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La Malaisie et la mondialisation : crise et politique de

l'ambivalence
Richard Stubbs
Dans Revue internationale de politique comparée 2001/3 (Vol. 8), pages 461 à 472
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1370-0731
ISBN 2-8041-3915-8
DOI 10.3917/ripc.083.0461
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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 8, n° 3, 2001 461

LA MALAISIE ET LA MONDIALISATION :
CRISE ET POLITIQUE DE L’AMBIVALENCE

Richard STUBBS

La mondialisation a permis à la Malaisie d’atteindre des taux de croissances de


près de 8 pour cent de 1987 à 1996, mais elle a aussi provoqué la crise asiatique de
1997-98. Les malaisiens s’interrogent donc sur l’importance de l’ouverture de leur
économie à l’influence de la mondialisation. En particulier face aux politiques pro-
posées par le Ministre des finances Anwhar Ibrahim, un libéral réformateur, ou par
le Premier ministre Mohatir Mohamad, un économiste nationaliste. Ces attitudes
sont également influencées par la rivalité politique entre ces deux personnalités.
Les efforts de la Malaisie face à la mondialisation se traduisent aussi dans l’élabo-
ration de sa politique régionale.
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Si les dirigeants de la Malaisie, et les Malaisiens eux-mêmes, ont profité de
l’ouverture de leur économie et de leur société à l’influence de la mondiali-
sation, ils en ont aussi mesuré le prix. On comprend donc aisément leur
ambivalence à l’égard de l’importation, toujours plus rapide, de capitaux, de
technologies et d’idées dans leur pays. Entre 1987 et 1996, la mondialisa-
tion a assuré à l’économie malaisienne un taux de croissance remarquable
s’établissant en moyenne aux alentours de 8 % par an, mais elle fut aussi
une des causes majeures de la récession de 1985-86 et de la crise qui a
dévasté la région asiatique en 1997-1998. Dans la foulée de la débâcle éco-
nomique, cette ambivalence s’est accentuée au moment où le gouvernement
cherchait à rétablir la prospérité économique et la stabilité sociale.
Les changements opérés par les gouvernements dans l’élaboration de
leurs politiques anti-crise reflètent l’ambivalence de la Malaisie à l’égard
des coûts et bénéfices de la mondialisation. Tandis les dirigeants politiques
et les responsables économiques avancent les idées les plus diverses sur les
politiques à mettre en œuvre, deux groupes principaux émergent : les réfor-
mateurs libéraux et les nationalistes économiques1. Les premiers soulignent

1. Voir STUBBS R., “Signing on to Liberalization : AFTA and the Politics of Regional Economic
Cooperation”, The Pacific Review 13, n° 2, 2000, pp. 299-303.
462 Richard Stubbs

la nécessité de maintenir en place une économie ouverte soumise aux forces


du marché et considèrent que la stabilité économique ne se rétablira que
lorsque la Malaisie pourra de nouveau attirer des capitaux internationaux.
Ils sont favorables à la mondialisation. Les nationalistes économiques, quant
à eux, prônent une intervention énergique de l’État pour préserver l’écono-
mie malaisienne des forces destructrices de la mondialisation et protéger les
entreprises fragiles en attendant que celles-ci puissent recouvrer leurs avan-
tages concurrentiels dans l’économie globale. À leurs yeux, il faut donc ré-
sister à la mondialisation pour se prémunir de ses effets destructeurs. Tandis
que la crise se propage, la lutte que se livrent ces deux groupes pour agir sur
la politique gouvernementale penche d’un côté, puis de l’autre. Par ailleurs,
les divergences au sein du gouvernement sur les mesures anti-crise à adop-
ter alimentent le conflit qui apparaît entre le Premier ministre Mohammed
Mahathir et le vice-Premier ministre Anwar Ibrahim ; elles influent égale-
ment sur la politique étrangère de la Malaisie. Nous analyserons successive-
ment ces situations.

