MAC Le Records Management. Concept Et Usages 2012
MAC Le Records Management. Concept Et Usages 2012
MAC Le Records Management. Concept Et Usages 2012
NB : Article initialement publié par l’AFNOR en 2012 (site Bivi supprimé depuis).
1 Introduction
En France, onze ans après la publication, conjointement en anglais et en français, de la norme
ISO15489, l’expression « records management » est largement connue dans le mondes des
professionnels de l’information et des sociétés prestataires du monde de la GED et de
l’archivage, mais elle reste diversement comprise, parfois résumée à un argument
commerciale ou raccrochée à une pratique cousine qu’elle est censée relooker. Prononcée à
la française ou à l’anglaise (accent tonique sur « re » ou sur « cord »), on voit plus ou moins
de quoi il retourne : il est question d’information et document, de cycle de vie, d’organisation…
Cependant, les contours sont mouvants et ne collent pas vraiment à quelque chose de bien
identifié par les utilisateurs ou même par les acteurs : on rencontre ici et là l’expression
« archivage électronique et records management » (ou l’inverse), sans explication de
l’articulation entre les deux, comme si le records management était de facto électronique, ou
comme si le records management n’avait rien à voir avec l’archivage, ou comme s’il n’était
qu’un label de mode.
En anglais, l’expression « records management » entre volontiers dans la combinaison d’un
ensemble plus large, avec l’ajout d’un domaine connexe qui déplace légèrement le centre de
gravité de la discipline vers une discipline voisine. C’est ainsi que l’on parle de : « records and
information management », expression très courante dans l’Information management
magazine de l’ARMA (Association of Records Managers and Administrators) ; ou encore
d’archives and records dans la National Archives and Records administration » ; ou de
« document and records », qui apparaît dans la typologie des solutions techniques : les
EDRMS (electronic document and records management system), et plus largement
d’information, knowledge and records management : on voit apparaître dans cette
énumération les cousins de records que sont, toujours en anglais : information, document,
knowledge, archives, chacun d’eux affichant autant sa différence que son lien avec le concept
de records.
Cet article veut démontrer que le « records management » est une discipline encore mal
appréhendée en France mais qu’elle est porteuse d’espoir car elle renvoie à une réalité et un
besoin de plus en plus prégnants dans les entreprises comme dans les structures publiques.
L’origine du mot « record » ou « recors » remonte au Moyen âge, tant en anglais qu’en
français, les deux venant du latin « cor », le cœur, avec le préverbe « re » qui évoque un
retour, une deuxième fois, un second usage.
Pour le français, le Dictionnaire des dictionnaires, publié sous la direction de Paul GUÉRIN en
1892 donne la définition suivante : « Recors, s. m. (du vx fr record, souvenir). Celui qu’un
huissier mène avec lui pour servir de témoin dans les exploits d’exécution, et pour lui prêter
main-forte en cas de besoin ». « Record » est cité également dans le Glossaire de la langue
'oïl (XIe-XIVe siècles) contenant les mots vieux français hors d'usage d’Alphonse Bos (1891)
avec le sens de « souvenir, mémoire, récit ; rappel en justice ».
En anglais, le mot « record » a d’abord ce même sens de témoin ; son usage pour désigner
un document d’archives est attesté en 1227 comme le rapporte Michael Clanchy2. A noter
qu’une trentaine d’années plus tôt, en 1194, Philippe Auguste, ayant perdu des titres
justificatifs de son pouvoir lors de la bataille de Fréteval, avait décidé de les laisser désormais
à Paris sous bonne garde, créant ainsi les « archives royales ».
On voit ainsi se dessiner deux descriptions d’une même réalité : la langue anglaise a retenu
le rôle le témoin que jouent ces documents pour leur détenteur, tandis que la langue française,
avec le vocable « archives » (du grec archeia, du latin archivum) insistait davantage sur la
conservation sécurisée de des biens. Mais les deux mots désignent bien la même chose à
l’époque, et continueront d’être équivalents jusqu’au XIXe siècle (au moins…).
