Catalyse Hétérogène
Catalyse Hétérogène
Catalyse Hétérogène
La catalyse hétérogène
L e mot catalyse a été proposé par Berzelius en 1835 pour rendre
compte de l’amélioration significative mais insoupçonnée de
réactions très diverses et sans lien entre elles. Il signifie « accélération
dans un solvant (parfois l’eau). S’il est plus difficile de séparer le cata-
lyseur du milieu réactionnel, les cycles catalytiques sont beaucoup
plus rapides qu’en catalyse hétérogène et la sélectivité est très
(cata-) d’une coupure (-lyse) », où il faut comprendre qu’il s’agit de grande. Un cas particulier est la catalyse enzymatique [2-3], qui se
la coupure d’une liaison, ce qui est généralement l’étape initiale d’une déroule à basse température (25-40 °C), y compris dans les orga-
réaction chimique. On estime que plus de 95 % des molécules syn- nismes vivants. Les catalyseurs sont des enzymes de masse molé-
thétisées ont vu au moins une fois un catalyseur, quelle qu’en soit culaire très grande et de structure très complexe, et les molécules à
la nature. transformer sont également beaucoup plus complexes que celles
des réactions non enzymatiques [2].
Dressons d’abord le portrait d’un catalyseur. En premier lieu, il
modifie la vitesse de la transformation d’une molécule en diminuant Nous nous limiterons ici à la production par catalyse hétéro-
la barrière d’activation de cette dernière (cinétique catalytique). Par gène. Le premier exemple le plus emblématique est la synthèse
conséquent, la température de réaction pourra être fortement abais- industrielle de l’ammoniac NH3 par Haber et Bosch en 1913 sur un
sée ; on parle alors d’activité catalytique. En dépollution automobile, catalyseur au fer, permettant la fabrication en masse d’engrais syn-
un catalyseur au palladium permet ainsi d’oxyder le monoxyde de thétiques qui ont contribué fortement à améliorer l’ordinaire des
carbone CO à une température proche de l’ambiante, au lieu de 500- populations… Actuellement, l’ajout d’un catalyseur aux réactifs
600 °C en son absence. Une autre caractéristique essentielle du cata- répond aux préoccupations de « chimie durable », car c’est un excel-
lyseur est sa sélectivité : si plusieurs réactions sont possibles, il favo- lent moyen de dépenser moins d’énergie (pas besoin de chauffer for-
rise l’une plus que d’autres. Cet effet d’orientation vers la production tement) tout en générant beaucoup moins de sous-produits (nocifs
d’une molécule donnée (catalyse sélective) est finalement le plus ou non) et de déchets non valorisables. Les applications, tant en pro-
important aujourd’hui dans nos sociétés actuelles où l’on veut, à par- duction de molécules, voire de matériaux (certains polymères comme
tir de gaz, de pétrole, voire de biomasse, obtenir par exemple du le polyéthylène ou le polypropylène par exemple), qu’en protection
propane mais pas du propène, ou vice-versa selon l’application dési- ou remédiation de l’environnement, se chiffrent par milliers et les
rée (énergie ou polymérisation), encore le mélange cyclohexanol/ types de réaction catalysées (hydrogénations, désulfurations, oxy-
cyclohexanone (qui conduira au Nylon®), mais pas le benzène par dations…) par dizaines.
