Transition Énergétique by Bertrand Cassoret
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Sommaire
Couverture
Page de titre
Dans la même collection :
Sommaire
Préface de Brice Lalonde
Présentation du professeur Jacques Foos
Introduction
Chapitre 1. Qu’est-ce que l’énergie ?
Chapitre 2. La consommation d’énergie en France et dans le monde
Chapitre 3. Importance de l’énergie
Chapitre 4. Pollutions, dangers et problèmes des différentes sources d’énergie
Chapitre 5. Comparaison des dangers et problèmes des sources d’énergie
Chapitre 6. Ressources énergétiques
Chapitre 7. Scénarios de transition énergétique
Chapitre 8. Efficacité et sobriété énergétiques
Chapitre 9. Argent, trop cher
Chapitre 10. Mythes et légendes énergétiques
Chapitre 11. Alors que faire
Conclusion, perspectives
Bibliographie
Notes
Copyright
Résumé
Je tiens à remercier :
• Brice Lalonde, président de l’association Équilibre des Énergies, ancien
Ministre de l’environnement, ancien Ambassadeur des négociations
internationales sur le climat et ancien Coordonnateur exécutif de la Conférence
des Nations unies sur le développement durable.
• Jacques Foos, professeur honoraire au Conservatoire national des arts et
métiers, physicien, ancien directeur du Laboratoire des sciences nucléaires du
CNAM, pour son soutien, la relecture et la rédaction de l’avant-propos de cet
ouvrage.
• Mon collègue le professeur Raphaël Romary, enseignant-chercheur en génie
électrique à la Faculté des sciences appliquées de Béthune, université d’Artois,
pour la relecture de cet ouvrage et les discussions constructives que nous avons
eues.
• Ma femme Marina Lainé, pour sa relecture attentive, son esprit critique, ses
corrections et suggestions, et pour avoir supporté mes cogitations et insomnies
durant les mois de rédaction.
• Alain Luguet des éditions De Boeck Supérieur, pour la confiance qu’il
m’accorde et ses conseils.
Préface de Brice Lalonde
C’est un honneur pour un écologiste d’être sollicité pour la préface d’un livre
où l’auteur confronte aux lois de la physique quelques croyances et visions
communément attribuées aux écologistes. Périlleux, mais stimulant. Encouragé
par son évidente bonne foi, j’ai suivi Bertrand Cassoret, Candide moderne, dans
son panorama des consommations et des sources d’énergie ainsi que dans
l’exploration des choix possibles pour l’avenir de celles-ci, ce qu’on appelle la
transition énergétique. Transition ! Sait-on seulement où elle doit nous mener ?
C’est l’un de ces mots tant chargés de sens qu’ils finissent par s’émousser.
S’agit-il de clopiner le long d’un sentier côtoyant l’effondrement, mais menant
vers quelque monde idéal ? Ou, plus prosaïquement, de sevrer l’humanité des
combustibles fossiles pour préserver son meilleur allié depuis cent siècles, le
climat ? C’est cette voie que je retiens tant j’ai peur de la catastrophe climatique,
tant l’aveuglement des sceptiques et des cyniques me révolte.
Les combustibles fossiles, charbon, pétrole, gaz naturel, sont les premiers
responsables du désastre en cours, le réchauffement et son cortège de
catastrophes, mais aussi de la formidable prospérité des trois cent dernières
années. Sans doute ont-ils contribué à la rareté des guerres, des famines, des
épidémies depuis le dernier demi-siècle. Un trésor à préserver ! Remercions-les
et prions-les de s’en aller maintenant. Ils représentent encore 80 % de la
consommation d’énergie mondiale. Mais jamais l’humanité n’a été confrontée à
une telle accumulation de crises qu’aujourd’hui, nées de la destruction de la
nature. En bon pragmatique, Bertrand Cassoret ne méconnaît pas la pertinence
des interrogations sur la croissance indéfinie dans un monde fini, mais il se
concentre sur l’énergie, considérée comme l’un des principes, sinon le premier,
du progrès humain. L’énergie, c’est son job, il connaît, il la voit partout à
l’œuvre. Elle est omniprésente dans les activités sociales, à la maison comme
dans l’économie, dans toutes les machines, dans les transports et les
communications, au point que sa présence est souvent méconnue, ou du moins
considérée comme normale, acquise, jusqu’à ce qu’une panne, une grève ou une
augmentation des prix la rappelle à notre conscience.
Sortir des combustibles fossiles pour éviter les émissions nuisibles au climat,
telle est la transition. Rappelons que le CO2, gaz carbonique ou dioxyde de
carbone, émis chaque fois que l’on brûle du charbon, du pétrole ou du gaz
naturel, est le gaz à effet de serre le plus durable dans l’atmosphère. Le gaz
naturel imbrûlé, ou méthane, a une action néfaste plus puissante, mais
heureusement une durée de vie plus brève. Donc il faut éviter d’envoyer du CO2
ou du gaz naturel dans l’air. Il se trouve malheureusement que cet objectif
simple qui devrait servir de fil d’ariane dans le dédale des urgences quotidiennes
est concurrencé, voire supplanté, par d’autres objectifs qui, poursuivis sans
limite, le contrecarrent au lieu de le soutenir : réduire la consommation
d’énergie, réduire la part du nucléaire, accroître celle des renouvelables. Voyons
le détail.
Une belle unanimité s’exprime pour réduire la consommation d’énergie qui,
cependant, semble stagner. Au moins si le PIB augmente, c’est que la quantité
d’énergie par point de croissance diminue. Les progrès d’efficacité énergétique
sont toujours bienvenus, à condition qu’ils n’entraînent pas d’effet rebond (une
voiture économe permet de rouler davantage, ce qui annule le gain). Mais, à la
lecture des lois et de certains scénarios proposés pour la transition, il s’agirait
bien davantage de réduire massivement la consommation d’énergie des Français,
au moins de moitié, ce qui permettrait peut-être de s’en tenir aux sources
renouvelables. La faisabilité de ces scénarios est scrutée à la loupe par l’auteur
qui s’interroge d’abord sur l’ampleur d’une réduction qui confine à la pénurie.
L’énergie ne fait pas le bonheur, écrit-il, mais elle y contribue. La sobriété est
vertueuse. En revanche la privation pourrait déclencher une crise politique
majeure. La colère des gilets jaunes doit faire réfléchir. C’est donc du côté de la
demande, et non seulement de l’offre, qu’il convient de porter le regard. Passons
en revue les usages familiers de l’énergie dans la vie de tous les jours. Comment
voulons-nous habiter, manger, nous habiller, travailler, nous divertir,
communiquer, aller et venir, prendre des vacances ? Si nos consommations ne
sont pas tenables, à quoi faut-il renoncer, comment diminuer la
consommation d’une façon équitable ? Mais, à l’inverse, si l’énergie peut être
décarbonée et produite proprement, pourquoi faudrait-il empêcher les Français
d’en profiter ?
La désindustrialisation et les nouveaux marchés ont envoyé les usines en Asie,
augmentant ainsi l’empreinte carbone des Français laissée par leurs importations.
À cet égard la réindustrialisation du pays pourrait contribuer paradoxalement à
réduire les émissions mondiales si l’on considère que les exigences
environnementales de l’Europe sont plus sévères qu’ailleurs. En l’absence des
industries, les deux sources principales d’émissions de gaz à effet de serre du
territoire national sont les transports et les bâtiments. C’est donc là qu’il faut
porter les efforts.
L’industrie automobile est tenue aujourd’hui de produire des véhicules
électriques, les collectivités d’installer des bornes de recharge et tout le monde
de veiller à la propreté et au recyclage des batteries tandis qu’une
complémentarité pourra s’établir entre le véhicule, la maison et le réseau
électrique. Aux heures creuses on chargera la batterie de la voiture, aux heures
de pointe on vendra l’électricité de la batterie au réseau. Simple ! Mais où sont
les bornes de recharge qui devront être compatibles et communicantes. Où sont
les usines européennes de batteries. Pas si simple donc. Ajoutons tout de suite
que dans les années à venir, l’énergie des voitures particulières sera l’électricité,
et pas l’hydrogène parce qu’il faut savoir produire celui-ci proprement. En
revanche il est promis à un très grand avenir comme le compagnon de
l’électricité.
L’avenir de l’énergie sera en grande partie électrique pour trois raisons : parce
que l’électricité peut (et doit) être produite sans CO2, grâce à l’hydraulique, au
nucléaire et aux renouvelables ; parce qu’elle remplace efficacement et
proprement le pétrole dans de nombreux usages (véhicules par exemple) ; parce
qu’elle se prête naturellement à la digitalisation dont elle est le vecteur. Et la
digitalisation est l’auxiliaire indispensable d’une infrastructure électrique plus
complexe. Actuellement l’électricité couvre 25 % de nos consommations finales,
il faudrait que ce chiffre atteigne au moins 50 %. Et si l’hydrogène a l’avenir
devant lui, c’est qu’il peut offrir le meilleur stockage de l’électricité grâce à
l’électrolyse de l’eau, une façon de remplacer le pétrole par l’eau ! À terme
l’hydrogène décarboné pourrait devenir le combustible universel. Il naîtrait
d’abord des surproductions d’électricité générées par le bric-à-brac du réseau,
puis à partir de centrales dédiées. Il voyagerait tel quel, ou porté par une
molécule plus grande, dans les infrastructures fossiles reconverties. Une belle
perspective mondiale et une superbe entreprise collective à mener.
Quant aux bâtiments, dont le stock est renouvelé à raison d’un pour cent
chaque année, leurs émissions dépassent le volume que les pouvoirs publics leur
avaient assigné dans la Stratégie nationale bas-carbone. Tout simplement parce
que 80 % des bâtiments collectifs neufs sont chauffés au gaz. Étonnant n’est-ce
pas ? L’explication tient à une absurdité réglementaire appelée énergie primaire.
La réglementation française des bâtiments, dite RT 2012, fixe aux bâtiments
neufs un plafond de consommation d’énergie – mesurée en énergie dite primaire
– de 50 kWh par mètre carré et par an. Mais elle pénalise l’électricité, et
seulement l’électricité, d’un handicap qui lui impose de rester, elle, à moins de
20 kWh, ce qui de fait interdit le chauffage électrique.
Pourquoi cette inégalité ? Parce que l’électricité n’existe pas dans la nature
sous une forme accessible. Elle n’est pas une énergie primaire, il faut la produire
et, pour la produire, il faut dépenser de l’énergie. C’est parfaitement exact, mais
c’est sans intérêt dans la transition énergétique française si la priorité est la
réduction des émissions qui altèrent le climat. Au contraire cette réglementation
entrave l’objectif puisqu’elle barre la route à l’électricité décarbonée au profit du
gaz fossile émetteur de CO2.
La pénalité pouvait se comprendre quand l’électricité était produite à partir de
combustibles fossiles, ce qui est encore le cas en Allemagne, en Pologne et dans
bien d’autres pays. En effet, c’était plus efficace de brûler directement du
charbon dans sa chaudière plutôt que dans une centrale électrique dont on
utiliserait ensuite l’électricité pour se chauffer. Donc économiser l’énergie
primaire fossile a un sens. Mais tout change avec l’hydraulique, le nucléaire et
les renouvelables. On ne peut pas valoriser l’uranium autrement que dans un
réacteur nucléaire, ni une retenue d’eau autrement que derrière un barrage. À
partir du moment où l’objectif principal est de sortir des fossiles, il est paradoxal
que la politique française d’économies d’énergie dans le bâtiment se traduise par
une augmentation de la consommation de gaz et des émissions de CO2.
Pour associer les Français aux efforts d’économies d’énergie, il est logique
d’exprimer la consommation des bâtiments en énergie finale, c’est-à-dire celle
qui est réellement livrée et mesurée au lieu d’utilisation. C’est celle-là qu’ils
connaissent et qu’ils paient, donc qu’ils savent économiser. À l’inverse, soumis à
une mesure d’énergie primaire incompréhensible, ils sont alors prisonniers de
choix énergétiques imposés en amont des bâtiments par je ne sais quel comité
central. Aujourd’hui le chauffage électrique est d’autant plus performant que les
bâtiments sont bien isolés, que les radiateurs connectés et pilotables remplacent
les vieux convecteurs, et que la pompe à chaleur s’impose comme une source
d’énergie quasiment renouvelable fournissant trois fois plus d’énergie sous
forme de chaleur qu’elle n’en consomme sous forme d’électricité. Pourquoi cette
singularité réglementaire dans les bâtiments alors que l’électricité est, au
contraire, encouragée pour les voitures particulières ? Sans doute parce que le
gaz est un groupe de pression puissant et que les doctrinaires du rendement
énergétique traquent les calories sans se soucier des émissions de CO2.
Le chemin de la transition n’est pas le fleuve tranquille que l’on imaginerait
volontiers. Bertrand Cassoret aborde utilement la question sous l’angle des lois
implacables de la nature. Il s’étonne que de soi-disant experts s’en
affranchissent. Mais les faiblesses humaines et la politique s’en mêlent. Je n’ai
pas rencontré un ministre ni un député qui comprenne les enjeux de la mesure en
énergie primaire ou finale dans le temps qui m’était imparti pour les exposer. En
revanche j’ai rencontré beaucoup d’administrations et d’organismes qui
combattent l’énergie nucléaire plutôt que le changement climatique. Jusqu’à des
ministres qui se font une gloire de fermer d’autorité une centrale nucléaire en
parfait état de marche. La question va être de savoir si la place du nucléaire est
simplement réduite, par souci de diversification, ou carrément vouée à
disparaître par élimination. Quelles seraient alors les conséquences de chaque
branche de l’alternative sur l’objectif de réduction des émissions ? Les réponses
sont cruciales. Les politiques doivent baliser la transition. L’industrie a besoin de
s’organiser.
C’est l’éléphant dans la transition : l’énergie nucléaire… Oui nous sommes
quelques-uns parmi les écologistes à taire, voire abandonner, l’hostilité que nous
lui portions. Le changement climatique est tellement monstrueux que nous
voyons le nucléaire avec d’autres yeux. L’énergie nucléaire produit beaucoup
d’énergie avec très peu de CO2, elle occupe peu de surface, son impact est
moindre que celle du charbon, source d’énergie meurtrière, ou que celle du gaz
qui fuit au grand détriment du climat, et qui fait sauter des maisons de temps à
autre. Le nucléaire est donc très utile contre le changement climatique. Il est
grand temps que les antinucléaires cessent de se contorsionner pour nier
l’évidence. Le dénigrement systématique du nucléaire n’est plus de saison.
La mission première des écologistes est de défendre les conditions de vie à la
surface de la planète. Elles se détériorent gravement, frappées d’abord par le
dérèglement du climat qui est la mère des crises. Résumons : le nucléaire est un
allié puissant contre le changement climatique. Combattre un allié au lieu de
combattre l’ennemi, c’est risquer de devenir, qu’on le veuille ou non, complice
de celui-ci. Je ne voudrais pas que les écologistes vitupèrent le nucléaire par
dogmatisme, lui préférant même le gaz fossile, et deviennent la cinquième
colonne du changement climatique en rendant la bataille plus difficile à gagner.
Ce serait tragique.
Pour autant, si le nucléaire est indispensable dans la transition, et peut-être au-
delà, il n’est pas parfait, il coûte cher, il manie des produits dangereux, il laisse
des déchets durables. À la façon du capitaine Haddock avec son sparadrap, il est
sans cesse rappelé au suivi minutieux d’une chaîne d’activités qui semble sans
fin. Peut-on l’améliorer ? Pour ma part je pense qu’il faudrait renforcer une
gouvernance internationale et travailler à la transmutation des déchets. Si la
France suspend le projet de réacteur à neutrons rapides surnommé Astrid, elle
devrait coopérer à Myrrha, projet d’un prototype industriel de réacteur
transmuteur situé à Mol en Belgique. La transmutation se propose de réduire
d’un facteur mille la radiotoxicité des déchets, les amenant au bout de trois
siècles à la radiotoxicité de l’uranium dans la nature.
Bien entendu le nucléaire n’est pas la seule source d’électricité décarbonée. Il
devance aujourd’hui l’hydraulique et les autres sources renouvelables,
principalement éolienne et solaire. Il se trouvera bientôt flanqué d’énergies
renouvelables ou bien il deviendra plus modestement leur suppléant, selon le
rôle qu’elles joueront, second ou premier. Bertrand Cassoret est sévère avec
elles, notant que leur puissance est insuffisante, que leur production d’électricité
est somme toute assez faible, bien plus faible évidemment que leur capacité
théorique, en dépit des soutiens dont elles bénéficient. Mais le temps des
subventions généreuses s’achève et s’il est vrai qu’elles ont encore les pieds un
peu sales à cause des matériaux qu’elles font venir de Chine ou d’Afrique, il n’y
a pas de raison de se priver de l’apport du vent et du soleil lorsqu’il y en a.
