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Dr.

BONDO MULUNDA

DE LA BRACHYLOGIE COMME BASE


DE LA LITTÉRARITÉ DU PROVERBE EN KILUBA
BONDO MULUNDA, Université de Kamina, République Démocratique du Congo

Le kílúba est une des langues bantu parlées en République


Démocratique du Congo, sur plus des trois quarts de l’ancienne
province du Katanga. Il sert de véhicule à l’une des grandes cultures
d’Afrique centrale, issue de l’un des plus grands États précoloniaux :
l’Empire Luba. Sa brillante civilisation, véhiculée par une langue, le
kílúba (L33), s’était étendue sur un grand domaine jusqu’aux confins
de l’Afrique australe. Dans cette culture, le proverbe a joué et joue
encore un rôle remarqué : Paroles essentielles, Mutonkole Lunda-Wa-
Ngoy, 2010, Nkindi ya Kiluba (Filip, 2006). Les proverbes sont
utilisés tantôt dans la justice coutumière, tantôt dans la conversation
courante, tantôt encore dans les rituels divers comme paroles sacrées.
Dans toute la cosmogonie des baluba, ils occupent une place de choix
si bien qu’il ne serait pas faux de dire que le búlúba est une culture du
proverbe.
Étudier la brachylogie dans ces énoncés revient à aborder un des
aspects fondamentaux de leur littérarité. En effet, au-delà d’autres
artifices, les textes des proverbes tirent leur esthétique de la
transgression et de l’imprévisibilité formelle qui en font des textes
exotiques. Il n’en existe presque pas un seul qui ne bouscule les
normes syntaxiques et sémantiques en langue. Pour cela la
brachylogie est présente partout. Comment fonctionne-t-elle ? Quelles
sont les composantes les plus affectées ? Comment remonter de la
forme brachylogique à la structure macrologique ? Telles sont les
préoccupations principales auxquelles nous allons tenter de répondre
grâce aux données de la pragmatique linguistique. Dans la première
partie, nous dirons un mot sur les proverbes chez les bálúba. Dans la
seconde, nous analyserons les proverbes du corpus, avant de tirer
quelques leçons de notre analyse dans la dernière partie.

Annales des Lettres et des Langues de l’Université de Guelma, N°15, Juin 2016 89
DE LA BRACHYLOGIE COMME BASE DE LA LITTÉRARITÉ DU PROVERBE EN KILUBA

Le Proverbe de la langue kiluba

Point n’est besoin pour nous de développer des données


théoriques sur le proverbe en général. Un mot laconique nous
permettra de revenir sur son importance dans cette culture avant
d’aborder sa forme. La noblesse d’un homme se mesure ici par sa
compétence à l’émission comme à la réception dans le domaine des
proverbes.
En effet, culture guerrière, le búlúba a développé ce langage codé
de sorte que, en face des étrangers, les adultes pouvaient les utiliser
exclusivement pendant des heures, l’un venant en réplique à l’autre
sans intermédiation métalinguistique. De sorte que, encore, les baluba
se définissaient comme les hommes des proverbes. En effet, un de ces
énoncés l’enseigne explicitement : « Múlúba mwélwá lúkóyó umwélê
lúkíndì wăumvwè » ; son sens est que si « on veut attraper un Múlúba,
il faut un joug, pas un proverbe parce qu’il en saisira aisément le
contenu. »
Comme dit plus haut, qu’il soit un dicton, une maxime, une
sentence, etc., le proverbe régulait toute la vie. Par lui les ancêtres
parlaient aux vivants, ce qui justifiait le respect, voire le culte qu’on
lui vouait. Un proverbe ne pouvait être contredit que par un autre,
auquel cas l’échange interpersonnel pouvait continuer à l’infini.
Évoquer un proverbe c’est en appeler à la sagesse, au jugement des
ancêtres. C’est cette présence des esprits des ancêtres à travers les
proverbes qui en « pertinentise » (Kerbrat-Orecchioni, 1986 : 271) les
énoncés et leur donne une force illocutoire jamais démentie. Ils
répondent ainsi à toutes les lois du discours telles qu’enseignées par
Ducrot (cité par Christian Baylon et Xavier Mignot, 1999 : 133-136).
Il s’agit de celles d’exhaustivité, de sincérité, d’intérêt,
d’informativité, de litote. Le phénomène à l’étude dans cette réflexion
relève principalement de cette dernière. Selon les auteurs cités ci-
dessus, la litote procède de l’ellipse, donc de la brachylogie. Ils
ajoutent :

