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De la conjecture de Poincaré (1904) au théorème


de Hamilton-Perelman (2006)

Luc Lemaire

Université Libre de Bruxelles, llemaire@ulb.ac.be

Mots clés : conjecture de Poincaré, classification des surfaces, dimension 3,


dimensions supérieures à 3, démonstration.

1.Introduction

Lorsqu’un mathématicien est convaincu qu’un théorème est vrai, mais n’arrive
pas à le démontrer, il peut l’énoncer comme une conjecture, lançant au passage un
défi aux autres chercheurs.

Certaines conjectures sont très vite démontrées, leurs auteurs auraient sans
doute dû persévérer et les démontrer eux-mêmes.

D’autres ne sont pas intéressantes, elles ne seront pas démontrées parce que
personne ne veut vraiment connaître la réponse.

Et puis il y a les « grandes conjectures ». Elles portent sur un sujet important,


intéressant de nombreux mathématiciens. Elles résistent longtemps à toute tentative
de démonstration. Leur place dans l’ensemble des mathématiques grandit
progressivement.

C’est le cas de la Conjecture de Poincaré, qu’il a énoncée sous forme d’une


question en 1904.

De très nombreux mathématiciens de premier plan ont essayé de la résoudre.

Elle a motivé le développement de sujets proches et de méthodes nouvelles.

Et il a fallu attendre 2006 pour qu’elle soit démontrée par Grigori Perelman,
qui complétait un programme de recherche lancé par Richard Hamilton dans les
années 80.

Ce texte est une présentation de la conjecture et d’un siècle de travail, que


j’espère compréhensible pour un large public attiré par les mathématiques d’hier,
aujourd’hui et demain.

Il s’agit une histoire exceptionnelle, avec des personnages exceptionnels !

Il ne faudrait pas en déduire que tout le progrès des mathématiques est


accompli par quelques chercheurs, résolvant une conjecture vieille d’un siècle.
2

En fait environ 100.000 mathématiciens travaillent dans le monde et apportent


leur contribution à la construction des mathématiques.

La Belgique n’est pas en reste et est à la pointe dans de nombreux sujets.

Actuellement, environ un tiers de nos étudiants finissant un master en


mathématique obtiennent une bourse ou un mandat leur permettant de faire une
thèse de doctorat – première étape dans une carrière de recherche.

2. La classification des surfaces

Pour expliquer l’intérêt de la Conjecture de Poincaré, je vais d’abord décrire


un des grands résultats mathématiques du 19ième siècle : la classification des
surfaces. Pour cela, il faut préciser de quelles surfaces on parle, et je procéderai en
présentant d’abord des exemples.

Pour délimiter la question, on ne considérera pas des surfaces qui « partent à


l’infini », comme par exemple le plan ou un cylindre de longueur infinie.

On ne considérera pas non plus des surfaces avec un bord, comme un


cylindre fini ou un disque bordé par un cercle.

(Techniquement, on ne classifiera que les surfaces compactes sans bord).

Un premier exemple de surface est la sphère de dimension 2, vue comme


l’ensemble des points de R3 à distance 1 de l’origine.

Mais on pourrait considérer des variantes de la sphère, comme un ellipsoïde


ou la surface d’un haricot. Il y a tant de variantes possibles qu’essayer de les décrire
toutes n’a pas de sens.

On appellera donc « la sphère » toute surface obtenue en déformant la sphère


euclidienne.

On peut la déformer de façon souple (par fonctions C c’est-à-dire possédant


des dérivées de tout ordre) ou même faire des plis et des sommets, déformant la
sphère en un polyèdre. On ne peut naturellement pas la déchirer ou y coller des
morceaux.

Il y a donc trois niveaux de description de la surface :


- avec sa métrique (comme la sphère euclidienne ou l’ellipsoïde)
- comme surface C (obtenue en déformant la sphère comme un ballon
gonflable)
- comme surface topologique (les déformations sont continues, mais
peuvent faire des plis ou des coins)

La classification du dix-neuvième siècle est la classification topologique.


3

Deuxième exemple de surface : le tore, représenté par exemple comme une


chambre à air.

