ACT La Therapie D Acceptation Et D Engagement en Pratique
ACT La Therapie D Acceptation Et D Engagement en Pratique
ACT La Therapie D Acceptation Et D Engagement en Pratique
et d’engagement en pratique
Chez le même éditeur
Du même auteur
La thérapie d’acceptation et d’engagement. ACT, par J.-L. Monestès et M. Villatte,
2011, 224 pages.
ACT – la thérapie
d’acceptation
et d’engagement en pratique
Coordonné par Jean-Louis Monestès
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I Ouvert
1 Marie engloutit ses ressentis (Paula Izquierdo) . . . . . . . . . . . . . . 3
Demande thérapeutique et processus ciblés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
L’observation, prérequis à l’acceptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Désespoir créatif : « Quel que soit le ressenti, la solution
n’est pas dans le frigo. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Acceptation : « Bienvenue ressentis » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Défusion : « Ne plus être prisonnière de ses pensées » . . . . . . . . . . . 14
Du symptôme au processus : « De l’hyperphagie à ce qui compte
dans sa vie. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
2 La défusion en trois étapes : observer, analyser l’eficacité,
accroître la lexibilité (Matthieu Villatte) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Viser l’observation et la pensée pragmatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Renforcer observation et pensée pragmatique par la prise
de perspective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Accroître la lexibilité comportementale vis-à-vis des pensées . . . . . . 29
3 Virginie a peur de perdre le contrôle de ses sphincters
(Nathalie Girard-Dephanix) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Un début de thérapie en TCC « classique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
En transition vers l’ACT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
La transition vers l’ACT pour le thérapeute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
4 Érika prend ses pensées pour des vérités (Frédérick Dionne,
Maude Lafond, Isabelle Rose) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
La peur de vomir d’Érika . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Conceptualisation du problème d’Érika . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
Démarche thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
II Attentif
5 Épuisée, Julia ne se reconnaît plus (Claire-Marie Best) . . . . . . . 59
Premier contact et anamnèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Analyse fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Déroulement de la thérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
6 L’alchimie du moment présent (Claude Penet) . . . . . . . . . . . . . 71
Les dificultés de Jérémie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Processus de l’entretien focalisé sur le moment présent . . . . . . . . . . 73
XII
III Engagé
10 Julien : une vie entre parenthèses (Cécile Rossignol-Garcia) . . . . 135
Les dificultés de Julien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
« Ma vie peut démarrer » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
11 Valérie grignote ses valeurs (Hervé Montes). . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Des valeurs sacriiées ou délaissées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Analyse des dificultés de Valérie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Plan thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
Déinir les valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Effectuer des choix en fonction de ses valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Reconnaître ses valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Arrêter de grignoter ses valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
12 Agir sur sa vie, pas sur ses envies (François Delahaye,
Yoann Vasnier) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Convoquer les valeurs pour motiver l’arrêt du tabac . . . . . . . . . . . . 165
Déclencher l’engagement vers l’arrêt du tabac . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Paula Izquierdo
Dans sa vie de couple, elle fait tout pour devancer les attentes de son
conjoint de peur de ne plus être aimée et de se retrouver seule. Elle exige
aussi souvent que son conjoint anticipe ses besoins. Au travail ou en
famille, elle s’investit énormément pour ne pas décevoir ses supérieurs ou
ses parents, ce qui lui prend une énergie considérable car elle est souvent
stressée pour réussir (« Il faut réussir dans la vie » ; « Je ne dois pas déce-
voir » ; « On peut toujours faire mieux » ; « Ce n’est jamais assez »). Avec ses
amis, Marie essaie à tout prix de se montrer cultivée, à l’écoute et drôle. Elle
se culpabilise si elle considère qu’elle ne l’a pas été assez (« Je ne supporte
pas d’être jugée » ; « C’est important de plaire aux autres »).
Marie semble piégée entre ce qu’elle « devrait » penser, ressentir… et ce
qui « est », ce qu’elle pense (« Je ne vais pas y arriver » ; « Je suis incompé-
tente » ; « Je me sens seule » ; « Je ne suis pas intéressante »). Elle investit
beaucoup d’énergie à chasser ces pensées. Elle est dans la lutte. En guise
de stratégie d’échappement à l’anxiété créée par ses pensées, elle recourt
à des crises d’hyperphagie, à des vomissements, mais également à d’autres
stratégies d’évitement telles qu’allumer systématiquement la télévision dès
qu’elle rentre à la maison, fumer, s’isoler ou s’obliger à être dans l’action
pour s’évader, pour penser à autre chose.
Marie éprouve une énorme dificulté à être en contact avec ses expé-
riences, à identiier et exprimer ses ressentis. Elle adhère à beaucoup de
croyances familiales qui guident ses choix. Marie vit dans une forme de sou-
mission quasi permanente aux croyances familiales, ce qui l’éloigne de
ses propres valeurs.
Marie a des dificultés à décrire ce qu’elle veut dans la vie autrement que
par l’absence de mal-être, ce qui démontre la nécessité d’un travail autour
des valeurs. En imaginant l’absence de pensées et d’émotions dificiles, la
patiente anticipe les changements suivants : elle se montrerait moins colé-
rique, plus affective, coniante et tolérante avec son conjoint ; elle n’aurait
pas l’impression de constamment décevoir ses proches et collègues de tra-
vail ; elle ne serait pas aussi affectée par les discours et opinions des autres et
s’autoriserait à dire non et à mettre des limites. Elle proiterait des moments
où elle est seule à la maison pour faire ce dont elle a envie, sans attendre
l’arrivée de son mari ; elle reprendrait une activité sportive.
affectueuse avec lui. Marie identiie également des coûts inanciers, car
elle peut dépenser des sommes considérables dans la nourriture, et psy-
chologiques, car vomir renforce son impression de perte de contrôle et la
fait se sentir « encore plus moche ».
suis mal à l’aise, c’est que le malaise doit être évité »). Je décide donc de
poursuivre l’exploration et de ralentir, ain d’autoriser et d’encourager la
patiente à être en contact avec ce qui se passe/s’est passé. Il ne s’agit pas
d’une position confortable pour le thérapeute, mais elle est certainement
utile. À ce moment précis, nous sommes deux à accepter nos émotions
désagréables.
– T – OK, nous sommes samedi après-midi, vous êtes seule à la
maison sur le canapé avec un livre entre les mains, vous ne parve-
nez pas à lire, vous pensez à faire autre chose sans savoir vraiment
quoi faire… Qu’est-ce qui traverse votre esprit à ce moment-là ?
Le temps présent est utilisé ain de faciliter la connexion avec la situa-
tion qui est en train d’être analysée.
– M – Je pensais au travail… Vous savez, on a beaucoup de travail
en ce moment, et en plus, j’ai adhéré à un nouveau projet dont
personne ne sait très bien comment le mener à bien…
La patiente emploie le temps passé.
– T – Comment vous sentez-vous lorsque vous pensez à ce nou-
veau projet ?
– M – Je stresse rien que d’y penser.
Connexion avec ce qui se passe ici et maintenant.
– T – Et qu’est-ce que vous ressentez ou pensez à l’instant, alors
que nous parlons de ce nouveau projet ?
Je crée un lien entre ce qui se passe en séance et la vie quotidienne de
la patiente ain de favoriser la généralisation de ce qui est abordé en
séance, l’identiication des émotions et des pensées.
– M (anxieuse, le débit de parole augmente ainsi que, subtilement, le
ton de sa voix) – Je suis stressée, je pense à la quantité de travail
qui m’attend demain, je ne sais pas comment je vais faire, je ne
vais pas pouvoir inir ce projet, je regrette de l’avoir accepté, et en
même temps, je n’avais pas trop le choix…
La patiente parle maintenant au présent.
– T – Effectivement je vois que parler de ce projet vous stresse, et
je dirais même qu’il vous met en colère. (La patiente acquiesce.)
Je donne un feedback attirant son attention sur ses ressentis.
– T – Revenons à samedi. Vous pensez au travail. Y a-t-il de la
colère à ce moment-là ?
– M – De la colère ? C’est possible, en tout cas une angoisse, c’est
sûr. Je ne sais pas comment expliquer…
– T – Et cette angoisse est-elle présente maintenant, alors que
nous parlons ?
– M – Oui, elle est moins forte, mais parler de tout ça me stresse,
je n’aime pas… Je voudrais parler d’autre chose.
La patiente a tendance à aller dans le sens du thérapeute, mais ici elle
exprime clairement son souhait de parler d’autre chose. Je décide tout
Marie engloutit ses ressentis 13
– M – Quand ces pensées sont là, je n’ai pas envie de voir les
gens, je n’ai qu’une envie, me replier sur moi-même et ne pas être
embêtée. J’essaie de les éviter… Par exemple, ça fait un moment
que je mange seule au travail.
– T – Je vois. Mais vous savez que vous n’êtes pas obligée de suivre
vos pensées ?
– M (Elle paraît pensive.) – Comment ça ?
– T – Cela vous est-il déjà arrivé, par exemple, d’être en colère
contre quelqu’un, un client, un chef, votre mari, quelqu’un de
votre famille… au point de penser « Argh ! J’ai envie de le tuer ! » ?
– M (Elle sourit.) – Oui, ça m’est déjà arrivé…
– T – Eh bien vous avez eu la pensée « J’ai envie de tuer quelqu’un »,
mais ce n’est pas pour autant que vous l’avez suivie. Dans ce cas, la
pensée est restée à sa place de pensée, ni plus ni moins…
– M (Elle sourit.) – Heureusement !
– T – Heureusement en effet ! On peut penser quelque chose et
faire tout autre chose. Le problème est que nous attribuons du
crédit à certaines pensées et que nous nous sentons obligés de les
suivre. Dans votre cas, lorsque les pensées « Je suis nulle » ou « Je
vais décevoir » font leur apparition, vous ne les voyez pas comme
des pensées mais comme des injonctions à agir. Vous vous sentez
obligée de les suivre et de vous replier. Dans ces moments, ce sont
vos pensées qui décident pour vous. Mais qu’est-ce que VOUS,
vous préférez : manger avec vos collègues ou à l’écart ?
Ici, j’explore l’impact de ce comportement d’évitement à l’égard de ce qui
est important pour la patiente.
Matthieu Villatte1
Ce chapitre présente les dificultés d’un patient dont le proil clinique est
marqué par une fusion élevée. Nous verrons d’abord quels sont les éléments
permettant de réaliser l’analyse fonctionnelle des comportements clés du
patient. Nous examinerons ensuite le déroulement de trois phases théra-
peutiques principales visant à développer la défusion (suivant l’approche
proposée par Villatte, Villatte, & Hayes, 2016). D’abord, le patient est
amené à observer ses pensées, émotions, et intentions, dans le but de pro-
gresser vers une approche pragmatique de la situation. Ensuite, le patient
participe à un exercice de prise de perspective lui permettant de progres-
ser encore dans sa capacité à observer ses expériences psychologiques et
à faire des choix d’actions plus eficaces. Enin, une série d’exercices visant à
accroître la lexibilité comportementale vis-à-vis des pensées est proposée au
patient ain qu’il parvienne à s’engager effectivement dans les nouvelles actions
choisies. Chaque phase sera illustrée d’un extrait d’échange patient-thérapeute
particulièrement représentatif des techniques employées dans cette phase.
Julien, 32 ans, vient consulter après une violente dispute avec sa compagne,
Mélanie. Il n’y a pas eu de violence physique, mais la violence verbale a atteint
un niveau très élevé (les voisins ont appelé la police) et plusieurs objets ont
été cassés. Julien a accepté de consulter un psychologue après que Mélanie lui
a posé l’ultimatum de « travailler sur lui », sans quoi elle le quittera.
Lors de la première rencontre, Julien explique qu’il ne sait pas trop quoi
attendre d’une thérapie. Il a conscience que ses accès de colère sont un
problème pour sa relation avec Mélanie, mais il ne se considère pas comme
particulièrement colérique en général. D’après lui, c’est le stress vécu au
sein de sa relation avec sa compagne qui le met dans un état anormal.
Il considère que c’est plutôt elle qui a un problème (« elle est instable »,
« elle est trop émotive », « elle ne me respecte pas »), mais il reconnaît qu’il
– J – Oui, oui.
– T – OK. Il y a une chose que vous avez dite qui semble impor-
tante pour vous et que je voudrais mieux comprendre. Vous avez
dit : « J’étais énervé parce que je pensais qu’elle sortirait plus
tard. » Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur ce qui
vous a énervé ?
Ici, il s’agit de s’arrêter sur une expérience émotionnelle particulière
qui peut aider le patient à progressivement approcher sa situation
de façon plus pragmatique. Au lieu de simplement juger le compor-
tement de sa compagne de manière négative, il va être encouragé à
considérer ses propres attentes et à mieux percevoir la différence entre
ce qu’il souhaite obtenir et ce que son propre comportement entraîne
en réalité.
– J – Eh bien, j’étais énervé parce que c’était pas ce qui était prévu.
C’est pas comme ça qu’on devait passer la soirée. C’est pas normal
de faire ça.
– T – À quoi est-ce que vous vous attendiez ?
– J – Eh bien, à ce qu’on mange ensemble pour le dîner et
qu’ensuite elle sorte prendre un verre avec ses amies pour quelques
heures.
– T – Est-ce que c’est ce que vous souhaitiez ?
– J – Oui, enin, c’est ce qui était prévu, quoi.
– T – Ce que je me demande, c’est si, au-delà du fait que c’était
prévu, vous étiez énervé parce que vous auriez voulu dîner avec
Mélanie ce soir-là. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Une hypothèse est ici proposée au patient pour qu’il explore la situa-
tion davantage en termes de buts qu’au travers d’une évaluation
décontextualisée.
– J – Euh, oui, j’aurais bien voulu dîner avec elle, oui. Mais aussi,
c’est pas ce qui était prévu.
– T – OK, donc il y a à la fois la déception… Vous diriez décep-
tion ? De ne pas dîner avec elle…
– J – Euh, oui, oui. Je n’y pensais pas vraiment comme ça, mais
c’est vrai que j’étais déçu, probablement.
– T – OK, donc à la fois la déception de ne pas dîner avec Mélanie,
mais aussi, comme vous avez dit, le fait qu’elle n’agisse pas comme
vous l’aviez prévu.
Dans l’échange qui précède, le patient a commencé à mieux percevoir
un de ses objectifs (dîner avec sa compagne) et il a pu entrer davantage
en contact avec une expérience douloureuse (la déception). Cela montre
un accroissement de la défusion puisqu’il ne perçoit plus la situation
uniquement sous l’angle de ce qui est « normal » ou « pas normal »
mais aussi sous un angle plus pragmatique et fonctionnel (ce qu’il
souhaite).
La défusion en trois étapes... 23
– J – Oui, ça, ça m’a énervé encore plus parce que ça veut dire
qu’elle se iche pas mal de moi, en fait. Et après, le truc qu’elle
a dit qui m’a vraiment fait exploser, c’est qu’il fallait pas que je
m’énerve pour si peu, que c’était qu’un dîner et qu’on dîne tous
les soirs ensemble de toute façon.
– T – Ah, et ça, ça vous a particulièrement énervé ?
– J – Oui, parce que ça veut dire que c’est pas important pour
elle qu’on passe du temps ensemble. En fait, elle se iche de moi,
quoi.
