Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

1 PB

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 25

La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.

ma
ISSN : 2605-6488

« POUVOIR ET MEDIA »

Préparé par le doctorant : Encadré par le Professeur :


CHAIOUI SAID ISMAILI NADIR

Laboratoire d’Études et Recherches


Juridiques et Politiques et Internationales.- université Moulay Ismail- Méknes

1
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

Nom et prénom : CHAIOUISAID


Fonction : Doctorant
GSM : + 212 661 41 96 58
Encadré par le Professeur : ISMAILI NADIR
Laboratoire : d’études et recherches juridiques, politiques
Et internationales.
Département : de droit public
Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales.
Université Moulay Ismail-Meknès – Maroc.

Article intitulé :

« POUVOIR ET MEDIA »
Résumé

Le « pouvoir » et les « médias » sont deux expressions généralement associées tout en étant
potentiellement conflictuelles. Les premières études sur les effets des médias – essentiellement sous
les régimes totalitaires - réalisées dans les années 1940 et 1950 ont accordé aux médias un pouvoir
quasiment illimité pour modeler les consciences et générer des émotions chez les récepteurs. Ces
analyses ont été regroupées sous le paradigme des effets puissants. Dans les pays démocratiques,
considérés comme un quatrième pouvoir, les médias sont à la fois convoités et redoutés. La puissance
de la télévision comme vecteur de l’information et du débat démocratique modèle durablement le
mode de production de la politique. De même, le mythe du «journalisme d’investigation», libre de
tout pouvoir et de toute limite structure, marque profondément l’ensemble des médias. Mais, Depuis
une quinzaine d’années, à mesure que s’accélérait la mondialisation libérale, ce « quatrième pouvoir
» a été vidé de son sens, il a perdu peu à peu sa fonction essentielle de contre-pouvoir. Préoccupés
surtout par la poursuite de leur gigantisme, qui les contraint à courtiser les autres pouvoirs, ces grands
groupes ne se proposent plus, comme objectif civique, ce qui a permis l’émergence d’un « cinquième
pouvoir » qui utilise les nouvelles technologies d’internet pour opposer une force civique et citoyenne
contre la nouvelle coalition des dominants.

Mots clés : Pouvoir- Médias- Propagande- communication politique- Audiovisuel- Internet.

Abstract

“Power” and “media” are two expressions that are generally associated while being potentially
conflicting. The first studies on the effects of the media - mainly under totalitarian regimes - carried
out in the 1940s and 1950s gave the media almost unlimited power to shape the consciousness and
generate emotions among recipients. These analyzes have been grouped under the powerful effects
paradigm. In democratic countries, considered a « fourth estate», the media are both coveted and
feared. The power of television as a vehicle for information and democratic debate durably model the
way politics is produced. Likewise, the myth of "investigative journalism", free from all power and
structural limits, deeply marks all media. But, over the past fifteen years, as liberal globalization has
accelerated, this "fourth estate" has been emptied of its meaning; it has gradually lost its essential
function of counter-power. Concerned above all by the continuation of their gigantism, which forces
them to court the other powers, these large groups no longer propose themselves, as civic objective,
which allowed the emergence of a « fifth power » which uses the new technologies of 'internet to
oppose a civic force and citizen against the new coalition of the dominant.

2
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

Keys words: Power - Media - Propaganda - communication policy - Audiovisual - Internet.


Plan:
Introduction

I- Les médias du pouvoir : le poids de la propagande.

1- Les médias du pouvoir totalitaire : le paradigme des effetspuissants

a)- La théorie des effets puissants en sociologie des médiats et ses critiques.

b)- Les techniques propagandistes des médias du pouvoir.

2- Les médias du pouvoir démocratique : la propagande enliberté.

a)- De la propagande à La communication politique.


b)- L’influence des sources institutionnelles sur les médias.

II- Lepouvoir des médias : l’influence du « quatrième pouvoir ».

1- Le rôle des médias en tant que « quatrième pouvoir ».

a)- Pouvoir de la télévision, banalisation de la politique.

b)- Pouvoir du journalismed’investigation.

2- L’émergence du « cinquième pouvoir » : les médias à l’heure dunumérique.

a)- Démocratisation de l’information : effets sur les médias traditionnels.

b)- Le « cinquième pouvoir » : une force de contre-pouvoir civique.

Conclusion.

3
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

Introduction
On sait depuis Alexis de Tocqueville que la théorie constitutionnelle mise en place par
Montesquieu ne rend pas compte à elles seule de la réalité des pouvoirs. Si les pouvoirs institués
sont bien au nombre de trois, c’est un quatrième pouvoir, non institué celui-là, que le XXème
siècle a appris à connaître. Non institué certes, mais néanmoins constitutionnellement largement
protégé : remarquable par l’étendue de la liberté qu’elle confère, et sa restriction quant à la
limitation des abus, c’est bien un principe fondamental reconnu par les lois que de veiller à ce
qu’aucun des trois pouvoirs ne limite à l’excès la liberté de ce qu’on désigne donc par le
quatrième : lesmédias1.
À l’instar de l’écriture selon Platon, les médias sont des prothèses pour la pensée ou la réflexion.
Ils sont un creuset où la pensée se forge, et permettent de la communiquer à un ou plusieurs
destinataires, selon des formes diverses. Depuis l’invention de l’imprimerie, les médias n’ont
guère cessé de promouvoir de nouvelles formes d’expression, qui sont autant de moyens, pour
l’homme, de créer des œuvres nouvelles, glorieuses ou dérisoires2. La question du « pouvoir des
médias » est très vite devenue obsessionnelle du fait de leur utilisation spectaculaire par les
régimes totalitaires. La radio puis la télévision suscitent alors les craintes les plus vives : on
redoute leur « omnipotence » ou leur « toute-puissance », leur capacité à manipuler à loisir les
esprits dits faibles (les femmes, les enfants, et par extension les masses).
C’est en grande partie en réponse à ce type de schéma, pour mieux en mesurer l’exactitude et la
portée, que la sociologie des médias s’est développée et que l’on a vu fleurir, à partir des années
quarante, des travaux plus empiriques3. Dans le même temps, les « éditocrates » longtemps
considérés comme des contre-pouvoir , considèrent que les « informations » qu’ils produisent
sont de fidèles miroirs, absolument neutres vis-à-vis des réalités qu’ils reflètent en toute
objectivité, et qu’elles ne sauraient donc exercer aucunpouvoir4.
Le dernier tiers du 20e siècle a été marqué par une libéralisation sans précédent, ainsi qu’un
désengagement de l’État dans le domaine de l’information. Le mariage des télécommunications,
de l’informatique et du multimédia qui en résulte a provoqué l’explosion quantitative de la sphère
informationnelle. L’information, nouvelle matière de l’activité humaine, se retrouve au cœur
desrapports de force entre États et corporations, capital stratégique, source de pouvoir et de
domination5. Depuis une quinzaine d’années, à mesure que s’accélérait la mondialisation libérale,
ce « quatrième pouvoir » a été vidé de son sens, il a perdu peu à peu sa fonction essentielle de
contre-pouvoir. En cette phase de la mondialisation, nous assistons à un brutal affrontement entre
le marché et l’État, le secteur privé et les services publics, l’individu et la société, l’intime et le
collectif, l’égoïsme et la solidarité6. La scène publique commune qui a caractérisé l’époque des
grands médias de masse est en train d’éclater en morceaux. Les nouvelles technologies de
l’information – Internet, téléphones mobiles, TNT, etc. – qui permettent à l’individualisme
consumériste de s’épanouir sous mille formes. On sait que la lecture de la presse écrite ne cesse
de se tasser, l’audience des radios généralistes a été divisée par deux en vingt ans, celle des
grandes télévisions a commencé à s’effriter, c’est « des solitudes interactives », évoqué par
Dominique Wolton7. Dans ce jeu subtil de manipulation et d’influence : quel rôle peut jouer les
moyens de communication dans un système où le pouvoir politique est contraignant ? Les médias
peuvent-ils

1 David Kessler, Les médias ont-ils un pouvoir ? Éditions Le seuil, 2012, page105
2 Francis Balle, Les médias, Collection : Que sais-je ? Éditeur : Presses Universitaires de France, 2017, Page : 128
3 Grégory Derville, Les cahiers de médiologie, Éditions Gallimard, 1998/2 N° 6, pages130.
4 Blaise Magnin&Henri Maler, Le pouvoir des médias : entre fantasmes, déni et réalité, https://www.acrimed.org, 19 Mars
2018,Page1.
5 Gaelle Grognet, Média : faut-il un cinquième pouvoir ? Essai maitrise à l’Université Laval, 2004, page 6.
6 Ignacio Ramonet, Le cinquième pouvoir, www.monde-diplomatique.fr › octobre 2003, page 2.
7 Denis Pingaud, Bernard Poulet, Du pouvoir des médias à l’éclatement de la scène publique, la revue Le Débat, n°138, janvier-février

4
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

2006, page7.

