Styles
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À L’ORIGINE
Carrefour des influences japonaise et chinoise, inimitable creuset d’une culture exceptionnelle liée à une
histoire qui ne l’est pas moins, Okinawa, minuscule île (2 275 km2) de l’archipel des Ryukyu, a enfanté le plus
abouti des arts martiaux que l’espèce humaine ait développés. Au 19 e siècle, tous ceux dont le nom a compté
dans l’histoire du karaté ont suivi l’enseignement de Sokon Matsumura, suggérant ainsi qu’il concentrait tous
les acquis techniques élaborés par de nombreuses générations d’experts du plus haut niveau. Le karaté était-
il parvenu à son ultime perfectionnement ? Aucun document indiscutable ne nous permet, malheureusement,
de l’affirmer mais un faisceau d’arguments, si ce n’est de preuves, nous guide vers cette conclusion.
Cependant, la multiplication ultérieure des styles, écoles ou méthodes semble attester de la nécessité pour
de nombreux experts du 20e siècle de poursuivre l’amélioration du karaté en dépit du large consensus qui
s’était opéré autour de l’enseignement de Matsumura. Mais, devant cette étonnante prolifération de styles,
on peut légitimement se demander si la vanité de l’ego de certains experts ― au demeurant excellents ― qui
lui ont succédé ou l’aveugle empressement des disciples à hisser un maître un peu trop humble sur un
piédestal, voire quelque préoccupation mercantile, n’ont pas contribué à cette anarchique accumulation.
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Espérons néanmoins constater un certain nombre d’apports techniques, psychiques ou philosophiques
déterminants. Mais dans ce cas, cela fait surgir une question embarrassante : s’il y a eu de réelles avancées,
pourquoi les autres styles ne les ont-ils pas récupérées, annihilant ainsi les différences ? Une petite
rétrospective historique pourra peut-être nous conférer quelque lumière.
L’Histoire a créé à Okinawa les conditions « idéales » pour l’émergence d’un art martial à main nue
sophistiqué :
Située au confluent des ambitions chinoises et japonaises, cette île a toujours constitué un
« merveilleux » champ de bataille.
Le pays était agité de violentes et incessantes tensions internes (au moins depuis le milieu du 15e
siècle) ;
C’est sans doute le seul lieu au monde où les armes ont été prohibées durant presque quatre siècles.
Les armes à feu, compte tenu des deux siècles d’isolationnisme du Japon ― et en conséquence
d’Okinawa qui était sous domination japonaise depuis 1609 ― ne sont apparues qu’à la fin du 19e siècle.
Trois villes d’Okinawa, aujourd’hui regroupées dans la capitale Naha, ont constitué les épicentres de l’art
martial local :
Shuri, s'est développée autour du palais royal. Outre le roi et sa cour, la population de cette ville
était surtout constituée d'aristocrates, de nobles, et de membres de la haute bourgeoisie. Population
renforcée par l’assignation à résidence imposée par le roi à tous les nobles du royaume, conjointement
au désarmement de l’ensemble de la population, pour juguler toute tentative d’insurrection. On y
pratiquait le Shuri-te.
Naha, ville portuaire, était surtout peuplée de marins, de dockers, et de commerçants. L’art martial
local se nommait Naha-te.
Tomari était un village de paysans qui consacraient leur temps libre au Tomari-te.
Outre leurs qualités martiales propres, les Okinawaïens ont puisé dans l’art des samouraïs japonais, qui
pratiquaient le ju-jutsu, et dans le wu-shu chinois. Concernant les apports chinois, qui ont été considérables,
la spécificité des villes de Shuri et Naha a influencé l’installation des Chinois en fonction de leur statut
social : les nobles à Shuri, les commerçants et marins à Naha. Tomari a subi des influences plus mitigées. La
religion ― le peuple et les nobles ne suivaient pas les mêmes rites ― a certainement contribué à orienter les
visiteurs chinois vers telle ou telle destination. Les bouddhistes chinois ont généralement préféré Shuri, car
le bouddhisme zen y était bien implanté, notamment grâce aux samouraïs.
Voici ce que nous écrivions à la parution de cet article :
« Les voyages dans l’autre sens ont suivi les mêmes itinéraires : les habitants de Shuri vers le nord de la
Chine, ceux de Naha vers le sud. Cela explique l’énorme influence du temple bouddhiste de Shaolin, situé en
Chine du nord, ― célèbre grâce à ses moines guerriers ― sur le Shuri-te et la différenciation progressive des
deux styles, puisque le wu-shu de la Chine du nord et celui de la Chine du sud utilisent des concepts de
combat différents, voire antinomiques.
On ne s’étonnera donc pas de l’adoption du nom « Shorin-ryu » par le Shuri-te au 19e siècle, période où la
Chine constituait « la » référence culturelle à Okinawa, puisque « Shorin » est la transcription okinawaïenne
de « Shaolin ». Peu de temps après, le Naha-te prendra le nom « Shorei-ryu », du nom d’un temple du sud de
la Chine. Sans doute les prémices des batailles rhétoriques qui allaient animer le monde des arts martiaux au
20e siècle ! »
C’est ce qu’on peut lire dans la plupart des ouvrages concernant cette époque, mais cela est en grande partie
faux et il convient de rétablir la vérité. En effet, Shorin et Shorei désignent tous les deux Shaolin dans des
dialectes différents. En fait, tous les Okinawaïens sont allés étudier le Shaolin-quan dans le même temple en
Chine du sud et ont subi les mêmes influences. Les différences de style sont donc dues uniquement aux
affinités de chaque maître pour une forme particulière de pratique.
Mais revenons un peu en arrière avec quelques biographies.
Nota bene : l’ordre de présentation du nom et du prénom obéit à des règles variables. Au Japon les identités
calligraphiées avec des kanji sont présentées dans l’ordre « nom, prénom ». Transcrites en alphabet
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occidental, les Japonais eux-mêmes utilisent plutôt la formule « prénom, nom ». C’est celle que nous adoptons
dans le présent document. Les titres, Peichin ou Sensei, suivent le nom.
SHURI-TE
Shinjo Choken, membre de la cour du roi vers la fin du 16 e siècle et le début du 17e, est le premier nom que les
annales du Shuri-te nous ont légué. Surviennent ensuite, vers le milieu du 17 e siècle et au 18e, Chatan Yara
(1668-1756), Takahara Peichin (1683-1760), Kushanku (?-1790), ambassadeur militaire chinois et maître de
kempo Shaolin, sur lequel nous possédons peu de renseignements mais que nous retrouvons dans le nom d’un
kata ― Kushanku ou Kosokun ou Kanku ― et Tode Sakugawa (1733-1815). Sokon Matsumura (1797-1889)
marquera la fin de l’histoire du Shuri-te et l’avènement du Shorin-ryu.
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Appelé aussi Bushi (guerrier) Matsumura, il est issu de la noblesse locale et commença l’apprentissage du
Shuri-te à l’âge de dix ans, sous la férule de Tode Sakugawa dont il fut le dernier disciple et devint le
successeur.
Ses qualités de combattant étaient si exceptionnelles qu’il devint très rapidement, en 1816, à l’âge de dix-
neuf ans, le responsable et instructeur de la garde du palais de Shuri et garde du corps personnel du roi. Il
est resté à ce poste sous les trois derniers règnes des rois d’Okinawa.
Il s'entraîna avec plusieurs maîtres chinois dont un dénommé Chinto. Il créa, en son honneur, un kata qui
porte son nom (Gankaku en prononciation japonaise).
Il systématisa son art pour pouvoir l’enseigner et y introduisit les kata Kushanku et Hakutsuru, que Sakugawa
lui avait enseignés, et créa, outre Chinto, les kata Passai (Bassai) et Gojushiho. Afin de renforcer le corps et
permettre de développer la stabilité du combattant dans des déplacements rapides, il inventa le kata
Naihanchi (Tekki).
