CUP132 - A. Jespers Et B. Vanbrabant
CUP132 - A. Jespers Et B. Vanbrabant
CUP132 - A. Jespers Et B. Vanbrabant
Bernard VANBRABANT
Maître de conférences à l’U.Lg., avocat
SOMMAIRE
Introduction 16
SECTION 1
Les litiges relatifs à l’enregistrement ou à la validité
de droits de propriété intellectuelle 18
SECTION 2
Les actions en contrefaçon 29
SECTION 3
Le contentieux contractuel 44
SECTION 4
Les mesures provisoires et conservatoires 49
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
Introduction
Le droit international privé de la propriété intellectuelle a connu une con-
sidérable évolution lorsque fut adoptée, en 1968, la Convention de Bruxelles
concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière
civile et commerciale. La théorie traditionnelle, selon laquelle étaient seuls
compétents pour connaître des litiges concernant un droit de propriété intellec-
tuelle, les tribunaux du pays dans lequel ce droit est appelé à déployer ses effets
(forum loci protectionis), a alors été, sinon abandonnée, du moins largement
nuancée ; aujourd’hui, les tribunaux d’un État membre peuvent connaître d’un
certain nombre de litiges relatifs à des droits intellectuels sur la base d’autres cri-
tères de rattachement, y compris celui déduit du domicile du défendeur 1.
Les sources du droit international privé de la propriété intellectuelle sont
multiples : il faut avoir égard à diverses conventions internationales – tout
particulièrement la Convention Benelux en matière de propriété intellec-
tuelle (marques, dessins et modèles), – à plusieurs instruments de droit euro-
péen et, à titre subsidiaire, à l’article 86 de notre Code de droit international
privé 2.
Au niveau de l’Europe, pas moins de quatre instruments généraux de
droit international privé sont susceptibles de s’appliquer : la Convention de
Bruxelles de 1968 3, la Convention de Lugano 4, l’Accord entre l’Union
européenne et le Danemark 5 et le Règlement 44/2001, dit Bruxelles I 6. Ces
quatre instruments ont un champ d’application matériel identique dès lors
qu’ils concernent la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière civile et commerciale. Les règles de compétence
16 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
ANTHEMIS 17
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
SECTION 1
9. Cf. art. 67 Règlement Bruxelles I : « Le présent règlement ne préjuge pas de l’application des
dispositions qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnais-
sance et l’exécution des décisions et qui sont contenues dans les actes communautaires ou dans
les législations nationales harmonisées en exécution de ces actes.
10. Cf. art. 71 Règlement Bruxelles I : 1. Le présent règlement n’affecte pas les conventions aux-
quelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compé-
tence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.
2. En vue d’assurer son interprétation uniforme, le paragraphe 1 est appliqué de la manière
suivante :
a) le présent règlement ne fait pas obstacle à ce qu’un tribunal d’un État membre, partie à une
convention relative à une matière particulière, puisse fonder sa compétence sur une telle con-
vention, même si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État membre non partie à une
telle convention. Le tribunal saisi applique, en tout cas, l’article 26 du présent règlement ;
b) (…) ».
18 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
1. La marque communautaire
Le Règlement sur la marque communautaire instaure un régime de
compétence internationale spécifique 13. Deux catégories de juridictions sont
instaurées par ce Règlement : les tribunaux des marques communautaires 14,
qui sont des juridictions nationales, et l’Office de l’harmonisation dans le
marché intérieur (O.H.M.I.) 15.
11. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, 2nd Ed.,
Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 10, pt 1.09.
12. Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire,
la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., 16 janvier
2001, L 012, pp. 0001-0023.
13. Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la marque commu-
nautaire, J.O.U.E, 24 mars 2009, L 78/1.
14. Les tribunaux des marques communautaires seront abordés au sein de la section II consacrée à
l’action en contrefaçon.
15. Sur cet organe administratif ad hoc, jouant un rôle considérable dans le domaine de la propriété
intellectuelle européenne, cf. http://oami.europa.eu/ows/rw/pages/index.fr.do
ANTHEMIS 19
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
16. Art. 41,42 et 56, 57 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009,
sur la marque communautaire.
17. Art. 65 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la mar-
que communautaires.
18. Les tribunaux communautaires sont des tribunaux de première et deuxième instance désignés
par les États membres et chargés de remplir les fonctions attribuées par le Règlement sur la mar-
que communautaire.
19. Art. 104, § 2, Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la
marque communautaire.
20 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
20. Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles commu-
nautaires, J.O.U.E., 5 janvier 2002, L 3, modifié par le Règlement n° 1891/2006 du Conseil du
18 décembre 2006 modifiant les règlements n° 6/2002 et 40/94 en vue de donner effet à l’adhé-
sion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de La Haye concernant
l’enregistrement international des dessins et modèles industriels, J.O.U.E., 29 décembre 2006, L
386.