L’intérêt du renouvelable est bien d’utiliser le revenu accordé par la nature plutôt
que d’épuiser le capital des sources fossiles ou minérales.
Il suffit de constater la croissance des capacités installées dans le monde et en
Europe pour comprendre, comme saint Thomas, que cette croissance est la
preuve de leur réussite. Les énergies renouvelables électriques commencent à
bouleverser le paysage de l’électricité, transformant l’équilibre des réseaux qui
passent d’une architecture centralisée de grosses centrales à un système
hétérogène, un bric à brac d’installations de toutes tailles, qui doit s’adapter aux
caprices de la lumière et du vent. Chères à l’investissement, mais quasi gratuites
au fonctionnement, les renouvelables électriques profitent de la tarification au
coût marginal (le coût d’un kilowattheure de plus) pour s’imposer et font tomber
les prix de gros de l’électricité à un niveau si bas qu’ils ne permettent plus
d’investir dans des installations pilotables. Sans doute faut-il revoir les règles du
marché européen. En effet il faut aux renouvelables un remplaçant en cas
d’interruption, une installation dite pilotable qu’on puisse actionner à la
demande en cas de carence. Ou alors un complément que nous n’avons pas
encore, le stockage de l’électricité à l’échelle et à la durée requises.
Aujourd’hui l’énergie photovoltaïque devient la source d’électricité la moins
chère. Dans le monde en développement, elle est la clé de l’accès à l’énergie, et
d’autant plus en l’absence de réseau. Mais elle n’est pas encore capable
d’alimenter les grandes villes. Doit-on partager les réserves de l’auteur ? Du four
solaire à la cellule photovoltaïque elle s’adapte à de nombreuses configurations
qui n’ont pas toutes été mises en œuvre. J’admire la métamorphose du photon en
électron, sans combustion, sans pollution. Mais je me demande parfois si la
vocation des renouvelables en France n’est pas d’abord d’assurer la résilience
locale, avec l’autoconsommation collective et les mini-réseaux, plutôt
qu’alimenter le grand réseau électrique européen par d’immenses centrales
solaires et des champs d’éoliennes titanesques. Est-ce que les grands pylônes et
les lignes électriques à haute tension résisteront toujours aux vents à 300 km/h ?
La course au gigantisme me trouble autant que le mépris des promoteurs
d’éoliennes à l’égard des mouvements de résistance. Ils sont traités comme
l’étaient jadis les opposants aux centrales nucléaires. « Fermez-la, c’est pour
votre bien ». Est-il séant qu’au nom de l’écologie on interdise de soulever des
objections aux installations d’énergies renouvelables, comme si elles n’avaient
aucun impact local ?
Les énergies renouvelables recouvrent de nombreuses sources d’énergie. On
parle le plus souvent des énergies renouvelables électriques, celles qui
concurrencent l’électricité déjà décarbonée produite par le nucléaire. Mais on
néglige parfois les sources renouvelables de chaleur qui, elles, réduisent les parts
de marché du mazout et du gaz, contribuant ainsi à lutter contre le changement
climatique. Il s’agit du solaire thermique (le chauffe-eau solaire) adossé à des
bâtiments bien exposés, de la géothermie sous toutes ses formes, du bois et de la
biomasse (avec précaution), de l’incinération des ordures liées aux réseaux de
chaleur urbains, de la récupération de chaleur fatale de nombre de procédés
industriels, voire des cheminées et des eaux usées, du gaz vert et, je l’ai dit, de la
pompe à chaleur qui connaît un succès croissant. S’il y a une priorité à donner
aux énergies renouvelables, c’est bien à celles-là.
La progression des renouvelables électriques est portée par la baisse de leur
coût et par l’idée très répandue que plus on a de renouvelables, mieux on se
porte. Et voilà de nouveau le hic. S’agit-il d’installer une proportion idoine de
renouvelables électriques ou d’aller vers le tout renouvelable, riposte au tout
nucléaire d’antan. Chaque fois qu’un organisme publie une étude affirmant que
l’on peut aboutir à produire cent pour cent d’énergie renouvelable en quelques
décennies, la presse s’ébaubit, les ministres de la transition crient hosannah et la
bonne nouvelle se répand. Mais il faut se plonger dans l’étude pour en découvrir
les biais. Bertrand Cassoret s’est donné le mal de les lire pour nous. À coup sûr
si les Français diminuaient drastiquement leur consommation d’énergie, si les
jours étaient longs toute l’année, le ciel sans nuage et les alizés soufflant sans
discontinuer sur l’Hexagone, ce serait sans doute possible. C’est le mérite de
l’auteur, et c’est à contre-courant d’une opinion répandue, de démontrer que les
énergies renouvelables ne parviendront pas seules à faire l’affaire, à moins d’une
réduction difficile à imaginer de la consommation.
Dans l’état actuel des techniques, il faut à la fois évaluer le nombre et la
surface des installations renouvelables pour obtenir une puissance électrique
garantie (plus de 1 000 éoliennes sont nécessaires pour fournir l’équivalent
garanti d’une centrale nucléaire), et en prévoir la relève quand il n’y a ni vent ni
soleil. En Allemagne c’est le charbon qui est le suppléant, et c’est pourquoi
jusqu’à présent l’essor des renouvelables n’a que très légèrement fait baisser ses
émissions de CO2. En France c’est le nucléaire. Mais on entend de plus en plus
parler du gaz comme le meilleur ami des renouvelables parce qu’il aurait une
flexibilité inégalée. Nous serions alors dans le pétrin si nos deux piliers de la
transition énergétique française, l’économie d’énergie primaire et les
renouvelables électriques, menaient tous deux à la promotion du gaz fossile. Tel
est le risque de la confusion des objectifs. Il s’agit d’abord de lutter contre le
changement climatique, non de multiplier à toute force les renouvelables.
Il y aurait encore un chapitre à écrire sur la neutralité carbone. Depuis l’accord
de Paris de 2015, réduire les émissions ne suffit pas, il faut encore atteindre la
neutralité, c’est-à-dire l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et
leur neutralisation, notamment par capture du CO2 émis dans l’atmosphère, soit
par un procédé artificiel, soit par la photosynthèse. Dans ce dernier cas il faut
accroître la biomasse végétale, par exemple en plantant des arbres qui
fabriqueront leurs tissus avec le CO2 de l’air. La gestion forestière et
l’agriculture en général, dont la version industrielle dépend trop du pétrole,
deviennent donc des acteurs de la transition énergétique. Brûler trop de bois ne
doit pas réduire la surface forestière parce que le puits de carbone serait moins
performant. C’est un élément de plus dans la complexité des politiques à mener,
mais aussi une opportunité pour les forestiers et les agriculteurs. Peut-être les
industries mettront au point un procédé de capture et de recyclage du CO2 qui
sera la base d’une nouvelle chimie.
Je ne peux qu’inviter le public – et les ministres – à lire l’ouvrage de Bertrand
Cassoret. Inquiet des découvertes qu’il a faites en explorant l’actualité de
l’énergie et les options de la transition en France, il souhaite les porter à la
connaissance de ses concitoyens. Il voudrait dissiper les illusions d’une
transition fraîche et joyeuse. Al Gore avait popularisé la réalité du changement
climatique sous le titre : une vérité qui dérange. Bertrand Cassoret emprunte les
mêmes mots pour nous avertir que la transition énergétique, et quelques-uns des
rêves qui l’accompagnent, se heurteront inévitablement aux lois de la physique,
ce qui contraindra notre liberté d’action.
L’avertissement est salutaire. Nos responsables se paient souvent de mots. La
France ne parvient pas à suivre la trajectoire du facteur quatre, la division par
quatre des émissions. Qu’importe, le Parlement vote le facteur six. Ça marchera
sûrement mieux ! L’écart entre les paroles et la réalité devient indécent. N’y a-t-
il pas un moment où la population demandera des comptes ? Greta Thunberg et
les siens auront bientôt l’âge de se présenter aux élections et d’ester en justice…
Dans cette préface, J’ai voulu appuyer l’avertissement en alertant sur les
risques créés par la confusion des objectifs de la politique française. Économiser
l’énergie, réduire la part du nucléaire, développer les énergies renouvelables sont
des programmes au service de la lutte contre le changement climatique. Ce ne
sont pas des buts en soi qui doivent être poussés isolément jusqu’au bout car, à
trop les forcer, ils sapent l’effort de réduction du CO2. La dose fait le poison. Il
ne faut pas prendre les moyens pour la fin.
Doit-on sombrer dans le pessimisme ? Dans mon esprit le chemin technique est
tracé : chaleur décarbonée, électricité décarbonée, hydrogène décarboné sont le
but à atteindre au terme de la transition, quels que soient les moyens employés.
Ce n’est pas gagné. Les obstacles matériels et financiers sont nombreux. Les
infrastructures opposent leur inertie au changement. Les habitudes sont ancrées.
Mais le plus difficile est dans la politique. Les groupes de pression des industries
fossiles résistent, les financiers sont conformistes, les erreurs font perdre du
temps, la démagogie égare l’opinion. Ce n’est pas l’objet de cet ouvrage qui
alerte sur les réalités de l’énergie, non sur ses faces politiques. J’en parle pour
nourrir le prochain livre de l’auteur.
Et j’ajoute que la tentation du repli sur soi pourrait miner la transition. Le
changement climatique est une affaire planétaire. Les peuples devront marcher
sur deux pieds : à la fois compter sur leurs forces et coopérer. Hélas le climat
devient déjà imprévisible et violent. Il faudra consacrer une partie croissante de
nos forces à nous adapter. Depuis l’origine de la convention des Nations unies
sur le changement climatique, les conférences se succèdent avec une inefficacité
consternante, mais les acteurs non étatiques ont pris le relais des négociateurs.
Entreprises, collectivités, associations, les Français, comme d’autres dans le
monde, s’informent et se mobilisent, ce livre y contribue. Là est l’espoir.
Brice LALONDE
Présentation du professeur
Jacques Foos
À la fin de l’année 2011, nous avons passé la barre des 7 milliards d’habitants
sur la planète et nous sommes 700 millions de plus au début de cette année 2020
(soit un rythme de + 230 000 par jour : 400 000 naissances moins 170 000
décès !) ! Cela nous conduit à plus de 10 milliards de terriens en 2050, dans
moins de 35 ans. Certains économistes se basent même maintenant sur 11 voire
12 milliards d’individus.
La croissance démographique implique bien évidemment de considérer pour
cet ensemble de populations, les besoins en eau, en alimentation, en éducation
sans oublier la santé. Or tout ramène à l’énergie.
L’alimentation des habitants de la planète dépend à la fois de la disponibilité
en eau, en engrais, en sols. Là aussi, la soif d’énergie est grande. On sait
combien les choix d’affectation des terres – entre ce qui sera consacré aux
cultures vivrières et aux bio-carburants – sont essentiels. Les émeutes de la faim
que l’on a vues dans certains pays en voie de développement sont
essentiellement dues à la spéculation sur les céréales dans les pays « riches »
anticipant la demande croissante dans ces applications.
Éducation ? Dans beaucoup de villages de l’Inde, le chef de la communauté
lance encore l’unique générateur d’électricité une heure le soir. Comment le
jeune élève peut-il faire ses devoirs ? Dans ces pays-là, l’avenir est dans le
développement du photovoltaïque (et dans ces pays-là seulement !)
La santé aussi est affaire d’énergie : prenons un seul exemple : la natalité. Une
femme qui porte un enfant et accouche seule, sans aide médicale, dans un village
africain, aura consommé pour cette conception quelque 90 kWh en neuf mois.
Une femme qui met au monde son enfant dans un pays « riche », après avoir eu
des visites médicales régulières, des échographies, un accouchement en
maternité, consomme pour cela, l’équivalent énergétique d’environ 4 000 kWh,
45 fois plus, mais c’est de l’énergie bien employée. L’avenir souhaitable est que
toutes les femmes du monde bénéficient de cette assistance médicale.
Cette évolution de la population mondiale va se traduire par une augmentation
considérable de la consommation en énergie. Nous devons non seulement suivre
la courbe démographique mais la dépasser pour mieux répondre aux besoins des
populations des pays en voie de développement.
N’oublions pas que le Monde dont nous faisons partie actuellement est
malheureusement simple à décrire dans ses inégalités : 1/5 de la population (où
nous nous trouvons) dépense 4/5 de l’énergie totale fournie actuellement par
cette planète. Or, au moins deux autres cinquièmes sont en voie de fort
développement, ce qui représente 2,8 milliards de Terriens. Les besoins
énergétiques de ces derniers sont considérables et il faut en tenir compte.
Rien qu’en conservant l’augmentation constatée au XXe siècle (2,35 % par an),
on arrive à un besoin annuel trois fois plus important que notre consommation
des années 2000. Comment penser que le monde va consommer l’énergie à un
rythme inférieur à celui du XXe siècle, siècle commencé avec 1,6 milliard
d’individus ? Bertrand Cassoret critique avec beaucoup d’humour et d’efficacité
les scénarios peu crédibles qui voudraient nous faire revenir au Moyen-Âge !
Ceci signifie que l’humanité ne peut s’affranchir d’aucune source d’énergie,
quelle qu’elle soit.
Depuis l’Accord de Paris et la COP 21, l’humanité a pris conscience du
réchauffement planétaire, prélude à divers dérèglements climatiques. Depuis,
chaque année, de telles réunions internationales ont lieu, regroupant des milliers
de délégués et observateurs représentant près de 200 pays auxquels se joignent
plus d’une centaine d’ONG. Du jamais vu jusque-là, une ampleur à la hauteur du
défi pour l’avenir de la planète. Or, si les décisions tardent à venir car, à côté des
vœux pieux et probablement sincères, se greffent les considérations
économiques, les divers débats qui ont eu lieu, les discours des chefs d’État et de
gouvernement ont conduit à ce consensus : la grande gagnante de cette
conférence est l’énergie décarbonée.
En effet, pour arriver à relever ce défi : limiter l’augmentation globale de la
température de la planète, il faut drastiquement réduire les émissions de gaz à
effet de serre, essentiellement le CO2, à côté d’autres gaz comme le méthane,
beaucoup plus nocif sur ce plan. D’où le terme « décarboné », encore inconnu
dans nos dictionnaires mais beaucoup utilisé actuellement. Difficile dans de
nombreux cas, comme pour le chauffage ou encore pour les transports aériens ou
maritimes, de se passer de l’énergie fossile mais pour la production d’électricité,
cela est tout à fait possible et à 100 %.
Mettons-nous à la place d’un dirigeant politique qui s’intéresse justement à une
production électrique décarbonée. Il va privilégier parmi les diverses formes
d’énergie, celle qui sera la plus fiable, la plus économique (lié à un fort
rendement de production électrique), la plus sûre (car la plus contrôlée), avec
l’emprise au sol la plus faible et donc la plus respectueuse de l’environnement
sous tous ses aspects.
Il va choisir (et c’est déjà bien parti) la production électronucléaire et ce
d’autant plus que les sources d’énergie intermittentes (photovoltaïque et éolien)
consomment toutes les ressources de métaux rares de la planète. Vous avez dit :
« développement durable ? »
De nombreux pays se tournent vers le nucléaire partout sur la planète. Il n’y a
jamais eu autant de réacteurs en construction qu’aujourd’hui et ne parlons pas
des projets !
Là encore, Bertrand Cassoret reprend avec une logique implacable la palette
des diverses énergies, sans passion, sans militantisme d’un côté ou de l’autre,
simplement avec une rigueur toute scientifique et beaucoup de bon sens.
Il permettra ainsi au lecteur qui, j’en suis sûr va dévorer son livre, de se faire
une opinion claire et simple de tous ces problèmes énergétiques et en sortir ainsi
renforcé pour mieux comprendre les divers débats sur ces sujets auquel il ne
manquera pas d’être confronté.
Jacques Foos1, janvier 2020
Professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers
Directeur de la Société nationale des sciences naturelles et mathématiques
(Cherbourg)
1. Derniers ouvrages parus : Peut-on sortir du nucléaire ? écrit en collaboration avec Yves de Saint Jacob
(éditions Hermann, Paris, octobre 2011, 270 p.), Prix du Forum Atomique Français 2012 et Regard sur la
Société d’aujourd’hui (éditions Hdiffusion, Paris, avril 2019, 260 p.).
Introduction
Quarante ans plus tard, on n’a toujours pas trouvé, notre monde est encore plus
dépendant des énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole), qui finiront forcément
par manquer un jour. Certes, une forte prise de conscience écologique a émergé
ces dernières années, liée en particulier au réchauffement climatique. Certes, on
développe beaucoup les énergies renouvelables et on lutte davantage contre les
gaspillages. Malgré cela, la consommation mondiale d’énergie fossile augmente
toujours. Un problème dramatique pour lequel on n’a pas de vraie solution.