Dans l’échange qui précède, un thème de la fusion de Julien prend
davantage d’ampleur. Il ne se sent pas considéré comme il le souhaite-
rait par Mélanie. Le fait qu’elle change ses plans et qu’en plus elle ne
pense pas que ce soit un problème indique à Julien, de façon indiscutable
à ses yeux, qu’elle ne se soucie pas vraiment de lui.
– T – OK. Qu’est-ce que vous avez ressenti exactement ?
– J – J’étais très énervé.
– T – C’est-à-dire ?
– J – Je lui ai crié dessus.
– T – Qu’est-ce que vous ressentiez à ce moment-là ?
– J – J’étais en colère.
Dans l’échange précédent, l’objectif est de développer la capacité du
patient à observer ses émotions, qui sont des sources d’inluence impor-
tantes sur le comportement.
– T – Déçu aussi, comme vous le disiez plus tôt ?
– J – Oui j’étais déçu. Je crois pas que c’est ce que je me disais à ce
moment-là, mais oui, j’étais déçu.
– T – Donc vous vous sentiez déçu et en colère parce que vous
n’alliez pas dîner avec Mélanie et parce qu’elle ne suivait pas le
plan que vous vous souveniez avoir prévu ensemble.
– J – Oui, exactement.
Ici, il s’agit d’aider le patient à se connecter à son sentiment de décep-
tion ain qu’il perçoive mieux les raisons de sa crise de colère et puisse
plus tard développer une réponse plus adaptée.
– T – Qu’est-ce que vous espériez qu’il se passerait en lui criant
dessus ?
– J – Je n’en sais rien. J’étais juste en colère. Je n’ai pas vraiment
réléchi.
– T – Vous diriez que c’était une sorte de réaction impulsive,
alors ?
– J – Oui, enin, pas complètement. Je voulais qu’elle entende ce
que j’avais à dire.
– T – OK, donc vous espériez aussi qu’elle vous entende. Qu’elle
entende quoi exactement ?
– J – Qu’elle n’aurait pas dû changer nos plans comme ça.
24 Ouvert
Références
Dahl, J., Plumb, J., & Lundgren, T. (2009). The Art and Science of Valuing in Psycho-
therapy. Oakland (CA): New Harbinger.
Levin, M. E., Luoma, J. B., & Haeger, J. A. (2015). « Decoupling as a mechanism of
change in mindfulness and acceptance: a literature review ». Behavior Modiica-
tion, 39, 870-911.
Monestès, J. -L., & Villatte, M. (2011). La Thérapie d’acceptation et d’engagement ACT.
Paris: Elsevier Masson.
Rosenberg, M. B. (2003). La Communication non violente au quotidien. Saint-Julien-en-
Genevois: Jouvence.
Villatte, M., Villatte, J. -L., & Hayes, S. C. (2016). Mastering the Clinical Conversation:
Language as Intervention. New York: The Guilford Press.
3 Virginie a peur de perdre
le contrôle de ses sphincters
Nathalie Girard-Dephanix
Virginie doit en effet prendre le bus quarante-cinq minutes tous les jours
pour se rendre à son bureau. La peur de déféquer à tout moment lui fait
Virginie a peur de perdre le contrôle de ses sphincters 35
Analyses fonctionnelles
Des hypothèses claires1 quant à ses dificultés ont émergé. Les comporte-
ments-problèmes de Virginie répondaient à trois fonctions : ne pas déféquer
1. Son trouble est actuellement qualiié dans la littérature d’« obsession du colon »,
parfois appelé « laxophobie », ou plus globalement « obsession centrée sur les vis-
cères » (Kamboj, Langhoff, Pajak, Zhu, Chevalier, & Watson, 2015). Il est déini
comme la peur envahissante de perdre le contrôle de ses fonctions sphincté-
riennes (intestin, vessie ou estomac) dans des lieux publics. Cette appréhension
partage des caractéristiques avec l’anxiété sociale, le TOC (phobie d’impulsion)
et le trouble panique. Nous évoquons cette terminologie ain que le lecteur
puisse s’y référer, mais ne retenons pas ce « diagnostic », le principe organisateur
de cet ouvrage étant celui de processus qui permettent d’envisager un plan thé-
rapeutique, ce qui n’est pas le cas d’un diagnostic catégoriel.
Virginie a peur de perdre le contrôle de ses sphincters 37
sur soi (les plus gênants et nombreux), ne pas ébruiter l’envie honteuse
d’aller aux toilettes et ne pas être contaminée par des toilettes sales.
Autour de la fonction « Ne pas ébruiter l’envie d’aller aux toilettes », les
comportements-problèmes en jeu étaient multiples ; par exemple : « Ne
pas demander où sont les w.-c. dans les lieux inconnus ou dans les cafés »,
« Ne pas interrompre les entretiens-clients ou les conversations, même très
longues, pour aller aux w.-c. », « Mettre la radio à la maison avant d’aller
aux toilettes », etc. Ils ont pour fonction de soulager la honte. Il est apparu
que ces comportements, comme ceux visant à ne pas être contaminée en
évitant les latrines publiques, diminuaient sa latitude pour se rendre à la
selle en cas d’envie. Ils augmentaient par conséquent le nombre de situa-
tions où elle craignait d’être incontinente, de même que sa panique et la
colique concomitante2. Les analyses fonctionnelles résumées3 type SRC ont
été partagées avec la patiente sous forme de schémas. Elle a adhéré à ces
hypothèses, ainsi qu’à la démarche proposée.
Psycho-éducation
Une part importante de la séance suivante a été consacrée à la psycho-
éducation quant aux liens entre stress et colique (Sapolsky, 1994) et au fonc-
tionnement des sphincters (DSGFM 2-3, 2014), muscles très conditionnés
dont nous ne perdons pas le contrôle en dehors de problèmes somatiques
spéciiques (absents dans son cas). Cette information n’avait pas pour objec-
tif que Virginie ne panique plus, qu’elle n’ait plus de diarrhées ni d’envie
d’aller à la selle en cas de panique. Elle avait pour fonction la compréhension
des sensations de besoin imminent comme normales et non dangereuses,
pour cesser les évitements handicapants visant à ne pas déféquer sur elle.
Restructuration cognitive
Après ces explications, occasions de fous rires devant leur contenu scato-
logique, nous avons exploré en détail ses expériences passées de perte de
contrôle sphinctérien avant de nous pencher sur les pensées et images auto-
matiques associées à ses peurs actuelles, à travailler via la restructuration cog-
nitive et le rescripting4. Contrairement à ce qu’elle pensait, Virginie n’avait
pas eu une dizaine d’épisodes d’incontinence mais quatre, dont un quand
elle était enfant et deux une fois adulte pour des raisons d’infections type sal-
monellose ou gastro-entérite (sans réaction de moquerie des témoins). Nous
avons abordé la restructuration cognitive autour des pensées « Je ne peux pas
me retenir d’aller à la selle si j’en ai envie, je vais me faire dessus ». Ses expé-
riences d’incontinence étaient-elles forcément liées à la colique et/ou aux
sensations d’envie impérieuse ? Les sensations sur lesquelles s’appuyaient
ces pensées avaient-elles toujours signiié une perte de contrôle ? Avait-elle
pu les ressentir sans incontinence ? Nous avons ainsi calculé la probabilité
d’être victime d’une incontinence, basée sur son expérience au cours des dix
dernières années. Cette probabilité état de moins d’une chance sur dix mille.
– T – Quand vous pensiez que sa probabilité était élevée, c’était
une perspective paniquante ; ce stress permanent a provoqué
une colique quasi chronique qui a renforcé l’appréhension, etc.
la va-vite pour des raisons comptables. J’ai réalisé que je voulais que notre
relation soit reconnue comme essentielle dans ma vie et la célébrer ». En
explorant ce qu’elle ne voulait plus dans sa vie, deux autres aspects impor-
tants sont apparus comme négligés : le contact avec la nature et la considé-
ration envers ses collègues.
La défusion
À ma grande surprise, Virginie m’a annoncé lors de notre huitième séance
qu’elle avait démissionné de son poste. Elle s’apprêtait à déménager à la
campagne avec son conjoint, pour être directrice du marketing dans une
entreprise de produits du terroir. Elle était émerveillée de la rapidité de son
recrutement, tout en craignant d’être trop optimiste : dans son nouveau
travail, il lui faudrait traverser tout l’open space pour atteindre les w.-c., assez
visibles.
La séance qui a suivi a eu lieu deux mois plus tard. Virginie avait démé-
nagé et son état s’était encore amélioré : « J’essaie de penser un peu plus à
mon bien-être. Le problème ne disparaît pas, mais ça va tellement mieux.
Je peux aller faire mes courses dans de grands supermarchés, prendre l’auto-
route sans médicaments, aller aux toilettes publiques. J’ai remplacé l’anxio-
lytique par des pauses déjeuners au milieu de la nature. Je respire l’air pur,
je me concentre sur la beauté autour de moi. Ce qui est étonnant, c’est que
j’apprécie plus la ville aussi, que je trouve très belle maintenant. Ah, et tout
le monde sait que la directrice fait caca ! J’arrête les conversations, même
avec les clients, et je les reprends après, même quand c’est long ! Ce qui est
étonnant aussi, c’est que je me rends compte qu’il y a un peu de moi quand
même dans tout ce qui va bien. Mon environnement ne me convenait pas,
mais c’est moi qui ai pris le risque de tout changer. Je me sens plus légère,
et plus capable. » Lors de cette dernière séance, Virginie a émis le souhait de
reprendre contact d’ici quelques mois, une fois installée dans sa nouvelle
vie, pour travailler sur la coniance en elle.
Références
Clark, D. A., & Beck, A. T. (2010). Cognitive Therapy of Anxiety Disorders : Science and
Practice. New York: Guilford Press.
DSGFM 2-3. (2014). Les Fondamentaux de la pathologie digestive : enseignement intégré –
Système digestif, CDU-HGE. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson.
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4 Érika prend ses pensées
pour des vérités
Démarche thérapeutique
Plusieurs exercices ont été réalisés ain d’aider la patiente à acquérir une
lexibilité vis-à-vis de ses pensées. En premier lieu, la thérapeute a expliqué
à Érika que des déclencheurs sont à l’origine de ses pensées intrusives, ces
La thérapeute et Érika ont discuté du fait que l’anxiété est une émotion
douloureuse et qu’il est donc tout à fait normal de tenter d’y échapper par
toutes sortes de moyens. Les actions de neutralisation et les compulsions
(lavage des mains, compulsions de comptage) pourraient être vues comme
des façons d’échapper à ses pensées et émotions. Bien qu’elle procure un
apaisement à court terme, cette « lutte » nuit à plus long terme à la qualité
de vie d’Érika, par exemple, à ses études et à ses relations avec les autres. De
plus, ces tentatives de neutralisation donnent des munitions à ses pensées
en augmentant leur fréquence et en leur conférant un caractère d’autant
plus véridique et inquiétant. Cela crée un cercle vicieux : plus elle chasse
ses pensées, plus celles-ci reviennent en force (voir igure 4.1). La thérapeute
a exploré par la suite une façon alternative d’interagir avec ses expériences
indésirables.
des mains, ainsi qu’un comportement qu’elle aimerait faire davantage (aller
au restaurant). Elle est invitée à consigner ses observations de façon hebdo-
madaire dans un journal de bord.
L’EPR s’avère compatible avec l’ACT (Grayson, 2013). L’objectif de l’expo-
sition dans une conceptualisation basée sur l’ACT diffère cependant de celle
de la méthode traditionnelle (Eifert & Forsyth, 2005). L’exposition ne vise
pas la diminution de l’anxiété mais cible plutôt l’accroissement de la lexibi-
lité psychologique et de la qualité de vie. Un aspect essentiel de l’exposition
selon l’ACT est de coordonner les exercices avec les valeurs personnelles
de l’individu (Dionne, Ngo, & Blais, 2013). Pour Érika, il peut s’avérer plus
motivant de prendre le risque d’écrire des textos sans compter les mots et
de se rendre au restaurant, si cela lui permet de se rapprocher de ses amis,
une sphère de sa vie qui lui est chère. Voici un exemple d’entretien avec
l’adolescente au cours duquel la thérapeute a cherché à mettre en relation
les exercices d’exposition avec les valeurs de la patiente.
– T – Avant d’aller plus loin, je veux que l’on soit sur la même
longueur d’onde quant à la raison pour laquelle nous faisons ceci.
T’empêcher de faire tes compulsions n’est certainement pas une
chose facile, cela te demandera beaucoup de courage… Qu’est-ce
que cela va t’amener de plus dans ta vie de tous les jours de passer
moins de temps à faire tes rituels ?
– É – J’aimerais tellement y parvenir ! Je serais moins dans ma tête
et beaucoup plus heureuse…
– T – Et qu’est-ce que ça te permettrait de faire concrètement ?
– É – Je pourrais sûrement voir davantage mes amis, recommencer
à aller à des fêtes et à faire du sport avec eux… J’aimerais sentir que
je fais partie du groupe comme avant.
– T – Faire partie du groupe ? Qu’est-ce que cela représente pour
toi au fond ? Est-ce que c’est juste la peur d’être rejetée par les
autres ou est ce qu’il y a quelque chose de plus ?
– É – C’est surtout que j’aime bien être avec les autres.
– T – OK, saurais-tu me dire pour quelle raison ?
– É – Eh bien, on rigole bien, il y a une complicité.
– T – Est-ce que c’est ce partage, cette complicité qui sont impor-
tants pour toi ?
– É – Oui, ça compte pour moi de partager avec les autres.
– T – Lorsque la peur et les impulsions de compulser se présente-
ront à toi, par exemple lorsque tu es avec les autres, crois-tu pou-
voir choisir de la laisser venir pour pouvoir être dans ce partage
qui compte pour toi ?
pour elle. À une étape de leur vie où les relations interpersonnelles occupent
une place prépondérante, les adolescents s’approprient aisément le concept
de « valeurs » (Turrell & Bell, 2016). Érika aimait bien cette nouvelle notion.
Elle avait déjà une connaissance intuitive de ce qui est important pour elle
mais n’avait pas encore trouvé les mots justes pour le décrire. L’exposition
dans l’ACT s’avère aussi un véhicule pour entraîner les habiletés de défusion
(et d’acceptation) au sein même des exercices d’exposition, en présentant
l’avantage de travailler avec les cognitions « à chaud ».