21. P. GREFFE et F. GREFFE, Traité des dessins et modèles, 7e éd., Paris, Litec, p. 592.
22. Art. 52 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles
communautaires.
23. Cf. art. 86.3 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou
modèles communautaires.
24. Ibid., art. 61.
ANTHEMIS 21
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
moins, outre la faculté de surséance déjà mentionnée, cette action sera irrece-
vable si l’O.H.M.I. a déjà rendu une décision sur la validité entre les mêmes
parties sur une demande ayant le même objet et la même cause 25.
22 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
ANTHEMIS 23
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
5. Le brevet européen
La Convention de Munich sur le brevet européen 37 établit une procé-
dure centralisée de délivrance de brevets. L’Office européen des brevets
(O.E.B.) est ainsi compétent pour décerner un titre de brevet européen qui
correspond à un faisceau de brevets nationaux indépendants 38.
24 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
2. Justification
La règle de compétence exclusive dont question constitue une exception
à la règle générale de compétence de la juridiction du lieu du domicile du
défendeur prévue à l’article 2 du Règlement Bruxelles I. Selon le rapport
Jenard 42, le caractère exclusif de cette règle se justifie parce que l’octroi d’un
titre de propriété intellectuelle national relève de l’exercice de souveraineté
nationale. Néanmoins, comme le remarque à juste titre M. Pertegas Sen-
der 43, la Cour de justice a recours à une autre justification : la nécessité de
réserver les litiges concernant la validité des droits intellectuels « aux juridic-
tion ayant avec eux une proximité matérielle et juridique » 44. La Cour a ainsi
42. Rapport explicatif sur la Convention de Bruxelles, J.O.U.E, 5 mars 1979, C 59, p. 36.
43. M. PERTEGÀS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, An Analysis of the Interface between Intel-
lectual Property and Private International Law. Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 154, pt 4.15.
44. C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. GAT c. LuK, § 21.
ANTHEMIS 25
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
jugé, dans l’affaire Duijnstee, que les juridictions des États du lieu de l’enregis-
trement ou du dépôt sont « les mieux placées pour connaître des cas dans les-
quels le litige porte lui-même sur la validité du brevet ou l’existence du dépôt
ou de l’enregistrement » 45.
4. Champ d’application
Le champ d’application de la compétence exclusive attribuée aux juri-
dictions nationales en vertu de l’article 22, paragraphe 4, est doublement
limité dès lors que cette disposition ne concerne que les droits intellectuels
sujets à enregistrement ou dépôt et ne vise que les questions relatives à l’ins-
cription ou la validité de ces droits. De plus, l’article 22, paragraphe 4, du
Règlement Bruxelles I ne s’applique qu’aux droits nationaux enregistrés par
un office national et aux droits faisant l’objet d’un dépôt international pro-
duisant les mêmes effets nationaux qu’un droit enregistré par un office
national. 47 Comme on l’a vu, les questions de validité concernant des titres
communautaires sont donc exclues du champ d’application de cette disposi-
tion.
26 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
5. Interprétation
La notion de litiges « en matière d’inscription ou de validité » recouvre
1
tous les litiges portant sur la validité, l’existence, la déchéance du droit ou encore
sur la revendication d’un droit de priorité fondé sur un dépôt antérieur 48. En
d’autres mots, la règle de compétence exclusive trouve à s’appliquer lorsque
le litige concerne directement le fonctionnement d’un service public 49. A
contrario, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les litiges liés à
la propriété des droits intellectuels et, plus particulièrement, à la détermination
du titulaire du brevet en cas d’invention d’employé, sont exclus du champ
d’application de l’article 22, paragraphe 4, du Règlement de Bruxelles, de
même que les litiges en matières de contrefaçon 50. Ce faisant la Cour a inter-
prété strictement le domaine de compétence exclusive 51.