Parmi ses disciples, il convient de distinguer Anko Itosu (1830-1915), son successeur officiel.
À la fin de sa vie, il intégra les kata du Tomari-te et ceux du Shuri-te dans un style unique qu’il nomma
« Shorin-ryu ».
Tous les styles modernes de karaté, sans aucune exception, sont issus de son enseignement, y compris, en
partie, le Goju-ryu et le Uechi-ryu.
TOMARI-TE
Ce style, qui ne s’est réellement affirmé qu’au 19 e siècle, comportait quelques kata originaux, mais sa forme
générale était très proche du Shuri-te, car les deux villes, sous l’impulsion de Sokon Matsumura et Kosaku
Matsumora ― attention à la confusion entre ces deux noms ―, se sont progressivement engagées dans une
fructueuse collaboration alors que la rivalité est restée vive avec Naha.
NAHA-TE
Alors que les apports chinois ont simplement enrichi le Shuri-te dont la genèse se perd dans la nuit des
temps, le Naha-te est essentiellement constitué de techniques issues du wu-shu. L’histoire de ce style
démarre beaucoup plus tardivement puisqu’on ne trouve pas de personnalité marquante avant le milieu du 19 e
siècle.
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Il était célèbre pour l’enseignement de Unshu (Unsu), Seisan (Hangetsu), Shihohai, Niseishi (Nijushiho),
Sanchin et pour sa maîtrise des armes du kobujutsu.
Les techniques et kata d’Aragaki sont disséminées dans un certain nombre de styles modernes de karaté et
de kobudo. Le Chito-ryu ― créé par Tsuyoshi Chitose ; à ne pas confondre avec le Shito-ryu ― est sans doute
le style le plus proche de l’enseignement d’Aragaki. C’est sans doute la raison, alliée au fait qu’il n’est pas né à
Naha, pour laquelle Aragaki est rarement cité comme précurseur du Naha-te. Cependant, sa formation
martiale essentiellement chinoise et l’influence qu’il a eue sur le jeune Higaonna l’inscrivent sans ambiguïté
dans cette lignée.
Comment expliquer l’avance historique prise par le Shuri-te sur les deux styles concurrents, Tomari-te et
Naha-te ?
Quand on souhaite une réelle efficacité, on se dote d’une arme ; le combat à mains nues n’est qu’un pis-aller.
Cependant, les armes sont interdites dans le royaume d’Okinawa depuis le 15 e siècle. Or, à Shuri résident les
nobles ; leur seule arme est le sabre. Si le roi leur en interdit le port, il ne leur reste que leurs mains. Naha et
Tomari sont des villes de travailleurs qui utilisent de nombreux outils difficiles à interdire ; tout
naturellement, ces outils deviennent les armes du kobu-jutsu et c’est seulement quand la surveillance des
samouraïs s’accroît que le combat à mains nues se développe. De plus, les nobles de Shuri n’ont rien à faire et
peuvent consacrer beaucoup de temps à l’entraînement alors que paysans ou pêcheurs ne connaissent guère le
temps libre.
SHORIN-RYU
Ainsi nommé par Sokon Matsumura, ce style est donc, pour l’essentiel, issu de concepts de combat tirés du
Shuri-te, du Shaolin quan (poing de Shaolin) et, de façon plus marginale, du Tomari-te. Le Shorin-ryu est
aujourd’hui encore très pratiqué, mais de grandes différences s’observent entre chaque maître.
Les principaux disciples de Matsumura, en dehors de son petit fils, Nabe ― qui n’eut qu’un seul et unique
élève, Hohan Soken (1889-1982) ―, furent Yasutsune Azato (1827-1906), Anko Itosu (1830-1915), Kentsu
Yabu (1866-1937), Chomo Hanashiro (1869-1945) et Chotoku Kyan (1870-1945).
Cette liste, non exhaustive de maîtres présente quelques figures, parmi les plus marquantes de l’histoire du
Shorin-ryu.
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C’est lui qui introduisit dans les écoles d’Okinawa, au début du 20 e siècle, l’entraînement de l'Okinawa-te
― appelé ainsi, pour gommer les différences entre les différents courants du Tode et aussi pour supprimer
les références à la Chine, les séquelles de la guerre sino-japonaise (1894-1895) étant encore trop fraîches.
Afin de valoriser l’aspect éducatif du karaté, il le transforma en une forme d’éducation physique.
Anko Itosu jugeait les kata anciens trop complexes pour des collégiens ; aussi créa-t-il, en 1907, des kata
simplifiés, les Pinan (Heian), à partir des kata Passai et Kushanku. Il scinda aussi le kata Naihanchi en trois
afin de rendre son apprentissage plus facile. On lui attribue également la création de Kosokun-sho (Kanku-
sho) et Shiho-Kosokun.
Porté par son élan, il modifia notablement la quasi-totalité des kata que ses maîtres lui avaient transmis. Ce
fait, conjointement à l’abandon de l’aspect martial du karaté, lui sera reproché par une partie des maîtres
d’Okinawa qui préféreront continuer à se référer à Sokon Matsumura.
Il eut néanmoins de très nombreux disciples, dont les quatre principaux furent Shoshin Chibana, Gichin
Funakoshi, Shinpan Shiroma et Kenwa Mabuni.
Il a été surnommé « le père du karaté moderne ». Il peut également être considéré comme celui qui dénatura
le plus profondément l’héritage du Shorin-ryu.
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Outre Shoshin Nagamine (1907-1997), qu’il désigna comme successeur, ses deux élèves les plus fidèles furent
Zenryo Shimabukuro (1908-1969) et Joen Nakazato (né en 1922).
Nakazato a créé en 1954 le Shorinji-ryu pour le différencier du Shorin-ryu dont il est issu.
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Son enseignement très traditionnel perpétue l’apprentissage des kata originaux Shorin-ryu. Spécialiste des
bunkai, Nakamura a mené une vie de recherche sur la complexité et l’utilisation des techniques utilisées en
kata.
Il est président de la Zen Okinawa Karate-Do Renmei.
Yoshio Nakamura a mis par écrit son expérience et une partie de son savoir dans un ouvrage intitulé : « Shuri
Shorin-ryu Karate-do ».
Tous les maîtres que nous venons de présenter se sont toujours référé au terme Shorin ou à un de ses
dérivés mais chacun a cultivé sa différence dans la lignée du Shorin-ryu de Sokon Matsumura ou celle d’Anko
Itosu, ce qui nous offre aujourd’hui un vaste éventail de styles se réclamant d’une origine commune.
Certaines constantes peuvent néanmoins caractériser le Shorin-ryu :
o Des postures relativement hautes, quasi naturelles, et souples ;
o Une grande rapidité des déplacements ;
o Un travail approfondi des kata ;
o Une respiration naturelle et non forcée ;
o Des techniques de frappes plus directes que circulaires.
Bien d’autres maîtres ont reçu le Shorin-ryu en héritage, mais pour diverses raisons, ils ont abandonné cette
dénomination et en ont plus ou moins modifié le contenu technique ou philosophique. Voici les principaux :
SHOTOKAN
Ce style est aujourd’hui le plus pratiqué dans le Monde mais les variantes liées à chaque maître sont
particulièrement marquées en particulier du fait d’une grande confusion entre la pratique du père Funakoshi
et celle du fils qui étaient extrêmement dissemblables.