Combattre la crise
La crise économique asiatique, déclenchée par le flottement du bath
thaïlandais le 2 juillet 1997, prit manifestement le gouvernement malaisien
au dépourvu. Face à l’extension rapide de la récession, la Malaisie, comme
la Thaïlande et l’Indonésie, réagit d’abord sans beaucoup de rigueur ni de
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discernement. Tout le monde s’accordait à penser que la crise ne serait que
de courte durée, étant donné les capacités économiques – partout reconnues
– de la Malaisie : industrie manufacturière, taux d’épargne élevés, faible
taux d’inflation, dette publique limitée. Mais la dégringolade du ringgit et la
chute vertigineuse de la Bourse de Kuala Lumpur, provoquées par une éva-
sion de capitaux, amenèrent vite à conclure qu’il ne s’agissait pas d’une
récession sans gravité. La situation se compliqua encore lorsque le Premier
ministre, hostile depuis toujours à l’Occident, affirma avec insistance que
les cambistes et les investisseurs étrangers étaient responsables de cette crise.
Dans l’ensemble, la politique menée ne subira que quelques changements
mineurs pendant les premiers mois qui suivirent le déclenchement de la crise.
Le Premier ministre sembla considérer qu’il pouvait poursuivre une politique
économique expansionniste, tout en protégeant les intérêts commerciaux lo-
caux – malais en particulier – contre les effets destructeurs de la crise. Mais,
finalement, rien ne permit d’endiguer la crise qui déferla sur l’économie.
Le premier programme anti-crise cohérent fut proposé en décembre 1997
par le vice-Premier ministre et ministre des Finances, Anwar Ibrahim, et ses
conseillers de la Banque Centrale (Bank Negara Malaysia). Stratégie réfor-
miste libérale essentiellement, ce programme entendait faire appel au mar-
ché et enrayer l’exode de capitaux et la ruée sur le ringgit. Les
tendances réformistes libérales d’Anwar se vérifièrent peu après sa nomination
La Malaisie et la mondialisation : crise et politique de l’ambivalence 463

comme ministre des Finances en 1991. Emboîtant le pas aux politiques du


gouvernement technocrate thaïlandais d’Anand Panyarachun, très habile à
attirer des capitaux étrangers, Anwar favorisa l’ouverture de nouveaux comp-
tes, fixa des taux d’intérêt supérieurs à ceux en dollars américains et stabi-
lisa presque totalement le ringgit par rapport au dollar2. En tant que ministre
des Finances et, dès 1993, en tant que vice-Premier ministre, Anwar Ibra-
him ouvrit les portes de l’économie malaisienne et présida une période de
croissance économique sans précédent. Dès lors, on ne s’étonne guère que
les politiques qu’il proposa pour sortir la Malaisie de la crise reposèrent sur
des principes conformes à l’économie de marché. Et de fait, le programme
d’Anwar ressemblait fort à celui que le FMI aurait imposé si la Malaisie lui
avait demandé des crédits pour surmonter ses difficultés économiques : ré-
duction immédiate des dépenses publiques de 18 % ; report à une date indé-
terminée de grands projets d’infrastructures ; gel de l’émission de nouvelles
actions et de la restructuration des entreprises ; fixation des taux d’intérêt
par le marché, ce qui, compte tenu d’une nouvelle réduction des crédits,
devait provoquer une brusque hausse ; enfin libre flottation du ringgit3.
Les effets de la politique d’Anwar furent mitigés. Le ringgit continua de
baisser en janvier 1998 puis rebondit ; de même, l’indice composite de la
Bourse de Kuala Lumpur descendit, avant de remonter en février 1998. Mais
cette reprise fut de courte durée. Une brusque hausse des taux d’intérêt pro-
voqua une nouvelle vague de faillites, enfonça encore davantage l’écono-
mie dans la récession et soumit le secteur bancaire, déjà fragilisé, à une
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pression croissante. En outre, l’approche d’Anwar pour combattre la crise
se trouva compromise par l’attitude du Premier ministre Mahathir qui, loin
de lui apporter son soutien, sembla de plus en plus prendre le parti des natio-
nalistes économiques.
En Malaisie, le nationalisme économique s’enracine profondément dans
l’évolution économique et politique du pays. Pour maintenir la stabilité po-
litique, il a fallu équilibrer les intérêts de la communauté malaise, prépondé-
rante politiquement, et ceux de la communauté non malaise – à majorité
chinoise – plus forte économiquement. Les émeutes raciales de 1969 firent
clairement apparaître la nécessité, pour le gouvernement, d’accorder aux
Malais un rôle dans l’économie malaisienne en pleine croissance. La “New
Economic Policy” (N.E.P.) avait pour objectif de réduire la pauvreté dans le
pays et de diminuer les déséquilibres économiques pour finalement les faire

2. CHEONG O.H., “Evolution of the Malaysian Financial System Beyond the Financial Crisis” dans
MASUYAMA S., VANDENBRINK D. et YUE C.S., (eds), East Asia’s Financial Systems : Evolution
and Crisis, Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 1999, p. 157.
3. ATHUKORALA P., “Swimming Against the Tide : Crisis Mismanagement in Malaysia” dans ARNDT
H.W. et HILL H., (éds), Southeast Asia’s Economic Crisis : Origins, Lessons and the Way Forward,
Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 1999 ; et NESADURAI S., “In Defence of National
Economic Autonomy ? Malaysia’s Response to the Financial Crisis”, The Pacific Review 13, n° 1, 2000,
pp. 93-97.
464 Richard Stubbs