5
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

Clairement avoir une influence sur les agendas politiques dans les pays démocratiques et jouer
pleinement leur rôle de « quatrième pouvoir » ? La révolution numérique considérée -avant avant tout
comme
mme une révolution des pouvoirs-
pouvoirs donne
donne-elle
elle de nouveaux moyens et de nouvelles capacités
d’action à ceux qui n’en avaient pas ? Remet Remet-elle
elle en cause les expertises réservées, les modes
traditionnels de production, d’expression politique et de diffusion des informations en fragilisant de
ce fait les structures traditionnelles du pouvoir et des médias dits traditionnels ?
Dans cet article, on va examiner d’abord l’instrumentalisation du pouvoir politico-économique
politico économique que
ça soit - d’une manière directe sous les rrégimes
égimes totalitaires ou indirectement dans la sphère
démocratique - de l’omnipotence des moyens de communications et des masses médias comme
appareil idéologique, pour atteindre le but ultime qui consiste à persuader le public par des
méthodes qui confondent
confondent information et propagande, soit un lieu de domination à fin de consensus
social. Ensuite, Face à la domination du pouvoir, certains médias ont essayé dans une période de
l’histoire de marquer leur distance, et cela grâce à la monté en puissance rapide de conscience de
l’opinion public, d’un espace de plus en plus modernisé et à une presse d’investigation vigoureuse.
De ce fait, les médias ont réussi à constituer un « contre
contre-pouvoir
pouvoir » qui a comme un devoir majeur
de dénoncer ces violations des droits. Mais encore, avec le tournant de la mondialisation qui
constitue donc aussi la mondialisation des médias de masse, de la communication et de
l’information, a marqué la fin des « Trente Glorieuses » pour les médiasdemasse. Préoccupés
surtout par la poursuite de leur gigantisme, qui les contraint à courtiser les autres pouvoirs, ces
grands groupes ne se proposent plus, comme objectif civique, ce qui a permis l’émergence d’un «
cinquième pouvoir » qui utilise les nouvelles technologies 2.0 pour opposer une force civique c ivique
citoyenne à la nouvelle coalition des dominants.

I/ - Les médias du pouvoir : le poids de la propagande.

Le XXe siècle a été le grand âge de la propagande. Les partisans des idéologies opposées ont
créé des bureaux voire des ministères à son nom, mobilisé des moyens démesurés, recherché les
méthodes les plus scientifiques. Elle s’est asservi le monde de la culture et de la science, du loisir
ou du sport et jusqu’à la langue même. Elle a contraint des millions d’hommes à proclamer une
foi qui n’éta
n’était
it pas toujours si sincère. Jamais l’entreprise qui consiste àfairecroire aux foules n’a
été menée aussi systématiquement ni dénoncée aussi obstinément par des méthodes qui, avec le
recul, paraissent évidentes8. Sous les régimes autoritaires, la fonction ddee médiation que sensé
occupé les médias de masse entre le monde politique, lieu d’une parole décisionnelle, la société
civile, lieu d’élaboration de l’opinion publique et le monde des experts, espace d’une parole
savante est gravement hypothéquée par une structuration singulière de la scène médiatique qui
dresse dans un dangereux face à face médias inféodés au pouvoir politique et médias opposés.
Alors que les premiers servent les desseins les plus inavouables du pouvoir politique, les autres
sont de vérit
véritables
ables bêtes noires du même pouvoir qui n’a point de cesse de leur faire ravaler
leurplume9.Cette
Cette tension se cristallise autour de la notion de manipulation, c’est à- à dire de la
potentialité d’influencer et de transformer (to spin) les idées ou les comportements
comporte ments des citoyens
sans qu’ils en aient conscience, en s’adressant à leurs émotions plutôt qu’à leur raison ou encore
en faisant usage du mensonge ou de la désinformation10 : c’était l’âge d’or de l’État spectacle11.
Cela signifie également, que la manipulation
manipulation des discours politiques n’a pas disparu de l’espace
public démocratique et qu’elle lui est même consubstantielle.

8 François Bernard Huyghe, Maitre du faire croire : De la propagande à l'influence, éditi


éditions
ons Vuibert, 2008 ; page 39.
9 Louis Bertin Amougou, Le pouvoir, Revue ACTA IASSYENSIA COMPARATIONIS, Avril /2006
10 Caroline Ollivier
Ollivier-Yaniv,
Yaniv, Mots. Les langages du politique n° 94, journals open
open-édition,
édition, 2010, page 31.
11 RG. Schwazenberg : l’État spectacle, éditions Flammarion, 1977.

6
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

1- Les médias du pouvoir totalitaire : le paradigme des effetspuissants.


Le totalitarisme est le système politique des régimes à parti unique. Il n'admet aucune
opposition organisée, l'État tend à contrôler la totalité des activités de la société, les possibilités
possib
de pensée, d'expression, de création, de recherche, de réunion et allant même jusque dans la
sphère privée des familles et des citoyens. Imposant à tous les citoyens l'adhésion à une
idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la
communauté.
communauté.PourPour cela les systèmes totalitaires utilisent intensivement la propagande et
emploient les médias de masse (cinéma, télévision et radio) pour influencer leurs propres
citoyens et les nations du Tiers-Monde.
Tiers Monde. Le totalitarisme est un unee version extrême de
l’autoritarisme selon Benito Musoulini grand dictateur d’Italie, ce système politise tout : « tout
dans l’État rien n’est en dehors de l’État »12. Hannah Arendt précise que : « Puisque les
mouvements totalitaires existent dans un monde qui n'est pas totalitaire, ils sont contraints de
recourir à ce que nous considérons communément comme de la propagande. »13. Au cours de
son histoire, la propagande est apparue au 19ème siècle dans la formation des organisations
syndicales avec, notamment,
notamment, les premiers manuels «d’agit prop»14. Elle s’imposera totalement
«d’agit-prop»
lors de la Première Guerre mondiale. En effet, c’est réellement à cette période « qu’elle tend à
s’institutionnaliser par la création d’organismes civils et militaires, chargés à la fois de d
contrôler l’information vers l’intérieur et d’orchestrer ce nouveau genre de missions « politico-
politico
militaires » contre l’adversaire ». Après la Première Guerre mondiale, la propagande sera
utilisée par les nations afin d’expliquer la défaite ou la victoire de leurs pays. C’est précisément
à cette période que la première connotation négative va apparaître. On va alors associer la
propagande à « une forme de tromperie, voire au Mal ». On commence alors à dénoncer la
sage sont dépréciés. 15.
propagande et les gouvernants qui en font uusage

a)- La théorie des effets puissants en sociologie des médiats et ses critiques.

La sociologie médiatique a connu les premiers écrits sur ses effets puissants des médias avec
l’ouvrage le plus représentatif de la croyance selon laquelle la propagande médiatique estcapable de
manipuler les masses, Le viol des foules par la propagande politique, a été publié en 1939. Son
auteur, Serge Tchakhotine, affirme que la puissance de la propagande s’explique par l’état
généralisé qu’elle produit ou qu’elle exploite au sein du public16. Il suffit pour
d’affaiblissement généralisé
cela de matraquer quelques formules simples et concises, susceptibles de générer chez le récepteur
une gamme variée d’émotions (peur, espoir, désir). Avec le temps, il s’habituera
s’habit uera à ces formules et
cela deviendra pour lui un réflexe que d’y obéir. Certes, il existe des gens qui, de par leur niveau
d’éducation notamment, sont capables de résister à des tentatives de suggestion. Mais pour la
grande majorité de la population, que Tchakhotine appelle le « groupe V » comme « violables »,
une propagande réalisée conformément aux découvertes de Pavlov est tout à fait efficace : elle
permet de réduire les gens à l’état d’« automates », de « robots vivants » ou « d’esclaves psychiques
» 17. Dans les années suivantes, nombreux sont les auteurs qui, adoptant un point de vue analogue,
analysent les medias à partir d’un schéma stimulus
stimulus- réponse proche de la réflexologie pavlovienne.
On retrouve chez Jean-
Jean Marie Domenach, par exemple, les notinotions
ons de « reflexe conditionne » ou de
« suggestibilité » : la croix gammée, le salut hitlérien et le portrait du Führer sont décrits comme
«autant de coups de klaxon qui font saliver tout un peuple »18 qui « hypnotisent » les Allemands et
qui les transforme nt en véritables « automates »19.
transforment

12 Quel est le rôle des médias dans un système totalitaire ? https : //www.etudier.com,
/www.etudier.com, 9 août 2020 p.1
13 Hannah Arendt, Le système totalitaire, éditions Seuil 1972
14 Stéphane Olivesi, La communication au travail, Une critique des nouvelles formes de pouvoir dans les entreprises Grenoble,
Presses Universitaires de Grenoble, coll. La communication en plus, 2002, p.4
15 Ibid p.5
16 Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Gallimard 1939, pp. 35
17 Idid p. 44,120 et140.