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Durant cette époque, Funakoshi commença à pratiquer le bouddhisme zen, ce qui renforça l’aspect
philosophique de son enseignement et le conforta dans sa conception éducative du karaté. Il refusait toute
forme de confrontation car, prétendait-il, le karaté était trop dangereux pour envisager des jyu-gumite. Cet
aspect laisse supposer un côté très martial à son enseignement. Mais l’absence de mise en pratique, puisque
ses entraînements se limitaient, pour l’essentiel, au travail des kata, et sa fidélité envers les principes
développés par Itosu plaident plutôt pour une occultation du volet martial. Ambiguïté répercutée sur ses
élèves chez lesquels on remarquera de nombreuses hésitations entre les aspects martiaux, sportifs et
éducatifs du karaté.
À la fin des années 30, des clubs de karaté s’étaient mis en place dans les établissements d’enseignement
supérieur un peu partout au Japon. Pour accueillir correctement un nombre croissant d’élèves, en 1939
Funakoshi fit construire le dojo « Shotokan ». « Shoto », qui signifie approximativement « vagues de pins »,
est le nom qu’il utilisait pour signer ses calligraphies et ses poésies.
Dans les raids aériens de la seconde guerre mondiale, le Shotokan fut détruit et la croissance du karaté
s’arrêta temporairement. Après la guerre, des élèves de Funakoshi se regroupèrent et, en 1949, formèrent la
Japan Karate Association (JKA) qui avait des prétentions hégémoniques sur l’ensemble du karaté mais ne
représenta jamais que le Shotokan, avec Gichin Funakoshi comme maître suprême officiel. Malgré son titre,
Funakoshi ne cautionna jamais les initiatives de la JKA qui fut reconnue officiellement par le ministère de
l’éducation le 10 avril 1957.
Gichin Funakoshi forma de nombreux élèves qui devinrent eux-mêmes des maîtres renommés : Obata,
Okuyama, Egami, Harada, Hironishi, Takagi, Ohshima, Nakayama, Nishiyama, Kase.
Gichin Funakoshi a été gratifié de son vivant de l’appellation exceptionnelle « O-sensei » (grand maître).
Cependant, en 1957, après sa mort, un désaccord public entre la JKA et plusieurs anciens élèves de Funakoshi
dont Obata, Ohshima et Egami ― créateur, quelques mois plus tard, du Shotokai ―, qui se disaient écœurés
par la dérive sportive et commerciale que prenait l’organisation officielle, entraîna une première scission.
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Hidetaka Nishiyama (1928-2008)
Né à Tokyo, Nishiyama a commencé le kendo en 1933, puis le judo en 1938. En 1943, il a commencé à
s’entraîner au karaté avec Gichin Funakoshi.
Il a participé à la fondation de la JKA et a été élu au conseil d’administration.
En 1952, il fut chargé d’entraîner les militaires américains du Strategic Air Command.
En juillet 1961, il s’installa aux États-Unis et organisa le premier championnat national de karaté à Los
Angeles où il avait établi son dojo.
Après avoir œuvré à la création de diverses structures de karaté amateur destinées à promouvoir le karaté
sportif, Nishiyama fonda en 1985 la Fédération Internationale de Karaté Traditionnel (ITKF) qu’il fit
reconnaître comme seul organe directeur du karaté traditionnel à l’échelon mondial. Sans doute a-t-il joué sur
la signification du terme « traditionnel », car la trace qu’il laisse est plus sportive que martiale. Certes, il a
essayé de redorer le blason martial du karaté mais sans jamais abandonner la compétition. D’ailleurs, ses
élèves les plus connus sont tous d’anciens champions.
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En 1977, il quitta la JKA et fonda sa propre organisation : Shotokan Karate International (SKI). Sa maîtrise
du tai-chi a largement influé sur son karaté qui allie puissance et fluidité. Autre particularité : un karaté
spectaculaire grâce à son aisance dans les coups de pied jodan, caractéristique jugée incongrue par les
tenants de l’art martial à cause, entre autres, de l’exposition excessive du bas-ventre. Cela est toutefois
devenu la norme dans le karaté sportif.
SHOTOKAI
Ce style se présente lui-même comme le prolongement des recherches de Yoshitaka Funakoshi et intègre des
techniques et notions propres à l’aïkido afin de rendre la méthode davantage conforme aux traditions du
budo. Toutefois, une observation méticuleuse fait naître quelques doutes sur cette filiation, notamment à
cause de l’absence de kime dans les atemi.
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meurt à Paris en 1987. Son karaté était extrêmement exigeant et il n’eut, de ce fait, jamais beaucoup
d’élèves mais ceux qui l’ont suivi sont restés des inconditionnels.
WADO-RYU
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SHITO-RYU
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En 1921, il a terrassé un boxeur russe, alors champion du monde des super lourds, d’un shuto à la tête. Il
releva de nombreux défis et ne fut jamais battu. Cela l’a rendu populaire et a contribué au développement du
karaté au Japon.
Son kata préféré était Naihanchi. Il le considérait comme la base du karaté.
Motobu eut une influence importante auprès de Mabuni et Miyagi. À la fin de sa vie, il abandonna les défis et
se tourna enfin vers le véritable esprit du karate-do. Son style était très réaliste et efficace. Sa technique
favorite était le coup de poing du dragon, poing à une seule phalange pliée avec lequel il écrasait facilement un
makiwara. L’école de Choki Motobu s’est perpétrée avec Kosei Kokuba et le Motobu-ha Shito-ryu.
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Malheureusement, comme bien d’autres, la succession de Shogo Kuniba a été assez houleuse et reste
problématique.
SHUKOKAI
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Il faut croire toutefois que le Shukokai, vu son aspect strictement sportif, n’était pas apte à satisfaire
Nambu qui créa le Sankukai, puis, tel un aboutissement, le Nambu-do.
SHOREI-RYU
C’est le nom générique donné au Naha-Te à partir de la fin du 19 e siècle. Il a donné naissance au Goju-ryu et à
l'Uechi-ryu, deux styles qui revendiquent mordicus leurs origines chinoises. Ce sont des styles puissants, très
efficaces en combat rapproché. Leurs créateurs se nomment Chojun Miyagi et Kanbun Uechi.
GOJU-RYU
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En 1931, Gogen Yamaguchi rencontra Chojun Miyagi. Cette rencontre provoqua un profond bouleversement
dans ses convictions ; jusqu’à cet instant, Yamaguchi avait seulement considéré le côté dur du Goju-ryu. Il
commença alors à chercher d’autres sensations, tant spirituelles que physiques. Quant à Miyagi, il fut
impressionné par Yamaguchi qui maîtrisait à merveille l’aspect dur du Goju-ryu et le surnomma « Gogen » ― ce
qui veut dire « brut ». Gogen Yamaguchi devint le représentant officiel du Goju-ryu au Japon.
Les années 1935 à 1945 qui suivirent furent marquées par le conflit russo-japonais puis la seconde guerre
mondiale. Yamaguchi fut emprisonné en Mongolie pendant deux ans. À son retour au Japon, il est devenu l’un
des personnages les plus fascinants de l’histoire du karaté. Ses mouvements rapides et gracieux mais aussi sa
position de combat préférée, neko ashi dachi, lui valurent le surnom de « Chat ».
Les contributions de Gogen Yamaguchi au Goju-ryu et au karaté en général sont nombreuses. Il a notamment
combiné karaté et pratiques spirituelles en incorporant le yoga et le Shinto dans le Goju-ryu. Il pensait que
corps et esprit ont une relation mutuelle qu’il nous est possible d’explorer grâce à des exercices de
respiration et de concentration, pour ainsi comprendre l’essence des arts martiaux. C’est pour cette raison
que le Goju-ryu présente plusieurs techniques de respiration appelées « ibuki ».
Sous l’impulsion de plusieurs élèves de Yamaguchi, certaines écoles Goju-ryu ont abandonné de la dureté au
profit d’une plus grande fluidité. C’est le cas du Goju-ryu Kuyukai enseigné par Osamu Hirano (né en 1939). À
titre d’exemple, Sanchin, le kata respiratoire symbole du Goju-ryu, y perd en contraction et sonorité pour y
gagner en profondeur.
