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Lapprentissage Musical A Lere Numerique

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Université de Bourgogne – UFR Sciences humaines

Master Musicologie – Parcours Recherche

L'APPRENTISSAGE MUSICAL A L'ERE NUMERIQUE


Une réflexion sur la notion de Musique Assistée par Ordinateur

Mémoire de Master II présenté par Gabriel ROUET


Sous la direction de François RIBAC

6 Septembre 2017

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Table des matières

Introduction.........................................................................................................................................3

Chapitre I. La Musique Assistée par Ordinateur.


Ses environnements, ses pratiques et ses définitions

1. L'ordinateur musical, ses espaces et son entourage informatique.....................9


a. Les environnements musicaux de l'ordinateur..................................................................9
b. Le musicien et l'ordinateur................................................................................................20

2. Des objets et des pratiques numériques.....................................................................24


a. Les objets numériques, les logiciels.................................................................................24
b. Le logiciel de MAO, ses pratiques et ses utilisateurs.....................................................31

3. Des Musiques Assistées par Ordinateurs..................................................................45


a. Un mot pour une constellation de définitions..................................................................45
b. Des discours controversés..................................................................................................51

Chapitre II. Un apprentissage en réseau.


1. Où se situe le savoir numérisé?....................................................................................55
a. L'objet ordinateur et l'espace internet...............................................................................55
b. L'accès au savoir.................................................................................................................56
c. Les objets instructeurs........................................................................................................57

2. Les réseaux d'apprentissage...........................................................................................61


a. Les réseaux d'apprentissage humains...............................................................................61
b. Les institutions pédagogiques...........................................................................................64
c. Le musicien et ses objets instructeurs..............................................................................66

3. L'enseignement au sein de la cité par projet............................................................68


a. Le projet musical................................................................................................................68
b. Le rôle du professeur dans la cité par projet...................................................................71
c. Compétences enseignées et mode de jugement..............................................................74

Conclusion........................................................................................................................................79
Références.........................................................................................................................................84
Index des illustrations......................................................................................................................85
Lexique..............................................................................................................................................86
Annexes.............................................................................................................................................88

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Remerciements

Avant de débuter, j'aimerai adresser mes sincères remerciements aux personnes qui
m'ont aidé à produire ce travail.

Tout d'abord, je remercie toutes les personnes interviewées d'avoir été disponibles
pour mon étude et ainsi de m'avoir fourni des clefs de réflexions essentielles à ce travail.

Je remercie également mon directeur de mémoire, François Ribac, de m'avoir ouvert


à la sociologie de la musique, ce qui m'a permis d’appréhender personnellement la
musicologie selon une approche inédite.

Enfin j'aimerais remercier Marie-Hélène Gillard et Gaëlle Costa-Elias, qui ont pris le
temps de feuilleter les ébauches de ce mémoire.

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Introduction
Questionner mes pratiques, en tant que musicien électronique, et la manière dont j'ai acquis mes
compétences musicales a posé les fondements des réflexions proposées au sein de ce mémoire. En
effet, les institutions, les collectifs, les groupes amicaux et musicaux que j'ai traversés ainsi que
toutes mes errances numériques individuelles connectées, ou non, ont formé, aussi bien
artistiquement que techniquement, le musicien que je suis maintenant. C'est ce processus
d'élaboration, comme participant actif, de réseaux d'apprentissage que je souhaite étudier. Notons
que les limites de ces questionnements sont posées par un cadre strict, celui du concept de MAO,
dont l'étude constitue l'intégralité de la première partie de ce mémoire, tant ce concept semble
source de controverses tout en rassemblant différentes pratiques musicales. Mais c'est en
comprenant comment la MAO fédère des gens très différents, en intégrant des outils et techniques
très diverses, que l'on sera amené à comprendre comment ces réseaux, constitués d'ensembles
d'individus, d'espaces et de machines, sont facteurs d'apprentissage. Pourquoi alors ne pas plutôt
parler de pédagogie musicale ? D'autant plus que mes études de terrain ont été réalisées au sein
d'une école. Le terme, que l'on peut définir comme l'art de l'éducation et donc de la transmission
d'un savoir ou d'une compétence d'un professeur à un élève, ne me semblait pas témoigner
correctement de la constitution du savoir des élèves et des témoignages des professeurs observés.
Nous examinerons comment les multiples processus d'apprentissage se mettent en place,
notamment lorsqu'ils sont encadrés pédagogiquement. J'ai également défini le contexte spatio-
temporel d'étude, dans mon titre, par l'ère numérique. J'emploie ce terme, comme l'époque et le lieu
de mon enquête, à un moment où les matériaux numériques ont été banalisés, naturalisés et
réappropriés par ses utilisateurs. Ce même moment où la quasi intégralité de la musique enregistrée,
matériel basal des cultures étudiées ici, est stockée et écoutée sur un support numérique. Ensuite, le
concept de l'ère post-internet qui “n’est évidemment pas un temps postérieur à Internet” 1 me
semblait cadrer pertinemment nos rapports et usages de ce média. Alors même que les logiciels de
musique sont basés à partir d'affordances numériques2, ce concept que l'on qualifie également
d'internet-aware3, qui “insinue en fait qu’Internet est devenu une réalité intrinsèquement liée à nos
vies”4, incarne la manière dont les utilisateurs se construisent par rapport à leurs objets numériques.
Cependant, j'ai fait le choix de conserver le terme ère numérique à cause du caractère flou de
l'expression post-internet qui ne signifie pas ce qu'il veut dire étymologiquement (une époque après
internet) tout en vous présentant une idée relative à l'époque de ces recherches, la banalisation de
l'ordinateur et d'internet. Dans un tel contexte, la première problématique est de comprendre
comment un savoir-faire musical, et informatique, est intégré.

Comment un apprentissage, que l'on peut également exercer hors d'une structure pédagogique,
se met en place dans un conservatoire à l'ère numérique ?
Comment développe-t-on une compétence ?

Pour les musiciens interviewés, l’ordinateur devient support de communication et de partage,


notamment de savoir et savoir-faire, l'objet détenteur du son, le support de lecture, l'outil de
création, et bien sûr, l'instrument de musique. Cet objet est maintenant inter-connecté, on observera
que les élèves ont accès à un nombre de ressources considérables et que les logiciels sont
intrinsèquement instructeurs. Dans des classes où les ordinateurs semblent être au centre des
pratiques musicales, on peut se demander comment ils impactent la relation pédagogique. En effet,
au delà d'internet, le support numérique induit en lui même, par son organisation et son histoire, ses
1 http://www.myartmakers.com/le-mag/post-internet/, consulté le 1er mai 2017
2 Strachan, Robert, “Affordances, stations audionumériques et créativité musicale”, Réseaux, Volume 172, n°2, 2012,
pp 120-143.
3 Aleksandra Domanović and Oliver Laric in conversation with Caitlin Jones, page 114 , MASS EFFECT, Art And
The Internet In The Twenty First Century

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propres conceptions. Dans son article Affordances, stations audionumériques et créativité
musicale4, Robert Strachan explique que les utilisations de nos logiciels sont basées à partir
d'affordances, des points d'ancrages, spécifiquement numériques. Cela impacte nos manières
d'envisager les outils analogiques traditionnels intégrés par l'ordinateur et redéfinit le travail du
musicien. L'artiste développe des sensibilités et capacités sonores en lien avec la technologie qui
permet de contrôler le son. En effet, la différence basale technologique, modifiant l'expérience
musicale, me semble être l'origine des critiques musicales vis à vis de l'ordinateur perpétrées par
certains musiciens5. Une question pour ce mémoire est de se demander comment les professeurs
négocient ce glissement de perspective à l'entrée au conservatoire? Imaginez ce que serait la
musique électronique d'aujourd'hui sans la fonction copier-coller, les fonctions graphiques et toutes
les possibilités de feedbacks visuels liées aux logiciels numériques. L'ergonomie et les
fonctionnalités de nos logiciels prescrivent des expériences sonores et des temporalités particulières.
Le numérique semble être une nouvelle manière de jouer des sons analogiques. Il faut cependant
relativiser cela, tant les logiciels calquent des pratiques analogiques déjà bien ancrées, comme
l'usage des synthétiseurs analogiques ou des samples. C'est la manière dont les professeurs
négocient leurs pédagogies devant les différents réseaux d'apprentissage alternatifs, proposés par la
machine, que j'aimerai étudier.
Comment ce nouvel acteur, la machine, semble affecter la relation entre le professeur et l'élève ?
Comment le pédagogue se définit-il face à cet univers numérique ?

En connectant ce mémoire à celui que j'ai effectué l'année dernière, traitant d'un style de musique
évoluant en ligne, j'ai étudié les composantes matérielles et spatiales de l'environnement numérique.
Le but étant de comprendre comment ces réseaux forment le musicien, notamment en étudiant le
concept de projet dirigé par les professeurs. La deuxième problématique est de questionner la nature
des compétences et savoirs des élèves. Je développerai une première partie sur l'étude des pratiques
et des controverses tapies sous le terme Musique Assistée par Ordinateur, que j’abrégerai par sa
dénomination populaire MAO tout au long de ce mémoire. Je me suis alors posé une question
simple appelant des réponses complexes et contradictoires lorsqu'on la confronte à la vision et aux
pratiques de chacun.
Qu'est ce que la Musique Assistée par Ordinateur?

J'ai étudié les espaces constituant l'environnement de ces pratiques, autant physiques qu'inscrits
dans l’ordinateur lui-même, les objets et les pratiques numériques de ces utilisateurs, ainsi que leurs
propres définitions de ce qu'ils nomment MAO. Ma finalité était de mettre en évidence les concepts
importants que forment cette constellation de définitions.

Méthodologie

Pour ce faire, j'ai construit une enquête, centrée sur les trois ensembles constituant le pôle son du
Conservatoire à Rayonnement Régionale de Chalon-sur-Saône : la classe de musique
Électroacoustique, celle de préparation aux grandes écoles de son et celle de Musiques Actuelles
Amplifiées, que j'ai intégrée ces six dernières années. Ce terrain était idéal pour mes recherches, il
regroupait des usages différents, mais comparables, de cet outil dans une structure pédagogique
familière. C'est d'abord par l'observation que j'ai été amené à comprendre les pratiques de chacune

4 Strachan, Robert, “Affordances, stations audionumériques et créativité musicale”, Réseaux, Volume 172, n°2, 2012,
pp 120-143.
5 Lors de mon voyage Erasmus à Chypre. J'ai tenté d'expliquer mes pratiques musicales numériques à mon professeur
d'harmonie jazz et d'analyse rythmique à l'université de Nicosie qui me répliqua que « computer music has no soul
». Après de nombreuses conversations, nos points de désaccords et notre respect mutuel furent les fondements de
notre relation amicale.

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de ces classes. C'est en participant à différents cours pratiques et théoriques, notamment
d'électroacoustique et de Musiques Actuelles Amplifiées, liés à mon cursus et à des expériences en
rapport avec la MAO, en ayant été enregistré à plusieurs reprises par la classe de son, qu'à travers
les échanges verbaux avec les élèves et les professeurs, mes réflexions ont été enclenchées.
Observer ces espaces et individus, c'est aussi se rendre compte de l'agencement du studio dans
chacune des classes, afin de comprendre les diversités que cette pratique peut recouvrir. A propos
du studio d'enregistrement, j'évoquerai quelques observations réalisées au sein d'un studio dijonnais
lors de mon stage universitaire. Mon idée était de confronter les conceptions d'un même objet
regroupant diverses pratiques, le logiciel de MAO. Mon intégration à la classe de Musiques
Actuelles Amplifiées m'a permis d'observer ces milieux sans les influencer, les individus n'étant pas
forcément au fait ou au courant de mes recherches lors des cours. Cependant, cela expose mes
recherches à de potentiels biais de confirmation. C'est également pour cela que parfois mes études
se concentreront sur les Musiques Actuelles Amplifiées.

Les simples observations n'étaient néanmoins pas suffisantes pour comprendre en profondeur les
usages et définitions de cet outil ainsi que les portes d'entrées des sujets dans chacun de ces mondes.
J'ai donc effectué des entretiens individuels, d'environ deux heures, avec cinq professeurs et neuf
élèves, divisés en quatre parties concernant leur parcours personnel, leur conception et appréhension
de la MAO, une démonstration de leur pratique de cet outil et enfin leurs parcours et réflexions
pédagogiques par rapport à cet objet. La grille d'entretien utilisée durant ces entretiens se trouve en
annexe. Le fait d'interwiewer les deux facettes hiérarchiques de la pédagogie a permis
d'appréhender comment les élèves négociaient la manière dont les professeurs tentaient d'organiser
leurs apprentissages. Afin de respecter les personnes interviewées, qui ont partagé avec moi des
événements parfois personnels, les sujets seront présentés anonymement à travers différents
pseudonymes. Pour la transcription de ces entretiens, j'ai voulu conserver l'oralité des conversations
en décrivant les moments d'hésitations et de ponctuations. La majeure partie des problématiques de
ce mémoire est organisée sur la confrontation de verbatim issus de ces entretiens.

N'étant pas le but de ce mémoire, les pratiques de ce que l'on appelle MAO ne seront pas présentées
exhaustivement. On pourrait également parler de MAO dans des filières jazz ou classique, avec les
éditeurs de partition ou la création de fonds musicaux à partir d'une grille pour improviser. Mais ce
mémoire présentera la MAO au sens des ingénieurs du son, des musiciens de musiques actuelles et
des électroacousticiens, dans le but de montrer comment un savoir-faire peut se constituer
aujourd'hui au sein d'une institution. Les pratiques de la MAO présentées ici ne seront également
pas complètes, tant le conservatoire n'intègre pas tous les usages de cet outil, le mémoire étant
limité à une unique structure d'apprentissage. La limite de ce mémoire est imposée par mon terrain,
le pôle son du Conservatoire à Rayonnement Régional de Chalon-sur-Saône.

L'aide bibliographique

Les rôles des ouvrages rassemblés pour ce mémoire sont divers. D'abord, j'ai voulu compléter ma
culture des histoires des pratiques et musiques observées. Mes connaissances étaient constituées
jusque là par mes écoutes personnelles, les discussions avec mes pairs ou mes professeurs, les cours
au sein de l'Université de Bourgogne et des conservatoires, ainsi que par la réalisation de mon
mémoire de master 1 traitant de la vaporwave, une musique électronique provenant d'internet. Les
livres Electrochoc de Laurent Garnier et Rap, techno, électro.... Le musicien entre travail artistique
et critique sociale de Morgan Jouvenet, notamment, m'ont permis d'envisager la culture
électronique et hip hop de différentes manières, en comprenant l'émergence de ces nouvelles
musiques. Le deuxième ouvrage m'a permis de comprendre les pratiques du musicien de musiques
actuelles, notamment par la notion de projet, que j'ai voulu confronter à celles de réseau et de cité

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par projet (voir Lexique) issues du livre Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Ève
Chiapello. Comme le livre explique la notion de grand dans une telle cité, le propos de Morgan
Jouvenet m'a fait envisager plus en détail la représentation d'un bon musicien de musiques actuelles
amplifiées aujourd'hui, même si je suis forcé de constater que les pratiques musicales ont quelque
peu changé aujourd'hui, notamment avec la banalisation des équipements numériques et internet.
De plus, la lecture d'articles universitaires m'a permis de réfléchir sur la notion d'objet, d'action et
d'utilisateurs en m'initiant aux concepts d'affordance et d'objet frontière. J'ai voulu confronter ces
idées aux objets numériques constituant l'ordinateur, les logiciels. Je vous renvoie à mes références
bibliographiques pour plus de détails sur ces sources, que j'invoquerai par la suite. Pour finir, une
partie de mes réflexions pédagogiques provient des livres Le maître ignorant et La petite poucette
de, respectivement, Jacques Rancière et Michel Serres. Ces lectures m'ont permis d'approfondir
l'étude des rapports entre professeurs et élèves tout en comprenant comment un monde numérique,
avec ses nouveaux supports de savoir, pouvait impacter les pratiques pédagogiques.

La Musique Assistée par Ordinateur en 2017

Avant de débuter, j'aimerai introduire le lecteur non-initié de ce mémoire à la notion de Musique


Assistée par Ordinateur. La MAO regroupe un ensemble de pratiques musicales comprenant l'outil
ordinateur. Un définition ouverte regrouperait également les usages lorsque l'ordinateur n'est pas
générateur de sons, lorsqu'il contrôle un environnement, ou lorsqu'il est juste diffuseur de son. Le
terme est parfois confronté avec ses cousins CAO, pour « Conception Assistée par Ordinateur », et
CMO, pour « Composition musicale par ordinateur ». Le terme semble provenir d'une typologie
informatique française, comme il y a des logiciels de DAO, pour Dessin Assisté par Ordinateur, et
n'a pas vraiment d'équivalent direct pour les anglophones, qui semblent favoriser le terme computer
music pour désigner ces pratiques. On s'intéressera aux définitions de ce terme faites par les
musiciens d'aujourd'hui. Celui-ci tend à évoluer suivant les changements technologiques et
pratiques liés à l'ordinateur.

Pour pratiquer la MAO, en plus de l'ordinateur, l'utilisateur a besoin d'une station audionumérique
appelé DAW, acronyme anglais pour Digital Audio Workstation, que les musiciens francophones
nomment également logiciel de MAO. Il en existe de nombreux souvent prescrits pour des pratiques
plus ou moins spécifiques, mais disposant globalement des même fonctionnalités de base, à savoir
l'enregistrement, le traitement audio, et le contrôle instrumental, virtuel ou hardware, via le langage
MIDI (cf. Lexique). J'ai effectué un schéma regroupant les pratiques des classes, avec les logiciels
associés, en essayant de faire paraître les frontières entre chacune de ces pratiques (cf. Annexe 1).
Afin de guider le lecteur, ce mémoire sera illustré de captures d'écran réalisées lors des interviews.
A travers mes entretiens, on constate que l’ordinateur a intégré les outils des musiciens jouant des
musiques enregistrées, en utilisant des samples de musiques préexistantes comme outils de création,
et les technologies chargées de l'enregistrement musical. En effet, les différents studios sont
maintenant construits autour des DAW, l'ordinateur étant devenu le nouveau magnétophone. Pour le
musicien, l'accès à internet multiplie les sources sonores potentielles. Le logiciel de MAO est
devenu l'outil principal du producteur de hip hop, de l'électroniste - terme emprunté à Morgan
Jouvenet représentant les musiciens électroniques issues des pratiques populaires - et du technicien
chargé de l'enregistrement musical. Ces mêmes objets sont suffisamment flexibles et robustes pour
intégrer toutes ces pratiques.

Celles-ci sont inscrites dans un environnement numérique, et sont influencées par ses technologies.
La banalisation des équipements informatiques et du réseau mondial qu'a permis internet donne la
possibilité à de nombreuses personnes de se procurer ces outils, y compris gratuitement via des
logiciels libres ou pirates. Ces objets sont ensuite expliqués à chacun via les réseaux sociaux,

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virtuels ou physiques, des tutoriels mis en ligne en grande partie sur la plate-forme Youtube, et,
nous l’étudierons, sont même intrinsèquement instructeurs. Le web devient un lieu de partage de
savoirs, de compétences et d'outils. Le musicien constituera donc son instrument au travers de la
construction de son propre Home Studio, qu'il pourra adapter sur scène pour jouer sa musique. La
toute première partie de ce mémoire détaillera également les espaces physiques par lesquels les
pratiques de la MAO se font, notamment en montrant comment l’ordinateur s'intègre au sein des
différents studios.

Annonce du plan

D'abord, j'aimerai consacrer ma première partie à l'étude des environnements, des pratiques et des
objets constituant le monde de la MAO révélé au sein de mon terrain. Le but est de comprendre
l'ensemble des pratiques sous entendues sous cette appellation ainsi que la manière dont cet objet
réussit à aborder ces ensembles de définitions, parfois contradictoires. Ensuite, la deuxième partie
sera consacrée à l'étude de la construction d'une compétence, en étudiant les différents réseaux
d'apprentissage permettant leur intégration. On étudiera comment les professeurs permettent ces
intégrations en abandonnant leur statut de transmetteur pour instaurer une cité par projet, une notion
issue des travaux de Boltanski.

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Chapitre I. La Musique Assistée par Ordinateur.
Ses environnements, ses pratiques et ses définitions

1. L'ordinateur musical, ses espaces et son entourage numérique


a. Les environnements musicaux de l'ordinateur
Lorsque j'ai questionné les musiciens sur leurs environnements de travail, l'ordinateur adoptait
fréquemment une position centrale.
Pierre : « Heu bon le nodal bien sûr aujourd'hui, c'est l'ordinateur lui même. »

Mais comment cet objet est-il utilisé ? Comment se fond t-il dans des environnements, des objets et
des pratiques variées ? Au sein de cette partie, j'aimerai étudier et comparer les trois types de studio
construits autour de l'ordinateur, le Home Studio, le mobile-Home Studio et le studio
d'enregistrement.

- Le Home Studio

Le Home Studio semble être un environnement ancré dans le monde musical, notamment si l'on
observe toutes les publicités et tutoriels qui lui sont associés, à priori ouvert à tous depuis la
banalisation des équipements informatiques. Mais si l'on questionne ses composantes, la définition
de cette pratique semble floue. A priori, le Home Studio se définit comme la construction de son
propre studio, chez soi. Mais étudions les caractéristiques nécessaires et suffisantes pour qualifier
un lieu de Home Studio. D'abord, cela semble dépendre de la maîtrise du temps de studio :

Théo : « C'est vraiment aussi un temps quoi, ce qui est génial avec le Home Studio, c'est qu'on est pas
dépendant heuu on doit pas enregistrer tout à un moment spécial quoi, fixé par des dates ou un truc
comme ça, ça dépend de ton état à toi et tu peux le faire. »

Il faut être possesseur des objets de son studio. D'ailleurs, les qualités de son matériel vont
participer grandement à la définition de son propos musical. Le terme qualité est défini ici non en
terme de prix mais de couleurs. En parlant de ses prises de son faites en vacance de manière non
professionnelles ou préméditées, Théo explique que :

Théo : « Ben même de faire ça dans les bons moments mais avec des bons outils, ma voix ça serait
juste dégueulasse, ma voix on entendrait que je chante mal et puis même le morceau ne tiendrait pas
debout en fait. »

L’intérêt du Home Studio est d'abord de s'approprier le temps et les outils du studio, mais il manque
un élément à l'équation car le son ne s’arrête pas à l'ordinateur, il se propage dans son espace
personnel. Pour reprendre des écrits issus du Oxford Handbook of Virtuality :
“sound exist not behind a wall (virtual or otherwise), but penetrates our physical space : it is
simultaneously in the diegesis of the world, but also in our own space. In this way, it always serves as a
mediator between the virtual and the real.”6

L'acoustique de sa pièce est-elle un élément constitutif d'un Home Studio ?

Théo : « Pour moi ça devient un peu officiel à partir du moment où il y a un vrai point d'écoute où on peut
travailler et s'approprier un peu l'espace du studio aussi. […] Le fait d'avoir son point d'écoute dans sa
pièce avec son acoustique et tout ça je pense que c'est un peu le moment où je me dirais que j'ai un
Home Studio.»

6 Grimshaw, Mark, The Oxford Handbook of Virtuality, Oxford Handbooks, 2014, p354

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L'environnement du Home Studio se crée dans la construction de son point d'écoute personnel, à la
confrontation de la spécificité de ses haut-parleurs et de l'acoustique de la pièce dédiée, ou non, au
travail musical. Un Home Studio semble donc être un environnement personnel où l'on a le
contrôle sur son temps et les objets constitutifs de ce point d'écoute apprivoisé.

Quentin : « Mais ce qui est vraiment bien avec le Home Studio c'est que c'est ton son et que tu sais d'où
tu viens et où tu vas, tu connais ton environnement. »

Mais un ordinateur n'est-il pas un studio en soi ? Est-ce un Home Studio ? En effet, on a la maîtrise
de ses objets numériques, de son temps et de son environnement informatique propre. Mais s'il
manque l'environnement acoustique et les enceintes pour fixer ce point d'écoute, on ne semble plus
parler de Home Studio.
« Quentin : Parce que là mon Home Studio au final, c'est ce que je trimbale tout le temps avec moi, c'est
pas vraiment home quoi. »

Comment peut-on alors nommer cela ? Comment qualifier cette pratique, pourtant commune, non-
nommée ?

- Le Mobile-Home Studio

L'idée du studio portable n'est pas nouvelle mais remise à neuf. Déjà les publicités de Tascam, avec
s o n TEAC 144 portastudio en 19797, insistait sur le caractère portable de la machine. Il faut
envisager le mobile-Home Studio comme une pratique consécutive de l'intégration des objets du
studio dans les ordinateurs portables.

Julia : « Moi dans mon boulot, là je vais bosser une semaine à Clermont, je fais une semaine par ci, une
semaine par là, j'ai quand même mon petit environnement qu'est là dedans quoi, du coup t'as tes
repères car tu bosses beaucoup à travers ton ordi de toute manière. Là c'est pas que propre au son. »

Julia insiste sur le fait que l'ordinateur permet de créer son propre petit environnement portable. Est-
on encore vraiment chez soi si l'on se déplace constamment ? Ce studio peut-il encore être qualifié
de Home ? Pour Julia, électroacousticienne :

Julia : « Chez toi c'est partout quoi. Tu te re-crées des bulles un peu partout quoi. [...] Bah ouais mais en
fait une maison ça peut être mobile, une habitation, home c'est au delà, c'est pas house, c'est au delà
c'est chez soi, donc heuu les manouches heuu *rire* enfin tu vois, on est des manouches quoi. »

Qu'est ce que c'est d'être à la maison ? Si l'on prend l'exemple de Patrick « Après je travaille assez
peu à la maison au final, tous les jours le matos change. », il n'a pas de maison dédiée à la MAO car
il travaille toujours sur un matériel ne lui appartenant pas. Le studio mobile permet aux musiciens
de déplacer leur environnement numérique personnel et de l'adapter aux lieux qu'ils souhaitent
réinvestir, de son lit au studio collectif en passant par les transports en communs.

Georges : « Là c'est le truc que je trouve génial, tu prends le train t'as ton ordi, tu fais de la musique, je
trouve ça génial. »

Comment différencier alors son studio mobile non connecté et un Home Studio? La différence
majeure est l'appropriation de son point d'écoute, le mobile Home Studio ne permet qu'un type
d'écoute connu, le casque. Sinon, il doit s'adapter à l'environnement qu'il côtoie, toujours nouveau à

7 https://reverb.com/news/the-tascam-portastudio-through-the-ages, consulté le 10 août 2017


http://museumofmagneticsoundrecording.org/ManufacturersTeacTascam2.html, consulté le 10 août 2017

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travers un autre studio, des enceintes hi-fi ou ses enceintes intégrées, non dédiées à la pratique du
musicien. De plus, dans des environnements où les musiciens ne sont souvent pas autorisés à
produire du son, comme les transports en commun ou les salles d'attente, l'usage du casque devient
l'unique moyen d'accéder au son. La caractéristique home semble donc être conservée, mais comme
un élément mobile. L'environnement personnel transportable se fond dans l'environnement
disponible. C'est la liaison de ces deux éléments qui régit l'expérience de l'utilisateur. On peut alors
se demander ce que peut permettre la pratique du mobile-Home Studio, où le point d'écoute
personnel se trouve collé aux oreilles de l'utilisateur?

Quentin : « Là pour le montage par exemple, j'étais juste avec mon ordi et mon casque. Pour le
montage, il n'y a pas besoin d'avoir enfin on s'en fiche un peu du son, il faut juste que le son des points
de montage ne soit pas trop moche mais du coup j'ai pas besoin d'avoir une grosse interface. »

En effet, les pratiques ne nécessitant pas un point d'écoute acoustique de qualité conviennent à un
dispositif comme celui ci. Ainsi, les musiciens peuvent recréer leur bulle pour composer un peu où
ils veulent, peu importe le système de sonorisation.

Marc : « Je compose de la musique avec mon ordi assis sur mon lit, j'ai pas de carte son, je n'ai qu'un
casque (seihneiser). »

Léopold : « Le plus souvent, quand je compose, je le fais dans mon lit, tranquille au casque ou dans le
salon, dans le train aussi, je le fais un peu n'importe où. J'ai mon ordi et mon casque quoi. »

Au delà, cela impose de nouvelles contraintes aux musiciens, et donc modifie considérablement le
processus de création. Par exemple, le fait de ne pas avoir de clavier MIDI à disposition impose à
Léopold de changer de logiciel et ouvre Théo sur les possibilités d'utilisations de son clavier
d'ordinateur comme contrôleur. Cela modifie leurs pratiques par contrainte.

Théo : « je joue des touches de mon ordi quand je n'ai pas de clavier, même quand j'en ai un en même
temps, j'aime bien jouer avec les touches de mon clavier. »

Léopold : « Là sur Logic j'ai un projet où je teste des sons, car Usine est moins fait pour le MIDI. Ou
alors on est obligé d'avoir un clavier pour ça et vu que je suis toujours un peu partout, je n'ai pas mon
clavier donc je le fais avec Logic. »

Alors que le studio est devenu portable, les objets du studio ont, logiquement, fait de même. Par
exemple, Théo adore se munir d'un enregistreur, parfois même de son téléphone, objet intégrant le
microphone, le magnétophone, le synthétiseur et le séquenceur, pour enregistrer des sons à
l'extérieur du studio.

Théo : « J'ai fait tout ça, et je continue de le faire genre tu vois en vacances, tout le temps à l'arrache, un
truc assez lo-fi (cf. lexique). En fait, [...] Je garde tout le temps les prises, je ne les refais jamais. Et je
sais que ça ne marchera jamais de les refaire. »

Cette contrainte apporte une personnalité à son projet dont il ne veut pas se dégager. Comme on l'a
vu avec le TASCAM, la prise de son extérieure n'est pas une nouveauté du numérique. Mais devenu
abordable et inscrite dans nos objets du quotidien, cette pratique est devenue commune et fait
parfois partie intégrante du processus de création musicale. L'interaction avec l'environnement
physique peut donc devenir source de création sonore. Les transports en commun, notamment,
semblent être un lieu que les musiciens apprécient particulièrement.

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Julia : « Nan nan, en fait il y a un environnement que j'adore, mais maintenant que j'ai une voiture je ne
le fais plus, c'était le train quoi. [...] Ouais ouais j'aimais bien bosser dans le train, ça c'était un gros gros
kiff quoi, faire du son dans le train c'était trop bien. […] Nan parce que la plupart de mes
enregistrements, je les ai fait à la base, pendant mes voyages, et beaucoup de voyages en train en fait.
C'est vraiment un mini laboratoire car c'est un concentré de personnes qu'ont que ça à faire de rester
deux heures le cul sur un fauteuil et d'attendre heuu d'arriver à destination donc heu ça crée plein de
trucs, c'est trop bien. »

Pour arriver à ses fins, Julia met en œuvre des stratégies d'enregistrements.
Julia : « J'avais enregistré un militaire, je me souviens, qui était à côté de moi et c'est génial parce-que
l'objet dictaphone est très peu connu en fait, tu vas mettre un dictaphone ici à quelqu'un il ne va rien
capter et lui je l'avais mis sous sa gueule quoi, bah en fait il y avait les deux tablettes et du coup je l'ai
mis comme ça, je mettais toujours bien mon portable à côté pour qu'il fasse le lien "ok c'est un truc dont
elle se sert pour autre chose que m'enregistrer", bref stratégie. »

Interagissant différemment avec son environnement, le musicien peut envisager l’enregistrement


sonore d'autres manières :

Julia : « Et du coup je l'ai enregistré, donc sa conversation, c'était heuu il parlait hyper fort, tous les trucs
qui me dérangeaient dans la vie, c'était une manière de me les réapproprier. Le bruit du métro, quand tu
le prends heu je ne sais pas combien de fois par jour pour aller au même endroit, tu pètes les plomb au
bout d'un moment, et tu te dis comment je vais faire avec les sons de mon quotidien pour me tripper. Il y
a un truc intrusif ; enfin quand j'avais l'impression d'être intrusive, je vais demander, mais quand c'est un
truc au lieu de lui dire ta gueule dégage vas à ta plate-forme téléphonique de merde, du coup j'étais là
rien à foutre je l'enregistre à son insu, j'en ai rien à branler. Et puis ça va être juste de la matière, je ne
vais pas le mettre sur Youtube ou je ne sais quoi, je ne lui veux pas de mal à ce mec là en fait, c'est
juste des intonations de voix, des moments qui me font marrer en fait. J'enregistrais les conversations
des gens. Et suivant les voix des gens et les conversations, je ne vais pas enregistrer une conversation
lambda. C'est soit un truc qui m'énerve, soit genre putain quelle voix de ouf, ou ouah quelle intonation de
ouf, ou putain il dit vraiment de la merde, c'est hyper drôle donc j'enregistre quoi, ou ça pouvait être des
bruits récurrents du train, tu vois un je ne sais pas, un rythme en fait, d'un truc qui bouge parce qu’il est
mal fixé ou les bruits de pression des portes aussi ça c'est assez ouf, il y a des milliards de trucs à
enregistrer quoi. »

La MAO, pour reprendre les mot de Georges, « c'est ton outil d'indépendance ». L'objet ordinateur
est perçu comme un objet personnel, propice à développer ses propres projets, notion pédagogique
centrale pour les professeurs, dans son coin, a priori libéré de toutes contraintes esthétiques.

Georges : « parce que quand t'as ton ordi, ça veut dire que à tout moment t'es capable de coucher des
idées, de mettre en place des idées, d'inventer donc c'est l’outil qu'on a tout le temps quasiment, je veux
dire tu voyages tu prends le train, t'emmènes ton ordi. »

Julia : « Sinon bah oui , avec ton laptop, tu bosses à ton bureau, dans ton lit, heuu, un peu partout quoi
en fait. Je n'ai jamais eu de Home Studio. Après je m'adapte, et je crois que j'aime bien changer
d'environnement en fait. Là à la méandre [un collectif artistique chalonnais], on a un petit studio de son
en bas, donc il y a un côté pratique quand j'ai vraiment envie de faire des écoutes sur des supers
enceintes, même au conservatoire, je me prends une demi-journée, une journée où je veux bosser du
son, je sais que je vais faire ça, et que j'ai un environnement un peu parfait pour avoir une super écoute
et tout ça, mais j'aime bien aussi l'idée d'être mobile dans l'environnement de travail. Après on a la
possibilité de le faire avec ça. »

Au delà de ça, le développement d'outils de MAO sur les tablettes numériques ainsi que sur les
téléphones offrent aux musiciens de nouvelles pratiques, parfois liées à un usage récréatif.

Tom : « j'utilise parfois mon Ipad, DM-1 en boîte à rythme, pour m'amuser dans le train, des applications
iPad heuu heuu de synthés tactiles qui me plaisent bien. »

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Contrainte par le temps, l'espace et l'environnement social, la pratique du mobile-Home Studio
permet de développer une autre approche du son, influençant le processus de création et les
expériences récréatives que l'on peut avoir. Il permet également d'adapter son projet musical à
différents environnements, donnant notamment la possibilité aux élèves de présenter leurs projets
personnels. Cependant certaines pratiques musicales restent dépendantes du Home Studio.

Léopold : « Pour tout ce qui est mixage et tout, je me pose vraiment sur mon bureau devant mes
monitoring [Enceintes dédiées à la production musicale], je fais ça dans ma chambre toujours. »

Ensuite, le lieu du studio d'enregistrement, demandant d'autres techniques et d'autres objets, semble
être toujours nécessaire pour le technicien.

