Hist
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La Restauration
A la veille de la révolution de Juillet, la France vit sous régime de la restauration.
Les bourbons, Louis XVII jusqu’en 1824, puis Charles X, sont au pouvoir. La
charte de 1814 régit les institutions, et consacre des libertés issues de la
révolution : liberté de presse, de culte et de pensé ; égalité de tous devant la
justice et l’impôt. Deux chambres composent le pouvoir législatif : chambre des
pairs représentant la noblesse, dont les membres sont nommés par le roi ;
Chambre des députés, qui représente le peuple, et dont les membres sont élus
au suffrage censitaire – sous condition de fortune donc. Le roi conserve un
pouvoir immense, et peut légiférer par ordonnance. Les ministres ne sont pas
responsables devant les chambres. Trois grandes tendances royalistes se
forment et s’opposent : les ultras pour ultraroyalistes, sont issus d’une noblesse
catholique antirévolutionnaire, et cherche à rétablir l’ancien ordre social, dans
une vision quasi-féodale. Les royalistes libéraux, que l’on nomme doctrinaires,
et qui souhaitent, selon leur slogan « nationaliser la monarchie, royaliser la
France ». Ils adhèrent à l’esprit de la charte, et souhaitent concilier modernité,
tradition et liberté, et permettant à la haute-bourgeoise de participer au
gouvernement. Enfin les libéraux indépendants, qui rejettent la Charte et
souhaitent une monarchie parlementaire proche du système anglais. Ils veulent
abaisser le cens pour favoriser la petite bourgeoisie qui émerge, avec les débuts
de la révolution industrielle. A cote de ces grades tendances, bonapartistes et
républicains se font plus discrets. Après l’assassinat du Duc de Berry en 1820,
des lois répressives sont promulguées et les ultras accèdent aux postes clés à
travers le gouvernement Villèle. Des atteintes à la liberté de la presse et à
l’enseignement libre crispent les libéraux. François Guizot, universitaire à la
Sorbonne, organise l’opposition à travers une société nommée « Aide-toi, le ciel
t’aidera ». Indépendants, républicains et doctrinaires se rapprochent. Après le
raz-de marée ultraroyaliste de 1824, les élections de novembre 1827 voient une
grande proportion de libéraux entrer dans la Chambre. Villèle démissionne et
un gouvernement plus libéral est nommé avec à sa tête Martignac. Mais alors
que les députés sont en vacances, Charles X renvoi Martignac et nomme Jules
de Polignac, un ultra-royaliste, comme président du conseil des ministres. Une
véritable provocation. L’opposition et la presse se déchainent. Lors de
l’ouverture de la session parlementaire de mars 1830, le roi évoque l’existence
de « manouvre coupables » contre son gouvernement. L’opposition libérale y
voit les signes d’un probable coup d’état, qui rétablirait la monarchie absolue.
Les députes, à travers l’adresse des 221, lui rappellent que le gouvernement ne
peut légiférer sans leur concours. Charles X dissout la Chambre.
L’essor de l’industrie
La monarchie de Juillet marque l’entrée de la France dans l’ère industrielle.
