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Raymonde Moulin Le Marché de L'art Contemporain

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LE MARCHÉ DE L'ART CONTEMPORAIN

Raymonde Moulin

Gallimard | « Le Débat »

1998/1 n° 98 | pages 87 à 101


ISSN 0246-2346
ISBN 9782070751730
DOI 10.3917/deba.098.0087
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-debat-1998-1-page-87.htm
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Raymonde Moulin

Le marché
de l’art contemporain

Au cours des années quatre-vingt et quatre- listes, historiens de l’art contemporain, théori-
vingt-dix, le marché de l’art est entré dans la ciens et critiques d’art, conservateurs de musée,
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vie publique. Les grands médias ont relayé les professionnels de l’art en tout genre. Cette cer-
journaux spécialisés en se faisant l’écho des tification de la valeur conditionne le prix alors
booms et des krachs de l’art, donnant une visi- que, sans recul historique et dans l’incertitude
bilité plus immédiate et plus forte aux soubre- conflictuelle des appréciations esthétiques por-
sauts du marché qu’aux réalisations artistiques tées sur l’art immédiatement contemporain, le
actuelles et à l’extrême inégalité des destins prix est lui-même, par un effet de boucle, un des
d’artistes. critères de certification de la valeur.
L’analyse que je propose ici de l’évolution Nous nous attacherons ici plus spécifique-
du marché de l’art contemporain au cours des ment à l’art contemporain des trente dernières
deux dernières décennies est orientée par une années, dans sa version internationale et son
hypothèse centrale. La constitution des valeurs existence marchande. Le label « contemporain »,
artistiques contemporaines s’effectue à l’articu- au sens où les spécialistes de la contemporanéité
lation du champ culturel et du marché. Dans le artistique emploient le terme, a constitué, au
champ culturel s’opèrent les évaluations esthé- cours des années soixante et soixante-dix, un
tiques. Dans le marché se réalisent les transac- enjeu majeur, en permanente réévaluation, de la
tions. Alors qu’ils ont chacun leur propre sys- compétition artistique internationale. Au cours
tème de fixation de la valeur, ces deux réseaux des années quatre-vingt, la fin de la vision téléo-
entretiennent des relations d’étroite interdépen- logique des avant-gardes modernistes a rendu
dance. Le prix ratifie un travail d’homologation cet enjeu plus ambigu. Les créations artistiques
accompli en amont du marché par les spécia- sont aujourd’hui d’une grande diversité et les

Raymonde Moulin est notamment l’auteur de Le


Marché de la peinture en France (Éd. de Minuit, 1967) et de
L’Artiste, l’institution et le marché (Flammarion, 1992).
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labels multiples. Un grand nombre de micro-


