125 - Réussir Comme Dirigeant
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125 - Réussir Comme Dirigeant
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Crédits iconographiques
The Noun Project : p. 68 @Sophia ; @Joohi Choudhury ; @DinosoftLab ; p. 84 @bmijnlieff ;
@Matt Hawdon ; @Jesus Puertas ; p. 107 @Gan Khoon Lay ; @Hamish ; @Jason Dilworth ;
@ProSymbols ; @ProSymbols ; @Desireé Bolívar ; @ochre ; p. 139 @Bakunetsu Kaito
© Dunod, 2022
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-083865-3
Sommaire
Couverture
Page de titre
Page de copyright
Préface
Avant-propos
Chapitre 1 – Le métier de dirigeant : des contextes divers, des
défis communs
Être nommé dirigeant
Entreprendre
La réalité du développement des entreprises
Les trois défis majeurs de tous les dirigeants
Chapitre 2 – Comprendre sa mission et son terrain de jeu
Dirigeant, une fonction aux contours à préciser
Les fondamentaux de gouvernance
Formuler sa mission de dirigeant pour s'y recentrer
Les leviers pour progresser dans son métier de dirigeant
Chapitre 3 – Mobiliser son premier cercle
Le codir : une bonne pratique, un investissement, des
exigences
Réaliser son état des lieux
La mission d'un codir
Composer un codir
Organiser le fonctionnement du codir
Animer le codir
Manager les membres du codir
Prendre et mettre en œuvre des décisions
Évaluer la performance du codir
Six questions à se poser pour la mobilisation de son premier
cercle
Rédiger la charte du codir
Chapitre 4 – Bâtir des relations constructives
Choisir ses croyances
Choisir ses mots
Le filtre magique
Apprendre à dire « non »
Donner et recevoir du feedback
Chapitre 5 – Faire des choix managériaux clairs
Les conditions de l'engagement dans l'entreprise
Les modèles d'organisation, reflets des évolutions du monde
Une question clé : la finalité de l'entreprise
Délégation et / ou subsidiarité
Renforcer la collaboration dans l'entreprise
Les 9 caractéristiques du care manager
Chapitre 6 – Exploiter le gisement d'énergie des émotions
Orienter ses forces d'une manière constructive
L'intelligence émotionnelle fait la différence
À la rencontre de nos émotions
Vivre avec ses émotions : le protocole B.E.IN.G.®
Les émotions interdites : un trésor à réhabiliter
Chapitre 7 – Bâtir un projet enthousiasmant et partagé
Les enjeux du projet d'entreprise
Qui doit construire le projet de l'entreprise ?
Les composantes d'un projet d'entreprise
Le dirigeant porteur de sens
Poids relatif des cinq composantes du projet d'entreprise dans
le pilotage et la culture de l'entreprise
Chapitre 8 – Se révéler à soi-même
Le dirigeant, potentiel et limite de l'entreprise
Leader : une manière d'être et d'agir
Développer son leadership
Conclusion – Servir le bien commun
Annexe – Le nuancier des émotions
Bibliographie
Table des ateliers
Remerciements
À nos mentors
André Mulliez, fondateur de Réseau Entreprendre.
Jean Monbourquette, docteur en psychologie, fondateur d’Estimame.
Virginie et Bruno
Je dois avoir cinq ou six ans, l’âge où l’on apprend à faire du vélo sans
roues, comme les grands. Nous sommes en vacances sur la plage de
Kerteminde, au Danemark, pays de ma mère. Mon père m’apprend à tenir le
guidon droit sur la piste cyclable, jusqu’à ce qu’il me lâche et me dise : « tu
sais faire du vélo, entraîne-toi ». À quelques centaines de mètres, il y a un
haut lieu de convoitise pour les enfants de la plage : le marchand de glace et
de bonbons. Afin de m’encourager, ma mère me donne cinquante centimes
pour acheter une glace à la vanille. À proximité de la boutique se situe un
champ d’orties qui me terrorise. Je perds l’équilibre et tombe dedans, mon
corps se couvre de boutons. Je pleure, je ne dis rien à personne. J’ai honte
de ne pas y être arrivée, mais je garde précieusement ma pièce. Le
lendemain, je me lance à nouveau. Mais le champ d’orties m’obsède
toujours et je tombe de nouveau dedans. Je tire mon vélo en pleurant. Mon
père me voit. Hoquetante, je lui explique que je suis déjà tombée deux fois
dans le champ d’orties. Je n’ai pas pu acheter ma glace, c’est trop loin, trop
difficile. Je le supplie de m’accompagner. Alors il me dit : « Tu peux y aller
toute seule, je reste là. Ne regarde pas le champ d’orties, fais comme s’il
n’existait pas. Roule vers le magasin qui est ton but ». Je m’élance, ignorant
bravement l’obstacle, et je le dépasse. Quelle fierté : c’est la première glace
que j’achète seule.
Mon père m’a appris bien des choses cette fois-là. Les obstacles
deviennent infranchissables quand on les confond avec son but. Savoir
avouer sa défaite et apprendre des autres.
Avoir foi en la confiance que les autres placent en vous lorsque vous
doutez de vous-même. Et puis, surtout, chaque petite victoire sur la peur, la
sienne ou celle des autres, est une grande victoire. Il m’a donné des ailes ce
jour-là.
Oui, pour être un bon dirigeant, il faut d’abord apprendre à être soi.
Pleinement. Ne pas se réfugier dans le regard de l’autre, prendre la critique
avec distance et objectivité, se nourrir de ses erreurs comme des
apprentissages et faire confiance, d’emblée, à ceux qui vous entourent. Il
sera toujours temps de rectifier le tir, si c’est nécessaire.
En tout dirigeant réside une âme de capitaine. Être un leader, c’est en
effet naviguer chaque jour en entraînant des collaborateurs que l’on
respecte. À mon sens, un dirigeant qui réussit, c’est un dirigeant qui sait
donner : impulser, encourager, montrer la voie et maintenir le cap, déléguer
aussi, et conseiller. C’est entretenir son esprit critique et son sens de
l’organisation, et les vouer à la progression de son projet. Garder les pieds
ancrés au pont du navire tout en permettant à l’esprit de scruter l’horizon.
Être un dirigeant, c’est apprendre, pour soi-même, de soi-même, afin de
mettre son savoir au service des autres. Apprendre à ne pas se mettre au
centre de l’équation. Apprendre à anticiper, et à faire face aux imprévus.
Apprendre à se mettre à l’écoute, des mots et des maux de ses
collaborateurs, à transcender la façon dont un malaise est rapporté pour
chercher le cœur du problème.
Il existe autant de dirigeants que d’expériences, car 90 % du travail de
leader est humain. On ne naît pas « bon » dirigeant, comme le rappellent et
l’expliquent Virginie et Bruno, les auteurs de ce livre. On le devient. C’est
en effet, tout à la fois, un métier, une mission et un chemin. Et ce, au travers
de ses expériences professionnelles tout comme de sa vie personnelle. Ça a
été le cas pour moi, mère de neuf enfants et au cœur d’une vie
professionnelle bien remplie.
J’ai appris à garder la curiosité et le questionnement au cœur de l’action,
qui permet de s’enrichir de tous, et tout particulièrement de la jeune
génération. J’ai appris à être une dirigeante sereine, sans anxiété ni colère,
qui rassure ses collaborateurs lorsque l’entreprise subit une crise, comme un
enfant malade a besoin d’un parent détendu pour le réconforter. Je me suis
ouverte à la différence : tous ont des besoins spécifiques, et c’est
précisément le rôle du et de la dirigeante que d’assurer un environnement
bienveillant pour que chacun puisse s’épanouir. Être un dirigeant, c’est
apprendre, perpétuellement.
Aux intrépides qui deviennent dirigeants : puisez dans votre expérience
personnelle et professionnelle les éléments qui feront de vous un bon leader.
Vous ferez face à des écueils, que vous surpasserez, comme vous l’avez
toujours fait pour en arriver là où vous êtes. Chaque jour est une leçon.
Vous évoluerez, en prenant exemple sur les autres, en parcourant
d’excellents témoignages comme celui que vous vous apprêtez à lire, et en
voulant toujours mieux faire. Et vous réussirez.
Le leadership exercé en tant que dirigeant est un défi gratifiant à relever
quotidiennement. Lorsqu’on est entrepreneur puis dirigeant, on ne réussit
bien que lorsqu’on est généreux : généreux de son temps, de son énergie et
de son enthousiasme, quand on veut partager la passion de ce que l’on fait.
On réussit lorsque l’on puise dans son intériorité, avec enthousiasme et
confiance, chemin qui nécessite un engagement de tout son être et exige de
l’entraînement, comme l’explicitent les auteurs de ce livre. J’aime entendre,
et ici lire, qu’être dirigeant est un chemin qui conduit à prendre soin de soi
pour pouvoir à terme prendre soin des autres. Sans oublier de rejoindre le
plus intime de nous-même, de suivre notre guide intérieur, rejoindre son
âme, c’est à dire en tant que dirigeant « l’âme du leadership1 ».
Osez être un bon leader. Ne pas oser, c’est déjà perdre. Osez faire les
choses parce que vous y croyez. Osez recruter les collaborateurs qui vous
apporteront ce que vous ne pouvez pas prodiguer à votre société. Osez vous
faire confiance et faire confiance aux autres. Osez diriger.
Partez explorer, au fil de ces pages aussi, les manières d’être et d’agir en
dirigeant. Pour se révéler à soi-même et servir le bien commun.
Clara Gaymard
co-fondatrice de RAISE
Avant-propos
À propos de ce livre
« Dirigeant, c’est mystérieux, je ne sais pas ce que ça veut dire
concrètement » nous disait une connaissance, pourtant salariée dans une
entreprise dont la taille permet de penser qu’elle en côtoie le dirigeant au
quotidien. Il lui était difficile d’imaginer comment le dirigeant utilisait son
temps, quels étaient ses principaux sujets de préoccupation et de quelle
façon il impactait le cours des choses.
Ce mystère autour du dirigeant, vécu à l’échelle d’une entreprise
particulière, est démultiplié quand on passe en revue tous les contextes
possibles d’exercice, en croisant les tailles d’entreprise, les secteurs
d’activité, le statut du dirigeant (entrepreneur ou dirigeant salarié), la
finalité de l’entreprise (économie classique, économie sociale et solidaire,
service public), le statut de l’entreprise (société commerciale, association,
mutuelle, coopérative, etc.).
Il est aussi mystérieux – et positif – qu’on puisse exercer la responsabilité
de dirigeant sans présenter un niveau de qualification quand tant d’autres
exercices professionnels sont réglementés.
Pourtant, près de vingt années consacrées à l’accompagnement des
entrepreneurs, à la formation des chefs d’entreprise et à l’exercice de la
direction d’entreprise nous ont appris que dirigeant, c’est un métier. Et
comme tout métier, il s’apprend.
C’est d’ailleurs un métier qu’on apprend le plus souvent par la seule
pratique. On devient dirigeant en raison des circonstances de la vie. Soit
parce qu’on est créateur d’entreprise et que l’entreprise se développe. Soit
parce que, ayant bien réussi dans d’autres fonctions en tant que salarié, on
se voit un jour proposer une direction générale.
Apprendre le métier de dirigeant par la seule pratique présente certaines
vertus. Être confronté directement aux résultats de son action est très
puissant. Cependant, pour le dirigeant, ce seul mode d’apprentissage peut
engendrer un gaspillage de temps, d’énergie et entamer la confiance. Il
induit un coût économique humain élevé, et peut même être fatal compte
tenu de l’impact de la fonction de direction sur l’entreprise et sur
l’ensemble de ses parties prenantes.
Si le dirigeant est le potentiel de son entreprise, il peut aussi en devenir
lui-même la limite. Les aptitudes naturelles de l’entrepreneur lui permettent
de faire naître l’entreprise et de commencer à la développer. Toutefois,
quand l’entreprise atteint une certaine taille, si les postures et modes
d’action de l’entrepreneur n’évoluent pas, soit le développement prend une
inflexion et se tasse, soit l’entreprise continue de grandir et l’entrepreneur
se disqualifie jusqu’à parfois devoir être remplacé.
Il en est de même pour les dirigeants salariés, généralement nommés à la
direction d’une entreprise parce qu’ils ont fait la démonstration d’un
parcours professionnel réussi dans d’autres fonctions. Leur expérience les a
partiellement préparés au métier de dirigeant. Ils doivent apprendre à
composer avec un nombre croissant de parties prenantes, à l’intérieur
comme à l’extérieur de l’entreprise. Ils doivent prendre de la hauteur et
anticiper. Ils doivent être en capacité de prendre des décisions engageantes,
sans quoi ils deviennent la limite du développement de l’entreprise. En
vérité, l’entreprise ne peut pas aller plus loin que son dirigeant.
Devenir dirigeant est un chemin certes passionnant, mais aussi
indéniablement difficile et exigeant. Il doit être accompli très vite chez
certains, comme les dirigeants de business unit au sein de groupes qui
attendent des résultats rapides et mettent une forte pression sur leur
dirigeant ou encore les créateurs d’entreprise en hypercroissance.
Pour ces derniers, l’enjeu peut se résumer ainsi : comment passer de « je
fais tout » (au début) à « je fais tout sauf » ce que je délègue
progressivement (à mes premiers collaborateurs), puis à « je ne fais rien
sauf » mon métier de dirigeant ? Cette conversion à faire est immense. Elle
est constituée d’une suite de changements successifs dans son organisation
et dans ses postures. Elle exige de la part du dirigeant beaucoup de
détermination et de discipline.
Mais au fond, qu’est-ce que le métier de dirigeant ? Comment devenir,
jour après jour, un meilleur dirigeant ?
Nous, Virginie et Bruno, explorons ensemble ces questions parce que nos
parcours professionnels et personnels nous ont conduits à nous rejoindre de
façon complémentaire sur ce terrain.
Nous avons créé le Campus des Dirigeants avec un premier cycle dont le
titre traduit cette double intention : « Être et Agir en Dirigeant ». Notre
conviction est que les progrès durables du dirigeant passent de façon
indissociable par ces deux aspects.
Nous avons écrit ce livre pour toutes celles et ceux qui s’intéressent au
métier de dirigeant. En premier lieu, pour celles et ceux qui l’exercent,
quels que soit la taille et le contexte de l’entreprise, et pour celles et ceux
qui s’y préparent. Mais aussi pour vous qui accompagnez des dirigeants en
tant qu’actionnaire, DRH, talent manager, coach ou conseil.