Ensuite on définit la somme connexe de deux surfaces en enlevant un disque


de chacune des deux et en les collant le long des cercles (figure 1 )

Figure 1

On peut pour chaque entier p ≥ 2 construire la surface de genre p par somme


connexe de p tores (figure 2)

Figure 2

Une autre famille de surface s’obtient à partir du ruban de Moebius.

Celui-ci est visualisé en prenant un long rectangle de papier et en collant les


deux petits côtés après avoir fait une torsion d’un demi-tour (figure 3)
4

Figure 3

Tout le monde – je l’espère – a un jour réalisé un ruban de Moebius en papier


pour voir ses propriétés. En particulier, on voit facilement que son bord est un cercle
(et non deux comme pour un cylindre).

On peut alors coller ce cercle sur le bord d’un disque, obtenant une surface
sans bord : le plan projectif. (Pour ceux qui connaissent la version « linéaire » du
plan projectif, c’est bien le même à déformation près.)

On peut construire de nouvelles surfaces par somme connexe de q plans


projectifs (q ≥ 2).

Le théorème affirme que cette liste :

- la sphère
- le tore et les sommes connexes de p tores
- le plan projectif et les sommes connexes de q plans projectifs

est une classification complète des surfaces : chaque surface apparaît une et une
seule fois dans la liste.

La démonstration se fait en partant d’une surface quelconque et en la


simplifiant progressivement en décollant des morceaux pour arriver à la sphère. La
propriété suivante de la sphère permet alors de finir la démonstration.

Par définition, un espace est simplement connexe si toute courbe fermée


dans l’espace peut se déformer continument en un point.

Et parmi toutes les surfaces de la liste, la sphère est la seule à posséder cette
propriété.

La figure 4 donne l’idée d’une telle déformation, et montre des courbes


fermées d’autres surfaces qui ne peuvent pas se déformer en un point.
5

Figure 4

En bref : toute surface (compacte sans bord) simplement connexe est la


sphère.

Pour finir ce paragraphe, précisons qu’une surface est un objet mathématique


de dimension 2, qui n’est pas nécessairement plongé dans R3. Il faut imaginer une
surface abstraite, peuplée éventuellement de personnages plats qui ne voient rien
d’autre que la surface dans laquelle ils vivent. C’est pour visualiser les résultats que
les surfaces ont été représentées ici comme flottant dans R3 .

3. La conjecture de Poincaré

En généralisant la notion de surface, on pourra parler d’espaces (plutôt


appelés des variétés) de dimension 3.

Par exemple, l’ensemble des points de R4 à distance 1 de l’origine fournit la


sphère de dimension 3 notée S3.

Dans la sphère de dimension 2 notée S2, un habitant est un personnage plat


qui ne voit que ce qui se passe dans la surface.

Dans la sphère S3, les personnages sont comme nous, et voient autour d’eux
un espace ressemblant au morceau d’espace euclidien qui nous entoure.

Partant de cette sphère S3, on peut tenter de décrire comme en dimension 2


toutes les variétés de dimension 3 (compactes sans bord). A nouveau, on a trois
niveaux de description :

- métrique
- C
- topologique

C’est la version topologique qui nous intéresse ici.

Sur base de la classification du 19ème siècle des surfaces, une question se


pose évidemment : peut-on classifier par des méthodes similaires les variétés de
dimension 3 ?
6

Une première question posée par Poincaré est rapidement devenue la


Conjecture de Poincaré : Toute variété (compacte sans bord) de dimension 3,
simplement connexe est la sphère.

Cet énoncé fort simple de 1904 allait occuper des générations de


mathématiciens pendant un siècle. Pendant cette période, plusieurs dizaines d’entre
eux ont cru avoir obtenu une démonstration, mais chaque fois eux-mêmes ou un
autre chercheur ont trouvé une erreur.

Par exemple, Edwin Moise a obtenu dans les années 50 des résultats partiels,
sans arriver à une démonstration. Il a démontré en particulier que toute variété
topologique de dimension 3 peut être « lissée » de manière à enlever tous les plis, et
devenir une variété C . Valentin Poenaru, en France, a tenté depuis 1957 de
démontrer la conjecture, sans y parvenir.

