Bda 129 Oct 04
Bda 129 Oct 04
Bda 129 Oct 04
$ # Grands écarts *
+ )
Nous nous sommes réjouis que la France, in extremis )
et à contrecœur, signe les traité de Rome instituant & , ) -
la Cour pénale internationale puis, au fil des années, )
se retrouve l’une des promotrices de la CPI – combattue
par George W. Bush. Pourtant, la même France (ses chefs
militaires et la quasi-totalité de sa classe politique) reste &
solidaire dans la négation des incroyables soutiens
apportés en 1994 au génocide d’un million de Tutsi
Opportunité
rwandais. Nous n’allons pas, parce que nous combattons
obstinément cette négation, entrer dans le chœur des Le 30 septembre, Ubifrance, organisme para-public de
détracteurs de la CPI, qui peut et doit se placer à l’avant- soutien aux exportateurs français, propose un séminaire à huis
garde du refus d’un « monde sans lois ». clos intitulé : « Soudan, une opportunité à saisir » (La Lettre du
Nous ne cessons par ailleurs de dénoncer le rôle central Continent, 02/09). Comme les terres des Darfouriens
de Jacques Chirac dans l’histoire et dans la perpétuation massacrés ?
de la Françafrique, ce système néocolonial de pillage Pour la diplomatie française, s’exprimant via le porte-parole
et d’oppression qui “patronne” directement une bonne du Quai d’Orsay (14/09), « il est clair que la solution de cette
douzaine de dictatures africaines (et bénit les autres) : crise [au Darfour] ne se fera pas contre le Soudan, elle ne se fera
la camerounaise par exemple, dont le gouverneur Biya pas sans le Soudan, elle ne peut se faire qu’avec le Soudan.
va être chaudement félicité dès sa réélection frauduleuse. Donc, c’est ce qui sous-tend toute notre approche du dossier. »
Nos lecteurs savent comment la Françafrique se régale Merci de nous dire aussi clairement pourquoi il serait indélicat
de l’aide publique au développement (APD) bilatérale, d’accuser de génocide ce régime partenaire.
comment elle gonfle une dette qui est surtout un cumul
Ledit régime ne se retient plus quand il s’agit d’encenser la
d’escroqueries, comment les remises de dette aux tyrannies
diplomatie française. Recevant en son palais l’ambassadeur de
amies relancent la politique du ventre tout en permettant
France Dominique Reneux, sur le départ, le maréchal-
d’afficher une hausse fictive du taux français d’APD.
président soudanais Omar el Bechir lui a remis l’ordre de
Cela ne nous empêchera pas d’approuver la constitution, Nelein de première classe « en reconnaissance de ses efforts
à l’initiative de Jacques Chirac et d’un trio de dirigeants pour promouvoir [boost] les relations bilatérales et la
de gauche (le Brésilien Lula, le Chilien Lagos et l’Espagnol coopération entre le Soudan et la France dans tous les
Zapatero), d’une coalition de plus de cent pays demandant domaines », selon l’agence officielle SUNA (11/09). Il « a loué
une ou des taxes mondiales contre l’extrême pauvreté. les autorités françaises pour leur soutien au Soudan, aux
Certes, il faudra se battre ensuite pour que l’argent recueilli niveaux bilatéral, régional et international. [...] Il a indiqué que
aille vraiment financer l’accès universel aux biens publics les relations franco-soudanaises font preuve de progrès
les plus essentiels. Mais c’est un premier pas vers un significatifs dans les domaines politique, économique,
argent public mondial, urgent et indispensable si l’on veut commercial et culturel, pour l’intérêt des deux pays. » Les
d’autres horizons qu’une mondialisation mafieuse participants au séminaire d’Ubifrance ont bel et bien « une
creusant des abîmes d’iniquité et de criminalité. opportunité à saisir ». [FXV]
Flairant l’air du temps, Chirac s’est mis en tête du cortège.
Mais si le cortège a été immédiatement aussi imposant, Combien de vies humaines entrent dans le prix
c’est que l’immobilisme devenait intenable et que d’une cargaison de pétrole ?
le mouvement altermondialiste avait déminé les objections
idéologiques. L’auteure de ces lignes a déjà posé semblable question, en
suggérant que la Banque mondiale avait compétence pour en
Nous soutiendrons donc cette dynamique politique, tout faire le calcul. En l’absence de réaction de sa part, on ne peut
en continuant de montrer qu’elle est en contradiction avec avancer qu’une réponse imprécise, mais indiscutable :
les siphonnages massifs de la Françafrique chiraquienne. beaucoup. Beaucoup de vies humaines entrent dans le prix de
Le choix des futures taxes, parmi l’éventail proposé, sera revient d’une cargaison de pétrole. Des centaines, parfois.
révélateur : certaines s’accommodent bien du cours Celles qui en réchappent occupent le terrain des « crises
ruineux des choses, en particulier de l’essor des paradis humanitaires » et ses camps : un nouveau territoire indépen-
fiscaux, d’autres le contrarieraient. Il faudra peser en dant… de la volonté des instances internationales, bien
faveur des secondes. entendu. Celles-ci, mues – en termes de fonctionnement
François-Xavier Verschave décisionnel – par les tourments de nécessiteux en manque ./..
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d’énergie (entre autres la Chine, les Le 18 septembre, le Conseil de identifier les coupables de
États-Unis, la France, tous membres du sécurité a adopté une résolution 3 qui, cette ignominie a été
Conseil de sécurité), donnent priorité au notamment, prie le Secrétaire général de engagée par les Nations-unies. Le 3
combat contre la menace d’une terrible l’ONU de créer une commission inter- septembre, interrogé par la presse sur la
pénurie. Quoi de plus… anormal, nationale « pour déterminer également si probable implication de Maï Maï
inhumain ? des actes de génocide ont eu lieu et congolais et d’ex-FAR/Interahamwe
pour identifier les auteurs de ces viola- rwandais signalée dans un communiqué
Assumons notre « naïveté »1 : la
tions afin de s’assurer que les respon- de la MONUC le 30 août, le président du
mode est d’affubler de ce terme ceux qui
sables aient à répondre de leurs actes ». Conseil de sécurité 2 a déclaré que
préféreraient (sans plaisir, mais qui
Par ailleurs, le Conseil « envisage de « toutes les indications continuaient d’aller
préféreraient quand même) risquer la
prendre d’autres mesures […] à l’encontre dans cette direction. » (www.onu.org) La
pénurie que de troquer leur confort
notamment du secteur pétrolier, du tuerie, revendiquée par les Forces
contre les os de leurs semblables.
Gouvernement soudanais ou de certains Nationales de Libération (FNL, milices
Posons-nous, naïvement, la question :
de ses membres au cas où le Gouver- burundaises), ne serait pas attribuable à
s’il n’y avait pas de pétrole au Soudan et
nement soudanais n’appliquerait pas ce seul groupe.
au Tchad, susceptible de soulager les
pleinement les dispositions de la Le 7 septembre, Human Rights Watch
tourments concurrentiels des néces-
résolution 1556 (2004) ou de la présente (HRW) annonce la publication d’un do-
siteux dessus mentionnés, aurions-nous
résolution ». Le centre de nouvelles de cument d’information, Gatumba : Crimes
à contempler l’interminable, l’inqualifiable
l’ONU ajoute : « Le Conseil indique dans de guerre et agendas politiques, faisant
spectacle qui se joue au Darfour ? La
le texte adopté aujourd’hui n’envisager suite aux investigations sur le massacre
réponse est non, indiscutablement. Un
ce type d’actions que dans le cas entreprises par l’association américaine
fonctionnaire de l’ONU a qualifié, devant
notamment où il déterminerait, après (www.hrw.org). Ce document réfute la
un correspondant, d’hypocrisie la
avoir consulté l’Union africaine, que le version attribuant le crime à « une coali-
politique de sa maison, une politique de
Gouvernement soudanais ne coopère tion de Maï Maï congolais et d’“Intera-
diplomatie fondée sur l’imbrication des
pas pleinement avec la mission de hamwe” ». HRW poursuit : « L’ONU
intérêts en lice. Certes. On n’avait pas
l’Union africaine sur le renforcement et la devrait être particulièrement attentive à
besoin qu’il nous le dise, mais c’est bien
prorogation de son opération d’obser- la façon dont il faut comprendre le
dit. Comment s’en sortir s’il fallait dési-
vation dans le Darfour ». La résolution massacre et aux mots choisis pour en
gner les coupables, les sanctionner ? S’il
du Conseil de sécurité est une porte parler », faisant référence à l’avis de
fallait respecter la hiérarchie du crime,
ouverte par laquelle il faut s’engouffrer nombreux observateurs selon qui il
vérifier scrupuleusement où on en est à
par tous les moyens : pour obtenir la convient de qualifier ce crime d’acte de
cet égard, dire que le Président
création d’urgence (la rapidité de l’ONU génocide. En le qualifiant de crime de
soudanais est un assassin, en tirer les
est le plus souvent indolente) de la guerre, HRW nous incite à poser la
conséquences, décréter l’embargo sur le
commission d’enquête, et insister sur question : mais de quelle guerre s’agit-
pétrole soudanais, envoyer d’urgence
l’application des sanctions envisagées il ? L’association affirme par ailleurs qu’il
une commission d’enquête pour déter-
sans plus tourner autour du pot. Le texte, ne convient pas d’« envenimer le
miner si des actes de génocide sont
tel qu’il a été adopté, laisse à Khartoum débat ».
commis au Darfour, risquer la pénurie
la possibilité de faire semblant de Deux rapports préliminaires ont été
pour arrêter ce qui doit l’être ?