Nous nous y sommes mis à deux têtes, deux cœurs et quatre mains pour
aborder de manière équilibrée à la fois l’être et l’agir. Nous avons
conscience qu’apporter des éclairages aux dirigeants pour l’exercice de leur
métier peut sembler présomptueux dans un monde qui change si vite. Si les
entreprises contribuent largement aux évolutions du monde, elles restent
impactées par ces évolutions. Les changements de notre société influent sur
la manière de considérer et de vivre l’entreprise. Nous pouvons d’ailleurs
déjà entrevoir dans quel sens, d’autant que la crise de la Covid-19 est un
accélérateur des changements. Une partie du monde s’accroche à maintenir
le plus longtemps possible l’existant. Une autre partie aspire et agit pour
faire advenir une nouvelle ère. Nous vous proposons d’être de ceux-là.
De nouveaux modèles d’entreprise sont nés dès la fin du XXe siècle, de la
volonté de dirigeants perçus au départ comme des originaux. Ces
entreprises restent encore très minoritaires. Nous avons pourtant la
conviction qu’elles nous parlent des aspirations profondes de l’humanité
aujourd’hui. Saurons-nous les entendre ?
Notre volonté en écrivant cet ouvrage n’est pas de prôner tel ou tel
modèle. Nous voulons aider les entrepreneurs et dirigeants à gagner du
temps, à se poser des questions structurantes pour leur organisation, à
prendre des choix conscients en restant authentiquement fidèles à eux-
mêmes. Se développer est un chemin de croissance professionnelle pour le
dirigeant et un chemin de croissance pour l’entreprise. C’est aussi un
chemin de croissance personnelle.
Chapitre 1
Le métier de dirigeant :
des contextes divers, des défis
communs
Executive summary
Entreprendre
Si l’on n’est pas nommé par des tiers, une autre voie pour accéder à la
fonction de dirigeant est possible : entreprendre (créer ou reprendre). Il y a
encore quinze ans dans le monde des entrepreneurs, on se lamentait de voir
la grande majorité des jeunes diplômés envisager préférentiellement une
carrière dans les grands groupes. Depuis, nous sommes témoins d’un
profond changement. La culture entrepreneuriale s’est largement
développée en France, soutenue par une politique proactive en la matière.
L’enquête réalisée par l’institut d’études TMO Régions pour l’Agence
France Entrepreneur (AFE), avec le soutien de Pôle Emploi et de la
Fondation d’entreprise MMA des Entrepreneurs du futur, évalue et analyse
le dynamisme entrepreneurial en France et son évolution. L’édition 2018 de
l’étude sur L’IEF (Indice entrepreneurial en France) révèle que 50 % des
Français considèrent la création d’entreprise comme le choix de carrière le
plus attractif. Sondage après sondage, cette tendance se confirme. Selon une
étude Opinionway réalisée à l’occasion du Salon des Entrepreneurs de Paris
en février 2019, plus de 8,2 millions de Français envisagent de devenir leur
propre « patron » dans les deux ans à venir.
Certes, de l’intention au passage à l’acte, il y a un pas considérable à
franchir. Toutefois, ces chiffres nous révèlent que l’état d’esprit a réellement
changé, et ceux de la création d’entreprise l’attestent. Alors que sur l’année
2000, on comptait 215 000 nouvelles entreprises, en 2019, on en a
dénombré 815 000 (tous statuts confondus) parmi lesquelles :
• 47 % de micro-entrepreneurs (ayant précédemment le statut d’auto-
entrepreneurs) ;
• 25,7 % d’entreprises individuelles ;
• 27,3 % de créations sous forme de société.
Comment expliquer ce changement d’état d’esprit et cet engouement
pour l’entrepreneuriat ?
De manière générale, un changement culturel profite à l’entrepreneuriat :
le rapport au travail et à l’autorité a bien évolué, résultat d’un besoin
d’autonomie plus fort ou plus conscient qui rend le salariat moins attractif.
De plus, en lien avec la RSE, les jeunes générations portent des jugements
critiques sur les comportements de certains grands groupes et s’en
détournent. Peu à peu, la quête de développement personnel supplante celle
de la réussite sociale, faisant ainsi basculer l’avantage du côté de
l’entrepreneuriat.
Sur le plan juridique et social, le régime de l’auto-entrepreneur a
largement contribué au développement de l’entrepreneuriat, avec des effets
immédiats en 2009, année de sa mise en œuvre. Créer sa propre activité est
apparu plus simple et accessible à tous. La simplification juridique a induit
une transformation psychologique et culturelle durable.
La France dispose d’un écosystème très favorable à la création
d’entreprises. Tout créateur, quels que soient son statut social, son profil et
le type de projet qu’il porte, peut trouver l’organisme public ou associatif
approprié pour le conseil, le financement, l’accompagnement,
l’hébergement. Ce foisonnement de dispositifs est souvent décrié. Nous le
voyons plutôt comme la recherche de solutions adaptées à toutes les
typologies d’entrepreneuriat, depuis le chômeur bénéficiaire des minima
sociaux et n’ayant pas accès au financement bancaire, jusqu’au startuper qui
va lever des dizaines ou centaines de millions d’euros. Mais la plus belle
mesure dont nous bénéficions dans notre pays – réalisons-le vraiment –,
c’est le statut de chômeur créateur d’entreprise indemnisé1 qui permet de
vivre les premiers mois, le temps d’amorcer la pompe pour dégager un
revenu de son activité. Cette mesure est majeure dans la politique de soutien
à la création d’entreprise. Elle est rentable puisque la création de valeur
pour le pays dépasse largement les fonds investis. La France doit conserver
précieusement ce dispositif.
De plus, l’explosion des nouvelles technologies et la quatrième
révolution industrielle en cours rebattent les cartes et reconfigurent
l’économie (« ubérisation de l’économie »), donnant ainsi leur chance à de
nouveaux entrants face aux géants de l’économie classique.
Le monde des start-up s’est d’ailleurs remarquablement organisé pour
l’incubation des projets, le mentorat, les levées de fonds, pour tisser des
liens avec les universités et nouer des relations de partenariat avec les
grandes entreprises, ou encore pour développer les réseaux associatifs
d’accompagnement et pour créer des hubs propices à la fertilisation croisée.
La France a toutefois encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.
D’après le rapport Startup Ecosystem Rankings de 2019, elle se positionne
à la 11e place mondiale, derrière l’Espagne.
Même si la ville de Paris (avec une structure comme Station F2) s’inscrit
à la 12e place parmi le palmarès des villes les plus attractives au monde
pour les start-up, il y a encore beaucoup à faire pour que l’Hexagone, dans
son ensemble, se mobilise et qu’on assiste à une déconcentration des talents
et des capitaux.
Tous ces éléments culturels et conjoncturels ont peut-être contribué à
faire de vous un entrepreneur (si vous êtes issu d’une famille
d’entrepreneurs, vous avez des raisons supplémentaires de vous être lancé
aussi). Mais à eux seuls, bien évidemment, ces facteurs n’auraient pas suffi.
Car il n’y a point d’audace sans motivations intrinsèques puissantes. Pour
entreprendre, vous avez actionné votre liberté profonde.
Les motivations qui vous ont poussé à entreprendre vous sont propres,
mais il est probable qu’elles rejoignent celles de la plupart des
entrepreneurs. Distinguons deux catégories d’entrepreneurs. Cette vision est
certes un peu simpliste car la réalité est plus subtile. Elle a néanmoins le
mérite de préciser ce dont on parle. Les entrepreneurs par nécessité sont
des individus « poussés à la création d’entreprise parce qu’ils ne perçoivent
pas de meilleure alternative d’emploi3. » Leur motivation est plus défensive
qu’offensive. Cela n’exclut pas que certains se révèlent dans l’action et
vivent de magnifiques success-story. Mais pour la grande majorité d’entre
eux, l’activité est et restera « alimentaire ». Ils se distinguent des
entrepreneurs d’opportunité, qui ont identifié une idée, un projet pour se
lancer dans le business, et surtout, qui en ont vraiment envie.
Prendre du recul
Beaucoup de dirigeants expriment des difficultés à prendre du recul ou de la
hauteur et ce, malgré une grande aspiration à le faire. Ils sentent bien la
nécessité de s’arrêter. Pour eux-mêmes d’abord et ce en réponse à un besoin
physiologique (comme le plongeur en apnée qui a besoin de respirer de loin
en loin), puis pour l’entreprise (tel le cycliste qui lève le nez du guidon pour
regarder la route et anticiper les courbes). Ils n’arrivent pas à ménager
comme ils le voudraient ces moments de prise de recul et le déplorent. Ils
ont l’impression d’être débordés, sur tous les fronts, accaparés par
l’opérationnel, promenés de sujet en sujet, au gré des sollicitations, plutôt
que de réellement construire leur action. Ils ont de ce fait l’impression de
vivre avec du retard sur ce qu’ils voudraient impulser. Ils éprouvent des
difficultés à prendre des décisions, sereinement et dans les délais. Tout ceci
génère du stress, d’autant plus quand l’équilibre de vie n’est pas optimal. Le
dirigeant est finalement détourné de l’essentiel de sa mission.
Cette difficulté à prendre du recul peut tenir à un profil de personnalité,
mais peut aussi s’expliquer par la taille de l’entreprise : plus elle est petite,
plus la prise de recul est difficile car le dirigeant est au plus près des
opérations. À l’inverse, quand l’entreprise grandit, le dirigeant peut plus
facilement se départir des tâches plus opérationnelles pour se consacrer au
développement et aux projets d’avenir.
Un de nos amis, serial-repreneur et développeur, ne reprend plus que des
entreprises avec un effectif d’au moins 400 personnes. En effet, diriger une
entreprise de 400 collaborateurs lui semble plus facile qu’une entreprise de
40, ce qui est encore plus facile qu’une entreprise de 4 personnes.
C’est un chemin d’humilité, qui suppose de s’accepter tel qu’on est, avec
ses limites, de savoir reconnaître ses erreurs et ses échecs pour en faire des
occasions d’apprentissage, d’aller chercher de la ressource là où elle se
trouve, de sortir de son entreprise pour s’enrichir des échanges avec ses
pairs et bien sûr, d’identifier ses forces et de s’en servir.
Mieux vaut exercer votre mission de dirigeant tel que vous êtes sans
essayer de ressembler à d’autres. Si vous êtes à cette place aujourd’hui,
c’est que vous êtes légitime - cela ne veut pas dire parfait. Certes, vous
pouvez vous laisser inspirer par d’autres dirigeants, mais n’essayez pas de
leur ressembler.
Le meilleur moyen d’être cohérent jour après jour dans son action et dans
ses comportements est de devenir soi-même.
Chapitre 2
Comprendre sa mission
et son terrain de jeu
Executive summary
En tant que dirigeant, vous avez sans doute déjà défini les missions de
vos collaborateurs. Vous avez pensé qu’il était important de le faire pour
que chacun puisse donner le meilleur et travailler dans le respect de la
mission des autres. Mais avez-vous déjà pris le temps d’énoncer votre
propre mission de dirigeant ? Il est possible que comme de nombreux
dirigeants vous ayez du mal à formuler votre mission en une phrase. Et
pourtant, se mettre au clair avec sa mission est un facteur de progrès quasi
immédiat car on s’y recentre.
Quand on parle de dirigeant, de quoi parle-t-on ? Les statuts juridiques
des sociétés évoquent le président (« chairman » dans la culture anglo-
saxonne), le directeur général (CEO), le PDG, le gérant, le président de
directoire, le président du conseil de surveillance, etc. Ces fonctions et
dénominations recouvrent des réalités juridiques et opérationnelles
différentes.
Ce livre considère essentiellement la mission de dirigeant exécutif qui,
comme l’exprime l’adjectif, est investi au quotidien dans la conduite de
l’entreprise et l’exécution de son projet. Il s’agit donc de la direction
générale (Chief Executive Officer) et des fonctions qui y participent (DG
adjoint, DG Délégué, etc.).
Dans les nouvelles formes d’organisation d’entreprise qui favorisent
l’autonomie, l’initiative et la collaboration, les dirigeants renoncent à ces
intitulés de fonction parce qu’ils ne se retrouvent pas dans le verbe diriger.
Ils se concentrent en général sur trois points :
• s’assurer que le sens de toutes les actions et projets soit partagé et
compris ;
• s’assurer que les ressources nécessaires à l’action soient disponibles ;
• s’assurer du respect des principes qui fondent le modèle
d’organisation choisi.
Les dirigeants de ces entreprises se désignent plus volontiers comme
leader que comme DG et ils ont sans doute bien raison de le faire au regard
de leurs intentions, car les termes sont porteurs de sens. Sur le principe,
juridiquement et pénalement, ils continuent d’assumer les responsabilités de
tout dirigeant exécutif. Ce sont leurs choix managériaux et organisationnels
qui sont spécifiques (cf. chapitre 5 sur la mission du dirigeant dans ces
modèles collaboratifs).
Qu’il y ait des moments critiques à gérer, oui bien sûr. Qu’il y ait des
périodes de déséquilibre, comme à la suite du départ d’un proche
collaborateur pas encore remplacé, oui bien sûr aussi. Mais le dirigeant ne
doit pas s’enfermer dans une situation durable de surcharge. Nous n’avons
pas tous la même capacité de travail. Autrement dit, le seuil de la surcharge
n’est pas identique pour tous. Les dirigeants qui ont une grande capacité de
travail disposent d’un formidable atout, certes. Mais dès lors qu’un
dirigeant a dépassé son seuil, à quelque niveau que celui-ci se trouve, il
risque de devenir moins pertinent, moins puissant, il met l’entreprise en
danger et lui-même par la même occasion.
• Auditer régulièrement l’usage de son temps
Vous pouvez commencer par vous poser les deux questions suivantes.
D’une manière globale, est-ce que j’alloue mon temps à mes priorités de
vie de la façon la mieux équilibrée ? Si vous répondez non, prenez un
moment pour vous demander quelles sont les priorités de votre vie, et pour
chacune d’elles, réévaluer les moyens que vous vous donnez, y compris
dans votre agenda pour les traiter comme telles. C’est un travail profond qui
nécessite qu’on lui consacre du temps. Passer à côté expose à un réveil
brutal lors des étapes clés de la vie.
Concernant l’entreprise, est-ce que j’alloue mon temps aux bons sujets,
en lien avec ma mission de dirigeant ? Relisez la formulation de votre
mission ou celle que nous vous proposions : « Ma mission du dirigeant est
de construire la meilleure équipe, de bâtir et mettre en œuvre un projet
enthousiasmant et partagé, pour le bénéfice de toutes les parties prenantes. »
Il y a fort à parier que vous allez identifier des choses que vous faites et
que vous ne devriez plus faire, comme participer à certaines réunions, lire
certains tableaux de bord dont les informations ne vous sont pas strictement
nécessaires pour l’exercice de votre mission, traiter certains sujets qui vous
sont apportés par les équipes par confort pour elles, des évènements
auxquels vous participez par habitude alors que les conditions ont changé. Il
n’est pas forcément facile de mettre fin à ce que vous avez identifié comme
des activités à arrêter et ce pour plusieurs raisons, notamment la crainte que
vos collaborateurs le prennent comme un désintérêt pour leur travail. Alors
prenez le temps de leur expliquer votre démarche et profitez-en pour leur
exprimer votre confiance.
