernant le français pour les non-immigrés et 39,29 %
concernant l’arabe dialectal pour les immigrés), 18,31 % estiment que leurs interlocuteurs
parlent « bien » (soit 37,21 % concernant le français pour les non-immigrés et 26,75 %
concernant l’arabe dialectal pour les immigrés), 25,11 % estiment que leurs interlocuteurs
parlent « plus ou moins bien » (soit 47,45 % concernant le français pour les non-immigrés
et 52,55 % concernant l’arabe dialectal pour les immigrés), 30,58 % estiment que leurs
interlocuteurs parlent « moyennement bien » (soit 70,97 % concernant le français pour les
non-immigrés et 29,03 % concernant l’arabe dialectal pour les immigrés) et enfin, 28,51 %
des enquêtés estiment que leurs interlocuteurs parlent « mal » (soit 94,03 % concernant le
français pour les non-immigrés et 5,97 % concernant l’arabe dialectal pour les immigrés).
94
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Q.C-4- : « Que représente le français (l’arabe dialectal pour les immigrés) dans votre
entourage ? Seulement un moyen de communication, une langue de prestige, une langue
privilégiée, une langue des usages occasionnels, une langue utilisée à égalité avec la
première langue ».
La plupart des enquêtés ont coché au moins deux propositions : 28,94 % des non-
immigrés considèrent le français comme « un moyen de communication », 34,21 % comme
« langue de prestige », 17,12 % comme « langue privilégiée » ; ces proportions
correspondent grossièrement aux résultats obtenus relatifs aux questions de choix, de
préférence et de compétence. Ainsi pour les deux autres propositions, on a 11,84 % pour
« langue des usages occasionnels » et 7,89 % pour « langue utilisée à égalité avec la
première langue », une fois de plus, ces proportions sont à retenir pour la mise en évidence
de la présence de l’arabe dialectal à côté du français et de l’emploi différentiel de ce
95
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
dernier. Cependant, ces proportions ne font que renvoyer aux diverses situations et aux
pratiques possibles de(s) la langue(s) en question déterminées par les fonctions et les
attributs auxquels elle(s) est (sont) assujettie(s).
Il en est de même pour l’arabe dialectal qui est considéré pour la plupart des
immigrés soit comme langue maternelle (langue de première socialisation) soit comme
langue des origines. Si l’on admet, à l’instar des déclarations, la langue comme indice
d’appartenance identitaire, la combinaison entre les taux suivants : 38,56 % pour « langue
de prestige », 21,68 % pour « langue privilégiée » et 29,05 % pour « utilisée à égalité avec
la première langue » semble être significative.
Pour les deux catégories réunies ensemble 23,43 % considèrent que le français
(pour les non-immigrés) et l’arabe dialectal (pour les immigrés) « seulement moyen de
communication » (soit 78,57 % des non-immigrés et 21,43 % des immigrés), ceci nous
permet de considérer le français comme une deuxième langue à côté de l’arabe dialectal ;
alors que chez les immigrés d’autres considérations rentrent en jeu à savoir le prestige
accordée à l’arabe dialectal en tant que langue privilégiée dans la sphère familiale et en
tant que composante culturelle et symbolique importante. Ainsi, 35,74 % considèrent les
deux langues comme langues de prestige (soit 34,21 % pour le français chez les non-
immigrés et 38,56 % pour l’arabe dialectal pour les immigrés). Parmi ceux qui considèrent
le français et l’arabe dialectal comme « langue de privilégiée » on trouve 59,09 % des non-
immigrés (pour le français) et 40,91 %des immigrés (pour l’arabe dialectal) ce qui explique
la place privilégiée qu’occupe chacune des deux langues à côté de la première langue
(courante) des enquêtés. Dans notre échantillon, la deuxième langue est l’objet de
représentations valorisantes et symboliques, elle est présentée comme nécessaire pour la
communication même si 12,34 % des enquêtés la considèrent comme langues « des usages
occasionnels » (soit 62,07 % concernant le français pour les non-immigrés et 37,93 %
concernant l’arabe dialectal pour les immigrés et enfin 9,37 % estiment que la deuxième
langue est « utilisée à égalité avec la première langue ».
96
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Même ceux qui n’ont pas répondu affirmativement aux autres questions relatives à
l’emploi, au statut et au choix du français, ont répondu par oui à cette question. Le mélange
est entendu comme un phénomène à part, qui n’a aucun lien avec l’emploi du français,
certains de nos enquêtés diront :
J’ai appris cette langue à l’école tout le monde l’utilise / mes frères et ma sœur parlent aussi le
français / il faut dire que j’utilise beaucoup de mots en français / kamel ennas yahadrou hakda
97
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
(tout le monde parle comme ça) / oui c’est le mélange des deux / kayen (il y a) des mots
naharouhoum ghil belfrançais (qu’on utilise qu’en français) toualefna hakda (on s’est habitué)
(Ama.F.N-I. 10).
Avant j’employais des mots // on utilise trop de mots en arabe quand on parle en français (…) oui
on utilise beaucoup de mots français / avec les commerçants etcetera / j’estime que je suis bilingue /
même quand on parle l’arabe et on ajoute des mots français (Sou.F.N-I. 3).
Q.D-2. : « Préférez-vous utiliser l’une des deux langues (l’arabe dialectal et le français)
ou les deux à la fois ? Dites pourquoi ? ».
C’est spontané / on ne peut pas ne pas mélanger / on utilise souvent les deux langues (Sou.F.N-I. 3).
On mélange c’est parti tout seul / c’est les jeunes / au fur et à mesure / on parle c’est pour se faire
comprendre / çla khater (parce que) il y a beaucoup d’immigrés qui ne savent pas parler l’arabe //
donc euh yahadrou bel français (ils parlent en français) // wkayen (et il y a) des mots très simples //
très faciles arwaH koul (viens manger) // kif kif // chkoun (qui) / tdjihoum sahla (c’est plus facile
pour eux) donc ils font rentrer dans leurs phrases / avec les immigrés c’est pour faciliter la
communication / malgré s’il savent parler l’arabe ils préfèrent mélanger parce que c’est devenu
naturel maintenant et ça deviendra naturel / dans quelques années de parler français arabe
(Far.F.I-I. 1).
Autant de propos qui montrent les implications sociales du fait qui sont davantage
liés à la conscience collective et aux habitudes verbales, ce qui explique le choix délibéré
et la spontanéité dans bien de cas. En revanche, certains traits soulignés dans le
métadiscours des enquêtés sont moins significatifs par rapport à leur compétence dans telle
ou telle langue, il s’agit d’un idéal souhaité dû à la préférence de la langue qui a du
prestige selon eux, et qui donne lieu à la stigmatisation d’une des deux langues. Voici un
98
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
propos différent d’un enquêté qui montre sa préférence en définissant les deux langues non
pas par rapport à l’usage qu’il en fait mais par rapport à un choix délibéré nourri d’attitudes
et de représentations valorisantes :
Je souhaite que tout le monde emploie le français // le français c’est bien / on trouve du français
dans l’arabe / je parle l’arabe dialectal couramment mais je préfère le français l’arabe classique je
le comprends mais je ne le parle pas bien / j’ai du mal / je l’ai mal appris (Kha.F.N-I. 2).
Ainsi, les représentations stéréotypées sont à combiner avec l’emploi réel selon les
situations dans lesquelles l’individu agit. D’autant plus que beaucoup d’enquêtés en parlant
de l’arabe confondent l’arabe classique et l’arabe dialectal.
Q.D.3- : « Avez-vous l’impression que vous-même, vous mélangez les deux langues ? Si
oui, dites pourquoi ? ».
Les réponses dégagées ont la caractéristique de fournir des explications sur l’aspect
grégaire souligné plus haut, car même quand il s’agit d’une question destinée à donner une
opinion sur soi, les enquêtés évoquent le groupe sans donner des raisons personnelles
concernant le mélange. Parmi ceux qui ont répondu par « oui » on trouve 63,51 % des non-
immigrés 36,49 % ayant des immigrés. Parmi les 19,22 % qui ont répondu par « non » on
trouve 75 % des non-immigrés et 25 des immigrés. Ainsi, le mélange est considéré pour la
plus part comme étant une pratique prédominante. Par conséquent, malgré les remarques
99
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
faites au sujet des choix et des préférences, les discours des enquêtés restent significatifs
pour parler de la conscience linguistique tant sur le plan individuel que collectif. Il en
résulte que les enquêtés montrent des attitudes positives, beaucoup se réfèrent à ce qu’ils
appellent mots français ou étrangers (les emprunts) en évoquant les habitudes acquises. A
ce sujet, nous pouvons parler de deux types d’attitudes, une attitude de compromis entre les
membres de la communauté qui considèrent certaines formes comme purement françaises
et d’autres, parce que très peu connues (parce que intégrées et accommodées) comme
formes appartenant à l’arabe dialectal. En outre, une attitude contestatrice, qui concerne
surtout l’emploi des mots et des phrases considérés comme formes françaises. D’où les
expressions qui reviennent dans le discours de la plupart des sujets enquêtés non-immigrés
dès qu’il est question de l’arabe algérien (français cassé, mélange, arabe francisé, français
arabisé, etc.).
Pour ce qui est du mélange des langues par les enquêtés immigrés, les tendances
restent plus proches de celle obtenues chez les non-immigrés et celles obtenues dans la
question (Q.D-1.a). Les taux de 92,77 % pour « oui » et 7,23 % pour « non » chez les
enquêtés immigrés révèlent que le mélange est une pratique courante aussi bien chez les
immigrés que les non-immigrés.
Lors des entretiens, toutes les questions liées à l’emploi, les préférences, le choix et
la fréquence de telle ou telle langue, ont entraîné des commentaires lourds de sens, sans
doute, à cause de l’importance de la question du pluralisme linguistique qui est liée à
l’identité et aux exigences socioéconomiques, ce qui montre qu’il y a une prise de
conscience de la part des enquêtés. A cet égard, les points de vue convergent, la plupart des
réponses se rapportent à l’emploi courant d’une langue parlée qui favorise le mélange dû
selon eux aux habitudes et à l’omniprésence du français en Algérie ou encore de l’arabe
dialectal dans l’environnement des immigrés en France :
Ils préfèrent mélanger parce que c’est devenu naturel maintenant et ça deviendra naturel / dans
quelques années de parler français arabe / même de parler l’argot // ça deviendra naturel ça j’en
suis sûre / avec les immigrés bien sûr / par contre avec les Algériens en Algérie / je parle arabe en
tout cas j’essaye de parler arabe // je fais des efforts // dans les commerces je parle les deux
(Far.F.I-I. 1).
Je mélange aussi les deux selon les circonstances / voilà / j’ai eu le privilège de cette double culture
/ lorsque je suis venu au monde j’ai appris à parler les deux langues mais c’était d’abord la langue
100
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
arabe du fait que mes parents parlaient l’arabe dans le foyer et partout et puis on parlait un peu de
français (...) oui ici en Algérie il y a plein de gens qui parlent bien le français c’est la deuxième
langue / même ceux qui la parlent pas couramment ils la comprennent / c’est vrai beaucoup
d’Algériens mélangent les deux et je trouve ça bien parce que ça facilite la communication / les
immigrés eux aussi les deux mais c’est pas comme les gens d’ici / moi aussi je mélange (Sam. H.I-I.
11).
Q.D-4.b- : « Comment qualifiez-vous les phrases ou les mots du français que vous
mélangez avec l’arabe dialectal et vice versa ? – corrects – incorrects – simplifiés –
particuliers (originaux) – autres. »
101
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
un certain français mélangé avec l’arabe dialectal, parler un français arabisé, parler le
français à l’algérienne.
Parmi les enquêtés non-immigrés 28,29 % considèrent les mélanges des deux
langue comme « correct », 14,47 % « incorrect », 34,22 % « simplifié » et 23,02 %
« particulier et original ». Il est intéressant de souligner chez les enquêtés immigrés que
43,37 % estiment que leur emploi des deux langues côte à côte comme « correct » contre
14,45 % qui pensent le contraire c'est-à-dire « incorrect ». Par ailleurs, 20,48 % estiment
que leur pratique du mélange est « simplifiée » contre 21,68 % qui les trouvent
« particulière et originale ».
67
Le FPA ou le français parlé en Algérie (CHERRAD-BENCHEFRA, 1995 ; DERRADJI, 1995, 1996) représente
un état de fait spécifique à partir duquel on désigne la situation des locuteurs qui parlent en français en
utilisant des formes purement françaises et des formes abrégées ou hybridées, par ailleurs Ambroise
QUEFFELEC (2008) parle de francarabe pour désigner en fait les parlers mixtes résultant de la diglossie
postcoloniale.
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Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Q.D-5. : « Quand vos interlocuteurs utilisent (mélangent) les deux langues dans leurs
conversations, trouvez-vous cela : - tout à fait normal - nécessaire - exagéré - inadmissible
- autres. »
Parallèlement aux deux questions précédentes, nous constatons que les tendances
confirment l’existence et la nécessité de l’emploi alternatif des deux langues.
Nous constatons que les chiffres obtenus à travers les réponses des immigrés sont
assez proches que ceux obtenues avec les non-immigrés. Cette tendance permet encore une
fois de confirmer que l’alternance codique est une pratique courante chez les immigrés et
non-immigrés.
En dépit des données chiffrées et les commentaires sur le degré de compétence qui
concernent le français parlé seul, les sujets parlants (immigrés/non-immigrés) semblent se
plier aux exigences du marché linguistique et ce qu’il offre comme possibilités pour que
l’interaction soit assurée. Chacun apprécie l’expression des autres en donnant un avis, soit
directement, soit indirectement. D’après certains, parler uniquement en français peut être
ressenti comme fait exagéré, il ne l’est pas en revanche pour d’autres car ils perçoivent la
langue française seulement comme un moyen de communication ancré dans les pratiques
103
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
langagières. Qu’elles soient mélangées ou non quand la communication est assurée, on est
satisfait diront certains. Le nombre d’enquêtés immigrés/non-immigrés qui considèrent le
mélange des deux langues de la part de leurs interlocuteurs comme tout à fait normal et
nécessaire, indique que le français associé à l’arabe dialectal est représenté dans la
conscience des enquêtés avant tout comme moyen de communication.
Sur l’origine sociale68 des enquêtés il y a lieu de se demander s’il s’agit d’un fait
qui révèle ou pas des indices pour la mise en relief des caractéristiques linguistiques des
locuteurs et de leurs attitudes envers la norme. Si on part du principe qu’il existe toujours
une origine endogène et une origine exogène déterminées par le contexte géographique et
les réseaux à l’intérieur desquels l’individu évolue, on aura à dire dans le cas des locuteurs
algériens que c’est un paramètre déterminant des représentations des uns et des autres
selon qu’ils habitent un espace urbain ou un espace rural ou qu’ils soient immigrés ou non.
Dans les grandes villes, la fréquence de l’emploi du français seul ou mélangé avec l’arabe
dialectal par les locuteurs diffère de celle obtenue chez ceux qui habitent les petits villages
où le français est ressenti comme une langue étrangère, le discours des sujets interviewés le
montre clairement. A la différence des sujets qui fréquentent souvent la ville, pour des
raisons multiples : professionnelle, scolaire et personnelle, ceux qui se déplacent très
rarement ont des représentations stéréotypées du parler des jeunes habitant la ville. Ils
qualifient le langage de la ville de « langage des civilisés, langage de bourgeois, langage
qui manque de virilité » de par ces clichés liés à la variation, il y a aussi le fait que le
français est d’un usage que certains rejettent sans raisons valables. De même, les autres
68
Nous entendons par là l’appartenance à des milieux socio-économiques et professionnels différents
favorisés et défavorisés.
104
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
variables (âge, sexe, profession) jouent un rôle capital en ce qui concerne les attitudes et
les représentations chez les locuteurs algériens.
Nous avons constaté chez certains interviewés que les représentations sont liées à
leur formation scolaire et/ou universitaire.
Par rapport aux données relevées des enquêtes par questionnaire, il nous est apparu
opportun d’introduire, une analyse des attitudes et des représentations à partir des
conversations ordinaires qui constituent notre corpus d’étude et concernent les trois
locutrices l’immigrée et la non-immigrés. Nous avons en effet relevé dans certaines de
leurs conversations des éléments intéressants sur le bilinguisme et sur l’alternance codique
arabe dialectal/français. Il s’agit de moments sensibles, où les questions linguistiques sont
évoquées lors des interactions, comme le montre l’extrait 1 (C.4) où Farida la locutrice
issue de l’immigration (F.ii.) parle avec ses partenaires non-immigrées Amaria (A.ni.) et
Linda (L.ni.) de ses capacités bilingues et celle de sa famille acquises dans son entourage
qu’elle qualifie de bilingue correspondant à un bilinguisme familial.
Extrait 1, (C.4)
F.ii. 299 : kayen elli (il y en a qui) il vit comme + à la française + nous on
dit ils vivent à la française + moi ça va lHamdoullah ! (Dieu
soit loué) + j’ai grandit dans une famille + très + très
musulmane ++ franchement nous ça va on a grandit autour des
nous +++ avec mes frères et sœurs on parlait tous arabe et
français les deux en fait maman et mon père et on parlait en
français
A.ni. 300 : même ton frère le p’(e)tit
F.ii. 301 : oui même le pEtit en fait ma mère Tahdar mçana:: (elle nous
parle) en arabe beSSaH (mais) mon père yhdar mçana (il nous parle) en
français ++ parce que c’est nous on a pris l’habitude de
parler avec mon père en français beSSaH houma weld el bled
chettou (mais eux les enfants du pays vous avez vu)
A.ni. 302 : < ------- ?> pris [les deux
F.ii. 303 : [on a pris les deux langues
A.ni. 304 : [l’arabe et le français ?
F.ii. 305 : ouais franchement les deux + on est bilingue + même parfois/
L.ni. 306 : ghaya hakda (c’est bien comme ça)
F.ii. 307 : parfois on est trilingue
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Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Cet extrait tiré de la conversation (C.4), illustre une autre dimension liée aussi bien
aux représentations qu’à la conscience linguistique. Celle-ci est tributaire dans le cas des
locuteurs issus de l’immigration, de la valorisation du plurilinguisme par la construction de
représentations positives sur les langues et sur l’identité bilingue dans le cadre du système
éducatif (BILLIEZ, 2002 ; BILLIEZ & LAMBERT, 2008.b). Dans de telles situations le
sentiment d’avoir une compétence bilingue permet de valoriser l’asymétrie des répertoires
verbaux en situation de contact de langue en essayant de la compenser par l’alternance
codique (DABENE, 1994 : 95).
Extrait 2, (C.1)
A.ni. 541 : élla çla khaTer ki (non parce que quand) [comme on dit
F.ii. 542 : [hadri bel çarbiyya (parle en
arabe)
A.ni. 543 : zeçmak ++ ki ntina tkoun tekhdem ++ bentek kifach ? < --- ---
?> (soi-disant ++ quand tu es au travail + ta fille comment ?)
Nous constatons à travers cet exemple (extrait d’une conversation ordinaire) que le
contrôle interactionnel de la part de Farida l’a amenée à proposer à sa partenaire de parler
en arabe tout en formulant son énoncé en arabe dialectal « hadri bel çarbiyya » (parle en
arabe). Cette requête montre non seulement la prise en compte des pannes linguistiques ou
interactionnelles de sa partenaire mais aussi de la possibilité de recourir à une des deux
langues chaque fois qu’il est nécessaire de le faire. Lors des entretiens avec les deux
locutrices (Far.F.I-I.1 : issue de l’immigration et Ama.F.N-I.11 : non-immigrée), nous
avons souligné à travers leurs déclarations ci-dessous sur les usages des deux langues,
qu’elles sont bilingues et qu’elles alternent les deux langues. Ce qui est fondamental dans
les déclarations de Farida et d’Amaria c’est la valorisation de l’alternance codique comme
résultat de la connaissance des deux langues et de leur existence côte à côte.
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Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Je parle et je comprends les deux langues / il m’arrive d’employer les deux ici en Algérie et en France, je les
mélange quand je ne trouve pas les mots pour dire quelque chose / pour expliquer / c’est ça en fait einh
(Far.F.I-I. 1).
Depuis mon jeune âge je parle l’arabe et le français / parfois je n’ai pas le choix / même quand je parle en
arabe dialectal j’emploie des expressions et des mots du français c’est une habitude / ce n’est pas grave /
l’essentiel je comprends et ils me comprennent (Ama.F.N-I. 10).
Extrait 3, (C.1)
F.ii. 398 : parce qu’il nous met des cassettes du coran mais on ne
comprend pas +++ rien de A à Z walou :: (rien)
A.ni. 399 : walou (rien) < ----- ?> tu parles bien l’arabe !
F.ii. 400 : je parle bien l’arabe parce que c’est des mots entre
guillemets + c’est l’argot + c’est l’argot c’est [l’arabe
familial (elle veut dire par là familier)
A.ni. 401 : [et lçarbiyya el foSHa tina matefhemhach ? (l’arabe classique tu ne le
comprends pas ?)
F.ii. 402 : [ellougha él çarabiyya ? (la langue arabe classique?)
A.ni. 403 : ellougha él çarabiyya ! (la langue arabe classique!)
F.ii. 404 : non::! rien + rien ++ rien
A.ni. 405 : tu l’as appris à l’école ?
F.ii. 406 : < ----- ?> oui quand j’étais toute petite mais on a pas hadik
(cette) la langue Hna (nous) + la deuxième langue [c’est
l’anglais
A.ni. 407 : [l’anglais !
F.ii. 408 : [franco ++ euh franco-anglais + mais vraiment +
vraiment quand je met hakka (comme ça) le Coran à la maison ++
j’ai vraiment < ----- ?> + je comprends j’aimerais apprendre
[le Coran
69
Voir à ce sujet Dominique CAUBET (2004, 2007).
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Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Bien que ces données ne disent rien sur la conversation bilingue et/ou exolingue
entre immigrés non-immigrés et sa régulation en termes qualitatifs, leurs significations
orientent le point de vue vers une perspective qui met l’accent sur le rapport entre les
usages et les représentations sociales envers l’emploi différentiel des langues en situation
plurilingue.
108
Première partie Cadrage général et étude préliminaire de la conscience linguistique…
Nous dirons enfin qu’il y a une part de conscience linguistique affichée dans les
dires des enquêtés impliquant une sensibilité linguistique liée à la place de chacune des
deux langues et à un bilinguisme jugé nécessaire voire légitime. Par ailleurs, l’alternance
codique semble être valorisée par la quasi majorité des enquêtés, immigrés comme non-
immigrés comme un moyen nécessaire dans la communication.
109
DEUXIEME PARTIE
______________________________________________________
______________________________________________________
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
DEUXIEME PARTIE
Cette partie est composée de deux chapitres. Le premier est centré sur l’analyse de
quelques caractéristiques des pratiques langagières des trois locutrices en relation avec
l’appropriation de nouveaux éléments des deux langues, compte tenu des asymétries des
répertoires et l’impact que peuvent jouer les interactions dans le développement d’un parler
bilingue. Nous mettrons ainsi l’accent sur l’ensemble des phénomènes qui servent
d’indices pour caractériser les conversations entre l’immigrée et ses partenaires non-
immigrées ainsi que les éléments qui interviennent dans le développement d’un répertoire
bilingue voire dans le parler bilingue. Le second chapitre sera consacré à une analyse
quantitative portant sur les énoncés produits et reçus par les trois locutrices. L’objectif de
la quantification des unités de la conversation est de caractériser les choix de langues
opérés par les locutrices ainsi que le poids de l’alternance codique dans leurs échanges
langagiers. Par ailleurs, la fréquence de l’emploi de l’une ou l’autre langue ou des deux à la
fois nous amène, eu égard à l’asymétrie des répertoires, à rendre compte de l’adaptation de
chacune des trois locutrices à ses partenaires.
110
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
CHAPITRE 1
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux pratiques langagières des trois
locutrices : d’une part, pour étudier ce qui favorise l’acquisition des éléments de L2 en
interaction, d’autre part, pour décrire les comportements linguistiques et le développement
du répertoire au sein du groupe où les deux langues sont utilisées différemment (de la part
de l’immigrée et de ses deux partenaires non-immigrées). Les travaux qui portent sur le
rôle des interactions dans l’appropriation d’une deuxième langue et l’influence des
interlocuteurs sur le processus dynamique du développement langagier en situation
bilingue sont nombreux. Nous allons les aborder pour analyser nos corpus.
L’objectif est de déterminer dans quelle mesure l’asymétrie des répertoires amène à
des ajustements et au développement d’une compétence bilingue qui se manifeste par des
marques transcodiques notamment l’alternance de langues. Nous procèderons par une
analyse du corpus qui tient compte à la fois des divergences des répertoires et des
convergences résultant de la mobilisation des ressources par les trois locutrices.
70
Par développement nous entendons une manière de faire qui consiste à construire un système de
communication à partir des ressources langagières mobilisées de part et d’autre lors des interactions. Par
l’assemblage de ces éléments qui sont mixtes et porteurs de sens les interlocuteurs parviennent à se
comprendre et développer leur interlangue (cf. Jérémi SAUVAGE (2003) qui relate les différentes recherches
sur le développement langagier).
111
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
71
Rémy PORQUIER & Bernard PY (2004 : 53) soulignent que le processus d’appropriation met en relation un
locuteur, une langue et un contexte. Ils affirment que : « dans le cas d’acquisition en milieu social, on a
affaire à une extrême diversité de configurations, parmi lesquelles les dimensions socioculturelles
(communautés ethniques et culturelles d’origine et d’insertion, pratiques culturelles et religieuses, activité et
statut professionnels, etc.) et psycho-sociales (attitudes, motivations, représentations), ainsi que l’âge et les
situations personnelles et familiales, ne sont pas a priori préétablies ni cernées ou regroupées par quelque
cadre institutionnel ».
112
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
72
L’on peut s’en tenir aux constats sur l’enseignement du français en Algérie qui continue d’aiguiser la
curiosité des spécialistes de la didactique, surtout sur la présence et le rôle de la langue maternelle en classe
de FLE. Cet aspect symbiotique fait que la prégnance des modèles langagiers comme la « norme scolaire »
n’est plus ressentie comme la seule norme à suivre. Donc l’acquisition du FLE en milieu guidé trouve son
prolongement en dehors de l’école. D’emblée, la question de l’acquisition du français en milieu naturel
apparaît comme un fait établi et on se demande si l’on est pas astreint à faire le rapprochement entre ce qui se
passe en classe et ce qui se passe en dehors de la classe (concernant l’usage et l’apprentissage du français).
73
Ici nous faisons référence aux rapports qu’ils ont avec l’arabe dialectal : la fréquence de l’emploi, le degré
de maîtrise, les représentations, les statuts, les rôles et les faces.
74
On peut parler d’apprenant même quand il s’agit d’acquisition en milieu non-guidé ou naturel.
113
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
75
Nous nous rattachons aux propos avancés par Marie-Thérèse VASSEUR (2005 : 51) concerant la centration-
décentration du locuteur alloglotte par rapport au « montage progressif d’une compétence bilingue » qui est
au cœur de la dimension de l’interaction-acquisition comme dynamique (au moins) bilingue.
114
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
développement linguistique. Pour Jérome BRUNER (ibid.), l’acquisition n’est possible que
par l’association du LASS (language acquisition support sytem) [« le système
interactionnel qui assure l’étayage » selon la traduction de Pierre BANGE (1996)] et le LAD
(Language Acquisition Device), selon lui c’est à travers l’interaction que l’apprentissage
est assuré, Jérome BRUNER (1991 : 83) a affirmé également à ce sujet qu’on « acquiert pas
le langage en se contentant d’être un spectateur, mais en l’utilisant », cela dit que son
appréhension de l’acquisition n’exclut pas l’usage et le contexte76.
On constate, depuis plus de deux décennies, une orientation des recherches sur
l’acquisition vers le milieu naturel (VERONIQUE, 1992) en portant un intérêt particulier aux
adultes migrants établis dans des pays industrialisés. L’apprentissage de la langue du pays
d’accueil était la condition sine qua non pour s’intégrer socialement, ce besoin social a
orienté le regard vers la mise en place des méthodes pédagogiques susceptibles d’apporter
76
Jérôme BRUNER (1991 : 83) écrit : « L’acquisition d’une première langue est très sensible au contexte, cela
signifie qu’elle évolue beaucoup mieux lorsque l’enfant saisit déjà une manière prélinguistique quelconque la
signification de ce dont parle, ou de la situation dans laquelle la parole survient. Selon le contexte, l’enfant
semble d’avantage capable de saisir non seulement le lexique, mais aussi les aspects corrects de la grammaire
d’une langue », c’est dans cette optique que l’apprenant ou le locuteur faible acquiert la deuxième langue. Il
serait ainsi intéressant d’expliciter les repères et l’environnement sociolinguistiques qui permettent aux
locuteurs d’apprendre une deuxième langue.
115
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
des solutions aux problèmes rencontrés et d’autres contributions théoriques à ceux qui
s’intéressent à cette question.
Depuis les années 70, une partie des travaux sur l’enseignement et l’acquisition a
tendance à s’intéresser aux pratiques langagières observées en milieu naturel. Cet intérêt se
justifie par des motivations théoriques d’orientation didactique et sociolinguistique.
L’engouement pour la recherche sur l’acquisition en milieu non guidé ou dit naturel était
notamment basé sur l’étude des pratiques langagières des travailleurs migrants. En effet, le
bien fondé de ces recherches a débouché sur des conceptualisations diverses en rapport
avec le couple acquisition/apprentissage et bien d’autres phénomènes liés à la didactique
des langues et à la sociolinguistique. Ainsi, le milieu naturel est privilégié comme terrain
de recherche pour étudier les questions liées à l’acquisition et l’appropriation77 d’une
deuxième langue par les apprenants ou les migrants dans le pays d’accueil. Un tel intérêt
est légitimé du fait que la recherche est orientée vers l’observation des stratégies de
communication authentiques qui diffèrent des stratégies scolaires à caractère factice78.
La constitution d’un champ de recherche dont l’objet est l’acquisition d’une langue
étrangère que ce soit en milieu naturel ou guidé, s’inscrit à l’intersection de plusieurs
disciplines annexes et connexes comme la didactique des langues, la psycholinguistique,
l’ethnographie de la communication, la sociolinguistique interactionniste, etc.
77
Concernant les deux termes acquisition/apprentissage, Colette NOYAU (1980) utilise acquisition comme
terme générique en distinguant acquisition guidée - non guidée, Danièle VERONIQUE (1985) quant à lui utilise
apprentissage comme générique pour parler d’apprentissage en milieu naturel et apprentissage guidé. Dans
notre travail on parlera aussi bien d’apprentissage (comme processus en cours) que d’acquisition (comme
résultat du processus d’apprentissage).
78
Rémy PORQUIER (1979 : 49) écrit à ce sujet : « La diversité des stratégies envisagées, ainsi que la
prégnance des situations de communication, exigent que la recherche en ce domaine s’oriente vers
l’observation de situations authentiques et non seulement de situations expérimentales ou institutionnelles
dont le caractère factice exclut le plus souvent d’authentiques stratégies de communication, au profit de
stratégies scolaires ».
79
Voir Daniel VERONIQUE (1992) et Jo ARDITTY & Marie-Thérèse VASSEUR (1999) sur le développement
des travaux sur l’apprentissage et l’acquisition des langues.
116
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
2. La communication exolingue
Des travaux en didactique des langues étrangères ont montré les caractéristiques de
la conversation exolingue pour observer comment fonctionne la conversation entre
locuteurs bilingues n’ayant pas la même première langue. Il s’agira de la mettre en exergue
avec les divergences sociales pour évoquer la compétence de communication (HYMES,
1984 : 120-130) et la signification des inégalités linguistiques quant aux choix et à la
mobilisation des répertoires verbaux. D’autant plus que nous essaierons de voir d’autres
résultats de recherche concernant la communication exolingue (chez PORQUIER, 1993) afin
de déterminer ce qui relève du bilinguisme et ce qui relève de l’exolinguisme chez
l’immigrée et ses partenaires non-immigrées.
Rémy PORQUIER (1979 : 50) définit la communication exolingue comme « celle qui
s’établit entre individus ne disposant pas d’une L1 commune », quelques années plus tard
(PORQUIER, 1984 : 18-19) il propose une autre définition plus élargie :
80
Les stratégies de facilitation nous amènent à mettre le doigt sur ce qui relève du bilinguisme et ce qui
relève de l’exolinguisme ; situations face auxquelles les locuteurs sont parfois conscients donc d’accord pour
s’entraider.
117
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
la communication exolingue est celle qui s’établit par le langage par des moyens
autres qu’une langue maternelle éventuellement commune aux participants.
Comme toute communication langagière, elle est déterminée et construite par
des paramètres situationnels, parmi lesquels en premier lieu la situation
exolingue (ou la dimension exolingue de la situation) dans laquelle :
- les participants ne peuvent ou ne veulent communiquer dans une langue
maternelle commune (soit qu’ils n’aient pas de L1 commune, soit qu’ils
choisissent de communiquer autrement) ;
- les participants sont conscients de cet état de chose ;
- la communication exolingue est structurée pragmatiquement et
formellement par cet état de choses et donc par la conscience et les
représentations qu’en ont les participants ;
- les participants sont, à divers degrés, conscients de cette spécificité de la
situation et y adaptent leur comportement et leurs conduites langagières.
118
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Nous verrons un peu plus loin à travers l’analyse de quelques extraits de conversations
entre immigrée/non-immigrées, comment le contexte et la situation fournissent, par
l’interaction, des conditions d’ajustement voire d’acquisition. Ainsi, Rémy PORQUIER et
Bernard PY (2004 : 55) mettent l’accent sur la dimension temporelle de la notion de
contexte d’appropriation en précisant que :
81
Notons que le milieu social et le milieu familial (les parents, fratrie) ou encore les rencontres entre les
groupes de pairs présentent pour les locuteurs immigrés et non-immigrés des occasions de contact, d’usage et
d’apprentissage voire de développer d’une communication bilingue. Rémy PORQUIER et Bernard PY
distinguent entre deux niveaux d’interaction dans l’appropriation d’une langue : contexte micro et contexte
macro. Ainsi, ils précisent que « le niveau macro comporte les déterminations sociales au sens le plus large :
telles que : les politiques éducatives, les politiques linguistiques des pays concernés … le niveau micro
correspond à des moments ou à des séquences de dimensions variables mais comportant une unité de temps,
de lieu et d’interaction. » (2004 : 59).
82
Dans les situations de communication bilingues les locuteurs acquièrent et développent deux systèmes
linguistiques différents qu’ils utilisent forcément en présence d’interlocuteurs bilingues (cf. Mercè PUJOL-
BERCHE, 1993).
119
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
unilingue bilingue
(DE PIETRO, 1988 : 72)
120
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
perçues comme significatives par les participants à l’événement langagier » (DE PIETRO,
ibid. : 71).
Dans notre travail il s’agit de conversations entre locutrices n’ayant pas la même
compétence en langue française ou en langue arabe dialectal ou encore la même première
langue. Elle ne parlent pas le français de la même façon faisant partie d’un milieu social
favorisant ou non l’emploi du français. D’autant plus qu’il s’agit d’examiner la
mobilisation de l’arabe dialectal et du français et son impact sur le mode d’usage de
l’alternance codique. S’agissant des interactions entre immigrés/non immigrés, l’asymétrie
est de taille et l’émergence de l’alternance codique ou de l’emploi et le choix des deux
langues sont significatifs pour mettre en lumière le potentiel acquisitionnel.
Nous allons donc partir du fait que l’asymétrie des répertoires verbaux et la
divergence dans les interactions dites « exolingues » sont relatives à l’emploi des deux
langues et sont aussi à l’origine des ajustements des segments bilingues et le recours à des
121
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
alternances codiques. Ceci contribue à notre avis au développement d’un parler bilingue
caractérisé par l’emploi intensif des marques transcodiques83.
Nous pouvons également ajouter que l’arabe dialectal en lui-même représente un cas de
métissage selon lequel les interlocuteurs mettent en place un système de référence pour
parvenir à coder la communication et atteindre l’intercompréhension.
Il est d’usage de considérer que la langue s’acquiert dans et à travers la société par
le biais de l’interaction ; William LABOV (1976 : 33) montre que « l’enfant n’acquiert pas
la langue indépendamment des rapports sociaux qu’elle exprime, des fonctions qu’elle
assume ».
122
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
fins communicatives que le locuteur immigré s’engage dans la conversation avec le non-
immigré (et vice versa) en passant par plusieurs stratégies d’appropriation. Donc, le
mélange et l’alternance codique sont considérés comme l’aboutissement d’un processus
d’imitation par le locuteur faible des usages du locuteur fort ou bilingue.
Il est cependant important de signaler que la réalité des pratiques langagières est
formée de tout le réseau des relations sociales et individuelles que les locuteurs mettent en
œuvre lors des interactions. Contrairement à certains modèles de bi-plurilinguisme85 au
monde, en Algérie la situation est loin d’être pour tous « conflictuelle », tout semble
indiquer que les deux langues sont employées de différentes manières86 comme langues de
communication dans le quotidien, même si les attitudes et les représentations de beaucoup
de locuteurs montrent parfois une stigmatisation de l’emploi du français87.
84
Nous entendons par là une compétence de base en langue française à travers laquelle le sujet parlant peut
comprendre et éventuellement s’exprimer avec des locuteurs qui parlent couramment le français.
85
Nous nous référons au bilinguisme de migration ou encore le bilinguisme d’état où la concurrence
linguistique est apparente.
86
En effet, les pratiques langagières et les représentations du bilinguisme en Algérie montrent que l’attribut
« langue étrangère » n’est qu’une désignation officielle (glottopolitique) pour préciser les fonctions de l’arabe
classique par rapport aux langues existantes. Le bilinguisme se matérialise donc autour de l’émergence d’un
système mixte qui montre cet équilibre.
87
Voir supra les données de l’enquête de terrain, première partie, chapitre 2 ; et voir le corpus dans le
volume des annexes.
123
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
arrivent à se comprendre. De même que la mobilisation des deux langues dans les
conversations nous permet non seulement de repérer les asymétries des répertoires des
interlocuteurs, mais aussi les possibilités et les stratégies d’appropriation de nouveaux
énoncés en langue ‘‘forte’’ et en langue ‘‘faible’’.
C’est d’ailleurs pour cette raison que nous distinguons des asymétries fortes et des
asymétries faibles. Celles-ci sont évaluées à travers le repérage et l’interprétation des
indices qui montrent le degré de bilinguisme ou d’exolinguisme des locuteurs à différents
niveaux (linguistique et pragmatique). Il faut envisager le fait que la fréquence et le poids
des énoncés de L1 et de L2 dans les échanges comme un des indices pour montrer la
distance entre l’exolinguisme et le bilinguisme.
Nous avons constaté à travers les résultats de notre enquête que les locuteurs
algériens (immigrés/non-immigrés) sont en contact permanent avec le français ce qui les
conduit à développer une compétence communicative bilingue voire un parler bilingue ;
on peut dire à la suite Bernard PY (1992 : 13) que :
88
Quelle que soit la langue parlée dans telle ou telle région (variétés dialectales) les locuteurs l’emploient à
côté du français. La situation est d’ores et déjà définie comme plurilectale vu l’existence de ces variétés. On
peut parler entre autres de « parler plurilingue » à la suite de Jacqueline BILLIEZ, 2005) ; (cf. Lori SECOND,
2005).
124
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Le parler bilingue se caractérise par ce que nous avons appelé jusqu’ici des
interférences, c'est-à-dire des formes qui ont sauté d’un système linguistique à
l’autre, parfois sans subir d’altération marquée (on parlera alors d’alternance de
code, éventuellement d’emprunts), parfois modifiée d’une manière plus ou
moins profonde (on parle alors de calque, d’interférences ou de variantes de
contact).
89
Il y a des motivations instrumentales et des motivations intégratives, les premières sont liées à l’usage
immédiat pour des fins communicatives, par contre les secondes (motivations intégratives) conduisent à
l’assimilation du locuteur ‘‘faible’’ au locuteur ‘‘fort’’. En termes de représentations ou d’attitudes, les
motivations intégratives conduisent à long terme à une appropriation de la langue du natif, tel est le cas des
enfants d’immigrés nouvellement installés dans le pays d’accueil.
125
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
le lieu qui voit naître, à travers l’usage individuel, le besoin d’employer et donc
d’apprendre la langue. En Algérie, l’usage du français ne s’est pas réduit malgré les
positions idéologiques qui voulaient réduire son extension face à l’hégémonie de l’arabe
classique. Aziza BOUCHERIT (2004 : 59) montre fort bien que :
Comme on le sait l’arabe standard (ou classique) est rarement employé comme
langue de communication quotidienne au sein de la société90. Le français et l’arabe
dialectal assument cette fonction, ceci se justifie par les taux obtenus dans l’enquête par
questionnaire en ce qui concerne la fréquence de l’emploi des deux langues (soit 53,19 %
qui ont affirmé employer l’arabe dialectal contre 68,81 % le français pour l’ensemble des
enquêtés immigrés/non-immigrés). Du point de vue sociolinguistique, le bilinguisme en
Algérie se présente d’abord comme une manifestation d’un parler métissé91 comparable à
celui des immigrés maghrébins en France (MELLIANI, 1999) dont les configurations
diffèrent d’un locuteur à l’autre. Nous pouvons parler aussi de bilinguisme scolaire qui
dépasse les frontières de l’école et qui trouve son véritable prolongement au sein de la
société. Quant à la dimension conversationnelle, les faits peuvent être observés sous
plusieurs angles : l’habitude, le niveau de langue, le choix délibéré de l’emploi de telle ou
telle langue, la situation de communication, les rôles et les faces (GOFFMAN, 1974). Ainsi,
les conversations des locuteurs algériens apparaissent bien comme un véritable exemple de
métissage de l’arabe dialectal et du français92. Il en est de même pour les conversations
entre immigrés/non immigrés. La récurrence des énoncés bilingues oblige par conséquent à
90
L’arabe classique ou littéral est réservé à l’école ou à des usages officiels.
91
Nous empruntons ce terme à Fabienne MELLIANI (1999.b) pour désigner des façons de parler naturelles
dynamisées par l’usage et la rencontre de deux langues dans un contexte sociolinguistique plurilingue. Faut-il
entendre par ce métissage des formes alternées, un mélange ou une entre deux langues ? C’est la question à
laquelle on va tenter de répondre dans les chapitres qui suivent compte tenu des fonctions que ces formes
remplissent dans le discours.
92
Voir à ce propos l’article de Khaoula TALEB-IBRAHIMI (2004) sur le métissage linguistique dans les
pratiques langagières des jeunes algériens.
126
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Ce qui nous intéresse, ici, c’est de circonscrire les aspects sociolinguistiques des
échanges bi-plurilingues – qui naissent des contacts des langues entre alloglottes et natifs
(immigrés/non-immigrés dans notre étude) et qui conduisent à l’appropriation des façons
de parler mixtes94 – dans une dimension d’analyse qui tient compte du développement des
répertoires. Ce type de situation implique forcément des individus qui mobilisent des
répertoires verbaux hétérogènes pour atteindre l’intercompréhension. On sait que chez les
immigrés/non-immigrés et chez les non-immigrés entre eux, les différences sont de taille et
renseignent d’un côté sur l’appartenance sociale, de l’autre sur les conditions qui favorisent
l’appropriation des formes de l’une et de l’autre langue.
6. De l’asymétrie à l’intercompréhension
93
Les locuteurs qui emploient couramment le français (notamment les non immigrés), présentent des
conversations qui sont souvent caractérisées par la récurrences des énoncés bilingues. Il est aussi primordial
de rappeler qu’il est parfois question de segments figés ayant les caractéristiques de l’interlangue. Sans
oublier la manifestation des emprunts qui ornent les pratiques langagières.
94
L’aisance et le succès de la communication sont assurés par la mobilisation d’un répertoire verbal mixte
qui se manifeste par l’alternance codique.
95
Les modalités et les stratégies d’acquisition ne sont pas toujours repérables et les procédés opératoires en
vigueur ne rendent pas compte de la complexité que recouvre le processus d’acquisition.
127
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans notre recherche nous sommes obligé de prendre en compte les aspects
sociolinguistiques favorables à l’emploi de l’arabe dialectal à côté du français et
l’émergence de l’interlangue97 ainsi que le parler bilingue qui en résulte. Aussi devons-
nous tenir compte, à cet égard, de toutes les situations possibles dans lesquelles sont
employées les deux langues ou une des langues par laquelle un des interlocuteurs éprouve
une difficulté quelconque lors des interactions. Ainsi, Marinette MATTHEY et Jean-François
DE PIETRO (1997 : 134) affirment que le contact des langues est d’abord un contact de
l’individu avec la/les langues en évoquant ainsi la mise en œuvre des procédés de
facilitation qui conduisent à une communication plus ou moins symétrique :
C’est d’abord chez l’individu que le contact des langues a lieu, lorsque deux
(ou plusieurs) personnes interagissent en utilisant plusieurs langues et en
mettant en œuvre des procédés communicatifs qui contribuent en quelques
sorte un rapprochement des idiomes en présence (parler bilingue, alternance
codique, collaboration).
96
Voir plus loin le schéma de Jean-François DE PIETRO (1988).
97
Nous entendons par interlangue dans le cas de l’apprentissage en milieu naturel un moment provisoire mais
propice pour atteindre une langue (compétence) qui assure l’intercompréhension. Donc, à la suite de Bernard
PY (1982 : 76) : « […] la notion d’interlangue est étroitement associée à celle d’acquisition. Elle permet de
rendre compte de la structure progressive des connaissances d’apprenants en langue seconde, ou d’enfants en
langue maternelle. Quelles que soient les divergences qui opposent les diverses conceptions de l’interlangue,
on retrouve partout l’idée d’un développement progressif, d’une complexification par laquelle la compétence
intermédiaire se rapproche de l’objectif fixé au départ ». Pour ce qui est des notions de communication
exolingue et d’interlangue d’autres précisions ont été apportées par Ulrich DAUSENDSCHÖN-GAY (2003).
98
C’est le cas de beaucoup de locuteurs ‘‘faibles’’ en L2 qui ressentent que les ressources langagières (même
rudimentaires) qu’ils emploient leur permettent de communiquer d’une manière ou d’une autre avec leurs
interlocuteurs ‘‘forts’’.
128
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
la sécurité linguistique ; d’autre part quand les éléments de L2 acquise (ou au cours
d’acquisition) s’imbriquent dans L1, comme marques transcodiques. Ces dernières nous
intéressent dans la mesure où les locuteurs algériens immigrés/non-immigrés produisent
deux types d’énoncés bilingues : des énoncés préconstruits qui évoluent à travers l’usage et
des énoncés définitifs sédimentés par l’usage. Toutefois, il est difficile dans le cas des
locuteurs algériens immigrés/non-immigrés, de dire s’il s’agit de bilinguisme ou
d’exolinguisme (VASSEUR, 1992). Il est en effet incontournable de partir de situations
concrètes pour dégager ce qui relève du bilinguisme et de l’exolinguisme.
Pour ce qui nous concerne, nous centrerons notre intention sur la nature des
ressources langagières mobilisées par les locuteurs lors des échanges afin de mieux
caractériser les alternances codiques.
99
Par système stable nous entendons des façons de parler modulées maintenue en tant que telle ayant évolué
selon les besoins langagiers du groupe ou de la communauté linguistique, mais cela n’empêche pas
l’existence des variations dans l’emploi de la langue.
129
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
D’une façon plus générale, nous pouvons dire que la catégorisation non-natif ou
« étranger »100 voire immigré – non-immigré dans les conversations ou dans le discours des
interlocuteurs renvoie au stéréotypage101 de l’inégalité (ou de l’insuffisance) en ce qui
concerne l’usage de l’une des deux langues. La thématisation de cette catégorie peut rendre
pertinente la description de l’asymétrie entre les interlocuteurs (MONDADA, 1997, 2000).
La catégorisation des interlocuteurs dans la conversation bilingue/exolingue détermine les
rôles et les places conversationnelles. C’est par inférence que les interlocuteurs se
définissent comme forts ou faibles ce qui les amène à adapter leurs comportements
communicatifs. D’autant plus que l’autoévaluation et l’auto-reformulation sont autant
d’éléments à prendre en compte pour étudier le métalangage ou le métadiscours des
locuteurs lors des interactions. La catégorisation est un élément que l’on peut saisir comme
un état de conscience par lequel le locuteur identifie son interlocuteur en s’identifiant à lui.
La conscience linguistique dans l’acquisition est un des points à mettre en avant pour
mieux concevoir les réajustements au niveau conversationnel et leur rôle dans le processus
d’appropriation. Ainsi, le sujet parlant qui réussit des fragments mixtes qu’il juge
100
Les termes immigré et étranger sont pris comme stéréotypes avec toutes les connotations qu’ils peuvent
avoir dans la société algérienne et dans l’esprit des individus issus de l’immigration eux-mêmes. Nous
pouvons parler également d’étranger à la langue.
101
Lors de nos enquêtes de terrain nos avons noté beaucoup de propos relatifs à la catégorisation immigré
non immigré comme rudiments de différenciation linguistique. Ainsi, le profil linguistique des locuteurs se
définit selon qu’ils soient natifs ou non d’une des deux langues ou par rapport à l’inégalité linguistique
repérée par un des locuteurs. En voici quelques propos : « je suis immigré je parle très mal l’arabe dialectal,
je me débrouille comme je peux », « vous les immigrés vous avez l’habitude de parler en français, nous nous
le comprenons bien mais on le parle mal », « c’est normal vous êtes Français, c’est votre langue vous la
parlez bien ». Précisons à la de suite de Bernard PY (1996 : 14) que la distance qu’a le locuteur non natif ou
étranger vis-à-vis de son interlocuteur ou la norme est « [...] l’expression d’une altérité non seulement
linguistique mais aussi culturelle et sociale ». Nous reviendrons plus loin sur certains aspects identitaires
concernant les catégorisations : immigrés, Français, Algériens, etc.
130
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Par ailleurs, la catégorisation même quand elle n’est pas liée à l’appartenance
sociale, se traduit par sa thèmatisation dans les conversations d’une part en insécurité103
linguistique chez le locuteur faible, de l’autre en une stratégie conversationnelle chez le
locuteur fort qui cristallise sa langue ou celle qu’il préfère (dans laquelle il se sent le plus à
l’aise). Dans le cas des locuteurs immigrés et non-immigrés cette catégorisation est
significative dans la mesure où la rencontre devient un moment d’apprentissage mutuel et
une source d’influences considérables. De là se définissent les statuts et les rôles
(GOFFMAN, 1974) donc, la relation qui s’y installe favorise l’usage d’une langue plutôt
qu’une autre et exige des formes plutôt que d’autres. Les interlocuteurs sont appelés
d’emblée à participer à la construction interactive de la conversation bilingue et par là à
élaborer les règles des tâches conversationnelles, c'est-à-dire par la répartition des activités
selon les besoins de l’intercompréhension et par la mobilisation des moyens langagiers
nécessaires qui facilitent l’intercompréhension. La divergence des compétences laisse des
traces dans la répartition des activités conversationnelles et renseigne sur les spécificités de
la communication exolingue (DAUSENDSCHÖN-GAY & KRAFT, 1991).
Dans l’extrait 1 ci-après la question identitaire est posée par la locutrice immigrée
(Farida) en termes de la double appartenance, à deux pays voire à deux espaces (DEPREZ,
102
La compréhension (ou la saisie) et l’emploi éventuel des formes en L2 sont des indices d’appropriation.
103
N’empêche que le locuteur faible a des stratégies d’apprentissage (préventives et compensatoires) qu’il
affiche dans le processus d’interaction avec le locuteur fort.
131
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
2007) ‘‘l’Algérie et la France’’ et ‘‘la France par rapport à l’Algérie’’104. Ce faisant, elle
met en jeu dans son discours des strates : « vivre en France, vivre à la française et comme
les Français, weld el bled (enfant du pays), j’ai grandi dans une famille…très musulmane,
il y a des immigrés, l’ensemble des immigrés, etc. ». Ces propos laissent entendre que
Farida est consciente du fait qu’elle appartient à deux cultures et ayant appris les deux
langues au sein de la cellule familiale et à travers les séjours qu’elle passe chaque année en
Algérie (F.ii. 329). Devant cette attitude par laquelle Farida catégorise l’espace, Amaria et
Linda (non-immigrées) posent des questions à Farida sur l’usage de l’arabe dialectal en
France. Ces questions constituent un moment de réflexion sur les langues parlées voire
privilégiées ici en Algérie et là-bas en France pour les immigrés. Ainsi, dans cet extrait la
discussion tourne autour du choix et les raisons du choix des langues et les conditions de
leur apprentissage. Dans cette optique la catégorisation instaure deux statuts et deux places
interactionnelles, hautes et basses.
104
Les comparaisons que font les immigrés entre les deux pays vont toujours dans ce sens là : le pays de
naissance par rapport au pays d’origine des ascendants. D’ailleurs dans notre corpus chaque fois que la
locutrice immigrée parle de l’Algérie elle en parle en se référant à la France soit en comparant entre les deux
pays soit en s’identifiant à l’un ou l’autre.
132
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Par le jeu de figuration Amaria et Linda se montrent prudentes, elles produisent des
énoncés courts souvent formulés en arabe dialectal en conservant leurs faces
conversationnelles positives (A.ni. 294 : euh, A.ni. 298 : mmh, L.ni. 306 : ghaya hakda,
etc.). Amaria est plus impliquée que Linda qui affiche une incompétence en français : ses
énoncés sont courts et formulés uniquement en arabe dialectal et le degré de participation à
la conversation est minime. Chez Amaria il y a une récurrence des formulations
tâtonnantes, des reprises voire des répétitions du même terme, des marques prosodiques
d’hésitation (euh, mmh, oui, etc.) ainsi qu’une survenance des énoncés inachevés.
133
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
134
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
lequel les locuteurs s’autocatégorisnt comme faible dans une des deux langues, provoque
un travail collaboratif105 lorsqu’une imperfection quelconque survient lors des interactions.
Dans les deux exemples ci-dessous (1 et 2 tirés de l’extrait 2, C.1) nous constatons que les
attitudes de Farida à propos du savoir langagier en langue arabe dialectal sont liées à son
degré de bilinguisme106. Il faut remarquer dans (F.ii. 380 et F.ii. 382) des attitudes qui
montrent que Farida prend du recul par rapport à son savoir langagier en arabe dialectal en
s’estimant faible dans celui-ci encore plus en arabe classique. Ces attitudes sont une source
de motivation pour un éventuel apprentissage même si des inhibitions ou des initiatives de
prise de parole en langue arabe dialectal/français sont mutuellement assujetties aux
conditions du bon déroulement de l’interaction.
105
Voire un contrat de coopération qui est synonyme du contrat didactique dont parlent François DE PIETRO,
Marinette MATTHEY et Bernard PY (1989).
106
La connaissance de l’arabe dialectal chez Farida reste liée aux différents usages qui sont différents d’une
région à l’autre. En évoquant la chanson raï qui représente un cas de métissage et de variation linguistique
(MILIANI, 2004).
107
Par conflit nous entendons une situation où les statuts et les rôles sont disputés lors des interactions pour
la prise de parole ou l’initiation d’un sujet de discussion.
135
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
en arabe dialectal aussitôt elle alterne en français par une forme d’appel (A.ni. 541 :
…comme on dit) en cherchant l’appui et l’étaie pour parvenir à son but communicatif,
suite à la proposition de son interlocutrice qui la soutient et lui propose de parler en arabe
dialectal. Amaria est allée au bout de son intervention et elle a continué en arabe dialectal.
Cette attitude n’a cependant pas directement trait à la connaissance de l’arabe dialectal de
la part de Farida mais c’est surtout pour maintenir l’interaction et son déroulement sans
aucun problème d’incompréhension.
Exemple 2
A.ni. 541 : élla çla khaTer ki (non parce que quand) [comme on dit
F.ii. 542 : [hadri bel çarbiyya (parle en
arabe)
A.ni. 543 : zeçmak ++ ki ntina tkoun tekhdem ++ bentek kifach ? < ----- ?>
(soi-disant ++ quand tu es au travail ++ ta fille comment ?)
136
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
En effet, le recours aux deux langues est une opération tout à fait normale, elle
favorise l’intégration des emprunts et l’usage alternatif de l’arabe dialectal et du français.
Ceci constitue aussi une façon qui aide à l’appropriation non seulement de la deuxième
langue mais aussi des formes mixtes (confectionnées et réajustées pour servir de sources
linguistiques qui assurent la communication et l’intercompréhension). Qu’il s’agisse de
marques transcodiques108 ou de « bouées transcodiques »109 selon les termes de Danièle
MOORE (1996), les locuteurs procèdent par des ajustements du discours ou des corrections
mutuelles dont la manifestation dépend de deux mouvements complexes que Pierre BANGE
(1992 : 56) appelle bifocalisation composée « d’une focalisation centrale de l’attention sur
108
Selon Bernard PY (2004 : 101) : « Marques transcodiques et restructurations ne définissent pas deux types
de discours bilingues comme tel : un premier mouvement orienté vers la fusion de deux langues en une seule,
composé par un second mouvement visant au contraire à renforcer les différences. S’engager dans un
discours bilingue, c’est gérer cette dialectique – et parfois favoriser l’un ou l’autre des deux mouvements au
détriment de l’autre. Tout discours bilingue se situe quelque part sur un axe entre un pôle caractérisé par une
distinction maximale (le locuteur fait ouvertement la part de chaque langue en marquant formellement, le cas
échéant, l’appartenance de telle ou telle séquence à l’une ou l’autre langue) et une fusion totale (il y a alors
télescopage des différences, reconnues subreptices à l’autre langue, esquisse souvent provisoire d’une langue
métissée rappelant les pidgins ou les créoles). Les marques transcodiques poussent vers le pôle de la
distinction, les formes restructurées vers le pôle de la fusion. De tels mouvements sont parfois observables
« en temps réel ».
109
Ce terme est utilisé pour caractériser le secours apporté au locuteur faible par le locuteur fort en recourant
à sa langue maternelle ou d’autres moyens facilitant la compréhension. Nous trouvons ce terme plus
approprié lorsqu’il s’agit des places interactionnelles (coopération, face, rôle et statut).
137
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Lors des échanges, le locuteur faible dans la deuxième langue est toujours en quête
de nouveaux éléments (complémentaires) pour constituer un répertoire lui facilitant les
tâches communicatives face à son interlocuteur jugé fort dans sa première langue.
L’examen des formes produites lors des échanges entre locuteurs à répertoires verbaux
hétérogènes s’avère primordial pour décrire l’appropriation de la langue 2 et les
conséquences qui en résultent. Ainsi, les formes employées entre locuteur fort et locuteur
faible sont observables au fil de l’interaction comme indices qui amènent à examiner
l’autocorrection, les reformulations ainsi que les reprises et les répétions des items
incompréhensibles. De même que l’éloignement de la surgénéralisation diminue peu à peu
à travers la complétude interactive en privilégiant ainsi la coopération par l’étayage,
l’autocorrection et la focalisation sur la langue par les interlocuteurs. Le recours à la
deuxième langue ne se limite pas à des mots isolés ; il arrive que les locuteurs immigrés et
non-immigrés alternent souvent arabe dialectal et français pour résoudre des problèmes de
compréhension. Ce qui conduit à parler de stratégie compensatoire. Il ne s’agit pas
seulement de lacunes comme indices d’une compétence imparfaite en L2, le recours à la
deuxième langue est motivé aussi par la disponibilité des ressources de cette langue. En
outre, dans la communication exolingue le va-et-vient entre L1 et L2 aide à l’activation des
éléments du répertoire désactivés. (cf. infra les exemples analysés).
110
Locuteur natif.
111
Locuteur non natif.
138
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Nous pouvons relever un nombre considérable d’emprunts spontanés dans les cinq
conversations comme dans les exemples suivants : (matdérangéh’ch (Ne le dérange pas) :
C.2 A.ni. 072) ; (ydoublou (ils doublent) : C.4 F.ii. 448) ; (tbouyi (tu le fais bouillonner) :
C.5 A.ni. 537).
Dans notre corpus l’apparition des formes mixtes est en corrélation avec les
pratiques langagières et les différentes rencontres112 qui obligent les locuteurs qu’ils soient
bilingues ou non d’employer les formes mixtes imposées par la situation et le contexte. La
recherche du sens dans l’une ou l’autre langue de la part des locuteurs bilingues à
répertoires verbaux hétérogènes est marquée par des hésitations et des silences longs ou
brefs lors du déroulement de l’interaction. La construction du sens comme dirait Robert
VION (1992 : 95) : « […] va au-delà des seules dispositions sémantiques des messages.
112
Nous utilisons « rencontre » selon l’acception goffmanienne du terme.
139
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Donner du sens c’est aussi s’étendre sur les situations et la façon de les gérer en s’appuyant
sur des présupposés culturels ». Ainsi, les locuteurs trouvent mutuellement la solution à la
difficulté langagière manifestée en mobilisant des éléments verbaux ou voco-verbaux pour
maintenir l’interaction. Selon Pierre BANGE (1996 : 194) : « la communication est rendue
économique et efficace par la supposition réciproque faite par les participants à une
situation donnée que des savoirs sont partagés concernant le code linguistique, les usages
sociaux, les savoirs quotidiens sur le monde ». Ainsi, dans la conversation exolingue le
contrôle, la vérification et la recherche des énoncés adéquats conduisent non seulement à la
compréhension mais aussi à l’acquisition et la construction sociale du sens voire du code.
Le « néocodage » ou la codification de nouvelles unités se fait sur la base des éléments des
deux langues en contact, soit par un rapprochement soit par une fusion de deux termes (de
L1 et/ou de L2), il s’agit dans ce cas là d’une façon de parler résultant à la fois de
l’exolinguisme et du bilinguisme. L’achèvement interactif des énoncés inachevés et
l’explication des items incompréhensibles sont une construction sociale des connaissances.
En fait, les obstacles d’incompréhension qui surviennent lors des échanges conduisent
souvent à un travail de formulation de la part du locuteur fort qui cherche à les résoudre
avec plus ou moins de succès. Par conséquent, l’interlocuteur contribue lui aussi à
l’accomplissement de cette tâche (GÜLICH, 1986).
113
En s’intéressant à l’apprentissage précoce des langues étrangères chez les apprenants issus des migrations
Danièle MOORE (1993) envisage la possibilité de transformer la diversité en atout d’apprentissage. Ainsi,
dans le cas de nos trois locutrices nous postulons que la différence voire la diversité caractérisant leur
répertoire est un atout dans le développement d’une compétence bilingue. (cf. Entre autres l’article de
Jacqueline BILLIEZ (2007) intitulé « Etre plurilingue, handicap ou atout ? »).
140
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
son interlangue114 et sur les manières de faire de ses partenaires. C’est une opération
cognitive à travers laquelle les données fournies par le locuteur fort s’articulent avec
l’interlangue du locuteur faible « apprenant ». Le caractère évolutif ou développemental du
répertoire est aussi en rapport avec les séquences potentiellement acquisitionnelles. En
revanche, être exposé ne suffit pas pour développer le répertoire s’il n’y a pas un
engagement de la part du locuteur comme participant qui prend la parole et qui affiche une
volonté d’atteindre les buts communicatifs (en construisant des énoncés longs, en prenant
l’initiative d’initier un sujet de discussion, et en demandant de l’assistance).
- L’intégration se réalise soit par assimilation (élément sans modification) soit par
accommodation au système de L1 (avec modification).
