Algebra Duval Ligia
Algebra Duval Ligia
Algebra Duval Ligia
L'APPRENTISSAGE DE L'ALGEBRE
ET LE PROBLEME COGNITIF DE LA DESIGNATION DES OBJETS.
Raymond Duval
Pour bien comprendre l'enjeu d'un apprentissage de l'algèbre au Collège on peut commencer par
une question abrupte. Si l'algèbre est un outil, quel peut être l'intérêt, pour la grande majorité des
élèves, d'apprendre à utiliser un outil dont ils n'auront jamais à se servir ? Qu'est-ce que cela peut
leur apporter ? Paradoxalement, ce n'est peut-être pas du côté mathématique qu'il faut chercher la
réponse, car elle ne serait pertinente que pour les élèves qui vont s'orienter vers des filières
scientifiques. Pour entrevoir la réponse, il faut abandonner la problématique dualiste qui oppose les
signes au «sens», et il faut se centrer sur la relation, qui est fondamentale dans toute activité
humaine de connaissance, celle entre les signes et les objets, cette relation se nouantnécessairement
dans un acte d'expression. Et l'on sait (est-il besoin de le rappeler ?) qu'un acte d'expression se fait
nécessairement par et dans un système sémiotique, que ce soit celui de la langue naturelle, ou un
systèmes sémiotique plus «formel» parce que son fonctionnement ne peut être effectué et contrôlé
que d'une manière oculo-graphique. Si l'on prend sérieusement en compte ces contraintes cognitives
incontournables, le problème didactique que pose l'introduction de l'algèbre n'est pas ni celui d'un
«détour formel» ni celui de l'apprivoisement d'un symbolisme initiatique, conventionnel ou
dépourvu de «sens». Le problème est celui même qui se pose déjà dans l'emploi de la langue
naturelle : la prise de conscience de la diversité complexe des procédures discursives pour désigner
les objets.
Pour le montrer, nous commencerons par analyser les opérations cognitives impliquées dans la
résolution de problèmes par la méthode algébrique. Puis nous regarderons de quelle manière cette
analyse peut expliquer la diversité des difficultés rencontrées par les élèves et, surtout, la
permanence de certaines d'entre elles. Cela nous conduira à montrer que l'apprentissage de l'algèbre
requiert que l'on développe en parallèle et de manière indépendante des activités très différentes
sans vouloir les enfermer toutes dans le cadre de la résolution d'un problème (ou de plusieurs).
Enfin nous essayerons de donner un aperçu d'ensemble de la diversité des procédures discursives de
désignation des objets aussi bien dans la langue naturelle que dans les registres «formels». L'enjeu
d'un apprentissage de l'algèbre qui soit formateur est la prise de conscience par les élèves de cette
diversité.
Pour examiner cette question, prenons le problème classique de Diophante, qui est souvent proposé
comme exemple pour introduire l'algèbre au Collège (Duperret 1999, p.33). La distinction en deux
parties, selon la terminologie de Lacroix, semble évidente. Mais on voit tout de suite que chacune
de ces deux parties recouvre des problèmes hétérogènes. D'une part, il y a une rupture entre les
opérations de conversion et celles de traitement. D'autre part, les opérations de conversion
impliquent deux opérations différentes de désignation des objets, de même que les opérations de
traitement impliquent deux types différents de substitution des signes entre eux.
Figure 1. On aurait aussi bien pu prendre comme formulation de l'énoncé celle proposée par Lacroix (“Partager un
nombre donné en deux parties telles que la première surpasse la seconde d'un excès donné”), cela ne changerait en rien
l'analyse.
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1. Les deux opérations référentielles de conversion.
Tout d'abord, convertir un énoncé de problème en une équation ou en un système d'équations n'est
pas une “traduction” au sens ordinaire du terme. En effet, un énoncé de problème renvoie à deux
types d'objets : des quantités inconnues et des relations entre les quantités connues et inconnues.
Convertir un énoncé consiste à redésigner ces deux types d'objets auxquels l'énoncé réfère. Or cette
redésignation est soumise à des contraintes que l'on ne retrouve pas lorsqu'il s'agit de traduire un
énoncé d'une langue dans une autre : la redésignation fonctionnelle d'objets déjà désignés
linguistiquement et l'explicitation d'une relation d'équivalence qui permettra ensuite des opérations
de substitution.
(1) Le choix de l'inconnue pour désigner par un symbole l'un des objets déjà désignés dans l'énoncé
(par exemple, les expressions linguistiques entourées dans le schéma ci-dessus) se fait sous la
condition d'une réduction du lexique qui est utilisé dans l'énoncé en langage ordinaire. Et cela
parce que les autres objets désignés dans l'énoncé devront être redésignés en fonction du choix de
l'inconnue. Dans le problème de Diophante, le «choix de l'inconnue» consistant à désigner l'un des
deux nombres cherchés par «x» (flèche (3) dans le schéma ci-dessous), le deuxième nombre doit
être désigné en fonction de ce choix : «x+D» (flèche (4)). Il s'agit donc de désigner deux nombres
différents avec un lexique ne comportant qu'une seule lettre. Naturellement, on pourrait tout aussi
bien désigner ce deuxième nombre en se donnant une deuxième lettre, «y», et «déduire» par
substitution la redésignation fonctionnelle du deuxième nombre. C'est ce que proposait Lacroix.
Nous verrons plus loin que cela revient à masquer les problèmes cognitifs de conversion sans les
résoudre pour autant dans un contexte d'apprentissage. Car ce «choix de l'inconnue», à des fins de
redésignation fonctionnelle des objets et de réduction du lexique, est une opération nouvelle au
regard des pratiques habituelles de désignation dans les langues naturelles. Et cette opération peut
se révéler cognitivement complexe comme on peut le voir dès qu'il s'agit de choisir deux inconnues
pour écrire non pas une équation mais un système d'équations (Didierjean 1997). On peut résumer
cela de la manière suivante : l'introduction d'une lettre ne se fait pas pour désigner un objet mais
pour se donner les moyens de pouvoir désigner au moins deux objets différents. En ce sens le
«choix de l'inconnue» n'est pas une opération référentielle de redésignation des quantités inconnues
déjà désignées linguistiquement, mais une opération de réduction lexicale comme on peut le
constater sur l'exemple ci-dessous.
Problème 1. Un bassin est alimenté par deux fontaines A et B. Si on laisse couler A pendant 4 h et B
pendant 2 h, on obtient 64 l. Si on laisse couler A pendant 3 h et B pendant 4 h, on obtient 62 l. Quel est le
débit de chaque fontaine ?
La conversion de l'énoncé conduit à écrire «4x» pour «A coule pendant 4 heures» et «3x» pour «A
coule pendant 3 heures». Ici l'opération lexicale du choix de l'inconnue ne se confond pas avec les
opérations de redésignation comme dans le problème du partage d'un nombre ci-dessus où «x» est
la fois le résultat d'un choix lexical et celui de la désignation de l'un des deux nombres inconnus.
(2) Écrire l'équation consiste selon la formulation de Lacroix (1820, p.15) à «égaler deux quantités
entre elles», ces quantités étant (ou combinant) les quantités connues et inconnues. Mais cela
suppose que l'on ait, au préalable, discriminé, la (ou les) expression(s) qui désignent la relation
déterminant une égalisation entre les différents objets désignés. Or l'expression de cette relation
varie considérablement d'un énoncé à l'autre. Elle peut être marquée par un verbe : “on obtient”
(énoncé du problème des bassins, ci-dessus), “diviser” (énoncé du problème du partage d'un
nombre). Elle peut aussi être exprimée par toute une phrase (cf. infra l'énoncé du problème de la
modification des longueurs des côté d'un rectangle). Et parfois aucune formulation explicite ne
marque cette relation. Il est donc pour le moins abusif de comparer, pour cette seconde opération, la
mise en équation à une «traduction». Et ce phénomène se trouve amplifié dans les problèmes où il
s'agit d'écrire non plus une équation mais un système d'équations (Didierjean 1997). Plus que d'une
simple «traduction» , il s'agit d'un véritable changement de registre.
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La deuxième partie consiste à «résoudre» l'équation, c'est-à-dire à «déduire... la valeur de
l'inconnue» (Lacroix). Il s'agit, en fait, d'effectuer des transformations successives de l'équation tout
en restant dans le même registre de représentation sémiotique. Ce que l'on appelle ordinairement
«du calcul littéral». Or une équation comporte trois types de signes différents :
—des lettres et des chiffres du système décimal, dont l'emploi est exclusivement référentiel,
c'est-à-dire se limite à la désignation d'objets, les quantités inconnues ou connues, déjà
nommées dans l'énoncé,
— des symboles d'opérations sur des nombres (+, —, accolement des caractères, trait de
fraction) qui définissent «règles syntaxiques de priorité» et donc de concaténation et de
segmentation des signes à emploi référentiel ,
— un symbole de relation, ici le symbole «=» lequel commande le mode de substitution des
signes entre eux et qui est propre au mécanisme d'expansion discursive (le déplacement d'une
expression d'un membre à un autre qui permet de transformer une équation en une autre).
Tandis que dans la phase de conversion des données de l'énoncé, les lettres étaient les signes les
plus importants, puisque c'étaient elles que l'on manipulait, dans les opérations discursives de
redésignation, dans la partie calcul ce sont, au contraire, les deux autres types de signes qui
deviennent importants, car ils commandent les opérations de substitution. Cela veut dire que, pour
un jeune débutant, il se produit comme un changement complet de décor et de personnages. On
oublie l'inconnue, on oublie les expressions désignatives des objets de l'énoncé, pour porter son
attention uniquement sur les symboles d'opérations et de relation. Et là, il faut se garder d'assimiler
les opérations de substitution commandées par les symboles d'opération à celles commandées par le
symbole de relation : elles ne relèvent pas du même niveau d'organisation discursive. Nous
distinguerons donc :.