Vous vous heurterez à vos propres freins à la délégation. Accepter de ne
plus être présent dans certaines réunions. Diminuer le contrôle est un effort.
C’est aussi accepter de prendre un risque. Renforcer la confiance, c’est
prendre le risque de l’autre.
Vous allez aussi identifier des choses que vous ne faites pas ou pas assez
et que vous devriez (davantage) faire, comme ménager des plages de
réflexion seul ou en équipe. Ou encore aller sur le terrain, pour lever la tête
et regarder devant, rencontrer les équipes, les clients stratégiques, les
fournisseurs majeurs, vous informer de l’actualité professionnelle, observer
la concurrence, mieux préparer les réunions clés, prendre du temps pour la
communication interne pour une meilleure compréhension collective du
projet de l’entreprise, des chantiers majeurs, des décisions prises, etc.
Autrement dit, toutes ces activités qui sont importantes pour l’avenir. En un
mot, tout ce qui tourne autour de l’anticipation.
Tous les dirigeants (et les humains en général) n’ont pas les mêmes
aptitudes naturelles pour la gestion du temps. Reconnaissons d’ailleurs que
cette diversité apporte certaines couleurs à la vie ! Qu’on soit naturellement
doué pour cela ou pas, faire de la gestion du temps une discipline de vie et
s’y entraîner est source de progrès pour son efficience personnelle. Avec
des impacts sur sa vie professionnelle et personnelle.
Gérer sa motivation
Même si le métier de dirigeant est par certains côtés exaltant, la motivation
du dirigeant n’est pas linéaire puisqu’il n’est pas une machine. Au fond,
c’est comme pour tout le monde. Cependant, une baisse de motivation pour
le dirigeant peut avoir de grandes conséquences. La motivation est
contagieuse. La démotivation aussi. Cela vaut le coup de s’en occuper
sérieusement ! Peut-être vivez-vous actuellement une période de
démotivation ou de manque de motivation. Comment la gérer ?
Nous vous recommandons d’abord d’accueillir cette réalité, de la prendre
comme elle est, sans vous juger. Vous devez l’interroger. Votre
démotivation est un signe, une invitation à changer quelque chose. Les
causes de démotivation du dirigeant sont multiples :
• l’étape de découverte est terminée, on s’installe dans une routine, on
ne prend plus de plaisir ;
• on est las de déployer des efforts au vu de résultats décevants ;
• l’entreprise fonctionne bien et on commence à s’ennuyer ;
• l’entreprise a vécu des revers décourageants ;
• l’actionnaire exprime trop peu de reconnaissance au regard de
l’engagement et des résultats obtenus ;
• trop peu de visibilité sur l’avenir ;
• un départ d’un collaborateur précieux vécu comme une trahison, etc.
Une fois la ou les causes identifiées, vous pourrez prendre les choses en
main et faire évoluer la situation. Et si vous percevez que cela suppose une
décision radicale comme quitter l’entreprise, il vous faudra le courage de le
faire, dans l’intérêt de l’entreprise mais aussi dans le vôtre.
Heureusement, la plupart des baisses de motivation trouvent leur cause
dans des situations auxquelles on peut facilement remédier. Un petit pas de
côté et un nouvel équilibre se construit, et qui sait, peut-être qu’une
nouvelle étape enthousiasmante s’engage.
Executive summary
Vos collaborateurs directs sont compétents et très engagés chacun dans leur
fonction. Pourtant, l’entreprise grandissant et se complexifiant, vous
déplorez des bugs dans l’organisation et de la lenteur dans les prises de
décision. Vous restez seul à porter les préoccupations qui relèvent de la
direction générale et cette situation commence à vous peser. Vous
rencontrez une limite, pour vous et pour l’entreprise. Le moment est
probablement venu de vous questionner sur la mobilisation de votre premier
cercle, à travers ce que l’on appelle classiquement un comité de direction.
Beaucoup de dirigeants de start-up et de PME n’apprécient pas ce terme
qu’ils trouvent pompeux et exagéré par rapport aux attributions qu’ils
envisageraient de lui donner. De ce fait, en rejetant le terme et l’organe qu’il
désigne, ils se privent d’un moyen précieux de franchir un cap et porter plus
loin le développement de leur entreprise. Car une direction plus collégiale
apporte de la sécurité, de la profondeur dans les réflexions et une mise en
œuvre plus efficace des décisions. Si c’est votre cas également, nous vous
invitons à laisser de côté le terme pour un autre qui vous convient mieux.
Par souci de simplicité, nous utiliserons ici le terme « codir ».
Il est utile de rappeler que le comité de direction n’a pas d’existence
juridique en tant que telle. C’est une pratique qui s’est développée dans les
entreprises et notamment dans celles qui se préoccupent de leur pérennité et
de leur développement. La mise en place d’un codir et son animation
exposent cependant le dirigeant à un certain nombre de difficultés pour trois
raisons majeures :
• la taille de l’entreprise et le préjugé consistant à croire que le codir
n’existe que dans les grands groupes ;
• la réticence et/ou les difficultés du dirigeant à développer une
collégialité dans la prise de décision ;
• le manque de discipline organisationnelle. En effet, les qualités
professionnelles et personnelles de chacun de ses membres ne suffisent
pas à rendre un codir performant.
C’est pourquoi le constat que nous faisons souvent dans les entreprises
est que si on est en général valorisé en intégrant un codir, la réalité vécue
est souvent celle de la désillusion. Voici ce que l’on entend le plus souvent :
« On ne nous a pas indiqué la mission du codir » ; « j’ai souvent
l’impression de perdre mon temps. » ; nos réunions sont mal préparées »,
« on discute et on ne décide pas » ; « on rediscute toujours des mêmes
points » ; « on décide et puis plus rien » ; « certaines décisions sont prises
en dehors du codir sans qu’on sache pourquoi » ; « on est installé dans une
routine insupportable » ; « j’en ai assez des affrontements de
personnalité » ; « le codir, c’est un peu la cour du dirigeant ».1
Ces constats sont d’autant plus regrettables que le fonctionnement d’un
codir est un investissement significatif pour l’entreprise.
Nous ne disons pas qu’il faut absolument mettre en place un codir. Nous
estimons néanmoins que si vous choisissez de diriger avec un codir, votre
intérêt est de le faire très bien.
Prenons l’exemple d’une PME dont le codir de 7 personnes se
réunit 2 heures toutes les semaines pendant 48 semaines.
Voici l’ordre de grandeur du coût : 7 × 2 × 48 × 100 €16= environ
70 K€. Quel dirigeant accepterait d’investir dans une machine
qui revient à 70 K€ par an, sans exiger que celle-ci donne à
plein régime et sans en organiser la maintenance ?
Composer un codir
Pour constituer ou renouveler le codir, le dirigeant peut s’appuyer sur quatre
critères :
Le nombre
Le codir est constitué de 3 à 8 membres (dont le dirigeant lui-même). À
deux, il n’est pas nécessaire de mettre en place une organisation spécifique.
Au-delà de huit, il est difficile de créer et maintenir une bonne dynamique ;
le temps d’expression de chacun lors des réunions devient insuffisant.
D’ailleurs, une situation dans laquelle un dirigeant manage durablement
plus de huit collaborateurs en direct est probablement à revoir.
• La stratégie
La stratégie n’est pas un sujet parmi d’autres. Il y a des temps pour
l’élaborer, des temps pour l’évaluer (où en est-on par rapport à ce qu’on
avait prévu ? Est-on bien aligné ?), des temps pour l’adapter si nécessaire
(Faut-il la faire évoluer ? Dans quel sens ?).
Travailler à la stratégie justifie qu’on planifie du temps spécifique et long
pour permettre une réflexion approfondie. Cela peut justifier aussi qu’on
sorte du cadre habituel de l’entreprise. Un séminaire dédié, au minimum
une fois par an, est recommandé. Mais la fréquence pour aborder la
stratégie dépend des circonstances. Par exemple, si l’entreprise connaît une
période de crise interne ou externe, si un nouvel entrant perturbateur arrive
sur le marché, le rythme de travail sur la stratégie doit être accéléré car il est
probable qu’il y ait des décisions à prendre.
On peut initier un séminaire stratégique en s’ouvrant l’esprit, en prenant
de la hauteur par rapport au quotidien, avec par exemple une visite
d’entreprise, un intervenant inspirant, un expert, etc. Ces moments de prise
de recul sont précieux. Ils régénèrent aussi les liens au sein de l’équipe.
• L’opérationnel/l’exploitation
Les sujets opérationnels sont en général les mieux traités : chacun y est dans
sa zone de confort, on partage de l’information sur le passé récent et le
présent à travers les tableaux de bord de suivi de l’exploitation. C’est le
moment privilégié pour réaliser les arbitrages entre la production et le
commerce par exemple, pour se coordonner sur les opérations à venir dans
un futur proche. Le rythme pour aborder ces sujets opérationnels est donné
par celui de l’exploitation. Il dépend de la nature des activités. Il s’étire
selon les entreprises entre le rythme hebdomadaire et le rythme mensuel.
C’est à vous de vous demander quel est le rythme nécessaire et suffisant
pour prendre à temps les bonnes décisions de pilotage de l’exploitation.
• Les politiques
Entre la stratégie et les sujets opérationnels interviennent idéalement des
sujets de politique ou thématiques. Ces sujets se situent au carrefour de la
stratégie et de l’opérationnel. Ils traitent de la politique et des résultats par
grande fonction (RH, marketing, commercial/relations clients, digital,
immobilier, etc.), en déclinaison de la stratégie de l’entreprise.
Pour bien comprendre ce que nous entendons par le terme politique,
précisons que dans l’organigramme fonctionnel de l’entreprise, chacun des
blocs (commerce, production, R&D, marketing, communication,
administration, finances, RH, système d’information, digital, etc.) comporte
deux volets :
• le volet politique. (ex. la politique marketing ; la politique
commerciale ; la politique RH3).
• le volet opérationnel (ex. les opérations marketing ; les opérations
RH).
C’est le rôle du dirigeant (et celui du codir quand il existe) de s’assurer
qu’une politique claire est établie pour chacun des blocs, que cette politique
est alignée avec le projet d’entreprise (la stratégie) et le sert, et que les
politiques pour tous ces blocs sont cohérentes entre elles.
Figure 3.3 – Interrelations entre CEO et autres fonctions
Le codir est donc le lieu où l’on valide ensemble les politiques proposées
pour chacun de ces blocs et où l’on vérifie leur mise en œuvre effective et
leur pertinence. On introduit dans le programme de travail du codir des
séquences dédiées pour aborder ces sujets de politique sous forme de revues
thématiques qui concernent tout à tour la politique commerciale et ses
résultats, la politique RH et ses résultats, la politique marketing et ses
résultats, etc.
La liste de ces thèmes dépend du contexte de l’entreprise. L’idée à retenir
est qu’entre la stratégie qu’on revisite de loin en loin (qui s’inscrit dans le
temps long) et l’opérationnel qu’on suit au rythme de l’exploitation (qui
s’inscrit dans le temps court), le codir doit adresser aussi, avec une
fréquence adaptée aux situations, les sujets relevant des politiques. Ces
politiques nourrissent l’excellence opérationnelle d’une part et sont la
déclinaison concrète du projet de l’entreprise d’autre part. Ces revues ne
sont évidemment pas systématiques à chaque réunion du codir. Mais les
thématiques doivent être identifiées en fonction des grands enjeux portés
par l’entreprise et planifiées sur l’année.
La répartition du temps consacré par le codir à la stratégie, à
l’opérationnel et aux politiques varie selon la taille des entreprises. Dans les
grandes entreprises, les sujets opérationnels sont plutôt traités sous forme de
partage d’informations, mais les décisions liées à l’exploitation sont
généralement traitées avant et par d’autres instances que le codir. Dans une
petite PME, les membres sont eux-mêmes très impliqués dans
l’opérationnel, sujet qui garde toute sa place dans le planning de travail.
Chacun doit préparer les réunions, lire les documents de présentation des
sujets (préférer largement la synthèse sur une page A4 plutôt qu’un
diaporama de 50 slides). Un vrai codir prend des décisions relevant de la
direction générale. Ces décisions sont souvent engageantes. Les avis
doivent être nourris et mûris.
Un vrai codir est une instance qui prend des décisions. Dans le cas
contraire, c’est une simple plateforme d’échanges ou de reporting collectif.
Les membres du codir doivent savoir, en arrivant en réunion, ce que l’on va
traiter et l’ordre du jour doit distinguer sujet par sujet ce qui est apporté
pour information – pour avis – pour décision. Si le contrat est clair, les
prises de parole seront adéquates. Le dirigeant doit veiller à la qualité des
décisions prises. Cela suppose de respecter un certain nombre de règles. La
première est, pour tous, d’arriver en codir avec une attitude ouverte face
aux décisions à prendre. C’est bien humain d’avoir des convictions sur un
sujet. Attention toutefois au risque d’entrer dans la manipulation pour
parvenir à ses fins, même en ayant sa conscience pour soi. Elle prive le
groupe – dont le manipulateur – d’un échange loyal destiné à explorer le
sujet sous tous les angles et qui pourrait conduire à la meilleure décision,
celle qui unira les forces pour la mettre en œuvre. Il est plus facile de
résister à la tentation de manipuler si l’on croit sincèrement qu’on est plus
intelligent à plusieurs que seul. Les difficultés seront ainsi abordées avec
confiance.
Vous rencontrez certainement des situations dans lesquelles un sujet est
source de tension entre deux services de l’entreprise. C’est assez fréquent
entre le commercial et la production, car les incidents de l’exploitation
peuvent nourrir au quotidien l’exaspération et se traduire aussi en tension à
propos de sujets plus engageants à traiter en codir, comme des arbitrages
d’investissements.
Il peut être pertinent de déminer les sujets (déminer, pas décider !) en
amont du codir avec les personnes concernées pour ne pas importer le
conflit dans cette instance. Certes, le dirigeant n’a pas à protéger le codir de
toutes tensions – celles-ci peuvent être productives – mais il ne doit pas se
retenir s’il peut éviter les tensions destructrices.
Prendre les meilleures décisions suppose aussi de pousser chacun des
membres à exprimer son avis de façon systématique. Chacun est d’abord
membre de l’équipe dirigeante avant de représenter sa fonction. Le
directeur marketing doit donner son avis sur les projets présentés par le
DRH et réciproquement. L’argument de la non-expertise ne tient pas.
Chacun peut faire appel à son bon sens. On sait d’ailleurs le rôle puissant du
candide qui pose les questions qu’on avait oublié de traiter. La prise de
décision peut nécessiter plusieurs tours de table. Si on n’a pas d’avis tout de
suite, alors on le dit. C’est déjà en soi une information à prendre en compte.