Le cadre procédural dans lequel la règle de compétence exclusive trouve à
s’appliquer a, en revanche, été défini de manière extensive par la Cour de jus-
tice de l’Union européenne à l’occasion de l’arrêt GAT c. LuK 52. Dans cet
arrêt, la Cour, saisie à titre préjudiciel, a eu à connaître de la question de
savoir si la compétence exclusive des juridictions nationales pour statuer sur la
validité des titres de propriété intellectuelle sujets à enregistrement ou dépôt
s’applique seulement en cas de demande en nullité introduite à titre principal
ou si elle s’applique également lorsque le moyen de nullité est invoqué à titre
d’exception ou par le biais d’une action incidente. La Cour a jugé que ladite
règle « concerne tous les litiges portant sur l’inscription ou la validité d’un brevet, que la
question soit soulevée par voie d’action ou d’exception » 53. Cet arrêt a généralement
été mal accueilli par la doctrine 54. Il a, notamment, été mis en exergue que la
solution consacrée aboutit à restreindre considérablement la portée des règles
ANTHEMIS 27
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
28 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
SECTION 2
Les actions en contrefaçon
La contrefaçon se définit comme étant toute atteinte portée à un droit
intellectuel ; autrement dit, elle résulte de l’utilisation ou de l’exploitation de
« l’objet d’un droit de propriété intellectuelle protégé sans l’autorisation de
son titulaire » 63. Seul l’aspect civil de la compétence en matière de contrefa-
çon sera abordé dans les lignes qui suivent, dès lors que le Règlement Bruxel-
les I ne s’applique qu’en matière civile et commerciale.
Par analogie à la méthodologie appliquée dans la première section, nous
aborderons tout d’abord les règles de compétence spécifiques prévues dans
divers instruments communautaires et Benelux avant d’explorer les disposi-
tions applicables du Règlement Bruxelles I.
59. L’article 16.4 de la Convention de Bruxelles correspond à l’article 22.4 du Règlement Bruxelles I.
60. Opinion de l’Avocat général Geelhoed dans l’affaire GAT du 16 septembre 2004, Rec., 2006, p.
I-06509, pt 46.
61. « Cette juridiction ne pourrait s’opposer à un éclatement à tout le moins partiel du contentieux
en matière de brevets dès lors que, à titre incident, serait soulevée, comme cela est fréquent en
pratique et comme tel est le cas dans l’espèce au principal, la question de la validité du brevet en
cause ». C.J.U.E., 13 juillet 2006, aff. Roche Nederland BV c. Frederik Primus et Milton Goldenberg,
C-539/03, Rec., 2006, p. I-06535, pt 40.
62. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 371.
63. M. SCHNEIDER et F. GEVERS, « Lutte anti-contrefaçon », in D. KAESMACHER, Les droits intellec-
tuels, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 134.
64. Nous renvoyons à la section 1, A.
ANTHEMIS 29
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
1. La marque communautaire
a) Le Règlement sur la marque communautaire et le Règlement Bruxelles I
La relation entre le Règlement Bruxelles I et le Règlement sur la marque
communautaire est réglée par l’article 94 du Règlement sur la marque com-
munautaire. Cet article prévoit que le Règlement Bruxelles I est applicable
au litige concernant la validité et la contrefaçon d’une marque, sauf si le
Règlement sur la marque communautaire y déroge. L’article 94, paragra-
phe 2, spécifie que les articles 2, 4, 5, paragraphe 1, 5 paragraphe 3, 5 para-
graphe 4, 5 paragraphe 5 et 31 du Règlement Bruxelles I ne sont pas applica-
bles en matière de contrefaçon de marque communautaire.
Le Règlement sur la marque communautaire prévoit un régime de com-
pétence internationale spécifique pour le contentieux de la contrefaçon ;
celui-ci est attribué de façon exclusive aux « tribunaux des marques commu-
nautaires » 65.
65. Titre X du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la mar-
que communautaire.
66. Art. 95 du Règlement communautaire n° 207/2009.
67. Art. 96 du Règlement communautaire n° 207/2009.
30 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
f) La connexité
L’article 104 du Règlement sur la marque communautaire prescrit deux
règles spécifiques applicables en matière de connexité. La première vise la situa-
tion où un tribunal de marque communautaire a été saisi pout connaître d’une
action en contrefaçon alors que la validité de cette marque est déjà contestée
devant un autre tribunal. Dans cette situation, le tribunal saisi de la demande en
ANTHEMIS 31
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
g) Prorogations de compétence
Le Règlement sur la marque communautaire stipule encore que les
articles 23 et 24 du Règlement de Bruxelles sont applicables aux actions en
contrefaçon de marque communautaire. Dès lors, en vertu de l’article 23, les
parties peuvent convenir de la compétence d’un autre tribunal des marques
communautaires. L’article 24 est quant à lui applicable dès qu’un défendeur
comparait devant un tribunal de la marque communautaire sans élever de
déclinatoire de juridiction 74.
73. Art. 104, § 1, Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la
marque communautaire.
74. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 413.
75. Il s’agit en réalité d’une simple clarification dans la mesure où l’article 22, § 4, ne s’applique
qu’aux droits nationaux ou les droits faisant l’objet d’un dépôt international mais produisant les
mêmes effets qu’un droit national.
76. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 434.
32 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
77. M. PERTERGAS SENDER, « Règles de conflit de loi et compétence internationale », op. cit.,
p. 135 ; M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and Interna-
tional Private Law viewed from a Belgium Perspective », p. 15.