UECHI-RYU
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d’une altercation, un de ses élèves porta un coup mortel à son adversaire, entraînant de facto l’opprobre de la
population envers Uechi et son enseignement. Aussi décida-t-il de retourner à Okinawa, bien décidé à ne plus
enseigner.
En 1924, Uechi quitta l’archipel pour Wakayama, près d’Osaka. Un an plus tard, poussé par deux compatriotes
okinawaïens, dont Ryuyu Tomoyose, il se décida enfin à reprendre l’enseignement.
En 1940, son école prend le nom « Uechi-ryu ».
En 1947, il décide de rentrer à Okinawa, son dojo est confié à Tomoyose. Terrassé par une grave maladie,
Kanbun décède l’année suivante, en 1948.
Au fil des années, son fils, Kanei va, peu à peu, populariser et moderniser le style, mais sans trahir l’esprit du
Pangainon : dur dans les attaques et souple dans les blocages.
Kanbun Uechi n’enseignait que trois kata. Kanei créera trois nouveaux kata.
L'Uechi-ryu est, à l’heure actuelle, un style très présent à Okinawa et est reconnu pour son efficacité. Les
démonstrations de Takemi Takayasu (né en 1950) suffisent à s’en convaincre.
Goju-ryu et Uechi-ryu ont d’évidentes parentés. Toutefois, ce dernier revendique une totale indépendance
vis-à-vis du Goju-ryu. De fait, si leurs sources sont les mêmes, ils se sont développés sans jamais interférer.
ISSHIN-RYU
KYOKUSHINKAI
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dénommé Kayama, qui les ravitaillait régulièrement. Ils s’imposèrent une discipline de fer et un entraînement
rigoureux, puisant leur technique dans les formes coréennes anciennes, le Goju-ryu, le Shotokan et le
Taikiken de Kenichi Sawai (1903-1988). Yashiro craqua au bout de six mois et Oyama dut lui aussi abandonner
au bout de quatorze mois par suite, dira-t-il, de la défection du mécène qui l’approvisionnait.
Comme cette aventure n’eut aucun témoin, il circulera, par la suite, les histoires les plus rocambolesques qui
se puissent concevoir.
Quand Oyama revint à la civilisation en 1950, il testa sa force sur un taureau. Il en aurait affronté cinquante-
deux dans sa vie et en aurait tué plusieurs, toujours à mains nues bien sûr. En 1952, il entama une tournée de
démonstrations et de défis aux États-Unis puis en Asie en affrontant karatékas, boxeurs, lutteurs et autres
adversaires qu’il domina largement, dixit sa biographie officielle. En 1953, il ouvrit son premier dojo à Tokyo
et, en 1964, il donna à son style le nom de Kyokushinkai (l’école de l’ultime vérité).
Les combats de compétition se déroulent en plein contact, avec possibilité de K.O. (avec de nombreuses
interdictions). Cependant, comme dans beaucoup d’autres écoles, l’entraînement est relativement
conventionnel, à base de kihon et kata.
GEMBUKAN
MISES EN GARDE
Évidemment, d’autres styles, d’autres écoles existent et des maîtres dont nous n’avons pas parlé dépassent
sans doute en intérêt certains experts ayant bénéficié d’une note biographique. Mais cette rétrospective n’a
aucune prétention d’exhaustivité et ce n’en est d’ailleurs pas le but. Son utilité réside dans la confrontation
de biographies généralement présentées pour illustrer la genèse d’un style ou d’une école ― ryu, ha, kan, kai,
do ― et souvent pour en faire briller les ors. Leur juxtaposition permet de mieux appréhender la place et les
réels apports des protagonistes de la grande histoire du karaté.
Toutefois, malgré la présentation des styles dans une sorte de généalogie, il convient d’adopter la plus grande
prudence sur l’interprétation des filiations successives, la réalité étant souvent à mille lieues de ce qui
apparaît comme une évidence.
À la mort de Shogo Kuniba, qui fut un grand parmi les grands, le conseil des shihan du Seishinkai a désigné
Kunio Tatsuno (1942-1999) comme successeur. Cette décision reposait sur des motifs clairs : Tatsuno était
très riche ― financièrement ― et se proposait d’œuvrer à l’expansion du Seishinkai et à l’admission du karaté
dans la liste des disciplines olympiques. L’homme, infatué, s’est montré totalement indigne de cet honneur
― sa philosophie et sa technique étaient celles de la brute épaisse ― et il s’est empressé de tirer un trait sur
tout le goshin-budo développé par Kuniba. Par ailleurs, un élève de Shogo Kuniba, Toshio Kaneta (né en 1936),
a fondé le Sogo Budo Kaneta-kai. Kaneta, un peu moins fin techniquement que Kuniba, plutôt frustre sur le
plan intellectuel, transmet avec une parfaite maîtrise l’intégralité du karaté et du goshin-budo de Shogo
Kuniba. D’un côté le même nom d’école mais un style extrêmement dégradé, de l’autre, le même style mais un
nom d’école différent.
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Que dire également de la succession officielle entre Sokon Matsumura et Anko Itosu dont on sait comment il
a transformé le legs. Prudence, donc, sur la teneur des héritages ou des créations.
Précisons qu’une bonne partie des biographies de cet article a subi, après de multiples recherches et
recoupements, des retouches par rapport à celles qui figurent dans la littérature et sur Internet. Des
incohérences ont ainsi été corrigées, des affabulations mises en doute et des panégyriques ramenés à de plus
justes proportions.
Notons tout d’abord que les différences d’un maître ou d’un style à l’autre sont de trois ordres :
Technique : même pour le profane, les divergences sautent aux yeux ;
Éthique : si, fondamentalement, l’art martial n’admet aucune règle, la vie en société exige un code ;
mais quel code ?
Philosophique : quel est le but ultime de l’art martial ?
Et un constat : les modifications techniques n’affectent généralement pas la finalité d’un art martial, mais les
différentes approches philosophiques influent profondément sur la technique et peuvent entrer en conflit
avec certains préceptes éthiques.
Soyons clair : les autorités politiques et administratives d’Okinawa, avec Itosu comme fer de lance,
introduisent le karaté dans les écoles, évidemment avec l’objectif éducatif en point de mire. L’aspect martial
est sans état d’âme passé à la trappe par Itosu et son équipe pour répondre au mieux aux désirs des
pédagogues. Cela se traduit par l’abandon de toutes les techniques dangereuses et notamment par la
fermeture des poings dans les kata en lieu et place des multiples techniques mains ouvertes. L’intelligentsia
japonaise accueille favorablement cette initiative locale, ce qui ouvre, pour les maîtres okinawaïens, des
perspectives d’expansion dans le reste du Japon. Dans les années suivantes, Funakoshi d’abord, puis Mabuni,
Miyagi et Ohtsuka, pour ne citer que les principaux, se ruent sur ce créneau porteur et ouvrent chacun de
nombreux clubs au sein des universités. Aucun ne reniera les préceptes définis par Itosu et tous
enseigneront un art amputé de ses attributs martiaux sauf, peut-être et pour certains, dans leurs clubs
privés, en dehors des institutions scolaires dans lesquelles le karaté est devenu une vulgaire gymnastique ― le
mot a été employé par les Japonais eux-mêmes. Contrairement à l’art martial, la gymnastique ne véhicule
aucune philosophie ou éthique. Les pédagogues ont donc affublé ce karaté gymnique d’un catalogue de qualités
morales à cultiver afin de justifier l’appartenance du karaté à la grande famille du budo.