Mon objectif n’est pas de critiquer les énergies renouvelables ni les nécessaires
mesures d’efficacité énergétique, mais plutôt de montrer qu’elles pèsent bien peu
face à l’ampleur des problèmes. L’objectif est encore moins de faire la morale,
de faire naître un sentiment de culpabilité et de critiquer les consommateurs,
dont je fais naturellement partie.
Je ne m’adresse pas qu’aux spécialistes, j’espère être compréhensible pour
tous, que les inévitables chiffres et petits calculs ne rebuteront pas certains
lecteurs. J’espère apporter ma pierre à l’édifice de manière rationnelle dans les
nombreux débats et points de vue sur les questions d’énergie.
Pour être sûr d’être compris, je dévoile tout de suite le message qui me semble
être le plus important : n’en voulez pas trop aux politiques si la situation se
dégrade, ils ne peuvent rien contre les lois de la physique. Ce livre est
pessimiste, et il me paraît important de l’être, car on est moins déçu quand on
s’attend au pire. L’excès d’optimisme tendant à montrer qu’il y a des solutions
agréables à ces problèmes risque de révolter ceux qui y croient et qui vont
naturellement penser, en voyant leurs conditions de vie se dégrader, qu’ils ont
été mal dirigés.
Je vais donc vous ennuyer avec des formules, des chiffres, des graphiques…
pour vous montrer que notre mode de vie n’est pas durable. Un discours assez
classique depuis quelques années, que vous avez probablement déjà entendu et
pas forcément envie de réentendre. À la différence que moi, je n’ai aucune
bonne solution à apporter à ces immenses problèmes. Bon courage !
La première édition de cet ouvrage, rédigée de 2015 à 2017, est sortie en mars
2018. Au printemps 2019 les éditions De Boeck Supérieur m’ont proposé une
réédition dont j’achève la rédaction en octobre. Par rapport à la première version,
la plupart des chiffres et graphiques en lien avec l’actualité ont été mis à jour.
J’ai également ajouté de nombreux compléments qui manquaient sans doute à la
première édition. En effet mon intérêt pour le sujet étant toujours aussi vif,
l’actualité du domaine étant importante, j’ai jugé pertinent de préciser et
compléter plusieurs paragraphes. Ainsi le lecteur trouvera davantage
d’informations sur l’origine de l’énergie, l’évolution de la consommation
mondiale, les liens avec le réchauffement climatique, le stockage du carbone, les
empreintes matières et surfaces des sources d’énergie, les scénarios de transition
et des éléments de solution. J’ai bien conscience que la complexité des
problèmes est telle qu’il est impossible d’être exhaustif, mais j’espère cette fois
être le plus complet possible pour apporter au lecteur une vue d’ensemble de tout
ce qui touche à la transition énergétique.
Les noms entre crochets […] renvoient aux références bibliographiques figurant
en fin d’ouvrage.
Chapitre 1
La notion d’énergie n’est pas facile à appréhender : l’énergie n’est pas toujours
visible ou palpable, elle est difficile à quantifier, elle n’est pas forcément
matérielle, on peut même ignorer son existence. Pourtant l’énergie est
indispensable à la vie, elle est omniprésente dans nos activités et les influence
considérablement.
Lois physiques
L’énergie permet de transformer notre environnement : créer des mouvements,
des rayonnements, des courants électriques, des réactions chimiques et toujours
de la chaleur. Ainsi il faut de l’énergie pour mettre une masse en mouvement ou
la déformer, pour s’éclairer ou créer des ondes électromagnétiques, faire
fonctionner nos nombreux appareils électriques, créer les processus chimiques
nécessaires à la vie, nous chauffer.
La photosynthèse par exemple est une réaction chimique qui permet aux
plantes de transformer l’énergie solaire en matière organique contenant des
calories alimentaires. Nos muscles peuvent alors transformer cette énergie en
mouvement permettant, par exemple, de pédaler pour entrainer une dynamo
produisant de l’électricité pouvant générer de la lumière et de la chaleur.
Toutes les sources d’énergie ne sont pas sur la figure 1, en particulier certaines
énergies marines.
Figure 1 Origine de l’énergie sur terre.
Énergie et puissance
L’énergie est souvent confondue avec la puissance. La puissance se mesure
généralement en watts ou couramment en chevaux-vapeur pour les moteurs à
pétrole, un cheval-vapeur correspondant à 736 watts.
La puissance est liée à une diffusion de l’énergie à travers, par exemple, un
rayonnement lumineux, des câbles électriques, une chaîne ou courroie en
rotation, une corde sur laquelle on tire, un radiateur diffusant la chaleur…
Une quantité d’énergie peut, par exemple, être un litre d’essence, un tas de
bois, une bouteille de gaz, un tas de charbon, une masse en hauteur, une masse
en mouvement, une assiette de frites.
Le compteur d’électricité compte l’énergie en wattheures, le compteur de gaz
compte l’énergie en mètres cubes, la pompe de la station-service compte
l’énergie en litres d’essence, le bûcheron compte l’énergie en stères de bois.
La puissance est une quantité d’énergie par unité de temps : puissance =
énergie/temps. Un réservoir d’essence est un réservoir d’énergie alors que le
nombre de litres d’essence consommés par heure correspond à la puissance
moyenne consommée. Inversement, il suffit, pour avoir l’énergie, de multiplier
la puissance par le temps. Ainsi, un appareil qui consomme une puissance de
1 000 watts pendant deux heures aura consommé une énergie de
2 000 wattheures (Wh). C’est cette énergie qui est généralement facturée.
Attention : il s’agit bien de watts multipliés par des heures, donc de wattheures
et non de watts par heure ou de W/h. Il est très courant de voir des articles,
même dans des journaux réputés, parlant de watts par heure, ce qui n’a pas du
tout le même sens (et a le don de m’agacer). Il est courant que des journalistes
parlent de consommation en watts par an, ce qui ne veut rien dire ; il faut parler
de wattheures par an. Un véhicule électrique consomme environ 15 kWh
(15 kilowattheures = 15 000 wattheures) pour parcourir 100 kilomètres, de
même qu’un véhicule à essence consomme environ 6 litres pour 100 km.
Quand on installe des éoliennes, des panneaux solaires ou des centrales
nucléaires, on parle de puissance installée en watts, c’est-à-dire de la puissance
maximale que ces systèmes pourront délivrer sous forme d’électricité à un
moment donné. Pour une éolienne, cette puissance dépend à chaque instant de la
force du vent, pour un panneau solaire de l’ensoleillement. La quantité d’énergie
fournie chaque année est obtenue en multipliant la puissance moyenne délivrée,
liée aux conditions météorologiques, par le nombre d’heures dans une année. Il y
a souvent confusion entre puissance installée et énergie produite.
Stockage de l’énergie
Le stockage de l’énergie est souvent difficile. Par exemple, lorsque l’on
comprime un ressort, on lui apporte de l’énergie qui reste stockée tant qu’il est
comprimé. Évidemment, ce ressort ne demande alors qu’à se détendre.
L’énergie n’aime pas être stockée et concentrée, elle cherche naturellement à
se dissiper. Le stockage de l’énergie est souvent dangereux : un réservoir
d’essence ou de gaz peut exploser pour libérer l’énergie, une masse en hauteur
peut tomber, un tas de bois peut prendre feu, un barrage peut rompre, un ballon
de baudruche gonflé peut exploser…
De plus, l’énergie s’obtenant en multipliant la puissance par le temps, la
puissance ne pouvant être infinie, le stockage ou le déstockage de l’énergie
prend forcément du temps. Un réel frein par exemple dans le développement du
véhicule électrique : même si on disposait de batteries capables d’emmagasiner
beaucoup d’énergie en peu de temps, le problème viendrait alors du réseau
électrique qui aurait des difficultés à fournir les appels de puissance nécessaires.
Une baguette de pain contient environ 700 kcal (kilocalories). Les courageux
pourront vérifier qu’il faut environ douze baguettes pour avoir autant d’énergie
que dans un litre d’essence.
Ordres de grandeur
Un kWh (kilowattheure) représente grossièrement la quantité d’électricité
fournie par 3 m2 de panneaux solaires photovoltaïques pendant une journée
moyenne en France. Cette quantité d’énergie correspond à moins de 7 km en
voiture électrique, moins de 2 km en voiture à essence, une à deux lessives au
lave-linge, cent heures de lampe à LED (10 W), cinq à quinze heures de
télévision, une heure de four à micro-ondes (1 000 W), une demi-heure de
radiateur puissant (2 000 W), moins de cinq minutes de douche (chaude, bien
sûr) (figure 2).
Figure 2 Production, stockage et consommation de 1 kWh.
La consommation d’énergie en
France et dans le monde
Source : Commissariat général au développement durable, Ministère de la transition écologique et solidaire [Datalab énergie]
Figure 7 Évolution de la consommation d’énergie finale par secteur en France de 1990 à 2017, en Mtep, corrigée des
variations climatiques.
Source : Ministère de la transition écologique et solidaire, septembre 2019.
Figure 10 Évolution de la consommation d’énergie primaire en Inde depuis 1965, en millions de tonnes d’équivalent
pétrole.
La production d’électricité
L’électricité ne représente que 19 % de l’énergie finale mondiale, et moins du
quart de l’énergie française. Toutefois, elle occupe une place importante sur la
scène médiatique, car elle peut être produite à partir de différentes sources
d’énergie comme le charbon, très polluant, le nucléaire, impressionnant, ou
l’éolien, plus à la mode. Elle est donc au centre de nombreuses polémiques. Pour
certains, « transition énergétique » rime avec « transition électrique ». Vous vous
souvenez peut-être du débat entre les deux tours de l’élection présidentielle de
2007. Ségolène Royal attaquait Nicolas Sarkozy en affirmant que le nucléaire ne
représentait que 17 % de notre électricité quand son rival penchait plutôt pour
50 %. En réalité le nucléaire représentait 78 % de notre électricité mais 17 % de
notre énergie.
La première source d’énergie au monde pour la production d’électricité est
aussi la plus polluante : le charbon, suivi par le gaz (figure 12). Mais on peut
aussi produire de l’électricité à partir de sources non fossiles : renouvelables
(hydraulique, éolien, solaire, bois, biogaz…) ou nucléaire. Il est donc probable
que le rôle de l’électricité augmentera dans le futur, lorsqu’on manquera de
pétrole pour faire avancer les véhicules ou de gaz pour créer de la chaleur.
Une caractéristique essentielle et problématique de l’électricité est qu’il est très
difficile de la stocker. Or sa consommation est très irrégulière. On en consomme
plus l’hiver, en particulier pour se chauffer et s’éclairer, que l’été. Sa
consommation varie aussi beaucoup au cours de la journée. En témoigne la
figure 11, extraite du site internet de RTE (Réseau de transport de l’électricité),
où l’on peut voir la puissance appelée en France au cours d’une journée froide
(7 février 2012, record de puissance consommée) et d’une journée chaude
(7 août 2012) ; les échelles sont les mêmes pour les deux journées.
Figure 11 Puissance consommée électriquement en France au cours des journées des 7 février et 7 août 2012.
Source : RTE.
D’autres moyens de stockage peuvent être utilisés comme, par exemple, l’air
comprimé. Mais ces moyens ne sont à ma connaissance pas envisagés à grande
échelle actuellement. Steven Chu, prix Nobel de Physique 1997, secrétaire à
l’énergie de Barack Obama entre 2009 et 2013, déclarait en 2019 « Je ne pense
pas qu’il soit possible d’atteindre 100 % d’énergies renouvelables dans un futur
proche. Nous n’avons pas assez de moyens de stockage d’électricité. » [CHU].
Les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont souvent perçus comme des
moyens de production locaux, proches des consommateurs, évitant les pertes de
transport dans les longues lignes électriques et permettant de se passer des
grosses entreprises de l’énergie. Pourtant, un argument souvent avancé par leurs
promoteurs vis-à-vis du problème de l’intermittence du vent et du soleil est le
foisonnement géographique : quand le vent ne souffle pas dans une région, il
peut souffler ailleurs ; le soleil ne se couche pas à la même heure partout. Les
éoliennes du Nord pourraient donc alimenter le Sud quand le vent n’y souffle
pas assez, et inversement ; les panneaux solaires de l’Ouest alimenter l’Est… Ce
raisonnement est très discutable, car il existe des moments, le soir en particulier,
où le soleil est couché et où le vent souffle très peu sur toute l’Europe. Une thèse
de Doctorat sur le thème « Potentiels et limites météorologiques et climatiques
d’un foisonnement des énergies renouvelables » explique : « malgré la très large
étendue spatiale que représente le continent européen, le foisonnement spatial
des capacités de production et une très large intégration du réseau, les épisodes
de très faibles vents et de production demeurent. Ces situations météorologiques
montrent les limites d’un foisonnement de la production d’énergie
renouvelable. » [Lassonde]. D’autre part, cet argument du foisonnement montre
bien que ces moyens de production n’ont rien de local. Il est clair aujourd’hui
que les éoliennes entraînent davantage d’échanges d’électricité entre régions et
pays, donc la construction de davantage de lignes électriques à haute tension.
« Plus le mix est composé d’énergies renouvelables, plus il est besoin de
capacités d’interconnexion », peut-on lire dans un rapport de la société Réseau
de transport de l’électricité [RTE]. Ces constructions rencontrent très souvent de
vives oppositions.
Importance de l’énergie
Énergie et croissance
L’activité économique, c’est-à-dire l’ensemble des actions que doit accomplir
la population humaine afin de satisfaire ses besoins grâce à la production de
biens et de services, nécessite de l’énergie pour extraire des matières premières,
les transformer, les transporter, les vendre, gérer l’administratif, proposer des
services…
Le PIB, ou Produit Intérieur Brut, reflète l’activité économique, donc l’activité
des êtres humains. Cet indice est contestable, car il ne reflète pas forcément le
bonheur humain. Il peut augmenter, par exemple, suite à une catastrophe
naturelle si la reconstruction nécessite de l’activité. D’autre part, certaines
activités non marchandes utiles ne sont pas incluses dans son calcul alors
qu’elles sont également consommatrices d’énergie. Toutefois, le PIB est sans
doute l’indice le plus révélateur de l’activité humaine. L’immense majorité des
politiques recherchent son élévation : en effet, le PIB par habitant mesure de
façon approximative le niveau de vie à travers l’accès à des biens et à des
services.
Dans les pays riches, le PIB s’est considérablement élevé après la Seconde
Guerre mondiale, en même temps que la consommation de pétrole. La figure 18
montre l’évolution de la consommation d’énergie dans le monde de 1800 à 2015.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, on consommait essentiellement du bois. Le charbon
est devenu dominant dans la première partie du XXe siècle, le pétrole dans la 2e
partie. On constate une très forte croissance depuis la deuxième guerre mondiale.
L’arrivée du pétrole et du gaz n’a pas fait diminuer la consommation de
charbon ; l’arrivée de l’hydroélectricité, du nucléaire et des autres renouvelables,
qui se voient à peine sur la figure, n’ont pas fait diminuer la consommation
d’énergies fossiles.
Figure 18 Énergie mondiale par source de 1800 à 2015.
(Il semble que les données concernant les énergies fossiles soient en énergie primaire, les autres en énergie finale.)
Source: https://ourworldindata.org/grapher/global-primary-energy, d’après Vaclav Smil (2017). Energy Transitions: Global and
National Perspectives & BP Statistical Review of World Energy.
Figure 20 Énergie consommée dans le monde en millions de tep, en fonction du PIB mondial en dollars US constants de
2010.
Il est donc très probable que le manque d’énergie a joué un rôle important dans
la crise dite financière de 2008. Il est également très probable que la légère
baisse de la consommation d’énergie en France depuis cette crise est liée à la
stagnation, voire la baisse inédite, du PIB de la France et du pouvoir d’achat des
Français depuis 2007, expliquant selon l’économiste François Bourguignon dans
le journal « Le Monde » du 6 mars 2019, la crise des gilets jaunes qui a débuté à
l’automne 2018.
Figure 24 Évolution de la production mondiale de pétrole de 1965 à 2018, en millions de tonnes d’équivalent pétrole.
