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CUP132 - A. Jespers Et B. Vanbrabant

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1

Aperçu des règles


de compétence internationale
en matière de propriété intellectuelle
Aurélie JESPERS
Assistante à l’U.Lg., avocate

Bernard VANBRABANT
Maître de conférences à l’U.Lg., avocat

SOMMAIRE
Introduction 16
SECTION 1
Les litiges relatifs à l’enregistrement ou à la validité
de droits de propriété intellectuelle 18
SECTION 2
Les actions en contrefaçon 29
SECTION 3
Le contentieux contractuel 44
SECTION 4
Les mesures provisoires et conservatoires 49
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

Introduction
Le droit international privé de la propriété intellectuelle a connu une con-
sidérable évolution lorsque fut adoptée, en 1968, la Convention de Bruxelles
concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale. La théorie traditionnelle, selon laquelle étaient seuls
compétents pour connaître des litiges concernant un droit de propriété intellec-
tuelle, les tribunaux du pays dans lequel ce droit est appelé à déployer ses effets
(forum loci protectionis), a alors été, sinon abandonnée, du moins largement
nuancée ; aujourd’hui, les tribunaux d’un État membre peuvent connaître d’un
certain nombre de litiges relatifs à des droits intellectuels sur la base d’autres cri-
tères de rattachement, y compris celui déduit du domicile du défendeur 1.
Les sources du droit international privé de la propriété intellectuelle sont
multiples : il faut avoir égard à diverses conventions internationales – tout
particulièrement la Convention Benelux en matière de propriété intellec-
tuelle (marques, dessins et modèles), – à plusieurs instruments de droit euro-
péen et, à titre subsidiaire, à l’article 86 de notre Code de droit international
privé 2.
Au niveau de l’Europe, pas moins de quatre instruments généraux de
droit international privé sont susceptibles de s’appliquer : la Convention de
Bruxelles de 1968 3, la Convention de Lugano 4, l’Accord entre l’Union
européenne et le Danemark 5 et le Règlement 44/2001, dit Bruxelles I 6. Ces
quatre instruments ont un champ d’application matériel identique dès lors
qu’ils concernent la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière civile et commerciale. Les règles de compétence

1. Pour de plus amples informations, voir A. NUYTS, K. SZYCHOWSKA et N. HATZIMIHAIL, « Cross


border litigation in IP/IT Matters in the European Union : The Transformation of the Judisdic-
tional Landscape », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Information Tech-
nology, Kluwer Law International, 2008, pp. 1 et s.
2. Cf. notamment, K. ROOX, « Intellectuele eigendom in het nieuwe wetboek I.P.R. », I.R. D.I.,
2005, pp. 149 et s., spéc. pp. 151 et 152.
3. Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des déci-
sions en matière civile et commerciale.
4. La Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des déci-
sions en matière civile et commercial conclue le 30 octobre 2007 à Lugano.
5. Accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark sur la compétence judi-
ciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O.,
16 novembre 2005, L 299 R, pp. 62-70.
6. Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,
la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., 16 janvier
2001, L 012, pp. 0001-0023.

16 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

internationale qui y sont consacrées sont également similaires. Néanmoins,


leur champ d’application territorial diffère. La Convention de Bruxelles de
1968, remplacée par la Règlement Bruxelles I, ne s’appliquera qu’en de très
1
rares occasions. La Convention de Lugano révisée s’applique, quant à elle,
aux relations entre les États membres de l’Union européenne et les États
membres de l’AELE : la Suisse, la Norvège et l’Islande. L’Accord entre le
Danemark et l’Union européenne ne vise que les situations transfrontalières
entre le Danemark et les autres pays membres. Dans la majorité des cas, ce
sera donc le Règlement de Bruxelles qui trouvera à s’appliquer 7 ; partant,
seul ce dernier sera abordé dans le cadre de cette contribution.
Les instruments précités, tout comme l’article 86 du Code de D.I.P.,
visent les droits de propriété intellectuelle en général, sans distinguer le type
de droit dont il s’agit. Mais il existe aussi, tant au niveau européen qu’au
niveau du Benelux, des règles de compétence internationale propres à cer-
tains droits – essentiellement la marque et le modèle – qui dérogent ou com-
plètent les règles générales.
Comme le relève M. Pertegas Sender, « la question de la compétence est
fondamentalement axée sur deux questions : la nature du droit de propriété
intellectuelle en cause et la nature du litige en soi » 8. Outre l’existence de
sources spécifiques à certaines droits de propriété intellectuelle, les règles de
compétence varient en effet en fonction de la nature du litige – action en
contrefaçon, mise en cause de la validité du droit de propriété intellectuelle,
litige contractuel.
Cette double distinction déterminera la structure de cette contribution :
dans une première section, nous étudierons les règles de compétence applica-
bles au contentieux de l’enregistrement et de la validité des droits intellec-
tuels. La deuxième section sera consacrée à la question de la compétence en
matière de contrefaçon. Le contentieux contractuel relatif à un droit intellec-
tuel sera ensuite abordé. Enfin, la question de la compétence au provisoire
sera brièvement analysée dans la quatrième section. Au sein de chacune de
ces sections, nous distinguerons, d’une part, les règles de compétence spécifi-
ques propres à l’un ou l’autre droit, d’autre part, les règles de compétence
générales édictées par le Règlement Bruxelles I. Il convient de souligner
d’emblée que les règles de compétence spécifiques peuvent déroger au
Règlement Bruxelles I non seulement lorsqu’elles sont contenues dans un

7. Le Règlement de Bruxelles exclut le Danemark de ce champ d’application.


8. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », in D. KAESMA-
CHER, Les droits intellectuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 134.

ANTHEMIS 17
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

autre règlement européen 9, c’est-à-dire une norme de nature et de rang


équivalent, mais aussi lorsqu’elles résultent d’une convention entre deux États
membres relative à une matière particulière 10 : tel est le cas de la Convention
Benelux en matière de propriété intellectuelle précitée.

SECTION 1

Les litiges relatifs à l’enregistrement


ou à la validité de droits de propriété intellectuelle
Les droits de propriété intellectuelle peuvent être répartis en deux caté-
gories en fonction de la manière dont ces droits s’acquièrent. La première
catégorie regroupe les droits dont l’existence nécessite des démarches auprès
des autorités compétentes, qui délivreront un titre de protection. On parlera
dans ce cas de droits donnant lieu à dépôt ou à enregistrement. Il s’agit essen-
tiellement du brevet européen et du brevet national, du certificat complé-
mentaire de protection pour les médicaments ou les produits
phytopharmaceutiques, de la marque communautaire et de la marque
Benelux, du modèle communautaire enregistré et du modèle Benelux, des
obtentions végétales nationales et communautaires, et des appellations d’ori-
gines et autres indications de provenance. La deuxième catégorie vise les
droits qui naissent sans formalité tels que le droit d’auteur, les droits voisins,
les droits des producteurs de bases de données.

Seuls les droits de la première catégories, c’est-à-dire les droits intellec-


tuels sujets à dépôt ou enregistrement, donnent lieu à un contentieux quant à
leur enregistrement ou leur validité. En matière de marques communautaires,

9. Cf. art. 67 Règlement Bruxelles I : « Le présent règlement ne préjuge pas de l’application des
dispositions qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnais-
sance et l’exécution des décisions et qui sont contenues dans les actes communautaires ou dans
les législations nationales harmonisées en exécution de ces actes.
10. Cf. art. 71 Règlement Bruxelles I : 1. Le présent règlement n’affecte pas les conventions aux-
quelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compé-
tence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.
2. En vue d’assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manière
suivante :
a) le présent règlement ne fait pas obstacle à ce qu’un tribunal d’un État membre, partie à une
convention relative à une matière particulière, puisse fonder sa compétence sur une telle con-
vention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre non partie à une
telle convention. Le tribunal saisi applique, en tout cas, l’article 26 du présent règlement ;
b) (…) ».

18 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

par exemple, l’Office peut refuser d’enregistrer la marque notamment pour


défaut de caractère distinctif, ou faire droit à une opposition fondée sur
l’atteinte à une marque antérieure ; une annulation de l’enregistrement peut
1
être demandée, de même que la déchéance du titulaire pour absence d’usage
sérieux du signe enregistré. De tels litiges n’existent pas en matière de droit
d’auteur dès lors que la naissance de ce droit n’est pas soumis à une procédure
administrative de dépôt ou d’enregistrement 11.
Le contentieux de l’enregistrement et de la validité des droits intellec-
tuels est soumis à des règles de compétence particulières. Nous examinerons
dans un premier temps les règles de compétence internationale prévues par
des instruments spécifiques, puis ensuite le régime de compétence internatio-
nale instauré par le Règlement Bruxelles I 12.

A. Les règles particulières de compétence

En ce qui concerne le contentieux de la validité des droits intellectuels,


des règles de compétence internationale spécifiques, primant les règles géné-
rales, sont édictées pour trois types de titres communautaires – marques, des-
sins ou modèles, obtentions végétales – et deux types de titres Benelux –
marques et dessins ou modèles.

1. La marque communautaire
Le Règlement sur la marque communautaire instaure un régime de
compétence internationale spécifique 13. Deux catégories de juridictions sont
instaurées par ce Règlement : les tribunaux des marques communautaires 14,
qui sont des juridictions nationales, et l’Office de l’harmonisation dans le
marché intérieur (O.H.M.I.) 15.

11. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, 2nd Ed.,
Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 10, pt 1.09.
12. Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,
la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., 16 janvier
2001, L 012, pp. 0001-0023.
13. Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la marque commu-
nautaire, J.O.U.E, 24 mars 2009, L 78/1.
14. Les tribunaux des marques communautaires seront abordés au sein de la section II consacrée à
l’action en contrefaçon.
15. Sur cet organe administratif ad hoc, jouant un rôle considérable dans le domaine de la propriété
intellectuelle européenne, cf. http://oami.europa.eu/ows/rw/pages/index.fr.do

ANTHEMIS 19
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

L’O.H.M.I. se voit attribuer une compétence de principe pour connaître


des questions de validité relatives à la marque communautaire 16. Le conten-
tieux de la validité de la marque regroupe quatre types de recours : les recours
contre des décisions de refus d’enregistrement, les recours en opposition, les
actions en nullité et les actions en déchéance. Soulignons que la compétence
de l’O.H.M.I. est exclusive en ce qui concerne les deux premiers types de
recours ainsi que pour les demandes en nullité et en déchéance introduites à
titre principal.

Les décisions de l’O.H.M.I. (examinateurs, divisions d’annulation, divi-


sions d’opposition, etc.) sont susceptibles d’un premier recours devant les
chambres de recours de l’O.H.M.I. et d’un deuxième recours devant le Tri-
bunal de l’Union européenne. Enfin, les décisions du Tribunal pourront
encore faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour de justice de
l’Union européenne 17.

Les tribunaux des marques communautaires 18 sont, de leur côté, compétents


pour connaître des demandes reconventionnelles en déchéance ou nullité (le
régime de compétence territoriale instauré par l’article 97 du Règlement sur
la marque communautaire sera décrit à la section 2).

Dans l’hypothèse où l’O.H.M.I. est saisi d’une demande en déchéance


ou en nullité alors que la validité de la marque est déjà contestée devant un
tribunal des marques communautaires, l’O.H.M.I. doit surseoir à statuer (soit
de sa propre initiative après auditions des autres parties, soit à la demande de
l’une des parties et après audition des autres parties) 19. Néanmoins, « si l’une
des parties à la procédure devant le tribunal des marques communautaires le
demande, le tribunal peut, après audition des autres parties à cette procédure,
suspendre la procédure ». Dans ce dernier cas, l’O.H.M.I. pourra poursuivre
la procédure pendante devant lui.