141
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans cet extrait (3) on constate une prise par usage (PY, 2004) par Amaria du
segment « il faut s’organiser » après une première tentative « t’organiser » qui est
formulation approximative sous forme d’interlangue qui a été traitée implicitement
(autocorrection).
Si nous partons du principe que toute interaction est plus ou moins asymétrique, il
convient de dire que son déroulement est sous la dépendance de l’action que mènent les
interlocuteurs et qui les amène à reformuler et à améliorer leur façon de parler. Selon les
termes de Rémy PORQUIER (1984) « la communication exolingue » en milieu naturel est
caractérisée par l’absence d’un contrat didactique qui préconise un usage spécifique de la
langue115, le plus souvent caractérisé par un regard orienté vers la langue ou encore vers la
norme qui assure l’intercompréhension. L’intercompréhension en milieu naturel est régie
par des normes conversationnelles où les énoncés collaboratifs pour la construction du sens
jouent un rôle capital. Le contrat didactique est à cet égard une sorte de compromis entre
les interlocuteurs par lequel l’inégalité linguistique devient un moment d’intervention pour
pallier les insuffisances linguistiques et les pannes conversationnelles. Pour postuler
l’existence du contrat didactique il faut repérer des indices qui le caractérisent, « Un
115
Il s’agit d’une manière précise du respect de la norme imposée par l’institution scolaire.
142
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
premier indice est constitué par des relations énonciatives qu’entretiennent les partenaires
d’une conversation exolingue » (PY, 2004 : 85). Le second indice est relatif à la
collaboration et au besoin d’ajustement. C’est grâce à la participation active que l’échange
se prolonge et le besoin d’ajustement et de correction s’accroît. Il y a à la fois co-
construction et co-apprentissage puisque chaque locuteur mobilise son répertoire respectif
pour se faire comprendre. De même que l’engagement et la collaboration dans la
construction du sens amène à l’entraide qui se manifeste par les requêtes d’assistance
quand le locuteur faible en L2 veut se faire aider.
La coopération et l’entraide dépendent des rôles est des statuts des locuteurs (fort et
faible, immigrés et non-immigrés), si le locuteur fort prend la place énonciative du locuteur
faible en lui proposant une forme jugée plus correcte ou plus conforme à la situation que
celle de son interlangue nous pouvons parler d’une focalisation sur le code. Dans ce cas là
il s’agit d’une conversation exolingue à dominance didactique.
Ainsi, l’appropriation des énoncés bilingues proposés par le locuteur fort face à son
interlocuteur apparaissent plusieurs fois dans les échanges. Le réemploi dans d’autres
cotextes montre que le locuteur faible l’a approprié. Ajoutons que les locuteurs peuvent
assumer à tour de rôle la tâche de locuteur fort.
La maîtrise inégale concernant les deux langues nous amène donc à parler de
conversation exolingue comme marque d’un processus d’apprentissage en cours ou,
comme c’est le cas de beaucoup de locuteurs immigrés ou non-immigrés, un processus qui
se réorganise selon les caractéristiques interactionnelles et sociolinguistiques des
individus « apprenants » soit en interlangue soit en langage métissé. Le contrat didactique
dans l’acquisition en milieu naturel est différent, de même que l’enjeu est imminent, car
l’apprenant cherche le succès de la communication immédiatement116. La conversation est
le plus souvent structurée selon les règles qui s’établissent entre les interactants par la mise
en place d’un rituel selon lequel ils organisent leurs échanges et choisissent le(s) code(s)
(négociation). Même dans le cas d’une asymétrie il y a des règles qui déterminent les
116
Dans l’acquisition en immersion le locuteur faible (non-expert) s’approprie le savoir langagier qui lui est
fournit par le locuteur fort (expert) sans qu’il ait un guidage ou des précisions sur tel ou tel usage de la
langue. C’est par l’ensemble des informations et des connaissances échangeables lors des interactions que les
éléments acquis prennent formes et donnent forme à l’interaction.
143
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
117
L’apprentissage (l’acquisition) incident occasionné par les rencontres avec les bilingues forts ne présente
pas les mêmes attraits qu’en milieu guidé. Les motivations des uns et des autres diffèrent assez que l’on soit
en situation scolaire ou en situation naturelle. Donc, l’acquisition est optimisée par le désir d’utiliser la
langue pour des fins communicatives.
144
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
118
Ici, nous nous référons à la typologie de Louise DABENE et Jacqueline BILLIEZ (1988) de l’alternance
codique.
145
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans notre corpus il y a des traces linguistiques qui montrent que l’apprentissage des
formes des deux langues se réalise « sur le tas » dont l’emploi met fin à l’asymétrie
existante entre la locutrice forte et la locutrice faible surtout quand les partenaires passent
une longue période ensemble119. Nous pouvons illustrer ces SPA à travers l’exemple
suivant entre la locutrice issue de l’immigration Farida et la locutrice non-immigrée
Amaria :
Cet extrait met en évidence les trois mouvements dont nous avons parlé plus haut qui
peuvent aussi bien relever d’un processus d’apprentissage que d’une stratégie de
communication.
L’autostructuration chez Farida est marquée par la substitution du terme ‘‘bendayer’’ par
‘‘derbouka’’ percussion qu’elle insère dans un segment en français, de façon à fournir à sa
partenaire une idée sur le premier par rapprochement de sens. Elle procède par
comparaison en faisant référence au générique ‘‘instrument à percussion’’. S’ajoutent à
cela les pauses, les hésitations, les ralentissements du débit et les allongements syllabiques
qui montrent qu’il s’agit de pannes120 ou de méconnaissance. L’intervention d’Amaria, de
par son statut de locutrice forte en arabe dialectal parvient à fournir le terme attendu par
Farida que cette dernière emploie – (ce qui constitue un indice d’appropriation121) – puis
prend la parole de nouveau. Le sens du terme attendu a été élaboré conjointement par les
119
Les trois locutrices se connaissent depuis plus de quatre ans.
120
Dans le cas où le locuteur fort attribue l’élément recherché (désactivé peu connu ou inconnu) on peut
parler soit de réactivation du répertoire soit de potentiel acquisitionnel.
121
Il s’agit également d’un potentiel acquisitionnel effectif. Comme il s’agit de conversations ordinaires
enregistrées pour un but exploratoire, l’aspect expérimental n’a pas été pris en considération pour vérifier
l’acquisition réelle. Cependant, le corpus fournit quelques éléments intériorisés et utilisés lors des
interactions.
146
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
deux partenaires. Mais dans les deux tours de paroles qui suivent Farida poursuit son
intervention en français en alternant chants coraniques et ‘’Taç qor’àn’’ qui veut dire du
Coran (F.ii. 216). Cet énoncé est ratifié par Amaria en (A.ni. 217) mais rectifié au cours de
l’interaction par ’’chants religieux’’ plutôt que ’’chant coranique’’ (‘‘yih’’ ‘‘l’mada’iH’’,
oui ! les chants religieux). Cette précision par laquelle on peut souligner hormis le soutien
et la coopération d’Amaria – (matérialisés par le mouvement d’hétérostructuration et
l’emploi d’un commentaire de type métalinguistique qui a pour fonction d’appuyer
l’intervention) –, une focalisation sur le code en (A.ni. 219 : on dit l’mada’iH). L’énoncé
en question n’est pas repris par Farida qui l’acquiesce en employant la préposition
conclusive « voilà ! ». Dans les deux exemples il est question de référent et de référence
culturelle ignorées par la locutrice immigrée. L’attribution du sens a rendu les choses plus
claires pour Farida par la reformulation et par la catégorisation122 des termes « bendayer »
et « mada’iH » proposées par Amaria. Donc, les termes employés par la locutrice
immigrée ont déclenché chez la non-immigrée un processus d’interprétation qui a conduit à
un accord et un réemploi immédiat de l’énoncé « bendayer » inconnu dans son discours.
122
cf. Lorenza MONDADA (1997).
123
Sur la question de l’interculturel on souligne un flou conceptuel, nous laisserons volontairement de côté
certains aspects de l’interculturel et nous allons baser notre analyse sur la connaissance de(s) la langue(s)
147
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
façon d’agir sur le contenu et sur le code, on peut aisément dire que le recours au mélange
ou à l’alternance codique qui remplit dans des situations pareilles une double fonction
fondamentalement didactique : de clarification et d’étayage favorables à l’acquisition
d’énoncés bilingues.
Ainsi, les exemples suivants montrent que les interlocutrices mettent en question le
savoir socioculturel en formulant des énoncés bilingues alternés pour clarifier également le
thème de l’interaction. Mais dans le cas de notre population d’enquête il s’agit plutôt d’un
savoir socioculturel lié au savoir langagier. D’un côté, la locutrice immigrée procède par la
formulation d’énoncés en L1 de son interlocutrice. De l’autre, elle résout la difficulté
linguistique et apporte des explications complémentaires dans sa propre L1. La
connaissance thématique commune est parfois insuffisante quand il ne s’agit pas du même
accès référentiel et expérientiel. L’extrait (4), conversation (C.1) Amaria et Farida (cité
plus haut) en est un exemple vivant en ce qui concerne un référent culturel spécifique
méconnu par la locutrice immigrée. Dans cet exemple, il s’agit à la fois de la dimension
exolingue et de la dimension interculturelle124 sans oublier le nombre de fois où les trois
locutrices introduisent des éléments qui renvoient aux spécificités culturelles algériennes
(par les non-immigrées) et françaises (par l’immigrée) ‘‘comme chez nous’’, ‘‘en
Algérie’’, ‘‘en France’’, ‘‘les immigré’’, etc. Nous nous basons dans le traitement de
l’exolingue et de l’interculturel sur les propos d’Ulrich DAUSENDSCHÖN-GAY et Ulrich
KRAFFT (1998 : 96) qui stipulent que :
Ce n’est pas parce que les partenaires appartiennent à des groupes ethniques ou
linguistiques différents que la situation sera exolingue ou interculturelle. Elle ne le
deviendra que dans la mesure où les partenaires prendront en compte et traiterons
ces différences comme pertinentes pour la définition, le fonctionnement et
l’interprétation de l’évènement social en cours.
comme véhiculant l’interculturel. Ainsi exolingue et interculturel peuvent être considérés comme synonymes
(voir à ce propos, ALBER & PY, 1986).
124
La notion d’interculturalité requiert une attention portée sur celles de dynamique des langues, de diversité
linguistique, de plurilinguisme et de diglossie. Ainsi, les faits qui contribuent à la dynamique des langues
« s’insèrent dans des valeurs d’interculturalité » (MARTEL, 2001 : 55).
148
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
domine lors de l’interaction que le locuteur fort en L2 emploie sans tenir compte de la
distance interlinguistique et/ou interculturelle. Le degré d’intervention aux conversations
montre une participation réduite des non-immigrées quand l’immigrée n’emploie que le
français ou quand elle renvoie aux spécificités culturelles liées à la France. Les extraits ci-
dessous (5) : (C.2), (5) : (C.2), (6) : (C.3), (7) : (C.4) et (8) : (C.5) illustrent ce type de
situation où l’exolingue et l’interculturel apparaissent comme éléments pertinents dans la
détermination de l’intercompréhension et les distances qui se creusent entre les
interlocutrices (l’immigrée et ses partenaires). Manifestement, les trois locutrices renvoient
dans leurs interactions aux différences et à certaines spécificités faisant partie de leur vécu
socioculturel. Ceci se réalise par l’emploi de quelques marqueurs discursifs de l’identité
qui dynamisent la communication exolingue et interculturelle (BERRIER, 2003). Ainsi,
Farida emploie pour comparer entre les deux cultures des marqueurs discursifs qui sont des
procédés d’indexicalisation (extrait 5 : F.ii. 021 : Hna çaddna (nous nous avons) chez
nous, chez nous en FRANCE). Extrait 6 (F.ii. 078 : les Français, en FRANCE). Extrait 7,
(F.ii. 137 : chez nous), Extrait 8 (F.ii. 455 : Hna fe FRANSSA).
Nous allons à présent analyser les extraits ci-après en mettant l’accent sur les
indices qui relèvent de la thèmatisation de l’interculturel et des différences qui amènent les
locutrices à comparer entre deux univers axiologiques. En effet, la mise en discours des
différences entre les deux univers culturels se matérialise par l’emploi des déictiques
spatiaux (hna : ici ; temma : là-bas, etc.), les pronoms (Hna, nous ; ntouma : vous, etc.) et
les pronoms possessifs (ntaçna : notre, ntaçkoum : votre, etc.) qui indexent l’appartenance
à un espace culturel précis. C’est ce que nous constatons chez Farida en (F.ii. 021) qui
compare entre l’Algérie et la France en employant (Hna çadna : nous nous avons) et en
(F.ii. 025) quand elle emploie (Hna : nous) toujours pour comparer entre les deux pays
voire les deux cultures. Sa partenaire Amaria (non-immigrée) confirme l’existence des
différences en précisant dans (A.ni. 022) que (c’est pas pareil).
149
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Extrait 5, (C.2)
A.ni. 018 : [bezzaf (trop)
F.ii. 019 : c'est-à-dire tu leur achètes quelque cho::se dans=une +
dans=une boutiquE ++ enfin je ne sais pas quand tu
t’achètes quelque chose c’est toujours bezzga (avec des
engueulades) +++ toujours ils sont énervés + j’ai remarqué
euh :: \
A.ni. 020 : surtout les magasins + quand + euh + où ils vendent les
vêtements pour femmes
F.ii. 021 : oui + oui + les prêts-à-porter ? oui t’as vu ça mais moi
aussi j’étais choquée tout=à l’heure + j’ai acheté un p’tit
sac + un p’(e)tit sac à main + et bon :: il y avait un
petit défaut ++ quand je lui ai demandé de + de m (e)
l’échanger ++ il a + il m’a pas répondu en fait il m’a dit
« tu prends ce(l)ui là ou tu prends pas » quoi ++ alors
que :: c’est dommage wellah el çadém ! que Hna çaddna (je le
jure nous nous avons) chez nous + enfin chez nous en FRANCE
l’Europe +++ le client est roi
A.ni. 022 : c’est pas pareil
F.ii. 023 : le client est ROI
A.ni. 024 : euh !
F.ii. 025 : wellah ! (je le jure) +++ du moment que le client est roi ++
donc ils chouchoutent le client + Hna (nous) dès qu’on rentre
+ ils nous disent déjà BONJOUR +++ « est-ce qu’on peut vous
aider » + « voici les cabines etcetera » non je veux dire
vraiment il m’a ::: +++ pourtant
En tant que biculturelle, la locutrice immigrée évoque les différences culturelles par
rapport aux connaissances qu’elle a des deux cultures. L’extrait 6 illustre la connaissance
qu’a Farida des deux cultures notamment celle de son pays natal, une connaissance qui lui
permet de faire des comparaisons entre les deux et par là fournir à ses partenaires la
possibilité d’acquérir à la fois des savoirs culturels et linguistiques. Ainsi, la mise en
parallèle des spécificités culturelles par Farida (F.ii. 080 : ils ont une règle + la loi elle est
stricte ++ makanch hadik fi sabillah (il n y a pas de la charité au nom de Dieu) et puis
(F.ii. 086 : si xxx kayen (il y a) la Croix Rouge ++ le secours populaire) offre les
possibilités à ses partenaires de comprendre les différences culturelles et par là
d’augmenter le potentiel référentiel.
Extrait 6, (C.3)
F.ii. 078 : makanch kima (il n’y a pas mieux que) l’ALGERIE elli ::: (est) ++ un
très beau pays kbir (grand) + quatre fois la FRANCE ya (ô) AMARIA
+++ wemchi deyqa w’ (elle est étroite) même les gens galou (ont dit)
++ même les gens kanou temma (ils étaient ici) + ici en ALGERIE
très=accueillant ++ msakine (les pauvres) + pour rien du tout
eyHattoulek + [tetçachay (ils te donnent à manger + à dîner)
A.ni. 079 : [à l’aise
150
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Par ailleurs, nous pouvons souligner chez la locutrice dans l’extrait 7 des
insuffisances en ce qui concerne certains faits culturels qui se manifestent là encore par
l’emploi des pronoms possessifs ou par les déictiques spatiaux. Les échanges entre Farida
et ses partenaires sur la question du mariage montrent des différences qui sont comparables
aux différences linguistiques qui se traduisent par des asymétries. Il en est de même dans
l’extrait 8 où Farida évoque un autre fait qui renseigne sur son savoir culturel (le médecin
traitant ou le médecin de famille) qui a suscité de l’intérêt de la part de ses partenaires qui
se sont contentées de poser des questions plutôt que de prendre la parole pour donner leur
avis.
Extrait 7, (C.4)
A.ni. 134 : est-ce que le mariage de la ville t’a plu ?
F.ii. 135 : ouais :: franchement ouais :: celui ou le jeune + il s’est
marié ?
A.ni. 136 : hmm ! + yi::h ! (oui !)
F.ii. 137 : ah ouais ! ça m’a choqué il était trop petit + trop petit
euh trop jeune + chez nous ++ chépa
A.ni. 138 : rare
F.ii. 139 : oui c’est rare où on se marie à cet âge là chépa moi je
trouve que c’est trop + trop jeune euh chépa dix=huit=ans +
je crois il avait dix sept ans
L.ni. 140 : oui + oui il a dix sept ans
F.ii. 141 : ((rires))
L.ni. 142 : xxx çadak chwiyya (encore c’est peu)
A.ni. 143 : pourquoi tu étais choqué ? FARIDA ! (FARIDA !)
F.ii. 144 : j’(ne) sais pas je trouve que c’est l’âge + c’est pas du
tout ça
A.ni. 145 : ça c’est normal Hna çadna hagdek yezewjou Sghar (nous c’est
comme ça chez nous ils se marient très jeunes)
F.ii. 146 : pourquoi ? il y a de l’argent ? en fait vous quand=il y a
151
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Extrait 8, (C.5)
F.ii. 453 : [o::h ! ma mère tdir l’couscous (elle prépare du couscous) au
médecin ++ taçna (notre)
A.ni. 454 : hmm !
F.ii. 455 : le médecin taçna:: (partiulier) xx médecin familal Hna fe FRANSSA
(nous en FRANCE) c’est comme [une règle
A.ni. 456 : [hmm !
F.ii. 457 : [c’est + vous déclarez votre
médecin traitant taçek (particulier)
A.ni. 458 : ei::h !
F.ii. 459 : bech ma TrouHich +++ maçandekch ed’deroit TroHé çand eTbéb
waHdakhor (pour ne pas aller +++ tu n’as pas le droit d’aller chez un autre médecin)
L.ni. 460 : ma tbeddelch ++ Tbéb ++ waHad tA°blou (tu ne changes pas ++ de
médecin ++ tu optes pour un seul)
F.ii. 461 : voilà ! pourquoi + essna darouha (attend ils l’on fait) + ça fait xx
nkhammou (on réfléchi) on a cherché des médecins xx médecin
familial taçna (particulier)
donc + docteur ANDRE ça fait neddoulah éTçam + el couscous
(on lui ramène le couscous)
L.ni. 462 : ghaya ! (c’est bien)
125
Astrid BERRIER (2003) se base sur le degré de participation comme critère pour mesurer les divergences
entre locuteurs n’ayant pas les mêmes connaissances linguistiques et culturelles.
152
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
l’immigrée s’attarde – (en monopolisant la parole) – sur certaines questions et relate des
événements vécus spécifiques à la culture du pays natal (ou sa culture d’immigrée).
Il arrive que le non natif bute sur l’emploi différent du même mot en langue 2126,
mais dont le réemploi est potentiellement modifié et enrichi par inférence lors de chaque
conversation avec le natif. Ce dernier participe à la construction du sens et vérifie les
lacunes lexicales et les opacités repérées. Par conséquent, certains éléments des répertoires
verbaux des interlocuteurs sont construits, déconstruits et reconstruits dans l’interaction.
La construction sociale des connaissances chez les locuteurs bilingues et biculturels conduit
à des empiétements d’une langue sur l’autre et d’une culture sur l’autre. Quand c’est le cas
d’un bilingue fort en L1 et L2 la compétence est de taille du fait que chacun des deux
systèmes fonctionnent comme si c’était un seul et unique système. Dans de telles situations
le problème identitaire n’est nullement posé en termes de rupture ou de contradiction
révélant des différences entre deux univers distincts.
Chez les immigrés comme chez les non-immigrés, les problèmes langagiers peuvent être
accompagnés d’autres difficultés liées à la compétence socioculturelle (ALBER & PY, 2004)
ou encore à la communication interculturelle, comme le montrent les exemples
suivants (extraits 9) :
126
Cela correspond à la variation qui apparaît entre le français parlé en France et le français parlé en Algérie.
Nous pouvons également ajouter que les jeunes issus de l’immigration utilisent beaucoup de mots verlanisés
et de mots tronqués que les non-immigrés ne saisissent pas.
*
Une sorte de gâteau préparé à base de miel.
*
C’est un mélange d’œufs et de farine frit et trempé dans le miel, il a la forme d’une banane c’est pourquoi on l’appelle
« banane ».
153
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Exemple 2
A.ni. 428 : wel kaHla ? (et le foie ?)
F.ii. 429 : c’et quoi [el kaHla ? (le foie ?)
L.ni. 430 : [el melfouf (le foie)
F.ii. 431 : [el melfouf (le foie) + oui !
A.ni. 432 : [le foie
F.ii. 433 : [seulement ces dernières=années + hadou balek (ce la
fait peut être) un + deux=ans je mange [hada el melfouf mça (les
brochettes de foie)
Dans l’exemple 2, la séquence latérale en (L.ni. 430 et F.ii. 428) conduit à une
inférence de la part de Amaria (A.ni. 431) qui s’est rendue compte que ce n’est pas le
terme qui correspond au référent dont elle parle à savoir « l’kaHla (le foie) ». Ce terme a
suscité un questionnement de la part de Farida en (F.ii. 429) qui ne parvient pas à saisir le
154
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
sens d’où la reformulation du terme employé par Linda « el melfouf (brochettes) ». Il faut
noter que le terme « l’kaHla (le foie) » est proposé par Amaria.
Dans ce jeu co-énonciatif Amaria passe de la langue arabe au français pour fournir
le sens du terme attendu qu’elle avait l’intention de communiquer. Cela signifie que le sens
a été co-construit sous forme de co-énonciation et renvoie à une double dynamique,
interactive et acquisitionnelle où les éléments de l’arabe et du français sont employés pour
clarifier le message. L’accomplissement des tâches de co-construction et de co-énonciation
est contrôlé par les interactants en se référant à un usage de la langue, établi et codifié
socialement par inférence. Le dédoublement ou l’alternance codique correspondent à une
pluralité d’expériences vécues par les locuteurs qu’ils soient forts ou non dans les deux
langues.
Il en est de même dans l’exemple 3, Farida est tentée par l’emploi du terme arabe
« bekbouka (bekbouka ?) » en le trouvant un peu risqué sémantiquement, ainsi son
questionnement apparaît sous forme d’auto-inférence car ce n’est pas le mot qu’elle
cherche exactement. Linda ne parvient pas à fournir le sens en s’étonnant devant l’énoncé
de Farida qu’elle trouve bizarre « bekbouka au ramadan ! non ! », en l’absence d’un
équivalent en arabe dialectal, Farida se rappelle du terme après avoir répété le premier. La
préposition conclusive « voilà » montre que Farida connaissait le mot mais qu’elle l’avait
oublié.
Exemple 3
L.ni. 024 : yîh ! (oui !) ++ et qu’est-ce que tu préfères comme repas ?
((rires))
F.ii. 025 : comme repas je [préfère le hmm::
L.ni. 026 : [le Hrira ++ le Hrira ! (la Hrira ++ la Hrira !)
F.ii. 027 : [le bekbouka127 ? (bekbouka ?)
L.ni. 028 : [bekbouka au ramadan ! (ramadan !) non
F.ii. 029 : [bekbouka (bekbouka) + lbourek (le bourak) + voilà !
L.ni. 030 : ah oui ! le bourak (le bourak) du viande hachée
F.ii. 031 : oui ! avec la viande hachée
127
C’est une farce préparée à base de riz, de pois chiches, d’épices, de persil ainsi que les abats du mouton
(en l’occurrence les morceaux de l’estomac, les intestins et les morceaux de poumon).
155
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Les tours de parole sont structurés par les deux partenaires sur la base de leurs
compétences en arabe dialectal et en français. Ainsi, elles manifestent leurs efforts pour
atténuer les difficultés en sollicitant constamment de l’aide.
Durant les 29 minutes de la conversation (C.1), on peut remarquer que celle qui a
pris le plus la parole c’est bien Farida, les tours de parole de Amaria sont très courts si
nous les comparons avec ceux de Farida. Les énoncés de Farida, que se soit en arabe
dialectal ou en français, montrent un degré de bilinguisme qui est différent de sa partenaire.
Farida se trouve dans une situation de bilinguisme où les deux langues sont omniprésentes
et de façon intensive. La langue du pays natal et langue de la culture d’origine des parents
demeure une réalité qui dynamise l’apprentissage des formes mixtes plus élaborées,
constituées ad hoc. Par contre sa partenaire, c'est-à-dire Amaria, ayant vécu dans un espace
plurilingue qui présente d’autres configurations où la constitution du savoir linguistique en
langue française relève de l’école et où l’alternance codique est une activité de nature
radicalement différente née du métissage des langues existantes au sein de la communauté
linguistique et sociale, manifeste une compétence bilingue qui nous permet de la définir
dans une certaine mesure comme ‘‘une bilingue en devenir’’.
156
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
128
L’exposition (ou encore le contact permanent des locuteurs) amène forcément à un apprentissage et au
développement du répertoire.
129
Les places énonciatives, la double focalisation et le caractère pédagogique des tours de parole sont autant
d’éléments qui favorisent l’apprentissage et permettent l’évaluation des efforts fournis par l’apprenant. Voir à
ce sujet Jean-François DE PIETRO, Marinette MATTHEY et Bernard PY (1989).
157
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans la séquence d’ouverture (de 001 à 012), la reprise en (A.ni. 007) du terme
tronqué « impec » sous forme d’interrogation montre qu’elle ne l’a jamais entendue
auparavant sous cette forme, cela se confirme à travers l’échange (A.ni. 009) lorsqu’elle
dit : « Hatta ana ch’wiyya netçallem (Même moi j’apprends un peu) quelques mots ». En
(F.ii. 008) nous pouvons noter l’action de Farida qui initie l’adjectif « impec » et reprend le
terme « ça va » pour répondre à la requête de Amaria, nous avons à faire à une forme
d’étayage marquée par l’alternance de deux termes qui sont synonymes130. Cette séquence
montre également le caractère expressif (emploi de l’embrayeur « ana » équivalent de moi
et de je) du discours de Amaria sur la langue où elle donne plus particulièrement une
appréciation sur sa façon de parler le français en (A.ni. 011 : Français cassé ++ on dit
comme ça ?). On remarque que Amaria pose sa question après avoir marqué une pause
brève ; cette focalisation sur le code ayant trait à la question du métissage ou encore à celle
des insuffisances linguistiques qu’elle a affichée.
La focalisation sur la langue est aussi apparente chez (F.ii. 012) surtout lorsqu’elle
affirme qu’il s’agit de ‘‘l’arabe maghrébin’’ en parlant du français qualifié de « cassé » par
Amaria. On note l’emploi de l’adverbe (ouais::) avec une intonation montante du [] par
lequel elle ratifie l’appréciation d’Amaria et souscrit à son opinion.
La distance évaluée par Amaria entre sa compétence en langue française et celle de sa
partenaire dans la même langue lui permet de construire son énoncé sur la base de sa
130
La locution interjective « ça va » est employé en réponse positive à une question concernant la santé et le
bien être, elle est utilisée aussi comme question pour avoir des nouvelles de santé ou de bien être. Les
Algériens l’emploient souvent comme synonyme de parfait, impeccable ou bien en alternance avec
l’Hamdoullah (Dieu soit loué) et avec Ghaya (bien).
158
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
connaissance des deux langues et de son statut de locutrice forte en langue arabe plutôt
qu’en français. De même que la perception de la distance interlinguistique est sujette à des
jugements influencés par le savoir que chacun des partenaires a des deux langues.
Au plan métalinguistique, les données révèlent aussi des éléments intéressants sur
les dires des locuteurs d’une conversation quant aux façons de parler les langues qui
interfèrent souvent entre elles. Les reformulations, les autocorrections montrent clairement
le degré de conscientisation131 chez le locuteur le moins compétent en langue 2. Les
attitudes des locuteurs favorisent la saisie des données en langue 2, nous pouvons parler
soit d’attitudes d’ouverture par lesquelles le locuteur le moins compétent éprouve un lien
affectif avec le locuteur fort ou avec la langue 2 soit d’attitudes réservées vis-à-vis de la
langue 2 qui amènent généralement à la fossilisation. La force des attitudes et des
motivations représente un moment important dans l’appropriation d’une deuxième langue
(BOOGARDS, 1988).
131
Il faut noter, dans de telles situations, l’avantage qu’ont les adultes (en tant qu’apprenants) à ce stade
d’acquisition. Le développement cognitif et la socialisation étant achevés, ils vont apprendre/acquérir avec
beaucoup d’efficacité en se basant sur un système de référence élaboré.
159
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans les extraits 11, 12, 13 14 (tirés de C.1 : entre Amaria et Farida) nous
remarquons que la différence linguistique est marquée par la reconnaissance des
insuffisances qui conduisent l’interlocutrice qui se trouve en situation de panne
linguistique à susciter de l’aide.
Par exemple dans l’extrait 11, Amaria manifeste sa compréhension par l’emploi de
l’interlangue « deux fois » (A.ni. 033) relatif à remarié, énoncé amorcé par Farida (F.ii.
032). On constate à travers ces échanges le degré de participation de Amaria et de Farida
qui est relativement équilibré. Ce rapport est basé sur des « rôles »134 assumés par les deux
partenaires quant au choix et l’intervention sur les carences ou l’emploi inadéquat des
énoncés.
Extrait, 11 (C.1)
F.ii. 030 : j’ai une ++ j’ai une grand-mère + la mère de ma mère et
puis + j’ai mon grand-père
A.ni. 031 : yi:h (oui) oui !
F.ii. 032 : et ma grand-mère + mais s’est la belle-mère de mon père
+++ mon grand-père s’est remarié
A.ni. 033 : yi:h (oui) + deux fois
132
Voir à ce sujet l’article de Anne TREVISE (1996) qui propose une réflexion sur la terminologie et distingue
activités métalinguistiques de représentations métalinguistiques.
133
La prise de conscience du déficit ou de l’inadéquation est attribuée aux connaissances épilinguistiques
organisées en mémoire. Selon Jean-Emile GOMBERT (1996 : 51) : « Ces connaissances épilinguistiques, ainsi
constituées en mémoire, contrôlent toutes les actions linguistiques du sujet mais ne transparaissent que dans
certains comportements (les comportements épilinguistiques) comme ceux de correction ou de
surgénéralisation de l’application de certaines règles. Toutefois, ce contrôle se fait à l’insu de l’individu lui-
même qui ignore les règles qu’il applique. Ce n’est qu’après un processus de prise de conscience de ce qui
sous-tend ses propres comportements linguistiques que l’individu pourra réfléchir et utiliser
intentionnellement ses connaissances sur le langage et ses règles d’usage ».
134
Nous nous référons à Robert VION (1992) quant à la notion de rôle pour ainsi rendre plus pertinente
l’asymétrie et le statut des partenaires fort/faible (expert/non-expert), immigré/non-immigré ou encore
natif/alloglotte au niveau interactionnel.
160
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
F.ii. 034 : voilà + ma grand-mère paternelle est +++ elle est décédée
en quatre vingt dix neuf +++ mais elle est comme mon grand
père +++ pour mon grand père +++ +++ mais malheureusement
elle est gravement malade ++ j’ai ma grand-mère la mère de
ma mère ça va elle est eu::h elHamdoullah ! (Dieu soit loué)
c’est une bonne vivante
L’usage de la langue arabe dialectal dans les extraits 11, 12, 13, 14 et 15 ne
concerne que quelques mots par lesquels Amina et Farida clarifient le message, ceci se
manifeste aussi par l’emploi des commentaires métalinguistiques : « comme on dit en
arabe », « comme on dit chez nous », « comme on dit », « on dit en arabe ». Cette
focalisation sur le code montre également qu’il s’agit d’un degré de conscientisation relatif
à un stade avancé de l’appropriation des deux langues.
Les formulations métalinguistiques dans ces extraits ont une valeur didactique et
discursive qui vise l'intercompréhension et permet de mener à bien l’interaction. Leur
caractère d’énoncés coordonnés aboutit à des concessions mutuelles par lesquelles les
partenaires se donnent comme statut le fait d’être ‘‘forts’’ dans leur première langue.
Ainsi, en analysant de tels énoncés nous dégageons la volonté des interactants de réduire
l’asymétrie. De même que l’emploi des termes de l’arabe dialectal et du français qui
émaillent leurs échanges relève d’un choix délibéré et conscient qui dynamise l’interaction
et l’intercompréhension. On observe comment l’aide ou la sollicitation de l’aide sont
mises en discours par les interactants qui se dirigent vers des solutions (soit en arabe
dialectal soit en français) qui vont aussitôt servir à réparer des pannes linguistiques et
conversationnelles.
C’est ce que nous allons voir dans les deux extraits suivants 11 (C.1) et 12 (C.1) où
les interlocuteurs retournent sur certains termes pour ainsi donner exactement ce qui est
jugé adéquat à la situation d’énonciation, cette réflexivité est explicitée aussi par des
énoncés métalinguistiques.
L’alternance dans l’énoncé (A.ni. 035 : khwalek et les oncles) montre que Amina est
consciente du fait que son interlocutrice a besoin de plus de précisions c’est pourquoi elle
alterne les mots en focalisant sur le code lorsqu’elle emploie l’énoncé métalinguistique
(A.ni. 035 : comme on dit en arabe) en employant le terme en question en arabe puis elle
161
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
réitère en français. On voit bien dans cet énoncé bilingue l’anticipation dans l’explication.
Les dires135 sur la compétence dans une langue ou dans l’autre aident les interactants à
mesurer l’hétérogénéité entre un emploi spécifique des deux langues et un autre, ce qui
relève d’une tentative d’usage et ce qui relève d’un usage jugé correct.
Nous pouvons souligner dans bien des cas le rôle que joue l’expert d’une langue dans
l’interaction par la réactivation des éléments oubliés ou rarement utilisés. Par exemple dans
l’extrait ci-après (12) en (F.ii. 054 : comme on dit + çamti) et (F.ii. 052 : j’ai deux tantes
hna), les deux tours de paroles montrent la reprise des termes « oncle » et « tante » qui
rappellent « çamti », par l’usage alternatif de « khwalek et les oncles » dans (A.ni. 035).
On peut considérer certains feed back comme une réponse à une sollicitation d’aide. Dans
(F.ii. 036), Farida ne parvient pas à l’élément proposé et visé par Amaria en arabe, elle
reprend le terme français « les oncles ».
Nous notons dans l’extrait 12 que Amaria ne parvient pas à prendre la parole au
même titre que son interlocutrice. Les hésitations et les bafouillages le montrent clairement
dans les cinq conversations d’autant plus que les énoncés d’Amaria sont très rarement
135
On peut distinguer selon Francine CICUREL (1996) : un dire sur la langue à apprendre, un dire sur
l’appropriation (difficulté ou facilité à réaliser certaines formes), un dire sur la
compréhension/incompréhension, un dire ‘’à l’autre’’ dans lequel la langue retrouve sa fonction
communicative, expressive, informationnelle, référentielle – au détriment de la seule fonction
métalinguistique toujours largement déployée en classe de langue et un dire à usage ludique sur les mots, non
dépourvu d’un caractère de gratuité.
162
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
L’asymétrie entre l’immigrée et les deux non-immigrées est établie entre autres par
rapport aux formes mixtes qui sont spécifiques aux parlers arabes en Algérie, au français
parlé et les façons de parler le français et l’arabe dialectal par les immigrés. L’asymétrie
soulignée des répertoires nous amène à circonscrire les interactions des nos locutrices dans
un continuum entre exolinguisme et bilinguisme. Ainsi, l’extrait 13, ci-dessous, illustre les
divergences linguistiques entre l’immigrée et sa partenaire tant au niveau de l’exploitation
des ressources des deux langues qu’au niveau de l’élaboration et la co-construction des
énoncés (courts ou longs).
On note dans cet extrait (13) la reprise du terme « metHaf » par (F.ii. 070) et la
réitération de (A.ni. 071) avec une intonation exclamative pour insister ; on remarque aussi
que (A.ni. 069) l’a employé au début suite un chevauchement, elle a coupé son
interlocutrice en insérant un énoncé métalinguistique « on dit en arabe ». L’intervention de
(A.ni. 069) est d’ordre didactique par laquelle elle fournit un élément qui n’est pas connu
163
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
de sa partenaire. A son tour Farida (F.ii. 072) reprend une deuxième fois ce terme en
énonçant son ignorance de ce mot « je ne sais pas trop » avant de continuer ce qu’elle avait
commencé en reprenant le terme en français « et dans ce musée ». Le terme « metHaf » est
un élément de l’arabe standard n’ayant pas subi d’altération, il est le plus souvent employé
en alternance avec musée ou avec la forme altérée comme « lmizi », mais le terme musée
est plus fréquent que « metHaf ».
Dans notre corpus, la recherche du mot juste est sollicitée pour répondre à une
difficulté lexicale. En effet, le travail lexical amène souvent à une recherche du terme
adéquat et amène à la mobilisation lors des échanges d’un champ lexical mixte permettant
l’intercompréhension.
164
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans l’extrait (15) nous soulignons l’emploi des procédés qui servent à solliciter
explicitement des clarifications pour résoudre un problème de formulation rencontré par
Farida qui a confondu entre deux termes pour désigner les confréries : (F.ii. 138) :
« çissawa (confrérie des ÇISSAWA) vous dites ++ c’est ++ c’est + ça ++ c’est ça
Hamdawa ? (HAMDAWA ?) ». Le terme Hamdawa renvoie à un groupe de musique
mystique qui reprend les chants religieux des confréries des « çissawa » et des derkawa ».
Amaria par contre manifeste son incompréhension du fait que Farida a employé deux
termes qui renvoient à deux choses différentes que Amaria connaît mais qui ne
représentent pas pour elle la même réalité. N’étant par sûre que le terme (Hamdawa) est
synonyme de (çissawa), Amaria emploie un énoncé évaluatif (métalinguistique) après
avoir entériné la proposition de sa partenaire (A.ni. 141) : « oui ! + ah: Je ne sais pas ! ».
Cette incompréhension manifeste est en elle-même une sollicitation qui a déclenché des
séquences latérales (F.ii. 142), (A.ni. 143), (F.ii. 144) et (A.ni. 145). Dans la dernière
séquence Amaria tente d’apporter une explication en précisant qu’il y a les « çissawa » et
les « derkawa ». Même à travers cette séquence à caractère définitoire Farida n’a pas saisi
165
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
le sens du terme « derkawa ». On constate qu’elle a employé encore une fois le terme
« Hamdawa » en (F.ii. 148).
Extrait 15, conversation (C.1)
F.ii. 138 : c’est en fait c’est des hommes ++ çissawa (confrérie des ÇISSAWA)
vous dites ++ c’est ++ c’est + ça ++ c’est ça
Hamdawa ? (HAMDAWA ?)
A.ni. 139 : Hamdawa (confrérie de HAMDAWA)
F.ii. 140 : Hamdawa (confrérie de HAMDAWA)
A.ni. 141 : oui ! + ah: Je ne sais pas !
F.ii. 142 : lHamdawa (la confrérie de HAMDAWA) ++ c’est que ton frère hada
yaçref (lui il sait)
A.ni. 143 : mais hna taynik kayen çissawa (mais il y a aussi ÇISSAWA)
F.ii. 144 : les Hamdawa (les HAMDAWA)
A.ni. 145 : kayen (il y a) les çissawa (ÇISSAWA) + kayen derqawa (il y a DERKAWA)
F.ii. 146 : ye kherdjouna menfoum (il nous le sorte de sa bouche par un coup de magie)
de leur bouche
A.ni. 147 : yîh (oui)
F.ii. 148 : Hamdawa bessaH (HAMDAWA mais)
1999) permet la restructuration et la reformulation selon les règles jugées correctes par les
interactants. Dans le cas des locuteurs algériens ou issus de l’immigration algérienne, la
structuration des énoncés est sous la dépendance de la nature morphosyntaxique et lexicale
de la langue favorisée dans l’interaction.
Nous trouvons des éléments mixtes conçus selon les lois de langue arabe dialectale
et/ou celles du français. Dans les deux cas de figure la structure répond à une certaine
norme. Les schémas syntaxiques des énoncés diffèrent d’un locuteur à l’autre selon qu’ils
166
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
favorisent l’une ou l’autre langue dans les interactions. Le choix stratégique en ce qui
concerne la formulation des énoncés bilingues s’articule autour de deux types de
structures, celles qui résultent de l’interlangue et celles qu’on trouve dans l’une ou l’autre
langue.
167
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
des unités lexicales (lexèmes et grammèmes) sans action ou état marqué. Les
interlocuteurs trouvent ces structures plus pratiques dans l’accomplissement de
l’interaction, d’autant plus que la complétude conversationnelle conduit à la co-
construction du sens et à l’élaboration des énoncés syntaxiques simplifiés.
L’accomplissement de la tâche communicative dépend de trois compétences136 : la
compétence grammaticale, la compétence sociolinguistique et la compétence stratégique.
Il s’agit d’une perspective ethnographique qui envisage la compétence linguistique comme
une compétence de communication (HYMES, 1984). C’est au niveau du discours que de
tels énoncés sont jugés appropriés ou non. Les exemples cités prennent sens dans leurs
contextes respectifs. La construction syntaxique d’énoncés plus élaborés prend forme soit
à travers l’alternance codique soit à travers des énoncés en langue 2 (selon la première
langue des locuteurs). Les séquences latérales sont à l’origine de l’élaboration des énoncés
syntaxiques étendus qui dépassent un ou deux lexèmes (adjectif + nom ou nom + adjectif),
ou un grammème et un lexème (article + nom). L’hésitation et la prudence de la part du
locuteur faible en langue 2 se traduit lors des interactions avec le locuteur fort en stratégies
de communication et d’acquisition. La fréquence des mots passe-partout chez nos
informateurs sont énoncés aussi comme des mots-phrases ou encore sous formes de
particules discursives qui régulent l’interaction comme les consentements exprimés par
« oui, yih, ah, mmh, etc. » dont la récurrence est significative. A noter que ces particules
montrent l’évitement dans bien des cas. L’amplification du commentaire par le passage de
l’arabe dialectal au français et vice versa est une compensation du manque qui exige la
mobilisation des ressources linguistiques ad hoc. C’est ainsi que l’accroissement des
éléments de la langue 2 apparaît dans les conversations du locuteur faible (ou alloglotte)
qu’ils façonnent en énoncés bilingues alternés. Ces énoncés déclenchent chez les
interlocuteurs des processus d’interprétation qui dynamisent l’interaction. L’effet
perlocutoire causé par l’usage des mots passe-partout confère à la conversation exolingue
la caractéristique d’être un moment propice d’acquisition. Les constructions syntaxiques
initiées par le locuteur faible sont aussitôt complétées par le locuteur fort.
168
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
dépendance des interactions verbales entre le locuteur fort et le locuteur faible. Ces
derniers construisent mutuellement le système de référence qui leur facilite l’interaction et
l’intercompréhension. Le savoir-faire procédural et les connaissances générales sur le
monde en langue et culture d’origines chez les locuteurs immigrés/non-immigrés jouent un
rôle important dans l’élaboration du savoir en langue 2 des interlocuteurs. Ainsi, par
l’alternance codique, les trois interlocutrices parviennent ensemble à l’organisation de
leurs tours de parole et à l’achèvement de leurs énoncés. La valeur didactique de
l’interaction entre locuteurs bilingues à répertoires verbaux hétérogènes leur permet de se
rendre compte des inégalités et donc de parvenir à tirer le meilleur parti possible de leurs
échanges. De même que les énoncés collaboratifs et les séquences potentiellement
acquisitionnelles permettent la réactivation du répertoire désactivé. Peut-on donc parler
d’un continuum entre bilinguisme et exolinguisme dans la conversation entre
immigrés/non-immigrés ?
169
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
CHAPITRE 2
COMMUNICATION BILINGUE/EXOLINGUE : CHOIX ET ALTERNANCE DES LANGUES
Nous avons posé l’hypothèse que, dans les conversations entre les locuteurs
immigrés/non-immigrés, il y a des éléments qui relèvent du bilinguisme et d’autres qui
relèvent de l’exolinguisme mais selon un continuum bilingue/exolingue. Ceci nous conduit
à nous consacrer à l’analyse des pratiques langagières afin de rendre compte de la
compétence bilingue/exolingue des locuteurs qui présentent des asymétries de part et
d’autre quant à la mobilisation des ressources de l’arabe dialectal et du français. Ainsi,
nous dirons a priori, qu’il s’agit d’une compétence bilingue originale qui est ajustée à la
fois par les échanges et par la mobilisation des ressources respectives des locuteurs.
L’un des objectifs de cette analyse est de dégager à travers le changement et les
alternances de langues ce qui relève d’une compétence bilingue ou exolingue qui permet à
chaque locutrice de converger avec sa/ses partenaire(s) lors des interactions.
Afin d’analyser les pratiques langagières des trois locutrices enregistrées, nous
commencerons d’abord par la présentation de quelques théories qui se sont intéressées au
phénomène du choix de langues. Ensuite, nous traiterons par une approche quantitative la
part de l’arabe dialectal et du français voire les deux à la fois (alternées) dans les cinq
conversations et pour chacune des trois locutrices. Nous nous intéresserons enfin, aux
170
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Bien que les locutrices soient conscientes à la fois des asymétries des répertoires et
des compétences bilingues qu’elles manifestent, leurs pratiques langagières révèlent de
nombreuses caractéristiques et d’indices qui déterminent l’investissement, le choix et la
négociation des ressources langagières ainsi que la gestion des échanges. Il est donc
essentiel de déterminer dans quelle mesure et dans quelles situations les locutrices
choisissent les deux langues et avec quelle fréquence. Ainsi, nous essaierons de repérer des
indices et des observables qui permettent de définir leur compétence bilingue et la gestion
des interactions.
Afin d’éviter une analyse des choix de langues et des alternances codiques limitée à
un seul modèle, nous présentons quelques paradigmes des différentes théories qui se
situent au niveau interactionnel et qui se complètent à bien des égards. Pour l’application
de certains procédés dans notre travail il est nécessaire pour nous d’inscrire notre analyse à
l’intersection de différentes théories étant donné les caractéristiques sociales des
participantes et de leurs pratiques langagières. Découvrir comment se fait le choix des
langues chez un locuteur bilingue n’est pas une chose aisée vu le nombre de facteurs
d’ordre différents (sociologiques, psychologiques et situationnels) qui le motivent.
137
Voir également à ce propos d’autres éclairages chez Joshua FISHMAN (1971 : 57-68).
171
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Les composantes relatives aux domaines, à savoir les sujets des conversations138,
les participants, le cadre ou le lieu ainsi que le moment sont déterminants dans le choix des
langues. Ces composantes représentent des abstractions qui ne sont réalisables qu’en
termes de situations concrètes. Ainsi, Joshua FISHMAN montre les limites de la notion de
« comportement approprié au domaine » en ce qui concerne l’explication de ce qui se
passe lors des interactions en face à face.
138
Cette composante est directement liée aux participants et à la situation.
172
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
compte à la fois les facteurs psychologiques et les facteurs sociaux pour déterminer le
choix des langues. La théorie de l’accommodation est une théorie de la psychologie sociale
de la communication qui met l’accent sur l’ensemble des comportements relatifs au
changement de langue et aux modifications langagières qui résultent de l’interaction entre
les interlocuteurs. A côté de ces considérations on peut ajouter les stratégies
d’accommodation que Howard GILES et al., (1991) divisent en stratégies de convergence et
de divergence. Pour la première, les locuteurs s’adaptent au comportement communicatif
de leurs interlocuteurs, ce qui donne à ces derniers l’avantage de réduire les écarts. Pour la
seconde, le locuteur cherche la conformité à la situation tout étant conscient des
différences. En s’intéressant au phénomène de choix des langues comme un cas de
divergence ou de convergence, aux niveaux macro-sociolinguistique et micro-
sociolinguistique, la théorie de l’accommodation adoptée par Howard GILES et al., (ibid.)
distingue entre l’accommodation totale et partielle. Ce qui a amené, au plan micro-
sociolinguistique, à différencier l’alternance codique comme un cas d’accommodation
totale, du mélange de codes comme un cas d’accommodation partielle.
173
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
changement de langue dans des situations bi-plurilingues. François GROSJEAN (ibid.), par
exemple, a dégagé quatre facteurs (internes et externes) régissant le choix de langues dans
des situations de communication bilingues : la situation, les participants, les thèmes
abordés et le but de l’interaction. Il attribue également à chaque facteur des variables
(biologiques, sociales, économiques, culturelles, etc.). En s’inspirant de la théorie de
l’accommodation de Howard GILES, Josiane HAMERS et Michel BLANC (ibid.) présentent le
modèle de l’adaptation de la parole. Selon leurs propos, dans les situations de contact de
langues, le succès de la communication dépend des capacités linguistiques en production et
en réception dans les deux langues et de l’adaptation aux changements de langues.
L’adaptation de la parole est tributaire de plusieurs stratégies (ibid. : 183-197) permettant
d’atteindre un but communicatif commun et de résoudre entre autres des difficultés dues à
des insuffisances linguistiques. Dans une perspective micro-sociolinguistique, Georges
LÜDI et Bernard PY (2003) ont essayé d’expliquer la manière dont le choix d’une langue de
base s’opère dans les pratiques langagières des familles migrantes en Suisse. Pour ce faire
ils ont proposé deux manières de faire, l’une basée sur une analyse de type conversationnel
et l’autre sur une analyse des dires des informateurs interrogés sur leurs choix
linguistiques.
En tout état de cause, la combinaison de ces théories et approches nous permet dans
notre étude de prendre en considération certains facteurs qui sont significatifs pour
l’analyse des choix des deux langues entre la locutrice immigrée et ses partenaires non-
immigrées. En effet, les différentes approches montrent que le choix de langue est
déterminé par la combinaison de plusieurs facteurs de nature différente.
139
Ces deux alternatives (les deux choix possibles) relèvent de deux stratégies de communication spécifiques
aux locuteurs bilingues (HAMERS & BLANC, 1983).
174
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
effet, la comparaison à partir de la quantification des items des deux langues dans les
conversations permet d’observer l’usage du parler bilingue et le poids de chacune des deux
langues. La prise en compte des énoncés produits et des énoncés reçus par les deux
locutrices en arabe dialectal et en français nous permet de caractériser aussi bien les choix
de langue effectués par les locutrices que le poids des langues dans les échanges ainsi que
les possibilités d’appropriation et de réactivation du répertoire verbal de chacune d’entre
elles.
Pour étudier les choix et les alternances codiques, nous nous basons en premier lieu
sur une approche quantitative. Celle-ci nous permet, d’un côté, de dégager les indices à
partir desquels nous pouvons étudier le poids des deux langues dans les interactions, de
l’autre de caractériser les choix opérés par les locutrices ainsi que la fréquence des
alternances codiques.
140
La longueur moyenne des énoncés (LME) ou (MLU : Mean Length of Utterance en anglais) est appelée
aussi longueur moyenne de production verbale (LMPV) (RONDAL, 2003 : 130). La notion de LME est
utilisée par les psycholinguistes de développement pour préciser le niveau langagier des enfants (BROWN,
1973). La longueur moyenne des énoncés ou «le LMPV s’obtient en divisant le nombre de mots ou de
monèmes obtenus dans un corpus de langage d’une longueur déterminée par le nombre d’énoncés »
(RONDAL, 1983 : 33).
175
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
des ressources relatives aux deux langues par une locutrice, permet la réactivation141 de la
langue qui n’est pas bien maîtrisée ou peu utilisée (voire désactivée)142 par son
interlocutrice.
Chaque locutrice emploie les langues de son répertoire de façon différente et selon
des stratégies précises. Notre point de départ ici est la prise en compte du critère quantitatif
dont la visée est de rendre compte de la récurrence et de la fréquence des deux langues
dans les conversations suivant la répartition des items en arabe dialectal, en français et
mixtes. Le but de la quantification des ressources langagières mobilisées lors des
interactions est d’apprécier laquelle des deux langues domine et chez quelles locutrices, et
pourquoi.
Avant de passer à l’analyse des données, il nous semble nécessaire de présenter les
normes ayant servi pour le comptage des items de l’arabe dialectal et du français en nous
inspirant de la recherche menée par Louise DABENE et Jacqueline BILLIEZ (1988) sur les
pratiques langagières des jeunes issus de l’immigration algérienne à Grenoble.
141
La réactivation du répertoire verbal est entendue dans une perspective développementale où les éléments
reçus par le locuteur de son interlocuteur conduisent au but communicatif et dynamisent l’interaction. Voir
(Anna GHIMENTON, 2008.a et 2008.b) à propos de la description des indices statistiques et pragmatiques qui
contribuent au développement du répertoire plurilingue chez un jeune enfant de Vénétie.
142
Dans le cas du locuteur bilingue, il peut s’agir d’un choix de langue face à un locuteur avec qui il ne
partage pas le même code. Tout comme il peut s’agir d’un locuteur qui n’a pas l’occasion d’utiliser la
deuxième langue, ce qui l’amène à oublier certaines formes.
176
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
177
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Nous avons opté pour cette solution (à partir des normes arbitraires établies ci-
dessus) car il nous a été plus difficile au départ de compter les unités de l’arabe dialectal ou
encore de certains emprunts accommodés surtout qu’il est question d’une transcription
orthographique. De plus, un certain nombre d’éléments morpho-phonologiques sont
produits différemment143 par les trois locutrices que ce soit en arabe dialectal ou en
français. Par ailleurs, se pose le problème du morphème lié ; dans le cas des unités en arabe
dialectal il s’agit de lexicalisation et de figement. C’est la raison pour laquelle nous avons
transcrit certains termes en regroupant plusieurs items en bloc (déterminant, marques de
déclinaisons qui contiennent le sujet et l’objet, les démonstratifs, les possessifs, etc.).
Certains psycholinguistes, qui s’intéressent au développement du langage chez l’enfant,
adoptent d’autres procédures de comptage, notamment pour analyser la longueur moyenne
des énoncés (BROWN, 1973) cité par Jean-Adolphe RONDAL (2003 : 131). Par exemple
pour le comptage de la longueur moyenne de production verbale, Jean-Adolphe RONDAL
(ibid.) considère que le mot ‘‘bergère’’ est composé de deux unités (une unité et un
morphème flexionnel qui exprime le genre féminin).
Ainsi, nous pouvons distinguer les unités de l’arabe dialectal insérées dans des
segments en français, les unités du français insérées dans des segments en arabe dialectal et
les tours de parole monolingues en arabe dialectal ou en français. Outre la quantification
des unités des deux langues et les caractéristiques des tours de parole
(mixtes/monolingues) nous calculons la longueur moyenne des énoncés produits par
chaque locutrice.
143
Les trois locutrices ont des origines géographiques différentes et elles n’ont pas le même contact avec
l’arabe dialectal. C’est pourquoi, dans de nombreux cas, les variétés phonologiques ou morphologiques sont
à prendre en considération pour la délimitation des unités linguistiques qui ont le statut de morphème.
178
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Pour ce qui est de la nature des tours de parole, nous avons distingué trois
catégories : les tours de parole monolingues où nous avons les tours de parole en arabe
dialectal, les tours de parole en français, les tours de parole mixtes (bilingues) et les tours
de parole nuls (sans aucun élément verbal). Les tours de parole monolingues correspondent
à l’usage exclusif de l’arabe dialectal ou du français. Dans le cas de l’arabe dialectal, les
emprunts accommodés et adaptés (HAMERS & BLANC, 1983) insérés dans des tours de
parole en arabe dialectal sont considérés et comptabilisés comme des termes de l’arabe
dialectal144. Dans les tours de parole mixtes, on y trouve les ressources de l’arabe dialectal
et du français allant d’une seule unité ou plus pour chacune des deux langues. Enfin, les
tours de parole nuls correspondent soit à un segment inaudible voire incompréhensible que
nous étions incapable de transcrire, soit à une participation avec des moyens non verbaux :
hochement de tête, soupirs, sourires et gestes alternatifs par lesquels une locutrice ratifie ou
refuse les propos de son interlocutrice.
144
Les emprunts intégrés sont considérés comme une ressource supplémentaire comme résultat du
bilinguisme arabe dialectal/français. Leur manifestation dans les pratiques langagières des trois locutrices
sera analysée comme un phénomène saillant à côté des alternances codiques compte tenu des propos avancés
par certains linguistes notamment Shana POPLACK (1988).
179
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
F.ii. 334 : kou nSéb neddikoum (si je trouve comment faire je vous emmène) ++ énnoS
felkaba (la moitié dans un cabas) + énnoS fel’coffre ++ énnoS
menna w’neddikoum mçaya (et l’autre moitié dans le coffre et ++ le reste je
vous emmène avec moi)
A.ni. 387 : comme les gens li chwiyya (qui sont un peu) ++ cinquantaine +
soixante ans y’Houbbou hadik él gaçda (ils aiment cette ambiance)
++ yOulou hna él gaçda (ils disent c’est ça l’ambiance)
Extraits des conversations 1 et 2 : tour de parole nul (gestes, soupirs, séquence inaudible
ou incompréhensible et hochements de tête ou encore la participation d’un locuteur
secondaire)
Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, les caractéristiques linguistiques des
tours de parole nous permettent de distinguer entre choix de langues et alternances
codiques. Ainsi, nous parlerons de choix de langues quand les locutrices utilisent l’une ou
l’autre langue sous forme de tour de parole monolingue ; et d’alternances codiques quand
les locutrices produisent des tours de parole mixtes ou bilingues.
180
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
4. Le poids des langues dans les échanges entre les trois locutrices
Les tableaux ci-dessous illustrent les résultats répartis en deux catégories ‘‘arabe
dialectal et français’’ obtenus dans chaque conversation. Les tableaux contenant des
données statistiques correspondent aux spécificités de chaque conversation. Les
histogrammes illustrent d’une manière graphique les données mentionnées dans chaque
tableau. Ils rendent plus apparents les écarts soulevés dans les tableaux contenant les
données chiffrées.
Dans la première comme dans la deuxième série de calculs nous examinons les
pourcentages concernant chaque langue et chaque locutrice. Il s’agit, en effet, de faire une
lecture des données verticalement et horizontalement. Par exemple pour le premier indice
(c'est-à-dire la part des langues par locutrice) les pourcentages qu’on analyse verticalement
se rapportent aux poids de chacune des deux langues dans la conversation. Alors que les
pourcentages qu’on analyse horizontalement concernent l’emploi de chaque langue par
locutrice. Il en est de même pour les totaux qui renvoient au total des unités dans
l’ensemble de la conversation. Pour ce qui est du deuxième indice qui concerne les
caractéristiques linguistiques des tours de parole, il y a les pourcentages relatifs au nombre
de tours de parole produits par locutrice qui se lisent verticalement et ceux relatifs aux
vecteurs langagiers qui se lisent horizontalement.
181
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
80,00% 71,03%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00% 28,96%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
Poids des deux langues dans les cinq
conversations
Graphique représentant le poids des deux langues dans les cinq conversations
182
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
A travers les tableaux ci-dessous (2, 3 et 4) on constate que les locutrices, Amaria
et Farida, font usage de l’arabe dialectal et du français à des degrés variés et de manières
différentes, donc le choix de langues peut être envisagé de plusieurs façons.
80,00% 74,35%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00% 25,65%
20,00%
10,00%
0,00%
Pourcentage des unités
Langues
Arabe dialectal Français Total
Locutrices
18,94 % 81,06 %
Farida 764 3270 4034
54,18 % 80 % 73,38 %
44,16 % 55,84 %
Amaria 646 817 1463
45,82 % 20 % 26,62 %
25,65 % 74,35 %
Total 1410 4087 5497
100 %
Tableau 3 : Pourcentage des unités produites (en arabe dialectal et en français) par locutrices dans la
conversation 1.
183
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
A B
90,00% 90,00%
80% 81,06%
80,00% 80,00%
70,00% 70,00%
40,00% 40,00%
30,00% 30,00%
20% 18,94%
20,00% 20,00%
10,00% 10,00%
0,00% 0,00%
Farida Amar ia Arabe dialect al Français
Dans cette première conversation, qui s’est déroulée entre Farida et Amaria, la
langue la plus utilisée est manifestement le français dont le pourcentage s’élève à 74,35 %
(soit 4087 unités) contre 25,65 % pour l’arabe dialectal (soit 1410 unités)145. Sur
l’ensemble des unités de cette première conversation, qui est de 5497, Amaria a produit
646 unités en arabe dialectal (soit 45,82 %) contre 764 produites par Farida (soit 54,18 %).
Concernant la langue française, Farida en a produit 3270 unités (soit 80 %) tandis que
Amaria en produit 817 (soit 20 %). Ces données chiffrées montrent aussi bien la part de
participation de Farida que la prépondérance du français dans la conversation. Nous
pouvons noter également un usage presque équilibré des unités de l’arabe dialectal par les
deux locutrices.
Notons à partir du Tableau 3 que Farida a produit un total de 4034 unités (soit
73,38 %) contre 1463 unités produites par Amaria (soit 26,62 %). En ce qui concerne le
nombre des unités produites en arabe dialectal, Farida a employé 764 unités (soit 18,94 %)
en arabe dialectal et 3270 unités en français (soit 81,06 %) tandis que Amaria en a produit
646 en arabe dialectal (soit 44,16 %) et 817 unités en français (soit 55,84 %). Les écarts
soulignés par langue et par locutrice montrent à la fois l’emploi moindre de l’arabe
145
Ces valeurs sont représentées dans le tableau 2 et dans le total en ligne horizontale du tableau 3. Cette
manière de présenter les données relatives au pourcentage des unités en arabe dialectal et en français et au
pourcentage des unités produites (en arabe dialectal et en français) par locutrice est adoptée pour l’ensemble
des conversations. En effet, cette manière de faire facilite la mise en adéquation entre les chiffres et les
histogrammes qui les représentent.
184
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Nous constatons un léger écart entre Farida et Amaria en ce qui concerne l’arabe
dialectal à comparer avec le nombre des unités produites en français par les deux
locutrices. Nous pouvons expliquer ces différences à partir de plusieurs facteurs : la
situation146, le répertoire verbal, les thèmes abordés, la position sociale et les places
conversationnelles des deux locutrices. Pour ce dernier facteur, tout semble indiquer que
Farida est beaucoup plus bavarde que son interlocutrice et que Amaria ne cesse de
l’interroger sur son quotidien en France et sur ses vacances en Algérie. Cette situation en
questions-réponses fait que Amaria participe autant mais avec des énoncés moins longs
que ceux produits par Farida, cependant, la position de Amaria en tant que réceptrice
l’amène dans beaucoup de séquences à ajuster sa façon de parler à celle de Farida et à
construire des énoncés mixtes.
Locutrices
Farida Amaria Total TP
Tours de parole
TP : français 52,19 % 47,81 % 251
131 120 (41,28 %)
43,09 % 39,46 %
TP : arabe dialectal 16,10 % 83,89 % 118
19 99 (19,41 %)
5,92 % 32,56 %
TP : mixtes 64,98 % 35,02 % 237
154 83 (38,98 %)
50,65 % 27,63 %
TP : nul 00 02 02
0,65 % (0,33 %)
Total par locutrice 304 304 608
(50 %) (50 %) (100 %)
Tableau 4 : Les spécificités linguistiques des tours de parole dans la conversation 1.