Tout d’abord pour relancer l’activité, une politique de grands travaux est lancée,
afin de réduire le temps de transport, désenclaver certaines régions et lutter
contre le chômage. Un plan global d’achèvement et d’entretien des routes
royales est arrêté en 1836 ; 1600 km de canaux, concédés aux compagnies
privées, sont construits. C’est surtout le chemin de fer qui constitue un
formidable levier économique pour l’industrie. Ce n’est qu’en 1842 qu’une loi
établie la construction de grandes lignes, en étoile, partant de Paris. L’état
investi massivement dans les infrastructures : achat des terrains, constructions
de voies, gares, ponts ou tunnels. Les grandes compagnies se chargent
d’acquérir le matériel roulant. L’état leurs concède l’entretien et la gestion des
lignes pour une durée d’environ 40 ans, concession qui sera souvent
renouvelée. Les dépenses pour l’état, les bénéfices pour les compagnies. Les
notables investissent dans le rail ce qui donne une impulsion décisive à la
Bourse de Paris. Les milieux d’affaires sont écoutés par le pouvoir. James de
Rothschild, l’un des directeurs de la Compagnie des chemins de fer du Nord dire
lui-même : « Je me rends chez le roi quand je veux. Il m’écoute et tient compte
de ce que je dis ». Dans le sillage des chemins de fer, les bénéfices des sociétés
charbonnières et métallurgiques explosent. L’environnement économique
libéral favorise la création de nombreuses sociétés anonymes, qui peu à peu,
concentrent la production. La compagnie des mines d’Anzin, considéré comme
la première grande société industrielle française est l’exemple parfait de la
collusion qui existe alors entre pouvoir politique et économique : Adolphe
Thiers, 2 fois président du Conseil ou Casimir Perier sont actionnaires de
l’entreprise. L’industrie textile, du papier, du verre de la porcelaine se
modernise ; d’autres apparaissent, comme l’industrie chimique, qui permet de
créer des engrais artificiels pour l’agriculture. Mais le libéralisme dont les
hommes de Juillet se revendiquent se heurtent à la protection des intérêts
nationaux et cherchent à éviter la concurrence avec une Angleterre en avance
économiquement. Le terme de protectionnisme apparait dans les années 1840,
et se traduit par des hautes barrières douanières. Car tous ces changements liés
à l’industrialisation provoquent des mutations dans les structures sociales. La
grande bourgeoisie d’affaire entame une irrésistible ascension, à travers leurs
mainmises sur les fonctions politiques, administratives ou industrielle. La vieille
noblesse dans une phase descendante, se mêle à ces nouveaux possédants, par
des alliances matrimoniales ou patrimoniales. Mais cette France des notables
ne forme pas un tout homogène : des disparités géographiques, idéologiques et
financières existent. La petite notabilité provinciale, qui regroupe aussi bien le
propriétaire terrien que le notaire, l’avocat et le médecin, est plutôt à la
recherche de mandats locaux afin d’asseoir son influence sociale. La strate
inférieure de la classe moyenne, le monde de la boutique et de l’échoppe,
parvient parfois à se hisser au rang de la bourgeoisie. Le plafond de verre du
système censitaire provoque un vif mécontentement. Pour preuve, la garde
nationale, constituée par la petite bourgeoisie, peine à recruter. C’est surtout le
monde ouvrier qui connait un grand bouleversement : souvent l’ouvrier est
multi-activité : il alterne travaux agricoles et artisanaux, dans des petits ateliers,
et en fonction des saisons. La concentration industrielle absorbe peu à peu ces
travailleurs dans le monde de l’usine. Les conditions de travail sont effroyables,
les logements insalubres et la sous-alimentation constante. Certains députés y
voient immédiatement le terreau des futures révoltes et tirent la sonnette
d’alarme, comme Alphonse de Lamartine, qui prononce lors d’un discours en
1835 à la Chambre : « Nous nous le dissimulons en vain, nous l’écartons en vain
de nos pensées : la question des prolétaires et celle qui fera l’explosion la plus
terrible dans la société si les gouvernements se refusent à la sonder et à la
résoudre ». Seule loi sociale votée sous la monarchie de Juillet, l’interdiction du
travail des enfants de moins de 8 ans et la limitation à 8 heures par jour pour
ceux de moins de 12 ans. En l’absence de contrôle, elle ne sera pas appliquée.
Ce phénomène social d’appauvrissement et de détérioration des conditions de
vies d’un groupe d’individus prend le nom de paupérisme, terme apparu en
France au tournant des années 1840.