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II
Attentif
Être présent à soi et au monde
Claire-Marie Best1
La demande explicite
Pour l’aider à préciser sa problématique actuelle, je lui demande les raisons
de sa présence devant moi et ce qui a motivé son appel : de plus en plus
régulièrement, Julia éprouve la sensation de perdre le contrôle d’elle-même,
d’être débordée et de ne plus faire face. Elle est sollicitée par son directeur
pour occuper des responsabilités supplémentaires en tant que professeur
principal d’une classe dificile ; elle organise aussi bénévolement un sou-
tien personnalisé à certains élèves pendant les vacances scolaires. Elle court
entre son travail, la correction des copies, les horaires stricts de l’accueil
périscolaire le soir, ceux de la garderie le mercredi, les réunions avec d’autres
professeurs à l’heure du déjeuner, les rendez-vous avec les parents d’élèves,
la préparation d’un grand projet pédagogique avec un voyage de classe, les
dîners avec ses amis, l’organisation des tâches avec Marc, l’accueil de ses
beaux-parents qui s’installent pendant quinze jours, sa meilleure amie qui
déprime, sa mère qui se plaint de ne pas la voir assez souvent et Marc qui lui
reproche d’être trop active…
« Je ne me reconnais plus… Je ne supporte plus celle que je suis devenue…
J’ai l’impression de ne pas faire face, de faire tout à moitié ! Je m’énerve,
j’oublie des rendez-vous, je deviens supericielle, je n’ai pas envie de parler
après une journée de cours ni même de jouer avec ma ille. Même tard dans
mon lit le soir, je continue à cogiter sur ce que je n’ai pas pu faire ou ce que
je ne dois pas oublier de reporter le lendemain. Je n’en peux plus d’être de
mauvaise humeur et de me plaindre. C’est la première fois de ma vie que je
me comporte comme cela. J’en deviens cynique avec moi-même et avec les
autres. Pourquoi je ne parviens pas à faire face sereinement ? Ma vie n’est
quand même pas bien compliquée, les autres y arrivent bien ! Aujourd’hui,
je me noie dans un verre d’eau alors que j’ai toujours été dynamique et
solide. Je ne parviens plus à contrôler mes émotions et je me déteste quand
je me mets dans des états pareils. Je suis devenue une personne instable
émotionnellement et ineficace. Marc me regarde parfois comme si j’étais
devenue dingue alors on se dispute devant Lise : je ne veux pas lui inliger la
même ambiance que celle que j’ai subie lorsque j’étais petite à la maison. »
Julia est surmenée par les tâches à accomplir et par les contraintes, notam-
ment depuis que sa ille est née et qu’elle occupe davantage de responsa-
bilités au travail. Elle s’en veut de ne pas trouver l’énergie sufisante alors
qu’elle a le sentiment que sa vie devrait la combler de joie. Elle a bien tenté
de réduire le temps consacré à sa ille en la coniant davantage, de préparer
ses cours avec moins de soin ou de prendre du temps pour elle, comme le
Épuisée, Julia ne se reconnaît plus 61
lui conseille Marc, mais rien n’y fait. Elle init toujours par se décevoir elle-
même et par reprendre ce rythme épuisant. Elle souhaite mener sa vie de
front comme elle pense avoir toujours réussi à le faire. Ses amis lui renvoient
régulièrement qu’elle est « une femme forte » qui avance avec courage et qui
est toujours là pour soutenir ses proches. Pourtant, elle ne se reconnaît plus,
elle a honte de ne plus incarner « celle qui mène bien sa barque ».
À la in de ces premières séances, Julia parvient à spéciier clairement ses
attentes : elle souhaite faire une thérapie pour ne plus se sentir débordée par
le quotidien et pour retrouver une bonne image d’elle-même. Elle veut se
faire coniance pour assurer pleinement ce qu’elle entreprend au travail, à
la maison, avec sa ille, ses amis et son couple.
La problématique
Julia a honte de ne pas ressembler à ce qu’elle pense devoir être. Elle tente
de répondre à des injonctions qui lui imposent de se maîtriser émotion-
nellement d’une part, et d’être sufisamment solide pour tout gérer sur
le plan organisationnel d’autre part. Elle considère le surmenage comme
un échec et s’accable de ne pas pouvoir faire face. Julia tente de mettre
à distance des événements psychologiques douloureux (sentiment d’être
débordée, pleurs, colère) pour correspondre à ce qu’elle souhaite incarner :
quelqu’un de solide, d’agréable et de dynamique.
Analyse fonctionnelle
Augmentation de la sensibilité au contexte
Les séances suivantes ont pour objectif d’établir l’analyse fonctionnelle et
de créer un levier thérapeutique pour motiver le changement. Au départ,
Julia se sent emportée dans une vague émotionnelle qu’elle ne parvient
pas bien à décrire. Pour préciser le contenu des événements psychologiques
(pensées, émotions, sensations), je lui propose de repérer les moments
où elle se sent gênée par ses émotions et ses sensations lors de la séance.
L’idée est d’aider Julia à détailler activement ce qui se passe en elle dans
l’instant. Cela permet d’augmenter sa conscience contextuelle de manière
expérientielle et de préciser les situations qui déclenchent son mal-être. Au
lieu d’anticiper ses propres réactions dans telle ou telle situation, l’objec-
tif est d’augmenter la sensibilité de Julia à ce qui se passe réellement en
elle au moment où elle se trouve en contact avec ses émotions et ses pensées
au quotidien. Au fur et à mesure, elle va développer une plus grande atten-
tion aux contingences, c’est-à-dire aux antécédents, aux conséquences et à
ses propres comportements (Villatte, Villatte, & Hayes, 2016).
« Quand je suis mal, je sens que ma gorge se serre, j’ai envie de pleurer et
les larmes coulent même lorsque je fais tout pour les retenir. Parfois, c’est
62 Attentif
la colère qui l’emporte, je prends d’abord sur moi sans rien dire puis je me
mets à vociférer, je m’énerve ouvertement. En fait, je remarque que c’est
surtout à moi que j’en veux d’être comme ça. Mon conjoint et ma ille sont
en première ligne, je culpabilise de les voir subir ma mauvaise humeur. J’ai
remarqué que ces crises sont moins présentes au travail : quand je suis en
cours, je suis concentrée sur mes propos et sur l’interaction avec les élèves.
Mais je suis à nouveau mal quand j’ai le sentiment de bâcler la correction
de mes copies pour aller chercher ma ille à la garderie. Les élèves dificiles
m’agacent davantage qu’auparavant. J’ai senti également que je n’ai pas
de patience pour jouer avec Lise… Je me sens tellement nulle quand j’y
pense… Marc rentre après moi, il a fait les courses et gère l’intendance, il
prépare les repas pendant que je donne le bain à Lise. Le matin, il l’habille
et l’emmène à l’école car je commence tôt. Je me rends compte de tout ce
qu’il fait au quotidien sans s’énerver, avec patience. Il réussit bien à tout
faire sans se stresser, lui… Quand j’essaie de prendre du temps seule, je
m’ennuie. En fait, j’aimerais simplement être ière de moi pour prendre
plaisir à ma vie… »
Julia a également remarqué que ses dificultés partent souvent d’une
petite contrariété, comme une remarque de son conjoint, une bêtise de sa
ille, une demande d’un collègue, un événement imprévu qu’il faut gérer à
la dernière minute. Parfois, elle imagine tout un scénario catastrophe dont
elle serait responsable : elle craint que Marc la quitte, qu’il perde patience.
Elle a parfois aussi la pire idée qui soit : qu’elle soit responsable d’un mal-
être psychologique chez sa ille.
conjointe, et paradoxalement, elle se sent mal dans ces rôles qui lui tiennent
à cœur. Les émotions pénibles sont de plus en plus vives, augmentant à leur
tour la perception négative qu’elle a d’elle-même : « Je ne suis pas capable
de tout faire correctement », « Je suis ineficace », « J’ai honte de moi, je me
déçois car quand je travaille, je culpabilise et je me sens une mauvaise mère,
et quand je suis avec Lise, je ressens la pression d’aller travailler. Je ne suis
jamais bien avec moi-même ».
Les différents comportements de Julia ont tous la même fonction : main-
tenir à tout prix une bonne image d’elle-même (en s’occupant activement
de sa ille, en s’investissant pleinement dans son travail, en se préoc-
cupant de son couple…) et éviter des émotions et des pensées négatives
(honte, déception, peur, culpabilité…) qui nourrissent massivement la
représentation négative qu’elle a d’elle-même.
Selon le modèle ABC :
• les antécédents sont les situations qui créent un sentiment d’incompé-
tence, la peur de se décevoir, la honte de ne pas être à la hauteur, les règles
verbales ;
• le comportement prend la forme d’une hyperactivité en passant d’un rôle
à un autre pour exceller dans tous les domaines ;
• les conséquences semblent bénéiques au début, grâce au sentiment de
contrôle de la situation et à la sensation de maîtriser l’opinion qu’elle se
fait d’elle, mais elles perdent rapidement leur eficacité. Une conséquence
néfaste apparaît secondairement : Julia ne parvient pas à être satisfaite
d’elle-même. Elle s’épuise en s’activant encore davantage, augmentant la
sensation d’être ineficace pour tout mener de front. Le renforcement néga-
tif soutient l’évitement expérientiel et augmente le risque de surmenage
tout en éloignant Julia de ses valeurs (ce qui compte vraiment pour elle).
Elle s’éparpille et ne proite plus des bons moments qui lui tiennent à cœur
avec Marc, Lise et ses élèves.
Au-delà de l’épuisement et du surmenage, Julia souffre de sa propre image.
Elle s’enferme dans une déinition d’elle-même négative : « Je ne suis pas à
la hauteur, incapable de faire les choses comme il faut, je suis incompétente
et instable émotionnellement. » Cette déinition rigide contraste avec ce
qu’elle pense avoir incarné : « J’ai été quelqu’un de solide, de fort et de
compétent. »
La thérapie vise à adopter un point de vue lexible sur soi : je peux être
incompétente parfois et compétente à d’autres moments. L’objectif est de
privilégier les actions qui ont du sens pour Julia selon les différents contextes
plutôt que celles réalisées en fonction de règles du type : « Je dois être… »,
« Il faut que je sois… ». En l’aidant à assouplir la conceptualisation qu’elle a
d’elle-même, elle peut parvenir progressivement à s’envisager comme un soi
immuable et indépendant des événements, un soi qui peut tout vivre. Plu-
tôt que s’enfermer dans une représentation rigide de soi (« Je suis devenue
64 Attentif
Déroulement de la thérapie
Perspective de soi et autocompassion
La forte exigence que Julia cultive envers elle-même apparaît centrale. Elle
se doit d’être une bonne mère ; il est impensable qu’elle soit négligente dans
son travail ; il faut à tout prix qu’elle soit désirable et désirante.
Les émotions de honte et de culpabilité sont exprimées pendant l’entre-
tien, particulièrement quand je souligne à quel point il doit être douloureux
pour elle de subir ce sentiment d’incompétence d’une part et ce déborde-
ment émotionnel d’autre part, lorsqu’elle craque et se met à pleurer.
À plusieurs reprises, alors qu’elle me décrit sa souffrance, je souligne à
quel point ce dévoilement doit être dificile pour elle. J’ajoute que j’appré-
cie beaucoup la coniance qu’elle m’accorde en me laissant la rencontrer
sous ses différentes facettes ain que nous puissions avancer dans la théra-
pie. L’objectif est de souligner l’intérêt fonctionnel de se « laisser voir sous
différents angles, y compris les moins agréables », quitte à ressentir de la
honte. Ce mouvement permet de transformer la fonction de ses émotions
négatives et de leur expression, depuis des ressentis qu’il faut fuir et mas-
quer vers des éléments indispensables pour avancer dans la thérapie, en
direction d’une vie plus cohérente avec ses aspirations.
Julia manque de compassion envers elle-même et considère qu’il existe
une Julia d’avant (qui contrôle mieux sa vie et ses émotions) et une Julia
actuelle (qui se laisse déborder). Un exercice expérientiel permet de façon-
ner une attitude plus souple d’autocompassion (Dahl, Stewart, Martell, &
Kaplan, 2013) en lui proposant de se mettre à la place de quelqu’un d’autre.
Julia réalise qu’elle est moins exigeante et plus tolérante envers elle en
s’observant d’un autre point de vue. Ce changement de perspective crée
une petite brèche dans la représentation rigide qu’elle a d’elle-même. En
s’observant au travers des yeux de quelqu’un de bienveillant, elle parvient
à assouplir son propre jugement. Cette prise de distance lui permet de « se
voir elle-même » et nous permet d’avancer progressivement vers une appré-
hension de soi comme ce qui englobe toutes les rélexions, les jugements,
les émotions, les pensées, etc. Ce changement de perspective lui permet
d’expérimenter une position d’observatrice d’elle-même, avec davantage de
bienveillance.
66 Attentif
je me sens incompétente alors que tout allait bien avant. Je voudrais juste
qu’on retrouve une intimité, de la tendresse, mais je ne sais comment lui
dire puisqu’il croit que je ne suis plus disposée. On ne se touche plus vrai-
ment. En fait, j’aimerais bien lui montrer mon envie de tendresse en fonc-
tion de mon état, mais je ne suis pas sûre qu’il comprenne… J’ai peur qu’il
me trouve égoïste et nulle. »
Je propose à Julia de reprendre sa métaphore des émoticons pour essayer
de travailler simultanément le regard qu’elle porte sur elle-même et la direc-
tion des actions qui comptent vraiment pour elle.
– T – Quel émoticon incarnez-vous dans ce contexte, face à Marc ?
– J – La tristesse… et la culpabilité aussi. Je me dis qu’il paye les
conséquences de mon épuisement à vouloir tout faire, alors que
justement, je ne fais plus rien avec lui ! Je fais mine de le faire
patienter, mais je sais que c’est du bluff. Je suis une vraie égoïste.
– T – Que vous manque-t-il le plus avec Marc aujourd’hui ?
– J – La complicité, la légèreté et la tendresse, bien sûr.
– T – Quel émoticon utilisez-vous dans ce contexte ?
– J – Humm, le clin d’œil ou le baiser.
– T – Pensez-vous que vous pourriez vous connecter à cette Julia
émoticon en mode « clin d’œil-baiser » ?
– J – Je ne sais pas, je peux essayer…
– T – Imaginez qu’il se trouve devant vous, qu’il s’affaire à ses
tâches habituelles.
– J – OK. Je l’imagine quand il cuisine le soir quand je donne le
bain à la petite.
– T – D’accord. Imaginez que vous êtes Julia-clin d’œil, pour la
complicité-légèreté, ou Julia-baiser, pour la tendresse, en prenant
le temps de le regarder… Observez-vous quelque chose en vous ?
– J – (Silence.) J’ai envie de l’enlacer, de lui dire que j’aime qu’il
cuisine pour nous, que j’aimerais bien qu’on se retrouve tous les
deux même si je ne suis pas à la hauteur en ce moment. J’aimerais
lui dire que son soutien est important pour moi et que j’aimerais
bien retrouver une vie sexuelle comme avant moi aussi, même si
j’ai peur de ne pas y parvenir… Je suis sûre qu’il serait heureux que
je lui dise ça… Et ça me rend heureuse de penser cela…
– T – Pensez-vous que vous pourriez avoir une petite action
concrète dans ce sens ?
– J – Je pourrais déjà l’embrasser à nouveau quand il rentre le
soir… Il va être surpris que je sorte de ma mauvaise humeur ! Et
moi aussi…
Cet échange reprend la métaphore initiale de Julia (lorsque nous évo-
quons la position d’observateur des émotions, nous parlons maintenant
d’émoticon) et vise à mettre en évidence la possibilité de vivre une relation
plus lexible, à elle-même d’une part, et à Marc d’autre part, notamment face
Épuisée, Julia ne se reconnaît plus 69
aux jugements rigides et sans concession qu’elle est capable de s’inliger vis-
à-vis de lui. L’idée est de la remettre en contact avec ce que le couple peut
avoir de renforçant pour elle, puis de prévoir des pistes d’action engagées en
direction de cette valeur. En se donnant l’occasion d’agir vers ce qui compte
vraiment pour elle, Julia augmente la probabilité d’initier à nouveau des
gestes en direction de Marc.
Julia est arrivée souriante à la séance qui a suivi cet échange. Elle a passé
un très bon week-end avec Marc qui a saisi tout de suite l’opportunité d’un
changement. Ils sont partis tous les deux, sans leur ille, dans la maison d’une
amie actuellement à l’étranger. Ils ont pu rire et retrouver leur complicité.