(3) Les opérations de calcul, numérique et littéral, proprement dites. Ici, selon la comparaison
employée par Husserl, les lettres doivent être manipulées comme les pièces d'un échiquier en
fonction de «règles de jeu», c'est-à-dire des règles syntaxiques de priorité, données par les
propriétés des opérations. Cela conduit évidemment à casser les syntagmes formés pour designer
les quantités inconnues de l'énoncé et à en reformer d'autres en fonction des symboles d'opérations
(la flèche 6 sur le schéma de la figure 1). Les difficultés sont celles des règles de priorité qui
exigent que l'on aille à l'encontre de la linéarité de l'écriture. Cependant il s'agit là d'un traitement
qui, à la différence des opérations précédentes de conversion, peut être algorithmisé.
(4) Le déplacement de certains termes d'un membre à l'autre de l'équation. C'est évidemment
l'opération nouvelle dans l'introduction de l'algèbre, celle qui ne peut pas être effectuée sans un
choix des termes à déplacer et donc sans un minimum d'anticipation. Il s'agit, en fait, de regrouper
et d'isoler dans un même membre, tous les termes comportant une occurrence de la lettre ayant le
statut lexical d'inconnue. Mais, surtout, ce regroupement doit se faire en conservant l'équivalence
initiale entre les deux membres de l'équation : les substitutions dans chacun des deux membres
doivent être effectuées salva veritate, selon la formule de Leibniz reprise par Frege (1971,p.111),
ou plus exactement ici salva aequalitate. Il s'agit donc là d'une exigence sémantique, et non plus
seulement syntaxique comme avec les opérations précédentes de calcul (3).
3. Les modifications de la signifiance des lettres dans le passage des opérations de conversion à
celle de traitement
Ces quatre types d'opérations ne se font pas au même niveau d'articulation discursive du sens.
(Duval 2000b p. 149-150). Les opérations de type (1) et (3) se font au niveau des objets ou des
syntagmes. Celles de type (2) et (4) se font au niveau des valeurs et des propositions, bien qu'une
équation soit un énoncé incomplet par rapport à une proposition. Cependant là n'est pas le
phénomène le plus fondamental du point de vue cognitif. Il est dans la rupture de structure de
signifiance des signes quand on passe des opérations de conversion aux opérations de traitement.
Car le sens des signes et des expressions algébriques n'est pas déterminé de la même manière dans
la phase de conversion et dans celle de traitement. Dans la phase de conversion on détermine le
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sens des lettres par la référence aux objets qu'elles désignent . Ainsi, dans l'exemple ci-dessus, «x»
et «x+D» sont les noms respectifs de deux objets différents, au même titre que «Paul» et «l'adjoint
de Paul». Il n'est donc pas possible de casser une expression référentielle pour en considérer les
termes isolément. C'est pourtant ce qu'il faut faire quand on passe à la phase de traitement : les
occurrences de la même lettre sont réunies indépendamment du fait que l'une a un statut de nom et
l'autre un statut de constituant d'un autre nom ! Ainsi, dans la phase de traitement on efface cette
référence aux objets désignés, pour prendre les lettres uniquement comme des objets que l'on peut
associer en vertu des seuls symboles d'opérations qui les relient.
Bien qu'il y ait une rupture profonde entre la phase de conversion et celle de traitement, entre une
description d'objets ou de relation et une manipulation «formelle» de signes, il n'y a pas perte de
«sens» quand on passe ainsi de l'énoncé du problème à la résolution de l'équation, mais
changement de la nature du «sens» : on passe d'une signification référentielle à ce que Husserl
appelait une «signification opératoire ou de jeu». Husserl avait du introduire cette notion pour
expliquer le passage d'une désignation référentielle ou «intuitive» des premiers nombres «naturels»
aux traitements arithmétiques dans un système décimal (Husserl 1972). Ce qu'il résumait plusieurs
années plus tard de la manière suivante :
Ce n'est pas avec des signes dépourvus de signification que l'on opère dans les sphères de la pensée arithmétique-
symbolique et du calcul. Ce ne sont pas les signes “purs et simples”, au sens de signes physiques privés de toute
signification, qui tiennent lieu des signes originaires animés de significations arithmétiques... ce sont bien les mêmes
signes, mais pris avec une certaine signification opératoire ou de jeu.
Husserl 1969 p. 79
Cette distinction entre deux types de sens nous renvoie aux deux propriétés des signes, en vertu
desquelles le seul travail sémiotique permet de produire des informations ou des idées nouvelles :
d'une part pouvoir être combinés selon des règles syntaxiques et, d'autre part, pouvoir être
substitués entre eux. Or c'est cette deuxième propriété qui est peut-être la plus fondamentale pour
saisir la spécificité sémiotique de l'usage des lettres dans le calcul littéral ou dans le calcul
algébrique. En effet, la substitution des signes (ou de groupements de signes) les uns aux autres,
que l'on retrouve aussi bien dans la phase de conversion que dans celle de traitement, renvoie à une
structure de signifiance des signes qui n'est pas du tout la même quand la substitution se fonde sur
une forme d'organisation d'écriture (syntaxique ou de disposition spatiale) ou quand elle se fonde
sur la conservation de la référence des signes manipulés. C'est là le point essentiel sur lequel il
nous faudra revenir pour comprendre les problèmes que les élèves peuvent rencontrer dans toutes
les formes de calcul littéral et algébrique.
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tandis qu'un travail d'enseignement portant sur la phase de traitement devrait commencer par des
problèmes n'exigeant que l'écriture d'une équation !
De toutes manières, que ce soit devant une équation ou devant un système d'équations, les
difficultés rencontrées par les élèves ne doivent pas être analysées séparément et contextuellement,
c'est-à-dire par rapport à des énoncés particuliers de problème, mais par rapport au champ des
variations possibles des énoncés des problème pouvant être résolus par des équations. Mais ici nous
allons seulement illustrer la variété et la complexité cognitives des opérations que l'analyse a priori
précédente a mis en évidence : permettent-elles bien de classer tous les types de difficultés
observés, correspondent-elles à des décalages important de réussites pour les mêmes élèves, et ces
décalages diminuent-ils, ou subsistent-ils, lorsque les élèves avancent dans leur cursus scolaire ?
Les erreurs concernant le «choix de l'inconnue» sont celles qui retiennent d'abord l'attention, selon
l'ordre linéaire des étapes de résolution classiquement répété dans les manuels. Mais il ne s'agit là
que d'une analyse de surface, analyse faite du point de vue de celui qui résout en procédant en
grande partie «inconsciement» (parce que cela lui est déjà familier) comme Vygotski l'expliquait
pour les processus de production de la parole. En réalité, l'apprenant se trouve devant un bloc non
dissociable de plusieurs opérations à effectuer, et le «choix de l'inconnue» n'est pas l'opération la
plus complexe. Une enquête déjà ancienne (Damm 1991), mais dont l'expérience des enseignants
semble montrer la pertinence et l'actualité (Duperret 1999, p. 37, 48), montre le décalage
considérable entre l'opération de désignation littérale d'objets déjà été désignés linguistiquement et
l'explicitation de la relation déterminant une équivalence entre les différents objets désignés. Ainsi,
cette enquête, dans laquelle il n'y avait pas à «choisir l'inconnue» puisqu'elle était donné dans
l'énoncé, montre l'existence de deux seuils :
— le passage de la désignation directe par une lettre de la (ou des) quantité(s) inconnue(s) à la
redésignation fonctionnelle des autres quantités inconnues
— le passage des syntagmes littéraux référentiels à l'écriture d'une phrase qui explicite une
équivalence entre les quantités connues et inconnues
Le premier passage peut être plus ou moins rapidement franchi par la plupart des élèves. En
revanche, le second apparaît, encore actuellement, constituer une barrière que la plupart des élèves
ne franchissent pas, même à la fin du lycée, surtout lorsqu'il faut recourir à un système d'équations.
Un homme a 23 ans de plus que sont fils. Il a 31 ans de moins que son père. La somme des âges des trois
personnes est 119 ans.
(1) Si on appelle "x" l'âge de cet homme,
OUI NON
x + 23 est l'expression qui désigne l'âge de son fils ( ) ( )
x - 23 est l'expression qui désigne l'âge de son fils ( ) ( )
x + 31 est l'expression qui désigne l'âge de son père ( ) ( )
x - 31 est l'expression qui désigne l'âge de son ( ) ( )
père
Cocher la réponse choisie
(2) Quelle équation permet de calculer l'âge de cet homme ?
Modalité A Modalité C
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Figure 2 Résultats aux deux opérations référentielles dans une tâche de conversion pour une
équation avec des élèves de 3ème et de 2nde : il n'y a pas de différence significative entre les
deux élèves des deux niveaux (Damm 1991, p.206)
On peut remarquer la chute importante entre les réussites pour la redésignation fonctionnelle et
celles pour l'explicitation de la relation d'équivalence, alors qu'il n'y a pas à choisir l'inconnue.