78. Art. 81 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles
communautaires, J.O.U.E., 5 janvier 2002, L 3 modifié par le Règlement n° 1891/2006 du
Conseil du 18 décembre 2006 modifiant les règlements n° 6/2002 et 40/94 en vue de donner
effet à l’adhésion de la Communauté européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de La
Haye concernant l’enregistrement international des dessins et modèles industriels, J.O.U.E.,
29 décembre 2006, L 386.
ANTHEMIS 33
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
f) L’étendue de la compétence
L’étendue de la compétence du tribunal des dessins et modèles commu-
nautaires dépend à nouveau du fondement de sa compétence. Lorsque le tri-
bunal est saisi sur la base du domicile ou de l’établissement, il peut statuer sur
des faits ou menaces de contrefaçon commis sur le territoire de tout État
membre. La saisine d’un tribunal de dessin ou modèle communautaire est
plus restreinte lorsque sa compétence découle du lieu de la contrefaçon : il ne
connaît alors que des faits de contrefaçon ou des menaces de contrefaçon
commis sur le territoire national 81.
g) Connexité
La question de la connexité est réglée comme en matière de marques
communautaires (cf. supra).
79. Art. 80.1, 80.2 et 80.3 du Règlement sur les dessins et modèles n° 6/2002 du Conseil sur les
dessins ou modèles communautaires.
80. Ibid., art. 82.5.
81. Ibid., art. 83.
82. Il est admis que les lacunes du Règlement concernant les obtentions végétales communautaires
doivent être comblées en priorité par l’application des dispositions du Règlement Bruxelles I,
même si on n’y trouve de référence qu’à la Convention de Lugano : voy. M.-Ch. JANSSENS,
« The relationship between Intellectual Property Law and International Private Law viewed
from a Belgium Perspective », in E. DIRIX et Y.-H. LELEU, The Belgian Report at the Congress of
Washington of the International Academy of Comparative Law, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 627 ;
U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, Brussels I
Regulation, Munich, Sellier, 2007, p. 16.
34 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
taires sont identiques à ceux prescrits par les Règlements sur la marque com-
munautaire et sur les dessins et modèles communautaires, de même d’ailleurs
que l’étendue de la saisine du juge. On se permet donc de renvoyer à ce qui a
1
été dit plus haut, en notant toutefois qu’à la différence des deux Règlements
susmentionnés, il semble que soit réservée l’application de toutes les provi-
sions du Règlement de Bruxelles 83.
83. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 627 ; U. MAGNUS et P. MANKOWSKI,
op. cit., p. 443.
84. Voir section 1, A, point 4.
85. Art. 4.5 de la Convention Benelux en matière de propriété intellectuelle adoptée le 25 février
2005 à La Haye.
86. Ibid., art. 4.6.1. Le lieu de naissance de l’obligation renvoie, à notre avis, au lieu où ont été com-
mis les faits de contrefaçon, ceux-ci donnant naissance à une obligation de réparation dans le chef
du contrefacteur. Le lieu d’exécution de l’obligation est, a priori, le lieu où reside le titulaire du
droit intellectuel violé créancier de dommages et intérêts, dans un système où les dettes sont qué-
rables comme en Belgique.
87. Ibid. art. 4.6.2.
ANTHEMIS 35
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
Notons que la Cour de justice Benelux a dit pour droit que lorsqu’une
demande ‘en matière de marques’ est formée conjointement par plusieurs
demandeurs devant un tribunal à l’intérieur du territoire Benelux, qui est com-
pétent à l’égard d’un de ces demandeurs (en vertu de l’article 37 L.U.B.M.,
équivalent de l’article 4.6 C.B.P.I.), et que le droit national de ce tribunal
prévoit qu’en cas de pluralité de demandeurs, la compétence à l’égard de l’un
emporte la compétence à l’égard des autres, ce tribunal est également compé-
tent à l’égard des demandes des autres demandeurs, même s’ils ne sont pas
établis dans son ressort » 88.
88. C.J. Benelux, 16 décembre 1991, aff. Burburry c. Bossi, A 90/4, C.J. Benelux-Jurisp., 1991, p. 16,
pt 50.
36 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
89. M. PERTEGAS SENDER, Cross-Border Enforcement of Patent Rights, op. cit., p. 56.
90. E. TREPPOZ, « Les litiges internationaux de la propriété intellectuelle et le droit international
privé », in J. DE WERRA, La Résolution des litiges de propriété intellectuelle, Bâle, Schulthess, 2010,
p. 84.
91. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 145,
pt 5.08.
92. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 89.