16. Art. 41,42 et 56, 57 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009,
sur la marque communautaire.
17. Art. 65 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la mar-
que communautaires.
18. Les tribunaux communautaires sont des tribunaux de première et deuxième instance désignés
par les États membres et chargés de remplir les fonctions attribuées par le Règlement sur la mar-
que communautaire.
19. Art. 104, § 2, Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la
marque communautaire.

20 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

2. Les dessins et modèles communautaires


Le Règlement sur les dessins et modèles communautaires 20 distingue, 1
d’une part, les dessins et modèles communautaires enregistrés et d’autre part,
les dessins et modèles communautaires non enregistrés.

a) Les dessins et modèles enregistrés


L’O.H.M.I. est compétent pour connaître des demandes relatives à la
validité des modèles communautaires enregistrés. Sa compétence sera assez
limitée dès lors que le Règlement ne prévoit pas d’examen préalable des con-
ditions de protection, ni de possibilité d’opposition 21. L’O.H.M.I. voit donc
sa compétence confinée à l’action en annulation 22. Cette action peut être
introduite en dehors de toutes poursuites en contrefaçon. Mais elle peut aussi
l’être suite à de telles poursuites, menées par le titulaire du droit devant un
tribunal des dessins et modèles communautaires. Le Règlement prévoit en
effet la faculté, pour le tribunal saisi d’une demande reconventionelle en nul-
lité dans de telles circonstances, de surseoir à statuer en invitant le défendeur à
présenter une demande de nullité à l’O.H.M.I. ; la demande de surséance
doit émaner de la partie demanderesse et les parties doivent être préalable-
ment entendues 23.
Il convient de souligner que les décisions de l’O.H.M.I. sont appelables
devant les chambres de recours de l’O.H.M.I. Les décisions des chambres de
recours sont, à leur tour, susceptibles de recours devant le Tribunal de
l’Union européenne et la Cour de justice de l’Union européenne peut
encore intervenir comme juge de cassation 24.
Remarquons également que les tribunaux des dessins et modèles com-
munautaires connaissent en principe des demandes reconventionnelles en
nullité intervenant au cours d’une action principale en contrefaçon. Néan-

20. Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles commu-
nautaires, J.O.U.E., 5 janvier 2002, L 3, modifié par le Règlement n° 1891/2006 du Conseil du
18 décembre 2006 modifiant les règlements n° 6/2002 et 40/94 en vue de donner effet à l’adhé-
sion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de La Haye concernant
l’enregistrement international des dessins et modèles industriels, J.O.U.E., 29 décembre 2006, L
386.
21. P. GREFFE et F. GREFFE, Traité des dessins et modèles, 7e éd., Paris, Litec, p. 592.
22. Art. 52 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles
communautaires.
23. Cf. art. 86.3 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou
modèles communautaires.
24. Ibid., art. 61.

ANTHEMIS 21
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

moins, outre la faculté de surséance déjà mentionnée, cette action sera irrece-
vable si l’O.H.M.I. a déjà rendu une décision sur la validité entre les mêmes
parties sur une demande ayant le même objet et la même cause 25.

b) Les dessins et modèles non enregistrés


Le contentieux de la validité des modèles non enregistrés est confié aux
seuls tribunaux des dessins et modèles communautaires 26. La compétence
territoriale ainsi que la question de l’étendue de la saisine du juge sera analy-
sée dans la deuxième section relative à l’action en contrefaçon.

3. Les obtentions végétales communautaires


Le Règlement 2100/94 a créé un régime de protection communautaire
des obtentions végétales en tant que forme unique et exclusive de protection
communautaire de la propriété industrielle pour les variétés végétales 27. En
vertu des articles 20 et 21 de ce Règlement, l’Office communautaire des
variétés végétales (O.C.V.V.) est exclusivement compétent pour traiter toute
demande de nullité ou de déchéance concernant les obtentions végétales
communautaires. Les tribunaux nationaux statuant sur un litige relatif à une
protection communautaire des obtentions végétales sont tenus de considérer
cette protection comme valide, en l’absence d’annulation ou de déchéance
prononcée par l’O.C.V.V 28.

4. La marque et le dessin ou modèle Benelux


En ce qui concerne la procédure en opposition, qui est ouverte aux titu-
laires de marques antérieures estimant que la marque déposée est susceptible
de porter atteinte à leurs droits, elle doit être introduite devant l’Office
Benelux de la propriété intellectuelle 29. Les décisions de l’Office peuvent
encore faire l’objet d’un recours devant une des trois cours d’appel spéciali-
sées désignées par la Convention Benelux en matière de propriété intellec-
tuelle (Bruxelles, Luxembourg ou La Haye) 30. La cour territorialement
compétente se détermine par l’adresse du défendeur originel, l’adresse de son

25. Ibid., art. 86, § 5.


26. Ibid., art. 81.
27. Art. 1, Règlement n° 2100/94, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection commu-
nautaire des obtentions végétales, J.O.U.E., 1er septembre 1994, L 227.
28. Ibid., art. 105.
29. Ibid., art. 2.14.
30. Ibid., art. 2.17.1.

22 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

mandataire ou l’adresse postale, mentionnée lors du dépôt. Si aucune de ces


adresses n’est située sur le territoire Benelux, la cour territorialement compé-
tente se détermine par l’adresse de l’opposant ou de son mandataire. Si ni
1
l’opposant, ni son mandataire n’ont d’adresse ou d’adresse postale sur le terri-
toire Benelux, la cour compétente est celle choisie par la partie qui introduit
le recours. 31. Remarquons que ces décisions sont susceptibles d’un recours
en cassation 32.

De plus, une règle spéciale de compétence concerne le recours contre


une décision de refus d’enregistrement de la marque Benelux pour motifs absolus.
Ce recours doit être porté devant la cour d’appel de Bruxelles, de La Haye ou
de Luxembourg. La Cour territorialement compétente se détermine par
l’adresse du déposant, du mandataire ou l’adresse postale mentionnée lors du
dépôt. À défaut la cour compétente est celle choisie par le déposant 33.

Au contraire des instruments communautaires et du Règlement Bruxelles


I, la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle 34 ne retient
pas la compétence de juridictions spéciales pour les actions en annulation ou en
déchéance 35. Les tribunaux des États membres de la Convention sont dès lors
compétents pour connaître de ce type de litiges 36, que ce soit sous forme
d’action principale ou reconventionnelle. La compétence territoriale de ces
tribunaux est déterminée par l’article 4.6 de la Convention, disposition qui
sera examinée à la section suivante. Soulignons d’ores et déjà que
l’article 4.6.1, alinéa 1, 2e phrase, de la Convention Benelux, qui dispose que
« le lieu du dépôt ou de l’enregistrement d’une marque ou d’un dessin ou
modèle ne peut en aucun cas servir à lui seul de base pour déterminer la
compétence », déroge à l’article 22, paragraphe 4, du Règlement de Bruxelles
examiné ci-après.

31. Ibid., art. 2.17.2.


32. Ibid., art. 2.17.3.
33. Art. 2.12 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février
2005 à La Haye.
34. Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février 2005 à la Haye.
35. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », in D. KAESMA-
CHER, Les droits intellectuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 136.
36. Art. 2.14 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février
2005 à la Haye.

ANTHEMIS 23
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

5. Le brevet européen
La Convention de Munich sur le brevet européen 37 établit une procé-
dure centralisée de délivrance de brevets. L’Office européen des brevets
(O.E.B.) est ainsi compétent pour décerner un titre de brevet européen qui
correspond à un faisceau de brevets nationaux indépendants 38.

Il convient de distinguer le contentieux relatif à l’obtention de celui de la


validité du brevet européen. Les litiges portant sur l’obtention du brevet euro-
péen ont trait à la demande de brevet et surviennent avant que le brevet ne
soit délivré 39. Des règles de compétences spécifiques – que nous n’examine-
rons pas – concernant ces litiges sont exposées dans le Protocole sur la com-
pétence judiciaire et la reconnaissance des décisions portant sur le droit à
l’obtention du brevet européen annexée à la Convention de Munich 40. Le
contentieux de la validité est, quant à lui, postérieur à la délivrance du brevet
européen.

Le contentieux de la validité du brevet européen regroupe principale-


ment deux catégories de procédures : la révocation sur opposition et l’annu-
lation. Cette distinction n’est pas sans conséquence sur l’attribution des
compétences. En effet, l’O.E.B. est compétent pour connaître des procédures
en opposition et révoquer (ou limiter) un brevet suite à une telle demande 41.
La procédure en opposition est une procédure administrative permettant aux
tiers de faire disparaître un brevet européen pour l’ensemble des pays pour
lesquels il a été accordé ; elle doit être formée dans les 9 mois de la délivrance
du brevet européen. Passé ce délai, le brevet ne peut plus être attaqué que
devant les tribunaux nationaux et chaque procédure nationale ne pourra con-
duire qu’à l’anéantissement de l’extension territoriale correspondant au pays
où la procédure est diligentée. En l’absence de disposition spécifique relative
à la compétence internationale, il faut se référer aux règles générales édictées
dans le Règlement Bruxelles I, et en particulier à l’arti-cle 22, paragraphe 4,
examiné ci-dessous.

37. Convention de Munich sur la délivrance de brevets européens du 5 juillet 1973.


38. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit., p. 134 ;
B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets, des inventions et du savoir-faire : créer, protéger et par-
tager les inventions au XXIe siècle, Bruxelles, Larcier, 2009, p. 49.
39. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partager
les inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 496, n° 575.
40. Ibid., p. 496, pt 575.
41. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit.,
pp. 134-135.

24 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

B. La règle de compétence générale (art. 22, § 4, Règl. Brux. I)


1. Généralités 1
En l’absence de règles de compétence spécifiques, il convient de se réfé-
rer au Règlement Bruxelles I pour déterminer devant quelle juridiction por-
ter un litige relatif à la validité d’un droit intellectuel sujet à enregistrement
ou dépôt, lorsqu’il présente des éléments d’extranéité.
L’article 22, paragraphe 4, du Règlement Bruxelles I confère aux juri-
dictions nationales une compétente exclusive pour connaître de tout litige
relatif à la validité des droits de propriété intellectuelle. Ledit article dispose
que, « en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et
modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistre-
ment » sont seuls compétents, sans considération de domicile, « les juridic-
tions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a
été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un
instrument communautaire ou d’une convention internationale ».
En écho à cette disposition, l’article 86 du Code de droit international
privé dispose que, « par dérogation aux dispositions générales de la présente
loi, les juridictions belges ne sont compétentes pour connaître de toute
demande concernant l’inscription ou la validité de droits de propriété intel-
lectuelle donnant lieu à dépôt ou enregistrement, que si ce dépôt ou enregis-
trement a été demandé en Belgique, y a été effectué ou est réputé y avoir été
effectué aux termes d’une convention internationale ».