146
Notons qu’il s’agit d’une seule situation (milieu familial) où les locutrices ont pris l’habitude d’être
ensemble. En effet, pendant les quinze jours qu’elles ont passées ensemble avant le début des enregistrements
elles ont abordé divers sujets (selon notre complice).
185
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
A B
20,00% 30,00%
16,10%
20,00%
10,00% 5,92% 10,00%
0,65% 00,65%
0
0,00%
0,00%
Français Arabe Mixtes Nul
Farida Amaria
dialectal
Toutefois, la répartition des deux langues en tours de parole monolingues (en arabe
dialectal ou en français) et mixtes (en arabe dialectal et en français) révèlent, malgré les
écarts apparents (graphiques A et B), que la fréquence des tours de paroles mixtes s’avère
presque aussi importante que celle des tours de parole monolingues en français ; elle est de
147
Par emprunt spontané il faut entendre l’insertion d’une unité non lexicalisée dans un énoncé lors d’une
interaction en situation monolingue (POPLACK, 1980) ; Shana POPLACK et al., (1988) les appellent emprunts
à usage momentané.
186
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
237 tours de parole, dont 84 produits par Amaria (soit 35,02 %) et 154 par Farida (soit
64,98 %). Ce qui veut dire que Farida s’adapte par les tours de parole mixtes plus que par
l’arabe dialectal complet (soit 5,92 % de tours de parole en arabe dialectal sur l’ensemble
des tours de parole qu’elle a produit), alors que Amaria utilise plus le français tout en
maintenant l’arabe dialectal à un niveau très élevé. Nous pouvons soulever d’autres indices
sur le poids des deux langues et sur la concomitance concernant leur répartition par tour de
parole ; Farida produit moins de tours de parole monolingue en arabe dialectal que Amaria
qui a produit 99 tours de parole (soit 84,61 %) contre 19 tours de parole (soit 16,10 %). En
outre, le nombre de tours de parole en français est de 131 (soit 52,19 %) tours pour Farida
et 120 pour Amaria soit un taux de 47,81 %.
Les résultats retenus montrent non seulement la convergence entre les deux
locutrices mais aussi un bilinguisme équilibré chez Amaria alors que Farida montre une
langue forte le français (dont le pourcentage s’élève à 80 %). Mais cela n’est pertinent que
lorsque les écarts soulignés entre Farida et Amaria en ce qui concerne le poids des deux
langues et les caractéristiques des tours de parole sont mis en corrélation. Les trois indices,
rappelons-le, permettent de cerner le degré de bilinguisme et de déterminer les
caractéristiques de la conversation bilingue entre les locutrices (immigrée/non-immigrées)
notamment le choix de langues et les alternances codiques.
Comme nous l’avons annoncé la longueur moyenne des énoncés est aussi un
indicateur important à prendre en compte pour apprécier le parler bilingue.
187
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
LME
14 13,26
12
10
8
6 4,81
4
2
0
LME
Farida Amaria
Nous constatons à travers le tableau 5 que la longueur moyenne des énoncés pour
l’ensemble de la conversation est de 9,04 unités par séquence. Nous relevons une moyenne
de 13,26 unités par séquence pour Farida et de 4,81 unités par séquence pour Amaria. Nous
remarquons alors que Farida a produit des séquences plus longues que celles d’Amaria, ce
qui explique les écarts relatifs aux pourcentages des unités obtenues dans les deux langues
concernant le premier indice (cf. les données du Tableau 3). Bien que les chiffres montrent
qu’Amaria produit moins d’unités par séquence, nous constatons qu’elle converge avec
Farida en choisissant la langue et les unités qu’il faut pour le maintien des interactions. Il
faut souligner également que c’est au niveau des tours de parole mixtes que le nombre
d’unités est relativement plus élevé.
En effet, nous remarquons à travers les quatre extraits ci-dessous, représentant des
tours de parole mixtes, que le nombre des unités est plus élevé. Toujours est-il que le
français est prépondérant dans les interactions entre ces locutrices immigrées/non-
immigrées. C’est sur cette base que l’on pourrait dire qu’il s’agit d’interactions bilingues
où les locutrices convergent plus par des tours de parole mixtes que monolingues.
Il est à noter aussi que les locutrices convergent par l’alternance codique de type
inter-intervention (DABENE & BILLIEZ, ibid.) Ceci pour dire que, même si les tours de
paroles en arabe dialectal sont relativement courts chez les deux locutrices, leur rôle est
essentiel dans la dynamique des interactions. L’emploi de l’une ou l’autre langue suscite la
188
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
mobilisation des ressources bilingues soit sous formes d’unités insérées dans les tours de
parole soit sous forme de tours de parole qui se combinent de manière alternative.
Les quatre extraits de séquences où nous avons isolé des tours de parole montrent
l’importance du français et de l’arabe dialectal dans la dynamique des interactions. Pour
autant il se dégage bien de l’ensemble des données le rôle de l’alternance codique comme
stratégie conversationnelle.
Extrait 1 (C.1) :
F.ii. 240 : tout au milieu taç (du) le feu fel waST (au milieu) +++ hadou
HAMDAWA (ces HAMDAWA) ils tournent au tour par cinq six et ils
bougent ++ et du Coran + du Coran et du Coran + du Coran
ghil klam eddine (que des paroles de la religion) ++ tu vois des gens
qui sont malades yessanaw (ils oublient) leur tour ++ il y a des
gens qui sont + j’sais pas madroubine (envoûtés) ++ comme on
dit ++ bon moi j’y crois un peu dans tous ça + ils tombaient
dans euh + sur le feu yeTéHou fe ennar (ils se jettent dans le feu)
y’en a beaucoup qui pleurent
Extrait 2 (C.1) :
A.ni. 469 : l’entourage elli ykoun mliH (quand il est bien) bien ++ tarbiyya
Hassana (la bonne éducation) < ----- ?> tarbiyya Hassana W’hada (la
bonne éducation et tout ça) +++ les enfants lewlad yeTTelçou
lHamdullah (les enfant grandissent bien) w’(et) l’entourage ila makanch
(et s’il n y a pas) ++ [ça va pas
Extrait 3 (C.1) :
F.ii. 518 : soit les filles ou alors bon:: les=enfants mça (avec) leurs
parents hadou (ces) les couples avec leurs=amis wella mça (avec
leurs maris) leurs maris yekhourjou baçdhoum (ils sortent ensemble) mais
bach (pour) on se voit ++ rarement wellah (je te le jure) ++ on veut
se reposer le week end [et en plus mça (avec) le temps
Extrait 4 (C.1) :
A.ni. 561 : eyballî machi kamel + (il me semble que ce ne sont pas tout) les gens
çandhoum had (ils ont cette) la mentalité +++ waHda lewkan t’OUlek
(il y a celles qui te disent) +++ benti rah çandha (ma fille elle a) six mois
wella ++ (ou bien ++) huit mois ça y est nçabbiha ++ lHa (je
l’emmène dans ++ à une) +++ la crèche wella l’Ha (ou bien chez une) la
nourrisse [et je travaille
189
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
La deuxième conversation est plus courte que la première. Elle a duré 26 minutes et
5 secondes, alors que la première était de 31 minutes 23 secondes.
90,00%
78,77%
80,00%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00%
21,23%
20,00%
10,00%
0,00%
Pourcentage des unités
190
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Langues
Arabe dialectal Français Total
Locutrices
17,98 % 82,02 %
Farida 394 1797 2191
71,76 % 88,26 % 84,75 %
39,34 % 60,66 %
Amaria 155 239 394
28,24 % 11,74 % 15,25 %
21,23 % 78,77 %
Total 549 2036 2585
100 %
Tableau 7 : Le nombre des unités produites en arabe dialectal et en français par les locutrices dans la
conversation 2.
A B
90,00% 100,00%
82,02%
88,26%
80,00% 90,00%
70,00%
80,00% 71,76%
60,66%
70,00%
60,00%
60,00%
50,00%
39,34% 50,00%
40,00%
40,00%
30,00% 28,24%
30,00%
17,98%
20,00% 20,00% 11,74%
10,00% 10,00%
0,00% 0,00%
Arabe dialectal Français Farida Amaria
191
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
% de cet ensemble en arabe dialectal et 239 en français soit 11,74 % des unités en
français.
La comparaison des unités produites par les deux locutrices selon la fréquence des
langues nous permet de dégager deux tendances dominantes. La première concerne la
fréquence du français chez les deux locutrices (chacune selon son degré de participation),
la seconde est marquée par l’adaptation de part et d’autre : l’utilisation de l’arabe dialectal
par la locutrice immigrée (soit 17,98 %) et le français par la non-immigrée (soit 60,66 %).
Malgré les écarts en ce qui concerne le nombre d’unités produites par les deux locutrices,
on peut dire que la part des deux langues est relativement liée à la part de participation des
deux locutrices. Comme nous l’avons souligné les unités produites en français occupent la
première position dans l’ensemble de la conversation. Dans la même optique l’usage du
français par Farida est d’un pourcentage de 82,02 % (1797/2191) contre 17,98 % pour
l’arabe dialectal (394/2191). Il en est de même pour Amaria dont l’usage du français est
d’un taux de 60,66 % (239/394) contre 39,34 % en arabe dialectal (155/394).
Néanmoins, Farida, parce qu’elle parle plus, emploie plus d’unités en arabe
dialectal que sa partenaire non-immigrée. L’écart entre les deux locutrices s’explique par le
fait que l’une prend plus la parole que l’autre en produisant des énoncés plus longs. Il est
difficile de l’expliquer tant que les données obtenues ne sont pas traitées et croisées entre
elles compte tenu des facteurs qui motivent le choix des langues. On remarque cependant
que la récurrence des unités en français chez la locutrice immigrée est tributaire des thèmes
abordés voire surtout de sa capacité à s’exprimer en français qui impose une adaptation à
son interlocutrice pour l’accomplissement des différentes tâches conversationnelles148.
148
Nous nous référons ici aux places conversationnelles, aux interventions et aux rituels conversationnels.
192
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
A B
50,00% 40,00%
39,76% 30,55%
40,00% 27,78%
30,00%
26,14% 21,30%
30,00% 23,08%
20,00%
20,00% 16,66%
8,34%
10,00% 4,63%
10,00%
0,92%
0,00% 0,00%
Français Arabe dialectal Mixte Nul Farida Amaria
Parallèlement aux unités produites en français et en arabe dialectal par les deux
locutrices, il y a d’autres spécificités linguistiques concernant les tours de parole. Ainsi, les
énoncés mixtes occupent la première position avec un pourcentage de 40,74 % soit 88
tours de parole. Par ailleurs, les tours de parole en français arrivent en seconde position
avec un pourcentage de 38,43 % soit 83 tours de paroles. Enfin, nous avons en troisième
position l’arabe dialectal avec 18,05 % soit 39 tours de parole.
L’observation du tableau 8 révèle également que Farida s’adapte par les tours de
parole mixtes dont le pourcentage est de 60,19 % (65/108) et Amaria par des tours de
193
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
25
20,28
20
15
10
5 3,64
0
LME
Farida Amaria
194
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
de la/les langue(s) employée(s). Nous pouvons affirmer l’impact de Farida sur le choix de
langue d’Amaria et vice versa à travers de nombreux passages où la convergence codique
apparaît même si l’une ou l’autre ne produisent pas des tours de parole assez conséquents
en L2 (l’arabe dialectal pour Farida et le français pour Amaria). Comme on l’a vu les tours
de parole d’Amaria sont courts et se présentent sous plusieurs formes : les reprises des
unités produites par Farida, les mots-phrases et les énoncés inachevés ou encore d’autres
éléments phatiques comme oui, eih et mmh qui marquent le consentement149. Ces
caractéristiques reflètent parfaitement les chiffres obtenus pour chacune des deux
locutrices et le degré de bilinguisme de chacune d’entre-elles. En effet, tout semble
indiquer que la domination du français comme langue matrice amène à une convergence
par l’alternance codique inter-acte et intra-acte.
70,00% 65,61%
60,00%
50,00%
40,00% 34,39%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
Pourcentage des unités
149
Nous traiterons ces marques dans le deuxième chapitre de la troisième partie.
195
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Langues
Arabe dialectal Français Total
Locutrices
30,59 % 69,41 %
Farida 625 1418 2043
81,16 % 96,52 % 91,24 %
60,86 % 39,14 %
Amaria 42 27 69
05,45 % 01,83 % 03,09 %
81,11 % 18,89 %
Linda 103 24 127
13,37 % 01,65 % 05,67 %
34,39 % 65,61 %
Total 770 1469 2239
100 %
Tableau 11 : Le nombre des unités par locutrice en arabe dialectal et en français dans la conversation3.
A B
90,00% 120,00%
81,11%
80,00% 96,52%
69,41% 100,00%
70,00%
60,86% 81,16%
60,00% 80,00%
50,00%
39,14% 60,00%
40,00%
30,59%
30,00% 40,00%
18,89%
20,00%
20,00% 13,37%
10,00% 5,45%
1,83% 1,65%
0,00% 0,00%
Arabe dialectal Français Farida Amaria Linda
196
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Si nous examinons le nombre des unités obtenues pour chacune des deux langues
chez Linda, qui est de 103 unités pour l’arabe dialectal (soit un pourcentage de 81,11 %)
contre 24 unités en français (ce qui correspond à un taux de 18,89 %), nous pouvons
déduire qu’elle arrive à prendre part à la conversation en mobilisant plus que les autres
participantes des unités en arabe dialectal. L’emploi des deux langues lui assure toutefois
une aisance dans la communication outre les insuffisances en français bien qu’elle
participe moins que les autres à la conversation en produisant 127 unités soit 5,67 % de
l’ensemble. Cependant, Farida produit 2043 unités soit 91,24 % dont 1418 (soit 96,52 %)
en français sur 1469 de la totalité des unités produite en cette langue par les trois locutrices
et 625 des unités en arabe dialectal (soit 81,16 %) ; ceci montre également que Farida
utilise plus d’unités en Français que ses deux partenaires qui ont produit respectivement 27
unités pour Amaria et 24 pour Linda (soit 69,41 % pour Farida contre 39,14 % pour
Amaria et 18,89 % pour Linda). Amaria, a produit 42 unités en arabe dialectal soit un taux
60,86 % et 27 unités en français soit un taux de 39,14 %.
Comme dans les deux premières conversations le français domine plus que l’arabe
dialectal et cela est en rapport avec le nombre d’unités produites par la locutrice immigrée
qui utilise plus le français que l’arabe dialectal dont les pourcentages sont respectivement
de 69,41 % en français et 30,59 % en arabe dialectal.
Chez Amaria l’usage du français reste relativement important compte tenu du degré de
participation à la conversation et du nombre des unités produites pour les deux langues qui
est de 42 unités en arabe dialectal soit 60,86 % et 27 unités en français soit 39,14 %.
Bien que le nombre des unités produites par les trois locutrices ne soit pas identique
quantitativement, les échanges sont tout de même ajustés qualitativement. De plus, la
comparaison entre les trois locutrices (le poids de chaque langue, le degré de participation,
la longueur moyenne des énoncés et la fréquence des alternances codiques) révèle que la
descendante de l’immigration utilise plus de français que l’arabe dialectal, mais ce qui est
frappant c’est que le nombre des unités – (dans les deux langues) – qu’elle produit, de
même que les tours de parole sont plus élevés que ceux réalisés par ses partenaires. Le
nombre d’unités en français reste nettement plus élevé dans la conversation (C.3), sur un
total de 2239 unités produites par les trois locutrices, 1469 sont en français (soit 65,61 %)
197
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
et 770 en arabe dialectal (soit 34,39 %) ce qui constitue presque le tiers de l’ensemble des
unités produites. La comparaison de ces tendances avec celles relatives aux tours de parole
de Farida fait apparaître que le nombre des tours de parole mixtes qu’elle produit est
largement dominant chez elle (41 tours soit 80,40 %). Nous constatons également un
ajustement parfait d’Amaria sur Farida qui s’ajuste à son tour par des tours de parole
mixtes et presque jamais par l’arabe dialectal.
A B
70,00% 59,09%
60,00%
52,77%
60,00% 54,28%
50,00%
47,82%
50,00% 43,48%
37,14% 40,00%
40,00% 30,55%
30,00%
30,00% 22,72%
0,2 18,18%
20,00% 20,00% 13,88%
8,69% 8,58% 9,80%
9,80% 0,1 0,1 9,09% 9,09%
10,00% 10,00% 5,46%
1,82% 2,77%
0,00% 0,00%
Français Arabe dialectal Mixte Nul Farida Amaria Linda
198
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
La troisième locutrice Linda, qui est elle aussi non-immigrées, participe, moins que
ses partenaires, mais les données obtenues dans les tableaux (9 et 10) montrent qu’elle a
produit un total de 127 unités soit 5,67 % pour 22 tours de parole répartis comme suit : 2
en français, 13 en arabe dialectal, 5 mixtes et 2 nuls. Par ailleurs, la longueur moyenne des
énoncés chez Linda est de 5,77 unités par tour, qui sont majoritairement en arabe dialectal,
cette tendance semble indiquer une prépondérance de l’arabe dialectal dans ses prises de
parole avec des recours certes moins fréquents au français et à des énoncés mixtes.
199
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
d’Amaria qui est relativement faible et celle relative aux unités des tours parole de Linda
qui s’élève à 5,77 contre 1,91 pour Amaria. Il est intéressant de croiser ces tendances avec
celles retenues dans les tableaux 11 et 12 notamment avec le taux de participation de
chaque locutrice et de revenir au corpus pour confirmer les résultats relatifs aux trois
indices. Ainsi, des différences importantes se dégagent entre les trois locutrices surtout à
travers les tours de parole où Farida produit 48,67 % soit 55 tours de parole, Amaria en
produit 31,86 % soit 36 tours et Linda 19,47 % soit 22 tours. Même si les chiffres ne
renseignent pas directement sur la maîtrise des langues, les écarts entre le degré de
participation, la longueur moyenne des énoncés, le nombre des unités produits par locutrice
et les caractéristiques linguistiques de leurs tours de parole montrent du moins qu’il s’agit
d’adaptation totale et/ou partielle. Amaria s’adapte aux deux locutrices alors que Farida
s’adapte davantage à Amaria.
40 37,14
35
30
25
20
15
10
5,77
5 1,91
0
LME
200
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
201
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
80,00%
73,83%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00% 26,17%
20,00%
10,00%
0,00%
Fréquence des unités
Langues
Arabe dialectal Français Total
Locutrices
20,64 % 79,35 %
Farida 841 3233 4074
61,65 % 83,99 % 78,15 %
20,42 % 79,58 %
Amaria 116 452 568
8,51 % 11,74 % 10,89 %
71,27 % 28,73 %
Linda 407 164 571
29,84 % 4,27 % 10,96 %
26,17 % 73,83 %
Total 1364 3849 5213
100 %
Tableau 15 : Le nombre des unités par locutrices en arabe dialectal et en français dans la conversation 4.
202
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
A B
50,00% 50,00%
40,00% 40,00%
28,73% 29,84%
30,00% 30,00%
20,64%20,42%
20,00% 20,00%
11,74%
8,51%
10,00% 10,00% 4,27%
0,00% 0,00%
Arabe dialectal Français Farida Amaria Linda
En examinant l’ensemble des données des tableaux (14, 15 et 16) il ressort que
Linda reste très dominante en arabe dialectal contrairement à Amaria qui s’adapte plus ou
moins à Farida en changeant de code et en employant respectivement le français, l’arabe
dialectal et les deux à la fois avec des fréquences qui varient d’un tour de parole à l’autre.
Et si la plupart des échanges sont dominés par des interventions complètes ou partielles en
français c’est bien parce que la longueur des énoncés de Farida s’élève à une moyenne de
16,49 contre 3,59 pour Amaria et 6,27 pour Linda. Cet écart permet d’emblée de dire que
le choix et le changement des langues chez les trois locutrices assument des fonctions
importantes tels que la consolidation de la relation intime, la souscription aux arguments
d’autrui et la détermination d’un terrain d’entente sur les questions évoquées (accord,
désaccord etc.). Il est notable que chez Farida il y a beaucoup de séquences narratives
longues où elle relate avec beaucoup d’enthousiasme des événements vécus.
Farida et Amaria sont des « bilingues actifs » (MERABTI, 1992 : 96-98) qui emploient leur
deuxième langue de manière intense, alors que Linda participe essentiellement par l’arabe
dialectal.
203
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Il s’établit en miroir un équilibre entre les deux locutrices en ce qui concerne l’utilisation
de l’arabe dialectal : 841 unités produites par Farida (soit 20,64 %) et 116 par Amaria soit
(20,42 %). Cet équilibre est apparent aussi bien chez les deux locutrices (en ce qui
concerne l’ensemble des unités produites dans les deux langues) qu’à travers la fréquence
d’usage des deux langues elles-mêmes. L’ajustement est remarquable chez Farida et
Amaria en ce qui concerne la mobilisation des deux langues. Chez Farida les unités
s’échelonnent entre 61,65 % en arabe dialectal et 83,99 % en français contre 8,51 %
d’unités en arabe dialectal et 11,74 % produites par Amaria. On constate, que Amaria et
Linda produisent pratiquement le même pourcentage d’unités dans les deux langues 10,89
% (soit 568 unités) pour Amaria et 10,96 % (soit 571 unités) pour Linda. Le pourcentage
des unités produites en arabe dialectal par Linda est de 71,27 % (soit 407 unités) contre
28,73 % concernant le français (soit 164 unités). Par langue pour les deux locutrices les
pourcentages oscillent entre 29,84 % en arabe dialectal et 4,27 % en français pour Linda ;
et 8,51 % en arabe dialectal et 11,74 % en français pour Amaria. Ces tendances montrent
des différences significatives entre les trois locutrices concernant l’emploi des deux
langues. Pour comprendre ces écarts qui sont tributaires des facteurs cités plus haut il faut
se rattacher aux spécificités linguistiques des tours de parole et la longueur moyenne des
énoncés. Ainsi, compte tenu de la domination du français, Farida et Amaria produisent
aussi davantage de tours de parole en français que Linda.
204
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
a produit un total de 53 tours (soit 57,62 % sur un ensemble de 92 tours qu’elle a produit),
Amaria a produit 37 tours (soit 23,41 %) et Farida 33 tours (soit 13,66 %).
Parallèlement à ces résultats, les comparaisons selon les types de tours de paroles et
par locutrice nous permettent d’avoir plus de précisions sur chaque type. Sur un total de
183 tours de parole en français, Farida a produit 74 tours (soit 40,43 %), Amaria a produit
98 (soit 53,55 %) et Linda 11 (soit 06,62 %) ceci nous conduit, eu égard aux valeurs
soulignés plus haut, à dire qu’Amaria s’adapte plus par le français et les tours de parole en
français. S’agissant des tours de parole en arabe dialectal, nous constatons que le nombre
est nettement supérieur (soit 53 tours sur un total de 92 ce qui donne un taux de 43,09 %)
comprativement à Amaria qui en a produit 37 (soit 30,08 % sur l’ensemble des tours de
parole qu’elle a produit qui est de 158) et à Farida qui en a produit seulement 33 tours sur
un ensemble de 274 (soit 26,83 %). Enfin, pour ce qui est des tours de parole mixtes, nous
constatons que Farida vient en premier avec 138 tours (soit 71,19 %), Linda avec (15,06
%) et enfin Amaria avec (10,75 %). Ces taux montrent que Farida tend à converger par des
tours de parole mixtes en puisant dans les ressources de son répertoire que l’on peut
qualifier de bilingue.
205
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
A B
60,00% 53,55%
50,00%
50,00% 43,09%
40,00% 40,43%
29,96% 30,43% 40,00%
30,00% 30,08%
23,41% 26,83%
30,00%
20,00% 15,06%
13,36% 12,67% 20,00%
11,95% 10,75%
10,00% 10,00% 6,02%
1,90% 0,30%0
0,20%
0,81% 0%
0,00%
0,00%
Fr ançais Ar abe dialect al Mixt e Nul
Farida Amaria Linda
206
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
18
16,49
16
14
12
10
8
6,27
6
3,59
4
0
LME
Nous remarquons encore les mêmes écarts entre les trois locutrices à propos des
caractéristiques linguistiques citées (le nombre des unités par langue et par locutrice, les
tours de parole et la longueur des énoncés). C’est toujours Farida qui utilise plus d’unités
en français et produit plus de tours de parole mixtes que ses partenaires. Les pratiques
bilingues chez les trois locutrices sont très variables selon les thèmes abordés. De même
que les deux langues assument des fonctions différentes : clarifier une idée, se référer à une
caractéristique culturelle intraduisible, etc. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les
données varient d’une séquence à l’autre et les unités des deux langues augmentent ou
diminuent en fonction du taux de participation de chaque locutrice. Amaria met en pratique
régulièrement les deux langues avec presque la même fréquence et la même longueur
moyenne des énoncés par tours de parole. Dans cette conversation (C.5) comme dans les
précédentes, Linda intervient moins que Amaria mais produit un peu plus d’unités qu’elle,
ainsi la différence reste frappante en ce qui concerne l’utilisation de l’arabe dialectal et le
français. En effet, cette différence se présente de manière croisée par rapport à l’utilisation
des deux langues notamment chez Linda et Farida.
De l’examen des deux tableaux suivants qui présentent les résultats obtenus dans la
cinquième conversation (C.5), on souligne toujours la domination du français dont les
207
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
données sont comprises entre 2472 unités pour Farida (soit 74,32 %), 539 pour Amaria
(16,21 %) et 315 pour Linda (soit 9,47 %) soit un total de 3326 unités (soit 67,43 %).
Parallèlement aux résultats relatifs au français, les trois locutrices ont produit
respectivement 592 unités en arabe dialectal par Farida (36,86 %), 381 par Amaria (23,72
%) et 633 par Linda (soit 39,42 %) ce qui nous permet d’obtenir un total de 1606 unités
(soit 32,56 %). Pour comprendre les écarts entre les trois locutrices en ce qui concerne le
nombre des unités produites dans les deux langues nous allons mettre en exergue le
nombre des unités produites par chacune des trois locutrices. Pour Farida, qui a produit un
total 3064 unités (soit 62,12 %), le pourcentage des unités en français est nettement plus
élevé que celui de l’arabe dialectal (soit 80,67 % contre 19,33 %). En outre, Amaria a
produit 920 unités (soit 18,65 %) dont 41,41 % en arabe dialectal et 58,59 % en français.
Par ailleurs, Linda a produit 948 unités (soit 19,23 %) dont 18,89 % en arabe dialectal et
81,11 % en français. Les divergences de l’emploi des deux langues soulignées entre les
trois locutrices se traduisent comme dans les conversations précédentes par le fait que
Farida participe plus que ses partenaires en produisant des énoncés plus longs. La très forte
présence du français dans la conversation est due au fait que Farida participe plus que les
autres et utilise la langue qu’elle utilise fréquemment et couramment ici en Algérie et là-
bas en France.
80,00%
67,43%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00% 32,56%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
Fréquence des unités
208
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Langues
Arabe dialectal Français Total
Locutrices
19,33 %
80,67 %
Farida 592 2472 3064
36,86 % 74,32 % 62,12 %
41,41 % 58,59 %
Amaria 381 539 920
23,72 % 16,21 % 18,65 %
81,11 % 18,89 %
Linda 633 315 948
39,42 % 9,47 % 19,23 %
32,56 % 67,43 %
Total 1606 3326 4932
100 %
Tableau 19 : Nombre des unités par locutrices en arabe dialectal et en français dans la conversation 5.
A B
0,00% 0,00%
Arabe dialectal Français Farida Amaria Linda
Les données retenues dans cette conversation, relatives aux pourcentages des unités
produites par les trois locutrices dans les deux langues, rentrent en cohérence avec les
caractéristiques linguistiques des tours de parole. En effet, nous constatons que le nombre
de tours de parole produits par Farida est de 315 tours de parole (soit 47,08 %) ce qui
constitue la moitié des tours de parole produits dans l’ensemble de la conversation. De
même que le nombre des tours de parole en français et mixtes produits par Farida est très
élevé par rapport à ceux produits par ses partenaires. Linda quant à elle, produit plus de
tours de parole en arabe dialectal, soit presque la moitié de l’ensemble des tours produits
par Farida et Amaria en cette langue ; sur les 166 tours de parole elle en a produit 78 soit
209
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
46,98 % tandis que Farida en produit 26 soit un taux 15,66 % et Amaria 62 soit 37,34 %.
Cependant comme nous l’avons évoqué plus haut, le nombre des tours de parole en
français et mixtes renseigne sur l’importance du français dans la conduite de la
conversation et son caractère bilingue. Ainsi, Farida semble produire plus de tours de
parole mixtes que monolingues (179 tours mixtes soit 61,81 % ; 109 en français soit 51,41
% et 26 en arabe dialectal soit 15,66 %).
210
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
% pour l’arabe dialectal, 25,59 % pour le français et 26,19 % pour les mixtes. Cette
variation marquée par la domination de l’arabe dialectal semble liée aux insuffisances
manifestes qu’elle éprouve en langue française. On constate aussi que lorsque Linda
s’adresse directement à Amaria, elle utilise davantage l’arabe dialectal et vice versa.
De façon générale, les tours de parole mixtes sont fréquents chez les trois locutrices
chacune selon le nombre de tours qu’elles produisent. Ainsi, les pourcentages varient non
seulement entre les locutrices mais aussi au niveau des types de tours.
A B
150
Nous précisons qu’il y a quatre tours de parole qui ne rentrent pas en ligne de compte car ils sont relatifs
à une participante secondaire. Ce qui fait que pour le calcul des pourcentages correspondant au total des tours
de parole par chaque locutrice nous avons ôté les quatre tours en question.
211
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
12
9,72
10
8
5,64
6 4,94
0
LME
212
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Ces tendances prennent d’autant plus d’importance quand on analyse des extraits
contenant quatre ou cinq tours de parole. Nous avons de nombreux échanges où les
locutrices produisent des énoncés complètement en français ou en arabe dialectal et
d’autres mixtes. Par ailleurs, dans certains tours de parole on relève une ou deux unités de
l’arabe dialectal insérées dans un segment contenant une dizaine d’unités en français et
vice versa. Le choix de langues et l’alternance codique sont en effet des pratiques
courantes des locuteurs bilingues ou manifestant une compétence bilingue. Les locutrices
opèrent dans bien des cas des choix de langues qui expriment mieux l’idée qu’elles veulent
transmettre.
Pour préciser encore l’importance des chiffres obtenus dans les tableaux ci-dessus
relatifs aux différentes situations, il est primordial de mettre en exergue la longueur
moyenne des énoncés afin d’expliquer le poids des deux langues dans les échanges entre
les trois locutrices sans tomber dans la généralisation.
Les mises à plat des valeurs obtenues dans les cinq conversations montre le degré
d’endurance et renseigne sur la nature151 de la prise de parole chez les trois participantes et
le degré de développement des ressources de leur répertoire verbal. Par endurance nous
entendons la capacité de produire des énoncés longs et des prises de parole conséquentes
(achevées et sans hésitations). Nous pouvons souligner à ce propos chez les deux locutrices
non-immigrées l’usage d’un seul mot sous forme de mots phrase dans plusieurs séquences
(nous reviendrons sur ce type d’exemple ultérieurement). Il s’agit dans la plupart des cas
pour les deux locutrices non-immigrées d’une adhésion ou une ratification des propos de
leur interlocutrice qu’elles expriment par des marqueurs d’accord comme « oui » ou
« mmh ». Le nombre de tours de parole de ce genre est très élevé dans les cinq
conversations.
151
Il s’agit dans la plupart des cas pour les deux locutrices non-immigrées d’une adhésion ou une ratification
des propos de leur interlocutrice qu’elles expriment par des oui ou des mmh. Le nombre de tours de parole de
ce genre est très élevé dans les cinq conversations.
213
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Ces moyennes restent relativement pertinentes compte tenu des écarts mis en
évidence entre les locutrices surtout si l’on tient compte de la fréquence et de la répartition
des langues pour chacune des trois locutrices. Cependant, la longueur moyenne des
énoncés est à prendre en considération en ce qui concerne la domination des deux langues
dans les interactions et le degré de maîtrise.
Enfin, la longueur moyenne des énoncés dans les cinq conversations, le nombre des
tours de parole par participante et la fréquence des unités des deux langues montrent que le
changement de code se réalise principalement en fonction du locuteur, de la situation ou du
thème abordé153. Nous pouvons en effet souligner que le degré de participation et la
fréquence de l’emploi de l’arabe dialectal et/ou du français augmente ou diminue
principalement selon les motivations des locutrices et les habitudes langagières. Précisons
que les différences existantes entre les trois locutrices concernent beaucoup plus le choix
exclusif de l’arabe dialectal ou du français selon les dyades (Farida/Amaria ; Farida/Linda ;
Amaria/Farida ; Amaria/Linda : Linda/Farida ; Linda/Amaria). En effet, Farida converge
avec ses interlocutrices soit par le français (avec Amaria) soit par l’arabe dialectal (avec
Linda) tout en maintenant le français comme langue forte pour le faire avec les deux.
Amaria converge plus par des tours de parole en arabe dialectal avec Linda et par des tours
de parole exclusivement en français avec Farida. Chez Linda, la langue dominante reste
152
Nous reviendrons sur la question de l’alternance codique intra-actes notamment l’alternance unitaire.
153
Nous aborderons ces questions en détail à l’aide d’exemples dans l’analyse qualitative.
214
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
l’arabe dialectal, le français est employé sous forme de tours de parole très courts que ce
soit avec Amaria ou avec Farida.
Par ailleurs, lorsque nous considérons les énoncés reçus et les énoncés produits,
nous constatons que chacune des trois locutrices tend à s’adapter en produisant, dans la
foulée des interactions, des énoncés qui convergent avec ce qui précède et amorcent ce qui
va suivre.
215
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Tableau 22 : Tableaux synthétiques des résultats correspondant aux trois indices par langues.
216
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Farida Amaria
Français 3270/4043 (81,06 %) 817/1463 (55,84 %)
Arabe dialectal 764/4043 (18,94 %) 646/1463 (44,16 %)
Total 4034L5497 (73,38 %) 1463/5497 (26,62 %)
Conversation 1 TP : français 311/304 (43,09 %) 120/304 (39,46 %)
TP : arabe dialectal 19/304 (05,92 %) 99/304 (32,56 %)
TP : Mixtes 154/304 (50,65 %) 83/304 (27,63 %)
TP : nuls 00 02/304 (0,65%)
Total 304 304
Farida Amaria
Français 1797/2191 (82,02 %) 239/394 (60,66 %)
Arabe dialectal 394/2585 (17,98 %) 155/394 (39,34 %)
Conversation 2 Total 2191/2585 (84,75 %) 394 (15,25 %)
TP : français 33/108 (30,55 %) 50 (46,29 %)
TP : arabe dialectal 09/108 (08,34 %) 30 (27,78 %)
TP : Mixtes 65/108 (60,19 %) 23 (26,14 %)
TP : nuls 01/108 (00,92 %) 05 (04,63 %)
Total 108 108
217
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Tableau 23 : Tableaux synthétiques des résultats correspondant aux trois indices par locutrices.
218
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Premier constat : le français est omniprésent dans les cinq conversations, c’est aussi la
langue que les deux locutrices non-immigrées disent employer et maîtriser à côté de
l’arabe dialectal. Il en est de même pour la locutrice issue de l’immigration concernant
l’arabe dialectal puisque ce dernier est déclaré être présent dans son environnement
familial là-bas en France. Le répertoire verbal des trois locutrices a été développé sous la
dépendance des différentes sphères de socialisation : la famille, l’école, les groupes de
pairs et le pays d’origine des parents pour la descendante de l’immigration (voir la
biographie et le profil langagier des trois locutrices). Dans les deux cas (locutrice
immigrée/locutrices non-immigrées) l’arabe dialectal constitue une langue de première
socialisation. En effet, la descendante de l’immigration a déclaré qu’elle a toujours
employé l’arabe dialectal dans les échanges familiaux surtout avec ses parents.
Afin de bien cerner les tendances dominantes dans les interactions, un travail centré
sur chacune des locutrices s’impose. Vu l’étendue de notre corpus, nous n’avons pas pu
219
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
analyser quantitativement tous les énoncés reçus et produits154 pour chaque locutrice. Nous
nous contentons, outre les trois indices en question, de l’analyse de quelques extraits
représentatifs à travers lesquels chacune des locutrices s’adapte à ses interlocutrices et à la
situation. En effet, tout semble indiquer qu’il s’agit de conversations bilingues où les trois
locutrices mobilisent les ressources de leur répertoire verbal en s’adaptant mutuellement.
De même l’analyse quantitative montre que les choix de langues et les alternances
codiques représentent les outils discursifs pour maintenir l’interaction.
En somme, il semble que les trois locutrices présentent des compétences bilingues
tant en production qu’en réception. En effet, elles n’utilisent pas le français et l’arabe
dialectal avec la même fréquence et avec la même aisance mais elles comprennent bien ce
qui se dit dans les deux langues. Nous affinerons ces résultats pour chacune des locutrices.
Comme nous avons pu le constater à travers les analyses précédentes, Farida utilise
le français plus que ses partenaires. Elle est aussi la plus active, prend la parole plus
qu’elles et mobilise les ressources de son répertoire bilingue de manière intense. En effet,
ceci est bien démontré à travers la répartition codique où l’on trouve des tours de parole
monolingues (en arabe dialectal ou en français) et des tours de parole mixtes, indices d’une
pratique bilingue très variée. Il arrive que Farida s’adresse à Amaria exclusivement en
français, en revanche avec Linda les échanges se déroulent soit en tours de parole mixtes
soit exclusivement en arabe dialectal. Amaria sert le plus souvent d’intermédiaire, c’est par
elle que transitent les deux locutrices en lui adressant directement la parole. Il en est de
même pour Farida qui, dans certains cas traduit, reformule, fournit, complète ou explique
certains éléments du français ignorés ou recherchés par ses partenaires.
154
Ceci peut s’apparenter à ce que Nassira MERABTI (1991, 1992) a tenté de montrer chez un groupe
d’adolescents issus de l’immigration algérienne en France en s’appuyant sur les réseaux personnels de
relations voire de communication.
220
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Nous pouvons représenter155 les pratiques langagières par tour de parole de Farida comme
suit :
Français
Arabe dialectal
Français/arabe dialectal
Les trois représentations montrent que les choix de Farida se portent d’abord sur
le français, langue qu’elle a l’habitude d’employer dans son environnement. Elle l’utilise
plus avec Amaria qu’avec Linda. L’emploi exclusif de l’arabe dialectal diminue chez
Farida, on constate qu’elle ne l’utilise pas avec la même fréquence, que ce soit avec
Amaria ou avec Linda, comparativement au français ou aux énoncés mixtes qu’elle utilise
fréquemment avec les deux. De fait, la fréquence de l’alternance français/arabe dialectal se
justifie par la nécessité de s’adapter à ses interlocutrices et par le fait qu’elle possède une
compétence bilingue. Elle puise le plus souvent dans chacune des deux langues pour
155
Les représentations schématiques nous permettent de caractériser les réseaux de communication par
dyades. La direction des flèches indique le type de langues employées (seules ou alternées) par une locutrice
avec son interlocutrice. La flèche montante indique un emploi dominant des langues, la flèche descendante
indique un emploi minime des langues et la flèche horizontale indique un emploi équilibré des langues entre
les locutrices.
221
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
s’adresser à ses partenaires au cours des interactions, les trois solutions possibles (relatives
au choix de langues et à l’alternance codique) le montrent clairement (voir a, b et c).
Les échanges entre Farida et Amaria sont généralement dominés par des tours de
parole en français et mixtes alors que les tours de parole en arabe dialectal proviennent
surtout d’Amaria. Même si Farida en produit, elle le fait différemment selon les thèmes
abordés, l’interlocutrice et la relation-rôle.
Avec Linda les choses sont différentes, Farida produit plus de tours de parole mixtes
avec plus d’éléments en français qu’en arabe dialectal alors que Linda produit des tours de
parole contenant plus d’éléments en arabe dialectal qu’en français dans des énoncés courts.
Pour Amaria l’usage du français, langue acquise dans et à travers divers réseaux
sociaux (l’école, la famille, les proches etc.), reste relativement partiel. En effet, Amaria,
parle souvent en arabe dialectal même si le français est présent dans son environnement et
qu’elle emploie elle-même, occasionnellement mêlé ou alterné, avec l’arabe dialectal. Il a
été fait mention que le français en Algérie est employé de manières très diverses ; il en est
de même pour l’arabe dialectal en milieu familial chez les familles issues de l’immigration
algérienne en France. De fait, on s’aperçoit que Amaria possède un répertoire verbal
bilingue suffisant pour communiquer avec Farida même quand cette dernière ne parle
qu’en français. C’est notamment l’adaptation mutuelle qui dynamise leurs interactions et
contribue à la réactivation de leur répertoire puisqu’elles n’utilisent pas leur deuxième
langue avec la même fréquence. La similitude156 entre l’environnement familial respectif
156
Ici, nous nous référons à la présence et à l’utilisation des deux langues en milieu familial. En général, la
politique familiale concernant l’utilisation de la langue de la culture d’origine par les membres de la famille
(surtout pour les familles issues de l’immigration algérienne en France) dépend du rôle des parents comme
passeurs de langue, des allers-retours au pays d’origine qui offrent des occasions de contact avec la langue
d’origine des parents et de la volonté des enfants eux-mêmes à apprendre et à parler cette langue. Selon les
déclarations de Farida, qui est à la fois participante aux conversations et informatrice, elle a toujours utilisé
l’arabe dialectal avec les membres de sa famille notamment ses parents et son mari qui a émigré il y a cinq
ans. Beaucoup d’études ont été consacrées aux représentations et aux pratique langagières voire au maintien
de la langue et de la culture d’origine chez les descendants de l’immigration (BILLIEZ, 1985 ; BILLIEZ et al.,
222
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
De façon générale, on constate que Linda produit moins d’unités en français que
ses partenaires. Les échanges adressés à Amaria se font généralement en arabe dialectal.
Nous pouvons dire aussi que Linda produit moins de français qu’elle n’en reçoit de ses
partenaires. Elle l’emploie en revanche – quand elle s’adresse à Farida – d’une manière
fragmentaire. En fait, les pauses, les hésitations, les énoncés inachevés et la longueur des
énoncés renseignent sur l’asymétrie dans le degré de maîtrise du français. Même si dans de
nombreux cas Linda réussit des tours de parole entiers en français elle, recourt le plus
souvent à l’alternance codique où elle insère des éléments du français. Ainsi, on dira que la
2003.a et BILLIEZ et al., 2003.b ; BILLIEZ 2004.b). En effet, ces travaux montrent que les filles sont les
gardiennes de la langue et de la culture d’origine.
223
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
langue de base dans les échanges de Linda demeure l’arabe dialectal alors que le français
est la langue enchâssée.
Linda a tendance donc à utiliser davantage l’arabe dialectal et des tours de parole mixtes en
interaction avec ses partenaires. Ainsi, la répartition codique se présente selon l’ordre
suivant : arabe dialectal, mixtes et français. Ce qui nous amène à caractériser l’adaptation
de Linda et à la définir comme une partenaire interactive à part entière et comme une
bilingue en devenir (LÜDI & PY, 2003). En outre, le niveau productif et le niveau réceptif
déterminent l’adaptation linguistique mutuelle comme c’est le cas dans l’adaptation
linguistique parentale (RONDAL, 1983 : 98).
224
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
C’est au vu des fonctions remplies par les deux langues, et des domaines auxquels
elles sont liées, que les locutrices choisissent l’une ou l’autre langue. Dans notre corpus
nous soulignons plusieurs tendances quant au choix de langues. Ainsi, les alternances
codiques sont motivées par les finalités des échanges sociaux qui peuvent résulter du choix
d’une langue ou de l’autre.
Les tendances dominantes soulignées dans les cinq conversations sont les suivantes :
Deux possibilités peuvent être dégagées de ces tendances qui renvoient à une compétence
bilingue :
2. L’emploi des deux langues (sous formes d’alternances codiques) par les trois
locutrices comme à la fois indice de maîtrise partielle de l’une des deux langues ou
d’incapacité de produire des énoncés monolingues longs et complets en cette même
langue.
225
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
l’écart ou l’équilibre peuvent être interprétés comme indice d’une compétence bilingue de
l’interlocutrice qui cherche à s’adapter à la situation et à son partenaire.
Dans le second cas, la maîtrise du français n’est pas assez solide chez les locutrices
non-immigrées pour maintenir un échange entier en français comme leur interlocutrice
immigrée. Il en est de même pour l’immigrée en ce qui concerne l’arabe dialectal. Cette
solution de mobiliser les deux langues est motivée par une stratégie de convergence et
d’ajustement avec l’interlocuteur qui se fait au fur et à mesure du déroulement des
échanges. C’est ainsi que la locutrice ‘‘faible’’ n’ayant pas l’habitude d’employer L2
développe son répertoire verbal et/ou le réactive.
226
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
157
Par position privilégiée nous entendons une relation sociale centrale qu’occupe la descendante de
l’immigration dans ses rapports avec ses partenaires ou avec les membres de la belle famille ou encore avec
les membres de sa propre famille en l’occurrence les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins et les
cousines. Dans le domaine de la belle famille ces « relations-rôles » sont pertinentes dans les rencontres
intrafamiliales. Elles sont plus pertinentes encore pour ce qui est des divergences des répertoires entre les
trois locutrices par rapport aux deux catégories locutrices fortes/faibles.
158
Même si au niveau de la production leurs énoncés ne sont pas conséquents elles arrivent quand même à
comprendre presque tout ce que leur partenaire dit.
227
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
La négociation de la langue est illustrée par le tour de parole (F.ii. 542) où Farida
demande à Amaria de parler en arabe (hadri bel çarbiyya) en changeant elle-même de
langue, ce choix de langue marqué a pour but de mettre fin à la difficulté survenue lors de
l’interaction. Aussitôt Amaria passe à l’arabe dialectal après plusieurs échanges en français
contenant des alternances codiques intra-intervention (segmentales et unitaires) limités à
des éléments fonctionnels (conjonctions, des adverbes ou des expressions figées qui
renvoient aux invocations à Dieu). Le recours à l’arabe dialectal est un choix de langue
marqué dont le but est à la fois de clarifier le sens et de pallier les insuffisances
d’expression en français.
Ainsi, dans les cinq conversations, les sujets abordés par les locutrices favorisent
l’emploi des deux langues selon des choix marqués et des choix non marqués. Pour ces
derniers (c'est-à-dire les choix non marqués), que Georges LÜDI et Bernard PY (2003)
dénomment également « discours bilingue », le traitement du code se fait conformément
aux normes et aux conventions attendues dans un contexte donné en se rattachant à un
ensemble de droits et obligations (MYERS-SCOTTON, 1988). De ce fait les locuteurs
adhèrent aux normes et maintiennent leurs places conversationnelles159 alors que dans le
choix marqué le locuteur entend renégocier sa position par rapport à celle qui est attendue
dans une situation donnée.
Chez la locutrice immigrée et ses partenaires le choix entre les deux langues ou les
deux à la fois s’effectue de plusieurs façons qui diffèrent selon les facteurs cités plus haut.
L’utilisation de l’une ou l’autre langue par les trois locutrices est motivée principalement
par le besoin d’être comprises. De même que les alternances codiques qu’elles produisent
159
Il s’agit des positions (haute et/ou basse) qui structurent la relation interpersonnelle des partenaires d’une
conversation. Les places interactionnelles sont prédéterminées dans le contexte socio-institutionnel par
plusieurs facteurs tels que le statut social des interactants, leur position institutionnelle, leur âge, leur
compétence, etc. (KERBRAT-ORECCHIONI, 1988).
228
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
peuvent être expliquées soit par un changement survenant dans la situation soit par rapport
au sujet évoqué lors de la conversation. Tel est le cas lorsque, dans une séquence initiée en
français ou en arabe dialectal, se manifeste un changement de langue ou une alternance
codique. Le va-et-vient entre l’arabe dialectal et le français montre que c’est le français qui
prédomine dans les échanges où la locutrice immigrée est présente en tant que participante
active. Ceci amène ses partenaires à alterner les deux langues en insérant un nombre
important d’unités en arabe dialectal160. Il semble que l’arabe dialectal convient mieux
pour certains sujets comme le mariage, l’Aïd, le ramadan et les habitudes culinaires c’est
pourquoi elles ont tendance, d’ailleurs toutes les trois, à introduire plus d’unités de l’arabe
dialectal dans des tours de parole mixtes qui traitent de ces sujets.
Dans les deux extraits suivants (6 et 7), les choix et les alternances codiques
correspondent aux thèmes abordés et aux relations-rôles. On voit qu’il y a une adaptation
mutuelle entre les trois locutrices. Elles mobilisent les ressources de leur répertoire qui
comprend des formes de l’arabe dialectal et du français répartis en tours de parole mixtes
ou monolingues. Dans l’extrait 6, Linda introduit en arabe dialectal les thème du ramadan
en demandant à Farida comment les immigrés le passent en France. Farida demande
confirmation par une question qu’elle formule en français (F.ii. 273 : ramadan ?). Les trois
locutrices opèrent des choix de langue en essayant de s’adapter au mieux à la situation et
au contexte, d’autant plus que la nature du thème abordé a suscité tout au long des
échanges des recours à la langue arabe dialectal pour désigner un monde référentiel
spécifique.
160
A l’inverse chez Linda c’est le français qui est employé comme langue enchâssée.
229
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Dans l’extrait 7 (C.5), nous constatons que la nature du thème amène les deux
locutrices, Farida et Linda, à insèrer un nombre important d’unités en arabe dialectal à côté
du français, langue dominante dans les prises de parole de Farida, qui est amenée à
reprendre énormément de termes introduits par Linda et à réactiver son arabe dialectal.
*
Bekbouka désigne une farce à base de morceaux de poumons, d’intestins de moutons, de pois chiches, de
riz et d’épices.
230
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
voilà !
L.ni. 030 : ah oui ! le bourak (le bourak) du viande hachée
F.ii. 031 : oui avec la viande hachée
L.ni. 032 : oui c’est bon ((rires))
F.ii. 033 : oui ici les=Algériens ils=aiment beaucoup manger + j’ai
remarqué < ------- ?> quand=ils parlent ghil makla (que de la
bouffe) manger manger + quand=ils sont dehors xxxx rentrer
pour manger + ih lmouhim el makla (voilà l’essentiel de la bouffe)
c’est très important pour les=Algériens + j’ai remarqué
bessaH makletkoum Hlouwwa (mais votre bouffe est délicieuse) impeccable
L.ni. 034 : makletna teçoujbek ? (notre bouffe te plait ?)
F.ii. 035 : non ! ++ impeccable
L.ni. 036 : c’est bien
F.ii. 037 : bezzaf (beaucoup) surtout aHrira (Hrira) + la Hrira çoujbetni (la
hrira me plait)
L.ni. 038 : bessaH fech çoujbatek makletna + fel goû::? wella::? (mais
pourquoi te plait note bouffe + pour son goût ? ou ?)
F.ii. 039 : lbenna (le goût)
L.ni. 040 : lbenna ghaya (le goût bien)
F.ii. 041 : lbenna wah nichan (oui le goût c’est ça)
L.ni. 042 : wel khodra taçna (et nos légumes) bien ?
F.ii. 043 : wel khodra tani (et les légumes également) franche/ mchi kima (ce n’est
pas comme) la FRANCE temma semch makanch (là-bas il n’y a pas le soleil) +
il n’y a pas de soleil en France ++ ghil (que de) la pluie
L.ni. 044 : c’est pour ça le le khodra tji SamTa (les légumes n’ont pas de goût)
F.ii. 045 : oui un peu ouais !
L.ni. 046 : en France ?
F.ii. 047 : là-bas la plupart yaklou (ils mangent) les pizzas +
[les=hamburgers euh bien sûr
L.ni. 048 : [au ramadan ? (ramadan ?)
F.ii. 049 : [non non au ramadan (ramadan)
L.ni. 050 : [au ramadan (ramadan) qu’ils mangent euh \
F.ii. 051 : [au ramadan (ramadan) ça va la soupe + la Hrira (la Hrira) + les
bourek (le bourak) + salade et:: euh:: ++ mais déjà on arrive
pas à tout manger hein et après euh::
L.ni. 052 : chamiyya (gâteau oriental à base de semoule)
F.ii. 053 : chamiyya (gâteau oriental à base de semoule) et tout ça oui et après
mça el aTey (avec du thé) euh::
L.ni. 054 : euh !
F.ii. 055 : hmm impeccable chamiyya:: (zelabiyya) + wel (et le::) comment ça
s’appelle le gâteau rouge là + Hlou (le sucré)
L.ni. 056 : zlabiyya* (zelabiyya)
F.ii. 057 : zlabiyya we:: (zelabiyya et)
A.ni. 058 : l’banane* (du banane)
L.ni. 059 : mchi lbanane (c’est du banane) comment on dit ?
F.ii. 060 : bon had lbanane (ce banane) j’aime pas + mchi (ce n’st pas que)
j’aime pas trop hadou là (c’est trop sucré) + bessaH zlabiyya (mais
ces zelabiyya) ils mangent ++ laHmar (le rouge) + mais ça se passe
bien en France + mais bon la plupart sont khaddamine (ils
travaillent)
L.ni. 061 : we tHoussou temma bremdane ? wella zeçma tji Haja:: (vous
ressentez le ramadan là-bas ? ou bien c’est)
F.ii. 062 : triste
L.ni. 063 : mchi kouma hna + hna nHoussou bremdane (ce n’est pas comme nous ici +
ici on ressent le ramadan) bien ghaya eddenya kamel Sayma (c’est bien tout
le monde fait le carême) + et °Ahawi mbelçine (les cafétérias ferment) euh
*
Une sorte de gâteau préparé à base de miel.
*
C’est un mélange d’œufs et de farine frit et trempé dans le miel qui a la forme d’une banane c’est pourquoi on l’appelle
« banane ».
231
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
Nous constatons donc à travers ces extraits une récurrence des alternances qui
présentent deux types de configurations. Nous trouvons des alternances codiques avec une
domination du français (F.ii. 033) et des alternances codiques avec une domination de
l’arabe dialectal (L.ni. 063). Dans les deux cas on souligne également une variation
concernant le nombre d’unités insérées, leur longueur et leurs aspects morpho-syntaxiques.
161
Notons que les tours de parole complètement en arabe dialectal sont au nombre de 480 pour les cinq
conversations soit 22,88 % de l’ensemble (cf. tableau 1).
162
La langue matrice définit, comme le souligne Dominique CAUBET, « le cadre syntaxique, elle organise les
relations grammaticales au sein de l’énoncé, l’ordre des mots, et les éléments de la LE viennent s’insérer
dans la LM. Le modèle tient aussi compte des correspondances plus ou moins étroites entre les structures des
langues mélangées, ce qui aboutit, selon les cas, à une fusion plus ou moins harmonieuse» (2001 : 24).
163
Selon Catherine KERBRAT-ORECCHIONI (1998 : 218-219) une séquence est « un bloc d’échanges reliés par
un fort degré de cohérence sémantique et/ou pragmatique :
- sémantique : on trouve là le critère thématique qui a été évacué da la définition de l’interaction ;
- pragmatique : lorsqu’il maintenait encore l’existence d’une unité, dite ‘‘transaction’’, entre l’échange et
l’interaction (unité devenue par la suite pour eux superflue, avec la reconnaissance des échanges complexes
[…] La plupart des interactions se déroulent en effet selon le schéma global :
(1) séquence d’ouverture
(2) corps de l’interaction (qui peut lui-même comporter un nombre indéterminé de séquences)
232
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
participants, du thème et de la situation. Sans oublier que la langue choisie pour initier
l’interaction est un fait déterminant quant à l’alignement aux choix opérés par
l’interlocutrice.
Dans certaines séquences le choix de l’arabe dialectal n’est déterminé ni par une
préférence particulière de la part des participantes ni par le rapport d’une locutrice à son
interlocutrice comme c’était le cas dans l’extrait 7 entre Farida et Linda. Mais c’est dans la
foulée des interactions que des changements de langue surviennent soit pour s’aligner avec
l’idée amorcée par une interlocutrice soit pour se démarquer par rapport à l’action
précédente qui suscite, pour la clarification d’une idée ou pour l’initiation d’une autre
action, un choix de langue bien précis.
Les variables situationnelles qui jouent un rôle dans le choix de l’arabe dialectal par
les trois locutrices sont le caractère familier de la conversation, les éléments interculturels
et l’asymétrie des répertoires. Nous constatons que Farida emploie l’arabe dialectal à bon
escient même si la langue principale de l’interaction pour elle est le français.
(3) séquence de clôture, ». En distinguant entre les deux types de séquences : la séquence comme unité
fonctionnelle et la séquence comme unité thématique, Robert VION (1992 : 153) souligne que « le découpage
en séquences centrées sur le développement d’un thème n’est pas sans poser de sérieux problèmes ». A
propos de la question de découpage d’un dialogue en échanges voir Catherine KERBRAT-ORECCHIONI (2001 :
64).
233
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
F.ii. 332 : [neddiha mçaya le fransa ? (je l’emmène avec moi en FRANCE ?) ++
ntouma ka:mel neddikoum (je vous emmène tous avec moi)
A.ni. 333 : allah ysellemek ! (que Dieu te protège !) ++ ((rires)) ++ allah
ysellemek ! élla ! (que Dieu te protège ! non !) non !
F.ii. 334 : kounSéb ndikuoum (si je trouve comment faire je vous emmène) ++ énnoS
felkaba (la moitié dans un cabas) + énnoS fel’coffre ++ énnoS menna
w’neddikoum mçaya (et l’autre moitié dans le coffre et ++ le reste je vous emmène
avec moi)
A.ni. 335 : allah ysellemek + zeçma:: (que Dieu te protège + et pour) les
souvenirs ++ les cadeaux [ma hiyya lHaja (quelle est la chose)
préférée
F.ii. 336 : [les cadeaux + euh
A.ni. 337 : [les gâteaux:: ?
F.ii. 338 : c’est plus les gâteaux einh peut être les gâteaux ou bien::
\
A.ni. 339 : Haja li zeçma + (la chose qui parait) li (qui est) importante
F.ii. 340 : importante
A.ni. 341 : zeçma (comme) < ------ ?> les gâteaux ++ wassem hiyya ?
(laquelle ?)
F.ii. 342 : les gâteaux euh ++ en fin de tout ana:: (moi) c’est pas pour
moi en fait + c’est pour euh çandi (j’ai) ma famille ils
aiment [beaucoup le gâteau
A.ni. 343 : [les gâteaux traditionnels
F.ii. 344 : [les gâteaux traditionnels
A.ni. 345 : comme él griwech (un gâteau traditionnel)
F.ii. 346 : bon çadna had SwalaH (bon nous avons toutes ces choses) + griwech (un
gâteau traditionnel) tout ça + on peut les faire aussi
A.ni. 347 : les petits fours
F.ii. 348 : on a + oui on a tout ++ il y a tout là-bas + ou alors aller
chez ma mère tdirhoum (elle les fait) ++ mais moi ce que j’aime
bien +++ c’est prendre des souvenirs d’ici chépa euh des
souvenirs de TLEMCEN de tout hein ++ je sais pas + déjà les
CD
Dans cet extrait 8 où il y a une dominance du français nous constatons que les
changements de langue, sont assujettis aux thèmes abordés et les éléments culturels qui les
caractérisent (les vacances, le ramadan et la préparation des gâteaux de l’Aïd). Les trois
thèmes évoqués ont conduit les deux locutrices à employer l’arabe dialectal à côté du
français soit sous formes de tours de parole monolingues (arabe dialectal ou français) ou
bilingues (mixtes). L’extrait fait également état d’alternances codiques de type situationnel
même s’il ne s’agit pas seulement de changements d’ordre situationnel.
Les deux interlocutrices ont choisi d’introduire l’arabe dialectal dans leurs échanges
qui sont essentiellement en français pour exprimer un rapport d’intimité et de complicité
surtout quand Farida parle de son séjour en Algérie et la fin des vacances en montrant son
attachement aux membres de la belle famille et au pays. Ainsi, le choix de langue est aussi
motivé par l’idée que les interlocutrices veulent développer sur les questions identitaires et
234
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
culturelles relatives au ramadan (A.ni. 239, F.ii. 332, A.ni. 333 et F.ii. 334). Tous les
facteurs cités sont déterminants dans le choix de langue (GROSJEAN, 1982) du moment que
chaque situation de communication évolue différemment du fait que les facteurs qui la
caractérisent changent tout le temps.
Comme nous l’avons souligné plus haut les deux tiers des interactions sont en
français. Ce dernier joue le rôle de langue matrice ou de base dans certains tours de parole
entre les locutrices immigrée/non-immigrées et entre les non-immigrées elles-mêmes. Les
trois participantes produisent des tours de parole en français dont la longueur diffère d’un
échange à l’autre et selon la prédominance des facteurs situationnels. Ainsi, il résulte les
caractéristiques suivantes : des tours de parole très longs chez Farida, des tours de parole
164
Voir supra les exemples et l’analyse de quelques extraits dans le premier chapitre.
235
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
moyens chez Amaria et des tours de parole très courts chez Linda. En ce qui concerne
certaines interactions conduites principalement en français, le choix peut être expliqué en
termes d’accommodation convergente entre les locutrices. Dans plusieurs séquences les
deux locutrices non-immigrées se sont adaptées au comportement communicatif de leur
interlocutrice. Cette tendance ne concerne pas seulement le français mais elle implique
également le choix de l’arabe dialectal et l’alternance codique de la part de la locutrice
immigrée. La convergence est avantageuse dans l’établissement et le renforcement des
liens sociaux165 et elle réduit les asymétries causées par la divergence des répertoires
verbaux. Ainsi, les alternances codiques peuvent être considérées comme une
accommodation totale, il en est de même pour le choix de l’arabe dialectal ou le français
(sous forme d’échanges monolingues). Il reste à savoir quels sont les facteurs qui motivent
l’accommodation pour ainsi distinguer entre l’accommodation totale et l’accommodation
partielle, la première est relative au choix et à l’alternance codique (selon une dimension
microsociolinguistique) la seconde renvoie au mélange de langue (GILES et al., 1991).
Ainsi, chacune des trois locutrices converge par un mode (bilingue ou monolingue) qui
traduit des capacités langagières précises, selon Georges LÜDI et Bernard PY (2003 : 140) :
Dans les situations de contact de langues, le choix entre le mode monolingue (une
des deux langues) ou bilingue (les deux langues à la fois) n’est jamais totalement stable, il
dépend en premier lieu de la compétence présumée de l’interlocuteur. Dans le mode
bilingue il l’est encore moins c’est ainsi que « des marques transcodiques se multiplient, on
passe spontanément – et d’un mutuel accord – de ‘‘langue de base’’ à une ‘‘langue
enchâssée’’ et vice versa » écrit Georges LÜDI (2004 : 131).
En tout état de cause, nous pouvons dire que le lieu (milieu familial), le moment, les
relations-rôles (la dimension ethnique, le lien familial), la divergence des répertoires (la
165
Ceci est aussi déterminant pour le bon déroulement des interactions et pour les statuts et pour les faces
(GOFFMAN, 1973).