Pourquoi, en fait, s’acharner à démontrer ces conjectures si difficiles ?

Il y a évidemment l’espoir d’accomplir un exploit mathématique, en obtenant


un résultat important.

Mais il y a aussi le fait qu’un problème difficile oblige à explorer de nouveaux


territoires, a créer de nouvelles méthodes. Au bout d’un certain temps, ce serait
décevant si une conjecture était démontrée par une petite variante des méthodes
connues sans idée vraiment nouvelle.

Poenaru n’a pas démontré la conjecture, mais il a publié une centaine


d’articles – corrects et intéressants – introduisant de nouvelles méthodes.

4. Sn , n ≥ 5
En 1961, le mathématicien américain Stephen Smale crée la surprise en
obtenant un résultat tout à fait inattendu concernant la conjecture de Poincaré.

Smale est né en 1930 à Flint (Michigan) dans une ferme. L’école du village ne
comprenait qu’une seule classe, l’instituteur donnant cours à tous les élèves de 6 à
15 ans. Cela n’empêche pas Smale d’arriver premier à l’examen de mathématique
de l’État, pour entrer à l’université. Après quelques années d’activisme politique, il
s’est mis sérieusement aux mathématiques, obtenant au cours de sa carrière des
résultats impressionnants dans cinq branches distinctes, allant de la géométrie à
l’économie en passant par les systèmes dynamiques et l’informatique théorique.

En 1966, il a obtenu une médaille Fields au Congrès International des


mathématiciens de Moscou, et sa conférence de presse très engagée politiquement
lui a valu quelques heures de captivité.

Il a toujours travaillé de façon personnelle. Lors d’un séjour à l’IMPA à Rio de


Janeiro (un excellent institut de mathématique) il partageait son temps entre la plage,
l’institut et la samba – au point que l’organisme qui finançait ses recherches a
7

menacé de supprimer sa bourse. Mais la liste des résultats obtenus à la plage les a
fait changer d’avis.

L’idée de Smale pour la conjecture de Poincaré est de l’étendre à toutes les


dimensions. Ainsi une sphère de dimension n est décrite comme l’ensemble des
points de Rn+1 à distance 1 de l’origine :

Pour une telle sphère, on peut généraliser la conjecture en demandant que


non seulement les courbes fermées (qui sont des cercles – c’est à dire des sphères
de dimension 1), mais aussi les sphères de dimension ≤ puissent être déformées
continument en un point.

Et Smale démontre que si n ≥ 5, la conjecture de Poincaré généralisée est


vraie pour les variétés de dimension n.

On aurait pu croire qu’augmenter la dimension rendrait le problème plus


difficile, mais c’est le contraire qui se produit. Disons que pour démontrer que la
variété est une sphère, il faut faire un bon nombre de déformations et de découpages
et que ceci demande de la place. Et la place requise est telle que la dimension soit
≥5.

5. S4

En 1982, l’américain Michael Freedman démontrait la conjecture généralisé


de Poincaré dans le cas de la sphère de dimension 4. C’était l’aboutissement d’un
énorme travail impliquant de nouvelles idées sur la forme des variétés.

En fait, le travail de Freedman est beaucoup plus général : il donne une


classification complète des variétés topologiques simplement connexes de
dimension 4 — classification compliquée comprenant plusieurs familles infinies
d’espaces. La conjecture de Poincaré concerne un seul cas particulier parmi les
familles infinies de cette classification.

Au même moment, l’anglais Simon Donaldson étudiait les variétés C de


dimension 4, et montrait notamment que certaines des variétés topologiques de
Freedman ne peuvent pas être lissées en variété C .

Freedman et Donaldson reçurent chacun la médaille Fields en 1986 pour leurs


travaux.