Un ouvrage très important sur ces thèmes est le fameux rapport Meadows, Les
Limites de la croissance [Meadows]. Ce rapport est le fruit d’une étude démarrée
en 1972 par des scientifiques du Massachusetts Institut of Technology à la
demande d’un groupe de réflexion appelé « Club de Rome ». Les auteurs –
Donella Meadows, Jorgen Randers et Dennis Meadows – ont tenté de modéliser
informatiquement le monde avec des boucles d’action et de rétroaction, du style
« Si plus d’intrants agricoles, alors plus de nourriture », « Si plus de nourriture,
alors plus de population », « Si plus de population, alors plus de consommation
d’énergie, de pollution ou d’épuisement des ressources »…
En 2004, ces auteurs ont repris leurs travaux, constaté que les prévisions de
1972 étaient en bonne voie de se réaliser, et à nouveau essayé de prévoir les
conséquences d’une croissance exponentielle dans un monde fini. Leurs
conclusions font peur : en résumé, on évitera l’effondrement de la société si, très
rapidement, on stabilise la population mondiale et la production industrielle, on
améliore l’efficience de l’utilisation des ressources, on limite la pollution… La
plupart des scénarios mènent à l’effondrement de notre civilisation, c’est-à-dire à
une chute brutale de l’espérance de vie, donc de la population, de la production
industrielle, de la nourriture et des services par habitant, de l’indice de bien-être
humain. Les auteurs de ce rapport ont été vivement critiqués. Pourtant, les
civilisations qui se sont effondrées dans l’Histoire sont nombreuses, comme
l’explique Jared Diamond dans Effondrement [Diamond]. Les civilisations des
habitants de l’île de Pâques, des Polynésiens des îles Pitcairn, des Anasazis du
sud-ouest des États-Unis, des Mayas d’Amérique centrale… se sont effondrées,
essentiellement pour des raisons environnementales.
L’équation de Kaya
Afin de limiter le réchauffement climatique, les humains doivent réduire leurs
émissions de gaz à effet de serre, essentiellement du CO2 issu de l’utilisation
d’énergies fossiles. L’équation introduite en 1993 par l’économiste japonais
Yoichi Kaya permet de se rendre compte simplement de la difficulté de la tâche.
D’un point de vue purement mathématique, il est aisé de constater que des
simplifications s’opèrent et que cette équation est bonne. Si l’on veut diminuer
les émissions de CO2, il faut que le produit des quatre termes baisse. À l’échelle
mondiale, les experts du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat
(GIEC) estiment que, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° les
émissions de CO2 doivent diminuer de 45 % en 2030 par rapport à 2010, et d’au
moins 91 % en 2050 [GIEC 2018].
Énergie et emploi
L’apparition des machines énergivores remplaçant les humains a permis des
gains de productivité : c’est essentiellement grâce à l’énergie qu’il faut moins de
main-d’œuvre pour produire. Les machines énergivores ont permis d’augmenter
les quantités produites, et de déplacer la main-d’œuvre des champs vers les
usines, puis des usines vers les bureaux, puis… vers le chômage. Et c’est
logique : l’énergie nous est précieuse car elle sert à avoir moins de travail.
La consommation d’énergie a largement contribué à faire reculer la pauvreté
en améliorant les conditions de vie, et paradoxalement elle a fait grimper le
chômage. Les chômeurs ne vivent pas dans le luxe, mais heureusement la
majorité des chômeurs des pays riches vit dans un logement décent, mange
chaque jour, a accès aux soins médicaux, dispose d’écoles pour les enfants…
Les conditions de vie des ouvriers du XIXe siècle n’étaient pas meilleures que
celles de la plupart des chômeurs d’aujourd’hui. Le problème du chômage est
souvent vu comme le principal problème de nos sociétés riches. Et c’est
indéniablement un problème, mais celui de la pauvreté est pire, et il faut prendre
garde à ne pas faire baisser le chômage en augmentant la pauvreté. Peut-être que
le chômage diminuerait sans l’énergie nécessaire au fonctionnement des engins
agricoles et de chantier, car il faudrait faire tout ce travail à la main, mais je ne
suis pas sûr que la pauvreté diminuerait. L’accès au logement serait plus
complexe, celui à la nourriture également probablement. L’énergie permet de
faire travailler des machines à la place des hommes, donc d’avoir moins besoin
de main-d’œuvre. Donc l’énergie facilite la vie ; mais sans croissance de
l’activité, elle diminue l’emploi.
Je m’interroge quand j’entends dire que telle ou telle énergie est bonne
puisqu’elle crée des emplois : en poussant ce raisonnement à l’extrême, on
pourrait créer de nombreux emplois en faisant pédaler des humains. Les petits
calculs qui précèdent montrent combien cette production d’énergie serait
dérisoire par rapport au temps passé. L’intérêt de l’énergie est justement d’avoir
moins de travail ! C’est justement pour avoir moins de boulot que, depuis des
siècles, les humains ont utilisé l’énergie des bœufs pour tirer la charrue, le vent
pour faire avancer les bateaux, le courant des rivières pour moudre le grain…
Créer du travail n’est pas une qualité « normale » pour une énergie. Pour faire
face au problème du chômage, il faut sans doute davantage chercher du côté du
partage des richesses et de l’emploi que dans la croissance verte.
La décroissance
La croissance économique perpétuelle n’étant probablement pas possible,
certains aujourd’hui revendiquent la décroissance.
L’économiste Jean Gadrey se définit comme un objecteur de croissance. Dans
son ouvrage Adieu à la croissance [Gadrey], il explique fort bien que la croissance
perpétuelle n’est pas possible, et propose des pistes intéressantes pour vivre sans.
Il explique, par exemple, que la création d’emplois est possible dans l’isolation
des logements ou dans le basculement de l’agriculture conventionnelle vers le
bio. C’est sans doute vrai et souhaitable, mais l’accès à la nourriture et au
logement devenant plus complexe, il est à craindre que ces besoins
fondamentaux soient moins satisfaits dans le futur.
Dans le même état d’esprit, Tim Jackson, spécialiste en développement
durable, a écrit Prospérité sans croissance. La transition vers une économie
durable [Jackson]. Il y explique que, jusqu’ici, la croissance économique n’a
jamais été découplée des flux physiques, qu’il n’y a aucune perspective pour que
ce découplage se produise dans un futur immédiat, que « l’échelle même du
découplage requis… défie l’imagination », que ce découplage est un mythe. Il
explique qu’une économie basée sur la vente de services non matériels (clubs de
sport, services d’entretien et de réparation, activités artistiques, location de
biens…) ne peut pas générer une production économique en croissance
permanente, et que « lorsque les impacts imputables à ces activités sont
intégralement pris en compte, bon nombre d’entre elles s’avèrent au moins aussi
voraces en ressources que les secteurs manufacturiers ». Il suggère, à juste titre,
d’investir dans l’efficacité énergétique, le recyclage, les technologies sobres en
carbone, la réduction des déchets, la reforestation… mais précise qu’il n’existe
« aucun cadre macroéconomique cohérent orienté vers la durabilité ». Des
pistes sont évoquées, mais il n’y a pas dans cet ouvrage comme dans le
précédent de modèle montrant clairement comment devrait fonctionner une
société en décroissance. Je suis resté sur ma faim et je ne sais toujours pas
comment un dirigeant devrait financer les services publics, la santé et les
retraites dans ce monde. Il n’y a pas à ma connaissance de modèle économique
permettant de gérer une société en décroissance.
L’ancien Premier ministre Michel Rocard affirmait en mai 2015 au journal La
Tribune : « Nous sommes dans une situation d’aggravation extrême des
inégalités. La pauvreté baisse dans le monde, en raison de l’émergence de
nombreux pays, mais elle augmente chez nous un peu en moyenne, et surtout
s’exacerbe beaucoup pour certains. Mon intuition, c’est que la décroissance
commencerait par intensifier ces inégalités, et nous conduirait tout droit à
quelque chose ressemblant à une guerre civile. Je ne comprends pas comment
certaines personnes intelligentes, ayant une sensibilité écologique, n’ont pas
intégré cela. La décroissance, ou bien on la subit, et c’est une catastrophe, ou on
la provoque, et c’est pire. C’est donc exclu. Pour des raisons d’ordre public. »
J’ai l’impression que ceux qui ne craignent pas la décroissance sont souvent
des gens qui considèrent que le monde d’aujourd’hui n’est pas bon, que « c’était
mieux avant », que la technologie et la consommation d’énergie ont avant tout
apporté des problèmes, de la pollution, des maladies et la destruction de la
planète… On craint moins le « retour en arrière » si on pense que c’était mieux
avant. Je ne suis pas de cet avis : les connaissances scientifiques, les
technologies, le progrès ont, bien sûr, leurs inconvénients. Les innovations
nécessitent des réflexions et des adaptations de la société. Mais je pense que les
technologies énergivores ont, jusqu’ici, largement contribué à l’amélioration du
bien-être humain et je crains que la décroissance, même si elle est peut-être
inévitable, ne soit pas une perspective réjouissante.
Chapitre 4
Toutes les sources d’énergie ont leurs inconvénients, l’énergie propre n’existe
pas. En effet, toute construction humaine a un impact environnemental, utilise de
l’espace, des ressources naturelles, et contribue à diverses pollutions. La seule
énergie propre est celle qu’on ne consomme pas.
Le réchauffement climatique
Tout le monde a sans doute maintenant entendu parler du réchauffement
climatique. Ce phénomène est indéniable, il suffit d’aller se promener en
montagne et de comparer la situation actuelle des glaciers à celle que l’on voit
sur quelques vieilles photos pour constater un recul spectaculaire. Évidemment,
cela ne prouve pas que ce réchauffement soit d’origine humaine, créé ou
amplifié par les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, le
CO2 (ou dioxyde de carbone) en particulier dégagé lors de la combustion du
charbon, du pétrole et du gaz.
L’écrasante majorité des scientifiques qui se penchent sur ces questions estime
que les activités humaines sont largement responsables du réchauffement. Le
CO2 augmente l’effet de serre qui freine le rayonnement infrarouge de la Terre et
la diffusion de la chaleur vers l’espace. L’énergie solaire reçue par la Terre est
donc davantage piégée à cause du CO2.
Les énergies fossiles proviennent des plantes qui ont stocké lentement le
carbone présent dans l’atmosphère pendant des millions d’années sous l’effet de
l’énergie solaire et de la photosynthèse. Au début du XIXe siècle, les humains se
sont mis à brûler le charbon, le gaz et le pétrole, et ont ainsi libéré dans
l’atmosphère en deux cents ans grosso modo la moitié du carbone qui avait mis
des millions d’années à se stocker. Deux cents années par rapport à des millions,
ça signifie d’un seul coup et il ne me paraît pas du tout idiot de penser que cela
puisse avoir des conséquences.
Pendant longtemps, les émissions dues à la déforestation étaient dominantes
parmi les émissions de CO2 (les arbres libèrent en brûlant le carbone qu’ils ont
stocké en poussant). Depuis le milieu du XXe siècle, les émissions dues au
charbon, pétrole et gaz ont largement dépassé celles liées à la déforestation.
Aujourd’hui, elles représentent facilement dix fois plus.
Le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre. Le méthane issu en particulier de
l’agriculture, le protoxyde d’azote issu de l’agriculture et de l’industrie, et
d’autres gaz, contribuent également au réchauffement climatique. On
comptabilise généralement toutes les émissions en « équivalent CO2 ». Au
niveau mondial, environ 85 % des émissions de gaz à effet de serre anthropiques
proviennent du secteur de l’énergie. Au niveau français, ce pourcentage n’est
que de 70 % [Datalab climat], sans doute en raison d’émissions faibles pour la
production d’électricité. La figure 26 montre l’origine des émissions mondiales
de CO2 dues à l’énergie pour le monde et la France. Dans le monde c’est la
production d’énergie (essentiellement d’électricité pour 39 %) qui est la
première cause d’émissions de CO2. Rien de surprenant puisque la première
source d’énergie au monde pour la production d’électricité est la plus émettrice,
le charbon. Il faut donc s’y attaquer et remplacer le charbon dans la production
d’électricité par des sources moins émettrices. En France, l’électricité étant
essentiellement produite avec du nucléaire et de l’hydraulique, sources très peu
émettrices de gaz à effet de serre, c’est le secteur des transports qui est la
première cause d’émissions (dont plus de la moitié concerne les véhicules des
particuliers). Qu’a-t-on fait en France depuis 20 ans pour lutter contre le
réchauffement climatique ? Au lieu de s’attaquer aux transports et d’isoler
massivement les bâtiments, on a largement installé des éoliennes et panneaux
photovoltaïques afin de remplacer une électricité qui était déjà largement
décarbonée. Dans ces conditions il ne faut pas s’étonner que les émissions
françaises diminuent peu ! Dans son premier rapport publié en juin 2019 [HCC],
le Haut Conseil pour le Climat, organisme chargé d’émettre des avis et
recommandations sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre en
France, écrivait « la réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre de
1,1 % par an en moyenne pour la période récente, est quasiment deux fois trop
lente par rapport au rythme nécessaire pour la réalisation des objectifs », « la
plupart des mesures actuelles ne portent que sur une réduction marginale des
émissions ». Ce rapport soulignait la nécessité de s’attaquer aux transports (donc
au pétrole) et au chauffage (essentiellement du gaz). Selon les chiffres de cette
instance, la première chose à faire pour diminuer les émissions du territoire
français est de s’attaquer à la voiture, ce qui est beaucoup moins populaire que
d’inciter à la pose de panneaux photovoltaïques rapportant de l’argent à leurs
propriétaires.
Figure 26 Émissions de CO2 dues à l’énergie par secteur.
Sources : AIE 2017 (chiffres 2015)/ Agence Européenne de l’Environnement 2018/Commissariat général au développement
durable [Datalab climat].
La figure 27 montre l’évolution des émissions de CO2 du monde et des
principales zones émettrices : Asie et Pacifique, Amérique du Nord, Europe et
Eurasie, Moyen-Orient. On constate que les émissions mondiales augmentent.
La crise de 2008 a permis une légère baisse, suivie d’une belle reprise. Or,
d’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC), il faudrait, pour maintenir la hausse des températures à 1,5 °C, diminuer
de 45 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2010. On en
est loin !
Figure 27 Évolution des émissions de CO2 (en millions de tonnes) de 1965 à 2018.
Ce sont les pays asiatiques qui accroissent le plus leurs émissions tandis que
celles d’Amérique du Nord et d’Europe sont à peu près stables, des allures
semblables à celles de la consommation d’énergie. Rien de surprenant,
puisqu’on a ouvert une centrale au charbon en Chine chaque semaine de 2005 à
2014. Mais il serait incongru d’en rejeter la responsabilité sur les pays
asiatiques : leurs émissions sont largement dues aux produits que nous leur
achetons. Le Haut Conseil pour le Climat affirmait en juin 2019 concernant les
gaz à effet de serre de la France que « les émissions nettes importées
représentent 60 % des émissions nationales en 2015 » [HCC]. Autrement dit, nos
émissions de gaz à effet de serre réelles sont à multiplier par 1,6 par rapport aux
émissions du territoire.
De plus, il paraît nécessaire pour être juste de comparer les émissions par
personne. C’est ce qui est fait figure 28 : les émissions de la Chine, pays qui
génère pourtant plus de 27 % des émissions mondiales, représentent en fait, par
personne, bien moins que celles des Américains. Les plus gros émetteurs par
personne sont des pays producteurs de pétrole. On constate que la France ne s’en
sort pas si mal, polluant bien moins que l’Allemagne, qui est pourtant
régulièrement montrée en exemple de l’écologie : en 2018, un Allemand moyen
a émis 1,88 fois plus de CO2 qu’un Français moyen.
Figure 28 Émissions de CO2 par personne, en 2018, des pays responsables de plus de 0,8 % des émissions de CO2,
en tonnes de CO2 par personne.
Attention à ne pas se réjouir trop vite des baisses d’émissions que l’on peut
constater sur ces courbes : elles sont largement dues à la désindustrialisation qui
touche les pays riches ; l’empreinte carbone, qui tient compte des émissions
indirectes dues à la fabrication et au transport des produits que nous importons, a
augmenté en France de 54 % entre 1990 et 2012 [Empreinte]. D’après l’Insee,
l’empreinte carbone d’un Français moyen a légèrement augmenté de 2014 à
2017.
Une possibilité envisagée pour diminuer la quantité de CO2 dans l’atmosphère
est de le stocker sous terre, la technologie s’appelle CSC : Captage et Stockage
du Carbone. Au niveau des centrales électriques à charbon par exemple, on peut
capturer le CO2 et l’injecter dans des couches géologiques profondes. Les sites
potentiels les plus courants sont les aquifères salins (des roches poreuses), les
gisements épuisés de pétrole et de gaz et les veines de charbon non exploitées.
Bien sûr la capture n’est jamais complète, et surtout elle consomme de
l’énergie !
En 2019 il n’y a que 18 sites de CSC en fonctionnement dans le monde. De
plus ils concernent essentiellement des puits d’extraction de gaz naturel (du
méthane). Celui-ci y est mélangé à du CO2, il faut dans ces exploitations
absolument séparer ce dernier pour que le méthane soit utilisable. Le stockage
relève donc dans ces cas de la nécessité économique et non d’une démarche
environnementale.