cellules de création, de micro-foyers affichant La souveraineté du consommateur
chacun sa spécialité font coexister des styles,
des expériences ou des exercices artistiques très
divers. On constate ainsi des regroupements La décision que nous avons prise de centrer
d’acteurs en réseaux qui sont en concurrence notre analyse sur l’art contemporain ne doit pas
les uns avec les autres, toutes les catégories faire perdre de vue le paysage artistique d’en-
d’acteurs (artistes, critiques, marchands, collec- semble. Les œuvres des artistes vivants consti-
tionneurs, conservateurs, etc.) se retrouvant tuent une offre pléthorique et hétérogène. À
dans chaque réseau. L’incertitude attachée non l’intérieur de leur vaste marché, une première
seulement à la qualité artistique des œuvres segmentation est imposée par leurs caractéris-
contemporaines, mais à leur existence en tant tiques. La frontière la plus évidente, et aussi la
qu’art a rendu ce segment du marché parti- plus étanche, se situe entre le marché de l’art
culièrement vulnérable au développement de figuratif traditionnel (faute de mieux, nous
mouvements spéculatifs. adoptons ici la dénomination utilisée par les
Les modalités de la relation entre le champ galeries qui le diffusent) et celui de l’art
culturel et le marché varient selon les types d’art contemporain en ses multiples mouvances. La
et selon les moments. Au cours des années première catégorie d’œuvres est construite sur
quatre-vingt, le monde international de l’art une tradition routinisée et répétitive ; elle ali-
contemporain a fourni un exemple particulière- mente un marché relativement homogène. La
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ment pur des interactions entre le champ cultu- seconde catégorie d’œuvres, très diversifiée et
rel et le marché. La conjoncture économique très instable, alimente un marché dynamique et
favorable, l’abondance des liquidités, l’interna- fragmenté, subdivisé en de multiples sous-seg-
tionalisation des activités et des échanges, l’in- ments. Le premier marché est large et stable,
tervention accrue des pouvoirs publics, l’en- tandis que le second est étroit et évolutif.
gouement pour l’art, la muséification de l’art L’opposition entre ces deux grands seg-
contemporain ont imposé à tous les acteurs un ments du marché n’a plus la signification
va-et-vient constant entre le raisonnement par qu’elle avait encore dans les années cinquante,
l’estimation des spécialistes et le raisonnement alors que le système académique survivait et
par les prix sur le marché. La crise de conjonc- que les pouvoirs publics soutenaient l’art de tra-
ture traversée par le marché de l’art depuis le dition. Aujourd’hui, cet art, pour lequel il existe
début des années quatre-vingt-dix, en introdui- une vaste clientèle et qui alimente la majeure
sant le doute sur la valeur financière des œuvres, partie des marchés régionaux et locaux, n’est
a contribué à alimenter les interrogations sur pas homologué par le monde de l’art contempo-
leur valeur esthétique. Elle a fourni ainsi des rain et son appareil institutionnel. Les intellec-
arguments dans la polémique actuelle sur l’art tuels de l’art l’ignorent et les grandes revues
contemporain et, au-delà, elle a ouvert des pers- d’art n’en font éventuellement mention que
pectives nouvelles sur le fonctionnement du dans les pages publicitaires. Il ne figure presque
marché. pas dans les achats de l’État, sinon au titre
de l’assistance aux artistes et à destination des
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réserves du Fonds national d’art contempo- sons de plaire, a certes été atteint par l’effet
rain (Fnac). Le retrait du soutien public, dé- « guerre du Golfe », mais ni plus ni moins que
clenché par Malraux, n’a cessé de s’accen- les autres catégories de produits dits de luxe. À
tuer depuis. Enfin, cet art n’a pas droit d’entrée de rares exceptions près — dont Bernard Buffet
à la Foire internationale d’art contemporain est une figure exemplaire —, il n’a pas donné
(Fiac). lieu à des mouvements spéculatifs de grande
Les biens artistiques distribués dans ce seg- envergure.
ment du marché présentent des caractéristiques
communes. Il s’agit de peintures de chevalet,
présentées encadrées et dans des dimensions La conjoncture économique
autorisant l’usage privé. Les thèmes et la facture
des œuvres obéissent à des règles et des conven-
tions communément acceptées par les pro- Les marchés de l’art présentent, au con-
ducteurs, les distributeurs et les clients. Les traire, dans les sphères élevées, une grande sen-
arguments de vente portent sur la valeur déco- sibilité à la conjoncture économique générale, à
rative des œuvres et non sur la valeur de posi- l’évolution des taux de change et des marchés
tion historique. Ils insistent sur l’excellence du boursiers 2. La difficulté d’analyse de l’évolution
métier dont témoigne le peintre ou le sculpteur des marchés ne relève pas seulement de la dé-
plus que sur le charisme de sa personne. Les négation de l’économie, généralisée dans les
valeurs de la tradition française sont oppo- mondes de l’art. Elle naît de l’incertitude et de
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sées à celles de l’internationalisme avant-gar- l’asymétrie d’information qui caractérisent les
diste. marchés de l’art. Cette information incomplète,
Les galeries consacrées à la figuration tradi- qui n’est pas identiquement partagée par tous
tionnelle, dans la sélection qu’elles opèrent des ou accessible à tous, autorise en effet de mul-
artistes à représenter, excluent la prise de tiples manipulations stratégiques, hautement
risques associée à l’innovation. Le choix des symboliques, qui contribuent à la spécificité des
artistes est effectué en fonction des attentes et marchés artistiques.
des moyens d’achat de la clientèle. Un certain Les prix en galerie ne sont pas transparents ;
nombre d’artistes (une trentaine selon l’esti- une partie des transactions s’effectue dans la
mation d’un commissaire-priseur) assurent leur clandestinité ; les phénomènes inquantifiables
promotion quasi-exclusivement par les ventes ou invisibles l’emportent sur les données appa-
aux enchères. Ces peintres étiquetés néo- rentes et mesurables. L’interprétation des prix
impressionnistes ou post-impressionnistes ou enregistrés en vente publique exige une
« peintres russes » sont présentés en maintes connaissance subtile du marché réservée aux
vitrines, en particulier dans les galeries des villes
touristiques 1. Leurs tableaux sont mis en vente
publique dans un grand nombre de lieux, avec 1. Raymonde Moulin et Alain Quemin, « La certifica-
tion de la valeur de l’art. Experts et expertises », Annales.
des prix records de l’ordre de 150 000 F. Cet art E.S.C., n° 6, novembre-décembre 1993, pp. 1421-1445.
figuratif traditionnel, pour lequel il existe une 2. Cf., en particulier, les travaux de Louis-André
Gérard-Varet, Victor Ginsburg, et la thèse d’Olivier Chanel
demande et qui ne plaît pas sans avoir ses rai- (G.R.E.Q.A.M., laboratoire de l’E.H.E.S.S., Marseille).
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habitués, pour ne pas dire aux initiés. Le prix Pour être comprise, la crise du marché de
payé par un musée, avec de l’argent public, pour l’art français doit être replacée non seulement
l’acquisition d’une œuvre d’un artiste vivant dans le contexte du marché international, mais