- Le studio d'enregistrement

La question posée ici est de se demander le rôle de l'ingénieur son chargé de l'enregistrement
musical alors qu'il utilise le même objet central que certains musiciens, en posant les spécificités
d'un studio d'enregistrement. Tout au long de mon stage universitaire au sein d'un studio
d'enregistrement dijonnais, j'ai assisté à chaque étape du processus de création d'un enregistrement.
De la prise de son au mastering [étape finale de la production musicale], j'ai observé comment
l'ingénieur du son organisait et gérait sa structure en fonction des techniques d'enregistrements
utilisées. Mais rétrospectivement, ce sont les expériences humaines du studio qui m'étaient
inconnues. Étant musicien de musique électronique, le studio, avec ses techniques et technologies,
est un environnement qui m'est familier. En ce qui concerne mon projet électronique solo par
exemple, le Home Studio est mon lieu principal de travail. Ces pratiques musicales, essentiellement
créatrices, m'ont permis d'appréhender les technologies du studio d'enregistrement. Cependant,
pratiquer la création et l'enregistrement, malgré un environnement et des procédés similaires, sont
deux travaux singuliers. Je n'ai évidement pas la même maîtrise de l'enregistrement que l'ingénieur
du son. C'est un domaine que j'ai quasiment découvert, notamment en ce qui concerne la prise de
son. Pour émerger, ces savoirs faire ont besoin d'être cultivés pendant des années au sein d'un même
environnement. Tous les exemples cités ci-dessous sont issus de situations vécues lors du stage.
D'abord, j'ai rapidement observé l'importance de connaître, autant culturellement que musicalement,
la musique que l'on enregistre. Par exemple, il faut connaître l'organologie, ou au moins les usages
et techniques, des instruments enregistrés. Face à un batteur de blues-rock, Bastien, l'ingénieur son
du studio, savait comment indiquer au musicien d'adapter sa technique de frappe et le réglage de ses
fûts en fonction de ses désirs. En effet, connaître les techniques de jeux associées au style enregistré
est essentiel. Par exemple, en enregistrant un chanteur, il faut savoir s'adapter rapidement à sa
manière de chanter, et utiliser les technologies associées pour obtenir une prise adaptée au style
enregistré. De plus, l'ingénieur du son tente de réguler les imprécisions musicales, autant au niveau
de la justesse que du groove ou du réglage de la pédale d'effet du guitariste. De cette manière,
l'ingénieur du son propose un feedback direct aux groupes qu'il enregistre. A la manière d'un chef
d'orchestre, il se doit de posséder des bases musicales, culturelles et des techniques adaptées à
chaque style enregistré afin de produire un disque fini fidèle à l'envie des musiciens. En prolongeant
cette comparaison, l'ingénieur du son doit également être capable de communiquer avec les
musiciens. Sous la demande d'un son « plus chaud et rond » de la part du guitariste lead d'un groupe
de blues-rock, Bastien ajuste son compresseur WA76 Limiting Amplifier, de la marque Warm
Audio, en conséquence, directement relié au logiciel Cubase sur son ordinateur. Ne serait-ce que
pour comprendre les envies des musiciens, il faut maîtriser leur vocabulaire et savoir le traduire
d'un monde à l'autre. Lors d'une pause entre midi et deux, Bastien me confia que, pour lui :
Bastien : « le boulot de l'ingé-son, c'est d'être interprète et traducteur. »

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Voilà le rôle de traducteur expliqué précédemment, qu'en est-il de celui d'interprète ? Enregistrer
quelqu'un, c'est aussi intégrer un regard esthétique sur l'objet créé. Déjà avant la prise, prendre la
décision d’enregistrer en re-recording ou en prise live impacte considérablement la nature du rendu
final. La technique d'enregistrement impose des choix esthétiques et techniques. Ensuite, à la prise,
le choix de la pièce utilisée, des micros et de leur positionnement modifiera le grain des
enregistrements. Lors du montage, la manière de rythmer les fades instrumentaux ou de corriger les
éventuelles erreurs sont des partis pris esthétiques. Au mixage, pour Bastien, il est essentiel de se
demander « Qu'est ce qu'ils vont écouter ? ». Cela lui permet de guider son oreille et de se créer
différents plans d'écoute, correspondant à l'écoute de chaque musicien et d'un public extérieur. Par
exemple, en revenant sur un précédent mixage, il préféra le salir un peu pour avoir un rendu qui
correspondait plus à l'idée d'authenticité que se faisait le groupe. Lors du mastering, réguler la
sonie, le niveau de compression dynamique, est nécessaire pour convenir aux écoutes externes et
aux productions contemporaines. Cette étape permet également de poser une empreinte sonore sur
le rendu final. Les choix esthétiques et techniques dépendent aussi du style associé, et de ces
éventuelles conditions d'écoute. Pour Allan Ryan et ses chansons, Bastien choisit de réguler le
niveau de ces morceaux uniquement par rapport à la voix. Mais en ce qui concerne le groupe
empreint de blues de Chicago vintage, il les charma en masterisant l'album sur son vieux ReVox à
bande magnétique. À chaque étape de la création du disque, comme un interprète classique,
l'ingénieur du son tente de sublimer l'essence de la musique en la fixant à sa manière sur un support.
Il impose alors ses choix artistiques, à travers l'ensemble de ses articulations. Au delà de la
musique, Bastien a même invoqué des propositions concernant la pochette d'album, en participant
lui aussi aux débats au sein du groupe. En s’immisçant comme un intermédiaire entre le groupe et
leur musique, l'ingénieur du son doit développer des capacités relationnelles propices au bon
déroulement de la séance d’enregistrement. La manière dont Bastien se positionne socialement dans
son environnement va permettre d'instaurer différents climats de travail. Lorsque l'on dirige une
session d'enregistrement, il faut savoir instaurer une dynamique de travail et de confiance. Bastien
me confia que :
Bastien : « Il est essentiel de bien cerner où se place le curseur de perfection des musiciens enregistrés
tout en captant leurs limites techniques, esthétiques et psychologiques. »
Sous l’exercice, parfois intense et stressant, de l'enregistrement, il faut adopter un tempérament
adapté afin d'insuffler la motivation et l’énergie aux musiciens. Par exemple, il faut sentir s'il est
pertinent de refaire une prise ou non, de proposer une pause aux musiciens ou de les motiver à
continuer. Bastien profite également de son invisibilité en régie pour effectuer des manipulations
sans que les musiciens ne soient au courant. Cela peut être par gain de temps et parfois même pour
ne pas stresser ou déstabiliser les musiciens face à leurs défauts. Voilà un exemple pour illustrer
mon propos. Après une matinée d'enregistrement, Bastien demanda au groupe s'il pouvait avoir un
peu plus de temps entre midi et deux afin de résoudre quelques petits problèmes techniques. En
réalité, il avait besoin de temps pour re-caller les petites imperfections de justesse et de rythme, sans
que les musiciens ne le voient. En effet, il ne sait pas toujours comment les musiciens se
positionnent face aux techniques de correction du studio. Est ce que corriger la justesse, c'est tricher
? Bastien fait souvent le choix de modifier les imperfections afin d'avoir un contenu final plus
propre et pertinent.
Bastien : « Diriger un studio, c'est aussi gérer des troupes. »
Lors d'une séance, un artiste a fait appel à des écoliers de Talant pour enregistrer des chœurs pour
son album pour enfant. Dans ce cas là, faire le boulot d'ingénieur son, c'est également poser et
expliquer les limites, tout en conservant une ambiance de travail sereine et propice à la musique. Il
échange alors de multiples fois avec les enfants, devant eux ou directement de la régie à travers leur
casque, afin de leur expliquer les consignes du studio. Par exemple, il leur demanda de ne pas
toucher aux fils et de ne pas parler après la fin des prises. Avoir un tempérament à la fois coopératif,

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empathique et directif est important au bon déroulement d'un enregistrement.
Ce stage m'a permis de considérer le studio, non pas comme un lieu pour enregistrer sa musique,
mais comme le choix de la confier au regard d'une autre personne. Contrairement au Home Studio,
l'approche de l'ingénieur du son permet un regard extérieur sur son projet, à la manière d'un
directeur artistique. Portant le devoir de marquer la musique dans le temps, l'ingénieur du son a
besoin aussi bien d'un bagage technique et artistique que social et culturel face à la musique
enregistrée. C'est à la rencontre de ses connaissances, de son matériel et de ses capacités à
construire et à faire émerger une émulation collective au sein de sa structure que l'ingénieur du son
marque son empreinte sur l'objet final. Comme un interprète classique, son travail est de sublimer,
en inscrivant dans le temps à sa manière, l'idée qu'il se fait de la musique face à lui. Pour cela, il est
nécessaire d'adapter son studio à l'enregistrement, il doit donc constituer une régie, séparée du lieu
d'enregistrement, imperméabiliser l'ensemble du studio aux sons extérieurs et constituer son
matériel, notamment des microphones ou des modules externes d'effets, en conséquence.

Ces trois environnements, intégrant tous le logiciel de MAO, proposent trois facettes de cet outil. Le
studio d'enregistrement, étant plus spécialisé dans la prise de son, propose un monde où le rôle du
technicien et du musicien sont plus distincts. L'ordinateur s'adapte à ces espaces de travail, et fait le
lien entre la pratique du technicien et du musicien, pouvant tous les deux se trouver dans un même
transport en commun à travailler sur les mêmes logiciels, à la même étape de production d'un
morceau, dans des buts différents.

- L'ordinateur et les objets du studio

Questionnons maintenant le type d'objet que les musiciens et techniciens sont amenés à connecter à
leur ordinateur. L'intégration des objets du studio au sein de l'ordinateur a considérablement
propagé sa pratique, remplaçant certains de ces outils. Cependant, les musiciens interviewés
utilisent toujours certaines machines intégrées par l'ordinateur. Étudions ce que peut constituer un
studio, personnel ou collectif, aujourd'hui. Commençons par étudier ce qui est réservé à un usage
strictement musical. On constate que la table de mixage se fait plus rare depuis que l'ordinateur l'a
intégrée. Cependant, elle est présente dans l'ensemble des studios pédagogiques collectifs des trois
classes. Dans la classe de Musiques Actuelles Amplifiées et dans celle d’électroacoustique, elle
permet d'assembler et de traiter le son de toutes les machines sans avoir à allumer un ordinateur.
Alors que dans les studios de prise de son, elle est utilisée comme accompagnateur de l'ordinateur.
D'un point de vue individuel, la table de mixage semble être utile chez les musiciens ressentant le
besoin de jouer de nombreux instruments en même temps tout en ayant un accès rapide aux
traitements de leurs sons. C'est le cas des musiciens de techno utilisant des synthétiseurs extérieurs
à l'ordinateur.

Jordan : « Je travaille sur un Macbook pro 13 pouces avec une Motus mk3 hybrid en USB pour la partie
numérique que je relie avec ma table Maki Onys am1640, c'est une 16x4x2, à partir de là, je mets toutes
mes machines dedans. »

Jean : « je pense que ça vient de nos influences musicales techno. […] Et c'est vraiment la table de
mixage qui est au centre de tout, un peu mon deuxième ordi quoi. »

Lorsque le musicien souhaite agir rapidement sur la table de mixage, ou construire des gestes
instrumentaux à partir de celle-ci, l'intégration numérique de cet objet ne semble pas suffire. De
plus, l'ordinateur n'intègre que très peu les capteurs et émetteurs du son, tant ils nécessitent un
espace conséquent et sont spécifiques à la pratique musicale, ce que l'ordinateur n'est pas. Les
musiciens en acquièrent dès que besoin. Il est intéressant néanmoins de constater que le microphone

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n'est pas une priorité pour l'ensemble des musiciens électroniques.

Ahmed : « Je n'ai pas de micro. »

Léopold : « Nan je n'ai pas de micro, mais je vais m'acheter un zoom pour enregistrer à l'extérieur. […]
J'ai pas envie de faire un enregistrement, c'est plutôt pour faire un ensemble d'objet en fait, c'est ça qui
m'intéresse. »

Finalement, ce sont les musiciens souhaitant enregistrer leurs instruments acoustiques, comme les
chanteurs ou guitaristes, et les électroacousticiens qui possèdent des microphones, les étudiants en
prise de son utilisant ceux des studios d'enregistrement qu'ils fréquentent.

Claire (chanteuse) : « j'ai ma carte son qui est branchée avec mon micro et mon pied. »

Ensuite, c'est le système d'écoute qui est difficilement remplaçable, les enceintes d'un ordinateur ne
reproduisant pas très précisément, et fidèlement, le son. Les musiciens et techniciens se tournent
alors vers des enceintes de monitoring, dédiées à la production musicale.

Jean : « On va commencer par le début, des enceintes de monitoring Yamaha HS-8. »

Ahmed : « J'ai deux petites monitoring de merde, vraiment. »

Jordan : « Pour les enceintes, je travaille avec les Yamaha et j'aime bien aller au conservatoire pour les
Genelec. »

Cependant, on a vu que certains musiciens n'avaient même pas de Home Studio et se baladaient au
travers de différents environnements. Parfois, leur pratique ne nécessite pas de Home Studio
personnel.

Julia : « Après je bossais sur des pauves écouteurs, après un pauve casque […]. »

Le seul environnement acoustique personnel partagé par l'intégralité des musiciens interviewés est
le casque, qui semble même être essentiel.

Théo : « Je fais tout au casque maintenant. Pour l'entrée au CNSM, je voudrais faire un concert sous-
casque. »

Marc « je n'ai qu'un casque (seihneiser) […]. »

L'ordinateur est plutôt doué pour imiter des instruments à clavier, sans doute à cause de l'action
mécanique. L'instrument le plus flagrant, donnant place à de nombreuses controverses, est le
synthétiseur. Cependant, j'ai observé que de nombreux musiciens possédaient des synthétiseurs
hardware, numériques ou analogiques. Quel est l’intérêt d’acquérir des objets que l'ordinateur peut a
priori imiter ?

Jean : « J'ai différents synthés ms-20, microkorg, bass station, boîte à rythme,... »

Marc : « j'aime bien me mettre en mode promenade sur mon synthé modulaire. »

Ahmed : « J'ai deux synthés analogiques, un de basse Moog et un TETRA de Dave Smith, juste pour
avoir deux synthés analogiques pour varier un peu les sons et les approches sonores. »

Lors d'un cours universitaire, nommé Ethnographie des pratiques musicales, j'ai imaginé un
dispositif expérimental afin de comprendre les différentes expériences des utilisateurs vis à vis des

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synthétiseurs analogiques et numériques. Une expérience visait à savoir si cela provenait du son, si
la technologie numérique ne reproduisait pas assez fidèlement le son d'un synthétiseur. Ensuite
l'utilisateur était confronté à des objets trompeurs afin de comprendre si l'objet physique pouvait
être ce qui accrochait l'utilisateur. Cela m'a permis de réaliser l'importance de l'objet dans
l'expérience des utilisateurs. Cette réflexion est applicable aux modules ou pédales d'effet externes.

Jean : « J'ai aussi une reverb' Yamaha et un compresseur Alesis 36 32. »

De plus, certains artistes souhaitent absolument des modules spécifiques que l'ordinateur n'imite pas
encore, ou pas fidèlement, en terme d'interface et de son. En ce qui concerne les instruments que
l’ordinateur n'imite pas assez bien, ils ont toujours leur place au sein du studio. Il faut noter que
leurs imitations sont également utilisées, parfois dans le but de les remplacer, et sont marquées par
une esthétique différente de l'instrument imité.

Ahmed : « J'ai mes deux platines. »

Tom : « J'ai des guitares. »

Léopold : « J'ai une Telecaster. »

Claire : « J'ai ma flûte traversière. »

Un autre objet que l'ordinateur se réapproprie est l'amplificateur. C'est un objet du studio qui semble
persister dans les studios des instrumentistes pratiquant un instrument amplifié ainsi que dans les
studios d'enregistrement.
Théo : « du coup heuu et sinon chez mes grand parents j'ai deux enceintes, j'ai tous mes amplis. Je fais
tout sur mon ordi portable. Je n'ai pas de souris. »

Parmi les objets à usages strictement musicaux, seul le support d'enregistrement est quasi
essentiellement numérique, à l’exception du studio d'enregistrement où j'ai effectué mon stage, qui
possédait un magnétophone à bandes. L'ordinateur incorpore en effet les objets du studio, mais il
semblerait qu'il ne les remplace pas toujours. De plus, il ne remplace pas le studio en soi mais
devient sa composante principale, en fournissant à l'utilisateur un nouvel espace de travail. Étudions
maintenant tous les objets non spécifiques à la musique, relatifs à l'environnement informatique, au
sein du studio. La nécessité d'étendre sa surface de travail, en installant des écrans supplémentaires
semble se faire ressentir chez de nombreux musiciens et techniciens.
Ahmed : « Là j'ai que mon Mac en ce moment, il faut que je mette un deuxième écran sinon c'est trop
prise de tête c'est pas confortable ça met une latence, ça accidente le débit du travail et c'est pas bon
quoi. Je mets les VST sur un écran, et la timeline sur l'autre. »

Léopold : « Quand je suis dans mon lit, je fais juste avec l'interface horizontale. Et quand je suis avec
deux écrans, je mets une interface par écran. »

Jean : « Les deux écrans, c'est parce-que je relie mes deux écrans, et je ferme mon Mac, ça fait une
sorte d'unité centrale. Ça me soûlait d'avoir toutes les fenêtres d'ouvertes. »

Quentin : « J'aime bien travailler avec deux écrans, c'est assez pratique d'avoir son mixeur et sa
timeline, pour pouvoir gérer les deux en même temps. »

Pierre apporte une explication plutôt pertinente à ce besoin.


Pierre : « Il y a nécessairement plusieurs écrans, car la surface de travail d'un seul écran n'est largement
pas suffisante puisque l'ensemble des instruments du studio sont rentrés dans l’ordinateur sous forme
de plugins plutôt que d'exister sous forme hardware à l'extérieur. »

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Ensuite, les musiciens sont tous munis d'une carte son externe.

Ahmed : « J'ai une carte son RME qui est pas mal en terme de routing. »

Jordan : « Motus mk3 hybrid en USB pour la partie numérique. »

Sauf Marc jouant l’exception qui confirme la règle.

« J'ai pas de carte son j'ai juste la carte interne de l'ordi en mini jack. »

Ensuite, comme pour les synthétiseurs analogiques, la technologie numérique avait besoin d'une
interface physique pour que les musiciens puissent construire leurs gestes instrumentaux. Les
contrôleurs MIDI deviennent alors les nouveaux claviers. Ils offrent un contrôle d'un logiciel
spécifique, souvent programmable par le musicien, et correspondent à des besoins précis. Pour
Pierre, professeur d'électroacoustique :

Pierre : « Ce qui m’intéresse aussi dans ces interfaces, et qui est hyper important, c'est pas de bruit. […]
je suis passé sur Keith McMillen et ça c'est totalement silencieux quoi. [...] Ils sont étanches, dit beer-
proof. »

Il souhaite également avoir des contrôles inédits sur le son en se munissant du « WX7, l'équivalent
d'un sax en MIDI ». D'un autre côté, des musiciens ont besoin de contrôler leur ordinateur, comme
ils contrôlent leurs synthétiseurs, à l'aide d'un clavier maître accompagné de potentiomètres
programmables.
Georges : « Alors j'ai un clavier de commande quoi, qui commande à peu près tout via une carte MIDI,
c'est un vieux synthé JX10P Roland analogique, j'aime bien car il fait 73 touches et puis voilà lui il pilote
un petit peu tout, et l'ordi et les synthés. »

Et d'autres souhaitent des contrôles classiques, à l'aide de pads et de potentiomètres, sans clavier.

Julia : « Après j'ai commencé à utiliser les nanoKONTROL de chez Korg, des petits trucs tout simple. »

Jean : « j'ai un séquenceur le Beatstep Pro, j'ai des contrôleurs MIDI, un BCR 2000 Behringer. »

Pierre : « j'ai relié des interfaces MIDI muettes, type BCR 2000 BCF 2000. »

Les caractéristiques - la vélocité, la réactivité, la souplesse, la qualité de fabrication, la taille,


l’organisation,... - de ces composants et des autres types de contrôleur cités précédemment sont
importants pour le musicien. Cela va lui permettre de développer un type de geste instrumental
particulier. Le musicien de studio est maintenant entouré de matériels informatiques. - Disque dur,
hub midi, câble USB, trackpad, souris,... - Tous ces objets numériques font partie de
l'environnement du musicien. Il doit les comprendre tant ils sont intégrés à sa pratique.

Georges : « On avait un disque dur à partager avec les élèves qui faisait 340 MO par exemple. C'était
plutôt du MIDI au départ. »

Pierre : « Même mes disques durs sont en SSD maintenant. »

Jordan : « une souris des fois mais c'est plus pour la composition. »

Marc : « je n'ai pas de souris. »

Jean : « ah ouais j'ai aussi un Hub USB et je le relie à mon ordinateur. »

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Nous verrons par la suite comment les musiciens négocient les problèmes informatiques qu'ils
confrontent avec leurs pratiques musicales.

- L'ordinateur et sa pratique instrumentale

Après avoir étudié la place de l'ordinateur au sein des différents studios, observons comment il
s'insère dans une pratique instrumentale en temps réel. Notons que dans une situation de concert, on
peut parler de mobile-Home Studio que le musicien va adapter à la salle.

Le laboratoire de chalon

Dans la classe de Musiques Actuelles Amplifiées, une plage de trois heures est réservée au
laboratoire, le cours central du cursus, construit autour d'improvisations collectives. A travers des
expériences de cours, étudions comment l'ordinateur se définit en tant que pratique instrumentale.
Au début d'une improvisation, aucun instrument n'est vraiment destiné à être joué par un musicien
spécifique, chaque personne est donc confrontée à l'ordinateur en contexte d'improvisation au long
de son cursus. D'abord, il est utilisé comme les objets qu'il intègre. Il peut être un synthétiseur, une
boîte à rythme, un sampler ou tout autre instrument numérisable. Mais quelles sont ses spécificités
propres ? Pour reprendre les mots de Georges, professeur de Musiques Actuelles Amplifiées, « en
quoi l'informatique te permet de faire autre chose qu'un violon, un violoncelle ou une machine et
une guitare électrique ? ». Comment se définit t-il dans un contexte live en dehors des pratiques
extérieures qu'il a récupéré ? C'est d'abord sa capacité à mélanger rapidement tous ces objets qui le
définit. Prenons l'exemple d'une improvisation spécifique, la personne sur l'ordinateur se servait du
son reçu par le microphone pendant l’improvisation afin de modifier la texture sonore de son
synthétiseur numérique en temps réel à l'aide d'un module, assigné à un traitement particulier,
variant en fonction de l’intensité du son capté, nommé envellope folower. L'ensemble des objets et
des fonctions constituant l’ordinateur ont permis de faire cela rapidement. Un autre exemple est
celui de sa potentielle connexion avec internet. Un autre musicien était allé chercher le sample
souhaité directement sur internet, afin de l'incorporer dans son sampler numérique. Les logiciels
proposent des interfaces influençant la pratique instrumentale, qu'il intègre en lui apportant ses
spécificités numériques. En plus, il remplace l'interface hardware propre à l'objet par un contrôleur
MIDI modulable. En perspective d'une représentation, observons comment les musiciens perçoivent
cet outil. Deux avis semblent émerger, l'ordinateur semble être perçu comme une barrière ou
comme un incontournable.

/La MAO et le live

Jordan : « l'ordi, autant en studio il a une place de fou, il rassemble tout ; autant en live, je le vois plus
comme une barrière en fait, entre le mec qui joue et le public. […] Surtout au niveau de la scène, les
musiques composées sur MAO, un produit fini en MAO et bah après je le diffusais sur platine alors que
là je joue avec toutes mes machines, c'est plus scénique. »

On observe que les deux types de performance, DJ set et concert, sont encore identifiables, d'autant
plus qu'il existe des logiciels spécifiques à ces deux pratiques. Nous aborderons le cas du DJ plus
tard.

Jean : « Sur l'ordi, l'artiste est comme sur une partition, tout est millimétré, alors qu'avec les machines, il
y a vraiment une part d'imprévu et d'improvisation. Ils réagissent vraiment à la réaction du public avec
leurs synthés. Là où un gars avec un ordi pourrait être bloqué car le clip suivant reste le suivant peut
être. »

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Pour ces musiciens l'ordinateur semble mettre une barrière entre les artistes et le public. L'artiste,
ayant programmé ses effets, n'ayant pas assez de contrôle direct sur son son semble bloqué.
Cependant, on voit ici que dans leurs cas, l'ordinateur est utilisé pour contrôler des synthétiseurs et
non pour vraiment émettre des sons spécifiques.

Jordan : « L'avantage d'Ableton, c'est de lui faire jouer trois machines indépendamment et pouvoir se
concentrer sur une machine. C'est vraiment se créer pour des mains la musique assistée par ordi. »

Les logiciels semblent permettre à de nombreux musiciens d'effectuer des gestes impossibles à
réaliser en live où l'action n'est visible que sur l'écran ; où le geste musical n'est pas accessible au
public.

Jordan : « La MAO pour composer c'est super parce que tu peux avoir 15000 mains en fait *rire*
contrairement au live où tu es humain tu as deux mains. Donc ouais sur la MAO tu peux émuler plein
d'instruments, composer à volonté, faire des supers arrangements avec 50000 synthés 50000 pistes
50000 boîtes à rythme. »

L'ordinateur permet de nouvelles possibilités sonores mais ne procure pas une expérience scénique
très démonstrative. Cela est évidement à mettre en correspondance avec le rôle du DJ, qui n'a pas
toujours pour vocation de se montrer comme à un concert classique. Au delà des concerts
traditionnels, l'ordinateur propose en lui même d'autres expériences de live, à travers le web.

Julia : « Après heuu, sinon on m'avait filé Live, j'ai commencé à faire des trucs sur Live, des lives du
coup *rire* des concerts au casque ou des trucs comme ça, à la méandre et sur internet aussi avec le
placard, une plate-forme en fait qui te permet de faire des concerts diffusés sur internet. »

Ces pratiques semblent être largement acceptées, voir même intégrées dans des jeux vidéo non
spécifiques.8 L'électroniste pratiquant la MAO semble être solitaire, tout en partageant sa musique
sur les plate-formes virtuelles.

« This is not choose-your-own-adventure, but create-your-own adventure. »

Cependant, il n'est pas rare de voir un MAOiste au sein d'une pratique de groupe, soit du coté des
artistes lorsqu'il comporte un geste instrumental suffisant, soit du côté des techniciens pour
enclencher des événements sonores ou modifier directement le son de façade. La frontière entre le
technicien et le musicien devient alors floue.

b. Le musicien et l'ordinateur
Comme présenté en introduction, l'ordinateur propose maintenant un environnement inter-connecté
mondial et apprivoisé qu'est internet. Dans ce mémoire, je n'ai pas observé précisément les espaces
explorés par les internautes, ayant déjà effectué ce travail l'année dernière9. Cependant, j'apporterai
quelques réflexions sur le rapport entre le stockage du savoir et l'apprentissage de l'utilisateur au
sein de ce média dans la deuxième partie de ce mémoire. Cette partie se concentrera sur la
confrontation entre le savoir-faire du musicien et l'informatique, tout en essayant de comprendre
comment l'équipement informatique, avec toutes les problématiques que cela comprend, s'inscrit
dans le cadre d'un travail musical.

8 Grimshaw, Mark, The Oxford Handbook of Virtuality, Oxford Handbooks, 2014, p353
9 Mon travail est consultable à ce lien :
https://www.academia.edu/29391521/Etude_dun_milieu_musical_sur_le_web_La_Vaporwave_lorganisation_dune_
communaute_sur_internet_entre_2015_et_2016

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- Des musiciens face à des problématiques numériques

Depuis que la musique a été intégrée au sein de la technologie numérique, les musiciens ont été
confrontés à des problématiques numériques. Pratiquer la MAO, c'est aussi comprendre son
environnement numérique. En effet, de nombreux musiciens ont du faire face à des problématiques
extra-musicales typiquement numériques.

Julia : « Des fois je me suis pris des trucs dans la gueule, par exemple j'ai fait une résidence dans le jura
et là j'ai mal rangé des trucs, et je me suis dis là, je ne peux pas montrer tout ce que j'ai fait pour faire
écouter à ma pote, c'est plus là. Donc là j'avais un peu les boules, donc je me suis dis plus jamais ça,
maintenant tu ranges. »

Georges : « Alors Live je le connais depuis très longtemps, et au début il était chiant parce qu'il n'était
pas stable. C'est assez mystérieux, des fois, tu ne le pousses pas forcément et il quitte inopinément. »

C'est même les périphériques associés à cet objet qui peuvent paraître compliqués pour un musicien
novice en informatique.
Tom : « Je me souviens avoir eu beaucoup de galères, des questions de drivers, de périphériques, de
choses,... Je ne comprenais rien. »

Marc : « là tu branchais en USB, pareil, d'un point de vue technique ce n'était pas trivial c'était une
tannée. »

Il y a maintenant des interfaces et périphériques communs à la pratique musicale et à toutes les


autres pratiques annexes. Tout dispositif générateur d'information numérique peut donc être utilisé à
des fins musicales. Pour un spectacle, où les danseurs agissaient en temps réel, Pierre a utilisé des
webcams, a priori non produites pour une performance musicale.

Pierre : « Généralement j'utilise des caméras à 30 ou 40 balles genre Microsoft pour les détections avec
les danseurs. »

De plus, les câblages et les connectiques sont numériques et non spécifiquement destinés à une
finalité musicale. Lors de balances, je me rappelle avoir emprunté un câble USB d'imprimante à la
salle de concert car un musicien avec qui je partageais la scène avait perdu le sien pour son clavier
MIDI. Marc nous assure que pratiquer la MAO « sous-tend une culture informatique particulière ».
L'évolution récente de ce support a permis aux musiciens de moins en moins se poser ce genre de
question mais lui demande de se tenir à jour de toutes les nouveautés informatiques.

Tom : « Les connectiques des ordis c'est important. D’ailleurs, on est tous sensible aux nouveautés des
ordis ; d'ailleurs chez Apple là les nouveaux qui sortent avec de moins en moins de connectiques, ça
pose des problèmes, donc ce n'est pas qu'une enveloppe non plus. »

La pratique musicale évolue avec cet outil. Son évolution impacte la musique produite, que ce soit
par l'accroissement de la capacité de stockage des disques durs, la rapidité des processeurs, le
changement de connectique ou une nouvelle mise à jour de son système d'exploitation. Par
exemple, les évolutions technologiques, dans les années 1990, ont permis d'introduire le monde de
l'audio-numérique en temps réel au grand public.

Georges : « Mes premiers contacts c'était avec la classe électroacoustique, on avait un Mac pour la
classe et des cartes sons, des trucs, mais c'était très embryonnaire. On avait un disque dur à
partager avec les élèves qui faisait 340 Mo par exemple. C'était plutôt du MIDI au départ. C'était Studio
5 […]. Ça m'a mis dans un domaine que je ne connaissais pas du tout, l’informatique quoi, je ne savais
même pas l'utiliser, je ne savais même pas allumer l'ordi quoi. »

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Récemment, c'est la technologie des disques durs SSD qui permet d'augmenter considérablement les
limites de ses logiciels de MAO.

Pierre : « Même mes disque durs externes sont en SSD maintenant ; cet ordi a déjà 4 ou 5 ans, l'idée du
SSD venait d’apparaître. Je l'ai acheté une fortune, mais je suis encore super content, je fais des
concerts multimédias avec ça. J'ai un dock à la maison aussi, comme ça je branche un câble USB 3 sur
tout. »

Ce changement de technologie modifie considérablement un ensemble de pratiques instrumentales.


Prenons l'exemple d' Ahmed, pratiquant le scratch :

« J'ai vécu les deux périodes, avant et après l'ordinateur. Il n'y a pas longtemps j'ai réécouté quand
c'était les platines vinyles, quand les gars étaient dépendants des vinyles car certains DJ n'avaient pas
les moyens de presser leurs Battle break, c'est de moins bonne qualité technique que aujourd'hui, c'est
évident. Il y a eu en 2006, il y a eu la période où les Serato [un logiciel dédié au DJing] et tout n'étaient
pas acceptés en compétition, mais par contre participaient dans le processus de préparation de la
compétition. Du coup le gars, ils faisaient toutes ses instrus sur Serato, il pouvait tester à l'infini les
possibilités de ces productions, et du coup le jour de la compétition, ils mettaient tout ça sur des vrais
vinyles et du coup ils gagnaient. »

On constate que l'évolution de la technologie permet de nouvelles possibilités instrumentales


influençant les pratiques du musicien. Cela permet de trouver de nouveaux gestes, de corriger
certaines difficultés techniques, ainsi que de simplifier certaines charges extra-musicales, comme le
fait de transporter un ordinateur, voire une clef USB, au lieu d'une caisse remplie de vinyles pesant
vingt kilos.

Ahmed : « A l'époque par contre, en compétition, sur un six minutes, tu avais peut être dix minutes, il y
avait beaucoup de soucis techniques, tu pouvais sauter un sillon, aujourd'hui tu ne le fais plus, car il y a
un mode relative time ce qui fait que même si ton diamant saute, la musique ne saute pas. […] On jouait
avec la contrainte des vinyles que l'on trouvait en dur. […] Aussi il y a un truc vraiment bien, c'est qu'il n'y
a plus de rumbles [Un larsen basse fréquence créé par la vibration du diamant sur le vinyle]. Du coup
on arrive à des DJ qui peuvent jouer en intensité sonore. Sinon t'arrivais à un seuil, et du coup ils
mettaient des tapis. »

Il faut également noter que des changements n'affectent pas les pratiques de certains musiciens.
Cela peut même bloquer certains projets artistiques, nécessitant des objets obsolètes.

Pierre : « ça c'est un autre problème avec Usine, quand tu changes de PC à Mac, les patchs ne sont
plus compatibles. Quand tu recharges des patchs d'avant, c'est une catastrophe, j'étais un peu énervé. »

Marc : « J'ai un ordinateur pas hyper véloce. »

Au delà de cela, les propriétés physiques de l'ordinateur limitent et définissent la pratique de la


MAO. En tant qu'objet électrique, l'installation de batterie, rendant l'ordinateur portable, a permis à
de nouvelles pratiques de voir le jour. Pour produire du son, à moins de frapper dessus ou de lui
faire contrôler un robot, il doit donc également être connecté à un haut parleur, ce qui intègre les
pratiques communes de la MAO au sein des Musiques Actuelles Amplifiées. Les trois classes du
conservatoire de Chalon-sur-Saône utilisant la MAO sont liées à l'amplification et à
l'enregistrement. Cependant le bruit provoqué par l'ordinateur semble être un problème pour des
musiciens souhaitant explorer des nuances pianissimos.

Pierre : « mon choix c'est d'avoir des ordinateurs portables et pas des tours, qui sont beaucoup plus
bruyantes. »

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Pour Marc, rien que le fait d'être devant un écran spécifique conditionne nos pratiques.

Marc : « L'interface même écran et clavier formate notre manière de récupérer de l'info, même les
téléphones c'est encore plus visible, il y a des pratiques adaptées à l’outil. Le fait d'avoir un écran plat
d'une certaine forme, en paysage et non en portrait. »

C'est essentiellement le fait que le contrôle visuel se fasse à travers un écran, plutôt qu'à travers la
perception de nos gestes, qui est spécifique à cette pratique musicale. Ce lien créé semble poser
problème à certains musiciens.

Marc : « je me suis remis au piano, ça suit le moment de ma période de doute quand je suis revenu
d’Angleterre en me demandant à quoi servait l'ordi ; je me suis mis à faire du piano, en me disant que
c'était un objet qu'on n'avait pas besoin de brancher, pas besoin de comprendre. »

Pour Tom, c'est également une idée qui semble le pousser à se débrancher de temps en temps.

Tom : « De plus en plus, je suis un peu plus détaché, je veux revenir à des choses moins visuelles, être
que avec des oreilles. »

Cela nous amène à une des spécificités du numériques, en contradiction avec le geste instrumental
traditionnel en temps réel, la notion de procédure.