L’ellipse est un procédé extrêmement commun qui


consiste à ne pas exprimer un segment d’énoncé en
laissant à l’auditeur (ou au lecteur) le soin de le rétablir.
Dans le cas le plus facile ce dernier se rend compte, par
sa compétence grammaticale, qu’il manque quelque

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Dr. BONDO MULUNDA

chose dans l’énoncé pour qu’il soit syntaxiquement


correct et il doit chercher dans le contexte de quoi
combler la lacune, au besoin avec des rectifications
morphologiques. (Baymon et Mignot, 128)

Ce passage indique deux choses importantes. Pour identifier la


brachylogie, il faut recourir aux compétences d’ordre grammatical.
Mais, pour la combler, il faut une compétence encyclopédique, qui
dépasse le seul cadre linguistique. On tombe justement là dans la
compétence communicative dont a parlé Hymes et dont il sera
question plus loin.
À propos de la forme, disons qu’il en existe de plusieurs
acabits. Il y en a qui sont des véritables poèmes s’étendant sur
plusieurs vers ; il y en a aussi des laconiques composés de deux voire
d’un seul mot.

Analyse des proverbes

Quelques précisions méritent d’être apportées avant l’étude


proprement dite. D’abord, il convient de rappeler que le kílúba est une
langue à tons et que, dans la présentation des énoncés, le ton courant
(bas) ne sera pas noté. Ensuite, il nous semble utile de souligner que
notre corpus est analysé à travers trois sections selon les composantes
concernées par la brachylogie : le SN, le SV et la phrase asyndétique.
Enfin, dans notre étude, nous présenterons chaque proverbe en kílúba
suivi d’une traduction minimale (littérale), ce qui permet, à l’aide du
contexte d’emploi, d’entamer l’analyse qui débouche sur la structure
macrologique du proverbe en étude.

La Brachylogie dans le SN

. Mákokele imáfúte

Contenu propositionnel

« Consentis sont payés »

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DE LA BRACHYLOGIE COMME BASE DE LA LITTÉRARITÉ DU PROVERBE EN KILUBA

Contexte

Ce proverbe intervient pour inviter quelqu’un à reconnaître sa


faute afin de prétendre au pardon. Inversement, un fautif, qui a
reconnu son forfait, le profère pour solliciter l’indulgence en échange,
en faisant valoir son droit au pardon en vertu de son humilité.

Analyse

L’énoncé de ce proverbe atteste la forme : Adj + V +Adj. En


effet, mákokele comme máfúte sont des adjectifs qui, en grammaire
française, entreraient dans la catégorie des participes passés employés
seuls. En considérant la structure canonique de la phrase française, on
pourrait dire que celle de ce proverbe n’est pas normale en ce que le
SN1 et le SN2 se présentent sous une forme incomplète. Selon
Mutonkole Lunda-wa-Ngoy (2004 : 159b), la structure normale du SN
peut être soit de forme N, N+Adj, soit encore, exceptionnellement, de
forme Adj+N+Adj. En tout cas, il n’y a jamais de forme Adj. Cela est
d’ailleurs vrai dans presque toutes les langues car l’adjectif est
toujours ajouté à un nom. N’est-ce pas pour cela que Bouton, parlant
de sa syntaxe, enseigne qu’il est monovalent car n’entrant dans un
syntagme valide qu’à côté d’un nom. Ce qui précède permet donc de
supposer l’existence d’un nom qui serait noyau et qui aurait été l’objet
de l’opération qui nous concerne. Comment découvrir ce nom? Cette
question permet de passer de la structure brachylogique de l’énoncé à
celle dite macrologique. La compétence encyclopédique, faite du
cotexte et du contexte, fournit des instructions utiles qui permettent de
reconstruire le SN1.
La morphologie du kílúba enseigne que les deux adjectifs de
cet énoncé sont affectés du PN Má- de classe 6 qui, souvent, est
considéré comme le pluriel de la classe 5. Or, le contexte permet de
voir qu’il s’agit d’un proverbe du monde judiciaire qui suppose deux
parties opposées par une cause appelée ici mámbó. En effet, dans cette
culture, ce terme couvre une grande extension sémantique. La cause,
la réparation, la faute, sont toutes désignées par ce terme. Cela permet
ainsi de reconstruire la macrologie sous la forme : Mámbó Mákokele i
Mámbó máfúte, pouvant cette fois se traduire par « Les fautes
reconnues sont des fautes réglées ».