7
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

18 Jean- Marie Domenach, La propagande politique, Presses universitaires de France ; 1973, p.39
19 Ibid p. 43.

8
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

Paru aux États


États-Unis
Unis en 1958, l’ouvrage de Vance Packhard, La persuasion clandestine, postule lui
aussi que les medias disposent d’un pouvoir quasiment illimite pour modeler les consciences. Ces
propos seraient le signe que le citoyen est« de plus en plus traite comme le chien aux reflexes
conditionnes de Pavlov »20.Ce genre d’analyses dessine ce que les sociologues des medias ont
appelé ensuite le paradigme des effets puissants. La métaphore la plus connue est ici celle de la
"seringue hypodermique" brillamment
brillamment défendu par Harold D. Lasswell (1902-1978)
(1902 ) : elle laisse
entendre qu’un émetteur peut injecter n’importe quelle idée ou n’importe quelle injonction de
comportement dans l’esprit de n’importe quel individu. Son discours est un stimulus qui entraine
instantanément,
tantanément, chez n’importe quel récepteur, laréponse
laréponseprogrammée.
programmée. Laswell définit la théorie du
21
béhaviorisme comme «convenablement une action de communication en répondant aux questions
suivantes», modélisée selon les cinq Q ou cinq W (Who say? What? To W Whom
hom ? In Which channel?
with What effect?). D’autres auteurs ont utilisé la métaphore de l’irradiation, comme si un individu
était automatiquement influencé par les stimuli médiatiques qu’il reçoit. Or, la sociologie des
medias a apporté, au cours de son développement,
développement, plusieurs démentis à ce paradigme des effets
puissants.Les premières recherches empiriques réalisées sur le sujet dans les années 1940, au sein
du Bureau of Social Applied Research22 sous la houlette de Paul Lazarsfeld Et de son collègue
(Elihu
hu Katz), Les deux auteurs s'attendaient à constater une forte influence des messages diffusés
par les médias. Les résultats vont à l'encontre de cette intuition, qui accorderait a priori une place
importante à la propagande politique dans la formation du choix. Ainsi l'étude a montré non
seulement que la formation du jugement n'était pas influencée par la campagne, mais a mis en avant
le rôle primordial des relations interpersonnelles dans la formation du choix.23
La perception du message émis par les médi médiasas n'est pas directement perçue par le récepteur. En
effet les messages sont filtrés avant de parvenir à son destinataire par les leaders d'opinion. C’est la
célèbre notion de two-step-flow
two flow of communication. L'École de Francfort qui réunit un certain
nombree de courants de pensées tels que cultural studies en Grande Grande-Bretagne,
Bretagne, la sémiologie, le
structuralisme a remet en cause le modèle fonctionnaliste de communication s’inspirant des théories
de Lasswell. Les adeptes de l’École de Francfort critiquent le sché schéma
ma simpliste de “seringue
hypodermique” et proposent d’introduire la problématique des interactions. Contrairement à
l’approche de Laswell, cette École considère le public comme étant composé d'individus réflexifs et
actifs, capables de volontairement utiliser
utiliser les médias pour satisfaire certains besoins. Puisque cette
critique des médias présuppose, croit-on,
croit on, des institutions médiatiques toutes puissantes et puisque
les individus sont vus comme des sujets passifs dénués de toute compétence critique, la Théorie Théo rie
critique serait condamnée à adopter une position « de surplomb » par rapport à l’univers l’ univers des
pratiques sociales.24. Dans leurs travaux sur la « fonction d’agenda », Mc Combs et Shaw
s’intéressent par exemple à la façon dont les médias structurent les ppréoccupations
réoccupations des citoyens.
Deuxième piste de recherche nouvelle, le modèle de la « spirale du silence ». Ce modèle est fondé
sur le principe suivant : pour chaque sujet de discussion, l’individu évalue à tout instant le rapport
de forces entre les points de vue qui traversent l’espace public, et il anticipe sur ce que sera
l’opinion publique à l’avenir, afin de savoir quelles sont les idées qu’il peut exprimer sans risquer
d’être marginalisé25.

b)- Les techniques propagandistes des médias du pouvoir.


Jadis dans les régimes dictatoriaux et aujourd’hui dans les pays en voie de développement les propagandistes
utilisent un certain nombre de méthodes, inspiré notamment de la psychologie sociale. Elles sont
employées pour créer des messages persuasifs, mais faux. Un bon nombre de ces techniques
repose sur une bonne utilisation de l'émotivité de l’auditoire :

20Vance Packhard, La persuasion clandestine, Calmann-Lévy,


Calmann Lévy, 1975,p.8
1975,p.8-9.
9.
21 Harold D. Lasswell, Propagande Techniques in the World War, éditions New York, P. Smith, 1938.
22 Ce paradigme est attaché au courant qu’on appellera plus tard “L’École de Columbia” car basé à l’université Columbia après
installation du laboratoire de Lazarfeld en 1940, où il est renommé « Bureau pour la recherche sociale appliquée ». Il obtient un
poste au département de sociologie de l'université Columbia où il demeure jusqu'en 1970
23 Grégory Derville, le pouvoir des médias, Presses universitaires de Grenoble, 2013,p.13
2013,p.13-14

9
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

24 « Idéologie : concept cult


culturaliste
uraliste et concept critique », Actuel Marx, n°43, 2008, p.68.
25 Grégory Derville, Le pouvoir des médias selon les classiques de la « COM », Gallimard, 1998, p.13
-La
La peur : un public qui a peur est en situation de réceptivité passive, et admet plus facilement l'idée qu'on veut
lui inculquer. Par exemple, Joseph Goebbels a exploité la phrase de Théodore Kaufman, « l'Allemagne doit
périr ! », pour affirmer que les alliés ont pour but l'extermination du peuple allemand.
-Appel
Appel à l'autorité : l'appel à l'autorité
l'autorité consiste à citer des personnages importants pour soutenir une idée, un
argument, ou une ligne de conduite.
-Témoignage
Témoignage : les témoignages sont des mentions, dans ou hors du contexte, particulièrement cités pour
soutenir ou rejeter une politique, une
une action, un programme, ou une personnalité donnée. La réputation (ou le
rôle : expert, figure publique respectée, etc.) de l'individu est aussi exploitée. Les témoignages marquent du
sceau de la respectabilité le message de propagande.
-Effet
Effet moutonnier : cet appel tente de persuader l'auditoire d'adopter une idée en insinuant qu'un mouvement
de masse irrésistible est déjà engagé ailleurs pour cette idée. Comme tout le monde préfère être dans le camp
des vainqueurs que dans la minorité qui sera écrasée, ccetteette technique permet de préparer l'auditoire à suivre le
propagandiste.
-Redéfinition,
Redéfinition, révisionnisme : consiste à redéfinir des mots ou à falsifier l'histoire de façon partisane.
-Obtenir
Obtenir la désapprobation : cette technique consiste à suggérer qu'une idée ou une action est adoptée par un
groupe adverse, pour que l'auditoire désapprouve cette idée ou cette action sans vraiment l'étudier. Ainsi, si un
groupe qui soutient une politique est mené à croire que les personnes indésirables, subversives, ou méprisables
méprisab les
la soutiennent également, les membres du groupe sont plus enclins à changer d'avis.
- Généralités éblouissantes et mots vertueux : les généralités peuvent provoquer une émotion intense dans
l'auditoire. Par exemple, faire appel à l'amour de la patrie, au désir de paix, à laliberté, à la gloire, à la justice,à
l'honneur, à la pureté… permet de tuer l'esprit critique de l'auditoire.
- Imprécision intentionnelle : il s'agit de rapporter des faits en les déformant ou de citer des
statistiques sans en indiquer les sources. L'intention est de donner au discours un contenu
d'apparence scientifique, sans permettre d'analyser sa validité ou soson
n applicabilité.
- Transfert : cette technique sert à projeter les qualités positives ou négatives d'une personne,
d'une entité, d'un objet ou d'une valeur (un individu, un groupe, une organisation, une nation,
un patriotisme, etc.) sur un tiers, afin de rendre
rendre cette seconde entité plus (ou moins) acceptable.
- Simplification exagérée : ce sont des généralités employées pour fournir des réponses simples
à des problèmes sociaux, politiques, économiques, ou militairescomplexes.
- Quidam : pour gagner la confiance de son auditoire, le propagandiste emploie le niveau de
langage et les manières (vêtements, gestes) d'une personne ordinaire. Par projection, l'auditoire
est aussitôt plus enclin à accepter les positions du propagandiste, puisque celui-ci
celui ci luiressemble.
- Stéréotyper
éréotyper ou étiqueter : cette technique utilise les préjugés et les stéréotypes de l'auditoire
pour le pousser à rejeter l'objet de la campagne depropagande.
- Slogans : un slogan est une brève expression, facile à mémoriser et donc à reconnaître, qui
permett de laisser une trace dans tous lesesprits26.
En effet, sous les régimes démocratiques la propagande n’ n’a pas changer dans son essence,
essence mais
elle a changé ses méthodes et ses instruments.
2- Les médias du pouvoir démocratique : la propagande en liberté.