n’est ni communiqué ni communicable : la aussi dans le cadre des distorsions de concur-
jurisprudence française considère que divulguer rence auquel il est soumis. Depuis 1990, la part
ce prix constituerait une atteinte à la vie privée du marché français dans le marché mondial de
de l’artiste. Les éléments statistiques qui suivent l’art s’est montrée, en dépit de la consolidation
ne peuvent pas ne pas comporter une part d’ap- progressive du marché international, de plus en
proximation. plus réduite. Actuellement, le marché anglo-
Le chiffre d’affaires des grandes maisons de saxon des ventes publiques représente plus de
ventes aux enchères est en expansion de 1969 à trois quarts du marché mondial et le marché
1974 ; il stagne entre 1974 et 1985. De 1985 français moins de 10 %. Alors que, en matière
à 1989, il est marqué par une croissance sans d’œuvres d’art exclusivement, les estimations
précédent, correspondant à l’explosion de la du chiffre d’affaires des commissaires-priseurs
demande sur le marché international et à l’en- français se situent dans une fourchette de 3 à
volée des prix devenue exponentielle à partir de 3,2 milliards de francs, l’addition des chiffres
1987 3. Selon le Sotheby’s Art Index, l’indice d’affaires des deux premiers auctioneers (avec
général est passé d’une valeur de 100 en 1975 à 8,5 milliards de francs pour Sotheby’s et
plus de 1 000 en 1989 (hors inflation). Les in- 8,4 milliards de francs pour Christie’s) s’élèvent
dices se situent, en 1988, à 1,525 pour les à près de 17 milliards de francs 4. Les ventes
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tableaux impressionnistes ; 1,415 pour les ta- d’œuvres anciennes et les ventes impres-
bleaux modernes ; 1,342 pour les œuvres con- sionnistes et modernes ne parviennent pas à
temporaines contre 660 pour les tableaux de retrouver en France la situation de pré-crise
maîtres anciens et 536 pour les tableaux euro- (1987-1988). L’hypothèse s’impose selon la-
péens du XIXe siècle. Les tableaux impres- quelle, dès lors qu’il s’agit d’œuvres chères, un
sionnistes, modernes et contemporains ayant déplacement important des transactions s’ef-
bénéficié de l’explosion de la demande interna- fectue de France vers les pays anglo-saxons et
tionale — particulièrement japonaise —, de particulièrement vers les États-Unis. On mesure
l’envolée des prix et d’une fièvre spéculative ici les effets, au détriment de la France, des
incontrôlée se sont révélés particulièrement vul- charges pesant sur les transactions effectuées en
nérables à la crise provoquée en 1990 par la ventes publiques ou en galerie 5.
guerre du Golfe. Au cours de la saison 1990-
1991, le chiffre d’affaires de Sotheby’s a baissé 3. Cf. Michel et Emmanuel Hoog, Le Marché de l’art,
de 59 % sur l’année précédente, celui de Paris, P.U.F., 1991, pp. 92-93, ainsi que Bernard Rouget,
Christie’s de 49 % et celui de l’hôtel Drouot de Dominique Sagot-Duvauroux, Sylvie Pflieger, Le Marché de
l’art contemporain en France, Paris, La Documentation
43 %. Les prix de réserve ont été, dès lors, révi- française, 1992, p. 60.
sés à la baisse, sans que les auctioneers et les 4. Cf. Antoine Valentin, « La vente aux enchères : che-
ville ouvrière du marché français de l’art », ENA, n° 273,
commissaires-priseurs puissent éviter l’éléva- « Dossier : Paris et le marché international de l’art », juin-
tion du pourcentage, en nombre et en valeur, juillet-août 1997, pp. 14-17.
5. On se contentera de mentionner la T.V.A., la taxe à
des rachats ou des retraits. l’importation et le droit de suite.
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C’est dans ce contexte du déclin du marché faires a baissé de moitié en cinq ans pour
de l’art français que se situe le marché de l’art atteindre environ 2 milliards de francs en
contemporain dont il n’est pas aisé, au demeu- 1996 8. Cette chute est d’autant plus frappante
rant, d’évaluer avec précision l’évolution. Les que le nombre des galeries cotisant à la Maison
statistiques fournies par Drouot ne permettent des artistes, qui avait doublé au cours des
pas de distinguer les pièces contemporaines des années quatre-vingt (d’environ 500 à 1 000),
œuvres modernes. Le produit des adjudications a continué à augmenter pour atteindre environ
concernant les tableaux modernes et contempo- 1 400 en 1996. Plusieurs remarques s’imposent
rains à Paris (Drouot-Richelieu et Drouot- ici. Sur ces 1 400 galeries, il n’en est guère
Montaigne) s’est élevé à près de 2 milliards de que 300 versant une cotisation supérieure à
francs en 1990 pour s’effondrer à 360 millions 10 000 F, c’est-à-dire ayant un chiffre d’affaires
de francs en 1991. À partir de cette date, les ré- supérieur à un million de francs. Ces galeries
sultats des ventes de tableaux modernes et con- ne se consacrent pas exclusivement à l’art
temporains n’ont pas fait l’objet d’une publica- strictement contemporain, assurant fréquem-
tion séparée. On estime qu’ils se situent aux ment leurs fins de mois par des opérations de
alentours de 250 millions de francs en 1992 courtage. De plus, beaucoup de ces galeries ont
ainsi qu’en 1993 et qu’ils ont remonté à plus de une existence brève, naissent et disparaissent
300 millions de francs en 1994 ainsi qu’en en fonction des fluctuations du marché. Des
1995. La part des ventes d’œuvres modernes et multiples commerces surgis en plein affairisme,
contemporaines dans le total des ventes effec- bon nombre ont fermé, tandis que de jeunes
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tuées à Paris, voisine de 40 % en 1990, ne serait galeries prenaient le risque de s’installer « à la
plus que de 10 % au cours des années 1994 baisse », suivant l’exemple qu’avaient donné en
et 1995 6. d’autres temps de grands marchands d’aujour-
Les informations fournies par Art Sales d’hui, tels que Yvon Lambert ou Michel
Index, collectées et traitées en Angleterre, mon- Durand-Dessert.
trent que le montant des ventes d’art contempo-
rain en France retrouve en 1995-1996, avec une
légère augmentation, celui de 1987-1988. La
situation actuelle du marché de l’art contempo-
rain des ventes publiques n’est pourtant pas
un simple retour à celle de 1987-1988. Si 6. Informations fournies par l’hôtel Drouot. On peut
mentionner, à titre comparatif, que la part des ventes
le nombre d’œuvres vendues a progressé entre d’œuvres modernes et contemporaines dans le total des
ces deux dates de 51 %, le chiffre d’affaires ventes effectuées par Christie’s représentait 46 % en 1990
et seulement 26 % en 1996, la part de l’art contemporain
n’a augmenté que de 6 %. Les prix moyens étant passée de 9 % à 6 %.
auraient ainsi baissé en France de 30 %, plus 7. Cf. Le Journal des arts, n° 28, septembre 1996, p. 59 ;
n° 29, octobre 1996, pp. 44-45 ; n° 42, 29 août 1997, p. 29.
fortement qu’aux États-Unis (- 17 %), alors Ces statistiques ne sont pas directement comparables à celles
qu’ils auraient nettement augmenté en fournies par la Compagnie des commissaires-priseurs dont
la définition des œuvres d’art est beaucoup plus large.
Angleterre (+ 27 %) 7. 8. Les données fournies par le Comité professionnel des
Le retournement du marché a atteint de galeries d’art sont calculées à partir de la contribution de
l’ensemble des galeries, toutes catégories confondues, à la
plein fouet les galeries d’art. Leur chiffre d’af- Maison des artistes.
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nomique. Sur chaque grande place, le marché