disparaître. Le gouvernement ambitionnait plus particulièrement d’accroî-


tre la participation économique et industrielle de la communauté malaise.
La N.E.P. et, plus tard, la “National Development Policy” réussirent, avec
un certain succès, à créer un climat de paix et de stabilité communautaires,
tout en encourageant l’émergence d’une classe moyenne malaise et en per-
mettant à un petit nombre de Malais bien placés politiquement de jouer un
rôle de plus en plus déterminant dans l’économie du pays4. Les nationalistes
économiques estiment que la crise met non seulement en danger l’écono-
mie, mais menace également la position économique des Malais et la stabi-
lité générale de la société malaisienne. À leurs yeux, il faut empêcher que
des capitaux étrangers affluent dans le pays et achètent des entreprises à des
prix sacrifiés. En outre, nombre de chefs d’entreprise malais représentent,
pour les départements clés du gouvernement, y compris le Premier ministre,
des partisans et des alliés précieux dont le soutien politique et financier est
capital. Assurer la survie des plus grandes entreprises détenues par des Ma-
lais est considéré par les plus importants politiciens et hommes d’affaires
comme essentiel au maintien du gouvernement et de la stabilité du pays.
Devant l’aggravation de la crise, le Premier ministre Mahathir instaura
un certain nombre de politiques économiques ad hoc pour aider la commu-
nauté économique malaisienne, et malaise en particulier. C’est ainsi qu’en
septembre 1997, un fonds de plusieurs milliards de ringgits fut mis en place
pour soutenir la Bourse, les actionnaires malaisiens bénéficiant d’un tarif
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préférentiel. C’est ainsi qu’en novembre 1997, la United Engineers Malay-
sia (U.E.M.) fut autorisée à acquérir une participation de près d’un tiers
dans la Renong Corporation, sa société mère très endettée, en payant prati-
quement le double du taux prévalant sur le marché5. Toutefois, aucune de
ces initiatives ne permit de freiner la dégradation de l’économie ; au con-
traire, on considéra généralement que le gouvernement avait tout simple-
ment voulu aider les alliés les plus proches du Premier ministre, et, de plus,
les deux opérations firent encore fait chuter le cours du ringgit et de la bourse.
C’est seulement au milieu de 1998 – après que la politique d’austérité d’Anwar
eut montré son impuissance à rétablir l’économie et à la suite d’un grand débat
sur la politique à suivre aux plus hauts échelons gouvernementaux6 – que les
nationalistes économiques proposèrent un ensemble coordonné de politi-
ques anti-crise. Celles-ci virent le jour avec le “National Economic Action
Council”, créé par Mahathir fin 1997 et dirigé par un ancien ministre des
4. GOMEZ E. T. et JOMO K.S., Malaysia’s Political Economy : Politics, Patronage and Profits, Cam-
bridge, Cambridge University Press, 1997 ; et MILNE R.S. et MAUZY D.K., Malaysian Politics Under
Mahathir, Londres, Routledge, 1999.
5. Voir JOMO K.S., “Malaysia from Miracle to Debacle” dans JOMO K.S. Tigers in Trouble : Financial
Governance, Liberalization and Crisis in East Asia, Londres, Zed Books, 1998, pp. 186-88 ; et
NESADURAI H., “In Defence of National Economic Autonomy ? Malaysia’s Response to the Financial
Crisis”, The Pacific Review 13, n° 1, 2000, pp. 85-90.
6. “Mahathir Interview”, Far Eastern Economic Review, 24 juin 1999.
La Malaisie et la mondialisation : crise et politique de l’ambivalence 465