Certains maîtres se sont opposés, au moins dans le discours, à cette dérive gymnique, mais une grande partie
de ces réfractaires s’est orientée vers le karaté sportif de compétition ; autre travers qui éloigne le karaté
de l’art martial puisqu’il faut également interdire les techniques dangereuses ― donc efficaces ― et établir
des règles. Le lecteur aura d’ailleurs noté au passage que certains maîtres réputés, après avoir promu le
karaté sportif, ont émis des réserves, voire de franches oppositions, envers la compétition.
Quelques maîtres ont poursuivi leur chemin dans l’étroit sillon de l’art martial authentique ; ce ne sont
généralement pas les plus connus.
Ces observations n’enlèvent rien aux immenses qualités des champions et pédagogues, mais il faut être
conscient de l’itinéraire sur lequel on s’engage, car il n’est jamais bon de se bercer d’illusions. Il faudrait être
aveugle, ou idiot, pour nier le gouffre qui sépare karaté martial et karaté sportif. Malheureusement, de
nombreux maîtres, anciens champions, entretiennent la confusion.
Deuxième point :
Si les modifications apportées à un art martial peuvent être techniques, éthiques ou philosophiques, les
motivations qui les ont engendrées sont principalement commerciales, administratives, politiques ou
personnelles.
1. Préoccupations commerciales
Entre 1920 et 1940, c’est bien un nouveau marché qui s’est ouvert au Japon pour le karaté et chaque maître a
revendiqué sa part. Impossible cependant d’accuser les pionniers de mercantilisme, car il ne semble pas que la
recherche du profit ait alimenté leur motivation, ce qui ne sera pas le cas d’un certain nombre de leurs
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successeurs. Quoi qu’il en soit, l’histoire de l’expansion du karaté d’Okinawa, d’abord au Japon, puis dans le
Monde, est une illustration parfaite de la conquête d’un marché ― la JKA est avant tout une entreprise
exportatrice ― avec tous les travers qui lui sont inhérents.
Un exemple.
Au 18e siècle, Kushanku démontre la technique du hikite à deux maîtres d’Okinawa et très rapidement tous
adoptent cette innovation qui renforce l’efficacité des zuki.
Au 20e siècle, les maîtres du Shotokan introduisent la poussée du hara dans les atemi, procurant ainsi à
chaque technique une puissance nettement accrue ― le full-contact et autres sports apparentés se
réjouiront de ce progrès ―, mais la plupart des autres styles de karaté dédaignent ou déguisent cette
avancée sous une forme moins performante dont Ohshima dit : « Certains n’ont rien compris au travail du
hara et font la danse du ventre. »
Pourquoi observe-t-on cette différence de traitement envers deux avancées incontestables ? Ne tournons
pas autour du pot : les lois du commerce. Aux 18e et 19e siècles, le seul souci est d’être le plus efficace
possible, nul ne se préoccupe de sa part de marché. Toute innovation est alors immédiatement adoptée par
tous, annihilant progressivement les différences de style ; cela aboutit au karaté de Sokon Matsumura. Mais
au 20e siècle, il faut s’imposer dans un marché concurrentiel en pleine expansion. La plus-value d’un produit
tient à ses différences, véridiques ou purement rhétoriques, que l’on présentera comme des atouts.
L’uniformisation, la standardisation anesthésient l’intérêt du consommateur. Et, tout en collant au plus près
aux attentes du public, chaque style va cultiver ses particularismes même au prix d’amputations sérieuses de
sa valeur martiale. D’ailleurs, ce critère n’est plus primordial ; les mots d’ordre sont devenus « éducation » et
« sport ». Néanmoins, chaque style conservera quelques aspects spectaculaires ou ésotériques propres à
impressionner et attirer le public : le shiwari ― la casse ― en est le meilleur exemple.
Fondamentalement, de nombreux maîtres souhaiteraient enseigner un karaté réellement martial, mais ils
raisonnent tous, ou presque, en termes d’audience, bien relayés par les fédérations qui comptabilisent
fébrilement leurs licenciés. Pour bien vendre, il faut présenter une belle vitrine. Dans ce but, la compétition
fait consensus. D’où son omniprésence et les nombreuses ambiguïtés rencontrées dans l’enseignement du
karaté.
Bien entendu, suivant les styles ou les maîtres, cette évolution teintée de mercantilisme est plus ou moins
marquée, mais, à la vérité, les purs de l’art martial sont une infime minorité à partir du 20 e siècle.
2. Incitations administratives
Une reconnaissance administrative est souvent liée à des avantages financiers, logistiques ou promotionnels,
ce qui peut inciter un expert à la solliciter. Or, tous les organismes ― fédération, collectivité, sponsor, etc. ―
exigent des contreparties. Quelques exemples :
Tous les maîtres de karaté l’affirment, outre les atemi, les kata contiennent des projections, des
saisies et dégagements, des luxations et des contrôles. Cependant le karaté a été admis dans
l’univers fermé du budo avec une panoplie martiale limitée aux techniques de percussion. C’était
justement la faiblesse du ju-jutsu, aussi les promoteurs du karaté se sont-ils engouffrés dans
cette brèche afin de présenter un art bien différencié. C’est d’ailleurs sur ce même critère qu’ont
achoppés les tenants du karaté olympique vers la fin du 20 e siècle, les responsables du CIO
trouvant le karaté trop proche du taekwondo déjà présent sur la liste des disciplines olympiques.
Les collectivités territoriales ou les établissements publics peuvent accorder des subventions en
contrepartie d’actions à caractère social, éducatif ou sportif qui ne seront pas neutres sur le
contenu de l’enseignement. Et le montant des subventions est souvent corrélé aux résultats
sportifs. Les purs de l’art martial, qui, le plus souvent, ne participent pas aux compétitions, ne
sont pas logés à la bonne enseigne.
Toute structure a ses propres règles auxquelles les adhérents doivent se soumettre ce qui ne
manque pas de créer des adaptations hasardeuses. Par exemple, le programme des passages de
grade d’une fédération ne correspond pas forcément aux vœux de chaque maître.
Certes, si l’expansion du karaté est une vraie réussite, d’aucuns regrettent que ce soit au prix de notables
transformations et surtout d’un regrettable appauvrissement. Ainsi, confrontés à des exigences
administratives, nombreux furent les maîtres forcés d’introduire dans leur style ou école des modifications
techniques qu’ils n’auraient pas spontanément souhaitées.
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3. Impératifs politiques
Si l’expansion du karaté au Japon s’est d’abord faite sur le mode gymnique et éducatif, au moment de la
seconde guerre mondiale, le Japon, belliciste, expansionniste, a encouragé l’esprit martial et les clubs d’arts
martiaux se sont retrouvés en première ligne pour former des kamikazes. Après la défaite de l’Axe, toute
activité à caractère martial a été bannie jusqu’en 1948 avec quelques exceptions notables, notamment pour le
karaté. D’ailleurs, celui-ci fut le premier à bénéficier d’une nouvelle autorisation grâce à l’aspect
apparemment inoffensif de ses kata. Les résolutions pacifiques signées par le Japon, bien acceptées par une
population totalement dévouée à son empereur, constituèrent le terreau sur lequel a pu se développer un
karaté exclusivement sportif. Les adeptes du véritable art martial se sont fondus dans ce mouvement ou se
sont faits discrets. Il a fallu attendre de nombreuses années pour voir certains maîtres revenir au karaté
martial.
4. Prédispositions naturelles
Gichin Funakoshi avait des bras d’acier et prenait un grand plaisir à voir les attaques adverses se briser sur
ses défenses ; aussi enseignait-il un karaté relativement statique fondé sur de puissants blocages. Ohtsuka,
dont les avant-bras n’avaient pas la même solidité, préféra s’orienter vers un travail plus fluide en donnant la
priorité à l’esquive. Si l’on poursuit l’examen des promoteurs des différents styles, on ne peut manquer
d’observer une correspondance entre leurs prédispositions physiques ou psychiques et la forme de leur art.