Figure 3. Résultats aux deux opérations référentielles dans une tâche de conversion pour un
système d'équations (même population que pour la question précédente Damm 1991, p. 207-208)
On pourra d'abord s'étonner du taux plus faible des réussites aux items (1) et (2) de cette question
par rapport à celui de l'item (1) de la question précédente. Cela tient d'abord au phénomène, bien
connu en psychologie, de la différence entre une tâche de simple reconnaissane et une tâche de
production. Dans la première question, il s'agissait d'une simple tâche de reconnaissance portant sur
la discrimination entre deux expressions données : il n'y avait rien à «traduire» ! Dans la deuxième
question il s'agit de produire les expressions. En revanche, le taux de réussite pour l' écriture d'une
équation n'est guère inférieur à celui enregistré dans la question précédente : 40% (113 sur 284
élèves) ont trouvé au moins une des deux équations. Mais l'observation la plus intéressante est dans
la question que ces résultats soulèvent : pourquoi l'équation du périmètre est-elle un peu mieux
réussie (61 + 41 élèves) que celle traduisant la conservation de la surface (11 + 41 élèves) ?
Nous touchons là à l'importance de la variable congruence/ non congruence qui intervient chaque
fois qu'une conversion de représentation est nécessaire. Ce qui est le cas lorsqu'il s'agit de convertir
les données de l'énoncé d'un problème en une équation. En effet, les données correspondant à
l'équation du périmètre sont toutes contenues dans une seule phrase, la première, et l'organisation
syntaxique de cette phrase peut y être mise en correspondance terme à terme avec l'organisation de
l'équation à écrire : celle-ci transparaît presque dans cette phrase. En revanche, la deuxième
équation, celle de la surface, requiert que l'on prenne en compte deux phrases et qu'en outre on
pense à paraphraser la proposition «mais la mesure de la surface reste la même» en «la mesure de
la surface avant égale la mesure la surface après». L'effet de cette variable congruence/non
congruence a pu être vérifié pour la résolution de beaucoup d'autres types de problèmes, appelés un
peu abusivement problèmes de “mathématisation” ou de “modélisation” (Duval 1997). Or
l'importance de cette variable est complètement scotomisée par les enseignants : en lisant l'énoncé
ils ont déjà en tête l'équation. Nous renviendrons sur ce point plus loin en analysant le texte de
Lacroix.
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Que l'on compare, par exemple, les trois énoncés de problème suivants (Didierjean 1997, p.39-44).
Problème 1. Un bassin est alimenté par deux fontaines A et B. Si on laisse couler A pendant 4 h et B
pendant 2 h, on obtient 64 l. Si on laisse couler A pendant 3 h et B pendant 4 h, on obtient 62 l. Quel est le
débit de chaque fontaine ?
Problème 2 Paul a 15 grosses billes et 21 petites billes. Toutes les grosses billes ont la même masse, et
toutes les petites aussi. Une grosse bille et une petite bille pèsent ensemble 170 grammes. La masse totale
des 15 grosses billes fait 126 grammes de plus que la masse totale des 21 petites. Quelle est la masse d'une
petite bille ?
Problème 2 bis Un vélomoteur monte une colline à la vitesse de 15 mètres par seconde ; puis il redescend
de l'autre côté à la vitesse de 21 mètres par seconde. Le parcours total a duré 270 secondes, et la montée
est de 126 mètres plus longue que la descente. Combien de temps a duré la montée ?
Dans le premier problème nous avons une parfaite congruence entre les propositions et les
équations :
Si on laisse couler A pendant 4h et B pendant 2h on obtient 64 l.
4x + 2y = 64
Ce qui n'est plus le cas dans les énoncés 2 et 2bis. Mais leur conversion conduit au même système
d'équations. La différence de résolution entre ces deux problèmes porte donc uniquement sur la
conversion et non pas sur le calcul. Elle depend des facteurs de congruence/non congruence.
Nous pouvons revenir maintenant à la question du choix de l'inconnue, c'est-à-dire du choix lexical
permettant la désignation directe d'une quantité inconnue et la redésignation fonctionnelle d'au
moins une autre quantité inconnue. La difficulté de la redésignation fonctionnelle tient aussi aux
phénomènes de non-congruence. Ces phénomènes apparaissent chaque fois que cette rédésignation
se fait à l'encontre du sens des mots de la langue naturelle. Pour mieux le comprendre, revenons
aux explications didactiques de Lacroix. Il présente les termes d'opérations ou de relations de la
langue naturelle comme si leur conversion dans une écriture algébrique était toujours congruente :
Les raisonnements... se composant, en général, d'un certain nombre d'expressions, telles que ajouté à,
diminué de, égal à, etc, répétées fréquemment, et qui tiennent aux opérations par lesquelles les grandeurs
qui entrent dans l'énoncé de la question, sont liées entre elles, il est visible qu'on abrégerait beaucoup en
représentant chacune de ces expressions par un signe; et c'est ainsi ce qu'on fait, comme il suit, ..
Pour indiquer l'addition, on se sert du signe +, qui signifie plus.
Pour la soustraction, on se sert du signe — , qui signifie moins...
Lacroix 1820 p.3
On remarquera le tour de prestidigitation réalisé dans ce texte. Lacroix part des symboles
d'opération et en donne un seul équivalent lexical dans la langue naturelle. Mais, en réalité, c'est la
conversion inverse qui est exigée des élèves dans la résolution de n'importe quel problème. Et alors
il n'y a plus congruence. Regardons l'énoncé élémentaire suivant (Duval 1988)
pas de correspondance
entre deux unités lexicales:
X - 23 = Y
non-congruence (critère I)
inversion d'ancrage par rapport à
X = Y + 23 l'expression en langue naturelle
non-congruence (critère III)
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Figure 4 Duval 1995 p. 49-52
Et l'on peut rappeler ici les observations faites par Clément (Grugeon 1995 p. 225-226) pour
l'énoncé suivant, dans lequel le facteur inversion d'ancrage joue de manière plus puissante:
Écrire une équation utilisant les variables E et P pour représenter la phrase suivante :“Il y a six fois plus
d'élèves que de professeurs dans ce lycée” Utiliser E pour le nombre d'élèves et P pour le nombre de
professeurs
Ici la conversion appelle une inversion de la lecture normale de la phrase, car la description d'une
relation se faisant à partir de ses termes , l'objet pris comme ancrage pour spécifier la relation entre
les deux termes n'est pas le même dans l'expression linguistique (“les élèves”) que dans l'expression
littérale (“les professeurs”). Ainsi le syntagme
Ce qui signifie que la redésignation fonctionnelle entraîne un changement des objets d'ancrage par
rapport au choix (priroritairement lexical) de l'inconnue.
On comprend mieux alors le quiproquo entre enseignants et élèves lorsqu'il s'agit d'énoncés de
problème. Les enseignants, comme Lacroix, partent d'un type d'équation que les énoncés
«traduisent» dans différents contextes tandis que les élèves doivent partir de l'énoncé pour
«trouver» l'équation. Or la caractéristique fondamentale de la conversion est sa non reversibilité : la
conversion dans un sens peut n'avoir cognitivement rien de commun avec la conversion inverse. Ce
qui, ici, est le cas.
B. Les problèmes de discrimination de la disposition visuelle des signes dans les opérations de
traitement.
On ne saurait trop souligner tout d'abord que le calcul littéral, à la différence d'un calcul numérique
qui porte sur des nombres pas trop grands (inférieurs à 10, 100 ou 1000), suppose non seulement
l'écriture mais une appréhension perceptive soutenue des expressions écrites et de leurs formes
visuelles d'organisation des trois types de signes (lettres, symboles d'opération et signe d'égalité).
D'une certaine manière nous aurions, avec le calcul littéral, un rapport à l'écriture qui n'est plus
celui du rapport à un texte mais qui présente certaines similitudes avec le rapport à une figure. Nous
avions déjà, il y a très longtemps, signalé l'importance de ce phénomène que l'on peut observer et
analyser systématiquement par le biais de tâches de conversion. En particulier, cela se traduit par
l'importance d'un facteur de symétrisation visuelle de la disposition des lettres et des symboles
d'opération autour du symbole d'égalité ((Duval (1971), 1995 p. 53-54). Certes, certes.... ce rapport
à l'écriture ne fait pas partie de la «conceptualisation» mathématique, cependant il fait
nécessairement partie de l'activité mathématique réelle et il constitue l'un de ses gestes
professionnels ! D'ailleurs toute manipulation «formelle» de signes et de groupes de signes ne peut
se faire que dans une manipulation oculo-grahique. C'est pour cette raison que Hilbert la
considérant comme une manipulation «concrète». Et la comparaison de Husserl trouve ici toute sa
pertinence. D'une certaine manière, il en va avec la calcul littéral et symbolique comme avec les
figures, il faut «voir». Mais là il est à la fois plus facile et plus difficile de «voir» qu'avec des
dessins (Duval 2000c). Plus facile, parce que les formes possibles à discriminer sont très peu
nombreuses si on les compare au nombre de configurations géométriques possibles qui peuvent être
discernées dans une figure de départ. Plus difficile, en raison de linéarisation de l'écriture et,
surtout, de la répétition des mêmes signes à l'intérieur des équations, des formules. Ce qui rend la
discrimination visuelle plus sujette à des confusions, à des oublis ou à des négligences, comme pour
les élèves qui ne lisent pas tout ou qui font des erreurs dans l'identification des mots ou dans les
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regroupement syntagmatiques de mots. La lecture des expressions algébriques relève en grande
partie d'une tâche de vigilance. Car la discrimination visuelle de formes porte ici sur des
organisations syntaxiques qui d'une part se ressemblent beaucoup, car elles sont souvent composées
de la répétition des mêmes signes, et qui, d'autre part, supposent que l'on rompe avec un simple
parcours linéaire.