« coopérer avec la mission de l’Union publiés, à la suite de celui de HRW, par
Le Secrétaire général de l’ONU, Kofi africaine ». [Sharon Courtoux] des organisations qui ont également
Annan, « a déclaré qu’il était inconce- 1. Voir Ils ont dit, Jean-Hervé Bradol. Soyons entrepris, dès le 14 août, des investiga-
vable que le Conseil de sécurité ne réalistes ! Errant hors du réel, les idéalistes en tions sur place et qui les y poursuivent. Il
passe pas à l’action sur le Darfour alors ignorent tout. Les « choses » sont comme s’agit de l’Institut Pole (une ONG
que, pour la première fois de son elles sont, il faut vivre avec. Leurs causes congolaise basée à Goma, dans l’est de
histoire, il était saisi d’un projet de sont permanentes, immuables, l’humanitaire la RDC) : Débats et manœuvres autour
résolution au titre de la Convention sur le est là pour en atténuer (on fait ce qu’on peut)
du massacre du camp de Gatumba :
les effets.
génocide. Il a indiqué que lui-même était information ou interprétations ? Les
2. Centre de nouvelles de l’ONU, 16/09 :
favorable à l’envoi d’une commission agendas politiques assassinent une
www.un.org/french/newscentre
internationale chargée de décider si les deuxième fois les morts de Gatumba
3. 11 voix pour, 4 abstentions (Algérie, Chine,
atrocités commises dans cette région du Pakistan, Russie) : www.un.org/french/newscentre (www.pole-institute.org), et de la Com-
Soudan pouvaient ou non être qualifiées résolution n° 1564 : munauté Banyamulenge : Réactions de
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de génocide ». www.un.org/News/fr-press/docs/2004/SC8191.doc.htm la Communauté Banyamulenge face au
Ce serait la moindre des choses qu’il rapport de Human Rights Watch sur le
en aille enfin ainsi. Mais pas un observa- génocide de Gatumba. (www.obsac.com).
teur bien informé ne croit à ce passage à Imbroglio sous les décombres (III) : Se fondant sur de nombreux faits et
l’action. À qui la faute ? Bien entendu, la Gatumba en quête de vérité témoignages susceptibles d’être vérifiés,
longue liste commence par le président ces deux organisations tirent de leurs
soudanais Omar El Bechir, avec qui la Près de 200 réfugiés, des Banya- enquêtes d’autres conclusions : l’attaque
tendance « diplomatique » d’une politique mulenge de nationalité congolaise (ces a été menée par les divers éléments
« réaliste » prétend pouvoir, et devoir, derniers sont des Tutsi), ont été mas- mentionnés par l’ONU et doit être qua-
continuer de « discuter ». Mais soyons sacrés dans le camp de Gatumba, au lifiée d’acte de génocide.
aussi sincères que naïfs. Une partie du Burundi, le 13 août dernier. Les seules En écrivant : « Ceux qui sont soucieux
problème, c’est nous. On pourrait peut- victimes de la tuerie appartenant à d’au- de répondre avec promptitude et énergie
être inonder le Conseil de sécurité de tres groupes identitaires partageaient à toute invocation de génocide, ne sont
messages (fax, courriers, courriels, télé- l’abri de ces derniers, qui ont été visés peut-être pas suffisamment conscients
grammes, appels téléphoniques…). Cela comme tels. que les peurs des Tutsi de subir un
1
ne servirait à rien ? Essayons, pour voir. Une enquête préliminaire destinée à génocide font écho, comme par un jeu
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de miroir, aux mêmes peurs, chez les 1. Dont le rapport final, non encore public, a personnalités comme
Hutu, face à toute mesure qui pourrait été transmis au Conseil de sécurité le 13/09. Claude Chirac, Dominique
être prise contre eux sous prétexte de 2. Le représentant de l’Espagne, Juan Antonio de Villepin, Michèle Alliot-Marie, Jean-
lutter contre le génocide », HRW a Yanez-Bar uevo. Pierre Chevènement, Charles Pasqua ou
indigné plus d’un lecteur. Contrairement Pierre Falcone.
à la priorité de HRW, qui semble être de La Franchérifie, Hicham et la came Les fonctions qu’avait exercées Man-
« calmer le jeu », il nous paraît que seule dari aux côtés du général Mediouri, le
la vérité pourrait y parvenir. On ne bâtit L’assassinat du marocain Hicham patron de la sécurité royale du temps de
la paix, un vivre ensemble, que sur des Mandari, abattu le 4 août dernier d’une Hassan II, lui ont en effet ouvert bien des
fondations solides. Il serait désastreux balle dans la tête en Espagne, (cf. Billets portes. Mediouri, pour le compte de son
que deux camps se retranchent et n° 128) a fait couler beaucoup d’encre en maître, avait notamment la haute main
s’opposent sur une question aussi lourde Espagne et au Maroc. En France, le sur la distribution des subsides et autres
de sens laissée sans réponse irréfutable. journaliste Stephen Smith y a consacré cadeaux que le souverain attribuait aux
C’est là, et pas ailleurs, que se situe le une double page du Monde où l’intox le responsables étrangers dont il souhaitait
danger. dispute à l’occultation pure et simple du faire ses obligés. Une pratique dont,
Le 13 septembre, devant le siège de secteur français de l’étonnante trajec- selon le témoignage détaillé de Mandari,
l’ONU à Uvira (Sud-Kivu), des manifes- toire de la victime. d’éminents représentants de la classe
tants, protestant contre le projet de rapa- Des recoins les plus secrets du palais politique française ont largement et
triement des Banyamulenge, portaient de Hassan II, Mandari avait été propulsé longuement bénéficié.
des pancartes sur lesquelles était inscrit : dans l’orbite de nombreux politiques en Les fonds consacrés par le monarque
« Uvira ville propre sans Banyamu- France, en Afrique et au Moyen-Orient. à ces « bonnes œuvres » étaient
lenge ». Si la vérité ne peut à elle seule Des relevés d’appels téléphoniques émis d’autant plus volumineux qu’il s’agissait
éteindre la haine, elle peut y participer. par certains de ses nombreux portables en partie du recyclage, c’est-à-dire du
On la doit aussi à ces manifestants. [SC] font apparaître des contacts avec des blanchiment, de la part revenant au
palais des bénéfices des grands réseaux
Déni de démocratie au Cameroun de trafic de drogue opérant au Maroc.
Comme l’a démontré l’OGD (Obser-
Communiqué de Survie, le 25/09
vatoire géopolitique des drogues), le
L’élection présidentielle d’octobre 2004 au Cameroun va se dérouler dans des conditions qui royaume n’est pas seulement le premier
défient ouvertement les droits politiques élémentaires. exportateur mondial de haschich, mais
La date du 11 octobre a été fixée à peine un mois avant, ce qui empêchera toute mobilisation et aussi une plate-forme de transit pour
toute organisation pour l’opposition. L’annonce a été faite au Cameroun en l’absence du Président, l’héroïne et la cocaïne destinée au grand
qui n’a pas reparu au pays depuis la mi-août, où il avait répondu à l’invitation de Jacques Chirac. marché européen.
Les deux tiers des Camerounais en âge de voter au Cameroun ne sont pas inscrits sur les listes Depuis 2003, Mandari, qui avait créé
électorales. Les Camerounais vivant à l’étranger – plus de dix pour cent de la population un virtuel Comité national des Marocains
camerounaise – ne pourront pas, malgré leurs protestations, exercer leur droit de vote. L’exigence libres (opposition au régime), se
d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI) a été refusée. L’Observatoire national
déclarait fils de Hassan II et de sa
des élections (ONEL), dont les membres sont nommés par la Présidence et qui a déjà fait la preuve
concubine favorite, Farida Cherkaoui.
de son inutilité, a été reconduit.