Le GIEC explique que des centrales électriques équipées de systèmes de
stockage « n’apparaîtront sur le marché qu’à condition qu’une réglementation
incitative soit mise en place ou qu’elles deviennent compétitives vis-à-vis
d’unités de production non équipées, ce qui serait le cas par exemple si les coûts
d’investissement et de fonctionnement supplémentaires pouvaient être
compensés par un prix suffisamment élevé du carbone (ou directement par des
aides financières) » [GIEC 2014 GT III]. Il faudrait donc une importante taxe carbone
mondiale, renchérissant le prix de l’énergie fossile, pour que la technologie CSC
se déploie.
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, même si la part des énergies
fossiles dans la consommation primaire passait de 81 % à 60 %, la lutte contre le
réchauffement nécessiterait de multiplier par 77 la quantité de CO2 stockée
chaque année ! [SPS 329]. Il faudrait pour cela trouver suffisamment de sites
géographiques adaptés, évaluer les capacités de stockage, les faire accepter par
le voisinage, y transporter le carbone, gérer les fuites, trouver des
financements… Le géologue Bernard Durand affirmait en 2011 : « la nécessité
de disposer de stockages souterrains d’une sûreté indiscutable et n’interférant
pas avec d’autres activités est d’un point de vue physique le principal goulot
d’étranglement. Si les volumes théoriquement disponibles sont probablement
suffisants, il est loin d‘être acquis que l’on pourra définir des volumes de
stockages sûrs à un rythme suffisant. ».
Il me parait donc clair qu’on ne peut pas beaucoup compter sur cette
technologie CSC pour limiter le réchauffement climatique.
La comparaison des dangers des différentes sources d’énergie n’est pas facile,
car les problèmes posés ne sont pas toujours les mêmes. En tout état de cause, il
me paraît nécessaire de ramener les dangers et les inconvénients à la quantité
d’énergie produite.
Chapitre 5
Plusieurs études ont tenté de comparer les dangers des différentes sources
d’énergie permettant la production d’électricité. Voici les résultats de quelques-
unes.
Sans surprise le charbon, source d’énergie la plus utilisée dans le monde pour
produire l’électricité, est aussi la source émettant le plus de gaz à effet de serre.
Le gaz, en forte croissance ces dernières années, fait un peu mieux mais ses
émissions restent énormes par rapport aux technologies renouvelables et
nucléaire. Ces technologies n’émettent pas de gaz à effet de serre en
fonctionnant, mais il faut prendre en compte leur fabrication, maintenance, fin de
vie… Le nucléaire est au même niveau que l’éolien, et trois à quatre fois moins
émetteur que le photovoltaïque. Et encore, les technologies récentes
d’enrichissement de l’uranium, désormais utilisées en France, permettent un
nucléaire moitié moins émetteur à 6 g de CO2 par kWh. De plus il ne faut pas
oublier que l’éolien et le solaire ne produisent que lorsque vent/soleil sont
présents, donc ont besoin de centrales pilotables en parallèle ou de lourds
systèmes de stockage d’énergie dont l’impact n’est pas pris en compte ici. Le
nucléaire, lui, est pilotable et permet d’adapter la production à la demande sans
avoir besoin d’autres systèmes. On remarque également la médiocre
performance de la biomasse alors que des centrales au bois se développent.
Il y a de quoi s’arracher les cheveux en constatant dans un sondage paru en
2019 que la majorité des Français (69 %) pense que le nucléaire contribue au
réchauffement climatique ! Les sources d’énergie participant le moins au
réchauffement climatique sont donc l’éolien et le nucléaire.
Étude de Franz H. Koch, Hydropower-Internalized Costs and
Externalized Benefits [Koch]
Cette étude réalisée par Franz H. Koch de l’Agence internationale de l’énergie
présente les résultats de l’analyse du cycle de vie de la production d’un kWh
d’électricité. L’analyse du cycle de vie est une discipline assez récente qui tente
d’évaluer les impacts environnementaux depuis l’extraction des matières
premières jusqu’aux déchets produits. L’étude présentée ici s’intéresse aux
impacts sur les particules fines, de dioxyde de soufre, d’oxydes d’azote et de
composés organiques volatils. Évidemment, ces choix sont contestables, d’autres
critères auraient pu être pris en compte.
Source : d’après Hydropower-Internalized Costs and Externalized Benefits, Frans H. Koch, International Energy Agency –
Implementing Agreement for Hydropower Technologies and Programs, Ottawa, Canada, 2000 [Koch].
Sur la figure 35, le charbon est le champion des émissions de particules fines,
suivi cette fois par le bois, le photovoltaïque étant le troisième mode de
production le plus polluant. Le nucléaire serait cette fois l’énergie la moins
émettrice, suivi de près par l’hydraulique, puis l’éolien. Le photovoltaïque serait
sur ce critère plus polluant que le gaz. On remarque également la relative
nocivité du bois.
Figure 35 Émissions de particules fines générées pour la production d’un kWh d’électricité, en mg par kWh.
Source : d’après Hydropower-Internalized Costs and Externalized Benefits, Frans H. Koch, International Energy Agency –
Implementing Agreement for Hydropower Technologies and Programs, Ottawa, Canada, 2000 [Koch].
Source : d’après Hydropower-Internalized Costs and Externalized Benefits, Frans H. Koch, International Energy Agency –
Implementing Agreement for Hydropower Technologies and Programs, Ottawa, Canada, 2000 [Koch].
Figure 37 Émissions de composés organiques non volatils générées pour la production d’un kWh d’électricité, en mg par
kWh.
Source : d’après Hydropower-Internalized Costs and Externalized Benefits, Frans H. Koch, International Energy Agency –
Implementing Agreement for Hydropower Technologies and Programs, Ottawa, Canada, 2000 [Koch].
Source : d’après Electricity generation and health, Anil Markandya et Paul Wilkinson, The Lancet, 2007, vol. 370, pp. 979-990
[Markandya Wilkinson].
Figure 39 Morts dus à la pollution pour 100 TWh d’électricité produite en Europe.
Source : d’après Electricity generation and health, Anil Markandya et Paul Wilkinson, The Lancet, 2007, vol. 370, pp. 979-990
[Markandya Wilkinson].
Figure 40 Maladies graves dues à la pollution pour 100 TWh d’électricité produite en Europe.
Source : d’après Electricity generation and health, Anil Markandya et Paul Wilkinson, The Lancet, 2007, vol. 370, pp. 979-990
[Markandya Wilkinson].
Les auteurs ont publié en 2001 une synthèse du projet ExternE (External Costs
of Energy) de la Communauté européenne concernant les coûts externes de la
production d’électricité. Cette étude s’est intéressée aux coûts financiers et aux
dommages liés à la pollution générée par différents moyens de production de
l’électricité. Les pertes d’espérance de vie, exprimées en années de vie perdues
par TWh d’électricité produite, sont données figure 41. L’éolien est le moins
meurtrier, suivi de près par le nucléaire. Le fioul (pétrole) et le charbon sont
clairement les plus dangereux, bien que je n’aie fait figurer ici que les
technologies récentes (c’était pire auparavant).
Figure 41 Années de vie perdues par TWh d’électricité produite.
Source : d’après A. Rabl & J.V. Spadaro, Les Coûts externes de l’électricité [Rabl Spadaro].
Cette étude a été publiée en 2013 dans la revue Environmental Science &
Technology, revue scientifique très reconnue. Les auteurs, qui ont pris en compte
les conséquences des catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, estiment que
le nucléaire a permis d’éviter 1,8 million de morts par rapport à une
production d’électricité qui aurait été effectuée avec des énergies fossiles. Ils
estiment également que le développement du nucléaire pourrait, d’ici au milieu
du XXIe siècle, éviter de 420 000 à 7 millions de décès.
Le nucléaire
Le raisonnement cartésien, scientifique et rationnel que j’essaie de tenir, me
conduit à défendre le nucléaire. Le sujet est tellement clivant que certains
lecteurs vont sans doute maintenant se fâcher avec moi, m’accuser d’être en
conflit d’intérêts, d’être à la solde de l’affreux lobby nucléaire.
Je n’ai absolument aucun intérêt financier de près ou de loin dans le nucléaire.
Mon seul intérêt personnel est de défendre mon avenir et surtout celui de mes
enfants qui devront probablement vivre dans un monde plus dur parce que
disposant de moins d’énergie. À l’âge de 14 ans je portais le badge « Nucléaire ?
Non merci » ; à 20 ans, je me disais qu’il fallait trouver autre chose.
Aujourd’hui, je pense qu’il n’y a pas de solution sans inconvénients et qu’il faut
faire les moins mauvais choix.
Les inconvénients du nucléaire [Basdevant], en particulier les déchets et le risque
d’une catastrophe, sont réels, très connus et médiatisés, et font souvent plus peur
que ceux du manque d’énergie ou des énergies fossiles. Pourtant, le manque
d’énergie est potentiellement catastrophique pour les humains. Pourtant, les
énergies fossiles sont clairement plus dangereuses.
La radioactivité fait très peur, mais elle existe à l’état naturel : en particulier,
en France, en Bretagne (notamment sur la très touristique Côte de Granit rose),
dans le Massif Central, en Corse ou dans les Vosges. Le rayonnement cosmique
est radioactif. En médecine nucléaire, on administre volontairement aux patients
des produits radioactifs. On irradie couramment des aliments pour mieux les
conserver (les fraises, en particulier), évitant ainsi l’usage de pesticides. De
nombreux aliments sont naturellement radioactifs ; les bananes le sont même
suffisamment pour être détectées par les douanes. L’être humain est
naturellement radioactif : environ 8 000 becquerels pour un adulte. Évidemment,
cela ne signifie pas que la radioactivité soit sans danger ; cela dépend du type de
rayonnement et surtout de la dose. Le débat sur les seuils de dangerosité existera
toujours, mais il me paraît aberrant de considérer la radioactivité comme
dangereuse quelle que soit la dose, comme le font certaines associations qui
alarment les populations en avançant le fait d’avoir relevé des taux de
radioactivité supérieurs à la « normale » : le niveau peut être largement supérieur
au taux naturel « normal » sans pour autant dépasser les normes et poser
problème.
Bien sûr, le nucléaire peut être dangereux. Mais la bonne question est de savoir
s’il est plus ou moins dangereux que les autres possibilités. Au regard des
inconvénients présentés par les énergies fossiles et du manque d’énergie, le
rapport bénéfice/risque me paraît être largement en sa faveur.
La pollution sous la forme de déchets nucléaires concentrés, emballés,
confinés, connus, maîtrisés et à longue durée de vie, me semble préférable à la
pollution dispersée, incontrôlée, et à durée de vie infinie des énergies fossiles. Le
mercure, par exemple, un poison largement issu de la combustion du charbon, se
retrouve dans les océans et dans la chair des poissons que nous mangeons, et sa
durée de vie est infinie.
En France, dans le cadre du projet Cigéo, on s’apprête à stocker des déchets
nucléaires dans des souterrains, à environ 500 mètres de profondeur, dans une
couche de roche argileuse imperméable choisie pour ses propriétés de
confinement sur de très longues échelles de temps ; cette couche est stable
depuis 150 millions d’années [Sorin]. Cette solution me paraît raisonnable et
absolument sans danger pour les populations riveraines. Elle ne plaît, bien sûr,
pas aux antinucléaires, puisqu’elle leur enlève l’argument qu’on ne sait pas quoi
faire des déchets.
Quinze réacteurs nucléaires ont été entièrement démantelés dans le monde. Le
démantèlement du réacteur de la centrale de Maine Yankee aux États-Unis,
d’une puissance de 900 MW proche de celle de la plupart des réacteurs français,
a été effectué en huit ans pour un coût raisonnable de 500 millions de dollars.
Aujourd’hui, des vaches paissent paisiblement à l’ancien emplacement et je
boirais leur lait sans crainte. Il est donc faux d’affirmer que le démantèlement est
impossible.
Certes, le risque d’une nouvelle catastrophe nucléaire ne peut pas être
totalement exclu malgré les énormes précautions désormais prises. Les
controverses sur les conséquences des catastrophes de Tchernobyl et de
Fukushima existeront toujours. D’après l’Organisation mondiale de la santé, la
catastrophe de Tchernobyl a fait quelques milliers de morts [OMS Tchernobyl], mais
le charbon tue des centaines de milliers de personnes chaque année. Les
énergies fossiles représentent, en nombre de morts, plusieurs centaines de
Tchernobyl chaque année ! Les rejets radioactifs dus à la catastrophe nucléaire
de Fukushima auront sans doute un impact sur la santé, mais on peut lire sur le
site internet de l’Organisation mondiale de la santé que « les risques prévus sont
faibles pour l’ensemble de la population à l’intérieur et à l’extérieur du Japon ».
Le rapport de 2013 du Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des
effets des rayonnements ionisants [UNSCEAR] [GEO] affirme qu’« aucun décès,
aucune maladie grave ayant un lien avec des radiations, n’a été observé parmi les
travailleurs et l’ensemble de la population à la suite de l’accident de
Fukushima », « aucune conséquence perceptible des radiations n’est à prévoir
parmi le public exposé ou ses descendants », « l’accident de Fukushima n’a fait
aucune victime, décès ou malade, du fait des radiations émises, et que dans
l’avenir, les conséquences de ces mêmes radiations seront trop faibles pour être
discernables » ; un rapport écrit par quatre-vingts experts de dix-huit pays,
confirmé en 2015, et largement ignoré des médias français.
Ceux qui se méfient de ces sources d’information trop officielles peuvent se
rendre sur le site Wikipedia [wiki Fukushima] : on peut y lire que 45 à 55 personnes
sont mortes du fait de l’accident ou de l’évacuation du secteur de Fukushima,
moins de 20 personnes ont été gravement blessées ou fortement irradiées, moins
de 1 000 personnes ont été blessées légèrement ou faiblement irradiées. C’est
trop, mais c’est aussi dérisoire face aux maladies dues aux autres sources
d’énergie.
On me dira que ces rapports rassurants émanent de personnes en conflit
d’intérêts, sous l’influence du fameux lobby nucléaire, et que d’autres rapports
concluent à des conséquences bien plus importantes. Mais ces autres rapports
émanent bien souvent de militants antinucléaires dont l’objectivité n’est pas
davantage acquise, tant ils veulent montrer les dangers de ce qu’ils combattent.
Les associations qui luttent contre le nucléaire perdraient tout intérêt (et donc
financements et emplois) si elles se mettaient à confirmer les chiffres officiels.
Je pense que les chiffres de l’UNSCEAR et de l’OMS, qui sont des émanations
de l’Organisation des nations unies, sont les plus fiables. Comme le fait
remarquer Jean-Marc Jancovici, le GIEC est également issu de l’ONU et, mis à
part quelques irréductibles climato-sceptiques, peu de gens contestent ses
chiffres. Les lobbys des énergies fossiles n’ayant pas réussi à faire taire le GIEC
sur leur rôle néfaste dans le réchauffement climatique, on voit donc mal
comment le lobby nucléaire, bien moins important que celui des fossiles,
pourrait avoir une influence importante sur les rapports de l’ONU.
Ressources énergétiques
Ressources fossiles
Je le répète : plus de 80 % de l’énergie mondiale consommée est d’origine
fossile, c’est-à-dire issue d’un stock qui ne se renouvelle pas, alors que les
besoins vont en augmentant. Il faut chaque année avoir plus d’énergie à
disposition, c’est-à-dire chaque année extraire plus de pétrole ou de gaz que
l’année d’avant. Il est évident que cette fuite en avant ne se poursuivra pas
indéfiniment. On peut toujours penser que nous n’en manquerons pas avant
longtemps, mais il est clair que cela arrivera.
Une mauvaise question consiste à se demander en quelle année nous n’en
aurons plus. En effet, cette question suppose que la production s’arrêtera d’un
seul coup. La réalité sera probablement bien plus complexe, au gré de
l’évolution des techniques, de la découverte de nouveaux gisements plus ou
moins difficiles à exploiter, des variations des prix et des crises économiques. Le
plus probable est que la production passera par un maximum, pourra stagner,
avant de décliner. Le passage par le maximum fait l’objet de nombreuses
théories et débats. Le géophysicien Marion King Hubbert ayant le premier, dans
les années 1940, suggéré une courbe en forme de cloche avec un pic de
consommation, on parle de « pic de Hubbert ».
• Concernant le pétrole, certains estiment que le pic est déjà passé ou en train
de passer ; d’autres plus optimistes ne le voient que dans quelques décennies, en
particulier grâce au pétrole de schiste et à la fracturation hydraulique (des
techniques controversées). En tout cas, quasiment personne ne prétend que le
pétrole sera encore abondant à la fin de ce siècle. Ce qui est clair, c’est que le pic
du pétrole conventionnel est passé. La production se maintient grâce aux pétroles
non conventionnels comme les sables et schistes bitumineux ou les huiles extra-
lourdes. Le pic des découvertes est aussi passé : on découvre chaque année
moins de pétrole qu’on en consomme. Même les firmes pétrolières ne remettent
pas en cause la proximité des problèmes d’approvisionnement. Michel Mallet,
Directeur de Total Allemagne déclarait en 2009 : « dans l’avenir, nous devrons
investir davantage simplement pour maintenir la production actuelle. ».