Finances, Diam Zainuddin. Soutenues par le Premier ministre, ces nouvel-


les politiques prirent le contre-pied de celles d’Anwar. Le gouvernement
ranima de grands projets d’infrastructures ; injecta des liquidités dans le
système financier, réduisant ainsi les taux d’intérêt ; et supprima les restric-
tions à la restructuration des entreprises et à l’émission de nouvelles actions
sur les marchés boursiers7. Mais surtout, en septembre, les capitaux à court
terme se virent soumis à des contrôles rigoureux – ils ne pourront pas sortir
du pays avant un an au moins – tandis que le taux de change du ringgit en
Malaisie fut fixé à RM 3.80 par rapport au dollar américain. Le gouverne-
ment fit savoir que les ringgits détenus à l’extérieur du pays après le 30
septembre 1998 cesseraient d’être monnaie légale8. Si la balance du pouvoir
pencha manifestement en faveur des nationalistes économiques, les réfor-
mateurs libéraux eurent, à tout le moins, une maigre consolation, car le pro-
gramme autorisa, dans certaines circonstances, les entreprises en difficulté à
vendre à des non-Malais et aux étrangers des actions réservées des Malais.
Le “National Economic Recovery Plan” du gouvernement eut quelques
effets immédiats positifs. Une partie des 10 milliards estimés de ringgits qui
furent rapatriés – de Singapour en particulier – fut injectée dans la bourse,
opération qui lui permit de remonter progressivement. La Banque Centrale
n’eut désormais plus d’inquiétudes au sujet du taux de change et d’une baisse
des taux d’intérêt intérieurs, et le gouvernement injecta dans l’économie de
nouvelles liquidités qui devaient lui donner le coup de fouet dont elle avait
grand besoin9. Pour faire face à l’accroissement de la dette dans l’important
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secteur bancaire, le gouvernement mit en place deux institutions clefs : la
Danaharta, chargée de supprimer les emprunts non rentables de la compta-
bilité bancaire, et la Danamodal qui eut pour mission de les recapitaliser.
Partout, les nationalistes économiques purent revendiquer leur succès. Après
une contraction de 7,5 % en 1998, l’économie connut, en 1999, un taux de
croissance de 5, 4 %. Le taux de chômage diminua, tandis que les ventes au
détail de produits coûteux comme les voitures et les maisons augmentèrent.
La reprise économique était manifeste10.
Il est intéressant de constater que la Malaisie et la Thaïlande surmontè-
rent la crise en utilisant des stratégies très différentes. La Malaisie, avec les
nationalistes économiques à la barre, recourut au contrôle des capitaux et à
l’intervention du gouvernement, alors que la Thaïlande suivit l’orthodoxie
néo-libérale recommandée par le Fond monétaire international et permit au
marché de redresser l’économie. On peut néanmoins affirmer que ces deux
7. NESADURAI H., “In Defence of National Economic Autonomy ? Malaysia’s Response to the
Financial Crisis”, The Pacific Review 13, n° 1, 2000, pp. 100-101.
8. Far Eastern Economic Review, 10 septembre 1998, pp. 10-12.
9. CHEONG O.H., “Evolution of the Malaysian Financial System Beyond the Financial Crisis” in
MASUYAMA S., VANDENBRINK D., et YUE C.S., éd., East Asia’s Financial Systems : Evolution and
Crisis, Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 1999, p. 160.
10. JAYASANKARAN S., “Malaysia : Miracle Cure”, Far Eastern Economic Review 11 mai 2000,
p. 30.
466 Richard Stubbs

pays, indépendamment des remèdes proposés par leurs gouvernements, pro-


fitèrent de devises bon marché, avec pour résultat une hausse des exporta-
tions, en particulier vers les États-Unis et l’Europe. La Malaisie, qui – pour
un certain nombre de mesures – a mieux réussi que la Thaïlande11, avait
d’autres atouts : des dépenses publiques accrues et des prix pétroliers nette-
ment plus élevés. De plus, avec un ringgit constamment sous-évalué et sta-
bilisé à RM 3.80 par rapport au dollar américain, la Malaisie a pu maintenir
un taux d’exportation important.
Quelles furent les répercussions de la crise économique asiatique sur la
politique économique de la Malaisie ? En premier lieu, la récession réactiva
l’approche des nationalistes économiques, à un moment où le gouverne-
ment s’interrogeait sur la manière de résister à la mondialisation. Cela ne
signifia pas que les réformateurs libéraux, en position de force au début des
années 1990, avait entièrement perdu l’initiative ; ce qu’il faut plutôt souli-
gner, c’est que dorénavant les politiques menées continueront de refléter la
tension entre les deux approches. En second lieu, le Premier ministre Mahathir
conserva la mainmise sur l’élaboration des politiques à suivre. S’il apparaît,
fin 1997, début 1998, que la politique économique était déterminée par le
ministre des Finances, Anwar Ibrahim, et la Banque Centrale, le pouvoir
exercé par le Département du Premier ministre n’a en rien été ébranlé. Bien
qu’ayant toujours disposé d’une puissante base institutionnelle, le pouvoir,
sous Mahathir, connut un degré de centralisation sans précédent par le Dé-
partement du Premier ministre. La crise économique n’a fait qu’accentuer
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cette tendance. De plus, cette position s’est renforcée du fait que Mahathir
est associé à une politique qui a su redresser l’économie.
La crise, enfin, a révélé les faiblesses et les forces de la bureaucratie.
Celle-ci, à l’évidence, n’a pas su détecter les problèmes qui ont déclenché la
crise, ni protéger la Malaisie contre ses pires excès. Une des causes majeu-
res de cet échec fut que la Banque Centrale et le ministère des Finances, s’ils
ont plus ou moins bien appris à gérer les investissements directs de l’étran-
ger qui ont afflué en Malaisie à la fin des années 80 et au début des années
90, n’ont rien fait pour pouvoir contrôler, mesurer ou gérer les conséquen-
ces de l’afflux massif de capitaux à court terme, devenus essentiels pour la
région à partir de 1993. Bien qu’elle ne dépendait pas autant de ces capitaux
que la Thaïlande et l’Indonésie, la Malaisie fut durement touchée par l’exode
des capitaux qui atteint toute la région et déclencha la crise économique. De
plus, la faiblesse des stratégies développées par les différents ministères
apparut clairement lorsqu’en 1998, le Département du Premier ministre prit
presque totalement en charge l’élaboration des politiques à suivre. Cela étant,