Prenons comme référence la définition de « record » dans la norme ISO 15489 : « Documents
créés, reçus et préservés à titre de preuve et d’information par une personne physique ou
morale dans l’exercice de ses obligations légales ou la conduite de son activité » /
« Information created, received, and maintained as evidence and information by an
organization or person, in pursuance of legal obligations or in the transaction of business »
À quoi s’oppose « record » aujourd’hui en langue anglaise ? Comment qualifie-t-on ce qui n’est
pas un « record », qui ne l’est pas encore, qui ne l’est plus ?
1
Pour rédiger cet article, j’ai questionné la communauté internationale des archivistes (forum de discussion du
Conseil international des Archives) sur l’origine du mot record et sa relation sémantique avec le mot archives. Je
remercie particulièrement pour leurs éclairages : Luciana Duranti (The University of British Columbia), Trudy
Huskamp Peterson, William J. Maher (University of Illinois at Urbana-Champaign), Peter Blum (Stadtarchiv
Heidelberg), Hans Waalwijk (Amsterdam University of Applied Sciences), Gesa Büttner (Council of Europe),
Agnes e.m. Jonker (Universiteit van Amsterdam).
2
Clanchy, Michael, From Memory to Written Record, London, 1979 (information communiquée par Trudy H.
Peterson).
Ce qui important dans le mot « record » aujourd’hui, c’est justement la notion de passage d’un
état à un autre, du statut de simple document (une information sur un support) au statut de
document qui engage la responsabilité de son émetteur ou de celui qui en accepte la réception,
au travers d’une validation, et d’une date.
Le dessin ci-dessous, repris des pages très pédagogiques du site britannique « JISC infoNet »
est on ne peut plus clair (Figure 1.1).
Figure 1.1 La création du « records »
On voit là que le document, « set apart as a record » pour reprendre une expression de
MoReq2, change non seulement de statut mais d’aire de commandement : alors que le simple
document relève de la responsabilité de l’utilisateur (author controlled), le document qui passe
la frontière symbolisée ici par la flèche rouge passe ispo facto dans le périmètre des règles
d’entreprise (corporate controlled). Le passage s’effectue au moment de la validation ; il s’agit
bien d’un changement de statut et non d’un simple changement de localisation que représente
le transfert physique du bureau vers un lieu de stockage éloigné. On remarque également sur
ce schéma que si le champ d’application du records management démarre à la « flèche
rouge », le cycle de vie du document qu’il prend en charge est antérieur, de sort e que le
records management est, ou du moins doit être, prescripteur pour la phase « document
management » des informations destinées à être archivées.
Il suffit de se promener sur les sites anglo-saxons consacrés au records management pour
voir que la définition de record ou celle de records management fait parfois l’objet de débat,
mais le fait que le concept de record est indissociable d’une valeur de preuve, concrétisée par
la fixation du contenu au moyen de sa validation, de sa datation, de son enregistrement, n’est
pas discuté.
Le module 2 d’ICA-Req précise même : « A distinguishing feature of records is that their
content must exist in a fixed form, that is, be a fixed representation of the business
On fait volontiers naître le records management aux États-Unis en 1947. À cette date, le
président Truman confie au sénateur Hoover une mission sur la réorganisation de
l’administration, les années de guerre ayant produit d’importantes masses de papier dont il
fallait décider du sort. Le rapport du sénateur mit en évidence que ces « records » ou
documents officiels de l’administration se présentaient en trois lots : les dossiers encore
vivants pour les affaires du gouvernement, les dossiers clos mais susceptibles d’être consultés
en cas de recherche de décisions antérieures, et les dossiers dépourvus d’intérêt pour
l’administration, ce dernier lot se divisant en documents intéressant la mémoire des États-Unis
et en documents dépourvus de tout intérêt et promis à la destruction. Une seconde commission
Hoover approfondit ses recommandations de bonne organisation administrative en 1953.
Quelques années après, en 1956, l’Americain Theodore Schellenberg reprend ces constats
dans un livre fondateur : “Modern Archives. Principles and Techniques ». On note ici que c’est
bien le mot « archives » qui figure dans le titre, le terme s’étant imposé à la fin du XIXe siècle
3
Norme ICA-Req/ISO 16175, module 2, 2.1 (2008)
4
A mentionner le rôle important joué par l’American Historical Association (AHA) à la fin du XIXe siècle et la
création des US National Archives dans les années 1930. – Informations transmises par William J. Maher.