Alors qu’il semblait impossible à Julia de trouver du temps pour son couple,
redoutant principalement les rapports sexuels qui n’étaient plus empreints
de désir, elle s’est sentie ière de suggérer elle-même cette échappée. Plus
encline à prendre en compte ses « bons et mauvais côtés », quitte à se sentir
incompétente, elle a pu initier un changement dans la relation de couple
très tendue. Marc y a fait rapidement bon accueil et s’est senti soulagé de
voir sa compagne « baisser la garde ». Ils ont pleuré, ri et passé un excellent
moment. Plutôt que de rester igée dans une image d’elle-même incom-
pétente et égoïste sur le plan sexuel, elle s’autorise doucement à ressentir
du désir et du plaisir sans chercher à assurer « parfaitement », notamment
lorsqu’elle est fatiguée. Marc est d’autant plus réceptif et à l’écoute qu’elle
lui a fait part de son état.
En cohérence avec ce qu’elle met en place, Julia éprouve davantage de
bienveillance envers elle-même et de souplesse dans ses différents rôles. Au
inal, elle a progressivement appris à s’appréhender de manière luctuante :
bonne ou moins bonne mère, prof, conjointe, amie, ille, belle-ille, col-
lègue. Elle est tout cela. Elle se sent réconciliée avec ses différentes facettes
et libérée d’une déinition igée d’elle-même.
La thérapie a permis à Julia d’être plus attentive aux éléments de son
contexte interne (antécédents et conséquences de ses événements psycho-
logiques) autant qu’externe (horaires serrés, accumulation de tâches, sollici-
tations multiples, contraintes et responsabilités). Le travail sur la possibilité
d’observer tous les contenus de pensées et toutes les émotions depuis une
position stable et inaliénable a assoupli la relation que Julia entretenait avec
sa déinition d’elle-même. Elle peut maintenant se considérer de manière
bienveillante, sous différentes formes, et de manière variable à la lumière
des différents contextes de sa vie.
En faisant l’expérience de s’observer elle-même comme un support de ses
différents « soi », elle peut agir librement, en cohérence avec ce qui a du sens
pour elle. Le façonnement progressif d’une appréhension de soi plus large,
capable d’accueillir tout ce qui apparaît en elle, a conduit Julia vers davan-
tage de lexibilité. Cet espace retrouvé lui a permis de discerner l’importance
de sa vie de couple et d’initier des actions engagées vers cet horizon.
70 Attentif
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6 L’alchimie du moment
présent
Claude Penet
S’arrêter et s’ancrer
– Jérémie (J) (parlant très vite, le regard fuyant) – À bien y regarder,
ma vie n’est qu’un énorme gâchis. J’ai déçu tout le monde, ma
famille, mon professeur de violon, mes amis, et je ne parviens
pas à me ixer sur un objectif clair. Le seul travail qui me conve-
nait, je n’ai pas été capable de le garder. Mes attaques de panique
m’ont rendu complètement impuissant et maintenant je suis dans
l’incapacité totale de retourner à Paris, unique chance pour moi de
retrouver un travail intéressant. À la seule perspective de prendre
le métro, j’ai une angoisse ingérable ! Je vois bien que ma mère a
plus de pitié que d’amour pour moi. C’est parfaitement normal
d’ailleurs, puisque je rate tout ce que je tente !
74 Attentif
Regarder, observer
Parce que l’anxiété est déjà présente dès le début de l’entretien, je peux
d’emblée découvrir comment Jérémie y fait face, en temps réel. Il n’est pas
utile de faire des commentaires d’évaluation, mais seulement d’expliciter
les processus au fur et à mesure de leur apparition. L’objectif ultime est de
diriger et rediriger encore la conscience du patient sur sa façon de répartir
ses ressources attentionnelles.
– J (la voix atone) – Je pourrais toujours essayer d’arrêter de penser
à mes dificultés, à mes regrets, aux souvenirs douloureux… mais
je n’y arriverai jamais ! Je ne suis sûrement pas fait comme les
autres… Je ne comprends pas !
L’attention de Jérémie est déviée vers ses estimations, son autojugement,
sa tentative d’analyse. Je cherche à traverser cette dificulté pour mobili-
ser le maximum d’attention.
– T – J’aimerais que vous demeuriez attentif à ce qui se manifeste
quand vous êtes au contact de ces trois pensées : « Je n’y arriverai
jamais ! », « Je ne suis sûrement pas fait comme les autres » et
« Je ne comprends pas ! ». Restez avec chacune de ces pensées
successivement quelques instants, en notant pour chacune les
manifestations au niveau corporel, au niveau du ressenti. Il ne
s’agit pas de discuter, d’analyser ces pensées, mais seulement de
les observer, comme vous l’avez fait avec les sensations apparues
avec la conscience du soufle. Accordez-vous quelques instants
pour cela.
– J (ouvre et ferme les yeux à plusieurs reprises) – Voilà bien mon
problème ! Je ne peux pas me concentrer plus de quelques
secondes. Mes échecs, ma transparence, le rejet de ma famille me
reviennent en pleine igure. Et en un temps record, j’entre dans
une spirale de pensées de plus en plus noires.
L’attention de Jérémie est encore déplacée au proit de rélexions. Je vais
pouvoir mettre en évidence ce fait.
– T – Regardez comment votre attention a de nouveau été absor-
bée par d’autres pensées : « Voilà mon problème ! », « Je ne peux
pas me concentrer ». Avez-vous pu observer le mouvement de
votre attention ?
76 Attentif
Élargir
Les stratégies habituelles pour faire face à des émotions douloureuses
s’appuient sur la tentative de contrôle, soit en luttant pour s’en débarrasser,
soit en s’efforçant de les « résoudre » ; il est très intéressant de rendre le
patient conscient de cette démarche ain de permettre l’émergence d’autres
perspectives (c’est le désespoir créatif, dont la fonction, en faisant le bilan
des vaines stratégies antérieures de contrôle, est d’inviter à s’ouvrir à des
relations radicalement différentes avec les pensées, les émotions, les sen-
sations).
Ainsi, après avoir cherché à exclure, suggérer d’inclure devient l’option
novatrice. Si le champ de conscience s’élargit ain d’accueillir la globalité
de l’expérience, il en résultera une dilution des éléments dificiles au proit
d’une attitude inclusive, ouverte à la réalité du moment et, in ine, équa-
nime. Cette posture invite à la bienveillance pour soi du fait même de la
présence d’éléments douloureux. Aussi, permettre aux sensations dificiles
d’être ici parce qu’elles sont déjà présentes encourage la sollicitude pour
soi et l’autocompassion. L’acceptation, en l’occurrence, c’est consentir à
accueillir pensées et émotions agréables ou douloureuses, ain de pouvoir
agir au mieux selon nos valeurs.
Transformer
La inalité première des instigations à focaliser l’attention du patient dans
le moment présent est de l’aider à découvrir un nouveau sens à sa vie. Il
ne s’agit pas d’agir directement sur l’anxiété. L’accueil de celle-ci permet
de laisser émerger d’autres affects antérieurement occultés. Le patient
est motivé par ses valeurs. Quand elles se trouvent malmenées, les senti-
ments d’isolement, la honte, la culpabilité et la tristesse apparaissent. Ces
affects témoignent précisément de ce qui importe à Jérémie dans la vie.
L’utilisation du cadrage conditionnel (qui favorise l’imagination) permet de
clariier les sources de sens, les valeurs personnelles essentielles.
– T – Je vous propose d’imaginer pendant quelques instants que
tous les obstacles actuels (l’hostilité de votre frère, la dépendance
vis-à-vis de vos parents, l’absence d’activité professionnelle, l’iso-
lement…) ont totalement disparu, quelle que soit la façon dont
cela ait pu se produire. Prenez le temps de vous projeter dans ce
scénario magique. (Pause.) Que feriez-vous dans ces conditions,
comment vous comporteriez-vous ? Qu’est-ce qui importerait le
plus dans votre vie ? (Pause.)
– J – Ce qui me vient en premier, c’est ma famille. Même si je
souffre beaucoup actuellement des querelles occasionnées par la
révélation de mon homosexualité, j’aime mes parents, j’adore
mon frère. J’ai besoin du lien familial.
– T – Donc le domaine le plus important dans la vie pour vous,
c’est la famille. Quoi d’autre ?
– J – Les relations amicales, la vie amoureuse sont également pré-
cieuses pour moi. Le travail m’importe et j’ai pris beaucoup de
plaisir à exercer mon métier, mais c’est surtout l’autonomie et la
liberté qu’il me procure qui dominent. Aussi, je pourrais me mon-
trer peu exigeant, dès l’instant qu’une activité professionnelle me
permettrait de reconquérir mon autonomie.
L’alchimie du moment présent 83
Lucie Codron
Zaïna est une jeune femme de 19 ans. Aînée d’une fratrie de quatre enfants,
elle a quitté l’île de Mayotte, dont elle est originaire, deux ans avant notre
rencontre, pour venir faire ses études à Lille. Elle est à présent en deuxième
année de BTS.
Elle vient en consultation en raison de crises de boulimie dont elle souf-
fre depuis plusieurs années et qui sont de plus en plus fréquentes depuis
quelques mois. Les crises apparaissent en moyenne trois à cinq fois par jour.
Ne pas parvenir à contrôler son comportement alimentaire induit chez elle
un fort sentiment d’impuissance et de culpabilité. Elle se plaint également
d’une prise de poids due aux crises à répétition, même si bien souvent elle
se fait vomir. Notons qu’elle présente des antécédents d’anorexie, pour les-
quels elle a été suivie à l’adolescence.
Zaïna se dit également au bord de l’épuisement, dépassée par la charge de
travail à accomplir au quotidien. Elle cherche à réussir ses études brillam-
ment et fait pour cela de nombreuses concessions.
Par ailleurs, elle souffre de l’éloignement avec ses proches. Elle vit seule.
Elle a pu se faire quelques amis dans sa classe, mais elle les fréquente rare-
ment en dehors. Elle est en couple depuis l’âge de 16 ans avec un jeune
Mahorais qui fait lui-même des études dans une autre ville de France métro-
politaine. Ils parviennent à se voir un week-end chaque mois.
d’interagir avec colère avec les gens que j’aime alors même que
c’est si important pour moi d’avoir une communication apaisée
et que, de par mon travail, je maîtrise plein d’outils qui devraient
me permettre d’y arriver. C’est vraiment dificile, lorsque quelque
chose nous tient à cœur, de ne pas réussir à le faire ou à l’incarner !
En rapportant son expérience, la thérapeute cherche à normaliser la
dificulté à agir en direction des valeurs en présence d’inconforts, et les
émotions que cela suscite.
– Z – Je n’aurais jamais cru qu’à vous aussi, ça pouvait arriver.
– T – Oh oui ! Et comme c’est frustrant ! Pendant longtemps, face
à ce genre de situation, je me sentais complètement démunie.
Puis, grâce à certaines rencontres que j’ai faites, j’ai pu apprendre
à percevoir ces situations différemment. Je vais essayer de vous
transmettre ce que j’ai moi-même appris. Je cherche une analo-
gie pour faire passer l’idée… Voyons, par exemple, avez-vous eu
l’occasion d’aller dans une fête foraine depuis que vous êtes en
métropole ?
– Z – Oui, plusieurs fois.
– T – Voyez-vous ce que sont les « palais du rire » ?
– Z – Vous parlez des manèges dans lesquels on passe d’une pièce
à l’autre avec à chaque fois des obstacles à surmonter ?
– T – Oui, c’est bien ça ! Vous avez dû constater qu’alors même
que vous progressez par moments à grands pas, votre progres-
sion est parfois freinée par l’apparition soudaine d’un obstacle.
(Zaïna hoche la tête.) Est-ce que vous vous souvenez également
que certains de ces obstacles sont clairement visibles, il s’agit alors
de se contorsionner pour passer au travers ? Alors qu’à d’autres
moments, c’est plus subtil, on peut buter sur un obstacle sans
comprendre ce sur quoi on bute ?
– Z – Oui, je m’en souviens, c’est énervant !
– T – Je suis d’accord avec vous. C’est frustrant, surtout lorsqu’on
a encore en tête l’image des visiteurs qui sortaient du palais du rire
un grand sourire aux lèvres, comme s’ils avaient tout traversé avec
beaucoup de facilité.
– Z – Oui, ça m’avait fait cet effet-là aussi !
– T – Je vous parle de ça, car ces obstacles, ce sont toutes les choses
auxquelles nous faisons face dans la vie et sur lesquelles nous
n’avons pas de contrôle.
– Z – Comment ça ?
– T – Par exemple, pour moi, dans la situation qui me préoccupe,
j’ai beau avoir plein d’outils de communication, je ne contrôle
pas les réactions de la personne en face de moi, l’apparition de
sensations de colère qui montent en moi et de toutes ces pensées
qui crient à l’injustice.
– Z – OK, je vois !
88 Attentif
Dans le précédent dialogue, Zaïna prend conscience que les crises sont
évoquées dans un contexte d’expériences psychologiques douloureuses et
semblent donc avoir une fonction d’évitement. L’objectif est maintenant
d’amener la patiente à percevoir les conséquences à court terme et à long
terme d’une crise. Ainsi, Zaïna se rend compte qu’à court terme, « manger »
lui permet de ne plus ressentir le mal-être, de se « déconnecter totalement »
comme elle le dira un peu plus tard. Mais, bien entendu, le mal-être revient
une fois la crise terminée, avec plus de force. La honte et la culpabilité
viennent s’ajouter au mal-être initial.
À la suite de cette séance, Zaïna a su rapporter tout un ensemble d’obser-
vations quant aux différents contextes dans lesquels se produisaient les
crises. Ses observations se sont d’ailleurs afinées au fur et à mesure des
séances, ce qui a permis d’ajuster le travail thérapeutique. Nous en verrons
un exemple lors de la huitième séance rapportée plus loin. Notons par ail-
leurs qu’à travers ce travail d’observation, le thérapeute amorce une forme
d’acceptation des pensées et émotions douloureuses. En effet, le temps de
l’observation, la patiente entre en contact avec ses expériences dificiles et
ne cherche pas à les faire disparaître immédiatement. Dans la séquence qui
suit, un travail plus approfondi est présenté sur la façon dont on peut déve-
lopper l’acceptation chez un patient, en s’appuyant sur le développement
du soi comme contexte des événements psychologiques.
Par ailleurs, en jouant le rôle des pensées, la thérapeute crée une distance
physique entre la patiente et les pensées, ce qui amorce une prise de dis-
tance psychologique nécessaire pour replacer le soi comme contexte des
événements psychologiques.
Référence
Monestès, J. -L., & Villatte, M. (2011). La Thérapie d’acceptation et d’engagement ACT.
Paris: Elsevier Masson.
Page laissée en blanc intentionnellement
8 Paul : « Si c’est un
homme »… lexible !
Sophie Cheval1
Un être humain n’est pas un homme au même titre qu’un animal est un
mâle ! Tel animal est un mâle dès lors qu’il possède un ensemble d’attributs
biologiques caractéristiques : il le demeurerait même si aucun être humain
n’était présent pour constater ces propriétés intrinsèques. En revanche,
dans la communauté des animaux doués de langage, être un homme ne
se résume pas à la présence de ces caractéristiques biologiques. La masculi-
nité recouvre un ensemble de comportements appris dans des contextes
sociaux variés, et entraîne la constitution de réseaux relationnels langagiers
complexes, au sein desquels l’opposition à tout ce qui est considéré comme
féminin (sous l’effet d’autres apprentissages sociaux et dérivations langa-
gières) occupe une place importante.