ANTHEMIS 37
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
38 ANTHEMIS
ANT12016_2.fm Page 39 Mardi, 7. février 2012 7:53 07
ne peut, en effet, statuer que sur le dommage subi sur son territoire 100, alors
que le juge du lieu de l’événement causal à l’origine du dommage sera com-
pétent pour réparer le dommage survenu dans tous les États membres 101.
1
Dégagée dans une espèce relative à un délit de presse, cette précision présente
une importance considérable dans le cadre des délits commis sur Internet, sou-
vent au préjudice de titulaires de droits intellectuels 102.
3. Comparution du défendeur
Un troisième chef de compétence pourrait encore être retenu en matière
de contrefaçon. L’article 24 du Règlement Bruxelles I dispose en effet que
« (…) le juge d’un État membre devant lequel le défendeur comparaît est
compétent », précisant que « cette règle n’est pas applicable si la comparution
a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction
exclusivement compétente en vertu de l’article 22 ». L’article 24 du Règle-
ment Bruxelles I est applicable en matière de contrefaçon.
100. Rappr. art. 86 C. D.I.P. : « Les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute
demande concernant la protection de droits de propriété intellectuelle, outre dans les cas prévus
par les dispositions générales de la présente loi, si cette demande vise une protection limitée au
territoire belge ».
101. C.J.U.E., 7 mars 1995, aff. Shevill c. Press Aliance, C- 68/93, Rec., 1995, p. I-415.
102. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., pp. 552
et s. Pour des informations complémentaires relatives aux délits commis sur internet, voy.
A. NUYTS, « Suing at the Place of Infringement : The Application of Article 5(3) of Regulation
44/2001 to IP Matters and Internet Disputes », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectuel
Property and Information Technology, Kluwer Law International, 2008.
103. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 336.
104. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 194.
ANTHEMIS 39
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
4. Pluralité de défendeurs
L’article 6, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I prévoit qu’une per-
sonne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite,
« s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux, à
condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a inté-
rêt à les instruire et les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être
inconciliables si les causes étaient jugées séparément ». Il s’agit également d’une
règle de compétence spéciale 105.
L’avantage de cette disposition est de conférer au demandeur la possibi-
lité de concentrer plusieurs litiges devant une juridiction unique. Inverse-
ment, ladite disposition présente l’inconvénient d’élargir considérablement
les possibilités de forum shopping.
La difficulté principale consiste à déterminer à partir de quand existe le
rapport étroit visé à l’article 27. En particulier, un tel rapport est-il présent
lorsqu’une même invention brevetée est exploitée sans autorisation par diver-
ses sociétés dans des États européens distincts ?
40 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
b) L’arrêt Roche
Dans son arrêt Roche 108, la Cour de justice de l’Union européenne a 1
retenu une interprétation plus restrictive de l’article 6, paragraphe 1 109. Selon
la Cour, « l’article 6, point 1 (…) doit être interprété en ce sens qu’il ne
s’applique pas dans le cadre d’un litige en contrefaçon de brevet européen
mettant en cause plusieurs sociétés, établies dans différents États contractants,
pour des faits qui auraient été commis sur le territoire d’un ou de plusieurs de
ces États, même dans l’hypothèse où lesdites sociétés, appartenant à un même
groupe, auraient agi de manière identique ou similaire, conformément à une
politique commune qui aurait été élaborée par une seule d’entre elles 110 ».
Dès lors, on peut déduire de cet arrêt que le simple fait que des juridictions
d’États membres différents soient saisies d’actions en contrefaçon n’est pas, en
soi, suffisant pour créer un lien de connexité et ce, même si les défendeurs
sont des sociétés appartenant à un même groupe et qu’il apparaît qu’elles ont
agi de concert. Il s’agit donc d’une remise en cause explicite de la théorie de
l’araignée dans sa toile 111.
5. Litispendance et connexité
a) La listispendance
La question de la litispendance est gouvernée par l’article 27 du Règle-
ment Bruxelles I. Deux règles y sont inscrites. Selon l’article 27,
paragraphe 1, « lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause
sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres
différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce
que la compétence du tribunal premier saisi soit établie ». L’article 27,
paragraphe 2, poursuit en énonçant que, « lorsque la compétence du tribunal
saisi en premier lieu est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en
faveur de celui-ci ».
L’article 27 a été conçu afin d’éviter que la juridiction d’un État membre
soit empêchée de reconnaître une décision prise par une juridiction d’un autre
État membre en application de l’article 34 du Règlement Bruxelles I 112 . Aux
108. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535.
109. M.-Ch. JANSSENS, « The relationship between Intellectual Property Law and International Pri-
vate Law viewed from a Belgium Perspective », op. cit., p. 637.