5
Drouhet, Geneviève, Keslassy, George, Morineau, Elisabeth. Records Management : mode d'emploi, Paris : Adbs
éditions, 2000, p.17
La publication de la norme ISO15489 a remis sur le devant de l’actualité, quarante ans après
les faits, l’action un peu oubliée d’Yves Pérotin, directeur des Services d'archives de la Seine
et de la ville de Paris à la fin des années 1950, et ses articles théoriques destinés à exposer
en France le bien fondé du records management qu’il était allé observé aux États-Unis et au
Royaume-Uni en 1960 et 1961.
Après avoir étudié et comparé les systèmes anglais et américain, Pérotin souligne que « les
meilleurs intentions des archivistes ne suffisent pas, si les autorités responsables de
l’administration générale et particulièrement les autorités financières ne sont pas convaincues
de ce que l’organisation du records management, quels que soient par ailleurs les avantages
qu’elle présente pour les archives, est une affaire rentable et indispensables pour
l’administration elle-même », et que, dans les deux pays, les commissions qui ont conduit à
l’élaboration d’une réglementation nationale sur le « records management » ont été instituée
« d’abord pour faire des économies »6.
À partir de ses observations et réflexions, Yves Pérotin formula la fameuse théorie des trois
âges des archives en 1961 dans la revue Seine et Paris7, en utilisant les expressions
« archives courantes », « archives intermédiaires » et « archives archivées » pour désigner
les entités nommées en anglais « current records », « non current records » et « archives ».
Son objectif était d’alerter les archivistes et responsables de l’administration française à
intervenir plus tôt dans l’organisation des archives. L’expression « archives archivées » sonne
curieusement et de fait elle n’a pas survécu à son auteur bien qu’elle contourne finalement
très bien les contraintes de la terminologie française sur la question : archives traduit à la fois
« records » et « archives ».
En 2003, le québécois Marcel Caya revient longuement sur ce sujet en demandant : « La
théorie des trois âges en archivistique. En avons-nous toujours besoin ? » pour conclure que
le concept reste utile pour supporter l’explication des sélections successives au cours du cycle
de vie des documents car il faut intervenir le plus en amont possible pour obtenir de bonnes
archives, mais pas comme base de l’organisation de la pratique professionnelle, avec une
scission des métiers (records manager et archiviste).
Pérotin estimait que, pour le premier âge « il faut seulement obtenir que les bureaux fabriquent
de bonnes archives et constituent des dossiers que n’encombrent pas les inutilités ». Quarante
ans après, le « seulement » est largement obsolète : aujourd’hui, dans l’environnement
numérique, c’est bien la sélection des données à archiver, l’identification des bonnes versions,
6
"Le Records Management et l'administration anglaise des archives", Gazette des archives, n° 44, 1964, p. 5-17.
Il est important de mentionner que cet article a une version anglaise : "Administration and the 'Three Ages’of
Archives", publiée dans The American Archivist, n° 29-3, 1966, p. 363-369
7
"L'administration et les trois âges des archives", Seine et Paris, n° 20, octobre 1961, p. 1-6
validation échéance
fixation légale ou
interne
production
des données stockage éloigné
T0 T2
T-1 T1
anglais français
archives
archives courantes archives intermédiaires historiques
© MAC 2006
8
Code du patrimoine, titre II, Article L211-1
9
Chabin Marie-Anne, Je pense, donc j’archive, L’Harmattan, 1999, chapitre 2 « Tout est archive »
10
Recommandation de la CNIL du 11 octobre 2005
Les fondamentaux
On peut résumer en quatre points l’apport d’ISO 15489, norme fondatrice grâce à laquelle le
records management a reçu ses lettres de noblesse internationale.
Le premier point est la définition de « records management » : « Champ de l’organisation et
de la gestion en charge d’un contrôle efficace et systématique de la création, de la réception,
de la conservation, de l’utilisation et du sort final des documents, y compris des méthodes de
fixation et de préservation de la preuve et de l’information liées à la forme des documents »,
ou si je peux me permettre de retraduire : « Fonction chargée du contrôle rigoureux et
systématique de la production, réception, conservation, utilisation et sort final des documents
engageants, ainsi que des processus de capture et de maintenance des traces probantes et
documentées de l’activité d’une entreprise ou d’un organisme ».