Rien ne filtre sur l’enquête de la justice
Tout est donc prêt pour une nouvelle mascarade électorale.
espagnole. [Jacques Cartis]
Paul Biya, après avoir exercé diverses fonctions sous la présidence d’Ahmadou Ahidjo, a évincé
ce dernier en 1982 par une révolution de palais. Après avoir, en 1984, réprimé dans le sang une
tentative de retour de l’ancien Président, il est reconduit en 1987 à la Présidence comme candidat Pasqua “persécuté” jusqu’à l’offshore
unique. En 1992, après la répression des manifestations pour un changement démocratique, qui a
fait plusieurs centaines de morts, les résultats de l’élection, favorables au candidat de l’opposition Dans l’ex-duo vedette de la França-
John Fru Ndi, sont grossièrement truqués et Biya se proclame élu. En 1997, l’opposition boycotte frique, Jacques “Stan Laurel” Chirac a
une élection qui n’offre aucune garantie de loyauté. Une réforme a changé la durée du mandat laissé tomber Charles “Oliver Hardy”
présidentiel et remis à zéro le compteur limitant les réélections : Biya repart pour un quatrième Pasqua, fortunes faites. Alors que
mandat, de sept ans cette fois. Jacques trouve toujours un échelon
Tout en subissant pendant vingt-deux ans un pouvoir sans contrôle, la masse des Camerounais judiciaire pour annuler les procédures à
n’a cessé de s’appauvrir, la moitié d’entre eux vit au-dessous du seuil de la pauvreté, tandis qu’un son encontre (avant de bénéficier d’une
affairisme insolent étale le scandaleux enrichissement de quelques-uns sur un pays doté immunité présidentielle en béton grâce
d’abondantes ressources naturelles. Le Cameroun de Biya a réussi à prendre place au rang des au compère Roland Dumas), Charles
pays pauvres très endettés (PPTE). Il vient d’être exclu de ce bénéfice, faute d’avoir rempli les n’est plus ménagé par le parquet.
conditions élémentaires de gestion, en raison de la corruption qui mine l’État, et qui a valu au Le juge Philippe Courroye a donc libre
Cameroun de figurer à la première ou dans les toutes premières places des pays les plus cours pour chercher les magots de
corrompus. Les services publics d’éducation et de santé sont sinistrés, les entreprises publiques en
Charlafric. Un filon gargantuesque,
faillite ont été bradées, obligeant les Camerounais à vivre de longs jours sans eau, sans électricité.
alimenté entre autres par la Corsafrique.
La Caisse d’Épargne Postale et la Caisse Nationale de Prévoyance sociale sont en banqueroute,
vidées de leurs fonds.
Lionel Jospin s’était fait établir un « rap-
port Matignon » déroulant tout l’organi-
Pourtant, le Président du Cameroun est choyé par les hommes politiques français. De Pasqua à
gramme de ce réseau mafieux, branché
Rocard on s’affiche en sa compagnie. Il jouit de la protection et de l’amitié de Jacques Chirac, qui
sur les trafics d’armes et de drogue,
vient pourtant de proclamer, à l’ONU, sa volonté de lutter contre la pauvreté. Nul doute que sa
réélection, inévitable et programmée, sera saluée par les vœux et les félicitations du Président
assurant une circulation intercontinentale
français, une véritable insulte au peuple camerounais souffrant. de l’argent sale tel un réseau d’égouts
dont les accès à la surface seraient les
La passivité des Camerounais devant cette situation ne doit pas faire illusion. Réduit à
jeux, paris et casinos. Mais cette syn-
l’impuissance, muselé, le peuple est conscient du mépris dans lequel on le tient et du gâchis qui a
été fait de ses possibilités de développement humain. Pourra-t-on s’étonner demain si, en
thèse d’informations n’avait pas eu de
désespoir de cause, il verse dans l’extrémisme ethnique ou religieux ? C’est tout ce qu’une suite judiciaire, ledit réseau étant lié aux
politique cynique et irresponsable lui aura laissé. origines du mouvement gaulliste et à ses
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“services d’ordre” successifs, anti- Alexandre Couvelaire a rendu lui aussi « Nous sommes là pour
communistes puis néocoloniaux. Or d’innombrables services. Pendant des faire beaucoup plus que
Lionel Jospin a capitulé dès 1997 devant années, sa compagnie aérienne a mis à des lois […] pour se concentrer sur
la Françafrique néogaulliste, et il ne disposition du couple Chirac, ou de l’accélération de l’intégration politique et
voulait pas d’ennuis en Corse. chacun des deux séparément, ses socio-économique du continent. »
Philippe Courroye n’exposera sans avions pour des vols privés… dont la – Nous avions craint que le Burundi ne
doute pas plus qu’Éva Joly le système facture n’était ni réglée, ni réclamée. ratifie les statuts de la Cour pénale
de cette France à fric et ses paradis Comme on sait, Jacques Chirac, patron internationale en ayant recours à l'
article
exotiques. Toutefois, les croupières de la Françafrique et du racket RPR- 124 (introduit dans les statuts par la
qu’on lui laisse tailler à Oliver Hardy UMP sur les marchés publics, n’a pas de
évoquent quelques techniques du blan- France), permettant à un État d' éviter
sous – ou alors il ne peut les montrer, et que ses ressortissants ne puissent être
chiment (à quoi sert une fortune à doit rémunérer autrement ceux qui lui
Monaco ou aux Caïmans si on ne peut jugés pour crimes de guerre. Finalement,
font de gros cadeaux. À ce jeu-là, c'est sans aucune restriction que ce pays
en profiter en douce France ?). Pour sa
Couvelaire s’est ruiné, ou, plus a rejoint la CPI le 21 septembre.
vraie-fausse campagne présidentielle de
exactement, il a ruiné ses compagnies
2002, Pasqua s’est fait accorder un prêt
successives – puisque lui-même n’a
de 450 000 euros par la Banque
cessé, jusqu’à récemment, d’être promu
populaire (!) de Chypre (encore un Faux Billet sur la place de Londres ?
à de plus hautes responsabilités : ainsi
paradis fiscal européen). Ce prêt est
a-t-il été nommé à la présidence d’AOM- Dans notre n° 126, à la rubrique
garanti par une société-écran Arbitron
(Libération, 15/09). Pasqua a dit au juge
Air Liberté (filiale du Crédit Lyonnais Mémoire, Odile Tobner conteste la
qu’il avait l’intention de commencer à encore nationalisé), avec le succès que description par Serge July de la mort du
rembourser. Deux ans après. l’on sait : un océan de pertes, absorbé célèbre journaliste Albert Londres, le 16
Autrement dit, le pauvre Charles n’en pour l’essentiel par les finances mai 1932, sur le paquebot “Georges
avait rien fait avant d’être “persécuté” par publiques ; des centaines de chômeurs, Philippar” rentrant de Saigon : elle parle
le juge. Il en va ainsi de très nombreux débarqués. d’une intoxication de Londres dans sa
prêts garantis par un compte bancaire Suite à une mauvaise affaire avec cabine, lors d’un incendie, lui parle d’un
offshore, dans un paradis fiscal : le Swissair et le baron Ernest-Antoine naufrage. Un de nos lecteurs, Jacques
propriétaire du compte étant le même Sellière, patron du MEDEF, AOM-Air Lib Morel, nous fait observer que les deux
que l’emprunteur, ou en deal avec lui, était en mesure d’obtenir 200 millions de événements ont eu lieu, succes-
n’a aucune raison de s’inquiéter du non- francs de dommages et intérêts. sivement : ce bateau tout neuf a subi un
remboursement. La banque est évidem- Couvelaire a retiré la plainte, pour ne incendie, puis a coulé au large d’Aden.
ment complice, au moins par aveugle- pas chagriner Ernest-Antoine, un ami de
Dans les papiers que Londres
ment volontaire. C’est tout cela qui trente ans – qu’il a aussi transporté à
ramenait d’un périple asiatique, Il était
permet le pillage de l’Afrique, et l’érosion l’œil en 1998. Avec cela, Jacques Chirac
beaucoup question de trafic d' opium – un
du financement des biens publics en et le patron du MEDEF sont les mieux
trafic qui alimentait une bonne part du
France. placés pour serrer la vis de l’assurance
budget de l' Indochine française. C' est
Nouveau président du conseil général chômage et des budgets sociaux : ils
« de la dynamite », confie-t-il à un
des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy a sont au-dessus de tout ça, ils volent.
couple, les Lang-Willar, à bord du
fait nommer son prédécesseur Charles Quant à Alexandre Couvelaire, il
paquebot. Dans la nuit du 16 au 17 mai,
Pasqua à la présidence de… la “fac « souhaite aujourd’hui rebondir en
un incendie se déclare en pleine nuit.