Pour Noam Chomsky, persuadé que : «La propagande est aux démocraties ce que la violence est
aux dictatures»27. Il est intéressant de constater que dans les sociétés démocratiques actuelles, la
majorité des personnes possèdent une vision de la propagande co comme
mme fortement liée aux
dictatures. Même si c’est souvent le cas, la démocratie qui par essence étymologique renvoie à la
détention du pouvoir par le peuple n’est pas pour autant vierge de toute propagande. L’État
démocratique, par essence, n’exprime pas l’ l’intérêt
intérêt d’une partie ou d’une classe car il se doit de
ne pas exclure une minorité mais au contraire d’en tenir compte. Il prend en compte l’ensemble
des avis et des divergences, dès lors il se voit obligé de lutter contre ses oppositions ou pouvoirs
dents mais pour cela il ne peut employer les méthodes autoritaires.28 Dans son livre
dissidents

26http://tpe-propaganda.e
propaganda.e-monsite.com,
monsite.com,16
16 août2020.p.1
27 Noam Chomsky & Edward S. Herman, Consentement à la fabrication : l'économie politique des médias de masse, Pantheon Books,

10
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

New York, 1988.


28 Jean JaurèsPropager, Propagation, Propagande, édition illustration, 2018, p32
« Propaganda » Bernays assume et développe sa pensée en disant que les choix des masses étant
déterminants, ce sont ceux qui parviendront à les influencer qui détiendront réellement le
pouvoir. Il dit aussi que la démocratie implique une nouvelle forme de gouvernement invisible et
qu’a l’inverse
inverse des États totalitaires qui utilisent la violence pour garder le peuple dans le droit
chemin, elles usent de la propagande pour transformer les consciences et garder le pouvoir de
décision. Graduellement depuis les années cinquante la définition des caractéristiques de la
communication politique moderne est différente de ses ancêtres propagandistes29.

a) De la propagande à La communicationpolitique.

La définition de la communication politique proposée par Dominique Wolton en 1989, dans


l’un des premiers numéros de la revue Hermès, est celle d’un « espace où s’échangent les
discours des trois acteurs qui ont la légitimité à s’exprimer publiquement sur la politique et qui
travers des sondages »30
sont : les hommes politiques, les journalistes et l’opinion publique au travers
On peut identifier deux grands ensembles d’études qui signifient le remplacement de la
propagande par la communication politique. Les premiers s’inscrivent dans la perspective
théorique de l’espace public habermassien et définissent la communication politique comme
condition de fonctionnement d’un espace public élargi. Les seconds s’inscrivent dans une
perspective historique et s’attachent à définir les caractéristiques de la communication politique
méthodes propagandistes 31. Nous serions passés, dans une
contemporaine pour la dissocier des méthodes
période qu’on situe, selon le cas, quelque part entre les années 1950 et les années 1980, d’un
âge de la propagande à un âge de la communication politique, mouvement qui aurait ainsi
Accompagné le basculement
basculement du temps des masses à celui de l’opinion publique. Deux
approches, en effet, commandent deux définitions majeures de la communication politique.
Dans un cas, elle est réduite à un ensemble de techniques empruntées à la publicité et au
marketing et adaptées au domaine politique, de méthodes pour maîtriser les médias (media
training, plans
plans-médias,
médias, etc.) et analyser les aspirations de l’opinion (sondages), de pratiques
diverses bâties sur des stratégies électorales, le tout nécessitant la contribution de « techniciens
», spécialistes des médias, spécialistes des enquêtes, communicants. En forçant à peine le trait,
on pouvait dire que l’espace public est vu comme un vaste marché concurrentiel, identifiant les
citoyens électeurs à des consommateurs, où ll’offre ’offre politique tente de se conformer à la
demande (grâce aux sondages), où l’homme politique s’applique exclusivement à séduire
(grâce à la télévision). Dans l’autre cas, la communication politique confine à un idéal social
attestant la maturité des démocraties.
démocraties. Alors que la propagande s’appliquait à entretenir le
rapport inégalitaire entre les acteurs politiques et la masse par le caractère unilatéral du
message, la communication politique, elle, se fonde sur l’échange entre les hommes politiques,
les médias
dias et l’opinion, s’exprimant notamment à travers les sondages ; l’interaction entre les
différents acteurs conditionnant la réalité du fonctionnement démocratique. Par la posture
d’écoute et de dialogue qu’elle suppose, la communication constitue le liant liant de la société
32
démocratique, en rupture avec la propagande, par nature totalitaire .En effet, qu’elles soient
étatiques ou corporatistes, les médias subissent une grande pression institutionnelle.

b) - L’influence des sources institutionnelles sur lesmédias.

Quelles soit privées ou publiques, capitalistes ou étatiques, les institutions exercent un lourd
poids sur les médias, elles tendent à co-construire
co construire l’information dans les contextes routiniers.
En cas de crise sociale ou de conflit militaire, notamment, le recours à des techniques dedésinformation
dedésinformation
contribue à transformer les médias en simples relais des pouvoirs constitués, sans qu’il soit nécessaire

29 Edward Bernays, Propaganda :comment manipuler l’opinion public, aux éditions Ig publishing New York, 2004, p13.
30 Dominique Wolton, La communication politique : construction d'un modèle, Hermès, La Revue N°4, 1989,p.
31 Jürgen Habermas, L'espace public, Archéologie de la publicité comm
commee dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris,
11
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

1988.32 Christian Delporte, De la propagande à la communication politique, Flammarion, 2003, page 30-31

12
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

Pour le comprendre de recourir à l’explication par des manipulationsintentionnelles et concertées,dont