- Le rapport à l'objet

Alors que Herbert Deutsch10, facteur de synthétiseur, se demandait s'il fallait ajouter un clavier à un
synthétiseur, la manière d'accéder à la manipulation de la machine numérique pose les même
questions alors qu'il est possible de produire du son en temps réel. Un grand nombre de musiciens
interviewés regrettent le manque de geste physique instrumental dans la pratique musicale
numérique.

Georges : « Il y a le côté physique que l'on retrouve moins que dans une pratique instrumentale, que je
trouve dommage. »

Il n'y a pas de vibration physique directe, comme lorsque l'on gratte les cordes d'une guitare, d'où la
mécanique du clavier comme contrôle instrumental des synthétiseurs. En même temps, un grand
nombre de contrôleur MIDI apporte de nouvelles manières de jouer de l'ordinateur, notamment à
l'aide de faders et de potentiomètres, à la manière des synthétiseurs. Cependant, la différence avec
le synthétiseur réside dans le fait que la surface de contrôle n'est plus inhérente à l'instrument
pratiqué, sur l'ordinateur, on programme ce que l'on veut faire. Plusieurs musiciens préfèrent le côté
instrumental de la machine hardware que de l’ordinateur.

Jean : « J'ai plus d’attraction pour la machine que pour l'ordinateur, même si j'ai une reconnaissance
folle pour lui. »

L'usage de la technologie numérique, ne laissant pas de trace de la même manière qu'un instrument
physique, provoque un sentiment d'attachement différent. Pour beaucoup, le rapport à l'objet semble
être amoindri.

Ahmed : « Là il y a moins de rapport à l'objet, l'objet c'est un fichier ce n'est pas un disque, là tu vois il
peut y avoir une trace de temps où le gars il a écouté beaucoup ce morceau et du coup il a usé
beaucoup ce morceau pour l'album. »

10 https://www.youtube.com/watch?v=y5HRa9nEVVU, « should we add a keyboard ? » à 46m30

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Cela peut même être ressenti comme un blocage.
Claire : « J'ai l’impression que j'ai un peu la même histoire que ma guitare, c'est ça qui fait que j'arrive à
lui dire les choses parce que je compose jamais un texte devant quelqu'un, personne ne lit mes textes,
je ne supporte pas ça ; devant un synthé ou un ord, je ne peux pas faire ça, j'ai trop besoin d'avoir un
instrument collé à moi. »

La question se pose alors ainsi ; peut-on développer la même relation face à un logiciel ? Lors d'un
cours, j'avais présenté un morceau, construit à l'aide du synthétiseur Operator intégré à Ableton
Live et l'on m'avait demandé quelques détails sur ma manière de procéder. En l'expliquant, Tom
s'étonna de la manière dont je discutais du synthétiseur en se disant que finalement, on peut
s'attacher à un objet numérique. Cela m'a fait réaliser que j'étais attaché à ce synthétiseur, avec qui
je m’étais formé mais que l'attachement n'était pas individuel, propre à mon objet logiciel, mais
universelle. J'étais attaché au programme plus qu'à la machine en elle-même. Il me semble que l'on
ne développe donc pas un attachement aux objets virtuels en les attachant à un support fixe. Le
programme, pouvant être exécuté identiquement de la même façon sur des machines différentes, ne
nous appartient pas. Cependant, le musicien construit son ergonomie à partir de ces objets, qu'il
peut personnaliser, et n'hésite pas à utiliser une panoplie de logiciels. C'est ce travail qui constitue la
construction de la maison. On peut donc très bien également s'attacher à nos instruments virtuels de
la même manière qu'à nos instruments physiques.

Léopold : « Je pratique uniquement l'ordi, un peu la guitare la basse. Je n'ai pas du tout envie de refaire
de la trompette. J'y ai beaucoup moins de plaisir que sur mon synthétiseur ou mes logiciels. »

L'ordinateur est un support incorporant une multitude d'objets numériques. La difficulté à lui
accorder le nom d'instrument de musique réside dans le fait que l'on peut effectuer autre chose que
de la musique avec. On pourrait même se demander si l'essence de l'objet-instrument n'est pas le
logiciel de musique plutôt que l'ordinateur en lui même.

Tom : « Ce qui est spécial c'est que l'ordi sert à autre chose que la musique, c'est avec l'ordi que je
télécharge des séries et heuu, que je fais de la musique, et de la bureautique, il est relié à mon
téléphone qui lui même fait de la musique d'ailleurs. »

Ahmed : « C'est des logiciels pour moi qui te permettent de faire de la musique et à côté tu peux allumer
Netflix sans problème. »

Le musicien, face à l'ordinateur intégrant des logiciels de musique, redéfinit sa relation à


l'instrument par rapport aux spécificités de cette nouvelle technologie.

2. Des objets et des pratiques numériques


a. Les objets numériques, les logiciels
- Des spécialités numériques et des traditions numérisées

Le support numérique induit en lui même, par son organisation et son histoire, ses propres
conceptions. En effet, comme on l'a observé, la différence basale technologique, modifiant
l'expérience musicale, me semble être à l'origine des controverses vis à vis des musiques pratiquées
à partir de machines. Au delà des problématiques matérielles intrinsèques à la technologie
numérique, ces musiciens doivent développer une nouvelle caisse à outils, loin du solfège
traditionnel. Georges, en m'affirmant que « les gens sont scotchés d'apprendre que au Cefedem, on
n'a pas besoin de faire du solfège pour aller en Musiques Actuelles », témoigne de ces nouvelles
controverses.

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Georges : « Même ici [au conservatoire], des collègues me disent, mais attend, tu as des élèves qui ne
font pas de solfège ? […] ça tu le fais quand tu passes deux heures à caler la compression d'un kick,
c'est ça la culture de l'informatique, enfin en tout cas du son en tant qu’élément de langage. »

Il conçoit même l'informatique comme porteur de la philosophie Do It Yourself.

Georges : « l'idée que si tu veux faire un truc, hé bah fait le ! t'attends pas après les autres, t'es pas
obligé de faire une formation, sois autodidacte, démerde toi quoi. Donc ça c'est une idée super, et heuu
et donc, l'informatique répond un peu à ça mine de rien, même si tu n'as pas beaucoup de
connaissances musicales, tu peux quand même faire de la musique, tu peux quand même composer. Et
tu n'as pas besoin d'une connaissance instrumentale ou solfègique très forte quoi. La preuve, les gens
qui samplent, ils samplent sans se poser de question comment c'est fait la musique, je trouve ça assez
punk moi. »

Marc m'affirme que « Le copier coller fait en sorte que tu puisses prendre un pattern et en prendre
juste un bout pour le dupliquer ». Ces fonctions informatiques sont intégrées à la pratique musicale.

Marc : « Tout ça pour dire que l'objet en lui même, même s'il n'a pas été conçu pour une pratique
musicale, la culture qui lui est liée influence la culture musicale qui utilise cet objet là. »

L'ergonomie et les fonctionnalités de nos logiciels prescrivent des expériences sonores particulières,
rien que dans leurs organisations, dépassant les lois spatiales de la physique, en sous dossier et dans
ses déplacements, notamment grâce à la barre de scroll. Le numérique semble être une nouvelle
manière de jouer des sons analogiques. Les capacités de représentations sonores permettent à
l'utilisateur d’accéder aux sons de différentes manières.

Ahmed : « Serato, t'as la


représentation graphique du
morceau, elle est vraiment pas
mal car tu peux voir directement
les couleurs du spectre, […] L’œil
permet de faire des mixs
beaucoup plus propres. Il y en a
qui disent que l'oreille doit rester
plus importante que l’œil, moi je
m'en fiche. Je veux dire les mains
des fois ça sert à faire de la
musique aussi. »

De plus, les logiciels proposent


la possibilité d'ajouter des
plugins, des modules externes
venant se greffer en
complément de celui-ci,
notamment des synthétiseurs
numériques, créés à partir des technologies des synthétiseurs analogiques.

Léopold : « Après j'ai fait ma compo pour le CEPI [Examen permettant d'accéder au troisième cycle
professionnel de conservatoire]. Et là je me suis intéressé à la synthèse soustractive sur des instruments
virtuels, genre Massive, et là ça m'a fait plonger dans les synthétiseurs. C'est le VST où j'ai passé le plus
de temps, j'ai regardé des tuto, je me suis amusé à essayer de forger des petits sons et tout. »

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Les logiciels ont intégré
des technologies musicales
préexistantes pour assister
le musicien. Ahmed, à
propos de l'informatique
musicale, m'explique que
«La procédure est
beaucoup plus liée à
l'informatique » , i l f a u t
comprendre que ce support
met en œuvre des
processus de création
sonore spécifiques.
Cependant, il continue :
« alors qu'Ableton, tu
dessines. ». En effet, il ne
faut pas oublier que les
logiciels sont conçus pour,
et également par, des
musiciens. Il sont donc optimisés pour convenir à leur pratique. Marc m'a fait part de cette
distinction en comparant les trackers qu'il utilisait, fabriqués par des informaticiens, comme une
manière d'écrire le MIDI en ligne de commande, de haut en bas, et les logiciels de MAO, qui
affiche le midi de gauche à droite, à la manière d'une partition. Cette affichage correspond
simplement à notre manière de percevoir et de marquer le temps, que ce soit sur une forme d'onde
ou une partition, de gauche à droite, à la manière d'un diagramme binaire associant une
caractéristique du son (en ordonnée) au temps (en abscisse). Si cela fait appel à un même concept de
représentation, il faut comprendre que l'ergonomie d'objet physique a été facilement transposable
numériquement grâce aux capacités d'affichage de la technologie numérique. On a pu observer que
le logiciel Serato copiait l'interface physique des DJ, en incorporant une représentation de deux CD,
ou vinyles, virtuels. De plus, en décrivant Pro Tools, Quentin m'indique que :

Quentin : « notamment dans la fenêtre de mixage, c'est vraiment fait comme une console. ».

En effet, quasiment l'ensemble des DAW dédiés à l'enregistrement copie les surfaces de contrôle
préexistantes dédiées à l'enregistrement, à savoir les tables de mixage. Sur le même logiciel, Patrick
rajoute que :

Patrick : « ça va s'apparenter
beaucoup à l'architecture
d'une console de mixage
analogique parce-que c'est
né suite aux gens qui
utilisaient des consoles
analogiques avant
l'ordinateur. »

La technologie de contrôle
sonore des logiciels de MAO
est résultante d'objets
préexistants. Le son sera
ensuite inscrit sur une ligne
temporelle, de gauche à droite, Illustration 3: L'interface du logiciel Pro Tools, en forme de table de mixage.

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représentant la variation dynamique physique du son capté, nommée la forme d'onde, fidèle aux
logiques spatiales des technologies précédentes codant le son, comme le déroulement d'une bande.

Patrick : « Les outils que l'on a maintenant, c'est juste hallucinant quand tu as connu avant en fait. »

Les musiciens disposent alors de leurs outils sur une technologie différente. Grâce au potentiel
d'affichage de la technologie numérique, des techniques ont pu être conservées d'une technologie à
l'autre. Le mélange entre la numérisation des pratiques musicales et les spécificités des outils
numériques constitue la caisse à outils, plutôt conséquente, des logiciels de MAO.

Georges : « 90% de la culture musicale est orale, là on est dans une culture classique qui nous dit que
l'on doit savoir lire les notes […] ça dépend ce que tu fais, si tu fais du métal symphonique, tu vas peut
être avoir besoin d'un bagage harmonique, mais si tu es DJ, ce n'est pas pareil. On a tous besoin d'une
caisse à outils, mais pas la même. »

L'ordinateur rassemble une multitude d'objets musicaux. Georges souhaite donner le droit à chacun
de construire sa propre caisse à outils.

- Un objet frontière, le logiciel de MAO

Comme mentionné précédemment, les logiciels de musique ont pu se réapproprier une bonne partie
des objets du studio. Comment se définissent-il en tant qu'objet? En étudiant l'article Institutionnal
ecology, ‘Translations’, and Boundary objects: amateurs and professionals on Berkeley’s museum
of vertrebate zoologie de Susan Star, le concept d'objet frontière m'a paru pertinent pour discuter
des logiciels, en regard des multiples pratiques qui les entourent. En quoi ces objets peuvent-ils être
qualifiés de frontières ? Essayons d'étudier comment les logiciels sont révélateurs des négociations
entre les acteurs de ce même dispositif. Pour cette partie, je me baserai d'abord sur les quatre
dimensions de la notion d'objet-frontière mise en avant pas Etienne Wenger, ici présenté par Pascale
Trompette11 :
''abstraction : elle facilite le dialogue entre mondes ;
polyvalence : plusieurs activités ou pratiques sont possibles ;
modularité : différentes parties de l’objet peuvent servir de base de dialogue entre acteurs ;
standardisation de l’information incorporée dans l’objet : elle rend interprétable l’information.''

/Abstraction : elle facilite le dialogue entre mondes ;


En effet, les logiciels de MAO sont construits avec un niveau d'abstraction élevé. Comme on l'a vu
précédemment, les logiciels intègrent et représentent les objets du musicien et du technicien. Des
logiciels comme Ableton Live ou Pro Tools sont basés sur une représentation physique du studio,
plus adapté aux musiciens qu'une logique de programmation, que l'on retrouve dans les logiciels
Max ou Pure Data. On fait le tri entre les potentiels contrôles sonores pour conserver ceux
semblables aux pratiques musicales.

/Polyvalence : plusieurs activités ou pratiques sont possibles ;


Le technicien chargé d'enregistrer peut sensiblement posséder le même outil que l'instrumentiste.
Même s'ils sont parfois séparés et spécialisés, ils sont semblables, l'un amène à connaître l'autre.

Patrick : « Et puis voilà, c'est juste un outil quoi. maintenant les logiciels, ce sont les outils qui
permettent d'enregistrer, donc on voit à la fois Pro Tools et Pyramix. »

11 Trompette, Pascale, et Vinck, Dominique, “Retour sur la notion d'objet-frontiere”, Revue d'anthropologie des connaissances,
Volume 3, n°1, 2009, pp 5-27.

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Au delà de la relation entre technicien et musicien, au sein de la classe de Musiques Actuelles
Amplifiées, le logiciel de MAO semble être l'objet regroupant tous les musiciens.

Georges : « Et donc évidement qu'on utilise la MAO, car la MAO c'est ton outil d'indépendance, parce
que quand t'as ton ordi, ça veut dire que à tout moment t'es capable de coucher des idées, de mettre en
place des idées, d'inventer donc c'est l’outil qu'on a tout le temps quasiment. »

Basé sur les notions de projet et de création, les élèves, même s'ils ne pratiquent pas la musique
électronique ont besoin de s'enregistrer pour partager leur musique pendant le temps de cours.
L'idée de production, intégré aux logiciels de la MAO, fait le lien entre la pratique du studio de la
musique rock et électronique au sein de la classe de Musiques Actuelles Amplfiées.

/Modularité : différentes parties de l’objet peuvent servir de base de dialogue entre acteurs ;
Comme on l'observe tout au long de ce mémoire, les logiciels sont modulables. Les logiciels sont
découpés en différentes parties et chacune d'entre elles peut être utilisée pour différents usages.
C'est par exemple le cas des pistes audios, à priori dédiées à l’enregistrement, et MIDI, plutôt
dédiées aux instruments virtuels donnant la possibilité à chaque utilisateur de gérer des fichiers
audios et de l’information MIDI à ses souhaits. L'exemple est démontré plus tard dans ce mémoire,
dans la partie Enregistrer la musique de l'étude des pratiques hétérogènes de la MAO. Le logiciel
fait le lien entre toutes les technologies du studio distribuées modulairement.

/Standardisation de l’information incorporée dans l’objet : elle rend interprétable l’information.


Que ce soit dans la classe de Musiques Électroacoustiques, de Musiques Actuelles Amplifiées ou de
préparation aux métiers du son, toutes les personnes interviewées utilisent globalement le même
vocabulaire. C'est grâce à cela que les collaborations entre les classes sont possibles. Les notions à
l'intérieur des logiciels sont donc comprises par tous ses utilisateurs. Cela est possible grâce à
l'installation de différentes normes, par exemple celle du MIDI effectuée en 1983 notamment par
Dave Smith12, et la normalisation des formats numériques audio. Le vocabulaire désignant les effets
est d'ailleurs le même, sans forcément que les personnes entendent tous les même applications et
exemples. A partir d'un même effet, les utilisateurs développent un grand nombre de techniques. Par
l'exemple, avec un delay, on peut créer un effet Slap Back, cher aux chanteurs de rock des années
1970, ou des modulations de hauteurs complexes, utilisées au sein des musiques électroniques. Une
autre observation faisant sens à la confrontation des logiciels et de ce concept, est la manière dont
les musiciens et techniciens sont amenés à traverser les frontières, en glissant d'une pratique à une
autre en passant par les logiciels de MAO.

- Quand l'utilisateur dépasse ses frontières esthétiques et fonctionnelles


Prenons l’exemple de Tom. En voulant enregistrer sa musique, en l'inscrivant sur un disque, il
découvre les pratiques du studio rock, qui le mèneront directement vers des outils utilisés dans la
musique électronique. C'est d'abord en se sensibilisant aux sons des albums de rock qu'il découvre
les traitements audio.
Tom : « ça m'a fasciné de faire un disque. Je me suis renseigné sur comment faire un disque physique.
[...] les reverbs' les delays que l'on mettait sur la guitare, ça m'a rendu fou de retrouver les sons des
disques que j'écoutais toute la journée depuis petit. Vraiment le son des albums me parlait […] j'avais
piqué des cassettes dans la chambre de ma sœur […] et vraiment vraiment le son, les textes, ça m'a
trop plu. J'ai acheté le live en cassette en attendant, je me suis habitué à l'enregistrement live et j'étais
déçu de certains sons d’album par rapport au live. C'est quelques années plus tard en studio que tout
cela a pris sens lorsque j'ai mis du chorus sur ma guitare classique. »

12 Jouvenet, Morgan, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. Ethnologie de la France, 2006, p41

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Ensuite, il a été amené à construire son Home Studio avec l'aide de conseils avisés, ce qui montre la
persistance de l'importance de la transmission de pairs à pairs ou de professeur à élève.

Tom : Je me retrouve avec ce logiciel gratuitement et je me retrouve avec un tas de plugins, je ne savais
même pas trop ce que ça voulait dire, j'amène ma tour d'ordinateur chez lui, et il me dit faut que tu ailles
chez COM.BACK-MUSIC [Un magasin de musique Lyonnais], il faut que tu achètes une carte son
interne, alors je ne savais pas trop ce que c'était mais il m'explique, une petit table de mixage et un
micro statique. […] Et je me mets à enregistrer en faisant plein d'erreurs, j'ai encore des vieux
enregistrements. »

C'est intéressant comme l'envie de s'enregistrer le pousse à trouver une manière d'y arriver par tous
les moyens avant même d'être initié aux technologies du studio.
Tom : « Je me souviens à Noël où j'ai eu un graveur de salon, et heuu et parallèlement mon beau frère
qui m'a donné une vieille table de mixage toute pourrie et avec ce bordel là j'ai fait mes premiers
enregistrements avec un micro acheté à GiFi. J'enregistrais ma guitare directement sur le CD qui gravait.
je distribuais mes CD en cadeau à Noël, je voulais faire des CD quoi. C'était vraiment du Do It Yourself,
je voulais enregistrer le son, quand j'ai eu ce studio, que j'ai vu qu'il y avait un son CD, c'était le début de
nuits blanches. »

Alors que lorsqu'il ne connaissait pas cet univers, il était même contre certaines techniques de
studio, vues comme « de la triche » Les objets qu'il a utilisés, pour assouvir son besoin de faire un
disque qui sonne « studio », l'ont emmené vers d'autres pratiques, esthétiques, et manières
d'envisager la musique.

Tom : « Et c'est que après que esthétiquement avec la découverte de la musique électronique que tout
s'est mêlé quoi, que j'ai commencé à vouloir des sons des samples. Alors que je faisais partie de ce
milieu où la musique électronique n'était pas de la vraie musique quoi. Quand j'achetais des CD de rock,
mon premier réflexe était d'ouvrir la pochette et de vérifier qu'il n'y avait pas de synthé additionnel, et
ouais, sinon pour moi je rognais, je refusais d'écouter ce groupe. J'adorais les Rage Against The
Machine car ils disaient all track made by guitar, drum, bass and vocal. C'est drôle ce rapport qui a été
bouleversé plus tard. Le moyen est devenu aussi ce qui m'a emmené vers des esthétiques. »

Ces logiciels sont donc des objets frontières entre la culture rock et électronique, empreints de
modèles de qualité et de jugements contradictoires. Est-ce un outil d'enregistrement, de création,
d’entraînement ou de falsification ? Le logiciel de MAO est-il un moyen ou une finalité, ou bien les
deux ? Les logiciels semblent être apprivoisés par de nombreux musiciens à l'aide des effets audios,
qu'ils connaissaient déjà à travers leurs pédales d'effet. C'est le cas de Claire, qui appréhende la
MAO d'abord grâce à sa pédale d'effet de chant, qui notamment bouclait sa voix. Pour Jean, c'est le
traitement de sa guitare.

Jean : « je connaissais déjà un peu les effets parce que j'avais touché déjà des pédales de guitare. »

Jean m'a expliqué qu'il utilisait d'abord les effets qu'il connaissait, pour ensuite expérimenter les
autres qui se trouvaient à côté. C'est là où la MAO a ce rôle de bibliothèque, rassemblant tous les
types d'effets audio existants.

Jean : « au début, j'ai utilisé des effets assez classiques ; EQ, reverb', phaser, tout ce qui s'applique à la
guitare en fait […] Et je suis tombé sur mon premier logiciel, Logic, et bah voilà je l'ai téléchargé et je me
suis mis dedans, je me suis rendu compte des possibilités que ça avait. La nuit même je l'ai installé, je
me suis mis à fouiller dedans, je me suis rendu compte de tout ce que l'on pouvait faire avec. »

Les logiciels rassemblent un grand nombre d'objets que les utilisateurs peuvent apprendre par
expérimentation, à condition qu'ils aient une porte d'entrée. L'exemple de Julia, d'abord plasticienne,

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est assez parlant. En expérimentant le logiciel Audacity, ce sont des concepts de temps et d'espace
qui lui parlaient. Les concepts musicaux n'ont été compris que grâce à l'obtention d'un feedback
visuel, notamment sur les égaliseurs et compresseurs, lorsqu’elle est passée sur le logiciel Cubase.

Julia : « Je n'ai pas forcément appris que au conservatoire, aussi à partir de la notion de transversalité
entre les pratiques, sur le vocabulaire des arts plastiques, vocabulaire plutôt de manipulation, découper,
coller, déplacer, notion de visuel en fait. Ouais de matière en fait voilà j'ai vraiment transposé une
pratique plastique à une pratique sonore en fait. […] Et là par exemple ça ne me parle pas, parce-que
sur quelle échelle tu te bases, si tu devais interagir sur une échelle chiffrée et que l'échelle c'était ouais
des Hertzs ou des trucs qui ne me parlaient pas, j'étais perdue. »
C'est également le cas de logiciel comme Max, ayant maintenant son propre module intégré à
Ableton qui relie la pratique de la musique électronique populaire et savante.

Jean : « bah Max, ça m'ouvre à d'autres horizons en fait même plus loin que la musique, ça m'aide à
m'intéresser à des univers auxquels je n'ai jamais touché en fait et à essayer de créer des liens entre
plusieurs univers. »

C'est notamment en ayant connaissance de la technologie modulaire, dont Max tire l'interface, que
Jean est venu à s'y intéresser.
Jean : « Je découvre la programmation numérique, ça remet aussi tout en cause, tout ce qui est Max ou
Pure Data où vraiment là en fait c'est en train de me refaire la même chose que quand j'ai découvert les
synthés hardware, ça fait longtemps que je m’intéresse aux systèmes modulaires analogiques en rack
mais là ça m'a vraiment amené quelque-chose d'autre, une nouvelle ouverture en fait, le fait de créer
son propre instrument de A à Z. »

On voit bien que la construction modulaire de Max et Pure Data a intrigué Jean alors qu'il
s'intéressait à cette technologie concernant les synthétiseurs analogiques. Les logiciels regroupent
des objets différents, utilisé de manières différentes.

Jean : « C'est ça que je trouve beau par rapport à cet instrument, il y a des cultures à l'intérieur de ça
mais en fait c'est vraiment un monde géant mais qui est vraiment uni en fait. […] Suivant comment tu te
réappropries le même matos, tu en fais des choses différentes […] Tout le monde sait à peu près tout
faire, mais il y a des manière différentes d'envisager ce que l'on a devant soi. »

Tout cela est possible grâce à la capacité d’absorption de la technologie numérique, qui fait se
côtoyer différentes technologies au sein du même espace.

Georges : « Mais d'un autre côté, on peut stocker beaucoup plus d'informations, c'est plus ouvert, c'est
plus facile à mettre en œuvre tout de suite des idées […] ça fédère des gens. »

Comme objet frontière, le logiciel est suffisamment plastique pour se fondre aux besoins et envies
des utilisateurs et suffisamment robuste pour avoir du sens en tant qu'objet musical. Le logiciel de
MAO concentre les fonctions de créations électroniques, de mixage et d'enregistrement dans un
objet pour en devenir quasiment la référence dans chacune de ces pratiques, et en changeant de
forme si besoin. Cela fait se côtoyer différents mondes, où certains acteurs n'hésitent pas à traverser
les frontières. Cela brouille également la distinction entre le technicien et le musicien, qui doit
toujours être un mélange des deux, et forme une nouvelle organisation des modules du studio en un
monde ouvert emmenant l'utilisateur d'une pratique et conception musicale à l'autre.

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b. Le logiciel de MAO, ses pratiques et ses utilisateurs
- Les processus d'initiation à la MAO
/Une porte d'entrée, le monde numérique
L'élément primordial pour pratiquer la MAO est d'avoir accès régulièrement à un ordinateur. En
effet, c'est en fouillant sur le Macintosh de ses parents que Quentin a « découvert qu'il y avait ce
logiciel [Garage Band] sur l'ordi » et qu'il a « regardé ce que ça pouvait faire » seul. Pour Jean, c'est
lorsqu'il a « commencé a farfouiller comment on pouvait faire de la musique avec » son premier
ordinateur qu'il est tombé sur son « premier logiciel ». En effet, le monde numérique semble être la
principale porte d'entrée vers ces pratiques, qu'elle se fasse en autonomie, comme Marc à onze ans
devant son Macintosh des années 1980, ou soit intrinsèquement lié à un besoin technique ou
pédagogique. Il faut noter que les élèves âgés de moins de vingt cinq ans et les professeurs âgés de
plus de quarante ans n'ont pas découvert la MAO de la même manière, et n'en ont pas les même
utilisations suivant le stade de développement des ordinateurs. En effet, l'arrivée de l'ordinateur à la
maison ou à l'école a permis de rendre cette pratique, auparavant rare et précieuse, commune et
abordable. Les professeurs ont donc généralement appris cela au sein d'une formation et les élèves
sur l'ordinateur familial ou personnel. Aussi, il faut avoir en tête que l'ordinateur personnel ne
permettait pas des traitements audios en temps réel avant le milieu des années 90, là où le langage
MIDI existait depuis 1983. C'est en comprenant les raisons de chacun des sujets à utiliser un
logiciel que nous comprendrons les portes d'entrées possibles vers ce monde, et, par la suite,
comment ces personnes définissent cet objet. J'ai tenté de trier les problématiques qui amènent les
musiciens à l'usage d'un logiciel de MAO.

/Le musicien électronique


Léopold : « Après j'ai commencé à faire un peu de musique électronique à tatillon. J'avais une carte
son, mais je ne m'en servais jamais, sauf pour les soirées car j'avais acheté un clavier MIDI. Ce qui m'a
forcé un peu plus à m'y mettre c'est l'entrée en CEPI [Le cursus professionnalisant du conservatoire], il
fallait présenter quelque-chose et vu que je n'avais plus mon groupe de rock heuu du coup j'ai fait un
morceau. »

Séparé de son groupe de rock et forcé de préparer un morceau présentable pour son entrée en 3ème
cycle au conservatoire, pour pouvoir créer et interpréter de la musique seul, Léopold a eu recours à
la MAO.

Léopold : « je m'y suis mis parce que je savais que avec ça, tu peux facilement faire des morceaux qui
pour moi pouvaient être complets. Je ne me voyais pas faire ça avec une guitare. »

Alors qu'il avait mixé des morceaux de son ancien groupe avec un des membres, il avait été initié à
la caisse à outils du musicien électronique. Léopold m'a d'ailleurs avoué avoir été plus sensible à la
phase de mixage que d'enregistrement. Partant d'un besoin de présenter un travail seul, Léopold est
devenu musicien électronique. En racontant son expérience dans le cours de laboratoire de
Musiques Actuelles, Claire explique son initiation à la MAO.

Claire : « Bah ça a été pendant mon premier cours, mon tout premier labo, j'étais avec des personnes
qui étaient là depuis un certain temps et donc en fait, je ne savais pas du tout quoi faire. Je les voyais
sur leurs ordis, avec leurs synthés, je ne savais pas du tout quoi prendre. La première chose que j'ai
prise est le micro et Tom m'a montré la pédale qui était avec. Je n'ai pas touché un ordi avant un an et
demi de Musiques Actuelles, je me suis finalement dit que pour composer je n'avais pas trop le choix.
Du coup j'ai acheté mon Mac heuuuu après j'ai acheté ma carte son, et heuuu et donc au début ça
passait vraiment juste par la voix, je me suis entraînée à essayer de trouver un son qui me plaisait. […]
Avant ça, j'avais enregistré mes compos sur mon téléphone. »

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Claire ayant appréhendé l'univers de la MAO par la pédale d'effet de chant Boss RC-20 Loop
Station, donnant la possibilité de faire des boucles, a vu dans les logiciels, une manière de défendre
seule un projet qu'elle aurait aimé interpréter à plusieurs.

« - Si t'avais des super musiciens et un super studio, est ce que tu utiliserais encore l'ordinateur ?
[Claire] - Ah nan, nan nan. Franchement, si je l'utilise aussi, c'est parce-que je suis toute seule et du
coup j'en ai besoin, si j'avais un groupe, je ne pense pas que je passerais par ça. […] Si j'étais avec des
musiciens dans un studio, je ne ferais pas la même choses. D'avoir un ordi, ça me permet de chercher
de nouvelles couleurs, d'avoir des sons que je ne pourrais pas avoir naturellement on va dire, mais
heuu si j'avais des musiciens heu, je pense heu que je pourrais me passer de l'ordi. »

Il faut observer qu'après la réalisation de son projet personnel, elle ne tolère maintenant plus que
quelqu'un d'autre joue sa musique et tient à enregistrer l'intégralité de ses prises, à faire son propre
mixage, et à déclencher tous ses sons en live.

« - Et tu n'as pas envie de recruter des musiciens ?


[Claire] - Nan, parce que mon projet il est heuu personnel que je ne pourrais pas, honnêtement, dans
mon projet l'ordinateur est essentiel, il faudrait des musiciens vraiment soumis. Dans mon projet à
l'heure actuelle, j'ai besoin d'un ordi, je ne pourrais pas avoir des gens avec moi. »

Partant d'un problème d'arrangement, elle s'est initiée aux pratiques d'un musicien électronique,
alors qu'elle ne possédait pas une culture informatique avancée et ne voulait à priori pas utiliser
d'ordinateur.

Claire : « je ne connaissais pas du tout, je ne savais pas que c'était possible de faire autant de choses
avec un ordi, la première fois que j'ai ouvert Logic heuu, je ne comprenais rien, Tom il me parlait, j'avais
l'impression qu'il parlait une autre langue. »

Le besoin de composer ou de défendre de la musique seul semble être un besoin répandu chez les
personnes s'initiant à la MAO au sein des Musiques Actuelles Amplifiées.

/L'enregistrement et le monde du studio

Les logiciels, comme nouvelles stations d'enregistrement, ont permis à des artistes de s'initier à ces
pratiques à partir d'une problématique d'enregistrement musical.
Tom :« Oui, voilà, ça vraiment voilà, ma découverte de l'ordinateur enfin de la MAO, si ça existe, c'est
vraiment pour m'enregistrer en fait, ça c'est clair. »
Quentin : « J'avais Garage Band sur l'ordi de ses parents, j'ai fait mes premières maquettes avec un
micro USB. »
Claire : « Avant ça, j'avais enregistré mes compos sur mon téléphone. »

C'est ensuite le travail de studio, bien ancré dans le monde du rock, qui séduit les musiciens, comme
nous l'avons observé dans le cas de Tom. C'est le glissement du studio, de la machine hardware à
l'ordinateur qui permet de faire un pont entre ces pratiques. Théo, jeune guitariste, commence à
s'intéresser aux sons en s'intéressant au studio d'enregistrement de son oncle.
Théo : « Alors c'était super drôle heu la toute première fois, je suis allé dans le studio de mon tonton à
Mâcon, eux ils avaient Logic depuis peut être 20 ans, que sur Logic, et ce jour là, il enregistrait un
groupe, et puisqu'il avait reçu Pro Tools 10 et il découvrait le logiciel en même temps que moi, du coup il
y avait Fraise, mon tonton et le 3ème gars du studio qui étaient paumés devant le logiciel, et du coup, je
ne comprenais pas grand chose, et c'était ma première expérience de studio, on enregistrait un groupe
de Stoner, donc j'ai appris ce que c'était un micro dynamique et un micro statique. C'était en 5ème. Je
suis rentré de ça, c'était un peu le déclic, c'est con de dire ça mais c'était vraiment ça où j'ai compris
même tu vois l'environnement du studio, c'est quand même un truc de ouf quoi. »

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Comme on l'a vu précédemment, alors que tous les éléments du studio sont ancrés dans l’ordinateur,
ces logiciels font des liens entre des pratiques à priori différentes. L'enregistrement est souvent relié
à une problématique des musiques Rock, celle de faire un disque, et constitue une porte d'entrée
vers le monde de la MAO.

/La simplification d'une pratique

Il faut comprendre que l'ordinateur assiste aussi les musiciens ne pratiquant pas de la musique à
partir d'un ordinateur. Prenons l'exemple le plus significatif, les éditeurs de partitions. En effet,
Martin, altiste classique affirme, à propos du logiciel Sibelius, que :

Martin : « Justement, l’ordinateur permet d'aller beaucoup plus vite et de permettre les échanges
comme partout en règle générale. […] Quand j'imagine les copistes avant, le processus de création
sonore était beaucoup plus lent. »

La technologie numérique intègre un outil préexistant en lui attribuant ses caractéristiques. La


numérisation de ces pratiques, même si elle constitue la mise en place d'un logiciel spécifique, peut
potentiellement permettre d'initier l'utilisateur à l'ergonomie d'un logiciel de MAO. C'est par
exemple le cas de Théo, qui a utilisé des logiciels sur son téléphone, via un iRig, ralentissant une
musique, afin qu'il puisse repiquer des solos, pour ensuite s’enregistrer et composer par dessus.