11. Les estimations et les prévisions sur la croissance économique de la Malaisie sont : – 7,5 % (1998),
5,4 % (1999), 5,8 % (2000), et 6,5 % (2001) ; pour la Thaïlande : – 10,4 % (1998), 4,1 % (1999), 4,4 %
(2000), et 5 % (2001). ESCAP, Economic and Social Survey of Asia and Pacific, 2000, Bangkok, avril
2000.
La Malaisie et la mondialisation : crise et politique de l’ambivalence 467

la bureaucratie réussit à mettre en pratique la stratégie de contrôle des capi-


taux et à faire preuve d’un minimum de compétence administrative au mo-
ment où le gouvernement cherchait à améliorer la surveillance du secteur
financier. Elle parvint également à apaiser certaines des tensions sociales
qui auraient pu apparaître pendant la crise en supprimant, à son expiration,
le permis de travail de plus de 700.000 travailleurs immigrés auxquels elle
demanda de quitter le pays12. Certains signes portaient à croire que plus la
bureaucratie d’un pays était forte, plus celui-ci pouvait lutter efficacement
contre la crise.
Quoi qu’il en soit, il est difficile d’identifier l’impact de la crise sur l’éla-
boration des politiques à suivre. Le conflit qui opposa le Premier ministre
Mohammed Mahathir et le vice-Premier ministre Anwar Ibrahim contribua
à compliquer la situation. Si ce conflit s’enracinait dans des divergences de
vue sur la façon de gérer les conséquences de la crise, il fut également exa-
cerbé par la méfiance et les rivalités entre les deux hommes.

Conflit politique, conflit de personnalités


L’ambivalence des Malaisiens à l’égard de la mondialisation s’exprima dans
leur attitude à l’égard du conflit qui opposait le Premier ministre Mahathir
et le vice-Premier ministre Anwar. La crise économique a clairement mon-
tré que les deux leaders abordèrent différemment le développement de la
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Malaisie. Âgé de 75 ans environ, Mahathir, qui avait connu la guérilla con-
tre le parti communiste et les émeutes raciales de 1969, se disait partisan de
l’intervention de l’État pour réprimer l’extrémisme racial et promouvoir la
communauté économique malaise grandissante. De même, il soutenait la
création de “projets” d’État quasi officiels, en particulier de grands projets
d’infrastructures privatisés, dans le but de consolider l’économie. Sous son
autorité, le pouvoir a été progressivement centralisé sous l’autorité du Dé-
partement du Premier ministre. Son parti lui-même, l’U.M.N.O. (“United
Malays Nationalist Organisation”), a connu l’ébranlement de cet égalita-
risme qui avait fait de lui l’institution la plus démocratique du pays. Les
idées pro-Asie et anti-Occident de Mahathir ont marqué de leur empreinte
certaines de ses politiques, depuis les “Buy British Last” et les “Look East”
durant les premières années de son ministère, jusqu’aux accusations selon
lesquelles la crise résulterait d’un complot occidental visant à freiner des
économies asiatiques qui ne cessent de se développer13. Anwar, qui avait
plus de 50 ans et une autre expérience politique, était moins convaincu de la

12. GONZALES J.L., “Miracle Turned Crisis in East Asia : Policies Affecting Transnational Migrants”,
Journal of Social Issues in Southeast Asia 14, n° 1, 1999.
13. PURA R., “Malaysia Sets Austere Economic Plan in Effort to Head off Financial Woes”, Asian Wall
Street Journal, 8 décembre 1997 ; et MILNE R.S. et MAUZY D.K., Malaysian Politics Under Mahathir,
Londres, Routledge, 1999, pp. 159-86.
468 Richard Stubbs

