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191)
Chapitre 2
La dysphasie
(V. Taly)
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Sommaire
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1. Définitions du trouble............................................................................... 83
2. Contexte de bilinguisme et dysphasies..................................................... 89
3. Cas clinique : Steevy, 7 ans....................................................................... 92
4. Discussion................................................................................................ 107
5. Références bibliographiques.................................................................... 111
6. Annexes.................................................................................................... 113
1. Définitions du trouble
La dysphasie fait partie des troubles du langage de l’enfant dits primaires,
ou encore désignés sous le terme de « spécifiques ». Alors que les diffi-
cultés langagières dites secondaires découlent de certains déficits sensoriels,
neuromoteurs, ou de certaines affections neurologiques ou psychopatho-
logiques, les troubles du langage dits primaires apparaissent souvent plus
complexes à saisir.

Parmi la variété de dénominations pour désigner les troubles sévères du


langage oral, nous retenons le concept de dysphasie de développement.
L’évolution de ce concept de dysphasie a été influencée par différents
courants théoriques ainsi que par les classifications nosographiques, il reste
encore aujourd’hui l’objet de débats et de questionnements.

1.1 Le concept de dysphasie proposé par Ajuriaguerra


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En France, c’est à partir des travaux de Julian de Ajuriaguerra et de
l’équipe d’Henri Rousselle (1958, 1965), que le terme de dysphasie a pris son
sens actuel. À l’époque, les troubles invalidants du langage oral de l’enfant
étaient considérés selon les tableaux cliniques du modèle neurologique des
aphasies de l’adulte. J. de Ajuriaguerra et ses collaborateurs ont étudié et
regroupé plusieurs descriptions figées de l’époque, avec l’idée d’une même
entité pathologique : les dysphasiques.

Il écrit dans son Manuel de psychiatrie de l’enfant, en 1970 : « Les


désordres présentés par ces dysphasiques se caractérisent par un trouble
de la réception et de l’analyse du matériel auditivo-­verbal, des désordres
dans l’agencement des éléments syntaxiques constituants du récit et des
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

difficultés dans les mises en relation lexicales, le vocabulaire lui-­même


n’étant pas un critère suffisant. Il y a une homogénéité relative du déficit
entre compréhension-­réalisation-support sémantique » (1970, p. 355).

J. de Ajuriaguerra propose donc le terme de « dysphasiques » pour


regrouper des enfants dont l’évolution du langage pose problème, avec
une compréhension orale souvent altérée et une expression orale marquée
par un trouble majeur de la parole.

83
Approche clinique des troubles instrumentaux

Il invite à reconsidérer les rapports étroits qu’entretiennent le langage et


la vie psychique. Il met l’accent sur l’intérêt d’un travail décloisonné entre les
spécialistes du langage tels que les linguistes et les professionnels du champ
de la psychopathologie, plus particulièrement les psychanalystes.

1.2 « Specific Language Impairment » pour les anglophones


Dans les années quatre-­vingt, la collaboration entre la neuropédiatre Isabelle
Rapin et la psycholinguiste du développement Dorothy Allen a donné lieu
à plusieurs articles de langue anglaise portant sur les troubles développemen-
taux du langage qui ont modifié leur appréhension. En effet, elles ont proposé
une distinction de six syndromes en lieu et place de l’entité developmental
dysphasia. La traduction française de cette nouvelle nomenclature (DeWeck,
1996) des troubles du développement du langage distingue six syndromes :
– l’agnosie auditivo-­verbale,
– la dyspraxie verbale,
– le syndrome de programmation phonologique,
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– le syndrome de déficit phonologico-­syntaxique,
– le syndrome de déficit lexico-­syntaxique,
– et le syndrome de déficit sémantico-­pragmatique.

La sémiologie de ces syndromes peut se résumer ainsi : il y a les atteintes


mixtes (expressives et réceptives), les atteintes expressives et les atteintes
au niveau du traitement de l’information.

Atteintes mixtes : Atteintes Atteintes au niveau


(expressives et réceptives) expressives : du traitement :

Agnosie auditivo-­verbale
Dyspraxie verbale Synd. lexical-­syntaxique
ou surdité verbale

Déficit phonologique Synd. de la programmation Synd. sémantique


syntaxique phonologique pragmatique

La terminologie de ces syndromes se différencie selon que la perturbation


du langage porte sur la phonologie, le lexique, la morphologie, la syntaxe ou
la pragmatique. I. Rapin et D. Allen précisent qu’il existe une variabilité dans
le temps de l’expression symptomatique, avec la possibilité d’un passage d’un
syndrome à l’autre chez un même enfant au cours de son développement.

84
La dysphasie ■ Chapitre 2

Ainsi, le diagnostic de dysphasie développementale est critiqué par I. Rapin


et D. Allen, qui préfèrent l’idée générique de troubles développementaux
du langage ; à l’heure actuelle, le terme de dysphasia n’est quasiment plus
employé dans la littérature scientifique anglo-­américaine ; pour exprimer
l’idée générique de troubles développementaux du langage, nous retrou-
vons les termes suivants : developmental language impairment ou specific
language disorder ou impairment (SLI).

Au sein du specific language impairment (SLI), il y a donc plusieurs formes


ou syndromes avec éventuellement des glissements de l’un vers l’autre.

1.3 Dysphasie développementale pour l’approche francophone


L’approche neuropsychologique francophone a repris les différents
syndromes proposés par I. Rapin et D. Allen, mais en tant que formes
cliniques de la dysphasie. En effet, la terminologie de dysphasie développe-
mentale (Gérard C.-L., 1991) reste présente en neuropsychologie française et
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elle a une valeur de catégorie pour cet ensemble de syndromes. Cette classi-
fication en syndromes sert dans une perspective diagnostique plus poussée,
et s’accompagne d’hypothèses neuropsychologiques sur les dysfonction-
nements cérébraux à l’œuvre dans quelques-­uns des syndromes identifiés.

En effet, le neuropédiatre français Christophe-­Loïc Gérard écrit : « La


dysphasie se définit par l’existence d’un déficit durable des performances
verbales, significatif en regard des normes établies pour l’âge. Cette condition
n’est pas liée à un déficit durable auditif, à une malformation des organes
phonatoires, à une insuffisance intellectuelle, à une lésion cérébrale acquise
au cours de l’enfance, à un trouble envahissant du développement, à une
carence grave affective ou éducative (…). On ne peut que souligner les insuf-
fisances d’une telle définition qui ne peut être que provisoire (…) en restant
suffisamment ouverte pour laisser à la recherche à venir le soin de préciser les
limites de ce qui n’est pas encore une entité mais une nébuleuse dans laquelle
nous risquons de trouver des troubles bien différents » (1991, p. 12-13).

Cette définition reprend en grande partie celles antérieures de develop-


mental dysphasia (Benton, 1964). Il s’agit d’une définition par exclusion qui
met l’accent sur ce qui n’est pas de la dysphasie et insiste sur le caractère
isolé des troubles du langage.

85
Approche clinique des troubles instrumentaux

Bernadette Piérart (2008) fait remarquer que « datant de plusieurs années


et devenue classique, cette définition par exclusion, centrée sur la déli-
mitation du champ des troubles spécifiques, n’empêche plus aujourd’hui
d’envisager la possibilité d’une superposition des handicaps. Dans ces
derniers contextes, néanmoins, la pathologie du développement du langage
reste considérée d’abord et avant tout comme fondamentale » (2008, p. 192).

Ainsi, il est possible de considérer la dysphasie développementale comme


pouvant coexister avec d’autres manifestations de « handicap » (selon sa
formulation) mais où le trouble langagier est prééminent.

Récemment, F. Lussier et J. Flessas (2009) ont repris la définition de la


dysphasie actualisée proposée par l’ordre des orthophonistes et audiolo-
gistes du Québec, il s’agit d’un : « Trouble primaire du langage, dans les
sphères expressive ou expressive et réceptive, qui s’observe par des atteintes
variables affectant le développement de plus d’une composante du langage,
phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique, pragmatique. En plus d’une
hétérogénéité des manifestations de ce trouble d’un individu à l’autre, il
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se caractérise, chez un même individu, par sa persistance, la variabilité du
portrait clinique dans le temps, de même que par une forte probabilité qu’il
y ait peu d’évolution sans intervention. La dysphasie est souvent accom-
pagnée d’autres signes et peut aussi coexister avec d’autres déficiences.
La dysphasie a des répercussions qui peuvent entraver le développement
et le fonctionnement de l’individu sur les plans personnel, social, scolaire
et professionnel. Par conséquent, la dysphasie engendre des situations de
handicap et des préjudices variables pour l’individu et son entourage selon
les circonstances et à tous les âges de la vie » (2009, p. 163-164).

Cette nouvelle définition offre une ouverture, notamment dans la prise


en compte du sujet dans sa globalité ; il n’y a plus le caractère d’exclusivité
de trouble du langage aux dépens des autres secteurs de développement.
D’un caractère exclusif dans la définition de C.-L. Gérard, la dysphasie est
reconnue par ces auteurs comme un trouble prédominant pouvant coexister
avec d’autres manifestations pathologiques. Les auteurs précisent dans cette
définition « la prédominance du trouble langagier ; c’est ainsi qu’il faut
comprendre le sens du mot “primaire” » (2009, p. 164).