La vocation spéculative s’est structuré autour d’un nombre limité de
de l’art contemporain galeries leaders qui s’appuyaient sur une position
de monopole et des comportements de coali-
tion. De la même façon, le marché muséal
Si le terme de spéculateur relève couram- s’agençait autour des grands musées internatio-
ment du vocabulaire indigène des mondes de naux dont les acquisitions étaient ensuite repro-
l’art et de la vulgate médiatique, il importe de duites par des musées « suiveurs ». On pourrait
souligner que la clientèle de l’art contemporain mentionner également, parmi les acteurs inter-
— acheteurs sporadiques ou collectionneurs — venant en position centrale, un nombre limité
ne correspond pas nécessairement à la défini- de « mégacollectionneurs » de recrutement
tion économique du terme. Au sens strict de international, alors que les collectionneurs « sui-
l’économie, le spéculateur achète avec l’inten- veurs » prenaient le train en marche. Des ré-
tion de revendre et en se trouvant dans l’igno- seaux se sont constitués, conformément à la
rance du prix futur. Il n’est pas interdit de pen- logique de l’imitation, les achats successifs étant
ser que, dans les périodes de fièvre du marché réalisés par des acteurs de plus en plus éloignés
comme celle des années 1987-1990, des golden du centre et des informations. Cette situation
boys à la française, nouveaux venus dans le s’est traduite par le développement et l’anarchie
monde de l’art, aient joué sur des œuvres d’art d’un marché des reventes caractérisé par la
comme sur des actions — nous y reviendrons. multiplication des marchands et des courtiers,
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Ce qui nous intéresse davantage ici, c’est de le poids grandissant des ventes publiques et des
souligner les potentialités spéculatives que foires.
recèle le marché de l’art contemporain dans sa Dans un premier temps, aussi longtemps
structure et son fonctionnement : incertitude que les acteurs se sont situés dans le premier
sur la valeur déterminée par les interactions marché et que la conjoncture s’est révélée favo-
entre agents culturels et agents économiques, rable, la valorisation à court terme a été généra-
asymétrie de l’information, capacité d’anticipa- lement bien contrôlée. Cette situation particu-
tion, intervention sur le temps court, action lière à l’art contemporain doit sans doute
concertée, choix précis des objets sur lesquels beaucoup à l’aggiornamento des institutions.
faire porter les arbitrages. Ces dernières ont certifié, quasiment sans délai,
la valeur de l’art, quel que soit son décalage par
La constitution de la valeur rapport aux attentes du public, au sens large du
terme. La référence au passé a inspiré un pré-
La constitution de coalitions informelles a jugé favorable à l’égard d’un art se définissant
donné lieu, dans le marché de l’art contempo- par la rupture, le « tourbillon innovateur perpé-
rain international, à une stratification des ac- tuel » et l’enchaînement des transgressions. À
teurs en différentes catégories qui se sont orga- l’incompréhension des critiques d’autrefois a
nisées autour d’un centre, d’un noyau dur, dont répondu, pour reprendre le mot de Max Ernst,
le rôle est prédominant en matière de fixation la « surcompréhension » des experts d’aujour-
de la valeur artistique comme de la valeur éco- d’hui. L’anticipation s’est imposée aux respon-
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sables institutionnels comme aux acteurs éco- dans la décennie 1980 ne concernent par seule-
nomiques. La corrélation des évaluations émises ment le nombre des intervenants, mais la poly-
par les uns et les autres — corrélation des valence de leur compétence et l’interchangeabi-
signaux, comme disent les économistes — s’est lité de leur rôle. Les critiques d’art fournissent
révélée forte, et la rapidité de circulation de l’in- les exemples les plus visibles de l’accumulation
formation entre les institutions et le marché a et de l’alternance des rôles, mais il ne manque
multiplié les occasions d’anticipations autoréa- pas de collectionneurs pour être à la fois ache-
lisatrices et de paris esthétiques et financiers teurs et vendeurs, experts en ventes publiques,
réussis, chacun des deux paris attestant l’autre. commissaires d’exposition et mécènes.
Les transactions se sont multipliées d’une
La spirale spéculative galerie à l’autre ou d’un stand à l’autre d’une
foire internationale, mais, plus souvent encore,
Au cours des années 1987-1990, les hausses d’une vente aux enchères à l’autre. À la fin des
boursières ayant libéré des capitaux importants, années quatre-vingt, des artistes très en vogue
des reports massifs d’investissements se sont ont connu, en vente publique, des ascensions
effectués sur l’art, particulièrement au profit des fulgurantes, dont ils n’ont d’ailleurs pas tou-
œuvres contemporaines. De nouveaux venus jours été les bénéficiaires directs. Dans la
sont entrés dans le monde de l’art dont l’intérêt mesure où les détenteurs des œuvres, mar-
pour un art d’initiés n’excluait ni le goût du jeu chands du second marché, courtiers ou collec-
ni les préoccupations affairistes. Le marché de tionneurs ont anticipé la hausse associée aux
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l’art contemporain a pu dès lors présenter engouements provisoires et à la fièvre des en-
toutes les caractéristiques d’un marché spécula- chères, ils ont élargi les opportunités de profit à
tif : liquidité accrue des œuvres et envol des court terme, sans tenir compte des intérêts à
prix. plus long terme de l’artiste. La relation entre le
Des acteurs multiples se sont substitués au prix de vente publique et le prix en galerie a été
premier marchand pour accélérer la circulation l’inverse de celle que nous avions constatée au
des œuvres et provoquer des écarts de prix cours des années cinquante et soixante 10. Au
grandissants entre le prix négocié lors de la pre- cours de ces années-là, les premiers collection-
mière transaction et le prix de revente. Des mar- neurs de l’art abstrait avaient revendu des
chands-négociants ont succédé, dans la chaîne œuvres en vente publique à des prix inférieurs
des opérations, aux marchands-entrepreneurs 9. à ceux pratiqués par les galeries promotrices,
À côté d’eux ont participé à ce vaste mouve- mais néanmoins très supérieurs à ceux auxquels
ment d’échanges les courtiers, les conseillers en ils avaient acquis eux-mêmes les œuvres. La
investissements artistiques auprès des banques pratique courante qui consistait, et qui consiste
ou des grandes institutions, les agents d’art tra- de nouveau aujourd’hui, à tenir pour « bien ven-
vaillant pour les artistes, les entreprises et, pour dues » des œuvres d’artistes vivants adjugées au
les collectionneurs nouveaux venus dans le
monde de l’art, les intermédiaires multiples et 9. Raymonde Moulin, Le Marché de la peinture en
divers dont le marché secondaire est le terrain France, Paris, Éd. de Minuit, 2e éd. 1989, p. 109.
10. Raymonde Moulin, L’Artiste, l’institution et le mar-
d’action privilégié. Les changements intervenus ché, Paris, Flammarion, 1996, p. 53.
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tiers de leur prix en galerie a été contredite à la vente dans lequel figurait, en bonne place, le tableau
fin des années quatre-vingt par le secteur très en question » (Patrick Bongers, cité par F. Duret-
spéculatif du marché. C’est dans ce secteur Robert, Marchands d’art, faiseurs d’or, Paris, Belfond/
Connaissance des arts, 1991, p. 341).
limité, à la faveur de nouveaux comporte-
ments des commissaires-priseurs, d’une nou- La multiplication des transactions et des
velle clientèle des ventes publiques et d’un sou- achats à la hausse a provoqué un brouillage des
tien sans faille des banques, que la différence signaux et contribué à la déconnexion entre les
entre les prix des enchères et du commerce a été prix pratiqués sur le marché au cours de la
creusée en faveur des premiers. La résistance chaîne des reventes et la valeur de départ, con-
opposée à la hausse par les galeries en charge de courant ainsi à la constitution d’une bulle spé-
la promotion régulière des artistes a mis en évi- culative de type keynésien dont l’éclatement
dence le calcul rationnel du marchand-entrepre- était prévisible. Les « vrais » spéculateurs bénéfi-
neur cherchant à ne pas désolidariser, par des ciant d’informations d’initiés et manifestant une
à-coups spéculatifs, la valeur financière de la bonne capacité d’anticipation sont parvenus à
valeur esthétique. C’est avec ce même objectif faire avec l’art, sur le court terme et presque à la
que les galeries prudentes se sont efforcées de veille même du krach, de jolis profits.
placer les œuvres « en des mains solides », ou,
plus simplement, de ne pas toutes les vendre, ce La crise
qui leur a assuré, pour l’après-crise, les res-
sources d’une collection personnelle ou d’un La crise n’a pas atteint de la même façon les
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stock, selon l’usage qu’elles ont choisi d’en différents secteurs du marché. Si tous les mar-
faire. chés artistiques sont des contextes où règne l’in-
Les stratégies à la hausse des maisons de certitude sur la valeur des œuvres, ils ne le sont
ventes aux enchères — mises en œuvre par pas au même degré. Les œuvres classées, qu’il
Sotheby’s en 1987, avec l’affaire célèbre des s’agisse des œuvres anciennes ou « modernes
Iris de Van Gogh — ont provoqué la ronde classiques », constituent un corpus fini, objec-
des tableaux d’une place commerciale à une tivé par le temps, par l’histoire et par le consen-
autre 11. Les amateurs-boursicoteurs ont pris sus social résultant d’opérations multiples et
l’habitude de se fier aux estimations fixées en successives de sélection et de ratification. Par
fonction des prix de réserve, eux-mêmes fondés rapport aux valeurs incertaines de l’art contem-
sur les précédentes enchères à la hausse. Des porain, les valeurs classées apparaissent comme
prêts pouvant atteindre 50 % du prix de réserve stabilisées, même si les différences sont moins
furent accordés aux acheteurs. rigides que ne peut le donner à penser l’analyse
simplificatrice qui définit ces deux marchés en
« J’ai vendu, il y a quatre mois, un important les opposant l’un à l’autre. La distinction entre
tableau à un client que je croyais être un amateur. Il valeur stabilisée et valeur incertaine n’est ni
me l’a payé en trois fois, en décembre, en janvier et le claire ni définitive. L’asymétrie de l’information
solde, la semaine dernière. Encore a-t-il demandé
que j’attende quelques jours avant de remettre le der- est très grande. Les procédés de stockage de
nier chèque à la banque. Or, le jour même où j’ai reçu
ce dernier chèque, on m’a apporté un catalogue de 11. Ibid., p. 32, note 14.
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Raymonde Moulin
Le marché
de l’art contemporain