Les difficultés rencontrées par les élèves sur ce point vont être des difficultés transitoires et non
pas des difficultés récurrentes comme pour l'opération de redésignation fonctionnelle des objets ou
des difficultés insurmontables comme pour l'explicitation de deux relations dans l'écriture d'un
système d'équations (Duval 2000a p.57). Cela veut dire que les difficultés de discrimination visuelle
vont être, pour la grande majorité des élèves, des difficultés propres aux premiers stades des
apprentissages et qu'ensuite elles tendront à disparaître, les élèves étant parvenant à un stade
d'identification et donc de traitement plus ou moins automatique et sûr. Cependant, il reste une
petite partie des élèves qui ne semble pouvoir entrer dans cette pratique spécifiquement
mathématique de l'écriture-lecture des signes dans le calcul littéral. Pour eux, des difficultés
transitoires que l'on observe au début du collège vont se retrouver plusieurs années plus tard, au
niveau d'un enseignement professionnel, comme un véritable handicap et comme la marque
toujours sensible d'un échec (Grugeon 1995).
Cela concerne d'abord les règles syntaxiques de priorité. Leur particularité est d'entrer en conflit
avec la linéarité de la suite des signes, qui ne se parcourt pas comme la suite des mots dans une
phrase. Et le recours au parenthèsage ne résout que très partiellement les difficultés, car cela ne
dispense pas la prise en compte des propriétés d'associativité et de distributivité. En réalité, c'est
seulement une représentation bi-dimensionnelle qui permet de percevoir les différences
d'organisation syntaxique des écritures littérales
a+b a b
m= m= +
2 2 2
a b a b
+
:2 :2
:2
+
m m
Et voici maintenant des exemples élémentaires de difficultés spécifiques à cette non perception
(Grugeon 1995 p.66) :
En fait derrière cela, il y a l'assimilation des formes d'écriture entre elles et la tendance à les
organiser par symétrie. Ainsi des élèves écrivent
Elles ne doivent pas être confondues avec les difficultés précédentes de calcul, parce que les
opérations cognitives mobilisées ici sont différentes. Il est d'ailleurs intéressant de voir apparaître
dans les stratégies d'apprentissage, ou dans certains dispositifs didactiques, le recours physique ou
10
iconique à la comparaison de la balance ! Comme si l'égalité était un état d'équilibre et comme si
les substitutions avec changement de membre étaient analogues à des manipulations physiques qui
ne doivent pas faire pencher la balance (Radford et Grenier 1996; Duperret 1999; Steinbring 1999).
Nous ne nous intéressons pas ici à l'utilité didactique de cette représentation qui ne peut être que
transitionnelle. Car, en réalité, les substitutions salva aequalitate, c'est-à-dire sous la condition que
la dénotation d'équivalence ne change pas, constituent le mécanisme de progression des calculs, de
la même manière que les substitutions avec conservation, d'une phrase à l'autre, des objets de
référence (c'est-à-dire des objets dont on parle) forment le mécanisme de progression du discours en
langue naturelle. Mais nous voulons ici seulement souligner ce que le recours à ce type de
représentation révèle : la nécessité d'une prise de conscience centrée sur une opération d'expansion
discursive qui est entièrement nouvelle pour les élèves par rapport aux opérations de calul qu'ils
connaissent.
Rappelons que l'analyse de la compréhension des «symboles algébriques» ne doit pas assimiler
trois types de signes : les lettres, les symboles d'opération et le symbole de relation (égalité ou
inégalité). Les lettres ne référent pas au même type d'objet que les symboles d'opération ou de
relation. Mais, généralement, quand on parle d'«objet» on pense d'abord à «l'inconnue», c'est-à-dire
aux quantités inconnues redésignées à partir du lexique d'une ou de deux lettres (Radford et Grenier
1996, p.272). Or nous avons vu que les lettres, qui occupent en quelque sorte l'avant-scène dans les
opérations de conversion, passent en quelque sorte dans les coulisses pour laisser la place aux
symboles d'opération et au symbole d'égalité, dans la phase de traitement. On se contente de
manipuler les lettres comme des «pièces d'un échiquier» et de les déplacer comme des sacs sur les
deux plateaux d'un balance. En réalité simple manipulation oculo-graphique ! Cessent-elles d'avoir
un «sens» dans cette phase de traitement ? Cette question est celle du statut des lettres dans le calcul
littéral et algébrique. Avant de proposer quelque éléments de réponse, rappelons deux types de
diffcultés classiquement observées.
Il y a tout d'abord celle de l'opacité sémiotique des lettres, lorsque leur fonction référentielle
se trouve neutralisée. Ainsi des élèves peuvent considérer qu'il est impossible d'effectuer l'opération
4x + x, car on ignore la valeur de x et qu'il faut d'abord pouvoir remplacer x par un nombre. Ils ne
voient pas que la lettre prend «une signification opératoire» en vertu du symbole opératoire sous la
portée duquel les lettres se trouvent. Autrement dit la lettre doit devenir un signe entièrement
subordonné à d'autres signes.
A l'autre extrême, il y a la difficulté qui concerne beaucoup plus d'élèves et qui, surtout, est
une difficulté récurrente : ne pas voir qu'une lettre peut être remplacée par d'autres lettres et,
surtout, par un groupement d'autres lettres. Naturellement cette difficulté n'apparait pas dans la
résolution simple d'une équation. Mais elle apparaît lorsqu'il s'agit de developper ou de simplifier
des expressions. Ainsi les élèves ne «pensent» pas à utiliser les identités remarquables que pourtant
ils connaissent. Défaut de discrimination visuelle de la forme syntaxique d'écriture d'une expression
ou inconcevabilité qu'une lettre puisse tenir lieu d'une très longue expression ? Si on ne peut écarter
le rôle du premier facteur, le second est essentiel. Ainsi les enseignants ont fait souvent cette
constatation : pour que des élèves puissent utiliser les identités remarquables dans le développement
d'expressions du type
2+ 2
il fallait les leur présenter sous la forme = ....
D'une difficulté extrême à l'autre, il y a ceci de commun : une lettre, comme un nom, ne pourrait
«remplacer» qu'un objet particulier, un nombre ou, dans certaines conditions, une autre lettre. Or la
particularité de l'emploi des lettres est de permettre une substituabilité isotrope, c'est-à-dire de
pouvoir aussi bien remplacer des objets — elles prennent alors ou le statut de constituant lexical
pour désigner des quantités 'inconnues ou celui de «variable»— que d'autres signes — elles tiennent
11
alors de place non occcupée dans un schéma d'expression —. Frege dans sa Begriffschift, parlait
d'«indétermination».
On ne saurait donc trop souligner l'hétérogénéité des difficultés rencontrées par les élèves lors de la
résolution d'un problème par l'algèbre. Cette hétérogénéité se traduit par des évolutions différentes
sur plusieurs années d'enseignement de l'algèbre du Collège au Lycée, par rapport à la variété
cognitive des difficultés. Certaines difficultés apparaissent transitoires, du moins pour la majorité
des élèves. D'autres sont récurrentes, et quelques unes semblent insurmontables, sans intervention
de l'enseignant, principalement celles concernant la mise en équation dans les cas où il n'y a pas de
congruence avec les énoncés. Cette hétérogénéité des difficultés reflète la profonde hétérogénéité
des multiples opérations cognitives qui sont nécessairement mobilisées pour résoudre un problème
par l'algèbre.
Prendre en compte cette hétérogénéité des opérations mobilisées dans la résolution d'un problème
par l'algèbre est essentiel pour pouvoir analyser les conditions d'introduction de l'algèbre au collège
ainsi que les processus de son apprentissage par tous les élèves. Car cela entraîne plusieurs
conséquences qui ne semblent pas avoir beaucoup retenu l'attention des enseignants ou celle des
concepteurs d'outils didactiques.
Tout d'abord, il est absurde de considérer que le sens serait lié à certaines opérations cognitives et
non pas à d'autres. Que ce serait, par exemple, à partir de son application à des problèmes de nature
physique, économique, arithmétique ou géométrique que la méthode algébrique de résolution, et par
conséquent, le calcul littéral et algébrique trouveraient leur «sens» (Duperret 1999, p. 44-47). En
d'autres termes, cela revient à admettre que les opérations de «manipulation des symboles et des
règles d'écriture» relèveraient d'un symbolisme «aveugle», pour reprendre la métaphore
leibnizienne avec laquelle Husserl était en plein accord. Une telle conception se heurte à deux
obstacles . D'une part si on motive le recours au calcul algébrique par son utilité pour résoudre
certains problèmes, on n'en fait pas comprendre pour autant le fonctionnement propre. D'autre part,
et c'est pour nous le plus important, il y a l'obstacle des énoncés de problèmes dont la phase
décisive de résolution dépend d'une activité de conversion. Autrement dit, l'idéal pour une
conception didactique qui cherche le sens dans des situations d'application serait des problèmes de
mathématisation ou de modélisation sans énoncé ! Ce qui ne semble pas encore réalisé dans
l'enseignement. Force est alors de constater que de la formulation linguistique d'un énoncé de
problème aux transformations de l'écriture d'une équation permettant de trouver la quantité
inconnue cherchée, il y a d'une part un changement de registre sémiotique et d'autre part des
modifications profondes dans la structure de signifiance des différents types de «symboles
algébriques» employés. Passer tout cela sous silence avec de jeunes élèves est pour le moins
étrange. En outre, les différentes opérations cognitives mobilisées dans le parcours de résolution
d'un problème sont soumises, chacune, à des facteurs, ou à des «paramètres», qui sont des variables
didactiques presque toujours négligées.