Pasqua”, l’université privée Léonard de Afrique, terre propice à des aventures
Vinci, à Nanterre, sponsorisée par les Puis le navire fait naufrage, à cause
plus discrètes » (Libération, 22/09). Il a tout
grandes entreprises françafricaines. probablement des dégâts du feu.
à fait l’audace et le carnet d’adresses
C’est le doyen de cette université, Noulis Soixante-sept personnes disparaissent.
pour imiter les spéculations fructueuses
Pavlopoulos, qui s’était entremis avec la Londres fait partie des victimes. Par un
de l’ex-collègue Lagarde. La França-
banque chypriote. La fac Pasqua restera hublot, on l’a vu coincé dans sa cabine.
frique les accueille à bras ouverts. [FXV]
un haut lieu de connaissance(s). [FXV] Ses confidents rescapés, les Lang-
Willar, périssent à leur tour dans l'avion
Vols qui les ramène en France.
Bons points
Que l'incendie soit accidentel ou crimi-
Depuis UTA, les compagnies aériennes – L’Afrique agressée et déstructurée par nel, Albert Londres n’a pas eu la possibi-
françaises sont un vecteur de choix pour la colonisation est en pleine phase lité d’en réchapper. L’on devrait attribuer
les manœuvres et « transferts » de la « instituante », pour employer le langage le prochain Prix Albert Londres au
Françafrique. Nous avons évoqué (Billets du philosophe Castoriadis : la session journaliste qui enquêtera sérieusement
n° 126) l’itinéraire très protégé d’Europe inaugurale du Parlement panafricain sur la fin de son illustre prédécesseur,
Aéro Services (EAS) et de Francis (PAP), le 16 septembre près de reporter des crimes de la colonisation.
Lagarde, un condamné à la prison ferme Johannesbourg, est un grand moment.
dont la police française ne retrouve pas Sa présidente (il n’y en a jamais eu au
l’adresse bien qu’il fréquente, à Paris et Palais Bourbon), la Tanzanienne
à Bangui notamment, les cercles Gertrude Mongella, a dit l’essentiel : (Achevé le 25/09/04)
françafricains les plus fortunés.
# $ # )))
Soudan et génocide du National Security Council. [… Il] croyait en la réalité du
génocide en cours contre les Rwandais tutsis mais se refusait à
« C’était en juin 1994, je rencontrais Donald Steinberg, membre employer le terme. En effet, l’emploi du mot génocide aurait
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entraîné une obligation légale d’intervenir pour les États signa- violations des droits de l’homme sont majeures, la
taires de la Convention pour la prévention et la répression du naïveté d’une telle croyance ne finit plus d’étonner.
crime de génocide (1948). […] Et, à l’heure où le monde entier prend conscience de l’ampleur
Juillet 2004 : le Congrès américain adopte à l’unanimité une des tortures pratiquées dans les prisons américaines en Irak et
résolution qualifiant les événements du Darfour de génocide. Le de la gravité des crimes perpétrés par l’armée russe en
9 septembre, le secrétaire d’État Colin Powell déclare à son tour, Tchétchénie, la tentation est forte de voir dans cette prise de
devant la commission des Affaires étrangères du Sénat améri- position non seulement de la naïveté, mais aussi une bonne dose
cain, qu’un “génocide a eu lieu et pourrait encore se poursuivre de cynisme.
au Darfour”. L’indépendance est essentielle au secouriste humanitaire pour
En dix ans, du Rwanda au Soudan, ce qui a changé, c’est la être perçu par les belligérants comme ne participant pas aux
perception par les États-Unis des menaces pesant sur leur sécu- hostilités. Le respect de ce principe impose de ne pas faire siens
rité nationale et leurs intérêts stratégiques. Et le régime souda- les projets visant à l’établissement d’un nouvel ordre politique
nais, même s’il n’est pas en tête, figure en bonne place sur la international et de concentrer son action sur la mise en œuvre de
liste des ennemis du pays dressée par l’administration Bush. secours impartiaux. Mais le rappel des principes ne suffit pas
En dépit de son opportunisme politique évident, cette évolution toujours à emporter l’adhésion face à la tentation de s’engager
de l’emploi du mot "génocide" pourrait néanmoins trouver sa dans la construction d’un autre monde, toujours présenté comme
légitimité dans une lecture scrupuleuse du droit pénal interna- meilleur par définition. L’examen attentif des arguments en faveur
tional : […] “l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe du droit d’ingérence et le bilan des interventions militaires
national, ethnique, racial ou religieux”. internationales contemporaines devraient achever de nous
Dans le cas du Darfour, les partisans de l’emploi du terme convaincre de nous garder de suivre ce chemin. » (Jean-Hervé
“génocide” affirment que l’action des milices "arabes" vise la BRADOL, président de Médecins sans frontières, contribution au
destruction des tribus “africaines”. L’argumentation de cette thèse Monde du 14/09).
suppose l’existence d’un Soudan peuplé par les représentants de
[Nous citons assez longuement cette prise de position, parce qu’elle est
deux races : les Noirs et les Arabes. La notion de race, au sens importante, symptomatique d’une certaine idéologie française, et
biologique du terme, abandonnée depuis plusieurs décennies, profondément scandaleuse. Résumons avant de réfuter : ceux qui parlent
opère ainsi un retour en force sous le prétexte de l’interprétation de « génocide » réhabilitent « la notion de race » ; l’intention génocidaire
à la lettre d’une convention internationale sortie de son contexte n’est pas manifeste au Soudan puisqu’elle n’est pas affichée ; invoquer
historique. […] aujourd’hui les Conventions de Genève contre le génocide, militer pour
La nécessité de réhabiliter la notion de race pour soutenir la que soit prévenu et sanctionné le crime des crimes ne peut relever que
de la « naïveté » ou du « cynisme », au service des impérialismes...
thèse d’un génocide au Darfour n’est pas le seul point de
Il serait tout à fait légitime de discuter de la validité de l’emploi du mot
faiblesse de la démonstration. Les manifestations publiques de
« génocide » pour qualifier ce qu’a entrepris le gouvernement soudanais
l’intention de détruire un groupe humain ne sont pas plus au Darfour. Mais tel n’est pas le propos de Jean-Hervé Bradol, car il sait
évidentes que l’existence de races distinctes. Les discours de la que sur ce point il a perdu d’avance : avec la définition du statut de la
dictature soudanaise et les lois du pays n’en portent pas trace. Cour pénale internationale, cette qualification ne fait pas de doute. Dans
En résumé, à supposer qu’elle soit réelle, l’intention de détruire un article similaire (Alternatives internationales, 09/2004), le mentor de MSF,
un groupe humain n’est pas affichée et la définition du groupe de Rony Brauman, regrette, comme nous (Billets n° 125), la jurisprudence du
victimes impose l’usage d’une catégorie invalidée, à juste titre, Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qui a qualifié de
« génocide » le massacre de Srebrenica - sans conteste un crime contre
depuis de nombreuses années.
l’humanité, mais non pas un génocide au sens historique. Nous avons
Cependant, il faut admettre que la thèse du génocide au soutenu (Édito du n° 128) qu’il y a eu au Soudan intention de génocide, au
Darfour, même si elle ne s’impose pas à tous, rencontre un sens plein, parce que les crimes contre l’humanité de Khartoum n’ont pas
véritable succès au sein des organisations de défense des droits seulement fait des dizaines de milliers de victimes : les tribus visées,
de l’homme et des organismes humanitaires. Le moteur de cet représentant plus d’un million de personnes, ont été systématiquement
engouement est, sur le fond, d’une nature tout aussi politique que privées de tout moyen de survie dans leurs villages, obligées de fuir,
le vote unanime du Congrès américain. La formule consacrée dans le désert, le harcèlement continu des soudards (ce qui rappelle le
génocide arménien), et le gouvernement soudanais a initialement refusé
pour définir ce projet politique auquel il nous est proposé
qu’on leur porte secours, ne cédant que devant l’indignation inter-
d’adhérer est le droit d’ingérence en réaction à des violations nationale.
graves et massives des droits de l’homme.