2. Justification
La règle de compétence exclusive dont question constitue une exception
à la règle générale de compétence de la juridiction du lieu du domicile du
défendeur prévue à l’article 2 du Règlement Bruxelles I. Selon le rapport
Jenard 42, le caractère exclusif de cette règle se justifie parce que l’octroi d’un
titre de propriété intellectuelle national relève de l’exercice de souveraineté
nationale. Néanmoins, comme le remarque à juste titre M. Pertegas Sen-
der 43, la Cour de justice a recours à une autre justification : la nécessité de
réserver les litiges concernant la validité des droits intellectuels « aux juridic-
tion ayant avec eux une proximité matérielle et juridique » 44. La Cour a ainsi

42. Rapport explicatif sur la Convention de Bruxelles, J.O.U.E, 5 mars 1979, C 59, p. 36.
43. M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, An Analysis of the Interface between Intel-
lectual Property and Private International Law. Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 154, pt 4.15.
44. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. GAT c. LuK, § 21.

ANTHEMIS 25
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

jugé, dans l’affaire Duijnstee, que les juridictions des États du lieu de l’enregis-
trement ou du dépôt sont « les mieux placées pour connaître des cas dans les-
quels le litige porte lui-même sur la validité du brevet ou l’existence du dépôt
ou de l’enregistrement » 45.

3. Position prépondérante occupée par l’article 22, paragraphe 4,


au sein du Règlement de Bruxelles
L’article 22 occupe une place prépondérante au sein du Règlement de
Bruxelles I. En effet, le régime de compétence internationale exclusive prévu
par cet article possède un caractère impératif tant à l’égard du juge que des
parties 46. Ainsi, en vertu de l’article 25 du Règlement de Bruxelles I, le juge
d’un État membre saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction
d’un autre état membre est exclusivement compétent en vertu de l’article 22,
paragraphe 4, sera tenu de décliner d’office sa compétence. De plus, une déci-
sion rendue en méconnaissance de cette règle de compétence ne sera pas
reconnue (art. 35, § 1, Règl. Brux. I). Enfin, Les parties ne peuvent déroger à
l’application de l’article 22, paragraphe 4, ni par une convention attributive
de juridiction (art. 23, § 5, Règl. Brux. I) ni par une comparution volontaire
du défendeur (art. 24 Règl. Brux. I).

4. Champ d’application
Le champ d’application de la compétence exclusive attribuée aux juri-
dictions nationales en vertu de l’article 22, paragraphe 4, est doublement
limité dès lors que cette disposition ne concerne que les droits intellectuels
sujets à enregistrement ou dépôt et ne vise que les questions relatives à l’ins-
cription ou la validité de ces droits. De plus, l’article 22, paragraphe 4, du
Règlement Bruxelles I ne s’applique qu’aux droits nationaux enregistrés par
un office national et aux droits faisant l’objet d’un dépôt international pro-
duisant les mêmes effets nationaux qu’un droit enregistré par un office
national. 47 Comme on l’a vu, les questions de validité concernant des titres
communautaires sont donc exclues du champ d’application de cette disposi-
tion.

45. C.J.U.E., aff. Duijnstee, C-288/82, 15 novembre 1983, § 22.


46. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. GAT c. LuK précitée, § 24.
47. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partager
les inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 498.

26 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

5. Interprétation
La notion de litiges « en matière d’inscription ou de validité » recouvre
1
tous les litiges portant sur la validité, l’existence, la déchéance du droit ou encore
sur la revendication d’un droit de priorité fondé sur un dépôt antérieur 48. En
d’autres mots, la règle de compétence exclusive trouve à s’appliquer lorsque
le litige concerne directement le fonctionnement d’un service public 49. A
contrario, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les litiges liés à
la propriété des droits intellectuels et, plus particulièrement, à la détermination
du titulaire du brevet en cas d’invention d’employé, sont exclus du champ
d’application de l’article 22, paragraphe 4, du Règlement de Bruxelles, de
même que les litiges en matières de contrefaçon 50. Ce faisant la Cour a inter-
prété strictement le domaine de compétence exclusive 51.
Le cadre procédural dans lequel la règle de compétence exclusive trouve à
s’appliquer a, en revanche, été défini de manière extensive par la Cour de jus-
tice de l’Union européenne à l’occasion de l’arrêt GAT c. LuK 52. Dans cet
arrêt, la Cour, saisie à titre préjudiciel, a eu à connaître de la question de
savoir si la compétence exclusive des juridictions nationales pour statuer sur la
validité des titres de propriété intellectuelle sujets à enregistrement ou dépôt
s’applique seulement en cas de demande en nullité introduite à titre principal
ou si elle s’applique également lorsque le moyen de nullité est invoqué à titre
d’exception ou par le biais d’une action incidente. La Cour a jugé que ladite
règle « concerne tous les litiges portant sur l’inscription ou la validité d’un brevet, que la
question soit soulevée par voie d’action ou d’exception » 53. Cet arrêt a généralement
été mal accueilli par la doctrine 54. Il a, notamment, été mis en exergue que la
solution consacrée aboutit à restreindre considérablement la portée des règles

48. Arrêt Duijnstee, § 24.


49. M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, An Analysis of the Interface between
Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 156, pt 4.18.
50. Arrêt Duijnstee, C-288/82, § 28.
51. F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2005, p. 707.
52. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. précitée.
53. Ibid.
54. A. KUR, « A Farewell to Cross-Border Injunctions ? The ECJ Decision GAT v. LuK and Roche
v. Primus Goldenberg » 7 IIC (2006), pp. 850 et s ; P. TORREMANS, « The Way Forward Cross-
Border Intellectual Property Litigation : Why GAT Cannot Be the Answer ? », in S. LEIBLE et
A. OHLY (eds.), Intellectual Property and Private International Law, Tubingen, Mohr Siebeck, p. 194 ;
K. SZYCHOWSKA, « Quelques observations sous les arrêts de la Cour de justice dans les affaires
C-4/03 GAT et C-539/3 Roche », R.D.C, 2005, p. 498 ; P. TORREMANS, « The widening Reach
of Exclusive Jurisdiction : Where Can You Litigate IP Rights after GAT ? », in A. NUYTS, Interna-
tional Litigation in Intellectual Property and Information Technology Law, Kluwer International, 2008.

ANTHEMIS 27
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

générales de compétence, en particulier celle fondée sur le domicile du


défendeur : il suffit que le défendeur évoque un problème de validité pour
que la procédure diligentée devant les tribunaux de l’État de son domicile
soit suspendue. L’arrêt GAT restreint aussi considérablement la possibilité de
rassembler des procédures parallèles devant une seule juridiction et augmente
par la même occasion le risque de jugements contradictoires au sein de
l’Union européenne 55.

6. Quid concrètement lorsque la validité est contestée à titre incident


dans le cadre d’un litige en contrefaçon ?
Dans l’arrêt GAT c. LuK, précité, la Cour de justice de l’Union euro-
péenne n’a pas précisé expressément si la juridiction saisie à titre principal
d’une action en contrefaçon et à titre incident d’une action en nullité, doit se
déclarer incompétente pour tout le litige ou seulement pour l’action ayant
trait à la validité.
Cette question a donné lieu à une controverse. On distingue trois cou-
rants doctrinaux. Le premier estime que dès lors qu’une question de validité
se pose, la juridiction saisie à titre principal de l’action en contrefaçon doit se
dessaisir de tout le litige et le renvoyer au juge national compétent pour
l’action en validité en vertu de l’article 22, paragraphe 4, du Règlement
Bruxelles I 56. D’autres auteurs pensent que le tribunal compétent pour con-
naître de l’action en contrefaçon devrait pouvoir juger de la demande inci-
dente en validité afin d’éviter que des défendeurs de mauvaise foi ne
soulèvent une question de validité dans le but de saisir une autre juridiction
(dont la jurisprudence leur est plus favorable ou simplement à des fins dilatoi-
res) 57. Selon un troisième courant, le litige doit dans ce cas être dissocié 58.
Cette solution, à laquelle nous adhérons, trouve appui dans les conclusions
rendues par l’Avocat général Geelhoed dans l’affaire GAT c. LuK précitée.
Ce dernier indique que les actions en violation « pure » de brevets doivent
rester du ressort de la compétence générale prévue à l’article 2 du Règlement
Bruxelles I et ajoute que « le tribunal saisi de la violation peut transférer
l’affaire dans sa totalité ou il peut garder l’affaire en suspens jusqu’à ce que le
tribunal de l’autre État membre compétent aux termes dudit article 16,

55. Ibid., p. 498, pt 16.


56. OSTERTAG et SCHRAMM cités par M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent
Rights, An Analysis of the Interface between Intellectual Property and Private International Law, op. cit.,
p. 162, pt 4.38.
57. WEIGEL et TROLLER, cités par M. PERTEGÀS SENDER, op. et loc. cit.
58. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 362.

28 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

point 4 59, ait tranché la question de la validité du brevet, et il peut également


instruire lui même l’affaire si le défendeur est de mauvaise foi » 60. Il peut
aussi être déduit de l’arrêt Roche c. Primus que cette solution doit être préférée
1
à celle du renvoi de l’ensemble du litige devant le juge compétent pour con-
naître de l’action en validité 61. Il s’ensuit que la juridiction compétente pour
connaître de la contrefaçon doit surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction
saisie de la question de la validité du droit se soit prononcée 62.

SECTION 2
Les actions en contrefaçon
La contrefaçon se définit comme étant toute atteinte portée à un droit
intellectuel ; autrement dit, elle résulte de l’utilisation ou de l’exploitation de
« l’objet d’un droit de propriété intellectuelle protégé sans l’autorisation de
son titulaire » 63. Seul l’aspect civil de la compétence en matière de contrefa-
çon sera abordé dans les lignes qui suivent, dès lors que le Règlement Bruxel-
les I ne s’applique qu’en matière civile et commerciale.
Par analogie à la méthodologie appliquée dans la première section, nous
aborderons tout d’abord les règles de compétence spécifiques prévues dans
divers instruments communautaires et Benelux avant d’explorer les disposi-
tions applicables du Règlement Bruxelles I.

A. Les règles spécifiques


Il convient de rappeler que le Règlement de Bruxelles reconnaît la pri-
mauté des règles de compétence particulières instaurées par les instruments
communautaires et Benelux 64. Par conséquent, dès lors que l’action en con-
trefaçon a pour objet de faire sanctionner une atteinte portée à une marque

59. L’article 16.4 de la Convention de Bruxelles correspond à l’article 22.4 du Règlement Bruxelles I.
60. Opinion de l’Avocat général Geelhoed dans l’affaire GAT du 16 septembre 2004, Rec., 2006, p.
I-06509, pt 46.
61. « Cette juridiction ne pourrait s’opposer à un éclatement à tout le moins partiel du contentieux
en matière de brevets dès lors que, à titre incident, serait soulevée, comme cela est fréquent en
pratique et comme tel est le cas dans l’espèce au principal, la question de la validité du brevet en
cause ». C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. Roche Nederland BV c. Frederik Primus et Milton Goldenberg,
C-539/03, Rec., 2006, p. I-06535, pt 40.
62. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 371.
63. M. SCHNEIDER et F. GEVERS, « Lutte anti-contrefaçon », in D. KAESMACHER, Les droits intellec-
tuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 134.
64. Nous renvoyons à la section 1, A.

ANTHEMIS 29
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

communautaire, un modèle communautaire, une obtention végétale com-


munautaire, une marque Benelux ou un modèle Benelux, la compétence du
juge doit être déterminée d’abord par référence à ces instruments, le droit
commun étant toutefois susceptible de prendre le relais à titre supplétif.