L'hétérogénéité des différentes opérations cognitives signifie leur indépendance, du moins pour
celles qui relèvent des deux types de transformations des représentations sémiotiques que sont la
conversion et le traitement. Et cette indépendance soulève une question fondamentale concernant
les modèles d'apprentissage et plus généralement l'interprétation des observables d'un
développement : les acquisitions sont-elles «causalement» dépendantes les unes des autres ou, au
contraire, se font-elles de manière séparées à des rythmes non-synchrones, leur coordination ne se
faisant que progressivement ?
Dans le premier cas, nous avons un modèle constructiviste linéaire, dérivé du modèle
piagetien de développement. Il présente l'avantage de reproduire dans ses descriptions les
progressions qui sont directement observables en surface. Dans le second cas nous avons un modèle
hiérarchisant deux niveaux de fonctionnement : d'une part, des acquisitions fonctionnelles en
parallèle, et, d'autre part, des coordinations qui se réalisent progressivement au fur à mesure que les
différentes acquisitions fonctionnelles prerequises arrivent à maturité. On sait que les modes de
compréhension attendus en mathématiques relèvent du niveau des coordinations et non pas de celui
des acquisition fonctionnelles. Or, dans le cadre de ce deuxième modèle, l'émergence d'un type de
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coordinations dépend des différentes acquisitions fonctionnelles sous-jacentes qu'il articule, et non
pas des autres types de coordination ayant émergé antérieurement. En d'autres termes, on ne peut
pas interpréter l'ordre des émergences successives comme successivement dépendantes les unes des
autres. Par exemple, les actions sensori-motrices ne sont pas la condition de l'acquisition du
langage, même si leurs coordinations émergent plus rapidement que celles requises pour les
coordinations requises par la parole : le langage n'est pas une intériorisation des actions.
Or il semble qu'en ce qui concerne l'enseignement de l'algèbre on recourt implicitement plus
au premier modèle d'apprentissage qu'au second. Comme si l'apprentissage de toutes les opérations
de traitement devait dépendre de celui des opérations de conversion. Et comme si la maîtrise dans le
«choix de l'inconnue» et dans son détachement de l'objet désigné devait permettre d'acquérir toutes
les autres opérations du calcul littéral.
Inutile de préciser que ces explications équivalent à écrire les titres de chapitre d'un livre sans écrire
le texte des chapitres ! Même si l'on donne en regard un exemple pour un problème dont l'énoncé
est d'ailleurs le plus souvent congruent. Mais le plus important n'est pas là, il est dans l'illusion
didactique que crée ici le recours à la résolution de problèmes pour introduire l'algèbre : une
séquentialisation, en surface, d'opérations cognitives hétérogènes et indépendantes. Et cela conduit
à scotomiser deux points décisifs : la caractère central de l'activité de conversion dès que les
problèmes sont introduits par des énoncés, et la multifonctionnalité des lettres dans leur emploi en
mathématiques.
Revenons au problème classique de Diophante présenté au début de cet article, et qui est souvent
considéré comme un problème type pour l'introduction de l'enseignement de l'algèbre. Et regardons
comment Lacroix explique sa résolution par la méthode algébrique. Pour justifier ce choix, il suffit
de rappeler le sous-titre de l'ouvrage de Lacroix : Notions préliminaires sur le passage de
l'arithmétique à l'algèbre, explication et usage des signes algébriques.
13
Disours commentaire Discours opératoire : (Traitement) Ecriture
littérale
Pour y parvenir on observera, 1° que (1) La plus grande partie est égale à la plus petite P = p + e
plus l'excès donné,
et que par conséquent, si la plus petite
partie était connue, en lui ajoutant cet
excès, on aurait la plus grande: 2°, que
(2) La plus grande ajoutée avec la plus petite
partie, forme le nombre à partager P+ p = N
Substituant dans cette dernière phrase, à
ces mots : la plus grande partie,
l'expression équivalente rapportée plus
haut, savoir: la plus petite partie, plus
l'excès donné, on trouve que (3) La plus petite partie, plus l'excès donné, plus
encore la plus petite partie, forment le nombre à p + e +p = N
partager.
Mais alors la phrase peut être abrégée, (4) Deux fois la plus petite partie, ajoutées avec
en l'énonçant ainsi : l'excès donné, forment le nombre à partager; 2 p +e = N
et on en conclut nécessairement que (5) Deux fois la petite partie sont égales au
nombre à partager, diminué de l'excès donné: 2p = N- e
donc (6)Une fois la plus petite partie est égale à la
moitié de la différence entre le nombre à partager p = (N-e)/2
et l'excès donné
Ou, ce qui est la même chose, (7) La plus petite partie est égale à la moitié du
nombre à partager, moins la moitié de l'excès p = N/2 - e/2
Voila la question proposée résolue, donné
puisque pour obtenir les parties
cherchées, il suffit de faire des
opérations purement arithmétiques sur
des nombres connus
Figure 6. Exemple de résolution d'un problème par l'algèbre proposé par Lacroix (1820, p. 2-3).
Nous avons distribué l'explication en «langage ordinaire» sur deux colonnes, l'une relevant du
discours opératoire et l'autre du discours commentaire (Duval 2000b p. 153-154, 157-158). C'est
nous qui avons introduit la troisième colonne conformément à la présentation que Lacroix propose
un peu plus loin (1820, p. 13) pour une «question analogue mais un peu plus compliquée» :
«partager un nombre en trois parties telles, que l'excès de la moyenne sur la plus petite soit un
nombre donné, et l'excès de la plus grande sur la moyenne soit un autre nombre donné». Lacroix
présente en parallèle, sur deux colonnes, la solution «avec le langage ordinaire» et celle «avec
l'écriture algébrique». On peut alors faire immédiatement deux observations sur cette explication :
C'est l'homogénéisation en une même démarche de «déduction» qui semble prévaloir dans
cette présentation de la solution, comme le montre la conversion en écriture littérale des
propositions dans la troisième colonne. En effet, il n'y a plus là de différences explicites entre la
«traduction» et le «calcul» ! Les trois premières égalités correspondent à ce que Lacroix appelle la
«traduction». Le calcul proprement dit, c'est-à-dire la manipulation de l'égalité obtenue, commence
avec la quatrième égalité. Or la partie «traduction» comporte déjà une part de traitement puisque
14
l'égalité (3) est obtenue par substitution dans (2) de la valeur P donnée en (1) : il s'agit là de réduire
le lexique, c'est-à-dire de remplacer l'une des deux désignations directes des deux nombres («P» et
«p») par une désignation fonctionnelle. La fomulation de la proposition (3) dans laquelle s'effectue
l'effacement de l'inconnue «P» est à cet égard significatif. Lacroix écrit directement ce qui
correspond à :
p + e + p = N et non pas à (p + e) + p = N
qui marquerait la référence explicite à P. Mais, un tel parenthésage serait sans signification du point
de vue du traitement. En revanche les propositions (1) et (2) sont des paraphrases de l'énoncé.
les deux parties que je viens d'indiquer se retrouvent dans presque tous les problèmes qui sont du ressort
de l'Algèbre. Il est difficile de donner, au moins pour le moment, une règle d'après laquelle on
puisse effectuer la première partie, celle qui a pour objet la traduction en caractères algébriques
des conditions de la question. Il faut, pour y réussir, se familiariser avec l'écriture algébrique; et
acquérir l'habitude...
Lacroix p;15
Difficulté toujours actuelle si l'on en croit le témoignage d'enseignants faisant part des constantes de
leur expérience en classe : ce qui correspond à la phase de conversion peut faire «l'objet d'une
longue négociation... les élèves (de 3e) abordant alors plus facilement la suite» (Duperret 99 p. 37-
38). Bref, après plusieurs années d'enseignement la plupart des élèves auront toujours besoin de
l'enseignant pour les aider à convertir l'énoncé en équation.
Les lettres ne sont pas des signes comme les autres et, d'une certaine manière, elles ne fonctionnent
comme des signes qu'accidentellement. En effet, leur signifiance n'est pas déterminée par
l'appartenance à un système sémiotique comme, par exemple, celle des chiffres est déterminée par
leur appartenance à un système de numération, ou encore comme celle des mots par leur
appartenance au lexique d'une langue. Elle n'est pas non plus déterminée par un emploi désignatif
qui reste stable d'un contexte à un autre, ou d'un mode d'organisation syntaxique à un autre, comme
par exemple les symboles d'opérations ou de relations. Ce que montre parfaitement cette
recommandation qui est probablement inefficace : «chaque fois que tu emploies des lettres à la
place du nombre, dis ce que représente chaque lettre utilisée.» (Deledicq 1979, p.81). Car c'est
seulement de manière seconde que les lettres désignent des objets : ils tiennent lieu d'autres signes
qui eux désignent des objets. C'est ce que nous avons appelé plus haut leur substituabilité isotrope.
C'est pourquoi la signifiance des lettres est exclusivement déterminée par leur statut : statut
d'inconnue, statut de paramètre ou statut de variable... Or chacun sait qu'un statut est toujours relatif
à une organisation, l'organisation étant ici celle d'une expression complète : équation, formule....