L’animateur qui sait susciter les rebonds (ex. « Que pensez-vous de ce
que vient de dire Nicolas ? ») est précieux car il suscite la contradiction et
augmente les chances d’explorer les sujets en profondeur. Notre expérience
est que quand un codir est capable d’entrer dans cette profondeur
d’échanges, un consensus émerge dans 95 % des situations (nous disons
bien consensus et non compromis. Le consensus veut dire qu’on donne tous
le même sens à la décision). Et si l’on n’obtient pas le consensus lors d’une
rencontre, avant d’arbitrer, le dirigeant doit se demander quel est le degré
d’urgence de cette décision. Peut-être tout simplement que le sujet n’est pas
mûr. On peut alors proposer de continuer à mûrir la décision jusqu’à la
prochaine rencontre.
Un autre enjeu est d’amener tous les équipiers à aller dans le même sens,
autour de la décision, même après la contradiction et le frottement qu’on a
en plus encouragés. La décision prise peut risquer de faire des déçus, certes.
Pour autant, elle ne doit pas faire des perdants. Chacun doit pouvoir se
dire : « j’ai participé au débat, mon avis a été utile à la décision ou à sa
mise en œuvre, on a entendu mes arguments, c’est notre décision
collective ». Quand les membres du codir reviennent au sein de leur équipe,
aucun ne doit être tenté de dire « on a perdu ». C’est pourquoi, le dirigeant
ou l’animateur doit soigner la formulation de la décision, en reprenant de
façon synthétique tous les avis exprimés. On peut présenter la décision,
évoquer les risques liés à cette décision soulignés par tel ou tel et montrer
quelles dispositions sont prises pour limiter ce risque.
Par exemple : « Nous prenons donc la décision d’installer cette nouvelle
machine dès le mois prochain pour augmenter notre capacité de production.
Christelle soulignait à juste titre le fait que nous serons déjà entrés dans la
période de forte production et qu’elle trouvait risqué de s’exposer aux aléas
techniques d’une mise en service à cette période. Nous prenons donc une
décision complémentaire qui nous sécurisera : souscrire à l’option
d’assistance à l’installation et à la mise en service proposée par le
constructeur. Ce n’est pas notre habitude. Cela coûte cher. Mais, en pareille
circonstance, nous mettons toutes les chances de notre côté. »
Enfin, faut-il le rappeler, toute décision est assortie d’un responsable et
d’un délai.
Executive summary
Récits d’expérience
Olivier, 34 ans, DG adjoint dans un hypermarché, a grandi auprès de parents
commerçants aux revenus modestes, prenant très peu de vacances. Toute son enfance, il les
a vus faire des sacrifices et a fait sienne leur croyance : « Si tu veux t’en sortir dans la vie,
il ne faut pas compter ta peine ». Aujourd’hui, il a 1 h 30 de trajet pour se rendre au travail
et autant pour rentrer chez lui le soir. Cette situation n’est pas une fatalité, mais l’impact
de sa croyance.
Qu’elles proviennent d’un héritage familial ou d’une expérience personnelle, les croyances
influent sur nos décisions. Ainsi, Pierre, après 3 licenciements en 6 ans, a pris conscience
à 39 ans qu’il s’en voulait car il rêvait de créer son entreprise, sans s’être jamais lancé. Sa
croyance, héritée de l’histoire de son père, trahi par un ami, était qu’on ne peut faire
confiance à personne, pas même à son meilleur ami. Il se trouvait alors seul et méfiant,
condition peu propice à la création d’entreprise.
Denis, dirigeant d’une entreprise familiale dans le domaine de la métallurgie, vit un burn
out. Interrogé sur sa manière d’envisager la vie, un poème de Lamartine1 lui vient
spontanément :
« Rien n’est vrai, rien n’est faux ; tout est songe et mensonge,
Illusion du cœur qu’un vaste espoir prolonge.
Nos seules vérités, homme, sont nos douleurs. »
Ainsi, pour Denis, tout ce qui n’est pas douleur est faux ou illusion. Il engage alors un
travail sur lui-même pour transformer cette croyance et réussit finalement à la réorienter :
« Il y a de la souffrance dans la vie. Il y a aussi de beaux moments, bien réels eux aussi. »
Peu de temps après, Denis est sorti de son burn-out et a réorganisé sa vie sur des bases
propices à l’épanouissement. Son énergie s’oriente désormais vers la recherche de
situations positives et agréables.
Ce qui est vrai des croyances limitantes pour les personnes l’est aussi pour
les groupes tels que les entreprises. De fait, des croyances peuvent s’ancrer
dans l’inconscient collectif de l’entreprise. Par exemple, si une expérience
de croissance externe menée par votre entreprise s’est avérée une
catastrophe, le risque est d’en déduire une généralité et une croyance
limitante : « la croissance externe est une voie de développement trop
dangereuse ». L’entreprise ne tentera plus jamais l’expérience, passant peut-
être à côté de belles opportunités.
Toutefois, si nous portons en nous des croyances limitantes à transformer,
nous portons aussi, bienheureusement, des croyances épanouissantes que
nous avons grand intérêt à identifier pour les renforcer. Les croyances ne
sont pas figées, elles peuvent même être choisies.
Relevez vos croyances épanouissantes et mettez-les en valeur d’une manière à vous y reconnecter
le plus fréquemment possible.
Pour les autres, – les limitantes –, traitez-les l’une après l’autre : atténuez leur impact en
changeant, en enlevant ou en ajoutant un mot. Puis vérifiez que vous êtes en accord avec cette
nouvelle formulation, qu’elle vous incite à passer à l’action et qu’elle vous rapproche de vos
objectifs.
Des dirigeants ploient sous les injonctions, sous les to-do list et
commencent leurs journées écrasées par tout ce qu’ils ont à faire : « Il faut
que », « je dois »… L’idée d’avoir des journées préremplies peut devenir
insupportable, comme si on ne s’appartenait pas. Pour retrouver l’élan et la
motivation, il peut suffire de transformer la manière de se parler. Lorsque
vous avez des choses à faire, comment l’exprimez-vous ?
Le filtre magique
« Entendre et recevoir la critique sans se laisser blesser. »
Le métier de dirigeant, comme toute activité qui engage, expose à la
critique. Celle-ci peut avoir plusieurs origines : proches collaborateurs,
actionnaires, administrateurs, clients, partenaires, etc.
Face à la critique, le dirigeant a deux écueils à éviter. Le premier est d’y
accorder un crédit démesuré. Par exemple, en considérant la critique
comme vérité au lieu de la considérer comme une opinion donnée à un
instant t par une personne ou un groupe de personnes et dans un contexte
spécifique. Une telle perméabilité blesse celui qui reçoit la critique et
entame la relation avec son émetteur.
Le second écueil est, à l’opposé, d’être hermétique à la critique, de ne pas
vouloir l’entendre, ni la recevoir sous prétexte qu’elle est désagréable ou
qu’elle fait mal. Le risque est alors de s’isoler.
Récit d’expérience
Céline, CEO d’une entreprise de logistique, a su éviter ces deux écueils le jour où le
président du conseil d’administration lui a affirmé : « Tu t’y es mal prise dans la gestion de
ce projet d’acquisition ».
Céline a identifié cette phrase du président comme blessante, elle lui a fait l’effet d’un coup
dans l’estomac. Mais elle a su activer ce que nous appelons son « filtre magique ». Celui-ci
laisse passer le message utile et bloque l’offense, le « piquant ». Le message accueilli par
Céline est : « Mon président pense que je m’y suis mal prise dans la gestion de ce projet
d’acquisition. Il s’y serait pris d’une autre façon ». Le piquant que le filtre bloque est :
« Mon président me juge incompétente ». Le « bon » qui a traversé son filtre magique
conduit Céline à un recueil d’informations auprès de son président : « qu’est-ce que je n’ai
pas bien fait en particulier ? Qu’aurais-tu fait à ma place ? ». Si Céline s’était laissé
blesser, elle aurait couru le risque de se replier sur elle-même, de perdre confiance en elle
ou de surenchérir dans la confrontation. En se protégeant avec le filtre magique, Céline
gagne une occasion de progresser et renforce sa relation avec son président.
Figure 4.1 – Le filtre magique : « Je ne te laisse
pas le pouvoir de me blesser »
Récit d’expérience
Alain, CEO, d’une PME de distribution de matériel agricole se voit demander par le
président de lui fournir dans un délai de 8 jours un rapport sur le dernier salon
professionnel incluant ses réflexions sur la situation concurrentielle. Au vu de son agenda,
Alain estime que le délai donné est trop court compte-tenu de ses priorités. Il a deux
options : la première est de répondre favorablement à la demande de son président, avec le
souci de ne pas le décevoir, d’autant plus qu’il est le président ! Dans ce cas, c’est à lui-
même qu’il dira non et se mettra en porte-à-faux par rapport à sa mission de dirigeant et
aux priorités qu’il se donne. La seconde est de s’affirmer et d’opposer un non clair et
courtois à la demande.
Après avoir pris le temps de la réflexion, Alain choisit la deuxième option et développe la
méthode sandwich :
« Tu souhaites que je te remette pour lundi prochain un rapport sur le dernier salon
professionnel incluant mes réflexions sur la situation concurrentielle. Je comprends
l’intérêt que cela aurait pour toi. C’est vrai que nous voulons renforcer notre veille de
concurrence.
Pour autant, je ne te remettrai pas ce rapport lundi car, d’ici lundi, en vue du codir, je veux
travailler de façon approfondie sur les propositions de la DRH et la nouvelle grille des
rémunérations. (Il indique la raison la plus profonde qui l’amène à dire non avec
authenticité, sincérité. C’est ce qui va donner du poids à sa réponse et à sa personne.
Éviter les listes de justifications qui apparaissent comme des prétextes et ont comme effet
de mécontenter le demandeur).
Je te propose de te le fournir jeudi. Est-ce que cela te convient ? J’ai vraiment à cœur de
partager mes réflexions et d’échanger avec toi. »
Executive summary
Il est probable que vous ayez identifié avec ces catégories les principaux
ressorts de l’engagement : le projet avait du sens pour vous, il était utile, il
représentait de la nouveauté, vous pouviez y exprimer vos compétences ou
en acquérir de nouvelles, vous éprouviez du plaisir à être et à faire avec
d’autres, il y avait un défi à relever, vous pouviez observer des résultats, etc.
Ces ressorts étaient tout à fait en lien avec vos besoins profonds: besoin
de sens, besoin de se sentir utile, besoin d’appartenance, besoin de
reconnaissance. Vos collaborateurs connaissent les mêmes besoins et
ressorts. Il n’y a rien d’autre à considérer. À vous de définir comment vous
allez leur permettre d’y répondre. Quelle manière d’être et d’agir singulière
allez-vous apporter par votre personne à votre entreprise, au-delà de
l’organisation et du projet dont vous l’avez dotée, que vous soyez
entrepreneur ou dirigeant salarié ?
Les dirigeants qui se posent ces questions et s’affirment en y répondant
se comportent en leaders inspirants, en capacité d’orienter et de guider. Ce
sont aussi ceux-là qui, en acceptant de se confronter aux questions
précédentes, font des choix audacieux de management, de gouvernance et
plus globalement, de modèle respectueux de l’humain et de la nature pour
leur entreprise. Ils sont celles et ceux qui, les premiers, adaptent l’entreprise
aux aspirations des individus.
Les modèles d’organisation, reflets
des évolutions du monde
L’humanité évolue par étapes. À chaque nouvelle étape de développement
de la conscience humaine la manière de vivre et de travailler les uns avec
les autres évolue, et un nouveau modèle d’organisation apparaît.
Notre époque, marquée par l’explosion des technologies et la transition
numérique, nous fait vivre des changements culturels considérables qui
remettent en cause les codes de l’organisation et du management dans les
entreprises. Les organisations en silos sont questionnées pour laisser place à
la transversalité. Le management top-down est supplanté par des modes de
travail plus collaboratifs. Alors que certaines entreprises matures et
traditionnelles tentent de se « libérer », des start-up naissent d’emblée
« libres ».
Face à ces changements, le dirigeant découvre toute une palette de choix
possibles en matière d’organisation et de culture managériale. On attend de
lui qu’il se détermine et s’engage concrètement dans une voie. Est-ce que
les nouveaux modes de management disqualifient les pratiques
traditionnelles ? Ou bien sont-ils amenés à cohabiter au gré des contextes et
des sujets à adresser ? Les changements à conduire sont-ils motivés par la
recherche d’une plus grande performance ? par des convictions concernant
la nature humaine et les leviers de la motivation ? par la volonté de rendre
l’entreprise attrayante pour les générations qui entrent sur le marché ? par
des critères éthiques ?
Frédéric Laloux a réalisé une synthèse personnelle très intéressante de la
Théorie intégrale4 qui analyse les grandes étapes de développement de l’être
humain et du monde (cf. travaux de Wade, Wilber, Clare Graves
notamment). Il désigne chaque stade de développement par un nom et une
couleur et en donne les principales caractéristiques5. Nous détaillons ci-
après les 3 derniers stades (ou paradigmes) présentés qui sont aussi les plus
récemment apparus dans l’histoire de l’humanité et des entreprises.
Figure 5.1 – Les 7 niveaux de développement
de la conscience humaine
Délégation et / ou subsidiarité
On dit que la première richesse de l’entreprise, ce sont les hommes et les
femmes qui la composent. Encore faut-il que les conditions soient réunies
pour que leur potentiel puisse se libérer et leurs talents s’exprimer ! Si le
pouvoir de décider est concentré, la règle est l’obéissance, le contrôle et le
reporting sont pléthoriques, l’initiative est inhibée, voire réprimée, la
capacité d’innovation est anéantie.
Récit d’expérience
Jean-François Zobrist, qui a initié dès les années 1980 un mouvement de « libération » de
l’entreprise FAVI, raconte comment un soir, une femme en charge du ménage a pris
l’initiative de décrocher le téléphone sur un appel entrant parce que le standard était
fermé. Au bout du fil, c’était un client débarqué à l’aéroport de Roissy qui demandait
comment se rendre à l’entreprise. Ni une, ni deux, cette femme a pris les clés d’un véhicule
de la société et a décidé d’aller le chercher, jugeant qu’elle serait plus utile ainsi à
l’entreprise qu’en poursuivant son ménage. Voilà ce que veut dire un changement de
paradigme. C’est d’abord un retournement de la pyramide.
Figure 5.3 – Les principes de la subsidiarité
Récit d’expérience
Pierre Lecocq a fait l’essentiel de sa carrière dans l’industrie de l’équipement automobile
comme directeur d’usines, de divisions, de branche, chez Saft et Valeo, puis comme
directeur-général de Inergy Automotive Systems. Cette société, filiale du groupe Plastic
Omnium depuis 2011, est devenue le leader mondial des fonctions Systèmes à Carburant et
de Dépollution embarquée, fournissant tous les constructeurs automobiles dans le monde.