1. La marque communautaire
a) Le Règlement sur la marque communautaire et le Règlement Bruxelles I
La relation entre le Règlement Bruxelles I et le Règlement sur la marque
communautaire est réglée par l’article 94 du Règlement sur la marque com-
munautaire. Cet article prévoit que le Règlement Bruxelles I est applicable
au litige concernant la validité et la contrefaçon d’une marque, sauf si le
Règlement sur la marque communautaire y déroge. L’article 94, paragra-
phe 2, spécifie que les articles 2, 4, 5, paragraphe 1, 5 paragraphe 3, 5 para-
graphe 4, 5 paragraphe 5 et 31 du Règlement Bruxelles I ne sont pas applica-
bles en matière de contrefaçon de marque communautaire.
Le Règlement sur la marque communautaire prévoit un régime de com-
pétence internationale spécifique pour le contentieux de la contrefaçon ;
celui-ci est attribué de façon exclusive aux « tribunaux des marques commu-
nautaires » 65.

b) Les tribunaux des marques communautaires


Les tribunaux des marques communautaires sont des juridictions natio-
nales de première et deuxième instance désignées par chaque État membre de
l’Union européenne pour connaître (notamment) du contentieux de la con-
trefaçon d’une marque communautaire 66. En Belgique les tribunaux désignés
sont le tribunal de commerce de Bruxelles et la cour d’appel de Bruxelles.

c) La compétence ratione materiae


Selon l’article 96 du Règlement sur la marque communautaire, les tribu-
naux des marques communautaires ont compétence exclusive pour connaître
non seulement des actions en contrefaçon, mais également des actions en
menace de contrefaçon et des demandes en déclaration de non contrefaçon, si
la loi nationale les connaît. 67.

65. Titre X du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la mar-
que communautaire.
66. Art. 95 du Règlement communautaire n° 207/2009.
67. Art. 96 du Règlement communautaire n° 207/2009.

30 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

d) La compétence ratione loci


La compétence territoriale des tribunaux des marques communautaires 1
est réglée par l’article 97 du Règlement. Deux règles de compétence y sont
prévues. Le demandeur peut, à son choix, se fonder sur un critère personnel ou
sur un critère matériel de rattachement. Dans le premier cas, le demandeur por-
tera le litige devant le juge de l’État membre sur le territoire duquel le défen-
deur a son domicile ou un établissement fixe. À défaut, il pourra saisir le juge
du lieu de son propre domicile (ou établissement), si celui-ci est situé sur le
territoire de l’Union européenne. Enfin, si ni le défendeur ni le demandeur
n’ont de domicile ou d’établissement dans un des États membres de l’Union
européenne, le demandeur pourra saisir le tribunal de l’État membre où
l’O.H.M.I. a son siège, autrement dit le tribunal espagnol 68. En toute hypo-
thèse, le demandeur peut toutefois opter pour le tribunal du lieu où l’acte de
contrefaçon a été commis ou menace d’être commis 69.

e) L’étendue variable de la compétence


Le tribunal des marques communautaires compétent en raison du lieu de
la contrefaçon ne pourra cependant statuer que sur les faits commis ou mena-
çant d’être commis sur son territoire 70 ; en cas de contrefaçon s’étendant à
plusieurs pays, le recours au critère matériel pourrait donc contraindre le
demandeur à saisir plusieurs juridictions. Au contraire, le tribunal saisi en
vertu du premier chef de compétence, d’ordre personnel, peut statuer sur des
faits de contrefaçon commis sur le territoire de tout État membre 71 et ce, en
raison du caractère unitaire de la marque communautaire. Toutefois, si les
actes ou menaces de contrefaçon se limitent à un ou plusieurs territoires de
l’Union, la décision sera limitée à ces territoires 72.

f) La connexité
L’article 104 du Règlement sur la marque communautaire prescrit deux
règles spécifiques applicables en matière de connexité. La première vise la situa-
tion où un tribunal de marque communautaire a été saisi pout connaître d’une
action en contrefaçon alors que la validité de cette marque est déjà contestée
devant un autre tribunal. Dans cette situation, le tribunal saisi de la demande en

68. Ibid., art. 97.1, 97.2 et 97.3.


69. Ibid., art. 97.5.
70. Art. 98.2 du Règlement communautaire n° 207/2009.
71. Ibid., art. 98.1.
72. C.J.U.E., 12 avril 2011, aff. DHL Express France SAS/ Chronopost SA, C-235/09, J.O.U.E., 18
juin 2011, C 179/2.

ANTHEMIS 31
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

contrefaçon doit surseoir à statuer (soit de sa propre initiative et après avoir


auditionné les parties, soit à la demande d’une des parties et après audition de
l’autre), à moins que des raisons particulières de poursuivre la procédure n’exis-
tent 73. La deuxième situation est celle où l’O.H.M.I. est saisi d’une demande
en annulation ou en déchéance alors que cette question est déjà pendante
devant un tribunal communautaire ; cette situation a déjà retenu notre atten-
tion dans le cadre de la section 1, A.1., à laquelle nous renvoyons.
Il convient de préciser qu’aucune disposition du Règlement n’écarte
l’application des articles 27 et 28 du Règlement Bruxelles I, relatifs à la litis-
pendance et la connexité. Dès lors, il faut considérer que ces dispositions,
dont le contenu sera examiné plus loin, sont applicables, en vertu, de l’arti-
cle 94, paragraphe 1, du Règlement sur la marque communautaire.

g) Prorogations de compétence
Le Règlement sur la marque communautaire stipule encore que les
articles 23 et 24 du Règlement de Bruxelles sont applicables aux actions en
contrefaçon de marque communautaire. Dès lors, en vertu de l’article 23, les
parties peuvent convenir de la compétence d’un autre tribunal des marques
communautaires. L’article 24 est quant à lui applicable dès qu’un défendeur
comparait devant un tribunal de la marque communautaire sans élever de
déclinatoire de juridiction 74.

2. Les dessins et modèles communautaires


a) Le Règlement sur les dessins et modèles communautaires
et le Règlement Bruxelles I
La relation entre, d’une part, le Règlement Bruxelles I et, d’autre part, le
Règlement sur les dessins et modèles est précisée à l’article 79 de ce dernier
Règlement. La rédaction de cet article est quasiment identique à celle de
l’article 94 du Règlement sur la marque communautaire 75. La seule diffé-
rence avec le Règlement sur la marque communautaire réside dans le fait que
l’application de l’article 22 paragraphe 4, du Règlement Bruxelles I (clause
d’attribution de juridiction) est explicitement exclue 76.

73. Art. 104, § 1, Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la
marque communautaire.
74. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 413.
75. Il s’agit en réalité d’une simple clarification dans la mesure où l’article 22, § 4, ne s’applique
qu’aux droits nationaux ou les droits faisant l’objet d’un dépôt international mais produisant les
mêmes effets qu’un droit national.
76. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 434.

32 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

b) Distinction entre les dessins et modèles enregistrés et ceux non enregistrés


Pour rappel, nous avons souligné dans la première section de cette contri- 1
bution que le Règlement sur les dessins et modèles communautaires instaure
un régime de compétence sui generis reflétant la distinction entre les dessins et
modèles enregistrés et ceux qui ne le sont pas 77. En matière de contrefaçon,
cette distinction n’a pas lieu d’être dès lors que les tribunaux des dessins et
modèles communautaires sont compétents pour connaître de toutes actions en
contrefaçon, que le dessin ou modèle soit enregistré ou non.

c) Les tribunaux des dessins et modèles communautaires


Les tribunaux des dessins et modèles sont institués par l’article 80 du
Règlement sur les dessins et modèles communautaires. Tout comme pour la
marque communautaire, les États membres doivent désigner sur leur terri-
toire des tribunaux compétents pour connaître des actions relatives aux des-
sins et modèles communautaires. En Belgique, il s’agit, comme en matière de
marques communautaires, du tribunal de commerce de Bruxelles et de la
cour d’appel de Bruxelles.

d) Compétence ratione materiae


Les tribunaux des dessins et modèles communautaires sont compétents
pour connaître des actions en contrefaçon et, si la loi nationale les admet, des
actions en menace de contrefaçon et des actions en déclaration de non con-
trefaçon 78.

e) Compétence ratione loci


La compétence territoriale des tribunaux des dessins et modèles commu-
nautaires est déterminée à l’article 82 du Règlement sur les dessins et modèles
communautaire, qui est rédigé de manière identique à l’article 97 du Règle-
ment sur la marque communautaire. Le demandeur peut donc saisir le tribu-
nal du lieu du domicile ou d’établissement du défendeur, à défaut celui du

77. M. PERTERGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit.,
p. 135 ; M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and Interna-
tional Private Law viewed from a Belgium Perspective », p. 15.
78. Art. 81 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles
communautaires, J.O.U.E., 5 janvier 2002, L 3 modifié par le Règlement n° 1891/2006 du
Conseil du 18 décembre 2006 modifiant les règlements n° 6/2002 et 40/94 en vue de donner
effet à l’adhésion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de La
Haye concernant l’enregistrement international des dessins et modèles industriels, J.O.U.E.,
29 décembre 2006, L 386.

ANTHEMIS 33
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

lieu de son domicile ou d’établissement et enfin si ni le défendeur ni le


demandeur ne sont domiciliés ou n’ont d’établissement dans un des États
membres de l’Union européenne, le tribunal espagnol 79. Alternativement le
litige pourra être porté devant le tribunal des marques communautaires du
lieu de la contrefaçon 80.

f) L’étendue de la compétence
L’étendue de la compétence du tribunal des dessins et modèles commu-
nautaires dépend à nouveau du fondement de sa compétence. Lorsque le tri-
bunal est saisi sur la base du domicile ou de l’établissement, il peut statuer sur
des faits ou menaces de contrefaçon commis sur le territoire de tout État
membre. La saisine d’un tribunal de dessin ou modèle communautaire est
plus restreinte lorsque sa compétence découle du lieu de la contrefaçon : il ne
connaît alors que des faits de contrefaçon ou des menaces de contrefaçon
commis sur le territoire national 81.

g) Connexité
La question de la connexité est réglée comme en matière de marques
communautaires (cf. supra).

3. Les obtentions végétales communautaires


Au contraire du Règlement sur la marque communautaire et de celui sur
les dessins et modèles communautaires, le Règlement en matière de pro-
tection des obtentions végétales ne contraint pas les États membres à créer
ou désigner des tribunaux nationaux spéciaux pour connaître des actions en
contrefaçon 82.
Par contre, les chefs de compétence des tribunaux édictés par
l’article 101 du Règlement concernant les obtentions végétales communau-

79. Art. 80.1, 80.2 et 80.3 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les
dessins ou modèles communautaires.
80. Ibid., art. 82.5.
81. Ibid., art. 83.
82. Il est admis que les lacunes du Règlement concernant les obtentions végétales communautaires
doivent être comblées en priorité par l’application des dispositions du Règlement Bruxelles I,
même si on n’y trouve de référence qu’à la Convention de Lugano : voy. M.-Ch. JANSSENS,
« The relationship between Intellectual Property Law and International Private Law viewed
from a Belgium Perspective », in E. DIRIX et Y.-H. LELEU, The Belgian Report at the Congress of
Washington of the International Academy of Comparative Law, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 627 ;
U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, Brussels I
Regulation, Munich, Sellier, 2007, p. 16.

34 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

taires sont identiques à ceux prescrits par les Règlements sur la marque com-
munautaire et sur les dessins et modèles communautaires, de même d’ailleurs
que l’étendue de la saisine du juge. On se permet donc de renvoyer à ce qui a
1
été dit plus haut, en notant toutefois qu’à la différence des deux Règlements
susmentionnés, il semble que soit réservée l’application de toutes les provi-
sions du Règlement de Bruxelles 83.