Christophe de Margerie, PDG de Total, affirmait dans le journal Le Monde en
2013 qu’en raison de nos capacités limitées à transformer les ressources
pétrolières, « le niveau de production de pétrole devrait donc commencer à
plafonner vers 2020-2025 ». Le PDG de Shell, Peter Voser, déclarait en 2011 :
« La production des champs existants décline de 5 % par an à mesure que les
réserves s’épuisent, si bien qu’il faudrait que le monde ajoute l’équivalent de
quatre Arabie Saoudite ou de dix mers du Nord dans les dix prochaines années
rien que pour maintenir l’offre à son niveau actuel, avant même un quelconque
accroissement de la demande. ». Dans le même style : Patrick Pouyanné, PDG
de Total, dans le journal Le Monde en 2018 « après 2020, on risque de manquer
de pétrole » et en 2019 dans le Journal du Dimanche « à l’horizon vingt ans, le
marché du pétrole devrait commencer à décroître » ; l’Agence Internationale de
l’énergie en 2019 « ces trois dernières années, le nombre de nouveaux projets
approuvés de production de pétrole conventionnel ne représente que la moitié du
volume nécessaire pour équilibrer le marché jusqu’en 2025… »
Je vous invite à lire La Vie après le pétrole de Jean-Luc Wingert [Wingert],
Pétrole apocalypse d’Yves Cochet [Cochet], Pétrole, la fête est finie de Richard
Heinberg [Heinberg], Le plein, s’il vous plaît de Jean-Marc Jancovici [Jancovici le
plein] ou encore Or noir de Mathieu Auzanneau [Auzanneau]. Rien de bien
réjouissant dans tous ces ouvrages. Leurs auteurs estiment tous que l’ère du
pétrole abondant ne durera plus et que les conséquences en seront énormes.
Maarten Van Mourik et Oskar Slingerland, cadres de compagnies pétrolières,
expliquaient en 2014 « au final il n’existe plus dans le monde d’endroits oubliés
où l’on pourrait encore trouver du pétrole et il n’existe nulle part de quantités
substantielles de pétrole pouvant encore être exploitées rapidement à faible
coût » ; « tout nous indique que nous sommes plus proches que jamais des
limites du maximum de capacité de production de pétrole » [Mourik].
Philippe Charlez, expert en mécanique des roches pour Total, spécialiste des
ressources non conventionnelles, écrivait en 2017 « Malgré une abondance
apparente de ressources, les combustibles fossiles sont de plus en plus
complexes à exploiter et donc à produire », « la proximité des pics se compte en
quelques dizaines d’années, guère plus » [Charlez].
Le spécialiste français Mathieu Auzanneau déclarait en août 2019 « l’Agence
Internationale de l’Énergie considère que le seul moyen de maintenir la
production de pétrole, c’est l’exploitation de l’huile de schiste aux États-Unis.
Une industrie qui est en plein boom aujourd’hui mais qui présente de plus en
plus de signes de fragilités techniques et financières, ce qui semble exclure un
doublement voire un triplement de cette production, pourtant nécessaire pour
compenser le manque de pétrole conventionnel ».
• Les réserves de gaz naturel seraient légèrement supérieures à celles du
pétrole, mais sa consommation augmente beaucoup, car il est de plus en plus
utilisé pour le chauffage et la production d’électricité (figure 30). La France
refuse d’exploiter les gaz de schiste sur son territoire pour des raisons
environnementales très compréhensibles, mais d’après l’observatoire des
multinationales, elle importerait depuis 2018 du gaz de schiste américain par
navire méthanier. Il y a donc une certaine hypocrisie dans l’attitude française.
• Malheureusement, les réserves de charbon semblent être dans une situation
nettement meilleure. Vous l’avez compris, le charbon est de loin la plus
polluante, nocive, dangereuse de toutes les sources d’énergie. Il est très utilisé
pour la production d’électricité, mais pourrait un jour aussi servir à faire avancer
les véhicules : on sait produire à partir du charbon un genre d’essence
synthétique, un procédé déjà utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale afin
d’approvisionner la Wehrmacht qui manquait de pétrole, un procédé très
polluant, bien sûr… Les besoins en énergie augmentant avec la population
mondiale et le développement des pays pauvres, il y a fort à parier que le
charbon restera une énergie importante malgré la pollution, le réchauffement
climatique et les engagements de dirigeants désarmés face à la complexité des
problèmes.
Au fur et à mesure que les ressources fossiles diminuent, il faut aller les
chercher de plus en plus loin. Il faut donc plus de main-d’œuvre, de matériaux,
et surtout plus d’énergie pour aller les chercher. De l’énergie pour de l’énergie !
Au Canada, pour exploiter les sables bitumineux, on consomme un baril de
pétrole pour en extraire trois ou quatre… Nous y reviendrons.
La fusion nucléaire est encore une autre technologie très différente qui pourrait
voir le jour dans un avenir plus lointain. Il s’agit en gros de reproduire les
réactions se produisant à la surface du Soleil. Le projet international ITER est en
construction en France près de Cadarache.
Ressources renouvelables
Faire l’inventaire de toute la puissance renouvelable potentielle dans le monde
est un exercice extrêmement difficile. La Terre reçoit chaque année du Soleil
environ 8 000 fois l’énergie consommée par les humains, et le noyau en fusion
de la Terre laisse s’échapper environ le double de ce qu’ils consomment [Ben
Ahmed], ce qui fait dire à certains qu’il est évident que les énergies renouvelables
peuvent facilement satisfaire les besoins humains. Ce raisonnement est à mon
avis un peu trop simple, car savoir capter, concentrer, stocker, transporter les
énergies renouvelables par nature dispersées est très complexe. Les activités
humaines ont explosé avec l’exploitation des énergies fossiles au contraire très
concentrées.
• Solaire : capter l’énergie solaire nécessite de la place, car le rayonnement
solaire reçu est directement proportionnel à la surface. Plus de 71 % de la
planète est recouverte d’océans sur lesquels on imagine mal placer des panneaux
solaires. Sur terre, ils ne doivent pas perturber la végétation (la photosynthèse ne
se ferait, bien sûr, pas correctement sous les panneaux qui auraient absorbé
l’énergie solaire à la place des plantes) ; les espaces potentiels diminuent alors
considérablement.
On peut sans doute utiliser des jachères agricoles et des friches industrielles
pour y placer des panneaux photovoltaïques. En négligeant les énormes
problèmes de transport et de stockage, il faudrait environ 5 000 km2 pour
produire toute l’électricité française (et non toute l’énergie). Cela représente
quand même grosso modo la surface d’un département français à trouver, et sur
laquelle la végétation ne pousserait plus normalement. Il en faudrait au moins
quatre fois plus pour produire toute l’énergie consommée en France.
D’où l’idée de mettre des panneaux là où il n’y a déjà plus de végétation, c’est-
à-dire sur les toits. En France, chaque mètre carré au sol reçoit du soleil un peu
plus de 1 200 kWh chaque année. Un panneau photovoltaïque d’un rendement
d’environ 10 % produit donc un peu plus de 120 kWh par mètre carré chaque
année. Il y a environ 30 millions de logements en France, ce qui fait moins de
30 millions de toits puisqu’il y a des logements collectifs. Mais il y a des toits
d’usines, de commerces, de bureaux… Tous ne sont pas exposés au sud,
orientation privilégiée pour le solaire, et certains toits sont à l’ombre de
bâtiments ou comportent des obstacles comme des cheminées ou des fenêtres.
Donc je pense que garder cet ordre de grandeur de 30 millions de toits est assez
optimiste. En mettant 20 m2 de panneaux photovoltaïques sur chaque toit (un
travail considérable qui prendrait des années, nécessiterait du personnel qualifié
en nombre, la fabrication de millions de panneaux et onduleurs, et l’adaptation
du réseau électrique), on produirait environ 60 TWh, soit 14 % de la
consommation d’électricité ou 3 % de la consommation d’énergie française.
Dans tous les cas, comme le soleil ne brille pas toujours, il faudrait développer
des techniques de stockage gigantesques. Le stockage et le transport
occasionnant inévitablement des pertes considérables, l’énergie finale disponible
serait bien inférieure. Certes la technologie des panneaux évolue et pourrait
améliorer un peu le rendement des panneaux, certes on envisage des murs et des
routes solaires, mais tout cela ne changera pas beaucoup les ordres de grandeur
et les difficultés pour pouvoir compter massivement sur cet apport énergétique.
La production solaire peut être pertinente dans le Sahara, où l’on dispose d’une
grande surface très ensoleillée sur laquelle la présence de panneaux ne nuit pas à
la végétation. C’est de cette idée qu’est né vers 2003 le projet Désertec : un
énorme projet d’exploitation des déserts d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient
afin d’approvisionner les régions avoisinantes, mais aussi l’Europe, en
électricité. De très grosses entreprises y étaient associées. Mais le projet a été
abandonné en 2014, trop cher, en particulier à cause des immenses lignes de
transport d’électricité qu’il aurait fallu construire.
Cela ne signifie pas que l’on n’exploitera pas l’énergie solaire dans le désert :
Noor, centrale solaire thermodynamique à Ouarzazate dans le sud du Maroc,
fonctionne, et devrait à terme être la plus grande centrale solaire au monde avec
une puissance de 580 MW (580 millions de watts), soit grossièrement la moitié
de la puissance d’un réacteur nucléaire. Avec d’autres centrales, le Maroc a en
projet une puissance électrique solaire énorme de 2 000 MW. Des projets
d’autant plus intéressants que la technologie solaire à concentration (et non
photovoltaïque) permet de continuer à produire de l’électricité quelques heures
après le coucher du soleil, ce qui limite le besoin de stockage. Je soutiens ces
projets. Toutefois, les quelques points suivants vont me faire passer pour un
rabat-joie :
– il faut de l’eau pour le nettoyage des panneaux et pour le refroidissement, ce
qui est un problème dans le désert ;
– la puissance électrique appelée par les Marocains dépasse parfois les
6 000 MW, et pas forcément aux heures où les centrales solaires produiront toute
leur puissance ;
– la consommation d’électricité du Maroc augmente de 4 à 6 % par an ;
– la production solaire faiblira quelques heures après le coucher du soleil, alors
que bien des lumières et appareils électriques fonctionneront encore ;
– un seul réacteur nucléaire a une puissance de plus de 1 000 MW, il occupe
une surface inférieure à 1 km2 alors qu’il faudra plus de 25 km2 pour les
580 MW de Noor ;
– une mégacentrale au charbon de 1 386 MW (!) a été mise en service en 2018
près de Casablanca (à Safi), et une autre de 1 320 MW est en projet pour 2021
dans le nord du Maroc dans le cadre du nouveau port Nador West Med. On en
parle beaucoup moins dans les journaux…
Je n’affirme pas que les énergies renouvelables sont sans intérêt ni avenir. Au
contraire, développer le solaire thermique, le solaire à concentration, les pompes
à chaleur, le biogaz, etc., me paraît tout à fait pertinent. Mais il me semble
extrêmement optimiste de compter uniquement sur ces énergies pour maintenir
notre niveau de consommation actuel.
Une source d’énergie n’a d’intérêt pour les êtres humains que si son EROEI est
supérieur à un, c’est-à-dire si l’on récupère plus d’énergie qu’on en consomme
pour l’obtenir. Étant donné les inévitables pertes et les infrastructures
nécessaires, pour un accès correct à l’alimentation, il faudrait un EROEI de 5 ;
pour le logement, il faudrait 7 ; pour un système éducatif, il faudrait 10 ; pour un
système de santé, il faudrait 12, et pour l’accès à la culture et aux loisirs 14
[Thévard]. Pour vivre dans de bonnes conditions, il est donc absolument nécessaire
de disposer de sources d’énergie dont l’EROEI soit élevé. Les économistes
Victor Court et Florian Fizaine ont démontré qu’un EROEI minimum de 11 était
requis pour un taux de croissance économique positif [Fizaine]. D’après le
chercheur Jacques Treiner, l’EROEI moyen du système énergétique actuel est de
l’ordre de 10 à 15 [Treiner SPS].
Source : d’après Olivier Vidal, Mineral Resources and Energy, chapitre 5 Average Material Intensity for Various Modes of
Electricity Production, Elsevier, 2018, pp. 69-80.
Source : d’après Olivier Vidal, Mineral Resources and Energy, chapitre 5 Average Material Intensity for Various Modes of
Electricity Production, Elsevier, 2018, pp. 69-80.
Mon avis est que les ressources en tous genres manqueront moins si l’on
dispose de beaucoup d’énergie : avec elle, on peut pomper, dépolluer, recycler,
on peut creuser toujours plus profond, aller chercher des minerais au fond de la
mer, voire un jour dans l’espace ! Ce sera souvent difficile, cela risque
d’impacter les écosystèmes, mais c’est possible si l’on dispose de beaucoup
d’énergie. On en revient donc au fondamental taux de retour énergétique ! À
l’heure actuelle, il me semble que seul le nucléaire, qui dispose d’un potentiel de
production considérable, présente un bon EROEI et consomme relativement peu
de matériaux par rapport à sa production, représente à long terme un réel espoir
d’alternative aux énergies fossiles pouvant permettre aux humains des pays
riches de maintenir leur niveau de vie.
Chapitre 7
Mais l’essentiel n’est pas là. Malgré ces efforts très importants, il faudrait
selon Négawatt réduire la demande en énergie primaire de 65 % alors que la
population augmenterait de 15 %. Cette énorme réduction devrait venir de
l’efficacité et de la sobriété énergétique. L’efficacité consiste à améliorer les
techniques pour rendre les mêmes services en consommant moins ; elle fait
quasiment l’unanimité mais n’est pas pour autant facile à mettre en œuvre et ne
contribuerait à la baisse qu’à hauteur de 40 %. L’essentiel viendrait de la
sobriété énergétique qui consiste, selon Négawatt, à privilégier les usages les
plus utiles, à « restreindre les plus extravagants et supprimer les plus
nuisibles » ; de beaux débats en perspective pour juger ce qui est utile ou
nuisible… Il faudrait accéder à moins de biens et de services, c’est-à-dire vivre
de manière moins riche.
Il faudrait, selon Négawatt, rénover chaque année jusqu’à 780 000 logements
pour les amener à une consommation moyenne de 40 kWh/m2 par an pour les
besoins du chauffage. Est-ce possible ? La consommation moyenne des
logements français est actuellement proche de 200 kWh par m2, très loin de 40…
En 2012, l’État français avait fixé l’objectif de rénover 500 000 logements
chaque année, un objectif qualifié dans le journal Le Monde du 4 juin 2014 de
« définitivement hors d’atteinte ». La loi relative à la transition énergétique pour
la croissance verte adoptée en 2015 prévoyait également, sans préciser d’objectif
de consommation, 500 000 rénovations par an, objectif non atteint puisqu’on en
rénove moins de 300 000 chaque année. Le plan Hulot de 2018 en prévoit lui
aussi 500 000, un objectif bien inférieur aux 780 000 de Négawatt. Et rénover un
logement ne signifie pas que sa consommation atteigne un niveau suffisamment
bas : on peut gagner beaucoup sur des logements mal isolés, passer par exemple
de 300 à 150 kWh/m2 par an, mais il est très difficile dans l’ancien de descendre
en dessous de 50. D’après le CLER (Comité de liaison pour les énergies
renouvelables, devenu Réseau pour la transition énergétique), sur les 300 000
rénovations de logements effectuées en 2018, seules 40 000 ont permis
d’atteindre le niveau « basse consommation ».
Ces considérations m’amènent à penser que l’objectif de Négawatt est
extrêmement optimiste. Un point crucial, puisque le chauffage représente
environ 80 % de la dépense d’énergie des bâtiments, et que ceux-ci représentent
le premier secteur de dépense énergétique français (le chauffage représente plus
d’un tiers de l’énergie finale consommée en France). Je pense que la
consommation d’énergie pour le chauffage atteindra une moyenne de
40 kWh/m2 par an quand l’énergie manquera et que les habitants auront froid.
Lucides, les auteurs indiquent que leur scénario est peu réaliste, que la
mondialisation de l’économie rend impossible de respecter les objectifs si tous
les pays n’enclenchent pas un basculement aussi important, qu’une trajectoire
compatible avec un réchauffement climatique limité à 1,5 °C est très improbable.
Ces précisions honnêtes tranchent avec l’optimisme des scénarios de Négawatt
et Greenpeace.