Pour autant, nous nous comportons comme si les propriétés biologiques
du mâle et la masculinité de l’homme étaient de même nature : deux réali-
tés existant en soi dans le monde. Nous considérons implicitement la mas-
culinité comme un trait que les hommes possèdent (Addis, Mansield, &
Sydek, 2010), dont l’existence serait indépendante de la pensée humaine.
C’est parce que Paul a le sentiment de ne pas être sufisamment pourvu
de ce présumé trait, censé le caractériser, que la masculinité est une source de
souffrance pour lui. Dans un premier temps, le travail thérapeutique avec
Paul consiste à l’aider à se dégager de cette conception implicite en prenant
conscience du caractère arbitraire du label « masculin ».
2. Cet échange est inspiré de l’exercice « Vous avez toujours été là » (Monestès &
Villatte, 2011).
Paul : « Si c’est un homme »… lexible ! 107
3. Dans cet échange, inviter Paul à cette prise de perspective sur soi implique aussi
une prise de perspective pour le thérapeute. Comme on lit de gauche à droite,
la lèche du temps que je mime avec les bras me semble plus évidente à se repré-
senter dans l’espace, pour Paul, si je respecte cet ordre de progression. Or Paul
est assis en face de moi : je mime donc la lèche du temps de sa gauche (= avant)
vers sa droite (= après), qui sont ma droite et ma gauche.
110 Attentif
Prendre de la hauteur
Paul est également préoccupé de « ne pas être (assez) masculin » en tant
que père.
Un des motifs de la séparation avec son épouse tenait au fait qu’elle le
trouvait « trop maternel », trop enclin à investir la vie familiale au détri-
ment de la vie professionnelle et sociale, renforçant ainsi les apprentissages
préalables de Paul et son sentiment de ne pas appartenir au monde des
hommes. Depuis leur divorce, parce que c’est le plus souvent lui qui sollicite
son ex-femme sur les questions concernant les enfants, Paul a l’impression
que c’est lui (et non elle) la mère célibataire.
Pour aider Paul, il serait vain de lutter contre la relation d’opposition entre
masculin et féminin, que le contexte social persistera à alimenter. Ain de
dépasser cette opposition, le travail consiste à privilégier des perspectives
Paul : « Si c’est un homme »… lexible ! 115
Paul pourrait faire gâchette pour la féministe que je suis ! Il aurait été
complètement contre-productif de répondre à cette relation d’équivalence
par une autre (« féministe = je ne peux pas laisser dire une chose pareille ! »).
Réagir ainsi aurait sapé le travail de distanciation du contenu opéré avec
Paul autour de la notion de masculin.
Le thérapeute n’est jamais à l’abri d’être rattrapé par ses propres appren-
tissages et réseaux relationnels : c’est tout particulièrement le cas lorsqu’on
travaille sur l’identité de genre.
Depuis cette séance, Paul a rencontré plusieurs femmes, sans éprouver
avec aucune le désir de s’engager dans une relation de couple. Faire leur
connaissance lui a cependant permis d’expérimenter que de nombreux fac-
teurs autres que se sentir ou être perçu comme masculin interviennent dans
la construction d’une entente durable avec une partenaire.
D’une manière générale, Paul dédie aujourd’hui plus d’énergie à vivre
l’expérience des différents rôles que comporte sa vie d’homme qu’à se
demander s’il joue ces rôles de manière sufisamment masculine.
Références
Addis, M., Mansield, A., & Syzdek, M. (2010). « Is masculinity a problem? Framing
the effects of gendered social learning in men ». Psychology of Men & Masculinity,
11(2), 77-90.
Monestès, J. -L., & Villatte, M. (2011). La Thérapie d’acceptation et d’engagement : ACT.
Paris: Elsevier Masson (p. 124).
Sylvester, M., & Hayes, S. (2010). « Unpacking masculinity as a construct: ontology,
pragmatism and an analysis of language ». Psychology of Men & Masculinity,
11(2), 91-97.
Villatte, M., Villatte, J., & Hayes, S. (2015). Mastering the Clinical Conversation: Lan-
guage as Intervention. New York: Guilford Press.
Page laissée en blanc intentionnellement
9 « Mes pensées
ne me laissent jamais
tranquille ! »
Benoît Henaut
Lisa a 57 ans. Elle est divorcée depuis dix ans et a deux enfants, un garçon
de 29 ans et une ille de 25 ans, qui habitent à l’étranger. Bonne élève, elle
aimait étudier (« un moyen qu’on me laisse tranquille aussi »), mais rougis-
sait souvent. Les présentations en public durant sa scolarité ont souvent
été une source de stress et de moqueries de la part de ses camarades. Elle
a cependant ini ses études d’ingénieur en tant que major de sa promo-
tion, puis est devenue ingénieur informatique, salariée dans une grande
entreprise qu’elle a choisi de quitter à la suite de dificultés récurrentes
avec sa hiérarchie, notamment en raison de son rapport à l’autorité. Elle
est aujourd’hui graphiste free-lance. Elle dit aimer contrôler les choses,
planiier la moindre tâche, et avoir besoin de rester très active, au risque de
s’ennuyer. Lisa est très curieuse, s’intéresse à l’économie, à la politique, aux
sciences… Elle se plaint de se disperser, de commencer quelque chose sans
jamais le terminer, de se lasser trop vite.
Lisa a été orientée vers moi par son médecin traitant en raison de mon
approche ACT et de pleine conscience. Lors de notre première rencontre,
elle s’est présentée comme une femme dynamique, énergique, qui occupait
littéralement l’espace par une gestuelle ample et rapide. Le rythme de son
expression verbale était très soutenu. Lisa me regardait droit dans les yeux,
puis parfois posait son regard dans le vide, comme si elle était absente…
« J’étais ailleurs », « Mes pensées m’ont emmenée »…
Au cours du premier entretien, elle évoque assez précisément les difi-
cultés sur lesquelles elle souhaite travailler. Elle se plaint tout d’abord de
pensées qui l’envahissent sans cesse et qui vont « dans tous les sens ».
Elle se sent épuisée de ne pas parvenir à les arrêter. Elle a le sentiment
d’être « folle », que ses pensées s’imposent à elle sans qu’elle ne parvienne
à les contrôler. Ces pensées s’accompagnent de profonds moments de tris-
tesse, d’angoisse. Lisa a le sentiment de ne « jamais proiter simplement du
moment présent, de ne pas pouvoir être heureuse » car ses pensées ne la
laissent jamais tranquille.
Elle évoque également des dificultés dans sa relation avec son compa-
gnon. Elle se plaint du manque d’attention et de reconnaissance, ce qui la
rend « exagérément triste ». Elle décrit également des crises de colère qui la
débordent quand son compagnon lui fait une remarque.
Enin, elle souhaite travailler ses dificultés à prendre la parole en public,
dificultés qui l’handicapent particulièrement dans son travail.
Les émotions de Lisa sont plus fortes, ses yeux s’embrument, elle bouge
sur son siège, soufle.
– T – Ça semble vraiment pénible quand ces pensées et ces res-
sentis sont là.
Je soufle avec elle pour valider son ressenti. Je tente également
d’amener son attention sur ses sensations pour rester dans le moment
présent.
– L – Oui, c’est toujours là ! Et Hervé (son compagnon) ne m’aide
pas, il ne sait pas s’occuper de moi, il est toujours occupé à autre
chose, il s’en fout de ce que je peux ressentir, il est comme mon ex,
il ne pense qu’à lui, d’ailleurs comme tous les hommes, et puis…
– T – Ce qui se passe dans votre relation avec Hervé est important.
Si vous le voulez bien, on y reviendra un peu plus tard. J’aimerais
qu’on regarde ensemble ces pensées que vous venez de mention-
ner et ce qu’elles provoquent en vous…
J’interromps volontairement Lisa, car il me semble qu’en parlant
d’Hervé, elle est prise dans une mise en relation automatique de pen-
sées qui l’éloigne du contact avec ses ressentis désagréables, en d’autres
termes dans un évitement.
– L – Ben quoi ? Vous ne voyez pas ce qu’elles me font ? J’en ai
marre de ces émotions ! À quoi bon ?
Lisa semble exaspérée par son expérience douloureuse. J’observe mon
hésitation à continuer à la faire observer son expérience présente.
Je prends ainsi conscience de ma propre envie d’éviter le vécu dés-
agréable de Lisa, je lui fais un peu de place, et je décide de poursuivre.
– T – Cela semble effectivement être une expérience doulou-
reuse qui vous traverse, comme si vous y étiez emmenée mal-
gré vous. La fonction du mental est de mettre automatiquement
en relation ce que l’on vit d’une situation présente avec ce que
l’on a déjà vécu. C’est comme si devant toute nouvelle situation,
pour s’y adapter, notre mental analysait rapidement la situation
et allait chercher dans le stock de notre mémoire ce qui pourrait y
ressembler, comme dans une grande bibliothèque. Ce traitement
de la situation est souvent partiel et trop rapide, il se fait automa-
tiquement, on ne peut le contrôler et les résultats s’imposent à
nous, qu’ils soient agréables ou désagréables. Ils nous emmènent
souvent loin du moment présent et de sa réalité. Cette analyse
très rapide faite par notre cerveau est la fonction du stress. Nous
sommes « câblés » pour réagir quasiment automatiquement.
C’est donc normal de se faire piéger par les automatismes. Un
des moyens de déconnecter ce pilote automatique est de s’ancrer
davantage dans le moment présent, en observant ce qui se passe
pour vous, par exemple au niveau de vos sensations. Qu’est-ce qui
se passe ici ?
« Mes pensées ne me laissent jamais tranquille ! » 123
sur le contact au moment présent, comme dans l’extrait suivant lors duquel
j’ai renforcé les progrès de Lisa à observer la transformation progressive de
son vécu émotionnel alors qu’elle me relatait un souvenir avec son père.
– L – Oui, c’est encore présent. J’en ai marre et je sais, je le
constate, comme vous l’avez dit, ça sera toujours là. (Elle soufle.)
Mais bon, c’était moins douloureux que d’habitude. D’ailleurs, il y
a même une fois la semaine dernière où j’ai pu voir tout ça arriver
et passer sans être affectée, c’était jouissif ! (Elle sourit largement.)
Ah ! Il faut aussi que je vous raconte que j’ai eu mon petit-ils
pendant plusieurs jours…
– T – Attendez, Lisa, ça me semble important, j’aimerais bien
qu’on regarde ensemble ce qui s’est passé quand vous avez pu
regarder avec distance ces pensées qui habituellement sont vécues
douloureusement.
Lisa semble agacée, elle a l’habitude de suivre ses pensées et de ne pas
être en contact avec ce qui est désagréable.
– T – Qu’est-ce qui se passait ? Vous étiez où ?
– L – J’allais à mon cours de yoga, il faisait très beau. C’était
agréable, je prenais mon temps en traversant le parc pour y aller,
les leurs étaient magniiques. (Le visage de Lisa se détend.)
– T – Oui, je vois que c’était agréable, vous souriez. Et comment
ces pensées sont-elles venues ?
J’amène Lisa à essayer d’identiier un facteur déclencheur.
– L – Je ne sais plus… Ah oui ! Je pensais à mon compagnon, nous
avions eu une discussion plutôt intéressante sur l’exposition de
Magritte que nous avions vue ensemble… Je crois que je consta-
tais que notre relation avait bien changé, plus apaisée… Et puis je
crois qu’au même moment, mon train de pensées sur mon père
et tout le reste est venu… J’ai senti ma poitrine se soulever, j’en ai
pris conscience, j’ai respiré et puis ça ne m’a pas emportée, j’ai pu
regarder le train passer. J’étais assise sur le banc, je proitais du soleil,
j’étais bien… Oui, c’était vraiment jouissif ! (Elle sourit pleinement.)
– T – Eh bien, félicitations ! Comment avez-vous fait ? Qu’est-ce
qui vous a permis de rester dans le moment présent ?
– L – Je ne sais pas… Me centrer sur ma respiration ; il faisait beau
aussi, ça aide.
– T – Oui, vous avez choisi de rester en contact avec le moment
présent et d’en proiter, en vous centrant sur votre respiration,
dès que vous avez identiié les prémices de ces réactions que vous
connaissez bien.
En utilisant le terme « choisi », j’aide Lisa à identiier qu’elle a agi
volontairement et je renforce sa capacité d’observation de ses expériences.
– T – Où alliez-vous, déjà ?
– L – Au yoga !
– T – C’est une activité qui compte pour vous. Est-ce qu’il y avait
autre chose qui comptait pour vous dans ce moment ?
« Mes pensées ne me laissent jamais tranquille ! » 129
Je souligne la capacité de Lisa à agir vers ce qui est important pour elle,
malgré les dificultés.
– L – Humm… Oui. La nature, ça me fait du bien… Et comme je
vous l’ai dit, j’étais contente de réaliser que ma relation avec Hervé
s’améliorait aussi.
– T – Oui, on dirait que vous recentrer sur ce qui est important
pour vous dans le moment présent fonctionne pour vous. Bravo !
– L – C’est vrai. Merci, c’était un moment intense !
Après quinze séances, Lisa avait bien intégré les processus d’attention
au moment présent et avait développé un rapport différent au Soi. Nous
avons progressivement, et d’un commun accord, diminué la fréquence des
séances, puis décidé de la in de la thérapie (après vingt-six séances). Lors de
la dernière séance, Lisa m’a conié avoir appris qu’elle était bien plus que ses
pensées. La découverte d’une appréhension différente du Soi et de la possi-
bilité de se distancier des pensées automatiques envahissantes semble avoir
été déterminante pour elle. En in de thérapie, elle parvenait régulièrement
à laisser présentes ses pensées, toujours aussi nombreuses, mais qu’elle ne
se sentait plus contrainte de suivre. Elle était davantage en contact avec le
contexte présent et avait retrouvé une lexibilité comportementale et psy-
chologique. Sa rapidité d’esprit et la prise de conscience de ses processus
mentaux étaient ainsi devenues des atouts. Elle n’était plus en lutte avec ses
événements psychologiques.
Elle a souligné que ce positionnement nouveau pour elle n’aurait pas été
possible sans les pratiques de pleine conscience, qu’elle a souhaité appro-
fondir en suivant un apprentissage structuré.
La relation avec son compagnon s’était très nettement améliorée. Elle
ne se mettait plus en colère contre lui ni ne ressentait la tristesse d’avant.
Davantage en cohérence avec ce qui était important pour elle, son rapport
à elle-même était apaisé, et le sentiment d’être folle l’avait quittée.
Quant aux rougissements lors des présentations devant un groupe, Lisa a
simplement conclu, en souriant : « Ça donne de la couleur à la vie, non ? »
Page laissée en blanc intentionnellement
III
Engagé
Déinir ce qui compte
pour soi et agir
Cécile Rossignol-Garcia1
Le « meilleur pour soi ». C’est peut-être cela qu’est venu chercher Julien
auprès de moi, cette capacité à s’engager dans des actions valorisées, qui
donnent du sens à l’existence, qui sont le sel de la vie. Au début de nos
rencontres, ces actions étaient trop rares dans la vie de Julien pour qu’elle
lui semble épanouissante. Sa vie était trop souvent dictée par des mesures,
des précautions qu’il prenait pour ne pas souffrir. Pour que sa vie ne reste
pas entre parenthèses, ma tâche a consisté à favoriser les actions valorisées
au détriment des évitements expérientiels.