4. La marque et les dessins ou modèles Benelux


Comme nous l’avons déjà souligné 84, les tribunaux nationaux des trois
États parties à la Convention Benelux sont compétents pour connaître de
tout le contentieux relatif à la marque et au dessin ou modèle Benelux, à
l’exclusion des recours contre les refus d’enregistrement et des oppositions
(au premier degré) 85.

En l’absence de convention expresse attributive de compétence territo-


riale, la compétence territoriale est déterminée « par le domicile du défendeur
ou par le lieu où l’obligation litigieuse est née, a été ou doit être
exécutée » 86. Si la compétence ne peut être déterminée sur la base de ces cri-
tères, le tribunal national compétent est celui du lieu du domicile ou de l’éta-
blissement du demandeur. À défaut d’avoir son domicile ou son établissement
sur le territoire du Benelux, le demandeur portera l’affaire devant le tribunal de
son choix, soit à Bruxelles, soit à La Haye, soit à Luxembourg 87. On retrouve
donc une alternative similaire à celle prévue par les règlements communautai-
res en matière de propriété intellectuelle (critère de rattachement personnel ver-
sus matériel), avec toutefois une articulation légèrement différente et sans que
le texte ne précise si le tribunal saisi peut connaître des faits de contrefaçon
commis dans les deux autres États du Benelux lorsque la compétence a été
déterminée par le lieu de naissance ou d’exécution de l’obligation.

83. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 627 ; U. MAGNUS et P. MANKOWSKI,
op. cit., p. 443.
84. Voir section 1, A, point 4.
85. Art. 4.5 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février
2005 à La Haye.
86. Ibid., art. 4.6.1. Le lieu de naissance de l’obligation renvoie, à notre avis, au lieu où ont été com-
mis les faits de contrefaçon, ceux-ci donnant naissance à une obligation de réparation dans le chef
du contrefacteur. Le lieu d’exécution de l’obligation est, a priori, le lieu où reside le titulaire du
droit intellectuel violé créancier de dommages et intérêts, dans un système où les dettes sont qué-
rables comme en Belgique.
87. Ibid. art. 4.6.2.

ANTHEMIS 35
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

Notons que la Cour de justice Benelux a dit pour droit que lorsqu’une
demande ‘en matière de marques’ est formée conjointement par plusieurs
demandeurs devant un tribunal à l’intérieur du territoire Benelux, qui est com-
pétent à l’égard d’un de ces demandeurs (en vertu de l’article 37 L.U.B.M.,
équivalent de l’article 4.6 C.B.P.I.), et que le droit national de ce tribunal
prévoit qu’en cas de pluralité de demandeurs, la compétence à l’égard de l’un
emporte la compétence à l’égard des autres, ce tribunal est également compé-
tent à l’égard des demandes des autres demandeurs, même s’ils ne sont pas
établis dans son ressort » 88.

L’article 4.6, alinéa 4, de la Convention Benelux précise encore que le


tribunal devant lequel la demande principale est pendante, connaît des
demandes en garantie, des demandes en intervention et des demandes inci-
dentes, ainsi que des demandes reconventionnelles, à moins qu’il ne soit
incompétent en raison de la matière. Par ailleurs, en vertu de l’alinéa 5, les
tribunaux de l’un des trois pays renvoient, si l’une des parties le demande,
devant les tribunaux de l’un des deux autres pays, les contestations dont ils
sont saisis, quand ces contestations y sont déjà pendantes ou quand elles sont
connexes à d’autres contestations soumises à ces tribunaux. Le renvoi ne peut
être demandé que lorsque les causes sont pendantes au premier degré de juri-
diction. Il s’effectue au profit du tribunal premier saisi par un acte introductif
d’instance, à moins qu’un autre tribunal n’ait rendu sur l’affaire une décision
autre qu’une disposition d’ordre intérieur, auquel cas le renvoi s’effectue
devant cet autre tribunal.

B. Les règles générales de compétence

À défaut de règles de compétence particulières dérogeant valablement au


Règlement Bruxelles I, il convient de se référer à celui-ci pour déterminer le
tribunal compétent pour connaître d’une action en contrefaçon. Tel est le cas
lorsque le droit concerné est purement national (droit d’auteur et droits voi-
sins, brevet belge, droits d’obtention végétale, notamment), mais aussi lors-
que les règlements communautaires en matière de propriété intellectuelle
sont muets sur une question particulière de compétence. Nous commence-
rons par un bref aperçu de la règle de compétence générale qui commande de
saisir la juridiction du lieu du domicile du défendeur. Ensuite, nous analyse-
rons la règle de compétence spéciale prévue par l’article 5, paragraphe 3, en

88. C.J. Benelux, 16 décembre 1991, aff. Burburry c. Bossi, A 90/4, C.J. Benelux-Jurisp., 1991, p. 16,
pt 50.

36 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

matière délictuelle. Enfin nous aborderons la question des multiples défen-


deurs, et le régime de la litispendance et de la connexité. 1
1. Le juge du lieu du domicile du défendeur (art. 2 Règl. Brux. I)
Comme on le sait, le Règlement Bruxelles I prévoit un for général de
compétence : celui de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a
son domicile. L’article 2 de ce Règlement dispose, en effet, que : « les person-
nes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur
nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». Les dérogations au prin-
cipe fondamental de la compétence des juridictions du domicile du défendeur
doivent s’interpréter restrictivement 89.
Cette règle de compétence présente un avantage en cas de délit transfron-
talier « plurilocalisé » 90, en d’autres mots lorsque le fait générateur et le dom-
mage sont dissociés, mais aussi en cas de délits similaires commis par une même
personne dans plusieurs États. Ainsi, dans le domaine de la propriété intellec-
tuelle, il permet de réunir devant un seul juge des procédures a priori parallèles
découlant d’un même comportement contrefaisant 91. Par exemple, le titulaire
d’un droit d’auteur pourra poursuivre en Belgique un défendeur domicilié sur
le territoire belge pour des faits de contrefaçon commis en Belgique, en France
et en Angleterre, voire uniquement en France ou en Angleterre.

2. Le juge du lieu du délit (art. 5, § 3, Règl. Brux. I)


À côté de la règle de compétence générale, le Règlement Bruxelles I
prévoit une règle de compétence spéciale susceptible de s’appliquer en cas de
contrefaçon. L’article 5, paragraphe 3, de ce Règlement prévoit en effet
qu’une « personne domiciliée dans un État membre peut être attraite, dans un autre
État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu ou
le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Traditionnellement,
cette compétence spéciale est justifiée par la proximité entre le litige et la
juridiction qui est appelée à en connaître 92.

89. M. PERTEGAS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, op. cit., p. 56.
90. E. TREPPOZ, « Les litiges internationaux de la propriété intellectuelle et le droit international
privé », in J. DE WERRA, La Résolution des litiges de propriété intellectuelle, Bâle, Schulthess, 2010,
p. 84.
91. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 145,
pt 5.08.
92. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 89.

ANTHEMIS 37
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

Cette compétence n’étant pas exclusive, mais « spéciale », l’action en


contrefaçon peut être introduite soit devant les tribunaux du défendeur, soit
devant le tribunal du lieu de la contrefaçon. Le choix entre ces deux chefs de
compétence appartient au demandeur, étant entendu que l’un et l’autre coïn-
cideront souvent, puisqu’un contrefacteur tend à exercer ses activités d’abord
là où il est domicilié 93.
La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de se pencher
sur l’interprétation à donner de la notion de « matière délictuelle et quasi
délictuelle ». Dans l’arrêt Kalfelis 94, la Cour a défini cette notion de manière
négative et autonome comme étant « toute demande visant à mettre en jeu la
responsabilité du défendeur et qui ne se rattache pas à la matière
contractuelle ». Concrètement, il est donc primordial d’établir que le litige
n’est pas de nature contractuelle avant de saisir le tribunal du lieu du délit 95.
De nombreux délits sont couverts par l’article 5, paragraphe 2, et il est
généralement admis que les atteintes à des droits intellectuels en font partie 96.
Cette solution peut notamment trouver appui dans l’arrêt Shevill 97de la Cour
de justice de l’Union européenne. Dans cette affaire, la Cour a appliqué
l’article 5, paragraphe 3, à une affaire de diffamation ; or, le droit à l’honneur
et à la réputation est, dans une certaine mesure, comparable à un droit de
propriété intellectuelle.
Le « lieu où le fait dommageable s’est produit » n’est pas défini de
manière expresse à l’article 5, paragraphe 3. Selon une interprétation cons-
tante de la Cour de justice de l’Union européenne 98, ce lieu inclut non seu-
lement l’endroit où le fait générateur du dommage est commis, mais également
le lieu de survenance du dommage 99. Un second choix est donc susceptible de
s’offrir au titulaire du droit intellectuel.
Selon l’arrêt Shevill, l’étendue de la compétence du juge est toutefois plus
limitée lorsque le tribunal saisi est celui du lieu où s’est réalisé le dommage et
ne coïncide pas avec le lieu où l’acte de diffamation a été accompli : ce juge

93. Ibid., p. 191.


94. C.J.U.E., 27 septembre 1988, aff. Kalfelis c. Schröder, C-189/87, Rec., 1988, p. I-5565.
95. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 185.
96. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 635, pt 40 ; U. MAGNUS et P. MAN-
KOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 188.
97. C.J.U.E., 7 mars 1995, aff. Shevill c. Press Aliance, Rec., 1995, p. I 415.
98. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 190.
99. C.J.U.E., 30 novembre 1976, aff. Bier c. Mine de Potasse d’Alsace, C-21/76, Rec., 1976, p. I-1735.

38 ANTHEMIS
ANT12016_2.fm Page 39 Mardi, 7. février 2012 7:53 07

Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

ne peut, en effet, statuer que sur le dommage subi sur son territoire 100, alors
que le juge du lieu de l’événement causal à l’origine du dommage sera com-
pétent pour réparer le dommage survenu dans tous les États membres 101.
1
Dégagée dans une espèce relative à un délit de presse, cette précision présente
une importance considérable dans le cadre des délits commis sur Internet, sou-
vent au préjudice de titulaires de droits intellectuels 102.

En conclusion, le demandeur peut attraire le défendeur soit devant les


tribunaux du domicile du défendeur, soit devant le juge du lieu de l’événe-
ment causal ayant donné naissance au dommage ou encore devant le juge
d’un lieu où le dommage s’est produit. Cependant, ce dernier voit sa compé-
tence limitée, ce qui pourrait contraindre le demandeur à diligenter plusieurs
actions 103. Cette théorie, dite de la mosaïque, peut être vue comme un obs-
tacle au phénomène bien connu du forum shopping 104 dans la mesure où elle
incite le demandeur à poursuivre le défendeur devant la juridiction du lieu où
l’acte primaire de contrefaçon a été commis, lequel coïncidera généralement
avec le lieu du domicile du défendeur.

3. Comparution du défendeur
Un troisième chef de compétence pourrait encore être retenu en matière
de contrefaçon. L’article 24 du Règlement Bruxelles I dispose en effet que
« (…) le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît est
compétent », précisant que « cette règle n’est pas applicable si la comparution
a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction
exclusivement compétente en vertu de l’article 22 ». L’article 24 du Règle-
ment Bruxelles I est applicable en matière de contrefaçon.