l’offre et de stimulation de la demande résultant rés du marché. La complexité de la relation


de la coalition de tous les acteurs économiques entre le marché-jugement, influencé par les ins-
et culturels intervenant dans le segment consi- titutions, et le marché-prix a contribué à leur
déré du marché peuvent provoquer, en période désenchantement.
d’euphorie économique, des mouvements spé-
« Dès lors je devins un collectionneur passionné,
culatifs qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’on de ceux qui accumulent sans jamais revendre. […].
peut observer dans le marché de l’art contem- Puis les prix montèrent énormément. Certains de
porain. Il n’en demeure pas moins que, par rap- mes achats anciens avaient décuplé, voire davantage.
port à l’art qui a reçu « le consentement des Je fus ainsi tenté de vendre certains tableaux pour
siècles », l’art contemporain maximise l’incerti- acquérir de nouvelles pièces. J’entrais ainsi dans une
nouvelle phase : celle du collectionneur qui gère sa
tude et le risque. C’est ainsi qu’on pourrait citer collection. C’était grisant ! Si tous mes achats anté-
bien des exemples, depuis plus d’un siècle, de rieurs avaient été effectués à partir de la modeste
l’extrême vulnérabilité de l’art « contemporain » épargne d’un fonctionnaire, la revente de peintres qui
aux effets de conjoncture. Les peintures impres- avaient fortement “grimpé” me donnait un pouvoir
sionnistes ont subi le contre-coup du krach de d’achat comparable à celui de collectionneurs très
aisés. Je me mis d’ailleurs à en fréquenter certains et
l’Union générale en 1882. Les artistes des ensemble nous achetions et revendions avec des pro-
années trente ont éprouvé, durablement, les fits substantiels… toujours réinvestis en de nouveaux
effets de la Grande Dépression. Plus récem- tableaux. La plus-value alimentait la plus-value et nos
ment, la crise boursière de Wall Street, en 1962, transactions n’avaient plus rien à voir avec nos reve-
succédant à l’euphorie des années cinquante a nus, en tout cas avec les miens. C’est ce qui a brus-
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quement cessé un certain jour de 1991. Il ne fut plus
pu donner à penser que « l’art abstrait était possible — il ne l’est toujours pas — de vendre pour
fini ». La première crise pétrolière, de 1974 à acheter. En théorie, je pourrais vendre trois fois
1978, n’a pas épargné la création contempo- moins cher et acheter trois fois moins cher et conti-
raine dans la diversité de ses mouvances. nuer à gérer ma collection… […] mais je ne
En 1990, sous l’effet de la récession écono- le fais pas… Car, d’une part, le marché ne fonctionne
plus — il est quasiment impossible de vendre au prix
mique, des tensions monétaires, de la tendance du marché, il faudrait brader (les “prix” sont ceux
à la baisse des actions et des obligations, le des rares achats mais vendre n’intéresse personne).
retournement du marché s’est effectué. Les D’autre part, je n’ai plus le goût : quelque chose en
ventes réalisées par Sotheby’s au printemps et à moi s’est cassé et la passion a cessé… On dit que cela
l’automne 1990, avec des prix d’estimation reviendra ! » (« Témoignage d’un collectionneur
énarque », ENA, n° 273, juin-juillet-août 1997,
devenus largement inférieurs aux prix de vente, p. 11).
ont mis fin à l’euphorie. L’inversion de la ten-
dance s’est manifestée au cours de la même Les marchands, souvent endettés par l’am-
année à l’occasion des foires de Bâle et de pleur de leurs projets immobiliers et par l’ac-
Chicago. Drouot, avec un décalage de quelques cumulation d’un stock réalisé à la hausse, se
mois, a suivi. trouvent en situation difficile. Certaines galeries
Les nouveaux collectionneurs dont les reve- ont été contraintes de fermer, voire de liqui-
nus provenaient d’autres marchés spéculatifs der leurs réserves, faute d’obtenir le maintien
(de l’immobilier, du Sentier, de la publicité) ont d’un soutien bancaire. La spirale spéculative du
été eux-même atteints par la crise et se sont reti- marché de l’art, comme celle du marché de
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Raymonde Moulin
Le marché
de l’art contemporain