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Dr. BONDO MULUNDA

L’énoncé ainsi reconstruit atteste bien la structure canonique


de forme SN1+V + SN2. Non seulement elle actualise la forme
S+V+O, mais aussi elle se justifie par les accords. En effet, la
grammaire des langues bantu enseigne que, si le PN introduit le nom
(Substantif et Adjectif) dans une classe (on l’appelle classificateur), il
commande aussi les accords. Comme on peut le voir, dans la forme
complète de l’énoncé, chaque syntagme est construit autour d’un
noyau (Substantif) dont le PN impose à l’Adjectif la classe et le
nombre (Mámbó Mákokele i Mámbó máfúte). Il s’en dégage une
première leçon. Dans cette langue, la structure brachylogique peut
affecter le SN1 en en omettant justement le noyau, ce qui déconstruit
apparemment l’énoncé et le rend obscur. Car, le nom est un
constituant obligatoire du SN. C’est comme si on pouvait dire en
français : « bon est arrivé ».

. Alengalele ôadjana

Contenu propositionnel

« Qui ne coulent pas sont ceux qui mangent (les autres) »

Contexte

Ce proverbe est proféré souvent pour attirer l’attention des gens


sur l’attitude taciturne, inoffensive d’une personne. Le locuteur invite
alors l’allocutaire à une méfiance de ces personnes apparemment
inoffensives qui, plus tard, se révèlent toujours dangereuses. On
l’utilise aussi pour constater les conséquences désastreuses causées
par une personne aux attitudes et aux apparences innocentes.

Analyse

Cette forme est la plus intéressante de toutes. La phrase est


constituée de deux verbes sans sujet. Or, il est établi qu’un verbe ne
peut passer de la virtualité à l’actualité que grâce à un sujet, peu
importe qu’il soit phonologiquement présent ou non. Voilà pourquoi
dans certaines langues on peut parler de sujet de forme Ø (dans
l’impératif en français). Qu’est-il donc arrivé dans cette phrase ?

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DE LA BRACHYLOGIE COMME BASE DE LA LITTÉRARITÉ DU PROVERBE EN KILUBA

Quand on considère le contexte et le sémème du verbe -lengalal-,


on découvre une certaine incompatibilité sémantique entre la personne
à propos de laquelle l’énoncé est proféré et le PV a-. En effet, de
classe 6, il traduit le pluriel de di- de classe 5. Ces deux classes ne
comprennent presque pas les noms de personnes. Certains des termes
de cet ensemble sont des monoclasses parce que ne connaissant pas
d’appariement dans la mesure où ils n’ont pas de singulier. C’est le
cas des noms des liquides. Cela confirme le contenu de la base
verbale. En effet, ce verbe est surtout utilisé pour désigner une eau
stagnante. Par extension il signifie aussi le fait, pour une personne, de
rester inactive, passive. Le PV a- nous permet sans aucun doute de
dire que le sujet devrait être le mot mêma, ce qui est valable aussi pour
le deuxième verbe actualisé par le même PV a-. La structure
macrologique devient alors : Mêma alengalele eo mêma adjana
(« l’eau stagnante est celle qui mange les gens »).
Contrairement à la leçon tirée de l’énoncé du premier
proverbe, il peut arriver, comme c’est le cas dans celui du deuxième,
que les SN1 et SN2 disparaissent complètement, sans laisser des
traces. Cela donne des proverbes mystérieux.

La Brachylogie dans le Syntagme Verbal

Il existe dans cette langue des proverbes dont le verbe est


complètement absent. Phrase atypique, elle demande un effort
substantiel pour reconstituer sa structure macrologique. Tel est le cas
dans les proverbes qui suivent.