Nous sommes à ce stade 80 ans après l’énoncé de la conjecture et la


situation est paradoxale : la conjecture généralisée est démontrée en dimensions
2,4,5,6… , c’est à dire dans toutes les dimensions sauf celle de la conjecture
originale, la dimension 3. Encore aujourd’hui, aucune tentative de démontrer la
conjecture de Poincaré par les méthodes précédentes n’a abouti. Il fallait donc une
idée totalement différente.
8

6. La courbure des surfaces

Partons à nouveau d’une sphère euclidienne dans R3. Nous pouvons mesurer
la longueur des courbes sur la sphère (c’est leur longueur dans R3), et la distance
entre deux points (la longueur de la courbe la plus courte qui va de l’un à l’autre en
restant dans la sphère). Un cercle de centre x et de rayon r est l’ensemble des
points à distance r de x. Dès que nous pouvons mesurer les longueurs sur la sphère,
nous pouvons oublier R3 et faire toutes les constructions qui suivent.

Dans le plan euclidien, la longueur d’un cercle de rayon r est évidemment πr.

Mais dans la sphère S2 de rayon 1, elle est plus petite comme on le voit figure
5.

Figure 5

Plus précisément, la longueur d’un cercle de rayon r assez petit est π sin(r).
Si on développe cette longueur par sa formule de Taylor, on obtient

πr – π r3 / 3 + reste.

Par définition, on dit qu’une surface est de courbure k(x) au point x si la


formule de Taylor pour la longueur d’un petit cercle de rayon r et de centre x est :

πr – k(x) π r3 / 3 + reste.

La courbure d’une sphère de rayon 1 vaut donc 1 en tout point x. (La définition
de k(x) par la formule ci-dessus a été choisie pour que cette courbure soit positive et
égale à 1).

Pour une sphère de rayon R, on vérifie facilement que la courbure en tout


point est 1 / R2 (au plus le rayon est petit, au plus la sphère est courbée).

On voit donc que la courbure des sphères euclidiennes est constante et


positive.
9

Pour une surface en forme de selle de cheval, les cercles sont plus longs que
2πr et on déduit du développement de Taylor que la courbure k(x) est négative - voir
la figure 6.

Figure 6

Sur une surface quelconque, la courbure peut dépendre du point et même


changer de signe. C’est le cas sur le tore plongé dans R3 dans la figure 7.

Figure 7

Un théorème difficile de Poincaré et Koebe (1907) affirme que toute surface


admet des métriques de courbure constante, cette constante étant nécessairement
positive dans le cas de la sphère, nulle dans le cas du tore et négative dans le cas
des surfaces de genre p ≥ 2.

Parmi cette famille de surfaces, on peut donc affirmer que toute surface qui
admet une structure de courbure constante positive doit être une sphère.

Ceci nous donne un critère pour reconnaître une sphère. L’idée est alors
d’utiliser un critère analogue en dimension 3.

Pour mesurer la longueur d’une courbe, il faut intégrer la norme du vecteur


vitesse. Il faut donc calculer des dérivées, ce qui n’est pas possible sur une variété
topologique générale, à cause des plis et des coins. Partant d’une variété
topologique de dimension 3, on peut heureusement utiliser le résultat d’Edwin Moise
de 1952 : la variété peut être lissée pour devenir C .

Deux remarques s’imposent.

Edwin Moise a passé des années à tenter de démontrer la conjecture de


Poincaré, sans réussir, ce qui lui a causé une énorme frustration. Mais son résultat
de 1952 est un maillon nécessaire de la démonstration.
10

J’ai mentionné qu’en dimension 4 certaines variétés topologiques ne peuvent


pas être lissées. La méthode utilisée en dimension 3 ne peut donc pas s’appliquer à
ce cas. Mais la conjecture a été démontrée en dimension 4 par des méthodes qui ne
s’appliquent pas jusqu’ici à la dimension 3. Les mathématiques nous offrent souvent
des petits miracles de ce genre.

7. Le flot de Ricci

Partons d’une variété topologique simplement connexe de dimension 3. Nous


pouvons la lisser pour en faire une variété C . Nous pouvons ensuite choisir
arbitrairement la notion de longueur des courbes.

Pour cela, nous choisissons en chaque point x de M un produit scalaire sur les
vecteurs basés en x. La longueur d’une courbe sera l’intégrale de la norme de son
vecteur vitesse.