l’immobilier, a été rendue possible par l’attitude décisivement atteinte à la valeur esthétique des œu-
permissive des banques, encouragée par les vres concernées.
pouvoirs publics. L’effervescence des affaires Les répercussions de la crise du marché de
artistiques et le soutien apporté au marché l’art sur la condition des artistes ont été, dans
par l’État — sur lequel nous allons revenir — tous les cas, immédiates et évidentes. La défail-
ont incité banquiers et financiers à réviser un lance du marché a imposé que les institutions
comportement frileux à l’égard du marché de publiques prennent le relais en soutenant la
l’art. Non seulement ils sont intervenus sur le création. Les artistes se situent en permanence
marché en tant qu’acheteurs d’œuvres d’art, entre l’action publique et le marché, l’impor-
mais, indirectement, en tant que prestateurs de tance respective de l’une et de l’autre variant
services. selon les pays et selon les moments.
« La direction de la B.U.O. flairant un secteur
d’avenir se lance à la conquête des marchands.
Premier objectif : aider les galeries françaises à ache- L’action publique
ter sur le marché étranger en leur proposant un
découvert allant jusqu’à 50 % du prix de vente de
l’œuvre. Découvert garanti par nantissement sur toile Au cours des années quatre-vingt, dans la
déposé chez Multi-Gardes (Société Générale), après plupart des pays et particulièrement en France,
expertise (tx 11 %). » « Sofinco propose la “carte de
crédit, antiquaire et objet d’art”. Cette carte bleue les pouvoirs publics ont étendu leur protection
nominative, attachée à un crédit revolving, permet à à la création artistique. On a pu parler ici
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un collectionneur, durant 6 à 48 mois, de puiser dans d’État-providence culturel et ailleurs d’Aesthe-
une réserve de crédit qu’il gère à sa guise (tx 15 à tical Welfare. Le projet gouvernemental socialiste
18 %) » (Ces citations sont extraites de « Le point sur a répondu à un modèle d’économie culturelle
les banques face au marché de l’art », Art-information,
éd. par Cornelia Sontag, C.N.A.P., ministère de la mixte qui suppose la socialisation du risque
Culture, n° 1, novembre 1988.) artistique (risque financier et risque esthétique)
en même temps que « la réconciliation de l’art
La crise a atteint plus fortement que avec l’économie ». Cette politique s’est caracté-
d’autres certains jeunes artistes français qui ont risée par l’abondance des crédits consacrés aux
connu la malédiction du succès sous l’effet arts plastiques (leur montant a presque triplé
conjugué de la spéculation et de la mode. entre 1981 et 1983) et par le foisonnement ins-
titutionnel. On a assisté à la multiplication des
Isabelle de Wavrin évoque ainsi l’odyssée d’une institutions artistiques, à l’accroissement en ef-
grande peinture de Jean-Charles Blais, Retour vers
l’Enfer. Vendue une première fois 180 000 francs en fectifs et en influence des professionnels de
février 1988 à Versailles, elle est repassée une seconde l’art, à la généralisation du recours aux experts
fois dans la même salle le 18 mars 1990 et vendue et à la fonctionnarisation de beaucoup d’entre
745 000 francs. Deux ans plus tard, elle est vendue à eux.
Enghien à la moitié du prix précédent. Le 30 mars La relance du marché s’est effectuée par
1995, estimée 180/220 000 francs, l’œuvre est ravalée
à Drouot à 130 000 F (Beaux-Arts Magazine, n° 138, un ensemble de mesures fiscales et législatives,
fascicule n° 2, octobre 1995). De multiples autres par des mesures d’incitation au mécénat et
exemples pourraient être cités qui ne porteraient pas par une grande politique d’achat d’œuvres
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Raymonde Moulin
Le marché
de l’art contemporain

d’art 12. Ce sont des milliers d’œuvres qui ont Les investissements accrus des pouvoirs
été acquises par le Fonds national et les Fonds publics en matière d’art contemporain, au cours
régionaux d’art contemporain : plus de 12 000 des années quatre-vingt, ont singulièrement
œuvres en dix ans, sans compter les œuvres augmenté l’influence des responsables institu-
acquises par les musées dont les crédits d’acqui- tionnels agissant en tant qu’experts de l’État. La
sition ont été considérablement augmentés. sanction du musée a précédé en certains cas le
S’est ajoutée à cette politique d’acquisition une marché et, en attendant que se constitue une
politique de commande publique importante, demande privée, la demande institutionnelle a
qu’il s’agisse de l’État, des régions ou des muni- été à l’origine d’un marché « administré » dont
cipalités. La commande publique a offert des les prix directeurs sont les prix-musée qui résul-
abris de marché aux artistes dont les proposi- tent de la concurrence entre un nombre limité
tions ne correspondaient à aucune demande d’acheteurs institutionnels de recrutement in-
privée et à ceux dont les disciplines (sculpture, ternational.
tapisserie, vitrail) sont désavantagées sur les Une des interrogations portant spécifi-
marchés de l’art. quement sur la crise du marché des années
Au cours des années quatre-vingt, l’État quatre-vingt-dix concerne précisément l’action
s’est efforcé de soutenir le marché en acqué- publique. Jusqu’ici, les politiques gouverne-
rant les œuvres par l’intermédiaire des galeries. mentales de soutien à la création avaient coïn-
Entre 1981 et 1985, si un tiers seulement des cidé avec des périodes de conjoncture générale
œuvres a été acheté auprès des galeries, le mon- défavorable, l’exemple le plus significatif étant,
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tant des achats a représenté presque les deux à cet égard, la politique du New Deal. L’ori-
tiers du montant total des acquisitions 13. La ginalité de la France des années quatre-vingt
plupart des grandes galeries bénéficiaires ont a été la conjonction du volontarisme politique
exposé en France des artistes étrangers recon- qui s’est manifesté par d’importants investisse-
nus dans leur pays d’origine. Elles ont affronté ments publics avec le dynamisme du marché
le risque de la mévente jusqu’à ce que s’opère la international associé à une conjoncture générale
conversion des pouvoirs publics au dernier état favorable.
de la modernité. Pour échapper à l’arbitraire du Quelle peut être aujourd’hui l’action
choix, le rattrapage effectué par les institutions publique à l’égard des artistes à un moment où
et les galeries leaders s’est appuyé sur le palma- le marché est frileux et les moyens budgétaires
rès international, faisant ainsi, fût-ce involontai- comptés, où les banques se dérobent et où les
rement, la part belle aux artistes étrangers. fonds privés du mécénat se réorientent vers
L’effort de ces galeries a été d’adjoindre des ar-
tistes français aux vedettes importées et d’ouvrir 12. Pour avoir insisté ailleurs (L’Artiste, l’institution et
aux premiers les voies et moyens d’une carrière le marché, op. cit., annexe IV) sur le rôle du B.K.R. (plan
d’emploi artistique) aux Pays-Bas, il ne nous paraît pas
internationale. Comme le notait récemment, inutile d’indiquer que la question est actuellement soulevée
non sans quelque provocation, Jean-Marc Bus- d’une destruction sélective des œuvres accumulées (Art
News, novembre 1997, p. 210).
tamante : « Pour répondre à ce marché unique 13. R. Moulin, L’Artiste, l’institution et le marché, op.
[institutionnel], les galeries sont devenues de cit., chap. IV.
14. Jean-Marc Bustamante, « Galeries en crise »,
simples succursales de galeries étrangères 14. » Beaux-Arts, n° 157, juin 1997, p. 133.
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Raymonde Moulin
Le marché
de l’art contemporain