Pierre a choisi de déployer les principes de la subsidiarité chez Inergy Automotive Systems
en raison de ses convictions philosophiques et spirituelles, et parce qu’il croyait en leur
efficacité. En adoptant la double attitude de non-intervention et de soutien, Pierre et les
managers qu’il a entraînés dans ce mouvement ont mis en oeuvre ce qu’on appelle le
« servant leadership11 »
Pierre se souvient que le patron de Valeo, se tournait souvent vers lui lors des réunions du
comité exécutif du groupe pour lui demander son avis : « Alors, qu’en pense l’idéaliste ? »
Un jour, alors qu’ils voyageaient tous les deux, Pierre saisit l’occasion pour demander à
son patron si ça ne le gênait pas d’avoir un idéaliste parmi ses collaborateurs. Ce à quoi
ce dernier lui a répondu : « Oh, vous savez Pierre, tant que vous avez des résultats… »
Cette histoire illustre bien que le dirigeant peut mettre en œuvre ses
convictions, sans que cela ne l’exonère de la performance. Elle montre
également que finalement, même dans un groupe, la marge de liberté d’un
dirigeant salarié est grande quand la performance est au rendez-vous.
• Les conditions de la subsidiarité
Une entreprise qui déploie le principe de subsidiarité s’expose au risque de
devenir une collection d’individus indépendants ou une simple
juxtaposition de communautés. C’est pourquoi, la subsidiarité dans
l’entreprise ne peut fonctionner qu’en allant de pair avec un autre principe,
celui de la solidarité. L’autonomie responsable suppose que tous portent le
souci de l’intérêt général et aient conscience que chacun a besoin des autres.
Dans les entreprises qui fonctionnent pleinement sur le principe de la
subsidiarité, on ne se préoccupe pas d’objectifs stratégiques. La seule
composante, puissante, du projet de l’entreprise, c’est sa raison d’être12 (cf.
chapitre 7). Les collaborateurs peuvent exercer leur autonomie de manière
responsable car ils peuvent discerner ce qui sert la raison d’être et ce qui ne
la sert pas. C’est cette raison d’être et le sentiment qu’on ne fera rien seul
qui nourrissent la solidarité.
• Le choix
→ L’engagement. L’engagement repose sur l’envie manifeste et
partagée de s’impliquer en toute connaissance de cause. Nous sommes
très attentifs à ce niveau d’engagement du salarié, lors du recrutement,
de son parcours d’intégration et lors des entretiens réguliers.
Toute baisse d’engagement est identifiée, traitée dans le dialogue avec le
salarié ou l’équipe concernée ; elle nous interpelle en premier lieu sur nos
pratiques managériales et nous la prenons comme une occasion de
progresser.
→ La liberté. Nos réflexes culturels sont de laisser autant que possible
aux salariés la latitude de s’organiser comme ils le souhaitent pour
atteindre leurs résultats. Toute mission confiée et les objectifs font
l’objet d’une négociation/entente préalable. La liberté est maximale sur
le « comment ».
Nous revisitons régulièrement les règles internes pour vérifier leur utilité
et leur pertinence, avec l’obsession de les réduire au niveau nécessaire et
suffisant, de responsabiliser au maximum, de favoriser l’initiative.
→ La coresponsabilité. En contrepartie de la liberté et de
l’encouragement à l’initiative, nous développons l’esprit de la
responsabilité chez tous. Celui-ci se traduit par la capacité de chacun à
assumer ses choix et ses actes, à l’égard de lui-même, de ses collègues,
de l’entreprise, que les résultats soient positifs ou négatifs. Les erreurs
et mauvais résultats ne sont pas tus, mais partagés, analysés et
considérés comme des opportunités pour progresser.
→ La flexibilité. Nos modes d’organisation autorisent l’exploration de
nouvelles pratiques, de nouveaux procédés par les salariés.
L’expérimentation et l’innovation en sont facilitées. Les décisions
simples sont prises et mises en œuvre rapidement.
Nous savons réallouer les ressources avec souplesse en fonction des
évènements.
• La coopération
→ Le soutien. Chacun se sent soutenu et peut aisément accéder à de la
ressource en fonction de ses besoins (psychologiques, appui technique,
besoins de formation, d’informations, de coopération, etc.). Nous
promouvons le sens de l’intérêt général et l’esprit d’équipe.
→ La cocréativité. Chaque personne dans l’entreprise, quel que soit
son statut ou son métier, se sent autorisée et même encouragée à
émettre de nouvelles idées. Notre organisation promeut les échanges
ouverts et la confrontation des idées pour stimuler la capacité
d’innovation. Nous favorisons le partage d’informations et éradiquons
les comportements « chasse gardée ».
→ La complémentarité. Nous recherchons proactivement la diversité
(sexe, âge, culture, formation, origine, etc.) dans tous les secteurs et à
tous les échelons de l’entreprise. Nous la voyons comme un
enrichissement pour l’entreprise et pour chacun.
→ La transversalité. Nous sommes plus soucieux de créer des ponts
que de défendre des frontières au sein de notre organisation. La
transversalité est à la fois horizontale (entre fonctions) et verticale
(entre niveaux hiérarchiques). Nous ne sommes pas bloqués par les
luttes de pouvoir. Solidarité et esprit d’équipe prédominent.
• La complémentarité
→ L’ambiance. Nous soignons l’ambiance de travail et chacun s’en
sent responsable. La qualité des relations entre les personnes est un
sujet en tant que tel. Nous y sommes attentifs, nous ne laissons pas
pourrir les situations difficiles, nous nous donnons les moyens de
progresser dans ce domaine.
→ Le plaisir. Nous considérons le plaisir de travailler comme une
condition forte de l’épanouissement des salariés, de leur fidélisation et
de la réussite individuelle et collective. Nous y œuvrons en veillant à
ce que chacun se sente à sa place, utile et reconnu, et puisse donner
sens à son travail. Nous savons aussi nourrir le plaisir au travail par
l’organisation de moments plaisirs.
→ La célébration. Nous célébrons les évènements de la vie de
l’entreprise ainsi que nos progrès et nos victoires. Nous savons mettre
à l’honneur les personnes (anniversaires, réussites, etc.).
→ L’équilibre. Nous concilions la recherche de la performance et le
respect de l’équilibre de vie pour les salariés. Nos conditions de travail
et notre organisation, fondées sur les principes de liberté et de
responsabilité, rendent les salariés acteurs de leur propre équilibre de
vie.
ATELIER – Renforcer la collaboration dans l’entreprise
Cet atelier peut être réalisé en équipe de direction.
1. Passez en revue chacun des quatre piliers à travers les seize items développés ci-avant : sens •
authenticité • proximité • valorisation • engagement • liberté • coresponsabilité • flexibilité •
soutien • cocréativité • complémentarité • transversalité • ambiance • plaisir • célébration •
équilibre.
2. Évaluez la culture de l’entreprise sur chacun de ces items de 1 à 4 (1 faible / 4 fort). On peut
lire les items à tour de rôle. Pour chaque item, chacun donne sa note et la commente. Il peut être
pertinent de donner le score total (ensemble des participants) pour chaque item. Un simple tableur
suffit.
3. Enfin, identifiez les points forts et points faibles de la culture de l’entreprise au regard du
potentiel de collaboration. Il vous reste à établir ensemble un plan de progrès et à le suivre.
Executive summary
Récit d’expérience
Jérémy dirige une entreprise de fitness et gère une petite dizaine de salles de sport. Depuis
un certain temps déjà, il se dit que ne pas ouvrir les salles le dimanche est un non-sens par
rapport aux attentes des usagers et un non-sens économique pour son entreprise. Il sait que
le sujet est sensible pour son équipe, compte tenu des contraintes sociales et des
répercussions sur la vie personnelle et familiale de ses collaborateurs. C’est pourquoi il a
tardé à mettre ce sujet sur la table. Un jour pourtant, il se décide à le prendre à bras-le-
corps. Il profite de l’une des réunions auxquelles participent son staff et les responsables
de salle pour aborder le problème. Le sujet étant sensible, il a pris soin de préparer cette
réunion. Le jour J., il présente les réflexions qui l’ont conduit à instruire le projet
d’ouverture dominicale. Il commence à en présenter l’intérêt pour les clients, l’impact
pour l’entreprise et l’organisation, avec les avantages et les contraintes générées… Très
vite, il repère tout en parlant que deux responsables de salle commencent à réagir en
aparté, visiblement d’une manière peu constructive.
Jérémy est déstabilisé. Il sent la colère monter en lui. Mais en un éclair, il se reconnecte à
ce qu’il a appris lors d’un atelier auquel il vient de participer sur la gestion des émotions.
Mentalement, et tout en continuant à parler, il reconnaît ce sentiment de colère, il
l’accueille, il respire profondément et se retient de voler dans les plumes de ces deux
collaborateurs. Il propose une petite pause, prenant comme prétexte le fait que la réunion
dure déjà depuis 1 h 15. Jérémy sort de la salle avec sa colère et continue de respirer
profondément. Après quelques minutes, les participants reviennent dans la salle et Jérémy
reprend calmement en parlant de lui-même à la première personne : « J’attends beaucoup
de cette réunion parce que le sujet dont nous parlons est stratégique pour l’entreprise. J’ai
travaillé en amont de cette réunion pour nous permettre d’échanger le plus complètement
possible sur l’opportunité de l’ouverture dominicale de nos salles de sport. Je n’ai pas eu
l’occasion d’exposer le projet jusqu’au bout et le regrette vraiment. Les enjeux autour de
ce projet méritent que nous ayons un vrai échange, ouvert, franc, constructif. Je vous
demande de me laisser le présenter jusqu’au bout et ensuite, j’inviterai chacun à réagir. »
En nous rapportant cette histoire, Jérémy reconnaît que s’il n’avait pas appris à gérer ses
émotions, compte tenu de son caractère bien trempé, il se serait violemment emporté contre
ses deux collaborateurs. Il est convaincu que s’il s’y était pris ainsi, il aurait bien mal
engagé le projet et probablement même compromis les négociations.
Plus que cela, il nous a avoué : « Ce jour-là, je me suis vraiment senti dirigeant ! Et la
question de l’ouverture dominicale s’est finalement très bien passée. Un mois plus tard,
elle était effective. »
Quelques jours plus tard, il reçoit des messages très positifs de plusieurs de ses
collaborateurs, saluant sa posture et exprimant leur fierté de travailler avec lui.
Jérémy est un entrepreneur doté d’une grande énergie. Il a appris que si nos émotions nous
mettent en mouvement et génèrent des forces, avoir la capacité d’orienter ces forces d’une
manière constructive est un atout considérable.
Morts au sommet
Récits d’expérience
André, dirigeant d’une entreprise de travaux publiques dans l’Ouest, établit un lien entre
les picotements dans le nez, l’accélération de son débit de parole, de son volume sonore et
la colère. Pour Pascale, 38 ans, DGA ce sont les contractures des mâchoires, le regard qui
devient noir et les transformations du timbre de voix qui annoncent sa colère. Pour
Caroline, les épaules qui tombent, l’envie de s’asseoir évoquent la faiblesse. Établir un lien
entre nos sensations et nos émotions, comme pour André, Pascale et Caroline, est une
première étape dans la gestion des émotions.
• Phase #2 : le plateau
L’intensité est stable pendant une durée variable. Le degré d’estime de soi
permet de réguler la durée du plateau. Un dirigeant avec une bonne estime
de lui pourra étirer un plateau agréable et raccourcir un plateau désagréable.
Puis, l’expression de l’émotion va initier la phase de résolution.
• Phase #3 : la résolution
C’est une phase de décroissance linéaire dont la durée est liée à la fois à
l’intensité de l’émotion et à la durée du plateau. C’est le temps nécessaire à
l’organisme pour retrouver ses constantes biologiques de base.
Nous pouvons agir sur les deux premières phases. Nous n’avons aucune
prise sur la phase de résolution. Pour vivre au mieux avec ses émotions, il
convient d’en prendre conscience rapidement et d’agir vite pour maîtriser la
montée en puissance. Agir de manière constructive avec une émotion
modérée est bien sûr plus accessible qu’avec une émotion forte qui risque
de nous emporter.
Ce qui aide Jérémy dans le recit d’expérience p. 132-133, c’est qu’il est
sensible aux premiers signes de sa colère (contractures des mâchoires et des
avant-bras), les accepte, prend le contrôle de sa respiration et change sa
posture. Tout ceci s’est passé dans un temps très court, durant la phase 1
(montée en puissance) sur le schéma.
En maîtrisant l’intensité de son émotion, Jérémy atteint un plateau
modéré (phase 2). Il préserve ses capacités de réflexion et d’analyse. Il fait
collaborer son cerveau émotionnel et son cerveau cognitif. Il analyse la
situation et recueille l’information de sa colère : « Je ne me suis pas senti
respecté car je n’ai pas pu m’exprimer jusqu’au bout et particulièrement
pour indiquer tous les avantages que j’étais prêt à donner en contrepartie
du travail du dimanche. » Jérémy choisit ensuite de tenir compte de son
émotion pour passer à l’action et poursuivre l’échange. Il s’exprime en
utilisant « je ». Son message est clair, affirmé et sans jugement. C’est ainsi
que Jérémy s’est senti, pour la première fois de sa vie, « réellement
dirigeant ».
4. GO / NO GO. Quelle action voulez entreprendre en lien avec votre émotion ? Voulez-vous
passer à l’action ? Si oui, parmi toutes les options possibles pour passer à l’action, choisissez celle
qui vous paraît ajustée à votre contexte.
Par exemple : dans votre contexte professionnel, vous allez manifester votre joie par un sourire ou
en l’exprimant avec des mots (je suis satisfait, je suis content…) ; en famille et avec vos amis,
vous pourrez le faire d’une autre manière.
Tableau 6.3 – Agir avec ses émotions
Les émotions interdites : un trésor à réhabiliter
Lors de la phase d’identification de ses émotions (étape 2 de notre
protocole), il convient de bien creuser afin de diagnostiquer l’émotion
réelle. En effet, celle-ci peut se cacher derrière une émotion trafiquée qui se
manifeste en lieu et place d’une émotion interdite. Il est possible que vous
vous soyez interdit certaines émotions du fait de votre histoire familiale, de
votre éducation, de circonstances particulières. Par exemple, vous aviez un
père qui avait des accès de colère, vous en avez souffert et vous vous êtes
interdit, le plus souvent inconsciemment, d’en faire autant. Par la même
occasion, vous vous êtes même interdit de ressentir de la colère. Ainsi,
lorsque vous vivez un manque de respect – à l’origine de la colère –, vous
devez masquer cette émotion et n’avez d’autre option que de la trafiquer,
par exemple en tristesse. Gérer la tristesse dans ce cas n’apportera pas les
bienfaits attendus car l’émotion réelle, la colère, vous est interdite.