Chacun adapte l’art martial à ses penchants naturels. Ainsi au sein d’un même style, certains ont un style dur,
d’autres sont très fluides ; certains adoptent des positions basses, d’autres plus naturelles ; certains
privilégient l’esquive, d’autres le blocage ; et la liste des divergences pourrait s’allonger presque indéfiniment.
Là où le bât blesse, c’est dans la prétention de la plupart des maîtres à enseigner ce qui leur convient sans se
préoccuper de ce qui convient à leurs élèves. Concevable lorsque, dans les siècles passés, le maître avait
quelques disciples sélectionnés, cette formule est aujourd’hui absurde quand un maître prétend imposer le
même moule à des milliers d’élèves directs et indirects.
En assemblant les divers éléments que nous venons de souligner, nous voyons se profiler une vision d’ensemble
de la genèse des styles :
Première période : le Tode. Hormis la clandestinité des entraînements, aucune contrainte ne perturbe
l’avènement d’un art martial totalement abouti. Sokon Matsumura concentrera entre ses mains la
quintessence de l’art martial local.
Seconde période : l’Okinawa-te. L’ouverture du Japon sur le Monde suscite un engouement pour les
valeurs occidentales et notamment pour le sport auquel les maîtres vont s’adapter. Puis l’introduction
de l’Okinawa-te dans l’enseignement amène les premières contraintes administratives avec pour
corollaire une profonde mutation de la technique et de sa finalité. Tout le monde à Okinawa ne
cautionnait pas cette initiative, mais les « pédagogues », Itosu en tête, et les « sportifs »
l’emporteront sur les « guerriers » qui, bien que ne disparaissant pas totalement, seront largement
marginalisés, surtout après 1945.
Troisième période : le karate. Les maîtres ont pris conscience de la valeur de leur art et de son
marché potentiel. Tels les marchands de lessive qui plus tard multiplieront les emballages contenant
le même détergent, ils nous concoctent un large panel de styles où le consommateur crédule aura le
sentiment d’avoir le choix. Car, il faut bien le souligner les différences sont souvent plus marquées
entre deux enseignants de même style qu’entre les styles eux-mêmes.
Pourtant, si les styles se sont multipliés, un facteur d’uniformisation agit sournoisement depuis une
cinquantaine d’années : la compétition. Il fut un temps où un kata Shito ne se pratiquait pas comme son
équivalent Goju ou Wado. Même au sein d’un style, les différentes écoles avaient leurs spécificités et de
notables nuances s’observaient dans leurs kata respectifs. Aujourd’hui, la compétition a imposé des standards
que le jeune champion doit respecter s’il veut prétendre à la victoire et les entraîneurs se sont adaptés à ce
nouveau diktat. Certes, chaque style possède des kata distincts, avec des positions particulières, mais la
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manière de les exécuter s’est normalisée et il est devenu difficile de dire de quel style est un karatéka qui
présente un kata que l’observateur ne connaît pas. En combat, cette distinction est encore plus ardue.
Cette évolution, qui doit concerner environ quatre-vingts pour cent des clubs dans le Monde, n’a cependant
rien de réjouissant puisque, comme l’ont fait remarquer de très nombreux maîtres, la compétition sportive
s’est développée au détriment de la valeur martiale du karaté. Pour les puristes, cet avatar est la plus grande
catastrophe qui pouvait affecter le karaté. En voici les principales conséquences :
La panoplie de l’art martial permet de faire face à toutes les formes d’agression. Le compétiteur ne
travaille que les techniques autorisées et surtout celles qui « payent ».
Le véritable art martial doit conduire à la sérénité. La compétition produit et exploite stress et
agressivité, pas seulement d’ailleurs dans les arts martiaux.
La richesse de l’art martial permet de pratiquer toute sa vie sans lassitude. Dans les clubs
« compétition » ou ceux qui suivent inconsciemment le même entraînement, on dénombre en moyenne
20 % d’adultes pour 80 % d’enfants. Inutile de se torturer l’esprit pour comprendre pourquoi.
La compétition sportive est l’art de dominer ses adversaires. L’attaque prédomine puisqu’il faut
gagner.
L’art martial vise l’harmonie. La défense est son principal pilier.
Philosophie, éthique et technique, tout oppose le sport de compétition et l’art martial.
Au milieu du 20e siècle, il était encore permis de penser qu’une cohabitation était possible entre compétition
et art martial ; d’ailleurs certains, peu nombreux il est vrai, sont parvenus à ce précaire équilibre. Néanmoins,
au début du 21e siècle, le doute n’est plus de mise ; le raz de marée de la compétition a submergé l’art martial
qui n’est plus que ruines hormis quelques clubs ou groupements dirigés par de vrais maîtres, miraculeusement
rescapés. C’est dommage, car, fondamentalement, la compétition de karaté peut être considérée comme une
forme d’entraînement ou comme un jeu qui utilisent une partie des techniques du karaté sans pour autant se
substituer à l’art martial. La réalité est, malheureusement, tout autre.
Mais la démarche « éducative » porte également une lourde responsabilité dans cette faillite. D’abord, il
n’était pas nécessaire d’édulcorer autant le karaté pour l’enseigner au tout venant. L’art martial est une arme
redoutable, tout le monde en convient, mais il recèle un pouvoir éducatif bien plus grand qu’un simple sport. Et
avant d’être efficace, donc éventuellement dangereux, le pratiquant aura assimilé, durant plusieurs années,
philosophie, éthique, contrôle de soi, etc. De plus, s’il est concevable d’adapter l’enseignement aux
différentes tranches d’âge, il est totalement aberrant d’enseigner le même ersatz de karaté aux « poussins »
et aux « seniors », à la seule différence de l’aspect ludique. Malgré les récriminations de certains
instructeurs, c’est pourtant ce qu’on observe dans une majorité de clubs.
Donc, s’il s’agit de transpirer, acquérir quelques habiletés ou gagner deux ou trois médailles, n’importe quel
style de karaté fait l’affaire. Mais si le but est de s’épanouir dans une pratique martiale conçue pour
accompagner une vie entière, il convient de bien choisir son professeur afin d’être en accord avec sa
philosophie, son éthique et sa technique. Dans ce cas, comprendre sur quoi repose son style est capital.
Voyons, dans les grandes lignes, les options éventuelles qui s’offrent à un instructeur.
Le nom du style renseigne essentiellement sur la liste des kata enseignés dans un club, mais un art martial se
compose de nombreux paramètres.
Choix philosophiques
L’objectif peut :
o Se situer dans l’immédiat : activité hygiénique ou ludique.
o Envisager une construction sur le moyen ou long terme : éducation, sport, défense personnelle.
o Intégrer une dimension spirituelle : développement personnel, contrôle des émotions, maîtrise de
l’esprit, sagesse.
o Viser à l’harmonie et au bonheur universels.
Cette énumération d’objectifs fonctionne comme des « poupées russes », les derniers englobant les
précédents. Si l’instructeur se limite aux premiers, il n’y a aucun espoir d’avoir accès aux suivants. Notons
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également le caractère illusoire de certains objectifs : la défense personnelle ne fonctionnera pas sans, au
minimum, quelque maîtrise des émotions. Quant à l’éducation qui ne se soucie pas de l’esprit et de ses
tortueux méandres, elle est vouée à un cuisant échec.
Choix éthiques
Certains instructeurs n’enseignent que des gestes. C’est, de toute évidence, insuffisant, mais ils sont moins
dangereux que ceux, heureusement peu nombreux, qui veulent former des robots exterminateurs.
La plupart prétendent transmettre des préceptes moraux. Ce ne sont, généralement, que des suites de mots
vides de sens. Ainsi, des affiches sont placardées sur les murs des dojo, des jeux sont distribués aux
enfants, qui égrènent les valeurs morales du parfait petit karatéka : courage, humilité, honneur, sincérité,
respect, fidélité, bienveillance, droiture, contrôle de soi, etc.