La norme précise plus loin (chapitre 7) les exigences qui en découlent, notamment : définir
quels documents doivent être créés pour chaque type d’activité et quelles informations doivent
y figurer [il s’agit de nouveau de la « record creation », concept choquant pour plus d’un
archiviste français] ; décider sous quelle forme et quelle structure les documents doivent être
produits et archivés, et quelles technologies doivent être utilisées ; évaluer les risques attachés
à la non-disponibilité de documents probants ; conserver les documents et les rendre
accessibles à terme, pour répondre aux besoins de l’organisme ou de l’entreprise et aux
attentes de la collectivité ; s’assurer que les documents ne sont pas conservés au-delà de la
durée nécessaire ; identifier et apprécier les occasions d’améliorer la rentabilité, l’efficacité et
la qualité des méthodes, des décisions et des opérations de création, d’organisation ou de
gestion des documents.
Le deuxième point concerne les quatre caractéristiques du « record » :
1. authenticité (le document peut prouver qu’il est bien ce qu’il prétend être),
Source : ISO23081 : 2006, 9.1. Introduction aux types de métadonnées. Traduction Marie-Anne
Chabin
On voit nettement sur ce schéma l’interaction d’une part entre l’activité qui produit des
documents engageants conforme au cadre réglementaire, d’autre part le lien très fort entre
processus métier et processus d’archivage.
Source : MAC
Vers la certification
Trois exemples
Le premier exemple est celui de l’entreprise Renault créée en 1898 et pour qui la priorité est
bien la production et la commercialisation de véhicules automobiles et non, à cette époque, la
mémoire historique. En 1932, François Lehideux, le directeur administratif de l’entreprise
industrielle signe une instruction générale relative au « statut des archives ».
Figure 2.1 Instruction « Statut des archives » de Renault en 1932
La terminologie, quatre-vingt ans plus tard, en est étonnamment moderne : il est question de
« catégories de documents qui constituent les archives » et il est précisé que « ne sont admis
aux archives que les documents pouvant engager financièrement ou moralement la Société à
l’égard des tiers ou présentant un intérêt de documentation certain », ainsi qu’on peut le voir
11
Cet exemple est développé dans le livre de Marie-Anne Chabin « Archiver, et après ? », Djakarta, 2007, en ligne
sur : http://www.marieannechabin.fr/archiver-et-apres/2-archiver-ou-conserver/
12
Chabin M-A, Watel Françoise. L’approche française du records management : concepts, acteurs et pratiques.
La Gazette des Archives. N°204, 2006, pp. 113-129
13
Le déménagement de la direction des Archives diplomatiques à La Courneuve en 2009 donne une nouvelle
orientation, plus culturelle, au service.
Ces bonnes pratiques toutefois n’ont pas résisté à diverses influences culturelles dont la
principale est un déplacement du centre de gravité du cycle de vie des documents archivés
vers le passé.
Le « records management » pose le point névralgique au moment où le document change de
statut, au moment où le document is set apart as a record, au moment où son contenu, sa
validation, l’engagement qu’il porte fait que ce document doit être archivé dans un local ou un
dispositif technique qui assurera sa protection et où on veillera à l’application des règles qui
régissent son cycle de vie jusqu’à l’extinction de sa pertinence pour producteur. Les pratiques
archivistiques et la réglementation françaises, quant à elles, ont décalé le point d’intervention
des professionnels au moment où les dossiers ne sont plus utiles aux affaires et se retrouvent
poussés par les dossiers plus récents dans les recoins du bureau ou de l’ordinateur,
abandonnés aux amateurs de tri qui pourront y dénicher et y piocher ce que bon leur semblera.
Il est évident que ce glissement du centre de gravité vers une borne pauvrement logistique,
par suite du poids donné aux archives historiques dans l’organisation de la profession, à
contribué à forger une image sociale des archivistes proche de celle de débarrasseurs de
caves empoussiérées.
Heureusement, en ce début du troisième millénaire, les technologies numériques, avec les
possibilités et, paradoxalement, au travers des risques qu’elles suscitent, redonnent à ce que
représente et véhicule le records management l’actualité et l’acuité qu’il n’aurait jamais dû
perdre sous nos climats. L’information numérique est indissociable de l’émergence des risques
de volumes incontrôlables (l’électronasse succède à la paperasse), du défaut d’intégrité et de
l’’obsolescence des formats et des supports.