Tableau 6.4 – Identifier ses émotions interdites6
Executive summary
Vous avez créé une entreprise autour d’un projet. Il vous a probablement
fallu le formaliser pour convaincre votre environnement, vos partenaires,
vos premiers collaborateurs. Tous (et cela vous a aidé) ont voulu vérifier
qu’il existait un marché au-delà d’un besoin détecté. Ils ont voulu s’assurer
que votre modèle économique était viable. La traduction chiffrée de
l’activité économique et financière de votre entreprise, matérialisée par la
rédaction d’un business plan, a nourri la confiance de tous dans la pérennité
du projet (même si probablement tous étaient conscients que la réalité serait
différente de ces projections).
Ce projet a guidé les premiers pas de l’entreprise et vous a donné un élan
formidable pour traverser les premières années et surmonter tous les
obstacles qui n’ont pas manqué de survenir. Après quelques années de
confrontation à la réalité du marché qui lui-même a évolué, il est très
probable que ce projet ne constitue plus réellement un moteur. Vous sentez
bien que l’ambition doit être revue, que les projections doivent être
actualisées. Vous n’appréhendez plus votre positionnement, les atouts et les
faiblesses de l’entreprise comme vous l’aviez fait quelques années plus tôt.
Vous sentez que vous avez besoin de donner un nouvel élan à l’entreprise.
Si vous avez conscience de cela, c’est que vous êtes réellement un
entrepreneur.
Nous sommes effarés de voir tant d’entreprises vivre sans projet ! Elles
sont embarquées dans un simple cycle d’exploitation : vendre – produire –
facturer – vendre – produire… Leur seule manière d’assurer leur pérennité
est d’être sérieuses, de fidéliser leurs clients (ce qui est déjà formidable) et
de prier pour que la conjoncture se maintienne ou s’améliore. Dans le
meilleur des cas, toute projection dans l’avenir se résume à un budget
prévisionnel qui est la reconduction du précédent avec une seule variable :
l’évolution du CA (et son impact sur les autres postes). En même temps,
elles ne font pas de lien entre ces chiffres et des dispositions à prendre pour
les atteindre. Ces entreprises stagnent faute de volonté vraie, faute de sens,
faute de perspectives, faute d’enjeux, faute de motivation pour les équipes.
Il y a aussi les dirigeants qui savent très bien où ils veulent conduire
l’entreprise. Ils le savent tellement qu’ils pensent que tous leurs
collaborateurs le savent aussi ! Ils se lamentent sur le fait que ceux-ci ne
prennent pas assez d’initiative, ils déplorent un manque d’engagement.
Pour transformer les obstacles en opportunités, il faut un projet fort,
partagé pour que chacun sache où l’on va. Il est temps de soulever une
question fondamentale que posent parfois les dirigeants : est-ce une
obligation de se développer ? Certes non. Il est en revanche nécessaire
d’évoluer et de s’adapter, car le monde, lui, évolue et l’environnement de
l’entreprise change. Une entreprise qui ne s’organise pas pour s’adapter en
continu risque de perdre sa raison d’être, sa pertinence. Et c’est bien au
dirigeant que revient cette responsabilité de la pérennité de l’entreprise. Dès
lors que l’entreprise s’organise pour s’adapter, si elle rencontre un marché
porteur, elle a des chances de se développer.
Au sujet de la croissance, on trouve chez les dirigeants, deux écoles :
ceux qui sont centrés sur des objectifs de croissance et mettent l’entreprise
en ordre de marche pour les atteindre ; ceux qui s’intéressent surtout à la
performance de l’entreprise et voient la croissance comme la résultante de
celle-ci. C’est important pour vous d’être conscient de votre approche sur
ces sujets. Quelle qu’elle soit, vous éprouvez le besoin de doter votre
entreprise d’un projet. De même que les personnes « vivantes » donnent du
sens à leur vie, ont des envies et engagent des projets, les entreprises
« vivantes » ont un projet. Elles permettent aux collaborateurs de donner du
sens à leur travail, de porter collectivement une ambition et de se projeter
individuellement et collectivement dans l’avenir. Un projet d’entreprise doit
être enthousiasmant, déployable et partagé. Il doit donner envie de se lever
le matin. Il doit susciter la fierté. Qui doit construire le projet de
l’entreprise ? De quoi est-il fait ? Comment s’y prendre concrètement ?
L’ambition et le rêve
L’ambition est une situation valorisante de l’entreprise projetée dans
l’avenir. Lorsque vous avez créé votre entreprise, votre ambition pour elle
était pleinement nourrie de votre rêve d’entrepreneur. Le rêve de
l’entrepreneur-créateur et son ambition pour l’entreprise se confondent.
Cette ambition n’est pas forcément seulement une histoire de taille, de
chiffre d’affaires, de parts de marché, d’effectifs, de périmètre
géographique. Le rêve peut concerner le modèle d’entreprise auquel on
aspire, le type de relations qu’on souhaite y vivre, la qualité des produits et
services apportés au monde, une reconnaissance de l’entreprise et de ses
équipes... Après quelques années, il est juste que l’ambition soit nourrie des
rêves de ceux qui la projettent et s’y projettent, au-delà de la seule personne
de son fondateur et ultérieurement de ses successeurs. Cette dimension du
rêve qui alimente l’ambition fait qu’on utilise parfois le terme « vision » à
propos de l’ambition.
Définir l’ambition à 3 ans ou 5 ans n’est pas une bonne idée. Les
contraintes d’aujourd’hui que l’on connaît trop bien brideraient notre
capacité à rêver. C’est pourquoi un travail sur l’ambition se fait plutôt à 10
ans. Bien évidemment, les contours seront un peu flous. Lorsqu’on se
réveille le matin, nos rêves nous paraissent bien souvent loufoques. Nous
avons fait des rencontres improbables, vécu des situations absurdes... C’est
cela aussi la force des rêves, y compris au service de l’ambition de
l’entreprise.
Seule une grande ambition peut nous mettre en mouvement. « Plus notre
ambition est grande, plus on a des chances de l’atteindre », indique Michel
Leclercq, fondateur de Décathlon. Plus l’écart est grand entre la situation
dont on rêve et la situation d’aujourd’hui, plus on crée une différence de
potentiel, plus « on met l’élastique en tension » et plus on génère de
l’énergie. Et plus il va falloir être malin, inventif, créatif pour atteindre cette
situation avec des moyens modestes.
Mais alors, si l’on rêve vraiment en définissant une ambition et que 10
ans plus tard on ne l’atteint pas, ne va-t-on pas créer une frustration et de la
perte de confiance collective ? La réponse est non, si l’on donne à
l’ambition sa juste place dans le projet de l’entreprise.
Le principal intérêt de définir une ambition est de pouvoir tracer un
chemin. Ce n’est pas le but qui est important, c’est le chemin. Avec un but,
on oriente les forces au quotidien. On facilite les choix face aux
opportunités qui se présentent. Cela ne veut pas dire qu’on va suivre
bêtement le chemin. D’ailleurs, le chemin parcouru est souvent différent du
chemin tracé lors des réflexions stratégiques. Mais cela ne veut pas dire
qu’on a oublié le but.
Ainsi, en définissant une ambition, on répond à la question « vers où ? ».
Définir une ambition est nécessaire, mais pas suffisant. L’ambition ne
répond pas à la question du sens : pourquoi ? Nous connaissons ces
histoires de grands sportifs ou de grands chefs de cuisine qui visaient le titre
mondial ou les étoiles dans les guides gastronomiques. Portés par cette
ambition magnifique, ils ont consacré une partie de leur vie à tout faire pour
la satisfaire. Ils ont sacrifié des choses importantes au nom de cette
ambition. Et le jour où leur rêve est atteint, certains ont perdu toute raison
de vivre, entrant parfois en dépression. Ils avaient assimilé le sens de leur
vie à ce but. Une fois ce but atteint, à quoi bon vivre ?
Il en est de même pour l’entreprise. Sauf qu’une fois les objectifs atteints,
on se redonne des objectifs encore plus forts. Il est certain que beaucoup
d’entreprises réussissent ainsi, illustrant bien la puissance de l’ambition.
Cependant, à ne fonctionner qu’avec des buts successifs, de loin en loin, on
a des chances d’épuiser ceux à qui on demande le plus d’efforts, surtout si
la forte exigence se double d’un défaut de reconnaissance. Les nouvelles
générations qui arrivent dans les entreprises adhèrent de moins en moins à
cette seule approche par les objectifs toujours repoussés plus haut et veulent
comprendre le sens de leurs efforts. Voilà pourquoi, la vraie question du
sens est nourrie par la raison d’être de l’entreprise.
La raison d’être
« Quelle est votre raison d’être ? Donner à vos collaborateurs l’envie
d’être là », titrait la revue Harvard Business Review France dans son
édition d’août-septembre 2020. Qu’est-ce qui fait que notre entreprise
mérite d’exister ? Quels bénéfices apporte-t-elle au monde ? à qui
particulièrement ? Si notre entreprise disparaissait, y aurait-il du monde
pour la regretter ? Quelles sont les singularités de notre entreprise qui la
rendent irremplaçable ? Voilà des questions auxquelles fait écho la raison
d’être de l’entreprise (on parle parfois de mission). C’est elle qui donne le
sens (le pourquoi). Pas pour le plaisir de philosopher ! La raison d’être de
l’entreprise doit s’incarner dans les produits et services qu’elle délivre, dans
ses processus, dans la nature des relations qu’elle tisse en son sein et avec
son environnement.
La raison d’être a une traduction marketing très directe. D’ailleurs, la
baseline de l’entreprise est souvent une formulation contractée de sa raison
d’être. Vous pouvez par exemple regarder la vidéo mise en ligne par
Décathlon en décembre 2018, dans laquelle sa baseline – Sport for the
many –, directement tirée de sa raison d’être, est présentée2.
Nous vous invitons à formuler la raison d’être, de votre entreprise et à en
faire la colonne vertébrale de votre développement. Mais attention, la raison
d’être ne décrit pas le métier. Le métier se décrit par les activités qu’il met
en œuvre. La raison d’être se formule en bénéfice pour les autres et pour le
monde. Pour autant, il est important, dans la formulation de la raison d’être
de faire référence au métier pour la rendre compréhensible et singulière.
Il n’est pas si facile de formuler la raison d’être de l’entreprise. On doit
souvent s’y prendre à plusieurs fois avant de trouver une formule riche,
compacte, singulière qui nous fasse dire « waouh, ça c’est bien nous ! ». La
perfection, c’est quand il n’y a plus rien à retirer.
Puisqu’il n’est pas aisé de répondre à la question « pourquoi ? », on peut
commencer l’exercice en scindant l’interrogation en « pour-quoi ? ». Et
même en « pour qui ? Quoi ? ». « Notre raison d’être est de bien servir nos
clients » est le type même de formulation plate à éviter. Elle est compacte,
mais ne répond absolument pas à la fonction de singularisation.
En 2020, nous avons décidé de reformuler la raison d’être du Campus des
Dirigeants, en commençant par solliciter nos clients à travers une enquête.
Nous leur avons proposé de nous écrire la raison d’être du Campus. Leurs
contributions nous ont conduits à une formulation plus audacieuse que celle
que nous aurions osé écrire : « Révéler les dirigeants à eux-mêmes, les
éclairer et les renforcer pour développer des entreprises performantes,
humaines et bénéfiques pour le monde. »
Un jour, Anne, dirigeante CEO d’un important cabinet RH, nous dit :
« J’ai horreur de la manière dont on nomme notre métier : chasseur de
têtes. C’est épouvantable et tellement réducteur par rapport à la manière
dont nous vivons notre métier ! » Nous l’avons invitée à reformuler, avec
son équipe, la raison d’être de son cabinet. Elle est revenue quelques
semaines plus tard, heureuse d’avoir pu faire aboutir ce travail avec son
équipe, qui s’est accordée sur cette formulation de la raison d’être de leur
entreprise : « Provoquer les rencontres les plus prometteuses entre les
entreprises et les talents ». Rien d’autre n’avait changé pour eux. La seule
formulation de la raison d’être avait ravivé leur fierté au travail. On imagine
aussi combien leur discours marketing et commercial pouvait s’en enrichir.
L’entreprise qui formule explicitement sa raison d’être (sa mission)
nourrit le sens de l’engagement, fait de ses collaborateurs des missionnaires
et non pas des mercenaires.
Les valeurs
Il est devenu maintenant usuel d’identifier et de promouvoir les valeurs
d’une entreprise. Néanmoins, cela reste encore souvent un exercice de style
intellectuel. Et quand elles sont identifiées et promues avec conscience, les
vivre concrètement est toujours exigeant. Car les valeurs concernent les
comportements et orientent les décisions, parfois des décisions majeures et
engageantes pour l’entreprise. Les valeurs peuvent entrer en conflit avec
d’autres intérêts. Tout écart par rapport aux valeurs promues se voit comme
un bouton sur le nez, discréditant celui qui fait l’écart, surtout s’il est le
principal promoteur de ces valeurs.
Les valeurs d’un groupe, que ce soit une famille, une entreprise, un pays
se traduisent en comportements fondamentaux développés et promus en son
sein et qui en facilitent le fonctionnement. Les valeurs du groupe et les
comportements induits par ces valeurs sont des éléments clés de sa culture.
Il ne s’agit pas de doter l’entreprise de valeurs. Ces valeurs existent
même si elles n’ont pas été identifiées et formalisées. Elles sont. Les
valeurs d’une entreprise sont bien souvent celles de son fondateur, que
celui-ci ait été conscient ou non de son impact. Il suffit de les identifier. En
les énonçant, on les met en lumière, on les partage plus visiblement et on
les renforce.
En entreprise, il est important de distinguer valeurs et comportements
induits par ces valeurs. C’est sans doute excessif (et illusoire) d’obliger tous
les salariés à adhérer à des valeurs. Chacun d’eux arrive avec son histoire et
ses propres valeurs. En revanche, chacun peut comprendre que se mettre
d’accord sur des comportements recherchés facilite la vie au quotidien. Ces
comportements recherchés sont un peu comme les glissières de sécurité, de
part et d’autre de l’autoroute. Elles permettent d’aller plus vite, en
confiance. Voilà pourquoi nous pensons qu’il est moins intrusif et plus
pédagogique de formuler les valeurs de l’entreprise à travers les
comportements qu’elles induisent.
Voici par exemple comment une entreprise spécialisée dans la
communication événementielle développe l’une de ses valeurs, l’honnêteté :
« Nous voulons vivre l’honnêteté chacun vis-à-vis de lui-même, entre
nous et dans nos rapports avec toutes nos parties prenantes.
Se comporter avec honnêteté vis-à-vis de soi-même, c’est s’entraîner à
s’autoévaluer de façon juste dans son travail et dans ses comportements.
Se comporter avec honnêteté entre nous, c’est reconnaître les faits
comme ils sont, sans chercher à les masquer, ni à les déformer. C’est
rechercher des relations vraies. C’est pouvoir traiter de tous les sujets
utiles à l’entreprise et à la communauté que nous formons – y compris des
sujets difficiles – dans le respect des personnes.