236
Deuxième partie Le parler bilingue : choix de langues et alternances codiques arabe dialectal/français
maîtrise inégale des deux langues chez l’immigrée et ses partenaires), et les sujets de la
conversation (ramadan, la famille, les vacances, etc.) sont autant d’éléments pertinents et
interdépendants voire déterminants dans le choix et le changement de langue et dans
l’adaptation à l’interlocutrice et à la situation. L’importance que nous accordons à ces
facteurs tient au fait que les changements de langues qui surviennent dans les interactions
bilingues sont multiples et complexes. Chez les trois locutrices immigrée/non-immigrées
certaines situations d’interaction sont appréciées différemment compte tenu des thèmes
abordés. Ainsi, chacune d’entre elles fait le choix d’une langue dans un échange et l’autre
langue dans d’autres échanges. Mais ce qui parait spécifique dans les cinq conversations
c’est le fait que chacune des locutrices converge vers l’autre en recourant fréquemment à
des alternances codiques. Celles-ci renvoient à des stratégies166 communicatives diverses :
la réitération, l’explication, la paraphrase, le commentaire, la citation, l’humour, etc.
237
TROISIEME PARTIE
______________________________________________________
_____________________________________________________
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
TROISIEME PARTIE
Dans le premier chapitre de cette troisième partie, nous décrirons les types
d’alternances codiques qui se manifestent lors des interactions en nous appuyant sur
quelques typologies de sociolinguistes, ce qui nous permettra de distinguer entre
l’alternance codique et l’emprunt lexical en tant que ressources qui caractérisent le
répertoire verbal des locuteurs bilingues. Nous nous intéresserons ensuite aux raisons qui
amènent les trois locutrices à alterner les deux langues ainsi qu’aux fonctions que
remplissent les alternances codiques dans leurs conversations. Dans le deuxième et dernier
chapitre, nous tenterons de montrer si l’alternance codique constitue une ressource qui
permet l’organisation de la parole en interaction et donc la régulation de la conversation
bilingue. Dans ce but, nous évoquerons quelques préalables théoriques qui nous permettent
d’appréhender le rôle et la gestion des ressources disponibles pour atteindre des buts
interactionnels communs. Nous entreprendrons ensuite de mettre en lumière les
caractéristiques codiques dominantes des tours de parole par dyades.
238
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
CHAPITRE 1
Il est admis que le choix de langue et l’alternance codique dans les pratiques
langagières des locuteurs bilingues sont motivés par plusieurs facteurs et apparaissent sous
plusieurs formes au plan linguistique. L’analyse de ces formes aide en effet à déterminer
les fonctions conversationnelles des alternances codiques (LÜDI & PY, 2003).
Dans cette perspective, nous nous attacherons à rendre compte de l’originalité des façons
de parler bilingues qui résultent des interactions entre la locutrice immigrée et ses
interlocutrices non-immigrées. Nous porterons un regard particulier sur le rôle
qu’assument les ressources mobilisées par les locutrices dans le déroulement des
interactions et leurs capacités à assurer la communication malgré les asymétries des
répertoires. Pour ce faire, nous allons dégager en premier lieu les types d’alternances
codiques ainsi que leurs différents modes d’insertion et de structuration dans le discours,
ensuite nous analyserons les fonctions que ces alternances remplissent.
Dans ce but nous avons relevé des extraits où l’on trouve des échanges bilingues structurés
de différentes manières.
239
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
structuration des énoncés dans chacune des deux langues et des deux à la fois. Les
alternances codiques qu’elles produisent remplissent également plusieurs fonctions qui se
traduisent en stratégies discursives rendant ainsi pertinente la communication.
Comme nous l’avons déjà vu, notre choix théorique porte essentiellement sur la
typologie de Louise DABENE et Jacqueline BILLIEZ (1988) reprise par Louise DABENE
(1994)167. Cette typologie nous semble, à bien des égards, pertinente, du fait qu’elle est
développée à partir de la remise en question des autres modèles168 et construite autour des
termes empruntés à l’analyse conversationnelle : acte (ROULET, 1981 ; MOESCHLER, 1985)
et intervention169 ou tour de parole. Par contre pour l’analyse de corpus oraux, celle de
Shana POPLACK (1980) s’avère peu opératoire puisqu’elle met en évidence la notion de
‘‘phrase’’ qui est une entité grammaticale abstraite et figée convenant mieux pour l’esprit.
Pour ce qui nous concerne il s’agit d’un corpus oral authentique transcrit et composé
d’actes langagiers allant d’une à plusieurs unités170 où l’on trouve « des configurations
discursives tronquées et disjointes » (DABENE et BILLIEZ, ibid. : 35).
Dans notre corpus, nous retrouvons pratiquement tous les types d’alternances
codiques relatifs à la typologie de Louise DABENE et Jacqueline BILLIEZ (ibid.). Seulement,
on se demande si l’agencement des éléments des deux langues présente des contraintes qui
167
Il est à noter que la typologie dont il est question a fait l’objet de quelques remaniements dans la version
de Louise DABENE 1994 comparativement à celle de 1988 au niveau des ramifications qui concernent les
alternances intra-actes.
168
Inscrit à la croisée des approches linguistiques et fonctionnelles le modèle cherche à répertorier les types
d’alternances codiques, les modes de leur insertion ainsi que leurs fonctions communicatives. Nous
reviendrons sur certains détails dans l’étude des fonctions des alternances codiques.
169
Dans la perspective de la pragmatique conversationnelle, Jacques MOESCHLER (1985 : 24) précise que
« l’acte de langage est l’unité pragmatique minimale, […] l’intervention (unité monologique maximale) et
l’échange (unité dialogique minimale) ».
170
Nous avons montré dans le chapitre précédent à travers l’analyse de la longueur moyenne des énoncés
qu’il y a des segments mixtes de longueurs variables. Hormis les spécificités soulevées à l’examen de cet
indice, la longueur ou mieux encore le nombre d’unités de la langue de base ou de la langue enchâssée dans
les échanges, permet d’expliquer leurs modes d’insertion. On peut, dès lors, parler à la suite de Jacqueline
BILLIEZ (1998 : 130) de « macro-alternances » et de « micro-alternances ». Les premières correspondent au
choix de la langue de base dans l’échange et s’apparentent à l’alternance codique inter-intervention. Les
secondes renvoient à l’alternance proprement dite appelée intra-intervention qui se produit de différentes
manières.
240
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
pèsent sur la structuration des énoncés. Ainsi, l’examen minutieux des pratiques
langagières permet de distinguer les différentes configurations syntaxiques et de mettre en
évidence d’autres caractéristiques pertinentes.
En effet, les alternances codiques se manifestent de différentes manières aux plans
syntaxique et discursif. Ainsi, comme nous l’avons déjà signalé, les locutrices structurent
leur discours sur la base d’une « grammaire de choix de langue » (LÜDI & PY, 2003 : 132)
où l’on trouve une langue de base, qui fournit les structures morphosyntaxiques, et une
langue enchâssée qui se plie à ces structures quelles que soient les positions occupées par
les éléments insérés.
171
Les segments de la langue enchâssée doivent obéir à l’ordre et aux frontières syntaxiques de la langue de
base (cf. POPLACK, 1980, 1988) car les insertions et les imbrications inadéquates renvoient beaucoup plus au
mélange « embedded languages » (MYERS-SCOTTON, 1993) qu’à l’alternance codique. Pour la contrainte
d’équivalence, Shana POPLACK propose quatre principes qui se résument ainsi : l’interdiction de croisement
entre les grammaires ; la grammaticalité des constituants monolingues ; pas d’éléments omis ; pas d’éléments
répétés. De par la fonction prédictive de cette contrainte, le respect des quatre principes permet de distinguer
l’emprunt de l’alternance codique.
241
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous avons repéré dans les différentes conversations, qui constituent notre corpus,
quelques exemples illustrant l’alternance inter-intervention. Seulement, ce type
d’alternance s’avère moins fréquent et peu important compte tenu de l’inachèvement de
certains tours de parole. Ces alternances codiques ne se manifestent qu’en tant que choix
de langues motivé soit par une intention d’adaptation d’une locutrice avec son
interlocutrice soit par la nécessité de donner plus de clarté à l’intervention.
Dans chacun des extraits (1) et (2) : (C.1), l’alternance codique inter-intervention
entre les deux interventions de Farida (F.ii. 370 et F.ii. 372) renvoie à un changement de
langue, qui n’est pas forcément une remise en cause du choix de l’arabe dialectal, mais son
passage au français permet de renforcer l’acte de dénégation. C’est le caractère dynamique
de l’interaction qui l’amène à recourir au français, langue dominante dans ses
242
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans l’extrait (3) : (C.4), Farida (F.ii. 253) renonce à l’arabe dialectal après
l’intervention de son interlocutrice tout en restant sur la même idée qu’elle a amorcée en
arabe dialectal dans le tour de parole précédent (F.ii. 251). Il semble que la prise de parole
d’Amaria se limite au régulateur (euh !) qui ponctue173 son intervention, cette interruption
amène Farida à compléter son intervention en changeant de langue.
Dans l’extrait (4) : (C.5), on constate que Linda (L.ni. 034) pose une question en
arabe dialectal à Farida, celle-ci lui répond positivement en français (F.ii. 035) ; aussitôt
Linda (L.ni. 036) évalue en français. Il serait donc difficile de dire qu’il s’agit d’une
remise en cause du choix de langue. Il est plutôt question d’une adaptation sauf si
‘‘remettre en cause’’ signifie ‘‘changer de langue’’ tout simplement.
172
Le terme de passage qu’on trouve dans la définition de Georges LÜDI et Bernard PY (2003) montre
l’aspect dynamique de l’alternance codique, processus qui se réalise chaque fois que les interactants
ressentent le besoin de recourir à l’autre langue.
173
C’est un marqueur qui est très fréquent dans notre corpus, il remplit une double fonction comme
régulateur et phatique traduisant un signal d’accord (comme adverbe d’affirmation ‘oui’) et/ou de réception
du message.
243
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
L’extrait (5) : (C.4), nous permet encore d’envisager l’alternance codique inter-
intervention non pas comme une remise en cause du choix de langue mais comme un
passage dynamique d’une langue à l’autre. Dans le tour de parole (F.ii. 312) Farida pose
une question en cherchant une confirmation par l’utilisation du terme « marabout » que sa
partenaire a fourni en arabe dialectal (A.ni. 311) (lwali).
Dans l’extrait (6) : (C.1), nous constatons que Farida (F.ii. 232) passe du français à
l’arabe dialectal entre deux interventions en reprenant presque le même énoncé. Cette
stratégie discursive montre que la locutrice passe entre deux interventions à la langue
courante de sa partenaire et ce, dans le but de converger vers elle. Dans l’extrait (7) : (C.1),
Amaria (A.ni. 253) change de langue et passe du français à l’arabe dialectal après
l’intervention de Farida qui a répliqué en employant un terme en arabe dialectal (eTTaleb).
La convergence se manifeste cette fois par le passage à l’arabe dialectal.
244
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Comme nous l’avons déjà souligné nous pouvons donc dire que l’alternance inter-
intervention n’est pas très récurrente, tout comme il n’est pas aisé de conclure et dire, à
travers les exemples analysés, qu’il s’agit d’une remise en cause d’un choix de langue
comme il est mentionné dans le modèle en question. De ce fait, les extraits analysés
laissent supposer que l’alternance inter-intervention relève d’une co-construction voire
d’une synchronisation interactionnelle puisque chaque locutrice cherche à s’adapter à son
interlocutrice pour atteindre un but interactionnel précis.
D’une manière générale, nous pouvons constater que l’alternance codique survient
de différentes manières dans une même intervention. Comme on peut également l’observer
à travers les cinq conversations, les alternances codiques produites par les trois locutrices
sont diverses où le passage de l’arabe dialectal au français et vice-versa se réalise de
différentes manières et à différents niveaux. Il est frappant de remarquer que l’interaction
se poursuit entre les locutrices malgré l’inachèvement et la longueur de leurs interventions.
Cela semble confirmer nos observations sur la mobilisation des ressources du répertoire
245
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
qui rendent possible la communication malgré les asymétries. Rappelons, en effet, que lors
de l’analyse des pratiques langagières nous avons fait référence aux phénomènes qui
relèvent de l’exolinguisme et ceux qui relèvent du bilinguisme. Il ressort de ce constat que
certaines alternances codiques renvoient non seulement à l’incapacité des locutrices à
maintenir leur intervention dans une seule langue mais aussi à l’originalité des segments
mixtes174.
L’extrait (8) : (C.1) ci-dessous illustre ce type d’alternance qui sépare deux actes
langagiers dans la même intervention. Le premier acte est caractérisé par l’agencement de
deux segments mixtes à l’intérieur d’un même acte (l’après midi mchina lebHar +
mchina). Le deuxième est une question adressée directement à Farida (comment on dit) et
réalisée en français à laquelle Amaria répond sans attendre la réponse de sa partenaire en
employant l’arabe dialectal (nbeIwah bkhir). Nous pouvons dire que la formulation de la
réponse est un troisième acte séparé par une alternance. Ces alternances peuvent être
représentées ainsi : Acte 1 : français + arabe dialectal ; Acte 2 : français ; Acte 3 : arabe
dialectal. On peut dire qu’il s’agit d’une alternance codique d’incompétence parce que
Amaria a voulu employer le français pour dire l’énoncé (nbeIwah bkhir). Ainsi,
l’alternance codique chez les bilingues asymétriques s’avère une alternative qui « consiste
à faire alterner les codes en faisant appel à sa langue maternelle pour suppléer un manque
de compétence dans sa langue la plus faible » (HAMERS et BLANC, 1983 : 446) c’est
pourquoi d’ailleurs on parle d’alternance codique d’incompétence ou de complémentarité,
cette dernière « permet au sujet de compenser ses lacunes dans une langue en recourant à
une autre » précise Louise DABENE (1994 : 96).
174
Nous avons déjà souligné dans les chapitres précédents certains indices qui montrent les difficultés
manifestes des trois locutrices en L2 et les asymétries entre l’arabe dialectal et le français comme les pauses,
les hésitations, les interruptions, les inachèvements et les reformulations.
246
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans l’extrait (9) : (C.2), la question introduite par l’adverbe interrogatif (çlach ?)
« pourquoi » introduit un deuxième acte, le premier est produit en français et le deuxième
est considéré comme un acte avec alternance. Par ailleurs, Farida utilise la locution
conjonctive « parce que » qui relie deux propositions, une principale réalisée en français et
une subordonnée réalisée en arabe dialectal.
Outre les considérations soulignées plus haut, le passage d’une langue à l’autre à
l’intérieur d’une même intervention (inter-acte/intra-acte) repose nécessairement sur
« l’articulation entre mobilisation des ressources grammaticales et organisation de la parole
en interaction » (MONDADA, 2007.a : 169).
175
Il s’agit d’un emprunt adapté et intégré morphologiquement ayant subi une extension sémantique qui ne
désigne pas une banane mais une « confiserie orientale ». Nous l’avons traduit en nous basant sur le genre
dans la langue d’accueil (ce banane) ou la banane dont il est question.
247
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans les extraits 11 et 12, Linda opère des changements de langue en passant de
l’arabe dialectal au français (L.ni. 003) et du français à l’arabe dialectal (L.ni. 064). Nous
remarquons que l’agencement des segments des deux langues obéit à la contrainte
d’équivalence. Le nom et le complément du nom dans l’extrait (11) « la guerre d’Algérie »
juxtaposé au segment (tendjem t’Oulenna çla) « tu peux nous parler de » conservent une
certaine cohérence à l’intérieur de la phrase. Ce type de construction s’avère dans le corpus
quantitativement le plus répandu et présente un cas d’alternance codique fluide qui
témoigne des capacités des locutrices à employer les deux langues côte à côte.
*
La plupart ont un travail ou encore bosseurs.
*
Une sorte de gâteau préparé à base de miel.
**
C’est un mélange d’œufs et de farine frit et trempé dans le miel, il a la forme d’une banane c’est pourquoi on l’appelle
« banane ».
248
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Il est important de souligner aussi que l’alternance segmentale est une manière de
faire qui amène le locuteur faible dans une langue à résoudre éventuellement des difficultés
langagières176 et ce, malgré certaines constructions qui violent la contrainte d’équivalence.
Dans les extraits, 11, 12 Linda produit des énoncés mixtes très courts où sont insérés des
éléments simples. Dans la plupart de ses interventions elle introduit des noms, des
adverbes et des adjectifs dans des segments contenant les constituants de base de la phrase
du français.
On a remarqué d’ores et déjà par l’analyse quantitative, que Farida et Amaria ont
tendance à produire plus des tours de parole comparés à ceux produits par Linda. Ce qui
n’empêche pas Amaria de faire comme Linda dans l’extrait 12. Dans l’extrait 13, (A.ni.
145) on constate qu’Amaria amorce son intervention en français puis elle passe à l’arabe
dialectal, entre deux codes (inter-acte).
Les interventions de Farida dans les extraits 14 et 15 : (F.ii. 265) et (F.ii. 400) sont
relativement longs et caractérisés par l’insertion de segments courts produits en arabe
dialectal (nahdar mçaha) « je lui parle ».
Ces alternances codiques relèvent de ce que l’on pourrait appeler à la suite de Bernard
ZONGO (2004 : 21) de la « routine linguistique ». Ainsi, les alternances présentent des
176
A noter que l’alternance codique segmentale n’est pas la seule alternative qui sert à réduire l’asymétrie
seulement c’est la plus courante et la plus simple à notre sens.
249
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
177
On peut également parler de restriction à l’alternance comme le fait remarquer Aziza BOUCHERIT (2000 :
85) car les alternances ne peuvent se produire n’importe où.
250
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
à une autre et pas seulement une simple juxtaposition (GUMPERZ, 1989.a) de segments
appartenant à deux langues.
b. L’alternance codique unitaire : porte sur une seule unité qui peut être lexicale,
grammaticale ou discursive. Ces alternances codiques surviennent de manière intensive
dans les pratiques langagières des trois locutrices et elles concernent pratiquement toutes
les parties du discours. Par ailleurs, l’alternance unitaire recouvre deux sous catégories
distinctes : l’insert et l’incise178.
(i). Insert : dans ce type d’alternance les éléments insérés n’assurent aucune
fonction syntaxique dans l’énoncé. Dans notre corpus les inserts sont très fréquents et
concernent les tournures exclamatives (wellah !, eih !), les formules de serment ou
d’invocation à Dieu (wellah el çadém !, l’Hamdoullah !) et les expressions votives
(nchallah !). Même s’ils n’assurent aucune fonction syntaxique ils ponctuent le discours et
permettent le maintien de l’interaction.
178
Comme nous l’avons énoncé plus haut, Louise DABENE (1994 : 95) a apporté quelques remaniements à la
typologie des alternances codiques de 1988 notamment, les incises et les inserts. (cf. schéma dans, Louise
DABENE et Jacqueline BILLIEZ (1988 : 34). Nous avons pour notre part retenu les définitions de Louise
DABENE (1994).
251
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
par Farida179. Dans l’exemple 16 (C.1), Farida utilise (elHamdoullah !) « Dieu soit loué »
pour exprimer un affect (F.ii. 034) où elle parle de sa grand-mère qu’elle qualifie de
dynamique et de bonne vivante malgré la maladie dont elle souffre. A côté de cette formule
nous avons relevé les tournures exclamatives (wellah !) (je le jure) et (wellah el çadém !)
(je le jure au nom de Dieu le tout puissant) qui reviennent beaucoup dans les échanges de
Farida comme ponctuants.
179
A noter que ses partenaires non-immigrées les utilisent dans leur discours mais pas avec la même
fréquence et la même valeur symbolique.
252
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Il est d’autres formules de serment et d’invocation à Dieu qui sont insérées dans les
interventions des trois locutrices comme (wellah yaçlem !) « Dieu seul sait » et (Allah
ghaleb !) « c’est plus fort que moi » ont une valeur symbolique dans les pratiques
langagières des locuteurs algériens. Il apparaît que l’emploi intensif de ces formules par les
trois locutrices mais surtout Farida est lié à leurs habitudes langagières ; elles sont utilisées
dans certains cas comme particules discursives (VINCENT, 1991).
253
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
(ii). Incise : pour ce qui est de ce type d’alternance, les éléments sont insérés et
traités comme faisant partie de la langue de base. L’incise est « syntaxiquement intégrée
[…] se rapproche fortement de l’emprunt, mais elle s’en différencie dans la mesure où elle
relève généralement de l’initiative individuelle » (DABENE, 1994 : 95). Nous reviendrons
plus loin sur certaines considérations concernant l’emploi des emprunts intégrés et ce qui
les différencie des incises en nous appuyant sur des exemples concrets.
Hormis les fonctions syntaxiques qu’elles remplissent, les incises sont d’une
importance capitale dans la mesure où elles sont liées aux domainex de la sémantique et de
la pragmatique. Ainsi, les solutions qu’elles offrent permettent de clarifier une idée
(traduction, reprises), de combler des lacunes lexicales, de modaliser le discours, de
s’exprimer d’une manière économique ou de référer à une réalité culturelle. Pour illustrer
ces propos nous analyserons quelques exemples contenant des unités de l’arabe dialectal
insérées dans des segments en français et inversement. Quantitativement, les trois
locutrices insèrent plus d’unités en arabe dialectal qu’en français. A noter que chez les
locutrices non-immigrées les unités en français se présentent soit sous forme d’alternances
codiques soit sous forme d’emprunts.
254
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
En ce qui concerne les différentes parties du discours qui se réalisent sous forme
d’incises, nous pouvons nous contenter dans notre analyse de celles qui sont très répandues
pour illustrer les différentes insertions et l’adaptation morphosyntaxique à la langue
matrice.
Dans l’extrait 23, l’agencement du sujet français (mon père) et la forme verbale de
l’arabe dialectal (khdem : il a travaillé) qui contiennent déjà l’indice du pronom personnel
renvoyant au père ne semble pas poser de problèmes sur le plan syntaxique car le segment
est construit sur la base de la syntaxe de l’arabe dialectal. Et, d’ailleurs, on retrouve la
même construction en français.
Le syntagme verbal « il aurait dû fraH » dans l’extrait 24 (a), illustre un autre type
d’insertion concernant les formes verbales. En plus de l’adverbe (balek : peut-être), la
forme verbale (fraH) complément d’objet est agencée au syntagme verbal (il aurait dû) qui
exprime la probabilité.
255
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b : Conversation 2 (C.2)
F.ii. 125 : [et le moral déjà + rah (il est à) zéro
En outre, dans certains cas, l’alternance a lieu entre un article défini ou indéfini et
un nom : (extrait 25, F.ii. 277 : un jamaç : une mosquée) ; (extrait 26, F.ii. 528 : le
mechoui : grillades) ; (extrait 27, F.ii. 248 ; le Hlal : le halal ; le Hram : l’interdit) ;
(extrait 28, F.ii. 117 : le djed : le grand-père) il s’agit souvent de termes renvoyant à des
référents spécifiques qui se rapportent à des faits culturels et religieux. Beaucoup
d’exemples montrent qu’il s’agit d’adaptation référentielle à la réalité socioculturelle,
notamment quand les locutrices évoquent, comme on l’a vu, des sujets ayant un rapport
avec certaines pratiques religieuses comme le ramadan ou l’aïd. Ce qui est encore plus
important à signaler, c’est la fréquence de l’emploi de l’article français devant des unités
180
Ces alternances qui apparaissent à l’intérieur du syntagme verbal semblent spécifiques aux locuteurs issus
de l’immigration (cf. Fabienne MELLIANI (1999.a, 1999.b et 2001).
256
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
arabes chez la locutrice immigrée. Dans le cas contraire, quand l’article arabe est placé
devant un nom français, on à faire à un emprunt intégré181.
181
Ceci est relatif à la contrainte du morphème libre (POPLACK, 1988) selon laquelle l’alternance est
impossible entre un morphème lié et un lexème. Nous avons relevé dans notre corpus certains exemples tirés
de la conversation 1 (C.1) où des morphèmes liés en arabe dialectal fonctionnent comme des morphèmes
libres devant des éléments du français c’est la raison pour laquelle nous avons opté dans la transcription
orthographique pour l’apostrophe afin de marquer la liaison. Il s’agit en fait d’une combinaison marquée par
une élision qui est calquée sur l’arabe dialectal, (A.ni. 553) : (chHal kayen m’la crèche ?) ; (A.ni. 599) :
(bentek tkoun f’un endroit sûr) ; (A.ni. 605) : (mais une fille bessaH f’la crèche).
257
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Par ailleurs, les possibilités d’insertion des unités d’une des deux langues dans les
segments de l’autre amènent les locutrices à mobiliser autant de ressources pour structurer
leur discours. Nous avons relevé des exemples contenant des adjectifs (extrait 38 (a et b),
F.ii. 209 et A.ni. 208), des adverbes (extrait 35 (a et b), A.ni. 153 et F.ii. 033), des
pronoms personnels (extrait 36, F.ii. 380), des pronoms indéfinis (extrait 30, A.ni. 255),
des conjonctions de coordination (extrait 34, F.ii. 248), des modalisateurs-évaluatifs
(extrait 33, F.ii. 055 : zeçma : soi-disant/c'est-à-dire), des termes exprimant le doute
(exemple 24, F.ii. 103 : balek : équivalent de peut-être), des noms propres (extrait 32, L.ni.
236), des pronoms interrogatifs et prépositions (extrait 39, F.ii. 078), etc. Toutes ces
ressources sont investies d’une manière conforme sur le plan morphosyntaxique et
respectent la contrainte d’équivalence sauf dans certains cas où les locutrices manifestent
une quelconque insuffisance quant à l’usage d’un élément. Cela revient à dire que dans le
discours des trois locutrices il y a des alternances codiques de compétence et quelques
alternances d’incompétence. Toujours est-il que la mobilisation des ressources des deux
langues se réalise selon des stratégies bien précises ; certains éléments ont des fonctions
syntaxiques à l’intérieur des segments où ils sont insérés, d’autres sont de type insert
utilisés seulement comme des remplisseurs182 (extrait 31 (a et b) A.ni. 172 : ça va ; A.ni.
036 normal) ou comme des phatiques donnant plus d’expressivité au discours.
182
Beaucoup de termes des deux langues sont utilisés comme des remplisseurs, par exemple « ça va ! »,
« d’accord », « zeçma : soi-disant », « bessa:H ! : c’est vrai » etc.
258
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b : conversation 1, (C.1)
A.ni. 036 : çamline (on faisait) la chaîne + tedkhoul fik (elle te bouscule)
normal
b : conversation 3 (C.3)
F.ii. 033 : Khawi (vide) vraiment ma fih walou (il y avait pas d’eau)
*
C’est le nom des cascades qui se situent à l’est de Tlemcen à environ 6 kms.
259
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b : Conversation 2 (C.2)
A.ni. 208 : elli rahoum (ils sont) nerveux
Nous constatons aussi à travers les extraits analysés que les alternances codiques
(de type incise) sont produites plusieurs fois et de manière successive à l’intérieur de la
même intervention où les locutrices introduisent des éléments lexicaux et des éléments
grammaticaux comme dans les extraits 40 a et b (C.5) où la combinaison est réalisée à
partir des éléments des deux langues. Malgré la configuration complexe de certains
segments mixtes où sont insérés plusieurs éléments des deux langues, la structure est
presque toujours respectée comme c’est le cas dans les extraits 40 où Amaria a construit
183
Voir également dans la même optique la recherche réalisée par Karima ZIAMARI (2008) sur le code
switching au Maroc où elle présente les différents modèles linguistiques (le modèle linéaire, le modèle du
gouvernement et le Matrix Language Frame) qu’elle divise en deux grandes tendances : l’alternance et
l’insertion.
260
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
son énoncé en mobilisant plusieurs ressources de son répertoire comme les emprunts, des
segments en français et d’autres en arabe dialectal.
b. conversation 1 (C.1)
A.ni. 111 : c’est pour ça bach Outlek eddossi had essujet (c’est pourquoi je
t’ai dit le dossier ce sujet) l’année passée elli hdartli çla hada çla
hada (quand l’année passée tu m’en as parlé)
Comme nous l’avons déjà démontré à travers l’analyse quantitative (voir supra), la
convergence codique se réalise plus par les alternances codiques que par le choix d’une des
deux langues.
D’emblée, nous pouvons dire que ce sont les alternances codiques intra-actes qui
prédominent dans les pratiques langagières des trois locutrices avec la même langue de
base. Il ne s’agit donc pas seulement d’alternances codiques unitaires mais également
certaines alternances segmentales où on trouve des segments contenant par exemple un
déterminant et un nom en français agencés à un segment en arabe dialectal notamment
chez les locutrices non-immigrées. De son côté, la locutrice immigrée utilise quelques
261
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Les emprunts lexicaux sont des unités lexicales simples ou complexes d’une
autre langue quelconque introduites dans un système linguistique afin
d’augmenter le potentiel référentiel ; elles sont supposées faire partie de la
mémoire lexicale des interlocuteurs même si leur origine étrangère peut rester
manifeste.
184
Nous considérons l’emprunt (spontané ou intégré) comme une ressource supplémentaire au service du
locuteur bilingue.
185
En ce qui concerne les critères à prendre en considération pour distinguer l’emprunt de l’alternance
codique voir (MYERS-SCOTTON, 1992).
262
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
sur la contrainte d’équivalence qui prédit l’absence de l’alternance entre certains éléments
et sur la distinction que font les linguistes entre les emprunt établis (ou intégrés) et les
emprunts spontanés.
A côté des caractéristiques en question nous pouvons nous rattacher au critère de fréquence
qui semble primordial pour nous afin de montrer s’il s’agit d’emprunts ou d’alternances.
On peut signaler d’ores et déjà que sur les plans sémantique et phonétique beaucoup
d’unités utilisées ou ressenties comme des emprunts conservent leur prononciation et leur
sens d’origine.
Il est connu que les emprunts au français sont abondamment utilisés dans les pratiques
langagières des locuteurs algériens (CHERIGUEN, 2002).
Pour ce qui concerne notre recherche, les trois locutrices produisent beaucoup d’unités
isolées appartenant au français qu’elles alternent avec des termes de l’arabe dialectal. Il
s’agit dans la plupart des cas de termes courants qui sont prononcés sans aucune
modification phonétique mais qui dans certains cas sont arabisés voire algérianisés186
(CAUBET, 1998) du fait qu’ils sont prononcés à l’algérienne comme dans les extraits 42 a
et b (Ani. 285) et (A.ni. 072), cette « prononciation maghrébinisée du français est
intimement liée à la question de l’identité » souligne Dominique CAUBET (ibid. : 139).
b. conversation 1 (C.1)
A.ni. 072 : [ma’t derrangéhch (tu ne doit pas le déranger)
186
C’est la raison pour laquelle il convient de se positionner par rapport à l’hypothèse de Dominique CAUBET
(1998 : 129-130) selon laquelle « l’algérianisation ne saurait pas être liée intrinsèquement au code-switching,
mais que dans certaines situations sociolinguistiques, l’analyse de l’alternance devrait être affinée ; on devrait
dans le cas de l’Algérie parler d’une alternance entre l’arabe algérien et le français algérien ». Cette
hypothèse semble fondamentale dans la mesure où on a des locuteurs qui passent de l’arabe dialectal au
français en gardant la prononciation de chacune des deux langues, alors que d’autres se servent souvent du
français parlé. Nous pouvons nous référer aussi à Dominique CAUBET (2002) concernant le métissage
langagier et d’autres phénomènes résultant du bilinguisme chez les Maghrébins en France et en Algérie.
263
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b. conversation 1 (C.1)
A.ni. 469 : l’entourage elli ykoun mliH (quand il est bien) bien ++ tarbiyya
Hassana (la bonne éducation) < ----- ?> tarbiyya Hassana w’hada (la
bonne éducation et tout ça) +++ les=enfants lewlad yeTTelçou
lHamdullah ! (les enfant grandissent bien) w’(et) l’entourage ila
makanch (et s’il n y a pas) ++ [ça va pas
187
Georges LÜDI (1987 : 6) a énuméré trois types d’opérations d’assimilation pour une unité lexicale qu’il
considère comme des axes continus : l’accommodation/l’intégration, la stabilisation et la diffusion/la
réception.
264
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
On peut dire que la contrainte d’équivalence n’est pas toujours un critère opératoire
pour distinguer l’emprunt de l’alternance codique, surtout que le français est une langue
très ancrée dans leurs pratiques langagières et utilisée différemment par les unes et les
autres. En effet, la variation dans l’emploi du français chez les locutrices non-immigrées,
tout comme chez la plupart des Algériens, peut rendre difficile le repérage de ce qui relève
de l’emprunt et ce qui relève de l’alternance codique188.
Dans les extraits 44 et 45 : (C.1) les indices d’intégration ne sont pas très apparents
alors que les éléments insérés obéissent aux règles morphosyntaxiques. Seulement, les
termes (importante : A.ni. 339) ; (l’entourage, bien et les enfants : A.ni. 469) sont
fréquemment utilisés par des locuteurs algériens soit comme des emprunts soit sous forme
d’alternances. A notre sens, ces unités insérées en tant qu’incise sont manifestement des
alternances codiques.
Nous constatons aussi le passage de l’arabe dialectal au français et inversement qui se
réalise sous forme de réitération (mliH bien), (les enfants lewlad). Ces réitérations relèvent
à notre sens des habitudes verbales de la locutrice. Il ne s’agit donc, ni de « traduction
spécifiante » pour expliciter une idée ni de « répétition spécifiante » puisque la réitération
s’est produite dans les deux sens de l’arabe dialectal vers le français et vice versa. Car si
c’est le cas cela veut dire que l’un des principes de la contrainte d’équivalence n’est pas
respecté, et donc on a affaire à des emprunts.
188
Parallèlement, d’autres ressources verbales relevant d’une créativité constante, se voient investies par les
jeunes locuteurs algériens (cf. Khaoula TALEB-IBRAHIMI, 1998).
265
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b : conversation 2 (C.2)
A.ni. 208 : elli rahoum (ils sont) nerveux
c : conversation 2 (C.2)
A.ni. 213 : ki tOUlha (quand tu lui dis) psychologue tjiha çayb (elle le prend mal)
266
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans les extraits a, b, c et d (extraits 48) on trouve une série d’adjectifs français
insérés dans des segments construits sur la base de la grammaire de l’arabe dialectal. Il en
est de même pour l’adverbe « normalement » (L.ni. 142) ainsi que les syntagmes « les
plages » (L.ni. 566) et « le climat » (A.ni. 593). Le premier syntagme conserve toujours la
même réalisation avec le déterminant français au féminin et au pluriel alors que le second
peut se réaliser avec le déterminant de l’arabe dialectal (elclima). On a affaire, comme
dans les extraits précédents, à des termes français qui sont assez souvent introduits dans les
pratiques langagières des locuteurs algériens comme emprunts que les uns et les autres
prononcent différemment. Peut-on en l’absence d’une intégration sur les plans
phonologique et morphologique dire qu’il s’agit d’alternances ?
b : conversation 5 (C.5)
L.ni. 566 : Hatta (même) les plages taçkoum (vos plages) privées [we euh:: #
c : conversation 5 (C.5)
A.ni. 593 : le climat çandkoum + machi (chez vous + il n’est pas) stable
d : conversation 5 (C.5)
A.ni. 618 : [yegouçdou (ils restent) isolés
Tout se passe comme si certains termes français passaient dans la langue d’accueil
(l’arabe dialectal) à la fois en tant qu’emprunts et en tant qu’incises. Ainsi, dans les deux
cas ce passage donne lieu à un métissage langagier qui contribue au développement d’un
répertoire verbal diversifié.
267
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
certains termes sous forme d’unités isolées est telle dans les pratiques langagières qu’elle
rend parfois difficile la séparation entre emprunt et alternance. Dalila MORSLY (1995) a
souligné à ce propos qu’il s’agit de deux processus qui se ressemblent du fait qu’ils
renvoient pratiquement aux mêmes stratégies.
Comme nous l’avons déjà amplement montré le répertoire langagier des trois
locutrices est composé principalement de l’arabe dialectal et du français. Outre les
possibilités de choix de langues ou d’alternances codiques qu’offrent les deux langues pour
la communication, l’emprunt s’ajoute comme ressource supplémentaire qui amplifie le
potentiel référentiel dans la conversation bilingue. Ainsi, l’arabe dialectal recèle un
éventail de termes français qui sont investis dans les pratiques langagières comme faisant
partie du vocabulaire d’origine. Nous avons constaté en fait que certains de ces termes
conservent leurs aspects phonologiques et morphologiques, par contre d’autres termes
intégrés se plient aux règles de la langue d’accueil. Ainsi, l’emploi récurrent des emprunts
accommodés atteste du rôle que joue le métissage langagier dans le développement et la
dynamique du répertoire verbal.
Les exemples qui suivent sont de deux types. Le premier illustre l’emploi des
emprunts compte tenu de l’encastrement morphosyntaxique qui donne lieu à des formes
hybrides. Le second illustre l’emploi des emprunts ayant conservé leurs caractéristiques et
qui alternent avec les constituants de la langue d’accueil.
Il importe de préciser que dans les interventions des trois locutrices se produisent quelques
emprunts à l’anglais, à l’espagnol et à l’arabe classique.
268
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans cet extrait la locution nominale au revoir est totalement modifiée tant au plan
phonologique que morphologique. Il s’agit en fait d’un figement où la contraction de la
locution a donné lieu à une nouvelle forme (envoir) que la plupart des locuteurs algériens
emploient ainsi.
L’imbrication des deux langues l’une dans l’autre se réalise de différentes manières
selon qu’il s’agit d’un nom, d’un verbe, d’un adverbe ou d’un adjectif. L’alliance de
plusieurs éléments conduit en effet à des hybrides construits principalement sur la base de
la langue matrice. C’est le cas du terme (ellotoyat) dans l’extrait 50 (C .5) qui est composé
du déterminant arabe : el + nom féminin : oto (auto) + yat : affixe qui renvoie au féminin
pluriel. Il s’agit là de l’abréviation du terme automobile qui est sujet à la variation que les
uns et les autres emploient avec la suppression de la voyelle o], qui donne
respectivement : tomobil et tonobil.
269
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
France ont montré que leur répertoire verbal comprend également des emprunts à l’arabe
dialectal189 (ASSELAH-RAHAL, 2004) qu’on retrouve dans les parlers algériens.
Chacun des extraits suivants contient une forme verbale empruntée qui suit ces
règles de l’arabe dialectal. Ces formes verbales sont adaptées aux règles de la flexion
verbale de l’arabe dialectal. Dans l’extrait 52 (C.2) le verbe draguer est contacté dans un
syntagme verbal qui contient le pronom personnel sujet (ye) : ils + (drag) : la base verbal +
(ou) : affixe renvoyant à la terminaison de la troisième personne du pluriel. La flexion de
la forme plurielle se produit différemment selon les variétés dialectales : à Tlemcen, on
trouve surtout l’affixe (iw) qui donne (yedraguiw). Ce dernier est spécifique au parler
citadin de la région de Tlemcen. La manifestation de l’affixe (ou) chez la locutrice
immigrée témoigne de l’influence de la variété de l’arabe dialectal parlé à Mostaganem et à
Mohammadia (ex Perrégaux) sur son comportement linguistique. C’est en effet dans ces
deux villes natales de ses parents où elle a l’habitude de passer ses vacances.
189
Ces emprunts sont souvent réalisés à l’algérienne selon leurs modes de fonctionnement au sein des
variétés dialectales de chaque région. Ils concernent toutes les générations et ils se transmettent au sein de la
famille et au sein des groupes de pairs.
270
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans les deux extraits 53 (C.2) et 54 (C.5) les deux formes verbales retenues en
(F.ni. 070) : (ma tdérangéhch) « ne le dérange pas » et en (L.ni. 603) : (koulchi tebloka)
« tout était bloqué » attestent que l’emprunt est soumis au processus d’intégration.
L’intégration donne lieu à des encastrements morphosyntaxiques où sont imbriqués des
morphèmes grammaticaux de l’arabe dialectal et la base verbale du français.
271
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Les extraits 56 (C.1) et 57 (C.1) illustrent l’emprunt des toponymes français qui
remontent à l’époque coloniale que la plupart prononcent à l’algérienne. Ainsi, Farida a
utilisé respectivement (Barigou) au lieu de « Perrégaux » en (F.ii. 020) et (le fransa) au
lieu de « en France » (F.ii. 332).
Les emprunts relevés dans les extraits suivants illustrent l’emploi de l’emprunt des
noms (substantifs) précédés du déterminant. Ce dernier se réalise de deux manières (el) ou
(e) dans les pratiques langagières des trois locutrices. La deuxième réalisation conduit à la
gémination de la première consonne comme dans l’exemple 58 (C.1) les termes (eddossi et
essujet) où la première consonne subi la gémination. Outre la prononciation du [r] roulé et
la gémination due à l’emploi du déterminant qui à l’origine précède les lettres solaires190,
aucun changement n’affecte les termes en question sauf le terme (eddossi) qui connaît une
chute de la diphtongue.
190
Par lettres solaires les grammairiens arabes entendent une réalisation redoublée concernant certaines
lettres au début des mots dont résulte un amuïssement au niveau du déterminant. Cette caractéristique
concerne également l’arabe algérien.
272
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
A côté des emprunts au français dans l’arabe dialectal (dans les extraits 59, 60, 61,
62, 63 et 64) les locutrices mobilisent d’autres ressources appartenant à l’arabe littéral, à
l’anglais et à l’espagnol. Bien qu’ils soient moins fréquents les emprunts à ces langues sont
employés eux aussi pour augmenter le potentiel référentiel. Leur emploi relève surtout des
habitudes verbales comme c’est le cas des termes anglais (black, speed, week end), qui ne
sont plus ressentis comme des emprunts, sauf speed.
273
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b : conversation 5 (C.5)
F.ii. 548 : ouais ! super c’est ce que j’suis entrain de dire peut=
être je vais y aller demain bach (pour) peut=être nchallah (si
Dieu veut) je vais dire au revoir à la playa
192
Nous avons relevé au cours de nos recherches (la thèse de magistère et le projet de recherche CNEPRU)
sur les emprunts hispaniques environ 500 termes d’origine espagnole chez les pêcheurs de BENI-SAF et dans
certaines régions de l’ouest algérien (ALI-BENCHERIF, 2000), (BENMOUSSAT & ALI-BENCHERIF, 2003).
274
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Pour ce qui est de l’emploi des termes de l’arabe littéral on peut dire qu’ils
apparaissent soit sous forme « d’alternances interarabes (arabe dialectal/arabe fusha) »
(TALEB-IBRAHIMI, 2004 : 449) soit sous forme d’alternances français/arabe littéral. Dans
les trois extraits (68 (C.1), 69 (C.1) et 60 (C.5)) l’emploi de l’arabe littéral renvoie au
domaine religieux.
275
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Après avoir fait état de l’analyse linguistique et syntaxique, nous allons nous
pencher à présent sur l’analyse fonctionnelle de l’alternance codique. Mais avant de passer
à l’analyse des fonctions et des raisons de l’alternance codique193, nous mettons en
évidence quelques préalables théoriques pour une meilleurs compréhension de ce qui se
dégage dans notre corpus comme éléments significatifs.
La distinction faite par Jan Petter BLOM et John GUMPERZ (1972) entre ‘‘code-
switching situationnel’’ et ‘‘code-switching métaphorique’’ conduit à considérer l’emploi
simultané de deux langues comme une stratégie de communication à travers laquelle le
locuteur vise une signification particulière. John GUMPERZ (1989.a : 73) précise qu’il s’agit
d’une « typologie préliminaire commune qui vaut pour chaque situation ». Ainsi, il a
dégagé six fonctions principales de l’alternance codique, à savoir : les citations et le
discours rapporté, la désignation d’un interlocuteur, les interjections, les réitérations, la
modalisation d’un message et la personnalisation versus objectivation.
A côté de ces fonctions on peut ajouter celles listées par François GROSJEAN (1892)
pour qui l’alternance codique peut permettre au locuteur de : combler une difficulté d’ordre
lexical, conférer à l’énoncé un valeur emblématique, poursuivre avec le dernier code utilisé
(convergence), nuancer un message, affirmer son propre statut, exclure quelqu’un de la
conversation (divergence).
Par ailleurs, Georges LÜDI et Bernard PY (2003) ont identifié d’autres fonctions
chez les migrants comme le marquage de l’appartenance à une même communauté
bilingue et biculturelle194, le changement momentané de destinataire, l’accroissement du
193
Le repérage des fonctions de l’alternance codique peut se faire non seulement à partir des pratiques
langagières réelles mais aussi à partir des dires des locuteurs eux-mêmes (recueillis par le biais des
entretiens), cf. (BILLIEZ et al,. 2000) d’autant plus que Jacqueline BILLIEZ & Patricia LAMBERT (2005 : 18)
apportent des précisions à propos de la notion fonction en précisant que « la notion de fonction recouvre le
point de vue de sujets interviewés et désigne, plus précisément, les buts, motifs, désirs ou intentions qu’ils
reconnaissent à leurs conduites langagières ainsi que les rôles qu’ils attributs eux-mêmes à leurs choix de
langues et aux modifications qui sont opérés au cours de leur biographie langagière ».
194
Dans le cas des locuteurs migrants l’alternance codique peut permettre, en passant de la langue du pays
d’accueil à la langue d’origine, d’opposer le ‘‘they code’’ au ‘‘we code’’ (GUMPERZ, 1989.a).
276
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
On peut citer également les quatre fonctions décrites par Shana POPLACK (1988) :
donner l’expression la plus adéquate ou la recherche du mot juste, commentaire
métalinguistique, mettre de l’emphase, expliquer, spécifier et traduire.
Enfin, les fonctions que les locuteurs attribuent eux-mêmes aux langues (BILLIEZ et
al., 2000) peuvent se révéler fondamentales. L’analyse du discours des informateurs issus
de l’immigration de la région grenobloise (BILLIEZ et al., ibid.) a permis de repérer et de
regrouper les fonctions suivantes : communicative véhiculaire, cryptique, métalinguistique
et emblématique.
Il est important de préciser que les propos des uns et des autres se rejoignent et se
complètent car comme l’a affirmé John GUMPERZ (1989.a : 82) :
[…] une liste de fonctions ne peut expliquer à elle seule ce que sont les bases de
la perception de l’auditeur, ni comment elles affectent le processus
d’interprétation. Il est toujours possible de postuler des facteurs sociaux extra-
linguistiques ou des éléments de connaissances sous-jacentes qui déterminent
l’occurrence de l’alternance.
277
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
LOCUTEUR
COMPOSANTE FONCTIONNELLE
(fonctions)
COMPOSANTE RHETORIQUE
(Procédés linguistiques)
COMPOSANTE SEMANTIQUE
(contenu du message)
COMPOSANTE LINGUISTIQUE
(matériau linguistique)
Nous tenons à rappeler que nous avons déjà en partie répondu, lors de l’analyse
linguistique et syntaxique, à quelques questions relatives aux fonctions que remplissent les
alternances codiques.
278
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
195
Nous avons montré plus haut le rôle et le mode de fonctionnement de ces formules qui se manifestent en
tant qu’inserts.
196
Les salutations ont une valeur systématique dans la conversation familière (TRAVERSO, 1996).
197
Qui se traduit littéralement matin de bien.
198
Qui se traduit littéralement par paix (paix sur toi).
279
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Les salutations, les vœux, les formules de serments ou d’invocation à Dieu sont des
formulations figées dans les habitudes langagières de la communauté maghrébine
(immigrées ou non-immigrées), elles sont considérées aussi comme des marqueurs de la
relation interpersonnelle qui s’établit entre les interlocuteurs. Pour ce type de formulation
la locutrice immigrée et ses partenaires reviennent très souvent à la première langue de
socialisation (l’arabe dialectal) qui marque un aspect identitaire et d’appartenance
culturelle (notamment la religion).
280
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
« rituels d’accès » (GOFFMAN, 1973 : 88) mutuel, présentent dans notre corpus des
alternances codiques intra-intervention où les trois locutrices usent à la fois de l’arabe
dialectal et du français. Les alternances codiques se produisent fréquemment dans les
séquences d’ouverture et elles sont constitutives des conventions de communication
propres aux locuteurs algériens qu’ils soient immigrés ou non immigrés. Dans les extraits
ci-dessus, nous allons constater que le locuteur suit sont interlocuteur systématiquement en
réitérant dans une même langue puis en alternant avec la deuxième langue pour compléter
la paire de l’échange de salutations201. Cette insistance dans l’emploi des formules de
salutation est motivée par la valeur que les interlocuteurs accordent à la relation qui
s’établit lors des rencontres.
Dans l’extrait 71 (C.1) il s’agit d’une séquence d’ouverture marquée par une
alternance codique inter-intervention, Amaria en (A.ni. 001) salue sa partenaire immigrée
en langue arabe dialectal (SbaH el Khir Farida) (matin de bien ou bonjour) alors que
Farida (F.ii. 002) lui répond en français par (bonjour), Amaria poursuit ses salutations par
un acte réalisé sous forme de question-de-salutation sur l’état de Farida (ça va ?), cette
dernière lui répond mais cette fois-ci en alternant le français et l’arabe dialectal, il s’agit
plus précisément de l’insertion d’une invocation à Dieu (Hamdoullah) ritualisée et
récurrente dans les pratiques des salutations des Algériens et qui est souvent alternée avec
‘‘ça va’’ ou ‘‘bien’’.
Dans l’extrait 72 (C.2), le tour de parole de Farida (F.ii. 001) contient une
salutation proprement dite formulée en français et en arabe dialectal et une salutation
complémentaire formulée en français (bonjour salam ça va ?) sous forme de question-de-
salutation (KERBRAT-ORECCHIONI, 2001 : 178) auxquelles Amaria (A.ni. 002) répond par
(ça va lHmdoullah et toi ?) formulé sous forme d’un énoncé latéral sans employer
explicitement une formule de salutation. La réaction de Amaria est en effet formulée
pareillement sous forme de question-de-salutation mais surtout comme formule routinière
adaptée à la situation et au contexte. Ce qui caractérise les deux échanges ce sont les
alternances codiques unitaires qui se manifestent en tant qu’inserts qui remplissent une
fonction phatique.
201
Les séquences d’ouverture sont généralement décrites comme fonctionnant par paires adjacentes
(SCHEGLOFF & SACKS, 1973).
281
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans les extraits 73 (C.4) et 4 (C.5), les interactions sont de type « trilogue ». Elles
sont caractérisées par des échanges de salutation bilingues relevant d’un choix de langue
non marqué. Ainsi, les trois locutrices usent de l’arabe dialectal et du français dans la
formulation des salutations. Amaria emploie ans (A.ni. 001) l’arabe dialectal pour saluer sa
partenaire immigrée d, qui s’est absentée pendant quelques jours de la maison pour aller
chez des proches, en lui souhaitant un jour de bien (SbaH el khir FARIDA) qui est
l’équivalent de bonjour en ajoutant une salutation complémentaire sous forme de question-
de-salutation en français (ça va ?), Farida répond en français (ça va impec). Linda avait
déjà rencontré Amaria, elle s’adresse directement à Farida en employant elle aussi une
question-de-salutation qu’elle a alternée avec un pronom personnel. Etant un élément
ritualisé, ce dernier figure souvent dans les formules de salutation comme réplique à partir
de laquelle la question est posée. Farida lui répond (F.ii. 002 et F.ii. 006) en utilisant un
terme tronqué en français (impec) en insérant une formule de serment (wellah !) en arabe
dialectal qui remplit une double fonction interjective et emblématique puis elle réitère en
français en reprenant le même terme qu’elle a employé au début.
Dans l’extrait 74, on y trouve presque la même configuration des échanges ; dans le
premier tour de parole Farida formule ses salutations en usant des deux langues (salam
bonjour), dans le second tour la formulation de Linda débute en arabe dialectal sous forme
de salutation et se poursuit en français par une salutation complémentaire correspondant à
une question-de-salutation.
Chacun des exemples cités est composé de formules de salutation proprement dites
et des formules complémentaires caractérisées par la mobilisation de l’arabe dialectal et du
français. Dans ce cas l’alternance des deux langues représente ce que Fabienne MELLIANI
(1999.b : 350) appelle « une ressource supplémentaire » qui donne une valeur d’amabilité à
la rencontre voire à la relation et permet de les gérer au mieux. Ainsi, le passage à l’arabe
dialectal ou au français est causé dans les trois exemples par le besoin d’exprimer un
rapport d’intimité basé sur le respect mutuel. Chez l’immigrée l’usage de l’arabe dialectal
constitue, dans les séquences d’ouverture, un héritage linguistique et culturel, alors que
chez les locutrices non-immigrées les salutations et salutations complémentaires exprimées
282
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous avons relevé dans notre corpus de longues séquences de narration qui
manifestent une sorte d’énonciation polyphonique203 où sont imbriquées les voix des trois
locutrices et de ceux ou celles dont elles actualisent le discours. Seulement, il ne s’agit pas
tout à fait d’authentiques paroles d’autrui204 car ce qui importe dans de telles situations
c’est plus l’intention de communication que les formes discursives rapportées. Ce qui
permet, à la suite d’Amina BENSALAH (1998 : 168), de souligner l’effet loupe de
l’alternance codique :
Certaines paroles rapportées par les trois locutrices sont bilingues et d’autres
monolingues mais il peut exister un décalage entre ce qui a été vraiment dit et ce qui est
relaté, il en de même pour la langue dans laquelle ces paroles ont été énoncées. Même s’il
s’agit de paroles monolingues énoncées dans l’une ou l’autre langue, celui qui les rapporte
202
On peut dire à ce propos qu’il s’agit d’« alternances habituelles » selon les termes de Pénélope GARDNER-
CHLOROS (1985 : 54).
203
Pour Oswald DUCROT (1984 : 198) « … l’énonciation polyphonique est l’œuvre d’un seul sujet parlant,
mais l’image qu’en donne l’énoncé est celle d’un échange, d’un dialogue, ou encore d’une hiérarchie de
parole ». Voir également d’autres précisions chez Violaine DE NUCHEZE (1998 : 38-41).
204
Notons à la suite de Diane VINCENT et Sylvie DUBOIS (2005 : 59-61) qu’il y a cinq emplois de la structure
du discours rapporté : la reproduction, la pseudo-reproduction, l’actualisation, l’invention et l’assertion.
205
C’est l’auteur qui souligne.
283
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
en situation bilingue a tendance à les actualiser compte tenu de la/les langues utilisées lors
des interactions et de la compétence de ses interlocuteurs.
Dans l’extrait 75 (C.1), Farida rapporte les paroles de sa maîtresse de l’école, qui est
française, sous forme d’énoncés206 monolingues en français alors que dans l’extrait 76
(C.1) il s’agit d’un segment bilingue. Comme il est difficile de déterminer la frontière entre
le discours citant et le discours cité on peut considérer les deux changements de langue, qui
se produisent en tant que traductions/reformulations des éléments déjà fournis en français,
comme une stratégie d’adaptation et de convergence. Nous constatons aussi que les verbes
locutoires sont réalisés en arabe dialectal et le discours de la maîtresse de l’école est
rapporté soit totalement en français soit sous forme d’alternance arabe dialectal/français.
Dans l’extrait 77 (C.1), Farida est passée à l’arabe dialectal pour rapporter les
paroles de son père puis elle recourt au français en voulant s’assurer si l’énoncé qu’elle a
produit correspond à l’idée évoquée. Par l’emploi du commentaire métadiscursif (Comme
ça on dit ?) Farida recherche l’élément le plus adéquat pour son discours (VINCENT et
MARTEL, 2001 : 143). Comme il est difficile de déterminer dans quelle langue ces propos
ont été effectivement énoncés par le père, qui pratique les deux langues avec eux en
206
Nous voudrions préciser à la suite de Diane VINCENT et Sylvie DUBOIS (2005 : 31) que « le terme
« énoncé » est ambivalent : s’il est utilisé d’une manière générale à peu près comme synonyme de phrase, il
correspond plutôt à l’intervention, au tour de parole lorsqu’il est qualifié de rapporter ou citer, et peut être
constitué de plusieurs phrases ».
284
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
famille207, on peut dire qu’elle a utilisé l’arabe dialectal pour obtenir un effet expressif et
attribuer l’emploi de la langue des origines à son père qui est un locuteur natif voire
bilingue.
Dans l’extrait suivant 78 (C.1), Farida décrit à Amaria le jeu de magie auquel elle a
assisté en rapportant les paroles du magicien. L’alternance codique s’est produite à deux
reprises dans le tour de parole (F.ii. 208) quand elle relate ce qu’elle a dû dire au magicien
et ce qu’il a dû lui répondre. Par contre, dans le deuxième tour, l’alternance concerne
seulement le discours rapporté de ce magicien. En comparant le discours du magicien
rapporté par Farida dans les deux tours de parole (F.ii. 208 et F.ii. 210), on peut dire qu’il
s’agit du même contenu et que la différence apparaît seulement au niveau linguistique. En
fait, il y a une succession d’alternances, Farida est passée de l’arabe dialectal au français
ensuite elle a clos son tour de parole par le segment (neddih nroddah) en arabe dialectal
qui correspond en partie à ce qu’elle a dit en français dans le tour précédent (F.ii. 208) : (je
le rende).
207
Farida nous a affirmé lors de l’entretien que son père leur a toujours parlé en français et en arabe dialectal
contrairement à sa mère qui ne leur parle qu’en arabe. C’est ce qu’elle a dit à ses partenaires lors des
conversations suite à une question qui lui a été posée à ce propos.
285
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous pouvons constater dans les tours de parole (F.ii. 025 et F.ii. 027) de
l’extrait 79 (C.2), où Farida compare l’accueil des commerçants en Algérie et en
France, que le jeu de l’alternance codique concerne plus les paroles rapportées des
Algériens que celles des Français. C’est clair, pour ces derniers, la langue ne peut
être que le français, le mélange et l’alternance codique sont attribués aussi bien au
commerçant algérien avec qui elle a eu une discussion qu’aux paroles qu’elle a
tenues208. Le discours cité par Farida dans le premier tour de parole est une
actualisation (VINCENT et DUBOIS, 2005) qui se présente comme un prototype
représentant le comportement habituel des commerçants français qu’elle a
appliqué au discours en cours. On peut ajouter à ce propos l’accentuation du
terme bonjour dans (F.ii. 025), une stratégie par laquelle la locutrice tente de
rendre audible la voix des locuteurs absents (les commerçants français).
Dans l’extrait 81 (C.2) Linda rapporte les paroles des jeunes en utilisant plus
l’arabe dialectal que le français. Seulement il s’agit là d’une actualisation de paroles
communes à tous les jeunes qui veulent partir vivre à l’étranger. Les deux tours de parole
de Linda sont caractérisés par la succession des alternances codiques et la domination de
l’arabe dialectal. Nous retrouvons une caractéristique qui lui est propre.
208
La frontière entre les paroles rapportées de soi, que Erving GOFFMAN (1981) appelle « self-talk », et celles
d’autrui nous a permis également de distinguer entre ce qui a dû être dit et ce que l’on dit généralement.
286
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans l’extrait suivant 81 (C.2), les paroles rapportées par Farida (F.ii. 210 et F.ii.
214) sont introduites par le verbe locutoire « dire » réalisé en français (elle a dit et elle m’a
dit) puis elle passe au jeu d’alternance. Dans le tour de parole (F.ii. 210) on constate après
le premier segment énoncé en français une hésitation qui est marquée par l’emploi de
l’adverbe de comparaison arabe (ki). Aussitôt, elle reprend en français par le segment
(comme son père) qu’elle réalise sous forme d’une traduction-formulation. Ces modes de
réalisation de l’alternance codique qui concernent le discours citant et le discours cité
montrent qu’il s’agit d’une stratégie communicative visant l’adaptation et l’augmentation
de l’effet expressif.
L’extrait 82 (C.3) constitue une longue séquence narrative caractérisée par l’emploi
du français et de l’arabe dialectal. Farida raconte l’aventure qu’a vécu sa grand-mère
durant la guerre de libération nationale que sa grand-mère lui a raconté en arabe
287
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
dialectal209. En fait, nous dirons que la mobilisation des ressources des deux langues est la
règle régissant les interactions entre Farida et ses partenaires. Farida endosse le rôle du
narrateur répétiteur des paroles de sa grand-mère qu’elle actualise en tenant compte de
l’intérêt que portent ses partenaires à ce qu’elle leur raconte. A travers les quelques
exemples concernant le discours rapporté, on constate que le dit de la personne dont on
rapporte la parole ainsi que le choix de langue pour le dire ne sont pas contestés par les
interlocutrices ou remis en question même quand il s’agit d’un locuteur francophone qui ne
connaît pas l’arabe dialectal. Il y a, en effet, une sorte de connivence et de confiance qui
s’instaure entre les participantes. Le rôle d’écoute et d’aide de la part des non-immigrées
qui ont sollicité leur partenaire pour leur raconter quelque chose sur son vécu ainsi que les
opinions qu’elle a de telle ou telle situation l’amènent à assumer son statut de narratrice210
face à ses partenaires qui semblent adopter un jeu de figuration pour protéger leur face. On
peut dire que le choix de langue est inhérent au contexte ainsi qu’aux ressources
disponibles. A noter que l’alternance codique est nécessaire comme moyen supplémentaire
qui se développe ad hoc entre les trois participantes pour atteindre un but communicatif
précis et construire le sens de l’interaction.
209
C’est elle qui nous l’a affirmé après un an du déroulement de l’enquête suite à un entretien avec les trois
participantes pour avoir leur avis sur leurs propres façons de parler.
210
Nous avons déjà vu à travers les cinq conversations que la locutrice immigrée prend plus la parole que ses
partenaires non-immigrées et elle produit des tours de paroles plus longs (monolingues/bilingues). Cela est
dû au fait que ses partenaires lui posent beaucoup de questions et lui demandent souvent de leur raconter des
choses qu’elle a vécues (A.ni. 173 : eHkili çla lwaçda « raconte moi sur la célébration » ; A.ni. 151 :
w’kifache had él waçda zeçma ? (comment est soi-disant cette célébration ?). Notons que cette
caractéristique semble très récurrente dans le contexte algérien lors des interactions immigrés/non-immigrés,
elle est souvent marquée par des concessions qui donnent un statut particulier à l’immigré (privilégié en tant
que hôte). Reste à savoir si cela est lié à l’asymétrie des répertoires (notamment l’endurance) ou si c’est une
caractéristique culturelle.
288
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
289
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
(maintenant ils veulent retourner ici dans le pays + jusqu’à aujourd’hui ils pleurent pour)
l’ALGERIE lel’Ane rahoum ygoulou (jusqu’à maintenant ils disent)
l’ALGERIE bledna (notre pays)
A côté du discours rapporté, nous avons relevé également des alternances codiques
dont la fonction est de citer un propos célèbre d’un auteur, une parole populaire (le
proverbe), un vœu ou une formule emblématique (invocation à Dieu) commune à la
communauté ou encore des paroles divines. Les trois extraits (85) a, b et c contiennent
respectivement des citations qui renvoient à un univers référentiel spécifique à la culture
algérienne voire arabo-musulmane. Farida passe du français à l’arabe dialectal voire à
l’arabe classique lorsqu’elle fait référence à la sourate du Coran ‘‘ La pureté’’ dont elle
ignore le titre en citant seulement le début du verset qu’elle connaît par cœur211 (85, b. F.ii.