Ce produit scalaire est donné par une matrice 3x3 : gi,j(x). Le produit scalaire
des vecteurs X et Y est alors

La notion de courbure en dimension 3 est beaucoup plus compliquée qu’en


dimension 2. Au lieu d’avoir un seul nombre au point x qui donne la courbure, il faut
calculer la courbure des différentes surfaces (de dimension 2) qui passent par le
point x. En dimension 3, toutes ces valeurs peuvent être encodées dans une autre
matrice 3x3 : la courbure de Ricci : Riccii,j .

Si on peut montrer que la courbure d’une variété simplement connexe satisfait


Riccii,j = K.gi,j avec K constante positive (on dit alors que la courbure de Ricci est
constante et positive) on pourra en déduire que la variété est la sphère S3 . Ce
résultat étend celui déjà vu en dimension 2.

Mais pour commencer la démonstration, nous avons choisi arbitrairement une


métrique sur la variété. Il n’y a aucune raison pour qu’elle soit de courbure constante
et positive.

Ceci nous amène à la première partie de la démonstration, due à Richard


Hamilton.

Hamilton est un sportif exubérant, amateur d’équitation et de surf (de


préférence à Hawaii). Il a passé un an à l’université de Warwick où je séjournais, et a
mis pas mal d’ambiance au département de mathématique. C’est aussi un
mathématicien de premier plan. Chacun de ses articles résout une grande question,
par une succession de méthodes innovantes s’emboitant pour résoudre
complètement le problème.

Pour la conjecture de Poincaré, il a eu une idée tout à fait nouvelle, et l’a


poussée très loin par des constructions difficiles. Voici une idée de son travail.
11

Comme motivation, commençons par un problème de physique classique : la


propagation de la chaleur.

Pour simplifier, considérons une barre métallique où la température est


variable – disons qu’elle est très chaude d’un côté et très froide de l’autre.

Attendons alors pour voir l’évolution de la température.

La chaleur va évidemment se déplacer des régions chaudes vers les régions


froides, et après très longtemps la température sera quasiment constante.

Joseph Fourier a écrit au 19ème siècle un modèle mathématique pour ce


phénomène, l’équation de la chaleur.

Si x est la coordonnée sur la barre, t le temps, T la température, l’équation est

où a est un nombre positif qui dépend de la conductivité de la barre.

On peut très approximativement justifier cette équation. Si la température en


un point est plus élevée que la moyenne des températures autour, on . La

température va alors baisser, de telle sorte que . Au plus le graphe de la

température (fonction de x) est convexe, au plus sera négatif.

La meilleure justification de ce modèle mathématique est que ses solutions


sont confirmées par des expériences.

Figure 8

Retenons de ceci une remarque simpliste : si on part d’une fonction (variable) et


qu’on y applique l’équation de la chaleur, elle va se déformer et tendre vers une
constante.

L’idée de départ d’Hamilton est la suivante : nous avons placé sur la variété
une métrique gi,j quelconque, dont la courbure de Ricci n’est pas constante. Une
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équation du type de celle de la chaleur pourrait déformer la métrique en rendant la


courbure de Ricci constante .

Figure 9

L’équation écrite par Hamilton est :

Ici i et j vont de 1 à 3, gi,j = gj,i , Riccii,j = Riccij,i.

Il y a donc 6 composantes distinctes à gi,j et à Riccii,j, chacune fonction de x et


de t. L’équation est en fait un système de 6 équations aux dérivées partielles en les
6 fonctions inconnues gi,j , chacune fonction des 4 variables xi et t.

Voyant le tenseur Riccii,j , un géomètre différentiel verrait un objet géométrique


mesurant la courbure, un physicien verrait l’équation d’Einstein, mais un spécialiste
des équations différentielles verrait un système effroyablement compliqué, chaque
fonction Riccii,j étant une combinaison plutôt horrible des composantes gk,l et de leurs
dérivées partielles premières et deuxièmes.

En 1983, Hamilton résout un premier cas. Si au départ la métrique a une


courbure de Ricci qui est partout une matrice définie positive, alors l’équation va la
faire évoluer vers une métrique à courbure constante.

Mais pour démontrer la conjecture, on part d’une métrique quelconque et les


choses se gâtent.