D'un point de vue cognitif, le problème de l'introduction des lettres est donc celui de la prise de
conscience par les élèves de ce type très particulier de signifiance ou de référence indirecte. De
quelle manière une telle prise de conscience peut-elle se faire ? Il faut ici revenir aux tentatives bien
15
connues de résolution par ces approximations numériques successives que les élèves font souvent
pour résoudre un problème. De ce point de vue, l'observation relatée par Schmidt (1996 p.288-290)
pour le problème suivant est particulièrement significative.
Le problème “Les deux trains”. Il y a 576 passagers à transporter entre deux villes. On dispose de deux
trains pour le faire. Un des trains a uniquement des wagons à 12 places, et l'autre uniquement des wagons
à 16 places. En supposant que le train formé de wagons à 16 places ait 8 wagons de plus que l'autre,
combien doit-on accrocher de wagons après chacune des locomotives ? (Schmidt 1996 p. 294)
Un élève, Paul, commence par procéder à des essais numériques à partir de la proposition «le train
des wagons à 16 places a 8 wagons de plus l'autre» et il calcule le nombre total de places:
12 places 16 places
1 9
2 10
3 11
4 12
5 13
12 20
Et il finit par constater : “oui et on se rend compte que je fais toujours la même affaire... Donc x
fois plus 12, par ce que j'additionne toujours ... et ici, qu'est-ce je fais, je fais tout le temps mon x
plus le 8 que je multiplie à 16. Et je dois retrouver 576 passagers”. Ce qui le conduit à poser
l'équation : «x (12) + x + 8(16) = 576 passagers». Pour l'auteur de cette observation, on aurait là un
exemple du fait que «l'algèbre tient le rôle d'outil de généralisation permettant de symboliser les
régularités exprimées par les relations pour quelques cas numériques» (Schmidt 1996, p.290).
Interprétation discutable parce que trop globalisante. Tout d'abord doit-on parler ici de
«généralisation» ou de «condensation» ?
La condensation consiste à substituer une expression à une liste d'expressions semblables pour en
tiend lieu. C'est en quelque sorte un raccourci économique mais «pauvre et laconique» de
formulation (Freud 1976, p.242) qui ne prétend d'aucune manière définir tous les cas possibles.
Ainsi beaucoup de formules sont des écritures littérales qui condensent en une seule expression des
listes d'instanciations numériques semblables d'une relation particulière. A ce stade, on est en
deçà et en dehors d'un souci de recherche de contre-exemple ou de preuve. Et, de ce point vue, les
problèmes numériques ou les problèmes de calcul de longueurs, ou même d'aire, pour des figures
géométriques élémentaires constituent les situations les plus appropriées pour susciter un «travail
de condensation» (Freud 1976 p.242), et, à travers lui, une prise de conscience du caractère très
particulier de la signifiance des lettres. Et dans l'observation relatée c'est un travail de description
condensatrice qui est présenté. Naturellement il accompagne et entraîne un déplacement de
l'attention des objets qui servent à exprimer la relation, ici des valeurs numériques, vers la relation
elle-même.
En second lieu, qu'une description condensatrice ait permis à Paul de trouver l'inconnue, dans ce
problème, n'implique pas un progrès concernant les opérations relatives aux opérations de
redésignation des objets et à l'explicitation des relations. En effet, ses essais numériques ont été des
instanciations successives du nombre de wagons par train en prenant en compte «le train formé de
wagons à 16 places ayant 8 wagons de plus que l'autre», le nombre de passagers, 576, servant de
critère de décision : 1 et 1+8, 2 et 2+ 8... Cela permettait, sur cet énoncé de problème, de court-
circuiter l'opération de redésignation fonctionnelle, d'ailleurs parfaitement congruente. Ce que Paul
écrit ensuite comme équation résume sans plus sa procédure. En outre, il n'est pas nécessaire
d'expliciter la relation d'équivalence pour écrire l'équation. Il suffit de prendre 576 passagers
comme le résultat d'un addition et donc de l'écrire après le signe d'égalité. On ne peut donc pas
savoir si ici l'écriture de l'équation représente ici un progrès significatif dans le passage vers le
«symbolisme algébrique». Pour cela, il aurait fallu avoir d'autres productions de ce même élève sur
des énoncés où la conversion n'est plus congruente, ou sur des énoncés pour lesquels les démarches
de redésignation fonctionnelle et d'explicitation d'une relation ne puissent plus être court-circuitées.
16
L'observation présentée montre bien, en revanche, que les lettres apparaissent quand ils s'agit
d'exprimer de manière économique une suite d'exemples numériques où l'on retrouve la même
relation. Frege parlait d'«indétermination» pour la référence des lettres; ici, il s'agit davantage d'une
condensation qui n'est pas encore la généralisation mais qui ouvre à la particularité de la signifiance
des lettres.
Faire découvrir l'écriture littérale à partir de cette fonction de condensation est cognitivement
différent de la faire découvrir à partir des opérations de redésignation d'objets déjà désignés
linguistiquement, comme cela est le cas quand on introduit les lettres pour désigner des quantités
inconnues. Dans un cas, la signifiance des lettres est une description condensatrice pouvant générer
beaucoup d'instanciations numériques, dans l'autre la signification des lettres est la désignation d'un
objet particulier, comme celle du nom de quelque chose de bien identifiable. En outre, dans ce
dernier cas, il peut y avoir équivoque entre le choix lexical de l'inconnue, qui est souvent lié à un
choix d'ancrage, et les opérations de redésignation directe ou de rédésignation fonctionnelle des
quantités inconnues déjà nommées dans l'énoncé. Ainsi l'énoncé du problème qui a été proposé à
Paul donne lieu à deux choix d'ancrage, dont l'un permet d'éviter le recours à une «inconnue»
Ancrage sur le nombre de wagons par train, Ancrage sur le nombre de places par train
x étant le nombre de wagons pour le train formé En enlevant les 8 wagons supplémentaires du train
de wagons à 12 places à 16 places, le recours à une quantité inconnue
n'est plus nécessaire
12x + 16 (x + 8 (wagons)) = 576 576 — (16 x 8) = 448 places pour les deux trains
12x + 16x + 128 = 576 ayant chacun le même nombre de wagons
28x = 448 448 : (12 +16) = 16 wagons par train pour
x = 16 448 places.
Le choix d'un objet d'ancrage est un phénomène extrêmement important pour la compréhension de
certains problèmes. Il conduit à des procédures de résolution différentes qui, parfois, ne donnent pas
du tout les mêmes résultats. Un objet d'ancrage est un objet qui est pris comme référence pour
décrire une opération effectuée ou une opération à effectuer. La question du choix d'un objet
d'ancrage intervient dès qu'il y a au moins deux objets possibles qui peuvent être pris comme
référence pour décrire une (ou plusieurs) opérations. Pour le montrer nous allons prendre deux
exemples.
Le premier exemple concerne la fiche de paye pour un travail de coursier. Elle a été soulevée lors
du débat sur la loi des «35 heures» : le travail va-t-il être rémunéré à la course ou à l'heure ? Si les
conditions du marché imposent des contraintes sur le prix de la course, quel peut-être la stratégie
des patrons ? Un patron explique :
Pour tenir, une partie des employeurs du secteur trafiquent les fiches de paye, les horaires. Ils disent à
leurs salariés : vous êtes payés 8, 50 francs la course. A la fin du mois, le type qui a fait 600 courses
touche donc 5100 francs. 5100 francs, c'est moins que le Smic, donc le patron prend sa calculette,
divise cette somme par le Smic horaire et dit à son employé : “Voilà, je te paye 130 heures.”. Le jeune
lui, il a sans doute fait 200 heures mais il sait aussi qu'il a fait 600 courses, alors il ne trouve pas cela
scandaleux. D'ailleurs, il ne connaît pas la législation. A l'école on ne lui a pas appris à lire une fiche de
paye.
Libération 6 Octobre 1997 p. 21
L'autre exemple montre qu'un quiproquo sur les objets d'ancrage conduit à un paradoxe.
Trois voyageurs donnent pour une chambre chacun un billet de 10 dollars. Le garçon remet les 30
dollars au patron qui lui en redonne 5, car la chambre coûte 25 dollars.
Le garçon rend un billet de 1 dollar à chaque voyageur et garde deux billets de 1 dollar.
Donc 25 + 3 + 2 = 30.
17
Mais chaque voyageur ayant donné 10 dollars et ayant reçu un dollar a donc payé 9 dollars. Le garçon
a gardé 2 dollars. Donc 9 x 3 + 2 = 29
Northrop 1954
Nous avons là deux descriptions des opérations de l'échange de billets pour le réglement du prix de
la chambre. Il y a un objet d'ancrage fictif à partir duquel est effectuée la première description : la
somme remise par les voyageurs, 30 dollars. Et il y a un objet d'ancrage réel à partir desquels est
faite la seconde description, la somme réellement payée par les voyageurs : 27 dollars. Et la
deuxième descrption tente de retrouver l'objet d'ancrage de la première description (30 dollars) à
partir du second objet d'ancrage (27 dollars). On aura remarqué les glissements de chacune des
deux descriptions . Les 3 dollars rendus au voyageurs ne peuvent pas être ajoutés au prix de la
chambre, lequel n'intervient pas matériellement dans l'échange de monnaie, mais doivent être
retranchés des 30 dollars. Et les deux dollars gardés par le garçon s'ajoutent au prix de la chambre et
doivent être inclus dans la somme payée par les voyageurs. Donc on a 30-3 et 25 + 2.