Que pensent-ils de moi ? Est-ce que la nourriture n’est pas avariée ? Julien est
épuisé par ses pensées qui l’empêchent de proiter de la vie. C’est pourquoi,
la plupart du temps, il refuse les invitations, les activités proposées par
sa compagne, avec sa famille, avec ses collègues. Il se coupe de ce qui est
important pour lui, pensant que c’est la meilleure solution pour éviter de
souffrir.
Il vient me consulter suite à la demande pressante de sa compagne qui se
plaint du manque de partage de sorties, de restaurants, de cinémas, de week-
ends en amoureux. Elle lui fait le reproche de freiner ses engagements dans
des choses importantes concernant leur couple (mariage, parentalité…).
Julien dit aussi se sentir bloqué dans le domaine professionnel. Il aurait
la possibilité d’évoluer dans son poste, mais avoir plus de responsabilités
le contraindrait à faire davantage de déplacements en avion, à aller plus
souvent au restaurant avec des clients, situations qu’il redoute.
Au inal, Julien dit ne plus prendre plaisir à rien, se lasser rapidement et
être peu satisfait par ce qu’il fait.
Prise en charge
Compréhension des choix thérapeutiques
À l’issue de ces cinq premières séances, les cibles de traitement et les
démarches thérapeutiques ont été choisies avec le patient. Ces choix
140 Engagé
Les séances 8 et 9 ont été consacrées au travail sur le soi comme contexte.
Julien a une vision de lui-même rigide et conceptualisée. Il se voit comme
quelqu’un de différent et de compliqué, qui n’a pas accès au bonheur. À
l’aide de l’exercice « Vous avez toujours été là », j’aide Julien à percevoir la
continuité du soi. Cette technique prend la forme d’un exercice de pleine
conscience au cours duquel il s’agit de faire évoquer au patient différents
souvenirs et d’alterner entre la perspective depuis laquelle chaque situation
remémorée a été vécue et celle d’aujourd’hui, au moment où le souvenir
est rappelé. Le soi devient un point d’observation invariant de tout ce
qui est vécu, quelles que soient les expériences, aussi différentes soient-
elles. Ce « soi » qui devient observateur permet de ne plus se sentir dévasté
face à des événements psychologiques douloureux. Julien se perçoit tour à
tour comme un petit garçon timide, un homme responsable, un ami appré-
cié, un individu rongé par la peur… Ici encore, l’exercice a été proitable à
Julien qui en a conclu : « Je me rends compte que cette vision négative de
moi est souvent réductrice. Je ne suis pas qu’un anxieux ! Elle m’empêche
de proiter d’expériences qui pourraient être intéressantes mais que je ne
m’autorise pas, comme faire de la musique, par exemple. » Il choisira d’ail-
leurs un peu plus tard au cours de la thérapie de se renseigner pour prendre
des cours de batterie.
Les séances 10 et 11 sont consacrées au travail sur le contact avec l’instant
présent. Plusieurs exercices de pleine conscience (centrés sur la respiration,
le balayage corporel) ont été proposés ain de favoriser le développement
des compétences d’observation dans l’ici et maintenant.
Ces premières séances (6 à 11) ont permis à Julien d’apprendre à laisser de
la place à ce qui se passe en lui (émotions, événements cognitifs) sans être
constamment en alerte, mais en cultivant une forme de curiosité bienveil-
lante. Il s’est alors senti capable de s’engager dans des actions importantes
pour lui et jusqu’alors abandonnées.
À l’issue de cette séquence, Julien a bien conscience de ce qui lui pose pro-
blème. Il a tendance à agir pour apporter un soulagement et non de manière
à enrichir sa vie. Il constate qu’il agit peu, que ses actions sont limitées dans
sa vie actuelle. Il sait qu’il s’engage déjà dans des actions en lien avec ses
valeurs mais il n’arrive pas à en être satisfait.
La deuxième phase du travail sur les valeurs a consisté à la mise en place
de techniques pour rendre plus fonctionnels les renforcements dans la vie de
Julien, pour qu’il puisse accéder à ces sources de renforcement malgré la
présence de pensées et d’émotions dificiles. Voici un exemple d’échange
qui illustre la mise en lien des comportements actuels de Julien avec ses
valeurs.
Les dernières séances (18 à 22) ont clôturé le dépassement des barrières
à l’action et ont favorisé l’augmentation de la lexibilité ain d’obtenir plus
d’engagements. En prenant conscience de son fonctionnement et en ayant
une meilleure compréhension des processus qui sous-tendent son mal-être,
Julien peut décider de s’engager dans l’action sur le long terme, après la in
de la thérapie.
Julien : une vie entre parenthèses 147
Référence
Wilson, K. G., Sandoz, E. K., Kitchens, J., & Roberts, M. (2010). The valued living
questionnaire: deining and measuring valued action within a behavioral frame-
work. The Psychological Record, 60(2), 249-272.
11 Valérie grignote ses valeurs
Hervé Montes
Valérie, 45 ans, consulte pour un problème qui lui donne du souci depuis
près de dix ans. Elle grignote trop et trop souvent. Ce problème lui gâche
la vie car il se répercute sur son estime de soi ainsi que sur son humeur. Le
grignotage est aussi la cause d’un surpoids estimé à quinze kilos. Valérie est
divorcée. Mère d’une adolescente de 13 ans, elle est en recherche d’emploi
quand nous nous rencontrons. Elle a un parcours de cadre administratif
dans le secteur de l’immobilier et de la construction. Elle se décrit elle-même
comme quelqu’un d’actif, mais « souvent débordée et anxieuse ». Elle ne
pratique pas d’activité physique régulière, même si chaque année elle s’ins-
crit dans une salle de sport sans proiter réellement de son abonnement.
Valérie n’a pas d’antécédents médicaux notables. Elle a essayé à deux
reprises de contrôler son poids avec l’aide d’un nutritionniste, sans succès.
Elle a également tenté par elle-même de nombreux régimes amincissants
qui ne lui ont jamais permis de contrôler de son poids. Valérie n’a jamais
présenté d’épisode de dépression et n’a jamais pris de traitement psycho-
trope. Elle a bénéicié il y a trois ans d’une prise en charge d’inspiration psy-
chanalytique par une psychologue libérale pendant près d’une année. Elle
dit y avoir appris des choses sur elle-même, mais cela ne lui a pas permis de
se débarrasser des crises de grignotage, ni des vagues d’émotions négatives
qui handicapent son quotidien.
C’est une remarque de sa ille sur son poids et son apparence physique
qui semble être le facteur précipitant pour consulter de nouveau. Lors du
premier entretien, Valérie semble plutôt à l’aise, verbalise facilement ses
dificultés, et se dit désireuse de commencer une thérapie.
Elle décrit facilement les séquences comportementales qui constituent
son problème mais ne repère pas leur articulation. Elle en donne une expli-
cation qui semble à la fois issue de la psychologie populaire et du suivi
antérieur : « Je fais cela pour me punir », « Je me cache derrière moi-même »,
« Je me remplis pour combler un vide psychologique ».
Le premier entretien met en évidence une peur du rejet et de la critique et
un sentiment récurrent de ne pas être à la hauteur. Elle masque par exemple
son embonpoint par des vêtements amples. Elle présente également des
dificultés à s’engager dans le cadre professionnel ou affectif.
à faire à manger. Je stimule mon père. Je lui fais la lecture. J’y passe aussi
dans la semaine. Je regarde les papiers. Je les accompagne chez les médecins.
Comme je ne travaille pas en ce moment, ce n’est pas grand-chose pour
moi. Et puis, cela les aide. »
Valérie a également un frère plus jeune qu’elle. Quand je l’interroge sur
l’aide que son frère apporte à leurs parents, elle répond : « Vous savez, il est
jeune. Il a un petit garçon qui vient de naître. Il a autre chose à faire. Et je
ne suis pas sûre qu’il sache vraiment quoi faire. »
Au niveau professionnel, Valérie a quitté son dernier emploi dans le cadre
d’une rupture conventionnelle : « Je n’en pouvais plus du rythme, et puis
dans l’immobilier, tout le monde crie sans arrêt. Il y a du stress partout. Les
délais à tenir et à rappeler sans arrêt aux conducteurs de travaux… Et puis il
y avait eu des changements dans la direction, ce n’était plus la petite entre-
prise que j’avais connue. »
Valérie a visiblement une expérience et un curriculum vitae intéressants
puisque plusieurs postes lui ont déjà été proposés. Parlant de ces proposi-
tions d’emplois, elle dit : « J’ai honte de dire cela, mais j’en ai refusé plu-
sieurs. D’abord parce que c’était de la part de la concurrence et je ne voulais
pas me retrouver au cœur d’une histoire impossible ou d’un conlit. Ensuite,
j’ai déjà tellement à faire avec mes parents et ma ille. Je voudrais quelque
chose de tranquille. Mais aussi d’intéressant. Au fond, j’aimais bien ce que je
faisais. Mais c’était vraiment trop stressant. Et tout le monde voyait que
je prenais du poids. Je sais qu’il va falloir que je me décide… Cette situation
ne peut pas durer éternellement. »
1. L’Hexalex est une igure servant à représenter les différents processus psycho-
pathologiques mis en évidence dans l’ACT : le manque de contact avec l’ins-
tant présent, l’évitement expérientiel, la fusion avec les pensées, la dificulté à
adopter plusieurs perspectives sur soi, le manque de connaissance de ses valeurs
et d’engagement en direction de ce qui est important pour soi. Il existe d’autres
igures dont l’objectif est avant tout pratique ou pédagogique (Trilex, Matrice).
Toutes s’appuient sur le modèle psychopathologique et thérapeutique de l’ACT.
Valérie grignote ses valeurs 153
Plan thérapeutique
Chronologie des moments clés de la thérapie
• Anamnèse et éléments biographiques.
• Présentation du diagnostic d’hyperphagie compulsive.
Information sur le trouble et discussion des options thérapeutiques. Nous
convenons de l’inutilité d’une prescription de psychotrope. Nous retenons,
au regard du rapport risque/bénéice, l’indication d’un abord psycholo-
gique des troubles.
• Présentation du modèle ACT.
Quelques informations sont données à Valérie quant au modèle théra-
peutique proposé, notamment sur le fait que l’ACT fait partie des thérapies
comportementales et cognitives, qu’il s’agit d’une thérapie courte pendant
laquelle il y aura de nombreuses interactions. Cette description surprend
quelque peu Valérie qui n’avait expérimenté jusqu’alors qu’une thérapie
d’inspiration analytique. Nous déinissions un nombre de dix séances
comme étant un format classique, mais adaptable.
• Déinition des objectifs de la thérapie.
Cette étape a été réalisée en collaboration avec la patiente. Il s’agit de
confronter ses attentes à celles du thérapeute et aux possibilités réelles
d’intervention. Les objectifs retenus sont :
– baisser la fréquence des compulsions alimentaires ;
– redécouvrir un mode de vie harmonieux ;
– faire des choix adaptés à ma vraie personne ;
– mieux réagir face à mes émotions.
La perte de poids n’est pas retenue comme un objectif réaliste à court
terme. Le trouble alimentaire dont souffre Valérie est un facteur impor-
tant de maintien de surpoids. La disparition des grignotages va permettre
d’amorcer une perte de poids, mais celle-ci se fera sur le moyen terme et
nécessitera que Valérie y associe une hygiène alimentaire et la reprise d’une
activité physique adaptée.
Déroulement de la thérapie
Une prise en charge ACT se compose souvent d’une exploration et d’un
travail sur les axes thérapeutiques rassemblés dans l’Hexalex. Chaque
séance est modulable en fonction de la problématique de chaque patient
et s’appuie sur l’utilisation de moments de rélexion et de dévoilement per-
sonnel, sur l’utilisation de métaphores, d’exercices ou de mises en situation.
154 Engagé
Pour Valérie, les sessions ont abordé ces points dans l’ordre suivant :
• séance 1 : la souffrance est un élément incontournable de notre vie ;
• séance 2 : l’inutilité de la lutte contre la souffrance ;
• séances 3 et 4 : pourtant, nous cherchons tous à nous débarrasser de nos
souffrances (notion d’eficacité des stratégies à court terme et à long terme) ;
• séance 5 : analyse de la fonction des comportements de Valérie ;
• séance 6 : déinition des valeurs ;
• séance 7 : les valeurs et les actions engagées ;
• séance 8 : garder le cap. Le bilan des actions engagées et des modiications
apportées dans le fonctionnement de Valérie.
Les dificultés de Valérie semblent davantage porter sur la question des
valeurs et de son engagement dans des actions qui font sens pour elle. Valé-
rie est, à l’évidence, capable de repérer ce qui est important pour elle, bien
qu’elle présente des dificultés à déinir précisément les actions qui seraient
satisfaisantes pour elle en direction de ses valeurs. De façon plus évidente
encore, ses dificultés portent sur son habitude de réaliser des choix d’action
en désaccord complet avec ses propres valeurs, vraisemblablement pour évi-
ter de se sentir rejetée. Pour ces raisons, nous avons choisi de détailler dans
la suite de ce chapitre le travail réalisé sur les valeurs de Valérie, en vue de
l’aider à se remettre en action vers ce qui compte pour elle.
• n’a pas pour but a priori d’atteindre un état mental comme la quiétude,
l’apaisement, le bonheur ;
• donne un sens à la vie.
De tels éléments de déinition peuvent être utiles pour faire percevoir au
patient ce qui est recherché. Cependant, le risque principal à prendre en
compte est sans doute d’intellectualiser et de complexiier une notion qui
est plutôt empiriquement comprise, et vécue plus que réléchie. L’utilisation
de métaphores, de comparaisons imagées ou de moments de dévoilement
personnel prend ici tout son sens.
La démarche utilisée ci-dessous a permis de préciser ce qu’est une valeur
en s’appuyant sur une anecdote de la vie personnelle du thérapeute et en
conduisant la patiente vers une position d’experte.
– Thérapeute (T) – Valérie, je vais vous raconter un moment
de ma vie dont je ne suis pas particulièrement ier, qui m’a mis
en dificulté et pour lequel j’aimerais avoir votre avis. Êtes-vous
d’accord ?
– Valérie (V) – Eh bien oui, pourquoi pas, mais je ne suis pas sûre
de donner un avis intéressant.
– T – Vous savez, il n’y a pas de bonne réponse, j’ai juste besoin de
votre avis spontané, de votre ressenti. Alors voilà : Il y a quelque
temps, un week-end, il me prend l’idée saugrenue de ranger mon
bureau. Je dois vous confesser que je ne suis pas très ordonné
et que j’ai tendance à empiler livres, notes personnelles, revues et
autres papiers sur mon bureau. J’étais donc en train de trier mes
papiers quand je trouve un faire-part de naissance envoyé par un
vieil ami m’annonçant l’arrivée de son deuxième enfant. Relisant
le faire-part, je réalise avec un intense sentiment de gêne et de
honte que non seulement le faire-part date de plus d’un an, mais
qu’en plus, que je n’y ai pas répondu. Qu’auriez-vous fait à ma
place ?
– V – Eh bien si c’est votre ami, j’aurais téléphoné, ou j’aurais écrit
pour essayer de réparer ma gaffe. C’est ça ?