oxydation du cyclohexane, etc. La purification d’un milieu ambiant
en éliminant seulement les molécules nocives est un autre exemple. Prenons un exemple dans le domaine de la chimie lourde. La pro-
Enfin, on retrouve après la réaction le catalyseur « inchangé » et donc duction d’une fibre textile élasthanne comme le Lycra® (ou Spandex®
réutilisable. En réalité, pour chaque molécule transformée, le cataly- dans les pays anglo-saxons), bien connue pour ses propriétés d’élas-
seur subit un cycle le ramenant à son état initial. Entre l’état initial ticité (maillots de bain, sous-vêtements…), selon le procédé mis au
(molécules de réactif) et final (molécules de produit), ses sites actifs point par DuPont, nécessite quatre étapes principales catalysées par
participent bel et bien à cette réaction en établissant des liaisons quatre catalyseurs différents (figures 2 et 3). La molécule initiale est
faibles de façon temporaire. tout simplement le gaz n-butane C4H10, un des produits légers
obtenu par raffinage du pétrole (avec le propane). Il est oxydé par l’air
Les milieux réactionnels comme les catalyseurs peuvent se trou- en anhydride maléique (C4H2O3) (103 kilotonnes produites en Europe
ver dans les trois états de la matière – gazeux, liquide, solide − et en 2013) dans un premier réacteur, en présence du catalyseur solide
selon leur état relatif, on a affaire à deux types principaux de catalyse (VO)2P2O7 (pyrophosphate de vanadyle, l’ion vanadyle s’écrivant
(figure 1). La catalyse hétérogène met en présence un catalyseur VO2+). Dans les procédés antérieurs, on faisait réagir, sur un cataly-
solide (principalement des oxydes ou des métaux) et des réactifs à seur à base d’oxyde de vanadium (V2O5), le benzène C6H6, beaucoup
l’état gazeux ou liquide. Plus rarement, mais en cours de développe- plus coûteux et plus nocif, dont la transformation en anhydride
ment, le catalyseur peut être en phase liquide non miscible avec le maléique faisait perdre deux atomes de carbone sous forme CO2.
liquide où se trouvent les réactifs (catalyse par transfert de phase). Après séparation et purification, l’anhydride maléique est réduit par
L’avantage principal de la catalyse hétérogène est que la récupéra- le dihydrogène H2 en tétrahydrofuranne C4H8O (THF) en phase
tion des molécules obtenues est aisée et que le catalyseur est « recy- gazeuse dans un deuxième réacteur, en présence d’un catalyseur
clé » en continu [1]. Dans le cas des catalyses homogènes, le cata- métallique, du rhénium en très petites particules déposées sur alu-
lyseur est soluble dans la phase réactionnelle. L’immense majorité mine γ-Al2O3. Puis le THF est polymérisé en poly(tétraméthylène
des réactions de catalyse homogène se déroule en phase liquide éther) glycol HO−(−(CH2)4O−)n−OH (ou PTMO, polytétraméthylène
oxyde) en présence d’acides forts dans un troisième réacteur. Les
métaux de transition Fe, Co, Ni, Cu…, oxydes de métal de transition, oxysels, sulfures, sels NiO, acides (basiques) : B2O3, CaO, TiO2, ZrO2, ThO2,
massiques : Ni, Fe, Co, et/ou sur support : ZnO, MnO2, V2O5, VOPO4, Bi2MoO6, WO3… MoS2, sulfates, phosphates, zéolithes,
Pd, Pt, Rh, Ru… Co9S8… hétéropolyacides, échangeurs d’ions
RÉACTIONS :
Hydrogénations diverses, synthèse et Oxydations totales ou ménagées, synthèse du méthanol, Isomérisations, craquage, alkylations,
oxydation de NH3, hydrogénolyses, désulfurations, déshydrogènations oxydantes (d’alcanes, oligomérisations, polymérisations,
dépollution, etc. d’alcools), dépollution, etc. déshydratations, transfert d’H, etc.
Cette fiche a été réalisée par Élisabeth Bordes-Richard, professeur émérite de l’Unité de Catalyse et de Chimie du Solide (UMR 8181 CNRS,
Université Lille 1, Sciences et Technologies, F-59655 Villeneuve d’Ascq, elisabeth.bordes@univ-lille1.fr).
Les fiches « Un point sur » sont coordonnées par un comité éditorial mené par Jean-Pierre Foulon (contact : bleneau@lactualitechimique.org).
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