Préfiguration du syndicalisme à venir, des systèmes d’entraides et des sociétés
de secours mutuelles se forment, mais échouent dans les grèves menées par
manque d’organisation. C’est surtout sur le terrain des idées que l’impact des
transformations sociales sera le plus fort. La monarchie de Juillet est l’époque
du socialisme utopique, comme le définit Karl Max : des traités théoriques
fleurissent, comme celui de St-Simon qui cherche à atteindre une société
fraternelle grâce au progrès et à l’industrialisation, avec une union patrons-
ouvriers et un nouveau système social, dirigé par l’élite scientifique et
industrielle du pays. Charles Fourier rêve d’un modèle communautaire idéal : la
phalanstère, village où est appliqué une stricte division du travail entre ses
membres et un salaire minimum garanti. La personnalité marquante de
l’époque est sans nul doute Pierre-Joseph Proudhon et son livre « Qu’est-ce que
la propriété ? ». Il provoque le scandale avec sa célèbre phrase : « la propriété
c’est le vol ». Malgré tout, il défend la petite propriété et propose une société
de petits producteurs fondée sur l’échange. Il rejette l’état et le
parlementarisme – symboles d’autorités – qui écrasent l’individu, et croit à une
révolution sociale venant de la masse. Les idées de Proudhon mèneront à
l’anarchisme. Plus modéré, Louis Blanc donne une forme plus concrète au
socialisme : l’Etat est au cœur du processus de transformation, politiquement
par le suffrage universel et économiquement par la nationalisation des grands
secteurs – banque, assurance, chemins de fer. Il prône l’association ouvrière et
pourfend la concurrence, moteur de l’économie libérale et source de toutes les
crises. Etienne Cabet quant à lui propose une société que l’on pourrait qualifier
de communiste : l’état dispose des moyens de production, définit les objectifs
économiques et se charge de l’instruction de la population. L’égalité se fait au
profit de la liberté individuelle. Enfin, nous pouvons citer Auguste Blanqui, dont
les écrits sur la lutte des classes et la mise en place d’une nouvelle organisation
sociale par la révolution violente d’un petit groupe, inspireront nombre des
futures révoltes et révolutions. Intellectuellement, l’époque est également
marquée par le romantisme, mouvement européen qui trouve en France sa
plus forte expression dans la littérature à travers les romans d’Hugo ou les récits
historiques de Michelet ou Lamartine, faisant du peuple comme moteur de
l’histoire. La vie artistique, par la peinture, la sculpture ou la musique, est en
plaine effervescence, par l’esprit de liberté qui règne sur Paris. Sur plan
extérieur, la conquête de l’Algérie, entamée sous Charles X, s’achève en 1847
après une lutte acharnée contre les troupes de m’émir Abdelkader. Le désir de
de paix de Louis-Philippe avec les monarchies européennes passe par un
rapprochement avec l’Angleterre. C’est le début de l’entente cordiale. Cette
politique extérieure est le fait du ministre des Affaires étrangères François
Guizot, qui dirige de facto le gouvernement. Travaillent en étroite collaborations
avec Louis-Philippe, il incarne, de 1840 à 1848, l’esprit de la monarchie de
Juillet : « l’ordre au-dedans, la paix au dehors ». Sa politique du « juste milieu »
s’avère particulièrement répressive marquée par la crainte du pouvoir
populaire. La prospérité retrouvée par l’essor industriel, les barrages douaniers
et une rationalisation du prélèvement fiscal, augmentent les revenus à l’échelle
nationale, mais creuse les inégalités. Le moindre soubresaut économique peut
faire vaciller ce que l’on nomme « le système Guizot ».