Si l’on suit Jean-Hervé Bradol, la notion de race n’ayant aucun
Pour les partisans de la construction de ce nouvel ordre
caractère scientifique (il a raison), il ne faut plus parler de génocide, car le
international fondé sur la promotion volontariste des droits de mot même renvoie juridiquement et étymologiquement (par sa racine
l’homme, les armes à la main si nécessaire, les progrès ne sont grecque genos) à cette notion dépassée. Oui, il n’y a pas de race
pas suffisamment rapides en raison de l’inertie des grandes arménienne, juive ou tutsi. Ceux qui parlent du génocide des Arméniens,
puissances, qui s’illustre dans le fonctionnement actuel du des Juifs ou des Tutsi seraient donc des charlatans, des propagandistes
Conseil de sécurité des Nations unies. de Gobineau ? C’est nier par un sophisme les terrifiantes leçons du XXe
En réponse à cette mobilisation insuffisante, la qualification de siècle que de renvoyer l’expérience et la condamnation du génocide à la
raciologie : ce qui est en question, c’est la capacité d’un État criminel (cf.
crime des crimes, le génocide, offre un avantage certain. Parmi
l’ouvrage de référence d’Yves Ternon, L’État criminel, Le Seuil, 1995) de
les violations graves des droits de l’homme, le génocide est la désigner un groupe humain comme bouc émissaire, en travaillant les
qualification qui induit le plus clairement une obligation d’inter- clivages et pulsions identitaires, puis de lâcher sur lui les exterminateurs
vention, non seulement a posteriori pour réprimer mais avant ou (ingénieurs des chambres à gaz ou milices déshumanisées). Cela n’est
pendant le déroulement des événements pour les prévenir ou y pas du tout dépassé.
mettre un terme. […] L’effet escompté [… est] une imposition du Le droit international a trouvé un nouvel élan après 1945 dans le refus
droit, par la force si besoin […]. de la monstruosité. Les Conventions de Genève nous ont défini en
Notons au passage que pour soutenir cette thèse il faut humanité, nous chargeant collectivement de défendre ses frontières, de
créditer les membres permanents du Conseil de sécurité de la refuser ce qui la nie et tue même la parole - le crime contre l’humanité,
dont le génocide est le paroxysme. Jean-Hervé Bradol nous dit que cet
volonté et du pouvoir de mettre fin aux crimes les plus graves sur
élan et cette mobilisations sont obsolètes, qu’elles relèvent d’un schéma
l’ensemble de la planète. En gardant à l’esprit la liste des intellectuel « invalidé ». Selon nous, au contraire, les Conventions de
membres permanents du Conseil de sécurité, l’histoire contem- 1948 sont une révolution, longtemps attendue, encore inachevée. Et
poraine de ces pays (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et d’abord un bouleversement des priorités : le refus du génocide surplombe
Russie), la fréquence et la complexité des conflits où les toutes les considérations stratégiques. Et c’est pourquoi tant de
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stratèges, à commencer par les militaires, s’échinent à vouloir le « mettre [L’expérience, de Jan Pronk comme celle de tout le
entre parenthèses ». La stratégie humanitaire rejoindrait-elle la militaire ? monde, prouve qu’il n’y a aucun autre « moyen de
N’insistons pas sur l’équation : l’intention génocidaire n’est assurée que persuasion » que des sanctions. Pendant les travaux humanitaires, le
si elle est affichée dans les discours et les lois ! Bradol n’a-t-il jamais rien magasin des recettes écœurantes reste ouvert. - SC]
lu sur la question, ne sait-il pas que le projet génocidaire organise
systématiquement sa propre négation ? Dans le cas soudanais, l’instru- « Les Djandjawids, les milices arabes, continuent les exactions,
mentalisation par le gouvernement central de milices tribales chargées du mais il y a déjà eu une évolution considérable de la situation
nettoyage ethnique est démontrée depuis plus de dix ans. L’élimination notamment pour faciliter l’accès aux organisations humanitaires.
des tribus gênantes est une politique constante, qui a cette fois étalé sa
Il est cependant indispensable que le gouvernement soudanais
systématicité. L’intention génocidaire existe chaque fois (Khartoum pense
comme Mitterrand : dans ces contrées ténébreuses, « un génocide, ce fasse des efforts pour désarmer ces groupes et que l’Union
n’est pas trop important »), mais elle reste inachevée à cause des africaine accentue son travail pour surveiller ce processus. Le
réactions internationales forçant le passage des humanitaires. Ce gouvernement soudanais semble décidé à faire quelque chose
scénario répété a tout de même fait déjà plus de deux millions de morts [quelque chose ?]. À nous de les aider. La paix ne peut se faire
au Soudan - tandis que le régime utilise la pression humanitaire comme qu’avec nos interlocuteurs soudanais. » (Idem)
un moyen de chantage et une source de profit.
[« Aider le gouvernement soudanais » ? Des sanctions leur viendraient
Laisser entendre qu’une proposition est fausse dès lors qu’elle est
en aide très efficacement. Nous sommes interloqués, M. le ministre, que
reprise par les Américains est un argument assez pauvre. On peut
l’on “Interlocute” avec un gang de criminels contre l’humanité. - SC]
dénoncer avec la plus grande vigueur l’impérialisme américain en Irak,
s’indigner avec Bradol des méthodes de torture pratiquées là-bas, sans
penser que les milliers de témoignages recueillis par des centaines de « Plusieurs ministres français se sont déjà rendus à Khartoum
journalistes et d’enquêteurs associatifs ne sont que des mensonges. Ce et dans le Darfour pour trouver une solution à la crise. Sur le
sont d’ailleurs ces témoignages qui permettent aujourd’hui à MSF de volet humanitaire […], les soldats des éléments français du Tchad
soigner les rescapés du Darfour : si tant de « naïfs » n’avaient pas hurlé ont été mobilisés. […] Cet automne, dès la fin de la saison des
leur indignation, les humanitaires attendraient encore leurs visas…
pluies [le ministre a perdu son parapluie], je retournerai au Darfour
Derrière tout cela, il y a deux combats idéologiques. Nous l’avons déjà
pour faire un état des lieux et savoir si la mobilisation
dit (Édito du n° 128), la « neutralité » pragmatique du « secouriste
humanitaire » peut se justifier, tel un scaphandre qui lui permet d’aller internationale a permis d’éviter un drame humanitaire. [Trop tard,
sauver des vies. Et il faut saluer ceux qui s’y dévouent. Mais qu’est-ce qui Monsieur le ministre !] Il est urgent d’accroître la sécurité autour des
autorise la plus célèbre des ONG d’urgence à vouloir transformer cette camps de réfugiés pour rétablir la confiance et organiser le retour
contrainte, ce « principe » d’action, en « principes » de “pensée” des gens dans les villages. » (Idem)
politique ? Le désastre est assuré (voir aussi, dans Billets n° 120, un propos de
[La sécurité ne règne pas autour des camps. Y régnerait-elle en raison de
J.H. Bradol sur le Liberia). Admettons que MSF n’insulte pas le régime
la présence de forces étrangères qu’elle ne régnerait pas pour autant
raciste soudanais. Mais elle pourrait s’épargner de servir la dialectique
dans les villages d’où viennent les occupants de ces camps. Outre ces
mensongère de Khartoum et d’en camoufler l’ignominie, en bonne
derniers (difficiles à approcher en raison des menaces qui pèsent sur
intelligence avec la politique française - qui se sert de la prise de position
ceux qui témoignent : plusieurs qui l’ont fait ont définitivement disparu),
de MSF pour justifier son amical dialogue avec le régime soudanais.
interrogez les organisations qui ont enquêté sur la situation, M. le
Le président de Médecins sans frontières (pas forcément suivi par ministre. Elles n’ont pas plus confiance en la parole de vos « inter-
toutes les sections nationales de MSF) dénonce le « droit d’ingérence », locuteurs » que les villageois privés de village. La France a voté la
un concept ambigu, donc dangereux, promu par Bernard Kouchner, résolution 1564 (www.un.org) du Conseil de sécurité le 18 septembre. Si
fondateur de MSF et ennemi “historique” de Rony Brauman. Il y a matière l’ambassadeur de France à l’ONU, Jean-Marc de la Sablière, s’est
à débat. Mais au-delà, c’est la perspective même d’une justice pénale exprimé dans ce sens, c’est qu’il en a reçu l’ordre du plus haut niveau de
internationale qui est traitée par le mépris, assimilée aux impérialismes - l’État. Nous voudrions pouvoir compter sur vous pour muscler la
alors que les États-Unis, la Chine et la Russie de Poutine refusent la détermination de cette cime. - SC]
Cour pénale internationale. Rony Brauman, dans l’article parallèle
d’Alternatives internationales, feint de croire que toute sanction se
résume aux canonnières coloniales : il existe des sanctions moins Tyrannophilie
violentes et dissuasives, comme débrancher la pompe à pétrole et à
finances. Jean-Hervé Bradol oublie, ou feint d’oublier, que jamais aucune « La question de la démocratisation des pays africains - comme
justice n’est née impartiale. Mais elle élabore des mots et des règles qui d’ailleurs de tout pays - mérite toutes les nuances du jugement,
finissent par se retourner contre l’arbitraire. Le choix est entre ni loi ni ce que certaines phrases de la pétition que vous avez signée ne
justice, et la construction progressive d’une justice imparfaite. MSF ne font pas.
nous laisse que le premier choix, au nom d’une « neutralité » qui permet, Il me paraît pour le moins totalement faux d’affirmer, comme le
non pas accidentellement, mais structurellement, de soigner les rescapés fait l’Association Survie, que “depuis les années 1960, la France
au milieu des bourreaux. Certains appellent ça du « réalisme ». La
confisque l’indépendance de ses anciennes colonies africaines
mémoire de l’humanité s’insurge contre ce choix. - FXV]
en y maintenant un système d’exploitation clientéliste qui peut
rejoindre le néocolonialisme le plus caricatural”.