422). Par ailleurs, elle emploie un proverbe local sur l’éducation qu’elle cite en arabe
dialectal (elli meTrebbi men çand rebbi) : « l’éducation est une œuvre divine ». Le
passage à l’arabe dialectal est tributaire de l’emploi du proverbe qu’elle a choisi pour
illustrer et argumenter son discours.
b : conversation 1 (C.1)
F.ii. 422 : [donc malgré que j’ai appris chettî (tu as vu) les soura d’el
fatiHa (la sourate de la FatiHa, de l’ouverture) + « qoul houwwa Allahou
aHad » (Dis : ‘lui Dieu est unique’) et puis deux=autres aussi que je
sais pas ++ je ++ je ne sais pas trop [comment ça s’appelle
211
On peut dire qu’il s’agit d’une fonction compensatoire.
290
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
c : conversation 1 (C.1)
F.ii. 171 : des très bonnes personnes qui t’accueillent + mais comme ça
+ très bien ++ w’kayen Allah ghaleb SamTén waçrine (et il y en a
qui sont insupportables et difficiles) ils savent pas parler et puis
ma’yaçarfouch ywajbou (ils savent pas répondre) puis euh ++ ils sont
très mal polis ++ je veux pas dire très mal élevés parce
que c’est pas la faute de leurs parents ++ Allah ghaleb
(c’est comme ça) ++ « elli meTrebbi men çand rebbi » (l’éducation est
œuvre divine)
D’une manière générale, même si les paroles d’autrui ne sont pas rapportées dans la
le(s) langue(s) dans laquelle (lesquelles) elles ont été énoncées (sous formes d’énoncés
bilingues ou monolingues), leur mise en valeur en interaction bilingue se fait selon un
choix de langue dépendant de la compétence de l’interlocuteur, de la situation de
communication et du sujet abordé.
4 – 3. La fonction interjective
Comme nous l’avons déjà souligné plus haut, certains inserts comme les formules
d’invocation à Dieu et les formules de serment servent à marquer une interjection. Leur
emploi comme termes exclamatifs ponctue le discours et accentue la force expressive de
même qu’elles ont une valeur emblématique (DABENE et BILLIEZ, 1988). A côté de ces
formules il y a également des mots de transition qui fonctionnent comme des particules
énonciatives (JOCELYNE FERNANDEZ, 1994) qui contribuent à la construction du discours
comme : (bessah !) « ah oui ! », (yih !) « oui ! », voilà, etc.
4 – 4. La réitération
Les réitérations sont des passages d’une langue à l’autre qui « peuvent servir à
clarifier ce qu’on dit, mais souvent elles ne servent qu’à amplifier ou à faire ressortir un
message » (GUMPERZ, 1989.a : 77). Il s’agit de reformulations paraphrastiques qui ne sont
pas forcément reprises littéralement et peuvent être aussi réalisées par l’interlocuteur au
cours de l’interaction. Dans les extraits 86 (a et b) on souligne des réitérations où Farida
291
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
passe du français à l’arabe dialectal (le Coran + lqorAn) et de l’arabe dialectal au français
(ma bghach + il a pas voulu) servant ainsi à amplifier le potentiel référentiel.
b : conversation 4 (C.4)
F.ii. 280 : et le méd’(e)cin ma bghach (il n’a pas voulu) il a pas voulu
Dans cet échange le terme (chellal) produit par Amaria en arabe dialectal repris en
français par Farida (la cascade) comme pour préciser son message et renoncer à la
première proposition ‘‘jet d’eau’’ jugée non conforme au sens attendu. Il est important de
rappeler que la réitération ou encore les reformulations paraphrastiques jouent un rôle
fondamental dans l’appropriation de nouvelles ressources.
c : conversation 4 (C.4)
A.ni. 244 : echellal (la cascade)
F.ii. 245 : ah ! le jet d’eau le + la cascade
292
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b : conversation 1 (C.1)
A.ni. 329 : quelle est ++ quelle est la chose la plus=importante raki
Habba tçabbiha menna ml’ALGERIE ? (que tu veux prendre d’ici ?) + menna
me TLEMCEN ? (d’ici de Tlemcen) surtout menna me (d’ici de) TLEMCEN ?
212
Selon Emile BENVENISTE (1966 : 259-260) : « c’est dans et par le langage que l’homme se constitue
comme sujet ; parce que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité qui est celle de l’être, le concept d’
’’ego’’ [...] cette ‘‘subjectivité’’, qu’on la pose en phénoménologie ou en psychologie, comme on voudra,
n’est que l’émergence dans l’être d’une propriété fondamentale du langage. Est ‘‘ego’’ qui dit ‘‘ego’’. Nous
trouvons là le fondement de la ‘‘subjectivité’’, qui se détermine par le statut linguistique de la ‘‘personne’’ ».
293
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Le passage d’une langue à l’autre, pour le locuteur bilingue et biculturel, sert aussi
à marquer son appartenance à un groupe ou à une communauté (LÜDI et PY, 2003) comme
cela peut renvoyer à une double appartenance (pays d’accueil/de naissance et pays des
origines) notamment pour les individus issus de l’immigration (MOHAMMED, 1997). Le
marquage de la double appartenance et la mise en œuvre des valeurs socioculturelles chez
la locutrice immigrée se manifestent par le procès d’indexicalisation qui est défini comme
« le recours des locuteurs à des marques linguistiques qui peuvent être considérées comme
des indices d’un procès de (re)construction de l’identité et/ou du sens social » (BABASSI,
2003). Les trois locutrices emploient fréquemment les pronoms toniques comme par
exemple (ana, anaya et moi) en passant par les deux langues. Ces pronoms sont des
marqueurs de subjectivité portant sur le vécu personnel et sur l’identité. Par ailleurs, leur
emploi au pluriel renvoie à un discours en ‘‘nous’’ traduisant une reconnaissance
identitaire multidimensionnelle ayant un lien avec l’appartenance ethnique et l’imaginaire
linguistique, ce dernier est défini comme étant :
Le discours en ‘‘nous’’ énoncé en arabe dialectal (Hna) renvoie à une double voix
du ‘‘nous’’ et du ‘‘on’’, mettant en valeur certains aspects socioculturels et identitaires. Par
l’emploi de ces pronoms (Hna, nous et on) les trois locutrices comparent deux univers
culturels et linguistiques différents. Chez la locutrice immigrée les dichotomies
nous/eux (Français) ; nous/vous (Algériens) renvoie implicitement au sentiment de l’entre-
deux exprimé souvent par l’expression « on est immigrés ici et immigrés là-bas » relevée
dans plusieurs recherches sur l’immigration maghrébine en France (DABENE et BILLIEZ
1988), (BILLIEZ, 1998).
294
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans les extraits suivants 88 (a et b), l’emploi de (Hna) « nous » permet à Farida
de marquer son appartenance à deux pays voire à deux cultures différentes qui se
complètent. Dans (F.ii. 087) et (F.ii. 096) l’alternance codique ‘‘Hna’’/‘‘on’’ est
implicitement l’indice d’une catégorisation qui renvoie aussi bien à la communauté des
immigrés (Franco-algérien) qu’à celle du pays d’origine des parents. Ainsi, (Hna) « nous »
est la marque d’un procès d’indexicalisation par lequel se construit une identité éclatée ou
recherchée. Par ailleurs, dans l’extrait 89 (F.ii. 410) Farida emploie (Houma) « eux » qui
désigne manifestement les Français.
b. conversation 3 (C.3)
F.ii. 096 : ouais ! + beaucoup + beaucoup triste ++ mais ++ quand on
voit déjà Hna (nous) on a de la famille ici en ALGERIE
wen’Sébouhoum (et on les trouve) ++ en entendant les=infos ++
les=informations ++ euh ++ taç lebled (du pays) où s’est fait
tué une vingtaine de personnes ++ on pense + Hna raHna fel
ghorba wen’khammou \\ (nous on est à l’étranger et on pense)
L’emploi des possessifs (taçna) ‘‘notre’’ et (taçkoum) ‘‘votre’’ ainsi que les
morphèmes liés (na) « notre et nos » et (koum) « votre et vos » de la part de la locutrice
immigrée marque assez nettement le clivage entre deux univers culturels différents : celui
des origines et celui propre aux immigrés qui a suscité à deux reprises l’emploi au pluriel
de l’adjectif de nationalité en (F.ii. 033) les Algériens. Chez la locutrice non-immigrée le
terme taçkoum « vos » (L.ni. 566 : les plages taçkoum) inclut une double appartenance à
l’espace (la France) et à une catégorie sociale (les immigrés).
295
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Pour autant, les ressources sont multiples et nuancées, notamment dans le discours
de la locutrice immigrée, qui a employé des termes exprimant clairement la double
appartenance et le sentiment de l’entre-deux. En effet, les termes en question réalisés dans
l’une et/ou l’autre langue renvoient aux dichotomies nous/eux ; nous/vous. Les termes et
les expressions qui reviennent dans le discours de la locutrices immigrée et qu’on retrouve
même dans le discours de ses partenaires sont : laçreb, çreb, bledna, fransa, ould el bled,
213
Comme il a été précisé ci-dessus, l’alternance codique « est un terrain idéal pour questionner les
approches de l’identité et du contexte dans l’analyse des pratiques langagières – puisqu’une des fonctions du
CS c’est d’indexer une appartenance à un groupe ou à une culture » (MONDADA, 2007.a : 80).
296
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
legwer (européens non musulmans qui désigne les Français), blédards214 (habitants du
bled), Maghrébins, les immigrés, Arabes, Algériens, Musulmans, Français, pieds-noirs,
Franco-algérien, Algériens Français. La mobilisation de ces ressources par la locutrice
immigrée implique une mise en langue de la question identitaire exprimant un double
attachement symbolique (au pays natal et au pays d’origine des parents) qui contribue à la
construction d’une identité mixte et/ou plurielle.
214
Le terme « blédards » concerne les habitants du bled et ceux qui viennent d’arriver d’Algérie pour
s’installer en France qu’ils soient immigrés « eux » ou descendants de l’immigration « nous » selon les
déclarations de beaucoup d’informateurs.
215
A noter que les formes (re)verlanisées ‘‘beurs, reubeu et beurettes’’ ont une connotation péjorative et
permettent aussi de distinguer entre les descendants de l’immigration et leurs parents immigrés. Les Arabes
sont aussi désignés par ‘‘Brounes’’ et ‘‘Brounettes’’ (voire ‘‘Ratonnes’’ pour les filles) selon les recherches
de Jacqueline BILLIEZ et al., (2003.a) et Jacqueline BILLIEZ et al., (2003.b). Voir également Henri BOYER
(2003 : 83-91) sur ce qu’il a appelé le choc des mots et le poids des stéréotypes à propos de la crise des
banlieues à la télévision.
216
Il est aussi utilisé comme stéréotype mélioratif chez beaucoup d’Algériens pour rappeler le passé glorieux
et rayonnant des Arabes.
217
Pour les immigrés ‘‘l’Autre et/ou les autres’’ concerne aussi bien les Français que les Algériens voire les
Maghrébins (les siens : Arabes et musulmans). C’est pour cela que les immigrés sont confrontés à une autre
forme d’altérité dans le pays d’origine des parents.
297
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
b. conversation 4 (C.4)
F.ii. 042 : ouais ! ila ma ghabnouhch (si cela ne l’a pas dérangé) déjà ++ si ++
j’espère qu’ils=ont été à l’aise parce que mça (avec)
les=Arabes vraiment + [les douaniers
218
Nous les considérons en d’autres termes comme des formulations discursives de l’identité.
298
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Les extraits que nous avons relevés contiennent plusieurs éléments qui illustrent
l’instabilité due au clivage identitaire chez la locutrice immigrée qui dit dans l’extrait 90
(F.ii. 106 et F.ii. 108 : nous les immigrés). Puis elle change de langue en utilisant (Hna)
« nous » qui renvoie à immigrés. En effet, ce terme est employé exclusivement par Farida
pour désigner les immigrés et décrire leur monde voire leur mode de vie. Néanmoins,
Farida emploie d’autres termes et expressions par lesquels elle évoque son vécu et justifie
son appartenance et son attachement aux deux espaces (le pays d’origine des parents et le
pays natal). Les symboles d’indexicalisation et les différentes catégorisations ethniques et
sociales (notamment les ethnonymes) sont donc étroitement liés au contexte et à la
situation. En fait, l’emploi de ces éléments est lié aux questions posées par les non-
immigrées sur le quotidien de leur partenaire et celui des immigrés en France. On constate
également que ces éléments indexicaux sont utilisés soit en arabe dialectal soit en français.
Dans chacun des extraits (94, 95, 96, 97, 98) ci-dessous les termes dont nous avons parlé
plus haut sont employés sous forme de formulations discursives de l’identité. La locutrice
immigrée endosse, ainsi, plusieurs statuts à la fois qui sont relatifs à une identité plurielle
matérialisée à travers les différentes ressources verbales : (F.ii. 326 : les blédards qui sont
temma) ; (F.ii. 310 : mon pays … mon bled) ; (F.ii. 175 : bledna) ; (F.ii. 394 : l’Algérie
bledna chebba) ; (F.ii. 456 : chez nous çadna … beaucoup de musulmans en France).
299
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Il résulte de l’ensemble des extraits analysés que les locutrices mettent en œuvre
leur répertoire verbal pour atteindre un but communicatif commun. L’alternance codique
constitue donc une véritable stratégie communicative et revêt plusieurs fonctions
permettant avant tout l’adaptation du discours au contexte. Les locutrices sont en mesure
de passer du français à l’arabe dialectal et inversement pour plusieurs raisons : conserver
300
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
l’originalité des paroles rapportées, modaliser le message, marquer l’appartenance, etc. Les
fonctions identitaires et emblématiques prédominent chez la locutrice immigrée vu le statut
et les places conversationnelles qu’elle occupe dans les interactions. De même que
l’alternance codique unitaire (les inserts) et/ou segmentale permet d’indexer les valeurs
identitaires et l’appartenance à la communauté voire à la culture. En effet, nous avons
souligné une variabilité et une mobilité de l’identité chez la locutrice immigrée.
Dans ce chapitre, nous avons mis l’accent sur les différentes manifestations de
l’alternance codique dans ses dimensions structurelles et fonctionnelles. Nous avons
d’abord porté notre regard sur les caractéristiques et les types d’alternances codiques dans
les échanges compte tenu des différences du répertoire des trois locutrices. L’analyse des
différents types d’alternances codiques a permis de constater qu’il n’est pas toujours aisé
de distinguer entre l’alternance codique et certaines unités présumées comme emprunts. La
prise en compte des caractéristiques des pratiques langagières des trois locutrices a amené
à considérer ces ressources supplémentaires, qui contribuent à l’émergence du métissage
langagier, comme des réalisations relevant des habitudes verbales. L’alternance codique est
donc une ressource structurée ad hoc par les participants, caractérisée par la variation et la
dynamique et que l’on peut qualifier comme « un véritable foyer de créativité » (DE
HEREDIA, 1987 : 126).
L’analyse des extraits a permis de dégager à la fois les types d’alternances codiques
qui caractérisent les pratiques langagières des trois locutrices et les fonctions qu’elles
remplissent. Les alternances codiques examinées montrent que les divergences codiques
chez les trois locutrices amènent à des stratégies communicatives et stylistiques où
l’alternance codique peut se traduire comme un véritable style, selon les propos de Claude
HAGEGE (2005 : 240) : « à un certain degré de saisie consciente et d’intention, l’alternance
de codes peut en venir à constituer un ensemble de choix d’expressions, c'est-à-dire un
style ».
301
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
des alternances codiques. Une caractéristique qui reste liée aux pratiques langagières des
locutrices non-immigrées. En conséquence, l’emploi de ces unités que l’on considère
comme des emprunts permet d’augmenter le potentiel référentiel dans les interactions.
Nous avons relevé également les raisons qui font que les trois locutrices changent
de langues ou les alternent pour atteindre un but communicatif précis. Comme nous avons
pu le constater, l’alternance codique remplit plusieurs fonctions qui dépendent du contexte
et de la situation de communication. On pourrait dire, en effet, que lorsqu’elles alternent
les deux langues, les trois locutrices le font à partir de leur langue forte. D’ailleurs on a
constaté à travers l’analyse quantitative (compte tenu des trois indices) que la divergence
des répertoires amène à des convergences au niveau interactionnel.
302
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
CHAPITRE 2
LE ROLE DE L’ALTERNANCE CODIQUE DANS L’ORGANISATION DE LA
PAROLE EN INTERACTION
Le fait que les pratiques langagières des trois locutrices (l’immigrée et les non-
immigrées) présentent des asymétries croisées implique de s’intéresser au rôle des
ressources verbales dans l’organisation de la parole en interaction. Cela ne va pas sans
s’interroger sur les stratégies communicatives (GUMPERZ, 1982) qui sous-tendent les
échanges verbaux et les caractéristiques qui permettent de définir les relations sociales
interpersonnelles (VION, 1996). Il s’agit d’examiner comment les ressources linguistiques
mobilisées par les locutrices sont investies aux niveaux de : l’échange, l’intervention et
l’acte de langage compte tenu du contexte et de la situation. Les unités conversationnelles
de par leurs aspects structurels, constituent un tissu langagier grâce auquel les locuteurs
régulent leur communication avec les membres de la communauté discursive, mais aussi
affirment leur appartenance au groupe. La fonction intégrative de la conversation crée une
symbiose entre les membres, les différences socioculturelles, quant à elles, permettent à
l’individu d’évaluer ses manières de faire et ses faces sociales, négatives ou positives, (voir
KERBRAT-ORECCHIONI : 1986).
219
La conversation est une activité « organisée collectivement comme inter-action, son ordre étant
conjointement élaboré de façon coordonnée par les interlocuteurs » (MONDADA, 1995 : 3). Ce sont donc les
locuteurs qui ordonnent la conversation en tant qu’activité sociale conduite de façon contextuelle et ad hoc.
303
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous avons montré dans le chapitre précédent que l’alternance codique, loin d’être
un système homogène220, constitue un ensemble de ressources qui sont structurées221
conjointement par les interlocutrices au cours de l’interaction en vue d’atteindre un but
communicatif commun.
L’une des hypothèses que nous avons avancée est que la disponibilité de certaines
ressources du répertoire (constituant le parler bilingue) et leur gestion par les
interlocutrices amène à une planification stratégique du discours par laquelle les buts
assignés à la communication sont atteints (le fait de comprendre et se faire comprendre).
Nous nous rattachons de ce fait aux recherches de Lorenza MONDADA (1999.a, 1999.b,
2000.b, 2001, 2007.a) qui stipulent l’existence d’une « grammaire-pour-l’interaction »222
inhérente à l’organisation de la parole et qui est étroitement liée aux ressources
linguistiques mises en œuvre.
220
Les alternances codiques sont interprétées selon les contingences liées à l’élaboration conjointe de la
parole en interaction et du contexte.
221
Les modalités d’échanges permettent d’établir des conventions quant à l’emploi alternatif des deux
langues accepté par les participantes car comme le constate John GUMPERZ (1989.b : 66) : « l’usage
acceptable s’acquiert par une pratique continue, en vivant au sein du groupe ». On peut se référer aussi aux
conventions de contextualisation « qui servent d’indicateurs tout au long des interactions » (GUMPERZ,
1989.a : 23).
222
L’existence d’une grammaire-pour-l’interaction ou mieux encore une grammaire émergente plutôt qu’une
grammaire a priori, (HOPPER, 1988) cité par Lorenza MONDADA (2001), nous permet de conclure que
l’alternance codique est une ressource qui se construit dans et par les interactions voire par cette grammaire
pour l’interaction. Ceci peut s’apparenter, en effet, à l’idée de « grammaire de choix de langue » ou de
« grammaire d’alternance codique ».
304
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Il est bien connu dans le cas du parler bilingue que les locuteurs ne mobilisent leurs
ressources langagières respectives que pour atteindre l’intercompréhension, organiser leurs
tours de parole et parvenir à maintenir l’interaction223. De même que l’accomplissement
des tâches conversationnelles entre les participants à une conversation repose à la fois sur
l’exploitation des ressources verbales et non verbales224. Cette exploitation est avant tout
contextuelle dont l’organisation dépend, rappelons-le, de la mobilisation et de la cogestion
des ressources langagières de la part des locuteurs au cours de l’interaction.
223
L’organisation des tours de parole amène souvent à une organisation à grande échelle a niveau de la
conversation. En ce qui concerne le déroulement et l’organisation de la conversation, Danielle ANDRE-
LAROCHEBOUVY (1984 : 23-24) stipule que : « Les mécanismes de régulation interdépendants de la
conversation peuvent être dégagés à partir du matériel langagier et kinésique de l’échange verbal. En effet,
l’autorégulation de la conversation dépend du moins de deux participants qui doivent coopérer au maintient
de l’équilibre du système. Cette coopération repose sur des règles inconsciemment acquises par l’enfant au
cours de sa socialisation et inconsciemment respectées et pratiquées, mais se manifestent par des marques
explicites au cours de l’échange.
224
Les adeptes de l’école Palo Alto stipulent que la communication humaine est multicanale et plurimodale
où s’articulent paroles, gestes, regards, mimiques, etc. (cf. WINKIN, 1981).
225
Comme le montre Sigrid BEHRENT (2007 : 135) : « L’asymétrie linguistique plus ou moins importante
peut être rendue pertinente ou non par les interlocuteurs. De plus elle s’accompagne d’une symétrie des
statuts des participants qui sont tous apprenants ». En effet, l’asymétrie croisée caractérisant les répertoires
verbaux des trois locutrices les amène à une convergence codique et une symétrie de statuts. Cela se réalise
surtout par l’alternance codique.
305
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous mettrons l’accent en outre sur les effets de styles visés par l’alternance
codique en dégageant les marqueurs illocutoires qui précisent leur statut pragmatique.
L’intégration des dimensions pragmatiques et interactionnelles dans l’analyse de la
variation permet de mettre l’accent sur la dynamique des échanges et d’interpréter les
énoncés qui président à leur structuration en tant qu’indices de contextualisation
(GUMPERZ, 1989.b).
On l’a déjà vu, les trois locutrices se trouvent en capacité de gérer leurs échanges,
de développer de manière réflexive des compétences langagières bilingues et de moduler
leur façon de parler en s’adaptant au mieux aux interactions. L’examen de l’alternance
codique en tant que ressource puissante dans l’organisation de l’interaction (MONDADA,
2007.a) permet, en effet, de mettre en évidence, eu égard à l’analyse sociolinguistique et
interactionnelle, les stratégies qui renforcent la valeur perlocutoire des échanges.
D’emblée, on peut dire que malgré les divergences linguistiques manifestes226, les
locutrices parviennent à maintenir un équilibre interactionnel entre elles. Par les
mouvements de réception et de production, elles tentent de réajuster leurs énoncés
mutuellement, en mobilisant les ressources langagières qu’elles jugent utiles pour le
maintien de l’interaction même si certains énoncés restent inachevés. De ce fait, les
interventions et les actes de langage requièrent une hiérarchisation des tours de parole qui
structure la conversation bilingue à l’aide de la récursivité des alternances codiques. De
même que les capacités des locutrices à utiliser les deux langues les amènent à élaborer au
fur et à mesure des stratégies interactionnelles en choisissant l’une ou l’autre langue et les
deux à la fois à chaque fois qu’il est nécessaire de le faire. Nous avons déjà montré à
travers les types d’alternances codiques et les fonctions qu’elles remplissent que les
changements de langues relèvent de diverses motivations des locutrices et visent des
objectifs communicatifs précis.
226
C’est ce que nous avons soulevé à propos de l’aspect exolingue de certaines situations de communication
où les locutrices ont tenté de s’entraider et de mettre en commun certaines ressources disponibles. De même
que l’asymétrie entre le répertoire de Farida et ceux de ses partenaires non-immigrées les amènent à alterner
les deux langues ou opter pour des choix de langues qui se limitent dans certains cas aux inserts ou encore à
des régulateurs comme « oui » ou « yih ». Par ailleurs, ceci montre comment se construit une compétence
bilingue dans et par les interactions.
306
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Comme il a été constaté dans les deux chapitres précédents, le choix et l’alternance
des langues dépendent de plusieurs facteurs externes230 et sont déterminés par les usages
227
Dans le cas de la conversation familiale, la connivence, l’intimité et le respect mutuel amènent les trois
locutrices à accepter les rôles et les places qui les conduisent, par conséquent, à dynamiser l’interaction et
actualiser leur répertoire de façon adéquate. Ceci permet la compensation de certaines lacunes et la
construction de sens social voire la gestion de l’intersubjectivité (MONDADA, 1995) surtout qu’il s’agit d’un
discours expressif où domine le ‘‘je’’.
228
Nous avons montré que la construction des énoncés bilingues en interaction (qui est un indice d’une
convergence codique) est le résultat d’un processus conjoint entre les trois locutrices, celles-ci manifestent
une compétence bilingue et ont une préférence pour l’une ou l’autre langue et/ou une maîtrise particulière
d’une de ces deux langues.
229
C’est ce que nous avons tenté de montrer à travers les réitérations et le passage à l’autre langue pour la
clarification d’un propos.
230
Ces facteurs ne peuvent pas à eux seuls expliquer le choix et les changements de langues lors des
interactions.
307
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
routiniers de l’arabe dialectal et du français231 de la part des locutrices. De même que les
raisons qui les amènent à produire des changements de langue restent inextricablement
liées à une certaine volonté pour atteindre des buts communicatifs communs, sachant
qu’elles sont conscientes de l’asymétrie232 de leurs répertoires. Ainsi, les normes
d’interaction et les normes d’interprétation semblent coordonner les activités des trois
locutrices (en dyade et en triade)233 et les amènent « à des combinaisons possibles des deux
langues » (AUER, 1996 : 21).
231
Nous faisons référence ici aux rencontres (GOFFMAN, 1973) entre les trois locutrices au sein de la maison
familiale. Les différentes rencontres quotidiennes renvoient en effet à l’usage routinier des deux langues.
232
Nous pouvons dire à ce propos qu’il s’agit d’une asymétrie assumée et prise en compte par les locutrices
comme facteur qui détermine la nature de leurs échanges.
233
Que ce soit dans les deux premières conversations (à deux participantes) ou les trois autres (à trois
participantes), les prises de parole et l’organisation des tours montrent une certaine synchronisation et ce
malgré les effacements momentanés d’une des locutrices et le nombre de chevauchements survenus lors des
interactions.
308
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous pouvons dire à propos des cinq conversations de notre corpus que les tours de
paroles (mixtes et/ou monolingues) sont localement organisés par les locutrices pour
l’accomplissement des activités interactionnelles. Poussées par la volonté de converger
entre elles, les trois locutrices mobilisent les ressources qu’elles jugent nécessaires pour se
faire comprendre et atteindre une meilleurs conduite de leurs interactions. Les ressources
mobilisées par les locutrices dans ces conversations qualifiées de bilingues/exolingues sont
donc inhérentes à l’interaction (MONDADA, 1999.b)
234
Erving GOFFMAN (1973 : 84) note en fait que : « … les salutations associées aux rencontres regardent
dans deux directions : en arrière, vers la relation, mais aussi en avant, vers la période d’accroissement de
l’accès mutuel qui vient de commencer ». Notons, que les trois locutrices se connaissent déjà, alors les
ressources qu’elles mobilisent lors des différentes rencontres au sein de la maison familiale les amènent à
utiliser systématiquement les formules de salutation en choisissant l’une ou l’autre langue ou les deux à la
fois (voir supra chapitre 1 troisième partie).
309
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
verbales. En fait, ces ressources mettent en évidence les capacités des participants dans le
pilotage des tours de parole. De même, les modalités de participation au déroulement de la
conversation se définissent aussi bien par les rapports de place235 et les rôles (droits et
obligations) qui dynamisent les interactions que par la gestion et la mobilisation des
ressources disponibles, jugées conformes pour atteindre l’intercompréhension.
235
Les rapports de place et les statuts sont étroitement liés au degré de bilinguisme des locutrices en tant
faible/forte dans une des deux langues. D’autant plus que les premiers énoncés et les premiers mots des
énoncés déterminent la fonction dominante du discours, c’est ce qu’affirme Elisabeth BAUTIER (1995 : 51)
pour qui « Les premiers échanges, et en particulier la façon dont le sujet réagit à la première question de son
interlocuteur, sont significatifs de la construction des places initiales ». Nous reviendrons plus loin en détail
sur certaines questions de rapport de places.
236
Cela va de soi puisque le français est à la fois la première langue de la locutrice immigrée et la langue
dominante dans les conversations. Le clivage et la domination dont nous parlons se traduisent, dans les
interactions, soit par une relation « horizontale » (dimension de la « distance ») soit par une relation
« verticale » (dimension du « pouvoir ») pour reprendre les termes de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI
(2000 : 101). On peut se rattacher également à Eddy ROULET et al., (1985) qui stipulent que tout discours est
négociation.
237
Quand la négociation se réalise on peut parler de compromis ou de ralliement spontané, ceci concerne
aussi bien le niveau formel ou organisationnel de l’interaction que le contenu ou encore les identités
mutuelles et la relation interpersonnelle (KERBRAT-ORECCHIONI, 2000).
310
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Comme nous l’avons déjà souligné, le degré de participation de chacune des trois
locutrices se révèle comme un indice important dans l’analyse de la dynamique des
interactions. De même que le degré de participation est relativement lié au degré de
maîtrise de la/les langue(s) sollicitée(s) et au sujet de la conversation (ou topique)238. Une
des caractéristiques du répertoire linguistique mobilisé lors des interactions est
l’articulation des tours monolingues en français ou en arabe dialectal (qui s’articulent aussi
en échanges bilingues sous forme d’alternances inter-interventions) et des tours bilingues
(alternance arabe dialectal/français). Ces trois solutions (de choix et d’alternance codique)
résultent d’une gestion voire d’une négociation consensuelle implicite constituant une suite
d’ajustements mutuels qui dépendent de la situation et du contexte.
238
On trouve d’autres termes relatifs à ‘‘sujet de la conversation’’ comme ‘‘thème de la conversation’’,
‘‘topic’’, ‘‘topique’’ et ‘‘objet de discours’’ et, malgré certaines divergences, ces termes entretiennent
quelques points communs.
239
Rappelons que ceci a déjà été développé et illustré dans le chapitre 2 de la deuxième partie.
240
Rappelons encore une fois que la domination est relative au nombre des unités mobilisées qui peuvent
constituer soit des énoncés bilingues soit des énoncés monolingues (longs ou courts).
311
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
241
Ces marques fonctionnent à la fois comme des phatiques et comme des régulateurs du discours. Ces
questions seront développées ultérieurement avec plus de précisions.
312
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Outre les fonctions soulignées concernant les séquences d’ouvertures, nous dirons
que les échanges de salutations242 matérialisent une certaine organisation de la parole et
amènent d’entrée de jeu les locutrices à s’aligner en choisissant l’une ou l’autre langue ou
encore les deux à la fois. Aussitôt que les salutations s’achèvent les locutrices initient ou
encore négocient les thèmes qui constituent le cœur de la conversation. Le passage d’un
thème à l’autre relève du contrôle des participantes et suppose des changements de langue
et un investissement particulier des ressources bilingues puisqu’il s’agit de pratiques
interactionnelles bilingues situées, contingentes et collectives.
Les extraits ci-dessous (2) : (C.1), (3) : (C.2), (4) : (C.3), (5) : (C.4) et (6) : (C.5),
illustrent les particularités des séquences d’ouverture tant au niveau de l’organisation des
242
Les salutations sont aussi des marques de politesse nécessaires à l’établissement des relations
interpersonnelles et pour donner une bonne image de soi.
313
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous constatons dans l’extrait (2) : (C.1), une synchronisation des tours de parole
sous forme d’échanges de salutations et de salutations complémentaires (question-de-
salutation) qui sont caractérisées par l’emploi de l’arabe dialectal et/ou du français. Dans le
tour de parole (A.ni. 009) Amaria évoque la possibilité d’apprendre d’autres mots du
français. Ce besoin a été exprimé suite au réemploi du terme tronqué ‘‘impec’’ par Farida
(F.ii. 006) qu’Amaria n’a pas compris lors de la première occurrence. C’est un argument
(A.ni. 009) renvoyant implicitement à un accord concernant l’emploi du français que l’on
peut considérer non seulement comme une négociation de langue à travers laquelle Amaria
affiche l’évitement d’une quelconque menace à sa face243 mais aussi comme demande de
soutien pour l’éventuel apprentissage. Malgré son inachèvement le tour de parole de Farida
(F.ii. 010) constitue un échange confirmatif par rapport à l’assertion d’Amaria. Le tour de
parole (A.ni. 011) produit par Amaria remplit une fonction illocutoire double à la fois
réactive et initiative sous forme de demande de confirmation/question qui a suscité un tour
de parole confirmatif (F.ii. 012) par lequel l’échange est clôturé.
Après quelques échanges subordonnés aux salutations, qui constituent à notre sens,
un moment de négociation et d’alignement, Amaria passe à une requête qui amorce le
premier thème de la conversation. L’introduction d’un thème dépend donc, dans ce cas là,
d’une conception dialogale et interactive résultant de la collaboration des participantes.
243
Etant consciente de sa maîtrise insuffisante (A.ni. 011) du français et des capacités de sa partenaire en
cette langue, Amaria détermine sa position en exprimant son besoin d’apprendre davantage afin d’éviter les
menaces d’incompréhension et de l’usage inadéquat du français. Ajoutons que la négociation de la langue de
l’interaction se fait implicitement ou explicitement (KERBRAT-ORECCHIONI, 2000).
314
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
mots
F.ii. 010 : c’est vrai +++ mai::s [je crois que
A.ni. 011 : [français cassé ++ on dit comme ça ?
F.ii. 012 : ouai::s l’arabe maghrébin
A.ni. 013 : est-ce que çandek (tu as) la famille bezzaf hna f‘ (beaucoup ici en)
l’ALGERIE ?
F.ii. 014 : ça va çandi (j’ai) + wah (oui) même ++ j’en ai même beaucoup
ein::h
A.ni. 015 : a::h !
F.ii. 016 : ah ! ++ on est une grande famille + quand même
A.ni. 017 : < ----- ?> quelle région ?
F.ii. 018 : dans la région de MOSTAGANEM + MOHAMMADIA (MOHAMMADIA) +++ [et +++
A.ni. 019 : [BARIGOU
(PERREGAUX)
F.ii. 020 : [wah
BARIGOU (oui PERREGAUX) ++ et puis + mais bon mon père est de
BARIGOU (PERREGAUX) +
A.ni. 021 : [MOSTAGANEM
F.ii. 022 : [MOSTAGANEM
+++ +++ par exemple je # ++ on est une très grande famille
euh de MOSTAGANEM et + quand même
Dans l’extrait (3) : (C.2), le thème est amorcé dans la séquence d’ouverture après
un court244 échange de salutations sous forme de question-de-salutation entre Amaria et
Farida. En répondant à la question-de-salutation de sa partenaire, Farida exprime ce qu’elle
ressent en ce dernier jour de vacances. Il est intéressant de noter que, au plan
organisationnel, les réponses à certaines questions provoquent l’instauration voire le
développement des thèmes dans la conversation.
244
A comparer avec la première conversation où les échanges de salutations sont plus ou moins longs, ceux
de la deuxième conversation constituent des échanges minimaux, qui sont à notre avis liés à la situation.
315
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
(ils sont là-bas) + les douaniers ils nous posent pas de problèmes
+ parce que çadna (nous avons) notre billet puis on a ::: + on
a nos billets on les a payé + on a les billets Ok et puis
nchallah ! (si Dieu veut) j’espère que on passera sans problèmes
nchallah ! (si Dieu veut) et puis qui xx auraient pas autant de
monde qu’on a eu les=autres=années + et des bateaux en retard
etcetera ++ j’espère nchallah ! (si Dieu veut) que ça se passe
bien
Dans l’extrait (4) : (C.3), le thème de la conversation introduit par Farida est
subordonné à un échange de salutations d’environs 30 secondes (raté au moment de
l’enregistrement). Les deux interventions (L.ni. 001 et L.ni. 003) de Linda sont des
questions245 suivies de réponses à partir desquelles le thème de ‘‘la guerre d’Algérie’’ est
développé. Les interventions des participantes, de par la nécessité du passage de l’arabe au
français ou inversement (sous forme d’alternances codiques inter-intervention ou intra-
intervention), obéissent à la relation de dépendance conditionnelle (KERBRAT-ORECCHIONI,
1996). Ainsi, nous soulignons, malgré la monopolisation de la parole de la part de Farida
(voir la suite de la conversation en annexes) qui est sollicitée pour raconter, l’existence
d’une organisation et d’un ordre co-construit par les participantes.
245
Les questions renvoient à des buts illocutoires directifs et amènent l’interlocuteur à accomplir une action
future. Ainsi, les forces illocutoires que revêt la question dans l’interaction amènent à une organisation des
interactions et permettent d’amorcer un sujet et de le développer. La relation interpersonnelle et familiale
entre les trois locutrices fait que les non-immigrées interrogent constamment l’immigrée sur son expérience,
ses opinions et sur ce qu’elle ressent à propos des deux pays et des deux cultures, sujets qui reviennent dans
les cinq conversations.
316
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
L’extrait (6) : (C.5), illustre une négociation explicite du thème formulée sous
forme d’une requête de la part de la locutrice immigrée (F.ii. 005). Dans le début de cette
conversation c’est Farida qui demande à ses partenaires de proposer un sujet de discussion
plutôt que d’attendre à ce qu’elles lui posent des questions. Nous avons là une question qui
en déclenche une autre (quelque peu artificielle) qui est en rapport avec le thème du retour
et de la France (climat, etc.), il est remarquable que l’intervention de Linda prolonge de
façon interrogative la requête de Farida. Nous pouvons dire que cela est dû au fait que la
317
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
complice n’était pas tout à fait spontanée et se voyait obligée de parler en posant plus de
questions.
246
Par coopération on entend une répartition des tâches entre les interlocuteurs, où chacun peut accomplir de
manière autonome et responsable sa part de travail lors des échanges (cf. GRICE, 1979).
247
Les séquences d’ouverture constituent une phase d’introduction où les interactants proposent un thème
plutôt que d’en poser un (BERTHOUD & MONDADA, 1995).
248
Les deux langues sont considérées sous leur potentiel communicatif (seules ou alternées).
318
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous avons constaté que les séquences d’ouverture sont déterminantes pour la
caractérisation des relations entre les interlocuteurs (SCHEGLOFF, 1986), d’autant plus
qu’elles sont le lieu où se définit le topique principal de l’échange ou le first topic
(BERTHOUD & MONDADA, 1995 : 281). En outre, l’élaboration, la progression et le
glissement thématiques dépendent d’un travail collaboratif lié aux présupposés de la
communication. En fait, l’entrée et la sortie d’un thème dans l’interaction se réalisent de
manière implicite (au cours de l’interaction) ou explicite (par la mise en œuvre des
procédés langagiers voire par une négociation à voix haute).
Les interactions entre la locutrice immigrée et ses partenaires présentent dans leur
déroulement un enchaînement thématique élaboré réciproquement. Dans la première
conversation (C.1), par exemple, la progression thématique est tributaire d’une
collaboration et d’une cogestion instaurée par les deux participantes de façon cohérente. Le
thème de la famille introduit par Amaria sous forme d’une requête constitue un topique
central autour duquel gravitent les autres topiques. De cette manière on peut dire que
l’enchaînement thématique249 et les orientations de la parole permettent le contrôle du
discours et provoquent une certaine cohérence entre l’ensemble des thèmes de la
conversation. On peut ajouter aussi que l’imbrication des deux langues dans les
249
Il faut entendre par enchaînement thématique les différentes transformations et dérivations qui constituent
la progression et le développement voire l’élaboration conjointe d’un thème. En effet, la sélection d’un thème
et son élaboration reposent sur plusieurs mouvements : la proposition ou l’imposition, la progression et la
transformation du thème.
319
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
interactions est liée à cet état de fait. De ce fait, les modalités d’entrée et de sortie d’un
thème de l’interaction, dépendent de la situation et elles sont concrétisées par l’emploi des
marqueurs d’ouverture et de clôture (les questions, les termes d’approbation et les termes
de changement). Marie-Thérèse VASSEUR (2005) affirme que : « ... la collaboration,
minimale au début, permet néanmoins un développement du thème dans ce qui devient une
séquence plus conséquente ».
Le passage du thème de la famille aux autres thèmes (les ancêtres, la plage, la fin
des vacances, l’achat des cadeaux, la musique, les questions identitaires et culturelles, les
immigrés et leur mode de vie, la reprise du travail, et la crèche) se réalise sous forme de
question-réponse et par un échange d’informations sur les éléments constitutifs de ces
thèmes. De même que le passage du français à l’arabe dialectal est en corrélation avec les
thèmes de la conversation. En tout état de cause on peut dire qu’il s’agit de choix de
langues complémentaires. La complémentarité est vue en tant que manière de faire visant
la convergence et l’adaptation de la parole à l’interlocuteur et à la situation250. Bien que le
français soit introduit comme langue dominante dans le déroulement de la conversation, les
trois locutrices opèrent des passages à l’arabe dialectal et aux alternances codiques de
manière contingente et située.
Comme nous l’avons déjà signalé, dans l’extrait (7) : (C.1), le thème est initié
(négocié) par une question posée par Amaria, qui voulait savoir si sa partenaire a beaucoup
de proches en Algérie, question à laquelle Farida répond en affirmant qu’elle en a
beaucoup. Notons aussi à travers ces deux tours de parole que la locutrice immigrée
converge sciemment – (si l’on tient compte de ce qui a été énoncé précédemment au
niveau de la séquence d’ouverture) – par l’emploi de l’alternance codique. C’est une
caractéristique qui se poursuit tout au long de cette conversation où l’on peut constater une
250
Etant en contact dans un milieu familial algérien, où l’arabe dialectal (algérien) et l’alternance codique
prédominent, les interlocutrices (l’immigrée et les non-immigrées) tendent à se plier à cette réalité
linguistique et ce malgré l’emploi intensif du français dû à la présence de la locutrice immigrée.
320
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
articulation des alternances codiques et des choix de langue (arabe dialectal ou français)
opérés par chacune des locutrices.
Les pratiques langagières bi-plurilingues, avérées ou non, ont des incidences sur le
traitement de la production langagière et sont caractérisées par : l’opacité, la diversité et
l’hétérogénéité des moyens, la polygestion (interactivité) et l’instabilité (GAJO, 2003). Les
extraits analysés jusque-là semblent à première vue confirmer les propos de Laurent GAJO
(ibid. : 51) selon lesquels il stipule que : « la diversité et l’hétérogénéité des moyens
d’expression impliquent des procédures de choix (ou non-choix) de langue, et posent ces
choix en termes d’adéquation de ressources discursives », il ajoute par ailleurs, que :
« l’interactivité des pratiques langagières plurilingues signifie une constante négociation,
plus ou moins explicite, et dans tous les cas un ajustement au discours de l’autre, à son
rôle ».
Cependant, l’extrait (8) : (C.1) – qui représente l’amorce d’un autre thème dans la
conversation – se caractérise par la construction conjointe du sens et par le choix exclusif
du français dans certains tours de parole à l’exception de (F.ii. 060 et F.ii. 062) qui sont
des alternances intra-acte (unitaire et segmentale). Le tour de parole (A.ni. 055) se présente
comme une négociation du thème (ou du sous thème), que Farida a dû aborder auparavant
avec Amaria, et comme un enchaînement avec le premier thème, concrétisé par l’emploi de
la conjonction de coordination (et). D’autant plus que les chevauchements (F.ii. 056, A.ni.
057 et F.ii. 058) survenus lors des interactions témoignent d’un travail collaboratif
(d’engagement, d’aide et de complétude)251 dans la construction du thème et dans
l’instauration de la dynamique interactionnelle.
251
La collaboration est entendue sous l’angle du contrat de communication qui permet « de résoudre le
problème posé par la ‘‘prévalence de la réalité sociale’’ », (CHARAUDEAU, 1995 : 83) ; il s’agit plus
précisément d’un contrat qui est « un contrat d’échange à finalité actionnelle, mais l’action n’est ici
321
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
De par la question que pose Amaria (A.ni. 121) à Farida pour lui demander
l’origine de sa mère, et qui contribue à la progression thématique et à la dynamique voire
au maintien de l’interaction, on note dans l’extrait (9) : (C.1), une véritable convergence
interactionnelle et linguistique et ce, malgré l’inachèvement de certains énoncés ainsi que
les pauses et les hésitations survenues dans les tours de parole de Farida qui se trouve
obligée de fournir des réponses et des précisions sollicitées par sa partenaire. Par ailleurs,
(A.ni. 137) Amaria demande à Farida de lui raconter ce qui se passe lors de la cérémonie
religieuse (el waçda) à l’honneur du saint patron de la ville de Mostaganem Sidi Lakhdar
Belkhlouf en formulant son énoncé exclusivement en arabe dialectal, Farida réplique (F.ii.
138) et produit une succession d’alternances codiques unitaires pour préciser les noms des
deux confréries (celle des çissawa et celle des Hamdawa).
considérée que dans la mesure où elle dépend d’un dire, lequel dire construit à son tour la réalité sociale
aussi bien dans ses rituels que dans ses stratégies », (ibid. : 83).
322
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Dans l’extrait (10) : (C.1), l’amorce d’un nouveau252 thème par Amaria se produit,
après une pause d’environ quinze secondes, par une projection de l’acte où elle rappelle
implicitement à Farida le dernier jour des vacances estivales qui correspond à la dernière
après-midi passée ce jour-là au bord de la plage. L’introduction du thème s’opère par une
suite d’interactions bilingues caractérisée par des interventions collaboratives et par une
sorte de complétude interactionnelle. La première intervention d’Amaria est complétée par
Farida par une traduction-clarification en langue française de l’argument (F.ii. 284 : lui
dire au revoir) avancé par sa partenaire en arabe dialectal (A.ni. 283 : nbeIwah bkhir) suite
à sa demande (A.ni. 283 : comment on dit ?). Amaria acquiesce cette proposition de
clarification en produisant une alternance codique intra-intervention et un emprunt (A.ni.
285). Il s’agit en fait, d’une gestion collective et coopérative du topique, son élaboration a
suscité la mobilisation des différentes ressources linguistiques dont la configuration est
indissociable des interventions des locutrices. On voit clairement leur collaboration à la
construction du thème. Chacune fournit des éléments à sa partenaire, ratifie, complète ses
propos et ajuste les siens en produisant des énoncés brefs, longs, monolingues, bilingues,
inachevés, achevés par l’une d’entre elles, etc. Bien que les énoncés produits par Amaria
ne soient pas longs et complets, cela n’a provoqué aucune incidence sur le déroulement de
l’interaction. Pair ailleurs, les chevauchements de tours de parole soulignés (A.ni. 289,
F.ii. 290, A.ni. 291 et F.ii. 292) sont, à notre sens, une preuve tangible d’un mode de
collaboration coopératif de la part des interlocutrices dans la construction du sens social
voire de la complétude interactionnelle. L’approbation des deux propositions avancés par
Farida concernant les toponymes Siga et Sifax, qui voulait implicitement s’assurer s’il
252
C’est un thème qui a été introduit par une clôture annoncée par une formule d’invocation à Dieu, ce qui a
provoqué une pause plus ou moins courte avant sa mise en valeur. De même qu’il paraît dévié sur le
précédent.
323
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
s’agit du même endroit, est prise en charge253 par Amaria qui a fourni cette fois-ci un
argument (A.ni. 293) que Farida ratifie (F.ii. 294) et la conduit à continuer sur le sujet en
cours en le développant.
Les thèmes abordés sont à caractère général et personnel, non menaçants pour les
locutrices et ce malgré leur nature foncièrement intime254, c’est pourquoi d’ailleurs chaque
locutrice se sent impliquée et participe activement aux interactions. Par ailleurs, les choix
et les changements de langues surviennent aussitôt que les thèmes se construisent et se
transforment au fil de l’interaction. C’est au travers de l’amplification et des glissements
thématiques que les locutrices mobilisent leur répertoire respectif pour toutes fins
pratiques. Il en découle par conséquent une organisation séquentielle régie par des
mouvements interactionnels donnant lieu à une configuration originale des ressources
linguistiques mobilisées qui sont le corollaire d’une grammaire-pour-l’interaction. De ce
fait, l’alternance codique et le changement de langue restent somme toute des manières de
253
L’initiative de prise en charge de la construction des interventions peut se faire de part et d’autre. C’est
une des caractéristiques que nous avons soulevée lorsque les locutrices passaient d’une situation bilingue à
une situation exolingue.
254
Nous nous référons à l’aspect confidentiel dans la relation interpersonnelle (TRAVERSO, 1996), où le
dévoilement de soi peut menacer les faces des participants à une interaction. Dans le cas qui nous intéresse
nous soulignons une égalité des droits interlocutifs des participantes.
324
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
faire qui semblent traduire une certaine fiabilité quant au maintien des interactions et à la
construction interactive du sens social.
Le caractère familier et intime des interactions a poussé les locutrices à adopter une
ligne de conduite commune. En fait, les réparations, les complétudes, les chevauchements,
les étayages, les malentendus, la monopolisation de la parole, le choix des langues et les
alternances codiques, sont autant de faits qui peuvent avoir leur impact dans la conduite
des interactions en situations bilingues/exolingues. Ces faits ne semblent pas tout à fait
menaçants pour nos trois locutrices du fait que celles-ci sont conscientes de leurs
insuffisances langagières et surtout de la relation sociale qu’elles entretiennent entre elles.
Cette définition a priori de la situation par les locutrices semble bel est bien un alibi
assurant le maintien et l’élaboration conjointe de l’interaction. Malgré ces considérations,
que la relation n’est pas tout à fait symétrique. Elle est plus ou moins asymétrique
notamment par rapport à la maîtrise de l’une des deux langues et par rapport aux savoirs
relatifs aux thèmes abordés. Ainsi, nous dirons qu’il s’agit d’une relation complémentaire
souple et d’une symétrie stable que l’on peut considérer en tant que facteurs interactionnels
qui caractérisent la dynamique de ces interactions bilingues. Il semble que le statut
(position sociale : rapport familial, le cadre, l’appartenance socioculturelle, forte ou faible
dans telle ou telle langue, etc.) et « le rapport de rôles »255 (VION, 1992 : 82) sont des
paramètres déterminants de l’interaction entre l’immigrée et ses partenaires non-
immigrées. Avec ces paramètres (ou indices) on pourrait dire que chaque locutrice arrive à
sauver sa face et à participer activement en mobilisant les ressources disponibles jugées
nécessaire pour l’élaboration et le maintient des interactions. Ces faits recèlent des
stratégies de communication bilingue voire exolingue où les choix et les alternances
codiques y jouent un rôle crucial qui ne se limite pas à compenser des lacunes mais remplit
d’autres fonctions telles que le maintien des interactions, l’organisation de la parole, la
complétude interactive, etc.
255
La notion de rapport de rôles suppose l’implication de deux parties (le locuteur et son interlocuteur) dans
l’accomplissement réciproque des tâches interactionnelles.
325
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Nous pouvons souligner dans les différentes interactions une fréquence des
marques d’accord et de désaccord qui sont susceptibles d’apparaître en arabe dialectal ou
en français ou en alternances unitaires de type incise : yih, hmm, bessaH, alla, oui,
ouais256, si, voilà, non, non mais, bien sûr, etc. Ces marques ont des effets sur la
structuration et la gestion des tours de parole de même quelle assurent le maintien de
l’interaction en cours et encouragent à son développement. Dans les cinq conversations ce
sont les locutrices non-immigrées qui cumulent les marques d’accord souvent sans
développement aucun. Une des caractéristiques soulignée, est leur manifestation comme
une forme de feedback de co-construction des interactions. Cependant, cette manifestation
pourrait se révéler, dans certains cas, comme un indice d’insuffisances linguistiques ou
interactionnelles manifestes et/ou de préservation de la face positive.
256
Tout comme la variation « oui » et « ouais » existante en français, l’arabe algérien possède lui aussi
« wah » et « yih », ce dernier est spécifique au parler tlemcénien et certains parlers dits citadins.
257
Il ne s’agit en aucun cas d’une contestation mais d’une régulation puisque la répétition du « non » remplit
une fonction régulatrice qui se présente comme une assertion ou une amorce d’une assertion.
326
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
En outre, la répétition de l’adverbe « non » dans l’extrait 12 (F.ii. 293 : non ! non !)
montre l’insistance de Farida alors que dans l’extrait 13 (F.ii. 588 : non ! non ! je (ne) suis
pas à l’aise) la répétition de « non » renvoie à un feedback d’accord suite à une question
négative posée par Amaria (A.ni. 587 : ma tkounch (tu ne seras pas) à l’aise). Par ailleurs,
son apparition dans le même segment après la forme opposée « oui », comme dans l’extrait
14 (C.4) semble jouer un rôle crucial dans le déroulement de l’interaction puisque Farida
souscrit aux propos de sa partenaire et en apporte un argument complémentaire (F.ii.
325 : oui ! mais non ! pour faire + euh + chic). Par ailleurs, la discussion se poursuit
toujours sur la même question mais cette fois-ci Amaria réplique en confirmant l’idée de sa
partenaire en cumulant la marque d’accord « oui » (A.ni. 326 : oui ! echiki (la frime) +
oui !) ; tout en restant sur la même longueur d’ondes, Farida emploie le « non » en insistant
pour expliquer à Amaria qu’elle n’est pas « de ce genre », c'est-à-dire une frimeuse (F.ii.
327 : non ! pas du tout franchement non ! moi je (ne) suis pas de ce genre). Ceci étant,
l’adverbe de négation « non » est considéré comme une marque d’accord puisqu’il traduit
dans les cas cités la confirmation d’une assertion et résulte d’un fonctionnement interactif
(cf. Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, 2001.b : 103). Pour ce qui est de la mobilisation et la
configuration des ressources verbales, l’arabe dialectal et le français sont utilisés
différemment par la locutrice immigrée et ses partenaires à différents niveaux des
interventions : au début, au milieu, à la fin, seuls et/ou en alternance.
327
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
A côté des marques d’accord et/ou de désaccord que nous avons traitées, on
constate l’existence d’autres régulateurs qui remplissent en réalité les mêmes valeurs, nous
pouvons citer à titre d’exemple : euh, hmm, extrait 12 (A.ni. 296, A.ni. 298), ih (L.ni.
030) extrait 16, bien sûr, ah oui !, si (F.ii. 446) extrait 15, (F.ii. 033) extrait 16, etc. Les
deux premières (euh et hmm) sont à la fois des phatiques258 et des marques d’accord qui
traduisent l’écoute attentive de la part de l’interlocuteur et sa prudence voire sa réticence
dans certaines situations. Alors que la répétition de la préposition « bien sûr » dans (F.ii.
291) extrait 12 renvoie à la même valeur que celle de « oui » ou de « non », c'est-à-dire une
marque d’accord et d’insistance.
258
Ces éléments sont parfois utilisés comme « mots de remplissage » (KERBRAT-ORECCHIONI, 1990 : 39).
328
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Parallèlement aux caractéristiques que nous avons soulevées, nous pouvons ajouter
que dans des situations d’asymétrie croisée l’apparition des marques d’accord au début des
interventions pourrait se révéler nécessaire dans la mesure où ces dernières coordonnent les
échanges et contribuent à la co-construction du sens. Ce qui nous permet de dire qu’il
s’agit d’une relation complémentaire souple. Dans l’extrait 16, le mode d’organisation des
tours de parole repose sur l’emploi des marques d’accord. La marque de désaccord « non »
dans l’assertion de Linda pousse Farida à rectifier son propos suite à une recherche du mot
juste qu’elle confirme par l’emploi de la préposition « voilà ». Linda acquiesce ce propos
en construisant son énoncé à partir d’une interjection et d’une marque d’accord.
329
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
330
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
En effet, dans la plupart des cas, ces reprises provoquent soit un développement de
l’énoncé initié par le locuteur soit le maintien de l’interaction. Les activités de reprise
permettent donc de faciliter la prise de parole comme alternatives autour desquelles les
locuteurs pourraient articuler leurs interventions. Elles fonctionnent de ce fait comme une
aide à la production discursive que ce soit dans une situation bilingue ou exolingue (VION.
&. MITTNER, 1986).
En termes de stratégies discursives, les reprises sont entraînées par des énoncés
inachevés comme processus d’ajustement et d’alignement voire de négociation. Les
mouvements de reprise diaphoniques sont réalisés soit exclusivement en français soit
exclusivement en arabe dialectal, alors que les auto-reprises peuvent se faire par
l’alternance codique (cf. les fonctions de l’alternance codique dans le chapitre précédent).
Il arrive aussi qu’un énoncé soit complété puis repris sans qu’aucun changement de
langue s’opère. On constate dans l’extrait 18 à travers le tour de parole (F.ii. 053 : j’avais
attiré beaucoup) que l’énoncé de Farida est complété par Amaria (A.ni. 054 : de clients)
suite à un chevauchement. En outre, la reprise par Farida de l’énoncé hétéro-complété
(F.ii. 055) l’a conduit à construire le sens de l’énoncé et converger sur le plan pragmatique.
331
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
C’est en effet, une interprétation résultant d’un travail interactionnel commun, Catherine
KERBRAT-ORECCHIONI (1990 : 28-29) considère que :
[…] le sens d’un énoncé est le produit d’un ‘‘travail collaboratif’’, qu’il est
construit en commun par les différentes parties en présence – l’interaction pouvant
alors être définie comme le lieu d’une activité collective de production du sens,
activité qui implique la mise en œuvre de négociations explicites ou implicites, qui
peuvent aboutir ou échouer (c’est le malentendu).
Ainsi, l’effet provoqué par l’énoncé hétéro-complété considéré en tant que norme
d’interaction contribuant à l’interprétation contextuelle259 du contenu, ne concerne pas
seulement le niveau informationnel mais aussi le niveau pragmatique. Nous pouvons dire
aussi que le sens, dans sa complétude, est construit interactivement.
Les extraits ci-dessous (19, 20, 21 et 22), montrent clairement que le procédé de
reprise (19 : (C.4) : A.ni. 470, F.ii. 471, A.ni. 472, F.ii. 473 ; 20 : (C.4) : L.ni. 064, F.ii.
065, A.ni. 066 ; 21 (C.1) : F.ii. 056, A.ni. 057, F.ii. 058, A.ni. 059 ; 22 : (C.4) : A.ni. 122,
F.ii. 123, L.ni. 124, F.ii. 125) amène manifestement à une convergence codique et par là à
une complétude interactionnelle et sémantico-pragmatique. Face à leur partenaire
immigrée les locutrices non-immigrées s’alignent et emploient des énoncés en français,
qu’ils soient initiés ou repris, ces énoncés sont souvent courts et incomplets.
259
Il faut entendre par contexte l’interprétation de l’énoncé et l’environnement physique (voire linguistique)
où la communication à lieu (MOESCHLER & REBOUL, 1994). La visée contextuelle de l’interprétation d’un
énoncé repose sur ce qui attire l’attention de l’interlocuteur.
332
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
333
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Par ailleurs, les extraits suivants (23, 24 : C.4) montrent que les choix de langue
(marqués ou non) s’opèrent aussi en tant que reprises à partir des derniers éléments
produits par l’interlocuteur dans l’une ou l’autre langue. Eléments qui sont aussitôt
développés ou reformulés conjointement pour atteindre l’intercompréhension. Les énoncés
repris peuvent servir de relais et structurent l’alternance des tours de parole malgré les
chevauchements260 qui surviennent. Dans l’extrait 23 : (C.4), la reprise effectuée par
Amaria du dernier élément de l’énoncé produit par Farida en (F.ii. 423 : lkhedma)
représente un mouvement interactionnel ayant son poids dans la dynamique des échanges.
Dans l’extrait 25 : (C.5), le terme (tchicha) employé par Linda, repris et complété
une première fois par Amaria exclusivement en arabe dialectal puis Farida l’insère à son
260
Les chevauchements ne sont en aucun cas considérés comme une violation des règles conversationnelles
notamment dans les conversations des femmes algériennes.
334
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
tour à l’intérieur d’un segment caractérisé par deux alternances codiques unitaires de type
insert.
La lecture des données statistiques retenues dans le tableau (2) nous amène, eu
égard aux trois principales catégories (arabe dialectal, français, mixte)262 concernant la
composition codique des tours de parole, à résumer la répartition codique relevée dans les
261
Une soupe à base de pâtes, de légumes et quelques épices.
262
Chaque catégorie est représentée par un type de flèche.
335
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
cinq conversations qui est liée au choix de langues et aux alternances codiques (inter-
intervention et intra-intervention). Le va-et-vient des deux flèches (allant de la gauche vers
la droite et inversement) indique l’échange entre les locutrices et permet de caractériser les
énoncés reçus et les énoncés produits.
Français
Arabe dialectal
Français/arabe dialectal
Nous constatons à partir du tableau (1) que les pratiques langagières des trois
locutrices présentent des cas de figure répartis en neuf possibilités ou catégories (conçues
en dyades d’énoncés reçus/produits) qui s’ajoutent à celles retenues dans le chapitre 2 de la
deuxième partie qui concernent les caractéristiques des tours de parole par locutrice et par
rapport aux choix et aux alternances codiques. Chaque locutrice participe à ce réseau de
communication en employant les ressources de son répertoire tout en cherchant à s’adapter
au mieux à chaque interlocutrice263.
On peut dire que la saisie des énoncés bilingues (mixtes) ou monolingues (relatifs à
la deuxième langue) constitue pour les trois locutrices un moment fondamental dans la
dynamique interactionnelle, dans le développement d’une compétence bilingue, dans la
263
Sans entrer dans les détails, nous nous référons au modèle développé par Peter AUER (1996) qui rend
compte des caractéristiques significatives de la conversation bilingue. En effet, ce modèle parait important
dans la mesure où à travers une approche séquentielle du bilinguisme il cherche à mettre en lumière les
ressources dont disposent les locuteurs bilingues et leur gestion des interactions.
336
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
337
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices...
Total en dyades 304 108 56 (+1) 248 (+1) 336 (+1) 1052 (100 %)
100 % 100 % 100 % 100 % 100 %
Tableau 2 : Répartitions codiques relatives aux énoncés produits d’une manière dyadique.
338
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
L’examen des données statistiques retenues dans le tableau (2) fait apparaître des
tendances qui restent variables d’une conversation à l’autre. Il est intéressant de constater
que sur l’ensemble du corpus les tendances dominantes qui renseignent sur l’adaptation des
interlocutrices et sur la régulation de leurs tours de parole lors des interactions où l’on
trouve plus les dyades françaisfrançais que arabe dialectal arabearabe dialectal et où
les mixtes sont majoritaires.
Dans la première conversation qui s’est déroulée entre Farida et Amaria, nous
constatons que les pourcentages reflètent assez bien les tendances qui concernent la nature
des tours de parole. Ainsi, la répartition codique des tours de parole par dyades s’échelonne
entre 20,06 % pour les dyades arabe dialectalmixte, 20,06 % pour les dyades
françaisfrançais ; 17,10 % pour les dyades françaismixtes ; 14,14 % pour les dyades
mixtemixte et 12,17 % pour les dyades mixtefrançais. Ces résultats montrent
clairement que la convergence se réalise soit par la présence des tours de parole mixtes soit
par la présence des tours de parole en français. Ainsi, nous pouvons dire qu’un énoncé
adressé en arabe dialectal par une locutrice amène l’autre selon les cas à produire son
énoncé soit en arabe dialectal – solution qui reste relativement basse dans les quatre
premières conversations – soit sous forme de mixtes solution dominante dans les cinq
conversations. Même si les dyades françaisfrançais et arabe dialectalmixte sont
dominantes dans cette première conversation, les dyades françaismixte, mixtemixte et
mixtefrançais sont également présentes et représentent la moitié de l’ensemble des
dyades. Effectivement, les chiffres reflètent assez bien les tendances dominantes dans la
première conversation en termes de choix et d’alternances codiques. Toutefois, l’ordre des
énoncés adressés d’une locutrice vers son interlocutrice se fait de différentes manières.