100. Rappr. art. 86 C. D.I.P. : « Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute
demande concernant la protection de droits de propriété intellectuelle, outre dans les cas prévus
par les dispositions générales de la présente loi, si cette demande vise une protection limitée au
territoire belge ».
101. C.J.U.E., 7 mars 1995, aff. Shevill c. Press Aliance, C- 68/93, Rec., 1995, p. I-415.
102. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., pp. 552
et s. Pour des informations complémentaires relatives aux délits commis sur internet, voy.
A. NUYTS, « Suing at the Place of Infringement : The Application of Article 5(3) of Regulation
44/2001 to IP Matters and Internet Disputes », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectuel
Property and Information Technology, Kluwer Law International, 2008.
103. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 336.
104. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 194.

ANTHEMIS 39
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

4. Pluralité de défendeurs
L’article 6, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I prévoit qu’une per-
sonne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite,
« s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux, à
condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a inté-
rêt à les instruire et les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être
inconciliables si les causes étaient jugées séparément ». Il s’agit également d’une
règle de compétence spéciale 105.
L’avantage de cette disposition est de conférer au demandeur la possibi-
lité de concentrer plusieurs litiges devant une juridiction unique. Inverse-
ment, ladite disposition présente l’inconvénient d’élargir considérablement
les possibilités de forum shopping.
La difficulté principale consiste à déterminer à partir de quand existe le
rapport étroit visé à l’article 27. En particulier, un tel rapport est-il présent
lorsqu’une même invention brevetée est exploitée sans autorisation par diver-
ses sociétés dans des États européens distincts ?

a) Spider in the Web

La cour d’appel de La Haye, particulièrement touchée par le phénomène


de forum shopping, a tenté de limiter les possibilités de concentration des litiges
parallèles devant elle, en dégageant deux conditions d’application de
l’article 6, paragraphe 1. Premièrement, les contrefacteurs doivent appartenir
au même groupe de sociétés et les actes de contrefaçon doivent découler
d’une politique commune orchestrée par la société mère. Deuxièmement, la
concentration des litiges ne peut avoir lieu que devant les tribunaux de l’État
membre où la société mère possède son siège 106. Cette interprétation de
l’article 6, paragraphe 1, est connue sous le nom imagé de Spider in the Web
(l’araignée dans sa toile). Si cette théorie a été considérée comme une solu-
tion satisfaisante au recours excessif à l’article 6, paragraphe 1, en pratique elle
soulève d’autres difficultés, telles que l’absence de définition harmonisée de la
notion de société mère 107.

105. Ibid., p. 238.


106. Cour d’appel de Hague, 23 avril 1998, aff. Expandable Grafts Partnership c. Boston scientific, B.V.,
F.S.R., 352 [1999].
107. C. GONZALES BEILFUSS, « Is There Any Web for the Spider : Jurisdiction over Co-defendants
after Roche Nederland », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Informa-
tion Technology, Kluwer Law International, 2008.

40 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

b) L’arrêt Roche
Dans son arrêt Roche 108, la Cour de justice de l’Union européenne a 1
retenu une interprétation plus restrictive de l’article 6, paragraphe 1 109. Selon
la Cour, « l’article 6, point 1 (…) doit être interprété en ce sens qu’il ne
s’applique pas dans le cadre d’un litige en contrefaçon de brevet européen
mettant en cause plusieurs sociétés, établies dans différents États contractants,
pour des faits qui auraient été commis sur le territoire d’un ou de plusieurs de
ces États, même dans l’hypothèse où lesdites sociétés, appartenant à un même
groupe, auraient agi de manière identique ou similaire, conformément à une
politique commune qui aurait été élaborée par une seule d’entre elles 110 ».
Dès lors, on peut déduire de cet arrêt que le simple fait que des juridictions
d’États membres différents soient saisies d’actions en contrefaçon n’est pas, en
soi, suffisant pour créer un lien de connexité et ce, même si les défendeurs
sont des sociétés appartenant à un même groupe et qu’il apparaît qu’elles ont
agi de concert. Il s’agit donc d’une remise en cause explicite de la théorie de
l’araignée dans sa toile 111.

5. Litispendance et connexité
a) La listispendance
La question de la litispendance est gouvernée par l’article 27 du Règle-
ment Bruxelles I. Deux règles y sont inscrites. Selon l’article 27,
paragraphe 1, « lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause
sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres
différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce
que la compétence du tribunal premier saisi soit établie ». L’article 27,
paragraphe 2, poursuit en énonçant que, « lorsque la compétence du tribunal
saisi en premier lieu est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en
faveur de celui-ci ».
L’article 27 a été conçu afin d’éviter que la juridiction d’un État membre
soit empêchée de reconnaître une décision prise par une juridiction d’un autre
État membre en application de l’article 34 du Règlement Bruxelles I 112 . Aux

108. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535.
109. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 637.
110. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535, dispositif.
111. Pour de plus amples informations, voy. C. GONZALES BEILFUSS, « Is There Any Web for the
Spider : Jurisdiction over Co-defendants after Roche Nederland », op. cit.
112. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 498.

ANTHEMIS 41
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

termes de cette dernière disposition, une décision n’est pas reconnue, notam-
ment si « elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes par-
ties dans l’État membre requis ».
Une conséquence néfaste de l’article 27 consiste en ce qu’il permet à un
contrefacteur, lorsqu’il craint qu’une action soit intentée à son encontre dans
un État déterminé de l’Union européenne, d’introduire une action « préven-
tive » (en déclaration de non contrefaçon, lorsque le droit national le permet,
ou éventuellement en annulation ou en déchéance) et ainsi de prendre avan-
tage de la règle de litispendance pour retarder le règlement de l’action en
contrefaçon 113. On a parlé notamment de « torpilles italiennes » (ou belges)
parce que le potentiel défendeur optera en général pour la juridiction d’un
État réputé pour la lenteur de sa justice… 114.
En Belgique, le tribunal de première instance de Bruxelles a considéré
que l’introduction d’une action en déclaration de non contrefaçon dans le but
de paralyser l’action en contrefaçon constitue un abus du droit de recourir à
l’article 27 du Règlement Bruxelles I dans la mesure où ce dernier est
détourné de son but 115.
La question de savoir si l’article 27 s’applique lorsque la deuxième juri-
diction a une compétence exclusive en vertu d’une clause attributive de juridic-
tion a reçu une réponse affirmative dans l’arrêt Gasser 116. Selon la Cour, le
juge saisi en second lieu et dont la compétence a été revendiquée en vertu
d’une clause attributive de juridiction doit néanmoins surseoir à statuer jusqu’à
ce que le juge saisi en premier lieu se soit déclaré incompétent. En outre, il
ne saurait être dérogé à cette obligation de surséance lorsque, d’une manière
générale, la durée des procédures devant les juridictions de l’État contractant
dans lequel le tribunal saisi en premier lieu a son siège est excessivement lon-
gue.

b) La connexité

L’article 28 du Règlement Bruxelles I règle la question de la connexité.


Il y a connexité au sens de cette disposition lorsque des demandes sont « liées
entre elles par un rapport si étroit qu’il y a lieu de les instruire et les juger en

113. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., , p. 208,
pt 5.215.
114. Ibid., pt 5.216.
115. Tribunal de première instance de Bruxelles, 12 mai 2000, Röhm Enzyme, IER, 2000, p. 227.
116. C.J.U.E., 9 décembre 2003, aff. Gasser GmbH c. Misat Srl, C-116/02, Rec., 2003, p. I-14721.

42 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les
causes étaient jugées séparément » 117. 1
L’article 28, paragraphe 1, dispose que, « lorsque les demandes connexes
sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction
saisie en second lieu peut surseoir à statuer ». L’article 28, paragraphe 2, ajoute que,
« lorsque ces demandes sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en
second lieu peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condi-
tion que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des demandes en
question et que sa loi permette leur jonction ».
La notion de connexité avait été interprétée par la Cour de justice dans son
arrêt Tatry rendu sous l’empire de la Convention de Bruxelles 118. La Cour
avait dit pour droit que, pour qu’il y ait connexité entre deux causes, « il suffit
que leur instruction et leur jugement séparés comportent le risque d’une con-
trariété de décisions, sans qu’il soit nécessaire qu’ils comportent le risque de
conduire à des conséquences juridiques s’excluant mutuellement » 119. Cepen-
dant, cette interprétation large de la notion de connexité semble remise en
cause par l’arrêt Roche, précité, de la Cour de justice de l’Union euro-
péenne 120. Dans cet arrêt relatif à l’article 6 du Règlement Bruxelles I (défen-
deurs multiples) dont le libellé est identique à celui de l’article 28, la Cour a
en effet dit pour droit que, « pour que des décisions puissent être considérées
comme contradictoires, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la
solution du litige, mais il faut encore que cette divergence s’inscrive dans le
cadre d’une même situation de fait et de droit ». Et, toujours selon l’arrêt
Roche, lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont sai-
sies d’actions en contrefaçon d’un brevet européen délivré dans chacun de ces
États (…), d’éventuelles divergences entre les décisions rendues par les juridic-
tions en cause ne s’inscriraient pas dans le cadre d’une même situation de
droit. D’éventuelles décisions divergentes ne sauraient donc être qualifiées de
contradictoires » 121.

117. Art. 28, § 3, Réglement Bruxelles I.


118. C.J.U.E., 6 décembre 1994, aff. Tatry c. Maciej Rataj, C-406/92, Rec., 1994, p. I-5439, pt 52.
119. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 637.
120. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535, pt 26.
121. Op. cit., pts 31-32.

ANTHEMIS 43
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

SECTION 3
Le contentieux contractuel
Rappelons qu’il existe différentes catégories de contrats impliquant des
droits intellectuels. Dans le domaine de la propriété industrielle, on mention-
nera principalement le contrat de cession et le contrat de licence – auquel
sont apparentés les accords dits de transfert de technologie, de même que les
accords de coexistence – ; un contrat de distribution, notamment de fran-
chise, peut également contenir des clauses relatives à des droits de propriété
industrielle 122.
Comme pour les sections précédentes, les règles spécifiques seront abor-
dées dans un premier temps, puis les règles générales prescrites par le Règle-
ment Bruxelles I.

A. Règles propres à certains droits intellectuels


1. La marque communautaire
Comme on l’a vu, les dispositions du Règlement Bruxelles I sont appli-
cables aux procédures relatives à la marque communautaire sauf lorsque le
Règlement 207/2009 y déroge (cf. article 94.1 de ce dernier règlement). Or,
aucune règle dérogatoire n’est prévue en ce qui concerne le contentieux con-
tractuel en matière de marque communautaire. En effet, les règles de compé-
tence particulières énoncées aux articles 96 et suivant ne concernent que les
litiges « en matière de validité et de contrefaçon » de marques communautai-
res. Par conséquent, les dispositions du Règlement Bruxelles I sont applicables
aux litiges purement contractuels 123.
L’article 106 du Règlement sur la marque communautaire précise que
« dans l’État membre dont les tribunaux sont compétents conformément (au
Règlement Bruxelles I), les actions autres que celles visées à l’article 96 sont
portées devant les tribunaux qui auraient compétence territoriale et d’attribution
s’il s’agissait d’actions relatives à des marques nationales enregistrées dans l’État
concerné 124. Par conséquent, un tribunal qui n’a pas compétence pour se
prononcer sur la validité d’une marque communautaire pourrait valablement
être saisi d’une action de nature contractuelle. En Belgique, par exemple, une
telle action pourrait le cas échéant être introduite devant le tribunal de com-

122. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 745,
pt 14.01.
123. Ibid., p. 409, pt 8.07.
124. Art. 106.1 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la
marque communautaire, J.O.U.E, 24 mars 2009, L 78/1.