110. C.J.U.E., 13 juillet 2007, aff. Roche v. Primus, C-539/03, Rec., 2006, p. 6535, dispositif.
111. Pour de plus amples informations, voy. C. GONZALES BEILFUSS, « Is There Any Web for the
Spider : Jurisdiction over Co-defendants after Roche Nederland », op. cit.
112. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 498.
ANTHEMIS 41
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
termes de cette dernière disposition, une décision n’est pas reconnue, notam-
ment si « elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes par-
ties dans l’État membre requis ».
Une conséquence néfaste de l’article 27 consiste en ce qu’il permet à un
contrefacteur, lorsqu’il craint qu’une action soit intentée à son encontre dans
un État déterminé de l’Union européenne, d’introduire une action « préven-
tive » (en déclaration de non contrefaçon, lorsque le droit national le permet,
ou éventuellement en annulation ou en déchéance) et ainsi de prendre avan-
tage de la règle de litispendance pour retarder le règlement de l’action en
contrefaçon 113. On a parlé notamment de « torpilles italiennes » (ou belges)
parce que le potentiel défendeur optera en général pour la juridiction d’un
État réputé pour la lenteur de sa justice… 114.
En Belgique, le tribunal de première instance de Bruxelles a considéré
que l’introduction d’une action en déclaration de non contrefaçon dans le but
de paralyser l’action en contrefaçon constitue un abus du droit de recourir à
l’article 27 du Règlement Bruxelles I dans la mesure où ce dernier est
détourné de son but 115.
La question de savoir si l’article 27 s’applique lorsque la deuxième juri-
diction a une compétence exclusive en vertu d’une clause attributive de juridic-
tion a reçu une réponse affirmative dans l’arrêt Gasser 116. Selon la Cour, le
juge saisi en second lieu et dont la compétence a été revendiquée en vertu
d’une clause attributive de juridiction doit néanmoins surseoir à statuer jusqu’à
ce que le juge saisi en premier lieu se soit déclaré incompétent. En outre, il
ne saurait être dérogé à cette obligation de surséance lorsque, d’une manière
générale, la durée des procédures devant les juridictions de l’État contractant
dans lequel le tribunal saisi en premier lieu a son siège est excessivement lon-
gue.
b) La connexité
113. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., , p. 208,
pt 5.215.
114. Ibid., pt 5.216.
115. Tribunal de première instance de Bruxelles, 12 mai 2000, Röhm Enzyme, IER, 2000, p. 227.
116. C.J.U.E., 9 décembre 2003, aff. Gasser GmbH c. Misat Srl, C-116/02, Rec., 2003, p. I-14721.
42 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les
causes étaient jugées séparément » 117. 1
L’article 28, paragraphe 1, dispose que, « lorsque les demandes connexes
sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction
saisie en second lieu peut surseoir à statuer ». L’article 28, paragraphe 2, ajoute que,
« lorsque ces demandes sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en
second lieu peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condi-
tion que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des demandes en
question et que sa loi permette leur jonction ».
La notion de connexité avait été interprétée par la Cour de justice dans son
arrêt Tatry rendu sous l’empire de la Convention de Bruxelles 118. La Cour
avait dit pour droit que, pour qu’il y ait connexité entre deux causes, « il suffit
que leur instruction et leur jugement séparés comportent le risque d’une con-
trariété de décisions, sans qu’il soit nécessaire qu’ils comportent le risque de
conduire à des conséquences juridiques s’excluant mutuellement » 119. Cepen-
dant, cette interprétation large de la notion de connexité semble remise en
cause par l’arrêt Roche, précité, de la Cour de justice de l’Union euro-
péenne 120. Dans cet arrêt relatif à l’article 6 du Règlement Bruxelles I (défen-
deurs multiples) dont le libellé est identique à celui de l’article 28, la Cour a
en effet dit pour droit que, « pour que des décisions puissent être considérées
comme contradictoires, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la
solution du litige, mais il faut encore que cette divergence s’inscrive dans le
cadre d’une même situation de fait et de droit ». Et, toujours selon l’arrêt
Roche, lorsque plusieurs juridictions de différents États contractants sont sai-
sies d’actions en contrefaçon d’un brevet européen délivré dans chacun de ces
États (…), d’éventuelles divergences entre les décisions rendues par les juridic-
tions en cause ne s’inscriraient pas dans le cadre d’une même situation de
droit. D’éventuelles décisions divergentes ne sauraient donc être qualifiées de
contradictoires » 121.
ANTHEMIS 43
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
SECTION 3
Le contentieux contractuel
Rappelons qu’il existe différentes catégories de contrats impliquant des
droits intellectuels. Dans le domaine de la propriété industrielle, on mention-
nera principalement le contrat de cession et le contrat de licence – auquel
sont apparentés les accords dits de transfert de technologie, de même que les
accords de coexistence – ; un contrat de distribution, notamment de fran-
chise, peut également contenir des clauses relatives à des droits de propriété
industrielle 122.