86
La dysphasie ■ Chapitre 2

1.4 La dysphasie dans le champ de la psychopathologie


Reprenant les trois grandes classifications dont disposent les cliniciens
et chercheurs français en matière de psychopathologie : les DSM-­IV et V,
la CIM-10 et la CFTMEA-­R2012, le constat est que l’entité « dysphasie »
n’apparaît que dans la CFTMEA. Les entités nosographiques des classifica-
tions internationales ne se recouvrent pas complètement et elles ne tiennent
pas compte du degré de sévérité.

DSM-­IV CIM-10 CFTMEA 2012

Troubles spécifiques Troubles


Trouble
de développement du développement
de la communication
de la parole et du langage du langage

Trouble du langage de type Trouble de l’acquisition


Retard de parole
expressif de type expressif

Trouble du langage de type Trouble de l’acquisition


Retard (simple) de langage
mixte : réceptif-­expressif de type réceptif

Trouble spécifique
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Trouble phonologique de l’acquisition Dysphasie
de l’articulation

Trouble de la communication Autres troubles du


non spécifié développement du langage

Bégaiement

Par ailleurs, il existe un débat sur la question du diagnostic différentiel


avec des troubles de la personnalité. Lorsque nous étudions les classifications
nosographiques, nous faisons un constat paradoxal :
– Alors que les classifications internationales et françaises tendent à exclure
du diagnostic de dysphasie toutes les manifestations de désorganisation
profonde et sévère de la personnalité, qu’il s’agisse d’autisme ou de psychose
(pour la CFTMEA), de nombreuses publications soulignent la présence de
traits autistiques ou psychotiques chez des enfants dysphasiques. D’autres
cliniciens évoquent aussi des passages d’une désorganisation profonde
de la personnalité vers la dysphasie (« dysphasie post-­autistique ») mais
également l’inverse avec des enfants d’abord diagnostiqués dysphasiques
puis autistes d’Asperger (ou syndrome d’Asperger). Ainsi, les diagnostics
différentiels sont discutés dans plusieurs articles, qui sont pour certains en
faveur d’un rapprochement entre dysphasie et autisme (L. Danon-­Boileau,
2002), ou dysphasie et psychose, alors que d’autres y sont opposés.

87
Approche clinique des troubles instrumentaux

– En revanche, les organisations névrotiques, qui théoriquement n’excluent


pas le diagnostic de dysphasie selon les classifications actuelles, sont peu
(voire pas) repérées dans les tableaux cliniques d’enfants dysphasiques. En
dehors de quelques auteurs (J. de Ajuriaguerra, C. Dupuis-­Gauthier et al.,
$année ?$), la littérature du champ psychanalytique décrit très peu cette
association d’un diagnostic de dysphasie chez un enfant ayant une person-
nalité du registre de la névrose (or J. de Ajuriaguerra et al. indiquent 8 sur
29 enfants, et C. Dupuis-­Gauthier indique 5 sur 25 enfants) ; cette asso-
ciation semble peu courante alors que les classifications laissent penser
qu’il s’agirait de la majorité des enfants dysphasiques. Nous pouvons par
ailleurs regretter ne pas avoir trouvé de description détaillée d’enfant
dysphasique relevant d’une organisation de la personnalité d’allure névro-
tique dans la littérature du champ de la psychopathologie psychanalytique.
– Enfin, il nous semble qu’il existe un consensus dans la revue de la littéra-
ture pour convenir de l’association du diagnostic de dysphasie avec des
troubles du registre des pathologies limites de l’enfance (notamment les
dysharmonies évolutives).
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Sur cette question du diagnostic différentiel ou diagnostic associé, rappe-
lons le propos de R. Diatkine (1984) : « Dans les travaux classiques sur les
troubles du langage chez l’enfant, il est habituel d’essayer d’opposer des
retards de langage ou de dysphasies non psychotiques, dans lesquels domi-
neraient le “trouble instrumental” et les psychoses de l’enfant. Quand on
y regarde de près, on s’aperçoit que cette opposition non plus ne peut pas
être suivie d’une manière rigoureuse. (…) L’opposition entre “troubles
instrumentaux” et “psychose” peut servir pour un repérage initial, mais en
vérité ces deux termes ne sont pas opposables. Ils désignent deux modes
d’approches plus que deux formes cliniques différenciables, puisqu’ils ne se
situent pas sur le même plan » (p. 555).

À partir des résultats d’une recherche menée auprès d’une cohorte


d’enfants dysphasiques (Taly, 2011), nous avons montré que la dysphasie
était à considérer comme étant transnosographique dans le champ de la
psychopathologie, et pouvant donc se retrouver dans les divers registres de
fonctionnement de la personnalité.

Il nous apparaît que la dysphasie peut se comprendre comme un


dysfonctionnement de l’activité psychique préconsciente marqué par une
instabilité des représentations de choses et des représentations de mots.

88
La dysphasie ■ Chapitre 2

La perturbation du développement de la symbolisation langagière qui en


découle prend racine dans la défaillance du processus d’introjection (en lien
avec la fonction symbolisante de l’objet et celle de l’affect) ainsi que dans
les difficultés de mise en place de la symbolisation transitionnelle. Dans
ces conditions, les conduites d’assimilation, d’intériorisation de ces enfants
sont guidées par des fantasmes d’incorporation. Dans le cas des névroses,
il y a un sur-­investissement par les fantasmes inconscients (saturés par les
fantasmes angoissants et coupables) qui vont inhiber la fonction langagière.
Néanmoins, ce trouble est modifiable, il n’est pas figé. L’enfant peut tirer
profit d’une psychothérapie par l’internalisation d’expériences sensorimo-
trices, d’activités de jeu intersubjectif dans un contexte de relation étayante
et affective, pour réamorcer le processus d’introjection et reprendre le cours
processuel de la subjectivation et de la symbolisation secondaire.

2. Contexte de bilinguisme et dysphasies


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Il nous semble nécessaire de faire un détour par la question de l’enfant
bilingue et dysphasique, car la réalité clinique nous conduit à rencontrer
aussi des enfants de migrants et des enfants qui évoluent au contact de
deux langues différentes (voire plus). Tout d’abord, rappelons que l’ordre
des acquisitions verbales est comparable d’une langue à l’autre ; il existe
toutefois des variations liées à la structure de la langue et au contenu de
l’énoncé, de plus l’acquisition du langage dans un contexte bilingue implique
des aspects originaux.

2.1 L’influence du contexte familial, social et culturel


Le contexte social et culturel exerce une influence considérable dans
le développement du bilinguisme chez l’enfant. En effet, le contexte de
bilinguisme va nécessiter chez l’enfant la mise en place de repères identifica-
toires, qui vont être traversés par des enjeux économiques, mais également
d’appartenance à un groupe plus ou moins valorisé, plus ou moins stigma-
tisé. Ces enjeux peuvent être signifiés à l’enfant par ses parents de façon
implicite ou explicite. Ainsi, les données économiques, culturelles et les
inscriptions généalogiques (conscientes et inconscientes) vont exercer un
jeu d’influences, avec des rapports de forces parfois opposés, ou fluctuants.

89
Approche clinique des troubles instrumentaux

La question de l’appropriation de ces repères par l’enfant, qui renvoient à la


filiation et à l’affiliation avec les pairs, est étroitement liée à l’identification
de ces deux langues et aux mécanismes d’incorporation et d’introjection.
Langues qui vont être plus ou moins autorisées, plus ou moins valorisées
par la famille, par la situation interculturelle du pays d’accueil, et surtout
par l’école car « la pression scolaire constitue un facteur incontournable,
surtout lorsque la langue première (familiale) est une variété orale non
apparentée à la langue dominante » nous rapporte Claude Chevrie-­Muller
(2007, p. 80).

Par conséquent, nous ne pouvons négliger les variables psychologiques et


sociologiques qui vont sous-­tendre les différentes phases de l’apprentissage
du langage dans un contexte de bilinguisme.

2.2 Les différentes formes de bilinguisme


Une définition large du bilinguisme implique la compréhension voire
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l’expression de deux langues dès le plus jeune âge au sein de l’environnement
familial de l’enfant. Mais le bilinguisme est en général relatif. La difficulté
à préciser le seuil à partir duquel le bilinguisme est considéré comme effectif
souligne que, de fait, la maîtrise des deux langues est inégale. L’accès à la
maîtrise égale des deux langues est possible lorsque les deux univers linguis-
tiques sont présentés simultanément (bilinguisme simultané) ; le bilinguisme
est dit consécutif lorsque l’émergence du langage se fait dans une langue
puis que l’enfant est immergé dans un autre système linguistique. Que ce
soit dans le cas d’un bilinguisme simultané ou consécutif, si l’exposition est
précoce et de bonne qualité, l’enfant parviendra à une maîtrise suffisante
des deux codes linguistiques.

Dans la situation « idéale », le bilinguisme est dit équilibré (Hamers et


Blanc 1983), l’individu étant également compétent dans les deux langues.
Dans cette situation, la maîtrise de deux systèmes linguistiques permet une
expression fluide et en même temps suffisamment riche dans les registres
factuel, émotionnel et symbolique.

Lorsqu’il n’est pas équilibré, l’une des langues est dite dominante, c’est-­
à‑dire que la compétence dans cette langue est supérieure à l’autre. De
multiples facteurs propres à l’histoire du sujet, à la place et aux fonctions

90
La dysphasie ■ Chapitre 2

des langues dans son environnement contribuent à la dissymétrie de compé-


tence dans les deux langues.

La dominance n’est pas nécessairement à l’avantage de la langue mater-


nelle, comme le montre notamment la situation des enfants issus de la
migration, chez lesquels l’acculturation et la scolarisation dans le pays
d’accueil peuvent venir restreindre les compétences en langue maternelle,
alors même qu’ils sont considérés par les professionnels de l’éducation ou
de la santé comme des allophones, c’est-­à‑dire ayant une langue maternelle
autre que le français (dans notre contexte).