14
Le terme et sa définition sont publiés au Journal officiel de la République française le 22 avril 2009 (page 6949).
15
Model requirements for the Management of Electronic Records/ Exigences-types pour la maîtrise de l'archivage
électronique (voir première partie de l’article, point 3.2 « Archivage électronique et conservation numérique »).
16
Principles and Functional Requirements for Records in Digital Office Environments / Principes et exigences
fonctionnelles pour l’archivage dans un environnement électronique (voir aussi première partie de l’article, point
3.2 « Archivage électronique et conservation numérique).
17
Trois livres blancs utilisant cette terminologie ont été publiés entre 2010 et 2012. Voir notament :
http://www.archivistes.org/Publication-du-3eme-Livre-Blanc
18
Voir les témoignages en réponse à l’appel de Marie-Anne Chabin :
http://www.archive17.fr/index.php/Table/des-mots-pour-le-dire/traduction/
Le poids des mots…. et le choc des photos, dit le slogan journalistique. Voici un dessin qui en
dit effectivement plus qu’un long discours : il s’agit de l’illustration du concept de record dans
la norme européenne MoReq2010®, sous la plume de Jon Garde :
Figure 2.2 Illustration du mot « record »
Source : MoReq2010® – Volume 1 – Core Services & Plug-In Modules v1.0 , Page 20 of 520
19
Cette question a été débattue en octobre par quelques dizaines de professionnelles, de diverses professions et
originaires de divers pays sur mon blog (http://www.marieannechabin.fr/2011/10/traductibilite/).
La norme ISO 15489 souligne le rôle du records management comme réponse à une maîtrise
des risques de non disponibilité de l’information dans le temps.20 La divulgation est le danger
opposé, mis en avant par les politiques de sécurité de l’information.
Ces risques sont d’autant plus nombreux que l’information est abondante et sur supports
multiples, que les échanges se développent au travers de réseaux difficiles à contrôler, que la
pression des audits ou la menace des contentieux se fait plus grande.
Le schéma ci-après résume les cinq risques liés à la gestion de l’information qui engage la
responsabilité des entreprises (a priori du plus fort au moins crucial en termes de probabilités).
Figure 2.3 Les cinq risques auquel répond le records management
Le premier de ces risques tient au fait que certains documents ne sont pas archivés et ne sont
donc pas gérés. On met souvent en avant la question de la pérennité des données
numériques ; la question est réelle mais l’expérience montre que le plus souvent, lorsqu’on
n’est pas en mesure de produire le document recherché, ce n’est pas parce qu’il n’est plus
lisible mais parce qu’il n’a jamais été archivé ! Et s’il n’a jamais été archivé, ce peut être parce
qu’il est resté dans l’armoire ou dans la messagerie de son auteur ou destinataire (on voit ici
les conséquences néfastes de la personnalisation des documents d’entreprise), mais ce peut
être aussi parce que le document n’a jamais été produit : on a décidé, on a modifié les termes
du contrat au cours d’une conversation téléphonique mais on n’a pas tracé « en dur » cet acte,
pourtant engageant. On retrouve là une des fonctions majeures du records management qui
est de s’assurer de la production des documents qui tracent les actes et engagent la
responsabilité (la fameuse record creation qu’il ne faut pas confondre avec la création d’un
document au sens de l’élaboration de sa première version, contresens malheureusement très
fréquent).
20
ISO 15489 : chapitre 4 « une protection et un soutien en cas de litige, ceci incluant la gestion des risques du fait
de l’existence ou de la non-disponibilité d’une preuve » ; chapitre 7 : « évaluer les risques attachés à la non-
disponibilité de documents probants ».
21
Interview d’Isabelle Renard, avocate associée au cabinet Racine, et Catherine Leloup, secrétaire générale de
l'Association française de l'audit et du conseil informatiques (AFAI), Les Echos n° 20917 du 21 Avril 2011, page
8 - http://archives.lesechos.fr/archives/2011/LesEchos/20917-42-ECH.htm. On note que la journaliste des Échos
a retenu dans le titre le mot « archives » pour évoquer ce qu’un confrère anglophone aurait spontanément appelé
« records »…
L’archivage managérial
Le CR2PA s’est donné un slogan fort : « L’archivage managérial » qui se révèle à ce jour la
meilleure traduction du concept anglo-saxon de « records management ».