Comme pour les sections précédentes, les règles spécifiques seront abor-
dées dans un premier temps, puis les règles générales prescrites par le Règle-
ment Bruxelles I.
122. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 745,
pt 14.01.
123. Ibid., p. 409, pt 8.07.
124. Art. 106.1 du Règlement communautaire n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009, sur la
marque communautaire, J.O.U.E, 24 mars 2009, L 78/1.
44 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
ANTHEMIS 45
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
est née, a été ou doit être exécutée. Si ces critères sont insuffiants pour déter-
miner la compétence du tribunal, le demandeur pourra saisir les tribunaux du
lieu de son domicile ou de sa résidence, à condition qu’ils soient situés sur le
territoire du Benelux. En dernier recours, il pourra choisir entre le tribunal
de Bruxelles, celui de La Haye et celui de Luxembourg.
129. D. MOURA VICENTE, La propriété intellectuelle et le droit international privé, Brill Academic pub,
2009, p. 432.
130. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 395.
46 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
131. D. MOURA VICENTE, La propriété intellectuelle et le droit international privé, op. cit., p. 433.
132. Art. 2 du Règlement Bruxelles I.
133. C.J.U.E., 23 avril 2009, aff. Falco c. Weller-Lindhorst, C-533/07, pt 24.
134. Art. 5.1.a du Règlement Bruxelles I.
135. Ibid., art. 5.1.b du Règlement Bruxelles I.
ANTHEMIS 47
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
du lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services auraient dû
être fournis.
La question s’est posée de savoir si un contrat de licence constitue un con-
trat de fourniture de services ou bien s’il tombe dans la catégorie résiduelle de
l’article 5.1.a). La Cour de justice a répondu, dans son arrêt Falco du 23 avril
2009, qu’un « contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellec-
tuelle concède à son cocontractant le droit de l’exploiter en contrepartie du
versement d’une rémunération, n’est pas un contrat de fourniture au sens de
cette disposition » 136. Par conséquent, les litiges découlant d’un contrat de
licence devront, le cas échéant, être dissociés : en cas de demandes multiples, il
faudra vérifier le lieu d’éxécution de chacune des obligations qui servent de
base auxdites demandes. La détermination de ce lieu est abandonnée par la
Cour de justice à l’appréciation du juge national 137 : elle se borne en effet à
préciser que c’est au juge saisi qu’il appartient d’établir « si le lieu d’exécution
de l’obligation est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale » 138.
La Cour a également précisé que le juge détermine le lieu où l’obligation doit
être exécutée par rapport à la loi applicable à l’obligation 139 et non par rapport à
la loi du for.
Par application de ces principes, le donneur de licence qui entend recou-
vrer des royalties pourrait être amené à assigner devant le tribunal du lieu du
domicile du licencié, si le contrat est soumis au droit belge où les dettes sont
quérables, tandis que le licencié devrait agir devant d’autres tribunaux sous
forme d’une demande « reconventionnelle » 140.
48 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
être attrait, dans un autre État membre, devant le tribunal du lieu où le tra-
vailleur accomplit (ou a accompli) habituellement son travail ou, si ce travail
a été accompli dans différents pays, devant le tribunal du lieu où se trouve ou
1
se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur.
L’action de l’employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de
l’État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile, conformé-
ment au prescrit de l’article 20 du Règlement Bruxelles I.
Notons qu’une clause attributive de compétence ne peut déroger aux
articles 19 et 20 susmentionnés qu’à la condition qu’elle soit postérieure à la
naissance du litige ou bien qu’elle autorise le travailleur à saisir d’autres tribu-
naux que ceux indiqués à la présente section 141.
SECTION 4
Les mesures provisoires et conservatoires
Nous avons vu dans les sections précédentes quelles sont les règles prin-
cipales pour déterminer la juridiction compétente pour connaître du fond
d’un litige relatif à la propriété intellectuelle. Il reste à examiner le régime des
actions visant à l’obtention de mesures provisoires ou conservatoires. De tel-
les procédures visent, en substance, à éviter au demandeur de subir un préju-
dice en raison de la lenteur du procès au fond.
Concernant les mesures provisoires, l’article 50 de l’accord A.D.P.I.C. 142,
comme l’article 9 de la directive relative au respect des droits en matière de
propriété intellectuelle 143, contraignent les États membres de l’Union euro-
péenne, d’une part, à prévoir des mesures provisoires pour la protection des
droits intellectuels et, d’autre part, « à assortir ces mesures de modalités tendant
à la sauvegarde des intérêts du défendeur » 144.
