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Textes Pour Être Heureux Suffit-Il D'accumuler Les Plaisirs

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Le bonheur

CALLICLES – Vivre dans la jouissance, éprouver Mais une fois que cet état s'est réalisé en nous, toute
toutes les formes de désirs et les assouvir, voilà, c'est cela la la tempête de l'âme se dissipe, le vivant n'ayant pas besoin de
vie heureuse ! (…) se mettre en marche vers quelque chose qui lui manquerait, ni
SOCRATE – réponds- moi : suppose que quelque à rechercher quelque autre chose, grâce à laquelle le bien de
chose démange, qu'on ait envie de se gratter, qu'on puisse se l'âme et du corps trouverait conjointement sa plénitude. C'est
gratter autant qu'on veut et qu'on passe tout son temps à se en effet quand nous souffrons de l'absence du plaisir que nous
gratter, est-ce là le bonheur de la vie? avons besoin du plaisir ; mais, quand nous ne souffrons pas,
CALLICLES – Eh bien, je déclare que même la vie nous n'avons plus besoin du plaisir. Voilà pourquoi nous
où on se gratte comme cela est une vie agréable! (...) disons que le plaisir est principe et fin de la vie bienheureuse.
SOCRATE : Maintenant, dis-moi encore juste ceci : Nous savons en effet qu'il est un bien premier, et c'est en
prétends-tu que l'agréable soit identique au bon ou bien y a-t- partant de lui que nous commençons, en toute circonstance, à
il de l'agréable qui ne soit pas bon? choisir et à refuser, et c'est à lui que nous aboutissons, parce
PLATON, Gorgias. que nous discernons tout bien en nous servant de l'affection
[ce que l’on éprouve] comme d'une règle.
Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, EPICURE, Lettre à Ménécée.
que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux,
personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce Nous sentons la douleur, mais non l’absence de
que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous douleur ; le souci, mais non l’absence de souci ; la crainte,
les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans mais non la sécurité. (…) Seules, en effet, la douleur et la
leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être privation peuvent produire une impression positive et par là
empruntés à l'expérience, et que cependant, pour l'idée du se dénoncer d’elles-mêmes. Le bien-être, au contraire, n’est
bonheur, un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon que pure négation.
état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Aussi n’apprécions-nous pas les trois plus grands
Or il est impossible qu'un être fini, si clairvoyant et en même biens de la vie, la santé, la jeunesse et la liberté, tant que
temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept nous les possédons ; pour en comprendre la valeur, il faut
déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. Veut-il la que nous les ayons perdus, car ils sont aussi négatifs. Que
richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il notre vie était heureuse, c’est ce dont nous ne nous
pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de apercevons qu’au moment où ces jours heureux ont fait
connaissances et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que place à des jours malheureux. Autant les jouissances
lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une augmentent, autant diminue l’aptitude à les goûter : le
manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se plaisir devenu habitude n’est plus éprouvé comme tel. (…)
dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou Ainsi la possession accroît la mesure de nos besoins.
bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a
Arthur SCHOPENHAUER, Le monde comme volonté et
déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ?
comme représentation (1818).
Qui lui garantit que ce ne serait pas une longue souffrance ?
Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du
corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santé
Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour
parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec une
entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on
véritablement heureux : p o u r c e l a , i l l u i f a u d r a i t obtient que de ce qu’on espère et l’on n’est heureux
l'omniscience. qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme, avide et borné,
Emmanuel KANT, Métaphysique des mœurs, I. fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force
consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le
soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible,
Il faut en outre établir que, parmi les désirs, les uns qui le lui livre en quelque sorte, et, pour lui rendre cette
sont naturels, les autres sans fondement et que, parmi ceux imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa
qui sont naturels, les uns sont nécessaires et les autres passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même
naturels seulement. Parmi ceux qui sont nécessaires, les uns ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on
sont nécessaires au bonheur, d'autres à l'absence de ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus
dysfonctionnements dans le corps, et d'autres à la vie elle- rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la
même. En effet, une étude rigoureuse des désirs permet de jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul
rapporter tout choix et tout refus à la santé du corps et à digne d’être habité, et tel est le néant des choses humaines,
l'absence de trouble dans l'âme, puisque c'est cela la fin de la qu’hors l’Être existant par lui-même [Dieu] il n’y a rien de
vie bienheureuse. C'est en effet en vue de cela que nous beau que ce qui n’est pas.
faisons tout, afin de ne pas souffrir et de ne pas éprouver de J.-J. ROUSSEAU, La Nouvelle Héloïse.
craintes.

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