Une multiplicité de facteurs va intervenir et entraîner ce déséquilibre entre les


deux langues au profit de la langue seconde chez certains enfants de migrants,
notamment l’intensification des échanges linguistiques dans la langue seconde
et la diminution des communications dans la langue maternelle. Parmi les
autres facteurs, nous pouvons citer la durée d’exposition à chacune des
langues, la fréquence d’exposition, la qualité des sollicitations pour usage de
ces langues et les conditions de leur emploi ; d’autres facteurs moins explicites
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peuvent aussi apparaître : les pressions sociales, la représentation des langues
et du statut qui leur est accordé. La pratique linguistique de l’enfant bilingue
peut être active (les deux langues sont effectivement utilisées à des fins de
communication verbale), ou uniquement passive (pour une des deux langues).

2.3 Bilingue et dysphasique


Qu’en est-­il de l’enfant bilingue et dysphasique ? Nous avons étudié la
revue de la littérature portant sur cette articulation et il nous est apparu
que ce diagnostic de dysphasie n’était pas simple à poser dans un contexte
de bilinguisme.

En effet, les enfants évoluant dans des contextes linguistiques multiples


sont tantôt surévalués, tantôt sous-­évalués comme présentant des troubles
du langage. La surévaluation de la présence de troubles du langage peut
s’expliquer par le recours à des repères développementaux propres aux
monolingues et de ce fait l’étalonnage considéré ne tient pas compte de la
particularité du bilinguisme consécutif où la seconde langue dans laquelle est
conduite l’évaluation est aussi une langue en cours d’acquisition. Par ailleurs,
la sous-­évaluation de la présence de troubles du langage chez les enfants

91
Approche clinique des troubles instrumentaux

de migrants s’explique par la complexité à faire la part entre les difficultés


liées à l’apprentissage d’une langue seconde et les difficultés d’acquisition
du langage en tant que tel.

En effet, certains enfants de migrants présentent des difficultés de langage


dans la langue seconde (L2) mais pour le clinicien parlant la langue seconde,
il n’est pas aisé de déterminer s’il s’agit de problèmes d’apprentissage de la
langue seconde ou d’un trouble « structurel » du langage tel que la dysphasie.
Or ce diagnostic différentiel importe car il va déterminer la mise en place
de stratégies pédagogiques et de soins différentes.

Si nous retenons l’idée que la dysphasie perturbe le développement du


langage dans au moins deux de ses composantes que sont la phonologie,
la morphologie, la syntaxe, la sémantique et la pragmatique, nous devons
nous attendre à ce que cette perturbation affecte le langage quel que soit le
système linguistique concerné : première ou seconde langue. Par conséquent,
pour distinguer les enfants dysphasiques évoluant dans un environnement
bilingue des enfants de migrants présentant des altérations du langage
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dans la langue seconde, altérations comparables à celles rencontrées chez
les enfants dysphasiques, il nous faut explorer la qualité du langage dans la
langue première.

Des recherches récentes (J. Paradis et al. ; 2003, 2007), B.S. Weekes
et I. Raman (2008), V.F. Gutiérrez-­Clellen et al. (2008), Taly et al. (2008),
D. Girbau et R.G. Schwartz (2008), A. Uno et al. (2009) nous conduisent
à penser les outils de dépistage et d’évaluation des troubles du langage dans
un contexte de bilinguisme. En résumé, nous pouvons citer les épreuves de
répétition de non-­mots, les épreuves de production de récits et le recours
à des traducteurs afin d’apprécier la qualité de la langue première.

3. Cas clinique : Steevy, 7 ans


3.1 Éléments de l’histoire de Steevy
Steevy et ses parents ont été orientés vers le Centre référent du langage
par l’orthophoniste qui le suit en ville en raison d’une suspicion de dysphasie.
Il est alors maintenu en classe de CP.

92
La dysphasie ■ Chapitre 2

‡‡ Éléments biographiques

Steevy est l’aîné d’une fratrie de trois enfants. Il a un frère de 4 ans et demi,
et une petite sœur de 2 ans. D’après sa mère, il était un bébé souvent agité,
actif, qui ne se calmait qu’au moment du sommeil. Il a marché à 10 mois, la
propreté diurne et nocturne a été acquise au cours de la deuxième année.
Du point de vue somatique, Steevy a fait des otites à répétition et a été opéré
des amygdales à l’âge de deux ans. Actuellement, l’audiogramme indique
une audition normale et l’examen ORL est satisfaisant.

‡‡ Histoire des troubles

Les premiers mots ont été prononcés vers 9 mois, et les phrases à 2 ou
3 mots ne sont apparues qu’à 3 ans. Sa mère dit que dès le début, il parlait
vite et qu’il était difficile de le comprendre. Steevy a été gardé avant sa
rentrée en école maternelle par sa grand-­mère maternelle qui, selon la
mère, lui parlait « bébé ». Il a intégré la petite section de maternelle à l’âge
de deux ans et demi, où il a longtemps manifesté une angoisse de sépara-
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tion. Ses troubles du langage ont été rapidement pointés par la maîtresse
qui trouvait que Steevy parlait « comme un bébé » et n’articulait pas bien.

En moyenne section, sous l’impulsion de l’école, une évaluation ortho-


phonique a été demandée car Steevy ne faisait toujours pas de phrases,
seulement des associations de 2 mots ; il n’arrivait pas à se faire comprendre
par ses camarades, ce qui était source de frustration pour lui. Une prise en
charge orthophonique a été mise en place à l’âge de 4 ans. Puis à 5 ans et
demi, celle-­ci s’est intensifiée à deux séances par semaine.

Il arrive que Steevy fasse des crises de colère s’il se trouve en difficulté
pour s’exprimer ou pour se faire comprendre. Au niveau de la compré-
hension, même s’il ne montre pas trop de difficultés, il arrive qu’il réponde
à côté de certaines consignes.

Par ailleurs, actuellement Steevy ne montre pas de troubles de comporte-


ment, de troubles alimentaires ni du sommeil et il a une bonne socialisation
à l’école. Néanmoins, il peut être difficile encore pour lui de se séparer de
sa mère.

93
Approche clinique des troubles instrumentaux

3.2 Centre référent du langage


Steevy et ses parents ont d’abord rencontré un pédopsychiatre consultant,
avant de rencontrer une psychologue clinicienne et une orthophoniste. Le
pédopsychiatre a proposé des entretiens familiaux, à la fois pour reprendre
l’histoire des troubles du langage et plus globalement l’histoire de Steevy au
sein de sa famille élargie. L’orthophoniste a proposé un bilan orthophonique
avec d’une part l’exploration du langage oral (praxies oro-­faciales, N-­EEL :
phonétisme, phonologie, lexique, syntaxe, rétention auditive, Khomsi 0-52)
et d’autre part le langage écrit (BLED 6-8 ans : lecture, transcription, N-­EEL :
conscience phonologique). Les conclusions du bilan orthophonique sont
les suivantes :

« Le bilan orthophonique réalisé ce jour met en évidence un retard


de parole et de langage important, avec atteinte de toutes les modalités :
programmation phonologique, structuration lexicale et construction
morphosyntaxique (N-­EEL). La compréhension orale est préservée, sauf
si l’on explore plus finement la compréhension morphosyntaxique. Des
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difficultés de mémoire auditive immédiate et de mémoire de travail sont
relevées.

À l’écrit, Steevy a fait des acquisitions concernant les procédures de


conversion (phonémico-­graphémique pour la transcription et graphémico-­
phonémique pour la lecture). Cependant, ces acquisitions sont encore
fragiles et émaillées de confusions visuelles et/ou auditives. Pour pallier
ces procédures non encore stabilisées, Steevy a recours à la reconnaissance
globale rapide des mots par activation de son lexique orthographique
interne. Il s’appuie également fortement sur la dimension contextuelle des
énoncés à lire, ainsi que sur les images qui leur sont associées, lorsqu’il y en
a. L’ensemble des mécanismes de lecture et de transcription n’est pas encore
stable ni fonctionnel.

L’ensemble des résultats et observations faites au cours de ce bilan va dans


le sens d’une hypothèse de trouble spécifique du langage oral, ou dysphasie
de type phonologique syntaxique. L’existence de ce trouble a des répercus-
sions directes sur les apprentissages fondamentaux du langage écrit.

La prise en charge orthophonique est à poursuivre, probablement au sein


d’un dispositif de soins plus élargi. »

94
La dysphasie ■ Chapitre 2

J’ai proposé un examen psychologique complet comprenant un entre-


tien, des épreuves intellectuelles et des épreuves de personnalité (épreuves
projectives) suivi d’un temps de restitution avec Steevy et ses parents.

3.3 L’examen psychologique


‡‡ Rencontre

Steevy est accompagné par sa mère et sa tante maternelle lors du premier


rendez-­vous, par la suite sa mère l’accompagnera seule. Je ne rencontre le
père de Steevy que le jour de la restitution de l’examen psychologique.