Examinons-en quelques-unes.
o Humilité : qualité indiscutable quand elle est sincère et naturelle, ce qui n’est pas si fréquent.
Certes, son contraire, l’orgueil, est blâmable, mais l’orgueil déguisé en humilité est haïssable, or,
c’est sous cette forme qu’elle apparaît quand elle est imposée.
o Honneur : comment ne pas y voir le principal ciment des mafias et le mobile de trop nombreux
crimes ? De plus, il entre facilement en contradiction avec l’humilité. Exemple parfait d’une valeur
morale qui ne vaut pas grand-chose sauf pour envoyer des combattants se faire tuer dans des
guerres d’agression stupides.
o Respect : seule la culture de l’amour d’autrui fera progresser l’humanité. Aimer, c’est voir les
autres sans a priori et combler leurs besoins ― pas leurs désirs qui ne sont que le reflet de leurs
conditionnements. Ainsi conçu, l’amour n’a pas de règles. Or le respect consiste à observer des
règles de conduite. Là où il y a respect ne peut exister l’amour. Si nous ne sommes pas aimé, c’est
que nous ne savons pas aimer. On comprend ainsi comment survient le désir d’instaurer le respect.
o Fidélité : quand nous aimons ou apprécions quelqu’un, nous y restons naturellement attaché sans
qu’il soit nécessaire de nous le prescrire. Lorsqu’un individu s’avère corrompu, immoral ou
incompétent, y rester fidèle serait aberrant. Faire de la fidélité une vertu relève du non-sens.
Mais on comprend qu’un seigneur l’exige de son samouraï ou un mafieux de ses hommes de main.
Le véritable maître ne se contente pas d’ânonner une liste de mots, supports bancals d’une éthique simpliste ;
il a longuement mûri un ensemble cohérent destiné à promouvoir une véritable noblesse d’esprit. Un vrai budo
n’a pas besoin d’être guidé par un code moral ; un budo comporte intrinsèquement une éthique.
Choix techniques
Les formes prisent par le karaté reposent sur divers paramètres. Les plus saillants sont les suivants :
o Interne ou externe ?
On distingue généralement les arts martiaux dits « internes » et ceux dits « externes ». L’interne concerne
la genèse et le contrôle du ki, l’énergie fondamentale, mais également des paramètres tels que la stabilité
émotionnelle. En théorie, si l’interne est représenté par le qi gong, l’externe ne devrait être qu’une simple
gestuelle, une gymnastique. En fait, tous les arts martiaux sont un mélange des deux en proportions variables.
Plus l’origine d’un style est chinoise, plus celui-ci revendique un travail sur le ki, mais les aficionados de la
compétition ou de l’éducation, quel que soit leur style, sont fréquemment ceux qui se préoccupent le moins de
l’interne.
o Atemi waza ou art martial complet ?
La panoplie technique du karaté est extrêmement vaste. Cependant, depuis le début du 20 e siècle, seuls les
atemi ont été réellement enseignés, on a déjà vu pourquoi, et les règles de compétition ont entériné ce choix
sélectif. Depuis quelques années, un nombre croissant d’experts étoffent leur enseignement avec des saisies,
luxations, projections, immobilisations, attaques armées, et leurs contre-prises. Les écarts d’un instructeur à
l’autre sont considérables.
o Quels kata ?
Les kata sont l’essence du karaté. Ceux qui proviennent du Naha-te privilégient les courtes distances de
combat et les mouvements circulaires. Le Shorin-ryu et ses dérivés sont plus nuancés, associant d’une part
courte, moyenne et longue distances, d’autre part mouvements directs et circulaires. Le kime est présent
dans tous les styles, avec des méthodes différentes et plus ou moins d’efficacité, sauf pour le Shotokai qui le
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néglige totalement. Les attitudes hautes ― choix du Wado-ryu ― favorisent la mobilité et les esquives ; les
positions basses ― choix du Shotokan ― accroissent puissance et stabilité. N’a-t-on pas besoin des deux en
fonction des circonstances ?
Un autre choix est possible : kata antiques ou kata modernes. Choix difficile, car les modifications apportées
au fil du temps sont parfois de réelles améliorations, parfois des erreurs manifestes. De plus, le jugement
diffère suivant la finalité que l’on attribue au karaté.
o Avec ou sans armes ?
Un certain nombre d’écoles ont introduit dans leur cursus le travail du sabre ou des armes du kobudo.
Quelques-unes explorent les possibilités de défense à main nue face à une attaque armée, quelques autres
couplent armes et atemi, mais, la plupart du temps, il s’agit d’une simple juxtaposition. Cependant, un travail
approfondi des armes traditionnelles n’est pas réellement nécessaire pour apprendre à faire face à un
couteau, un pistolet ou un bâton qui sont les armes actuelles de l’agression.
Compléter le karaté avec l’étude des armes traditionnelles est intéressant mais réservé aux passionnés qui
consacrent beaucoup de temps à l’entraînement. Ceux qui pratiquent seulement deux ou trois fois par semaine
n’y gagneront rien. Mieux vaut maîtriser correctement un art que d’en saboter deux.
o Un karaté pour qui ?
Un samouraï ou un champion poursuivent un même objectif : être le plus fort possible. À cette fin, il est
naturel qu’ils utilisent au mieux leurs prédispositions ; ainsi, chacun aura son « style ». Or ceux-ci deviennent
souvent des enseignants qui privilégieront les techniques leur ayant permis de briller. Quel vieux karatéka n’a
pas vu, un jour, un expert puissant exiger d’une frêle jeune fille des blocages durs ?
Trop d’experts se prétendant pédagogues ont fait de leur style personnel un monument à leur seule gloire.
Ainsi, beaucoup de styles manquent d’universalité et ne s’adaptent pas à tous les pratiquants. D’ailleurs,
plusieurs maîtres cités dans cette rétrospective ont changé de style ou créé leur propre style afin d’être
plus en phase avec leurs qualités naturelles. Pourquoi les élèves n’auraient-ils pas les mêmes prérogatives :
développer leurs propres qualités. Un style de karaté doit donc offrir à chacun la possibilité de s’épanouir en
puisant dans une vaste panoplie technique et philosophique, ce qui n’empêche pas une parfaite cohérence de
l’ensemble.
Le karaté idéal n’est pas très difficile à définir et bénéficie de la caution de Gichin Funakoshi cité par
Mitsusuke Harada : « Il n’y a pas de style en karaté […] Chacun doit essayer d’aboutir à un point où il pourra
montrer qu’il a créé quelque chose dans sa vie. » Le lecteur aura d’ailleurs noté que le karaté de Yoshitaka
Funakoshi était incomparable à celui de son père. Or ce dernier a toujours laissé son fils libre d’innover.
Quand les actes correspondent aux paroles !
Pour moi, le karaté doit être un art martial complet explorant les différentes options où chacun pourra
trouver le substrat nécessaire à son épanouissement et son efficacité. Quels sont donc les principaux
composants de ce karaté idéal ?
Philosophie
En 1940, les quatre principaux styles de karaté avaient été admis dans le cercle très fermé du budo contrôlé
par le Butokukai. Du temps du karate-jutsu, de nombreux maîtres enseignaient déjà, outre la technique, une
philosophie et une éthique. Avec le karate-do, le karaté est devenu une « voie », ce qui impose à tous les
enseignants qui revendiquent l’appellation « karate-do » des objectifs plus spirituels.