Théo : « C'est vrai qu'à un moment, je l'utilisais aussi pour m'entendre ou pour m’entraîner. Là aussi, sur
mon iPod, j'avais un logiciel pour ralentir les morceaux et je l'utilisais pour ralentir les solos pour bien
entendre chaque note pour les repiquer. […] C'est un adaptateur jack/mini-jack que tu mets dans ton
téléphone pour faire du Garage Band dans ton téléphone et avant même de faire mon stage en studio,
j'enregistrais des morceaux sur mon iPod Touch. Je pouvais aussi brancher mon casque à ce truc, et je
pouvais faire du montage comme ça. J'ai enregistré deux morceaux comme ça. Un de la compo totale,
où je me suis dis que c'était le meilleur morceau de ma vie et que jamais je ne referai un truc aussi bien,
et une reprise. Dans un album d'Ozzy Osbourne, il y avait une interlude de guitare classique sublime et
je l'avais enregistré pour mon amoureuse de l'époque; Et après j'ai refait des covers avec ce même truc
que je branchais avec mon ordi. »

Théo a même pris l'habitude de jouer de la guitare à travers son ordinateur, sans passer par un
amplificateur.
Théo : « pour reprendre sur l'iRig, c'est vrai qu'à l'époque, c'était un ampli mon ordi et que c'était MAO.
[…] à un moment, j'ai arrêté de jouer avec des amplis, seulement avec Garage Band et cet espèce de
truc et au casque. Il était cassé mon truc, et à chaque fois que j’arrêtais de jouer je me prenais un larsen
dans la tête et ça c'est une sorte de traumatisme que j'ai qui est que dès que j’arrête de jouer ça partait.
Et avec ça j'ai fait des covers de Guns N' Roses, mais c'était vraiment de la merde ce truc. »

/Curiosité et informatique

En se réappropriant tous les objets du studio et les pratiques musicales populaires, l'ordinateur
donne la possibilité aux curieux d'avoir un usage récréatif de tous ces objets. La première fois que
Jordan a été confronté à un logiciel de MAO, c'est lorsque le batteur de son groupe de rock
« s'amusait sur Fruity Loops, à refaire ACDC et Daft Punk. C'était assez marrant, il faisait ça pour
le fun ». Revisiter les musiques que l'on écoute avec l'ordinateur permet d'envisager de nouveaux
moyens de jouer des sons. En se rappelant son premier contact avec la MAO, lorsqu'il releva un
morceau de Prince sur l'ordinateur familial en 1988, Marc affirme que :

Marc : « Effectivement, ma découverte de la MAO coïncide avec ma curiosité de la technologie de


manière générale. »

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C'est bien l’appropriation de cet outil qui ouvre les musiciens vers de nombreuses utilisations
potentielles. Comme on l'a vu, la technologie numérique intègre des technologies analogiques tout
en conservant des pratiques similaires de celle-ci. Le fait de reconnaître ses objets, comme Ahmed
qui a commencé en s'amusant avec des émulations numériques de boîtes à rythme, semble
également constituer une porte d'entrée vers la MAO. La caractéristique frontière de cet objet
amène les musiciens à s'intéresser à celui-ci de manières et pour des raisons très différentes.

- Des usages hétérogènes

Après avoir étudié les portes d'entrée vers la MAO, essayons d'étudier les différents usages des
musiciens interviewés. On a vu précédemment pourquoi l'objet numérique du logiciel pouvait être
considéré comme un objet frontière, tant il regroupe des pratiques différentes à l'aide des mêmes
outils. Étudions et répertorions ces pratiques plus en détail, afin de comprendre, par la suite, ce que
peut signifier faire de la MAO. Le but étant également d'étudier comment les gens décrivent chaque
logiciel pour concevoir la manière dont les logiciels semblent prescrire des pratiques particulières.
L'étude comparative des logiciels utilisés par les différents sujets, en fonction de leur appartenance
à une ou plusieurs classes, résultera en un petit schéma traitant des logiciels de MAO au sein du
pôle son de ce conservatoire afin de clarifier mes propos (cf. Annexe 1).

/L'enregistrement musical

Tout au long des entretiens, certains sujets m'ont expliqué des correspondances entre des
technologies du logiciel et des pratiques. D'abord, l'enregistrement, ayant pour but de créer un
fichier numérique codant l’œuvre musicale, passe essentiellement par ces logiciels. Pour Quentin :

Quentin : « En tant qu'ingé-son, je n'ai jamais utilisé le MIDI, et en tant que musicien je l'ai utilisé
beaucoup. »

Lorsque l'on enregistre, les pistes MIDI ne sont pas utilisées de la même manière que dans une
perspective de composition.
Patrick : « En fait on avait des samplers extérieurs, que l'on commandait en MIDI et des banques de
son. Ce que l'on fait surtout comme type de MAO, c'était surtout du Trig. [technique lié au sampler
basée sur le déclenchement d'un son stocké à la réception d'un signal] C'est uniquement dans ce sens
là que j'utilise les instruments virtuels. C'est pas tant pour créer comme va dire Tom et tous les autres,
ça va faire une valeur ajoutée au mix. »

Les musiciens et les techniciens utilisent les mêmes outils de manières différentes. Selon Quentin,
la MAO semble être une manière de « figer, d'enregistrer quoi une idée, une création. » comme un
gros magnétophone. Les logiciels les plus utilisés pour l'enregistrement musical sont ici Pro Tools,
Pyramix (plutôt dédié à la prise de son classique) et Cubase.13

13 Pro Tools :
Pierre : « Pro Tools étant plutôt dédié 'enregistrement studio' est utilisé beaucoup par les électroacousticiens »
Quentin : « C'est un logiciel enfin je pense que c'est comparable à Pyramix dans le sens où c'est un logiciel spécialisé
dans la prise de son et le mixage »
Théo : « Pro Tools, là pour le coup pour moi, c'est de l'enregistrement. »
Pyramix :
Quentin « Alors Pyramix, c'est un logiciel Digital Audio Workstation, Pyramix c'est vraiment pour la prise de son. »
Patrick : « Et surtout le gros avantage de Pyramix, c'est son système de source/destination. En enregistrement classique, on n'est
jamais sur une grille évidemment et surtout on fait des prises qui ne peuvent pas être synchronisées dans le temps, vu que l'on est
jamais pile au même tempo donc on ne fait pas un système de play-list. »

Cubase :
Ahmed : « Cubase c'est un peu comme Logic, par contre il est plus précis sur l'édition audio. L'avantage de Cubase est qu'il peut
fonctionner sur PC. »
Jean : « Alors attend, là il me faut la clef, tu paies tes logiciels et on t'handicape quoi. [...] Bah pour moi Cubase en fait c'est l'ultime de

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/Composition et arrangement

Les musiciens composent et arrangent leurs musiques à partir de ces logiciels. L'enregistrement,
devenant un aspect inhérent au processus de création musicale, est intégré dans tous ces logiciels.
Même s'ils ne sont pas classés dans la case enregistrement, de nombreux utilisateurs utilisent ces
logiciels de MAO pour enregistrer, par habitude d'utilisation. En parlant de Logic, Théo nous
informe que « c'est simple, c'est un logiciel de composition ». Pour Tom :

Tom : « Je pourrai dire que c'est un séquenceur heuuuu heuuu qui va qui va servir principalement à
enregistrer de la musique, à l'éditer heuu exporter ses multi-pistes, à mixer, remixer, masteriser et à
créer de la musique en fait. A enregistrer et créer de la musique pour moi globalement. »

Alors que Georges l'utilise pour composer des musiques de spectacle, Jordan affirme que « Logic
c'est le premier outil, pas le premier mais, un des outils que j'ai le plus utilisé pour la création, donc
avant que je fasse du live sur machines. ». Pour Claire par contre, Logic lui sert d'abord à mettre à
plat ses idées.
Claire : « J'enregistre d'abord avec mon téléphone et après je le repique sur mon ordi. »

C'est également un outil d'arrangement. Pour continuer sur Logic, les musiciens semblent le voir
comme un logiciel très prescriptif, que l'on utilise strictement.

Jean : « Ableton c'est vraiment essentiel, c'est plus ouvert. Dans Ableton, il y a un côté plus modulaire.
Alors que Logic c'est fermé à la folie, tu utilises le logiciel comme il est fait. Je ne pense pas que l'on
puisse se l'approprier à proprement dit, il est ultra cadré […] Logic, il est plus visuel qu'Ableton, c'est un
peu moins bordélique. »

Logic, Fruity Loops et Ableton Live, utilisé plus spécifiquement pour le live et empruntant son côté
modulaire à l'informatique musicale, semblent être majoritairement utilisés par la classe de
Musiques Actuelles Amplifiés pour composer et arranger, donc également enregistrer, de la
musique.14

/Composer et éditer des sons

Un autre aspect de la composition est celui de la recherche de textures sonores. En fait, on peut
observer que les musiciens composent des morceaux, mais également des sons, parfois même avec
des logiciels spécifiques, afin de construire leur vocabulaire sonore.

Léopold : « Logic, c'est un logiciel de montage et mixage pour moi. Usine c'est plus pour chercher des
textures, travailler des rythmes, c'est plus du son pour moi Usine. »

Julia : « Hé bien, bienvenue dans une salle d'opération où nous allons disséquer des ondes. » [à propos
de Cubase]

l'audio. »
Pierre : « Cubase, qui est le logiciel le plus utilisé, avec Pro Tools, dans le monde pour la production sonore […] Ce qui est intéressant
c'est que on a une très belle gestion de toutes les synthèses, de tous les VST. On part d'une page blanche, et on crée des pistes
instrumentales, on crée des pistes audios, on crée des pistes de groupe, on crée des pistes de changements de tempo, on crée à
peu près toutes les pistes que l'on souhaite. »
14 Logic :
Quentin : « C'est comme un Garage Band Plus »

Fruity Loops :
Marc : « c'était entre Acid et Ableton, je l'ai utilisé pour sa capacité simple à faire du rythme, il y avait un truc de séquençage simple, de
déclencheur et de raccourci simple. Le premier live que j'ai fait, en faisant la première partie de Otto von Schirach, c'était avec Fruity
Loops »

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Ces musiciens disent alors qu'ils ''font du son''. De plus, la phase de mixage est aussi une manière de
poser son empreinte sonore, à tel point qu'elle fait partie intégrante de la phase de composition.

Claire : « J'enlève juste les fréquences sales qui me dérangent, j'ai envie de garder un son acoustique. »

Le désir de couleur spécifique va modifier le propos final du morceau. Même le fait que Claire
souhaite un son acoustique, fidèle à la réalité, modifiera considérablement son morceau. Après le
stade de création, les musiciens appartenant à la classe de Musiques Actuelles Amplifiées adaptent
tous leurs projets sur le logiciel Ableton Live.

Jean : « Ableton, pour le live, il n'y a pas mieux. »

Georges : « Des fois si je fais du live, je ne vais pas y aller avec Logic, je vais y aller avec Ableton. Des
fois je fabrique des sons sur Logic et je les importe sur Live. Avec Live, je vais les fabriquer en live c'est
à dire, je vais les transformer en les jouant. »

L'idée d'utiliser un logiciel différent pour la finalisation de l'album et l'aboutissement live est
souvent présente. Certains logiciels semblent se jouer comme des instruments de musique et
d'autres servir comme d'un studio d'enregistrement.

Tom : « Je commence avec Logic Pro que j'utilise principalement; Donc pour la création, car j'utilise
aussi Live pour les concerts, mais vu que je fais plus de création chez moi plutôt que de concerts on va
ouvrir Logic. »

On trouve alors cette idée de logiciel temps réel, où tout va se passer en live, en opposition à l'idée
de création d'un objet sonore final. Des logiciels, comme Qlab, ne sont utilisés que pour activer des
événements en temps réel.

Patrick : « ça va gérer des éléments sonores, que tu vas pouvoir jouer et sur lesquels tu vas pouvoir
intervenir en temps réel. Donc c'est vraiment un truc de théâtre lié à du jeu en temps réel, où tu ne peux
pas avoir l'idée de timeline qui défile, un peu comme un truc de live. Tu vas gérer des sons qui vont se
succéder. » [en parlant de Qlab]

On trouve également des logiciels qui sont uniquement des instruments, où la pratique de la MAO
se résume à une pratique instrumentale en direct. C'est le cas des logiciels de synthèse sonore
utilisés en Standalone, sans être intégré à un DAW, ou du logiciel IBNIZ.

Marc : « Donc IBNIZ, qui est un logiciel qui fait de la programmation de manière un peu ésotérique où
chaque instruction est représentée par un caractère et qui fait que lorsque l'on écrit n'importe quoi, de
manière déterministe, il se passe quelque chose de manière visuelle et sonore, proche du glitch, dont
l'expérience est live, on utilise des lignes de code, c'est hyper grisant. […] IBNIZ, c'est plus proche de
l'instrument que du logiciel. »

/Programmer de la musique

La dernière pratique des logiciels de MAO, fondamentalement liée à l'informatique, concerne la


programmation musicale. Max, et son équivalent open source Pure Data, sont souvent reconnus
comme relevant de l'informatique musicale. Nous discuterons dans la troisième partie de la
signification de ces termes et si l'on peut considérer ces pratiques comme de la MAO. Voila
quelques exemples.

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Jean : « ça c'est mon premier vrai patch, mon premier but est d'essayer de faire interagir une vidéo et un
son; et que la vidéo interagisse avec la musique et que la musique interagisse à la vidéo. Il prend ma
webcam dans un analyseur de spectre et en extrait des informations MIDI. » [en parlant de Max]

Ce logiciel est donc ensuite comparé à son homologue libre.

Jean : « J'ai testé Pure Data, et je préfère 100 fois Max, visuellement c'est dingue quoi, franchement le
truc le plus tout bête du monde, c'est juste que tu crées un objet, tu écris une lettre et tu as la liste quoi.
Juste pour ça c'est génial, et le fait d'avoir toutes les librairies. Il y a un côté plus ludique que dans Pure
Data. »

La démarche est très différente de celle que l'on a observée auparavant.


Pierre : « l'idée c'est ça aussi, que ça compose tout seul. »

Elle paraît moins abordable pour le musicien car elle ne prescrit pas, à priori, de pratique musicale
traditionnelle. Mais parfois, cela ne correspond juste pas aux attentes des musiciens.
Georges : « c'est pour ça que des trucs comme Reaktor, Max, ou Pure Data, je trouve ça génial mais je
pense que je vais passer plus de temps à essayer de comprendre alors que mon but c'est de trouver un
truc tout de suite inspirant. »
Même si pour certain, c'est l'épiphanie.
Marc : « C'est à dire que du coup on programmait avec des boîtes et des fils, c'était vraiment l'épiphanie
totale, c'était exactement ce que je voulais, du traitement en temps réel, de la programmation en temps
réel graphique. D'un point de vue moins intellectuel, je pouvais concevoir des programmes de la manière
naturelle dont je les percevais. Il y a un son qui arrive, je le modifie. Ce qui ne correspond pas du tout à
la manière de faire de la programmation avec des lignes de codes. »

Afin d'ouvrir leur pratique, des musiciens électroniques issus de la classe de Musiques actuelles
Amplifiées semblent également passer par le logiciel Usine, offrant la possibilité d'utiliser ses
fonctionnalités via des Preset, des modules pré-fabriqués, et des interfaces plus abstraites.

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Ahmed : « Et j'ai un Usine en ce moment où je travaille beaucoup sur de la programmation, mais c'est
pas de la programmation où le langage c'est du C++. C'est de la procédure avec voilà simplement un
raisonnement où on se met des conditions du coup ma syntaxe elle est simple, si je veux faire ça alors je
dois passer par là mais si je dois passer par là, est ce que je suis obligé d'arriver par cela sinon qu'est ce
qu'il faut faire....Vraiment sur des raisonnements 'si' 'alors' 'sinon'. Je m'en suis servi pour faire des
modes maqûam, on va dire arabique. Il y a des petits patchs qui permettent de faire des modes
arabiques mais ils ne fonctionnent jamais sur tous les synthés, c'est pas stable du tout. Du coup, je me
suis penché avec Pierre pour faire un mode maqûam avec tous les synthés possibles. C'est ça que
j'aime bien avec Usine, ça sort du cadre de Cubase ou Ableton. »

Léopold : « je pense que je pourrais t'expliquer mon rapport à celui là que en te donnant des exemples
avec des autres logiciels. Par exemple, par rapport à Live, l'horloge du logiciel est complètement
bordélique, tu peux synchroniser tes samplers au tempo, mais il faut que tu donnes l'ordre à tous. Ce qui
m’intéresse beaucoup en fait, c'est que rythmiquement, t'es jamais réellement calé quoi. Après tu peux
le caler, mais ce qui m'intéresse, c'est d'avoir le choix là dessus, et de choisir ce que j'ai envie de caler
ou pas quoi. »

Pierre, le professeur d'électroacoustique, qui est cité par les musiciens ci-dessus comme étant à
l'origine de leur pratique de ce logiciel explique que Usine est :
Pierre : « l'équivalent de Max ou Pure Data en plus simple et efficace. »

Les principaux logiciels cités en lien avec la programmation musicale sont Max, Pure Data, Usine
et Reaktor.15
15 Pure data :
Patrick : « Je ne l'utilise que pour faire des choses très particulières et uniquement quand j'ai besoin d'un outil que je n'ai pas sous la
main en fait. »
Jordan : « c'est un peu truc de geek mais j'aimerais bien essayer, je trouve ça marrant ! »

Reaktor :
Pierre : « Reaktor est un bon outil de synthèse sonore, j'ai fait beaucoup de patchs, des installations muséographiques mais il est moins
ouvert que Usine. »

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/Comment utiliser un logiciel à des fins musicales ?

J'ai voulu ajouter un petit aparté afin d'expliquer les manières d'utiliser les logiciels. D'abord,
l'exemple de Jean montre que l'utilisateur peut se servir du logiciel pour ce qu'il prescrit, sans
nécessairement être aliéné par celui-ci.

Jean : « Je pense avoir une utilisation assez basique des logiciels, je ne sors pas des codes prédéfinis.
Je ne les pousse pas à leurs extrêmes. »

Lorsque la finalité apparente du logiciel convient à l'utilisateur, il préfère une ergonomie simple
plutôt que d'autres multiples possibilités. En parlant de Logic, Georges explique que :

Georges : « C'est quand même un outil déjà complet à la base ; tu l'achètes, tu peux déjà tout composer.
Des gens qui n'aiment pas diraient que c'est un espèce de Garage Band Plus, mais moi je trouve qu'il a
une ergonomie simple et tant mieux. »

D'un autre côté, des musiciens approchent les logiciels de manière empirique. Le but n'est alors pas
de maîtriser le logiciel pour assouvir ses besoins, mais de créer avec, le confronter à ses idées ou
s'en servir comme objet déclencheur de la créativité. Quand il me montre Usine, je découvre la
manière dont Léopold utilise les logiciels.

Léopold : « Ah mais il a automatisé un autre truc, Et tu peux vraiment faire de la merde, ah nan casse
toi *rire* , ah j'suis coincé [le logiciel s’arrête inopinément] ah bah voilà, il a pété un câble. Bon tu vois
que tu peux tout automatiser, c'est sauvage *rire*. »

Alors l'utilisateur ne semble pas toujours avoir intérêt à connaître son logiciel par cœur.

Georges : « Moi je déteste tout apprendre d'un logiciel, donc heuu je ne sais pas si c'est bien ou pas
mais c'est comme ça. Par exemple, je vais trouver une petite fonction, ça va m'occuper une semaine, je
vais trouver un truc qui me plaît, ça va me donner des idées, et tout de suite ça va me donner des idées.
Dès que je comprends une fonction que je trouve géniale et là je suis parti. [...] J’accepte l'idée que je ne
connais pas tout des logiciels, j'ai ma façon de les connaître et ça me suffit. »

Léopold : « Voilà la première interface d'usine avec des démos. C'est pour découvrir le logiciel mais je
l'utilise souvent, c'est assez cool. Il y a des trucs là, j'imagine à quoi ça sert mais je ne m'en sers pas du
tout. »

Les habitudes et le workflow du musicien lui offre des points d'ancrages personnels vis à vis de son
logiciel. Si les éléments constitutifs de ces gestes sont modifiés par une mise à jour ou un
changement de logiciel, la réadaptation peut poser des difficultés ou imposer de nouvelles
contraintes.

Jean « Logic, c'est un peu spécial parce que c'est mon premier, je pense que c'est celui que j'ai le plus
poncé, je connais vraiment pas tout dessus mais j'ai vraiment des habitudes en fait. »

Théo : « Ah Logic, j'avais mis le 10 mais je n'y arrive pas, donc j'ai toujours le 9. »

Tom : « je pense que c'est vraiment des habitudes, j'ai trouvé un confort sur un logiciel et j'ai pas
trouvé des raisons de me mettre à un autre. »

L'utilisateur semble construire sa manière de jouer d'un logiciel de MAO. Cela est orienté par ses
sensibilités, les objets et sons qu'il reconnaît, et par des habitudes de travail informatique ou des
démarches compositionnelles personnelles.

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- La construction de son ergonomie

Pourquoi les musiciens utilisent-ils différents logiciels, alors qu'ils disposent globalement tous des
mêmes fonctions ? Ce sont tous des magnétophones, des séquenceurs ou des instruments et ils
intègrent tous les même plugins.

Patrick : « Tous les logiciels font plus ou moins la même chose avec des accès différents, c'est de
l'ergonomie en fait. »

Les logiciels sont une manière spécifique de contrôler le son. Même s'ils sont accommodés des
mêmes fonctionnalités, la manière d'accéder au son va convenir à une pratique spécifique.

Théo : « Pour moi les logiciels, c'est une sorte de temporalité. »

La musique navigue alors dans des espaces et temps différents.

Théo : « Tu vois sur Live, il y a une temporalité reliée aux boucles. […] Pyramix, même si ça c'est
horizontal, c'est des temporalités différentes, avant si j'avais un morceau de 3 min, je faisais une session
de trois minutes et après je faisais mes différentes prises comme ça tandis que là en classique, on ne
peut pas faire ça car il n'y a pas de métronome. »

L'ergonomie d'un logiciel facilite, ou embarrasse, une pratique spécifique. Acquérir une multitude
de logiciels donne la possibilité de se créer un ensemble de points d'accès au son. Même les lecteurs
comme iTunes ou Windows Media Player, ne proposent pas la même gestion de sa musique. De
plus, les objets utilisés pour manipuler le son vont impacter, mais non prescrire, les gestes du
musicien. Il faut garder en tête que le musicien est acteur du logiciel.

Théo : « Même avec l'envoi de reverb', sur Logic tu envoies dans tes AUX, quand tu envoies dans une
reverb', tu envoies avec un tout petit potard comme ça ; sur Pro Tools, c'est sur la console c'est des
envois que tu fais au fader. Du coup même ça dans la représentation ce n'est pas le même geste, ce
n'est pas le même degré non plus. […] l'histoire des reverbs' et des envois et de l'interface, ça remet
aussi en cause un peu l'espace dans lequel évolue ta musique. »

C'est un argument en faveur des fans de logiciels comme Max ou Pure Data, l'utilisateur créant son
interface, il paraît à priori plus libéré de ces contraintes prescriptives, même si d'autres émergent
alors. En me montrant Cubase, Julia montre que l'utilisateur reste acteur de son ergonomie sur les
DAW à priori plus prescriptifs.

Julia : « Voilà, ça c'est la barre d'aperçu, ce que tu peux faire apparaître, ça j'aime bien, ce genre de
choses, je trouve ça hyper important l'ergonomie des logiciels, si t'as trop la tête dans le guidon, ça
permet de te dire, en fait ok, comment je vais avoir un aperçu plus global sur la chose. »

Étudions plus en détail, à travers les expériences du logiciel Ableton


Live, comment l'utilisateur, avec un logiciel à priori prescriptif,
devient maître de son ergonomie et arrive à construire son propre
workflow.

Julia : « Du coup live, il porte bien son nom, c'est vraiment pour du
live. »
Jean : « Pour moi c'est un logiciel de création de live, enfin c'est
marqué dans le nom. »

Tous les sujets s'accordent pour dire que ce logiciel est conçu pour
des pratiques de live, mais lesquelles ? Comment Ableton Live

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permet-il de rassembler des pratiques musicales en temps réel différentes ? Étudions déjà comment
il est construit et la manière dont les utilisateurs gèrent leur interface. Comme ses semblables, Live
dispose de deux points d'accès sonore principaux, qui forment son logo, le mode Session,
s'apparentant à une table de mixage, offrant une représentation des sons par pistes verticales, et le
mode arrangement, offrant un accès sonore horizontal, à la manière d'une bande magnétique, d'une
partition ou d'une forme d'onde. La différence de ce logiciel réside dans le fait d'activer des sons au
sein de la partie verticale également, à la manière d'un tracker. En organisant les sons en boîtes,
appelés Clips, sur des lignes, nommés scènes, on peut choisir de déclencher un ensemble
d’événements en live pouvant être contrôlés avec la table de mixage.

Julia : « j'avais vraiment mes sons bruts sur lesquels je mettais des effets, et je pouvais m'amuser avec
la chronologie en fait, j'ai une boîte avec tous mes sons. [...] Donc là j'ai ma grosse boîte où je range
tous mes outils sonores. tu as les reverbs' qui sont déjà là. Tu peux assigner des effets sur ces deux
potards là mais il y a en a qui sont déjà automatisés, qui sont déjà présents. Le truc que je faisais, c'était
plus sur les variations de volume, comment amener les sons de manière subtile, comme de manière
douce les baisser pour amener autre chose. C'était plus comment passer d'un son à l'autre ; sur les
transitions, qui m'obsédait. »

Le mode session de Live adopte la forme d'une console mélangée au mode de déclenchement
sonore verticale d'un tracker. On a vu que Julia, d'abord plasticienne, était sensible à cette
organisation spatiale en boîte, où l'utilisateur peut jouer des couleurs pour constituer son espace de
jeux.

Julia : « du coup moi je le considère plus comme des boîtes. On a les deux boîtes, dans lesquels je peux
mettre des sons que j'ai enregistrés, des samples, je peux leur donner une couleur, enfin une couleur
visuelle, pour bien les classer. Ça sert à les différencier, tu peux agrandir, mais la couleur permet de voir
à quoi correspond chaque boîte, que le bleu correspond à la voix de machin par exemple. »

Cet espace est modulable, et en observant la pratique de Julia, je me suis rendu compte qu'il ne
m'était jamais arrivé de compresser les pistes, au point où l'on aperçoit seulement le curseur de

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lancement des clips. L'affichage s'individualise suivant nos propres sensibilités et manières de jouer
avec le logiciel. Les flèches aux extrémités, ainsi que les symboles en bordure au milieu à droite
permettent d'afficher ou de cacher certains espaces du logiciel. Sur la gauche, il y a un espace dédié
à l'importation d'éléments, comme des samples, des instruments MIDI, des effets audios ou des
effets MIDI. C'est un navigateur permettant de visualiser facilement les éléments incorporables. A
noter que, à la suite d'un partenariat entre Ableton et Cycling '74, Max est intégrable à Live, via
l'onglet Max For Live, permettant de contrôler son interface et de créer des instruments et des effets
directement à celui ci. C'est ce monde ouvert qui laisse place à chacun d'utiliser le logiciel comme
bon lui semble, comme cela lui fait sens. Pour revenir sur les clips, qui ont leur propre fenêtre de
visualisation en bas, ils disposent de fonctions intrinsèques, Marc lui même a préféré laisser les
boîtes s'autodéclencher aléatoirement.

Marc : « Alors que Ableton, c'était pour jouer en live mais aussi des samples en boucle quoi donc
c'était exactement ce qu'il me fallait, on pouvait enchaîner les boucles en mode random. »

Chaque utilisateur constitue son ergonomie, ses instruments ainsi que ses gestes instrumentaux par
rapport aux fonctions du logiciel qui lui semblent faire sens. Prenons une autre fonction intégrée au
logiciel, le Warp. Elle permet de synchroniser des rythmiques à différents tempos ensembles.
Étudions comment cette possibilité ouvre Live sur une multitude de pratique.

Georges : « Il faut se rappeler que Live au début c'était un tracker, un logiciel qui servait à lire des
boucles. Sa grande force est qu'il va harmoniser les tempos de boucle; ça veut dire que si tu prends une
boucle dans un vinyle où tu n'a pas bien identifié le tempo et tu prends un autre truc, tu les mets dans la
même session et elles vont être synchronisées et ça c'est quand même génial. »

Léopold : « Je ne me sers que de la partie verticale car je l'utilise pour du live, ce qui est cool pour le
coup, c'est que la synchro est nickel quoi. »

Cela permet aux musiciens électroniques, adeptes du sampling, de mélanger des morceaux, sans se
préoccuper du tempo. Personnellement, je l'utilise également pour faire des glitchs sonores et
modifier les impacts rythmiques de mes samples. Mais Ahmed en fait un tout autre usage, possible
grâce à une nouvelle collaboration.

Ahmed : « Sur la dernière version d'Ableton, il y a une fonction qui permet de synchroniser un sample
sur le tempo d'un morceau, il y a une utilisation qui permet de soutenir les mix. La fonction c'est de linker
[ou associer] Serato et Ableton Live, ça permet de soutenir certaines musiques qui n'ont pas beaucoup
de basse, des musiques traditionnelles du Maghreb, et d'insister sur le coté incisif de la basse pour
inciter les gens à danser davantage. »

Live semble également se positionner comme un outil propice au DJing. Cela permet ici au DJ de
synchroniser des samples de rythmiques à des musiques préexistantes en live tout en ayant la
possibilité d’exécuter tous les traitements sonores possibles par Ableton Live. Pour les électronistes,
la disposition horizontale en scène, les clips tournant en boucle, permet d'organiser leur live à leur

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souhait en les déclenchant via un contrôleur MIDI.
Jean : « On va créer des pistes heuuu où on va sur chaque piste, on va enregistrer des boucles audio ou
midi que l'on va pouvoir lancer ou arrêter à son gré , comme ça on va pouvoir faire un déroulement,
comme une sorte de timeline où on a le contrôle dans la timeline, qui laisse vraiment part à une
improvisation. »
Georges : « donc tu peux faire une espèce de fonctionnement intro/couplet/refrain mais ce n'est pas le
même fonctionnement que dans Logic car là tu déclenches des clips qui jouent. »
Léopold : « Ce que je fais, je vais te montrer le projet de Magicien [son groupe]. Donc voilà j'ai quasi que
des racks audios, tous les morceaux dessus, là une intro de nappe, là une autre nappe, bah j'ai
pratiquement que des nappes en fait *rire* après j'assigne des effets que j'applique aux pistes sur mon
APC comme ça je peux contrôler les effets et lancer les samples. A chaque fois que l'on finit un
morceau, on change de tempo, donc je fais une ligne totalement vide où je passe sur le morceau
suivant. »

Pour les adulateurs de synthétiseurs analogiques, cela permet de contrôler leurs machines, via
l'envoi d'informations MIDI, simplement en enclenchant des clips, constitués de patterns, écrits sur
l'ordinateur.

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Jordan : « J'utilise encore Ableton pour lancer des patterns, j'ai pas dix mains pour jouer dix machines
en même temps. »

Théo lui, utilise cette fonction afin d'activer, en temps réel, des événements lors d'une pièce de
théâtre.

Théo : « Ah oui j'ai fait des trucs sur Live aussi, pour des pièces de théâtre où j'envoyais des tops, j'avais
100 scènes et je faisais entrer aux bons moments. »

En s'ouvrant à différents contrôles sonores en temps réel, le logiciel procure une expérience
personnalisable. L'interface d'un logiciel est également malléable grâce aux contrôleurs MIDI, qui
viennent rajouter des points d'accès sonores via la personnalisation de son geste instrumental. C'est
l'exemple du contrôleur Push, sorti spécialement pour Live, dont Ahmed nous présente son
utilisation :

Ahmed : « Moi je l'utilise principalement avec le contrôleur Push […] Les triangles c'est les accords
majeurs, c'est une manière intuitive de faire des accords. »

Le musicien construit un vocabulaire à partir de la recréation de gestes instrumentaux basés sur les
boutons du contrôleur, modulables par ses souhaits. D'ailleurs Live est également réputé pour sa
simplicité à synchroniser des contrôleurs, ce qui est très pratique pour organiser une performance.

Marc : « l'interface MIDI était directement reconnue ; là tu branchais en USB, pareil d'un point de vue
technique ce n'était pas trivial c'était une tannée, maintenant , ça va depuis Ableton, là tu branches et
boom c'est reconnu, c'était la révolution quoi. »

C'est l'utilisateur qui programme sa machine, décidant de l'influence du


mouvement d'un potentiomètre spécifique sur un paramètre du logiciel.
Rien que la possibilité de modifier le mode de déclenchement d'un clip
peut modifier l'expérience de jeu. Par exemple, si l'on appuie sur la
touche de son clavier, cela peut enclencher un événement qui peut se
stopper ou non si l'on relâche ou on le réenclenche. [Les trois fonctions
sont appelés Trigger, Gate et Toggle.]

Léopold : « Et ce que l'on avait fait, on avait des bouts de sample et il


avait juste changé le mode de déclenchement pour les samples. On avait
une APC, j'ai juste fait ça et j'avais pas envie de décrocher le truc quoi, je
trouvais ça trop bien. Encore ce truc de sampling quoi, cette pratique
quoi. »

Il paraît y avoir autant d'exemples d'utilisations de Live que d'utilisateurs. L'idée à retenir est que si
les logiciels semblent prescrire des pratiques spécifiques, c'est bien l'utilisateur, à travers ses
habitudes de travail, qui va constituer son workflow et ainsi devenir acteur de son environnement.

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3. Des Musiques Assistées par Ordinateurs
a. Un mot pour une constellation de définitions

Ce qui est passionnant avec le terme MAO, pour reprendre les mot de Pierre, est que « c'est
effectivement un gros débat ». Un débat regroupant, comme on vient de le voir, des pratiques
diverses et qui traite d'un monde à l'intérieur duquel un professeur, chargé d'enseigner la MAO en
pôle supérieur, peut être amené à dire « Même si moi-même je ne sais pas trop ce que ça veut dire
MAO ». Pourquoi tant de controverses ? Cette partie se concentre sur l'étude des définitions de la
notion de MAO proposées par les individus interviewés. L'idée est de comprendre des définitions
contradictoires d'une pratique plutôt que d'un monde. Pourquoi cette appellation perdure-t-elle et
comment intègre-t-elle autant de pratiques et définitions ?

- Le premier degré du terme ; L'ordinateur au service d'un projet musical

Faire de la musique avec un ordinateur veut-il vraiment dire que le son provient nécessairement de
l'ordinateur ? La Musique Assistée par Ordinateur, c'est d'abord utiliser l'ordinateur pour assister
une pratique musicale. Pour reprendre les mots de Julia « musique assistée par ordinateur, comment
l'outil ordinateur, comment cette technologie informatique va te soutenir quoi, va t'assister pour
créer de la musique. ». Étudions ce que cela signifie si l'on prend ce terme au premier degré.

/L'ordinateur ; notre assistant programmable


Marc : « Maintenant la MAO ça va être aussi construire un robot qui va jouer du piano à ma place. Pour
moi la Musique Assistée par Ordinateur, ça va plutôt que d'être de la musique produite par un
ordinateur, qu'est ce que je peux faire avec un ordi pour produire de la musique, ça peut être les bruits
d'un clavier, de manière acoustique quoi.»

Concentrons nous sur l'exemple de Marc et de son automate pianiste.

Marc : « Écrire des lignes de codes qui sont faits pour qu'un robot joue Wikipédia ; voilà Wikipédia c'est
sur des serveurs informatiques, on utilise internet pour ces flux de données qui sont transformés en
notes de musique qui sont jouées sur un clavier. on ne peut pas faire moins assistée par ordinateur quoi.
C'est complètement MAO. Par contre, il n'y a aucun son produit par une enceinte. C'est pas l'idée de ce
que les gens se font de l'ordi, pourtant cette pièce là, c'est celle dont je suis le plus fier, quoi c'est à dire
que la MAO, c'est ça, utiliser l'outil pour faire du son. Moi même je me suis extrait de l'idée que le son
soit produit par un ordi. »

En effet, être assisté par ordinateur ne signifie pas que l'on va nécessairement produire de la
musique par vibration de la membrane d'un haut parleur relié à un ordinateur, il y a d'autres moyens
de jouer de l’ordinateur. Cependant, Marc conçoit également de produire du son avec un ordinateur
tout en restant fidèle à sa démarche.