concert ées,dont il
serait naïf de nier l’existence. Le contrôle des contenus médiatiques est devenu un enjeude luttes au Sein
des pouvoirs économiques et politiques. Une lutte si intense et un enjeu si stratégique que
l’industrie des relations publiques, qui four fournit
nit armes et munitions, est devenue un secteur
économique majeur. Et, ainsi que les récits qu’ils bâtissent, sont devenus les filtres qui
s’interposent désormais entre les c’est ainsi que des armées de communicants et de « spin
doctors », d’attachés de presse
presse et de publicitaires journalistes et la réalité. La porosité de ces
professions avec le journalisme est à cet égard particulièrement significative et inquiétante 33.
Analysant la « fabrication du consentement » dans les démocraties, Noam Chomsky montre mont
quels « filtres » conditionnent la production de l’information et comment la réduction du
pluralisme aboutit à une représentation consensuelle, aseptisée et épurée de l’information, quand
elle n’est pas strictement propagandiste. La fabrication du conse consentement
ntement repose sur la
connivence du pouvoir et des médias. Cette relation privilégiée est tout d’abord entretenue par la
prédominance des sources officielles. En effet, les médias protègent leur image d’objectivité en
tirant leur information de sources qui peuvent être présentées comme au au-dessus
dessus de tout soupçon.
Ce choix a aussi un fondement économique : préférer des sources présélectionnées réduit les
coûts d’enquête, alors qu’un travail journalistique minutieux est beaucoup plus long et plus
onéreux. Conc
Concentrant
entrant leur enquête sur les États
États-Unis,
Unis, Chomsky et Herman soulignent que la
Maison-Blanche,
Blanche, le Pentagone et le département d’État à Washington sont les épicentres de la
production de l’information labellisée. Les grandes entreprises sont également des producteurs
pro
réguliers d’informations jugées crédibles, c’est
c’est-à-dire
dire dignes d’être publiées. « En matière de
relations publiques et depropagande, écrivent les auteurs, seul le monde des affaires dispose des
ervices gouvernementaux »34. Les sources
moyens de rivaliser avec le Pentagone et les autres sservices
les plus puissantes contrôlent également les médias en les subventionnant directement ou
indirectement. Ainsi, l’État américain (notamment les départements de l’armée) les fait
bénéficier de ses largesses financières,
financières, ce qui lui garantit un accès privilégié et même un droit de
regard sur la production del’information.
Le poids de l’influence institutionnelle se manifeste aussi dans le rapport avec les journalistes,
Certes les médias et les journalistes produisent et diffusent des informations (d’inégal intérêt) qui
répondent, peu ou prou, au droit d’être informés. La plupart des grands médias et des producteurs
d’information (pris collectivement) se trouvent dans des situations d’interdépendance étroite à
l’égard des pouvoirs politique et économique vis vis-à-vis
vis desquels ils ne sont donc pas en position
de jouer le mo moindre
indre rôle de contre-pouvoir.
contre pouvoir.« « La représentation médiatique du monde, telle
qu’elle est fabriquée quotidiennement par les journalistes, ne montre pas ce qu’est effectivement
la réalité mais ce que les classes dirigeantes et possédantes croient qu’elle est, souhaitent qu’elle
edoutent qu’elle devienne » 35, le choix et la mise en perspective des informations
soit ou redoutent
produites dans les médias dominants reflètent inévitablement des visions du monde et des
préoccupations socialement trèssituées. Mais si les médias ne constituent pas, par eux-mêmes,
mêmes, un
« quatrième pouvoir » ou un contre-
contre pouvoir, quels sont les pouvoirs qu’ils exercent?
III- Le pouvoir des médias : l’influence du « quatrième pouvoir ».
Le pouvoir le plus étonnant des médias est peut
peut-être
être de faire croire en leur pouvoir. Et donc
don de
nous faire agir en conséquence. En quoi consiste le « pouvoir des médias » ? Les médias ne nous
ordonnent rien. Au pire, ils nous suggèrent (de voter ou d’acheter) quand leurs messages visent à
une persuasion délibérée. Même en ce cas, il n’y a aucune preuve scientifique qu’ils emportent
notre conviction à tous les coups. Tous les travaux menés sur la persuasion concluent à son
étonnante complexité et décèlent une non moins surprenante « résistance des récepteurs ». Si le «
quatrième pouvoir » n’est pas
pas (ou pas seulement) celui de nous faire penser, pourrait-
pourrait il être celui
de nous empêcher de penser ? Ou de nous dire à quoi penser ? Ou comment penser ? 36

33 Blaise Magnin
Magnin&Henri
Henri Maler, Le pouvoir des médias : entre fantasmes, dé
déni
ni et réalité, op. Cité, page 3
34 Noam Chomsky & &Edward
Edward S. Herman, Consentement à la fabrication, op.Cité
35 Alain Accardo, Pour une socioanalyse du journalisme,
journalisme, coll. Cent mille signes, 2017, p.6.

13
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

36 François-Bernard huyghe, Maitre du faire croire : De la propagande à l'influence, op.cité. p3.

14
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

Cependant, sous l’influence de la mondialisation, la redistribution des pouvoirs générant une


nouvelle donne économique, politique et sociale. Ce même mouvement a poussé les médias
à troquer leur rôle de contre-pouvoir. Un pouvoir médiatique, qui s’allie le cas échéant au
pouvoir économique ou politique, pour écraser à son tour, comme pouvoir supplémentaire,
les citoyens. Or, un pouvoir sans contrepoids est un danger pour la démocratie. Dans ce
cadre, comment les citoyens peuvent-ils réagir, se défendre face à la« trahison » des
médias ? 37
« Un cinquième pouvoir » se prête à l’émergence d’une nouvelle force, qui s’exprimerait à
travers de nombreuses voies. Internet, et les médias des réseaux sociaux les outils de libre
circulation et de partage de l’information par excellence, viennent donc redistribuer
lescartes.

1- Le rôle des médias en tant que « quatrième pouvoir»

Edmund Burke, homme politique et écrivain britannique, utilisa pour la première fois
l’expression « quatrième pouvoir » pour condamner, en 1790, la Révolution française. En
juin 1978, Alexandre Soljénitsyne, s’adressant à des étudiants de Harvard,
lançaitcetavertissement aux démocraties occidentales : la presse est devenue la force la plus
importante des États-Unis ; elle dépasse, en puissance, les trois autres pouvoirs38. Les
médias exercent bien certains pouvoirs. Des pouvoirs éclatés et partagés qui ne s’exercent
pas de façon uniforme et continue, qui varient selon les conjonctures et les rapports de
force dont elles sont porteuses, mais des pouvoirs bien réels.39 Le mouvement des radios
libres, l’exigence de nombreux journalistes revendiquant les mêmes droits et devoirs que
leurs confrères du privé ou des médias écrits renforcèrent cette prise d’indépendance, il
faudra cependant attendre les années quatre-vingt pour que la liberté de communication soit
considérée comme un tout et reçoive une consécration législative constitutionnellement
protégée : indépendance des rédactions, coupure du lien direct entre le pouvoir et les
médias à travers l’instauration d’une autorité administrative indépendante garantissant cette
liberté40. Cette « révolution tranquille » suivie de la multiplication des radios puis des télés
privées changea clairement la donne quand lapresse« de référence » prend le pas sur la
presse partisane et quand la télévision s’installe dans tous les foyers, que sonne l’heure
d’une certaine émancipation à l’égard du pouvoir. Le pouvoir grandissant des médias sur la
scène publique va se manifester alors de deux manières. D’une part, la puissance de la
télévision comme vecteur de l’information et du débat démocratique modèle durablement le
mode de production de la politique. D’autre part, le mythe du «journalisme
d’investigation», libre de tout pouvoir et de toute limite structure profondément l’ensemble
des médias.

a)- Pouvoir de la télévision, banalisation de la politique

Le pouvoir de la télévision est reconnu que l’on est passé de la psychologisation de la politique à
sa « peopolisation ». Dès lors, il est tentant de considérer que les politiques ne sont plus que des
marionnettes ce qu’ils sont d’ailleurs rapidement devenus, « Guignols de l’info » ou autres, dans
les grilles de programmes. Le petit écran a œuvré à la banalisation des politiques, et du langage
du politique. Non pas par l’usage démagogique de telle ou telle expression populaire que par la
simplification à outrance d’un discours nécessairement complexe. Le discours se limite
désormais à un message, l’exposition à une conclusion etrhétorique à une formule. Les “spins
doctors” ont fait commerce du talent à réduire à quelques « petites phrases » la pensée politique.

37 Gaelle Grognet, Média: faut-il un cinquième pouvoir? op.cité.p83.


38 Francis Balle, Les médias, Collection : Que sais-je ? Éditeur, Presses Universitaires de France, 2020, p. 79.

15
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

39 Blaise Magnin
Magnin&Henri
Henri Maler, Le pouvoir des médias : entre fantasmes, déni et réalité, op. Cité page 4.
40 Lahaca, Haute Autorité de la commission de
de l’audiovisuel, d’abord présidée par MichèleCutta.