nécessité d’une prise en charge de l’économie par le gouvernement. Entouré


d’un groupe relativement jeune d’hommes d’affaires et de technocrates,
Anwar prônait, dans l’ensemble, une économie ouverte et une plus grande
liberté d’expression politique. D’une manière générale, il estimait qu’il vaut
mieux travailler en accord avec la mondialisation que d’essayer de la maîtri-
ser. Lu un peu partout, son ouvrage, The Asian Renaissance, présente le
portrait d’une Asie pluraliste qui devrait négocier d’égal à égal avec l’Occi-
dent et qui est en train de se transformer avec l’émergence de la société
civile et de la démocratie14.
Si la crise économique mit en lumière deux philosophies antagonistes,
elle fit également apparaître les différences entre deux générations et mon-
tra, en définitive, qu’il y eut une lutte pour le pouvoir. Un certain nombre de
partisans d’Anwar estimait qu’il était temps que la vieille garde de Mahathir
se retire et qu’une nouvelle génération prenne la relève. Cet argument prit
plus de poids lorsque le président Suharto fut contraint de quitter ses fonc-
tions en mai 1998. Par ailleurs, on constate avec regret que Mahathir et ses
conseillers n’aient pas tenu compte du fait qu’Anwar se soit officiellement
déclaré opposé à toute aide aux sociétés malaises en difficulté. De part et
d’autre, on s’accusait de népotisme et de clientélisme. Mahathir et ses parti-
sans n’apprécièrent manifestement pas qu’on ait voulu les mettre à l’écart.
Le Premier ministre, qui avait déjà repoussé des rivaux à plusieurs reprises,
ne souffrit pas que l’on défie son autorité. En septembre 1998, après des
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mois de lutte interne, il releva Anwar de ses fonctions, avant de le faire
arrêter pour corruption et inconduite sexuelle.
Pour les Malaisiens, le choix entre l’un ou l’autre n’était pas simple à
opérer. Beaucoup, surtout au sein de la communauté malaise et parmi les
générations plus jeunes de Malaisiens, furent indignés par le traitement ré-
servé à Anwar. Celui-ci avait perdu la bataille alors qu’il touchait au but, et
les accusations étaient manifestement destinées à l’humilier. De plus, les
sanctions prises contre lui étaient extrêmement dures et le tiendront à l’écart
de la politique pendant longtemps. Par ailleurs, le plaidoyer d’Anwar en
faveur d’un système politique plus ouvert et d’une nécessaire adhésion à
certains aspects de la mondialisation, dont la démocratie et une société ci-
vile dynamique, avait obtenu une large audience. Néanmoins, certaines des
politiques économiques auxquelles il était associé étaient discréditées du
fait que la crise avait montré la vulnérabilité des économies face à la mon-
dialisation. Si l’approche autoritaire de Mahathir avait ses disciples, c’est
uniquement parce que l’on craignait qu’en l’absence d’un leader fort, la
Malaisie, divisée racialement, ne soit prise dans une spirale de chaos social,
comme ce fut le cas au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et en
1969. De plus les politiques de Mahathir, fondées sur l’interventionnisme et

14. ANWAR I, The Asian Renaissance, Singapore, Times Books International, 1997.
La Malaisie et la mondialisation : crise et politique de l’ambivalence 469

le nationalisme économique, avaient montré leur efficacité, dès lors que l’éco-
nomie s’était redressée à un rythme bien plus rapide que ne l’avaient prédit
les analystes les plus optimistes.
Les élections de novembre 1999 mirent en lumière l’ambivalence des
électeurs, ceux-ci réagissant aux événements survenus au cours des dix-huit
mois précédents. La coalition au pouvoir, le Barisan Nasional (Front natio-
nal), et en particulier l’U.M.N.O. qui la dominait, perdit des partisans dans
un certain nombre de régions-clés malaises. Les gains les plus importants
allèrent au parti d’opposition, le P.A.S. (Parti Islam Se-Malaysia) qui garda
le pouvoir au Kelantan, s’assura le contrôle du gouvernement de l’État du
Trengganu riche en pétrole, et obtient 27 sièges fédéraux – contre 8 aux
dernières – dans les États du Nord, à majorité malaise, de la péninsule
malaisienne. Fait révélateur : les partisans de l’U.M.N.O. furent bien moins
nombreux que lors des élections précédentes à Kuala Lumpur, ce qui souli-
gne le mécontentement que le gouvernement suscita dans la classe moyenne
instruite et dans des régions plus pauvres à majorité malaise. En outre, la
femme d’Anwar, Wan Azizah Wan Ismail, qui menait le Parti Keadilan
Nasional pro-Anwar ou National Justice Party, gagna le siège que l’ancien
vice-Premier ministre détenait à Penang. À l’évidence, la société malaisienne,
et la communauté malaise en particulier, était profondément divisée sur la
manière dont Anwar avait été traité.
Malgré le partage des suffrages malais, Mahathir remporta les élections.
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La coalition au pouvoir, le Barisan Nasional, gagna 148 des 193 sièges. S’il
est inférieur aux 162 sièges des dernières élections, ce score reste supérieur
à la majorité des deux tiers au Parlement, qui permet à un gouvernement de
modifier la constitution comme il l’entend15. La victoire de Mahathir tint au
fait que le Barisan Nasional était beaucoup mieux organisé que l’opposi-
tion. Ce qui a joué tout autant, c’est que des électeurs non malais – des
Chinois principalement – ont vu dans le conflit Mahathir-Anwar une affaire
malaise et ont voté en nombre pour les candidats du Barisan Nasional. As-
pirant à la stabilité et à la continuité, ils redoutaient de voir des partis sans
expérience prendre le pouvoir à une époque d’incertitude économique. La
tendance, chez les non-Malais, était pro-Mahathir, car celui-ci avait pu sor-
tir l’économie de la récession.
Il est intéressant de noter que parmi les quatre pays les plus touchés par la
crise – l’Indonésie, la Malaisie, la Corée du Sud et la Thaïlande – la Malaisie
est le seul à ne pas avoir modifié ses formes de gouvernance ni même rema-
nié son gouvernement. Le mouvement Reformasi, qui aurait pu amener un
changement dans la vie politique du pays, n’a manifestement pas eu l’effet qu’il
aurait pu avoir. Poussé par Anwar et s’inspirant des événements survenus en