Steevy se présente de manière souriante, mais un peu inhibée. Il accepte


facilement de rester avec moi. Alors qu’il peine à répondre à quelques
questions sur son quotidien lors de notre premier entretien, au fil de nos
rencontres (quatre pour l’examen psychologique), Steevy manifeste une
aisance relationnelle grandissante.
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‡‡ K-­ABC

L’évaluation intellectuelle de Steevy est conduite à l’aide de la batterie de


tests du K-­ABC. Cet outil présente l’avantage d’avoir une forme abrégée, non
verbale, adaptée aux enfants non francophones, aux enfants sourds et aux
enfants présentant des troubles du langage oral. En effet, cette batterie de
tests se distingue par ses épreuves de deux natures : les processus mentaux
composites (séquentiels/simultanés) d’une part, et les épreuves de connais-
sances d’autre part. Une des volontés des auteurs Kaufmann et Kaufmann
est de pouvoir apprécier le fonctionnement intellectuel de l’enfant face à des
épreuves nouvelles dégagées des apprentissages culturels et scolaires, tout
en permettant par ailleurs d’évaluer le niveau des acquisitions scolaires
et socioculturelles par les épreuves de connaissances. Par conséquent, un
des avantages de cet outil est de proposer une série d’épreuves qui tentent
de réduire l’impact des différences culturelles et de minimiser le rôle des
connaissances acquises.

Les résultats de Steevy au K-­ABC le situent dans la zone moyenne des


enfants de son âge pour l’échelle non verbale (note de 93), ainsi que pour
les processus simultanés (note de 99), en revanche pour les processus

95
Approche clinique des troubles instrumentaux

séquentiels, qui comptent des épreuves verbales, Steevy se situe dans la


zone limite (note de 78).

Lorsque nous détaillons les scores obtenus aux subtests, nous percevons
que Steevy possède de bonnes compétences intellectuelles pour les épreuves
où le verbal n’est pas sollicité et dans ce cadre il s’inscrit dans la norme
des enfants de son âge. Les difficultés apparaissent lorsqu’il doit répondre
verbalement (processus séquentiels : Mémoire immédiate des chiffres [5],
Suites de mots [5]).

Processus séquentiels
Mouvements de main 9
Mémoire immédiate des chiffres 5
Suites de mots 5

Processus simultanés
Reconnaissance de formes 12
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Triangles 9
Matrices analogiques 8
Mémoire spatiale 11
Série de photos 9

Le profil intellectuel de Steevy est congruent avec les descriptions neuro-


psychologiques d’un enfant dysphasique.

‡‡ Épreuves projectives

Le choix d’outils projectifs s’explique par l’intérêt qu’ils offrent dans


l’exploration du fonctionnement psychique, permettant de proposer une
situation propice à une investigation psychopathologique (Anzieu et
Chabert, 2004).

Dans ma pratique, je propose trois outils projectifs complémentaires :


le Rorschach, le CAT ou le TAT (en fonction de l’âge de l’enfant) et le
Scéno-­Test. Chacune de ces épreuves apporte un éclairage spécifique et
complémentaire permettant une analyse complète et dialectique des proto-
coles projectifs.

96
La dysphasie ■ Chapitre 2

‡‡ Rorschach

Le matériel non figuratif du Rorschach met à l’épreuve, de façon privilé-


giée, l’organisation identitaire, c’est-­à‑dire qu’il permet d’éprouver la solidité
des processus d’individuation et est donc sensible à la désintégration de la
représentation de soi, aux défenses engagées face à cette identité précaire ;
le Rorschach autorise par ailleurs une expression langagière limitée dans la
formulation des réponses associatives.

‡‡ CAT ou TAT

Les planches du CAT et du TAT décrivent des scènes où les sollicita-


tions latentes interrogent les différents registres de l’angoisse et mettent
à l’épreuve les représentations de relation (qualité des relations d’objet et
acceptation ou échec de la triangulation). Les enfants doivent proposer un
récit, une mise en histoire des conflits et donc la consigne renvoie à une
dimension de langage construit. Dans cette épreuve, c’est le niveau du
discours qui est interrogé pour lire la faille de l’activité de liaison, la faille
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de la secondarisation face à des représentations de relation et l’aménagement
des conflits pulsionnels.

Je reconnais que la prise en compte ou non des constructions lexicales


et grammaticales m’a posé question face à la dégradation structurelle du
langage propre au diagnostic de dysphasie. En effet, il est convenu de consi-
dérer les déstructurations syntaxiques comme témoignant des processus
primaires, l’idée étant d’apprécier si le langage supporte la pulsion ou s’il
est envahi par celle-­ci.

Pour procéder à l’analyse des procédés du discours, je me suis référée


à la grille de dépouillement proposée par M. Boekholt (1998), mais je n’ai
pas porté une insistance majeure aux troubles de la syntaxe, en revanche
j’ai été sensible aux variations chez un même enfant de la déstructuration
du langage.

‡‡ Scéno-­Test

Le Scéno-­Test est une épreuve de jeu constituée d’une mallette avec des
figurines humaines (flexibles) différenciées en genre et en génération, des
figurines para-­humaines (ange, nain…), des figurines animales (familier,

97
Approche clinique des troubles instrumentaux

inoffensif/agressif ou dangereux), des objets évoquant la nature, des acces-


soires et un mobilier domestique, des véhicules (voitures, train) ainsi que
des éléments de construction. L’enfant est invité à jouer, à construire une
scène en choisissant des objets disponibles dans la mallette, la scène du jeu
est limitée au couvercle de la mallette. Il importe bien plus d’être attentif
au mode de relations que l’enfant va établir (ou ne pas établir) entre tel
ou tel objet de la mallette de jeu, qu’au simple choix isolé d’un objet. Ce
dispositif peut évoquer « la situation établie » telle qu’elle a été pensée par
D. Winnicott, où les très jeunes enfants étaient libres de disposer d’une
spatule : « Dans cette “situation établie”, le défaut de parole de l’enfant ne
gêne pas » (1988 [1971], p. 40).

Le jeu sollicite la motricité et présente entre autres l’avantage de permettre


une construction projective non tributaire des capacités langagières de l’en-
fant dysphasique.

Pour l’interprétation du jeu de l’enfant, j’ai étudié les procédés de jeu,


lesquels témoignent de l’organisation défensive ainsi que des conduites
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psychiques pour gérer les sollicitations du matériel dans un cadre où la
relation au clinicien n’est pas négligée. Pour l’analyse des procédés de jeu,
j’ai choisi d’utiliser l’adaptation que P. Roman (2004) propose de la grille de
M. Boekholt. Cette adaptation, conçue initialement pour de jeunes enfants
avec la Malette projective de la première enfance « peut être proposé[e] dans
une période qui se situe en deçà de l’accès au langage, mais également dans
le cadre de troubles psychopathologiques sévères, entravant les capacités
de verbalisation » (P. Roman, 2004, p. 1).

J’ai trouvé plusieurs motifs d’intérêt pour préférer l’usage de cette grille
(P. Roman, 2004, p. 29). En effet, l’expérience motrice dans le Scéno-­Test
offre une mise en jeu symbolique qui implique le corps et elle n’est pas
soumise à l’expression langagière. De plus, les premières formes de symbo-
lisation de l’enfant impliquent un engagement corporel, par conséquent les
manifestations motrices devraient pouvoir être prises en compte non pas
seulement comme des expressions parasites mais aussi comme pouvant
relever de la symbolisation primaire. En effet, chez certains enfants dyspha-
siques le mouvement pour mimer peut venir compenser le manque du mot
ou la difficulté de verbalisation. À propos de la prise en compte du corps et
de ses manifestations dans les épreuves projectives, il nous semble que la
grille complétée par P. Roman prend en compte davantage les manifestations

98
La dysphasie ■ Chapitre 2

corporelles, caractéristiques d’autant plus importantes auprès d’une popu-


lation d’enfants dont le langage est déstructuré.

L’analyse des réponses associatives s’est faite en référence à la théorie


psychanalytique, telle qu’elle est préconisée par l’école de Paris. Nous faisons
ainsi référence au modèle d’analyse développé en France par D. Anzieu,
N. Rausch de Traubenberg et V. Shentoub ainsi que la poursuite de cette
orientation par l’école de Paris avec C. Chabert, R. Debray, F. Brelet-­Foulard,
M. Emmanuelli, C. Azoulay et l’ensemble de leur équipe et collaborateurs.
Nous faisons donc une lecture dynamique des mouvements associatifs et
défensifs en lien avec les problématiques et les angoisses suscitées par le
matériel de ces trois épreuves projectives.

‡‡ Steevy face à l’épreuve du Rorschach

D’emblée, nous pouvons souligner la forte mobilisation du discours au


cours de cette passation ainsi qu’une forte mobilisation projective témoignant
chez Steevy d’une recherche de sens. Son protocole apparaît construit avec
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un investissement fort des processus de pensée ainsi qu’une interprétation
qui s’appuie sur les affects. La tonalité anxiogène est très présente.

Planche I. 1. « Des nuages, un nuage méchant » ; 2. « Y’a des dents, Dracula,


y’a des yeux méchants, il fait peur les gens, il veut manger les gens, plus les
enfants. Que ça rien d’autre. »

Planche II. 3. « Un Dracula, le Dracula l’a » ; 4. « Du sang, partout sang, il


veut manger des gens pour venir des Dracula » (s’agite).

Sa tentative pour donner du sens à ces planches prend appui sur ses
fantasmes (« veut manger ») mais cette tentative d’élaboration subit la pres-
sion forte du monde interne ; les réponses ont à la fois un lien avec le contenu
latent, mais aussi un caractère de persévération.

Nous repérons deux thématiques :


– la peur liée à la dévoration, associée à la menace de persécution ;
– l’idée de la transformation corporelle au risque d’une détérioration corporelle ;

Ces thématiques peuvent se rencontrer selon deux positions : active et


passive.