L’archivage managérial a été présenté lors d’un débat public intitulé « La politique d'archivage,
une affaire de dirigeants ? Bien sûr ! » en mars 2011
(http://www.atelier.net/events/galleries/politique-darchivage-une-affaire-de-dirigeants-bien).
La formalisation du concept part du constat suivant : d’un côté, l’arsenal réglementaire en
matière de conservation des documents est imposant ; de l’autre, les technologies savent
apporter la sécurité, l’intégrité, la traçabilité, la pérennité des documents numériques et gérer
les stocks papier ; et pourtant, la plupart des entreprises ne maîtrisent pas l’archivage de leurs
documents : entassement de papiers et fichiers inutiles voire dangereux, difficulté à retrouver
la preuve recherchée. N’est-ce pas paradoxal ? Le CR2PA note que :
l'information numérique se crée, sort, entre, circule, prolifère, se démultiplie, se
déforme, s'égare… et fait courir de nouveaux risques à l'entreprise et à ses dirigeants,
la réponse généralement donnée est axée sur la technique (sécurité, pérennité) et très
peu sur l’identification des risques et la définition des règles,
le « temps différé » accroît la difficulté : le défaut d’archivage d’aujourd’hui ne sera que
demain mais il sera trop tard pour le corriger.
L’archivage managérial repose donc sur la prise de conscience des risques du non-archivage,
la gouvernance de l’information qui engage l’entreprise, des responsabilités partagées dans
un projet transverse et stratégique qui doit mobiliser la direction générale. « Archiver, c’est
prendre une assurance » affirme Richard Cazeneuve, président du CR2PA dans la vidéo
Les responsables de projets d’archivage qui partagent leur expérience au sein du CR2PA (une
trentaine d’entreprises, établissements publics et administrations) sont de profils variés,
soulignant la nécessaire complémentarité des compétences pour un tel projet : ingénieurs,
spécialistes de la sécurité de l’information, professionnels de l’information, juristes, etc.
Les deux dernières rencontres du club portaient sur l’archivage des dossiers de la R&D
Ingénierie (chez Renault, 4 octobre 2011) et sur la data retention policy de la direction de la
Recherche et Innovation de L’Oréal, en lien avec la gestion des connaissances (8 mars 2012).
Elles ont mis en évidence :
la priorité de la démarche de records management sur la mise en œuvre de solutions
techniques : identification des risques et des documents ou dossiers qui les portent,
avant toute chose :
l’articulation de l’archivage avec les projets qui gèrent les autres facettes de
l’information dans l’entreprise : le collaboratif, le contenu et la connaissance, la
sécurité ;
l’association des professionnels de l’information avec les équipes métiers pour un
archivage efficace.
Nathalie Morand-Khalifa, Directeur Information Management Office à L’Oréal R&I, commente
ainsi son expérience dans un billet L’archivage managérial et le « KRM » (Knowledge &
Records Management) (http://cr2pa.fr/WordPress3/?p=396): « En parallèle à l’approche RM
se développait une démarche KM (Knowledge Management). Force est de constater que si
ces deux démarches ont au moins un point commun : la gestion de l’information, jamais elles
ne parviennent réellement à se rencontrer dans les entreprises ! » Or « archiver ce n’est pas
4 Conclusion
Les projets d’archivage se multiplient dans toutes les organisations parce que l’environnement
numérique favorise les risques attachés à la qualité, la sécurité, la pérennité et l’exploitabilité
de l’information qui engage dans le temps. Mais beaucoup de projets sont victimes de leur
complexité, du défaut de visibilité des priorités qui pourraient aider à la décision, de
l’inadéquation fréquente des solutions proposées et de la complexité des normes.
Cette analyse conduit à formuler deux souhaits.