15. Pour une discussion sur les résultats électoraux, voir WEISS M.L., “The 1999 Malaysian General
Election : Issues, Insults and Irregularities” Asian Survey 40, 2000.
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Indonésie, Reformasi avait souligné la nécessité de mettre fin au népotisme,


à la corruption et à la centralisation excessive du gouvernement, tout en
insistant sur les bienfaits du respect des droits de l’homme et, plus globale-
ment, sur l’intérêt d’ouvrir le système politique à une participation accrue
de la classe moyenne.
Cette classe moyenne envisage cependant les changements politiques
avec une certaine ambivalence. Bon nombre de Malais aspirent à une démo-
cratie de type plutôt occidental, comme en témoigne leur vote en faveur du
Parti Keadilan Nasional d’Anwar. Publié par le Suqiu (“Election Appeals
Committee of Chinese Organizations in Malaysia”), le manifeste égalitaire
“17 points” laisse également supposer que des non-Malais souhaitent un
meilleur système de gouvernance et moins d’interventions étatiques. Toute-
fois, comme la prospérité de certaines franges de la classe moyenne malaise
dépend toujours du système politique en place, il y a peu de chances que
celles-ci réclament des changements majeurs. De même, le résultat des élec-
tions montre que le Barisan Nasional doit sa victoire au vote de nombreux
électeurs issus de la classe moyenne chinoise. De plus, il n’est pas certain
que les principales composantes du Barisan alternatif pourraient rester unies
à moyen terme. Les politiques sociales et économiques du P.A.S. islamiste
et du D.A.P. (“Democratic Action Party”), à majorité chinoise, se révèlent
souvent très contradictoires, ce qui montre combien cette alliance électorale
est fragile. La troisième grande composante du Barisan alternatif est le
Keadilan et, sans Anwar à sa tête, il a peu de chance de conquérir l’électorat
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de la classe moyenne. Il semble que les chances de voir aboutir une réforme
majeure du système politique reposent sur l’U.M.N.O. (“United Malays
National Party”) qui domine le Barisan Nasional au pouvoir. En son sein,
beaucoup en effet déplorent la situation d’Anwar, et il est d’ailleurs proba-
ble que ses idées s’imposent à long terme16.

La politique économique étrangère


L’ambivalence du gouvernement à l’égard de la mondialisation et les ten-
sions engendrées par la crise économique ont eu d’importantes répercus-
sions sur la politique économique étrangère de la Malaisie. Ni l’Association
des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) ni le forum de la “Asia Pacific
Economic Cooperation” (A.P.E.C.) n’ont été capables d’aider les écono-
mies les plus touchées par la crise. Il faut souligner que l’absence de soutien
et les difficultés que certains États membres ont causées à leurs voisins en
ne coordonnant pas leurs actions ont fini par provoquer de vives tensions au
sein de l’ASEAN. Plus particulièrement, en soumettant les capitaux et le
change à des contrôles, la Malaisie a posé de graves problèmes aux

16. Voir MUSTAPHA R., “Rehabilitating U.M.N.O.” AgendaMalaysia, 18 septembre 2000, http ://
www.agendamalaysia.com, consulté le 18 septembre 2000.
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investisseurs et aux courtiers de Singapour qui étaient, à l’extérieur du pays,


les principaux détenteurs de ringgits et d’actions à la Bourse de Kuala Lum-
pur. Les tentatives pour régler ce problème se sont politisées et ont coïncidé
avec d’autres difficultés, d’origine historique, qui ont rudement éprouvé les
relations entre la Malaisie et Singapour17.
Si la crise économique et la réaction de la Malaisie ont accentué les ten-
sions dans la région d’Asie du Sud-Est, elles ont également incité le gouver-
nement malaisien à organiser sa résistance à la mondialisation sur une plus
grande échelle régionale. La Malaisie a cherché en particulier à obtenir l’aide
du Japon afin de ne pas subir l’influence du FMI, que le gouvernement con-
sidérait de plus en plus comme nuisible. Bien que les États-Unis aient op-
posé leur veto à la proposition du Japon d’un “Asian Monetary Fund”, un
certain nombre de pays d’Asie orientale, dont la Malaisie, ont pris des ini-
tiatives pour créer une institution régionale capable d’aider concrètement
les économies qui pourraient être touchées par d’autres récessions.
Essentielles à la construction d’un cadre régional de coopération écono-
mique, les conférences de l’“ASEAN+3” rassemblent les dix membres de
l’ASEAN, plus la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Au sommet annuel des
treize Premiers ministres et Présidents est venu s’ajouter une conférence
annuelle des Ministres de l’Économie et des Finances. Le forum de
l’ASEAN+3, un descendant direct du projet de l’“East Asian Economic
Caucus” lancé par Mahathir, représente le versant asiatique des “Asia-Eu-
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rope Meetings” (A.S.E.M.). Étape des plus importantes : en mai 2000, lors
de la rencontre de la Banque asiatique de Développement tenue à Chiang
Mai en Thaïlande, l’ASEAN+3 convient que les pays membres pourront
échanger (swap) et racheter des réserves de leurs banques centrales pour
faire face à d’autres crises financières à l’avenir18. Si les détails doivent en-
core être mis au point, le fait que le Japon, la Chine et la Corée du Sud soient
disposés à travailler ensemble et avec l’ASEAN signifie que l’on peut bien-
tôt s’attendre à voir arriver des mesures concrètes propres à écarter, sans
interventions du FMI, les dangers futurs qui pourraient peser sur leur écono-
mie. Pour le gouvernement de Mahathir, il s’agit là d’une avancée majeure,
et elle tombe à point, dans la coopération économique régionale. Elle lui
donne d’autres armes pour gérer la mondialisation.