l’humanitaire ? Le montant des achats du Fnac commune contrarient trop profondément leur
qui avait atteint 23,5 millions de francs en 1991 individualisme pour ne pas demeurer spora-
n’est plus que de 12 millions de francs en 1995. diques et éphémères.
Les subventions (total État/région) octroyées On assiste à la restructuration des galeries
aux Frac sont passées de près de 50 millions en par le resserrement des espaces, la réduction des
1992 à 46 millions en 1995. Les crédits de la effectifs du personnel, la rationalisation d’une
commande publique qui s’élevaient à plus de gestion qui provoque inévitablement le relâche-
33 millions en 1990 ont baissé environ de ment des liens financiers avec les artistes. À
13 millions en 1996. L’abondance des crédits l’instar des autres acteurs du monde de l’art, les
est la condition première des tentatives de galeristes dynamiques n’hésitent plus à adopter
dépassement du dilemme permanent des choix une multiplicité de rôles, volatils et interchan-
publics : celui de l’égalitarisme et de l’élitisme. geables. Ils deviennent des metteurs en scène de
Sous la contrainte budgétaire, compte tenu de l’art dans leurs espaces propres, minuscules ou
la diversification accrue de la scène artistique et démesurés. Ils se constituent en commissaires
de la multiplication des nouveaux supports d’exposition dans des lieux alternatifs. Agents
artistiques, le problème des choix publics se des artistes chargés de l’archivage des œuvres,
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pose à nouveaux frais. de leur diffusion dans les centres d’art régio-
naux et les galeries étrangères, ils sont en même
temps conseillers des collectionneurs. Il ne
La relance et les transformations manque pas de galeries qui sont des sortes de
du marché clubs de fréquentation, lieux de rencontre des
amateurs potentiels que les plaisirs de sociabi-
lité peuvent transformer en collectionneurs. Ces
Nous ne reviendrons pas ici sur les mêmes galeries, en organisant des débats, en
contraintes fiscales paralysant la relance du invitant des commentateurs, critiques informés
marché. Elles ont été abondamment traitées par ou philosophes distingués, contribuent à déve-
le rapport Chandernagor, le rapport Léonnet et lopper, par une pédagogie concertée, une exten-
dans les actes du colloque organisé en juin der- sion de la demande. La valorisation commer-
nier par le Comité professionnel des galeries ciale des thèmes qui ont inspiré les artistes dans
d’art. la période récente (retour au corps, à son iden-
Parmi les efforts réalisés par les agents du tité, à ses souffrances et à ses dégradations ; re-
marché pour pallier les difficultés du moment, tour à l’engagement et aux travaux d’interven-
nous retrouvons un certain nombre de traits tion critique, sociale et politique) attire une
observés lors des précédentes crises. Les artistes nouvelle génération de collectionneurs.
vendent en atelier. Ils exposent dans des appar- Si l’on considère plus spécifiquement une
tements, des halls d’hôtels, des espaces indus- autre forme d’offre qui, loin d’être inédite, inté-
triels désaffectés, dans des foires off comme resse de plus en plus les jeunes artistes (artistes
celle de la Bastille. Ils se regroupent en associa- in situ, « installateurs », artistes multimédias), on
tions. Cependant, aujourd’hui comme hier, les constate la prégnance d’un nouveau schéma de
efforts des artistes pour s’unir en une action production des arts plastiques. Il s’agit de l’or-
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CRÉDITS ET SUBVENTIONS
DESTINÉS À L’ACHAT ET À LA COMMANDE D’ŒUVRES CONTEMPORAINES

dans Janine Cardona et Chantal Lacroix, Chiffres Clés 1996,


ministère de la Culture, La Documentation française

Acquisitions du Fonds national d’art contemporain. Sources MC/DAP/DEP

1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995
Milliers de francs
Montant des achats 9 630 5 500 13 420 16 980 16 663 16 625 23 580 16 394 20 512 17 561 12 351
Arts plastiques 9 310 4 675 11 280 15 480 14 877 14 390 21 576 14 185 17 295 14 984 11 255
Photographies 265 125 538 650 800 1 270 370 1 374 2 130 1 565 817
Arts décoratifs 55 700 1 602 850 986 965 1 634 835 1 087 1 012 279
Unités
Œuvres achetées 717 225 253 521 711 449 574 357 740 552 351
Peintures, dessins 258 90 73 121 197 123 94 48 218 130 87
Sculptures 60 18 21 95 47 47 44 38 58 72 51
Estampes 42 15 23 127 268 59 295 22 68 55 22
Photographies 95 63 78 115 122 141 78 147 215 180 138
Objets d’arts décoratifs 262 39 58 63 77 79 63 102 181 115 53

Fonds régionaux d’art contemporain. Sources MC/DAP/DEP


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SUBVENTIONS

1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 r1993 r1994 1995
Total 31 650 30 604 30 354 31 066 34 165 38 610 43 771 47 350 49 459 41 713 46 775 46 213
État 15 700 14 850 13 181 14 081 14 265 16 648 19 350 20 550 21 600 17 751 20 712 20 236
Régions 15 950 15 754 17 173 16 985 19 900 21 962 24 421 26 800 27 859 23 962 26 063 25 977
Subventions pour acquisitions et fonctionnement (non compris les investissements) - Milliers de francs

Milliers de francs

0 0 0
00 00 50
33 33 33
0 0
50 20
0 28 29 0
50 24 0
26 26 50
25
0 0
40 50
0
00

21 21
24

0
80
21

0
00
0 9
80
4
La commande
publique.
1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 Sources MC/DAP/DEP
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100