Marc : « Dans ma sensibilité, faire un truc où on tape sur des ordis pour faire de la musique, ça rentrerai
dans un cadre de promotion de la MAO. Même si l'ordi ne fonctionne pas. Après ça va être dans la
démarche qui est la mienne, le rapport au hacking quoi. »

Cette idée de martellement des équipements informatiques a d'ailleurs été mentionnée par Tom,
nommé contre son gré professeur de MAO. Notons que Marc utilise le terme hacking « dans son
coté noble, le côté curieux des technologies. »
Marc : « c'est à dire d'arriver à en faire quelque-chose d'autre, et que en soit l'ordi existe et l'usage
qu'on en fait n'est pas déterminé par les modes d'emploi du logiciel et que l'on peut en faire ce que l'on
veut mais pour cela il faut qu'on s'autorise à apprendre la manière dont il fonctionne et regarder la
manière dedans comment c'est fait, comme dans les logiciels libres. »

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L'idée de MAO semble donc être définie comme la création d'un programme à des fins musicales et
que « personne ne peux faire ça à part l'ordi ; je lui demande d’accomplir une tache qui est de
piloter un robot ». La MAO est un programme assistant.

/L'ordinateur, notre assistant claviériste


Jean : « L'ordinateur, c'est un assistant, ça me sert surtout à contrôler mes synthés. […] c'est mon
claviériste en quelque sorte. »

Dans ce verbatim, Jean décrit l'ordinateur comme un outil permettant de jouer de ses synthétiseurs.
Dans sa pratique de la musique techno, peu de sons sont produits par l'ordinateur, il ne s'en sert
principalement que de séquenceurs. Son attention est dirigée sur la table de mixage redevenue
hardware, ré-extirpée de son environnement numérique. Jordan, partageant un environnement
apparenté à celui de Jean avec une imposante table de mixage au centre ajoute que :

Jordan : « L'avantage d'Ableton, c'est de lui faire jouer trois machines indépendamment et pouvoir se
concentrer sur une machine. C'est vraiment pour se créer des mains la Musique Assistée par Ordi. »

L'ordinateur remplace des musiciens, ou plutôt donne la possibilité à un musicien de contrôler


différentes machines.

Marc : « Le fait d'utiliser le terme Assistée par Ordinateur, on imagine que l'ordi remplace un musicien.
L'ordi va être pris comme un musicien et non pas comme un instrument. »

Ajoutons que cela était déjà possible depuis l'arrivée du MIDI, via des séquenceurs physiques.

/L'ordinateur copiste

En restant au premier degré du terme, « Si on prend Sibelius, c'est plus proche de Musique Assistée
par Ordinateur que Logic » affirme Jean. En effet, l'éditeur de partition assiste l'utilisateur à la
réalisation d'une pratique musicale, alors que le DAW te propose une expérience musicale.

Marc : « Quand t'es sur Score, est ce que tu fait de la MAO ? Pour moi, c'est exactement ça, quand tu
fais du saxophone mais que tu as tes partitions sur Score, ben là c'est de la musique assistée par
ordinateur, tu fais du saxophone assisté par ordinateur ; c'est à dire que tu as tes partitions, ça ne
produit pas de son mais ça te permet d'avoir tes notes. »

L'idée, également partagée par Quentin est que c'est « un outil au service d'une retranscription
musicale, enfin au service d'un projet artistique […] ça ne me permet pas de faire de musique en
dehors d'un ordinateur mais grâce à l'ordinateur ». L'instrumentiste qui joue en lisant sa partition sur
un ordinateur pratique en soi de la Musique Assistée d'un Ordinateur. Pour Léopold, musicien
électronique n'utilisant pas de partition :
Léopold : « l'éditeur de partition, c'est ce qui pour moi ce qui rapproche la MAO dans son côté le moins
sexy. C'est comme Word ou Exel quoi, c'est nul quoi *rire*. »

Si les éditeurs de partition ne font que se rapprocher de la MAO, que peut-être alors la définition, au
premier degré du terme de MAO pour un électroniste ? Par exemple, le fait de lire de la musique, à
la manière d'une chaîne hi-fi, semble être de la MAO pour Léopold.

Léopold : « si tu te sers de ton ordi pour de la diffusion bah c'est de la Musique Assistée par Ordinateur. »
En effet, l'ordinateur peut décoder et jouer un fichier porteur d'une musique. En soi, mon geste est
créateur de musique et l’ordinateur m'assiste à son exécution.

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- Un deuxième degré de lecture ; l'ordinateur comme instrument de musique intrinsèque

Revenons à l'utilisation du terme MAO fidèle à celui des tutoriels sur Youtube. En effet, si l'on
cherche les termes 'tuto' et 'MAO' sur Youtube, on tombe sur des cours de mixage, ou d'imitation de
styles de musiques électroniques, sur un DAW. Il semblerait que la définition populaire, en tout cas
sur cette plate-forme, de MAO soit liée à la pratique des musiques électroniques populaires sur
ordinateur.

Marc : « Qu'est ce que la MAO ? Quand j'en parle à des gens, je pense que dans leur tête il entendent
MAO c'est de la musique électro qui va être faite avec des synthés qui vont être reliés à un ordi qui va
afficher des marqueurs sur un écran qui vont défiler de gauche à droite avec des petites couleurs qui
vont heuu rendre compte à quel moment doivent se déclencher les sons. »

Ce serait la pratique, live ou non, des musiciens électronistes. Cela semble être lié à l'idée de
création à partir d'un logiciel.

Patrick : « Pour moi, ce que l'on appelle de la MAO, c'est quand tu fais de la compo. Pour moi, la
MAO c'est la partie composition assistée par ordinateur. »

Claire : « Ça se résume à faire de la musique en partant d'un ordinateur. »

C'est sans doute son sens le plus commun. Celle de la pratique numérique électronique populaire,
regroupant tous les outils dont le musicien a besoin pour pratiquer.

Léopold : « la MAO, je pense qu'elle est tout en fait. C'est à dire que enfin la MAO ça peut être comme
un sampler analogique, ça peut être un orchestre, tout en fait. »

Cependant, il semble y avoir une confusion commune entre l'objet et la pratique, du fait qu'elle
semble également symboliser l'instrument ordinateur.

Léopold : « Dès que l'ordi devient un instrument de musique, ça devient de la MAO. »

Est-ce une discipline, une pratique musicale relative à une culture ou un instrument de musique ?
Une remarque pertinente est apparue lorsque j'ai demandé à Tom de définir la MAO.

Tom : « heuuuu hmmm alors la MAO fin comme je disais tout à l'heure, j'ai du mal avec ce terme. J'ai
un ancien étudiant d'ici, qui a fait le Cefedem plus tard, un jour il a dit une phrase qui nous a plu, qui
résumait notre pensée. Il a dit : "mais MAO, musique assistée par ordinateur, pourquoi on dit pas MAS
musique assistée par saxophone ou MAG musique assistée par guitare". »

L'idée que la MAO ne devrait pas être considérée comme une musique à part entière mais comme
une multitude de pratique, pouvant servir de nombreuses musiques, semble être importante.

Georges : « Pour moi MAO, c'est heuu, ça n'a pas de sens en tant que discipline, c'est comme si on
disait heuu, MAV musique assisté par violon, je trouve que ça n'a pas de sens, c'est juste un outil, la
question est quelle musique on fait avec. »

Tom : « Avec Georges, ça nous a plu parce que on a toujours eu des problèmes avec ce terme, pour la
bonne raison qu'un ordinateur, si on le considère comme un instrument à part entière, on n'a pas à
parler de MAO en fait, on a à parler de musique et d'instrument. »

/La MAO et son objet, l'ordinateur

La MAO semble être une pratique musicale sans objet spécifiquement musical associé.

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Ahmed : « C'est un instrument je ne sais pas sauf que la particularité de cet instrument c'est qu'il n'y a
pas de machine dédiée qui va avec. »

Ce qui est intéressant, c'est que lorsque l'on parle d'objets numériques spécifiquement musicaux,
comme des synthétiseurs numériques, on ne parle pas de MAO mais d'instrument de musique. La
MAO ne semble pas se définir en tant qu'instrument numérique mais en tant que pratiques
spécifiquement associés à un objet, l'ordinateur comme on le conçoit de manière quotidienne.

Ahmed : « Les MPC, c'est des machines dédiées, et on dit pas que c'est de la MAO. »

Pour illustrer son idée, Tom fait le parallèle avec l'environnement numérique de l'ordinateur et le
studio.

Tom : « Ce qui joue le rôle de l'instrument, ce n'est pas forcément l'ordinateur mais les logiciels dessus
[…] ça serait un peu le studio l'ordi, et les logiciels, les instruments que tu mets dans le studio. »

L'instrument ne serait pas l'ordinateur mais les logiciels exécutés.

Tom : « Donc définir la MAO en fait, j'ai du mal car c'est un instrument certes très riche, parce qu'on
peut faire plein de choses avec, du son de l'enregistrement heuu d'autres choses que de la musique,
mais définir je pense que je vais avoir une définition personnelle, comment je m'en sers et pourquoi je
m'en sers heuu concrètement qui sera une définition complètement différente de mon voisin. Pour moi
ce que c'est, c'est un ordinateur quoi. Pour moi c'est pas un objectif, une pratique ou un finalité. La MAO,
si ça s'appelle comme ça, pour moi c'est un moyen pour moi pour raconter des choses en fait, exprimer
des choses en fait. »

Chacun définit la MAO par son utilisation personnelle de l'ordinateur et les fins musicales qu'il
perçoit. C'est pour cela que ce terme est souvent qualifié de mot fourre-tout.

Julia : « C'est un mot valise, un terme global dans lequel on fout un peu tout. »
Pierre : « C'est un terme fourre-tout. »
Patrick : « C'est un terme générique commercial. »

Afin de mettre fin à la confusion entre l'objet et ses pratiques. Il faut bien différencier les termes
DAW et MAO. Le DAW est le logiciel, l'objet technologique, permettant de faire de la MAO, ses
pratiques musicales associées. Le DAW est le support de la pratique de la MAO. Si MAO signifie
faire de la musique avec un ordinateur, via des logiciels, la question 'qu'est ce que la MAO ?' revient
à se demander où se situe le moment où nous pratiquons la musique avec un ordinateur? La
question sous-jacente est de se demander en quoi une pratique est musicale ou non.

- Où commence la musique ?

Est ce que l'informatique et l'enregistrement musical sont de la MAO ? Est-ce que cela est
semblable à 'faire de la musique' ?
Quentin : « Pour moi la MAO, je le comprends comme faire de la musique en utilisant l'informatique. Et
ça comprend tout quoi. Est ce que l'on fait de la musique, c'est ça la question de fond. »

/L'informatique et la musique

La dernière source de controverse de ce terme est sa confrontation, ou son assimilation, avec son
cousin, l'informatique musicale. Lorsque Pierre a rejoint le Centre européen pour la recherche
musicale de Metz, il se confronta à la pratique musicale informatique.

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Pierre : « Pas de souris, pas de mémoire. On programmait déjà, on faisait vraiment de l'informatique
musicale, on écrivait des programmes pour faire des sons. »

L'idée d'informatique musicale semblait être liée à l'idée de création informatique, via la
programmation, à des fins musicales. Pierre, en parlant de ses collègues électroacousticiens
schématise l'idée qu'ils se font de la MAO :

Pierre : « si on veut faire un travail sophistiqué, on fait de l'informatique musicale, de la programmation,


la MAO c'est juste utiliser des logiciels qui existent déjà, à des fins musicales, pas direct. […] c'est à dire
“faire du Max ou du Pure Data ou du Usine c'est faire de l'informatique musicale, utiliser Cubase, c'est
faire de la MAO, utiliser Reason, c'est faire de la MAO.” Mais bon c'est une terminologie tout ça, moi je
ne trouve pas ça toujours pertinent. »

Cela résonne avec les logiciels Max, Pure data, ou Usine, s'inspirant de la programmation
informatique, sous une forme modulaire réagissant en temps réel. L'ambiguïté réside dans le fait
que ces logiciels ont été créés à des fins musicales, même s'ils prennent des formes moins proches
du monde musical traditionnel.

Illustration 12: Le projet Pure Data crée par Patrick afin de compter le nombre de coups de grosse caisse et de caisse claire effectué
par un batteur qu'il sonorisait lors d'une représentation.

Marc : « Pure data, c'est un logiciel libre qui a été développé à l'origine à l'IRCAM par Miller Puckette. Il
l'a écrit car les personnes avaient besoin d'être assistés par des ordinateurs. »

Ces logiciels sont utilisés par des musiciens ne se reconnaissant pas dans les abstractions utilisées
pour assister les musiciens issues de pratiques traditionnelles. Selon Quentin, ces logiciels
modulaires seraient les pratiques musicales qui se rapprocheraient le plus de la programmation
informatique.

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Quentin : « Je pense que oui oui oui heuu, après c'est vraiment Max et pure data, c'est le truc le plus,
c'est la strate la plus basse. j'ai l’impression que la musique commence à peu près à cette strate là […]
On peut faire juste de l'informatique avec Max comme on peut faire juste de la musique [...] Au final,
c'est aussi un outil pour faire de la musique, donc il n'y a pas de raison qu'on l'enlève de la MAO. »

La liaison avec la démarche de programmation informatique semble évidente avec ces logiciels de
musique, ne prenant pas la forme des instruments du musicien. La frontière, très floue, entre la
pratique de la MAO et de l'informatique musicale ne réside pas dans le logiciel en lui même mais
dans l'utilisation que l'on en a. Par exemple, une composante propre à l'informatique musicale et
non à la MAO est la lutherie numérique.

Léopold : « créer un outil numérique, c'est de l'informatique musicale. »

Jordan : « l’informatique musicale, c'est pouvoir créer les outils que l'on veut ; la MAO, on a déjà plein
d'outils et c'est à nous de savoir faire le tri dedans et de savoir se les réapproprier pour avoir son son
quoi. »

Marc : « avant je composais des morceaux, et il est arrivé à un moment où j'ai composé des
instruments, j'ai fait de la lutherie numérique. »

En effet, créer un instrument ne semble pas être une pratique musicale en soit. La MAO semble
commencer à partir du moment où l'ordinateur fait partie d'un processus musical, même si celui-ci
n'est pas directement générateur de son.

/Fait-on de la musique lorsque l'on en enregistre?

L'enregistrement musical fait-elle partie de la MAO ? Pour Patrick, professeur de la classe de


préparation aux métiers du son, il semble être clair que l'enregistrement sur logiciel n'est pas de la
MAO. Avant de débuter l'entretien il m'a d'ailleurs prévenu qu'il ne pratiquait pas de MAO, et avait
peur que son entretien soit hors sujet.

Patrick : « Pour moi, la Musique Assistée par Ordinateur, c'est quand tu fais de la musique avec les
ordinateurs, alors tu vas me dire moi je fais un peu de la musique avec les ordinateurs, parce-que quand
je mixe un album, je fais de la musique sauf que heuu avec ça j'utilise des outils qui ne sont pas
générateurs de son en fait, oui et non, ils peuvent mais bon. Pour moi, ce que l'on appelle de la MAO,
c'est quand tu fais de la compo avec un Live ou avec un Logic quoi. La limite elle est floue en fait. Moi je
ne considère pas que je fais de la MAO. »

En effet, la limite entre la pratique musicale et technique est trouble. L'ingénieur-son a t-il un rôle
de technicien ou de musicien ? Ses élèves ne semblent pas en accord avec ses idées.

Quentin : « enregistrer de la musique, pour moi, ça se rapproche beaucoup de faire de la musique, enfin
c'est pour ça, d'ailleurs, que je pense que c'est important d'être musicien pour être ingénieur du son, car
même s'il y a des côtés vachement différents, le but et la finalité est vraiment la même entre jouer et
enregistrer la musique. Le mixage par exemple, ça ressemble à faire de l'interprétation musicale, c'est
essayer de chercher ce qui va toucher, aller chercher la vibration, le groove, et de sublimer une œuvre
comme un musicien va sublimer une partition en l'interprétant avec ce qu'il ressent à ce moment là. Moi
ce que je ressens dans le boulot d'ingé-son, c'est de sublimer une œuvre avec la technique, avec le son
en fait. »

La pratique du studio, appartenant originellement aux techniciens mais constituant maintenant


l'outil de travail principal d'une bonne partie des musiciens électroniques, floute la limite entre
l'artiste et l'artisan. Donner à ces pratiques la fibre artistique, l'incorporer dans le processus de
création de l’œuvre musicale, en impactant le propos musical lui même, ce que la musique raconte,
donne l'impression que l'enregistrement est une pratique musicale en soit. Ce débat dépasse le terme

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MAO, l'ordinateur n'étant que le magnétophone d'aujourd'hui.

Théo : « Dans le sens où finalement Pro Tools ou Pyramix, on l'utilise comme un magnétophone en fait,
alors oui c'est de la MAO. Mais alors à l'époque c'était de le la MABande. »

Que ce soit l'enregistrement, la composition, l'arrangement, la pratique instrumentale, l'écriture ou


la programmation musicale, ces pratiques musicales sont maintenant toutes transposées ou intégrées
dans un objet, l'ordinateur, et sont toutes rassemblées sous le terme MAO. À coté de ça, des
démarches, relatives à des culture spécifiques, semblent être reliées à ce terme.

Jean : « C'est une manière de penser les choses aussi, en cours, on écoute des artistes qui ont une
composition purement acoustique, et pourtant on sent derrière que c'est une composition MAO. Des
groupes comme Radiohead, il y a des morceaux, il y a guitare, batterie, basse, mais la composition est
électronique, elle est MAO jusqu'au bout. […] Dans le son, dans le rythme, il y a des effets boîtes à
rythme sur certains morceaux, on rapproche l’utilisation des guitares à celle des synthés, on va arriver a
des résultats avec des instruments acoustiques proche de ce que l'on pourrait faire avec de la MAO en
fait. [...] C'est une philosophie, une manière de penser les choses, une démarche. »

La MAO semble donc être définie comme un ensemble de démarches et de pratiques très diverses.
On observe que sa définition est loin de constituer un consensus, et qu'elle relève d'une horde de
controverses, questionnant la nature de chacune de ces pratiques. Il faut la comprendre comme un
ensemble de définitions contradictoires plutôt que comme un concept fixe.

b. Des discours controversés


- Piratage et Open source

L'un des débats les plus farouches, notamment sur internet, aucunement réservé au monde musicale
est celui de l'utilisation de logiciels pirates. Internet et ses acteurs tissent des réseaux, propices au
partage de fichiers numérique de masse. Avec l'aide de hackers, piratant des logiciels, les musiciens
utilisent diverses méthodes et espaces pour se partager leurs trouvailles. Cependant, étant d'abord
une pratique illégale et officieuse, cela semble poser des problèmes moraux et techniques à ses
utilisateurs. Une des problématiques majeures des logiciels pirates semblent être la confrontation de
leurs potentielles instabilités à la pratique du musicien, nécessitant une sécurité d'exécution absolue,
notamment lors d'un concert, où tout se doit de fonctionner à un moment t.

Jean : « Ma plus grosse appréhension en live serait que les logiciels plantent. […] Acheter ses logiciels,
c'est une sécurité surtout. »

Au delà du côté moral, c'est le confort que propose l'achat de logiciel qui convainc certains
musiciens. Pour Jean, c'est le suivi, via les mises à jour des logiciels, l'accès à une communauté et la
sécurité qui l'ont convaincu d'acheter ses logiciels.

Jean : « Je les achète de plus en plus, parce-que il n'y a pas plus longtemps que ça j'ai acheté mes
premiers plugins, et je me suis rendu compte que c'était formidable d'avoir des DLC, des mises à jour, et
une stabilité en fait ; pouvoir faire confiance aux plugins en fait et savoir que le projet ne va pas planter à
cause de ça. […] Après je me suis acheté mon premier gros logiciel, Cubase, et c'est formidable, c'est
aussi un accès à une communauté d'entre aide sur les sites de Steinberg. C'est pareil pour Max, je l'ai
payé, et il y a vraiment une communauté exceptionnelle. »

Ne pas savoir accéder aux logiciels pirates, ou ne pas réussir à les installer sur son ordinateur,
pousse également certains musiciens à acheter ses logiciels, ou à utiliser des logiciels non-payants.
L'éducation du musicien face à internet et l'informatique modifie sa capacité d'accès à ces outils.

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Jean : « J'ai pris une licence un an, c'est 50 euros, parce que j'ai pas réussi à le cracker en fait. »

D'autres utilisateurs perçoivent l'achat d'un logiciel comme un engagement personnel, le motivant à
créer de la musique.

Ahmed : « il y a une forme de contrat implicite qui te pousse à créer. C'est comme ; tu voles un vélo, tu
vas faire 50 mètres et tu le jettes dans le ravin. Et si tu achètes un vélo, tu vas te pousser à te dire “je
vais faire pas mal de choses, je vais faire des balades” et tout ça. La valeur change quand on achète ses
logiciels. »

De plus, pour Georges, cela constitue un support envers les développeurs du logiciel. Si les
utilisateurs sont en accord avec leur démarche et si l'achat semble les aider à encourager leur travail,
le support du créateur est un argument valable pour le musicien.

Georges [En parlant du logiciel Ableton Live] : « C'est pour ça que je l'achète, parce que je trouve que
des mecs comme ça, il faut les encourager. »

Ahmed : « D'autant plus quand tu l'achètes, c'est obligé, tu l'as payé, il m'est arrivé aussi d'acheter la
suite Native Instrument ; ah j'étais à bloc, il n'y a pas moyen, je sors quelque chose, je sors un album cet
été.[...] Déjà tu prends conscience du travail de l'autre, ça c'est une boîte, c'est des programmeurs, c'est
des gens qui travaillent. »

Cependant, l’utilisation des logiciels pirates semble être majoritaire chez les étudiants, ne pouvant
souvent pas se permettre financièrement d'acheter un ou des logiciels. D'ailleurs, tous les sujets
ayant acheté un logiciel l'ont d'abord pratiqué pendant plusieurs années avec des versions pirates.
C'est également un moyen de tester si un logiciel convient à sa pratique. A travers l'observation des
fichiers READ ME.txt, expliquant la démarche pour installer le logiciel piraté, on se rend compte
des différentes philosophies adoptées par les pirates vis à vis de leurs actions. Certains semblent
demander à l'utilisateur de payer les logiciels si celui-ci se fait de l'argent avec par exemple et
d'autres clôturent seulement avec un « Enjoy ! ».16 Si l'on ne souhaite pas utiliser de logiciels
propriétaires, pour une raison ou une autre, une autre solution est de s'intéresser aux logiciels libres
et open source.

Marc : « quand j'ai découvert l'univers du libre sous cet aspect plutôt web, usage du quotidien, je me suis
dis que ça avait une cohérence moi dans ma pratique, dans mon éthique et dans ma philosophie de vie,
dans ma manière dont j'utilisais la technologie ; sur mon rapport particulier avec la machine, […] le fait
d'avoir donné du sens à cet usage, de me contraindre à utiliser des logiciels libres, donc, je me suis mis à
découvrir, à changer ma pratique et à utiliser des logiciels libres pour continuer ce que je faisais avant
avec des logiciels propriétaires. »

L'attrait des logiciels open source n'est a priori pas dans le but de rester dans la légalité.

Marc : « je ne vois pas le côté libre sur la manière légale ; par exemple, utiliser des samples, je m'en
fiche […] C'est une démarche politique […] C'est dans cette volonté que quelqu'un puisse réutiliser mes
créations sans que personne n'ait besoin de débourser un euro. Je place d'ailleurs toutes mes créations
sous licence libre. […] Même si je fais de la merde, peut être que quelqu'un l'utilisera derrière moi. »

Au delà, cela correspond à des besoins spécifiques, les musiciens interviewés ne semblent pas
souhaiter se sentir bridés artistiquement à cause d'un logiciel qu'ils ne peuvent pas utiliser.

16 “If you like it, it is strongly suggested you buy it to support the developers. By any means you may not use this
software to make money or use it for commercial purpose.”. Un exemple de message introduit dans les fichiers
README.txt par les pirates.

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Marc : « Si j'avais vraiment en tête un son précis et que ça me ferai faire un morceau qui rendrait
heureux le monde entier, et que j'aurai besoin d'un son Steinberg, je le prendrais sûrement. Je n'ai pas
suffisamment ce besoin précis de création pour l'instant. »

Chaque musicien semble avoir besoin que l'on respecte ses choix, que ce soit pour des raisons
idéologiques ou monétaires, la restriction de ceux-ci pouvant déstabiliser voire stopper le processus
de création.

Marc : « Au conservatoire, j'avais une peur, c'était qu'on m'apprenne un logiciel propriétaire. Pour moi,
dans ma démarche, même s'il peut permettre de faire ce que je veux, ça n'a aucun sens. »

Un autre argument en faveur des logiciels libres est sa comptabilité et son libre accès. Jordan,
préparant également le CAPES en parallèle de ses études au conservatoire, précise que :

Jordan : « Là c'est mon côté universitaire et pédagogue, j'utilise Audacity, de une par ce que c'est
gratuit, de deux car c'est installé sur tous les postes de professeurs de musique au collège et c'est un
logiciel assez bidon mais que tout le monde a utilisé pour piquer des musiques sur internet. »

Même si on a étudié qu'il pouvait être central dans l'initiation à la MAO de certains utilisateurs, le
logiciel Audacity ne semble pas toujours très pratique ou adapté aux pratiques du musicien.
Jordan : « c'est un logiciel de montage pas très ergonomique »

Marc : « Et au niveau du son, j'ai découvert Audacity pour faire du traitement Wave, de l'édition sonore
qui est vraiment vraiment pas pratique quoi enfin. Je m'y résous car c'est le seul outil libre que je peux
télécharger rapidement qui permet d'éditer des fichiers. Mais en terme d'ergonomie, pour avoir passé
énormément de temps dessus, compte tenu des besoins qui étaient les miens, j'avais trouvé de manière
assez intuitive avec Soundforge, mais avec Audacity ce n'est pas possible. […] mon gros dada en ce
moment, c'est de faire des boucles de une minute et de les mettre bout à bout, le morceau tourne en
boucle et l'idée est de se demander combien de temps une personne se rendra compte que c'est une
boucle qui tourne en rond. »

Il faut également noter que de nombreux utilisateurs ne sont pas sensibilisés à ce sujet et ne se
préoccupent pas de ces questions.

- Légitimité, amalgames et musiques populaires

D'autres controverses, bordant l'univers de la MAO, concerne sa légitimité. Comme mentionné


précédemment, Théo fait le rapprochement entre la MAO et le musicien du dimanche sur Fruity
Loops, logiciel source de blague sur internet17. A l'instar de Garage Band, certains logiciels sont
parfois présentés comme simplistes à cause de leurs facilités ou leur manque d'ouverture. Mais au
sein du terme MAO en lui même, élèves et professeurs de la classe de préparation aux métiers du
son et d'Electroacoustique lui perçoivent un côté péjoratif.

Julia : « Du coup j'ai l'impression qu'il y a un terme un peu péjoratif de l'assistance. »

Pierre : « Moi j'en sais rien quoi c'est compliqué cette définition, on a toujours l'impression que le terme
de Musique Assistée par Ordinateur c'est heuuu, c'est dénigrant quoi, quand on fait de la MAO on est
pas heuu on est pas dans la bonne catégorie quoi. »

Ayant peur d'être labellisé MAO, pour ce qu'il peut représenter, certains professeurs de musiques
électroacoustiques souhaitent absolument s'en détacher.

17 https://www.youtube.com/watch?v=91jVZAfIgu4, « I use FL Studio, cause I'm a pleb. », à 58 secondes, consulté le


16 août 2017

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Pierre : « Je sais que nous avons un débat dans notre association de profs de musiques
électroacoustiques où la plupart de mes collègues se battent farouchement pour ne surtout pas que l'on
appelle leur classe MAO pour pas que l'on quitte le côté savant de la musique électroacoustique pour
aller vers un côté qui pourrait faire de la musique de variété ou du rock ou des arrangements. Ils ont
peur de cette catégorisation, pour eux la MAO, c'est vraiment ciblé Musiques Actuelles ; techno,
musique électronique, édition de partition éventuellement et cetera. Donc nous on essaie de préserver
ce truc, d’icône de la musique électroacoustique ; moi je ne suis pas tout a fait d'accord mais bon. »

Pour les professeurs de Musiques Actuelles Amplifiées, le terme semble mal représenter les
pratiques musicales de l'ordinateur malgré l'intégration du mot dans leur vocabulaire. On a déjà
étudié le problème que cela pose aux professeur vis à vis de l'instrument ordinateur, ou logiciel, par
rapport à des instruments comme le saxophone, dont la pratique n'est pas définie comme de la
Musique Assistée par Saxophone. Mais ce sont également les amalgames entre informatique et
musique, souvent rentrés dans la case MAO, qui ne semblent pas leur convenir, surtout lorsque la
MAO est mentionnée uniquement comme un moyen plutôt qu'une pratique instrumentale en elle
même.

Tom : « Des cours réacs' à l'ancienne avec 15 iPads, tout ça n'est qu'un moyen et non une finalité, il faut
arrêter de croire que l'on est moderne car on a des instruments modernes […] et pour moi ça m'a mis en
colère car ce n'est pas du tout des questions de pédagogie, ça n'a rien à voir avec la modernité car là ce
n'est qu'un moyen logistique. »

Le logiciel, en tant qu'objet frontière, fédère un grand nombre de pratiques. Cependant, lorsque l'on
souhaite parler de ces pratiques, les musiciens semblent avoir peur des amalgames faits, dissipant la
frontière entre des pratiques à priori très distinctes. Cela constitue une source de controverse vis à
vis de ce terme, caractérisé de fourre-tout.

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Chapitre II. Un apprentissage en réseau.

- Qu'est ce que le réseau?

Ce terme est à concevoir de deux manières. D'abord, il représente le réseau numérique, incarné par
l'ordinateur et ses possibilités d'inter-connexions entre différents acteurs grâce à internet, dont
l'utilisateur se sert pour obtenir tout type de connaissances et de compétences. Le réseau
d'apprentissage global est plus vaste que le précédent, étant donné qu'il le comprend, c'est tout ce
qui peut amener l'élève à acquérir une connaissance, que ce soit via un support de savoir, comme un
livre, une vidéo, un individu ou des objets instructeurs, comme les instruments de musique eux
même. Dans cette partie, j'ai étudié comment les professeurs proposent différents réseaux
d'apprentissage individualisés en adoptant une pédagogie par projet. En recroisant mes lecteurs, mes
entretiens et mes observations, j'ai voulu comprendre comment la mise en place d'un dispositif
pédagogique comme celui ci modifiait, ou non, les rapports hiérarchiques ou d'autorités, ainsi que
les modes de jugements des individus. Etudions comment la cité par projet, présenté par Boltanski
et Eve Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme, semble s'être généralisée à l'éducation
musicale ainsi que son impact sur le jugement de la qualité musicale.

« La généralisation de la représentation en réseau : On ne peut qu'être frappé par le caractère


protéiforme et hétérogène des références qui peuvent être mobilisées en provenance de nombreux
domaines de recherche et de réflexion, dans la construction d'une nouvelle morale quotidienne. »18

1. Où se situe le savoir numérisé?


a. L'objet ordinateur et l'espace internet
En parlant de la nouvelle génération, surnommée Petite Poucette en référence à l'habile usage du
premier doigt des jeunes pour naviguer sur leur téléphone portable, Michel Serres19 explique que :
“N'habitant plus dans le même temps, ils vivent une tout autre histoire […]. Ils n'ont plus la même tête.
[…] Ils n'habitent plus dans le même espace. […] Il ou elle connaît autrement.”

Les espaces virtuels se sont organisés autour de relations d’anonymat, où de nombreux projets
collaboratifs, comme Wikipédia, ont pu émerger. Ces nouveaux moyens de communication ont
révolutionné les manières de s'organiser, de créer et de vivre ensemble. Les places virtuelles
publiques sont nombreuses et les conversations privées sont mondialisées. Les usages de ces
nouveaux objets et espaces redéfinissent nos manières d'envisager et de penser le monde. En effet,
au début du XXIème siècle, grâce aux outils numériques et à internet, la musique est devenue
malléable et hyper-accessible. Si certains s'amusent à n'apprécier que les défauts20 de ces nouvelles
pratiques, pour leurs aspects a priori artificiels et amateurs, on peut aussi envisager que la pensée
solitaire structurée ancienne gagnerait à se fondre dans cette nouvelle conception des espaces en
réseau propice à de nouvelles formes de créativité. Ces nouveaux objets et espaces proposent alors
de nouvelles manières de communiquer, de s'organiser et d'apprécier le savoir. C'est en effectuant
mes recherches universitaires sur la vaporwave, un style s'organisant essentiellement en ligne,
l'année dernière que je me suis rendu compte de l'importance de ces facteurs. Si une des apparentes
singularités de ce style est qu'il s'organise en ligne, je me suis rendu compte que c'était maintenant

18 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p224
19 Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, coll. « Manifestes », 2012, p 11-12
20 « Je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Mon esprit attend
désormais les informations de la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s’écoulant rapidement.
Auparavant, j’étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski, [3]
» Is Google making us stupid ? / Télérama, n° 3095, 6 mai 2009.

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le cas de quasiment tous les styles musicaux. La différence est que la vaporwave est originaire du
web et résultante de ses usages. Il me semble important, lorsque l'on s'initie à la pédagogie, de
comprendre les expériences potentielles du monde des générations à venir.

Il faut garder à l'esprit que tous ces espaces digitaux sont induits par nos expériences du réel.
Précédemment, j'ai parlé des espaces et objets qui ne sont finalement que virtuels, ils ne prennent
sens qu'à la confrontation de nos expériences quotidiennes. Ils sont basés à partir de nos
conceptions du monde. Il en est de même pour l'organisation sociale au sein du web. Basées sur des
conceptions sociales implicites du monde physique, ces nouvelles manières de communiquer,
principalement écrites, sont également capables de susciter de nouvelles relations. Ils peuvent
« générer de l'humain »21. La différence réside également dans le langage employé. D'abord
essentiellement à l'écrit et non à l'oral, la mise en relation, anonyme ou non, avec des peuples du
monde entier change radicalement nos manières d'envisager le monde social et l'accès au savoir.
C'est comme cela que j'ai pu interviewer, dans mon précédent mémoire, des artistes dispersés à
travers le monde. La seule barrière restante semble être celle de la langue. De plus, il faut avoir en
tête que l'expérience d'internet est d'abord soumise à la connaissance des individus face à ce média.
On ne peut donc pas définir une réalité concrète d'internet. Cependant, on observe qu'il organise des
espaces d'informations infinies pour le cerveau humain. Comme les artistes de vaporwave, qui se
ré-approprient des musiques populaires des années 80', ce sont nos manières d'apprécier et de jouer
avec ces informations qui affichent nos singularités. L'ordinateur, en perspective d'internet, permet
d'accéder à une source de savoir et de savoir-faire considérable. Pour reprendre l'idée de Michel
Serres, si le savoir était gardé, il semble maintenant accessible sur la toile.
b. L'accès au savoir
Un des nouveaux poids dans la balance définissant la pédagogie et le savoir est l'hyper-disponibilité
de ce dernier. Alors que Jacques Rancière explique que « le livre est l'égalité des intelligences »22,
internet permet à un grand nombre d'individu d'accéder à des ressources et des outils auparavant
restreints dans les têtes et les mains des érudits. En faisant référence aux arts de la mémoire du
moyen âge, Michel Serres met en évidence les rapports qu’entretiennent la technologie de stockage
du savoir, la pédagogie et nos manières de penser.

“Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque
vivante... : voilà le corps enseignant » pour ensuite expliquer le processus objectivisation du savoir «
d'abord dans des rouleaux, sur des vélins ou parchemins, supports d'écriture ; puis, dès la
Renaissance, dans les livres de papier, support d'imprimerie ; enfin, aujourd'hui, sur la Toile, support
de message et d'information. […] Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile,
disponible, objectivé. [...] Là réside le nouveau génie, l'intelligence inventive, une authentique
subjectivité cognitive ; l'originalité de la fille se réfugie dans ce vide translucide, sous cette brise joie.”23

Mais comment l’accès au savoir peut-il avoir un impact sur nos pratiques pédagogiques ? L'année
dernière, c'est lors d'un cours universitaire de musique, rhétorique et émotions traitant de la musique
du moyen âge, que j'ai effectué le parallèle entre les arts de la mémoire de l'antiquité et le fait que
l'on ne puisse pas reproduire rapidement des textes écrits avant l'invention de l'imprimerie. En effet,
les meilleurs orateurs, pédagogues et philosophes furent ceux qui pouvaient stocker corporellement
le plus d'informations24. Comme l'explique Serres, alors que le savoir était inscrit en nous, on peut

21 http://www.cairn.info/revue-empan-2009-4-page-10.htm, consulté le 1er mai 2017


22 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p66
23 Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, coll. « Manifestes », 2012, p18-19
24 Alcuin : Que dire en fait, je peux seulement répéter les mots de Marcus Tullius : « La mémoire est la salle au trésor
de toutes les choses et, si l’on n’en fait pas la gardienne de ce que l’on a pensé sur les choses et sur les mots, nous
savons que tous les autres dons de l’orateur, quelque excellents qu’ils puissent être, seront réduits à rien.

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maintenant largement délaisser cette charge cognitive aux outils numériques dont nous disposons.
Pour lui, cela nous permettrait de consacrer notre cerveau à d'autres tâches. Là où il me semble que
Michel Serres apporte des arguments pertinents mais exagérés, c'est lorsque qu'il mentionne le
savoir comme nouvellement disponible sur la toile. Les livres, depuis l'invention de imprimerie,
constituent et ont constitué une libération du savoir. Internet permet seulement d'y avoir accès
quasi-gratuitement, facilement et massivement, de manière multimédia, autant via le langage écrit
que parlé ou par la vidéo et l'image. La manière de stocker notre savoir redéfinit nos rôles
pédagogiques humains face à celui-ci. Il semble y avoir une relation intime entre la manière de
conserver le savoir et la façon de l'enseigner. A notre époque où tout le monde est conscient
d'internet et de ses possibilités, le rôle du professeur, au moins au sein des pratiques liées au monde
numérique, semble être remis en question. En lisant la dernière phrase de cette citation, on a
l'intuition de comprendre les modes de jugements que peut induire une telle cité.

c. Les objets instructeurs


Jusque là, nous avons traité du savoir gardé en des objets et des
personnes porteurs de ces connaissances, destinés à le transmettre tel
quel à condition que l'on sache le décoder. Mais il faut avoir en tête que
les objets que nous pratiquons sont sources de savoir. Concentrons
nous sur l'objet principal de ce mémoire, le logiciel musical. D'abord,
la technologie numérique a la possibilité de conserver et d'afficher un
grand nombre d'information. Les logiciels sont souvent accompagnés
de didacticiels ou d'aide, de supports du savoir incorporés dans les
objets. Mais au delà de ça, les logiciels nous parlent avec des mots. En
m'expliquant sa méthode d'apprentissage vis à vis du logiciel de DAO
(Dessin assisté par ordinateur) Photoshop, ensuite transposée pour les
logiciels de musique, Julia m'explique que :

Julia : « Verbaliser les choses et du coup après fouiller sur le logiciel comment ça marche en fait ; je
veux détourer ce cercle bleu, et je veux le supprimer. Donc tu vas chercher dans ton logiciel si il y a un
outil qui s'appelle détourer et puis après tu vas appuyer sur supprimer. Et après tu découvres que à côté
de découper, il y a coller, il y a plein d'autres trucs. »

Ce système de commande communiquant avec des mots résultent de la logique de procédure et


d'affichage informatique. En effet, une guitare nous prescrit des utilisations, par ses caractéristiques
spatiales, le fait que des positions soient accessibles digitale-ment ou non par exemple, mais elle ne
nous parle pas avec des mots. Le logiciel, à travers ses barres d'outils déclinables, nous explique
toutes ses fonctions le plus clairement possible. Un des apprentissages majeurs des utilisateurs de
logiciel de MAO est donc la recherche personnelle à partir de l'objet en lui même.

Quentin : « Je pense que pour certains trucs, j'ai regardé des tutos, mais je ne suis pas super
forum,tuto,... je préfère aller faire tous les menus du trucs. »

La réflexion de Quentin, ainsi que les autres témoignages allant dans son sens, m'ont permis de
remettre en question la caractéristique humaine extérieure, comme le partage internet et les
tutoriels, comme facteur principal d'apprentissage d'un logiciel. De plus, les objets sont porteurs
d'informations symboliques ou iconiques, guidant l'expérience de l'utilisateur. Quentin rajoute sa
découverte du logiciel Garage Band sur l'ordinateur de ses parents.

http://www.detambel.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=1168, consulté le 25 avril 2017

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Quentin : « C'est vraiment, j'ai vu et découvert
ce logiciel, je l'ai ouvert, il y avait une petite
fenêtre avec un piano, il y avait un bouton
rouge, donc ça je savais déjà à peu près que
c'était enregistrer. Et après j'ai vu que ça
faisait une piste temporelle, et puis après que
chaque piste avait un volume associé et voilà.
C'est marrant parce que du coup, c'est
vraiment, j'ai pas du tout commencé avec un
cours. »

Julia, d'abord plasticienne, fut sensible aux


outils de Cubase ressemblant à ses outils de
Illustration 14: Le logiciel Garage Band.
travail dont leurs fonctions étaient transposées
numériquement.

Julia : « bah voilà du coup je peux foutre plusieurs sons sur plusieurs pistes, je peux découper tout ça,
avec des ciseaux, je peux déplacer, avec la flèche, heu je peux boucler en sélectionnant une piste, si j'ai
envie de la boucler j'appuie là. Je peux jouer tout seul, jouer en même temps, superposer tout ça, je
peux mettre des couleurs. [...] j'essaie de faire des dentelles en découpant les rythmes. »

La transposition numérique des fonctions de nos anciens objets analogiques conservent leurs
symboles d’antan. Le symbole du téléphone sur nos nouveaux smart-phone ne prend pas leurs
formes mais celle du téléphone filaire. De plus, il n'est pas rare qu'il sonne comme un vieux
téléphone ou enclenche un bruit d'appareil photo lors de la capture d'une image. Ici, la fonction
découpage est donc représentée par des ciseaux alors que la loupe symbolise un outil de zoom. Le
verbatim de Quentin nous montre que, de fil en aiguille, le réseau d'affichage du logiciel permet
d'explorer ces possibilités et d'apprendre empiriquement. De même, Jean partage que :
Jean : « j'ai cliqué un peu partout, et j'ai découvert des effets de tous les côtés, et je voulais savoir ce
que ça faisait »

Cette construction en réseau de l'objet


amène l'apprenant à découvrir des
possibilités de l'objet en pratiquant. De
plus, les symboles présents permettent de
guider l'utilisateur. Les différentes
représentations du son, notamment,
permettent de se concentrer et de
comprendre différents aspects du son. Par
exemple, en parlant du plugin de
visualisation Insight de Izotope, Jean
m'explique que :

Jean : « Dans un premier temps, ça m'a beaucoup aidé à comprendre ce qu'était le mixage, à
comprendre par exemple ce qu'était un compresseur, ce que je faisais vraiment à mon son quand je
compressais ; des choses comme ça, c'était vraiment pédagogique au début. Et aujourd'hui ça me crée
des blocages aussi, de trop être là dedans et de ne plus oser fermer l'écran et écouter. »

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La représentation visuelle des éléments sonores
impacte le travail du musicien. Jean semble
même dire qu'il a développé une dépendance à
ces outils influençant ou perturbant son écoute.
Cependant, si l'utilisateur ne dispose pas du
vocabulaire et des références symboliques
spécifiques à ces objets, il peut se sentir
désemparé. Les effets comme les compresseurs
et les égaliseurs possèdent maintenant des
représentations du son, apportant un feedback
visuel renseignant sur le traitement sonore
effectué. Le musicien peut alors apprendre de ces
images, qui guident son oreille.
Julia : « Sur Audacity, les effets ça m'intéressait pas, l'interface me saoulait, ça me parlait pas. Dès qu'il
y avait un graphique, tu vois un truc où tu pouvais agir comme ça, avoir un aperçu, contrôler comme ça,
là je trouvais ça pertinent. Je me disais ok je vois directement l'interaction avec l'objet […] Je pense que
c'est par méconnaissance et par question d'interface aussi, sur Cubase, tu as quand même des
graphiques, une visualisation du son en temps réel et du coup c'est plus facile, mais c'est pas pour
autant que tu t'y connais plus mais c'est plus tu visualises un truc t'as un autre feedback direct. »

En parlant de la forme d'onde, Julia explique que :

« Ce côté visualisation, tu as cette espèces de spectre, vraiment le côté visuel te permet d'apprendre. »

Cela permet de démarquer le déroulement du son dans l'espace, de gauche à droite. Si les
traitements sonores demandant une unité en Hertz ne semblaient pas faire sens pour Julia, des
fonctions informatiques, comme le copier coller, spatiales, comme la réverbération, ou de
modifications temporelles lui paraissaient banales.

Julia : « C'est une ligne de temps sur laquelle tu peux poser tes sons que tu as enregistré, et puis tu
peux étirer le temps, réduire le temps, intégrer plein de paramètres à cette bande son. Hé bah je dis que
c'est un outil pour heuu transformer les sons que j'ai enregistré. bah je sais pas, j'importe un son, il y a le
spectre du son qui est marqué, tu peux voir les éléments que produit le son en terme d'intensité, de
hauteur,... Tu peux passer de gauche à droite ton son, si t'as plusieurs pistes, tu peux en muter certaines
et en superposer ; ça j'aimais bien, le fait d'écouter plein de trucs en même temps, c'était hyper
intéressant et de créer des absences, multiplier, ça c'était un truc que j'ai appris grâce à ça. Je pouvais
enregistrer de la voix aussi dessus, ou enregistrer des trucs dans l'environnement dans lequel je
bossais par dessus des trucs que j'avais enregistrés. »

Le logiciel guide l'utilisateur en se calquant sur les représentations spatio-temporelles que l'on
expérimente tous les jours à travers notre expérience du monde. Pour prendre l'exemple de Live,
Julia voit l'interface comme un moyen de jouer avec sa collection d'échantillons sonores, comme sa
collection d'échantillons visuels et de textures chez elle.

Julia : « l'interface en tout cas est hyper parlante, sur Live, c'est des colonnes avec tes sons. C'est
comme mes boîtes avec les échantillons, c'est pareil, du coup tu compiles comme ça. »

On a vu précédemment que le MIDI, avec sa lecture de gauche à droite à la manière d'une partition,
convenait aux musiciens, contrairement aux trackers, s'apparentant aux lignes de commandes du
programmateur. On a également étudié que de nombreuses fonctions sont représentées sous la
forme des équipements analogiques correspondants. L'affichage numérique imitant la réalité
physique permet d'orienter l'utilisateur au sein de ce nouvel espace. Les techniques associées aux
équipements analogiques, connues préalablement sur d'autres objets, peuvent être alors réutilisées

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sans difficulté, dans la limite d'utilisation de l'objet numérique.

Jean : « Quand j'ai eu mes premiers synthés en fait, j'ai commencé à m'intéresser au son plus qu'à la
note, et ça a remis en cause en fait, ça m'a amené à avoir une autre utilisation des synthés virtuels, je ne
les ai plus vus comme des arrangeurs, je les ai envisagés comme j’envisageais mes synthés hardwares
[…] ça m'a amené heuu toute la pédagogie que je trouvais qu'il manquait dans les synthés virtuels pour
commencer. C'est le côté organique du synthé hardware, on fait sur le moment, on voit ce que ça donne,
c'est physique, c'est comme un instrument classique. »

A travers ce verbatim, on observe que des


utilisateurs achètent également des
synthétiseurs analogiques, même s'ils ont
leurs versions numérisées, notamment
pour la dimension pédagogique en
côtoyant l'objet physique. Ces petits
démarquages résident dans le fait que
l'univers numérique incorpore ses
spécificités à ces objets calqués sur le
monde physique. On peut y stocker des
choses, sans que cela ne prenne de place
pour y revenir plus tard par exemple,
l'organisation en dossiers et des sous-
dossiers est applicable à n'importe quels
objets numériques. Mais on ne peut plus
atteindre les objets de la même manière, le
clic de souris ou la programmation remplace le contrôle de l'objet par le toucher digital. De plus, les
versions numérisées sont souvent dotées de fonctions supplémentaires, modifiant l'essence de
l'instrument. Par exemple, le Minimoog, synthétiseur monophonique, présenté ci-dessus, est rendu
potentiellement polyphonique par sa numérisation. De plus, la partie haute ne figure pas au sein de
la version analogique, elle permet des traitements sonores supplémentaires. On peut également ré-
investir instantanément n'importe quels pré-réglages, à travers les presets, visibles sur la partie haute
du plug in ci-dessus, pouvant jouer le rôle de modèle pédagogique, appelé template. Les presets
d'usine sont classés par type de sons – pad, bass, organ,... - initiant l'utilisateur aux vocabulaires et
aux sons des cultures associées à la machine.

En expérimentant les logiciels, on s'initie également à


des techniques particulières, notamment à la logique de
procédure informatique. Marc m'a donné l'exemple du
logiciel IBNIZ. Selon lui, il peut être défini comme un
logiciel d'initiation à la programmation.

Marc : « Du coup ils font à la fois de la MAO, dans une


esthétique très particulière, et ils sont dans un démarche
de programmation, l’appréhension de l'informatique.
Une fois que tu as eu cette intuition, tu peux avoir un
passage vers le code. »

Lorsque l'on utilise un logiciel, il nous fait part, avec


des mots ou de manière symbolique, de ses fonctions,
et la manière dont on sera contraint de les utiliser nous
formera sur la culture des techniques auxquelles il fait Illustration 19: Le logiciel IBNIZ, créant des images et des
sons selon ce que l'utilisateur écrit.
appel. De ce fait, ces logiciels deviennent instructeurs

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d'une connaissance ou d'une compétence dont la clef d'accès n'est rien d'autre que l'utilisation de
l'objet lui même. Les logiciels de MAO sont des objets instructeurs constitutifs de ce réseau
d'apprentissage, de part les informations qu'ils portent, leurs capacités de feedback visuel du son,
leur organisation se faisant se côtoyer différents objets et fonctions ainsi que leur logique
d'utilisation formant empiriquement l'acteur à sa logique d'utilisation empruntant à la
programmation numérique et aux objets numérisés.

2. Les réseaux d'apprentissage


a. Les réseaux d'apprentissage humains

Nous venons d'observer qu'une compétence et un savoir pouvaient être intégrés par l'utilisation de
l'objet en lui même. La première nécessité est d'avoir accès à cet objet et de pouvoir le décoder.
Comme Tom, il faut avoir accès à l'objet, d'une manière ou d'une autre et accéder à une initiation.

Tom : « […] et quelques mois plus tard, à la maison on va avoir un ordinateur. Et donc au bout d'un
moment, on change l'ordi qui devient obsolète et je le récupère ; et je me renseigne pour faire comme le
cousin de mon pote, je vais le voir et il me donne des logiciels comme Nuendo. Je me retrouve avec ce
logiciel gratuitement.»

L'ordinateur est maintenant un objet banal mais l'accès aux logiciels et à leur appréhension ne l'est
pas forcément.

Julia : « [...] Et après Audacity, ce qui était cool, c'est que à la fac, à Rennes, on a eu quand on arrivait à
la fac, un CD de logiciel libre en fait, où il y avait justement LibreOffice tout ça, et Audacity, et là du coup
c'était, bah on m'offrait ce truc là, [...] on te donne la possibilité d'avoir des outils en fait, parce que j'ai
pas les tunes pour, parce-que je ne sais pas cracker heuu parce-que j'ai pas d'ordi […].»

Il est donc nécessaire de se constituer un entourage, physique ou virtuel, et de trouver une porte
d'entrée.

Julia : « et du coup on m'offrait cette possibilité là et du coup j'ai commencé à regarder comment ça
marchait Audacity, et c'est quand même hyper simple, et merci Audacity quoi *rire* parce-que
franchement heuu tu captes assez vite le truc et tu peux faire des trucs hypers simples mais mes
premiers montages son, c'est là. C'est la première porte d'entrée. Et puis ouais de fil en aiguille, tu as les
potes qui bossent là dessus, qui te filent les logiciels. »

On constate que la constitution d'un réseau humain est essentiel. Dans son livre Rap, techno,
électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Morgan Jouvenet écrit que :
“Si les musiciens déclarent le plus souvent avoir appris seuls à faire de la house ou de la techno, la
formation de l’électroniste est indissociable de son inscription dans un réseau d'amateur (au sens
large).”25

En effet, lors de mes interviews, c'est sans doute le facteur d'apprentissage le plus important ayant
été mentionné. Par exemple, Jean, m'explique que :

Jean : « Vous m'avez éclairé vraiment énormément de points quand il y a eu besoin d'apprendre le
mixage quoi, tous les copains quoi. Je posais une question dans un truc précis, on me montrait comment
le faire et je bidouillais de mon côté. »

25 Jouvenet, Morgan, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. Ethnologie de la France, 2006, p209

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Pendant l'entretien avec Léopold, même sans connaître le logiciel, Usine, une petite anecdote
montre que l'on peut apprendre tout le temps, avec tout le monde, hors de tout dispositif
pédagogique officiel :

[Léopold] : « - Alors là, c'est chiant tu ne peux pas scroller [Faire glisser l'affichage].
- Mais il y avait une barre en dessus c'est pas la barre de scroll ?
- Ah oui.
- je t'ai sauvé la vie là. *rire*
- bah merci Gab'! »

Les réseaux humains permettent de partager des connaissances et de se confronter à des pratiques
différentes d'un même outil.

Léopold : « ce qui m'a fait découvrir le plus de trucs c'est surtout voir comment les potes font les trucs,
c'est surtout ça qui me fait heuu bah qui me fait avancer car je découvre des trucs tout le temps mais
heuu ça me fait heu découvrir des choses vraiment différentes sur tout quoi. Ca me ramène à ma propre
pratique et à comment je m'en sers et je me dis ah ouais je ne devrais pas forcément l'utiliser de cette
manière là, j'aime bien avoir l'idée heuu enfin savoir que tout le monde s'en sert d'une autre manière. »

L'apprentissage s'est quasi essentiellement fait à long terme en communauté ou en petits groupes.
Tom, professeur de Musiques Actuelles Amplifiées, explique qu'il a beaucoup appris avec un ami.

Tom : « C'était à base de coups de fil à ce fameux gars qui m'aidait régulièrement. Des amis de ma
grandes soeur, de gens plus âgés c'est marrant et surtout surtout un très bon copain que j'ai embarqué
là dedans. et à deux on s'est mis à ça. »

Marc, lui, avait accès à quelqu'un régulièrement qui lui a appris Pure Data.

Marc : « J'ai eu la chance quand j'ai appris Pure Data, c'étaient les conditions idéales, j'étais au labo-
média dans une pièce où j'avais Pure Data, et quand j'avais une question, mon pote Benj', qui bossait
vers moi, je me tournais vers lui et je lui disais que j'avais besoin d'une boîte qui coupe le son en deux et
il me montrait. Et donc il y avait quelqu'un qui répondait comme un moteur de recherche. Le reste du
temps, je passais des heures à coder. »

Au long de mon apprentissage, j'ai remarqué que celui-ci se faisait essentiellement à travers des
réseaux, virtuels ou physiques, humains. Cela permet de définir sa pratique en se nourrissant de
celle des autres tout en ayant accès à un savoir et savoir-faire. Julia, faisant partie d'un collectif
artistique ayant réinvesti le port nord de Chalon-sur-Saône, a tissé son réseau dans ce lieu, au
travers des rencontres et d'organisations d'évènements.

Julia : « J'ai rejoint le conservatoire plus pour le côté physique acoustique, le côté technique en fait, ça
m'intriguait. C'est toujours en parallèle d'une pratique perso ou d'une pratique dans un collectif, voilà tu
dois faire le son d'un concert donc voilà tu commences à savoir ce que c'est qu'un câble XLR machin, tu
commences à bidouiller des trucs. Et le conservatoire tu vois ça de manière un peu plus théorique, mais
du coup ça fait sens parce-que tu l'as pratiqué aussi, c'est toujours des correspondances comme ça. »

C'est en s'initiant à l'organisation technique d'un concert de musiques actuelles amplifiées que Julia
a été amenée à comprendre et pratiquer la MAO. Avant cela, elle me confia son sentiment de non-
légitimé face à ces pratiques a priori ésotériques.

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Julia : « […] en fait on avait notre pote qui faisait du son par dessus en interaction avec les trucs qui
clignotaient, et du coup c'est les premières fois, eux étaient les techniciens de ce truc là mais moi j'avais
un oeil en mode ‘ah on fait comme ci', genre en mode directrice artistique qui capte rien de comment ça
marche quoi, voilà. En fait, ça me paraissait être une montagne, ça m'a fait peur en mode, ‘ouah les
geek s quoi'. Il avait genre dix ans de plus que moi aussi. Du coup, je ne me sentais pas du tout les
épaules et le cerveau pour m'approprier ce genre de truc, j'étais là, ouais c'est un truc de geek pour des
gens intelligents et puis moi je ne suis pas comme ça quoi, voilà. »

Le projet, au sein d'un collectif, d'un groupe d'amis ou d'une institution semble jouer le rôle
d'introducteur à un réseau d'apprentissage humain. Nous rediscuterons de ce concept, et de sa
liaison avec le réseau, dans la troisième partie. Un dernier ensemble de réseau humain
d'apprentissage est internet. Que ce soit à travers les réseaux sociaux ou les plate-formes
vidéographiques regroupant des tutoriels, appelés tuto, ces espaces semblent constituer des réseaux
d'apprentissage. Mais à quel point cette libération du savoir et des outils numériques intéresse et
impacte l'apprentissage de la MAO ? Sur Facebook, un groupe secret est dédié au partage de
Logiciels pirates. Ici, tout le monde partage ses trouvailles découvertes sur différents sites de
téléchargement. Le but est de certifier et vérifier le logiciel pirate pour ensuite créer un lien Mega
affilié afin qu'il soit téléchargeable par tous. C'est une véritable organisation ayant pour but de
libérer les outils numériques. Le piratage a une place importante dans la pratique de la MAO, si ces
logiciels n'étaient pas aussi facilement abordables, cela aurait impacté considérablement ces
mondes. D'un autre côté, des groupes Facebook publics, comme Tuto4Mao, proposent un espace
collaboratif d'entraide concernant la pratique de la MAO. Un point intéressant, mis en avant par
Jean est que ces groupes ne sont pas limités à des styles ou des utilisations précises mais à un outil
commun.

Jean : « Et déjà justement dans l'apprentissage, je trouve qu'il y a un peu le délire, je vais le dire de
manière vulgaire, mais tout le monde dans la même merde tu vois. Et que il y a une espèce d'entraide
collective, quand tu regardes sur internet, tu vas sur les forum, et finalement que tu fasses de la techno,
de la dub ou de l'IDM [Intelligent Dance Music] ou ce que tu veux, on s'en fout tu vois. C'est juste un gros
melting pot de gens de tous horizons qui s'entraident. »

Mais à quoi servent les tutoriels, sont-ils vraiment essentiels ? Dans certains cas, des musiciens se
sont formés à partir de ces vidéos. Théo et Julia par exemple, m'expliquent que :

Théo : « je regardais des tutos sur Puremix, un gars au États-Unis qui mixe des trucs de ouf et puis c'est
là que j'ai commencé à apprendre à mixer. »

Julia : « t'as besoin de faire tel truc, la vidéo va te répondre sur un truc très précis. »

Cela peut donc aider les utilisateurs disposant de demandes précises. Cependant, il existe des
limites, beaucoup m'ont dit que cela ne les attirait pas trop, que le format ne convenait pas. Théo
continue :

Théo : « Logic j'ai appris tout seul a faire la base, en plus sur Youtube, mais vite fait car c'est quand
même assez lourd [Terme utilisé ici dans sa signification synonyme d'ennuyeux]. »

Et les personnes ne disposant pas du vocabulaire ou des compétences pré-requises nécessaires à la


compréhension de la vidéo se sentaient perdues. Claire m'explique que :

Claire : « tu vois c'est comme mon problème ce que je t'avais demandé là, j'ai été voir des gars, j'ai lu
des forums mais au final de tout ce qu'ils m'avaient dit, il n'y avait absolument rien qui marchait, je ne
sais même pas comment j'ai fait pour que ça revienne, et j'ai cliqué sur n'importe quoi parce que ça m'a
gavée [...] à travers une vidéo, je trouve ça trop superficiel. C'est très utile les vidéos, mais moi j'ai
vraiment besoin de quelqu'un à côté de moi pour poser des questions. »

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Mais il semblerait que les tutos ne servent pas qu'à accéder à une compétence. Cela permet aussi
d’apprécier personnellement la qualité d'un outil, pour décider si l'on souhaite se l'approprier.

Léopold : « J'ai appris la MAO tout seul en expérimentant, les tutos me servent pour regarder si tel VST
est cool, […] ou alors pour heuu mieux comprendre certaines fonctions de choses qui m’intéressent. »

En effet, ces réseaux numériques ne participent pas qu'à l'apprentissage de savoir-faire, ils
permettent à de nombreux musiciens de se tenir au courant des nouveautés concernant leur
instruments.

Tom : « Mais c'est beaucoup avec des amis des échanges, à l’affût des nouveautés, on est abonné à
des pages sur Facebook ou des newsletters de magasins ou de marques célèbres. »

Internet est une source de savoir et d'outils numériques, où des internautes peuvent se guider les uns
les autres. C'est devenu une partie non négligeable de la constitution d'un réseau d'apprentissage
concernant la MAO. L'entourage, qu'il soit physique ou virtuel, est essentiel à l’apprentissage.

b. Les institutions pédagogiques


Si l'ensemble des savoirs concernant ces pratiques se trouvent potentiellement sur internet et que
l'on peut directement développer ses compétences via ses instruments, quel est le rôle donné aux
institutions pédagogiques ? Pourquoi le musicien rejoint une école et comment les professeurs
négocient une pratique qui s'apprend également à l'extérieur de celle-ci?

Tom (professeur de Musiques Actuelles Amplifiées) : « Un élève qui vient avec une demande très
spécifique de progression instrumentale, qui est évidemment légitime hein pas de problème, on lui
répond tout le temps de manière rigolote, il y a des tutos pour ça ! On dit souvent qu'on est des lieux de
rencontre. »

Ici, Tom perçoit la structure pédagogique plutôt comme un lieu de rencontre que de transmission du
savoir. Le but semble être de confronter sa vision à celle des autres. Pour Théo, élève au sein de la
préparation aux métiers du son et de la classe de Musiques Actuelles Amplifiées :

Théo : « Le principal truc, ben tu vois Patrick ce qu'il entend et ce qu'il nous fait entendre, c'est des trucs
que jamais tu pourras entendre sur internet tout seul, ou même c'est l'effort de sortir de chez toi, et puis
moi c'est l'effort de lire des notes et de remettre en cause tout ce que j'ai toujours fait. Et puis même des
fois, ça te redonne encore plus de motivation pour ce que tu es vraiment. »

On vient alors se nourrir de pratiques différentes pour construire la sienne :

Théo : « Du coup avec Silvano, comme on était sur Pro Tools, ça a totalement changé notre façon de
faire, comme on était sur Pro Tools et avec Patrick on a passé beaucoup de temps en salle en train
d'écouter acoustiquement ce qu'il se passait […] Alors lorsque l'on s'est mis à enregistrer dans le même
lieu mais avec Pro Tools et avec l'expérience que j'avais eu depuis, j'ai mis un couple comme on aurait
fait en classique, plus loin des amplis pour prendre le son de pièce même s'il était pas ouf, et il y a
beaucoup de ce couple de micro là dans le mix envoyé dans de la reverb', tout était envoyé dans la
même reverb' alors que l'on ne faisait pas ça avant, et là j'ai créé un vrai mix homogène comme on
essayait de faire en classique avec Patrick. »

On voit l'importance du facteur motivationnel et d'engagement que procure l'intégration dans un


dispositif d'apprentissage collectif. Au delà de cela, l'institution pédagogique procure aux élèves des
lieux de travail avec des objets, comme on l'a vu, eux même instructeurs. Julia, ne se sentant plus
actuellement de continuer le conservatoire me confia même que :

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Julia : « Peut être que je me réinscrirais pour avoir accès au studio de son ; et pis t'as accès aux
machines, c'est hyper cool. »

Marc rajoute que le conservatoire permet de lui donner un cadre d'apprentissage qu'il ne peut pas
s'imposer chez lui.

Marc : « Pour moi, le conservatoire, c'est l'accès à une structure et à du matériel […] pour les cours de
piano, j'ai un engagement humain à une personne et un cadre strict, qui me permet de me contraindre
à avancer. Mais tout ce que j'ai fait là, je l'ai fait tout seul. »

Au sein de ce cadre, dans la classe de Musiques Actuelles Amplifiées, les professeurs semblent
adopter un rôle de guide pédagogique.

Jean : « La classe de Musique actuelle, je l'envisage comme un accompagnement artistique en fait, c'est
vraiment là que je découvre plein de choses, c'est là que je m'éclate là bas. ça m'a fait découvrir de jouer
du synthé avec des gens, au lieu d'en faire seul, sortir du studio. […] On m'apprend juste d'aimer à faire
de la musique, de la faire avec passion et pas dans un bouquin. »

De plus, l'institution semble procurer aux élèves une sorte de légitimité, et peut potentiellement
imposer aux nouveaux arrivant une pression hiérarchique. Pour des personnes s'intéressant aux
Musiques Actuelles Amplifiées sans connaissance informatique ou de technique du studio, ça
semblait être difficile. N'ayant pas forcément les même codes, ils ressentaient une grande violence
symbolique.

Claire : « C'était un gros stress , même si j'avais hâte d'y aller, je passais 1H30 à ne rien comprendre
[…] il n'y avait personne, mais vraiment personne, dans mon entourage qui faisait ça. L'ordinateur en
général, c'était pas du tout un truc qui m'attirait. »

Julia a même menti sur son statut pour accéder à certaines activités réservées aux musiciens de
conservatoire.

Julia : « Quand j'étais à Paris, un jour du coup j'ai poussé la porte de l'IRCAM car il y avait une
présentation d'un système d'écoute, tout nouveau je ne sais pas quoi, qui spatialisait un concert de
musique classique, un orchestre et du coup tu te baladais dans un pièce et chaque enceinte re-
spatialisait l'orchestre. […] Et pour rentrer dans ce truc là, il fallait être étudiant en musique, et là ça m'a
fait un peu péter un plomb, en gros n'importe qui ne peut pas avoir un accès à ce genre de truc. Et du
coup j'ai dit que j'étais violoniste et que j'étais étudiante au conservatoire, ce qui était totalement faux,
mais j'y suis allée quand même et du coup je me suis confrontée vraiment à un cercle hyper fermé de
gens, là c'était bang quoi. bah en fait ils sont entre eux et si t'es pas dans leur truc, tu ne peux pas
rentrer, mais en fait il suffit juste de mitonner, bref de pousser un peu les portes. »

On observe l'exclusion que peuvent ressentir les personnes hors du cercle des initiés. Cela avait
même poussé la mère de Tom, maintenant professeur de Musiques Actuelles Amplifiées, à refuser
que son fils candidate à un conservatoire alors qu'il était dans une école de musique.

Tom : « voilà la philosophie de cette école était de commencer la musique tout de suite dès le premier
cours et de ne pas faire deux ans de solfège avant, quelque-chose qui a beaucoup convaincu ma mère.
[…] l'idée de conservatoire n'était pas quelque-chose qui heuuu, comment dire, je pense qu'en fait avec
le recul, le conservatoire était, représentait une entité réservée à une autre classe sociale que la notre
[…] alors premier refus de ma mère car le conservatoire était quelque chose pour elle un peu
d’inaccessible et qui ne faisait pas trop sens avec ce qu'elle imaginait de la musique et de la carrière
d'un musicien. »

Julia préfère même pratiquer sa musique au sein de son collectif, loin des jugements d'une telle
institution.

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Julia : « Et heuu ouais c'était surtout ici [Le collectif en question], car ici c'est un milieu qui est
bienveillant sur ce genre de truc, où tu as envie d’expérimenter, personne te juge en fait, tu fais ; et ça
c'est trop bien. C'est anti-institutionnel en fait et ça c'est cool. Parce-que en fait tu croises des gens ici,
car c'est en croisant des gens différents que tu nourris ta pratique et que tu fais quoi. »

D'un autre côté, le fait de recevoir de la légitimité d'une institution pédagogique reconnue par l'état,
comme le conservatoire, ou d'un de ses représentants semblent donner de la confiance à l'apprenant.

Julia : « Avant j'étais avec Simon, un des gars de Super Parquet [un groupe lyonnais], j'ai habité avec
lui. Cette passion commune pour la musique, on en parlait vachement et j'ai commencé à faire des
collages sonores sur Audacity. Et il m'a dit ‘mais vas y continue c'est cool', et j'ai reçue ça comme une
sorte de légitimité. C'était un gars qui avait fait le conservatoire et le Cefedem. Et j'ai continué comme
ça. »

Pour les professeurs de Musiques Actuelles Amplifiées, ces questions sont un vrai souci, alors que
la musique qu'ils sont censés enseigner a été créée en marge de ces institutions.

Tom : « ce sont des instruments qui sont reliés, qui sont de toute façon nés en marge de l'institution et
même contre les institutions, que ce soit la musique techno, le rock, le rap, et tout euuhh ; je pense aussi
il y a quelque part un peu de ça pédagogiquement on fait faire aux élèves plutôt que transmettre, je
pense qu'au fond on ne veut pas décontextualiser la culture de son apprentissage. Si jamais je me lève,
et je dis à un élève 'alors t'as bien révisé ton Nirvana ?', j'arrête ce métier. Ce sont des musiques
d'autodidactes donc il y a un paradoxe d'enseigner ça dans des structures publiques. Que fait-on de ce
paradoxe ? […] Je défends la méthode dite globale plutôt qu'analytique. »

Georges : « moi j'ai pas envie que cette musique s'académise, je me suis vraiment demandé si je devais
rentrer dans l'institution et comment faire pour ne pas tuer cette musique. Moi mon premier DEM
[Diplôme de fin d'étude du conservatoire], c'était de la Noise, une musique très identifiée et pas
convenable dans les manuels ou dans les tutos […]. »

L’institutionnalisation de l'apprentissage ne se fait pas, ici, sans questionner l'apprentissage originel.


Nous reviendrons sur la manière dont les professeurs négocient ces problématiques dans la
constitution de leur méthode pédagogique au sein de la troisième partie.

c. Le musicien et ses objets instructeurs


Nous avons étudié pourquoi on peut qualifier les logiciels d'objets frontières et instructeurs.
Observons maintenant comment les utilisateurs font pour développer leurs compétences au sein de
ces réseaux d'apprentissage inhérents aux logiciels et à leur support numérique. Beaucoup m'ont
parlé d'autodidaxie, qui peut être un concept très difficile à définir étant donné ce que l'on vient de
dire. Même par rapport à internet, Marc étant « chargé de répondre aux questions sur Pure Data de
n'importe qui sur le forum de labo-média » posa la question « Est ce que tu es autodidacte quand tu
regardes une vidéo ? ».