La Troisième Révolution industrielle [Rifkin]
La troisième révolution industrielle est une théorie de l’économiste américain
Jeremy Rifkin. Elle repose sur les énergies renouvelables, les bâtiments
producteurs d’énergie, le stockage d’énergie dans les bâtiments, les échanges
d’énergie via un réseau intelligent et les véhicules électriques. D’une manière
générale, Jeremy Rifkin prétend que la société va ainsi pouvoir continuer à
dépenser de l’énergie sans compter. Jamais dans son ouvrage il ne quantifie les
potentiels de ces techniques pour les comparer à nos besoins ; jamais il ne parle
de l’efficacité énergétique qui fait pourtant l’unanimité. Compter sur des
éoliennes et des panneaux solaires placés sur les bâtiments pour produire toute
notre énergie est une complète utopie. Jeremy Rifkin est d’ailleurs critiqué aussi
bien par des pro-nucléaires que par des anti, par des croissancistes que par des
décroissancistes [Bellal] [Gadrey blog]. Il plaît à certains politiques parce qu’il est
optimiste et fait rêver, mais ses théories sont irréalistes.
Le master plan de troisième révolution industrielle de la région Nord-Pas-de-
Calais [Master TRI] dévoilé en octobre 2013 s’inspire (malheureusement) des
théories de Rifkin ; il a été repris par la nouvelle région des Hauts-de-France. Je
me suis réjoui que ma région ait pris au sérieux le problème de l’énergie, mais je
n’ai pas compris qu’on soit allé chercher un économiste utopiste américain
plutôt qu’un ingénieur comprenant ces problèmes avant tout techniques et
scientifiques. Le master plan a heureusement introduit l’efficacité énergétique et
l’économie circulaire (le recyclage), des notions absentes du livre de Rifkin sur
la troisième révolution industrielle. Le thème de la sobriété énergétique n’ayant
pas fait l’unanimité au conseil régional (définir ce qui relève du gaspillage n’est
pas une mince affaire, la sobriété impliquant probablement la décroissance), il
est absent du plan qui prévoit une baisse de 60 % de la consommation d’énergie
à service rendu égal, c’est-à-dire en comptant uniquement sur l’efficacité
énergétique. Cela paraît plus qu’ambitieux vis-à-vis des autres scénarios,
d’autant plus qu’il est prévu en même temps une forte hausse du produit
intérieur brut (+ 47 %), donc de l’activité. À ma connaissance, ce scénario est le
seul à prétendre qu’une baisse de la consommation d’énergie peut être
compatible avec une hausse du PIB. L’idée est que la gratuité des énergies
renouvelables permettra de dépenser son argent ailleurs que dans l’énergie et
donc d’alimenter l’économie. Je doute que les énergies renouvelables soient un
jour vraiment gratuites (le pétrole, le charbon et le gaz ont été, comme le soleil et
le vent, gratuitement mis à disposition des humains par la nature, et n’ont jamais
été gratuits pour les consommateurs). Si c’était le cas, cela n’encouragerait
certainement pas une diminution de la consommation. Je pense que la hausse du
PIB signifie forcément une augmentation des échanges de biens et de services,
donc de l’activité humaine et donc de l’énergie nécessaire. Ce scénario a pour
ambition d’atteindre 100 % d’énergies renouvelables en 2050, mais aucun détail
technique ne précise par quel miracle : les potentiels de production de chaque
énergie renouvelable, ou d’économies d’énergie secteur par secteur, ne sont pas
quantifiés dans ce master plan. Cette opération a eu le mérite de favoriser la
prise de conscience de l’importance du problème énergétique à travers une
importante communication dans le nord de la France. Elle incite à des activités
de recherche et d’enseignement en lien avec l’énergie, et favorise certaines
actions positives autour, par exemple, de l’efficacité énergétique ou du biogaz.
Six ans après son lancement il est sans doute un peu tôt pour effectuer un
premier bilan de l’opération. En tout cas la consommation énergétique des Hauts
de France a légèrement augmenté entre 2014 et 2017 (+ 1,3 %), essentiellement
sous l’effet du secteur résidentiel. Les émissions de gaz à effet de serre de la
région ont augmenté de 7 % entre 2013 et 2017.
L’Ademe a publié en 2017 une actualisation de ces études [Ademe 2017]. Elle y
présente trois scénarios. Aucun ne permet de sortir des énergies fossiles et
nucléaire qui représenteraient toujours au moins 31 % de l’énergie finale, les
renouvelables représentant de 46 % à 69 % selon la part du nucléaire.
Dans les trois cas une baisse de 45 % de la consommation est nécessaire. Elle
impliquerait, par exemple, la rénovation de 750 000 logements par an à partir de
2030, une baisse de la construction de logements neufs, une baisse de leur
surface, le développement de l’habitat partagé, des comportements plus sobres,
des appareils plus efficaces, du co-voiturage, de l’auto-partage, du télétravail,
des véhicules plus performants et plus légers alimentés à l’électricité ou au gaz,
une baisse de 24 % de la mobilité, le développement du transport des
marchandises par voies ferrées et fluviales, une baisse de la consommation de
viande, une optimisation des activités industrielles… Un programme ambitieux !
Parmi les trois scénarios, celui qui fait le moins appel au nucléaire et aux
fossiles nécessite la mise en place d’importantes infrastructures de stockage
d’énergie (par STEP et Power to gas) dont on connaît la complexité.
L’Ademe n’envisageant pas d’augmentation de l’électricité d’origine
nucléaire, le gaz naturel aurait un rôle important. En conséquence les émissions
de gaz à effet de serre seraient réduites de 72 % au maximum, le facteur 4 ne
serait donc pas tout à fait atteint.
Ces scénarios et d’autres ont été étudiés lors du débat national sur la transition
énergétique organisé en 2012 et 2013 par le ministère de l’Écologie, du
Développement durable et de l’Énergie. Les conclusions ont fait apparaître
quatre trajectoires avec des baisses de consommation d’énergie finale allant de
17 à 50 % en 2050. L’objectif voté en 2015 est la diminution de 50 % en 2050.
Je ne suis pas sûr que les politiques ayant voté cet objectif soient tous bien
conscients des liens entre énergie et économie. Cet objectif a été repris dans la
Programmation Pluriannuelle de l’Énergie et dans la loi Énergie-Climat de 2019.
On constate qu’aucun scénario français ne prétend qu’il soit possible de
remplacer les énergies fossiles et nucléaire par des renouvelables sans
beaucoup diminuer la consommation.
D’importants progrès en efficacité énergétique ont été faits à la suite des chocs
pétroliers de 1974 et 1979. Ainsi, la consommation moyenne des véhicules a
beaucoup baissé depuis quarante ans grâce à des moteurs plus performants. Mais
aujourd’hui la consommation des véhicules ne diminue presque plus, il semble
qu’on se rapproche des limites. Il est probable qu’il faille à l’avenir des voitures
plus petites, moins puissantes et moins lourdes, donc moins équipées et peut-être
moins sécurisantes pour continuer à gagner en consommation. On passerait alors
de l’efficacité (service rendu égal) à la sobriété. De même, l’isolation des
bâtiments, bien qu’encore insuffisante, a considérablement évolué depuis les
années 1970. L’efficacité énergétique n’est pas nouvelle. Par exemple, en
éclairage extérieur, on n’a pas attendu les LED pour minimiser la consommation
d’électricité : on utilise depuis longtemps, quand c’est possible, des lampes au
sodium basse pression dont l’efficacité approche 200 lm/W. Un autre exemple
est celui d’un moteur électrique industriel de puissance 110 kW : son rendement
normalisé est d’au moins 93,3 %, ce qui signifie que les pertes que l’on peut
tenter de minimiser représentent moins de 7 % de l’énergie consommée. Les
gains les plus faciles ont donc déjà été faits ou sont en voie de l’être, et
l’amélioration aura ses limites.
De plus, les gains d’efficacité énergétique peuvent être atténués, voire annulés,
par l’effet rebond : « Les gains énergétiques permis par l’évolution
technologique des écrans d’ordinateur et de télévision ont été réduits à néant en
raison de l’accroissement concomitant de la taille des écrans » [Jouanno].
L’augmentation de la population et de l’activité économique a contribué, ces
dernières décennies, à une hausse de la consommation de carburants routiers,
bien que la consommation par véhicule ait considérablement baissé. De même,
s’il est tout à fait positif que les nouveaux logements soient « basse
consommation », il ne faut pas oublier que chaque nouveau logement représente
une consommation supplémentaire, au moins lors de sa construction.
Pour consommer moins, il faut souvent investir dans des technologies plus
complexes nécessitant plus de matériaux, de mise en œuvre, et même d’énergie.
L’isolation d’un logement en est un bon exemple : s’il est parfois possible
d’amortir financièrement les travaux d’isolation, il n’empêche que ceux-ci
nécessitent des matériaux supplémentaires à fabriquer et transporter ainsi que de
la main-d’œuvre. Il est donc plus compliqué (donc, en clair, plus cher) de se
loger dans un monde où l’énergie est rare que dans un monde où l’énergie
est abondante et où l’on pouvait se permettre une construction simple sans
se soucier de la consommation. Bon nombre de gens ont déjà bien des
difficultés pour se loger, la raréfaction de l’énergie ne va rien arranger. Ainsi une
étude publiée par le commissariat général au développement durable estime que
le surcoût de construction d’un logement respectant la réglementation thermique
2012 (RT 2012) est de 9 % pour un logement collectif et de 14 % pour un
logement individuel par rapport à la précédente réglementation (RT 2005)
[CGDD 135]. Certains constructeurs parlent même de surcoûts de 20 %. Les
surcoûts devraient encore augmenter avec la nouvelle réglementation de 2020.
Un autre exemple concerne les moteurs électriques que je connais bien : pour
diminuer leurs pertes énergétiques, les constructeurs doivent les faire plus
volumineux, donc plus lourds et plus consommateurs de matières premières, ou
utiliser des matériaux dont la fabrication est plus complexe et plus énergivore.
C’est souvent positif écologiquement et financièrement, mais cela complexifie
les technologies.
Les véhicules hybrides associent moteurs à essence et électrique : durant les
descentes ou décélérations, le moteur électrique se transforme en générateur et
recharge des batteries qui seront sollicitées plus tard pour consommer moins
d’essence. Un système ingénieux, mais qui est indéniablement plus compliqué,
consommateur de matériaux et d’électronique que les véhicules classiques.
Les lampes fluo-compactes et à LED consomment moins d’électricité que les
incandescentes, mais elles nécessitent de l’électronique (placée généralement
dans le culot). Elles sont donc plus complexes à fabriquer et demandent plus de
matières premières.
D’une manière générale, les technologies numériques peuvent nous aider à
optimiser nos consommations, avec par exemple des détecteurs de présence, des
thermostats électroniques, des compteurs intelligents qui décalent certaines
consommations, des contrôleurs électroniques, des réseaux intelligents, des
appareils de mesure, des variateurs électroniques… Mais notre société évolue
ainsi vers une dépendance accrue à l’électronique, aux « data-centers »
énergivores, et devient de plus en plus complexe et peut-être de plus en plus
fragile. On veut parfois faire rêver en faisant croire que l’intelligence pourra
remplacer l’énergie. Les systèmes « smart » permettent de mieux gérer l’énergie,
mais pas d’en faire apparaître !
Les exemples précédents sont transposables à de nombreux secteurs
fondamentaux dans la vie humaine : avec moins d’énergie, il sera plus
complexe de se nourrir, de se déplacer, de se loger ou de se soigner.
Bien sûr, on peut imaginer des véhicules stockant avant le départ dans des
batteries de l’électricité qui viendrait uniquement de panneaux solaires ; c’est
d’ailleurs ce que faisait l’avion Solar Impulse. Dans ce cas, il ne s’agit plus
vraiment de véhicules solaires, mais de véhicules électriques dont les problèmes
sont connus : faible autonomie due au manque de performance des batteries, et
problématique de la production d’électricité (nécessité de grandes surfaces de
panneaux, irrégularité du soleil, impact environnemental, opportunité de la
connexion des panneaux au réseau électrique pour mutualiser les moyens et
favoriser le foisonnement géographique…).
La sobriété énergétique
La sobriété énergétique, qui consiste à privilégier les usages les plus utiles de
l’énergie, « restreindre les plus extravagants et supprimer les plus nuisibles »
[Négawatt 2011], suppose de définir les usages qui sont utiles et ceux qui sont
nuisibles. Est-il « utile » d’aller une journée à la mer, de partir en vacances,
d’aller à la piscine, d’assister à des spectacles culturels ou à des rencontres
sportives ? Est-il utile d’avoir réfrigérateur, un ordinateur, un lave-vaisselle, un
téléphone, un accès à Internet, un canapé, une cuisine équipée ? Est-il utile de
soigner les personnes âgées atteintes de maladies graves ? Est-il utile de manger
de la viande, des fruits exotiques, et de boire du vin ? Est-il utile d’avoir de
beaux vêtements, du maquillage, d’aller chez le coiffeur ? Est-il utile de se
doucher tous les jours ?
Il est clair que tout le monde ne sera pas du même avis, surtout ceux qui vivent
de ce « gaspillage », et ils sont nombreux : professionnels du tourisme, de la
culture, du sport, fabricants et vendeurs d’électroménager, de meubles, de
voitures, éleveurs, viticulteurs, webmasters, cuisinistes, coiffeurs, vendeurs de
glaces ou de produits de beauté… Tous ces gens vivent de gaspillage
consommateur d’énergie ! La sobriété énergétique me paraît clairement liée à
l’idée de la décroissance évoquée précédemment, c’est-à-dire à une vie que
certains qualifient de plus simple mais qu’on peut qualifier aussi de plus pauvre.
Tout le monde est d’accord pour lutter contre certains gaspillages, mais définir
ce qui relève du gaspillage est une autre affaire.
Si les êtres humains se sont mis à domestiquer le feu, à utiliser la force des
animaux, à construire des bateaux à voile, des moulins à vent ou à eau, ce
n’était pas seulement pour gagner de l’argent, faire augmenter le PIB ou
plaire à des actionnaires, mais c’était avant tout parce que cette utilisation
d’énergie leur facilitait la vie. Plus simplement encore, si les êtres humains se
sont mis à cultiver la terre et à élever du bétail, c’est parce qu’ils récupéraient
ainsi plus d’énergie (leur nourriture), par rapport à ce qu’ils dépensaient, qu’en
parcourant des kilomètres pour cueillir des fruits et chasser des bêtes. Un monde
dans lequel l’énergie est rare est plus contraignant qu’un monde dans lequel
l’énergie est abondante. « On ne peut dépenser de l’énergie pour les soins de
santé que s’il y a assez d’énergie nette restante après que les besoins
énergétiques “inférieurs” (extraire, raffiner et transporter l’énergie et les
aliments, construire des abris, éduquer un minimum la population) ont été
satisfaits » [Court].
Supposons que des humains échouent sur une île déserte et qu’ils doivent se
débrouiller à la manière de Robinson Crusoé. Il est clair que leur vie sera plus
facile si une abondante forêt se trouve sur cette île que s’il n’y a pas d’arbre. Je
ne parle pas là du bois en tant que matériau de construction, mais en tant que
source d’énergie : brûler le bois permet aux humains de ne pas avoir froid, de
faire cuire leurs aliments, d’avoir de la lumière, de façonner des outils… Des
besoins fondamentaux plus difficiles à satisfaire avec moins d’énergie.
On a vu qu’au-delà d’un certain seuil de consommation d’énergie, l’indice de
développement humain n’augmentait quasiment plus et qu’on pouvait parler de
gaspillage. Effectivement, on peut réduire sa consommation d’objets high-tech,
de gadgets, de jouets, de viande, de vêtements, de sodas, d’alcool, de crèmes
glacées, de bijoux, de produits de beauté… sans que cela nuise à notre bonheur.
Mais je doute que cette chasse au gaspi change de beaucoup les ordres de
grandeur de notre consommation d’énergie, qui est aussi liée à des besoins
fondamentaux : se nourrir, se loger, se protéger, se déplacer, se soigner… Tout
cela nécessite de l’énergie. On ne vit pas longtemps là où on en consomme peu ;
c’est une constatation. À l’heure actuelle, le développement est lié à l’énergie.
Un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement [Fischer-
Kowalski, Swilling] indique qu’un scénario permettant seulement de stabiliser la
consommation mondiale d’énergie et de diminuer de seulement 40 % les
émissions de gaz à effet de serre comporterait tant de restrictions et rebuterait
tellement les décideurs politiques qu’il peut difficilement être envisagé comme
objectif stratégique.