Pour chacune des deux locutrices, nous avons constaté l’ordre suivant : arabe
dialectalfrançais, françaisarabe dialectal, arabe dialectalmixte, mixtearabe
dialectal, etc.
L’observation des taux d’usage des deux langues seules ou alternées selon les
répartitions par dyades possibles dans la deuxième conversation nous permet de mettre en
évidence une tendance qui peut s’avérer dominante dans les échanges. En effet, les deux
339
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
340
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
Ainsi, les scores les plus élevés concernent les dyades françaisfrançais et les
différentes combinaisons dyadiques avec les mixtes. Les résultats obtenus corroborent
ceux du poids des deux langues et de la composition codique des tours de parole qui
montrent que les trois locutrices convergent par des tours de parole mixtes et que le
français (40,28 %) domine dans les conversations avec une quasi égalité dénoncés
dyadiques ou entre l’arabe dialectal (38,09 %). Ceci s’explique aussi par la fréquence des
dyades françaisfrançais, françaismixte, mixtefrançais et françaisarabe dialectal
dans les conversations. Avec toutefois un total un total des dyades où interviennent des
formes mixtes qui est supérieur aux deux-tiers (soit 68,81 %).
Il est intéressant de voir que, dans les cinq conversations, les énoncés adressés à
telle ou telle locutrice dans une des deux langues ou les deux à la fois conduit souvent
l’interlocutrice à produire des énoncés où les combinaisons possibles dont on a parlé plus
haut apparaissent clairement.
Dans l’extrait 26, les échanges entre Amaria et Farida sont caractérisés par le choix
et l’alternance codique. Les deux locutrices ont produit des tours de parole en français et
mixte qui restent variables en quantité et en qualité. Outre ces caractéristiques, nous
constatons qu’Amaria produit également des tours de parole monolingues en arabe
dialectal, réduits à une unité ou deux (A.ni. 365 : walou). Comme il peut s’agir de
341
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
régulateurs phatiques ou de marques d’accord (A.ni. 371 : yih ; A.ni. 375 : yi ::h), ces
derniers constituent de véritables stratégies conversationnelles : d’évitement ou de
convergence (selon les situations). Voici la configuration globale qui correspond aux
productions de la dyade Farida Amaria et les caractéristiques codiques des tours de
parole produits dans l’extrait 26 :
Dans un second extrait (27) nous constatons que la langue dominante dans les
échanges entre Amaria et Farida est le français, ce qui veut dire que le français se combine
avec l’arabe dialectal sous forme d’alternances codiques inter-intervention. L’arabe
*
DERYASSA est un chanteur algérien.
342
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
dialectal rentre aussi dans la composition des alternances codiques intra-intervention. Les
tours de parole monolingues produits dans cet extrait qui sont au nombre de six reflètent
tout de même ce que nous avons avancé plus haut à propos des stratégies d’évitement et de
la fonction phatique que remplissent certaines marques conversationnelles. Dans certains
échanges, les reprises264 peuvent, elles aussi, être considérées comme des stratégies
régulatrices qui évitent les ruptures, comme dans la dyade (F.ii. 402A.ni. 403) où le
segment monolingue produit par Farida en arabe dialectal est repris par Amaria jouant
ainsi le rôle d’un phatique.
264
Il peut s’agir dans certains cas d’une simple répétition des propos de l’interlocuteur (VION, 2006) servant
à gérer et à construire les tours de parole en tant que procédé d’expansion discursive (BERGER, 2008).
343
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
344
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
Dans les extraits 29 et 30, l’emploie de l’arabe dialectal par les locutrices non-
immigrées amène souvent leur interlocutrice immigrée à produire des tours de parole
mixtes longs et complexes. Les tours monolingues en arabe dialectal qui ne dépassent pas
une unité sont souvent des feed back minimaux (hmm). L’emploi de l’arabe dialectal à côté
du français chez l’immigrée est une solution qui se combine en plusieurs possibilités :
FRM (29 : F.ii. 053L.ni. 054) ; MFR (29 : A.ni. 052F.ii. 052) ; MAD (30 : F.ii.
370L.ni. 371) ; ADM (30 : L.ni. 365F.ii. 366) et MM (29 : F.ii. 051A.ni. 052).
345
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
Dans l’extrait 31 les tours de parole produits par la dyade Linda et Farida sont
caractérisés par l’emploi du français par Farida et de l’arabe dialectal de la part de Linda, il
s’agit d’alternances codiques de type inter-intervention ADFR ou FRAD. Une
configuration que l’on trouve dans beaucoup de séquences, notamment entre Linda et
Farida et à un degré moindre entre Farida et Amaria. Dans cet extrait Farida ne s’exprime
qu’en français alors que Linda emploie l’arabe dialectal avec les deux.
346
Troisième partie Fonctions et rôles de l’alternance codique dans les conversations entre les locutrices …
En conclusion, nous pouvons dire à partir des caractéristiques soulevées que les
alternances codiques jouent un rôle important dans l’organisation de la parole en
interaction que nous avons qualifiée de bilingue/exolingue. Elles apparaissent tout à la fois
comme indices de la dynamique interactionnelle et comme signal vivant de l’interlocution.
En fait, Amina BENSALAH (1998.b : 49) a conclu que : « l’alternance des langues
considérée comme marqueur énonciatif est une véritable rhétorique, c'est-à-dire une
praxis, une action effective dans et par l’interaction »265.
L’alternance codique est aussi une ressource exploitée, adaptée et bricolée compte
tenu du contexte et de la situation pour servir ainsi de stratégie à la régulation et à
l’organisation de la parole en interaction. Ainsi, l’élaboration du discours et des savoirs
communs est liée à un travail collaboratif et ce, malgré les inégalités manifestes des
ressources dans les trois répertoires.
265
C’est l’auteur qui souligne.
347
______________________________________________________
CONCLUSION
Conclusion
CONCLUSION
348
Conclusion
349
Conclusion
caractéristiques, elles se sont montrées différentes sur plusieurs points concernant la mise
en discours de la question identitaire, les stratégies discursives, le choix de langue et la
structuration des énoncés mixtes.
En ce qui concerne le choix de langue, nous pouvons dire que les relations-rôles (la
dimension ethnique, le lien familial), la divergence des répertoires (la maîtrise inégale des
deux langues) et les sujets de la conversation sont autant d’éléments pertinents dans le
choix et le changement de langue et dans l’adaptation à l’interlocutrice et à la situation.
L’usage du français dans ces conversations montre sa prépondérance dans les pratiques
langagières entre l’immigrée et les deux non-immigrées. L’arabe dialectal peut toutefois
être dominant dans certaines situations d’interaction où les thèmes abordés, en l’occurrence
ceux liés à des pratiques socioculturelles du pays d’origine, suscitent le passage à des actes
de parole de longueurs variables dans cette langue. Ainsi, chaque locutrice fait le choix
d’une langue lors d’une tour de parole et de l’autre langue dans d’autres tours de parole.
Mais ce qui parait spécifique dans les conversations enregistrées c’est le fait que chacune
des locutrices converge vers l’autre en recourant fréquemment à des alternances codiques.
Celles-ci renvoient à des stratégies communicatives diverses : la réitération, l’explication,
la paraphrase, le commentaire, la citation, etc., dont nous avons donné des exemples.
350
Conclusion
Enfin, nous pouvons dire que les alternances codiques jouent un rôle important
dans l’organisation de la parole en interaction dans ses dimensions bilingue et exolingue.
Elles apparaissent tout à la fois comme indices de la dynamique interactionnelle et comme
signaux vivants de l’interlocution. L’alternance codique est aussi une ressource exploitée,
adaptée et ‘‘bricolée’’ compte tenu du contexte et de la situation pour servir ainsi de
stratégie à la régulation et à l’organisation de la parole en interaction. De ce fait,
l’élaboration du discours et des savoirs communs est liée à un travail collaboratif marqué
par une certaine souplesse dans les rapports de place et ce malgré les inégalités manifestes.
Il ressort également de l’analyse quantitative de la composition codique des dyades que les
énoncés mixtes sont majoritaires. Ceci nous permet de valider notre hypothèse sur le rôle
de l’alternance codique comme alternative permettant de réduire l’asymétrie et d’assurer la
convergence codique.
D’une manière générale, l’analyse des données a permis de mettre en évidence les
différentes manifestations de l’alternance codique dans les pratiques langagières de la
locutrice immigrée et ses partenaires non-immigrées. Ainsi la mobilisation des ressources
du répertoire semble nécessaire dans le maintien et la dynamique des interactions.
Pour finir, nous pouvons avancer que d’autres recherches peuvent et doivent être
encore menées auprès des descendants de l’immigration algérienne de France en situation
de contact avec des non-immigrés, principalement lors des vacances d’été dans le pays
d’origine des parents. Ces études devraient permettre d’apporter d’autres éclairages sur
cette situation de mobilité qui s’avère fondamentale dans la dynamique des répertoires et
l’émergence des formes de bi-plurilinguisme composites sur la base des langues et de leurs
variétés plus ou moins en usage dans les deux pays.
351
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373
Bibliographie
374
______________________________________________________
ANNEXES
Annexes Transcriptions des conversations
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION
/ rupture de l’énoncé sans qu’il y ait réellement de pause
\ interruption d’un énoncé par l’intervention d’un interlocuteur
+, ++, +++ pause très brève, brève, moyenne
& enchaînement rapide de paroles
intonation montante après ce signe
intonation descendant après ce signe
¨OUI, BRAVO accentuation d’un mot, d’une syllabe
oui: bon:: allongement de la syllabe ou du phonème qui précède
n:::on le nombre de : est proportionnel à l’allongement
<alors/allons> hésitation à transcrire l’une ou l’autre forme
< ----------- ?> séquence inaudible ou incompréhensible
A : bla bla [ bla bla chevauchement de parole
B: [ bla bla
x, xx, xxx, mot inaudible d’une, deux ou trois secondes
(bon)jour ( ) = partie non prononcée. Ici seul ‘’jour’’ est prononcé
‘’chépa’’ représentation phonético-orthographique
/ épa / transcription phonétique
= liaison inhabituelle : un chant agréable (‘’un chan tagréable’’)
≠ absence inhabituelle de liaison : les ≠ (‘’le enfants’’)
# hésitation
A : blabla blabla énoncés simultanés
[
B : bla bla bla
A : bla // interruption
B : bla bla bla
Yih (oui) traduction en français des mots de l’arabe dialectal
eTabla emprunts accommodés
ALGER les petites majuscules indiquent les noms propres
F.ii/A.ni hésitation entre deux locuteurs ou les deux à la fois
tu m(e) dit phonème non réalisé
((soupirs)) soupirs
375
Annexes Transcriptions des conversations
((silence)) silence
((rires)) rires
((bruit)) bruits survenus lors des échanges verbaux
« bla bla bla » discours rapporté
!-? points marquant l’exclamation et l’interrogation
mot coupé en deux syllabes
Z=/= liaison inhabituelle
((gèstes)) gestes accompagnant la parole ou hochements de tête
< (elle) > forme habituelle
tdji ? (tu viens ?) traduction mise entre parenthèses (Times New Roman)
A. ni. 055 : tour de parole numéroté
Transcription phonétique :
q ق palatale emphatique (coup de glotte)
S ص sifflante emphatique
r ر latérale vibrante sonore
gh غ vélaire sonore
kh خ vélaire sourde
O ُ◌ ُ◌ voyelle postérieure arrondie
376
Annexes Transcriptions des conversations
Conversation 1
Participantes : FARIDA (F.ii) immigrée et AMARIA (A.ni) non-immigrées
Durée : 31 minutes 50 secondes.
_________________________________________________________________________
*
La ville de Perrégaux ou MoHammadia se situe à environ 20 kilomètres de Mascara (Département d’Oran).
377
Annexes Transcriptions des conversations
378
Annexes Transcriptions des conversations
379
Annexes Transcriptions des conversations
380
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 160 : wah ! (oui !) on dirait un stade ++ maintenant hadik (cette) la place li
kounna ndirou fiha (où est ce qu’on était) devant la maison [f’BARIGOU (à
PERREGAUX)
A.ni. 161 : [yi::h !
(oui !)
F.ii. 162 : [BARIGOU
bnaw fiha (à PERREGAUX ils ont construit) des villas + donc
A.ni. 163 : yi::h ! (oui !)
F.ii. 164 : maintenant il y a un tout petit=espace + mais avant quand=il y avait
pas hadou (ces) les villas + kanou ydirou (ils mettaient) comme un + un
grand rond + un cercle
A.ni. 165 : yi::h ! (oui)
F.ii. 166 : les gens s’asseyaient tout autour ++ la lumière au dessus +++
w’balek (ou peut être) cinq cents ou six cents personnes venues à peu
près de toute l’ALGERIE [Hatta saHra (même le SAHARA)
A.ni. 167 : [iyya wé euh ? (et quoi encore ?)
F.ii. 168 : [du SAHARA + ils venaient
A.ni. 169 : et les plats + spécial ++ quels sont les plats ?
F.ii. 170 : c’était tchicha (le couscous à la semoule d’orge) et le [couscous
A.ni. 171 : [tchicha ? (le couscous à la
semoule d’orge ?)
F.ii. 172 : [et le tchicha (le
couscous la semoule d’orge) avec la viande
A.ni. 173 : avec la viande ?
F.ii. 174 : le + le lmerga (la sauce) et les légumes
A.ni. 175 : yi::h ! (oui !)
F.ii. 176 : yih ! wel (oui ! et du) kouscous ++ mais euh:: quand ils venaient tous
euh:: ++ il y avait à peu près cinq cents six cents personnes + ils
venaient partout des coins d’ALGERIE
A.ni. 177 : d’ALGERIE !
F.ii. 178 : c’était connu + ils savaient qu’au mois d’août mi-août il allait y
avoir lwaçda Taç MOHAMMED lHADJ MOHAMMED (la cérémonie de MOHAMMED HADJ
MOHAMMED)
A.ni. 179 : el Hadj MoHammed
F.ii. 180 : c’est le descendant de él HADJ MOHAMMED + c’est HMED MOHAMMED HMED KRIM
ÇARBI et après lui ça sera nchallah (si Dieu veut) mon père soit mon
frère soit mon oncle
A.ni. 181 : éh ! ytebçou (ils suivent)
F.ii. 182 : ouais !
A.ni. 183 : kich nOUlou Hna ? ellî yekhelfou (comment on dit nous ? ceux qui succèdent)
F.ii. 184 : ça c’est obligatoire ++ c’était
A.ni. 185 : comment on dit en français ++ yekhelfou (ils succèdent)
F.ii. 186 : non:: ils reprennent + c’est pas ++ un héritage ++ ils reprennent le
flambeau [kima ygoulou (comme on dit)
A.ni. 187 : [yîh ! (oui)
F.ii. 188 : [ils reprennent le flambeau nchallah ! (si Dieu veut) ++ et
maintenant que mon grand-père + il est ++ il est malade et tout ++ <
---- ?> il est malade et donc il peut [pas faire
A.ni. 189 : [lwaçda (la cérémonie)
F.ii. 190 : [lwaçda (la cérémonie)
A.ni. 191 : c’est ton père
F.ii. 192 : mon père le fait mais + il le fait c'est-à-dire ySedqou binathoum
(ils font des donnation entre eux)
A.ni. 193 : Yi::h ! (oui !)
F.ii. 194 : yeu (ils) < ---- ?> <il/ils> = <égorgent/égorgent> les moutons +
bessaH ySedqou :: berra we ljamaç w’gaç (mais ils font des donts dehors et pour la
mosquée et tout) ++ une dizaine de personnes et c’est bon
A.ni. 195 : mchi kima kan (ce n’est pas comme) ton grand père
F.ii. 196 : ah ! quand il y avait mon grand-père ++ des gens vraiment du SAHARA
venaient de tout de partout
A.ni. 197 : yi::h ! + iwa saHHa ki ntouma ++ zeçma (oui ! et puis quand vous ++ soi-disant)
++ le moment taç lwaçda (de la célébration)
381
Annexes Transcriptions des conversations
382
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 240 : tout au mlieu taç (du) le feu fel waST (au milieu) +++ hadou HAMDAWA (ces
HAMDAWA) ils tournent au tour par cinq six et ils bougent ++ et du
Coran + du Coran et du Coran + du Coran ghil klam eddine (que des paroles
de la religion) ++ tu vois des gens qui sont malades yessanaw (ils oublient)
leur tour ++ il y a des gens qui sont j’sais pas madroubine (envoutés)
++ comme on dit ++ bon moi j’y crois un peu dans tous ça + ils
tombaient dans euh + sur le feu yeTéHou fe ennar (ils se jettent dans le feu)
y’en a beaucoup qui pleurent
A.ni. 241 : est-ce que tdjik zeçma ? (cela te parrait soi-disant ?) normal wella (ou bien)
bizarre ? wella OUlli çla khaTer (ou bien dis donc parceque) \
F.ii. 242 : non djini (cela me parrait) normal
A.ni. 243 : c’est \
F.ii. 244 : et puis franchement euh:: ++ c’est bien ++ c’est Sadaqa (un don) en
fait ++ ySedqou (ils font des dons) en fait et bien cinq cents six cents
personnes viennent manger même les passants qui passaient mon père
[ydjibhoum (il les invite)
A.ni. 245 : [manger
F.ii. 246 : [venez manger le couscous ++ les voyageurs qui passaient ++ venez::
il y a tchicha (le couscous à la semoule d’orge) et l’kouscous (le couscous) ++ donc
c’était chaud + que c’était super bien et puis franchement kanou
ydirou (ils mettaient) le coran + lqorAn (le Coran) toute la nuit ++ toi tu
dors et en bas t’entends que les chants + les chants + les chants +
les chants !
A.ni. 247 : éih ! (oui !) fel’mois (pendant le mois) d’août ?
F.ii. 248 : voilà ! le mois d’août vers le onze le quinze août +++ et là:: ils
dors tous dans le garage + wella (ou bien) dehors ++ wella (ou bien) dans
les voitures + y’en a qui viennent de Tlemcen ++ déjà le::: +
comment on appelle ça ? limam (l’imam) + limam hada (cet imam) le chef
[Taç hada li ydir el qorane (c’est lui qui met le Coran)
A.ni. 249 : [éSalawat (les prières)
F.ii. 250 : [et bein on le prend de MAGHNIYA* (MAGHNIA)
A.ni. 251 : [je ne sais pas !
F.ii. 252 : [eTTaleb (imam)
A.ni. 253 : [ettaleb ma naçarfouche (l’imam je ne le connaît pas)
F.ii. 254 : [wah (oui) c’était pour vous dire \
A.ni. 255 : <-----?> de toutes les régions taç (d’) l’ALGERIE
F.ii. 256 : wah (oui) de TLEMCEN
A.ni. 257 : de TLEMCEN + ORAN + ALGER
F.ii. 258 : de partout:: ++ SAHARA
A.ni. 259 : SAHARA !
F.ii. 260 : euh ! de partout de ++ de partout en ALGERIE ++ de toutes
A.ni. 261 : et lwaçda (la célébration) de + de elli (celle) + elli taçmelha (celle qu’organise)
ta mère ?
F.ii. 262 : ma mère c’est # ++ ma mère c’est # ++ de temps en temps ++ ma # des
fois aussi +++ elle égorge les moutons < ----- ?>
A.ni. 263 : taç hadak (de celui-là) SIDI MOHAMMED (SIDI MOHAMMED)
F.ii. 264 : SIDI MOHAMMED (SIDI MOHAMMED) aussi de temps=en temps
A.ni. 265 : hiyya (elle est) obligée temchi (d’y aller) le::\
F.ii. 266 : ouais !++ elle y va chaque année
A.ni. 267 : machi hiyya (ce n’est pas elle) la résponsable ?
F.ii. 268 : non machi hiyya moul (ce n’est pas elle) euh :: ! \
A.ni. 269 : hiyya (elle) [tamchi (elle part) comme
F.ii. 270 : [tzour (elle visite)
A.ni. 271 : [tzour (elle visite)
F.ii. 272 : [<il/elle> y va juste pour tzour w’ (elle visite) ça y est
A.ni. 273 : [invitée !
F.ii. 274 : [invitée !
A.ni. 275 : [invitée !
F.ii. 276 : bon + c’est pas invitée:: tzour temma (elle visite là-bas)
*
Ville frontallière située à 50 kilomètres du chef-lieu Tlemcen et à 15 kilomètres de Oudjeda (Maroc).
383
Annexes Transcriptions des conversations
A.ni. 277 : iyya we zeçma had lwali fayen ? fwaST Mestghanem ? (et ce soi-disant
marabout est situé où ? au centre de MOSTAGANEM ?)
F.ii. 278 : non ! vraiment kharedj (en dehors) le village fel khla (dans un endroit
inhabité)
A.ni. 279 : fel khla ? (dans un endroit inhabité)
F.ii. 280 : oui fel khla (dans un endroit inhabité) quand même ++ mais il n’ y a pas de
montagnes du côté de Barigou (PERREGAUX) ++ Mestghaganem (MOSTAGANEM)
++ bon arrivé à Mestghalem (MOSTAGANEM) il y a un peu de montagnes
mais Barigou wé:: (PERREGAUX et) < ---- ?> attends ! environ + de
montagnes + il n’y a pas de montagnes + c'est-à-dire il y a des
montagnes aux alentours + mais quand tu roules en voiture c’est une
ligne droite
A.ni. 281 : euh !
F.ii. 282 : euh ! tapis ++ donc ça va Hamdoullah ! (Dieu soit loué) + c’est ++ il y a
pas de +++ avant y avait beaucoup de forêts ++ mais t’as vu que < --
-- ?> les arbres ++ il y a plus de problème we lHamdullah ! (et Dieu
soit loué) +++ +++ +++ +++ (quelques secondes de silence)
A.ni. 283 : l’après midi mchina lebHar + mchina:: (on est parti à la plage + on est parti) ++
comment on dit ? ++ nbeIwah bkhir (on est allé lui dire au revoir)
F.ii. 284 : ouais ! c’était pour lui dire au revoir
A.ni. 285 : éih ! (oui !) pour dire envoir (au revoir)
F.ii. 286 : parce que je pars ncha:llah ! (si Dieu veut) lundi ++ donc aujourd’hui
on était à la plage pour une dernière fois
A.ni. 287 : ouais !
F.ii. 288 : à SIGA ? ++ c’était ça ?
A.ni. 289 : [yi::h ! (oui)
F.ii. 290 : [à SIFAX !
A.ni. 291 : [yi:h (oui) SIFAX !
F.ii. 292 : [Sifax !
A.ni. 293 : à côté de BENISAF
F.ii. 294 : ouais ++ roHna (on est allé) + impeccable à part bon:: ++ il a fait froid
là: ++ on est le deux septembre ?
A.ni. 295 : lyoum (aujourd’hui) + trois septembre
F.ii. 296 : le trois ? eh bein ++ il + il à fait froid à la plage ++ mais::
c’était impeccable quand même ++ ghaya kima ngoulou ghayat él ghaya
(c’est très bien comme on dit très très bien)
A.ni. 297 : ((rires))
F.ii. 298 : malgré qu’il fait froid on rate pas ++ même si euh:: + n:: c’était
le + c’était l(e)drapeau orange
A.ni. 299 : orange wella:: (ou bien )
F.ii. 300 : mais:: tout le monde a nagé et c’était impeccable et puis demain je
prépare nchallah ! (si Dieu veut) mes=affaires et puis lundi euh:: je
dirais au revoir [à tout le monde
A.ni. 301 : [had (ces) les derniers jours taç lebHar kifach Hassit rassek ? (au bord
de la mer + comment tu étais ?)
F.ii. 302 : [zeçma (soi-disant) c’etait
A.ni. 303 : tbeÎ kulchi bkhir (tu as dis au revoir a tout)
F.ii. 304 : même la plage
A.ni. 305 : i:h! (oui)
F.ii. 306 : oui chwiyya (un peu) quand même + c’est ++ naçref belli (je sais que) je
vais retourner en France ++ enwellî:: (je retourne) euh:: à mon
quotidien
A.ni. 307 : euh::!
F.ii. 308 : à mon train train ++ quotidien + tu vois ? chépa ++ waleft (j’ai pris
l’habitude) ++ et moi waleft (j’ai pris l’habitude) à partir ++ maintenant il y
a une quinzaine de jours waleft negçoud (je me suis habituée au repos) j’sais
pas [waleft (je me suis habituée)
A.ni. 309 : [même nous
F.ii. 310 : l’ALGERIE waleftkoum ntouma (je me suis habituée à vous) ++ waleft (je me suis
habituée à) mon pays + quoi ! ça y est ++ [mon bled
A.ni. 311 : [l’ambiance taç lebHar (de la mer)
F.ii. 312 : [ça fait du bien
384
Annexes Transcriptions des conversations
385
Annexes Transcriptions des conversations
*
DERYASSA est un chanteur algérien.
386
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 390 : mais ils peuvent pas danser temmak ma:: (là-bas c’est)
A.ni. 391 : mais ykheShoum yestghellou machi euh (is veulent écouter et pas euh)
F.ii. 392 : ah ! d’accord ++ c’est comme si≠ils regardaient dans un cinéma:: ils
préfèrent [écouter
A.ni. 393 : [écouter
F.ii. 394 : [d’accord ! C’est pas ++ c’est pas ++ comme au cinéma ana
manekdebche çlik (je ne te cache pas) ++ je présumerais ++ je souhaiterais
+ c’est euh:: apprendre ou bien [comprendre
A.ni. 395 : [comprendre
F.ii. 396 : comprendre les cassettes du Coran ++ ouais
A.ni. 397 : euh::! euh::!
F.ii. 398 : parce qu’il nous met des cassettes du coran mais on ne comprend pas
+++ rien de A à Z walou :: (rien)
A.ni. 399 : walou (rien) < ----- ?> tu parles bien l’arabe !
F.ii. 400 : je parle bien l’arabe parce que c’est des mots entre guillemets +
c’est l’argot + c’est l’argot c’est [l’arabe familial (elle veut dire par là
familier)
A.ni. 401 : [et lçarbiyya el foSHa tina
matefhemhach ? (l’arabe classique tu ne le comprends pas ?)
F.ii. 402 : [ellougha él çarabiyya ? (la langue
arabe classique?)
A.ni. 403 : ellougha él çarabiyya ! (la langue arabe classique!)
F.ii. 404 : non::! rien + rien ++ rien
A.ni. 405 : tu l’as appris à l’école ?
F.ii. 406 : < ----- ?> oui quand j’étais toute petite mais on a pas hadik (cette)
la langue Hna (nous) + la deuxième langue [c’est l’anglais
A.ni. 407 : [l’anglais !
F.ii. 408 : [franco ++ euh franco-
anglais + mais vraiment + vraiment quand je met hakka (comme ça) le
Coran à la maison ++ j’ai vraiment < ----- ?> + je comprends
j’aimerais apprendre [le Coran
A.ni. 409 : [le Coran
F.ii. 410 : [ah ! C’est vraiment mon souhait le plus cher
++ je me sens franchement quand j’(e) l’écoute + je me sens ben
parce que ++ je suis un peu:: ykhoSni (il me manque) en fait + il me
manque quelque chose
A.ni. 411 : tous les jours tu écoutes le Coran
F.ii. 412 : ouais tous les jours + mais ykhoSni (il me manque) quelque chose quand
j’écoute le Coran + ykhoSni (il faut) le comprendre
A.ni. 413 : [tefhem ? (tu comprends ?)
F.ii. 414 : [smaçti (tu as entendu) j’ai un Coran éssetine (le Coran complet)
A.ni. 415 : [en français ?
F.ii. 416 : j’ai le Coran le settine (le Coran complet)
++ settine (le Coran complet) en français et en arabe ++ et donc j’ai lu
le Coran en français pour bien comprendre ce qu’il disait [en arabe
A.ni. 417 : [et en
arabe ?
F.ii. 418 : [en arabe
non je ne lis pas ma naçrefch neqra (je ne sais pas lire)
A.ni. 419 : mmh !
F.ni. 420 : [donc voilà !
A.ni. 421 : [dommage !
F.ii. 422 : [donc malgré que j’ai appris chettî (tu as vu) les soura d’el fatiHa (la
sourat de la FatiHa, de l’ouverture) + « qoul houwwa Allahou aHad » (Dis : ‘lui Dieu est
unique’) et puis deux autres aussi que je sais pas ++ je ++ je ne sais
pas trop [comment ça s’appelle
A.ni. 423 : [ettaHiyya* ? (la salutation)?
F.ii. 424 : non ! ++ les sorat (sourat) ++ d’autres soura (sourat) + mais euh:: ça
c’est ++ j’ai des livres en [français
A.ni. 425 : [comment tu fais la prière ?
F.ii. 426 : [j’ai des livres en français ++ je fais
*
Rituel pratiqué à la fin de chaque prière.
387
Annexes Transcriptions des conversations
388
Annexes Transcriptions des conversations
bonne éducation) < ----- ?> tarbiyya Hassana w’hada (la bonne éducation et tout ça)
+++ les=enfants lewlad yeTTelçou lHamdullah ! (les enfants grandissent bien)
w’(et) l’entourage ila makanch (et s’il n’y a pas) ++ [ça va pas
F.ii. 470 : [l’influence ++
l’entourage
A.ni. 471 : wyak ? (c’est ça ?)
F.ii. 472 : et là-bas [etterbiyya (c’est l’éducation)
A.ni. 473 : [etterbiyya (l’éducation) + on dit terbiyya (l’éducation)
F.ii. 474 : oui terbiyya (l’éducation)
A.ni. 475 : [terbiyya lHassana c’est (la bonne éducation)
F.ii. 476 : [et là-bas bach ngoullek tani (pour te dire aussi)
A.ni. 477 : [c’est très=important
F.ii. 478 : il y a même des Françaises qui sont musulmanes
A.ni. 479 : < ------- ?>
F.ii. 480 : [des Française ouais !
A.ni. 481 : [des Française ?
F.ni. 482 : [qui mettent le Hijab (le voile) euh et tout ++ les Chinoises + bon les
Chinoises rares li ydirou lHijab (celles qui mettent le voile) à part les < --
---- ?> mais des Françaises beaucoup ++ des Françaises ++ beaucoup
de Français !
A.ni. 483 : tu m’as dis que même les Français et les Chinois ySomou (ils font le
carème)
F.ii. 484 : il y en a mais pas tous + euh + balek (peut être)
A.ni. 485 : chwiyya ? (un peu ?)
F.ii. 486 : un petit pourcentage + mais quand même ++ pourquoi + parce que la
Française elle est mariée mça (avec) l’immigré
A.ni. 487 : yîh ! (oui !)
F.ii. 488 : fhemti ? (tu as compris ?) est l’immigrée mariée mça l’ (avec le) + l (le) + l
(le) + eu + le Français est marié mça (avec) l’immigrée + tu as
compris ?
A.ni. 489 : oui !
F.ii. 490 : il y a des métissés là-bas ++ il y a beaucoup de métissés tani (aussi)
donc ++ mais bon ++ hadi (cela) + ça dépend d’eux et ++ voilà +++
A.ni. 491 : <quel/le/s> sont les <amie/s> ?
F.ii. 492 : mes <ami(e)> ? où ? en FRANCE wella hna ? (ou ici ?)
A.ni. 493 : en FRANCE !
F.ii. 494 : j’ai pas beaucoup <d’ami(e)s> en fait ++ pas beaucoup +++ [j’ai une
amie SAFIA
A.ni. 495 : [ancienne
F.ii. 496 : < ----- ?> ancienne SAFIA ++ celle-ci + et une amie française SANDRINE
A.ni. 497 : elle s’appelle SANDRINE ?
F.ii. 498 : mais SAFIA + bon + occupé ++ des=enfants ++ deux=enfants::: elle
travaille + elle est occupée et SANDRINE ++ elle aussi elle travaille
beaucoup
A.ni. 499 : elle a des=enfants
F.ii. 500 : non: SAFIA elle a des=enfants + c’est ce que je t’ai dis \
A.ni. 501 : et SANDRINE ?
F.ii. 502 : et SANDRINE ! non elle n’a pas d’enfants mais c’est ++ elle travaille
A.ni. 503 : mariée ?
F.ii. 504 : non ! elle a un ami et elle travaille en déplacement ++ donc je la
vois rarement mais c’est une + c’est une de mes ++ et cette fille là
beaucoup même je dirais comme une sœur
A.ni. 505 : < -------- ?>
F.ii. 506 : SANDRINE ++ depuis qu’on est toutes jeunes on a balek (peut-être) ++
dix=huit=ans ++ on est < ----- ?> ensemble et SAFIA depuis que j’ai
++ ana çandi (moi j’ai) quinze=ans whiyya (et elle) treize=ans hiyya (elle)
A.ni. 507 : yi::h Sghira çlik ! (oui plus petite que toi !)
F.ii. 508 : wah ! (oui!) et ça < ----- ?> on se connaît + mais beaucoup + beaucoup
SANDRINE wellah ! (je te le jure) ++ bon ce ++ je n’est pas d’amis et mon
quotidien mçahoum (avec elles) ++ on se voit vraiment une fois par mois
+ deux fois ++ même quand je n’étais pas mariée ++ j’étais chez mes
parents euh ! nchoufhoum beSah qlil (je les voyait rarement) c'est-à-dire
temma lInsan ++ [qlil zeçma \ (là-bas l’individu ++ rare où soi-disant)
389
Annexes Transcriptions des conversations
390
Annexes Transcriptions des conversations
+ un an + un an
A.ni. 551 : un an:: ?
F.ii. 552 : ou six moi çla khatch (parece que) les crèches + ils ont quoi ++ une
vingtaine ou une trentaine de places pour un quartier < ----- ?>
deux milles personnes wella + chHal (ou + combien) il faut
s’organiser::
A.ni. 553 : chHal kayen m’ la (il y a combien de) crèche ? fe (à)
F.ii. 554 : une dans un + quartier + [dans un quartier
A.ni. 555 : [dans un quartier ++ une !
F.ii. 556 : [oui une ++ et encore rare + tu trouves
dans un quartier ++ il faut s’organiser ++ tu l’(a) mets < ----- ?>
dans une baby-sitter c’est pour ça < ----- ?> baby-sitter tu payes
les gens TkhalSéhoum (tu les payes) ++ lghachi (les gens) ++ ou alors ta
famille:: + et je vais + [je vais voir
A.ni. 557 : [et comme ça tu travailles
F.ii. 558 : [je vais voir ++ mais franchement je
laisserais pas ma fille comme ça çand (chez) n’importe qui wella (ou
bien)
A.ni. 559 : [yîh::! (oui !)
F.ii. 560 : [wella (ou bien) je travaillerais pas w’ken (si) + je préfère nrabbi
benti (élever ma fille) + euh que aller + je ne sais pas + travailler
A.ni. 561 : eyballî machi kamel + (il me semble que ce ne sont pas tout) les gens çandhoum
had (ils ont cette) la mentalité +++ waHda lewkan t’OUlek (il y a celles qui te
disent) +++ benti rah çandha (ma fille elle a) six mois wella ++ (ou bien ++)
huit mois ça y est nçabbiha ++ l’Ha (je l’emmène dans ++ à une) +++ la
crèche wella l’Ha (ou bien chez une) la nourrisse [et je travaille
F.ii. 562 : [ouais y en a beaucoup
A.ni. 563 : [le travaille c’est
l’essel’essentiel
F.ii. 564 : y’en a beaucoup euh qui
A.ni. 565 : parce que c’est
F.ii. 566 : ah ! oui ! oui ! bien sûre qu’il y a plein + plein de monde + pleine
de famille là qui travaillent euh ++ elle travaillent qui laissent
leur bébé qui z=/=ont trois mois
A.ni. 567 : trois mois ?
F.ii. 568 : trois mois + il les laisse
A.ni. 569 : c’est dur
F.ii. 570 : la crèche c’est à partir c’est à partir de [quatre mois
A.ni. 571 : [quatre mois
F.ii. 572 : [ouais ! la crèche + et
puis euh +
A.ni. 573 : tu ne peux pas
F.ii. 574 : bon euh !
A.ni. 575 : [tina (toi) + tina? (toi?)
F.ii. 576 : [moi ?
A.ni. 577 : [bach tkheli bentek moulat (pour laisser ta faille de) quatre mois !
F.ii. 578 : non ! personnellement ma nedjemch (je ne peux pas) ++ impossible
impossible ma nedjemch (je ne peux pas) vraiment
A.ni. 579 : loukane Hatta ykoun (même si c’est) un travail taç (de)
F.ii. 580 : [non ! même si
A.ni. 581 : [tu:: < ------ ?>
F.ii. 582 : non ! même si
A.ni. 583 : tu gagnes
F.ii. 584 : elbgha nkoun (même si je serais) je dois être la secrétaire de JAQUES CHIRAC
+ la secrétaire de JAQUES CHIRAC non ! + je ne peux pas ++ je peux pas
++ non ! + non ! + je
A.ni. 585 : Haja ghaya (c’est une bonne chose)
F.ii. 586 : non ! non ! + je ne peux pas ++ déjà là lewkan tchouf (si tu vois) le
temps kou nHawwes (si je cherche) ++ le temps que je ++ vais voir ++
j’(e)vais me débrouiller pour les formations déjà + elle débutent
tôt ++ nchallah ! (si Dieu veut) + déjà en janvier ++ elle aura un an
nchallah ! (si Dieu veut) + on verra déjà ++ je vais voir ++ mais bon
pour bach nkhillaha çand waHda w’nemchi hakka manaçrafhach + walou
391
Annexes Transcriptions des conversations
(pour la laisser seule et je pars comme ça sans rien savoir d’elle) ++ c’est pas possible
A.ni. 587 : ma tkounch (tu ne seras pas) à l’aise ?
F.ii. 588 : non ! non ! je (ne) suis pas à l’aise ?
A.ni. 589 : tu ’(ne) te sens pas à l’aise ?
F.ii. 590 : mais + bon bref on + sinon euh
A.ni. 591 : sinon we zeçma (et soi-disant) ++ est-ce que les crèches + [les crèches ?
F.ii. 592 : [ghali (c’est chèr)
A.ni. 593 : [wella (ou bien) + les crèches ++ kima zeçma (comme soi-disant) les
crèches ghaliyen (sont chères) + kima zeçma (comme soi-disant) les crèches
taçkoum kifach ? (vos crèches comment elles sont ?)
F.ii. 594 : est ce que ++ s’ils étaient chères ou pas ? C’est ça ?
A.ni. 595 : oui !
F.ii. 596 : oui:: quand même ça dépend en fait ++ çandek (tu as) les crèches li
çandhoum (qui ont) ++ euh + çadna (nous avons) les=organismes li yendjmou
ykhellSo çlina (qui peuvent nous payer) une partie
A.ni. 597 : yi:h ! (oui !)
F.ii. 598 : mais pas tout einh + et Hna nHaTTou (nous on participe) quand même un peu
++ un peu de flouss + euh nhaTTou (d’argent + euh on participe)
A.ni. 599 : hakda tkoun (comme ça tu seras) sûre bellî bentek tkoun f’ (que ta fille est dans)
un endroit sûre
F.ni. 600 : je préfère la crèche ghaya (c’est bien) ++ je préfère ++ [je préfère
A.ii. 601 : [< ---- ?> déjà
F.ni. 602 : [tu est à
l’aise et en plus lmaqama (la considération) impeccable ++ vraiment + ils
prennent soin de ton bébé hadou houma taçhoum (c’est leur)
A.ni. 603 : OUlli (dis moi) + ta sœur elle a deux filles ?
F.ii. 604 : non elle a une fille et un garçon
A.ni. 605 : mais une fille + bessaH f‘ (mais à) la crèche ?
F.ii. 606 : non ++ elles sont à l’école
A.ni. 607 : elles sont à l’école
F.ii. 608 : oui à l’école depuis déjà l’âge de deux=ans ils sont à l’école
392
Annexes Transcriptions des conversations
Conversation 2
Participantes : FARIDA (F.ii) immigrée et AMARIA (A.ni) non-immigrée.
Durée : 26 minutes 05 secondes.
_______________________________________________________________________________
393
Annexes Transcriptions des conversations
394
Annexes Transcriptions des conversations
djellaba)
A.ni. 058 : einh !
F.ii. 059 : laçbaya (la djellaba) blanche
A.ni. 060 : yi::h ! (oui !)
F.ii. 061 : c'est-à-dire bessif (obligé)
A.ni. 062 : il est nerveux
F.ii. 063 : non ! non !
A.ni. 064 : bessif tçabbi (ils t’obligent d’en prendre)
F.ii. 065 : voilà moi j’ai voulu que:: qu’il me fasse montrer une robe de /
A.ni. 066 : < ------ ?>
F.ii. 067 : jellaba (djellaba) + je ne sais pas comment on appelle ça + qechaba (djellaba
pour hommes) vous=appelez ça comment ?
A.ni. 068 : qechaba yih qechaba (djellaba pour hommes oui djellaba pour hommes) +++ pour=hommes
F.ii. 069 : yih ! (oui !) je voulais juste ywerri + ywirrihali + hada maken (qu’il me la
montre + seulement pour me la montrer)
A.ni. 070 : ella (non) parce que < ----- ?>
F.ii. 071 : lui + il me l’a fait montrer il me donne le prix euh:: « voilà soixante
mille + Teddiha bessif » (tu dois la prendre)
A.ni. 072 : ma’t dérangéhch (tu ne doit pas le déranger)
F.ii. 073 : quand je lui ai dit non::
A.ni. 074 : tkhelleS + tkhelleS ++ teddi wella gouçdi (tu payes + tu payes + tu prends ou tu
laisses)
F.ii. 075 : ah ! moi ça m’a touché ! ça m’a choqué ++ ki gouTlah (quand je lui ai dit) non
bein voilà:: je prends pas c’est pas que je les prends pas + je voulais
juste voir comment + quel genre c’était ++ ah::: Tzaçaq biyya::
xxx (tu te moque de moi) tu parles hna (ici) c’est pas obligé + je veux dire ++
c'est-à-dire les commerçants ils te forcent à acheter c’est du forcé
nçayToulah + Hna nçayToulah (comme on dit + c’est comme ça qu’on l’appelle nous)
A.ni. 076 : hmm !
F.ii. 077 : franchement c’est du forcé + yih ! (oui !) ça n’a rien à voir avec le ::
franchement le monde c’est à dire les règles commerciales hna (ici) en
ALGERIE
A.ni. 078 : ils ne respectent pas
F.ii. 079 : bon mchi kamel (ce n’est pas tous) euh + pas tous einh ! mais [c’est-à-dire
A.ni. 080 : [le + le jeune
elli mchinalou (chez qui on est allé)
F.ii. 081 : oui !
A.ni. 082 : qui la ++ qui vend les maquill/++ [les cosmétiques
F.ii. 083 : [les maquillages
A.ni. 084 : il est gentil
F.ii. 085 : le quel ? oui bien sûr + très + très ++ pourquoi parce que + il sait
qu’est-ce que c’est hadi (cette) la valeur taç (de) le client ++ il sait
donc + ana brouHi (moi personnellement) je suis commerciale + euh ++ enfin
hadou (ça fait) ça fait cinq ans que je travaille que dans le commerce
A.ni. 086 : éh !
F.ii. 087 : we Hna (et nous) on a appris à être poli respecté xx respectueux Hna çadna
(nous nous avons) le client + c’est roi + c’est un::: vraiment c’est le
chouchou taçna (notre chouchou) le client
A.ni. 088 : hmm !
F.ii. 089 : zeçma houwwa yechri (soi-disant lui il achète) on lui donne des cadeaux + en plus
bein pourquoi + parce qu’il nous [achète kima (comme)
A.ni. 090 : [kima moul (comme celui qui vend) les CD
F.ii. 091 : le CD xxx commercial
A.ni. 092 : oui !
F.ii. 093 : il m’a offert un CD +++ ça je trouve que c’est bien +++ et normalement
++ normalement hadi hiyya (c’est ça) la règle ++ commerciale + c’est qu’il
y a toujours pratiquement toujours faire un geste commercial pour à la
fin attirer le client
A.ni. 094 : yih Farida (oui FARIDA)
F.ii. 095 : mais franchement hada (ça) xx j’ai vendu ++ enfin j’ai acheté le:: sac à
main ++ franchement ça me donne envi d’y retourner + wellah lçadém ! (je
le jure)
395
Annexes Transcriptions des conversations
396
Annexes Transcriptions des conversations
397
Annexes Transcriptions des conversations
eglalil (je te jure que c’est des pauvres) euh des gens de de bonnes familles et
puis de bon cœur euh !
A.ni. 170 : euh::
F.ii. 171 : des très bonnes personnes qui t’accueillent + mais comme ça + très bien
++ w’kayen Allah ghaleb SamTén waçrine (et il y en a qui sont insupportables et difficiles)
ils savent pas parler et puis ma’yaçarfouch ywajbou (ils savent pas répondre)
puis euh ++ ils sont très mal polis ++ je veux pas dire très mal élevés
parce que c’est pas la faute de leurs parents ++ Allah ghaleb (c’est comme
ça) ++ elli meTrebbi men çand rebbi (l’éducation est œuvre divine)
A.ni. 172 : bessaH (c’est vrai)
F.ii. 173 : donc c’est ++ c’est pas ça
A.ni. 174 : euh !
F.ii. 175 : c’est dommage wellah ! (je le jure) ++ c’est très dommage li:: hadou (ces) les
gens li rahoum mkhasrine bledna (ce sont eux qui dégradent le pays)
A.ni. 176 : éh ! (oui !)
F.ii. 177 : c’est les gens hadouk li mnarviyine li yabghou ykhaSrou + li:: (ceux qui
sont nerveux se sont qui veulent casser)
A.ni. 178 : même la génération li réha Talça + chet (d’aujourd’hui + tu as vu) les enfants
++ un enfant de deux=ans ++ ils est très nerveux
F.ii. 179 : perturbé euh + ça c’est perturbé
A.ni. 180 : ((rires)) comme MOHAMMED
F.ii. 181 : MOHAMMED ça va ++ t’as pas vu celui de OUZIDANE ++ le neveu de:: notre +
de notre amie + et bein:: + tellement il était:: ++ non + ntiyya ma
chettihch (toi tu n’as pas vu) ++ hypertention nçayToulah (on l’appelle comme ça)
A.ni. 182 : ((rires))
F.ii. les=hypertension hadou (ceux là) des très + très nerveux +++ il est très +
183 : très nerveux:: + et il sautait de euh + euh du seddariyyaT (les lits) au-
dessus de la table + + + tu te rends compte [yneggez (il saute)
A.ni. 184 : [tessema (c'est-à-
dire) bizarre
F.ii. 185 : mais attends c’était trop + lkouscous foug ettabla w’houwwa ynegguez (le
couscous sur la table et il sautait)
A.ni. 186 : ((rires))
F.ii. 187 : mais je trouve que c’était + non je trouve que les enfants taçna tani
(même nos enfants) sont beaucoup beaucoup nerveux pourquoi ? j’en sais rien
++ balek skhana darbinha lerraS (peut être qu’il avait trop chaud)
A.ni. 188 : kheTrat lefchouch ++ kheTrat lefchouch (par fois les caprices ++ parfois les caprices)
F.ii. 189 : non je ne pense pas au contraire
A.ni. 190 : < ------ ?> en français
F.ni. 191 : un peu de l’aide psychologiquement ykhoShoum chi Haja + mataHSéch (il leur
faut quelque chose + sait on jamais) einh + il leur manque des choses tu sais pas
pourquoi ++ w’ (et) t’(u)as vu déjà les parents sont nerveux + déjà hada
(celui dont je te parle) le père et la mère ils se disputent [souvent
A.ni. 192 : [le père
F.ii. 193 : [déjà ils se disputent souvent
A.ni. 194 : [toujours
F.ni. 195 : ils se bagarrent gouddamah (devant lui) et tous ça
A.ii. 196 : c’est pour ça !
F.ii. 197 : et donc c’est pour ça qu:::// lui + il est très nerveux etcetera c’est
normal + + beaucoup d’enfants li rahoum (sont) nerveux
A.ni. 198 : les=enfants tani (même) en France ?
F.ii. 199 : ah ! bien sûr !
A.ni. 200 : de deux=ans ++ deux=ans trois=ans quatre ans zeçma kifach ? (soi-disant
comment ça ?)
F.ii. 201 : oui ! + oui ! bien sûr partout
A.ni. 202 : partout !
F.ii. 203 : les=enfants
A.ni. 204 : les=Algériens même [en France ils sont
F.ii. 205 : [oui
A.ni. 206 : [nerveux
F.ii. 207 : il y a des=enfants ils sont nerveux bezzaf (beaucoup) même
A.ni. 208 : elli rahoum (ils sont) nerveux
398
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 209 : et bon:: ça va kayen elli yajrou çlihoum (il y en a beucoup qu’on cherche à soigner)
s(i) tu veux ils prennent dans des psycholo::gues
A.ni. 209 : hmm !
F.ii. 210 : hna koun goulT lhadik (ici moi si j’avais dit à) la mère + comment ça se fait son
fils rah hakda ? (il est comme ça ?) elle a dit « bon il est nerveux + ki
(comme) comme son père ki:: bouh (comme son père) » j’(e)lui ai dit d’accord
A.ni. 211 : ((soupirs et hochement de tête))
F.ii. 212 : xxx tu devrais xxx un psychologue ++ elle a rigolé
A.ni. 213 : ki tOUlha (quand tu lui dis) psychologue tjiha çayb (elle le prend mal)
F.ii. eih xx et puis elle m’a dit « non nous on prend pas nos=enfants au
214 : psychologue hna ma çadnach hada eTebba wen khelSou çlihoum çla hada +++
yetrabba kima hakda w ça y est » (chez nous il n’y a pas ce genre de médecin et on paye
+++ son éducation elle est comme ça et ça y est)
A.ni. 215 : kima ebouah (comme son père)
F.ii. 216 : et je lui ai dit « ben franchement plus tard comment il va sortir » +
je lui ai dit « bon courage +++ wellah el çadém ! » (je le jure)
399
Annexes Transcriptions des conversations
Conversation 3
Participantes : FARIDA (F.ii) immigrée, AMARIA (A.ni) et LINDA (L.ni) non immigrées.
Durée : 11 minutes 40 secondes.
Nous tenons à signaler que nous avons ratés le début de l’enregistrement, la durée est
d’environ 30 secondes.
L.ni. 001 : yaHkiwelkoum çla (on vous parle de) la guerre d’ALGERIE en FRANCE ?
F.ii. 002 : oui ! des fois
L.ni. 003 : tendjem t’OUlenna çla (tu peux nous parler de) [la guerre d’ALGERIE ?
F.ii. 004 : [la guerre D’ALGERIE mça (avec) la
FRANCE
L.ni. 005 : [mça (avec) la :: la FRANCE
F.ii. 006 : déjà rien que d’y penser khaTraT (parfois) eh ++ nekkerhou (on est dégoûté) +
rien que d’y penser belle la guerre SraT mça les Français ++ les
Français + bon + gaçdou (ils sont restés) ++ chHal ? (combien ?)
L.ni. 007 : sept ++ quarante ans
F.ii. 008 : peut être plus même
A.ni. 009 : trente < ------ ?>
F.ii. non plus + plus je pense euh:: + et bien franchement ça fait déjà
010 : ((silences)) je ne peux pas vous raconter l’histoire d’Algérie machi
zeçma ma naçrafhach (non soi-disant je ne la connaît pas) je ++ puisque à part les
films et les documen <tation> elli chethoum (que j’ai vu) à la télé je
connais pas de ++ pas plus + franchement pas plus + je sais que +
qu’ils=on::t tué beaucoup d’Algériens et + beaucoup de Français
également sont morts + sinon pas plus +++ franchement je ne sais pas
L.ni. 011 : wel gwer kifach ye:: + yehedrou temma çla (et les Français + ils parlent là-bas de notre)
la guerre taçna zeçma + [ferHanine ? (soi-disant ils sont fièrs ?)
F.ii. 012 : [non
L.ni. 013 : [wella ++ zeçma (ou bien ++ soi-disant)
F.ii. 014 : un peu triste ++ je crois que maintenant hadou (ceux-là) les=anciens baqi
(il en rete) peu + ma baqich (il en reste pas) beaucoup d’anciens Temma (là-bas) +
mais çandi (j’ai) le ma + le père de mon beau frère + c'est-à-dire rajel
khTi (mon beau frère) + son père est de la guerre ++ mais + il + ça va +
lHamdoullah (Dieu soit loué) il est en bonne santé + il est d’ici de MOHAMADIA
(MOHAMMADIA)
L.ni. 015 : mmh !
F.ii. 016 : yaHkinna (il nous raconte) un peu + il a tous ces=amis + qui sont morts
L.ni. 017 : moujahed (résistant)
F.ii. 018 : voilà tous ces=amis sont décédés + maTou (ils sont morts) + déjà ++ ma::
jeddati (grand-mère) ++ la mère + de + paternelle de mon père allah
yeRHamha (que la paix soit sur son âme) + qui est décédée en quatre vingt dix
neuf + et bein + elle a déjà + elle a assisté + déjà mon grand-père
hada jeddi Mohammed Krim El çarbi (MOHAMMED KRIM el ÇARBI c’est mon grand père) +
ils l’ont pris had el waqT (à cette époque) il ++ ils=avaient + ils=avaient +
enfin + les Français + ils=étaient venus dans le village de MOHAMMADIA
(MOHAMMADIA) prendre tous les=hommes
A.ni. 019 : euh !
F.ii. 020 : tous les=hommes pour être emprisonnés et ki eddawhoum (quand ils les ont
emmené) ils sont revenus également rentrer prendre les femmes
A.ni./F.ii. ah !
021 :
F.ii. 022 : donc kanou (ils étaient) également yaHagrou (ils les briment) également les femmes
+ et puis ma grand-mère + + elle s’est sauvée elle et une copine à elle
+ une black + elle était noire hadek ++ hadik (celui-là ++ celle-là) sa copine
elle était kaHla (noire) et elles s(e) sont sauvées hiyya wiyyaha (elle et lui)
+ ma grand-mère elle est très blanche + + et l’autre + et son amie + +
noire
400
Annexes Transcriptions des conversations
401
Annexes Transcriptions des conversations
diarhoum (leur maison) + ils <(elles)> =ont trouvé leur mari ++ rjalhoum ma
Sabouhoumch (elles ont pas trouvé leurs maris)
L.ni. 040 : keTlouhoum ? (ils les ont tué ?)
F.ii. 041 : Hasbouhoum keTlouhoum (ils pensaient qu’ils les ont tué) + non justement ++
SawTouhoum (ils les ont frappé)
L./A. 042 : ((rires))
F.ii. 043 : douk ki raHou yHawsou çla (et quand elles sont allées chercher) leur mari ++ et:: ++
bon + kanou yebkou + khafou (elle étainet entrain de pleurer + elles avaient peur) +
« khellawna hakka enssa (on nous a laisser nous les femmes) + on est veuves »
etcetera ++ berkri (dans le passé) une femme ki Tkoune (quand elle est) veuve +
Sçéba bezzaf (c’est beaucoup difficile)
A.ni. 044 : w’kan çandhoum (si elles ont) les=enfants ?
F.ii. 045 : je (ne) sais pas ma çqeltch ila gatli çla (je ne me rappelle plus si elle m’avait parlé
de) les=enfants ça fait jabouhoum (ils les ont ramené) aussi leur ++ les maris
+ çla jeddi jabouh ++ hakda ++ loukhrine + beSSaH msakine meskina + ki
galouli « min wellat » (mon grand père ils l‘ont ramené ++ comme ça ++ les autres + mais les
pauvres les pauvres + ils ont demandé « comment elle est revenue ») dans le village dans le
village Sabteh megloub Sabouhoum megloub (elle a trouvé tout en désordre) + les
femmes ils (elles) courent ++ euh battues msakine (les pauvres) ++ donc ils
les=ont frappées Sabouhoum koulchi megloub + twagh + lebka (elles ont trouvé
tout en désordre + les gens hurlaient + pleuraient)
A.ni. 046 : hmm ! hmm !
F.ii. 047 : tout ++ ça fait galou wellaw yebkou galou ++ < ---- ?> lewkan
SewToukoum derboukoum (on a dit ils sont revenu ils pleuraient ++ < ----- ?> (si on vous a frappé
frappé) et en plus SawTouhoum gouddam (ils les ont frappé sous le regard de)
leurs=enfants donc kayen (il y a) les petits=enfants lel °Ane (jusqu’à
maintenant) le jour d’aujourd’hui ils sont choqués même en FRANCE [ils
racontent
A.ni. 048 : [i::h !
(oui)
F.ii. 049 : [« pendant
la guerre d’ALGERIE ma mère tSawTet guddami (ma mère a été torturée sous mes yeux) ++
ma mère nderbet ++ khti (a été torturée ++ ma sœur) elles s’est fait battue
guddami (devant moi) + tout devant moi »
A.ni. 050 : euh !
F.ii. 051 : ils=ont grandi çandhoum (ils ont) quarante=ans quarante cinq
A.ni. 052 : les=enfants çandhoum baΰyin (qui ont-ils sont toujours vivants)
F.ii. 053 : des souvenirs ils=ont (en) beaucoup
L.ni. 054 : bessaH legwer ki yahkiwlhoum hakda we y’Oloulhoum (mais les Français quand ils leur
racontent comme ça et ils leur disent)
F.ii. 055 : il y a franchement + kayen (il y a) les Français li ycheffouhoum (ils ont de la
compassion pour) les=Algériens [quand même
A.ni. 056 : [yaçarfou (ils savent)
L.ni. 057 : [yaçarfou belli::? (ils savent que ?)
F.ii. 058 : [ah ! yaçarfou (ils savent) beaucoup ils l’ont
dit quand même et même lel’Ane (jusaqu’à maintenant) il y a beaucoup de
Français yebkou çla (ils pleurent pour) l’ALGERIE +++ il y a beaucoup li jaw ++
ma chethoumch (ceux qui sont venus ++ tu ne les a pas vu) à la télé ? il y a beaucoup
de Français ywellou (ils retournent) dans le pays ou ils sont nés ++ les
pieds noirs + + kayen (il y en a) beaucoup de CONSTANTINE de TLEMCEN + ORAN
t’(u) as vu t’(u)as + il y a beaucoup
A.ni. 059 : oui !
F.ii. 060 : donc ils=aiment leur pays ++ houma ygoulou mazal (eux ils disent toujours) le
pays taçna (notre pays)
A.ni. 061 : oui !
F.ii. 062 : kayen (il y a) un reportage liwellaw temma (ceux qui sont rentrés) ++ un père avec
sa belle sœur rah jat hna (elle est venue ici) en ALGERIE c’est d’ORAN euh je
crois
A.ni. 063 : hmm !
F.ii. 064 : elle s’est mariée ici, elle a eu deux=enfants maintenant et elle vie
ici +++ c’est une française qui est née là bas en FRANCE elle a grandi
402
Annexes Transcriptions des conversations
en FRANCE bessaH min Sabet (mais quand elle a rouvé) l’occasion ++ elle peut
rentrer en ALGERIE + bekri (autrefois) + interdit les français ywellou h’na
(ils retournent ici) + mais dork min Sabet koulchi (maintenant puisqu’elle a tout trouvé) +
ça s’est calmé + euh + et que ça va il n’y a plus de problèmes ++ donc
jat hna:: (elle est venue ici) + elle s’est mariée avec un Algérien:: + ils=ont
une très belle villa w’(et) deux=enfants et le père c’est un Français et
une Française la mère aussi ++ ils viennent hna f’ (ici pendant) les
vacances ychoufouha fi (ils la voient à) ORAN
A.ni. 065 : w’hiyya (et elle) elle est mariée à
F.ii. 066 : ouais !
A.ni. 067 : un Algérien ?
F.ii. 068 : un Algérien pur + pur
A.ni. 069 : hmm !
F.ii. 070 : le père + il a grandi en ALGERIE + ezzad hna (il est né ici)
A.ni. 071 : yçayToulhoum (on les appelle) les pieds-noirs ?
F.ii. 072 : voilà quand=ils +++ ki jaw hna (quand ils sont venus ici) ils=ont vu les=amis
chafou laHbab kebrou:: (ils ont vu les proches qui ont grandit) + euh + ils sont
partis TebTbou (frappé) chez les voisins:: « est ce que flane (untel) il est
toujours vivant::? » galou ella:: (ils se sont dit non) « il est décédé ++ est
ce que YOUCEF vit toujours ++ ou il vit + il faut qu’on aille le voir où
il vit dans le quartier dans le coin ? win raH YOUSSEF ? (où est YOUCEF) » et
donc beaucoup de Français derwak yebghou ywellou hna fel bled + mazal
lel’Ane rahoum yebkou çla (maintenant ils veulent retourner ici dans le pays + jusqu’à
aujourd’hui ils pleurent pour) l’ALGERIE lel’Ane rahoum ygoulou (jusqu’à maintenant ils
disent) l’ALGERIE bledna (notre pays)
A.ni. 073 : zeçma çlach ? (soi-disant pourquoi ?) + pourquoi ?
F.ii. 074 : pourquoi ? ils=aiment l’ALGERIE ?
A.ni. 075 : hmm !
F.ii. 076 : parce que ils sont nés là galou (ont dit)
L.ni. 077 : kebrou hna ++ wetrabbaw hna (ils ont grandit ici + ils ont été éduqué ici)
F.ii. 078 : makanch kima (il n’y a pas mieux que) l’ALGERIE elli ::: (est) ++ un très beau pays
kbir (grand) + quatre fois la FRANCE ya (ô) AMARIA +++ wemchi deyqa w’ (elle
est étroite) même les gens galou (ont dit) ++ même les gens kanou temma (ils étaient
ici) + ici en ALGERIE très=accueillant ++ msakine (les pauvres) + pour rien du
tout eyHattoulek + [tetçachay (ils te donnent à manger + à diner)
A.ni. 079 : [à l’aise
F.ii. 080 : [eykebbou ++ eykebbou (ils te versent + ils te versent) + les
Français déjà quand ils retournent en FRANCE ils=en ont trop ++ la FRANCE
elle est stricte + ils=ont une règle + la loi elle est stricte ++
makanch hadik fi sabillah (il n y a pas de la charité au nom de Dieu)
A.ni. 081 : ma kanch ? (il n y a pas ?)
F.ii. 082 : wella (ou) c’est un piston ++ ils=ont pas ça
A.ni. 083 : < ---------- ?>
F.ii. 084 : non la règle c’est la règle
A.ni. 085 : la règle
F.ii. 086 : euh + + t’(u) (n’) as pas fait ça + stop + c’est pas ++ c’est pas notre
problème + tdiri (tu fais) la règle kima ennas machi (comme tout le monde) tu te
trompes w’ (et) < ------- ? > kayen machi ngoul makanch + kayen élli
ySedqo (il n’y a pas ceux qui disent on a pas + il y a ceux qui donnent) etcetera + +ils
aiment les gens ++ bein quand même je sais pas si xxx kayen (il y a) la
Croix Rouge ++ [le secours populaire w (et) xxxx
A.ni. 087 : [oui !
F.ii. 088 : [beSSaH bekri ma kanch kayen bezzaf + w’ (mais avant il n’y avait
pas beaucoup + et) maintenant ça va + mellit (je suis dégoûtée) + de toute façon
chetti (tu as vu) + la guerre partout + en + dans le monde
A.ni. 089 : oui !
