Hegel Et L'injustice (Marmasse)
Hegel Et L'injustice (Marmasse)
Hegel Et L'injustice (Marmasse)
Gilles Marmasse
2004/3 - n° 70
pages 331 à 340
ISSN 0014-2166
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HEGEL ET L’INJUSTICE
chen) – sont bien relatifs à la sphère pénale. La fraude désigne en effet l’acte
1. B. Bourgeois traduit le terme par « non-droit » dans l’Encyclopédie III (Paris, Vrin,
1988). Dans les Principes de la philosophie du droit, R. Derathé et J.-P. Frick (Paris, Vrin, 1975) et
J.-L. Vieillard-Baron (Paris, Garnier-Flammarion, 1999) le traduisent par « injustice » ;
J.-F. Kervégan (Paris, PUF, 1999), par « déni du droit ».
Les Études philosophiques, no 3/2004
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de la Sittlichkeit 1.
1. Voir par exemple la remarque du § 100, trad. Kervégan, p. 181 : « L’État n’est pas la
présupposition qui conditionne la justice (Gerechtigkeit) en soi. »
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L’abrogation de l’injustice
que toutes les parties sont, par construction, de bonne foi. Le § 85 évoque
1. Voir la remarque du § 100 : « Que la peine soit considérée comme contenant son
propre droit, en cela le criminel est honoré comme un être-rationnel. » Voir également la Phé-
noménologie de l’esprit : « La punition qui, selon la loi du premier [monde], déshonore et anéantit
l’homme se transforme, dans son monde renversé, dans la grâce qui maintient son essence et le
remet en honneur » (trad. G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Gallimard, 1993, p. 198) Pour
une interprétation d’ensemble de la théorie de la peine de Hegel, on lira l’article de V. Hösle,
« Das abstrakte Recht », in Anspruch und Leistung von Hegels Rechtsphilosophie, hrsg. von C. Jer-
mann, Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1987, p. 89-99.
2. Trad. citée, p. 171.
3. D. Rosenfield, Politique et liberté, Paris, Aubier, 1984, p. 106.
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ou encore du titre de droit par définition non vrai. Désormais, c’est le droit
en soi qui est lui-même réduit à une apparence. Le comportement délic-
tueux, en effet, se donne l’apparence de la justice, si bien que ce qui désor-
mais prétend valoir comme juste n’est, en réalité, que le travestissement de
l’injuste. Plus précisément, le particulier tend à s’ériger en universel, dans la
mesure où la volonté de l’individu, par essence errante, s’efforce délibéré-
ment de se faire passer pour conforme au bon droit. Hegel opère ici une dis-
tinction entre la chose immédiate, assignable en sa singularité factuelle, et la
chose en son essence. Il y a ainsi, dit le § 88, « la manière d’être particulière
de la Chose et, en même temps, (...) son universalité intérieure, [qui tient]
pour une part à sa valeur, pour une autre à ce qu’elle est la propriété d’autrui »1.
Dès lors, la fraude consiste à être sincère à propos de la désignation de la
chose mais hypocrite quant à la détermination de sa nature véritable. Ainsi
le contrat est-il formellement valide, même s’il y a tromperie. L’analyse de la
fraude procède ici d’un topos hégélien, à savoir l’opposition de l’exactitude
et de la vérité. Pour l’auteur de l’Encyclopédie, l’exactitude nomme la confor-
mité d’une chose avec la représentation, tandis que la vérité renvoie à
l’identité d’une chose avec son concept2. Dans la tromperie telle qu’elle est
analysée par Hegel, il y a bien exactitude, dans la mesure où, par exemple, le
filou livre effectivement le champ qu’il s’est engagé à vendre, mais égale-
ment non-vérité, en ce sens que l’essence du champ ne correspond pas alors
à celle qui lui est attribuée.
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il faudrait faire de la perpétration de crimes une nécessité inévitable pour chaque indi-
de ce qui le nie. Une autre différence apparaît alors entre l’auteur de la Théo-
dicée et celui des Principes de la philosophie du droit : si Leibniz a cru, comme on
a pu le dire, que Dieu avait besoin d’un philosophe pour plaider sa cause, la
métaphysique hégélienne tend à montrer, à l’opposé, que l’absolu se justifie
par lui-même.
Gilles MARMASSE.
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