44 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

merce de Liège. Toutefois, si le défendeur entend former une action en


annulation – pour échapper par exemple à son obligation de payer le prix
d’une cession –, il ne pourra alors agir par voie reconventionnelle mais devra
1
saisir le tribunal de commerce de Bruxelles, ou un autre tribunal des marques
communautaires territorialement compétent.
De son côté, l’article 106, paragraphe 2, prévoit que « si aucun tribunal
n’est compétent en vertu de l’article 94, paragraphe 1, (renvoyant au Règle-
ment Bruxelles I), l’action pourra être portée devant les tribunaux de l’État
membre où l’O.H.M.I. à son siège 125.

2. Le dessin ou modèle communautaire


La rédaction de l’article 79 du Règlement sur les dessins et modèles com-
munautaires est quasiment identique à celle de l’article 94 du Règlement sur la
marque communautaire que nous venons d’analyser. De même, les articles 93
et 94 concernant les autres litiges relatifs aux dessins et modèles sont-ils simi-
laires aux articles 106 et 107 du Règlement sur la marque communautaire.

3. Les obtentions végétales communautaires


Rappelons que l’application du Règlement de Bruxelles I n’est pas expli-
citement réservée dans le Règlement communautaire relatif aux obtentions
végétales. Néanmoins, il est admis que les dispositions dudit Règlement
s’appliquent 126.

4. La marque et le dessin ou modèle Benelux


Comme nous l’avons déjà indiqué, la Convention Benelux sur la pro-
priété intellectuelle a primauté sur le Règlement Bruxelles I 127. L’article 4.6
de cette Convention s’applique à tous les litiges 128 relatifs à une marque ou à
un dessin ou modèles Benelux, donc également en matière contractuelle.
Dans ce domaine, le tribunal compétent sera le plus souvent celui choisi par
les parties (clause d’élection de for, dont l’application est expressément réservée
par l’article 4.6). À défaut, le demandeur aura le choix de porter le litige
devant les tribunaux du domicile du défendeur ou du lieu où l’obligation litigieuse

125. Ibid., art. 106.2.


126. Voy. section 2, A, 4.
127. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », in D. KAESMA-
CHER, Les droits intellectuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 136 ; A. BRAUN et E. CORNU, Précis des
Marques, 5e éd., Bruxelles, Larcier, 2009, p. 648.
128. M. PERTEGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit., p. 137.

ANTHEMIS 45
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

est née, a été ou doit être exécutée. Si ces critères sont insuffiants pour déter-
miner la compétence du tribunal, le demandeur pourra saisir les tribunaux du
lieu de son domicile ou de sa résidence, à condition qu’ils soient situés sur le
territoire du Benelux. En dernier recours, il pourra choisir entre le tribunal
de Bruxelles, celui de La Haye et celui de Luxembourg.

B. Les règles générales


En matière contractuelle, la règle de compétence générale du domicile
du défendeur, prévue à l’article 2 du Règlement Bruxelles I, est complétée
par une règle de compétence spéciale énoncée à l’article 5.1 de ce Règle-
ment. En vertu de cette dernière disposition, le demandeur peut attraire le
défendeur devant « le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la
demande a été ou doit être exécutée ». Il faudra également prendre en consi-
dération l’existence possible d’une clause attributive de juridiction, comme le
prévoit l’article 23 du Règlement.

1. L’article 23 du Règlement Bruxelles I


Il n’est pas rare de trouver des clauses attributives de juridiction dans des
contrats de licence ou dans d’autres types de contrats en matière de droits
intellectuels. Ces clauses permettent, d’une part, de contribuer à la sécurité
juridique et d’autre part, de réduire les coûts de procédure en concentrant les
litiges devant une seule juridiction 129. En vertu de l’article 23 du Règlement
Bruxelles I, si les parties ont convenu d’un tribunal ou des tribunaux d’un État
membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rap-
port de droit déterminé, ces tribunaux ont une compétence exclusive pour
connaître desdits litiges.
L’article 23 s’applique à condition qu’une des parties soit domiciliée sur
le territoire d’un État membre. De plus, la prorogation de compétence ne
peut avoir lieu qu’au profit d’un tribunal localisé sur le territoire d’un des
États membres de l’Union européenne. Enfin, on notera que la clause attri-
butive de compétence doit être valide et certaine 130.
Une question particulière mérite d’être soulevée : celle de savoir si un tri-
bunal choisi par les parties peut connaître de la contrefaçon d’un droit intellec-
tuel par le bénéficiaire d’une licence qui aurait outrepassé les limites de
l’autorisation d’exploiter qui lui a été reconnue. Telle serait le cas, par exem-

129. D. MOURA VICENTE, La propriété intellectuelle et le droit international privé, Brill Academic pub,
2009, p. 432.
130. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 395.

46 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

ple, si un licencié exploitait un brevet hors du territoire concédé. Selon D.


Moura Vicente, lorsque les parties ont convenu que tous les litiges découlant
du contrat seront de la compétence d’un tribunal de leur choix, il faut consi-
1
dérer que ce tribunal est compétent pour connaître de l’action en contrefaçon
en raison « du lien étroit qui existe entre le contrat et le délit invoqué » 131.

L’article 23 revêt une importance particulière en matière contractuelle


de par sa position privilégiée au sein de la hiérarchie des règles de compé-
tence du Règlement Bruxelles I. En effet, une clause de compétence valable
fera toujours échec à l’application des articles 2 (domicile du défendeur)
comme 5 (lieu d’exécution des obligations) du Règlement Bruxelles I.
Lorsqu’une clause attributive de juridiction est insérée dans un contrat, le
demandeur devra attraire la partie défenderesse devant la juridiction compé-
tente en vertu de cette clause. Dans les développements qui suivent, on sup-
pose donc l’absence de clause d’élection de for.

2. L’article 5.1 a) du Règlement Bruxelles I


Il résulte de l’article 5.1 du Règlement Bruxelles I qu’en matière con-
tractuelle, une personne va parfois pouvoir être attraite devant les juridictions
d’un autre État membre que celle de son domicile. Cette dérogation à la
compétence de principe du juge du lieu du domicile du défendeur 132 est jus-
tifiée « par l’existence d’un lien étroit de rattachement entre le contrat et le
tribunal appelé à le connaître » 133. Les contrats en matière de propriété intel-
lectuelle relèvent du champ d’application de cet article.

L’article 5.1 énonce deux règles de compétence internationale. La pre-


mière concerne tous les contrats et prévoit que le litige doit être porté devant
le tribunal du « lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être
exécutée » 134. La deuxième règle vise spécifiquement deux types de contrats :
le contrat de vente de marchandises et le contrat de fourniture de services 135. Pour
ces deux contrats, un critère autonome de rattachement est précisé dans un
but de sécurité juridique : il s’agit, pour les contrats de vente de marchandi-
ses, du lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont
été ou auraient dû être livrées et, pour les contrats de fourniture de services,

131. D. MOURA VICENTE, La propriété intellectuelle et le droit international privé, op. cit., p. 433.
132. Art. 2 du Règlement Bruxelles I.
133. C.J.U.E., 23 avril 2009, aff. Falco c. Weller-Lindhorst, C-533/07, pt 24.
134. Art. 5.1.a du Règlement Bruxelles I.
135. Ibid., art. 5.1.b du Règlement Bruxelles I.

ANTHEMIS 47
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

du lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services auraient dû
être fournis.
La question s’est posée de savoir si un contrat de licence constitue un con-
trat de fourniture de services ou bien s’il tombe dans la catégorie résiduelle de
l’article 5.1.a). La Cour de justice a répondu, dans son arrêt Falco du 23 avril
2009, qu’un « contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellec-
tuelle concède à son cocontractant le droit de l’exploiter en contrepartie du
versement d’une rémunération, n’est pas un contrat de fourniture au sens de
cette disposition » 136. Par conséquent, les litiges découlant d’un contrat de
licence devront, le cas échéant, être dissociés : en cas de demandes multiples, il
faudra vérifier le lieu d’éxécution de chacune des obligations qui servent de
base auxdites demandes. La détermination de ce lieu est abandonnée par la
Cour de justice à l’appréciation du juge national 137 : elle se borne en effet à
préciser que c’est au juge saisi qu’il appartient d’établir « si le lieu d’exécution
de l’obligation est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale » 138.
La Cour a également précisé que le juge détermine le lieu où l’obligation doit
être exécutée par rapport à la loi applicable à l’obligation 139 et non par rapport à
la loi du for.
Par application de ces principes, le donneur de licence qui entend recou-
vrer des royalties pourrait être amené à assigner devant le tribunal du lieu du
domicile du licencié, si le contrat est soumis au droit belge où les dettes sont
quérables, tandis que le licencié devrait agir devant d’autres tribunaux sous
forme d’une demande « reconventionnelle » 140.

3. Un cas spécifique : les contrats individuels de travail


Les contrats individuels de travail sont soumis à un régime de compé-
tence spécifique, lequel pourra trouver à s’appliquer, notamment, lorsqu’un
employeur et son employé se disputent un titre de propriété intellectuelle en
l’absence de tout acte de contrefaçon.
L’article 19 du Règlement Bruxelles I dispose que l’employeur peut être
attrait devant les tribunaux de l’État membre où il a son domicile. Il peut aussi

136. C.J.U.E., 23 avril 2009, aff. Falco c. Weller-Lindhorst, C-533/07.


137. S. FRANCQ, E. ALVAREZ ARMAS et M. DECHAMPS, « L’actualité de l’article 5.1 du Règlement
Bruxelles I : évaluation des premiers arrêts interprétatifs portant sur la disposition relative à la
compétence judiciaire internationale en matière contractuelle », Cahier du CeDIE, n° 2011/2.
138. C.J.U.E., 6 octobre 1976, aff. Tessili, C-12/76, Rec., 1976, p. I-1473, pt 13.
139. Ibid., pt 14.
140. Rappelons que la connexité n’est pas attributive de compétence en droit international privé.

48 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

être attrait, dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le tra-
vailleur accomplit (ou a accompli) habituellement son travail ou, si ce travail
a été accompli dans différents pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou
1
se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur.
L’action de l’employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de
l’État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile, conformé-
ment au prescrit de l’article 20 du Règlement Bruxelles I.
Notons qu’une clause attributive de compétence ne peut déroger aux
articles 19 et 20 susmentionnés qu’à la condition qu’elle soit postérieure à la
naissance du litige ou bien qu’elle autorise le travailleur à saisir d’autres tribu-
naux que ceux indiqués à la présente section 141.

SECTION 4
Les mesures provisoires et conservatoires
Nous avons vu dans les sections précédentes quelles sont les règles prin-
cipales pour déterminer la juridiction compétente pour connaître du fond
d’un litige relatif à la propriété intellectuelle. Il reste à examiner le régime des
actions visant à l’obtention de mesures provisoires ou conservatoires. De tel-
les procédures visent, en substance, à éviter au demandeur de subir un préju-
dice en raison de la lenteur du procès au fond.
Concernant les mesures provisoires, l’article 50 de l’accord A.D.P.I.C. 142,
comme l’article 9 de la directive relative au respect des droits en matière de
propriété intellectuelle 143, contraignent les États membres de l’Union euro-
péenne, d’une part, à prévoir des mesures provisoires pour la protection des
droits intellectuels et, d’autre part, « à assortir ces mesures de modalités tendant
à la sauvegarde des intérêts du défendeur » 144.