Conclusion
À première vue, la Malaisie semble avoir surmonté la crise sans qu’il y ait
eu trop de changements. Le Premier ministre Mahathir reste au pouvoir, et

17. GANESAN N., “Malaysia-Singapore Relations : Some Recent Developments”, Asian Affairs 25, n°
1, 1998 ; Asian Wall Street Journal, 9-10 juillet 1999 ; et “Mahathir Interview”, Far Eastern Economic
Review, 24 juin 1999.
18. GOAD P.G., “Asian Monetary Fund Reborn”, Far Eastern Economic Review, 18 mai 2000, p. 54.
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l’économie se remet sur pied rapidement. Il n’en reste pas moins que la crise
économique, avec d’autres aspects de la mondialisation, a laissé des traces.
La continuité que représente Mahathir est remise en question par les chan-
gements résultant de la mondialisation. Les Malaisiens et le gouvernement
lui-même montrent une certaine ambivalence quant à l’intérêt de maintenir
cette continuité et à la nécessité d’accepter le changement. Il est clair que la
mondialisation continuera à placer le gouvernement devant des dilemmes.
Ainsi, jusqu’à quel point faut-il ouvrir l’économie pour pouvoir profiter de
l’injection de capitaux mondiaux ? Comment contrôler la contestation des
droits malais, toujours susceptible de créer des conflits, et les controverses
sur les politiques menées par le gouvernement dans ce domaine, alors que
celui-ci s’est engagé à ne pas censurer Internet pour encourager les investis-
sements dans le secteur technologique du pays ? Comment concilier les pri-
vilèges spéciaux accordés aux Malais, qui devraient être prolongés de dix
ans, avec l’adhésion de la Malaisie à des institutions “mondialisantes” comme
l’Organisation Mondiale du Commerce ? De plus, le fait que Mahathir tente
de limiter les débats sur sa politique en qualifiant d’extrémistes violents le
parti d’opposition P.A.S. (Parti Islam Se-Malaysia) et l’organisation chi-
noise non partisane Suquiu, ne fera que soulever des questions sur sa capa-
cité à gérer à long terme les dissidences19.
Malgré les apparences, la politique malaisienne est en pleine évolution.
Ce changement ne manquera pas d’alimenter les tensions entre les nationa-
listes économiques et les partisans de l’ouverture de l’économie et du sys-
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tème politique. Le nationalisme économique – qui fait partie de l’avenir de
l’économie malaisienne, puisque la classe moyenne dépend de moins en
moins de la générosité du gouvernement – voudra limiter le népotisme et le
clientélisme auxquels les gouvernements ont recours pour sauver certaines
parties du secteur privé. De même, des générations plus jeunes, qui n’ont
pas directement connu l’instabilité socio-politique engendrée par les con-
flits raciaux et ne voient pas uniquement la Malaisie en termes de race, in-
sisteront pour que l’espace politique offre davantage de démocratie et
permette l’émergence d’une société civile active. Peut-on gérer ces change-
ments ? En écartant plus d’un rival politique, Mahathir n’a-t-il pas, pour
l’avenir, privé le pays de leaders de haut niveau ? En outre, le contrôle strict
qu’il exerce sur le débat politique signifie-t-il qu’en l’absence d’un consen-
sus sur l’avenir politique du pays et ses modes de gouvernance, la Malaisie
sera encore plus difficile à gouverner lorsque Mahathir se retirera ? Bien
qu’il domine encore la vie politique, son départ ouvrira la voie à une grande
lutte sur les modalités de développement du pays.

19. Voir JAYASANKARAN S. et HOLLAND L., “Malaysia : Divided We Fall”, Far Eastern Economic
Review 21, septembre 2000. Et pour les inquiétudes au sujet de la politique pro-malaise du gouverne-
ment, voir GILLEY B., “Malaysia : Affirmative Reaction”, Far Eastern Economic Review, 10 août 2000.

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