Il y a évidemment des exemples plus simples. Le sens de la multiplication constitue l'une des
premières situations dans laquelle les difficultés relatives au choix d'un objet d'ancrage
apparaissent. En effet, le sens de la multiplication requiert la prise en compte de deux niveaux de
désignation des objets comptés : celui des éléments et celui des regroupements ayant un même
nombre d'éléments. L'opération arithmétique est commutative, mais elle donne lieu à deux
descriptions qui ne sont pas du tout équivalentes, car elles renvoient à des situations réelles
différentes : cinq paquets de dix crayons ce n'est pas la même chose que dix paquets de cinq
crayons.
Pour pouvoir répondre à cette question, nous ne devons jamais oublier trois données fondamentales.
La première a été mise en évidence par Frege (1971 p. 82, 102-103) : le «sens» d'un signe est
constitué de deux composantes :
Cette distinction est essentielle. Elle explique la possibilité de la progression des discours et des
calculs. C'est parce que les objets peuvent être désignés de différentes manières que, d'une phrase à
une autre, ou d'une équivalence à une autre, les discours et les calculs ne s'enferment pas dans de
pures tautologies (Duval 1998, p.153-159).
La seconde a été mise en évidence par Saussure (1973 p.159, 166-167). La manière dont un signe
permet de désigner, ou même de représenter, un objet dépend du système sémiotique auquel il
18
appartient. Cela veut dire qu'à la différence des indices (vestiges, traces...) les signes ne signifient
pas isolément mais par opposition aux autres signes à la place desquels ils peuvent être choisis. A
l'intérieur d'un système sémiotique, le sens d'un signe est défini comme l'ensemble des choix
possibles auquel il correspond pour désigner quelque chose. Ainsi le modèle plus élémentaire de
système sémiotique est le langage booléen qui se réduit à deux signes, déterminant seulement deux
choix possibles à chacune des places d'une expression formée. Les systèmes de numération sont des
systèmes plus complexes dans la mesure où la position des signes est également prise en compte
comme valeur de choix, c'est-à-dire comme un signe : chaque position a une valeur par opposition
aux autres positions (dizaine, centaine.. pour les écritures de base 10 et comportant donc 10 signes).
Ainsi le caractère «1» n'est pas le même signe dans un système binaire et dans un système décimal.
Enfin le système le plus complexe, celui peut-être dont les autres ont été dérivés (du moins dans
l'ordre des systèmes permettant une expansion discursive, le calcul étant l'une des formes
d'expansion discursive) est la langue naturelle (Benveniste 1974 p. 60-61). Cette seconde donnée
est fondamentale car elle explique comment se détermine l'une des deux composantes de sens
distinguées par Frege. Or il est intéressant de remarquer que les schéma triangulaires, sémiotiques
ou épistémologiques, par lesquels on veut décrire le jeu de la signification (Eco 1988, p.66-68)
négligent le fait qu'il n'y a pas de signe indépendamment d'un système sémiotique.
La troisième donnée fondamentale est plus ou moins inhérente à la notion de syntaxe. Un signe ne
fonctionne véritablement comme signe que dans la mesure où il peut être combiné avec d'autres
dans des opérations soit de composition soit de substitution. C'est ce qui rend possible toutes les
démarches de traitement, le calcul et les raisonnements en étant les formes les plus typiques.
Autrement dit, l'intérêt d'un signe n'est pas seulement, ou n'est pas d'abord, d'évoquer quelque chose
d'autre mais, à travers le jeu de sa composition avec d'autres signes, de permettre des
transformations de représentation. Ainsi les indices, les vestiges ou les traces, ne peuvent pas être
mis sur le même plan que les signes, contrairement à ce que les différentes tripartitions des signes
proposées par Peirce tendent à le faire croire (Séminaire IUFM 1999, p. 34-48). Car non seulement
la production des indices n'est pas intentionnelle, mais les indices ne se composent pas entre eux
pour permettre une activité intentionnelle d'expression ou de traitement. Pour notre propos, cette
troisième donnée renvoie à la possibilité de désigner des objets non plus par l'association d'un signe
à un objet auquel on aurait un accès indépendamment de toute activité sémiotique, mais par
composition de plusieurs signes comme dans les désignations fonctionnelles ou dans les
descriptions définies.
Pour donner un aperçu de la diversité des procédures de désignation des objets, le moyen le plus
rapide est peut-être d'en proposer une classification sommaire. Deux facteurs doivent être pris en
compte : le niveau d'expression et le registre de représentation sémiotique utilisé. Les niveaux
d'expression dépendent de la fonction discursive que l'expression remplit. Ici nous ne retiendrons
que les fonctions référentielle et apophantique (Duval 1995, p. 91-94, 105-110 ; 2000b p.149-151).
Et, pour les mathématiques il est nécessaire de prendre en compte, outre la langue naturelle, les
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registres «formels», c'est-à-dire les registres techniques permettant de développer toutes les formes
de calcul. Ces deux facteurs jouent de manière différente dans la désignation des deux types
d'objets que toute activité de connaissance conduit à discriminer : les individus, c'est-à-dire des
objets particuliers pouvant être réunis dans une même classe, et les relations pouvant exister entre
les individus. La désignation de ce deuxième type d'objets est plus complexe.car elle requiert des
opérations discursives qui relèvent de la fonction apophantique et non plus seulement les opérations
qui relevent de la fonction référentielle. C'est pourquoi l'explicitation de la relation d'équivalence
entre des quantités connues ou inconnues se fait au niveau des phrases et non plus seulement des
syntagmes nominaux. On perçoit mieux alors la raison du décalge très important que nous avons
évoqué plus haut (supra : II) entre la redésignation fonctionnelle des quantités inconnues et celles
pour l'explicitation de la relation d'équivalence.
Pour ne pas confondre les procédures de désignation dépendant de la fonction référentielle et celles
dépendant de la fonction apophantique nous parlerons respectivement de «désignation» et de
«description déterminative». Car il est existe une description non determinative qui relève de la
fonction d'expansion discursive, c'est celle que l'on fait lorsqu'on décrit un outil, une image, une
machine, un paysage... Nous obtenons ainsi un aperçu des différentes procédures de désignation,
avec leurs caractéristiques propres selon le registre de représentation sémiotique utilisé.
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DEUX N IVEAUX TYPES TYPES REGISTRES REGISTRE
D'EXPRESSION D'APPREHENSION DES LANGUE
OBJETS D'OBJET “FORMELS” NATURELLE
(expansion par (exp. par composition
substitution) et par substitution)
conversion
Figure 7. Classification des différentes procédures de désignation des objets mobilisées dans
l'activité mathématique.
La mise en équations des données d'un problème, lorsqu'il n'y a plus congruence entre l'énoncé et
l'équation (ou le système à écrire), requiert que l'élève effectue ou puisse effectuer les différents
changements que nous avons représentés ci dessus par des flèches, et qu'il n'en reste pas à une
simple procédure de désignation directe, ce à quoi le «choix de l'inconnue» risque souvent de se
réduire. Or cela implique que l'élève ait commencé à prendre conscience des différentes procédures
de désignation des objets à l'intérieur même de la langue qu'il parle et aussi de ce qui rend
21
nécessaire le recours à ces différentes procédures : d'une part la penuria nominum et d'autre part
l'existence de deux types d'objets. En outre, le passage de la langue naturelle à un registre formel
implique qu'il ait commencé à prendre conscience que les moyens que la langue offre pour désigner
des objets ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui sont disponibles dans une écriture
algébrique : il y a plus de lexique, ce qui élimine toute possibilité de désignation directe par
association au delà d'un contexte local et transitoire, ou de désignation indirecte méthodique
comme avec les systèmes de numération.
Pour nous limiter au premier niveau d'expression, on peut comparer les différentes procédures de
désignation des objets : la désignation directe associative, la désignation directe systématique et la
désignation fonctionnelle.
La désignation directe associative est évidemment celle qui est la plus obvie, puisqu'elle
repose sur une formulation explicite qui fixe une association conventionnelle : “ on appellera...”.
Deux remarques peuvent être faites concernant cette procédure. Elle est souvent prise comme le
modèle de la relation entre signe et objet. Et elle conduit souvent les élèves à ne pas distinguer une
dénomination et une définition et, dans une dénomination, à ne pas différencier les deux
composantes de «sens». Ici il n'y a pas différence significative quand on passe d'un registre à un
autre. Et cela se traduit par la croyance que chaque objet doit avoir un mot qui le désigne de
manière propre. Croyance étroitement liée à cette autre : deux signes ou deux expressions
différentes impliqueraient la référence à deux objets différents !
La désignation directe systématique est celle qui désigne un objet en fonction d'un système.
Ainsi les systèmes de numération permettent de désigner des nombres en tant qu'objets individuels
bien identifiables et associables au résultat du dénombrement d'une collection d'éléments. La
désignation des nombres à l'aide d'un système de numération se fait globalement et
automatiquement par la seule utilisation de ce système. Ce sont les règles d'organisation interne
propres au système de numération (les valeurs de choix représentées par les chiffres sur des valeurs
de puissance représentées par des positions) qui déterminent les possibilités et les capacités de
désignation du système. Cela est bien connu. Mais si l'on regarde l'utilisation du système de
numération culturellement dominant, le système décimal, on peut faire une remarque : chez
beaucoup d'élèves son utilisation en reste au stade d'une désignation directe associative et n'atteint
pas celui d'une désignation systématique 1. Et cela semble fortement corrélé aux difficultés
concernant les opérations lorsque celles-ci requièrent une véritable prise en compte du système,
c'est-à-dire de la signification des positions (multiplier ou diviser par 10), puisque le sens des
opérations effectuées est nécessairement lié à la compréhension du système de numération ou
d'écriture utilisé. Dans la langue naturelle, il n'y a pas à proprement parler de procédures de
désignation indirecte méthodique : la reconnaissance d'un ou plusieurs traits caractéristiques d'un
individu en permet cependant une identification catégorielle. Certes, il peut y avoir une
manipulation fine du lexique à des fins de désignation; mais elle requiert le contrôle de la
quantification, laquelle est linguistiquement marquée par des déterminants, et cela s'effectue le plus
souvent au niveau des phrases.