Exercice, on l’imagine bien, qui contribue à réduction concomitamment la désacralisation


des politiques41. La personnalisation et l’exposition de la vie privée des acteurs politiques
dans la sphère publique,
publique, même si elle ne consiste pas en un phénomène nouveau, serait,
désormais, un élément constitutif ou presque de la médiatisation du politique42. Roger- Roger
Gérard Schwartzenberg dans son ouvrage « l’État spectacle », cite que « « La politique,
autrefois, c’
c’étaient
étaient des idées. La politique, aujourd’hui, ce sont des
despersonnes
personnes ou plutôt des
personnages.»43 Les propos de l’auteur, démonte et dénonce le « star star-system
system » et ses supports
que sont les « mass media » audio-
audio visuels mais aussi des industriels du spectacle
spectacle et de la
publicité. C’est un jeu de Théâtre et des arènes qui s’effectuent dans le cadre des débats
télévisés. Le débat démocratique, dans les pays développés s’organise enfonction enfonct ion des
impératifs télévisuels. Le style de communication politique ne peut pplus lus être aussi « impositif
» qu’avant. Comme l’analyse J.Mouchon44.
Le pouvoir s’exerce aussi par la sélection du personnel politique :la la télévision a bienengendré
une nouvelle sélection du personnel politique, elle a, du même coup, favorisé l’émergence
d’hommes politiques qui n’ont pas eu à passer par les fourches caudines des partis. De même, si
la médiatisation impose la nécessité d’une
d’une légitimation quotidienne (et non plus électorale) qui
45
peut amener les hommes politiques à privilégier le court terme sur le long terme .
La télévisionexerceégalementunpouvoirsurl’actiongouvernementalequise trouveguidée par les
logiques médiatiques. Synthétiquement,
Synthétiquement, deux tendances sont à relever :
1°- l’action politique devient plus événementielle. Face à la complexité de la décision
politico-administrative
administrative et à la difficulté d'évaluer l'impact réel de l'action politique, le savoir-
savoir
faire politique est suppléé
suppléé par une politique de "faire
"faire-savoir",
savoir", complément indispensable de
l’action publique.
2°- Le choc des temporalités paralyse l’action politique. Via le recours quotidien aux
sondages, les médias créent la pression d’une légitimité de l’éphémère. Cette pression pr ession
conduit certains gouvernants qui veulent être réélus : à éviter de prendre des mesures
impopulaires46. Parallèlement à cette prise de pouvoir par la télévision, à partir des années
1970, le chemin des médias en Europe rejoint celui des ÉtatsÉtats-Unis
Unis dont
dont on célèbre volontiers
le « journalisme l’anglo-saxonne
l’anglo saxonne » : c’est le triomphe du journalisme d’investigation.

b)- Pouvoir du journalisme d’investigation


Le journalisme d'enquête vise à révéler des informations cachées en les recoupant et les
vérifiant, au moyen d'enquêtes parfois longues et minutieuses, garanties par le respect de la
déontologie du journalisme et de la protection des sources d'information des journalistes,
éditoriale des médias qui le pratiquent47. C’est à partir de l’affaire du
quelle que soit la ligne éditoriale
Watergate, en 1974, quand presse fait tomber, croit
croit-on,
on, l’homme le plus puissant du monde –
le président américain Richard Nixon – que naît le mythe du « journalisme d’investigation »
ett que, de quatrième pouvoir, presse et l’ensemble des « médias » vont peu à peu convaincre
et se convaincre qu’ils sont devenus le premier pouvoir. Pendant trente ans, les médias «
indépendants » vont, à coups d’investigations et de révélations, traquer les le s abus de tous
autres pouvoirs, en particulier ceux des politiques, mélangeant les grandes affaires comme
Watergate avec les premières révélations sur la vie privée des politiciens. Il faut bien voir
que ces audaces nouvelles découlent pour beaucoup de l’a l’affaiblissement
ffaiblissement croissant des
hommes politiques.

41 Denis Pingaud, Bernard Poulet, Du pouvoir des médias à l’éclatement de la scène publique, op. Cité page 2.
42 Ioanna Vovou, La politique comme un jeu télévisé", journals.openedition.org, 27/02/2010p.122-132.
27/02/2010p.122 132.

16
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

43 Roger-GérardSchwartzenberg,
GérardSchwartzenberg, l’État spectacle, op. Cité page 322.
44 Mouchon J., La Politique sous l’influence des médias, Paris, L’Harmattan,1998.
45 Éric Dacheux, Bordeaux, Action et communication politique : une distinction imposs
impossible
ible ? Qualitéet communication N°15
1999,p2.
46 Cayrol R., Médias et démocratie : la dérive, Paris, Presses de Sciences Po,1997.
47 « Le journalisme d'investigation » sur www.franceinter.fr, 17 avril2013.
Avec la désacralisation de la politique et la trivialisation des débats,, les politiques se retrouvent dans une
position d’insigne vulnérabilité48.Les pays anglo
anglo-saxons ont longtemps eu une longueur d'avance dans le
domaine, grâce au développement de journaux populaires d'information. En Allemagne, Allemagne, le journalisme
d'enquête a eu du succès grâce à la pratique de l'hebdomadaire Der Spiegel.En Spiegel.En France, Le CanardCana
enchaîné, référence dans le domaine dès sa création, a été rejoint par des journaux comme Bakchich
(version papier et version numérique) et Media part (exclusivement numériquenumériqu 49.La La place prise par le
journalisme d’investigation ne saurait se comprendre par les seules qualités personnelles ou même par
l’importance donnée par telle ou telle rédaction à ce type d’approche journali
journalistique.
stique. Elle intervient dans
un contexte intellectuel, politique, social et journalistique très particulier. Celui
Celui-ci ci s’exprime au sein du
journalisme comme une crise de légitimité et une perte de crédibilité pour ce qui constituait jusqu’alors
dans les mé
médias
dias français comme la référence, c’est c’est-à-dire
dire le journalisme politique. En France, le
50
journalism
smepolitique ett d’opinion constituait
c it le cœurdela léggitimité
timité delaprofession
delapro .
Le journalisme d’investigation est l’approche qui convient le mieux à l’exercice d’un
contrôle. Un contrôle qu’ils n’exerceraient pas en leur nom, du haut d’une légitimité de
corps, mais bien « au nom de la société »51. Cependant, Ce moment particulier detoute- detoute
puissance des médias se referme que certains analystes parlent de la fin de
dess « trente glorieuse
des médias ». Le prétendu quatrième pouvoir donne le sentiment d’être mal en point, ils ont
été à leur tour victimes de l’apparition de nouveaux médias liés aux nouvelles technologies
de l’internet, ce qui a conduit à un bouleversement des médias traditionnels et l’émergence
peut être d’un « cinquième pouvoir médiatique ».

2- L’émergence du « cinquième pouvoir » : les médias à l’heure dunumérique


Il n’est plus possible d’évoquer l’univers médiatique sans mentionner les changements
induitss par l’arrivée de nouveaux types de supports médiatiques via Internet. L’irruption
d’Internet a bouleversé les pratiques sociales et culturelles, ainsi que les modes de
communication, y compris les médias et la communication politique. Les hommes politiques
politiqu
utilisent de plus en plus ces nouveaux médias comme moyen de communication et cherchent,
comme le souligne Dominique Wolton, à « échapper à la tyrannie journalistique », autrement
dit à se passer de l’intermédiaire des journalistes (définition même de llaa fonction de « média
»), pour créer un lien direct avec leurs électeurs52. La « révolution numérique » a brisé les
frontières qui séparaient auparavant les trois formes traditionnelles de la communication :
son, écrit, image. Elle a permis l’apparition et l’essor d’Internet, qui représente un quatrième
mode de communiquer, une nouvelle façon de s’exprimer, de s’informer, de se distraire. La
mondialisation a entrainé des bouleversements et a redistribué des pouvoirs générant une
nouvelle donne économique, politique
politique et sociale. Ce même mouvement a poussé les médias à
troquer leur rôle de contre-pouvoir
contre pouvoir contre celui, plus prépondérant, de deuxième pouvoir. Un
pouvoir médiatique, qui s’allie le cas échéant au pouvoir économique ou politique. Or, un
pouvoir sans contrepoids est un danger pour la démocratie53. Dans ce cadre, comment
lescitoyens peuvent
peuvent--ils
ils réagir et se défendre ? Nous allons voir que le contexte actuel se prête
à l’émergence d’une nouvelle force, qui s’exprimerait à travers de nombreuses voies. Il faut,
tout simplement, créer un « cinquième pouvoir ». Un pouvoir qui permettra d’opposer une
force civique citoyenne à la nouvelle coalition des dominants.

48Pierre
Pierre Péan, « Dans les cuisines de l’investigation », sur Le Monde diplomatique, 1er septembre 2019.
49 Fabrice Arfi, « Le journalisme d'investigation existe-t
existe t-il
il encore en France ? », conférence prononcée le 20 mai 2014 à l'École
Militaire à l'i
l'invitation
nvitation de l'ANAJ-IHEDN.
l'ANAJ
17
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

50 Christian Delporte dans Les Journalistes en France 1880-1950, Paris, Seuil,1999.


51Jean-Marie Charon, Le journalisme d'investigation et la recherche d'une nouvelle légitimité, Hermès, La Revue 2003/1 (N°
35), pages 143-144.
52 Jérôme Clément, une influence plutôt indirecte sur la politique, Armand Colin, Revue internationale et stratégique, 2010/2 N°
78 | p79.
53 Gaelle Grognet, Média : faut-il un cinquième pouvoir ? Op.cit. p 83.