. Mêsó kwa:kó mêsó kuno, lě lôdinâlo kélúkasú

Contenu propositionnel

« Les yeux là-bas ; les yeux ici, celle que tu as n’est-elle pas
une houe ? »

Contexte

Proverbe bucolique, il est proféré par un cultivateur qui se sent


jalousé par un autre pour l’abondance de sa production. Il est ainsi
interdit à ce paresseux de lorgner du côté de la houe du voisin comme

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si la sienne ne pouvait pas produire. Par extension, ce proverbe peut


être utilisé dans tout contexte où une personne se sent jalousée par une
autre du fait de ses mérites ou de ses avoirs.

Analyse

Une petite observation montre que le caractère hermétique de


l’énoncé provient de ce que la partie antithétique manque de verbe. En
effet, avons-nous déjà dit, cette langue atteste les compléments
internes de type « marcher la marche », « parler la parole », « regarder
les yeux », etc.
Dès lors l’analyse permet de faire voir que les yeux devraient être
considérés comme faisant partie du SV dans la première partie de la
phrase. Comme souligné plus haut, mêsó (« les yeux ») peut être sujet
ou complément interne.
L’interprétation qu’en font les locuteurs illustre la dernière
structure, ce qui donne en français une phrase de forme : « Tu
regardes les yeux ici, puis là… »
On en dégage, en kílúba, une structure macrologique telle que :
Wátalá mêsó kwa:kó, wátalá mêsó kuno, lě lôdinâlo kélúkasú ?, c’est-
à-dire : « Tu regardes les yeux par-ci et par-là la houe que tu tiens
n’en est-elle pas une ? »
Si on considère l’énoncé comme un trope illocutoire, on peut y
voir une valeur jussive et traduire le proverbe par : « N’envie pas ma
houe, car la tienne peut aussi produire. »
Sur le plan structurel, il s’agit ici d’une forme de brachylogie qui
concerne le verbe principal. Tel est aussi le cas dans l’énoncé du
proverbe suivant.

. Kútúna kwâ kílúngú i kúbókó pánshi

Contenu propositionnel

« Contester la patate c’est la main au sol »

Contexte d’emploi

Ce proverbe est proféré pour réprouver les dires d’une personne


qui conteste quelque chose sans preuve. En d’autres termes, on veut

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DE LA BRACHYLOGIE COMME BASE DE LA LITTÉRARITÉ DU PROVERBE EN KILUBA

lui dire qu’il ne faut rien avancer sans en fournir une preuve. En effet,
utilisé par les agriculteurs, ce proverbe a étendu son domaine de
validité à tous les domaines de la vie. Initialement, il était utilisé pour
dire à quelqu’un de ne pas contester l’existence d’une patate en
dessous de la tige sans avoir fourré sa main sous terre.

Analyse

Comme on peut le lire à travers la traduction minimale française,


il est difficile de pénétrer le contenu de ce proverbe sans une
compétence encyclopédique solide.
Si dans la première partie du proverbe se lit une brachylogie
substantivale (qui ne nous intéresse plus ici), dans la seconde elle
devrait porter sur le verbe. En effet, tel qu’il est construit sur base du
verbe i, l’énoncé induirait plutôt une nuance comparative, ce qui
rendrait complètement invalide la structure. C’est pour cela que le
locuteur ajoute un second verbe, le premier devenant un auxiliaire
modal ou aspectuel.
Ce verbe principal de la deuxième proposition devrait être
suggéré par le SN kúbókó pánshi. En effet, celui-ci appelle, dans la
langue, des verbes du type kwélá, kúkúlá, etc., traduisant le sens de
« introduire ». La forme macrologique devient alors : Kútúna kwâ
kílúngú i kwélá kúbókó pánshi, qui signifie : « Pour nier l’existence
d’une patate, il faut avoir introduit sa main sous la tige ».
Ces deux énoncés ont montré que, dans les proverbes de cette
langue même, le verbe principal peut être l’objet de la brachylogie, ce
qui conduit à une déconstruction formelle et à une incohérence
sémantique à redresser par inférence.
La dernière forme de brachylogie se présente comme étant plus
pernicieuse et, par conséquent, plus porteuse en termes de valeur
illocutoire. C’est elle que nous allons étudier à présent.