En effet, le flot de Ricci (c’est-à-dire la solution de l’équation) va peut-être


rendre la métrique de plus en plus ronde en beaucoup d’endroits, mais en certains
points la métrique va au contraire tendre vers l’infini, de manière compliquée. La
variété peut se déformer d’une des manières schématisées dans la figure 10.
13

Figure 10

Hamilton a alors une autre idée, plutôt iconoclaste dans la théorie des
équations aux dérivées partielles.

Si pour un moment t la solution tend vers l’infini en un point x, il coupe un


morceau de la variété juste avant t et rebouche le trou par une demi-sphère (figure
11)

Figure 11

Puis il prend la variété modifiée comme point de départ pour la suite de l’équation.

Et dans de nombreux cas, cette méthode fonctionne, la solution de l’équation


redémarre et tend vers une sphère ronde. Mais d’autres cas de singularités sont plus
compliqués et Hamilton ne peut les traiter.

8. La fin de la démonstration

Ici apparaît Grigori Perelman, autre surdoué des mathématiques, né à Saint-


Pétersbourg en 1966.

Il a commencé sa carrière en Russie, a visité divers instituts des États Unis de


92 à 95, puis est rentré chez lui en ignorant les offres de postes des meilleures
universités.
14

Il se fait remarquer une première fois en résolvant une autre conjecture, posée
20 avant. Pour ce travail, la Société Mathématique Européenne lui attribue un des
dix prix qu’elle offre tous les quatre ans.

Perelman refuse le prix, indiquant que le but des mathématiques est de


résoudre des problèmes, pas d’obtenir des récompenses.

Rentré à Saint-Pétersbourg, il étudie le programme d’Hamilton, sans garder


de grands contacts avec les autres mathématiciens.

En 2002-2003, il place sur le site électronique ARXIV trois articles, dont les
titres ne mentionnent pas la conjecture de Poincaré, mais qui en donnent une
démonstration sans tous les détails.

Précisons que le site ARXIV accepte tous les articles sans contrôle (personne
ne vérifie s’ils sont corrects) et que bien sûr une démonstration n’est valide que
quand tous les détails sont vérifiés. Perelman fait savoir qu’il estime avoir fait son
travail sur la conjecture de Poincaré et qu’il ne rédigera pas de version plus précise.

Il s’en est suivi trois ans d’incertitude, différents mathématiciens vérifiant l’une
après l’autre les étapes de la démonstration.

Lorsqu’ils n’arrivaient pas à réaliser une étape, ils envoyaient un e-mail à


Perelman, qui répondait en expliquant la construction. Il fit aussi trois séries
d’exposés aux USA, et répondit précisément à toutes les questions qui lui étaient
posées.

Mais ce travail de vérification est long. En 2004, Hamilton est invité à faire un
exposé sur la question à l’U.L.B. et présente l’essentiel de la démonstration tout en
se refusant à donner un avis sur sa validité.

Trois équipes de deux mathématiciens prennent sur elles de rédiger la


démonstration dans tous ses détails : Morgan – Tian, Kleiner – Lott et Cao-Zhu. Par
ailleurs, Bessières-Besson-Boileau-Maillot-Porti présentent ensuite une autre
démonstration, également basée sur le flot de Ricci.

Pour donner une idée de la difficulté de la démonstration, les trois articles de


Perelman totalisent 68 pages, et le livre de Morgan et Tian détaillant la
démonstration comporte 150 pages de préliminaires et 380 pages de démonstration.

Le Congrès International des mathématiciens est un événement majeur


organisé tous les quatre ans.

En 2006 il avait lieu à Madrid, et les 4000 participants se demandaient avec


impatience si la situation de la conjecture de Poincaré serait dévoilée.

Et effectivement, Hamilton a fait une conférence devant toute l’assemblée


confirmant que le travail de Perelman démontrait la Conjecture.
15

On me permettra une remarque très personnelle. Dans sa conférence


Hamilton a précisé que l’idée initiale – encore vague - d’utiliser des équations
différentielles pour attaquer la conjecture de Poincaré lui avait été donnée par le
mathématicien Jim Eells dans les années soixantes aux USA. En 1972, je
rencontrais Jim Eells lors d’un congrès, et il devenait mon directeur de thèse, puis
ami et collaborateur pour 35 ans.