– T – J’aurais adoré réagir comme cela Valérie ! J’aurais adoré pen-
ser comme vous me le conseillez. Mais ce n’a pas été le cas.
– V – Ah bon ? Mais vous avez pensé quoi ? Vous avez fait quoi ?
Vous devez avoir mis le feu au faire-part ? (Rires.)
– T – À peu près. (Rires.) Mon cerveau s’est activé pour me four-
nir diverses solutions, comme détruire le faire-part et n’en parler
à personne – surtout pas à ma femme – ou accuser la poste de
négligence. Je me suis aussi dit qu’après tout, mon ami ne m’a pas
contacté depuis longtemps… Enin, plein de solutions possibles…
Au fait, qu’est-ce qui vous a conduite à me donner immédiate-
ment, sans même beaucoup réléchir, une solution si différente de
celles que mon cerveau m’a données ?
156 Engagé
Mes objectifs
Que Mathilde ne coure aucun risque.
Ne pas être critiquée par mes amies.
Ne pas avoir de problèmes en plus.
Aider Mathilde à grandir.
Ne pas me fâcher avec Mathilde.
Être une mère parfaite.
Mes objectifs
Aider Mathilde à grandir.
Que Mathilde ne coure aucun risque.
Ne pas être critiquée par mes amies.
Ne pas avoir de problèmes en plus.
Ne pas me fâcher avec Mathilde.
Être une mère parfaite.
Comme illustré dans cet échange, dans un tel moment de choix émo-
tionnellement fort, il est important d’amener le patient à envisager toutes
les conséquences de ses choix, à court terme comme à long terme, pour lui,
pour les autres et pour leur relation. L’intérêt d’un tel échange est aussi de
transmettre à Valérie un mode de raisonnement à appliquer à chaque fois
qu’un choix dificile se présente à elle. L’idée est de modéliser le processus
décisionnel en mettant les valeurs en son centre. Ce processus décisionnel
est donné à la patiente sous la forme d’une iche-résumé ain qu’elle l’utilise
pour d’autres choix. Il y est inscrit de la façon suivante.
1. Lister toutes mes attentes et mes objectifs.
2. Prioriser mes attentes et mes objectifs au regard des valeurs mises en jeu
par le choix à faire.
3. Ne garder que le premier objectif ou la première attente, en se posant la
question « quel chemin me montre ma valeur ? ».
4. Engager rapidement une action dans le sens de l’objectif choisi.
5. Être d’accord pour ressentir la souffrance liée au renoncement.
6. Évaluer la fonctionnalité du choix.
Enin, nous proitons de cette séquence pour aborder une nouvelle difi-
culté : comment reconnaître ses valeurs.
elle s’est connectée dans la séquence précédente, qui s’est concrétisée par le
choix de laisser plus de libertés à sa ille.
– T – Si vous êtes d’accord, nous allons revenir sur ce choix que
vous avez fait de laisser davantage de liberté à votre ille et sur ce
qu’il vous a permis de le faire.
– V – D’accord. Vous savez, ressentir cette évidence m’a beaucoup
surprise, mais vous m’avez aidée.
– T – J’espère vous avoir aidée. Mais allons plus loin si vous êtes
d’accord, et essayons de nommer ce qui vous a guidé pour ce choix.
Nous allons déinir ensemble une ou plusieurs valeurs, que nous
noterons dans la case « Famille et couple » du tableau que je vous ai
donné. Pour que Mathilde soit dans dix ans la jeune adulte équili-
brée et pleine de vie que vous m’avez décrite, quelles « qualités
humaines » vous paraît-il utile de développer chez vous ?
– V – Eh bien, je dirais : être présente pour elle, protectrice mais
pas trop, l’aider et la soutenir, lui faire coniance, communiquer
avec elle, être toujours calme, être en harmonie avec elle.
– T – Tout cela me paraît être de belles choses, mais certaines ne
peuvent pas être des valeurs. Je ne veux surtout pas dire qu’il y a
de bonnes et de mauvaises valeurs, mais que certains points ne
répondent pas à la déinition des valeurs.
– V – Comment faire pour le savoir ?
– T – En se posant plusieurs questions : tout d’abord, une valeur
n’est pas quelque chose qu’on peut atteindre directement, comme
la paix, la tranquillité ou l’équilibre.
– V – Du coup être en harmonie n’est pas une valeur.
– T – Malheureusement non. De plus, on dit parfois qu’une valeur
ne peut pas être mieux incarnée par un mannequin dans une
vitrine que par soi-même. Donc, puisque ne jamais s’énerver est
plus facile à faire pour un mannequin inanimé que pour vous ou
moi, « être toujours calme » ne peut pas être considéré comme une
valeur.
– V – En plus, je me dis qu’au fond, ne jamais s’énerver, ça doit
pas être possible.
– T – Je pense aussi que ce n’est pas possible, mais si quelqu’un
sait comment faire, je suis preneur ! (Rires.) Enin, une dernière
règle : quand on évoque une valeur, on voit très vite quelle est
l’action que nous pourrions engager. Si ce n’est pas le cas, il ne
s’agit sans doute pas d’une valeur.
– V – Si on regarde les choses comme cela, « protectrice mais pas
trop » ne me montre pas une direction bien nette. Au inal, j’ai
l’impression de vouloir encore bien faire et de ne pas choisir.
– T – Cela me semble bien vu. Pouvons-nous reporter les valeurs
que nous avons conservées comme telles sur le tableau ?
Valérie grignote ses valeurs 161
1. « Fumeur » est un terme générique qui désigne ici et dans le reste de ce chapitre
aussi bien les hommes que les femmes.
2. L’ACT est fondée sur la théorie des cadres relationnels (RFT). Pour découvrir la
RFT et ses applications cliniques, se référer à Törneke (2010) et à Hayes, Strosahl,
& Wilson (2012).
que les conséquences des actions restent assez renforçantes pour maintenir
durablement le comportement ciblé.
Dans l’échange suivant, le thérapeute aide Éric à explorer ses valeurs.
– Thérapeute (T) – Qu’est-ce qui vous pousse à arrêter de fumer
maintenant ?
– Éric (É) – Les inances… C’est idiot de dépenser autant dans la
cigarette ! Je pourrais faire autre chose avec tout cet argent.
Éric émet ici un jugement (« C’est idiot ») que le thérapeute ne relève
pas ain que l’échange reste focalisé sur la recherche des domaines
motivants, sans dévier vers les autres axes thérapeutiques (ici, la
défusion).
– T – Voilà un premier élément important pour arrêter de fumer.
Vous pouvez compter. À 20 euros par semaine, vos cigarettes vous
coûtent plus de 1 000 euros par an.
– É – Sacrée somme !
– T – Oui. Ceci dit, vous auriez pu prendre cette décision plus tôt.
Qu’est-ce qui vous la rend plus urgente, aujourd’hui ?
Le thérapeute permet à Éric d’explorer les conséquences actuelles de son
tabagisme.
– É – Je vois ma santé se dégrader et s’il me reste dix à quinze ans
à vivre, je préfère les vivre aux trois quarts bien.
– T – Voulez-vous dire que le contexte actuel n’est plus le même
qu’il y a vingt ans quand vous avez commencé à fumer ?
– É – Oui. Il y a vingt ans, j’étais invincible, rien ne pouvait
m’arriver. Je dois voir la vérité en face, maintenant.
– T – Maintenant, vous voudriez vivre sainement le restant de
votre vie.
– É – C’est ça : vivre sainement !
– T – Ce projet peut ne jamais se inir. Vous pouvez toujours en
faire un petit peu plus pour vivre sainement.
– É – C’est ce qui est bien, justement. Quoi que je fasse, si je le fais
sainement, je serai content.
La mise en évidence d’une valeur importante aux yeux du patient lui
permettra de qualiier ses comportements d’abstinence. Il ne sera plus
uniquement en train de résister à une envie de fumer, mais de « vivre
sainement », qui devient une qualité renforçante de l’action. Le théra-
peute mémorise pour l’instant cette valeur. Par la suite, il aidera Éric à
choisir des actions liées à celle-ci.
Dans ce chapitre, nous avons mis en évidence que l’aide au sevrage taba-
gique peut être potentialisée par de nombreux comportements dans les-
quels le tabac est impliqué et par la recherche d’une compréhension plus
large du comportement de fumer. En amenant Éric à considérer sa vie dans
Agir sur sa vie, pas sur ses envies 177
son ensemble et à découvrir qu’il lui était possible d’envisager une vie plus
riche de sens et emplie de vitalité, le comportement de fumer a été mis en
perspective avec d’autres comportements plus importants pour lui. Il a ainsi
perdu de sa valeur initialement renforçante.
Aujourd’hui, Éric ne fume plus. Il est très content de ce résultat. Il utilise
les timbres à la nicotine de façon irrégulière. Il vapote parfois. Fumer du
tabac ne l’attire plus du tout. Sa relation avec son épouse s’est améliorée et
il fait davantage d’activité physique.
Références
Bricker, J. B., & Wyszynski, C. M. (2012). « Contextual cognitive behavioral therapies
for smoking cessation: motivational interviewing and acceptance and commit-
ment therapy ». In S. C. Hayes, & M. E. Levin (Eds.), Acceptance and Mindfulness
for Addictive Behaviors (pp. 257-274). Oakland: New Harbinger Publications.
Fiore, M. C., Bailey, W. C., Cohen, S. J., Dorfman, S. F., Goldstein, M. G., Gritz, E. R.,
& Mecklenburg, R. E. (2000). Treating tobacco use and dependence: clinical practice
guideline. Rockville: US Department of Health and Human Services, 00-0032.
Hayes, S. C., Strosahl, K. D., & Wilson, K. G. (2012). Acceptance and commitment
therapy: the process and practice of mindful change (2nd edition). New York: The
Guilford Press.
Hill, C., & Laplanche, A. (2004). Le Tabac en France : les vrais chiffres. Paris: La Docu-
mentation française.
INPES, Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addic-
tives, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. (2014).
Drogues et conduites addictives. Paris, INPES éditions.
Magis, D., Geronooz, I., & Scheen, A. (2002). « Tabagisme, insulinoresistance et dia-
bète de type 2 ». Revue médicale de Liège, 57(9), 575-581.
Thomas, D. (2012). « Tabagisme et maladies cardiovasculaires ». La Revue du praticien,
62(3), 339-343.
Törneke, N. (2010). Learning RFT: an introduction to relational frame theory and its
clinical application. Context press, New Harbinger Publications.
Page laissée en blanc intentionnellement
13 Utiliser tous les processus
ACT pour aider Pierre
à trouver ses valeurs
Christophe Deval1
Pour ce chapitre, j’ai choisi de présenter le travail réalisé sur les valeurs avec
un patient que je n’ai rencontré que deux fois. Bien que cela représente un
nombre de rencontres inférieur à ce dont on a l’habitude, ce choix repose sur
l’objectif de présenter le déroulement d’une séance quasiment in extenso. De
plus, mon travail s’appuie sur un des aspects que j’apprécie le plus dans l’ACT,
à savoir la possibilité de faire une réelle différence dès les premières séances, à
l’image des interventions courtes proposées par Strosahl et ses collaborateurs
(Strosahl, Robinson, & Gustavsson, 2012 ; Robinson, Gould, & Strosahl, 2011).
Au début de ma pratique ACT, je suivais les « protocoles » décrits dans
les manuels (désespoir créatif, défusion, acceptation et ainsi de suite au il
des séances). En réalité, dès la première séance, tous les processus entrent
en jeu, et pratiquer l’ACT consiste davantage à danser avec les processus en
fonction de ce qui se présente dans l’échange avec le patient. Cela ne
signiie pas se laisser « balader » au gré du vent du patient. Il est tout à
fait possible de poursuivre un objectif thérapeutique – c’est même indis-
pensable ! –, mais on peut utiliser ce qui se produit au cours de la séance,
moment après moment, pour aller vers cet objectif. Souvent, cela signiie
que vous n’utiliserez pas telle métaphore très connue ou tel exercice de
pleine conscience que vous aviez prévu de proposer à votre patient. Sys-
tématiquement, encore aujourd’hui, avant chaque séance, je me raconte
une histoire sur ce que je vais travailler avec le patient, les exercices que je
vais proposer, etc. La plupart du temps, je ne fais inalement rien de tout
cela. Et c’est normal. Si vous vous en tenez à votre plan de départ, il est
probable que vous passiez à côté de l’essentiel de la séance par manque de
lexibilité, parce que vous serez concentré sur l’organisation que vous vou-
lez tenir. La lexibilité n’est pourtant pas un objectif à réserver aux patients !
Pratiquer l’ACT, c’est utiliser les différents processus en fonction des réac-
tions de votre patient (que vous ne pouvez jamais totalement prévoir), au
service d’un objectif thérapeutique : développer sa lexibilité.
Mon but dans ce chapitre est de fournir un exemple de cette lexibilité
au il de la séance, en mettant particulièrement en lumière ce qui permet
patient pour ses comportements évitants ou pour sa lutte contre ses pensées
dificiles, et de mettre rapidement en évidence le fait que l’objectif de la
thérapie est d’augmenter la part des actions qui font sens plutôt que de
chercher à éliminer les émotions et les pensées douloureuses.
Les pensées dans l’ACT sont vues uniquement sous un angle fonctionnel :
est-ce qu’elles fonctionnent ou pas, autrement dit est-ce qu’elles permettent
d’avancer vers ses valeurs ou non ? Si elles aident le patient à avoir la vie
qu’il veut, il n’y a aucune raison d’aller vers une démarche de défusion.
En l’occurrence, la « philosophie » de Pierre semble plutôt lui fermer des
portes. Pour ce type de pensées générales, voire métaphysiques, mon expé-
rience est que le recours aux techniques classiques de défusion (« J’ai la
pensée que », jouer avec les pensées, etc.) ne permet pas une distanciation
du patient vis-à-vis de ses pensées. La plupart du temps, la réaction est une
variante de « Oui, mais j’y crois » ou de « Oui, mais c’est comme ça ! ».
Bref, on ne parvient pas à en changer la fonction. Pour éviter cet écueil, j’ai
pris l’habitude de ne pas passer trop de temps à travailler avec ces pensées,
Utiliser tous les processus ACT pour aider Pierre à trouver ses valeurs 183
par la peur et le « Je ne sais pas ». C’est ce qui m’a amené à aller vers une
stratégie pour lever l’obstacle émotionnel : « Si la peur n’était pas là, qu’est-
ce que vous feriez ? » Si je pensais que Pierre n’avait pas idée du tout de
ce qui comptait pour lui, je ne serais pas allé dans cette direction. Mais
le « peut-être » m’a laissé penser que le « Je ne sais pas » était un moyen
d’échapper à la peur.
On pourrait se demander pourquoi avoir attendu si longtemps dans la
séance pour poser cette question puisque l’on savait depuis un moment
que la peur était l’obstacle principal. Il aurait en effet été possible de le faire
plus tôt, et cela aurait pu être concluant. J’en doute néanmoins. S’il arrive
qu’une seule stratégie porte immédiatement ses fruits, mon expérience est
que, la plupart du temps, c’est le fait d’encercler la même problématique par
des angles différents, comme je l’ai fait ici, qui amène le patient à s’inter-
roger et à la voir sous un jour nouveau. C’est la multiplication des angles
d’attaque qui permet d’introduire sufisamment d’espace, de lexibilité,
pour laisser la place à quelque chose de nouveau, en l’occurrence l’accès aux
valeurs. Ainsi, même si j’avais abordé l’acceptation de la peur plus tôt dans
la séance, j’aurais probablement été amené à poursuivre l’« encerclement »
du problème par d’autres processus.
qui fait sens pour lui et à s’y engager. Dans la situation présente, il est difi-
cile d’intervenir sur les comportements de la mère, car ce n’est pas elle qui
consulte. Cependant, ces informations peuvent être précieuses ain d’aider
le patient à prendre conscience des variables qui inluent sur ses comporte-
ments : des variables externes de renforcement (l’environnement familial) et
les variables internes (à côté de la peur, nous avons donc également l’évite-
ment de la frustration).