Se comporter avec honnêteté vis-à-vis de toutes nos parties prenantes,
c’est intégrer leur intérêt dans toutes les décisions que nous prenons, quelle
que soit leur importance et à quelque niveau que ce soit dans l’entreprise. »
« Jamais les attentes du public à l’égard de votre entreprise n’ont été aussi grandes. La
société exige des entreprises, publiques comme privées, qu’elles remplissent une mission
sociale. Pour prospérer dans le temps, chacune d’elles doit non seulement être performante
d’un point de vue financier, mais aussi montrer en quoi elle contribue de façon positive à la
société dans son ensemble. Elle se doit d’être bénéfique pour toutes les parties prenantes –
qu’il s’agisse d’actionnaires, d’employés, de clients ou de communautés locales – avec qui
elle est en relation. »
Executive summary
La recherche de l’efficacité par une issue rapide d’un dialogue est contre-
productive. Elle aboutit à un désengagement progressif des interlocuteurs
dans la relation, qui se manifestera par une démotivation. Que de gâchis
humain et économique pourrait être évité dans les entreprises en développant
l’art de la relation constructive !
Arthropode ou vertébré ?
L’arthropode, par exemple l’araignée ou la langoustine, a une carapace parce que
l’intérieur est tout mou. Le vertébré est solide à l’intérieur grâce à son squelette alors que
sa chair et sa peau sont sensibles. Le leader est comme le vertébré : il a développé sa
solidité intérieure et peut s’exposer dans la relation aux autres et au monde. Il se rend
vulnérable mais ne peut être blessé.
Attention au monde
Le leader porte une attention au monde qui l’entoure, parce que c’est son
terrain de jeu, parce qu’il se sent pleinement partie prenante et acteur de son
évolution. Lorsqu’on se sent vivant, qu’on a des projets, qu’on a confiance en
soi et qu’on aime la vie, alors on voit le monde comme un allié. Quand on
aime une personne, on s’intéresse à elle. Il en est de même avec le monde
dans toutes ses dimensions : géographique, politique et géopolitique,
économique, sociale, culturelle, spirituelle. Les dirigeants peuvent
s’intéresser ainsi au monde naturellement et en grand. Et dans ce cas, ils sont
prédisposés à l’engagement dans des réseaux et projets collectifs. Ils peuvent
aussi s’intéresser au monde simplement par nécessité, plus strictement en lien
avec leur marché et leur secteur d’activité. Dans ces zones d’échanges entre
soi et le monde, les dirigeants s’exposent à deux risques. Le premier est, face
à trop de complexité, de « fermer les volets » et rester centré sur soi et son
action. Le second est celui de se rendre trop perméable et déstabilisé. Il en va
de l’exposition au monde et aux informations comme de l’exposition au
soleil. Je peux, par crainte des coups de soleil, rester enfermé dans ma maison
et de ce fait me priver du bon air. Je peux à l’inverse m’exposer au soleil sans
retenue et me laisser brûler avec des conséquences immédiates et différées.
Je peux aussi choisir de m’exposer à certaines heures, pour une certaine
durée et des filtres devant les yeux et sur la peau. Dans ces trois situations, il
s’agit du même soleil et de trois comportements différents. Cette métaphore
illustre la gestion de l’information. Nous avons tous potentiellement accès à
la même information. Quel comportement allons-nous développer pour nous
informer ? Avec quel bénéfice ?
Récit d’expérience
Charlotte, 38 ans, est entrepreneuse. L’entreprise qu’elle a créée dans les services à la
personne se développe de façon satisfaisante à son goût. En arrivant au Campus des
Dirigeants, Charlotte exprime un manque de confiance en elle. Elle réalise un test d’estime
de soi qui lui apporte quelques surprises. Ce test révèle qu’elle a une bonne capacité à
prendre des décisions, à prendre des risques. Elle sait demander de l’aide. Elle s’imagine
aisément réussir quand elle lance des projets... Autant d’éléments révélateurs d’une bonne
confiance en elle. D’un autre côté, elle est très sensible aux critiques, s’oblige à tout réussir,
et se porte peu d’attention. Charlotte souffre en fait d’un faible amour d’elle-même.
Voici huit signes permettant de reconnaître l’estime de soi pour son être
(l’amour de soi) :
→ S’accorder de la valeur ;
→ Prendre soin de sa santé ;
→ Être conscient d’être une personne unique et irremplaçable ;
→ S’accepter tel que l’on est sans se juger ;
→ Se considérer aimé des autres et s’aimer soi-même ;
→ Ne pas se s’identifier à ses caractéristiques (qualités, défauts, titres,
rôles, milieu social, émotions, etc.) ;
→ Avoir une posture droite et ouverte ;
→ Accepter chacune de ses émotions et les exprimer.
De la même manière, voici huit signes permettant de reconnaître l’estime
de soi pour son agir (la confiance en soi) :
→ Avoir confiance en sa capacité d’apprendre et de réussir ;
→ Prendre des risques ;
→ Persévérer dans les difficultés ;
→ Ne pas attendre de réussir de grandes choses pour reconnaître ses
succès. Savoir reconnaître ses petits succès ;
→ Transformer ses échecs en sources d’apprentissage ;
→ Ne pas se comparer aux autres ;
→ Être capable de travailler en collaboration ;
→ Accepter les compliments et félicitations des autres.
Se sentir capable
Avant d’entreprendre quelque chose, quelqu’un qui a confiance en lui se
rappelle ses succès passés. Fort de ces expériences positives, il a le goût et
l’élan pour tenter de nouveaux apprentissages. Il augmente ses chances de
réussir. À l’inverse, quelqu’un qui manque de confiance en lui, se rappelle ses
échecs, ce qui le coupe de ses ressources. Ceci l’amène bien souvent à ne pas
commencer un nouvel apprentissage. Et s’il s’y aventure, à se décourager dès
la première difficulté. Les dirigeants ont bien souvent une belle confiance en
eux. Ils sont nourris par les réussites du passé qui les ont conduits à la
fonction de dirigeant, qu’ils soient entrepreneurs ou dirigeants salariés. Leur
fonction leur donne, plus qu’à d’autres, les moyens d’agir et de faire bouger
les lignes. Mesurer concrètement leur capacité d’influence nourrit la
confiance en eux. La confiance en soi chez les dirigeants peut toutefois être
mise à mal après une crise professionnelle telle qu’une révocation subie ou
une liquidation de l’entreprise.
Les ateliers suivants ont vocation à développer la confiance en soi. Si vous
avez une bonne confiance en vous, ils vous sembleront faciles ou inutiles.
« Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas. »
Thomas Edison
Récit d’expérience
Paul est contrôleur de gestion dans la filiale d’un groupe qui produit des matériaux pour
l’industrie, le bâtiment et les travaux publiques. Depuis deux ans, il travaille sur
l’élaboration d’un tableau de bord dont l’usage sera commun à l’ensemble des fonctions de
l’entreprise. Il est allé au bout du projet avec les moyens à sa disposition, sans atteindre
l’objectif. Il faut, selon lui, que la holding réalise un investissement pour doter l’outil CRM
d’un module complémentaire. Cette décision n’est pas sous son contrôle. Il se sent bloqué et
se plaint depuis des mois. En travaillant finalement sur sa zone d’influence, en se posant
cette question, « qu’est ce qui ne dépend que de moi pour l’atteinte de l’objectif final ? », il a
réalisé que l’arrivée récente d’un nouveau DAF groupe était une opportunité. Il va préparer
un rendez-vous avec lui de manière à lui faire percevoir les enjeux d’un tel investissement. Il
passe ainsi de frustré à acteur.
Voilà ce que veut dire, focaliser sur ce qui dépend de nous. Les dirigeants
sont moins exposés en interne à ce genre de situations. Mais il est bon de
réaliser que certains blocages peuvent être incompréhensibles pour des
collaborateurs.
S’aimer
« On est plus riche de l’estime de soi-même que des louanges de toute la terre. »
Edme de La Taille de Gaubertin
Quelqu’un qui s’aime peut reconnaître qu’il a commis une erreur et accepte
même que cette erreur soit pointée par quelqu’un d’autre. Cette personne fait
la distinction entre ses comportements et sa valeur. Elle sait que, quoiqu’elle
fasse, elle garde sa valeur et reste digne d’amour. À l’inverse, quelqu’un qui
ne s’aime pas a beaucoup de difficultés à accepter que ses erreurs soient
révélées et même à les reconnaître. Ce serait pour elle un risque de ne plus
être aimée ou digne d’amour.
Se connaître et se compléter
Vous avez peut-être une magnifique voiture, bourrée de technologie, intégrant
une quantité énorme de fonctionnalités et de réglages. Si vous ne les
connaissez pas, ils ne vous servent à rien. Cette même voiture a peut-être
aussi quelques limites. Si vous n’en avez pas connaissance, vous pouvez la
mettre hors d’usage, comme en tapant le châssis dans un chemin de terre
défoncé.
À quoi sert de se connaître ? Tout simplement à tirer le meilleur parti de
soi en préservant ses ressources. C’est un enjeu pour tout humain. Et cet
enjeu est amplifié pour celles et ceux qui ont des responsabilités, celles et
ceux qui animent des équipes, celles et ceux dont les comportements
impactent fortement les autres.
La nature humaine est si riche, profonde et complexe qu’on peut
s’entendre sur le fait que le champ à explorer est infini pour qui est prêt à
vivre l’aventure. Nous ne connaissons qu’une partie de nous-même, celle que
nous laissons voir et celle dont nous avons conscience. Mais nous sommes
bien plus que cela. C’est en accédant aux parties cachées de nous et en nous
réconciliant avec elles que nous nous rapprocherons de qui nous sommes
vraiment.
Récit d’expérience
Pascale est dirigeante d’une entreprise familiale de 120 personnes dans le domaine des
travaux publics, transmise par son père. Elle est la cinquième et dernière de sa fratrie. Les
deux aînés ont chacun développé le sens de l’effort et la générosité. Les deux suivants ont
cultivé un goût pour la convivialité, les fêtes et les loisirs, ce qui a d’ailleurs contribué à
tendre la relation avec leur père. Pascale, inconsciemment, s’est mise à incarner ce qu’elle
pensait que ses parents attendaient d’elle : le courage et la générosité. Ce sont les mots qui
lui viennent le plus spontanément lorsqu’elle est invitée à énoncer trois qualités qu’elle se
reconnaît lors d’une session de développement personnel au Campus des Dirigeants :
courageuse, généreuse, stratège. C’est sans doute par ces qualités qu’elle a postulé avec
succès pour diriger l’entreprise. Ces trois qualités sont des traits visibles de sa personnalité,
valorisés dans sa famille. Son entourage les lui reconnaît clairement dit-elle.
Pascale est ensuite invitée à nommer les traits opposés à ces trois qualités qu’elle vient
d’énoncer. Après quelques efforts, elle cite : paresseuse (opposée à courageuse), égocentrée
(opposé à généreuse), aveugle (opposé à stratège). Ces trois traits sont des caractéristiques
de son ombre. En développant le courage, Pascale a fait taire la paresseuse qui est en elle.
En exprimant sa générosité, elle a enfoui une capacité à penser à elle et à s’occuper d’elle.
En développant son aptitude à la stratégie, elle a occulté la part d’elle qui ne voit pas, qui ne
sait pas se projeter.
Puis Pascale va rechercher l’intention positive qu’il y aurait à développer de la paresse, à
développer son attention pour elle-même, à nommer ses doutes et à accepter sa confusion
quant à l’avenir.
Comme Pascale, vous allez peut-être sauter au plafond à cette invitation : moi paresseuse ?
moi égocentrée ? moi aveugle et confuse ? Jamais ! Et pourtant, Pascale a accepté de se
livrer à l’exercice jusqu’au bout. Il ne s’agissait pas pour elle de renoncer à son courage, à
sa générosité, à sa capacité à voir loin. Tout ceci est en elle et elle le gardera. Mais Pascale a
pris conscience que, si en plus d’avoir du courage, elle acceptait la partie d’elle qui
recherche le repos et lui laissait de la place, elle pourrait se ressourcer plus régulièrement et
gérer son énergie. Elle a compris que si en plus d’avoir de la générosité, elle faisait plus
attention à elle-même et prenait soin d’elle, elle réintégrerait dans sa vie des aspirations
profondes qu’elle avait laissées de côté. Elle a compris que, si en plus de percevoir assez
facilement le bon chemin pour les projets qu’elle conduit, elle acceptait d’être dans le doute
parfois, elle susciterait des avis et conseils qui enrichiraient ses prises de décision.
En allant puiser des nouvelles capacités dans son ombre, Pascale continuera d’être une
femme et une dirigeante courageuse, généreuse et stratège. Elle sera aussi plus complète.
L’histoire de Pascale nous fait prendre conscience que la partie visible de nous-même prend
une place très importante dans la façon de nous considérer et d’être considéré. Nous allons
parfois jusqu’à nous identifier à cette partie visible de nous, ce qui est risqué et réducteur.
Notre personnalité est beaucoup plus complexe. Aller à sa rencontre permet de découvrir des
qualités complémentaires.
• Accéder à sa persona
Mieux se connaître peut commencer par mettre des mots sur des traits de sa
persona.
Récit d’expérience
Jean-Marc dirige une fédération professionnelle. Invité à penser à une personne qui
l’exaspère, il pense tout de suite à un représentant régional de la fédération, qu’il compare
aux personnages incarnés par Louis de Funès dans nombre de ses films : méprisant envers
ceux qu’il estime en position inférieure, adulateur et flatteur envers les puissants.
Jean-Marc porte très fort parmi ses valeurs le respect de toute personne quelle que soit sa
position sociale et envisage toujours des rapports d’adulte à adulte. Il est souvent, par ses
fonctions, convié dans des manifestations publiques dans les ministères. Il ne supporte pas
ceux qu’il appelle les « courtisans », qui jouent des coudes dans la foule pour s’approcher du
ministre, le saluer et présenter quelque requête. Jean-Marc reste discret et se considère à sa
juste place. Invité à s’interroger sur l’intention positive recherchée par le flatteur, Jean-
Marc, comme Pascale précédemment, tique sur la question. Il va néanmoins au bout de
l’exercice et note que le flatteur gagne du temps et peut prendre l’avantage dans la
compétition. Est-ce que cela intéresserait Jean-Marc de gagner du temps dans les projets
qu’il porte pour sa fédération ? La réponse est oui. Est-ce que de pouvoir parler directement
au ministre plutôt qu’à ses conseillers serait de nature à faire reconnaître plus fortement les
professionnels qu’il est chargé d’animer et de défendre ? La réponse est oui.