Jean : « j'ai téléchargé mes premiers logiciels, et j'ai commencé vraiment en autodidacte avec tutos et
en fouillant dans les logiciels. »

A partir de quel moment peut-on dire que l'on apprend seul, cela a-t-il du sens ? Cette partie se
concentre sur le rapport entre l'apprentissage solitaire et les objets que le musicien parcourt. Il faut
considérer l'emploi du terme autodidacte de la part des musiciens comme “l'acquisition de
connaissances par un individu en dehors des dispositifs éducatifs officiels”26 et non comme le fait
d'apprendre seul. On parlera d'acquisition d'un savoir ou d'une connaissance solitaire. D'abord, la

26 http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/autodidaxie/178846, consulté le 3 août 2017

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place de l’expérimentation semble être centrale pour toutes les personnes interviewées.

Quentin : « Je suis d'abord autodidacte. J'ai tripoté, moi j'ai toujours expérimenté comme ça. En fait au
final, j'ai d'abord appris le piano puis la guitare puis les logiciels en fait. »

C'est en expérimentant, souvent seulement de manière récréative, que ces musiciens viennent à
apprendre sans vouloir apprendre. Rappelons nous l'exemple de Quentin qui découvre Garage Band
grâce aux réseaux d'affichage du logiciel, faisant se côtoyer des symboles et des mots l'amenant à
appréhender et comprendre le logiciel. En appréciant la qualité des fonctions offertes par le logiciel,
Théo a appris les concepts régissant ces pratiques.

Théo : « Et puis un jour j'ai demandé à un pote de venir une après midi, et on a fait un truc que j'ai
jamais réussi à refaire c'est à dire faire un morceau en une après midi, c'était le balbutiement de tout
quoi, [...] Je me souviens qu'il y avait un mot à chaque fois, il y avait un bruit bizarre à chaque fois, mais
incompréhensible quoi, du coup on a racheté des câbles et tout, et on recommençait, un bordel, on a
changé tous les câbles, on a tout ré-éteint et tout. En fait, c'est juste que l'on savait pas ce que c'était le
bouton gain et ce mot là il le disait un peu plus fort et puis ça saturait, mais on ne connaissait même pas
ce que c'était que ça. Du coup après on voulait faire des voix comme dans un stade, on a enregistré
cinquante fois la même prise en la pannant [Le fait de spatialiser le son de gauche à droite] un peu
partout, sauf que l'on ne savait pas ce que c'était qu'une reverb', donc ça sonnait super près et c'était
dégueulasse. J'ai encore le morceau là ; ça aussi c'était encore un autre début. »

L'approche empirique semble être centrale dans l'apprentissage pour les musiciens de Musiques
Actuelles Amplifiées.

Claire : « Maintenant, j'apprends en me perdant […] avec Georges des fois, il nous montre des trucs que
je trouve bien et que j'essaie d'appliquer sauf que je ne trouve pas du tout ce que c'est donc je me perds
et c'est vraiment ouais c'est je me perds, je teste vraiment, je vois ce que ça donne et finalement je me
dis ouais ça c'est pas mal. C'est jamais fait exprès généralement. »

L'expérimentation permet de découvrir de manière non-institutionnelle les techniques du studio à


partir de ces technologies.

Quentin : « Il y a plein de trucs même de montage et de mixage que j'ai expérimentés, des trucs qui
existent déjà. Par exemple le fait que quand tu enregistres la même voix en re-re heuu t'as des trucs de
phases qui se font qui sont hyper intéressants. »

A coté de cela, comme nous l'avons observé,


les logiciels possèdent un système de template
et d'organisation en sous-dossier de son et de
traitement donnant accès aux vocabulaires et
aux types de sons aux utilisateurs. En soi, ils
apprennent une culture des sons et ses codes,
propres à un panel de musique large de
Musiques Actuelles Amplifiées. Les
musiciens, par la caractéristique frontière du
logiciel de MAO sont souvent amenés à
traverser les frontières esthétiques et à
concevoir la même technique différemment.
Par exemple, Tom comprit plus en profondeur
l'écriture solfègique rythmique par l'initiation
au langage MIDI.

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Tom : « Et en fait lorsque plus tard quand je me suis mis à faire de la MAO, notamment avec le MIDI et
tout, il y a plein de choses qui se sont développées pour moi dans l'écriture du rythme grâce à l'écriture
MIDI, c'est incroyable. Après quand j'avais des partitions, dans la lecture ça s'est vachement simplifié
pour moi car j'ai eu à écrire des partitions MIDI, au niveau des valeurs, d'une mesure à huit temps, enfin
comment on décompose le temps ; ça m'a vraiment aidé, j'ai progressé techniquement sur quelque
chose mais pas pendant les cours de FM [pour Formation Musicale, un cours essentiellement dédié à
l'apprentissage du solfège] mais en faisant un détour, en passant par les musiques électroniques. »

La MAO favorise le détour pour apprendre. Les outils informatiques font le lien entre des pratiques
distinctes, permettant d'explorer un large panel de pratiques à partir d'un seul espace, constitué de
nombreux outils.

Tom : « C'est l'idée du détour, moi j'adore cette idée du détour, j'ai jamais autant progressé à la guitare
qu'en n'en faisant pas, en faisant du synthé en fait, mais vraiment, si j'ai progressé c'est parce que aussi
on parle de quelque chose, moi mon objectif c'est de me trouver musicalement, d’avoir une patte à moi,
c'est pas de progresser techniquement au sens rapidité. »

Enfin ce qui active ce processus, c'est le fait d'avoir un besoin à assouvir.

Théo : « Ce qui était cool, c'est que tout naissait d'une sorte de besoin, Logic, c'était le besoin de
composer, Garage Band, je m'en servais pour bosser l'instrument, mais heu Pro Tools, c'était le besoin
de mixer plus propre, sans doute que Live c'était pour faire de la diffusion. »

Tom : « j'ai appris les logiciels car j'en avais un besoin terrible. »

Afin d'activer ses réseaux d'apprentissage, les professeurs semblent orienter leur pédagogie vers la
mise en place d'un catalyseur de besoin, le projet.

3. L'enseignement au sein de la cité par projet


a. Le projet musical
Lors de mes entretiens, et de mon parcours au conservatoire, la notion de projet était omniprésente.
Autant du point de vue des élèves, pour constituer des travaux à présenter ou relevant d'un simple
usage récréatif, que des profs qui se positionnent comme chef des projets des travaux d'examens des
élèves. Ainsi Léopold27 m'a montré le projet de son groupe, Théo fait des projets dans sa chambre
alors que Patrick s'assure de guider les élèves sur les projets personnels « qu'ils ont à mener lors des
concours » et Georges déclare que « moi ma logique c'est de dire, on doit vraiment aider les gens à
développer leur projet à eux ». Le musicien est artistiquement défini par son projet.

Marc : « j'avais un projet et je le jouais et je l'exportais. »

Tom : « Usine car un de mes élèves l'utilise pour un projet. »

Il semblerait que les professeurs souhaitent mettre en place un dispositif pédagogique calqué sur ce
qu'il pense être la carrière d'un musicien, afin de rester fidèle à ces pratiques. Morgan Jouvenet28
explique que :

“La carrière du musicien se déroule au fils des « projets » qui l'attachent temporairement à des
personnes physiques et morales, des objets et des lieux. Définis par un objectif et des conditions de
réalisation, ces segments d'activités apparaissent comme les unités collectives d'actions, cadres
temporels d'une convergence d'actes de travail.”
27 Léopold : « Ce que je fais, je vais te montrer le projet de magicien. »
Théo : « Si je fais des trucs dans ma chambre un peu des projets pour moi, je fais Logic. »
28 Jouvenet, Morgan, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. Ethnologie de la France, 2006, p171

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Un projet, dans le monde de la MAO, c'est un espace particulier qui a été réinvesti dans un but
spécifique. En effet, lorsque j'enregistre une session crée sur le Logiciel Ableton Live,
automatiquement il va rajouter le suffixe project au nom de mon dossier. Le nom que je lui accorde
doit donc révéler ce qui se trouve à l'intérieur pour que je puisse retrouver la bonne case plus tard.
Cette notion prend son sens dans ce monde en réseau informatique. Le projet crée et rassemble tous
les outils que la MAO peut proposer. C'est à la lecture du livre le nouvel esprit du capitalisme que
j'ai trouvé des sources de réflexions sur les relations entre réseaux et projets :

“C'est précisément parce que le projet est une forme transitoire qu'il est ajusté à un monde en réseau :
la succession des projets en multipliant les connexions et en faisant proliférer les liens, a pour effet
d'étendre les réseaux.”29

Le projet peut être donc étudié comme un bout de réseau. Si l'on parlait de groupe, maintenant on
emploie, à la place, volontiers le mot projet. Comme une tendance générale mise en lumière par ce
livre, la notion de projet est devenue commune.

“Dans un monde réticulaire, elle est faite dorénavant d'une multitude de rencontres et de connexions
temporaires, mais ré-activables, à des groupes divers, opérées à des distances sociales,
professionnelles, géographiques, culturelles éventuellement grande. Le projet est l'occasion et le
prétexte de la connexion. Celui-ci rassemble temporairement des personnes très disparates, et se
présente comme un bout de réseau fortement activé pendant une période relativement courte, mais qui
permet de forger des liens plus durables qui seront ensuite mis en sommeil tout en restant
disponibles.”30

Sur le site du Cefedem Auvergne Rhône-Alpes31, on parle de transversalité des pratiques, un terme
également utilisé dans des ouvrages de management32. On peut expliquer cette tendance par la
construction d'un monde en réseaux, conséquente des nouvelles technologies et de l'intégration des
critiques artistes, fondées sur la perte de sens et l'oppression, des structures hiérarchiques
pyramidales mentionné par Boltanski, menant alors à l'institution d'une cité par projet. Il rajoute que
cela a pour conséquence directe de modifier nos modes de jugements et donc notre rapport à la
hiérarchie, nous y reviendront plus tard. Cependant, même si ce sont les même concepts employés
dans le monde du management et de la musique, le projet ne se manifeste pas de la même manière.
De quoi parle t-on alors ? Qu’est ce que concrétiser un projet musical?

- L'apprentissage et la concrétisation d'un projet musical

Pour Léopold, concrétiser un projet, c'est pouvoir le jouer. C'est à dire potentiellement pouvoir
défendre son projet artistique sur scène. Pour Tom, ce pourrait être de faire un disque. Pour les
élèves de Patrick, ce peut être la réussite de leur concours. Morgan Jouvenet résume :
“Pour les rappeurs et les électronistes, le projet consiste, le plus souvent, à réaliser un disque (de la
compilation à l'album personnel), à organiser un concert ou une « tournée », ou à tourner un clip.”

Mais comment le projet s'inscrit dans un processus d'apprentissage ? D'abord, le projet va mener
l'apprenant à se ré-approprier des outils spécifiques.
Pierre : « je vais lui demander d'élaborer un projet, et en fonction de l'élaboration de ce projet se dessine
des outils et alors à ce moment là on commence l'étude des outils en même temps que l'on commence
l'étude de la composition avec ces outils là pour réaliser un projet spécifique, et donc dans le cursus, au
fur et à mesure, il va s'approprier une grande partie des outils. »

29 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p 181
30 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p 170
31 http://www.cefedem-aura.org/recherche/publications/article/propos-de-transversalite-dans-lecole-de-musique,
consulté le 10 août 2017
32 https://www.decitre.fr/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/3/1/1/6/9782311621341.pdf, consulté le 10 août 2017

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Un projet a la capacité de faire appel à divers outils, c'est en cela qu'il peut imposer un besoin à
l'élève, qui devra maîtriser des compétences pour l'assouvir.
Pierre : « L'idée de la classe de composition, c'est de suivre l'élève c'est à dire de voir comment il évolue
et de voir où il veut aller et de l'accompagner dans cette direction. »

C'est en se positionnent comme accompagnateur de projets que les professeurs guident leurs élèves.
L'élève ne développe donc pas l'intégralité des compétences enseignées, ou celle de son professeur,
mais celles lui permettant la réalisation de son projet.
Patrick : « Dès qu'ils sont autonomes sur le matos, je les incite à faire plein de projets à eux, donc ils font
plein de projets plein d'erreurs plein de trucs bien. […] Dans la logique des choses, on utilise des outils
quand on en a besoin en fait. »

Comme le mentionne Jordan, « le rôle de la pratique est de trouver des questions ». Cela nécessite
donc un travail autonome des élèves sur le développement de leur projet. La MAO, en tant que
réseaux et outil permettant la création de projet musical, répond à ce besoin.

Quentin : « J'ai déjà eu des cours de son où tu as une démonstration et il t'explique, tu comprends ce
qu'il se passe, mais tant que tu ne l'as pas fait, tu peux pas intégrer je pense […] on fait nos projets et on
a une grande autonomie, on prévient quand est ce que l'on prend la cabine, et quand on la rend. »

Comme je l'ai remarqué dans la classe de Musiques Actuelles Amplifiées, la logique de


transmission du savoir instrumental du professeur à l'élève est donc oubliée. La corrélation entre
savoir instrumental et compétences musicales est floutée.
Tom : « J'ai parlé de guitare en terme de formation, à l'idée d'être dans un cursus, mais quand j'ai parlé
de Musique Actuelle Amplifiée au conservatoire de Lyon je n'ai plus parlé de guitare mais de projets. »
La compétence musicale des élèves de Musiques Actuelles Amplifiées réside ici dans la capacité de
construction de projet plutôt que dans la maîtrise instrumentale. C'est l'image rendue par le musicien
dans l’exécution et la construction de ses différents projets qui pourra être jugée.
Tom : « Etant donné que mon objectif n'était pas de maîtriser le logiciel mais d'avoir des productions qui
me plaisent, j'ai appris sans m'en rendre compte vraiment. Si je refais le film, ça n'a pas été des cours ou
des leçons, ça n'a pas été compartimenté par niveau. »
La maîtrise instrumentale n'est donc plus centrale dans la cité par projet. Il faut maîtriser un outil
par rapport aux exigences instrumentales d'un projet et non d'une classe. L'apprentissage
instrumental, basé sur la transmission du savoir, s'est métamorphosé en l'apprentissage par projet,
basé sur la réappropriation personnelle du savoir ou d'une compétence au sein de projets musicaux .
Le logiciel de MAO fonctionne dans une logique de projet. C'est sans doute pour cela qu'il semble
devenir central dans la classe de Musiques Actuelles Amplifiées. Même les musiciens ne l'utilisant
pas sur scène, comme les musiciens rock, l'utilisent comme un outil d'enregistrement afin de fixer et
de présenter leurs projets aux autre élèves et aux professeurs. Comment incorpore-t-on alors des
compétences ? En présentant Pyramix, Théo me fait remarquer que :
Théo : « voilà là ça me montre que je suis une grosse merde à Pyramix, on a eu des cours avec Patrick
dessus mais heuu c'est la façon dont toi tu le prends en main, tu te jettes dedans en fait, et si t'as aucun
moment où tu te jettes dedans, c'est impossible que tu comprennes quelque chose. »

Cela met en avant l'importance de la pratique autonome de l'élève. Du point de vue du professeur,
Georges m'explique que l'apprentissage se fait :
Georges : « par exemple, à travers des projets. Voilà là tu vas composer un morceau, et tu vas le faire
dans Live. Voilà en gros les fonctions principales de Live et puis tu vas ramer comme tout le monde mais
tu vas trouver tes solutions à toi. »

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Le but des cours magistraux n'est pas d'enseigner un logiciel, mais d'initier aux outils permettant la
construction d'un projet par l'élève, qui devra trouver son propre matériel de création à travers ce
processus. La MAO est donc utilisée comme un moyen pour développer un projet, qui nécessitera
l'appropriation de compétences personnelles. Pour reprendre les mots de Morgan Jouvenet :
“L'intérêt du projet vient aussi de sa dimension formatrice.”33
Voilà pourquoi cela nécessite des phases de recherches personnelles, même a priori essentiellement
récréatives.
Léopold : « Pour moi, la meilleure manière d'apprendre un logiciel c'est d'être complètement dedans, de
se plonger dedans et de ne pas trop se poser de question. »

Marc : « C'était mon boulot d'apprendre aux gens à utiliser Pure Data, mais le meilleur moyen
d'apprendre Pure Data, c'est de passer du temps dessus quoi. »

Au delà de l'univers de la MAO, le cours principal de Musiques Actuelles Amplifiées, le


laboratoire, réside dans de nombreuses improvisations collectives, souvent libres, permettant ce
même type d'apprentissage et favorisant le partage des compétences et savoirs construits par
chacun.

Georges : « Moi je trouve que un cours réussi, c'est un cours dans lequel on a fait de la musique, pas un
exercice, c'est à dire on a eu des vibrations musicales, on a eu les poils quoi. »

La constitution de son savoir se fait au sein d'un collectif. Le projet, rassembleur humain et
imposeur de besoin devient une manière d'envisager le tissage d'un réseau d'apprentissage tout en
laissant l'élève développer les compétences et le propos musical qu'il souhaite.

b. Le rôle du professeur dans la cité par projet


Comment les professeurs, alors jusqu’à maintenant, au sein du conservatoire, porteurs d'un devoir
de transmission d'une pratique instrumentale, se redéfinissent et mettent en place un dispositif
pédagogique par projet ?
Ahmed [Professeur de Musiques Actuelles Amplifiées] : « Je ne vais pas apprendre la guitare à un
guitariste, je donne mon analyse, mes sensibilités, je me place vraiment en tant qu'auditeur investi dans
la proposition que fait l'élève. Après l'ordi et le scratch, des fois des aspects techniques où j'ai plus de
connaissances, je rentre dans le détail. […] Mais finalement en Musiques Actuelles, c'est là où je trouve
ça aussi difficile que passionnant, on peut pas être spécialiste des Musiques Actuelles c'est beaucoup
trop. »
Lorsque l'on veut enseigner dans une cité par projet, on est confronté à un problème fondamental.
Le professeur, en tant que porteur du savoir, doit a a priori maîtriser les connaissances et les
compétences relatives à sa discipline, mais comment faire lorsque l'élève puise dans des
compétences que l'on ne maîtrise pas ? En mentionnant l'idée que le savoir est divisé en trois pôles,
l'enseignant, le savoir extérieur et l'élève, Pierre fait une remarque.
Pierre : « il y a des choses que l'on sait, de notre expérience personnelle, que l'on veut bien transmettre,
et des choses qui sont dans le troisième point, peut importe où il est, que ce soit sur internet, dans des
bouquins, on va emmener l'élève à aller chercher par là, les deux fonctionnent. »

Aujourd'hui, le savoir n'est plus l'exclusivité du maitre. Les professeurs m'assurent qu'ils apprennent
des élèves en cours34 et qu'ils rencontrent souvent « des gens plus pointus qu'eux dans leur
33 Jouvenet, Morgan, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. Ethnologie de la France, 2006, p234
34 Tom : « On apprend tout le temps, moi le premier, j'apprends aussi beaucoup. »

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domaine »35. Marc, élève, me confit même que :
Marc : « Dans les cours d’électroacoustique de Pierre, sur Pure Data j'ai un niveau plus important que le
sien mais ça change rien sur le fait que lui il a un regard de praticien. »
Et cet exemple n'est pas isolé.
Tom [en parlant du logiciel Ableton Live] : « souvent les élèves finissent par le télécharger et composer
avec pour le coup heuu et heuu nombre d’élèves composent dessus contrairement à moi et le maitrisent
beaucoup mieux que moi d'ailleurs. »
Alors que le professeur n'a plus le monopole des compétences et du savoir faire, quel rôle adopte t-
il afin de développer une pédagogie efficace ?

- Du transmetteur au révélateur

Georges : « Mon rôle de prof est pas de dire moi je sais toi tu ne sais pas, c'est dire alors faisons de la
musique ensemble et faisons en sorte que toi tu puisses élargir le plus possible pour connaître. Sinon
voilà tu as des tutos sur internet, si tu sais pas un truc tu vas sur internet. *rire* »

En « plaisantant sérieusement » sur l'apprentissage technique via les tutos. Georges ne considère
plus le professeur comme un transmetteur érudit mais comme un support humain, une personne
adoptant une posture pédagogique. Libéré de la transmission directe du savoir instrumental, on a
observé que le pédagogue de la cité par projet rencontre un obstacle majeur. Il ne peut pas maîtriser
la totalité d'une culture musicale. Il ne peut donc plus assumer son rôle de transmetteur, à tel point
qu'il doit redéfinir son rôle en tant que pédagogue. L'idée du médiateur a été mentionnée dans la
quasi totalité des interviews de professeurs, ainsi Pierre assure que « c'est presque un médiateur »,
d'un autre coté, la formation est perçue par Jean comme un « accompagnement artistique ».

Julia : « Du coup le prof est hyper, enfin la personne est hyper importante dans la pratique. Avec un tuto
je n'aurai pas pu, déconstruire plein de choses, ça laisse place à beaucoup plus quoi. […] Le rôle du
prof, c'est un rôle de, comme en photo, de révélateur de plein de trucs, de faire émerger des choses qui
sont déjà préexistantes dans ta tête, c'est aller fouiller dans toutes tes expériences aussi quoi. »

Le professeur semble être là pour accompagner l'élève dans ses propres projets, et non lui imposer
ses techniques et ses envies.

Pierre : « Il faut qu'il fasse son propre parcours, simplement je l'accompagne en faisant le garde fou. »

Lorsque j'ai demandé à Théo comment il enseignerait la MAO à quelqu'un, il me répondit :

Théo : « Bah je lui donnerai les cracks *rire*. »

Cela montre l’émancipation, déjà technique, d'une pédagogie de la MAO. L'objet nécessaire étant
maintenant quotidien. En effet, cela permet de libérer les technologies de création sans forcément
imposer une technique particulière.

Georges : « pour en revenir à Live vite fait, vu que c'est un logiciel qui peut avoir plein d'entrées
possibles, moi j'ai pas envie d'imposer à quelqu'un ma façon de rentrer dans ce logiciel. [...] Live ce que
je trouve bien c'est justement que si tu commences à dire, Live il faut l'utiliser comme ça, tu empêches
des gens de l'utiliser autrement. Quand je vois des élèves, en fin de compte heuu t'en as, ils l'utilisent
comme un multi effet, d'autres comme un magnétophone, d'autres pour faire du live, en temps réel, etc.
Bon, j'me dis, pourquoi moi j'imposerai une façon d'utiliser Live ? Parce que il y a plein de façons de
l'utiliser, c'est mieux d'encourager l'élève de trouver sa façon. »

35 Georges : « Et puis en face de toi, dans nos musiques à nous en tout cas, tu as en permanence des gens plus pointus
que toi dans leur domaine, tu ne peux pas être là et faire le prof qui sait. »

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On constate que l'idée que le professeur ne doit pas imposer une technique ou une esthétique
spécifique face au logiciel est importante. Selon ce professeur, cela s'applique d'ailleurs à tout
instrument de musique.

Georges : « Il doit dire, ben voilà vous avez un outil ouvert donc essayez des choses, donc toi tu dois
arriver à mettre en marche les gens pour qu'ils aient leurs approches à eux, respecter ça, je trouve ça
vraiment très important, c'est vrai avec tout, comme la guitare je ne sais pas, tu veux prendre des cours
de guitare, le mec c'est un fana de Joe Satriani, il va t'apprendre Satriani, tu vas voir un autre c'est
Radiohead, il va t'apprendre du Radiohead, en fin de compte, ils devraient plutôt t'apprendre à trouver ta
façon de jouer de la guitare, je trouve que ça serait plus intelligent. Par exemple, à travers des projets. »

La solution à la problématique de l'émancipation semble être le projet. Il rajoute d'ailleurs que :

Georges : « Le danger de la pédagogie est de dire, il faut apprendre comme ça alors que l'on devrait dire
apprendre à ta manière. »

Julia résume cette pensée en prescrivant « que les gens puissent se construire leurs propres outils »
et que le rôle du pédagogue est de « rendre des choses un peu plus sensibles ». Le pédagogue doit
jouer un rôle de catalyseur en incitant l'apprenant à créer des projets afin d'étendre son réseau
d'apprentissage. L'étudiant est donc considéré comme un chercheur plutôt qu'une personne formée à
une expertise instrumentale.

Léopold : « C'est à l'élève de faire son propre chemin. Je pense que c'est une manière de s'assumer qui
est vraiment primordiale. C'est à ça que ça sert, ça sert à former et surtout à ce que les gens se trouvent
quoi, ce n'est pas pour rien que les étudiants peuvent avoir 50/60 ans, c'est pour trouver des choses et
pas seulement pour apprendre. »

Tom va encore plus loin en expliquant que :


« La nouvelle technologie fait effet miroir, on se rend compte que ces pédagogies de transmission de
prof à élève, du savoir à transmettre, ça fait juste s’accélérer la mort de cette façon de faire. Là, le
numérique, ça met en lumière que c'est une méthode pas forcément très efficace. »

- Le médiateur face à son environnement

Comme on l'a observé, au delà du savoir, les structures pédagogiques permettent d'avoir accès à du
matériel, des espaces de travail et servent des lieux de partage. Il est intéressant d'observer comment
le pédagogue se place au sein de cet univers. Son travail va être de constituer une équipe et
d'impulser une émulation collective de travail.

Théo : « Les entretiens individuels pour rentrer, il regarde, il fait une équipe quoi tu vois; [...] Du
coup, si on arrive à tenir le rythme et tout, c'est parce-que l'on est tous ensemble. »

A travers mes entretiens, les professeurs semblent adopter un rôle de médiateur entre les étudiants,
les espaces et leurs objets. Le pédagogue doit veiller à instaurer une ambiance d'apprentissage
prospère. Alors, il pourra se délester du devoir de transmission pour donner aux étudiants la liberté
de construire leurs idées avec les outils qu'ils souhaitent développer.

Théo : « Et du coup ça c'est important de le faire mais aussi dans un contexte. »

Tom défend notamment l'idée de dispositif propice à l'apprentissage. L'idée d'imposer un besoin à
l'élève pour qu'il puisse pratiquer de lui même. Le professeur est donc perçu comme un
accompagnateur chargé de révéler les envies de chacun. Son moyen va être l'incitation au projet, la

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constitution d'une cité par projet. Mais comment comparer les étudiants? Car malgré tous les
discours, les élèves se sont engagés afin de valider un diplôme témoignant de leur niveau musical. Il
faut donc départager les étudiants, hiérarchiser les intelligences.

c. Compétences enseignées et mode de jugement

Dans chacun des cursus, on juge le projet, il est central et constitue l'épreuve la plus importante.
Cependant, il existe toujours des cours magistraux relatifs aux connaissances de chaque discipline,
l'idée de cette partie est de comprendre quels types de savoirs les enseignants prescrivent lors de ces
cours et ensuite comprendre plus globalement comment le mode de jugement des étudiants est
effectué. D'abord, étudions ce que les professeurs nous expliquent sur les cours magistraux de
MAO.

- Qu'apprend t-on ? Un logiciel, une pratique ou une culture ?

Georges : « Moi je suis très dubitatif sur qu'est ce que c'est une classe de MAO, est-ce que c'est comme
en anglais où on fait des exercices, pourquoi pas on apprend un truc, mais après est ce que c'est une
classe de musique ça ? Ou est ce que c'est une classe juste d'apprentissage d'un outil informatique? »

L'idée d'enseigner un outil sans le contextualiser ne semble pas faire sens.

Georges : « T'as partout des classe de MAO, c'est comme si on disait des classe de MAV [pour Musique
Assistée par Violon], l'outil c'est qu'est ce que l'on fait comme musique avec de la MAO, un rapper il ne
va pas l'utiliser de la même manière qu'un mec qui fait de la techno. […] C'est pour ça qu'il n'y a pas ce
côté, pour moi le travail technique de l'ordi est avant tout un travail d'esthétique du son, c'est à dire
pourquoi là j'ai 250 types de kick à ma disposition, pourquoi je choisis celui là et pas celui là, et comment
je travaille ça. Nan mais ça va pas tu mets un kick de métal alors que tu fais de la techno, il faut
apprendre à dire musicalement bah oui mais moi j'aime le kick de métal sur de la techno donc je
t'emmerde et je fais ce que je veux. C'est apprendre à qu'est ce que je veux entendre, à quoi que je veux
qu'elle ressemble ma musique. »

Il a d'ailleurs nommé son cours “esthétique du son”, un terme que Tom apprécie en défendant
« l'idée de culture du son ». En effet, une des compétences communes que les professeurs jugent
dans le projet des élèves semblent être leur utilisation du son, en tant qu'esthétique, dont les cours
magistraux constituent une porte d'entrée. Pour Pierre et Patrick :

Pierre : « Ma porte d'entrée qui est le cours collectif, c'est la connaissance du son car c'est ce que l'on
manipule. »

Patrick : « Moi je te dis, j'ai une partie de théorie, parce qu'il faut savoir de quoi on parle quand même.
C'est qu'est ce que c'est le son déjà. »

Pour Pierre et Patrick l'idée semble être, respectivement, de « s'affranchir de la technologie du


studio pour pouvoir créer librement » et « d'apprendre à savoir ce que c'est une image sonore »,
notamment en effectuant des écoutes critiques. Il n'y a donc pas vraiment de cours de MAO, mais
plutôt des technologies et des cultures intégrées à celle-ci. Les professeurs vont expliquer la
fonction d'un compresseur à l'élève, à travers une démonstration, pour apprendre l'outil compresseur
et non le logiciel présenté. Pour Patrick et Georges, l'idée d'adapter son cours aux élèves suivant ce
qu'ils savent déjà et ce qu'ils ont envie de faire est importante.

Patrick : « J'ai beaucoup de cours préparés, en même temps c'est jamais pareil. C'est complètement au
feeling et selon comment ils réagissent. »

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La conséquence directe est que de nombreux élèves me parlent de ces mêmes notions.
Théo : « et même le fait que mon micro pourri passe dedans et qui va dans des reverbs', ces morceaux
là, je ne peux pas les jouer acoustique voix, c'est vraiment cette matière là qui est le morceau. Et le
chemin entier du son, si c'était sur Logic et que j'utilisais des supers micros, ça ne marcherait pas non
plus. »

Quentin : « C'est un des trucs géniaux des musiques électroniques, c'est que l'on entend pas deux fois
la même chose. La base de la musique électronique, c'est la recherche du son. »

Jean : « C'est ça que j'aime aussi, c'est que les niveaux on s'en fout quoi, on n'est pas là pour ça, on
n'est pas là pour faire du shred [Une tendance basée sur la virtuosité et la rapidité instrumentale], si je
montais une école de MAO, le seul truc que j'aimerais, c'est pas inculquer des techniques de MAO
pointues tu vois, mais juste inculquer la culture du son, tu vois. La culture et l'amour du son. [...] C'est ça
que je trouve beau par rapport à cet instrument, il y a des cultures à l'intérieur de ça mais en fait c'est
vraiment un monde géant mais qui est vraiment uni en fait. On peut dire je fais de la techno, mais
souvent quand je lis des interviews de mondes différents, ils disent moi je fais de la musique
électronique tu vois. Et même s'il y a des espèces de frontières entre les styles forcément il n'y a pas
forcément de différences fondamentales, c'est vraiment juste un amour du son, une culture son, on fait
de la musique par amour du son, pas par amour de Cubase ou de Logic tu vois. »

Le logiciel n'est pas central, il sert d'accès aux outils. On n'apprend donc pas à l'utiliser en terme de
techniques informatiques mais d'esthétiques sonores. Même si certains trouvent leur identité en
prenant tout à contre-courant.

Marc : « Je ne suis vraiment pas fétichiste du matériel, quand je dis que je suis médiocre en son, je n'ai
vraiment pas de culture de 'un bon ampli, un bon pré-amp, des bons micros' ; Je me suis fait offrir deux
micros pour prendre le piano et je ne les ai même pas utilisés. »

- La négociation du concept de répertoire


Pourquoi l'apprentissage des musiques produites à partir de machines ne se fait pas par la
reproduction d'un répertoire d’œuvres pré-existantes ?
Georges : « Tu peux très bien recréer l'instru d'Eminem, mais tu t'en fous, car tu le retrouves en MP3 sur
le net. A la guitare par exemple, il y a la notion de répertoire. »

Comme on l'a vu, les élèves sont formés à l'esthétique du son, il semblerait qu'ils adoptent un
processus mimétique sans imiter un morceau entier, mais des sons de celui-ci.

Georges : « ça tu le fais quand tu passes deux heures à caler la compression d'un kick, c'est ça la
culture de l'informatique, enfin en tout cas du son en tant qu’élément de langage. Il n'y a pas de gamme
d'ordinateur, mais par contre oui, il y a d'autres problématiques. »

On imite des sons, pas des morceaux. Plutôt que de faire d'un instrument, « on fait du son ».
Théo : « Et je me souviens d'une phrase que le gars m'a dit, il m'a vu et un des premiers trucs qui m'a dit
"ah mais tu fais du son ?" et j'ai dit "nan je joue un peu de guitare et mon tonton il m'a dit de venir et tout"
mais du coup le "tu fais du son" tu vois, c'est con mais tu vois faire du son ça a de la gueule, et j'aurai
tellement aimé répondre oui et je pense que c'est aussi un des trucs qui a fait que j'en suis là à faire des
études de son. »

Comme on la vu précédemment, les professeurs ont également envie de ne pas trahir leurs
représentations des cultures qu'ils défendent en jugeant les élèves sur leurs capacités à imiter des
morceaux. En instituant cette cité par projet, le professeur souhaite assurer de respecter un dispositif
propice à la recréation de ces musiques, où ils n'ont pas une emprise totale sur les élèves.

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- La limite des mots

Une des premières limites à la pédagogie par projet est le vocabulaire ésotérique des musiques et
pratiques associées. Marc, intéressé par la musique jazz m'assure que :

Marc : « Il y avait des vidéos de jazz sur internet, mais cela ne répondait à aucune de mes questions. »

C'est là où un enseignant peut partager, même inconsciemment, sa connaissance du vocabulaire,


juste en discutant avec lui, afin que l'élève puisse ensuite faire ses propres recherches pour
compléter son projet. Les cours magistraux semblent servir à expliquer les techniques et les
concepts que constituent un monde artistique. Pierre perçoit l'enseignant comme « un vecteur pour
être dirigé dans la masse ». Le vocabulaire peut concerner des pratiques mais également des objets,
inconnus par les néophytes. Marc m'explique que :

Marc : « prof de Ableton ok, mais prof de MAO. Quel système tu va utiliser,matériel,logiciel,... je me dis
que prof de MAO c'est aussi avoir la culture du matériel. »

En effet, même le vocabulaire des équipements et outils doit être acquis pour naviguer dans ces
mondes.

- Mode de jugement et hiérarchie

Le but de l'école est également de démarquer les individus, hiérarchiser les intelligences aux yeux
de la société. Mais où fixer le critère de qualité quand on ne peut plus comparer des niveaux
techniques similaires ? L'émancipation artistique, dans les classes étudiées, semble être le critère
principal d'un bon musicien. La qualité d'un individu semble être défini par ce que les autres ne sont
pas. L'identité d'un musicien semble primordiale pour Tom :

Tom : « Mon objectif général, mon rôle dans un établissement, dans une école de musique, c'est de faire
en sorte d'aider les gens à développer leurs projets personnels, leur propos artistique, c'est à dire que
si on écoute de la musique, on heu onnn reconnait que c'est du Gabriel ROUET et que ce n'est pas du
Jordan BILUVAT, si je peux participer à ça et que les gens aient un son à eux, pour moi c'est gagné. »

Apprendre par projet, c'est donc être l'initiateur d'une musique inédite, dont l'apprenant maîtrise les
outils nécessaires à sa création, qu'il doit défendre avec des arguments. Alors comme le mentionne
Boltanski36, le chef de projet :

“Ce n'est pas un chef (hiérarchique), mais un intégrateur, un facilitateur, donneur de souffle, fédérateur
d'énergies, impulseur de vie, de sens et d'autonomie […] Ils possèdent l'art de la conciliation des
contraires et savent réunir et mettre en communication des personnes très différentes.”