L’action engagée
À ce stade, nous avons identiié une direction et Pierre est partant pour
les efforts qu’elle implique pour s’y engager. Il ne reste plus qu’à aboutir à
l’action. La plupart du temps, c’est notre ligne d’arrivée, parce que l’ACT est
une approche comportementale et que l’objectif inal est d’augmenter les
actions en lien avec les valeurs. D’autant que le manque de lexibilité psy-
chologique a souvent pour conséquence de réduire la fréquence de ce type
d’actions. Mon objectif maintenant est d’aboutir à des actions concrètes,
positives (par opposition à des comportements négatifs de type « arrêter
de » qui ne disent rien sur les comportements alternatifs) et immédiates
(pour enclencher le changement comportemental rapidement et ainsi pro-
voquer des sources de renforcement, au moins symboliques).
– T – OK. Alors quel serait le premier pas que vous pourriez faire
pour aller dans cette direction ?
– P – Ben déjà, je pourrais commencer par davantage m’intéresser
à mes cours. Pour avoir le choix de ce que je veux faire plus tard.
– T – Au nom de votre projet, même si ça veut dire que la frus-
tration et l’ennui vont venir pour essayer de vous en dissuader ?
– P – (Rires.) Oui.
– T – Concrètement, qu’est-ce que vous allez faire pour vous inté-
resser davantage à vos cours ?
– P – Déjà, quand je me dis que ça ne m’intéresse pas, je pourrais
arrêter de regarder mon portable en cachette.
– T – Et qu’est-ce que vous feriez à la place ?
– P – Continuer à écouter et essayer de me concentrer.
– T – D’autres choses que vous pourriez faire ?
– P – La même chose le soir. Au lieu de faire mes devoirs, je passe
mon temps sur mon portable. Il faudrait que je le mette de côté et
que je commence par mes cours.
– T – De 0 à 10, quel est votre degré de coniance dans le fait
d’arriver à faire ces deux actions ?
– P – 7, je pense.
– T – OK, pas mal ! Est-ce qu’il y a quelque chose que vous pour-
riez faire dès les prochains jours qui iraient dans cette direction
d’aider les autres ?
– P – (Sourire.) Vous ne voulez quand même pas dire aider ma
mère à la maison ?
190 Engagé
– T – (Sourire en retour.) Je n’ai rien dit. C’est vrai que ce n’est pas
la même chose que l’Afrique, mais bon…
– P – (Toujours en souriant.) C’est vrai que j’abuse un peu. Je pour-
rais au moins faire un peu de rangement dans ma chambre.
Ma question sur les actions possibles pour aider les autres vise à mettre
en avant une des caractéristiques clés des valeurs : le fait qu’elles sont
toujours disponibles. Pierre n’a pas à attendre que son projet en Afrique
se réalise (ce ne sera peut-être jamais le cas), mais peut d’ores et déjà,
dans son contexte actuel, avancer dans cette direction. Il est amusant
d’ailleurs qu’il ait lui-même perçu l’ironie d’avoir un projet tourné vers
l’aide et qu’il fasse exactement l’inverse dans sa vie quotidienne.
Pierre est revenu pour une seconde séance, lors de laquelle nous avons
travaillé sur l’acceptation de la frustration, de l’ennui et autres obstacles
internes qui se sont évidemment présentés après notre séance. Une fois
que la direction tracée par les valeurs est claire, ce travail devient beaucoup
plus facile à réaliser. J’ai appris par la suite qu’il avait commencé dès l’été
suivant à effectuer des séjours humanitaires en Afrique avec un membre de
sa famille, tout en continuant ses études.
À la in de la première séance, Pierre a identiié une direction pour sa
vie future. Dans cette séance, je n’ai pas utilisé les exercices classiques de
l’ACT sur les valeurs, comme les cartes de valeurs ou encore le discours
du quatre-vingtième anniversaire. J’ai utilisé différents processus (défusion,
acceptation, moment présent…) pour accéder à ces valeurs en contournant
les barrières internes qui les masquaient (la peur, la frustration, la pensée
« Je ne sais pas »…).
Peut-être que la voie que Pierre s’est trouvée est provisoire et qu’il en
changera en cours de route. C’est même probable. Rappelons-nous que
les valeurs sont à interroger de nouveau encore et encore, pour s’assurer
qu’elles ne se sont pas fossilisées et que nous y trouvons encore du sens et
de la vitalité. L’important est qu’il sache aujourd’hui dans quelle direction
agir pour que sa vie ait du sens, à cette étape de sa vie.
Références
Robinson, P., Gould, D., & Strosahl, K. (2011). Real behavior change in primary care.
Oakland: New Harbinger.
Strosahl, K., Robinson, P., & Gustavsson, T. (2012). Brief Interventions for Radical
Change. Oakland: New Harbinger.
14 « Le pont que je dois être
est le pont vers ma propre
force1 »
Sylvie Bernard-Curie2
Je suis une thérapeute orientée vers l’action. C’est une bonne partie de qui
je suis, de mon empreinte. Lorsque j’ai découvert l’ACT, j’ai accueilli avec
scepticisme la notion de valeurs. Je pensais qu’elle passerait dificilement
auprès des patient(e)s en France car elle représente un de ces concepts dont
les Américains sont friands, si courants dans les ouvrages de management.
Ma compréhension des valeurs n’était alors pas celle de l’ACT, cette boussole
qui guide nos comportements pour, pas à pas, construire cette personne que
l’on aimerait être. J’avais en tête la déinition de l’entreprise, où les valeurs
sont malheureusement souvent des mots-valises, mélange d’injonctions et
de bonnes intentions déconnectées en grande partie du travail réel. J’ai pour-
tant vite découvert le pouvoir de changement du travail sur les valeurs. Mais
évidemment, pas de travail sur l’action et les valeurs sans avoir régulière-
ment rendez-vous avec ce qui bloque du côté des pensées et des émotions…
Les thérapeutes ont en général seulement quelques séances pour faire une
différence. Comment, dans ces conditions, apporter ce qui continuera à
agir durablement après ces quelques séances ? Les valeurs sont des guides
précieux pour permettre de trouver et retrouver par soi-même le sens et le
chemin de l’action. J’ai choisi de présenter dans ce chapitre des extraits du
travail réalisé avec Kathia pendant douze séances, dans lequel les valeurs
nous ont servi de boussole, de corde de rappel et de bouffées d’oxygène.
les dificultés qu’elle rencontre dans ses études. Nous parcourons ensemble
son histoire de façon structurée, en insistant sur son parcours et ses études.
J’utilise la technique de questionnement ciblé sur les domaines de vie (tra-
vail, amour, loisirs, santé) proposée par Kirk Strosahl et Patricia Robinson en
thérapie brève FACT (Focused ACT). Le principe est d’optimiser la prise de
connaissance et de laisser du temps en in de séance pour décider avec le ou
la patient(e) d’une ou plusieurs actions en lien avec les objectifs.
Aînée d’une fratrie de quatre enfants, Kathia étudie à Paris. Elle indique
qu’à part des parents peu disponibles et très exigeants sur sa réussite sco-
laire, elle n’a pas rencontré de dificultés personnelles ou familiales jusqu’à
ces derniers mois. Elle a des amis d’enfance qu’elle a plus ou moins perdus
de vue, pas de vie sentimentale depuis plusieurs années à part une ou deux
histoires brèves. Elle fait un peu de sport, s’alimente quand elle a le temps
et lit beaucoup.
Elle est diplômée, après des études sans grande dificulté et sans grande
passion, d’une des meilleures écoles de commerce françaises. Pendant ses
études, elle s’est intéressée essentiellement aux cours de sciences humaines.
Elle s’est alors orientée vers un Master Recherche pour ensuite poursuivre
en thèse. Sa première année a été un enfer. Elle a en effet repris en Master 1
et a eu l’impression de se retrouver en classe prépa avec des gamin(e)s qui la
regardaient de travers. Le fait de ne pas sentir d’entraide lui pesait. Kathia a
tenu le coup jusqu’en mars puis s’est effondrée : « Je pleurais régulièrement.
Je me suis mise à avoir des pensées agressives contre les autres étudiant(e)s.
Dans mes échanges avec les autres, je lançais des regards noirs… Je ne
supportais plus rien et encore moins l’impolitesse, l’irrespect… C’était vrai,
même à la boulangerie, au sport. (…) Je trouvais que les autres étudiant(e)s
n’avaient pas sufisamment de profondeur de vue. Alors j’ai fait un deal
avec ma conscience, j’ai travaillé seulement ce qui me plaisait, j’ai aug-
menté mes connaissances dans les matières qui me parlaient. »
Kathia rencontre alors un psychiatre, à cinq reprises : « Il m’a collé dès la
première séance une étiquette de dépressive et des antidépresseurs. La troi-
sième séance, il ne se rappelait plus de moi. J’ai laissé tomber après quelques
séances supplémentaires et je n’ai pas suivi ses conseils. »
Kathia arrive à valider sa première année mais le mémoire lui donne du
il à retordre. C’est la première fois qu’elle bloque, elle qui n’a toujours
connu que la facilité. « J’étais en terrain totalement inconnu, je ne me
faisais plus coniance. » Elle n’arrive plus à écrire une ligne. Elle qui avait
pourtant la plume facile… Au inal, elle rédige in extremis un mémoire en
une semaine, en utilisant un dictaphone la journée et en saisissant au kilo-
mètre le soir. Les semaines précédant ce jet d’écriture « oral » ont été pour
elle des semaines de torture. Elle valide son mémoire avec une excellente
note et accède – selon elle, de façon non méritée – au Master 2. À nouveau,
elle rencontre des dificultés durant cette année. Elle n’arrive pas à rédiger
« Le pont que je dois être est le pont vers ma propre force » 193
les dossiers à rendre, à respecter les délais. Elle essaie quelques séances avec
un psychologue pratiquant la relaxation mais arrête rapidement, car elle
trouve que cela ne l’aide pas assez. Elle réussit alors à négocier avec le res-
ponsable du Master un délai de plusieurs mois pour inaliser tous les docu-
ments à rendre. Lorsque Kathia vient consulter début juin, elle doit encore
remettre un devoir et un résumé à la in du mois, un article en septembre et
un mémoire en décembre pour valider son diplôme : « Je voulais toute cette
année-là qu’on me foute la paix. Si mes notes en Master sont moyennes,
ce n’est même pas la peine de rêver faire une thèse. J’ai eu envie de pleurer
tous les matins de cette année. J’étais juste perdue. Depuis des mois, je ne
peux pas travailler dans ma chambre. Je suis obligée d’aller en bibliothèque.
Ça peut me prendre plusieurs journées pour que j’arrive à me bouger et à y
aller. Je n’y arriverai jamais. »
Des pensées et des émotions menaçantes ont pris le pouvoir et Kathia se
sent coincée. J’explore avec elle ce qui la bloque pour que nous passions en
revue ensemble les stratégies mises en œuvre et son évaluation des résultats
obtenus.
– Thérapeute (T) – Quand vous vous mettez à travailler le matin,
que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui bloque ?
– Kathia (K) – Je n’arrive pas à m’y mettre.
– T – Que faites-vous ?
– K – Je regarde des séries, je dors, j’attends d’arriver à m’y met-
tre. Ça prend deux ou trois heures… Je me lève tôt pour cela…
(Silence.)
– T – Est-ce que cela marche ?
– K – Cela dépend des matins, mais en général ça prend du temps.
– T – Que se passe-t-il en vous quand vous essayez de vous y met-
tre ? Avez-vous des pensées ou des émotions particulières ?
– K – Je ne peux pas en parler…
– T – Cela vous semble trop dur d’en parler maintenant ? Ce n’est
pas grave. On peut commencer par travailler ensemble à voir ce
qui est important pour vous, ce qui vous amène à vouloir si for-
tement ce diplôme, cette thèse. C’est souvent parce que quelque
chose est très important pour nous qu’on éprouve des dificultés.
Si ça n’avait aucune importance, on ne serait pas en train d’avoir
cette séance ! Nous ne sommes d’ailleurs pas obligées de discuter
du contenu de ce qui vous bloque, mais plutôt de ce qui se passe
quand cela bloque… et voir ensemble les premières actions que
vous pouvez mener pour vous décoincer… Cela vous irait-il ?
– K – Je veux bien essayer.
Kathia est en plein évitement expérientiel. Elle est tendue sur sa
chaise, les yeux brillants de larmes retenues. Le simple fait de me dire
qu’elle ne peut pas parler de ce qui la bloque la met dans un état de
grande tension.
194 Engagé
lundi suivant et un devoir pour le 30 juin. Nous nous mettons d’accord sur
le fait qu’elle m’enverra un message ou un mail pour me tenir au courant
de son avancement le lundi suivant. Kathia ressent en effet le besoin d’être
épaulée. Savoir qu’elle enverra un message lui semble une bonne idée pour se
stimuler à agir. Nous conirmons le fait que la séance suivante sera consacrée
à ses valeurs, aux qualités de la personne qu’elle veut être, à ses directions
de vie… Nous concluons cette première séance en formalisant notre objectif
commun, à savoir l’aider à avancer dans ses études et débloquer cette situa-
tion où procrastination et isolement sont devenus des démons du quotidien.
3. La liste de ces valeurs est extraite de la première partie de Vous avez tout pour réussir
(Deval & Bernard-Curie, 2014) et le jeu de cartes en est une version ludique.
« Le pont que je dois être est le pont vers ma propre force » 197
combien cette situation lui pesait. Elle veut à présent s’engager dans des
actions permettant de restaurer certaines relations, notamment amicales,
et reprendre contact ou donner des nouvelles à certains professeurs de
son école de commerce qui l’ont aidée. Nous mettons alors de côté nos
objectifs initiaux et j’utilise la métaphore d’un téléphone portable avec des
applications restées ouvertes qu’elle souhaite aller visiter et refermer. Nous
dessinons des icônes sur une feuille avec au centre le nom de la personne
concernée et, en dessous de chaque icône, les actions à mener. Pour cer-
taines, il s’agit de donner des nouvelles, pour d’autres, écrire un mail de
remerciements ou d’excuses de ne pas avoir donné signe de vie depuis long-
temps. Kathia ne parle pas de sa famille et ne les inclut pas dans ses icônes.
Elle précise juste qu’elle va les retrouver en vacances.
Le lien avec les valeurs est mis en évidence au fur et à mesure des
échanges.
Références
Deval, C., & Bernard-Curie, S. (2014). Vous avez tout pour réussir. Paris: InterEditions,
2e partie.
Harris, R., & Aisbett, B. (2014). The Happiness Trap Pocket Book. Londres: Robinson.
Monestès, J. -L., & Villatte, M. (2011). La Thérapie d’acceptation et d’engagement : ACT.
Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson, 2e partie.