Le premier de ces souhaits est d’éclairer davantage les utilisateurs sur les réalités concrètes
de l’information à risque et les enjeux du non-archivage dans les entreprises ou les
administrations. Qu’on utilise pour désigner la démarche le nom que l’on voudra, mais à deux
conditions :
1. que l’on n’utilise pas parallèlement ou alternativement quatre ou cinq appellations
concurrentes qui laisseraient croire aux utilisateurs et aux étudiants qu’il existe quatre
ou cinq disciplines distinctes…. alors que si on assimile bien les bases de la discipline
avec quelques mots de français courant, les choses sont assez simples : il y a des
documents qui engagent plus que d’autres la responsabilité, et il faut les archiver, les
mettre en sécurité, quel que soit leur support, avec les règles appropriées ; et cette
exigence part de la valeur propre de ces documents, dès le moment de leur production
(la record creation), et non d’une appréciation ultérieure et hypothétique des contenus ;
2. que l’on ne laisse pas croire aux utilisateurs et aux dirigeants qu’il est possible de gérer
les documents qui tracent la responsabilité d’une entreprise, ou même de constituer
des archives historiques sensées, en venant une fois par an trier un stock de fichiers
périmés !
Le second souhait concerne la simplification des normes : on peut comprendre que la
normalisation soit indispensable et que la clarification de tous les volets d’une discipline
devenue complexe dans le monde numérique nécessite de gros travaux d’expertise et de
spécifications techniques, mais la surenchère des normes, la course à la nouvelle norme plus
complète, plus longue, plus détaillée, ne risquent-elles pas de décourager l’utilisateur et de
nuire pour finir à la légitimité même des normes en la matière ? ISO15489 a vraiment posé
d’excellents principes, reconnus dans le monde entier. Le millier de pages de normes de la
dernière décennie pêche regrettablement en termes de clarté et d’applicabilité. Même si tous
ces textes sont dans le détail très pertinents, le plus urgent aujourd’hui est de fournir aux
utilisateurs une panoplie simplifiée et progressive de références normatives, bien équilibrée,
malléable, cohérente, complémentaire plus que concurrente, avec une traduction française
explicite, respectueux de la langue française et des usages.
5 Bibliographie
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http ://www.caldeson.com/RIMOS/barbat.html
Marcel Caya, La théorie des trois âges en archivistique. En avons-nous toujours besoin ?
conférence donnée à l’Ecole nationale des chartes en décembre 2004,
http://elec.enc.sorbonne.fr/document72.html
Chabin M-A, Je pense, donc j’archive, L’Harmattan, 1999, chapitre 2 « Tout est archive »
Chabin M-A, « E-records management et diplomatique numérique », in Traitements et
pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ?, Actes, ADBS, Collection :
Sciences et techniques de l'information, 2008
Chabin M-A, « Rôle et applicabilité des normes », Actes de la Ve conférence du DLM-Forum
(Toulouse, 10-12 décembre 2008), volume 1, pp 43-51, lire l’article :
http ://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/gerer/publications/actes/ - voir la présentation
Chabin M-A, Archiver, et après ? Djakarta Editions, 2007, 156 p.
Chabin M-A, Le management de l’archive. Paris, Hermès sciences publications. 2001. 191 p.
ISBN 2-7462-0107-0
Clanchy, M, From Memory to Written Record, London, 1979
Comprendre et pratiquer le records management. Analyse de la norme ISO 15489 au regard
des pratiques archivistiques françaises, par le Groupe métiers AAF-ADBS « Records
management », 2005
CR2PA. L’archivage des mails ou les utilisateurs face aux mails qui engagent l’entreprise.
Livre blanc. Paris, CR2PA. 2009. 20 p.
Chabin M-A, Watel Françoise. L’approche française du records management : concepts,
acteurs et pratiques. La Gazette des Archives. N°204, 2006, pp. 113-129
Dossier : Records management : gérer les documents et l'information. Pourquoi ? Comment
? Revue DocSI - Volume 46 : n 2/ Mai 2009
Drouhet G, Keslassy G, Morineau E. Records Management : mode d'emploi. Paris, ADBS,
2000. 125 p.
Duranti L, « Pour une diplomatique des documents électroniques », in Bibliothèque de l'École
des chartes, t 161, 2003, pp 603-623
Duranti L, Diplomatics : new uses for an old science, Archivaria n° 28 à 33, 1991-1992;
réédition sous le même titre : Scarecrow Press, 1998, Collection : Society of American
Archivists
IALTA France, Apprivoiser MoReq pour archiver et conserver l’information, Octobre 2007,
publié parallèlement par la FNTC et le CR2PA, 2008