Avec les valeurs qu’il porte, Jean-Marc ne deviendra jamais un fourbe. Il a compris qu’en
allant rechercher dans son ombre la capacité à sortir du rang quand il le faut, il complèterait
sa compétence professionnelle. Et c’est ce qu’il a fait. Convié quelques mois plus tard,
comme de nombreux représentants du monde économique, à Bercy pour les vœux du ministre
de l’Économie, Jean-Marc, arrivé suffisamment tôt, s’est installé au premier rang face au
pupitre du ministre… tout en s’amusant intérieurement de la situation. Ce jour-là, Jean-Marc
ne s’est pas vu comme un courtisan, mais il a pensé à tous ceux dont il porte les intérêts.
Lorsque le ministre a terminé son discours et est descendu de l’estrade, qui l’attendait le plus
naturellement en bas pour le saluer et se présenter ? Jean-Marc.
Récit d’expérience
[Bruno] « J’ai vécu cette expérience à l’observatoire du Pic de Midi de Bigorre, une nuit
étoilée, en observant le ciel à la lunette astronomique. J’ai eu à ce moment-là rendez-vous
avec la lune, si belle, si proche, si lumineuse, si bienveillante à mon égard. Je me sentais une
partie vivante de l’univers. Tout à la fois si petit et insignifiant et en même si vivant et
constitutif de l’univers. Je n’aurais voulu à cet instant être nulle part ailleurs. Plus rien ne
comptait. Ce moment est resté pour moi une expérience sommet. En écrivant ces lignes, dix
ans plus tard, je revis ces mêmes émotions. »
Si nous ne pouvons pas mettre la main sur le Soi, nous pouvons nous
disposer à sa rencontre. Mais comment nous y préparer ? En faisant tomber
les barrières qui nous séparent de lui, en particulier le mental avec ses
conditionnements, ses croyances, ses peurs et ses désirs. Le mental nous
trompe parce qu’il peut nous faire prendre pour des vérités ce qui n’est
qu’une pensée, une idée, une hypothèse ou une situation qui passe. Le mental
peut nous emmener dans des méandres infinis, nous décentrant de notre âme.
« Rejoindre notre âme, c’est aller au-delà de la logique et de la raison, au-delà de l’ego, dans
un espace immuable, toujours présent au plus intime de nous-même, guide intérieur, sage
intérieur9. »
Pour qui cherche à rejoindre son âme, le meilleur chemin est celui de
l’intériorité. Avancer sur ce chemin nécessite un engagement de tout son être
et en même temps un lâcher-prise.
Il s’agit de se mettre en passivité active : choisir de se centrer et de se
mettre en réceptivité, de s’exposer, d’accueillir ce qui est là, présent,
maintenant. On se connecte à son intériorité par le silence, par la méditation,
la contemplation. Le contact intime avec la nature facilite cette connexion. La
contemplation de la beauté nous met en relation avec notre âme.
Chacun dispose pour cela de sens privilégiés. Pour les uns, c’est l’ouïe qui
permet de se laisser toucher par la musique, pour d’autres, c’est la vue, d’une
œuvre d’art par exemple. Les contacts avec des personnes qui sont elles-
mêmes reliées à leur âme ont aussi pour effet de nous rapprocher de la nôtre.
Accueillir ce qui est présent à l’intérieur de soi, rechercher la beauté, créer,
contempler, écouter son corps, écrire un journal, développer la gratitude,
marcher dans la nature, méditer, ralentir, ressentir, aimer et se laisser aimer...
Entrer en contact avec son âme est à la fois mystérieux et concret.
La méditation, dont la pratique se développe aujourd’hui dans notre monde
occidental, est une voie privilégiée pour accéder à son âme et s’y nourrir. Il
existe de nombreuses manières de méditer. Des propositions de méditation
guidée sont disponibles sur le web. Des ateliers d’initiation sont organisés. La
méditation est accessible à tous et ne demande aucun prérequis, en dehors du
désir de pratiquer.
Plonger dans son intériorité relève de l’entraînement. Au début, on y fait
des incursions plus ou moins profondes, plus ou moins longues. Les
personnes qui ont développé cette capacité de contacts fréquents et profonds
avec leur âme finissent par ne plus vraiment perdre le lien avec elle.
Récits d’expérience
[Virginie] « Pour moi, le point crucial a été d’accepter de lâcher l’image de la fille idéale
que je voulais être pour mes parents et dans le même mouvement, de lâcher-prise sur
l’épouse et la mère idéales. Sans ce lâcher-prise, je n’aurais pas pu laisser advenir mon rêve
profond. Une relecture de ma vie m’a permis ensuite de mettre en évidence un fil rouge, avec
des événements répétitifs, des manières récurrentes de me comporter. J’ai finalement
découvert ma mission qui est d’accompagner les personnes vers la plus belle version d’elle-
même. »
[Bruno] « C’est vers l’âge de cinquante ans, que j’ai découvert ma mission de vie qui est
“d’aider les personnes ou les groupes à vivre des transitions dans le sens de l’autonomie
et/ou de l’émancipation”. Aujourd’hui encore, chaque fois que je l’exprime, je ressens de
l’élan. Lorsque je l’énonce aujourd’hui si facilement, on peut se demander par quelle
construction miraculeuse j’ai pu arriver à cette formulation.
Assurément, ce n‘est pas le terme construction qui est le bon. Je parle plutôt d’investigation.
J’ai pris les moyens de me faire accompagner pour la découverte de ma mission, parce que je
sentais bien que partir d’une page blanche serait bien compliqué pour moi. Et j’ai eu raison
car je doute que j’y sois parvenu sans guide et sans méthode. C’est à travers une succession
d’exercices, de temps d’introspection, de réflexions, de retours sur des étapes marquantes de
ma vie que je suis parvenu à “cueillir” ma mission de vie. Je me souviens par exemple avoir
identifié mes héros : Jean-Sébastien Bach, Gandhi, Mandela et m’être demandé en quoi ils
m’inspiraient. Nos héros parlent de nos aspirations profondes, donc aussi de qui nous
sommes, même si leurs traits de personnalité sont encore en “trop peu” en nous ! En
l’occurrence, Gandhi et Mandela me renvoient mon aspiration à la liberté, à la libération, à
l’émancipation. JS Bach me parle de mon élan d’inspiration et de mon aspiration à regarder
au-delà. Je savais aussi que la démarche me conduirait vers mes blessures, à les identifier, à
les visiter. Et qu’il me faudrait du courage pour m’y confronter. J’ai réalisé que les moments
les plus douloureux dans ma vie ont été ceux où je me suis senti privé de liberté ainsi que
ceux à travers lesquels j’ai senti que mes besoins n’étaient pas reconnus. Dans ma famille,
nous avons été éduqués au service. Jusqu’à l’oubli de soi. C’est très beau… à condition de le
vivre dans une vraie liberté. Et non par obligation. Il m’a fallu m’émanciper de certaines
manières de penser et d’agir. Liberté... liberté... fil rouge de mon histoire qui m’a amené à
découvrir ma mission de vie. J’ai alors compris pourquoi cette mission de vie m’a conduit
inconsciemment chez Réseau Entreprendre puis à cofonder le Campus des Dirigeants.
Accompagner les entrepreneurs, c’est une manière de leur permettre de vivre une transition
dans le sens de l’émancipation. Former des dirigeants, c’est une autre manière de les
conduire à une plus grande autonomie. Parce que ma vie professionnelle est alignée avec ma
mission de vie, elle me consomme moins d’énergie et nécessite moins d’efforts. »
Au fil des pages de ce livre, nous avons exploré des manières d’être et
d’agir en dirigeant.
Même si dirigeant est un métier répandu, nous le considérons comme
extraordinaire, parce qu’il confère du pouvoir à celle ou à celui qui l’exerce.
Autrement dit il lui confère la capacité la plus élevée celle qui permet
d’orienter le cours des choses, que ce soit à l’échelle d’une entreprise et de
son environnement, d’un territoire, d’un pays ou comme pour certains, du
monde. Nous trouvons cela enthousiasmant. Cette capacité a pour corollaire
une responsabilité toute particulière : celle de prendre les moyens de
progresser, jour après jour.
Dirigeant est un métier qui s’apprend. Les bonnes pratiques que nous
avons réunies dans ce livre à partir de l’expérience de centaines de
dirigeants sont des aides pour répondre aux trois défis majeurs du métier :
prendre du recul, construire son organisation à la tête de l’entreprise et
susciter l’engagement et l’initiative au sein des équipes. Nous avons
présenté aussi des clés pour être un dirigeant plus affirmé dans l’exercice de
son métier.
Nous ne terminerons pas l’écriture de ce livre sans vous partager encore
deux convictions qui nous animent.
Pour réussir dans son métier de dirigeant, il faut oser être soi. On ne peut
pas donner mieux durablement qu’en étant pleinement soi-même. On peut
s’inspirer de modèles, mais c’est en osant être soi qu’on devient cohérent et
impactant dans sa manière d’être et d’agir.
L’enjeu de la première partie de notre vie est de devenir quelqu’un, d’être
reconnu et intégré dans le monde. Pour cela nous sommes prêts à investir
beaucoup d’énergie et parfois même à nous détourner de notre axe profond.
Nous voulons obtenir de la reconnaissance des personnes qui comptent le
plus pour nous, bien souvent de nos parents. Nous entendions récemment
aux Victoires de le musique un chanteur dire en recevant son prix « papa,
maman votre fils a une victoire de la musique ! » Puis à partir de la trentaine
ou un peu plus tard, l’enjeu devient non plus de devenir quelqu’un mais de
devenir chaque jour de plus en plus qui nous sommes, en vérité. Nous nous
en approchons en nous acceptant pleinement tel que nous sommes et en
choisissant de nous aimer ainsi. Accepter nos imperfections procure de la
paix et permet d’accepter celles des autres.
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ».
Saint-Exupéry
Nombreux sont les dirigeants déjà avancés sur le chemin du leadership. Ils
y mettent toute leur intelligence cognitive et leur intelligence émotionnelle.
L’intelligence spirituelle, permet d’aller encore plus loin : diriger avec son
âme. À partir de ses recherches sur la complexité et le management, Danah
Zohar2 envisage l’intelligence spirituelle comme un aspect de l’intelligence
qui se situe au-dessus de la mesure traditionnelle du QI et des diverses
notions d’intelligence émotionnelle.
Diriger avec son âme suppose de s’aimer, d’avoir découvert sa mission
de vie et d’avoir vérifié que diriger permet de mettre celle-ci en œuvre.
S’aimer, c’est se vouloir du bien, se regarder avec bienveillance, se parler
avec encouragement, se sentir en paix et voir le beau en soi. C’est aussi se
connaître en vérité, accepter toutes les parties de soi, chercher à se
comprendre et non à se juger, s’intéresser à soi, à ses goûts, ses envies, ses
espoirs, ses souffrances, ses échecs et ses succès. Comme le ferait son
meilleur ami ! C’est avoir mis au jour ses blessures et engagé un chemin de
réconciliation avec soi pour s’approcher de l’unité intérieure. Apprendre à
diriger avec son âme suppose de mettre dans sa vie des moments et des
moyens pour aller à la rencontre de celle-ci, recueillir ce qu’elle nous
chuchote et se laisser guider par elle. Diriger avec son âme ne veut pas dire
qu’on ne rencontrera plus son banquier et qu’on n’animera plus son comité
de direction ! Diriger avec son âme signifie qu’on sera davantage connecté
à son intériorité et alimenté par elle.
Quels sont les effets de ce contact avec notre âme ? Pour Deepak
Chopra3, le leader inspiré nourrit toute la palette des besoins de sa
communauté, depuis les besoins les plus fondamentaux : la sécurité –
jusqu’aux plus élevés – le besoin spirituel. C’est pourquoi, en dirigeant avec
son âme, on devient l’âme de sa communauté. Peter Koenig4 parle, lui, de la
personne-source.
Face au besoin de sécurité de sa communauté, le leader inspiré est le
protecteur, face au besoin de réalisation et de réussite, il est motivant, face à
celui de collaboration, il est fédérateur ; en réponse au besoin
d’appartenance, il est empathique, au besoin de créativité, il est ouvert et
sans tabous ; face au besoin de valeurs morales, il est intègre ; il est aussi le
sage, en réponse aux besoins de réalisation spirituelle des membres de sa
communauté.
Un autre effet de ce contact avec notre âme, c’est la pertinence des
décisions que nous prenons. Ce qui est visible n’est pas la réalité. C’est une
partie de celle-ci. La réalité se trouve au-delà de ce que nous voyons.
Lorsque nous prenons des décisions en nous fondant seulement sur ce qui
se voit, se mesure, s’analyse, nous passons à côté d’une partie cachée de la
réalité et nous risquons de prendre des décisions inopportunes.
En nous connectant à notre âme, lieu de la paix intérieure
mystérieusement relié à tout l’univers, nous nous mettons en situation de
recevoir des signaux sains, justes, épurés des bruits parasites. C’est ainsi
que des personnes reçoivent des intuitions qu’elles ne peuvent pas expliquer
ni justifier et que pourtant elles ne peuvent pas lâcher. Elles s’orientent vers
des projets sans savoir vraiment pourquoi. Mais elles ne peuvent pas ne pas
y aller !
Il est compréhensible que le mystère qui entoure ces choses-là puisse
susciter le doute. Si c’est le cas, pourquoi ne pas expérimenter ? Nous
sommes convaincus que se connecter à son âme est à la portée de tous.
À un moment de sa vie, on peut percevoir l’enjeu et l’envie de diriger son
entreprise avec son âme. En fait, cela suppose d’abord de diriger sa vie avec
son âme et même de se laisser diriger par elle. Et un jour, on découvrira
qu’on dirige son entreprise avec son âme de la même façon qu’on dirige sa
vie.
À l’heure où nous achevons l’écriture de ce livre, une dirigeante se
prépare à transmettre ses fonctions à la tête d’un grand pays. À travers ce
que nous lisons des commentateurs, Angela Merkel est un bel exemple de
leader au service du Bien Commun. Le peuple allemand ne s’y est pas
trompé en la maintenant au pouvoir pendant 18 ans. Et 84 % de ses
concitoyens considèrent à cette heure qu’elle a fait du bon travail5 ! Qui dit
mieux ? Son style n’est pas flamboyant, elle parait calme en toutes
circonstances. « Là où d’autres n’aspirent qu’à se mettre en avant, vous
cherchez toujours à vous placer au centre. Vous ne clivez pas, vous tentez
de rassembler », lui écrit Jean-Dominique Merchet dans l’éditorial de
l’Opinion du 24 juin 2021. Angela Merkel sait aussi écouter et saisir son
opinion comme peu de dirigeants en sont capables aux dires de sa
biographe française Marion van Renterghem6.
Oser être soi-même, vivre sa mission au service des autres et du monde,
diriger avec son âme font des dirigeants les serviteurs du Bien Commun.
C’est de ceux-là surtout dont l’histoire garde la trace.
Annexe
Le nuancier des émotions
Bibliographie