J'ai observé que, contrairement à ce que l'on peut penser, ce dispositif ne semble pas remettre la
hiérarchie en cause. Même si les professeurs semblent ouverts aux propositions, en proposant même
des cours libres où les élèves peuvent proposer eux mêmes des cours, le jugement final est
irrévocable. Comme l'explique Boltanski, la hiérarchie semble moins prégnante au niveau des
travailleurs, (par exemple, les élèves de la classe de Musiques Actuelles Amplifiées ne sont pas
séparés strictement par niveau) mais est toujours présente lorsque l'on doit démarquer les individus.
Un nouveau mode de jugement se crée alors.

36 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p 187-188

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Georges : « ça m'inquiète, Quelqu'un qui est bon élève, qui fait ce qu'on lui dit, qui est ouvert, qui écoute,
et bah il a son DEM [Diplôme d'études musicales], ça m'inquiète car j'aimerais faire comme les écoles
d'arts, avoir les profs comme ressources. Pas être dans quelque chose où on consomme un service car
à l'arrivée un musicien, c'est un artiste et pour moi, on doit l'aider à développer sa personnalité artistique
[…] dans notre structure, il a avancé sur sa manière d'être musicien […] Mon objectif n'est pas de dire
que celui qui est guitariste va être meilleur techniquement à la sortie et s'il le sera, c'est une
conséquence d'avoir joué différemment que d'habitude, il n'aura pas acquis un savoir fixé. »

Même si les professeurs prônent l'émancipation artistique, on constate une ligne directrice musicale
et pédagogique plutôt marquée, excluant certaines pratiques se revendiquant des Musiques
Actuelles. De plus, les préférences esthétiques des professeurs semblent parfois prendre l’ascendant
sur le projet des élèves. On comprend maintenant le rôle du professeur dans cette cité pédagogique
par projet. Mais lorsqu'il s’agit de juger, qui sont les grands et qui sont les petits ?

- Les grands et les petits

“Une cité est un ordre de référence, de justification, un type de conventions auxquels se réfèrent les
agencements sociétaux. Dans ces cités peut s’établir une équivalence considérée comme juste en
référence aux principes de la cité. En somme, les cités qui sont un ensemble de principes communs,
permettent aux êtres de se mesurer entre eux (il y a des grands et des petits dans chaque cité, en
fonction des principes qu’elle promeut).”37

Quel principe vient trancher la différence entre grand et petit dans cette cité ? Encore une fois, je fus
étonné par l'analogie38 entre ce que Boltanski nomme le nouvel esprit du capitalisme et les modes
de jugement au sein des formations du Pôle son du CRR de Chalon-sur-Saône.

“Dans une cité par projet, l'équivalent général, ce à quoi se mesure la grandeur des personnes et des
choses, est l'activité […] L'activité vise à générer des projets ou à s'intégrer à des projets initiés par
d'autres.”

Dans chacune des trois formations, pour réussir son examen, il faut créer et présenter, en concert ou
en diffusion, un projet personnel. Justifier des compétences techniques n'est pas central, voire pas
obligatoire, surtout dans la classe de Musique Actuelles Amplifiées.

“Le grand ne maitrise pas une technique spécifique, mais doit être flexible et adaptable.”

Morgan Jouvenet39 met cela en lumière en nommant les compétences artistiques, le bagage du
funambule.
“Il est des artistes qui, présentés comme des « espoirs » ayant « tout pour réussir » à leurs débuts
discographiques, ne confirment jamais. Les commentateurs de ces échecs mettent l'accent sur le fait
qu'ils n'ont « pas su s'adapter », qu'ils pensaient « être déjà arrivés ». C'est dire que même pour les
mieux disposés a priori, la carrière ne peut s'envisager autrement que comme un apprentissage
permanent, une suite constamment réfléchie de transformations de soi.”

Il rajoute que l'on évalue la qualité d'un musicien à travers l'identité qu'il renvoie au sein de ses
différents projets40.
“L'image que l'artiste acquiert à travers ses divers projets est une donnée professionnelle déterminante.”

37 http://socio.ens-lyon.fr/agregation/reseaux/reseaux_fiches_boltanski_1999.pdf, consulté le 3 Août 2017


38 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p178-179
39 Jouvenet, Morgan, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. Ethnologie de la France, 2006, p233
40 Jouvenet, Morgan, Rap, techno, électro... Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. Ethnologie de la France, 2006, p234

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Boltanski montre que la cité par projet contient un mode intrinsèque de jugement, relatif à l'activité,
par projet, de ses membres, et comporte donc une logique d'exclusion inhérente à son processus.
Lorsque l'on ne veut pas fonctionner comme le processus l'impose, on est automatiquement exclu.
Au conservatoire de Chalon-sur-Saône, j'ai observé plusieurs fois ce type de cas où les personnes se
sentaient bloquées ou étaient recalées à un examen pour des raisons esthétiques ou de non-respect
de démarches propres à la classe.

“dans une cité par projet, le petit est celui qui ne peut s'engager, qui n'est pas engageable dans un projet
ou qui se montre incapable de changer de projet.”41

Il existe également une part d'élèves qui n'arrive pas à activer ce processus et se sente alors laissés
au bord du chemin. Pierre admet que :

« C'est vrai que pour les élèves qui n'ont pas d'autonomie, ils sont dépourvus, ça ne marche pas. Ou
alors ça ne marche pas pendant un moment et après ils comprennent qu'il faut fonctionner comme ça. »

En d'autres termes :

“Celui qui, n'ayant pas de projet, n'explore plus les réseaux, est menacé d'exclusion.”42

Pour Boltanski, la principale nouveauté de la cité par projet est le développement de ce nouveau
mode de jugement :
“Nous considérons que si quelque chose de nouveau est advenu sous le rapport qui nous occupe ici,
c'est bien, précisément, la formation d'un mode de jugement qui, tenant pour acquis que le monde est un
réseau offre des points d'appui pour apprécier et ordonner la valeur relative des êtres dans un tel
monde.”43

Les professeurs ont besoin de se questionner vis à vis de leur jugement, notamment lorsqu'ils sont
encore porteurs du devoir de juger. Cependant, pour moi, cette logique de projet, au sein du monde
musical, est d'abord technologique et liée à un mouvement sociétal global. De nouveaux modes de
jugements sont en effet à l’œuvre, mais ceux-là sont inhérents à une école ayant pour but de
diplômer. Comme Boltanski le mentionne, la cité par projet est un mode de fonctionnement
assimilable à la cité inspirée, où le principe supérieur commun est la créativité et est « grande » la
personne qui a les compétences pour être innovante et créative. Rappelons nous les propos de Tom,
professeur de Musiques Actuelles Amplifiées.
Tom : « Moi mon objectif, c'est de me trouver musicalement, d’avoir une patte à moi, c'est pas de
progresser techniquement au sens rapidité. »

La fidélité à sa propre inspiration que le musicien transmet à ses projets, sa capacité à la moudre à
travers des projets collectifs et individuels tout en paraissant authentique, est donc la clef de
jugement de cette cité, avec toute la subjectivité que cela peut impliquer.

41 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p193
42 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p181
43 Boltanski, Luc et Chiapello, Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p247

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Conclusion
Au sein des trois classes observées, du conservatoire et de son entourage, le logiciel de MAO
semble rassembler un ensemble de concepts et de pratiques musicales se rapportant à l'ordinateur.
On a étudié la flexibilité de l'objet logiciel de musique, restant toutefois assez robuste pour être
défini, face à divers usages. Il adopte un rôle d'objet frontière et d'instructeur, il fait le lien entre ces
mondes, notamment en intégrant et mélangeant les objets de chacun d'entre eux. Le savoir-faire
MAO, qu'il soit relatif à n'importe quelles pratiques des trois disciplines observées, n'est pas
construit, au sein du pôle son de ce conservatoire, comme une transmission du professeur à l'élève.
C'est la formation d'une cité par projet, calquée sur la pratique du musicien professionnel, avec son
kit de jugement intégré, qui amène les élèves à rassembler des connaissances et compétences,
nécessaires à la réalisation de leurs projets, à partir des supports du savoir qu'ils possèdent,
notamment internet, ou directement à partir des objets qu'ils pratiquent. L'état de grâce étant la
capacité à présenter son authenticité artistique, autant dans un projet solo qu'intégré au sein d'une
pratique collective. L'apparition d'un troisième élément fondamental entre le professeur et l'élève,
qui se situe entre l'instrument et le porteur du savoir, la machine, semble impacter la relation entre
le professeur et l'élève. On ne juge plus la capacité technique à reproduire une œuvre musicale mais
l'image que le musicien renvoie à travers la constitution, la réalisation et son adaptation à différents
projets. Le concept même de répertoire change, on n'imite plus des morceaux, mais des techniques
et des sons. Cependant, il ne faut pas limiter ce système d'apprentissage en réseau à une spécificité
de la technologie numérique mais également l'envisager comme une tendance générale de société
répondant notamment à l'intégration de la critique artiste décrite dans Le nouvel esprit du
capitalisme de Boltanski. Pour la rentrée 2017, suite à mon cursus de Musiques Actuelles
Amplifiées au sein du conservatoire, j'ai décidé d'étudier au sein du Cefedem Auvergne Rhône-
Alpes, le pôle supérieur d’enseignement artistique lyonnais. Ce travail m'a permis d'amorcer des
réflexions pédagogiques que j'aimerais développer dans cette école, notamment en confrontant mes
idées à d'autres. En guise d'ouverture de ce mémoire, j'aimerai partager quelques pensées
concernant cette organisation de l'apprentissage.

Ouverture : Quelques réflexions pédagogiques

Sur la tombe de Joseph Jacotot, pédagogue français né en 1770 à Dijon, on pouvait lire “Je crois
que Dieu a créé l'âme humaine capable de s'instruire seule et sans maître.”44 Dans son livre Le
maître ignorant, Jacques Rancière défend les idées d’autodidaxie et d'émancipation introduites dans
la méthode Jacotot, en émettant une critique des organisations pédagogiques qu'il accuse de
rationaliser les inégalités sociales en hiérarchisant les capacités intellectuelles.45 “[...] Quelques
mois plus tard, l'inscription était profanée.” En effet, ces idées sont sources de controverses. En
confrontant ces réflexions avec le livre Petite Poucette de Michel Serres, qui définit le savoir
comme précédemment “rare et secret” mais “désormais accessible”46 grâce aux nouveaux médias,
j'ai voulu comprendre la relation entre l'instrument numérique et l'apprentissage. Alors que la
charge de la transmission brute du savoir peut potentiellement être laissée aux machines, cela
semble faire sens en perspective de l'enseignement universel, prescrit par Joseph Jacotot.
L'émancipation et l’autodidaxie dont parlaient les professeurs du conservatoire semblent être en
corrélation logique avec ces changements d'accès au savoir. La compilation infinie de savoir et de
savoir-faire que constitue son entourage, entre ses objets, ses rencontres et le net, est devenue la
faune, où l'apprenant vient capturer ses connaissances et compétences en fonction de ses besoins.

44 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p230


45 « [...] la hiérarchie intellectuelle qui n'a pas d'autre pouvoir que la rationalisation de l'inégalité » Jacques Rancière,
Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p 214
46 Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, coll. « Manifestes », 2012, p 37

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Ma problématique est de comprendre comment l'hyper accessibilité du savoir au sein d'internet
semble impacter nos pratiques pédagogiques.

Comment la manière de stocker et d'accéder au savoir impacte-t-elle nos pratiques pédagogiques ?


Quel est le rôle du pédagogue alors que le savoir est devenu hyper-disponible ?

“Ce que peut essentiellement un émancipé, c'est être émancipateur : donner non pas la clef du savoir
mais la conscience de ce que peut une intelligence quand elle se considère comme égale à toute autre
et considère toute autre comme égale à la sienne.”47

Dans sa méthode, Joseph Jacotot se défend face à l'inaccessibilité du savoir en réfutant que « tout
est dans tout »48. A l'aide d'un seul livre, il a apporté les fondements d'une langue étrangère à ses
étudiants, qui ont dû procéder à un travail de reconstruction et de ré-élaboration pour véritablement
se l'approprier. Même si l'idée que chaque création ne fait pas référence qu'à elle même mais à toute
une culture m'a fait réfléchir, cet argument me semble insuffisant pour justifier son propos. Là où
cela me semble faire sens, c'est lorsque le savoir se libère de ses clefs. Pour moi, le travail
d'émancipation n'a de sens que si le savoir est à portée de main. Les arts de la mémoire, avant
l'invention de l'imprimerie, étaient essentiels dans la transmission du savoir. Si ce type
d'enseignement me parait obsolète au sein des musiques électroniques, c'est parce que l'enseignant-
transmetteur est maintenant substitué par la machine. Cependant, ceci n'est pas la fin de la pratique
pédagogique humaine mais juste une de ses potentielles redéfinitions.

Concernant l'égalité des intelligences chère à Jacotot, cette notion me tient à la fois à cœur et me
repousse. Ayant commencé la musique relativement tard, j'ai souvent dû dépasser le vocabulaire de
l’innéisme omniprésent dans les études musicales. Je ne parle pas des idées innéistes mais bien de la
manière dont elles régissent notre langage. - « t'as le rythme dans la peau », « tu as une bonne
oreille »,... - Toutes ces expressions résonnent comme si le savoir-faire était figé dans temps. Lors
de mon semestre Erasmus à Chypre, travailler le rythme intensément, comme du yoga, m'a permis
de m'améliorer tellement rapidement que je n'ai plus cru à ces mythes. Sans croire au non-innéisme
total, je pense que nos esprits peuvent être préparés pour avoir de meilleures capacités selon un
chemin donné. Jacques Rancière précise alors que « L'inégalité n'est qu'un genre de la
différence »49. Pour moi, la différence doit être soumise à un exercice spécifique pour devenir
inégalité. C'est comme cela que l'on classe traditionnellement les intelligences. Mais si le chemin
prescrit est celui de tous les chemins, chacun voit a priori son intelligence être à l'égale de l'autre. Si
l'on choisit d'émanciper, l'exercice universel n'existe théoriquement plus, on peut alors atteindre cet
équilibre collectif intellectuel. Cela me semble important à mentionner même si cette pensée me
semble utopique, étant donné que nos expériences du réel sont essentiellement confrontées à des
chemins plutôt spécifiques. C'est dans l'accès libre au savoir et l'égalité des intelligences que la
pédagogie émancipatrice me semble prendre son sens.

A qui doit-on le savoir ?

En feuilletant les archives des anciens étudiants du Cefedem Rhône-Alpes, le mémoire « Enseigner
la musique, un métier ? »50, de Delphine Bouscot, a retenu mon attention. Il fait frémir mes idées car
ses convictions semblent être à l'opposé de ce que je suis en train de présenter. La première partie
de son mémoire présente l'acte d'enseigner comme une relation triangulaire entre trois pôles, le
professeur, l'élève et le savoir. J'avais déjà discuté de cette idée avec Pierre, professeur

47 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p68


48 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p46
49 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p79
50 http://www.cefedem-aura.org/sites/default/files/recherche/memoire/bouscot.pdf, consulté le 1er mai 2017

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d'électroacoustique au sein du conservatoire de Chalon-sur-Saône, lors de mes interviews.
Cependant, nos manières de l'expliquer furent radicalement différentes de celle de l'ancienne
étudiante.

Pour moi, il y avait l'étudiant, le professeur, tout deux porteurs de savoir et les supports de savoir à
côté. De mon point de vue, l'hyper disponibilité du savoir redéfinit la relation entre les pôles de ce
triangle et pousse le maître à ne plus imposer sa vérité. Le savoir est imprimé dans le corps de
l'enseignant, de l'étudiant et des technologies de stockage, qui disposent tous de clefs de traduction
singulières pour pouvoir être accessibles. L'origine de nos divergences semble être l'idée de ''savoir
à enseigner'', que Delphine Bouscot mentionne peu après. En effet, ses idées sont cohérentes lorsque
le professeur est chargé d'enseigner des connaissances spécifiques et semblent correspondre à la cité
industrielle, selon les idées de Boltanski et Thévenot, où le grand est celui qui maitrise les savoirs et
savoirs-faire, travaillant au nom de l'efficacité d'une méthode, son principe supérieur commun. On
classe alors les intelligences suivant leur efficacité d'apprentissage. Par exemple, lors de mes deux
ans de cours de tutorat de formation musicale à l'Université de Bourgogne, j'étais chargé de
transmettre un savoir, qui d'ailleurs s'apparente souvent plus à un savoir-faire en musique précis à
des élèves de licence 1. L'idée de savoir à enseigner prend alors tout son sens, j'étais là pour
transmettre mes connaissances. Là où je devais innover, c'est dans la manière de les transmettre
selon les individus en face de moi. Mon but était d'initier l'élève à la matière le plus efficacement
possible. Par opposition, lors d'un remplacement en tant que professeur de Musiques Actuelles
Amplifiées à l'école de musique de Paray-le-Monial, mon objectif fut d’accompagner des projets
amorcés par les élèves, et d'adopter un rôle de médiateur et d'émancipateur face à eux. Mon but était
d'expérimenter, cette fois-ci en tant que professeur, dans un cadre plus amateur, avec moins de
moyens, les outils pédagogiques que j'avais reçus au conservatoire. Le but était de faire ré-émerger
mes expériences créatives afin de les partager aux élèves. Évidemment, je devais initier les
étudiants à des cultures et des pratiques spécifiques qui me paraissaient pertinentes à leur univers.
En cela, je gardais une partie de mon rôle de transmetteur. De plus, lors de mes cours de tutorat,
mon rôle d'émancipateur me rattrapait en incitant les élèves à inventer leurs propres techniques
d'apprentissage du solfège, comme je l'avais fait lorsque j'étais à leur place, notamment à l'aide de
l'informatique. Il me semble que le monde pédagogique musical possède aujourd'hui deux facettes,
à l'image de la profession de musicien, celle de la cité industrielle, basé sur l'acquisition du savoir-
faire instrumental, et de la cité par projet, empreint de la cité inspirée, basée sur la création de projet
artistique.

Ces concepts sont évidemment trop manichéens pour correspondre à la stricte réalité. J'apprécie
l'idée de flexibilité d'un enseignant selon la charge qui lui est confiée, l'espace qu'il détient et surtout
les étudiants en face de lui. Par exemple, face à un élève autiste, j'ai complètement adapté mon

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cours à ses sensibilités, notamment en lui faisant créer et jouer des dispositifs électroniques. Le
documentaire Musique brute, handicap et contre-culture, de l'association Brut Pop, fut, entre autre,
une source d'inspiration pour ce travail pédagogique. Cependant, j'ai conscience du danger du terme
flexibilité, pouvant signifier précarité de la bouche d'employeur. En effet, comme le montre
Boltanski dans son livre, la cité par projet est très sujette à la langue de bois, l’asservissement de ses
sujets et l'ignorance des critiques sociales. Ce rôle de professeur-émancipateur semble faire sens au
sein du monde des Musiques Actuelles, sans doute à cause de l'entrée récente au sein des
conservatoires de ces musiques, qui regroupent des pratiques diverses et hétérogènes. J'ai retrouvé
ces idées dans le mémoire “Vous avez dit émancipation?”51, d'Etienne Venier, notamment dans la
partie “Avoir de la méthode, pas une méthode” et dans le travail “La pédagogie de l'exploration” 52
de Alwin Eburdery. Ces lectures m'ont permis d'ajouter quelques perspectives supplémentaires à
mes idées. La pratique pédagogique émancipatrice, prônant l'autonomie de l'étudiant, m'est chère,
sans doute car c'est celle qui, rétrospectivement, m'a construit le plus. C'est sûrement pour cela que
le livre de Jacques Rancière convenait si bien à mes pratiques et envies pédagogiques. J'aime
percevoir le savoir comme quelque chose de sauvage, où il est plus important de se faire sa propre
conception de la faune qui l'entoure que de la capturer directement. C'est en sachant d'où je viens
que j'ai conscience de la subjectivité de mes propos. Les biais de familiarité potentiels constituent
d’ailleurs une auto-critique sur l'objectivité de mes recherches.

La non-maitrîse du savoir
De mon point de vue, en opposition avec ce que dit Delphine Bouscot, l'enseignant ne maîtrise pas
l'intégralité du savoir qu'il doit transmettre. Rendre les clefs du savoir, c'est d'abord accepter de ne
pas tout connaître. Accepter cela, c'est émanciper l'étudiant et lui donner la possibilité de construire
sa propre identité. Comme le rappel Jacques Rancière,
“enseigner ce qu'on ignore, c'est tout simplement questionner sur tout ce qu'on ignore.”53

Pour moi, le savoir acquis semble faire partie d'un processus de ré-appropriation et de re-
contextualisation. Pour moi, l'enseignant se doit aujourd'hui de favoriser l'amorce de ce mécanisme
d'auto-questionnement, notamment par le projet. En effet, le savoir ne se transmet pas comme un
fichier d'un ordinateur vers une clef USB. En me basant sur mes expériences d'apprentissages
personnelles, le savoir, et surtout le savoir-faire, doit être mâché, digéré et mélangé au reste de ses
propres expériences pour émerger. Dans mes pratiques, je me rends compte de la résurgence de mes
études du jazz, au sein du conservatoire de Dijon et à l'université de Nicosie, dans ma musique
pourtant très loin de cette esthétique. En tant qu'apprenti-pédagogue, mon savoir du jazz, non-
exhaustif et falsifié par essence, peut essentiellement me servir à éveiller des zones de réflexions et
de sensations me paraissant pertinentes chez un étudiant. Même si l'on cherche à classifier le savoir,
je pense qu'il faut garder à l'esprit que nous sommes beaucoup moins pragmatiques que nos
concepts. Un petit exemple, la citation ci-dessus éveille les réflexions que je vous présente, alors
que je ne transmets pas ici son idée profonde d'émancipation et de critique de la pédagogie. L'esprit
semble fonctionner par résonances logiques induites dans une phrase, répondant de manière
différente chez chaque individu. Il me semble important de ne pas enseigner une pédagogie
restrictive au sein des Musiques Actuelles Amplifiées, susceptible d'amoindrir la construction de
l'identité artistique de chacun et de réduire une culture à ses clichés. Il faut se placer en perspective,
et non en tant que copie conforme, des autres. Ne pas réduire son identité à une méthode unique,
c'est construire son identité par confrontation.

51 http://www.cefedem-aura.org/sites/default/files/recherche/memoire/VENIER_Memoire_Cefedem_-_juin_2015.pdf,
p 16, consulté le 26 avril 2017
52 http://www.cefedem-aura.org/sites/default/files/recherche/memoire/eburdery.pdf, consulté le 26 avril 2017
53 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p53

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Pour conclure, internet et le contexte numérique modifient nos manières d'envisager le monde et
notre rapport au savoir, maintenant imprimé sur toute la toile. Cela redéfinit le rôle du pédagogue
face à ses étudiants, sa structure et sa non-maitrise du savoir. Pour moi, il est important d'être
méthodique, sans appliquer de méthode, et de s’adapter à chaque élève en jouant avec ses
sensibilités et son background. Cela semble faire sens, surtout lorsque l'on est chargé d'enseigner un
domaine sans grandes traditions pédagogiques comme les Musiques Actuelles Amplifiées.
Cependant je rejoins l'idée de Rancière que « la pensée ne se dit pas en vérité, elle s'exprime en
véracité »54. Alors que je vous ai livré mes réflexions, je dois avoir conscience qu'elles ne sont pas
universelles. Je ne prétends pas exposer des évidences ou des axiomes fondamentaux, mais
seulement une réflexion, autant au sens physique que de la pensée, sincère de mes expériences et
observations. C'est d'ailleurs, entre autres, pour me nourrir de réflexions pédagogiques, un domaine
qui est relativement nouveau pour moi, que je vais rejoindre le Cefedem Auvergne Rhône-Alpes.
Mon idée était d'abord de réfléchir aux liens entre le savoir et la pédagogie, en perspective des
nouveaux usages et capacités de stockage que procurent le numérique et internet. J'ai voulu
questionner la manière dont nous nous organisons autour de ce media, et comment cela pouvait
redéfinir nos rapports à la pédagogie et à la transmission de nos savoirs. C'est ce lien intime,
notamment à l'ère numérique, entre stockage et apprentissage du savoir qui m'a interpellé.

54 Jacques Rancière, Le maître ignorant, 10/18 Poche, 2004, p106

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Références
Références bibliographiques :
- Akrich, Madeleine, “Les objets techniques et leurs utilisateurs, de la conception à l’action”, Bernard Conein,
Nicolas Dodier, Laurent Thévenot. Les objets dans l’action, Editions de l’EHESS, coll. Raisons Pratiques,
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- http://www.detambel.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=1168, consulté le 10 Août 2017
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- Le Stagirite. (2017). Macron et l'ubérisation, ou le nouvel esprit du capitalisme [Vlog] ;
https://www.youtube.com/watch?v=k0Rjcf_rquk, consulté le 10 Août 2017

Index des illustrations


Illustration 1: Le logiciel de DJing Serato. La forme d'onde change de couleur en fonction de la moyenne fréquentielle des
évènements sonores...................................................................................................................................................................25
Illustration 2: Le synthétiseur numérique Massive, de Native Instrument..............................................................................26
Illustration 3: L'interface du logiciel Pro Tools, en forme de table de mixage........................................................................26
Illustration 4: Le projet de Jean sur le logiciel Max de Cycling '74.........................................................................................37
Illustration 5: Un projet de Pierre sur le logiciel Usine............................................................................................................38
Illustration 6: Logo du logiciel Ableton Live...........................................................................................................................40
Illustration 7: L'organisation du mode Session de Julia en boîtes de couleurs........................................................................41
Illustration 8: La représentation d'une forme d'onde soumise à la fonction Warp au sein du logiciel Ableton Live ;
l'utilisateur peut alors déplacer les impacts rythmiques du sample par rapport au tempo induit par le logiciel.....................42
Illustration 9: Un projet de Jean sur le logiciel Ableton Live..................................................................................................43
Illustration 10: La fenêtre d'affichage d'un clip MIDI du logiciel Ableton Live. Le musicien peut alors écrire et boucler des
patterns qu'il peut ensuite faire jouer par ses machines physiques ou virtuelles.....................................................................43
Illustration 11: La fenêtre d'aide du logiciel Ableton Live expliquant les différentes modes de déclenchement d'un clip...44
Illustration 12: Le projet Pure Data crée par Patrick afin de compter le nombre de coups de grosse caisse et de caisse claire
effectué par un batteur qu'il sonorisait lors d'une représentation.............................................................................................49
Illustration 13: La fenêtre d'aide du logiciel Ableton Live.......................................................................................................57
Illustration 14: Le logiciel Garage Band...................................................................................................................................58
Illustration 15: La barre d'outils du logiciel Cubase.................................................................................................................58
Illustration 16: Le plugin de visualisation sonore Insight de Izotope......................................................................................58
Illustration 17: L'égaliseur Pro-Q de Fab Filter, proposant une visualisation spectrale du traitement fréquentiel effectué. .59
Illustration 18: La version numérique, par Arturia, du synthétiseur Minimoog......................................................................60
Illustration 19: Le logiciel IBNIZ, créant des images et des sons selon ce que l'utilisateur écrit...........................................60
Illustration 20: La fenêtre d'affichage des presets du synthétiseur CS-80V de Arturia...........................................................67
Illustration 21 : Enseigner la musique......un métier ? Delphine Bouscot / CEFEDEM Rhône-Alpes Promotion 1999-2001
http://www.cefedem-aura.org/sites/default/files/recherche/memoire/bouscot.pdf, consulté le 14 août 2017........................81
Illustration 22: La timeline du logiciel Ableton Live...............................................................................................................89
Illustration 23: Cette capture d'écran est issue d'une vidéo d'Aphex Twin utilisant le tracker Player Pro pour présenter un
projet de son album Drukqs. https://vimeo.com/223378825, consulté le 10 Août 2017 ........................................................90

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Lexique

AUX : Abréviation du terme 'auxiliaire' correspondant à un envoi d'effet, via un potentiomètre au sein d'une table de
mixage, vers une piste auxiliaire dédiée, en opposition aux effets insérés directement sur la piste traitée.

Cité par projet : La cité est une notion introduite par Luc Boltanski et Laurent Thévenot afin d'expliquer les
justifications invoquées par les individus afin de régler leurs situations de disputes en justice. Il en résulte une poignée
de cité, que l'on peut comparer à des logiques de justification toutes attachées à des principes supérieurs communs
spécifiques. La cité par projet est l'une d'entre elle et est organisée autour d'une logique de projet.

Fader : Mot anglais pour désigner les potentiomètres rectilignes utilisés régulièrement par les musiciens français.

MIDI : Le MIDI (acronyme pour Musical Instrument Digital Interface) est un langage numérique créé pour contrôler et
faire communiquer les synthétiseurs entre eux en 1983.

Plugin : Ce sont des logiciels pouvant être incorporés à des DAW (Digital Audio Worksatation ou logiciel de MAO)
comme modules externes. Ainsi, les musiciens peuvent utiliser leurs synthétiseurs numériques ou effets préférés dans
l'ensemble de leurs logiciels.

Potard : Argot pour désigner les potentiomètres rotatifs utilisés pour contrôler divers traitements sonores.

Re-re : C'est une abréviation du terme re-recording, qui est une technique consistant à enregistrer des sons rajoutés sur
d'autres enregistrés préalablement.

Sampling : C'est l'équivalent anglais de l’échantillonnage sonore, le sampling est une pratique créatrice basée sur la
réappropriation d'extraits musicaux, appelés samples.

Timeline : C'est une frise chronologique constituée de toutes les pistes, midi et audio, du projet ouvert, représenté par
des écritures midi ou des formes d'ondes, où l'utilisateur a accès à une vision d'ensemble de son morceau et peut
facilement accéder à un moment spécifique du son.

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Tracker : C'est un logiciel musical, appelé également music tracker, adoptant une logique de fonctionnement proche du
code, l'écran défilant de haut en bas.

VST : L'acronyme VST (Virtual Studio Technology) correspond à un format répandu de plugin audio créé par
Steinberg.

Workflow : C'est un anglicisme qui représente l'ensemble des habitudes de travail constitué par un musicien devant un
logiciel, son flux de travail.

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Annexes

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Annexe 3 : Grille D'entretien

1. Des questions personnelles

Quel âge avez-vous ? Quelle est la profession de vos parents ? Où résidez vous ?
Quelle est votre situation familiale ? Avez-vous une activité professionnelle à coté, quelle est votre
profession ?
Quelle est votre formation scolaire et musicale ?
En dehors de la MAO, quel(s) instrument(s) pratiquez-vous ? Dans quels cadres ?

2. La Musique Assistée pas Ordinateur

Comment avez vous découvert la MAO ?


Qu'est ce que la MAO pour vous ? Qu'est ce qui vous a attiré dans cette pratique ?
Comment définissez vous la MAO ?
Quand la pratiquez-vous ? À quelle fréquence ?
Où vous procurez-vous les logiciels ?
Quels outils, en rapport avec la MAO, utilisez-vous ?

3. Les démonstrations

Pouvez-vous me décrire votre environnement de travail ainsi que vos équipements externes ?
Pouvez-vous me présenter les logiciels que vous utilisez ? Ainsi que chacun des outils que vous
reliez à votre ordinateur ?
Avez-vous déjà essayé d'autres logiciels ?
Comptez-vous diffusez votre musique, comment ?
Que conseillerez vous à quelqu'un qui voudrait pratiquez la MAO ?

4. Quelques réflexions pédagogiques

Dans quels moments vous arrive t-il d'enseigner la MAO ?


Comment enseignez-vous la MAO ? Avez vous un plan pédagogique, des phases d'apprentissage,
des cours préparés ou un cursus spécifique ?
Comment abordez-vous des débutants et des personnes déjà initiées ? Votre manière d'enseigner se
modifie-t-elle par rapport à l'individu ?
Comment préconisez-vous une pratique par rapport à un projet spécifique ?

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L'APPRENTISSAGE MUSICAL A L'ERE NUMERIQUE
Une réflexion sur la notion de Musique Assistée par Ordinateur

L'étude du lien entre le stockage du savoir et son apprentissage constitue l'origine des réflexions
présentées au sein de ce travail. La compilation infinie de savoir et de savoir-faire incarnée par
l'environnement du musicien actuel, entre ses objets, ses entourages et internet, est devenue la faune, où
l'apprenant capture directement des connaissances et des compétences en fonction de ses besoins. Je me
suis alors demandé comment le professeur négociait, au sein d'une institution officielle, l'arrivé d'un
troisième élément, se situant entre l'instrument et le porteur du savoir, l'ordinateur. Afin d'envisager des
éléments de réponses, j'ai mené une étude de terrain, basée à partir d'observations et d'entretiens
individuels, au sein du pôle son d'un conservatoire à rayonnement régional, constitué des classes de
Musiques Actuelles Amplifiées, de Musiques Électroacoustiques et de Préparation aux grandes écoles de
son. Ces trois cursus manipulent le même outil à des fins fréquemment différentes, le logiciel de MAO,
que l'on peut qualifier de frontière. Cet instrument rassemble des objets musicaux numérisés relatifs à
chacun des trois cursus tout en intégrant, en un unique espace, l'enregistrement, la création et la
programmation musicale. Mon but était de comprendre la manière dont les utilisateurs étaient amenés à
apprendre un logiciel, ici musical, au sein d'une structure pédagogique. En instituant une cité pédagogique
par projet, entraînant ses nouveaux modes de jugements n'envisageant la maîtrise instrumentale qu'intégrée
à un projet personnel, le pédagogue semble délaisser son rôle de transmetteur du savoir pour celui de
médiateur et de révélateur. Le musicien-étudiant semble devoir se créer ses propres réseaux
d'apprentissage, basés sur ses entourages, les réseaux informatiques et les supports du savoir, dont ses
propres instruments de musique, que l'on qualifiera d'objets instructeurs, à partir d'un besoin spécifique
imposé par ses professeurs, le projet musical.

Mots clefs : Musique Assistée par Ordinateur, MAO, apprentissage musical, pédagogie musicale, objet frontière, objet
instructeur, ère numérique, internet, conservatoire, logiciel de MAO

MUSIC LEARNING IN THE DIGITAL ERA


A consideration on music software

The study of the link between the storage of knowledge and its learning is the origin of the
considerations presented in this work. The infinite compilation of knowledge and know-how in the
environment of the musician at the digital age, between his objects, his surroundings and the Internet, has
become the fauna, where the learner captures knowledge and skills directly according to his needs. I asked
myself how the professor negotiated, inside an official institution, the arrival of a third element, situated
between the instrument and the bearer of knowledge, the computer. My methodology was to do a field
study based on observations and interviews, based on the sound pole of a regional musical conservatory,
consisting of the classes of amplified populars musics, Electroacoustic Music and preparation for the sound
schools. These three curriculums manipulate the same tool for different purposes, the music software,
which can be described as a boundary object. This instrument brings together digitized musical objects
relating to each of the three curricula, while integrating recording, creation and musical programming into
a single space. My goal was to understand how users were led to learn software, here musical, within a
pedagogical structure. By instituting a pedagogical 'city by project', bringing his new modes of judgments
into consideration only the instrumental skill for a personal project, the pedagogue seems to abandon his
role as transmitter of knowledge, and position as a mediator. The student-musician have to create his own
learning networks, based on his surroundings, computer networks and knowledge supports, including his
own musical instruments, which might be called instructive objects, from a specific need imposed by his
teachers, the musical project.
Keywords : computer music, music software, music learning, music education, Boundaries objects, Instructor object,
digital age, internet, electronic music, conservatory

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