« [La] qualification de génocide n’a été reprise ni par le La politique africaine de la France depuis quarante ans n’est,
secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, ni par Jan certes, pas exempte de critiques : [… elle] a ses partis pris, ses
Pronk, le représentant spécial pour le Soudan, dans son rapport intérêts et il lui arrive de se tromper. Mais [… elle] est aussi digne
sur la situation, ni par Médecins sans frontières, ni par moi quand de louanges quand on sait que la principale menace qui pèse depuis
je me suis rendu sur place en juin. Maintenant, il est évident que tant d’années sur le continent africain est l’indifférence. » (Guy
le Darfour est le théâtre d’une crise humanitaire importante [sic] TEISSIER, député UMP des Bouches-du-Rhône, président de la commission
et de violations massives et graves des droits de l’Homme. Nous de la Défense nationale et des Forces armées. Réponse du 01/09 au courrier
soutenons l’idée d’une enquête précise de l’ONU. » (Renaud d’un militant de Survie à propos de notre campagne Dictateurs).
MUSELIER, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, interrogé par Le [Comme Paul Quilès, son prédécesseur à la présidence de la
Figaro du 16/09) commission de la Défense, Guy Teissier ne veut pas voir la criminalité
[L’idée est bonne, sa mise à exécution urgente. Allez, Monsieur Muselier, politique et économique qui domine la politique africaine de la France, il
un peu plus de nerf. Une bonne idée se défend bec et ongles. - SC] admet au plus qu’il puisse y avoir « erreur ». Relèverait de cette catégorie
le soutien ininterrompu aux Eyadéma, Bongo, Déby, Sassou, Biya, Ould
Taya, Guelleh, etc., et non du « néocolonialisme le plus caricatural ». Il
« C’était une erreur, car il ne fallait imposer des sanctions contre le faudrait plutôt louer le prédateur de ne pas être indifférent à ses proies.
Soudan que s’il n’y avait aucun autre moyen de persuasion. » (Jan Les peuples tyrannisés et pillés seront de plus en plus amenés à
PRONK, envoyé spécial de l’ONU au Soudan, concernant les sanctions demander, au contraire : « Laissez-nous la paix ! Laissez-nous le fric !
pétrolières. xinhuanet.com du 20/09). Laissez-nous l’Afrique ! » - FXV]
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« En tant que Président de la commission de la Défense Mondialisation
nationale et des Forces armées […], je puis vous affirmer que la
France n’a pas à rougir des actions qu’elle entreprend en sta- « [La recherche publique est] productrice d’une connaissance scien-
tionnant chaque année plusieurs milliers de soldats en Afrique et tifique [qui] est un bien public dont personne n’a l’apanage. »
en envoyant, quand la situation humanitaire ou politique l’exige, (Comité d’initiative et de proposition [CIP], exprimant les
des renforts sur place. Ces milliers de soldats participent, en revendications d’une grande partie des chercheurs français. Extrait de la
prenant plus de risques que quiconque, à la démocratisation synthèse des propositions des multiples assemblées de chercheurs, dans
effective du continent africain. » (Idem) la perspective d’états généraux de la recherche. Cité par Libération du
15/09).
[C’est inouï comme ces forces stationnées ou expédiées ont contribué à
la démocratisation du Congo, de Djibouti ou du Rwanda. Il est vrai aussi [Le bien public mondial “connaissance”, diffusé par l’Université, a été
que Guy Teissier préside l’une des seules commissions parlementaires l’une des sources de la prospérité européenne au Moyen-Âge. C’est un
de la Défense dans les pays démocratiques qui refuse de contrôler ou bien central, dont le caractère public favorise l’essor. Il est mis en cause
superviser les services secrets. Il n’est donc peut-être pas très renseigné aujourd’hui avec le brevetage systématique de l’intelligence informatique
sur ce que font ces services pour prolonger les dictatures françafricaines.] (logiciels), des médicaments, et même du vivant. L’un des animateurs du
CIP, Édouard Brézin, ne cache pas que cette affirmation provient
« La démocratie en Afrique est pour moi comparable à une fleur notamment de la colère de certains biologistes contre les tentatives de
brevets du génome humain. - FXV]
qu’on ne fera pas pousser plus vite en tirant dessus. » (Idem)
[On nous pardonnera, mais, vu le contexte, nous avons à première
lecture compris de travers le mot « tirant » : on a pensé à la canonnière Xénophobie
ou au FAMAS. Nous sommes bien sûr sensibles à la lenteur des
évolutions historiques, mais qui, sinon la Françafrique, a installé les
tyrans verrouilleurs de démocratie évoqués plus haut ? Qui a recouvert la « J’ai mesuré à quel point les phénomènes de l’immigration ou des
fleur d’une chape de plomb ? réseaux criminels pouvaient être traités avec davantage
Pourquoi avons-nous décidé de lancer une campagne contre le soutien d’efficacité si nous étions en mesure d’instaurer une relation de
de Paris aux dictateurs françafricains ? Parce que trop de démocrates solidarité avec les pays touchés par les mêmes fléaux. »
des pays accablés sont venus nous dire qu’ils étaient à bout, qu’ils n’en (Dominique de VILLEPIN, Le requin et la mouette, Introduction
pouvaient plus de se faire matraquer et torturer par les amis de l’Élysée publiée en « bonnes feuilles » par Le Monde, 09/09).
et de l’UMP.
Un seul exemple : le criminel Déby, dont le ministre Darcos a dit en [Au milieu d’un océan sirupeux, cette rude perle xénophobe issue des
notre nom qu’il avait été « démocratiquement élu par deux fois », a profondeurs où se cache le monstre de la sincérité. Ainsi l’immigration
décidé d’instituer une Commission électorale nationale indépendante serait-elle un « fléau » ? On ne la réduit même pas à sa version dite
(CENI) - vieille revendication des démocrates. Une loi a été votée à cet « clandestine », qui masquerait tant soit peu la crudité du propos et on la
effet, par une Assemblée nationale issue d’élections complètement met sur le même plan que les « réseaux criminels ». Qu’en pensent les
truquées, où le parti de Déby dispose de trois quarts des sièges. Cette migrants qui ont envahi naguère, sans l’autorisation des autochtones,
Assemblée va désigner 15 membres de la CENI, Déby 13 autres, et il y l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Argentine, le Canada, les États-Unis, fuyant
aura 3 places pour les partis sans député. C’est cette “CENI” totalement la faim, la pauvreté ou la persécution ? Et l’auteur conclut, lyrique, son
dépendante qui va superviser la qualité démocratique des prochains introduction : « Oui une nouvelle fraternité est possible ». – Odile Tobner]
scrutins ! - FXV]
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Françafrique officielles, est la plus connue : un peu plus de 6 milliards d’euros
[...]. Le vrai problème, [… c’est] le déficit [… creusé par] la dette dite
privée [...], officiellement estimée à 1,1 milliards d’euros. Les
La Lettre du Continent, Henri Bentegeat en avion présidentiel à
créances privées ont trois spécificités : [...] elles sont difficiles à
Abidjan, 02/09 : « Très proche de Jacques Chirac, [le chef d’état-
faire annuler, les acteurs privés ne donnant pas dans la charité.
major de l’armée française (CEMA)] Henri Bentegeat […] souhaiterait
[...] L’emprunt privé n’est pas soumis à des conditions pour son
un changement de statut du CEMA, l’érigeant en vrai vice-
utilisation. [...] Mais sa plus grande originalité réside dans la
ministre de la défense avec un pouvoir décisionnaire. »
sécurité qu’elle offre aux créanciers. Il s’agit en effet, dans la
[Que le CEMA prenne le taxi présidentiel pour aller à Abidjan ne met pas majorité des cas, d’emprunts gagés sur la vente future de
la République en danger. Qu’il prenne la limousine de Chirac pour pétrole. [...]
s’installer au ministère de la Défense « avec pouvoir décisionnaire », si.