C’est à l’occasion de ces Congrès Internationaux des mathématiciens que


l’Union Mathématique Internationale annonce le nom des lauréats de la Médaille
Fields, la plus prestigieuse récompense en mathématique. A Madrid, Perelman est
un des lauréats, mais on doit aussi annoncer qu’il est absent et qu’il refuse la
médaille, fidèle à ses principes.

9. La conjecture de géométrisation de Thurston

La conjecture de Poincaré était sans doute vue au début du vingtième siècle


comme point de départ d’une future classification des variétés topologiques de
dimension trois.

Mais l’histoire a pris un chemin imprévu.

Dans les années ’70, un autre mathématicien William Thurston s’attaque à


cette question, et ses résultats lui valent également une Médaille Fields en 1982.

Il commence par placer une structure C sur chaque variété topologique.


Puis il conjecture que toute variété peut se découper en morceaux, chacun d’entre
eux portant une métrique appartenant à une liste de huit géométries, qu’il donne
explicitement. Cet énoncé est appelé la conjecture de géométrisation.

En dimension deux, il y a trois types de géométries avec des courbures


constantes positive, nulle ou négative. En dimension trois, ce sont huit géométries
qui constituent les pièces de puzzles formant toute variété.

Mais pour Thurston, c’est une conjecture et non un théorème.

Or le troisième article de Perelman donne une démonstration de la conjecture


de Thurston - allant bien plus loin que la conjecture de Poincaré.

10. Le Prix de la Fondation Clay

En 2000, la fondation Landon Clay présentait sept problèmes mathématiques


jugés de première importance, et offrait un prix d’un million de dollars pour la
résolution de chacun d’entre eux. La conjecture de Poincaré en faisait (évidemment)
partie.
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Le règlement précise que le prix sera attribué au mathématicien qui aura


résolu la question après que le résultat ait été publié dans un journal contrôlant
sérieusement les articles, et après un délai de deux ans sans que personne n’ait
observé d’erreur.

Perelman pose un problème imprévu puisqu’il n’a pas soumis et ne va pas


soumettre ses résultats à un journal. On peut toutefois considérer que sa
démonstration a été publiée – par d’autres.

Et le 21 mars 2010, la Fondation Clay annonçait que toutes les conditions


étaient satisfaites et qu’elle attribuait le prix d’un million de dollars à Grigori
Perelman. Il ne reste plus que six problèmes dans la liste de la Fondation Clay.

Mais Perelman faisait savoir rapidement que, toujours fidèle à ses principes, il
refusait le prix.

Il faut noter toutefois que Perelman apparaît dans la liste des Médaillés Fields
et comme premier lauréat d’un prix de la Fondation Clay, même s’il a refusé les
récompenses.

La Fondation annoncera ultérieurement l’usage qu’elle compte faire du million


de dollars, en faveur du développement des mathématiques.

11. En guise de conclusion

Une première remarque concerne l’unité des mathématiques. Pour simplifier,


on les découpe souvent en différentes branches : la géométrie, l’algèbre, l’analyse,
etc.

La conjecture de Poincaré appartient clairement à un domaine : la topologie,


mais sa démonstration utilise de la géométrie différentielle, des structures métriques,
des équations aux dérivées partielles, avec des idées venant de la physique.
Aucune des branches des mathématiques ne peut donc être développée isolément.

Pourquoi, enfin, insister sur la résolution de grands problèmes, comme la


conjecture de Poincaré.

D’une part, résoudre une question vieille d’un siècle est évidemment fascinant.
Mais pour cette résolution, Hamilton et Perelman ont chacun introduit des méthodes
profondément nouvelles. Si plusieurs mathématiciens ont consacré tant de temps à
préciser tous les détails de la démonstration, c’est aussi parce qu’ils apprenaient des
méthodes qui serviront certainement à résoudre d’autres problèmes.
17

BIBLIOGRAPHIE

Pour un historique plus complet de la Conjecture de Poincaré, je recommande


le livre :

George G. Szpiro, La Conjecture de Poincaré, J.C. Lattès 2007,

livre qui comprend aussi une bibliographie très complète.

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