F.ii. 090 : partout rahi (il y a) la guerre dans le monde ++ partout ils se trompent
L.ni. 091 : le problème taç e’terrorizme (du terrorisme)
F.ii. 092 : fel bled ? (au pays ?)
L.ni. 093 : ellei kanou fel bled hna kountou ntouma temma kifach kountou tHoussou
[risankoum ? (ceux qui étaient dans le pays ici et vous là-bas comment vous vous sentiez ?)
F.ii. 094 : [bein très très triste
403
Annexes Transcriptions des conversations
404
Annexes Transcriptions des conversations
Conversation 4
Participantes : LINDA (L.ni) et AMARIA (A.ni) non-immigrées, FARIDA (F.ii) immigrée
Durée : 31minutes 40 secondes.
405
Annexes Transcriptions des conversations
406
Annexes Transcriptions des conversations
407
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 113 : non:: + je l’ai déjà dit les traditions elles sont très belles + très
très belles avec la chedda (tenue traditionnelle de la mariée)
L.ni. 114 : lkarakou ? (le caraco ?)
F.ii. 115 : oui lkarakou (le caraco) aussi + elle est très bien et hna (ici) les mariages
sont impec et en plus c’est bien c’est qu’ils les font dans les salles
quoi comme en FRANCE ++ j’(e) (ne) sais pas:: + rare où on + maintenant
où on les fait à la maison +++ donc c’est impec + franchement on se
croirait en FRANCE
L.ni. 116 : l’mariage (le mariage) taçna kouma taçkoum (nos mariages comme les votre) en FRANCE ?
F.ii. 117 : oh ! ils sont mieux largement ++ ici sont mieux + pourquoi ? parce que
gaç (touts) la famille ils sont présents ++ kamel (tous) la grand-mère et de
le jed (le grand père)
L.ni. 118 : les salles çejbouk ? (tu les as trouvé comment ?)
F.ii. 119 : de la jeddi (mon grand père) ou le grand père ((rires))
L.ni. 120 : w’ (et) les salles çejbouk ? (tu les as trouvé comment ?) zeçma taç hna ? (soi-disant
celles qu’on a ici ?)
F.ii. 121 : euh ! de + euh:: ++ le grand-père et de jeddi (grand père) ++ tout le monde
est présent
A.ni. 122 : les cousins et les cousines
F.ii. 123 : les cousins les cousines + les cou/ les khay gaç (les frères et tout) + ils sont
présents
L.ni. 124 : les voisins
F.ii. 125 : les voisins + les voisines :: euh + ils sont présents + hna en France à
qui la secrétaire du [directeur euh ::
A.ni. 126 : [rien que des=amis
F.ii. 127 : [taç lkhedma (du travail) les gawriyyat (les Françaises) ou
les < ------ ?> d’à côté c’est tout ils sont présents il n’y a pas de::
ah ! quelques=amis puis le +++ mchi hada (ce n’est pas la) la chance qu’il y a
le père et la mère qui sont présents à côté ++ mais il y a plus
d’ambiance largement + rien à voir franchement rien à voir
A.ni. 128 : même s’il y a de l’ambiance mais vous ne sentez pas bien
F.ii. 129 : non se sont pas non comme ÇABDOU t’as vu quand=il s’est [marié avec moi
A.ni. 130 : [quand=il s’est
marié il était tout(e) seul
F.ii. 131 : [il s’est sentit
vraiment seul encore il y a eu son frère khoh elli ja (son frère qui est venu)
A.ni. 132 : i::h ! (oui !)
F.ii. 133 : min ja khouh (quand son frère est venu) non + il aurait voulu que sont xxx son
père + ses sœurs les djed (les grands pères) + les djedda (les grands-mères)
((rires)) que tout soient présents mais bon !
A.ni. 134 : est-ce que le mariage de la ville t’a plu ?
F.ii. 135 : ouais :: franchement ouais :: celui ou le jeune + il s’est marié ?
A.ni. 136 : hmm ! + yi::h !(oui !)
F.ii. 137 : ah ouais ! ça m’a choqué il était trop petit + trop petit euh trop jeune
++ chez nous + chépa
A.ni. 138 : rare
F.ii. 139 : oui c’est rare où on se marie à cet âge là chépa moi je trouve que c’est
trop + trop jeune euh chépa dix=huit=ans + je crois il avait dix
septembre
L.ni. 140 : oui + oui il a dix sept ans
F.ii. 141 : ((rires))
L.ni. 142 : xxx çadak chwiyya (encore c’est peu)
A.ni. 143 : pourquoi tu étais choqué ? FARIDA ! (FARIDA !)
F.ii. 144 : j’(ne) sais pas je trouve que c’est l’âge + c’est pas du tout ça
A.ni. 145 : ça c’est normal Hna çadna hagdek yezewjou Sghar (nous c’est comme ça chez nous ils
se marient très jeunes)
F.ii. 146 : pourquoi ? il y a de l’argent ? en fait vous quand=il y a de l’argent
vous vous mariés
A.ni. 147 : on fait tout
L.ni. 148 : beaucoup d’argent
F.ii. 149 : ah:: !
L.ni. 150 : yAdd yaçmel koulchi (il peut tout faire)
F.ii. 151 : mais je ne sais pas nous on se marie par amour déjà + + on se marie pas
408
Annexes Transcriptions des conversations
*
Ville côtière située à 50 kms de la ville de TLEMCEN.
**
Deux petites plages située à 10 kms de BENI-SAF.
409
Annexes Transcriptions des conversations
A.ni. 190 :
euh !
F.ii. 191 :
c’est la plage taç elli roHnalha (où on a été)
A.ni. 192 :
c’est la plage privée
F.ii. 193 :
ça était ghayat el ghaya (très bien) ++ non ghaya (bien) ((rires))
L./A. 194 :
ah !
F.ni. 195 :
non ghaya (bien) + + franchement les plages impec ghaya (bien) la vue
chabba (belle) + + ((bruits)) bezzaf (trop belle) et puis j’ai aimé quoi !
c’est ça les vacances + c’est la plage + les maria::ges + la famille::
tout ça Hna gaç ma nSébouhach (nous on le trouve pas)
L.ni. 196 : la compagne + les montagnes + les vestiges + LALLA SETTI* (LALLA SETTI)
F.ii. 197 : LALLA SETTI (LALLA SETTI) on a été à LALLA SETTI ? (LALLA SETTI ?)
L.ni. 198 : oui ! au manège
F.ii. 199 : ah oui ! en haut + la montagne ?
A.ni. 200 : oui ! la montagne
F.ii. 201 : bon hada (ça) + j’ai trouvé chwiyya (un peu) bizzare +++ les gens qui sont
qui montent et puis + qui vont + qui font leur pic nique + yaklou:: (ils
mangent) + là-bas en haut + j’ai trouvé ça un peu:: [bizarre
A.ni. 202 : [bizarre
F.ii. 203 : [ils=ont pas vraiment
++ le choix + euh::
A.ni. 204 : ils n’ont \
F.ii. 205 : même maçandhoum win yrouHou (ils ont pas où aller) pour [les=enfants
A.ni. 20 6 : [même \
F.ii. 207 : [win euh féch féch
yrouHou (où euh ++ comment comment ils vont) la plaine est trop loin
A.ni. 208 : ykhafou (ils ont peur) < --------- ?>
F.ii. 209 : sinon franchement la vue chabba (est belle) il y a vraiment les montagnes
partout à TLEMCEN ((silence))
L.ni. 210 : wa yjiw yfewtou lwa°t temma çandhoum el week end yemchiw yfewtou temma
[fel jbel (il vont passer le temps là-bas chez eux et le week end ils vont là bas à la montagne)
F.ii. 211 : [c’est vrai
L.ni. 212 : [hadak elli çadna hna (c’est ce que nous avons ici)
F.ii. 213 : jeudi + vendredi + yfewTouh temma (ils passent là-bas)
L.ni. 214 : jeudi + vendredi + yfewtouh temma (ils passent là-bas)
F.ii. 216 : gha::ya (c’est bien) franchement ghaya (c’est bien) impeccable
L.ni. 217 : w’laçwin (et l’air) bien temma (là-bas)
F.ii. 218 : oui ça change d’air en fait ++ ils=ont raison + ils=ont raison bon on a
pas tous ça là-bas en FRANCE euh
A.ni. 219 : tu as été à SIDI BOUMEDIENE (SIDI BOUMEDIENE)
F.ii. 220 : non je n’ai pas été à Sidi Boumediène** (SIDI BOUMEDIENE)
j’(e) (ne) sais pas + j’(e) (n’)ai pas + vous m’avez pas amené
A.ni. 221 : tout prêt des cimetières
L.ii. 222 : non:: non
A.ni. 223 : tu es partie au cimetière
F.ii. 224 : no + oui j’ai été au cimetière
A.ni. 225 : il y a ++ toujours le vendredi on part à::
F.ii. 226 : à SIDI BOUMEDIÈNE (SIDI BOUMEDIÈNE)
A.ni. 227 : à SIDI BOUMEDIENE (SIDI BOUMEDIENE) et au cimetière
F.ii. 228 : au l’wali (au marabout)
A.ni. 229 : l’wali (au marabout)
F.ii. 230 : au wali (au marabout) pour zour (visiter)
L.ni. 231 : euh !
F.ii. 232 : non ! c’est bien j’ai pas été franchement + j’ai pas été déjà
cette=année j’ai pas::
L.ni. 233 : l’année prochaine nçabbiwek (on t’emmenera)
F.ii. 234 : nchallah ! (si Dieu veut) jaimerais bien franchement ++ il y a beaucoup de
choses xx mazal ma chetthoumch (je ne les ai pas encore vu) ici
A.ni. 235 : oui !
*
Plateau situé sur les hauteurs de Tlemcen, à 150 m environ, on y trouve le célèbre mausolé de LALLA SETTI.
**
C’est le Saint Patron de la ville, son mausolé se trouve à 2 kms de la ville de Tlemcen. Le nom de Sidi Boumediene
concerne aussi bien le petit village que la mosquée et le mausolé.
410
Annexes Transcriptions des conversations
*
C’est le nom des cascades qui se situent à l’est de Tlemcen à environ 6 kms.
411
Annexes Transcriptions des conversations
loué + il y a) dans mon quartier déjà là-bas fi (à) LILLE Sud il y a un jamaç
(une mosquée) + tous leu:: les jours euh + ettarawiH (les prières du ramadan)
A.ni. 278 : ettarawéH ? (les prières du ramadan ?)
F.ii. 279 : franchment euh !
L.ni. 280 : ghaya ! (c’est bien !)
F.ii. 281 : mais franchement il y a beaucoup de jeunes aussi xxx
L.ni. 282 : w’tessemçou el ada:ne temma ? (et vous entendez l’appel aux prières là-bas ?)
F.ii. 283 : non on ne peut pas
L.ni. 284 : le:: + le::::
F.ii. 285 : c’est pas possible c’est pas possible xxx dans leur pays ma yenjmouch +
wellah ! (ils ne peuvent pas + je te le jure !)
A.ni. 286 : iyya w’kich taçamlou ? w’bach yetsemma ++ bach tessemçouh [teffetrou (et
comment vous faites ? comment vous l’entendez c'est-à-dire quand vous l’entendez vous mangez)
F.ii. 287 : [avec l’heure ++ niyyetna we:: (notre intention et) je veux pas dire par=hasard
euh + mais avec l’heure de par la parabole + par la parabole ke ennass
(comme tout le monde) c’est tout + ou alors euh:: ils ont pris l’habitude
les=immigrés là-bas + walfou (ils se sont habitués) euh
A.ni. 288 : euh
F.ii. 289 : ils=ont grandi comme ça + ils font la prière même quand=ils sont en
voyage dehors + euh même ÇABDOU (ABDOU) en ESPAGNE [bien sûr
A.ni. 290 : [< ------ ?> la prière
F.ii. 291 : [bien sûr + bien sûr il
faut pas qu’ils ratent c’est obligobligatoire mais bon:: gaç (tous)
les=immigrés on est pas tous pareils euh
A.ni. 292 : oui:: !
F.ii. 293 : non ! + non ! + kayen elli (il y a ceux qui) + ils [sont vraiment
A.ni. 294 : [l’entourage
F.ii. 295 : [ouais ! kayen elli (il y a qui)
sont vraiment à la française
A.ni. 296 : euh !
F.ii. 297 : kayen (il y en a qui sont) vraiment + vraiment ils font:: tout pour être euh +
les mêmes euh comme les Français en fait
A.ni. 298 : hmm !
F.ii. 299 : kayen elli (il y en a qui) il vit comme + à la française + nous on dit ils
vivent à la française + moi ça va lHamdoullah ! (Dieu soit loué) + j’ai
grandit dans une famille + très + très musulmane ++ franchement nous ça
va on a grandit autour des nous +++ avec mes frères et sœurs on parlait
tous arabe et français les deux en fait maman et mon père et on parlait
en français
A.ni. 300 : même ton frère le p’(e)tit
F.ii. 301 : oui même le pEtit en fait ma mère Tahdar mçana:: (elle nous parle) en arabe
beSSaH (mais) mon père yhdar mçana (il nous parle) en français ++ parce que
c’est nous on a pris l’habitude de parler avec mon père en français
beSSaH houma weld el bled chettou (mais eux les enfants du pays vous avez vu)
A.ni. 302 : < ------- ?> pris [les deux
F.ii. 303 : [on a pris les deux langues
A.ni. 304 : [l’arabe et le français ?
F.ii. 305 : ouais franchement les deux + on est bilingue + même parfois/
L.ni. 306 : ghaya hakda (c’est bien comme ça)
F.ii. 307 : parfois on est trilingue
A.ni. 308 : oui !
F.ii. 309 : on parle même l’anglais ++ mais ça va Hamdoullah ! (Dieu soit loué)
A.ni. 310 : et en FRANCE vous parlez en arabe toujours ?
F.ii. 311 : en FRANCE ?
L.ni. 312 : mça SHabatek w’koulchi ++ tahdar (avec tes amies et tout ++ tu parles ?) en français
wella ? (ou bien ?)
F.ii. 313 : non on parle + on parle:: en fait + on parle:: le verlan + enfin le
verlan je suis pas quand même men hadouk (de ces) les jeunes qui parlent
euh:: dans les cités beSSaH (mais) la plupart d(e) + l’ensemble
des=immigrés ki yahadrou (quand ils) en français obligé obligatoire yeTHou
(d’insérer) un mot en arabe
L.ni. 314 : yahadrou (ils parlent) en arabe ?
412
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 315 : un mot wella (ou) deux dans=une phrase + c’est pas possible + surtout les
Maghrébins taç derwek (d’aujourd’hui) vraiment yahadrou (ils parlent) euh
quand=ils veulent yejebdou + (ils choisissent) ils veulent yçayTou (appeler)
quelqu’un + je ne sais pas ils=appellent euh:: leurs cousins leur < ----
- ?> bessif yahadrou (ils sont obligé de parler) [en arabe
A.ni. 316 : [en arabe
F.ii. 317 : quelques mots ça c’est sûr ++ mais bon c’est + c’est différent euh !
firaq (c’est diffèrent)
A.ni. 318 : il y a des=immigrés qui sont ++ [en bled (au pays)
F.ii. 319 : [oui au bled ? (c’est au pays ?)
A.ni. 320 : [ils ne veulent pas parler en arabe
F.ii. 321 : pourquoi ?
A.ni. 322 : mais je ne sais pas pourquoi
F.ii. 323 : non yebghou yehedrou ghi (il ne veulent parler qu’) en français ++ bach yHoubbou
ghi riSanhoum (ils sont égoïstes)
A.ni. 324 : pour montrer belli (que) nous sommes immigrés est-ce que ?
F.ii. 325 : ouais ! mais non ! pour faire + euh + chic
A.ni. 326 : oui ! echiki (la frime) + oui !
F.ii. 327 : non ! pas du tout franchement non ! moi je (ne) suis pas de ce genre
A.ni. 328 : tu es simple
F.ii. 329 : j’(e) suis très + très simple vraiment einh ! vraiment je parle en arabe
enfin + en fait de plus + plus j’apprends ++ encore je trouve que j’ai
appris beaucoup de choses + chaque=année ki nji hna (quand je viens ici)
j’apprends plus de mots
A.ni. 330 : des p(e)tits mots
F.ii. 331 : déjà hna TLEMCEN (ici à TLEMCEN) + euh + vous parlez entre gui’(lle)met vous
parlez la même langue que MESTGHALE::M wella WAHREN (MOSTAGANEM ou ORAN)
A.ni. 332 : [oui ! avec le /A/
F.ii. 333 : [mais kima Touma (comme vous) ici:: vous faites je (ne) sais pas
L.ni. 334 : [merA* (la soupe)
((rires))
F.ii. 335 : et bein Hna ngoulou merga (ici on dit la soupe)
A./L. 336 : Ajî::** (viens)
F.ii. 337 : Ajî (viens) + arwaHi::*** (viens) euh mh + moi franchement c’est bien parce
que ça me fait euh + ça me fait plusieurs cultures en fait xx j’(e) suis
contente lorsque je vois plusieurs racines et je vois différentes
personnes
L.ni. 338 : Hna:: hadratna t°I:la (notre façon de parler est un peut lourde)
F.ii. 339 : mais c’est bien wellah ! [ghaya (mais je te le jure que c’est bien)
L.ni. 340 : [ghaya ? (c’est bien ?)
F.ii. 341 : moi j’(e) suis très contente
L.ni. 341 : çajbatek hedretna (notre façon de parler t’a plu) + l’essentiel çajbatek hadratna
(notre façon de parler t’a plu) xxx
F.ii. 342 : wellah ! ella çajbetni bezzaf (je te le jure votre façon de parler m’a beaucoup plu) +
mais en plus de ça menna + nchouf menna netçallem (je vois et j’apprends) et::
A.ni. 343 : même sa petite fille elle a huit mois Atti:: aji**** (elle m’a dit viens)
F.ii. 344 : ouais !
A.ni. 345 : °TéTa***** + TaTa (petit chat + tata)
F.ii. 346 : si c’est vrai
A.ni. 347 : elle est trop
F.ii. 348 : Si ! c’est vrai wellah yeçlem ! (Dieu seul sait)
A.ni. 349 : wyek ! (ah oui !)
F.ii. 350 : en plus je trouve que pour un bébé de huit=ans mois:: franchement elle
est éveillée bezzaf + taçref (elle sait beaucoup) beaucoup d’(e) choses qu’un
bébé de huit mois + w’kan gaçdet (si elle était resté) en FRANCE Tkoun mbouqla (elle
*
Mot pronocé avec le ‘A’ tlemcenien.
**
Pronocé avec l’accent Tlemcenien.
***
Prononcé anec l’accent oranais.
****
Pronocé avec l’accent Tlemcenien.
*****
Pronocé avec l’accent Tlemcenien.
413
Annexes Transcriptions des conversations
414
Annexes Transcriptions des conversations
khedma elli (un travail qu’) un jeune Taç derwek ma yekhdemhach (d’aujourd’hui ne
fait pas) c’est pas possible + d’antan c’était un maçon euh un polisseur et
tous ça
A.ni. 385 : euh !
F.ii. 386 : mais xx un jeune Taç derwek (d’aujourd’hui)
A.ni. 387 : C’est un=travail dur quand même
F.ii. 388 : c’est=un travail très dur quand même ++ wellah ! (je le jure) les jeunes taç
derwek (d’aujourd’hui) vraiment ma yekhedmouch (ils ne travaillent pas) c’est pas
possible + wella yekhedmou:: (ou il ravaillent) euh ++ euh:: yHabsou + wella (ils
pensent + ou) ils=arrétent tout de suite euh + c’est pas zeçma (soi-disant) long
terme c’est pas possible
L.ni. 389 : wehna (et ici) les jeunes + les jeunes taç hna ++ yHoubbou yekh/yekhedmou
fe bledhoum (d’ici ++ ils veulent travailler dans leur pays)
F.ii. 390 : oui ! mais bon
L.ni. 391 : yaHargou w’yemchiw l’ (ils vont clandistinement et ils partent en) l’Europe
F.ii. 392 : hadik (cette) c’est ++ çTawhoum (on leur a donné) l’espoir ++ galou belli (ils ont dit
que) l’EUROPE ghadi ye:: (ils vont euh) comme la FRANCE exemple + beaucoup de
jeunes algériens rahoum fel FRANSA xxxx libach çandhoum (ils sont en FRANCE +
pourquoi + ils ont) l’espoir pourquoi + parce que chafou (ils ont vu) des jeunes
Talçou:: (ils sont allés) + ils=ont fait je ne sais pas + ils=ont fait que une
voiture darou draham (ils ont fait de l’argent) + ça y est pour eux:: + pour eux
zeçma (soi-disant) c’est + tout + çandhoum hna (ils ont ici) les jeunes yebghou::
yeTelçou: + kima SHabhoum kima:: (ils veulent s’enrichir comme leurs camarades)
L.ni. 393 : yHoubbou yetrefhou: + yHoubbou:: (ils veulent s’enrichir + ils aiment)
F.ii. 394 : bessaH cha yqedhoum (mais u’est ce qu’ils font) tu vois c’est ++ je veux dire
imagine toute + toute l’ALGERIE fait ça c’est:: hna (ici) l’ALGERIE bledna
chabba: (notre pays est beau) on a un très beau pays + euh + bledna chabba (notre
pays est beau) vraiment il manque rien
L.ni. 395 : taç bessaH ++ bled mliHa:: w’fiha koulchi zeçma + w’houma ma yHoubbouch
yekhedmou:: manich çarfa:: ma:: + houman ma Saybinch hna lkhedma w’ma
w’maçandhoumch (c’est vrai ++ le pays est bien et il y a tout + soi-disant eux ils ne veulent pas
travailler je ne sais pas je + eux ils ont pas trouvé du travail ici et ils ont pas) il est possibles
bach yekhedmou hna (pour travailler ici)
F.ii. 396 : c’est dommage euh !
L.ni. 397 : yih ! bessaH (oui c’est vrai) euh + yHoubbou hakda bessaH (ils aiment comme ça mais)
la plupart ki tahdar mça (quand tu parle avec) un jeune wella t’Oulou (ou tu lui
dis) « est-ce que tHoub tamchi (tu veux partir) leFRANSA (FRANCE) tekhdem ? » (pour
travailler) [la plupart yOuloulek (ils te disent) « euh::
F.ii. 398 : [la FRANCE
L.ni. 399 : [« la FRANCE nHoub nemchi (j’aime partir en) la FRANCE nekhedem temma
w’naçmel (je travaille là-bas et je fais) l’avenir taçi temma w’koulchi (mon avenir là bas
et tout)
F.ii. 400 : hmm ! mais c’est dommage pour eux wellah ! + khsara fihoum bezzaf +
bezzaf (je le jure + c’est malheureux + c’est trop + c’est trop) parce que \
L.ni. 401 : xxx yçawed yendmou + yçawed mça ettali yendmou yOullek « chetti w’kan
ghi gçadna fel bled had el khedma w’kan li raHna nekhedmouha hna w’kan
khdemnaha fel bled » (et après ils regrettent + et après ils regrettent ils te disent « ce travail qu’on
fait ici on aurait dû le faire ici dans le pays »)
F.ii. 402 : ouais ! normalement + normalement + w’kan khedmou (s’ils avaient vraiment envie de
travailler) ici kouma gal [Boutefliqa (comme l’a dit BOUTEFLIKA)
A.ni. 403 : [euh !
F.ii. 404 : [li gal tous les jeunes gaç (tous) les jeunes bghaw
yaçtouha (ils veulent partir) la euh + FRANASA (la FRANCE)
A.ni. 405 : voilà !
F.ii. 406 : ou bien alors en EUROPE gallah (ils disent) + mais bon ce que devrait faire
Boutefliqa (BOUTEFLIKA) a aussi c’est d’ouvrir euh:: ouvrir je n(e) suis
pas des=agences + créer des=agences d’intérim + wellah ! (je le jure) ça se
serait l’idéal pour vous aussi
A.ni. 407 : ouais !
F.ii. 408 : wellah tekhedmou (je le jure vous travaillez) temporairement ++ ella taçarfou (vous
savez) nous là-bas la plupart balek + balek (peut être + peut être) soixante pour
415
Annexes Transcriptions des conversations
cent rahoum (ils sont) xx ils font lkhedma (le travail) dans les + les boites
d’intérim
A.ni. 409 : hmm !
F.ii. 410 : zeçma yHawsoulek khedma ? (tu penses qu’ils cherchent soi-disant du travail ?)
A.ni. 411 : privé ?
F.ii. 412 : privé hakka yHawsoulek khedma taç nhar (de cette manière ils te cherche un travail d’une
journée) + une semai::ne + un mois:: + ((silence))
A.ni. 413 : mais FATIHA (FATIHA) le travail des=Algériens eu::h ++ ils parlent
beaucoup les bla + bla
F.ii. 414 : batel (pour rien)
A.ni. 415 : les:::: we lkdeb (et les mensonges)
F.ii. 416 : et en fait [ils parlent
A.ni. 417 : [on peut
F.ii. 418 : [et il n’y a pas de parole c’est ça que tu veux dire
A.ni. 419 : oui !
F.ii. 420 : ah bon ! mais quand même tu sais ce que j’ai dit tout=à l’heure + j’i
dit qu’en fait les règles ne sont pas respectées
A.ni. 421 : w’yek ? (c’est ça ?)
F.ii. 422 : tout=est piston
A.ni. 423 : euh !
F.ii. 424 : piston ghi drahem (que de l’argent) + ils veulent + ils=aiment ghi draham
w’piston w’ (que de l’argent et du piston et) ça y est + sinon ils donnent + ils
donnent pas [lkhedma (le travail)
A.ni. 425 : [lkhedma
F.ii. 426 : [franchement c’est ce qu’ils devraient faire BOUTEFLIQA
(BOUTEFLIKA) + ouvrir des=agences d’intérim + + agrandir les routes + +
[les routes et
A.ni. 427 : [les routes euh comme les routes de TLEMCEN
L.ni. 428 : xxx taç (d’)ORAN
F.ni. 429 : justement wellah ! (je le jure)
L.ii. 430 : TLEMCEN qu’est-ce que:: + wassem Sralek (qu’est ce qui t’ai arrivé)
F.ii. 431 : j’y vient + j’y vient + pour la sécurité routière elli raha tesmaç fiyya
(si elle m’écoute) agrandissez vos routes + mettez des barrières de sécurité +
mettez des + des + des voies pour les voitures euh lentes + les poids
lourds mettez des voies à part
A.ni. 432 : il y a toujours plein plein d’accidents
F.ii. 433 : franchement + franchement + sebHAllah ! (pureté à Dieu) vous avez
franchement des terrains magnifiques eh + le + spacieux + je crois que
c’est quatre fois la FRANCE ++ l’ALGERIE euh hakka (comme ça)
A.ni. 434 : yih ! (oui) euh::
F.ii. 435 : quatre fois la France çla balek ? (tu le sais ?) vous=avez des terrains +
vous=avez tout est spacieux wellitou kuolchi mdiyyeq + Hatta bniyyadem
eddiyeqna (tout est devenu étroit + même les gens sont insupportables) les=Algériens
A.ni. 436 : wella::h ila \ (je le jure)
F.ii. 437 : ((rires)) + ya weld çammi ++ kabrou (cousin il faut grandir) + ett/euh
L.ni. 438 : Torgane (les + routes)
F.ii. 439 : Torgane (les routes) faites des routes
L.ni. 440 : bessaH (mais) déjà:: rahoum ykabbrou ettri° [taç: euh (ils sont entrain d’élargir la
route) d’ORAN petit(e) route
F.ii. 441 : [non parce que franchement
L.ni. 442 : [hadek w’ kebbrouha chwiyya
mma kanet (et il faut la grandire un peu elle était) euh xx
F.ii. 443 : ella:: (non) on voit un=âne en plein plein=autoroute wella nchoufou (ou on
voit) + un traceur rah ydir (on fait) demi-tour sens [interdit en plein
A.ni. 444 : [oui ! oui !
F.ii. 445 : [autoroute
A.ni. 446 : oui ! oui !
F.ii. 447 : hadi rani mchoké + kamel (je suis entièrement choquée) + les=Algériens + kamel
(tous) euh:: les=immigrés rana (on est) on est choqué + sous choque + déjà
hna (nous) le code de la route makanch qlil tséb (il y a pas on trouve rarement)
panneau + + panneau taç (de) le code de la route qlili nSébah zeçma +
khaTrat nSéb esstop fel khla (c’est très rare où on trouve soi-disant + des fois tu trouves un
416
Annexes Transcriptions des conversations
stop dans des endroits désertiques) ((rires)) wellit ngoul had (je me disait ça c’est un)
esstop min ja ++ welit ngoul errajli ghil ma taHbesch rana fel khla +
hada (quand il est venu d’où il vient ++ j’ai dis à mon mari ce n’est pas la peine de s’arrêter on est dans le
desert + ça c’est un) stop darouh (ils l’ont mis) pour rien ((rires)) chwiyya we Trég
deyqa:: (la route un peu étroite)
L.ni. 448 : ghelTou + ghelTou + darouh ghalTou (ils se sont trompés + ils se sont trompés + ils l’on mis
ils se sont trompés)
F.ii. 449 : BOUTEFLIKA: (BOUTEFKLIKA) lazem ella yebghi yeqdi chi SalHa:: ykheddem (il faut
qu’il fasse quelque chose il embauche) les jeunes + déjà + il crée des agences
d’intérim ++ il crée ou alors il crée des postes on s’en fout ydebbar
rassou:: (il se démerde) + il=agrandit l’autoroute bach (pour que) les jeunes ma
ydelloch y’doublou (pour qu’ils ne doublent pas sur les routes)
A.ni. 450 : Xxx
F.ii. 451 : w’ ma ymoutounnach (ils meurent pas) + c’est vrai il y a beaucoup +
franchement il y a beaucoup de morts et en plus le pourcentage déjà hna
(nous) en ALGERIE houwwa (c’est) le plus=él(e)vé
A.ni. 452 : oui:: !
F.ii. 453 : f’ (en) l’AFRIQUE du NORD
L.ni. 454 : les=accidents yih ! (oui !)
F.ii. 455 : franchement c’est çla (pour) + c’est pour ça donc euh :
A.ni. 456 : c’est=une catastrophe ((silences)) mais quand même FatiHa [il y a:: euh
F.ii. 457 : [le bon côté
et xx en ALGERIE ça va
A.ni. 458 : [le bon côté
et les mauvais côtés + comme on:: quand on prend la route
F.ii. 459 : xxx quand on prend la route oui en effet + il y a [les barrages
A.ni. 460 : [oui !
F.ii. 461 : [il y a des barrages routiers comme la dernière fois li Hkit lkoum (je
vous ai raconté) + je vous ai dit que
L.ni. 462 : yih çla (oui à propos de) la douane + Hkitenna (tu nous a raconté)
F.ii. 463 : non:: les gendarmes oui les gendarmes kima goultelkoum (comme je vous l’ai dit)
euh ++ ils nous=ont arrêté pourquoi + pour euh hmm le titre de:: passage
en fait + çadna (on a) le titre de passage + normalement à chaque euh
sortie du port yaçTouna (ils nous ont appellé) un titre de passage de notre
voiture + waHna (et nous) bon:: rare où on sort avec ++ on sort avec la
carte grise ++ l’essentiel permis:: papier pour le véhicule houma
Habbsouna (ils nous ont arrété) ils nous=ont dit est-ce qu’on était vraiment
des=immigrés pourtant ils voyaient le ++ l’immatriculation:: ++ ils
voyaient qu’on a un BéBé etcetera franchement on est tombé sur une
personne j’sais pas qu’il y avait kan baghi eddrahem ++ edinar (il voulait de
l’argent ++ le dinar)
L./A. 464 : yîh ! (oui !)
F.ii. 465 : mais il nous=a juste dit ça qu’est-ce qu’il nous a fait faire alors que
normalement il aurait dû téléphoner + passer un coup de fil + on était
en plein:: autoroute ++ une chaleur de plus de de trente degrés
A.ni. 466 : w’zid bentek (et puis ta fille)
F.ii. 467 : avec un bébé de huit mois il nous demande quoi ? il nous=a xxx il nous=a
dit de + de l’attendre à BOUTLILIS (BOUTLILIS) a:: a peu près trente ++
quarante kilomètres de WAHRAN (ORAN)
A.ni. 468 : oui ! oui !
F.ii. 469 : wella (ou) plus + à quarante kilomètres de WAHRAN (ORAN) + il nous=a dit de
l’attendre là-bas à la gendarmerie et on va venir on + on verra + et
alors que nous on habite à TLEMSEN (TLEMCEN) à + vous=immaginez de WAHRAN
(ORAN) à TLEMCEN (TLEMCEN) il y a déjà cent cinquante kilomètres + w’bach
tdiri hadik (et pour faire) cent cinquante kilomètres taç hna (d’ici) ++ c’est
pas comme si xx cent cinquante kilomètres taç (de) en FRANCE
A.ni. 470 : la température
F.ii. 471 : la températu::re franchement
A.ni. 472 : trente huit
F.ii. 473 : trente huit degrés + trente six + trente huit il faisait ++ le gendarme
il nous=a pris nos papiers + nous=a attendu là-bas + au village BOUTLILIS
(BOUTLILIS) euh:: le:: + xxx on est parti au gendarmerie + le chef de
417
Annexes Transcriptions des conversations
service + et même houwwa Sabah bizarre kifah ? (lui-même il l’a trouvé bizarre
comment ?) euh + ils nous a pris nos papiers + normalement il n’a pas le
droit et tout ça:: euh en fait à cause de quoi ++ pour le titre de
passage s’il voulait yçayyeT (il appelle) le port ygoulhoum (ils leur disent) est-
ce que c’est vrai des=immigrés wella ella (ou non)
A.ni. 474 : < --------------- ?>
F.ii. 475 : par rapport au véhicule ++ euh: chépa + il nous a fait vraiment un
trafic ++ serait été en FRANCE un Français soit TéH çandah (il aurait payé) une
amande ++ Tethannay (tu es soulagé) + on aurait préféré ils nous mettent
une amande yaçtouna (ils nous ont appellé) une amande hakka TkhalSéha (comme ça tu
la payes) + franchement khir men hadik laghbina (mieux que cette) + alors taç (du)
les reçu
L.ni. 476 : taç lmechya walla lmejya we:::? (de l’allée ou bien du retour et ?)
F.ii. 477 : on est rentré de TLEMSEN (TLEMCEN) euh de BOUTLILIS (BOUTLILIS) on est retré à
TLEMSEN (TLEMCEN)
A.ni. 478 : à quatre=heures
F.ii. 479 : à cinq=heures de l’après-midi + et on est retourné pour reprendre les
papiers + on a attendu le gendarme + il n’était toujours pas arrivé ++
donc vous=imaginez + attendre gaç (toute) la journée pourquoi + pour que
le gendarme + il termine des=affaires xx son travail et qui + qui +
qui=arrive:: + + qui arrive ++ à l’agence franchement c’était::
franchement c’était:: pas bien xx c’était pas bien du tout de sa part de
nous=avoir pris hakka (comme ça) les papiers et puis hada hna maçadnach
(c’est ce que nous avons) + ça s’appelle Hogra w’ (l’injustice) ça y est
A.ni. 480 : on plus hna khadi’houm Hatta Tmaç (ici ils sont corrompus)
F.ii. 481 : oui ! ils=attendent
A.ni. 482 : oui ! oui ! euh on dit en ALGERIE comme ((silence)) ki ychoufou (quand ils
voient) un couple wella ++ maHsadines (ils sont envieux)
F.ii. 483 : j’(ne) sais pas xx ça + ça se passe
L.ni. 484 : ella + ella ykhaShoum eddraham ++ bihoum eddraham (non + non ils veulent de
l’argent ++ ils veulent de l’argent)
F.ii. 485 : si + si
A.ni. 486 : le problème le + un jeune couple avec une petite fille + une voiture on
dit maHsadine hna (ils sont envieux ici) en ALGERIE
F.ii. 487 : si ! c’est vrai peut=être + mais j’ai remarqué + oui c’est vrai + ça se
passe qu’en ALGERIE j’ai remarqué
NB : L’enregistrement s’est achevé à trente minutes pour des raisons d’ordre techniques et
pratiques. Nous nous sommes contentés de cette partie de la conversation qui s’est achevée
une dizaine de minutes après selon notre complice.
418
Annexes Transcriptions des conversations
Conversation 5
Participantes : LINDA (L.ni), AMARIA non-immigrées (A.ni), FARIDA (F.ii) immigrée.
Durée : 31 minutes.
__________________________________________________________________________
419
Annexes Transcriptions des conversations
*
C’est une farce préparée à base de riz, de poichiches, d’épices de persil ainsi que les abats du mouton (en
l’occurrence les morceaux de l’estomac, les intestins et les morceaux de poumons)
**
Une sorte de gâteau préparé à base de miel.
***
C’est un mélange d’œufs et de farines fri et trompé dans le miel, il a la forme d’une banane cest pourquoi on l’appelle
« banane ».
420
Annexes Transcriptions des conversations
L.ni. 063 : mchi kouma hna + hna nHoussou bremdane (ce n’est pas comme nous ici + ici on ressent le
ramadan) bien ghaya eddenya kamel Sayma (c’estbien tout le monde fait le carème) + et
°Ahawi mbelçine (les cafétérias ferment) euh
F.ii. 064 : donc personne ne travaille au ramadan (ramadan) ici
L.ni. 065 : non non elles travaillent les °Ahawi (les cafétérias) mais elles travaillent
+ mais le [le salon de
A.ni. 066 : [les salons de thé
L.ii. 067 : [thé ils sont tous fermés
A.ni. 068 : ils (ne) travaillent pas
F.ii. 069 : oui ! parce que c’est ++ dans + la règle musulmane + je crois + + bein
dans la règle ! c’est pas bon quoi ! c’est ça mchi Hram (ce n’est pas interdit)
non ?
A.ni. 070 : hmm !
L.ii. 071 : non ! Hram wassem yegouçdou yaklou ? (c’est interdit mais ils vont manger ?)
A.ni. 072 : ah oui !
L.ni. 073 : c’est le ramadan (ramadan)
F.ii. 074 : après euh::
L.ni. 075 : et ils vont + et ils≠ouvrent [après le + le
F.ii. 076 : [après le fTour (le déjeuner)
A.ni. 077 : [la prière des tarawiH (les prières du ramadan)
L.ni. 078 : après le::
F.ii. 079 : ah Hatta lmeghreb (jusqu’au moment de rompre le jeun)
L.ni. 080 : jusqu’au Hrira (Hrira) du maghreb (au moment de la prière pour rompre le jeun) et on
fait le çicha° (la prière de la nuit)
A.ni. 081 : après lmghreb (le moment de la prière pour rompre le jeun) + il y a el çicha (la prière
de la nuit) et tarawiH (les prières du ramadan)
F.ii. 082 : < ---------- ?>
L.ni. 083 : et après ils=ouvrent on fait le maghreb (le moment de la prière pour rompre le jeun)
+ les salons de thé et:: ++
F.ni. 084 : et bein ! c’est wellah ! (je le jure) impeccable euh ++ mais quand + vous
++ sortez chwiyya (un peu)
L.ni. 085 : oui on sortant et:: ++ ils font le boulevard
F.ii. 086 : j’aimerais bien essayer de venir un jour ++ une année nchallah ! (si Dieu
veut)
L.ni. 087 : l’année prochaine
F.ii. 088 : ouais !
L.ni. 089 : tu viens passer avec nous le ramdan (le ramadan)
A.ni. 090 : et tu prends < --------- ?>
F.ii. 091 : à condition que je dors pas toute la journée
L.ni. 092 : non:: + non tu dors pas
F.ii. 093 : jamais de la vie
A.ni. 094 : on travaille pour manger
F.ii. 095 : travaille pourquoi ?
A.ni. 096 : on prépare le repas
F.ii. 097 : sinon on le prépare ensuite on dors
A.ni. 098 : le < ------- ?> le rendre l’après-midi jusqu’à le maghreb (la prière pour
rompre le jeun)
F.ii. 099 : et vous préparez le repas ?
A.ni. 100 : le repas et:: ++ pour \
F.ii. 101 : ah ! pourtant vous faites la Hrira + lbourak (la Hrira + le bourak) on fait
le::
A.ni. 102 : on a beaucoup de travail
F.ii. 103 : les pommes de terre comment ça s’appelle ? les pommes de terre euh !
L.ni. 104 : le + le euh::
A.ni. 105 : les frites
F.ii. 106 : maaqouda (les croquettes à la pomme de trerre)
L.ni. 107 : lmaçOud (les croquettes à la pomme de trerre)
F.ii. 108 : on fait ça ? on fait ça + on fait
L.ni. 109 : lmaçoud (les croquettes à la pomme de trerre)
F.ii. 110 : on fait des pommes de terre + on fait du poulet + des salades
L.ni. 111 : vous travaillez beaucoup
F.ii. 112 : toute seule + je fait euh:: + deux=heures trois=heures
A.ni. 113 : non:: on travaille beaucoup
421
Annexes Transcriptions des conversations
422
Annexes Transcriptions des conversations
*
Gâteau oriental à base de semoule, de dattes et de miel.
†
Gâteau oruiental à base de semoule, d’amandes et de miel.
423
Annexes Transcriptions des conversations
*
C’est une soupe à base de pattes, d’épices et de morçeaux de viandes.
**
C’est le 10ème mois de l’hégire.
424
Annexes Transcriptions des conversations
jour)
L.ni. 226 : le deuxième ++ le troisième
F.ii. 227 : ça peut=être le troisième + parce que mon père ySom (ils jeûnent) le
troisième jour e’six jours m’man et tous
L.ni. 228 : eih ! c’est bien ghaya (c’est bien) einh !
F.ii. 229 : même khaTrat (par fois) euh: bessaH (mais) c’est bien ce qu’i fait + mon
oncle le mari à ma tante + rajel çammti** (le mari à ma tante)
L.ni. 230 : yi::h ! (oui !)
F.ii. 231 : ySom nhar el çid (il jeûne le jour de l’Aïd)
A.ni. 232 : ella mchi mliH khater nhar el çid (ce n’est pas bien le jour de l’Aïd)
L.ni. 233 : non:: il faut tefra° ma bin el çid + w’ma bin ramdan wma bin (il faut
séparer entre l’Aïd et le ramadan et) euh::
F.ii. 234 : w’chi kheTraT yjina Sayem (et par fois il vient chez nous à jeun) ou bien le
lendemain le deuxième jour yjina Sayem (il vient chez nous à jeun)
A.ni. 235 : Hna (nous) c’est le deuxième jour + bessaH (mais) la plupart taç elli
ySomo (qui font le carème) les six jours de chouwwal li (choual) ++ rien que
les femmes≠agées
F.ii. 236 : ah ouais !
A.ni. 237 : des quante=ans cinquant=ans
L.ni. 238 : ella:: AMARIA Hatta essoghar rahoum ySomo (non AMARIA même les petits ils font le
carème)
A.ni. 239 : c’est pas la plupart xx LINDA !
F.ii. 240 : ouais c’est vrai !
L.ni. 241 : kayen + kayen elli ySomo Sghar weySomo (il y en a + il y en a qui jeûnent petits et ils
jeûnes)
F.ii. 242 : oui Hna (nous) après + la plupart ma ySomoch (ils jeûnes pas) euh !
A.ni. 243 : yék ! (ah bon !)
F.ii. 244 : ah ! la pupart ça y est ils sont [très contents de
A.ni. 245 : [de l’Aïd
F.ii. 246 : ah oui ! yebdew (ils entament) leur quotidien tawaçhoum xxx hadou elli
yekhdmou (leur quotidien ceux wui travaillent) ils vont travailler + ceux qui
sortent avec les copains les copines + ils sortent avec leurs copains
leus copines + et les discothèques ils sont repartis
A.ni. 247 : ouh ! ouh ! (oh ! oh !)
F.ii. 248 : la moitié qui étaient dans le Hlal (le Halal) ils sont repartis dans le
Hram (l’interdit ou pêché)
L.ni. 249 : bessaH aji (mais attend) les jeunes kamel zeçma + eySomo ? (soi-disant ils font le
carème ?)
F.ii. 250 : non:: !
A.ni. 251 : non !
F.ii. 252 : non: non pas tous + pas tous mais ils=ont la Hchouma w’ wema zeçma (la
honte sinon soi-disant) ils se rencontrent
A.ni. 253 : le mois d’(e)ramadan +++ Hchouma ++++ wyak ? (ramadan +++ c’est un gêne +++
n’est-ce pas ?) xxx ici en ALGERIE yaHtarmou (ils respectent) le mois de ramadan
(ramadan)
F.ii. 254 : ils respectent c'est-à-dire même si + tSébé (tu trouves) + tu sais que
waHad (celui) il a + il se gêne pas kima ngoulou (comme on dit)
A.ni. 255 : hmm !
F.ii. 256 : eh bein ! il va pas te le dire + ma ybanch çlih (ça se voit pas) ça se voit
pas
A.ni. 257 : hmm !
F.ii. 258 : mais la plupart la plupart ma j’(e)te je te dis xx la plupart ySomo
kamel (ils jeûnent tous le mois)
A.ni. 259 : hmm ! hmm !
F.ii. 260 : wellah (je te le jure) même kheTraT (par fois) franchement tSébé legwer ySomo (il y
a des français qui jeûnent) avec nous
A.ni. 261 : yi::h ! (oui !)
F.ii. 262 : ouais les Françaises
L.ni. 263 : hmm !
F.ii. 264 : les Françaises ySomo (ils jeûnes) avec nous parce que euh ! ils=ont
**
çamti correspond à ‘’tante paternelle’’.
425
Annexes Transcriptions des conversations
des=amis Algériens wella (ou) Marrocains wella (ou) Tunisiens çreb w’ (les
Arabes et) des Chinois ySomo mçana (ils font le carème avec nous)
L.ni. 265 : ytebbçou’koum (ils vous suivent)
F.ii. 266 : wah (oui) des [black musulmans
A.ni. 267 : [bessaH (mais) xxx les médecins
F.ii. 268 : [Sénégalais w’koulchi ++ bessaH Hna mkhalTén (et tout ++ mais
nous on est tous mélangé)
A.ni. 269 : FARIDA (FARIDA) les médecins ++ le mois de ramadan Sabouh zeçma Haja
(ramadan ils le trouvent soi-disant) bien pour la santé
F.ii. 270 : ah bon !
A.ni. 271 : wellah! (je te le jure !)
F.ii. 272 : pourquoi ? dans quelle
A.ni. 273 : xx comme on dit
L.ni. 274 : l’estoma triyyaH koulchi yriyyah + rabbi çamel hakda (l’estomac se repose et
tout se repose + le bon Dieu a fait comme ça)
A.ni. 275 : xxx Haja (une chose) ils=ont trouvé quelque zeçma + Haja elli mliHa (soi-
disant quelque chose de bien) le:: la santé
F.ii. 276 : c’est bien en fait pour eux à ce que j’ai compris c’est bien si on
jeun comme ça de temps=en temps
A.ni. 277 : de temps=en temps oui !
F.ii. 278 : mais bon un moi c’est vrai que c’est fatigant + moi l’année dernière
SomT w’ (j’ai jeûné) j’étais enceinte de sept mois
A.ni. 279 : hmm !
F.ii. 280 : et le méd’(e)cin ma bghach (il n’a pas voulu) il a pas voulu
A.ni. 281 : bessaH ? (c'est vrai ?)
F.ii. 282 : wellah ! (je te le jure !) il m’a dit « ça va pas vous=avez pas mangé du
matin » + galli (il m’a dit) « pendant dix=heures ça y est jusqu’au
lendemain ++ le lendemain cinq=heures’ + galli (il m’a dit) « c’est trop »
+ galli (il m’a dit) « au moins un verre d’eau avec le sucre »
A.ni. 283 : < ---------------- ?>
F.ii. 284 : mais bon ! legwer (les Français) de toutes façons ySébou (s’ils trouvent qu’) une
ghouriyana tSom yenkhelçou euh ! (une petite fille qui fait le carème!)
A.ni. 285 : mais bessaH çla Hsab (mais c’est selon) les médecins hna + zeçma kayen li (ici
+ soi-disant il y en a qui)
L.ni. 286 : hna wladna we bnatna nçalmouhoum me Sghor ySomo bach ywalfou ++
wentouma ki kountou (ici on apprend à nos garçons et nos filles le jeûn pour qu’ils s’habituent)
en FRANCE kountou Sghar kountou tSomo ? xx (quand vous étiez petits vous faisiez le
carème ?)
F.ii. 287 : ana (moi) à partir de dix=ans Somt kan çandi çachr esnine (j’ai jeûné quand
j’avais dix ans)
L.ni. 288 : é::h ! kamel hakdek + kamel Hna nSomo ki nkounou (tout le monde est comme ça ici
+ on jeûne tous quand on est)
F.ii. 289 : f’(à) nef=ans chwiyya chwiyya hakda nebdaw + (peu à peu comme ça et on commence)
huit=ans tani nhar (encore un jour) + deux + neuf=ans quinze jours wella +
bessaH (ou bien) dix=ans chhar (un moi) entier
A.ni. 290 : hmm ! ghaya (bien)
F.ii. 291 : dix=ans naçqel çliha ki (je me rappelle d’elle comme) + comme c’était hier
A.ni. 292 : et w’ (et) quand les p’(e)tits + les p(e)tits=enfants ySomo (ils jeûnent) le
ramadan ?
F.ii. 293 : hmm !
A.ni. 294 : hna (ici) en ALGERIE comme on dit le chedda* (une chedda) yaçamloulhoum
echedda (ils leur mettent la chedda)
F.ii. 295 : je l’ai vu à la télé ça par contre
L.ni./A.ni. ouais ! ouais !
296 :
A.ni. 297 : w’naçammloulhoum (et on leur prépare) un plat spécial le jour elli ySomo fi:h
(de leur première expérience de jeûn)
F.ii. 298 : même TLEMCEN elle fait comme ça ?
A.ni. 299 : l’ALGÉRIE entier + kamel (entier)
*
Une sorte de costume traditionnel que portent les mariées à Tlemecen et qu’on met aux patites filles qui font le carème
pour la première fois.
426
Annexes Transcriptions des conversations
427
Annexes Transcriptions des conversations
428
Annexes Transcriptions des conversations
*
Se sont les abats qui servent pour la préparation de la farce de la bekbouka (estomac, les intestins et les
poumons).
429
Annexes Transcriptions des conversations
430
Annexes Transcriptions des conversations
F.ii. 476 : ah bessaH (mais) interdit les bouteilles ++ soit de l’huile d’olive
wella (ou de) vin:: +++ interdit sinon lçid lekbir (l’Aïd el kébir) ça va ++
on le passe à peu près comme vous + [neddebHou we:: (on égorge et)
A.ni. 477 : [nOulou kima Hna hna (c’est comme nous
ici)
L.ni. 478 : [kifna Hna (comme nous ici)
F.ii. 479 : [et puis il y a des
gens xxx
L.ni. 480 : [zeçma ghil ki ma
ykhelliwkoumch (soi-disant rien que quand ils vous empêchent)
A.ni. 481 : le premier jour de lçid ++ lçid el kbir ++ nelthaw ghil beddbiHa
w’belkebch/ (l’Aïd ++ l’Aïd el kébir ++ on s’accupe qu’avec l’égorgement du mouton)
L.ni. 482 : [xx rien du tout
F.ii. 483 : [non on (ne) s’en sort pas
A.ni. 484 : [le premier jour même nous
F.ii. 485 : [même le deuxième jour on ne sort bas
A.ni. 486 : et le matin + eddbiHa w’(l’égorgement) travail forcé + w’hada w’(et tout) le
soir nreyyHou (on se repose)
F.ii. 487 : et vous vous=habillez pas wella (ou)
L.ni. 488 : oui on habillons (<on s’habille>)
A.ni. 489 : euh mça (vers) huit euh wella mça (ou vers)
F.ii. 490 : xx pourquoi xxx vous=habillez pas
L.ni. 491 : nos=enfants et::
A.ni. 492 : les=enfants bessaH (mais) le deuxième jour nelbsou + nelbsou el bedçiyya
(on s’habille + on met une robe)
F.ii. 493 : non ! non ! non !
A.ni. 494 : le premier jour nkounou (on est)
F.ii. 495 : vous=avez coup/ euh égorgé combien de mouton ?
A.ni. 496 : un mouton
L.ni. 497 : ah non ! kayen lçaIlat elli yeddebHou zouj talata < ------ ?> (il y
a des familles qui égorgent deux trois)
F.ii. 498 : déjà nous on a < -------- ?>
L.ni. 499 : ça dépend + ça dépend
A.ni. 500 : un grand mouton
L.ni. 501 : un grand mouton mais les voisin euh + yeddebHou bezzouj kbach (ils égorgent
deux moutons)
A.ni. 502 : betlata (même trois)
F.ii. 503 : bessaH (mais) ça dépend des +++ la famille
A.ni. 504 : la tante de:: # de ÇABDOU (ÇABDOU)
F.ii. 505 : oui !
A.ni. 506 : had (cette) euh:: elle égorge trois
F.ii. 507 : bein c’est normal ils=ont [trois familles
A.ni. 508 : [trois familles
F.ii. 509 : et bein oui !
L./A. 510 : [la famille ++ < -------- ?>
F.ii. 511 : [kima (comme) nous + moi et mon mari + ma sœur w’ (et) son mari ma mère
et et moi # + ses=enfants
L.ni. 512 : [et ses=enfants
F.ii. 513 : à part ++ ma # kamel (tous) xxx
A.ni. 514 : yi:h ! (oui !)
F.ii. 515 : donc on a fait ++ déjà [beaucoup
A.ni. 516 : [i:h (oui) déjà beaucoup
F.ii. 517 : bein tu sais on a partagé +++ franchement trois ++ même il y a ++ que
++ il a travaillé ce jour là
L.ni. 518 : wechkoun elli dbaHelkoum ? (qui vous a égorgé le mouton ?)
F.ii. 519 : mon mari ÇABDOU (ÇABDOU)
L.ni. 520 : kamel lekbach dbaH’houm houwwa ? (il a égorgé tous les moutons)
F.ii. 521 : xxx xxx dbaHhoum w’koulchi (il les a égorgé et tout) + il les a nettoyé:: + ma
mère elle a été choquée + elle a dit « puré:e [franchement:: »
L.ni. 522 : [et ton père ma yedbaHch
(il n’égorge pas)
F.ii. 523 : [non ! purée + purée il
a super bien égorgé les moutons euh il les a bien nettoyé ++ tout euh
431
Annexes Transcriptions des conversations
einh ! dowwara (les abats) + la tête + tout les a bien donné à ma mère ma:
zeçma bqa ghil taghselhoum (soi-disant il lui restait que le lavage) et puis euh elle
les met dans le congelateur ou bien:: (+++ mais mon père il égorge
pas il a très peur il a la phobie de + des=animaux
L./A. 524 : yi::h ! (oui !)
F.ii. 525 : les moutons + les coqs et xxx +++ il peut pas supporter de # de voir
des=animaux hakka (comme ça) tués ++ Hnine (il est sensible)
L.ni. 526 : yih ma yAdch yeddenna (il ne peut pas s’approcher)
A.ni. 527 : même hna (ici) même hna (ici)
F.ni. 528 : et il mange pas beaucoup de viande à part le mechwi + (les grillades) comme
nous ++ je ne sais pas pourquoi le mechwi (les grillades) hmmm # + on aime
bien ?
A.ni. 529 : hmm !
F.ii. 530 : peut=être parce que chépa il est bien cuit ma fihch (il n’y a pas) [les \
A.ni. 531 : [ka:: #
+++ Kamel (tou:: +++ toutes) les matières grasse yemchiw (disparaissent)
F.ii. 532 : peut être ça doit=être ça +++ parce que t’as vu nebghi (j’aime) la viande
hachée et tout ça
A.ni. 533 : ouais !
F.ii. 534 : mais euh:: THottélé kima le Taji:ne (tu me pose comme le Tadjine) et tout li
yhottoh ftaç (qu’ils posent dans) le mariage
A.ni. 535 : ma tHebch ? (tu n’aimes pas ?)
F.ii. 536 : eih ben ils posent des gros morceaux gras + et tout froid et chetti (tu
as vu) quand tu l’ouvres à l’intérieur tHallih tsébéh khdar (quand tu l’ouvres
tu le trouve cru)
A.ni. 537 : t’:: bouillit (tu le fais bouillonner)
F.ii. 538 : non ça je ne supporte pas wellah ! (je le jure) et aujourd’hui bon # ça n’a
rien à voir par rapport à ce que je vous parle maintenant
A.ni. 539 : hmm !
F.ii. 540 : on voulait aller à la mer pour la dernière fois
A.ni. 541 : hmm !
F.ii. 542 : il a fait super chaud + mais on a eu un imprévu c’était pas possible
++ donc aujourd’hui on est vendredi joumouça (le vendredi) pour vous votre
+ c’est le week end en fait c’est ça
L./A. 543 : oui:: !
F.ii. 544 : on aurait trouvé du monde ça aurait été super bien + peut=être [que
demain on ira
L.ni. 545 : [< ------ ?>
F.ii. 546 : ouais !
L.ni. 547 : w’yeçejbouk (ils te plaisent) les plages + hna yeçejbouk ? (ici ils te palisent)
F.ii. 548 : ouais ! super c’est ce que j’suis entrain de dire peut= être je vais y
aller demain bach (pour) peut=être nchallah (si Dieu veut) je vais dire au
revoir à la playa
L./A. 549 : hmm !
F.ii. 550 : au r’(e) voir à la plage
A.ni. 551 : et en FRANCE tu vas à:: à la plage ?
F.ii. 552 : en FRANCE ouais ! mais j’habite dans le NORD + tu as vu ?
A.ni. 553 : oh oui !
F.ii. 554 : dans le NORD puis le NORD OUEST el barda fihoum kamel (c’est la plus froide)
A.ni. 555 : oui oui !
F.ii. 556 : c’est la plus froide en fait c’est le: le NORD c’est l’endroit où il
fait le plus froid ++ de la FRANCE w’kayen (il y a) les plages à côté
L.ni. 557 : xx xxx < ----- ?>
F.ii. 558 : oh ! c’est comme toi ici menna lRECHGUONE wella ki ysemmouha hadik ++
(d’ici à RACHGOUN ou comme comment on l’appelle) la plage ?
A.ni. 559 : SIFAX (SIFAX)
L.ni. 560 : SIFAX we:: LA MARMITTE w’SIGA w’: (SIFAX , LA MARMITTE et SIGA et)
F.ii. 561 : kimma menna l’SIGA temma tani çadna (comme d’ici à SIGA là nous avons aussi) une
heure saçça (une heure)
A.ni. 562 : yih ! (oui !)
F.ii. 563 : soixante kilomètres
A.ni. 564 : par voiture ?
F.ii. 565 : par voiture oui + oui oui une heure
432
Annexes Transcriptions des conversations
L.ni. 566 : Hatta (même) les plages taçkoum (vos plages) privées [we euh:: #
F.ii. 567 : [non:: publiques euh non non publiques euh
A.ni. 568 : euh !
F.ii. 569 : on a aussi des belles pla::ges de:: +++ la MANCHE ++ la côte de la
MANCHE +++ temma Hda (là-bas à côté) les < ------ ?> Hna Hda (nous on est à côté de)
la BELGIQUE tani (aussi) + xxx on a de super belles plages [mais:: bon
A.ni. 570 : [mais comme les
plages de l’ALGERIE
F.ii. 571 : c’est pas ça c’est la température c’est dur
A.ni. 572 : rien que la température machi lakhor (non c’est l’autre)
F.ii. 573 : c'est-à-dire le soleil une fois par an
A.ni. 574 : eih c’est xxx < ----- ?>
F.ii. 575 : c’est rare t’as vu donc xx une ++ nhar (un jour) une fois qu’il y a du
semch (du soleil)
A.ni. 576 : Hna (nous) même l’hiver
F.ii. 577 : une fois il y a du semch (du soleil) tous le monde sort pour aller à la
plage
L.ni. 578 : yih ki ychoufou (oui quand ils voient) ensemble ykhorjou (ils sortent)
F.ii. 579 : voilà !
L.ni. 580 : yekhourjou yemchiw (ils sortent ils partent) les plages
F.ii. 581 : el la plage + il y a des moments de semch tjina (soleil qui apparaît)
A.ni. 582 : w’ (et) l’été chHal yegçoud çandkoum chHal yegçoud (c’est combien la duré chez
vous c’est combien) un mois deux mois
F.ii. 583 : ça dépend ça peut=être trois par le mois hada fe echhar (ça en deux mois)
L.ni. 584 : vingt trois jours xxx une semaine
F.ii. 585 : ça dépend une semaine fe chhar fhada skhana (en un mois cette chaleur)
L.ni. 586 : skhana (la chaleur)
A.ni. 587 : skhana yçawed yna°leb lHal (la chaleur et le climat change)
F.ii. 588 : trois semaine la pluie ++ ennew + ennew kima derwek galou ennew +
bessaH (la pluie + comme maintenant ils ont annoncé la pluie + mais) ça se pourrait fe xxx
[esskhana (dans la chaleur)
A.ni. 589 : [esskhana (la chaleur)
F.ii. 590 : t’(u) as compris ?
L./A. 591 : yih ! (oui !) ! ouais ouais !
F.ii. 592 : çlakhaTér mazal ma kmelch xxx taçhoum (parce que il n’est pas encore fini xxx votre été)
A.ni. 593 : le climat çandkoum + machi (chez vous il n’est pas) stable
F.ii. 594 : te te te mchi (il n’est pas) stable + bessaH (mais) le froid + à partir de::
octobre novembre
A.ni. 595 : Hatta l’(jusqu’à) mai
F.ii. 596 : Hatta l’ (jusqu’à) mai + ella Hatta el (jusqu’à) avril hakka: (comme ça) xx du
froid à fond quoi + el berd ey gaTTaç (un froid terrible)
A.ni. 597 : hmm !
F.ii. 598 : el berd (le froid) xx froid wellah ! (je le jure) mais wellefnah (on s’est habitué à ce
climat) on a pris l’habitude xx on a pris l’habitude en plus
A.ni. 599 : mais Hatta hna (même ici) on supporte pas lberd (le froid)
F.ii. 600 : [euh insupportable
L.ni. 601 : [il a fait très très froid
A.ni. 602 : l’année passée + moins # moins≠un +++ moins≠un wellah ma Addina (je te le
jure on a pas pu) + insupportable
L.ni. 603 : ja ghi chwiyya telj (il a neigé un peu) deux jours w’houwwa yTéH ettelj ma
[Addinach koulchi tebloka (il n’a cessé de neiger on a pas pu tout était bloqué)
A.ni. 604 : [koulchi tbellaç (tout était bloqué)
L.ni. 605 : [koulchi ybellaç (tout se bloque)
A.ni. 606 : [on a pas les moyens
L.ni. 607 : on a pas les moyens ettri° tetçammer be + be + ellotoyat yegouçdou ma
yfoutouch (la route était barrée + par + par + la neige et les voitures ne passaient plus)
F.ni. 608 : [mais oui c’est normal çandkoum el çagba (vous avez la forêt)
L.ni. 609 : non non même pas n’euh n’euh n’euh # w’kan Hatta ma tkounch çadna el
çagba (même s’il n y a pas la forêt)
A.ni. 610 : makanch (il n’y a pas) les moyens
L.ni. 611 : ettergane ybellçou ++ bettelj (les routes seront barrée + de neige)
F.ii. 612 : [oui bein !