18
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

a)- Démocratisation de l’information : effets sur les médiastraditionnels

Les médias de masse et leurs propriétaires ont perdu le monopole de l’image. Les artistes ont
d’abord été évincés par les producteurs et les diffuseurs d’images techniques, c’est
maintenant au tour de ces derniers de perdre le monopole de la production et de la
distribution des images au profit des usagers des réseaux sociaux. C’est pourquoi nous ne
parlons pas aujourd’hui de médias visuels, mais de médias sociaux, par lesquels les
utilisateurs participent pleinement au processus de diffusion. Les usagers ne sont plus
seulement les « destinataires » mais aussi les « destinateurs », les auteurs des messages,
prenant en charge « la configuration de la production représentante ». Ils produisent eux-
mêmes la représentation et participent de ce fait du pouvoir de la représentation. Si, dans la
culture visuelle des médias de masse, « le médium [est] le message »54, dans les médias
sociaux « chacun est destinateur ». La construction de l'opinion publique se trouve
bouleversée : on assiste à une crise des intermédiaires traditionnels qui fabriquaient jadis les
représentations dominantes de la société. Les médias one to many (radio, presse, télévision)
faisaient la part belle à la "parole dominante" de l'intellectuel, de l'expert, du journaliste...,
qualifiée de "pensée unique" par leurs détracteurs, Par ailleurs, ces médias étaient sous
contrôle étatique ou commercial, concentrés et en faible nombre, donc avec une moindre
compétition pour l'accès à la vérité des faits et une moindre diversité des points de vue
exprimés. Or l'Internet contributif et les moyens de production numérique démocratisés
(texte, audio, vidéo) permettent aux multitudes citoyennes de s'exprimer directement, de
commenter l'actualité, de poser leurs problèmes concrets et de commencer à imaginer des
solutions nouvelles. "We the media", selon la formule très parlante de Dan Gillmor55.
Comme l'a montré Jürgen Habermas dans ses travaux classiques, nos démocraties
délibératives se sont construites autour d'un espace public, d'abord "bourgeois" puis
"communicationnel" car orienté par de grands médias. Or Internet construit sous nos yeux un
espace public d'un genre tout à fait nouveau, à la fois local et mondial, fondé sur la
possibilité de participation de chaque individu depuis un point donné du réseau, une
information pouvant être répliqué des millions de fois si elle coïncide avec un événement
d'intérêt pour ses « réplicateurs »56.
b)- Le « cinquième pouvoir » : une force de contre-pouvoir civique

En conférant aux individus et aux réseaux d'individus une parole libre, Internet bouleverse
donc les conditions d'exercice du pouvoir que nous avions connues à toutes les époques
antérieures. La démocratie d'opinion imposée par des intermédiaires reconnus devient une
démocratie d'opinion libérée, où tous les individus et tous les groupes ont une même liberté
d'accès à l'espace public de communication. Rétablir donc le contre-pouvoir passe par le
retour dans le champ journalistique de la parole critique. Cet aspect contestataire se
développe de plus en plus grâce aux médias alternatifs. « Les institutions dominantes ne
sont pas à l’abri des pressions publiques. Les médias indépendants (alternatifs) peuvent
également jouer un rôle important. Bien qu’ils manquent de ressources, presque par
définition, ils gagnent de l’importance de la même manière que les organisations
populaires : en rassemblant des gens aux ressourceslimitées»57.
D’une part, car Internet offre à chacun une tribune libre, un espace d’expression
inaliénable. Pas de censure possible sur la toile, sauf en cas extrême. L’internaute n’est pas
réduit au rôle de figurant dramatique, il est maître de son propos et de son orchestration.
D’autre part, parce

54Marshall McLuhan, Message et Massage, un inventaire des effets, Édité par Jean Jacques Pauvert, Paris, 1968, p160.

19
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

55Dan Gillmor, We the media, Editions O’Reilly Media,2016.


56 Peter Weibel, Le son comme Medium of Art, documentation of the ZKM,2019.
57 Benoît Sillard, Internet en 2049, maître ou esclave du numérique, éditions Eyrolles, 2011.

20
La Revuee Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-77 JANVIER 2021 RMPC-
RMPC www.imist.ma
ISSN : 2605
2605-6488

qu’en mettant toutes ces tribunes bout à bout, ainsi qu quee les sites associatifs, les publications
spécialisées en ligne, les journaux parallèles, on obtient une chaîne infinie de sources
d’information. Internet représente donc un espace illimité, non censuré, où le règne de
l’information repose entièrement sur la notion de partage, où le pouvoir vient du nombre de
citoyens dont on peut susciter l’intérêt, la réaction. Le réseau des réseaux constitue donc une
alternative non négligeable par rapport aux sources traditionnelles d’information, et ce
d’autant plus qu
quee le web n’a pas à subir les contraintes imposées à la télévision, la radio ou la
58
presse . L’apparition d’un nouveau contre contre-pouvoir
pouvoirface
face aux puissances économiques et
médiatiques. D’abord, car les citoyens retrouvent une« voix » leur permettant de dénoncer
les abus qu’ils subissent : Internet. L’information partagée sur le réseau des réseaux remet en
question le pouvoir détenu par les géants médiatiques, qui ne peuvent contrôler ce que
chacun peut lire et publier sur le web. Ensuite, les fonctionnalités d’Id’Internet,
nternet, combinées à un
réveil des consciences dans les démocraties occidentales, déclenchent l’émergence d’une
société civique (et pas seulement civile) sur le terrain de prédilection du capitalisme
informationnel : l’espace mondial59.
Or, de nombreuses études récentes dans le champ de la communication sont construites
autour de dichotomies – les médias numériques versus les médias traditionnels, la
mobilisation citoyenne sur le terrain versus l’activisme en ligne, la presse écrite versus versu les
blogues– des dichotomies qu’il juge rigides et peu fécondes. Il souligne l’importance de
comprendre la manière dont les nouvelles pratiques médiatiques incorporent des logiques
traditionnelles, tout comme la manière dont les pratiques médiatiques traditionnelles tra ditionnelles
intègrent des logiques émergentes. En ce sens, il plaide pour une approche analytique qui
appréhende les processus de communication politique comme une hybridation entre des
technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et ém émergentes,
ergentes, qui cohabitent
et interagissent au sein de systèmes médiatique et politique fluides et polycentriques60.
Un autre exemple du rôle civique que peut jouer les réseaux sociaux au cours de l’épidémie
du coronavirus (Covid19) constitue incontestableme
incontestablement nt un sujet d’intérêt général sur lequel
toute personne doit pouvoir s’exprimer par tout moyen. Les journalistes, les professionnels
de santé, les représentants des pouvoirs publics, mais aussi tous les citoyens intéressés par le
sujet trouveront dans les réseaux sociaux les places publiques rêvées pour échanger et
confronter leurs points de vue comme cela n’avait jamais été possible auparavant. De ce
point de vue, les réseaux sociaux remplissent correctement leur mission démocratique en
donnant une parfaite
parfaite égalité d’accès à des moyens de communication des idées et
informations. Et c’est pourquoi le débat est nécessairement pollué par les mécanismes de
manipulation qui ont pu prospérer dans ces services. Pour autant, n’estn’est-ce
ce pas là la fin ultime
de cette liberté
iberté fondamentale ? Les informations qualifiées de « fausses» ne doivent-elles
doivent elles pas
être acceptées comme un élément à part entière du débat ? Leur diffusion ne participerait-elle
participerait
pas du débat d’intérêt général et de la vie démocratique? Les réponses à apporter app orter à ces
questions sont essentielles pour cerner la nécessité des limites qui peuvent être apportées à la
liberté d’expression pendant cette période de crise sanitaire. Une première vision consisterait
justement à « laisser faire » le débat, au nom du llibre ibre marché des idées. La notion, bien
connue du droit américain, part du principe que le libre échange
échangedes
des idées est le moyen le plus
efficace de résoudre les conflits et de Rechercher « la vérité »61.TouteToute opinion est bonne à
être diffusée, mais aussi et surtout à être débattue, critiquée ou dénoncée. Ce libre débat est
censé régler le sort des idées ou informations infondées, erronées ou dangereuses. Dès lors,
les discussions sur le coronavirus pourraient être

58 Noam Chomsky, Schneidermann, Du journalisme


journalisme après Bourdieu. Fayard 1999 :43.
59 59Chadwick
Chadwick The Hybrid Media System, Oxford University Press, 2013, p.256
60 Patrick Viveret, Un humanisme à refonder, https://www.monde
https://www.monde-diplomatique.fr,
diplomatique.fr, février, 2000,
2000 p.26-27
2761