Les poux
Une anecdote personnelle qui fera sans doute rire certains, mais qui, à mon
avis, est révélatrice de l’importance de l’énergie. Un dimanche matin, ma femme
et moi nous sommes rendu compte que nos enfants avaient des poux (ça arrive,
paraît-il, même chez les gens très bien). Branle-bas de combat ! J’ai pris mon
téléphone, appelé le service me donnant l’adresse de la pharmacie de garde, fait
26 km aller-retour en voiture pour aller acheter des produits capables de tuer ces
bestioles. Puis nous avons lavé les cheveux des enfants et fait allègrement
fonctionner le lave-linge et le sèche-linge pour nettoyer les manteaux, bonnets,
écharpes, draps, coussins, doudous…
Imaginons maintenant ce problème dans le monde merveilleux de Négawatt :
je n’aurais peut-être pas eu de téléphone, d’ailleurs le serveur téléphonique
informatisé n’aurait peut-être même pas existé. J’aurais mis deux bonnes heures
pour faire l’aller-retour en vélo à la pharmacie. Celle-ci n’aurait peut-être pas été
approvisionnée des produits recherchés, ces derniers étant fabriqués dans des
usines consommatrices et acheminés par des camions consommateurs d’énergie.
Il aurait peut-être fallu laver les cheveux des enfants à l’eau froide (sans doute le
plus dur !). Il aurait fallu faire plusieurs allers-retours au lave-linge collectif du
quartier ou peut-être même faire les lessives à la main après avoir fait chauffer
l’eau. Le linge séchant naturellement n’aurait pas été sec pour l’école le
lendemain.
Certes, des générations d’enfants ont survécu aux poux dans un monde moins
consommateur d’énergie. Mais il est indéniable que c’était moins pratique.
D’une manière générale, l’hygiène est plus aisée avec de l’eau chaude et du
savon ; ça paraît évident. Ce qui l’est moins, c’est que l’hygiène est plus aisée
avec de l’énergie : il en faut pour pomper l’eau, la chauffer (beaucoup) et la
dépolluer ; il en faut pour produire et chauffer l’huile nécessaire à la fabrication
du savon ; il en faut pour construire les infrastructures de distribution d’eau et les
égouts ; il en faut pour fabriquer des lavabos et des salles de bains. Moins
d’énergie, c’est probablement moins d’hygiène.
Chapitre 9
J’estime que les problèmes sont physiques avant d’être financiers : s’il est
normal de se poser la question du coût d’une installation, il faut d’abord se poser
celle de sa faisabilité technique. Si aucun scénario n’envisage de maintenir notre
consommation d’énergie avec uniquement des renouvelables en 2050, ça n’est
pas seulement parce que cela coûterait cher. C’est plutôt parce que l’on ne
pourrait pas dans un délai réduit construire assez d’usines permettant de
fabriquer les matériaux et engins nécessaires, parce qu’il faudrait disposer d’une
main-d’œuvre qualifiée qui prendrait des années à être formée, parce que les
capacités de production des renouvelables sont limitées, parce que le vent ne
souffle pas toujours, parce qu’il n’y a pas de solution technique satisfaisante au
problème du stockage, parce qu’on ne peut pas créer des montagnes pour faire
des barrages, parce qu’on ne maîtrise pas la quantité d’énergie solaire qui arrive
sur notre sol, parce que les arbres poussent lentement, parce que les riverains ne
veulent pas d’éoliennes trop près de chez eux, parce qu’il est très complexe
d’installer des éoliennes en mer… Il s’agit donc de problèmes de physique et
humains, et pas seulement d’argent.
Les énergies fossiles et l’uranium ont été gratuitement mis à disposition des
humains par la nature tout comme le vent, le soleil, les courants marins et autres
renouvelables. Bien sûr, il faut payer les salaires des mineurs qui extraient le
charbon et l’uranium, il faut payer les exploitants des puits de pétrole et de gaz,
mais il faut aussi payer les gens qui fabriquent, installent, surveillent,
maintiennent, démantèlent les installations renouvelables. Bien sûr, il faut payer
une rente aux propriétaires des mines ou des puits d’hydrocarbures, mais il faut
aussi payer les propriétaires des terrains sur lesquels sont placées les installations
renouvelables. Dans les deux cas, il faut payer des salaires et de la rente [Jancovici
dormez]. Il n’y a donc pas de raison intrinsèque pour que les renouvelables soient
moins chères, même si certains veulent le faire croire en entretenant la confusion
entre le coût et le coût marginal (qui ne représente que le coût supplémentaire dû
à une production supplémentaire).
Les énergies fossiles ne coûtent pas cher du tout par rapport aux énormes
services qu’elles nous rendent, c’est-à-dire par rapport au travail qu’elles nous
font économiser, donc de la main-d’œuvre que nous n’avons pas à payer. Il
faudra tôt ou tard en consommer moins, et leur remplacement aura forcément un
coût élevé.
L’hydrogène est souvent présenté comme une énergie propre. Les véhicules à
hydrogène existent et ne rejettent que de l’eau. C’est exact. Mais il n’y a pas, ou
quasiment pas, d’hydrogène dans la nature. Actuellement, il est généralement
produit par transformation de méthane, énergie fossile. Il peut aussi être produit
avec de l’électricité, par électrolyse de l’eau, et devient alors un moyen de
stockage d’énergie. À cause des pertes inévitables, l’énergie récupérée est
forcément inférieure à celle utilisée initialement : pour récupérer 1 kWh
d’électricité, il faut en avoir produit 3, et les perspectives d’amélioration sont
minces (la technologie de la pile à combustible qui permet de transformer
l’hydrogène en électricité n’est pas nouvelle, elle a d’ailleurs été utilisée par la
NASA pour aller sur la lune). L’hydrogène peut permettre de faire avancer des
véhicules, cette technologie de stockage pourrait être plus intéressante que celle
des batteries, mais il n’y a là rien qui change fondamentalement les problèmes
énergétiques. De plus, comme pour tout stockage d’énergie, des dangers
existent. Ainsi Étienne Beeker, conseiller scientifique en charge des questions
énergétiques chez France Stratégie, écrivait dans une note de 2014 « l’utilisation
généralisée d’hydrogène à la pression énorme de 700 bars soulève des problèmes
de sécurité considérables » [Beeker]. Le professeur Jacques Foos, qui fut directeur
du laboratoire des sciences nucléaires du Conservatoire National des Arts et
Métiers, écrivait à propos de vélos électriques à hydrogène : « Chaque vélo
transporte 35 grammes d’hydrogène. Lors de l’explosion, ces 35 grammes
d’hydrogène dégagent autant d’énergie que pratiquement 1 kg de TNT ! Les
terroristes de Daesh sont des « plaisantins » à côté, en se baladant avec leur
ceinture d’explosifs ». « En qualité de citoyen un peu connaisseur des problèmes
liés à l’hydrogène puisque j’ai dirigé un laboratoire de recherche utilisant ce gaz,
je ne peux que m’indigner de cette utilisation » [Foos].
Certains croient dur comme fer au moteur à eau. Regardez sur une bouteille
d’eau le contenu en calories : il est nul. Si l’eau ne fait pas grossir, c’est parce
qu’elle ne contient aucune calorie, donc d’énergie. Un réservoir d’eau ne
représente une quantité d’énergie que s’il est placé en hauteur, comme toute
masse. Et on imagine mal une immense citerne d’eau au-dessus de chaque
véhicule permettant le mouvement à la manière de la turbine d’un barrage (il
faut 1 200 m3 d’eau à une hauteur de 3 mètres pour avoir potentiellement la
même quantité d’énergie que dans un litre d’essence). À moins d’aller chercher
l’énergie nucléaire des atomes d’eau : tous les atomes possèdent une énorme
énergie de cohésion proportionnelle à leur masse. Mais si les centrales nucléaires
fonctionnent à l’uranium et non à l’eau, c’est parce qu’on est incapable à l’heure
actuelle de réaliser la fission nucléaire des atomes d’eau.
Le moteur à eau est parfois confondu avec le moteur Pantone. L’idée de cet
inventeur est d’utiliser la chaleur des moteurs à explosion pour créer de la
vapeur d’eau et l’injecter avec l’admission d’air afin de réduire la température de
combustion et améliorer son rendement. Le principe ne paraît pas contraire aux
lois de la physique, puisqu’il s’agit de récupérer de la chaleur, donc de l’énergie.
De nombreux sites internet expliquent comment s’y prendre pour adapter le
système sur un moteur existant ; de nombreux bricoleurs du dimanche affirment
avoir ainsi bricolé leur voiture et diminué leur consommation. Des petites
entreprises commercialisent pour quelques centaines d’euros des « kits »
permettant prétendument d’économiser du carburant en injectant de l’eau. Des
municipalités l’ont même installé sur leurs véhicules : les communes de Neuilly-
Plaisance, Vitry-sur-Orne, Calvi ou Cahors ont tenté l’expérience. Mais la
commune de Neuilly-Plaisance en a cessé l’utilisation car « cette technique a
encrassé et endommagé les moteurs ». À Cahors, on a arrêté également au motif
que « les économies ne suffisent pas à amortir l’investissement » [France info].
Aucun constructeur automobile ne commercialise ce système. Les fabricants de
voiture passeraient donc à côté de cette géniale invention pour ne pas s’attirer les
foudres de leurs amis pétroliers, ou parce qu’ils développent le moteur électrique
sous la pression du lobby nucléaire. Pourquoi alors auraient-ils développé
d’autres systèmes d’économie de carburants ? Rappelons que la consommation
des véhicules commercialisés a considérablement diminué ces dernières
décennies : d’après l’entreprise Statista la consommation moyenne de carburant
d’une voiture française a diminué de 12 % entre 2004 et 2018. Les véhicules
d’aujourd’hui consomment beaucoup moins que ceux des années 70 malgré une
forte augmentation de leur masse. Les constructeurs ont donc largement
amélioré leurs moteurs, ils utiliseraient donc ce système d’injection d’eau s’il
était efficace et sans problème. Le ministère de l’Écologie a communiqué : « Les
services du ministère n’ont à ce jour jamais eu connaissance de preuves
formelles, d’études ou d’essais réglementaires prouvant les gains en termes de
consommation de carburant et de réduction des émissions de gaz polluants ».
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) affirme que
les tests réalisés à l’Institut français des sciences et technologies des transports,
de l’aménagement et des réseaux « n’étaient pas assez probants en termes
d’économie de carburant pour poursuivre les investigations ». J’ai contacté à ce
propos Yannick Benard, un des responsables du Centre de Recherche,
d’Innovation Technique et Technologique en Moteurs et Acoustique Automobile
de Bruay La Buissière (62), il explique que « l’évolution des moteurs depuis ces
dernières décennies procure dans tous les cas des gains de consommation et une
réduction des polluants bien plus importants que ce qui était annoncé avec ce
système ». Il n’y a donc pas de complot pour cacher au grand public une
technologie révolutionnaire.
La théorie du pétrole abiotique remet en question l’origine biologique du
pétrole. Des réactions chimiques miraculeuses permettraient aux gisements de
pétrole de s’autoreconstituer au fur et à mesure qu’on les exploite. On se
demande alors bien pourquoi les firmes pétrolières iraient toujours chercher le
pétrole plus loin dans des conditions d’extraction plus difficiles et plus
coûteuses.
L’effet Dumas : une boule de métal dans l’eau branchée sur l’électricité
générerait plus d’énergie qu’elle n’en consommerait. C’est, en tout cas, ce que
prétend l’inventeur Jean-Christophe Dumas, un Français indépendant. Un tel
phénomène remettrait en question les lois de la thermodynamique. Philanthrope,
l’inventeur en a mis à disposition les plans sur Internet (https://www.effet-
dumas.org). Curieusement aucun laboratoire de recherche scientifique n’a, à ma
connaissance, publié quoi que ce soit sur cette révolution de la physique, aucun
entrepreneur ne s’est emparé de l’idée pour tenter de faire fortune. Le magazine
« l’Obs » s’est penché sur la question et a interrogé des spécialistes de la
thermodynamique. L’un deux s’est énervé : « ce n’est pas du tout sérieux, le
protocole est risible, je ne souhaite pas perdre une seconde ni avoir mon nom
mêlé à ces fumisteries ». Michel Pons, thermodynamicien et directeur de
recherche au CNRS déclarait : « mesurer correctement la température est une
chose très difficile. Il faut vraiment être spécialiste pour qu’il n’y ait pas de biais,
et l’interprétation est aussi souvent difficile. » [LOBS].
L’énergie du vide aurait été, selon certains, mise en évidence par l’ingénieur
Nikola Tesla. Si ce scientifique a bien existé, a considérablement fait progresser
la technologie des machines électriques et donné son nom à une unité de champ
magnétique, il n’a, à ma connaissance, pas fait apparaître d’énergie
miraculeusement. Il doit se retourner dans sa tombe en entendant toutes les
inepties qui sont racontées par des gens qui lui vouent un véritable culte sans
bien comprendre ce qu’ils racontent.
Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez passer des heures sur internet
pour essayer de comprendre ces systèmes miraculeux. Bon courage car tout est
fait pour que le lecteur s’y perde avec du vocabulaire souvent incohérent. Moi
j’ai renoncé, mais je dois être trop bête, ou trop formaté à la science
traditionnelle. Tout de même, aucun des promoteurs de ces énergies miracles n’a
fait fortune, ou n’a tout simplement pas réussi à éviter de mettre de l’essence
dans sa voiture et à payer ses factures d’électricité.
Chapitre 11
Tout au long de ce livre, j’ai essayé d’expliquer à quel point les problèmes sont
complexes et les éléments de solutions désagréables et insuffisants. Je
comprendrais que l’on me reproche de beaucoup critiquer sans essayer de faire
progresser la situation. Il est plus facile de critiquer que d’agir. Alors j’ai tout de
même essayé de réfléchir à ce qu’on peut essayer de faire pour limiter les dégâts.
Voici donc quelques conseils que j’aimerais donner aux décideurs.
Efficacité et sobriété
De nombreuses actions en faveur de l’efficacité énergétique ont été mises en
place ces dernières années dans l’industrie, l’éclairage, l’électroménager… Mais
le grand chantier qui est à peine entamé est celui de l’isolation des logements.
Moins de 300 000 logements rénovés chaque année, dont seulement 40 000 au
niveau basse consommation. À ce rythme, il nous faudra au moins 100 ans sans
être trop exigeant sur le niveau d’isolation, et 750 ans pour que tout le parc
français soit basse consommation ! Le bâtiment est le premier poste de
consommation d’énergie en France alors qu’on est capable de faire des
bâtiments confortables très peu consommateurs. Le chantier est immense et c’est
là que doivent être mis les gros moyens.
Le problème est plus complexe dans les transports. Je doute que de gros
progrès d’efficacité permettent aux véhicules routiers que nous utilisons
actuellement de consommer beaucoup moins. Il faudra donc de la sobriété : des
véhicules plus petits, plus légers, moins équipés, des transports en commun, des
vélos, une économie moins dépendante des camions et des déplacements de
salariés. Facile à dire quand on sait à quel point les gens sont attachés à leur
voiture et aux déplacements aisés. J’avoue ne pas savoir comment s’y prendre
politiquement. Augmenter les prix des carburants pour tenter de faire évoluer les
comportements est extrêmement délicat, il faudra sans doute des réglementations
draconiennes et impopulaires (interdire les véhicules qui consomment trop par
exemple).
Une part de sobriété est donc inévitable si on veut contribuer à la lutte contre le
réchauffement climatique et se préparer à un monde qui disposera de moins
d’énergie. Il faut donc préparer les esprits : demain nous partirons moins et
moins loin en vacances, nous aurons sans doute plus froid l’hiver et plus chaud
l’été, nous aurons des logements plus petits, nous mangerons moins de
nourriture importée, nous achèterons moins de produits électroniques, nous
aurons un pouvoir d’achat plus faible.
Les ressources fossiles devant inéluctablement finir par décliner, les énergies
renouvelables et nucléaires n’étant probablement pas près de les remplacer en
quantité suffisante, l’efficacité énergétique étant limitée, nos problèmes vont
inévitablement s’accroître. Un point de vue pessimiste dont il est important de
prendre conscience si l’on veut continuer à vivre en paix et en démocratie.
Inutile d’en vouloir aux politiques si, une fois au pouvoir, ils n’améliorent pas le
pouvoir d’achat et le niveau de vie des citoyens. Ça n’est pas forcément à cause
de leur incompétence, de leur corruption ou de leur manque de volonté, c’est
aussi à cause de lois physiques contre lesquelles ils sont impuissants. Avoir un
pouvoir d’achat élevé, c’est dépenser beaucoup d’énergie. Augmenter ou baisser
les taux d’intérêt, créer de la monnaie ou lutter contre l’inflation, tout cela ne
change pas la physique. Après la crise de 2008, on a trouvé des milliards pour
sauver les banques parce qu’il suffisait de changer des chiffres dans des
ordinateurs, mais on ne peut pas gérer ainsi l’énergie.
1. Derniers ouvrages parus : Peut-on sortir du nucléaire ? écrit en collaboration avec Yves de Saint Jacob
(éditions Hermann, Paris, octobre 2011, 270 p.), Prix du Forum Atomique Français 2012 et Regard sur la
Société d’aujourd’hui (éditions Hdiffusion, Paris, avril 2019, 260 p.).
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