433
Annexes Transcriptions des conversations
L.ni. 613 : [makanch (il n’y a pas) les machines lieyjerrou le: (pour enlever)
F.ii. 614 : [we ydirou lmelH (ils mettent du sel)
L.ni. 615 : [ma ydirouch melH w’ ma ydirouch xx ykhelliwha hakdek (ils mettent pas du sel il
la laissent comme ça)
A.ni. 616 : whadouk msaken elli saknine + [yesseknou had (et les pauvres qui habitent + ils
habient)
L.ni. 617 : [bçid (loin) les villages
A.ni. 618 : [yegouçdou (ils restent) isolés
F.ii. 619 : c’est vrai ?
A.ni. 620 : wellah ! ella yegouçdou (ils restent je le jure) + comme TIRNI un petit [village
F.ii. 621 : [oui !
A.ni. 622 : [comme TIRNI yegouçdou (TIRNI ils restent) isolé be (jusqu’à) trois jours quatre
[Hatta l’ (jusqu’à) une semaine
F.ii. 623 : [oh ! et les personne
A.ni. 624 : [isolées
F.ii. 625 : [msakine (les pauvres) âgées
L.ni. 626 : çadek mziyya ettelj kan yji (heureusement il n’a neigé que pendant) deux jours we
yçawed ydoub (et il se fond)
A.ni. 627 : même ettelj ma ysebbch bezzaf (il neige pas beaucoup)
F.ii. 628 : mais où est-ce qu’il fait froid le plus ? c’est la KABYLIE (KABYLIE)
euh ?
A.ni. 629 : même fe TLEMSEN + hna f’ (à TLEMCEN + ici à) la région de TLEMSEN (TLEMCEN) il
fait froid
F.ni. 630 : oui oui [mais
A.ni. 631 : [quand il:
F.ii. 632 : [la KABYLIE (KABYLIE)
A.ni. 633 : [fait:: chaud le mois de juillet et août
F.ii. 634 : ouais ouais !
A.ni. 635 : le mois de janvier décembre [il fait froid
F.ii. 636 : [bessa::H (mais)
A.ni. 637 : [on supporte pas
F.ii. 638 : h.h.h ((soupires)) c’est normal
A.ni. 639 : insuppotable comme ++ euh dans la maison taçna (notre maison) xx elli
çadna (la cuisine nous avons) la cuisine
F.ii. 640 : win ? (où ?) chez toi ?
A.ni. 641 : ella hna (non ici)
F.ii. 642 : ah ! ici
A.ni. 643 : oui!
F.ii. 644 : SIDI SÇID (SIDI S’ÇID)
A.ni. 645 : SIDI SÇID (SIDI S’ÇID) euh
F.ii. 646 : il fait super froid
A.ni. 647 : on peut pas ++ même manger on peut pas
F.ii. 648 : bessaH ! (ah bon !)
A.ni. 649 : ki tegçoud (quand tu restes) dans la cuisine hakda (comme ça) ((gèstes : bras
croisés))
F.ii. 650 : donc ça fait quand vous mangez + vous mangez où ?
L.ni. 651 : we temma tAddou lelberd temma ? chHal yewsel lberde ettaçkoum ? (et là-bas
vous supportez le froid ? là-bas la température combien elle a atteint ?)
F.ii. 652 : hmm + mois + moins dix
L.ni. 653 : hmm !
A.ni. 654 : [hna (ici) moins dix euh !
L.ni. 655 : [ça y est Hna man çichouch (ici on meurt)
F.ii. 656 : mais là-bas il y a il y a des xxx
A.ni. 657 : temma (là-bas) il y a les moyens bessaH ya FARIDA (mais FARIDA) il y a même
des moyens xxx
F.ii. 658 : il fait froid echa bghiti ydirounna (qu’est ce que tu veux qu’ils nous fassent)
A.ni. 659 : même il ya xxx han makanch (ici il n’y a pas)
L.ni. 660 : Walftou waleftou (vous vous êtes habitué vous vous êtes habitués)
A.ni. 661 : hna + ki nOulou (comme on dit + ici)
F.ii. 662 : hna (ici) il y a des moments où on sort pas une semaine weHna
manakhourjouch ? (nous on ne sort pas)
((soupires))
434
Annexes Transcriptions des conversations
L.ni. 663 : ki ySebb çandkoum ettelj kich taçamlou ? ettelj temma çandkoum bla
semaine yTéH (quand il pleut chez vous comment vous faites ? là-bas la neige tombe toute la
semaine)
F.ii. 664 : wah (oui) tous les jours
L.ni. 665 : < ------- ?>
F.ii. 666 : wah ma nekhourjouch (oui on ne sort pas) les voitures + tout bloqué:: + les
routes bloquées:: kamel (toutes)
L.ni. 667 : bessaH kich taçamlou ? kich yaçamlou ySegdou eTTor’Ane yneHHiw dak
[ettelj (mais comment vous faites ? ils enlèvent la neige des routes)
F.ii. 668 : [wah ! (oui !)
L.ni. 669 : [bach eyfoutou elloToyat ++ bach el khedma xxx
(pour ouvrir la route aux voiture ++ et pour travailler)
F.ii. 670 : non l’intempérie interdit lkhedma (le travail) ++ non
A.ni. 671 : interdit ?
F.ii. 672 : oui l’intempérie ils travaillent pas ++ mon père khaTra (une fois) deux
semaine makhdemch (je n’ai pas travaillé) ++ il peut pas travailler ++
impossible moins dix tu peux pas travailler dehors c’est jlid (le gel)
A.ni. 673 : w’saHHa welli yekhedmou f’le:: + f’le:: (et bien ceux qui travaillent dans dans le + le)
NB : Pour des raisons d’ordre technique nous n’avons pas pu enregistrer la suite de la
conversaion.
435
Annexes Extraits d’entretiens
Les entretiens ont été réalisés avec deux groupes, deux des participantes aux
enregistrements sonores et d’autres sujets que nous avons sollicités pour participer aux
entretiens. Pour des raisons de palaces nous avons sélectionné seulement les extraits que
nous avons jugés utiles pour notre étude et qui contiennent des réponses pertinentes. Les
codes retenus pour les participants est constitués de lettres suivies de chiffres : les initiales
du prénom, les catégories hommes et femmes sont représentées respectivement par H et F,
pour la catégorie non-immigré (N-I), immigré (I), issu de l’immigration (I-I) et enfin les
chiffres selon l’ordre croissant relatif à l’apparition des sujets enquêtés dans les annexes.
Est-ce que vous êtes nés en France ou bien alors vous êtes résident ?
Que représente la France pour vous ?
Que représente l’Algérie pour vous ?
Est-ce que vous parlez l’arabe algérien et le français ?
Parlez vous d’autres langues ?
Est-ce qu’il vous arrive de parler l’arabe algérien en France ?
Avec qui et où ?
Que représentent les immigrés (descendants de l’immigration algérienne 2ème et 3ème
génération) et les non-immigrés pour vous ?
Comment parlent-ils le français et l’arabe algérien ?
Est-ce qu’ils mélangent les deux langues et pourquoi ?
Comment vous trouvez leur façon de parler et le mélange des langues ?
Est-ce qu’il vous arrive vous-même de mélanger les deux langues (ici en Algérie et
là-bas en France) ?
Est-ce que depuis que vous êtes partit en France votre manière de parler le français
a changée (pour les immigrés de la première génération nouvellement installée en
France) ?
Est-ce que vous penser que votre façon de parler change à chaque fois que vous
passez vos vacances en Algérie (pour les descendant de l’immigration) ?
Pour quoi est ce que les immigrés (les non-immigrés) mélangent l’arabe algérien et
le français ?
436
Annexes Extraits d’entretiens
Etes-vous né en Algérie ?
Que représente l’Algérie pour vous ?
Est-ce que vous parlez l’arabe algérien et le français ?
Parlez vous d’autres langues ?
Est-ce qu’il vous arrive de parler qu’en français ?
Avec qui et où ?
Est-ce qu’il vous arrive de mélanger les deux où et avec qui ?
Est-ce que les Algériens mélangent les deux langues ?
Comment trouvez-vous le mélange de l’arabe algérien avec le français ?
Que représentent les immigrés (descendants de l’immigration algérienne 2ème et 3ème
génération) et les non-immigrés pour vous ?
Comment parlent-ils le français et l’arabe algérien ?
Est-ce qu’ils mélangent les deux langues et pourquoi ?
Comment vous trouvez leur façon de parler et le mélange des langues ?
Est-ce qu’il vous arrive vous-même de mélanger les deux langues (ici en Algérie et
là-bas en France) ?
Est-ce qu’il vous arrive de parler avec des immigrés, si oui quelles langues utilisez
vous ?
Est-ce que vous penser que votre façon de parler s’améliore quand vous parlez avec
les immigrés ?
Entretien 1
Fat.F.I-I. 1 : Immigrée / 28 ans / mariée à un Algérien nouvellement immigré / 1 fille /
Nord-Pas-de-Calais / bachelière / conseillère téléphonique / vente par correspondance /
* Les langues que j’ai apprise à l’école / beaucoup d’anglais / six ans d’anglais // niveau scolaire /
la base / c’est vraiment la base scolaire // j’avais également le choix avec l’espagnol que je n’avait
pas pu apprendre car j’ai arrêté l’école au bac // par contre j’ai passé mon bac avec la mention de
choix / l’algérien maghrébin // au sein de la famille je parle l’argot et le verlan avec l’algérien
maghrébin chouiyya menna chouiyya men (un peu de tout) // je parle avec mes frères l’algérien
maghrébin // ben en admettant je leur demande du café je leur dis du choika / je parle avec ma
sœur beaucoup de verlan / par contre quand je viens ici en Algérie ben je parle un peu de tout
français / arabe / mais pas forcément l’arabe directement ou le français directement / avec les
parents / avec ma mère directement laçreb (les Arabes pour désigner l’arabe) / la langue arabe
impossible bach tefhem (impossible de comprendre) le français donc ça c’est sûr et certain /
d’ailleurs quand je suis avec elle / il faut que je lui fasse comprendre tout / quand elle veut acheter
quelque chose ben il faut que je sois là // par contre ce qu’elle sait faire c’est compter l’argent /
elle connaît très bien / d’ailleurs toutes les mères maghrébines en France elles connaissent super
bien l’Euro // elles savent super bien compter /// Mon père en fait il parle très bien l’arabe / très
bien le français / d’ailleurs il est né ici / par contre il parle aussi patois / ben c’est la langue du
437
Annexes Extraits d’entretiens
Nord-Pas-de-Calais / il parle chtimi // ensuite les frères ben c’est français / c’est l’argot / le verlan
/ énormément verlan / c’est des rebeus / donc sachant qu’ils sont jeunes / qu’ils sont en France /
immigrés / ils parlent énormément l’argot /// les sœurs un peu de tout / nahadrou chouwiyya (on
parle un peu) arabe chouwiyya (un peu) français / mais netfahmou (on se comprend) mais
beaucoup plus en arabe mais pas l’arabe littéraire / l’arabe algérien maghrébin // avec les voisins
maghrébins on parle en français avec eux / mais avec les Français on parle français mais un
français littéraire / il n’y a pas de mots maghrébins à part de temps en temps ki (quand) on leur
dit kif kif yefehmou (ils comprennent) tout de suite / il y a des mots / il y a beaucoup de Français
yefehmou (ils comprennent) // déjà copter yefehmou (ils comprennent) beaucoup / les voisins
Français ben ils ont l’habitude déjà de vivre avec nous en France dons walfou (ils se sont
habitués) avec nous / l’argot / le verlan / brouHhoum (eux-mêmes) même eux ils parlent avec
nous khetrat (des fois) des petits mots en arabe // je sais pas / ils disent wellah (je le jour) souvent
ils disent wellah yaHalfous (ils disent je le jure ils jurent) ils ont l’habitude / on vit avec les
Français / les Français vivent avec les Algériens et ben les Maghrébins on parle l’argot / souvent
c’est l’arabe normal familial // RwaH (viens) viens tchoufi (viens voir) chouf ! chouf ! (regarde !
regarde !) / on dit souvent ces mots que tout le monde parle /// au travail interdit de parler l’arabe /
çadna qanoun (il y a une loi) interdit de sortir de sortir la religion / interdit de parler en verlan /
interdit / ça dépend / moi je parle dans les bureaux / dans les bureaux / dans les commerces
également beaucoup // c’est strictement interdit / el lougha al çarabiyya (la langue arabe
classique) / on parle pas ça c’est clair / tous les immigrés ne parlent pas had (cette) la langue mais
on parle beaucoup l’argot donc je ne sais pas / l’argot familial ben moitié arabe moitié français /
on mélange c’est parti tout seul / c’est les jeunes / au fur et à mesure / on parle c’est pour se faire
comprendre / çla khater (parce que) il y a beaucoup d’immigrés qui ne savent pas parler l’arabe //
donc euh yahadrou bel français (ils parlent en français) // wkayen (et il y a) des mots très simples
// très faciles arwaH koul (viens manger) // kif kif // chkoun (qui) / tdjihoum sahla (c’est plus
facile pour eux) donc ils font rentrer dans leurs phrases / avec les immigrés c’est pour faciliter la
communication / malgré s’il savent parler l’arabe ils préfèrent mélanger parce que c’est devenu
naturel maintenant et ça deviendra naturel / dans quelques années de parler français arabe / même
de parler l’argot // ça deviendra naturel ça j’en suis sûre / avec les immigrés bien sûr / par contre
avec les Algériens en Algérie / je parle arabe en tout cas j’essaye de parler arabe // je fais des
efforts // dans les commerces je parle les deux // kin nkoun mça (quand je suis) les Maghrébins /
ils ne comprennent pas / ils arrivent pas à me comprendre / mais on fait avec // mais on peut pas
sortir du verlan / c’est impossible de sortir le verlan ici / je viens en Algérie moi personnellement
depuis que j’avais huit ans / chaque année je viens avec mes parents / sachant que même après huit
ans je ne comprenait pas du tout l’arabe / donc j’écoutais mais pour répondre je ne savais pas
répondre / j’observait mes parents / mes tentes / mes oncles // c’était au fur et à mesure que mes
parents me ramenaient en Algérie que j’ai appris l’Algérien / sinon franchement /
sinon jamais je l’aurais appris / même avec ma mère on parlait en français /elle ne nous
comprenait pas / par contre avec mon père on parlait beaucoup le français en France / mais on
parle pas l’arabe tous les jours en tous les cas / quand on dit l’arabe c’est l’algérien / parce que
les Marocains / ils parlent pas comme nous malgré comme on vit avec les Marocains les Kabyle /
par contre avec ces gens là Marocains Kabyle Tunisiens / on parle en français complètement c’est
seulement entre les Algériens immigrés qu’on parle argot algérien français / tout à fait ça / c’est
sûr / le fait de venir chaque année au pays d’origine avec les parents ça nous a permis
d’apprendre beaucoup plus facilement l’arabe ça c’est sûr parce que comme je disait si on ne
venait pas chaque année en Algérie jamais je ne saurais parler comme je le fais aujourd’hui //
j’aurais connu des petits mots / parce que maintenant je parle encore plus arabe / je parle souvent
en arabe avec mon mari que quand j’étais jeune avec mes sœurs / ben quand j’étais jeune fille/
chez mes parents / par exemple avec mes sœurs on parlait l’argot / ben maintenant l’argot et le
verlan ça devient de plus en plus je parle moins ce langage avec mon mari parce que voilà c’est
quelqu’un qui est né en Algérie / c’est quelqu’un qui a grandit à Oran // heureusement il comprend
le français // si je n’étais pas mariée avec un maghrébin d’ici j’aurais continué à parler en français
mais heureusement on parle l’arabe et puis j’ai appris des choses déjà / j’ai appris des mots que je
438
Annexes Extraits d’entretiens
ne connaissais pas et ça j’en suis contente /// l’enregistrement / je le trouve étrange c’est étrange
même / donc c’est vrai / c’est bizarre / mine de rien / on se rend pas compte c’est venu
naturellement / c’est vrai naturellement / on essaye de pour se faire comprendre par tous les
moyens avec n’importe quel moyen / si on pouvait faire des signes de la main on le ferait / là on
trouvé l’occasion c’est de parler en français et en arabe / ben on l’a fait et ça marche super bien //
on parle en verlan c’est des codes / on placera des mots en arabe et ça marche super bien /// ouais
on va dire / mais avant l’Algérie c’était la France // mais je me retrouve bien parce que je vis en
France et je sais parler l’arabe quand même je me sens bilingue.
Entretien 2
Kha.F.N-I. 2 : Non-immigrée / 20 ans / née et vit en Algérie (environs de Tlemcen) / 1ère
année universitaire / célibataire /
* Oui ! Effectivement je parle plusieurs langues /je parle un peu l’anglais / l’espagnol / j’ai appris
l’espagnole toute seule // je ne parle pas couramment l’anglais // je l’ai appris à l’école // pour ce
qui est du français / je ne sais pas / je parle que le français / couramment / je peux m’exprimer / je
m’exprime bien je n’ai pas de problèmes // je l’utilise surtout avec maman // on parle souvent en
français chez nous // parce que maman était prof de français // on reçoit également chez nous des
immigrés // ma tante maternelle // mon frère // mon oncle // non on ne parle pas tout le temps en
français mai souvent // disons que j’ai appris le français à la maison // et après à l’école // c’est la
deuxième pour moi après l’arabe // l’arabe parlé / le dialectal // par contre on ne parle jamais
l’arabe classique à la maison / c’est toujours à l’école // c’est la langue des pratiques religieuses /
on est musulmans ça reste notre langue même si on la pratique pas couramment /// le français
représente pour moi /// je parle en français // j’aime la culture française // j’aime bien apprendre
tout ce qui est français / tout ce qui est important // j’aime parler en français quoi // je préfère
parler en français avec ma mère // elle me corrige // à l’université j’utilise le français // les mots et
/// par contre le français est présent partout // j’utilise pas seulement le français hein / j’utilise
aussi beaucoup l’arabe dialectal // Je souhaite que tout le monde emploie le français // le français
c’est bien / on trouve du français dans l’arabe // Même si c’est du français / on l’a arabisé / c’est
devenu arabe / c’est fini … je ne sais pas qu’est-ce que ça donne / c’est indispensable toutes les
langues ont connu cela / il y a beaucoup de mots arabes même du dialecte qui ont pénétré le
français / je parle l’arabe dialectal couramment mais je préfère le français l’arabe classique je le
comprends mais je ne le parle pas bien / j’ai du mal / je l’ai mal appris /// le mélange des deux
c’est bien / mais ma maman me conseille de parler en français mais si je me trompe c’est pas
grave // elle me corrige tout le temps // personnellement je trouve bien le mélange / ça facilite la
communication // premièrement c’est une habitude // deuxièmement ça m’aide dans mes études // je
prépare une licence de français // je pense que les Algériens mélangent beaucoup l’arabe et le
français // non pas seulement ça / c’est aussi le berbère et l’arabe classique // nous les Algériens
nous nous exprimons bien en français / mieux que les autres nations qui sont francophones / on et
le premier pays francophone au monde après les Français // on trouve toutes ces langues // là où
j’habite / les gens parlent beaucoup en français // c’est des gens francisant / et même il y a
beaucoup d’immigrés // ils viennent en permanence // ils parlent eux aussi l’arabe dialectal et le
français // ils nous comprennent et on les comprend aussi // les immigrés sont comme nous ils ont
eux aussi comme nous ils parlent l’arabe et le français / mais ils parlent plus le français / ils sont
bien en français et on est bien en arabe / mais ils nous comprennent et on les comprend ///
439
Annexes Extraits d’entretiens
Entretien 3
Sou.F.N-I. 3 : Non-immigrée / 19 ans / 1ère année universitaire / née et vit en Algérie
(environs de Tlemcen) / célibataire /
* Oui je parle plusieurs langues / je parle le français / un peu l’anglais / et l’espagnol // à l’école
oui / oui // et l’arabe c’est notre langue //l’arabe classique pas tellement // à l’école // pour lire un
livre / voilà // l’anglais est une langue internationale pour moi / on l’utilise et on l’apprend avec
les gens qui parlent cette langue // oui on parle un peu le français à la maison surtout avec ma
sœur / ma maman / maman parle bien le français // oui j’ai appris cette langue à l’école // Le
français c’est une de nos langues que nous parlons / on les mélanges aussi parce qu’on est
francophones et arabophones // avant j’employais des mots // on utilise trop de mots en arabe
quand on parle en français // pour que les gens nous comprennent / on est libre de parler l’arabe à
côté du français / on utilise souvent le français et l’arabe / les commerçants / les jeunes etcetera /
les mots français sont très utilisés / on utilise l’arabe et le français pour que les gens nous
comprennent / même à l’école on utilisait l’arabe et le français / mais il y avait des profs qui ne
voulait pas / oui on utilise beaucoup de mots français / avec les commerçants etcetera / j’estime
que je suis bilingue / même quand on parle l’arabe et on ajoute des mots français // c’est spontané
/ on ne peut pas ne pas mélanger / on utilise souvent les deux langues // oui il nous arrive de parler
uniquement en français oui des fois j’essaye mais pas tellement / mais je comprend bien /
seulement j’ai peur de me tromper / j’ai du mal à communiquer / c’est pour ça que je mélange
l’arabe et le français // oui j’ai mon oncle il vient chaque année pour passer les vacances avec
nous / ils parlent avec nous en français et il parle les deux à la fois // oui il nous parle aussi en
arabe mais il utilise toujours le français // il mélange beaucoup // parfois il est difficile de
communiquer avec les immigrés (...) avec les immigrés ou avec les Français / j’ai l’impression de
parler facilement / je comprend / je suis à l’aise et j’apprends beaucoup // sinon on les comprend
et ils nous comprennent // les immigrés parlent avec accent même en arabe /// on peut dire qu’on
parle plusieurs langues nous les jeunes / on a eu la chance d’être à l’école / il y a la télé / la
situation s’est améliorée on a tout / ce n’est pas comme nous parents / le français les filles
l’utilisent beaucoup même celles qui ne vont plus à l’école elles continuent à le parler // mais
quand on parle en français devant les gens ils nous traitent d’immigrés // et les immigrés on les
considèrent comme des Algériens comme nous certains les traitent comme des français ou
étrangers // même quand ils parent en arabe
Entretien 4
Nas.H.I. 4 : Immigré depuis 15 ans en France / 35 ans / marié deux enfants / conjointe
descendante de l’immigration algérienne / cadre / vit à Paris.
* Le français est pour moi une langue étrangère que j’utilise dans le milieu professionnel / familial
/ je l’utilise régulièrement /// la France est pour moi un pays étranger / un pays d’accueil / de
résidence / la France est un grand pays / c’est une grande civilisation / une grande culture / la
langue française est connue par ses vertus / la France est aussi un pays d’accueil / c’est un pays
qui a / c’est un pays qui a accueillis beaucoup de monde à un moment donné // pratiquement par
rapport à un besoin économique // nous on était plus éjecter par notre pays que autre chose // ce
n’est pas une immigration qu’on a choisi // c’est une immigration un peu obligatoire on va dire /
par rapport à notre cursus / par rapport à nos études / voilà pour moi la France c’est une terre /
c’est une terre d’accueil / il y a le statut de l’immigré qui est reconnu et // respectable /// L’Algérie
après ces années d’immigration / l’Algérie c’est mon pays natal / c’est mon chez- moi / c’est ma
terre // la France est une terre d’accueil // pour mes enfants je ne sais pas ça va être // mais pour
moi c’est un pays étranger // c’est une terre d’immigration /// Chez moi en famille oui ! avec des
440
Annexes Extraits d’entretiens
amis / en arabe /en dialecte algérien // en arabe littéraire non // avec des Français / sauf s’ils ont
des interrogations précises ou des traductions /// Les immigrés de la deuxième et de la troisième
génération ne trouvent pas leur compte aujourd’hui // à part quelques uns // une minorité qui
arrive à s’insérer dans la société // il y a un problème qu’on peut appeler d’intégration /ce genre
de // c’est la vision des Français // mais bon on ne peut pas intégrer quelqu’un c’est pas de
l’assimilation // c’est un problème d’adaptation et un problème de compatibilité // problème
linguistique // problème identitaire etcetera / à mon avis personnel moi je ne suis pas spécialiste
dans le domaine // moi pour moi je pense que c’est plus un problème historique // un problème lié à
la colonisation / je pense qu’on peut voir la différence directement chez les Algériens qui ont
immigré en Angleterre ou aux Etats-Unis et les Algériens qui ont immigré en France // je crois
qu’il y a une grande différence par rapport à l’accueil qui leur est réservé ou à l’intégration de la
deuxième et la troisième génération /// Pour la deuxième génération de France // le français c’est
leur langue maternelle / le français c’est leur langue maternelle // l’arabe c’est leur langue
d’origine on va dire / d’origine de leur parents / c’est pour ça qu’ils restent attachés à cette langue
mais il n’y a pas de règles par ce que nous-mêmes /// voilà c’est une langue familiale // c’est
exactement ça // mais c’est pas // la deuxième et la troisième génération / ils essayent de s’attacher
parce qu’il y a un problème identitaire / parce qu’ils savent eux aussi malgré leur citoyenneté
française qu’ils ne sont pas Français à cent pour cent /// Pour ce qui est du mélange du français
avec l’arabe / je pense qu’ils ont besoin de ça / donc nous déjà première génération bon ça c'est
évident mais eux / ils ont besoin d’une double culture // c’est un équilibre / ils ont une double
culture // et ils sont chez eux nulle part / ils sont pas chez eux là en Algérie et ils sont pas chez eux
là-bas en France /// dans leur façon de parler il y a un problème lié à la // il y a la volonté de se
différencier des Français / parce que les deuxièmes générations / qui veulent parler en français il y
arrivent parce qu’ils ont fait l’école française // c’est une façon de se rebeller / le fait de parler le
verlan le français à l’envers pour sortir des termes / c’est encore encourager par les nouvelles
technologies le SMS, etcetera / ils revendiquent leur différence / c’est des Français musulmans
entre guillemets / pas l’islam religieux / mais l’islam identitaire // ils revendiquent / c’est pas des
Français comme les autres Français / c’est ce qu’ils essayent de faire passer // ça a commencé un
petit peut avec Sarkozy qui a peut être compris un peu leur revendication / mais le problème social
/ les problèmes socioéconomiques persistent // le problème identitaire on en parle déjà / les débats
sont ouverts / les solution je ne sais pas si on va les avoir ou pas /// Oui ! Il m’arrive de mélanger
l’arabe avec le français / chez moi oui ! quand je parle avec ma femme / on parle le dialecte
algérien qui est un mélange de français et d’arabe / et même en Algérie on parle français arabe //
mais au niveau professionnel non ///Je n’est pas de revendication à proprement parler quand
j’utilise l’arabe algérien / pour moi l’arabe nous relie / c’est un point commun avec les gens qui
sont proches de nous / et je me sens pas arabe / parce que pour moi la langue arabe (il se réfère ici
à l’arabe classique) c’est aussi une langue étrangère /// Le fait d’habiter en France / je pense /
forcément // l’appréhension de la langue change / bon ici en parle le français d’une manière // on y
pense pas / on parlait français et puis c’est tout / mais quand on côtoie les Français on sent qu’il y
a quelque chose de fondée / de basée // la langue française pour les Français c’est quelque chose
de très important / quand on parle aux Français il faut faire très attention aux termes / ils sont très
pointilleux et méticuleux / au niveau de l’écriture / de l’orthographe / quand on était en Algérie
c’était une langue et puis c’est tout // un moyen de communication /// En présence d’un Français je
parle rarement en arabe / rarement / ça m’arrive pour des termes / qu’on ne peut pas faire passer
en français // oui mais après en essayant de leur faire comprendre des termes / parce qu’il y a des
termes qu’on ne peut pas traduire / ça m’arrive souvent oui ! // La question pour moi / l’immigré
de la première génération c’est très particulier / parce que c’est lui qui est déraciné / là pour lui /
je pense que c’est lui qui a un problème / il y aura toujours un problème vis-à-vis à la fois de a
langue maternelle / si elle existe / mais aussi sa langue de la terre d’accueil // pour la deuxième
génération / je pense / je ne sais pas quelqu’un de leur /// mais je pense à mon avis les deux
langues // je pense qu’ils les considèrent comme leurs langues maternelles // ils vont les considérer
comme ça / mais l’effort d’apprentissage des deux langues // je pense qu’il est difficile // j’ai des
exemples des personnes de la deuxième génération qui ont réussit d’apprendre l’arabe littéraire //
441
Annexes Extraits d’entretiens
qui sont plus motivés par des raisons religieuses et non par des raisons culturelles ou idéologiques
ou /// Double identité je ne sais pas si on peut avoir deux identités // double terre oui ! // double
culture je pense // double identité je pense pas / je pense que le problème est foncièrement à ce
niveau là / au niveau identitaire / je ne pense pas qu’on puisse avoir deux identités parce que à un
moment donné il faut trancher // nous on prend l’exemple de la première génération où es
Algériens post-indépendance on un problème identitaire on est pas arabes / nous on est pas Arabes
// on est pas Arabes on a été Arabisés / peut l’être le mélange / on est pas arabes // on est Berbères
/ Hispano / c’est un mélange / on a essayé de nous imposer une civilisation arabe qu’on refuse / le
meilleur exemple c’est qu’on ne parle pas l’arabe littéraire // je ne l’ai pas parlé depuis que je suis
sorti de l’école // c’est une langue institutionnelle /// j’ai parlé avec un Egyptien une fois / je parlait
un arabe décortiqué / un mauvais arabe / alors que j’ai fait toutes mes études en arabe // je suis
incapable de faire une phrase correcte en arabe ///
Entretien 5
Moh.H.I. 5 : Immigré depuis dix ans / 34 ans / marié à une descendante de l’immigration /
ouvrier dans le domaine du bâtiment /
* Donc la France c’est mon deuxième pays // où je vis pour le moment / l’Algérie c’est mon
premier pays que j’adore beaucoup /// Je parle les deux / les deux / avec les Français je parle le
français / tu veux dire en France ou en Algérie / en France je parle le français avec les Français /
avec les arabes comme moi / les musulmans / je parle en arabe / mais en Algérie je parle en arabe
/ ce n’est pas nécessaire de parler en français même si beaucoup l’utilisent // ça dépend que ce soit
deuxième ou première ou troisième génération tout ça c’est une question d’éducation /// j’entends
par là des gens qui savent parler / tu vois des gens qui ont un langage bien / Les immigrés parlent
bien le français / de temps en temps les gens qui viennent du bled du Maroc ou d’Algérie / c’est
normal ils ont toujours l’accent de / ils ont l’accent arabe français // bien sûr c’est un mélange /
bien sûr que c’est un mélange / mais ça sert toujours / je trouve leur façon de parler bien / moi je
trouve bien // moi-même je mélange l’arabe et le français de temps en temps / avec les Arabes //
avec les Français je parle très bien le français / j’ai pas d’accent /// c’est bien de mélanger // la
mixité c’est bien // c’est très bien ça // moi je trouve que c’est très bien ///Depuis que je suis en
France ma façon de parler a changé bien sûr / bien sûr parce que j’ai / je vis avec des gens qui
savent très bien parler / je vis avec des gens qui connaissent la politesse / qui connaissent le
respect / je dis pas que dans mon pays il n’y a pas tout ça / ais il y a moins par rapport à là où je
vis // j’ai deux langues / deux cultures / et deux pays / mon pays d’origine qui m’est cher c’est
l’Algérie et un pays où je vis qui vient en deuxième degré / mais c’est normal / parce que je vis et je
compte fonder une famille là-bas et mes enfants / j’ai déjà une petite fille qui est née là-bas / elle a
grandit là-bas / déjà elle est née /// elle a la nationalité française / c’est normal / c’est moi qui vais
lui apprendre l’arabe inchallah // Je parle souvent en arabe avec ma femme à la maison c’est
normal c’est ma langue / comment dire maternelle / ma langue maternelle c’est ça / il m’arrive de
parler souvent en français à la maison parce que ma femme est née là-bas mais pas qu’en français
/ non non toujours mélange français / qu’en français non non il y a toujours français arabe //
Entretien 6
Yas.H.I. 6 : Ayant immigré avec sa famille à l’âge de 3 ans / 19 ans /lycéen / résidant à
Marseille /
* Oui effectivement je parle plusieurs langues / le français l’arabe et l’anglais / oui arabe algérien
// pour l’arabe classique un petit peu / ce n’est pas vraiment une langue de communication pour
moi // chez moi en France je parle l’arabe courant / algérien / celui que vous parlez en Algérie / je
442
Annexes Extraits d’entretiens
le parle avec ma mère / mon père / avec mes frères et sœurs je ne parle qu’en français / l’arabe
algérien je l’ai appris à la maison et un peu dans la rue / oui oui en France / comme mes parents
parlent en arabe etcetera // à l’école les français et l’anglais aussi dans la rue c’est courant on
apprend beaucoup // l’arabe c’est surtout à travers le voyage entre la France et l’Algérie / pour
moi l’arabe c’est une langue étrangère / enfin / d’un côté oui d’un côté non / moi je me sens plus
Algérien que Français / je parle l’arabe dialectal et le français // pour l’anglais c’est plus une
langue étrangère // je l’utilise jamais en dehors de la classe // je m’exprime plus souvent en
français suivi de l’arabe suivit de l’anglais / j’ai oublié une langue c’est l’espagnol que je suis
entrain d’apprendre / le français c’est la langue du quotidien / le français de l’école est différent
de celui de la rue / il y a des mots inventés c’est chellou c’est louche / il y a d’autres mots qui sont
inventés // le français des Français et le français des immigrés n’est pas le même / du côté de la
prononciation et du mélange / un petit peu de l’arabe et du français // ils connaissent pas bien le
français / oui les immigrés / c’est dû à l’origine sociale / les immigrés ont une façon de parler
différente de celle des Français ///quand j’utilise l’arabe c’est surtout des petites phrases et des
mots / des fois je parle l’arabe pour expliquer / souvent pour expliquer / il y en a beaucoup qui
sortent des mots arabes / je pense que ça c’est normal /// j’ai remarqué qu’on nous désignent
d’immigrés alors qu’on est dans notre pays et il y a des gens qui se moquent de nous / oui à cause
de notre accent d’immigré
Entretien 7
Abdel.H.I. 7 : Immigré en France depuis dix ans / 36 ans / marié à une descendante de
l’immigration / père d’une fille de 7ans / gérant dans une boite au sein de l’aéroport /
* Je suis résident en France depuis quatre vingt dix huit / bein je suis parti pour un court séjours
finalement je suis resté // ça fait dix ans que je suis en France / la France c’est pays comme les
autres / donc mon destin m’a amené vers la France / donc je suis resté et j’ai travaillé // la France
c’est un terre d’accueil et de résidence pour moi / l’Algérie c’est ma patri mon pays donc là c’est
où je suis né / j’ai grandi / j’ai ma famille et tout //o ui ! je parle les deux / l’arabe algérien bien /
le français bien // je parle / quelques notions en espagnol et un petit peu l’anglais / oui ! il m’arrive
de parler l’arabe algérien en France avec mes amis arabes / Algériens / Tunisiens / Marocains / en
famille oui ! avec mon enfant // les Algériens d’Algérie c’est mes frères // les immigrés de la
deuxième et de la troisième génération aussi / c’est les descendants des premiers travailleurs qui
sont arrivés en France // ouais parce qu’ils ont un petit peu un problème de culture / donc ils
savent pas où se mettre // ils ont une double culture / ils ont un petit peu de l’ignorance par rapport
à la langue arabe // ils parlent plus le français que l’arabe /// l’arabe ils ne le parlent qu’avec
leurs parents /// l’arabe algérien est différent du notre // il y a du mélange dans la culture
algérienne // comme de l’este ou de l’ouest ou du sud / il y a un mélange de langues aussi / ils
mélangent pour se faire comprendre /// moi aussi de temps en temps je mélange parce que le
dialecte algérien / il y plein de mots en français // ici en Algérien je pratique le mélange avec tout
le monde / tous les Algériens et là-bas avec les Arabes d’Algérie // la façon de parler / ben non je
ne pense pas que / vaut mieux parler l’arabe bien et le français bien / parce que le mélange / on se
retrouve pas / on est un petit peu loin de ça / le mélange facilite la tâche parce qu’on se comprend
mieux / il y a une compréhension / mais de préférence / le fait qu’ils ont pas la notion d l’arabe
littéraire / donc ils préfèrent l’arabe algérien // ouais je la pratique (l’arabe classique) à condition
que la personne en face peut comprendre / donc mon quotidien je l’utilise pas / non à part la prière
// en parlant l’arabe dialectal je mélange forcément les deux langues // mais en parlant le français
/ je ne peux pas parler l’arabe en même temps avec le français / avec les Français je ne parle
qu’en français // oui ! depuis que je suis en France donc j’articule mieux et j’ai plus une aisance
dans le dialogue // le mélange / je pense que ça c’est culturelle donc ça c’est ancré depuis des
décennies donc depuis le colonialisme français et la France nous a pas aidés pour rester Arabes
pendant la colonisation / en parlant la langue arabe avec les immigrés de la deuxième de la
443
Annexes Extraits d’entretiens
deuxième ou la troisième génération / ils se sentent mieux / ils ressentent qu’ils appartiennent à
cette culture arabo-musulmane ou arabe / donc le fait qu’ils comprennent l’arabe / la culture pour
eux elle est un petit peu étrangère // en Algérie ils sont pas mieux qu’en France // en France on dit
qu’ils sont pas Français en Algérie on dit qu’ils sont pas Algériens // vaut mieux que les enfants
d’immigrés aient des structures qui leurs enseignent la langue arabe / parce qu’ils se sentent mieux
dans leur peau et dans leur culture // moi j’ai pas de problèmes parce que je comprend l’arabe et
je me retrouve mieux dans la langue arabe // oui ! je suis bien intégré dan la société française je
participe au développement de ce pays et à l’économie / je me sent bien mais j’ai toujours des
attaches avec mon pays et j’aimerais développer mon savoir en Algérie // je donne à la France //
c’est normal parce que j’ai mes devoirs et j’ai mes droits // donc la France a profité de moi et moi
je profite de la France donc c’est vice versa / la France c’est pays développé / t’a plus
d’opportunités qu’en Algérie parce que l’Algérie t’a des obstacles / tu te retrouve pas dans cet
environnement /
Entretien 8
Mir.F.I-I. 8 : Descendante de l’immigration / 28 ans / vivant à Lyon / ayant vécu quelques
années en Algérie après le retour définit des parents / vit à Lyon de puis dix ans / titulaire
d’un bac littéraire / s’occupe de personnes âgées dans une maison de retraite /
* Je parle deux langues couramment / ça dépend le français et l’arabe maghrébin / ben je parle le
français quand je suis avec les Français / ah oui avec les français je ne parle que le français mais
quand je suis avec les Maghrébins c’est vrai je mélange les deux / ah je trouve très bien / parce que
j’avais deux langues à la naissance l’arabe et le français étant donné que ma mère est une
immigrées / j’ai pas eu des problèmes / je parlait déjà les deux langues quand j’étais en Algérie /
j’ai deux langues maternelles en fait / non j’ai pas eu de problèmes pour apprendre le français
parce que je l’ai apprise étant petite / j’ai toujours parler français et j’ai toujours parler arabe /
donc je parle souvent en français étant donné que je suis en France et en plus cela fait dix ans que
je suis revenu en France maintenant / j’ai tendance à parler plus le français qu’autrefois quand
j’étais en Algérie / déjà quand j’étais en Algérie je parlait français car je l’ai apprise toute petite
parce que j’entendait ma mère parler en français mes sœurs mes grandes sœurs voilà toute la
famille parlait français donc / en fait ba yahder chouiyya (mon père parle un peu) en français mais
il comprend en fait /en fait il comprend tout mais il parle bel çarbiyya (en arabe) ma mère elle
parle bien bien le français c’est vrai çachet fel bled (elle a vécu au bled) c’est vrai qu’elle parle
plus en arabe mais quand elle a l’occasion de parler avec moi ou avec mes sœurs elle s’empêche
pas quoi c’est un plaisir pour elle en fait / Hna (nous) on gueule en arabe et on dit merci en
français / mais il y a des mots qui ne trompent pas / quand on rencontre quelqu’un dire wah (oui)
ou avec le cha l’accent de Ghazaouet moi je reconnais / moi j’ai un accent en français et en arabe
/ je parle comme SHab (les gens de) Ghazaouet et je parle le français comme SHab (les gens de)
Lyon c’est des bourgeois yahadrou baHadhoum (ils parlent entre eux) les Français yahadrou (ils
parlent) le langage taçhoum (leur propre) propre à eux moi je parle un langage mélangé
Maghrébin et français / en fait une langue ça se travaille et moi je pense nous à notre niveau les
immigrés ou les jeunes beurs entre guillemets ceux qui sont nés en France on participe à notre
manière pour faire évoluer la langue française / on fait renter des mots qui n’existent pas exemple
les mots maboul toubib / oui on participe à notre manière à faire évoluer le français / les Français
ils disent pas tu pars au bled // par rapport à mes frères j’utilise beaucoup la langue du pays / je la
parle pas couramment mais j’emploie des petites phrases / je réponds à mes parents / ici au bled
j’essaye de parler en arabe / enfin j’utilise les deux / en France les jeunes parlent les deux / on a
pas appris l’arabe à l’école / c’est la famille et les vacances ici /// les gens du bled yadahkou çlina
(ils se moquent de nous) ils disent les immigrés // à cause de notre accent // c’est vrai on a un
accent //
444
Annexes Extraits d’entretiens
Entretien 9
Lam.F.I-I. 9 : Descendante de l’immigration / 20 ans célibataire / vit à Perpignan /
diplôme de formation professionnelle en rééducation /
* Je suis née en France / je me considère comme descendante de l’immigration parce que mes
parents ont émigrés en France en 1989 / c’est une question difficile je me considère comme
Algérienne ou comme Algérienne et Française voilà / donc la France c’est quand même mon pays
natal où je suis née / en Algérie on à tout / ça représente la famille mes grands-parents c’est tout
ça / le fait d’être né en France tout change / on peut dire qu’on a deux cultures et on est moitié
Français moitié Algériens / on a le patrimoine algérien et le patrimoine français et le passé
algérien et le passé des Français / bon le français c’est ma langue courante mais l’algérien je le
parle peu / je parle également un peu d’espagnol / mais c’est très rare de parler l’arabe algérien
en France / je le comprend bien mais j’ai du mal à le parler / les immigrés les personnes qui sont
allés pour chercher du travail ils parlent différemment / les descendants de l’immigration ils ont
pas choisi d’émigrer / alors les descendants de l’immigration ils parlent les deux et les immigrés
ça dépend des générations de leur formation et de la durée qu’ils ont passé en France /
personnellement j’ai des cousins qui ont faits des études ils sont médecins / ils parlent bien le
français comme les Français / les immigrés en France / bon il y en a qui pratiquent le français
dans le cadre familial / à la maison on mélange le français et l’arabe ici en Algérie j’entends
partout les gens parler en français en arabe dialectal / ils mélangent beaucoup / il y a certains
mots qui ne sont utilisés qu’en français d’autres qu’en arabe/ il m’arrive aussi d’utiliser des mots
arabes pour me faire comprendre surtout ça / il y a des mots que j’utilise nécessairement en arabe
/ quand j’arrive en Algérie ma façon de parler l’arabe s’améliore surtout la compréhension / je
comprends de mieux en mieux / les immigrés quant à eux ils mélangent le français avec de l’arabe /
ils pratiquent l’argot et le verlan aussi / surtout l’argot et le verlan / ça ne dérange pas les jeunes
parce qu’ils le comprennent / mais les autres générations ça les gêne parce qu’ils ne le
comprennent pas / surtout devant les Français c’est gênant / les immigrés algériens mélangent
beaucoup l’arabe et le français parce que pour les parents c’est indispensable de parler en arabe à
la maison / nous malheureusement comme mon frère ma sœur on se parle qu’on français et nos
parents nous parlaient qu’en français / parfois on aimerait bien communiquer qu’en arabe
justement parce que quand on vient ici on arrive pas à communiquer avec la famille avec les
grands-parents qui ne parlent pas du tout en français / ça dérange c’est gênant / nos parents
avaient peur de la ségrégation / ils avaient peur aussi qu’on ne parle qu’en arabe et qu’on ne parle
pas en français.
Entretien 10
Ama.F.N-I. 10. : Non-immigrée / 33 ans / mariée sans enfants / niveau d’instruction 9ème
année fondamentale /couturière de formation /
* Je parle couramment l’arabe dialectal je parle parfois en français et je connais l’arabe classique
que j’ai appris à l’école // je comprend bien mais je ne le parle pas / je lis les journaux en arabe
classique / j’utilise cette langue pour les prières /// sinon je crois qu’elle n’est pas pratiquée
couramment par les Algériens // c’est la langue du Coran et de tous les musulmans on l’entend
surtout à la radio et à la télé // le français je le parle pas toujours / il est toujours présent / j’hésite
beaucoup / j’ai peur parfois / et je suis / nKhaf naghlet (j’ai peur de me tromper) / j’ai appris cette
langue à l’école tout le monde l’utilise / mes frères et ma sœur parlent aussi le français / il faut
dire que j’utilise beaucoup de mots en français / kamel ennas yahadrou hakda (tout le monde
parle comme ça) / oui c’est le mélange des deux / kayen (il y a) des mots naharouhoum ghil
belfrançais (qu’on utilise qu’en français) toualefna hakda (on s’est habitué) /// Depuis mon jeune
âge je parle l’arabe et le français / parfois je n’ai pas le choix / même quand je parle en arabe
445
Annexes Extraits d’entretiens
dialectal j’emploie des expressions et des mots du français c’est une habitude / ce n’est pas grave /
l’essentiel je comprends et ils me comprennent quand je parle avec les personnes qui parlent
beaucoup le français / j’apprend et je parle sans avoir honte // je connaissait aussi l’anglais que
j’ai oublié je me souviens de quelques mots et c’est tout / quand quelqu’un me parle en français je
répond en français et même en arabe / je comprend très bien mais parfois j’ai du mal à parler ///
Ça dépend avec qui on emploie les deux langues / les gens ne font pas la différence entre l’arabe de
l’école et l’arabe dialectal / quand on sait pas parler une langue / on choisi la plus facile / la plus
utilisée et on abandonne l’autre moi j’aimerais bien parler en français mais puisque je ne sais pas
le faire / je préfère l’arabe dialectal / même l’arabe de l’école je ne le maîtrise pas bien et je ne
l’emploie pas toujours /// j’ai des cousins et des cousines immigrés quand ils me parlent je les
comprend et eux aussi ils comprennent lçabiyya (l’arabe) // on mélange les deux c’est bien / hakda
(comme ça) on comprend bien // quand j’ai écouté les enregistrement chet belli kunna nahadrou
wnetfahmou ghaya (j’ai vu qu’on était entrain de parler et on se comprenait bien)
Entretien 11
Sam.H.I-I. 11. Descendant de l’immigration / 36 ans / célibataire / résident en Algérie
depuis quelque temps / imprimeur /
* Je suis né à Lyon / je suis en Algérie pour une période indéterminée / je venais en Algérie pour
des vacances surtout durant les années quatre vingt / je venais presque tous les ans / je parle le
français bien sûr, l’anglais et l’allemand je le parle quand l’occasion se présente et aussi un peu
d’italien / et l’arabe forcément je le parle couramment / je parle aussi couramment le français à 90
% que ce soit ici en Algérie ou en France / mais maintenant comme je suis en Algérie j’utilise
beaucoup l’arabe mais aussi le français avec les gens qui le comprennent / je mélange aussi les
deux selon les circonstances / voilà / j’ai eu le privilège de cette double culture / lorsque je suis
venu au monde j’ai appris à parler les deux langues mais c’était d’abord la langue arabe du fait
que mes parents parlaient l’arabe dans le foyer et partout et surtout lors de mes vacances en
Algérie / puis on parlait un peu de français / mais c’est surtout à l’école que j’ai appris à bien
parler cette langue / ce qui m’a permis d’être bilingue // personnellement j’essaye de m’adapter
aux conditions / j’essaye dans la mesure du possible de parler le français ou l’arabe selon les
individus / il est très important de respecter l’environnement social où on se trouve / on doit parler
la langue que tout le monde parle / que ce soit en Algérie ou en France / il faut faire un petit peu
comme le caméléon s’adapter à toutes les couleurs / donc je m’adapte parfaitement bien et je suis
bien dans ma peau / je n’ai aucun problème pour m’exprimer dans l’une ou l’autre langue / mes
parlent le français mais ils ont pas beaucoup d’occasion de l’appendre comme nous / ils ne le
parle pas bien / ils comprennent très bien mais ils ont du mal à s’exprimer des fois / leur langue
maternelle c’est l’arabe / nous nous avons les deux // oui ici en Algérie il y a plein de gens qui
parlent bien le français c’est la deuxième langue / même ceux qui la parlent pas couramment ils la
comprennent / c’est vrai beaucoup d’Algériens mélangent les deux et je trouve ça bien parce que
ça facilite la communication / les immigrés eux aussi les deux mais c’est pas comme les gens d’ici /
moi aussi je mélange / oui ma façon de parler a un petit peu changé parce que j’utilise souvent
l’arabe et je mélange avec le français c’est plus fort que moi c’est comme ça et c’est normal je
trouve / ma façon de parler l’arabe oui elle est un peu différente / au niveau de l’accent / je me
reconnais / et bien il y a quelque chose d’humoristique que je reçois à travers ma manière de
m’exprimer en arabe devant mes collègues de travail je suis identifié comme quelqu’un de différent
/ ils m’identifient à un étranger / je comprend de moi-même que mon arabe ne ressemble pas
quelqu’un d’ici / ana el hadra taçi çarbiyya (moi ma façon de parler l’arabe /nahdar nefhem (je
parle et je comprend) / quelques fois je suis reconnu du fait que je sois immigré et on pas
quelqu’un d’ici / moi je ne fais pas attention à cela je le fais spontanément même quand je parle les
deux u seulement en français //
446
Annexes Extraits d’entretiens
Entretien 12
Nad.H.N-I. 12 : Non-immigré / 32 ans / célibataire / licence en sciences économiques /
banquier /
* Je parle deux langue couramment / l’arabe et le français / c’est plutôt le dialecte / l’arabe
classique je le parle pas souvent / je l’utilise de temps en temps pour ne pas oublier certains mots /
mais je ne le pratique pas // après le dialecte je pratique souvent le français avec mes collègues et
surtout avec les Kabyles / c’est une langue qu’on utilise beaucoup dans notre travail que ce soit
avec les clients ou avec les collègues // parfois kich n’Oulek (comment te dire) dans certaines
discussions où on ne pas se comprendre on utilise le français / avec les Kabyles ou avec les non
kabyles / parce que les Kabyles ne comprennent pas tout ce qu’on dit en arabe et les non kabyle il y
a toujours des choses qu’on peut dire qu’en français // automatiquement pour se faire comprendre
on utilise le français // mais généralement nous les Algériens on utilise beaucoup le dialecte et le
français / des fois on commence une phrase en français et on la termine en arabe ou le contraire /
mais parfois on trouve plus de français que de l’arabe / moi aussi je parle les deux langues en
même temps // d’ailleurs c’est le cas de beaucoup d’Algériens / c’est naturel / parce que les
Algérien maîtrisent les deux langues on est bilingues / on apprend toujours / à travers les
informations / les films / les amis / et oui à travers les immigrés aussi oui c’est vrai / le rôle taç
(de) la langue française kima qal el waHad (comme on dit) est en train de s’imposer // je trouve
que c’est bien / on utilise les deux langues pour faire passer le message / ça c’est bien / je passe
souvent au français pour faire passer mon message / il y a des gens qui ne comprennent pas bien
tous ce qu’on dit / avec les filles ou les femmes en général c’est toujours le français même quand
c’est des mots // pour moi le français c’est une langue kouma n’Oulou Hna (comme on dit) c’est
une langue douce / tellement elle est vivante qu’on peut faire passer le message en restant galant //
Le français est une langue qui a une valeur importante pour travailler si tu maîtrises le français tu
es bien vu / on te considère bien compétent // avec les gens aussi / si tu parle français tu es bien vu
/ avec les fille le français c’est quelque chose bien / avec une fille si tu parles mal le français c’est
dévalorisant et c’est vexant /// pour les immigrés nés en France l’arabe est la deuxième langue /
c’est à peu près comme le français pour nous les Algériens / c’est très difficile pour certains
d’entre eux d’apprendre et de parler l’arabe / surtout si dans leur famille personne ne la parle / à
mon avis ils apprennent beaucoup quand ils viennent en Algérie pour passer les vacances / j’ai
déjà vu ça avec mes cousines qui parlent bien le français / mais pour l’arabe elles utilisent des
mots des petites phrases / elles comprennent bien mais elles ont du mal à parler qu’en arabe / j’ai
vu d’autres immigrés qui parlent les deux langues / ils sont pas différents des Algériens en ce qui
concerne la maîtrise des deux langues certes ils parlent bien le français car c’est leur première
langue / les immigrés ont un accent / ils parlent un français vulgaire / ce n’est pas un français
comme celui des français / le vrai français ils ne le parlent pas / le vrai français c’est ce qu’on
entend à la télévision /// comme je l’ai dit les immigrés mélangent les deux langues comme nous /
moi je n’aime pas trop leur façon de parler hadra taç (le parler des) les immigrés
manaHmalhoumch (je ne les supporte pas) ///
447
______________________________________________________
BABASSI, O. 294.
BACHMAN, C., LINDENFELD, J & SIMONIN, J. 305.
BANGE, P. 112, 115, 135, 137, 138, 140.
BARONTINI, A. 84.
BAUTIER, E. 310.
BENMOUSSA, S. & REHIOUI, Z. 8.
BENMOUSSAT, B. & ALI-BENCHERIF, M.Z. 274.
BENRABAH, M. 60, 62.
BERGER, E. 343.
BERHRENT, S. 134, 305.
BENSALAH, A. 15, 283, 303, 347.
BENVENISTE, E. 296.
BERRIER, A. 149, 152.
BERTHOUD, A.-C. & MONDADA, L. 318, 319.
BILLIEZ, J. 14, 15, 41, 57, 65, 66, 67, 70, 71, 76, 81, 106, 124, 186, 222, 223, 240, 294.
BILLIEZ, J. & MERABTI, N. 88.
BILLIEZ, J. & KADI, L. 62.
BILLIEZ, J. et al.,. 68, 76, 81, 222, 223, 277, 297.
BILLIEZ, J. & MILLET, A. 56, 57.
BILLIEZ, J. & TRIMAILLE, C. 66.
BILLIEZ, J. & LAMBERT, P. 76, 106, 276.
BLANCHE-BENVENISTE C. & JEANJEAN, C. 30.
BLANCHET, A. & GOTMAN, A. 25.
BLANCHET, P. 21, 23, 24, 57.
BLOM, J-P. & GUMPERZ, JJ. 171, 172, 186, 276.
BOGAARD, P. 159.
BOUCHERIT, A. 15, 60, 126, 241, 250, 260.
BOUTET, J. & DEPREZ, Ch. 69.
BOUTET, J. & HELLER, M. 42.
BOYER, H. 69, 229, 178, 297.
BROWN, R. 175.
BRUNER, J. 114, 115.
BURGER, M. 293.
448
Index des auteurs
DABÈNE, L. & BILLIEZ, J. 10, 11, 15, 49, 51, 52, 53, 57, 66, 67, 68, 69, 75, 76,
81, 123, 145, 176, 186, 188, 240, 250, 291, 294.
DABÈNE, L. (1987). 15, 52, 57, 65, 67, 106, 145, 170, 186, 240, 244, 246, 251, 254.
DAUSENDSCHÖN-GAY, U & KRAFFT, U. 148.
DAUSENDSCHÖN-GAY, U. 128.
DE HEREDIA-DEPREZ, Ch. 66.
DE HEREDIA, Ch. 301.
DE NUCHÈZE, V. 283.
DE PIETRO, J-F. 113, 119, 120, 121, 128, 145.
DE PIETRO, J-F. MATTHEY, M. & PY, B. 135, 145, 157.
DEPREZ, CH. 15, 21, 22, 24, 68, 69, 70, 71, 72, 81, 88, 298.
DERRADJI, Y. 102.
DESPOIS, J. 59.
DOURARI, A. 63.
DUBOIS, J. et al.,. 262.
DUCROT, O. 283.
ELIMAM, A. 62.
ENCREVÉ, P. 42.
GAJO, L. 321.
GAJO, L. & MONDADA. L. 125.
GARDNER-CHLOROS, P. 283
GHIMENTON, A. 176.
GILES, H. et al.,. 47, 172, 173, 174, 23.
GRANDGUILLAUME, G. 15, 60.
GRANOTIER, B. 64.
GRICE, P. 311, 318.
GOFFMAN, E. 126, 131, 157, 236, 281, 286, 308, 309, 311.
GOMBERT, J-E. 160.
GROSJEAN, F. 44, 47, 53, 113, 118, 173, 174, 235, 239, 276.
GÜLICH, E. 186.
GUMPERZ, J-J. 10, 41, 44, 46, 47, 48, 49, 50, 51,
71, 171, 251, 268, 277, 291, 293, 303, 304, 306, 309, 330.
449
Index des auteurs
HAGÈGE, C. 301.
HAMERS, J-F. & BLANC, M. 171, 173, 174, 179, 246, 250.
HELLER, M. 23.
HELOT, Ch. 66, 67.
HOUDEBINE-GRAVAUD, A-M. 294.
HYMES, D. H. 41, 117, 168.
JODELET, D. 56.
JOCELYNE FERNANDEZ, M-M. 291.
KADI, L. 61.
KAHLOUCHE, R. 9.
KARA-ATTIKA, Y. 5, 254.
KERBRAT-ORECCHIONI, C. 228, 232, 235, 280, 281, 303, 314, 316, 327, 328, 332.
KHALFOUNE, T. 59.
KLEIN, W. 115.
KRASHEN, S.D. 115.
MANZANO, F. 62.
MANÇO, A.A,. 66.
MARCELLESI, J-B. & GARDIN, B. 42, 297.
MARTEL, A. 148.
MATTHEY, M.. 44, 112.
MATTHEY, M. & De PIETRO, J-F. 128.
MÉLA, V. 69.
MELLIANI, F. 15, 59, 126, 256, 268, 273, 282, 297.
MILIANI, M. 61
MILIANI, H. 134.
MERABTI, N. 15, 69,70, 123, 220.
MOATASSIME, A. 61.
MOESCHLER, J. 240, 249.
MOESCHLER, J. & REBOUL, A. 332.
MOHAMMED, A. 294.
MOIRAND, S. 168.
MOLINER, P. 56.
MOLINIE, 24.
MONDADA, L. 24, 130, 147, 247, 296, 303, 304, 306, 349.
MOORE, D. 137, 186.
MORSLY, D. 90.
MOSCOVICI, S. 56.
MYERS-SCOTTON, C. 10, 46, 47, 53, 137, 226, 227, 228, 241, 262.
MUCCHIELLI, A. 22.
450
Index des auteurs
PEKAREK, S. 308.
POPLACK, S. 10, 11, 46, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 179, 186, 226, 240, 241, 253, 257, 262, 277.
PORQUIER, R. 116, 117, 118, 127, 142.
PORQUIER, R. & PY, B. 112, 119.
PUJOL-BERCHÉ, M. 119.
PY, B. 124, 128, 130, 137, 186, 141, 142, 143, 147, 157, 167.
SAILLARD, C. 172.
SANKOFF, D. & POPLACK, S. 46, 226.
SAUVAGE, J. 111.
SEBAA, R. 62.
SCHEGLOFF, E.A. 319.
SCHEGLOFF, E.A. & SACKS, H. 281.
SECOND, L. 124.
SAYAD, A. 64.
ZABOOT, T. 15.
ZIAMARI, K. 260
ZONGO, B. 45, 46, 53, 249, 277, 278.
451
Résumé :
Dans la présente étude, nous décrivons et analysons les pratiques langagières de trois locutrices
algériennes immigrée/non-immigrées dans un cadre familial en Algérie. Nous partons d’une
analyse macrosociolinguistique afin de comprendre les attitudes, les représentations et la
conscience linguistique quant à l’emploi de l’arabe dialectal et du français chez les locuteurs
immigrés/non-immigrés. Les résultats de l’analyse quantitative nous servent d’indices pour
appréhender l’intensification de l’emploi alternatif des deux langues dans les conversations des
trois locutrices observées en milieu familial. Par ailleurs, l’articulation des deux approches, macro
et micro, nous permet de mettre en valeurs les fonctions que revêt l’alternance codique aussi bien
dans le discours épilinguistique des locuteurs que dans leurs pratiques langagières réelles. L’étude
montre également que l’alternance codique est une façon de parler, qui contribue chez nos
locutrices, d’une part au développement du répertoire verbal en interaction et amène à une
convergence codique. D’autre part, elle remplit plusieurs fonctions en tant que stratégie stylistique
et fonctionne comme une ressource permettant de réguler les tours de parole en interaction.
:ملخص
ﱢ
غير مغتربات في إطارنقوم في ھذه الدراسة بوصف و تحليل الممارسات اللسانية لثالث متكلمات جزائريات مغتربات
ونحن ننطلق في ھذه الدراسة من تحليل سوسيولساني كلي قصد فھم المواقف و التمثالت و الوعي اللساني.عائلي في الجزائر
َ و تشكل نتائج التحليل الكمي قرائن.غير المغتربينالخاص باستعمال العربية الدارجة و اللغة الفرنسية عند المتكلمين المغتربين
يُمكننا، من جھة أخرى.لرصد مقدار االستعمال المتعاقِب للغتين في محادثات بين المتكلمات الثالث المدروسات في إطار عائلي
تمفصل المقاربتين )المقاربة الجزئية و المقاربة الكلية( من تقويم الوظائف التي َيلعبھا التناوب واالختياراللغوي في الخطاب
توضح الدراسة أيضا أن التناوب اللغوي ھو شكل كالمي يم ﱢكن المتكلمات من.الواصف للغة كما في الممارسات اللسانية الفعلية
كما أنھا تُحقِق مجموعة من الوظائف باعتبارھا استراتيجية أسلوبية.توسيع قاموسھن اللغوي من جھة و تحقيق تقارب بينھن
.تشتعل باعتبارھا مصدرا يم ﱢكن من تنظيم األفعال الكالمية في إطار تفاعلي
: كلمات المفتاحية
محادثات مزدوجة اللغة- غير المغتربينالمتكلمين المغتربين- االختياراللغوي- التناوب اللغوي
In the following study, we describe and analyse the language practices of three Algerian
immigrant/non-immigrant speakers within a familial context in Algeria. The analysis is macro
linguistics in order to understand the linguistics attitudes, representations, and conscience, as fat as
the dialectal Arabic and French are used by these speakers. The results of the quantitative analysis
will help us to apprehend the intensification of the alternative use of the two languages during the
three speakers’ conversations, generated in a familial context. On the other hand the use of the
micro-and macro-approaches, will help us to emphasis the functions of code switching whether in
the speakers’ epilinguistic discourse or in their real language practices.
The study show, as well, that code switching is a way of speaking, that contribute, on one had, in
the speaker’s verbal repertoire development in interaction and lead to a code convergence, and on
the other hand, fill many functions as stylistics strategy, and work as resource that allows turn
taking regulation during interaction.