La Brachylogie d’une Proposition

Ce procédé prend parfois la forme asyndétique en omettant


l’essentiel d’une proposition qu’il faut subsumer à partir d’un
constituant représentatif resté en surface. En clair, l’une des
propositions composant l’énoncé peut disparaître et ne garder qu’un
segment collé à une autre à laquelle il n’appartient pas. Il en découle

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une lecture laborieuse et presque impossible sans inférence. Les deux


cas suivants suffisent à attester l’existence de ce genre de proverbes.

. Talala umpándó iúmbínge

Contenu propositionnel

« Silence, l’esclave a gagné le procès »

Contexte

Ce proverbe est utilisé comme sentence (constat) après un


jugement à la cour du roi. En effet, dans cette culture, le roi,
l’empereur, ou son représentant, était seul habilité à prononcer le
verdict dans toute affaire qui opposait les citoyens. Le public n’y
assistait pas car la cour n’était pas accessible à tous. Le commun des
mortels attendait terré chez lui, surtout quand l’affaire opposait un
noble et un pauvre paysan. Les boucans ou le silence qui
accompagnaient la sortie de la cour renseignaient sur le verdict. Le
noble faisait beaucoup de tapage ; et tams-tams, xylophones, etc.
résonnaient pendant des semaines, quand il avait raison, alors que le
silence accompagnait la victoire du pauvre qui ne pouvait s’offrir ce
luxe, soit faute des moyens soit par crainte pour sa sécurité.

Analyse

L’analyse de cet énoncé permet de voir une composante


asyndétique annexée à une partie de la structure qui la concerne. En
effet, le mot talala (« silence ») se présente comme le SN2, c’est-à-
dire un composant obligatoire du SV d’une proposition qui a été
omise presque entièrement. Ce terme relève d’un champ sémantique
caractéristique de l’audition, ce qui permet d’entrevoir la possibilité
d’exhumer son verbe qui doit être soit « entendre », soit « écouter »,
soit « percevoir ». En effet, la langue accepte qu’on « entende le
silence ». Or, si on conjugue un verbe, on doit lui donner un sujet
(SN1) qui, selon Tesnière, entretient une relation de solidarité avec
lui. Pour ce qui nous concerne ici, ce sujet devrait être l’allocutaire
supposé. Cela permet de reconstituer la structure macrologique du
proverbe comme suit : Wivwananeko talala nankyo umpando

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iumbinge, c’est-à-dire : « Que tu n’y perçoives que silence alors


l’esclave a gagné ».

. Vidje upánga ně năko:ka

Contenu propositionnel

« Le Seigneur donne même à je suis fatigué »

Contexte d’emploi

Le proverbe est utilisé pour encourager quelqu’un qui, après des


efforts longs et harassants, perd espoir pour n’avoir pas atteint les
résultats escomptés.

Analyse

Une lecture attentive permet de voir dans cet énoncé une


structure polyphonique. En effet, le caractère asyndétique patent de la
deuxième proposition indique que deux locuteurs sont intervenus. Le
premier, le locuteur, prend en charge l’ensemble de l’énoncé alors
qu’un autre être de discours (ê-d) s’occupe uniquement de la dernière
proposition. La structure de cette dernière montre que nous sommes
dans un type de paroles rapportées au discours direct. Dans ce cas,
nous sommes dans un cas typique du locuteur mimé parce que le
locuteur feint de rapporter les paroles de quelqu’un d’autre alors qu’il
le laisse parler lui-même. Que dire donc ? Ce qui rend l’énoncé
hermétique c’est l’absence de toute structure de modalisation des
paroles rapportées. On sait de manière générale qu’elle devrait être
une structure d’attribution fondée sur un verbe déclaratif. Cette
remarque nous permet de relever que la brachylogie porte ici sur toute
une proposition qui, une fois restituée, donnerait au proverbe la
structure macrologique de la nature suivante : Vidje upánga ně muntu
unena’mba : « năko:ka », c’est-à-dire : « Le Seigneur donne même à
une personne qui dit "je suis fatigué"».
On voit ici que la brachylogie affecte toute une proposition (ně
muntu unena’mba) qui modalise les paroles du deuxième être de
discours.