99
Approche clinique des troubles instrumentaux

Dans l’ensemble nous percevons un sentiment d’insécurité, rien n’est


stable, les repères sont peu fiables, traduisant à la fois une menace identi-
taire et une fragilité de l’ancrage dans la réalité.

Planche V, 9. « Un chauve-­souris, é vole, c’est la nuit et transforme en


Dracula pour manger des gens, pour vient Dracula et des enfants. Des fois,
il rentre dans la maison, et rentré la mère, le père et la chambre des enfants.
Et des fois, le jour se transforme en chauve-­souris. »

À la planche V, celle de l’identité, Steevy propose la représentation qui


correspond à la banalité. Néanmoins, nous pouvons percevoir dans le
déroulement associatif la présence d’une charge angoissante. En effet, il
y a comme un glissement identitaire de l’animal (chauve-­souris) vers une
représentation para-­humaine (Dracula). Cette représentation est porteuse
d’une pulsion agressive dans le registre de la dévoration. Nous pouvons
percevoir un mouvement d’identification aux victimes de la part de Steevy.
Par ailleurs, il y a aussi l’idée de la contamination et du risque de devenir
mauvais, méchant, y compris soi-­même.
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À la fin du Rorschach, Steevy parvient peu à peu à organiser une répar-
tition des rôles, mais celle-­ci ne tient pas, il persiste un doute entre le bon
et le mauvais.

Planche X, 23. « J’ai vu un robot de… (x 2) [relance] un robot gentil pour


tuer les méchants : monsieur papier toilette, Dracula, grand-­mère et crotte
de nez, le pirate. Les quatre méchants sont devenus méchants, ils veulent
tuer le robot gentil. Y’a des petits méchants veut tuer et c’est tout que ça. »

En effet, la dernière planche donne lieu à une scène d’affrontement avec


d’un côté un « robot gentil » et de l’autre des méchants (M. papier toilette,
Dracula, grand-­mère, crotte de nez, pirate et, en réponse additionnelle, le
dentiste). La participation projective est massive. Nous notons une fragilité
des limites en lien avec la massivité des mouvements pulsionnels, lesquels
ont tendance à déborder Steevy.

À partir des 23 réponses associatives livrées par Steevy, l’analyse du


psychogramme permet de souligner le traitement très personnel qu’il fait
des planches, intégrant à la fois le mouvement ou la couleur. La qualité des
formes est insuffisante, ce qui traduit un manque d’ancrage dans la réalité.

100
La dysphasie ■ Chapitre 2

L’axe identitaire donne à voir tantôt des réponses adaptatives (planche V :


Ban), (planche III, Ban) aucune réponse anatomique, mais également des
réponses plus inquiétantes avec la persévération de réponses para-­humaines
(Dracula, planches I, II, V), plusieurs réponses traduisant l’instabilité identi-
taire (planche V, chauve-­souris en Dracula, planche VI, homme dans un ours,
planche VII, Mamie se transforme). De plus, Steevy fait référence à des corps
incomplets (planche III, des jambes pas terminées) ou encore à des éléments
corporels qui feraient défaut. Il existe une fragilité de l’axe identitaire chez Steevy.

Les mouvements projetés dans les réponses au Rorschach sont de diverses


natures :
– Registre destructeur (planche IV, veut casser, veut tuer ; planche VIII,
veut tuer ; planche IX, crachent du feu ; planche IX, veut casser la voiture ;
planche X, veulent tuer).
– Registre de l’oral destructeur (planche I, fait peur les gens, veut manger
les gens ; planche II, veut manger des gens ; planche V, pour manger des
gens).
– Registre de l’étayage (planche III, portent une personne ; planche VIII,
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montent dans l’arbre).
– Registre de la transformation (kinesthésie centrée sur le sujet lui-­même :
planche V : transforme, planche VII : transforment).

‡‡ Steevy face à l’épreuve du CAT

Steevy accepte assez bien la mise en récit. Toutefois, les récits qu’il propose
se réduisent à partir de la planche VII, où il y a un équivalent de choc face aux
sollicitations latentes chargées en agressivité du matériel. Dans l’ensemble,
les récits sont marqués par la récurrence du débordement pulsionnel agressif
et par la perte d’objet entraînée par la mort. L’extérieur est souvent vécu
comme menaçant, cette menace est difficilement figurée (« les gens »).

Planche I : « J’ai vu deux poules qui attend pour sa mère, pour donner le
repas aux trois et sa mère arrive lentement. Après, le loup il veut manger la
mère, le loup n’entre dans la porte, et le facteur, et les trois poules, elles rient
et le loup il mange les trois poules et il mange la soupe. Et après l’histoire
est terminée pour le loup et les trois poules. »

D’emblée, la thématique de l’oralité glisse rapidement vers une thématique


de dévoration. Au début, il y a un scotome de personnage lorsqu’il ne décrit

101
Approche clinique des troubles instrumentaux

que « deux poules ». De plus Steevy ne parvient pas à s’appuyer sur l’imago
maternelle. Le désir oral tend à s’exprimer dans l’attente et la frustration
face à la « lenteur » de la figure maternelle, pouvant évoquer une forme
d’agressivité passive de la part de cette dernière.

Or ce vécu de frustration induit, d’après nous, l’introduction d’un person-


nage persécuteur (« le loup ») à l’encontre de la figure maternelle, mais il
s’ensuit un débordement pulsionnel. La jubilation (peut-­être sadique) des
enfants est sanctionnée par un retournement de la menace à leur encontre.

Face aux planches mettant en scène l’exclusion du couple parental, le vécu


de solitude de l’enfant, voici les récits que Steevy propose :

Planche V : « Y’a deux lits, un lit pour le petit l’ours, un grand lit pour le
parent. Allumé pour fait pas peur. Un jour petit l’ours réveillé, et il voit pas
ses parents. Et le père et la mère sont partis dans la forêt et des gens ont tué
le père et la mère. Et les petits sont partis dans la forêt et ils voient le père
et la mère tués, ils ont pleuré… (x 2) très longtemps. »
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Planche VI : « Oh ! c’est grabouillages. Y’a le père et la mère ils dort. Le petit
il peur, il dort pas à côté, en plus il mange des feuilles. C’est tout. Après le petit
n’ours sont partis dans la forêt chercher des pommes et des gens un jour ont
tué le petit ours. Et le père et le mère vont chercher dans la forêt, vont chercher
longtemps, vont chercher dans tous les pays après il voit le petit ours mort et
ils pleurent longtemps et le après un autre bébé est arrivé et c’est terminé. »

Steevy parvient à exprimer des affects dans un récit, bien qu’étant limité
par son langage. Nous notons la possibilité de décrire et de mettre en scène
en s’appuyant sur son imaginaire. Il est d’emblée sensible au caractère
sensoriel de la planche, et peut exprimer l’idée de la « peur ». L’absence de
« personnes » nettement figurées dans le grand lit met à mal leur figurabi-
lité et renvoie finalement à la perte de ceux-­ci. Or nous pouvons également
comprendre qu’il ait pu être mobilisé par l’excitation du sexuel de la scène
primitive et qu’il y ait eu un glissement vers une émergence agressive
massive : « tuer » les parents. Encore une fois, Steevy introduit l’idée de
personnages persécuteurs (« des gens »), peut-­être comme pour mieux se
dégager de son propre mouvement pulsionnel, traduisant un mécanisme
de projection. Il a la possibilité ici de lier l’affect de tristesse (pleuré) à la
représentation de deuil.

102
La dysphasie ■ Chapitre 2

À la planche suivante, le vécu d’exclusion, contenu latent de la planche


assez proche de la planche précédente, amène une persévération de la théma-
tique. L’excitation œdipienne renvoie pour lui à la séparation (« parti dans
la forêt »), c’est l’issue qu’il trouve face au scénario excitant. Mais en même
temps, il développe une problématique d’abandon avec la notion de danger,
par l’introduction de personnages persécuteurs (« des gens »), l’extérieur qui
attaque apporte une solution, certes radicale. Par ailleurs, l’introduction
d’une thématique orale (« il mange des feuilles ») peut renvoyer au vécu de
dénuement, de carence. Son récit témoigne encore une fois d’une colora-
tion dépressive, avec une issue d’allure maniaque par le remplacement d’un
enfant par un autre, pouvant évoquer un fantasme de retour dans le giron
maternel.

Au CAT, l’ancrage dans la réalité est possible mais transitoire, Steevy


propose des récits associatifs où les peurs d’être abandonné et/ou attaqué
viennent le déborder. Lorsque le couple parental est mis en scène, il y a
souvent un meurtre, Steevy a du mal à gérer l’ambivalence pulsionnelle, de
même nous pouvons noter qu’ensemble les parents représentent souvent
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une entité, la reconnaissance de la différence des sexes telle qu’on l’attend
dans un registre œdipien est escamotée et donne lieu à une fausse trian-
gulation (et plutôt à une bi-­triangulation). Ce qui semble faire défaut pour
Steevy, c’est une barrière protectrice suffisamment solide pour repousser les
attaques d’un extérieur souvent vécu comme menaçant, tout comme pour
contenir les mouvements pulsionnels internes qui le débordent.

‡‡ Steevy face à l’épreuve du Scéno-­Test

Steevy ponctue son jeu en m’interrogeant du regard, montrant que mon


étayage est vivement sollicité. Le déroulement du jeu pourrait schématique-
ment se décomposer en trois temps, avec une progressive détérioration et
un emballement des pulsions agressives.