Raymonde Moulin
Le marché
de l’art contemporain

ganisation par projet fréquemment observée moins à une caractéristique commune, celle de
dans le secteur des industries culturelles et par- dérouter les attentes du goût majoritaire dans sa
ticulièrement dans la production des arts du forme élitiste ou populiste. Il n’est pas interdit
spectacle 15. de penser que les polémiques sur l’art contem-
Le nouveau schéma de production implique porain portent, pour l’essentiel, sur cet art « ins-
qu’un producteur, public ou privé, ou encore titutionnel » dont la production est assurée par
que des producteurs associés accordent à un des fonds publics.
artiste les moyens financiers nécessaires à la réa- Dans les pays anglo-saxons, la production
lisation d’un projet, qu’il s’agisse d’installations est généralement entre les mains des investis-
monumentales, d’installations vidéo, de vidéo- seurs privés, galeries dominantes, mégacollec-
performances, de photographies ou de pein- tionneurs et, depuis peu, maisons de vente aux
tures de très grand format, etc. En France, les enchères. Les stratégies agressives des grandes
pouvoirs publics assurent l’essentiel des moyens maisons de vente aux enchères sont bien con-
de production en faisant réaliser à leurs frais, nues. Les firmes anglo-saxonnes développent
dans les centres d’art ou dans certains musées, très officiellement, et pour au moins trois séries
des œuvres à usage public exclusif dans la de raisons, le secteur des transactions privées.
mesure où elles sont peu compatibles avec des Elles connaissent bien les vendeurs et les ache-
espaces domestiques. Dans le cas où l’artiste a teurs potentiels. Si une pièce est récemment
bénéficié d’une aide au projet fournie par un passée sans succès en vente publique, elles sa-
centre d’art et que cette œuvre est ensuite ven- vent lui éviter le renouvellement immédiat de
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due au centre d’art lui-même ou, éventuelle- l’épreuve des enchères. De plus, un nombre de
ment, à un acheteur extérieur, le montant de la plus en plus élevé de collectionneurs est attaché
subvention publique doit être remboursé. Le à la discrétion de leurs opérations d’achat ou de
mécénat de la Caisse des dépôts et consigna- vente. L’innovation réside dans le fait que les
tions soutient cette politique. Il a lancé, en stratégies, mises en œuvre jusqu’ici pour l’art
1995, un programme d’aide à la production ancien et moderne, n’épargnent pas le secteur
d’œuvres de jeunes artistes, en partenariat avec de l’art contemporain, voire immédiatement
les musées et les centres d’art français. Afin de contemporain. L’affaiblissement du marché,
les aider dans la création d’œuvres particulières, donc des galeries, a incité les maisons de ventes
la Caisse a décidé d’accorder à certains artistes à racheter certaines d’entre elles afin de prendre
français ou résidant en France une avance sur le contrôle du marché. Sotheby’s, après des ac-
projet qui permet de financer des matériaux, cords de partenariat avec de grands marchands
des contributions techniques et du temps de américains, détenteurs de stocks importants,
travail. La Caisse des dépôts acquiert les œuvres vient de s’associer l’un des acteurs les plus émi-
qui sont présentées dans un musée ou un centre nents du monde de l’art international, réputé
d’art, puis déposées dans des collections régio- pour l’ampleur des projets dans lesquels il s’im-
nales pour une durée de dix ans.
La décentralisation sous influence, pour
reprendre l’expression de Philippe Urfalino, 15. Cf. Pierre-Michel Merger, La Profession de comé-
dien, Paris, La Documentation française, à paraître en jan-
aboutit sinon à une uniformité des œuvres, du vier 1998.
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Raymonde Moulin
Le marché
de l’art contemporain

plique, Jeffrey Deitch 16. Le catalogue de la der- contemporain, conjuguée à l’innovation tech-
nière biennale de Venise donne une idée assez nologique, a exercé une portée décisive sur la
claire des montages financiers auxquels la pro- structure et le fonctionnement de ce marché.
duction plastique peut donner lieu. Le Japon y a Certes, on assiste à une évolution d’une organi-
été représenté par une œuvre de Mariko Mori sation de type artisanal vers une organisation de
(Miko no Inori, vidéo fixe, 1996) dont Jeffrey type industriel et les gigantesques installations
Deitch a été coproducteur et qui, selon Harry des stars internationales, qui auront acquis leur
Bellet, aurait coûté près d’un million de dollars. visibilité à New York, risquent d’être acquises à
Christie’s maintient officiellement la posi- prix très élevé par les musées européens. Les
tion qui consiste à ne vendre que des œuvres du galeries de moindre importance diffuseront les
second marché, mais la modification que la éditions multiples et les sous-produits variés de
firme vient d’opérer dans sa catégorisation des créations plastiques frappées de mégalomanie.
œuvres (art du XIXe siècle jusqu’à Cézanne ; art Il n’empêche que les règles juridiques en vi-
du XXe siècle jusqu’en 1970 ; art contemporain) gueur dans le marché de l’art, fondées sur l’uni-
ainsi que sa volonté affirmée d’orienter sa clien- cité de l’œuvre, sur la rareté du chef-d’œuvre et
tèle vers « les véritables tendances actuelles » sur le travail indivisé du créateur, ont montré
n’en inquiètent pas moins les galeristes euro- leur solidité. Elles impliquent que les nouveaux
péens 17. supports soient utilisés à rebours de leurs possi-
Les ententes de caractère oligopolistique en- bilités technologiques et que les « pièces », les
tre galeries ne sont pas nouvelles sur le marché installations, les photographies, les bandes vidéo
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international. La verticalité du schéma de pro- ne soient pas produites au-delà d’un certain
duction est d’apparition plus récente. Elle tend seuil numérique. De la même façon, la cons-
à rapprocher les grandes structures américaines truction des réputations des artistes et de la
de production plastique des « majors » cinéma- valeur des œuvres continue à s’élaborer à l’arti-
tographiques. Pour résister à la concurrence des culation du champ artistique et du marché
maisons de ventes anglo-saxonnes, une associa- même si, pour l’heure, le marché, et particuliè-
tion des foires internationales d’art contempo- rement le marché anglo-saxon, semble bien
rain d’origine européenne, l’I.C.A.F.A., a été donner le « la ».
créée, qui exclut la participation des maisons de
ventes aux foires de manière à maintenir ces Raymonde Moulin.
dernières sous le contrôle des galeries. On peut
se demander si cette politique de concurrence
doit exclure une politique de complémentarité. 16. Jeffrey Deitch a été critique d’art, assistant à la
Il a été démontré dans de nombreux secteurs de John Weber Gallery de New York, vice-président de la
production que les innovations ne passaient pas Citibank en charge du département art, avant d’ouvrir sa
propre société de conseil en investissements artistiques. Il a
par les firmes dominantes, technobureaucra- organisé de nombreuses expositions dans des musées et il a
tiques. ouvert, en 1996, dans le quartier de Soho, sa propre galerie
Deitch Projects (cf. Harry Bellet, « OPA de Sotheby’s et
Christie’s sur l’art contemporain », Le Monde, 2 octobre
Ce serait assurément une conclusion hâtive 1997).
17. Cf. Marwan Hoss, « OPA sur l’art », Le Monde,
de considérer que la crise du marché de l’art 30 octobre 1997.

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