141. Art. 21 du Règlement Bruxelles I.


142. Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, annexe 1
C à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, annexé à l’acte final reprenant les
résultats des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay signé à Marrakech le
15 avril 1994 approuvé par une décision CE/94/800 du Conseil du 22 décembre 1994 relative
à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières rele-
vant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycles d’Uruguay (1986-
1994), J.O.U.E., 23 décembre 1994, L 336, p. I 214.
143. Directive 2004/48 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des
droits de propriété intellectuelle, J.O.U.E., 30 avril 2004, L 195, 2 juin 2004.
144. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partager
les inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 567.

ANTHEMIS 49
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

Dans son arrêt Hermès, La Cour de justice de l’Union européenne, saisie


à titre préjudiciel, a indiqué qu’il fallait considérer comme mesure provi-
soire, au sens de l’article 50 de l’accord A.D.P.I.C., « une mesure dont
l’objet est de mettre fin aux prétendues infractions à un droit intellectuel et
qui est adoptée dans le cadre d’une procédure caractérisée par les éléments
suivants :
– la mesure est qualifiée en droit national de “mesure immédiate provi-
soire” et son adoption doit s’imposer “en raison de l’urgence” ;
– la partie adverse est citée et, si elle comparaît, elle est entendue ;
– la décision peut faire l’objet d’une procédure d’appel ; et
– bien que les parties puissent toujours engager une procédure au fond, la
décision est très souvent acceptée par les parties comme une solution
définitive à leur différend » 145.

Soulignons encore qu’afin de se conformer à ces dispositions de droit


international et européen, l’article 584 du Code judiciaire belge a été com-
plété par un cinquième point 146 renforçant le pouvoir du juge statuant en
référé dans le domaine de la propriété intellectuelle : il peut désormais ordon-
ner une mesure de saisie conservatoire, sans que la preuve d’une créance liquide
et certaine doive être apportée 147. De plus, la procédure de saisie en matière de
contrefaçon, désormais réglementée à l’article 1369bis du Code judiciaire, a été
revue 148.

145. C.J.U.E., 16 juin 1998, aff. Hermès International c. FHT, C-53/96, Rec., 1998, p. I-3637, pt 45.
146. L’article 584, point 5, dispose que le président du tribunal de première instance ou du tribunal
de commerce statuant au provisoire peut : « ordonner, dans le cas d’une atteinte à un droit de
propriété intellectuelle visé a l’article 1369bis/1, commise à l’échelle commerciale, et à la
demande du titulaire de ce droit qui justifie de circonstances susceptibles de compromettre le
recouvrement des dommages et intérêts, la saisie à titre conservatoire des biens mobiliers et
immobiliers du contrefacteur supposé, et le cas échéant le blocage des comptes bancaires et des
autres avoirs de ce dernier. Le président, statuant sur cette demande, vérifie : 1) si le droit de
propriété intellectuelle dont la protection est invoquée est, selon toutes apparences, valable ; 2)
si l’atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause ne peut être raisonnablement contestée ;
3) si, après avoir fait une pondération des intérêts en présence, dont l’intérêt général, les faits et,
le cas échéant, les pièces sur lesquelles le demandeur se fonde sont de nature à justifier raisonna-
blement la saisie tendant à la protection du droit de propriété intellectuelle invoqué. »
147. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partager
les inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 567.
148. Voy. le rapport de F. DE VISSCHER et P. BRUWIER dans le présent ouvrage.

50 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

A. Règles de compétence particulières


1. La marque communautaire 1
Le Règlement sur la marque communautaire prévoit un régime de com-
pétence spécifique quant aux mesures provisoires. En effet, l’article 94,
paragraphe 2, du Règlement exclut expressément l’application de l’article 31
du Règlement de Bruxelles I, relatif à cette matière, dès lors que les mesures
dont question concernent la contrefaçon d’une marque communautaire.
Deux règles spécifiques sont inscrites à l’article 103 du Règlement sur la mar-
que communautaire.
L’article 103, paragraphe 1, dispose que les mesures provisoires et con-
servatoires prévues par la loi d’un État membre à propos d’une marque natio-
nale peuvent être demandées à propos d’une marque communautaire aux
autorités judiciaires de cet État, en ce compris aux tribunaux des marques com-
munautaires. Il semble résulter de cette disposition qu’une requête en vue de
pratiquer une saisie en matière de contrefaçon dans le cadre d’une atteinte
suspectée à une marque communautaire pourrait être déposée auprès non
seulement du président du tribunal de commerce de Bruxelles mais égale-
ment des présidents des autres tribunaux de commerce sis au siège d’une cour
d’appel 149.
En revanche, selon les termes de l’article 103, paragraphe 2, du Règle-
ment sur la marque communautaire, seuls les tribunaux des marques commu-
nautaires compétents territorialement en vertu de l’article 97, paragraphes 1 à
4, de ce Règlement sont habilités à prendre des mesures provisoires et conser-
vatoires ayant un effet extra-territorial dans l’Union européenne. Pour rappel, il
s’agit des tribunaux de marque communautaire dont la compétence est fondée
sur le critère personnel déduit du domicile ou de la résidence du défendeur
ou, à défaut, du demandeur. Il s’ensuit que ni le tribunal des marques commu-
nautaires compétent sur la base du seul lieu de la contrefaçon (art. 97, par. 5),
ni les tribunaux nationaux qui n’ont pas la qualité de tribunaux de marques
communautaires ne peuvent décider de mesures provisoires ou conservatoires
ayant un tel effet extra-territorial : l’effet des mesures que ces tribunaux pour-
raient ordonner est limité au territoire sur lequel ils sont établis.

2. Le modèle communautaire
L’article 31 du Règlement Bruxelles I est également écarté lorsque la
mesure vise la contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire. L’article 90

149. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 428, pt 8.89.

ANTHEMIS 51
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

du Règlement sur les dessins et modèles communautaires, consacré aux mesu-


res provisoires et conservatoires, reprend les règles examinées ci-dessus à l’arti-
cle 103, paragraphes 1 et 2, du Règlement sur la marque communautaire 150.

3. Les obtentions végétales communautaires


Le Règlement relatif aux obtentions végétales communautaires ne con-
tient pas de règles particulières de compétence concernant les mesures provi-
soires ou conservatoires. Dès lors, l’article 31 du Règlement Bruxelles I
trouvera à s’appliquer.

B. Le régime prévu par le Règlement Bruxelles I


1. Les mesures provisoires et conservatoires : définition
La notion communautaire de mesures provisoires et conservatoires au sens de
l’article 31 doit être interprétée de manière autonome. La Cour de justice de
l’Union européenne les a définies comme étant des mesures « destinées à
maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont
la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond » 151.
La définition de mesures provisoires et conservatoires adoptée par la
Cour de justice est plus restrictive que celle que donnée par les juridictions de
certains États membres 152. L’action « en cessation » propre à la protection des
droits de propriété intellectuelle ne nous paraît en tout cas pas visée par l’arti-
cle 31, dès lors que le président du tribunal rend une décision ayant autorité
de chose jugée.

2. Compétence au provisoire du juge du fond


La Cour de justice a précisé que « la juridiction compétente pour con-
naître du fond d’une affaire en vertu d’un des chefs de compétence prévu à la
convention reste également compétente pour ordonner des mesures provisoires
ou conservatoires, sans que cette dernière compétence soit subordonnée à
d’autres conditions » 153. En d’autres mots, le juge du fond ne doit pas avoir

150. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 236,
pt 8.129.
151. C.J.U.E., 26 mars 1992, aff. Reichert II, C-261/90, Rec., I-2149.
152. K. SZYCHOWSKA, « Jurisdiction to Grant Provisional and Protective Measures in Intellectuel
Property Matters », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Information Tech-
nology, Kluwer Law International, 2008, pp. 207 et s.
153. C.J.U.E., 17 novembre 1998, aff. Van Uden c. Déco-line, C-391/95, Rec., 1998, p. I-7091, pt 22.

52 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle

recours à l’article 31 du Règlement de Bruxelles I pour statuer au provisoire


lorsqu’il est compétent en vertu du Règlement Bruxelles I. 1
3. Compétence du juge au provisoire
L’article 31 du Règlement Bruxelles I prévoit que : « les mesures provi-
soires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être
demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du (…)
Règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétent pour con-
naître du fond ». Cet article confère donc la possibilité au titulaire d’un droit
de propriété intellectuelle de saisir un tribunal national d’un litige qui ne res-
sortit pas de sa compétence habituelle, afin d’obtenir des mesures provisoires
ou conservatoires 154. Il faut toutefois que la compétence du tribunal con-
cerné puisse être fondée sur une disposition de droit interne. Nous renvoyons
à cet égard au rapport de Me Dessard relatif à la compétence interne des juri-
dictions belges.

4. Champ d’application ratione temporae


En raison de son caractère autonome, l’article 31 trouve à s’appliquer
même si le litige au fond n’est pas encore pendant. Par contre, une fois que le
jugement au fond a été rendu, la juridiction nationale ne peut plus être saisie
sur la base de cet article 155.

5. L’exigence d’un lien de rattachement


La Cour de justice exige que la saisine du juge national soit « subordon-
née, notamment, à la condition de l’existence d’un lien de rattachement réel
entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’État (…)
du juge saisi » 156.
À cet égard, une question controversée est celle de savoir si le juge
national peut prendre des mesures provisoires extra-territoriales. Deux arrêts de
la Cour de justice de l’Union européenne ont implicitement reconnu que des
mesures provisoires et conservatoires octroyées sur la base de l’article 31 pou-
vaient avoir un effet extra-territorial 157 mais, dès lors que les mesures en
question dans ces décisions avaient trait au paiement de sommes d’argent, il
n’est pas certain qu’un tel effet puisse être reconnu à d’autres types de mesu-

154. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 243.
155. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 524.
156. C.J.U.E., 17 novembre 1998, aff. Van Uden c. Déco-line, C-391/95, Rec., 1998, p. I-7091, pt 40.
157. C.J.U.E., 21 mai 1980, aff. Denilauler c. Couchet Frère, C-125/79, Rec., 1980, p. I-1553 et
C.J.U.E., 27 avril 1999, Mietz c. Intership Yachting Sneek BV, C-99/96, Rec., 1999, p. I-2277.

ANTHEMIS 53
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)

res conservatoires et provisoires, telles celles envisagées dans cette section 158.
Selon, K. Szychowska, une interprétation plus flexible de l’exigence d’un lien
de rattachement est souhaitable afin de mieux protéger les titulaires de droits
intellectuels ; est approuvée à cet égard l’approche du président du tribunal
de première instance de Bruxelles dans l’affaire Altana pharma 159. Dans cette
affaire, les défendeurs avaient présenté durant une foire internationale à
Bruxelles un produit médical dont le demandeur prétendait qu’il s’agissait
d’une contrefaçon de son brevet, protégé dans plusieurs États membres.
S’appuyant sur le fait que les défendeurs souhaitaient continuer à présenter la
prétendue contrefaçon, le tribunal a ordonné une mesure provisoire d’inter-
diction de contrefaçon sur le territoire belge ainsi que dans les pays où
l’invention bénéficiait d’une protection par brevet.

158. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 524 ;
voy. égal. C.J.U.E., 17 novembre 1988, aff. Van Uden c. Déco-line, précitée.
159. Tribunal de première instance de Bruxelles (près.), 25 mars 2005, Altana pharma c. Europharma
Laboratorios, I.R. D.I., 2005, p. 302, note K. ROOX, « De Altana Pharma-beschikking : opniew
een Belgische grensoverschrijdende beslissing in kort geding ».

54 ANTHEMIS

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