Sassou et Lissouba y ont eu un recours massif. Leur premier
Veillons au salut de l’empire… Oh, pardon, de la République ! – SC]
créancier fut [...] Elf [...], qui prêtait de l’argent via sa propre
banque Fiba en pratiquant un taux d’intérêt très élevé. [...] Ces
Témoignage chrétien, Le Congo-Brazzaville sous haute dettes [...] servent à financer n’importe quoi : [...] un hôtel
pression (II). Les mauvais gages des banques françaises, 16/09 particulier à Paris, [...] des achats d’armes [...]. D’après le FMI,
(Henrik LINDELL) : « Le Congo-Brazzaville serait le pays le plus 75 % des emprunts contractés entre 1995 et 2000 étaient gagés
endetté au monde per capita. 70 % de ses habitants vivent au- sur le pétrole ! [...] Le FMI proscrit formellement cette pratique.
dessous du seuil de pauvreté. […] Les régimes successifs de Depuis 2001, les autorités promettent de ne plus y avoir aucun
Denis Sassou Nguesso et Pascal Lissouba (1992 à 1997) ont recours.
investi l’essentiel de leurs emprunts à tout, sauf à développer le Mais les créanciers privés ne peuvent qu’inciter les autorités à
pays, par exemple à faire la guerre. [… Selon] Global Witness […], s’endetter ainsi. Grâce aux livraisons de pétrole [...] sur le marché
250 millions de dollars disparaissent chaque année sans mondial [...], ils sont sûrs d’être payés. [...] Les plus grands
explication. Soit un tiers des revenus dégagés du pétrole. […] créanciers sont… nos bonnes vieilles banques françaises. Les
Pourquoi certains créanciers persistent-ils à prêter de l’argent noms de BNP-Paribas et Société générale reviennent
à un État dont tout le monde sait qu’il est surendetté. [...] La systématiquement. L’État congolais [...] doit, selon nos calculs,
partie publique [de la dette], due à des pays ou à des institutions au moins 400 millions d’euros à nos banques ! [...]
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La Société générale et BNP-Paribas n’ont cependant pas Le Monde Diplomatique, La grande fatigue des
transféré l’argent prêté [...] au gouvernement, mais à la Société Ivoiriens. 09/2004 (Colette BRAECKMAN) : « Face à la rue qui
nationale des pétroles du Congo (SNPC), [...] fondée en 1998 gronde, le chef de l’État recourt à la tactique bien connue du
grâce à un crédit de la Banque mondiale [...]. L’argent s’est-il ‘‘moi ou le chaos’’ , se présentant comme le seul à pouvoir faire
évaporé ? Certains n’hésitent pas à faire le lien, familial, entre le rentrer les démons dans leur boîte. Mais, malgré ses talents
PDG, Bruno Itoua, et celui qui l’a nommé, le président Sassou. politiques, ne risque-t-il pas d’être dépassé par ses propres
En novembre 2003, un journaliste du courageux hebdomadaire extrémistes, désormais aveuglés par la haine identitaire, comme
congolais L’Observateur a fait allusion à la “famille” [...] en le fut naguère un certain Juvénal Habyarimana ?
insistant sur le gaspillage et le salaire d’Itoua (115 0000 euros Le président Gbagbo joue aussi sur l’usure, et cette partie-là
par mois). [...] L’hebdomadaire a été condamné à une très lourde semble plus facile, car les rebelles s’essoufflent, les soutiens
amende qui menace son existence. Et pourtant, la réalité est là : dont ils bénéficient s’amenuisent et des dissensions
le président Sassou pratique le népotisme à outrance. Les apparaissent entre leurs chefs. Le président utilise aussi la carte
secteurs-clés de l’économie sont dirigés par les membres de sa internationale : lui qui a évolué dans le sillage du parti socialiste
1
famille . [...] français, où il compte ses meilleurs amis, n’hésite pas à se
Des membres de l’administration congolaise, remontés contre rapprocher des États-Unis, qui lui accordent une aide très
une “gestion trop familiale”, nous ont donné des documents généreuse sous couvert des fonds de lutte contre le sida prévus
surprenants. [...] Une lettre rédigée par les services juridiques de par le président Georges W. Bush. Il entretient aussi des liens
BNP-Paribas [...] concerne deux “prépaiements d’exportation de avec les milieux religieux américains, séduits par sa foi et par
pétrole brut”. Le premier, en faveur de la SNPC, en juillet 2002, son prédicateur préféré, le pasteur Koré. En outre par le biais de
porte sur 70 millions de dollars. Le deuxième, signé en la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), il a veillé
septembre 2002, s’élève à 80 millions de dollars. [...] Dans la à se réconcilier avec la Libye, qui jusqu’alors soutenait le
lettre […], il est demandé à son destinataire, un huissier de Burkina Faso.
justice, “de veiller particulièrement à ce que ces documents Mais surtout, l’habile président, un animal politique-né, a utilisé
restent confidentiels et de rappeler à vos clients le devoir de son principal atout : les ressources du pays, qui, quoique
discrétion qui leur incombe”. […] affaiblies, assurent toujours ses arrières. De notoriété publique,
Autre exemple. Un prêt a été accordé à la SNPC en juin 2000 les revenus de la filière café-cacao ont été utilisés pour renforcer
via l’intermédiaire de la Société générale, [… pour] la coquette l’armée et acheter des armes. C’est parce qu’il en savait trop sur
somme de 200 millions de dollars. […] La banque et le prêteur ce sujet que le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer a
[dont le journaliste n’a pas obtenu le nom] ont touché plus de 6 été enlevé le 16 avril 2004, puis vraisemblablement assassiné.
millions de dollars […] pour quelques exercices d’écriture ! Dans la prison centrale d’Abidjan, nous avons rencontré deux
détenus, anciens gardes du corps affectés à la présidence, qui
La Société générale possède cependant ses propres créances
assurent avoir vu un certain Tony Oulaï, pilote d’hélicoptère pour
à l’égard du Congo. Selon Global Witness, elle aurait prêté 233
le président Gbagbo, enterrer le corps du journaliste quelque
millions de dollars contre des revenus pétroliers en 2002 [… et],
part du côté de l’autoroute du Nord...
la même année, […] aurait aussi accepté de renégocier un autre
emprunt de 250 millions de dollars. […] En 2002, année Le président a aussi veillé à se réconcilier avec la France sur
électorale, […] l’élection avait été précédée par des dépenses un point essentiel : celui des intérêts économiques. Même s’ils
faramineuses de communication. […] Des chiffres publics se sont désengagés de la production proprement dite (Bolloré a
concernant “l’affectation des produits nets 2002 des cargaisons abandonné la filière cacao), plus que jamais les grands groupes
SNCP”, on apprend que 88 millions de dollars sont allés au français contrôlent les flux : transport, eau, électricité, voies de
trésor public et 234 millions vers les banques (à peu près équi- communication.
tablement entre la Société générale, BNP-Paribas et [le trader] Ainsi, la concession d’accès à l’eau potable a été confiée,
RMB-Vitol). 27 % pour l’État congolais, 73 % pour les banques : jusqu’en 2007, à la société de distribution d’eau en Côte d’Ivoire
pas de commentaire ! […] Les dettes gagées sont remboursées. (Sodeci), dont le chiffre d’affaires se monte à 49 milliards de
Les Congolais n’ont que leurs yeux pour pleurer. » francs CFA [75 millions d’euros], Saur [filiale du groupe Bouygues]
détenant 47 % du capital. L’électricité jusqu’en 2005, revient à la
[Pas besoin de commentaire, en effet ! Henrik Lindell est depuis 7 ans
Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) dont le chiffre d’affaires
l’un des très rares journalistes à enquêter sur la “gestion” françafricaine
du Congo-Brazzaville. atteint 201 milliards de francs CFA (306 millions d’euros), Saur
Les médias pro-Sassou ont très mal pris cet article : Lindell aurait été et EDF détenant 51 % du capital. La téléphonie mobile (1,4
« victime d’une opération de désinformation bien montée au cours de millions d’abonnés) est attribuée à Orange [France Télécom] et
son séjour au Congo ». L’encenseur Jean-Paul Pigasse dénonce, dans Télécel [filiale du groupe égyptien Orascom], tandis que les
Les dépêches de Brazzaville (21/09), « la machination […] politique » téléphones fixes sont concédés à France Cable radio [France
« de hauts responsables de la hiérarchie catholique locale », qui ont eu Télécom], à raison de 51 %.
le tort de demander que l’argent du pétrole aille dans le budget de l’État.