Le premier temps de la passation est marqué par l’exploration senso-


rielle du matériel. Steevy met en place une course de véhicules, lesquels
circulent dans des couloirs délimités par des barrières faites d’éléments
de construction. Steevy est soucieux de maintenir étroits ces couloirs de
circuit de course, ils semblent avoir une fonction contenante. Les véhi-
cules sont souvent en contact, pare-­choc contre pare-­choc, avec à la fois
a minima une dimension agressive mais aussi une volonté de rester « collés »

103
Approche clinique des troubles instrumentaux

les uns aux autres. Les interactions entre les objets restent simples. Nous
pouvons y percevoir une tentative de contention ainsi qu’une inhibition de
l’agressivité.

L’introduction du premier personnage humain apparaît en lien avec la


dimension transférentielle de la situation du Scéno-­Test et s’accompagne
d’une mise en dialogue. L’introduction d’un nouveau personnage identifié
n’aboutit pas à une scène interactionnelle, ils sont placés côte à côte mais
dans un isolement relationnel.

De même sur le plateau de jeu, on note l’isolation de la scène avec les


véhicules de celle où sont placées les figurines humaines, et Steevy poursuit
de façon peu variée sa course de véhicules. Il introduit de nouveaux person-
nages qu’il nomme mais nous percevons une certaine labilité identitaire,
puis il les aligne et les maintient isolés.

Il reprend le défilé des véhicules en chantonnant et dans cette activité


répétitive où les véhicules sont éloignés les uns des autres et aussitôt remis
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en contact, il semble que chaque véhicule assure une fonction d’étayage
l’un pour l’autre. Les figurines humaines sont laissées de côté puis mises
en lien par des acclamations de victoire, qui témoignent chez Steevy d’un
moment d’excitation et de jubilation. Cette première partie du jeu compte
peu d’interactions, mais plutôt une alternance d’éloignement physique et de
contact entre les véhicules. L’espace du plateau est très ordonné, Steevy est
attentif à bien délimiter les espaces. C’est alors qu’il introduit de nouvelles
figurines animées par des intentions agressives.

Deuxième partie du jeu : ces nouvelles figurines attribuent en lieu et place


de récompenses des « carrés d’épines » : la dynamique interactionnelle est
paradoxale, elle témoigne d’une inadéquation car la réussite est sanctionnée
par un enfermement (« piège »). Alors qu’ils étaient isolés les uns par rapport
aux autres, le recours au registre labile avec notamment l’introduction de
nouveaux personnages entraîne des interactions conflictuelles avec une
flambée de l’agressivité s’accompagnant d’une participation corporelle
importante et un jeu avec une forte implication vers le matériel.

Un combat intense entre des personnages (les membres d’une famille


contre deux ou trois femmes) révèle l’émergence des pulsions destructrices
et la difficulté de mettre à distance celles-­ci de façon durable. Le conflit est

104
La dysphasie ■ Chapitre 2

intense avec une vive participation corporelle de la part de Steevy, les motifs
du conflit ne sont pas clairs et la résolution apaisée n’est pas possible. Steevy
fait quelques tentatives en introduisant des figurines qui viennent soigner
et porter secours, mais le retour de l’agressivité ne peut être endigué, souli-
gnant là le poids des processus primaires. À ce moment du jeu, le plateau
donne à voir un chaos, une indifférenciation des espaces. Ces nouveaux
personnages ont réintroduit de l’imaginaire, du fantasme avec des pulsions
agressives et l’idée de persécution.

Sous l’impulsion du clinicien, Steevy fait une tentative d’isolation et de


clivage entre les « méchantes » et la famille. Pour l’espace familial, Steevy
utilise la fourrure, ce qui peut nous évoquer des caractéristiques régressives
d’un étayage doux.

Le clivage ne suffit pas, les figures menaçantes sont mises en « prison »


mais les pulsions destructrices reviennent déborder les capacités de secon-
darisation de Steevy, à travers le choix de la vache qui vient piétiner (la vache
condense la figure maternelle, nourricière, mauvaise).
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Dans son jeu, Steevy témoigne d’un manque de souplesse, d’une tendance
à la répétition, semblable à la persévération apparue au Rorschach et au
CAT. Le pulsionnel tend à le déborder et les figurines peuvent parfois
sembler interchangeables, révélant l’instabilité identitaire.

105
Approche clinique des troubles instrumentaux

‡‡ Synthèse des protocoles projectifs de Steevy

Les protocoles projectifs de Steevy alternent entre des moments de désor-


ganisation, marqués par le débordement pulsionnel, et d’autres moments
où la réorganisation est possible. Ainsi, je note chez Steevy :
1) Une fragilité de l’ancrage dans la réalité puisque les indices de socialisation
au Rorschach sont hétérogènes, de plus des scotomes de personnages sont
relevés au CAT.
2) Le matériel projectif donne à entendre à la fois une angoisse d’anéantis-
sement au Rorschach et des angoisses d’abandon avec une dimension
mortifère au CAT.
3) Les registres relationnels sont diversifiés au Rorschach, tandis qu’au CAT,
la relation est très souvent marquée par la thématique d’abandon et de
persécution. Au Scéno-­Test, après un premier temps d’inhibition et d’iso-
lation des personnages, le registre pulsionnel agressif s’est massivement
donné à voir, ponctué de quelques conduites d’étayage et de réparation.
4) L’axe identitaire est fragile puisque les représentations corporelles intègres
coexistent avec d’autres aux limites instables (transformation corporelle,
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interpénétration des limites) au Rorschach ; par ailleurs, une instabilité
identitaire peut apparaître aux épreuves thématiques.

En référence à la CFTMEA-­R2012, l’hypothèse psychopathologique d’une


dysharmonie multiple et complexe du développement ou dysharmonie
psychotique (1.04) peut être avancée. En effet, les symptômes comporte-
mentaux et langagiers sont apparus tôt dans l’enfance. Je perçois également
une menace de rupture avec le réel, des angoisses variées (de néantisation
mais aussi dépressives et de séparation), par ailleurs les modalités rela-
tionnelles sont duelles pour l’essentiel. En dépit de ces caractéristiques
évoquant la psychose, il existe des capacités d’adaptation et de contrôle,
mais celles-­ci s’avèrent restrictives quant aux potentialités de développe-
ment de la personnalité. Dans ce contexte, la dysphasie fait partie de la
dysharmonie psychotique, elle ne peut être cotée en catégorie principale,
ni même complémentaire.

‡‡ Projet de soins

Au-­delà de la confirmation de la suspicion de dysphasie formulée par


l’orthophoniste en ville, le diagnostic à valeur d’expertise de l’équipe du
Centre du langage s’est vu enrichi de l’éclairage de la clinique projective

106
La dysphasie ■ Chapitre 2

pour cerner chez Steevy une souffrance psychique liée à son organisation
de personnalité.

Par conséquent, en complément de la poursuite de la prise en charge


orthophonique, un travail psychothérapeutique a été proposé à Steevy ainsi
que des entretiens familiaux avec ses parents.

4. Discussion
4.1 La dysphasie de l’enfant
dans une perspective psychodynamique
Hormis les travaux de R. Diatkine et de son équipe (1990, 2004) la
dysphasie nous est apparue comme très peu étudiée dans la perspective
psychanalytique psychodynamique. Dans la rencontre avec cette popu-
lation d’enfants dysphasiques, j’ai été confrontée à des questionnements
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théorico-­cliniques concernant notamment l’articulation possible entre ce
trouble dit spécifique du développement du langage oral et l’organisation de
la personnalité sous-­jacente (Taly, 2011). J’ai ainsi cherché à reconsidérer le
développement du langage en lien avec le développement psychoaffectif de
l’enfant en interaction avec son environnement. Il est apparu que la compré-
hension de l’émergence du langage restait encore aujourd’hui l’objet de
nombreuses controverses aussi bien dans le champ neuropsychologique que
psycholinguistique. Dans ces champs disciplinaires, la dysphasie a donné lieu
plus récemment à des points de vue plus nuancés, moins catégoriques qu’il
n’y paraissait de prime abord. Alors que ce trouble a été longtemps pensé
comme un trouble neurodéveloppemental, les tenants des travaux neuro-
psychologiques tout comme ceux de la psycholinguistique sont devenus
prudents dans leurs affirmations au fil de leurs découvertes et tendent
à reconnaître de plus en plus le rôle de l’environnement et des interactions
de communication avec l’entourage.

Néanmoins, il persiste actuellement une conception de la dysphasie


comme un handicap devant être compensé, ou comme un trouble instru-
mental devant être rééduqué. Ma réflexion sur l’articulation entre le trouble
dysphasique et le fonctionnement de la personnalité s’inscrit dans une
démarche d’exploration globale du fonctionnement du sujet ; ainsi, au-­delà

107
Approche clinique des troubles instrumentaux

de la précision du diagnostic de dysphasie, mon souci porte sur le projet de


soin au sens large, projet devant s’ajuster à chaque situation individuelle.

4.2 La place de la dysphasie dans le champ


de la psychopathologie infantile
Après avoir étudié la place accordée au trouble dysphasique au
sein des différentes classifications nosographiques (DSM-­V, CIM-10,
CFTMEA-­R2012), j’ai fait le constat qu’il n’existait pas de consensus inter-
national ni sur la reconnaissance de cette entité pathologique, ni sur les
critères diagnostiques en termes d’inclusion et d’exclusion concernant
les troubles de la personnalité éventuellement associés. Pour discuter le
diagnostic différentiel, je me suis engagée dans une comparaison entre des
publications scientifiques portant sur l’étude d’une éventuelle comorbidité et
celles qui la réfutaient (Taly, 2011), avec des arguments tantôt contre, tantôt
en faveur d’un rapprochement avec des troubles autistiques, des troubles
psychotiques, des troubles limites de l’enfance et des troubles d’allure névro-
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tique. Pour ma part, la dysphasie est transnosographique dans le champ
de la psychopathologie, et il n’est pas souhaitable de réduire le mode de
fonctionnement du sujet à son « symptôme » ou « trouble ».

