Excursus Cours Religion (Penseurs Athées)
Excursus Cours Religion (Penseurs Athées)
Excursus Cours Religion (Penseurs Athées)
L'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé
en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse
dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus
puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne
bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la
réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations
humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres de
temps et de lieu où ces désirs se réaliseront. (…)
Ainsi je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que
l'homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion
religieuse, que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie, la réalité cruelle. Oui, cela
est vrai de l'homme à qui vous avez instillé dès l'enfance le doux - ou doux et amer - poison.
Mais de l'autre, qui a été élevé dans la sobriété ? Peut-être celui qui ne souffre d'aucune
névrose n'a-t-il pas besoin d'ivresse pour étourdir celle-ci. Sans aucun doute l'homme alors se
trouvera dans une situation difficile ; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sa petitesse
dans l'ensemble de l'univers ; il ne sera plus le centre de la création, l'objet des tendres soins
d'une providence bénévole. Il se trouvera dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la
maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud. Mais le stade de l'infantilisme
n'est-il pas destiné à être dépassé ? L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il
lui faut enfin s'aventurer dans un univers hostile. On peut appeler cela « l'éducation en vue de
la réalité » ; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est
d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose de réaliser ce progrès ?
Texte de Bac :
Si on veut se rendre compte de l'essence grandiose de la religion, il faut se représenter ce
qu'elle entreprend d'accomplir pour les hommes. Elle les informe sur l'origine et la
constitution du monde, elle leur assure protection et un bonheur fini dans les vicissitudes de la
vie, elle dirige leurs opinions et leurs actions par des préceptes qu'elle soutient de toute son
autorité. Elle remplit donc trois fonctions. Par la première, elle satisfait le désir humain de
savoir, elle fait la même chose que ce que la science tente avec ses propres moyens, et entre
ici en rivalité avec elle. C'est à sa deuxième fonction qu'elle doit sans doute la plus grande
partie de son influence. Lorsqu'elle apaise l'angoisse des hommes devant les dangers et les
vicissitudes de la vie, lorsqu'elle les assure d'une bonne issue, lorsqu'elle leur dispense de la
consolation dans le malheur, la science ne peut rivaliser avec elle. Celle-ci enseigne, il est
vrai, comment on peut éviter certains dangers, combattre victorieusement bien des souffrances
; il serait très injuste de contester qu'elle est pour les hommes une puissante auxiliaire, mais
dans bien des situations, elle doit abandonner l'homme à sa souffrance et ne sait lui conseiller
que la soumission. C'est dans sa troisième fonction, quand elle donne des préceptes, qu'elle
édicte des interdits et des restrictions, que la religion s'éloigne le plus de la science.
Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : L'homme fait la religion, ce n'est pas la
religion qui fait l'homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de
l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. mais l'homme n'est
pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'Etat, la
société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce
qu'ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde,
son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur
spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison
générale de consolation et de justification. C'est la réalisation fantastique de l'essence
humaine, parce que l'essence humaine n'a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion
est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la
protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le
malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit.
C'est l'opium du peuple.
Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur
illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation,
c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion
est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole.
La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que
l'homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu'il secoue la chaîne et cueille la
fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme
sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de
lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se
meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même.
J’appelle corrompu un animal, une espèce, un individu, quand il perd ses instincts,
quand il choisit, quand il préfère ce qui lui est désavantageux. Une histoire des « sentiments
les plus élevés », des « idéaux de l’humanité » — et il est possible qu’il me faille la raconter -
serait presque aussi une explication, pourquoi l’homme est si corrompu. La vie elle-même est
pour moi un instinct de croissance, de durée, d’accumulation de forces, de puissance : où la
volonté de puissance fait défaut, il y a dégénérescence. Je prétends que cette volonté manque
dans toutes les valeurs supérieures de l’humanité — que des valeurs de dégénérescence, des
valeurs nihilistes règnent sous les noms les plus sacrés.
Hélas, mes frères, ce dieu que j’ai créé était œuvre faite de main humaine et folie
humaine, comme sont tous les dieux. Il n’était qu’homme, pauvre fragment d’un homme et
d’un « moi » : il sortit de mes propres cendres et de mon propre brasier, ce fantôme, et
vraiment, il ne me vint pas de l’au-delà ! Qu’arriva-t-il alors, mes frères ? Je me suis
surmonté, moi qui souffrais, j’ai porté ma propre cendre sur la montagne, j’ai inventé pour
moi une flamme plus claire. Et voici ! Le fantôme s’est éloigné de moi ! Maintenant, croire à
de pareils fantômes ce serait là pour moi une souffrance et une humiliation. C’est ainsi que je
parle aux hallucinés de l’arrière-monde. Souffrances et impuissances — voilà ce qui créa les
arrière-mondes, et cette courte folie du bonheur que seul connaît celui qui souffre le plus.
La fatigue qui d’un seul bond veut aller jusqu’à l’extrême, d’un bond mortel, cette
fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir : c’est elle qui créa tous les dieux et
tous les arrière-mondes. Croyez-m’en, mes frères ! Ce fut le corps qui désespéra du corps, —
il tâtonna des doigts de l’esprit égaré, il tâtonna le long des derniers murs. Croyez-m’en, mes
frères ! Ce fut le corps qui désespéra de la terre, — il entendit parler le ventre de l’Être.