1 Les premiers nombres (les “petits” nombres ) même s'ils sont désignés à l'aide du système décimal sont
psychologiquement associés au résultat d'un comptage d'une collection finie directement perceptive, c'est-à-dire
n'exigeant pas la prise en comte de cas possibles. Cela permet à tout individu de trouver ou de retrouver tout seul,
quelque soit le support représentatif utilisé, les démarches additives et cela lui permet donc d'effectuer et de contrôler
un calcul numérique élémentaire. La procédure de désignation méthodique peut ainsi être court-circuitée. D'où l'illusion
épistémologique d'une approche intuitive ou concrète des nombres, sur laquelle Husserl avait déjà fondé sa philosophie
de l'arithmétique.
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constructions nominales syntagmatiques, que Russell appelait des descriptions définies permettent
de surmonter cette limitation. On peut voir d'ailleurs l'importance de cette procédure de désignation
en géométrie. La construction d'une figure conduit à discriminer dans une figure beaucoup plus
d'objets particuliers (des points) et de relations que celles qui étaient nécessaires pour sa
construction à partir des données de l'énoncé. La désignation directe associative par le recours à des
lettres a seulement un intérêt déictique. En revanche c'est la désignation par description définie qui
permet la progression heuristique : car un même objet peut être désigné par deux descriptions
définies différentes, l'une relative au contexte de l'énoncé initial et l'autre relative à un théorème que
l'on pourrait utiliser... (Duval 2000b p.142). Et ici on retrouve le jeu de la distinction frégéenne qui
commande la progression discursive de la pensée.
Si maintenant nous regardons de manière plus spécifique l'introduction de l'emploi de lettres pour
désigner des objets, il nous faut distinguer deux passages : celui du passage de l'écriture des
nombres à l'écriture littérale et le passage de l'écriture littérale à l'écriture algébrique.
Le passage de l'écriture des nombres à l'écriture littérale est lié à un changement du type
d'objet appréhendé : on passe des objets “nombres particuliers” (2, 3, 4, 9...) aux objets «relations
entre des nombres». Ce passage correspond à une description condensatrice et ne requiert en rien
une procédure de désignation fonctionnelle.
Le passage à l'écriture algébrique est d'une autre nature, du moins d'un point de vue cognitif.
Les lettres ne remplissent plus une fonction de condensation, mais une fonction de désignation,
celle-ci devant combiner à la fois une opération de désignation directe associative et une opération
de désignation fonctionnelle. Et nous n'envisageons ici que la désignation des quantités inconnues,
la désignation d'une relation d'équivalence entre des quantités inconnues relevant d'un autre niveau
d'expression. Il y a donc une ambiguïté cognitive possible dans de l'usage des lettres lors de
l'introduction du calcul littéral et de l'introduction du calcul algébrique à partir de la résolution de
problèmes.
On voit la diversité des procédures de désignation d'objets qui sont mobilisées dans la résolution
d'un problème par la méthode de l'algèbre, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit d'écrire une équation, ou un
système d'équations à partir d'un énoncé en langage ordinaire évoquant en outre une situation non
mathématique (Didierjean 1997, p.40). Et on ne peut espérer aucun progrès significatif en ce
domaine tant que l'enseignement ne prendra pas en charge les conditions d'une réelle prise de
conscience, par les élèves, de la diversité nécessaire des procédures de désignation des objets,
laquelle est presque toujours rabattue sur la désignation directe. Une telle prise en charge relève-t-
elle de l'enseignement des mathématiques ?
Conclusion
Rappelons tout d'abord les conclusions des différentes analyses que nous avons présentées. Nous
pouvons les regrouper autour de trois problèmes.
Il y a tout d'abord l'hétérogénéité entre les deux types de tâches qui interviennent dans la résolution
des problèmes destinés à donner du «sens» : des tâches de conversion qui ici, renvoient à des
opérations discursives de redésignation fonctionnelle et d'explicitation d'une équivalence et des
traitements qui renvoient à des tâches de calcul. Cette hétérognéité se traduit par les deux
contrastes suivants.
(1) Pour les tâches de conversion, il faut commencer par des énoncés de problèmes qui
requièrent un système d'équations, ou tout au moins travailler sur ces problème en même temps
que l'on travaille sur énoncés qui requièrent une seule équation. Pour les tâches de traitement, il
y a au contraire un ordre nécessaire, l'apprentissage de la résolution d'une équation devant
nécessairement préceder celui d'un système d'équations
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(2) La conversion d'un énoncé en une équation, ou en un système d'équation, et la conversion
inverse, c'est-à-dire la description en «langage ordinaire» de l'équation ou du système, ne se
recouvrent que rarement et de manière accidentelle. Cela tient au fait que la «traduction» de
l'énoncé se heurte très souvent à d'importants phénomènes de non congruence, que l'enseignant
évite instinctivement quand il explique, c'est-à-dire quand il fait la conversion inverse. D'où le
quiproquo didactique entre enseignant et élève. Ils sont sur la même ligne, mais ils ne prennent
pas le même train et surtout ils ne le prennent pas dans la même direction.
Il y a ensuite ce qui concerne les tâches de traitement, c'est-à-dire le calcul proprement dit. Le
problème d'apprentissage porte sur l'introduction et sur la manipulation des symboles algébriques.
Là, il est extrêmement important de bien distinguer trois types de signes : les lettres, les symboles
d'opérations et le symbole “=”, les deux derniers étant des marqueurs de deux opérations
différentes. Pour nous limiter aux lettres, il est important de bien différencier les processus ou les
démarches qui conduisent à l'emploi de lettres.
(3) Le recours à des lettres dans le processus de condensation n'implique pas la compréhension
des procédures de désignation fonctionnelle.
(4) Le «choix de l'inconnue» à des fins de désignation directe et de désignation fonctionnelle est
étroitement associé au choix d'un objet d'ancrage, mais il s'agit là de deux processus cognitifs
différents.
Il y a, en outre, la conception même de ce que c'est qu'un signe. Nous avons vu que
(5) les lettres ne sont que des signes dégénérés, dans la mesure où elles ne relèvent d'aucun
système sémiotique et que leur signification est fixée conventionnellement pour un contexte
particulier;
De ce point de vue centrer l'introduction de l'algèbre sur l'introduction des lettres dans le seul
contexte du «choix de l'inconnue» est une réduction abusive qui ne peut conduire qu'à des impasses.
L'introduction de l'algèbre implique une prise de conscience par les élèves de la diversité nécessaire
des procédures de désignation des objets. L'introduction de registres « formels» venant se substituer
à celui de la langue naturelle est la situation idéale pour favoriser cette prise de conscience.
Nous pouvons maintenant revenir à la question soulevée dans l'introduction : que peut apporter
l'enseignement de l'algèbre au Collège, c'est-à-dire à la formation générale de tous les élèves. Cette
question ne peut être séparée de la question sur laquelle nous avons terminé nos analyses : la prise
de conscience, par les élèves, de la diversité nécessaire des procédures de désignation des objets
relève-t-elle de l'enseignement des mathématiques ? Ce n'est pas à nous de répondre. On ne peut
que constater qu'il s'agit là d'un enjeu qui dépasse le cadre de l'introduction de l'algèbre. Car cette
prise de conscience devient de plus en plus incontournable au fur et à mesure qu'un élève avance
dans le cursus des mathématiques enseignées. Mais tant que les problèmes de l'enseignement de
l'algèbre ne seront pas réellement étudiés dans cette perpsective, on risquera encore longtemps de se
demander : quoi de neuf depuis Lacroix ?
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Références
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Didierjean G., Dupuis C., Duval R., Egret M.A., ... (1997), A propos de charades dont la solution
est un système d'équations à deux inconnues, Petit x , 44, 35-48.
Duperret J.-C. , Fenice J.-C. (1999), L'accès au littéral et l'algébrique : un enjeu du collège.
Repères-IREM, 34, 29-54
Duval R. (2000a) Basic Issues for Research in Mathematics Education. Proceedings of the 24th
Conference of the International Group P.M. E. I, 55-69 Hiroshima University.
Grugeon B. (1995), Etude des rapports institutionnels et des rapports personnels des élèves à
l'algèbre élémentaire dans la transition entre deux cycles d'enseignement: B.E.P. et Première G.
Thèse Paris VII.
25
Lacroix S.F. (1820), Elemens d'algèbre d'Algèbre à l'usage de l'Ecole Centrale des Quatre-Nations.
Treizième édition. Paris : Madame Veuve Courcier
Radford L., Grenier M. (1996), Entre les choses, les symboles et les idées... une séquence
d'enseignement d'introduction à l'algèbre. Revue des Sciences de l'Education XXII, n°2, 253-276.
Schmidt S. (1996), La résolution de problèmes, un lieu privilégié pour une articulation fructueuse
entre arithmétique et algèbre, Revue des Sciences de l'Education XXII, n°2, 277-294
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