ANTHEMIS 49
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
145. C.J.U.E., 16 juin 1998, aff. Hermès International c. FHT, C-53/96, Rec., 1998, p. I-3637, pt 45.
146. L’article 584, point 5, dispose que le président du tribunal de première instance ou du tribunal
de commerce statuant au provisoire peut : « ordonner, dans le cas d’une atteinte à un droit de
propriété intellectuelle visé a l’article 1369bis/1, commise à l’échelle commerciale, et à la
demande du titulaire de ce droit qui justifie de circonstances susceptibles de compromettre le
recouvrement des dommages et intérêts, la saisie à titre conservatoire des biens mobiliers et
immobiliers du contrefacteur supposé, et le cas échéant le blocage des comptes bancaires et des
autres avoirs de ce dernier. Le président, statuant sur cette demande, vérifie : 1) si le droit de
propriété intellectuelle dont la protection est invoquée est, selon toutes apparences, valable ; 2)
si l’atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause ne peut être raisonnablement contestée ;
3) si, après avoir fait une pondération des intérêts en présence, dont l’intérêt général, les faits et,
le cas échéant, les pièces sur lesquelles le demandeur se fonde sont de nature à justifier raisonna-
blement la saisie tendant à la protection du droit de propriété intellectuelle invoqué. »
147. B. REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir faire, créer, protéger et partager
les inventions du XXIe siècle, op. cit., p. 567.
148. Voy. le rapport de F. DE VISSCHER et P. BRUWIER dans le présent ouvrage.
50 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
2. Le modèle communautaire
L’article 31 du Règlement Bruxelles I est également écarté lorsque la
mesure vise la contrefaçon d’un dessin ou modèle communautaire. L’article 90
149. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 428, pt 8.89.
ANTHEMIS 51
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
150. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 236,
pt 8.129.
151. C.J.U.E., 26 mars 1992, aff. Reichert II, C-261/90, Rec., I-2149.
152. K. SZYCHOWSKA, « Jurisdiction to Grant Provisional and Protective Measures in Intellectuel
Property Matters », in A. NUYTS, International Litigation in Intellectual Property and Information Tech-
nology, Kluwer Law International, 2008, pp. 207 et s.
153. C.J.U.E., 17 novembre 1998, aff. Van Uden c. Déco-line, C-391/95, Rec., 1998, p. I-7091, pt 22.
52 ANTHEMIS
Aperçu des règles de compétence internationale en matière de propriété intellectuelle
154. J.J. FAWCETT & P. TORREMANS, Intellectual Property and Private International Law, op. cit., p. 243.
155. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 524.
156. C.J.U.E., 17 novembre 1998, aff. Van Uden c. Déco-line, C-391/95, Rec., 1998, p. I-7091, pt 40.
157. C.J.U.E., 21 mai 1980, aff. Denilauler c. Couchet Frère, C-125/79, Rec., 1980, p. I-1553 et
C.J.U.E., 27 avril 1999, Mietz c. Intership Yachting Sneek BV, C-99/96, Rec., 1999, p. I-2277.
ANTHEMIS 53
Droits intellectuels : le contentieux (compétence, procédures, sanctions)
res conservatoires et provisoires, telles celles envisagées dans cette section 158.
Selon, K. Szychowska, une interprétation plus flexible de l’exigence d’un lien
de rattachement est souhaitable afin de mieux protéger les titulaires de droits
intellectuels ; est approuvée à cet égard l’approche du président du tribunal
de première instance de Bruxelles dans l’affaire Altana pharma 159. Dans cette
affaire, les défendeurs avaient présenté durant une foire internationale à
Bruxelles un produit médical dont le demandeur prétendait qu’il s’agissait
d’une contrefaçon de son brevet, protégé dans plusieurs États membres.
S’appuyant sur le fait que les défendeurs souhaitaient continuer à présenter la
prétendue contrefaçon, le tribunal a ordonné une mesure provisoire d’inter-
diction de contrefaçon sur le territoire belge ainsi que dans les pays où
l’invention bénéficiait d’une protection par brevet.
158. U. MAGNUS et P. MANKOWSKI, European Commentaries on Private International Law, op. cit., p. 524 ;
voy. égal. C.J.U.E., 17 novembre 1988, aff. Van Uden c. Déco-line, précitée.
159. Tribunal de première instance de Bruxelles (près.), 25 mars 2005, Altana pharma c. Europharma
Laboratorios, I.R. D.I., 2005, p. 302, note K. ROOX, « De Altana Pharma-beschikking : opniew
een Belgische grensoverschrijdende beslissing in kort geding ».
54 ANTHEMIS