21
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

61 PECH L., Approches européenne et américaine de la liberté d'expression dans la société de l’information, juillet2004, pp. 13-19.
Encouragées de la sorte, la diffusion de fausses informations n’étant que le meilleur moyen
de fairele tri entre le vrai et le faux 62.
Cette crise a mis en évidence l’importance des médias et de l’accès à des informations
vérifiées. Des médias libres et indépendants constituent une source essentielle d’informations
crédibles et vitales, et ils aident les gens en détectant et en démystifiant les mensonges de la
désinformation. Le journalisme professionnel - la publication de faits vérifiés et d’opinions
éclairées- a donné aux gens une alternative à la désinformation et a contribué à réfuter les
mensonges. Opérant à la lumière de la place publique, il contraste avec le contenu caché et
difficile à contester qui est partagé dans les services de messagerie privée. De nombreux
médias en ligne ont laissé tomber leurs « paywalls » et ont fourni une couverture gratuite de
la pandémie de COVID-19, au nom de l’intérêt public. Les médias sociaux sont extrêmement
importants pour lutter contre cette maladie contagieuse, non seulement pour obtenir des
informations et être mis à jour à son sujet, mais aussi pour comprendre comment elle se
propage, comment les gens interagissent et comment nous pouvons y réagir. Comme l'a dit
Heidi Tworek, professeure adjointe à l'Université de la Colombie-Britannique au Canada,
«les communications dans une crise de santé publique sont aussi cruciales qu'une
intervention médicale…en fait, les politiques de communication sont une intervention
médicale»63. Nous n'avions pas cet outil il y a cent ans, mais nous devons maintenant
l'utiliser à bon escient de toutes les manières possibles pour surmonter cette pandémie.

Conclusion :

Il n'y a sans doute pas d'illusion plus persistante, s'agissant des phénomènes de propagande,
que de croire qu'ils sont la marque exclusive des régimes autoritaires ou totalitaires. La
production diffuse d'un consensus démocratique latent par des agences spécialisées dans la
manipulation de l'opinion, la collusion de pouvoirs politiques, économiques et médiatiques
dans des périodes de crise des consentements et la rationalisation défiante de l'opinion
publique comme corps sans tête à assujettir ou à encadrer définissent l'orientation du travail
de propagande en démocratie. Celui-ci tend à faire de la politique l'art de maintenir les
citoyens éloignés de ce qui les concerne. Depuis qu'elles existent en tant que répertoire
d'État, les activités de propagande n'ont jamais cessé de justifier en pratique cette définition
élitiste de la politique et de la démocratie.
L’émergence d’un « quatrième pouvoir » pendant une certaine période grâce à la presse
d’investigation a été complètement dépassé par des bouleversements économiques et
technologiques, ont entraîné les entreprises dans une course à l’info-domination d’ampleur
internationale, ce qui s’est traduit par une vague de concentration sans précédent, et la
formation de conglomérats médiatiques planétaires. La perte de sens du quatrième pouvoir
s’illustre par la crise du média noble, la presse écrite, qui a vu diminuer son audience et sa
crédibilité. La fondation du cinquième pouvoir passe donc par une réforme des médias, de
masse et alternatifs, dans le but de multiplier les voix et d’éveiller les idées, afin de ne pas se
trouver réduits au silence social. De cette façon, le citoyen serait à nouveau considéré comme
une tête pensante et réintégré à la marche du monde.

62PhilippeMouron, Coronavirus et fausses informations, Revue des droits et libertés fondamentaux,2020,


Chronique n° 33,2020.p10-11.
63Heidi Tworek on Twitter: “A thread: Communications in a public health crisis are as crucial asmedical
Intervention. (1/25)”. Twitter. Available from:
22
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

https://twitter.com/heiditworek/status/1240340632666701824cited Apr 16th, 2020.

23
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

Bibliographie:
A/ Ouvrages.
 Andrew Chadwick, the Hybrid Media System, Oxford University Press, 2013.
 Benoît Sillard,Internet en 2049, maître ou esclave du numérique, éditions
Eyrolles,2011.
 Cayrol R., Médias et démocratie : la dérive, éditions Presses de Sciences Po,
Paris,1997.
 Christian Delporte, Les Journalistes en France 1880-1950, Paris, Seuil, 1999.
 Christian Delporte, De la propagande à la communication politique, Flammarion,
2003.
 David Kessler, Les média ont-ils un pouvoir ? Éditions Le seuil,2012,
 Edward Bernays, Propaganda : comment manipuler l’opinionpublic,
Éditions Ig publishing New York, 2004.
 Francis Balle, Les médias, Collection : Que sais-je ?2017.
 François Bernard Huyghe, Maitre du faire croire : De la propagande à l'influence,
éditions Vuibert,2008.
 GrégoryDerville,Lepouvoirdesmédiasselonlesclassiquesdela
« COM », Gallimard, 1998.
 Grégory Derville, Les cahiers de médiologie, Éditions Gallimard, 1998/2.
 H.Lasswell, Propaganda Techniques in the World War I, éditionsPete Smith, New york,
1927.
 Hannah Arendt, Le système totalitaire, éditions Seuil1972.
 Jean Jaurès Propager, Propagation, Propagande, édition illustration, 2018.
 Jean- Marie Domenach, La propagande politique, Presses
universitaires de France, 1973.
 Jürgen Habermas, L'espace public, Archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, Paris,1988.
 Marshall McLuhan, Message et Massage, un inventaire des effets, Édité par Jean
Jacques Pauvert, Paris,1968.
 Mouchon J., La Politique sous l’influence des médias, Paris, L’Harmattan,1998.
 Noam Chomsky &Edward S. Herman, Consentement à la fabrication : l'économie
politique des médias de masse, Pantheon Books, New York, 1988.
 Noam Chomsky, Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu. Fayard1999.
 Pech L., Approches européenne et américaine de la liberté d'expression dans la société
de l'information, CCE, juillet2004.
 Peter Weibel, Le son comme Medium of Art, documentation of the ZKM, 2019.
 PhilippeBreton,SergeProulx,L'explosiondelacommunicationàl’aube du XXIe siècle,
Les Éditions La Découverte, 2002.
 Pierre Péan, « Dans les cuisines de l’investigation » , sur Le Monde diplomatique, 1er
septembre2019.
 Roger G.Schwazenberg : l’État spectacle, éditions Flammarion,1977.
 Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Gallimard, 1939.
 Stéphane Olivesi, La communication au travail, Une critique des nouvelles formes de
pouvoir dans les entreprises, Presses Universitaires de Grenoble, Paris, 2002.
 Vance Packhard, La persuasion clandestine, éditions Calmann-Lévy, 1975.
B/ Revues et périodiques :
 Caroline Ollivier-Yaniv, Mots. Les langages du politique n° 94, journals open-édition,
2010.
 DenisPingaud,BernardPoulet,Dupouvoirdesmédiasàl’éclatement
24
La Revue Marocaine de la Pensée Contemporaine - N-7 JANVIER 2021 RMPC- www.imist.ma
ISSN : 2605-6488

 de la scène publique, la revue Le Débat, n°138, janvier-février 2006.


 Dominique Wolton, La communication politique : construction d'un modèle, Hermès, La
Revue N°4,1989.
 Éric Dacheux, Bordeaux, Action et communication politique : une distinction
impossible ? Revue « Qualité et communication » N°151999.
 Fabrice Arfi, « Le journalisme d'investigation existe-t-il encore en France ? », Revue de
l'ANAJ-IHEDN, mai2014.
 GaelleGrognet,Média :faut-iluncinquièmepouvoir ? L’Université
Laval, presse universitaire, 2004.
 Idéologie : concept culturaliste et concept critique, Actuel Marx, n°43, 2008.
 Ignacio Ramonet, Lecinquième p o u v o i r , le monde diplomatique, octobre
N°595,2003.
 Jean-Marie Charon, Le journalisme d'investigation et larecherched'une nouvelle
légitimité, Hermès, La Revue 2003/1 (N° 35).
 Jérôme Clément, une influence plutôt indirecte sur la politique, Armand Colin, Revue
internationale et stratégique, 2010/2N°78.
 Louis Bertin Amougou, Le pouvoir, Revu ACTAIASSYENSIA
COMPARATIONIS, Avril /2006.
 Philippe Mouron, Coronavirus et fausses informations, Revue des droits et libertés
fondamentaux, 2020, Chronique n° 33,2020.
C/ Webliographies :
 https://www.acrimed.org.
 https://www.etudier.com.
 https://www.monde-diplomatique.fr.
 https://www.journals.openedition.org.
 https://www.franceinter.fr.
 https://www.halshs.archives-ouvertes.fr.
 https://twitter.com

25

Vous aimerez peut-être aussi