4.3 L’intérêt de la clinique projective


auprès d’enfants dysphasiques
La clinique projective est précieuse pour l’étude du fonctionnement
psychique de l’enfant dysphasique puisqu’elle contribue à la démarche
d’évaluation diagnostique afin de penser le projet de soins sans se limiter
à la fonction instrumentale du langage.

J.-Y. Chagnon (2006, 2008, 2009) a souligné à plusieurs reprises l’intérêt


des méthodes projectives pour une approche psychopathologique des
troubles dits « instrumentaux ». Mais dans la pratique et dans les publica-
tions scientifiques, il apparaît que le recours à la clinique projective auprès
d’enfants dysphasiques est très rare. D’une manière générale, nous pouvons
tous comprendre les réticences des cliniciens à utiliser des épreuves projec-
tives auprès d’une population d’enfants qui, de fait, présente des difficultés
d’expression verbale.

108
La dysphasie ■ Chapitre 2

Seuls quelques rares auteurs1 ont publié des articles portant sur des
enfants dysphasiques et sur l’exploitation d’une épreuve de Rorschach au
sein de leur méthodologie. Néanmoins, dans leurs publications, l’intérêt
de la clinique projective n’est pas mis en évidence, ils ne détaillent pas les
réponses des enfants dysphasiques de leur échantillon ni les résultats issus
de l’exploitation de l’épreuve projective du Rorschach.

J’encourage le recours aux trois outils projectifs complémentaires utilisés


dans l’étude du cas Steevy : Rorschach, CAT ou TAT et Scéno-­Test. Cette
dernière épreuve présente notamment l’intérêt de disposer d’un matériel
projectif moins tributaire des compétences langagières des enfants dyspha-
siques. De plus, il s’avère que cette épreuve de jeu du Scéno-­Test offre
aux enfants la possibilité d’exprimer leurs potentialités de symbolisations
transitionnelles. Ces potentialités peuvent s’étayer sur le matériel concret
à manipuler, sur la mise en acte des projections à travers la motricité, sans
exclure pour autant l’expression verbale. Le Scéno-­Test leur offre une prise
de contact plus directe, peut-­être plus ludique et créative. La matérialité du
Scéno-­Test soutient le travail de figuration, soutenant alors l’essai de liaison
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des excitations et des affects. Ainsi, j’ai pu percevoir lors des passations un
appel au clinicien plus marqué face au matériel du Scéno-­Test, comme si
l’enfant formulait une invitation à partager non seulement l’histoire mise
en scène (la représentation) mais également l’émotion (affect) qui pouvait
être sous-­tendue. Nous retrouvons les notions de plaisir partagé, d’attention
conjointe notions décrites comme importantes dans le développement de
la communication et du langage. En parallèle, dans la dynamique interac-
tionnelle, il est fort probable que le clinicien puisse se sentir plus engagé au
Scéno-­Test. En effet, le caractère « plus intelligible » du jeu de l’enfant en
facilite la compréhension par le clinicien.

4.4 Perspectives thérapeutiques


Il nous apparaît important que la prise en charge thérapeutique de l’enfant
dysphasique ne se limite pas à la fonction instrumentale, ni à une mise
en mots, mais qu’elle emprunte le passage du sensorimoteur, de la repré-
sentativité motrice, de la figuration corporelle, qu’elle s’accompagne d’une

1. J. de Ajuriaguerra et al. (année ?) ; C. Dupuis-­Gauthier et al. (1996) ; M. Bernardi (1999).

109
Approche clinique des troubles instrumentaux

mise en représentations en passant par le travail émotionnel, par le partage


affectif car il importe que ce qui s’éprouve intérieurement puisse trouver
une mise en sens.

C. Dupuis-­Gauthier (2006) pointe l’inefficacité de la prise en charge des


enfants dysphasiques lorsque leur trouble est appréhendé uniquement
sur le versant instrumental : « Dans la pratique, c’est à la suite d’un bilan
diagnostique objectivant les déviances spécifiques du langage oral malgré
des aptitudes intellectuelles non verbales satisfaisantes que les enfants sont
orientés vers une rééducation orthophonique (…) à raison de 2 ou 3 séances
par semaine. Malgré la pertinence de cette démarche, il est fréquent que la
rééducation orthophonique à elle seule ne suffise pas. Ce constat est d’ail-
leurs celui des orthophonistes eux-­mêmes qui s’interrogent souvent sur
l’absence ou sur la faiblesse de l’évolution du langage de l’enfant et notam-
ment sur son incapacité à intégrer les progrès syntaxiques, articulatoires ou
phonologiques développés dans le cadre des séances d’orthophonie, comme
s’il s’agissait d’acquisitions essentiellement mécaniques » (2006, p. 398).
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Sans remettre en cause la pertinence de la rééducation orthophonique,
nous comprenons dans la situation décrite par C. Dupuis-­Gauthier qu’il
manque l’introjection affective et le développement de la symbolisation
transitionnelle. D. Houzel, M. Emmanuelli et F. Moggio écrivent que « la
réponse thérapeutique standard par l’orthophonie [donne des] résultats [qui]
sont bien souvent décevants si elle n’est pas accompagnée, voire précédée
non seulement d’une pédagogie spécialisée, mais aussi d’un traitement des
troubles de la personnalité des enfants dysphasiques (…). Il semble souvent
préférable, par conséquent, de commencer la prise en charge thérapeutique
par une psychothérapie, dont le but est de permettre la levée des obstacles
psychiques à une communication de personne à personne. Ce n’est que
lorsque l’enfant manifestera un intérêt, voire une appétence pour la commu-
nication et pour le langage que l’orthophonie pourra prendre une place,
certes indispensable, mais seconde dans l’ordre des choses. Elle sera alors
d’une efficacité beaucoup plus grande » (2000, p. 217-218).

Ainsi, le thérapeute doit endosser la fonction symbolisante de l’objet en


faisant aussi appel à la fonction symbolisante de l’affect, à travers notam-
ment des activités de jeu. Par la figuration dans le jeu s’opère une amorce
de symbolisation transitionnelle, ce qui permet la création, la co-­création
d’un espace où la réalité externe n’est pas prépondérante et où l’activité

110
La dysphasie ■ Chapitre 2

psychique interne prend appui sur des objets réels, sur la relation et sur le
partage affectif. Ainsi, en développant le jeu, le thérapeute accompagne le
passage de la chose à la représentation de chose, puis de la représentation
de chose à la représentation de mot.

Enfin, nous pensons qu’il est important que les parents d’enfants dyspha-
siques soient aussi intégrés au projet de soins en regard de l’importance que
nous connaissons des interactions familiales (observables et fantasmatiques)
dans le développement du langage, de l’importance de la fonction symbo-
lisante de l’objet et de la fonction symbolisante de l’affect. Il peut y avoir
plusieurs modalités de prise en charge des parents, soit sur le mode classique
d’entretiens familiaux réguliers, soit sur le mode de consultations thérapeu-
tiques parents-­enfants, soit encore sur le mode de soins à domicile… l’idée
étant de permettre une nouvelle forme de circulation de la communication
dans l’espace intime-­familial avec « le déploiement d’un triple mouvement :
– de rassemblement et figuration,
– de représentation,
– et de réintrojection » (2004, p. 184) comme le propose A. Konicheckis
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dans ses cas de fantômes agglutinés dans le groupe familial.

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La dysphasie ■ Chapitre 2

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RORSCHACH de Steevy, 7 ans
Planche I
1. Des nuages, un nuage méchant G G FClob + Frag
2. Y’a des dents, Dracula, y’a des yeux
méchants, il fait peur les gens, il veut
manger les gens, plus les enfants.
Que ça rien d’autre. D noir dans D lat
Dbl G KClob (Hd)
Planche II
3. Un Dracula, le Dracula l’a G G KClob (Hd)
4. du sang, partout sang,
il veut manger des gens pour venir
des Dracula
(s’agite). D rouge D C Sang
Planche III
5. J’ai vu des gens, deux gens, ils portent G K + H Ban
une personne, un gens.
J’ai vu ça s’appelle quoi ça… ?
6. Une cravate (// nœud papillon) D D F + Obj
rouge
7. J’ai vu des jambes pas terminées D rouge supG D F – Hd
Planche IV
8. J’ai vu un gros méchant, il veut casser
un arbre, avec un couteau, il veut tuer
des gens et des enfants. Des gros pieds,
des bras cassés, pas d’z’yeux, pas de nez,
pas de bouche, pas de cheveux. G
Clob G KClob (H)