La crise du régime
En 1846, une crise économique, dû à des mauvaises récoltes, frappe le pays. La
disette refait son apparition en France. Une spirale infernale débute : le vente
des biens de consommation diminue, la croissance avec, et des ouvriers sont
mis au chômage. L’Etat, qui doit acheter du blé étranger, réduit ses avances
engagées dans la construction du rail. L’endettement de certaines compagnies
et la spéculation qui a accompagné le boom du chemin de fer, provoquent une
crise du crédit. Les petits actionnaires sont ruinés. La métallurgie et les mines
sont touchées à leur tour. Des révoltes ouvrières éclatent. Le gouvernement est
jugé responsable de cette crise. Guizot se retrouve sous le feu des critiques. La
petite bourgeoisie, notamment provinciale, qui accuse le coup de la crise,
dénonce l’aristocratie financière qui gouverne le pays. La peur du déclassement
chez les notables de province, les désordres, les limites de ce libéralisme qui
profite aux plus riches, et surtout, l’impossibilité de participer à la vie politique
à cause d’un cens électoral trop élevé, mène l’opposition à s’organiser pour
faire chuter le gouvernement. Une réforme électorale est demandée, qui
doublerait le nombre d’électeurs. Mais François Guizot rejette catégoriquement
cette proposition. Pour lui, les droits politiques ne peuvent venir que de
l’enrichissement des individus. Une phrase célèbre, qui provoque beaucoup de
débats chez les historiens car il est difficile de savoir dans quel contexte elle fut
véritablement prononcée, résume parfaitement la pensée de Guizot :
« Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne, et vous deviendrez électeurs ».
Une autre version existe : « éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la
condition matérielle et morale de notre France ». Ces deux mots, « enrichissez-
vous » fédèrent tous ses détracteurs. Devant le blocage d’une majorité acquise
à Guizot – par la corruption d’ailleurs – l’opposition contourne l’interdiction des
réunions politiques en organisant des banquets réunissant des membres de la
bourgeoisie libérale qui souhaite des réformes. On trinque à la fin de la
corruption, à la classe ouvrière et à la conscience politique. Commencés en
juillet 1847, les banquets se poursuivent tout au long de l’année dans de
nombreuses villes. Les discours se radicalisent sous l’influence des Républicains
comme Ledru-Rollin ou Louis Blanc, qui portent l’idée du suffrage universel. Le
22 février, Guizot interdit un banquet qui doit se tenir dans le XIIe
arrondissement. Etudiants et républicains manifestent aux cris de « A bas
Guizot, vive la réforme ». Le pouvoir fait appel à la garde nationale, qui ne
soutient plus le régime depuis longtemps, et donc, ne fait rien. Guizot
démissionne, Louis-Philippe tente de former un nouveau gouvernement, qui est
incapable de rétablir l’ordre. Après une fusillade Boulevard des Capucines qui
coute la vie à 50 émeutiers, la révolte se transforme en révolution. Louis-
Philippe panique. Il abdique le 24 février. En à peine 3 jours, la Révolution de
février a mis fin à la monarchie de Juillet. Ayant retenu la leçon de 1830, où les
monarchistes libéraux leurs avaient soufflés la victoire de trois glorieuses, les
républicains, une fois de plus en première ligne dans la rue, établissent un
gouvernement provisoire. Alphonse de Lamartine, qui a su habilement
conserver une indépendance politique en tant que député sous la monarchie
de Juillet, proclame la IIe République depuis l’Hôtel de la Ville. La monarchie de
Juillet fut donc une période de grandes transformations marquée par de
nombreuses contradictions. En refusant de voir les changements économiques
et sociaux dont ils furent eux-mêmes le moteur, et en se braquant sur des
principes conservateurs et autoritaires, les dirigeants ont créé un décalage bien
trop grand entre le pays légal – composé de ceux qui votent et dirigent, et le
pays réel. L’impossibilité pour le peuple d’exprimer démocratiquement sa
volonté a mené à des nombreuses insurrections et à une révolution réussie, qui
a conduit à la mise en place d’un mode de scrutin qu’aucun orléaniste, même
modéré, ne souhaitait : le suffrage universel. Beau principe qui sera rapidement
limité par une nouvelle majorité nostalgique du suffrage censitaire.