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Le proverbe, dans toutes les langues, est l’un des domaines par
excellence de la brachylogie. Nous avons l’impression qu’en kílúba le
phénomène est exploité jusqu’à la rupture de la compréhension, de
sorte que toute communication interactive virerait vers une
catastrophe pour les non-initiés. Cette étude a montré que toutes les
composantes de la phrase peuvent être concernées, et parfois même
des propositions entières. Pour arriver à reconstruire la structure
macrologique, le locuteur doit faire appel à sa « compétence
communicative » dont Boyer et ses collaborateurs disent qu’elle est
constituée de « trois à cinq composantes », à savoir les compétences
« sémiotique, référentielle, discursive-textuelle ; socio-pragmatique,
ethno-socioculturelle » (Boyer et alii, 2001 : 48). Il s’agit en fait de
mener de manière empirique une réflexion sur « l’implicite »
(Kerbrat-Orecchioni : 21) qui tienne compte aussi bien du contexte
que du cotexte. Christian Baylon et Xavier Migot sont explicites à ce
sujet. Parce que la brachylogie constitue le cas par excellence
d’implicite, c’est-à-dire du non-dit, du présupposé et de l’enthymème,
il faut autre chose que les compétences linguistiques pour appréhender
les énoncés porteurs. Pour eux, notre étude devrait répondre à deux
questions auxquelles ils proposent d’ailleurs des réponses :

Comment le destinataire comprend-il autre chose ou plus


que ce qui a été dit ? Comment le destinateur, en prenant
le parti raisonnable de ne pas tout dire (…) peut-il prévoir
que son message sera compris comme il le désire ? Les
deux s’appuieraient sur la connaissance des règles
communicatives guidant la construction du sens au-delà
de la simple équivalence entre expression et
contenu. (p.134)

Dans ce dernier cas, il faut être attentif aux instructions en


langue pour les exploiter en discours. Il faut de même prendre en
compte les lois du discours et les maximes conversationnelles, bref en
savoir davantage sur la langue, la culture et le domaine de validité de
chaque proverbe. En fait, pour que l’échange interpersonnel à base de
proverbes réussisse, il faut, de la part des deux protagonistes, un
respect strict des conditions de félicité qui, selon Searle cité par
Kerbrat-Orecchioni (p.239) « sont de quatre ordres ». C’est à cet

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DE LA BRACHYLOGIE COMME BASE DE LA LITTÉRARITÉ DU PROVERBE EN KILUBA

exercice que s’adonnent quotidiennement les maîtres de la parole


essentielle que sont les baluba.
En effet, sans cette compétence, il serait difficile à
l’allocutaire, voire impossible, de dégager des présupposés parfois non
suggérés, notamment dans le cas des enthymèmes que sont la plupart
des proverbes, et aussi de reconstruire des constantes notionnelles
(Bouton, 1979 : 160) et des compatibilités morphologiques,
syntaxiques et sémantiques qui permettent la validité de la structure
macrologique reconstruite. N’est-ce pas ce que Bouton souligne,
quand il dit en substance que la combinatoire des termes est fonction
des compatibilités à la fois des « valeurs catégorémiques » et des
« valeurs sémiques » (p.171) ?

Bondo MULUNDA, Université de Kamina, République Démocratique


du Congo

BIBLIOGRAPHIE

BAYLON, Christian, et MIGNOT, Xavier, La communication, Paris, Nathan, 1999.


BOUTON, Charles, La signification. Contribution à une linguistique de la parole,
Paris, Klincksieck, 1979.
BOYER, Henri, et al., Nouvelle Introduction à la didactique du français, langue
étrangère, Paris, Clé internationale. 2001.
FILIP, S., NKINDI YA KILUBA, Lubumbashi, Médiaspaul, 2006.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, L’implicite, Paris, Armand Colin, 1986.
MUTONKOLE LUNDA-WA-NGOYI, Les proverbes des Baluba. Les paroles
essentielles, Lubumbashi, éd. Mundula, 2010.
MUTONKOLE LUNDA-WA-NGOY, La syntaxe du Kiluba. De la théorie à la
description de la phrase simple, thèse, inédit, Lubumbashi, Unilu, 2004.

100 Annales des Lettres et des Langues de l’Université de Guelma, N°15, Juin 2016

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