113
Approche clinique des troubles instrumentaux

RORSCHACH de Steevy, 7 ans


Planche V
9. Un chauve-­souris, é vole, c’est la nuit
et transforme en Dracula pour manger
des gens, pour vient Dracula et des enfants.
Des fois, il rentre dans la maison, et rentré
la mère, le père et la chambre des enfants.
Et des fois, le jour se transforme
en chauve-­souris. G G KClob A/(H) Ban
Planche VI
10. J’ai vu un ours. D inf DF+A
11. J’ai vu un homme dans un ours. D sup GD F – H/A
12. C’est comme un ploume (// plume),
y’a des grandes jambes, des grandes D sup
mains et une couronne, en plus son corps D inf lat
est cassé (montre sur lui son axe corporel). S sup sur D inf
Axe médian G F – H/obj
Planche VII
13. Une mamie transforme deux mamies
transforment G K + H/A
14. en mouton et dit « bêê »
et un cheveu pointu et des mains le côté,
il fait ça et le main là-­bas il a pas de jambe,
il fait mêê, mêê, y’a pas d’oreilles et y’a
des yeux D inf 3e tiers GF–A
15. et la robe est à côté. D F – Vêtement
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Planche VIII G GK–H
16. C’est un méchant, l’a des grandes → Clob
mains, il veut tuer les… (latence).
17. Un arbre (x 3). D central D F + Bot
18. y’a des petits animaux, ils montent
dans l’arbre, l’arbre il bouge pas, l’arbre D rose Add : vit dans
est cassé, la branche est cassée, le bâton la forêt, il est tout
est cassé comme ça les animaux, rouge, il a des petits
ils montent. n’épines sur (montre
dos ) mais je sais pas
c’est quoi. D kan + A Ban
Planche IX
19. J’ai vu un voiture, une voiture rouge
comme de Mario Bros. rose D FC – Obj
20. Des feuilles. vert D FC + Bot
21. J’ai vu des dragons, y crachent du feu
et c’est des gentils dragons. orange D kan + (A)
22. J’ai vu un pan (pieuvre ?) qui vit dans
la mer, elle veut casser la voiture de Mario
(x 2) et Luigi (difficultés de prononciation Dbl / E
+++). Vert/orange Dbl/D kan – A/objet
Planche X G K – (H)/Scène
23. J’ai vu un robot de… (x 2) [relance]
un robot gentil pour tuer les méchants :
Monsieur papier toilette, Dracula, grand-­
mère et crotte de nez, le pirate. Les quatre
méchants sont devenus méchants, ils
veulent tuer le robot gentil. Y’a des petits
méchants veut tuer et c’est tout que ça. Add : et dentiste

114
La dysphasie ■ Chapitre 2

Données du psychogramme Rorschach de Steevy (7 ans)


R : 23
Localisations
G = 52 %
D = 43 %
Dbl = 4 %
Déterminants
F + = 3 ; F – = 6 ; K = 7 (4 +/ 3 –) ; kan = 4 (3 +/1 –) ; FC = 2 (1 +/1 –) ; C = 1
Pourcentages
F % = 39 %
F % élargi = 96 %
F + % = 33 %
F + % élargi = 50 %
A % = 21 %
H % = 24 % si (H) 44 %
Nombre de banalités : 3.
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Planche III « gens », planche V « chauve-­souris », planche VIII « petits animaux petits
n’épines » // hérisson.

Protocole de CAT de Steevy, 7 ans


Planche I
J’ai vu deux poules qui attend pour sa mère, pour donner le repas aux trois et sa mère
arrive lentement. Après, le loup il veut manger la mère, le loup n’entre dans la porte, et
le facteur, et les trois poules, elles rient et le loup il mange les trois poules et il mange
la soupe. Et après l’histoire est terminée pour le loup et les trois poules.
Planche II
C’est comme un histoire j’ai vu dans la maison. J’ai vu trois ours qui tirent la corde pour
jouer. Et c’est qui qui a gagné ? C’est petit ours et ours qui a gagné, ils tirent fort (x 3)
et après c’est petit ours et son père qui a gagné.
Planche III
C’est un roi (x 2) gentil roi et veut tuer les méchants et un pipe pour souffler et des garr
(? gardes), et des méchants (x 2) les gentils pour tuer les méchants. Plus un jour, des
méchants tuent tous les garr de roi et ils tuent le roi gentil et c’est terminé pour le roi.

115
Approche clinique des troubles instrumentaux

’
Planche IV
Encore tout ça, oh c’est long ! La mère kangourou est partie de sa maison avec les deux
enfants, la mère a un repas, un enfant a le vélo, un enfant a un ballon. Parti dans sa
maison. Faut traverser la forêt, faut traverser la rivière, faut traverser la montagne,
après arrivés dans sa maison. Terminé.
Planche V
Y’a deux lits, un lit pour le petit l’ours, un grand lit pour le parent. Allumé pour fait pas
peur. Un jour petit l’ours réveillé, et il voit pas ses parents. Et le père et la mère sont
partis dans la forêt et des gens ont tué le père et la mère. Et les petits sont partis dans
la forêt et ils voient le père et la mère tués, ils ont pleuré… (x 2) très longtemps.
Planche VI
Oh ! c’est grabouillages. Y’a le père et la mère ils dort. Le petit il peur, il dort pas à côté,
en plus il mange des feuilles. C’est tout. Après le petit n’ours sont partis dans la forêt
chercher des pommes et des gens un jour ont tué le petit ours. Et le père et le mère
vont chercher dans la forêt, vont chercher longtemps, vont chercher dans tous les pays
après ils voient le petit ours mort et ils pleurent longtemps et le après un autre bébé
est arrivé et c’est terminé.
Planche VII
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(Se recule.) Ah non j’arrive pas celle-­là ! (latence). Un lion veut manger un singe et le
singe il monte dans les cordes et le lion peut pas manger, l’attend (x 2) longtemps, très
longtemps, le lendemain et encore et le singe il redescend et le tigre l’a mangé. L’histoire
est terminée. (Bâille.)
Planche VIII
(Se lève.) C’est la maman, elle dit « non on mange pas le repas », et l’autre mère et le
père ils discutent, ils font a fête et tout ça et après c’est terminé.
Planche IX
(Se rassoit.) Le lapin il dort, l’est réveillé. Un jour le lapin il dort, l’est réveillé, il voit pas
ses parents, ils sont partis à la chasse. Après a vu son père, sa mère l’est mort, le cache
pour pas les gens tuer et après un jour les gens tué, c’est tout (se relève).
Planche X
C’est un chien et sa mère dit : « Va aux toilettes ! » (x 3). « Après fait un bain, après mange,
va au lit » et après c’est terminé.

Protocole de Scéno-­Test de Steevy, 7 ans


Séance filmée
Steevy s’empresse de saisir la locomotive et la voiture de course Formule 1. Il annonce
le départ : « One, two, partez ! » Il joue la course sur le plateau.

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La dysphasie ■ Chapitre 2

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Il saisit un personnage : la femme en tenue de ville (F1) et, en écho à ma position d’obser-
vatrice, il initie un dialogue : « Tu fais quoi ? » / « Je regarde vous ne joue. » Steevy prend
le grand-­père « papy » qu’il place aux côtés de la femme. Il prend quelques éléments de
construction, qu’il pose en barrière, délimitant l’espace pour les figurines et celui pour
les véhicules. Il prend ensuite deux hommes, en costume (H1) et en tenue décontractée
(H2), il cherche à les nommer mais échange constamment, donnant tantôt le prénom de
son petit frère, tantôt le sien. Finalement il désigne (H1) avec son prénom, et remplace
(H2) par le garçon écolier à qui il donne le prénom de son petit frère. (H1) est placé non
loin et du même côté que le couple (F1) + « papy », tandis qu’il place l’écolier sur la vache
et sur le côté opposé.
Steevy chantonne, il reprend les véhicules (locomotive, voiture de course et wagon de
train), fait la course, et modifie légèrement le circuit constitué de quelques éléments de
construction au fil des passages. Il semble désinvestir les personnages, et mentionne
les ordres d’arrivée. Puis Steevy prend les personnages pour acclamer les véhicules avec
des « BAVO ! ». L’écolier tombe de la vache, ce qui fait sourire Steevy.
Steevy introduit deux nouveaux personnages, des femmes : la grand-­mère et l’employée
de maison (F3). Elles s’adressent aux voitures : « Bonjour les voitures, vous gagnez
des quelque chose, des ça » en désignant des carrés de construction « des carrés
n’épines ». Steevy me précise « c’est des méchants ». Il place les « carrés d’épines » et
dit : « Maintenant sont coincés, peuvent plus sortir, dans n’un piège. » Le wagon est le
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seul à lutter, il pousse à plusieurs reprises et Steevy le fait tomber dans la boîte du
Scéno-­Test.
S’ensuit une bagarre deux contre deux : « papy » et « Steevy » contre la grand-­mère et (F3),
s’ensuit la mort des deux femmes. Le circuit est complètement détruit par le combat.
Steevy prend la grande fille et le jumeau rose dans la boîte après y avoir déposé les deux
méchantes mortes. Mais aussitôt, l’une d’elles (F3) revient armée d’un petit cylindre ; elle
frappe : le papy qui meurt, le « père » (anciennement « Steevy ») est blessé, tout comme
l’écolier mais la « mère » (F1) la bat. Steevy commente : « C’est un mort vivant » car la (F3)
revient. Les personnages voltigent à travers la pièce après chaque coup porté, que ce
soit les gentils ou les méchantes (F2 et F3). La grande fille vient guérir les blessés, le
jumeau rose remercie. Tous les membres de la famille sont guéris.
Steevy conclut par : « Et ça tous les méchants et tout le monde arrive pour jouer, tout
le monde est venu. » Le plateau s’apparente au chaos général. Steevy prend la fourrure,
il place dessus pêle-­mêle les personnages « gentils » et dit : « Les méchants ils vient en
prison », désignant par là : la grand-­mère, et deux femmes (F2) et (F3). Steevy délimite
sommairement un emplacement pour faire la prison avec des éléments de construction,
les femmes méchantes y sont allongées puis piétinées par la vache. Le plateau est un
véritable chaos.

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