D’autres contrats vont s’ajouter à cette manne. Le terminal
Il ajoute, dans une dénonciation en miroir (quand on sait les nettoyages
ethniques déclenchés par Sassou), que ces responsables feraient conteneur du port d’Abidjan (15 millions de tonnes par an) sera
preuve d’une « dérive ethniciste » qui inquiète le Vatican - où Pigasse, confié à Bouygues [en fait il s’agit du groupe Bolloré]. Le déména-
très proche de l’Opus Dei, a sûrement ses entrées. L’ethnicisme gement vers Yamoussoukro en 2004 et 2005 de certains bâti-
reconnaîtra les siens… - FXV] ments officiels, comme le palais présidentiel ou la maison des
députés (avec un coût de 500 milliards de francs CFA), profitera
1. Henrik Lindell détaille dans une infographie une partie de cette pour moitié à des intérêts français. Commentant ces données un
captation des ressources du pays par l’épouse, la fille Édith, épouse très haut cadre ivoirien conclut : "Croyant en la mondialisation,
Bongo, les fils et les neveux. Sur Internet circule une liste interminable nous avions voulu diversifier nos partenaires, ouvrir nos
des entreprises et immeubles congolais que se serait appropriés la marchés. Mais nous avons été obligés de suspendre la
« famille ». Il faudrait vérifier un à un les éléments ainsi livrés, qui peuvent décolonisation de notre économie. Le fusil sur la tempe, nous
être vrais (la fortune du clan a de moins en moins de bornes) ou le fruit
avons dû marquer un temps d’arrêt.’” »
d’une manipulation, mêlant le vrai et le faux pour discréditer ceux qui
utiliseraient cette liste sans précaution (le régime est de longue date [Si nous citons longuement cette partie d’un article très dense de Colette
accoutumé à ce genre de manipulation). À suivre… Braeckman, c’est qu’elle nous rappelle quelques facteurs-clés de la
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&, . ’ ° )
situation actuelle en Côte d’Ivoire, notamment le risque de dérive coup du 19 septembre 2002 contre Laurent
génocidaire, et certains intérêts ou enjeux économiques sous-jacents (cf.
Gbagbo, après avoir suscité et organisé la table ronde de Linas-
Billets n° 108, Paris pas blanc). À une période où l’on parle de lutter
Marcoussis, après avoir préparé avec force conviction le rendez-
contre les prédations économiques que subissent les pays en
développement et où l’on dénonce une mondialisation réfutant les droits vous d’Accra III, inspirant, dans une discrétion feinte, certaines
de l’Homme, « le fusil sur la tempe » évoqué par un officiel ivoirien est des principales résolutions, que la France, donc, à force de
significatif de la persistance des méthodes françafricaines. tergiverser, de changer d’allié au gré des circonstances,
En même temps, le choix stratégique opéré dans ces circonstances par s’embrouille. [… ] La démarche française laisse perplexe et agace
le régime de Gbagbo est révélateur des priorités de ce régime : un la classe politique ivoirienne dans son ensemble. Toutes les
pouvoir ressourcé dans la xénophobie et le contrôle des rentes du cacao sensibilités confondues. Cela entraîne forcément des
et du café plutôt que la décolonisation économique. Guy-André Kieffer, quiproquos, développe de profonds ressentiments dans tous les
ce journaliste franco-canadien qui avait d’abord manifesté de la camps et peut provoquer de nouvelles déchirures. »
sympathie pour la volonté affichée de décolonisation économique, a
[Cet article est à prendre au sérieux, 24 heures étant l’un des meilleurs
payé de sa vie de s’être mis à enquêter sur l’usage de ces rentes. –
médias d’Abidjan. Sans préjuger du fond du discours, on observera
Olivier Guilbaud]
d’abord la morgue néocoloniale du conseiller Michel. Ainsi, la France se
veut seul pilote de la Côte d’Ivoire, mais un pilote sans cap : l’Élysée est
24 heures (Abidjan), Présidentielle 2005 : la France fait son choix, à la remorque des alliances fluctuantes des grandes entreprises
08/09 (A. SANGARÉ) : « Simon Michel, […] premier conseiller de françaises en Côte d’Ivoire - lesquelles misent désormais sur Gbagbo et
son contrôle milicien de la rue abidjanaise après avoir, pour plusieurs
l’ambassade de France [à Abidjan, a fait l’intérim de l’ambassadeur
d’entre elles, souhaité son renversement. Les députés ivoiriens se disent
Gildas Le Lidec, parti plusieurs semaines en France. Le 3 septembre, il a
choqués, la classe politique est agacée. Et si cet agacement devenait
reçu quelques députés du G7, le rassemblement des opposants à
plus fort que sa désunion, lui permettant enfin, « toutes tendances
Laurent Gbagbo, membres de la] commission des Affaires
confondues », de reprendre la barre du navire Ivoire, encore et toujours
étrangères. “Que se passera-t-il […] si les projets de loi ne sont néocolonisé ? – FXV]
pas votés avant le 30 septembre comme l’a prévu la feuille de
route [des accords] d’Accra III et que les ex-rebelles refusent de
désarmer le 15 octobre ?”, s’interroge […] un député. Mondialisation
“Il n’y a pas de doute. Ils y seront contraints. Nous avons les
moyens. Nous avons fini d’occuper tous les points stratégiques. Le Canard Enchaîné, 28/07 : « On savait déjà que les
Dans tous les cas, ces gens ne représentent plus rien. Nos montagnes de poulets congelés que l’Europe, la France en tête
rapports sont clairs là-dessus. Nous savons tout d’eux.” […] Pour [au Cameroun : l’Espagne et la Belgique], exporte en Afrique mettent
lui et ses supérieurs, le choix est désormais clair, la France sur la paille les éleveurs locaux (950 FCFA pour le poulet
envisage, ni plus ni moins, de soutenir Laurent Gbagbo, “le seul” européen contre 2 200 FCFA la volaille du cru). Voilà qu’on
à leurs yeux “à même de mieux défendre les intérêts français en découvre que ces “poulets export”, élevés à vitesse grand V (35
Côte d’Ivoire”. […] De Bédié, il dira qu’il ne représente plus grand jours au lieu de 45 pour le poulet industriel standard), sont
chose, endormi qu’il est dans son village. […] De Ouattara, souvent de vrais bouillons de culture quand ils arrivent dans
coincé dans son exil “français”, il soutiendra qu’il est inoffensif. l’assiette du consommateur. Une récente enquête menée par le
Même s’il était candidat, il ne sera pas en mesure de ramener la centre Pasteur de Yaoundé sur les marchés du Cameroun (où
paix. Quant aux Forces nouvelles, il en donne une opinion exé- les importations poulets congelés européens ont fait un bond de
crable : “Elles sont en déliquescence. Beaucoup sont devenus 300 % depuis 1997) révèle que 83,5 % des morceaux de poulets
des bandits de grand chemin. […]”. analysés sont ”impropres à la consommation”, parce que
Au sortir d’une telle rencontre, il est loisible d’imaginer la mine bourrés de microbes, ou de bactéries comme les salmonelles. Il
des députés “convoqués”. La plupart d’entre eux en ont été faut dire que le poulet congelé, qui suppose un respect
choqués. La pression qu’exerce en ce moment les diplomates scrupuleux de la chaîne du froid, n’est pas vraiment le produit le
français en poste à Abidjan sur les élus du groupe des 7 (G7) mieux adapté au parc de congélateurs en Afrique. »
semble trahir, si c’était un secret, la volonté de la France de [Voilà de quoi alimenter les revendications internationales contre la
rester seul maître à bord du navire Ivoire, en dépit du récent globalo-malbouffe qui perd le Sud. Nous conseillons le livre blanc
accord signé à Accra sous la houlette de l’ONU et de l’Union proposé par l’association camerounaise Association citoyenne de
africaine et baptisé Accra III. […]. défense des intérêts collectifs (http://www.acdic.org) : Poulets congelés,
Que faut-il retenir de tout ce charivari politico-diplomatique ? Danger de mort.]
Essentiellement que la France, après avoir fermé les yeux sur le
Outre-mer et presse