Puisque les grandes idées intègrent les idées plus terre à terre, il faut viser le plus haut possible : l’art
martial doit permettre de construire une société meilleure où règne la paix et le bonheur universel. Or, pour
être heureux, il faut être serein, se sentir en sécurité, se débarrasser de ses peurs et, en conséquence, de
sa propre agressivité. La technique du karaté, si elle est réellement efficace, peut faire progresser vers la
sérénité et l’harmonie planétaire, mais elle peut également avilir si elle est mise au service du mal. Ainsi la
notion de voie s’avère primordiale pour que l’humanité s’élève. Malheureusement ce concept est souvent mal
compris ; ce n’est jamais un chemin tracé. C’est l’itinéraire que chacun découvrira lors d’une longue et
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profonde réflexion philosophique et éthique mobilisant l’intégralité de l’être, pas seulement son intellect. Une
illumination qui prend naissance dans le hara.
Certains objecteront que le Monde ne sera pas meilleur s’ils acquièrent quelques qualités supplémentaires et
préféreront entretenir leur médiocrité.
« Je suis le Monde » disait Jiddu Krishnamurti (1895-1986). Chacun de nous est le Monde. Commençons par
nous changer et le Monde changera.
Éthique
Le code moral affiché dans les dojo ne résiste pas à une analyse critique, car il est construit par accumulation
de valeurs censées représenter le budoka idéal. De fait, il aborde le problème à l’envers. Il faut s’interroger
sur la cause fondamentale des travers humains et sur la manière d’y remédier. Un précédent article sur la
« voie » ― auquel le lecteur se reportera s’il ne maîtrise pas bien le sujet ― a pointé du doigt le responsable,
l’ego, et indiqué la solution : mettre une sourdine à l’ego ou mieux, éradiquer l’ego. L’amour, l’altruisme,
l’humilité, la bienveillance découlent naturellement de cet état de conscience où l’ego a disparu sans avoir
besoin de les rechercher séparément. Certes, la tâche est ardue, peu conventionnelle, mais c’est la seule
possible pour accéder au Graal.
Technique
o Kata
Quand, en 1976, j’ai commencé à m’entraîner à l’Amicale Karaté avec Patrick Tamburini, j’ai rencontré des
experts de tous styles qu’il invitait pour diriger un cours ou un stage. J’ai ainsi appris des kata Shotokan,
Shito et Goju. Lors des passages de grade, seul un nombre de kata était imposé, aussi pouvait-on mixer les
différents styles. Or, à l’époque nous respections encore les modes d’expression propres à chaque style ce
qui enrichissait non seulement notre panoplie gestuelle mais également l’éventail de nos sensations. Cela
permettait à chacun d’opérer une sélection en accord avec ses affinités. J’aimerais revenir à cette formule à
condition que le choix se limite aux styles reconnus afin d’éviter un déferlement de kata fantaisistes.
Malheureusement, cette solution est incompatible avec les règlements de passage de grade de la Fédération
Française de Karaté qui impose de choisir son style et je n’ai pas l’envergure qui me permettrait d’évoluer en
dehors des structures officielles ou d’imposer de nouvelles règles. Dommage ! mais il est permis d’espérer
des modifications futures d’un règlement qui a déjà beaucoup évolué. Néanmoins, ce travail est toujours
possible indépendamment des passages de grade. Et pour les plus gradés, la connaissance de quelques kata
antiques pourrait susciter des analyses comparatives du plus grand intérêt. Comparaisons possibles également
entre les versions d’un même kata dans les différents styles modernes.
D’autre part, les bunkai gagneraient énormément en intérêt en élargissant l’éventail des situations : plusieurs
agresseurs, armés, etc.
o Panoplie
Le karate-do doit être efficace, sinon il ne mérite plus son appellation ; mais efficace dans quel but ? Voici
mon choix.
En priorité, efficace pour atteindre ses objectifs philosophiques et éthiques, la technique n’étant que le
moyen d’accéder au but. Évidemment, celle-ci doit être en mesure d’éliminer physiquement les protagonistes
de tout type d’agression, mais l’accent doit être mis sur la dissuasion, psychologique d’abord, physique
ensuite. À cette fin, l’étiquette du dojo n’est pas anodine, car elle confère dignité et retenue, qualités qui
pourront éviter la dégénérescence d’un conflit.
On a déjà vu dans un article sur l’efficacité qu’aucun art martial ― le karaté tel qu’il est enseigné
généralement ne fait pas exception ― ne répond parfaitement à cette problématique et que la juxtaposition
de plusieurs disciplines aboutit généralement à des contradictions. L’ensemble karate-do, qui privilégie les
atemi, et goshin-budo, qui comprend saisies et dégagements, projections, luxations, contrôles et
immobilisations et leurs contre-prises, a été conçu pour éviter cet écueil. Et, caractéristique capitale, il
n’exige pas des capacités physiques exceptionnelles ; ainsi s’adresse-t-il à tous. Quant à savoir s’il faut
privilégier l’esquive ou le blocage, le souple ou le dur, le combat rapproché ou à distance et bien d’autres choix
apparemment contradictoires, l’enseignement doit fournir l’ensemble, car les circonstances peuvent exiger
l’un ou l’autre et chaque pratiquant doit pouvoir choisir à sa convenance.
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Quand on cherche l’efficacité, les atemi ― pas seulement les zuki et keri ; les mains ouvertes, les coudes, les
genoux sont redoutables ― constituent la solution la plus expéditive et souvent la meilleure, à condition de
s’entraîner dans l’esprit du chi-mei, qui permet de mettre hors de combat un adversaire en une seule action
― indispensable en cas d’agresseurs multiples. Cela exige un excellent kime et une parfaite connaissance des
points vitaux. Cependant on peut avoir besoin de dissuader, de se dégager d’une saisie ou de maîtriser sans
blesser. Si l’atemi waza est le cœur de notre art martial, le goshin-budo, pourvu qu’ils s’articulent
harmonieusement, s’avère indispensable pour être en mesure d’affronter toutes les situations d’agression.
L’écueil d’une accumulation pléthorique sera évité grâce au sens de l’observation et à la compréhension
profonde des principes qui fondent chaque technique. On s’apercevra ainsi qu’un même geste peut servir à
diverses fins dans des contextes éminemment variables. Cette qualité d’observation s’appuie sur la sérénité
et la lucidité ; tout est lié.
Afin de permettre une utilisation par tous, petit gabarit ou athlète fatigué, les techniques économes en
énergie seront privilégiées et le spectaculaire gratuit totalement éliminé.
Pour finir, notons que la dichotomie entre karaté et goshin-budo est une facilité explicative lorsqu’on
s’adresse à l’individu lambda qui ne connaît du karaté que les images de son petit écran. En fait, l’ensemble
karaté et goshin-budo constitue le vrai karaté ; celui que les adeptes du pur art martial ont toujours
recherché.
o Kumite
Le kata est le fondement du karaté, mais il nécessite un travail de mise en application avec un ou plusieurs
partenaires, le bunkai, pour prendre tout son sens. En fait, le bunkai est un kumite codifié et comme toutes
les formes de kumite, il est indispensable à l’élaboration d’une véritable efficacité.
Le vrai combat est celui où tout est permis, où le perdant a rendez-vous avec la grande Faucheuse. Il est
évidemment impossible de s’entraîner sous cette forme ; le kumite, au dojo, doit donc respecter des règles
ou des consignes. Cependant, si la règle est toujours la même, une habitude dangereuse s’installe. Exemple
typique : le karatéka qui ne protège pas son bas-ventre sous prétexte qu’une règle interdit d’attaquer ce
point vital. Des DVD d’experts de renom en montrent certains, anciens champions, qui, en situation
d’agression, négligent totalement ce détail essentiel.
Kumite-kata, jyu-ippon-gumite, jyu-gumite, ippon, nihon, sanbon ou gohon-gumite doivent se pratiquer avec
des consignes extrêmement variées afin d’explorer toutes les éventualités d’un combat pour la vie. Aucune
forme d’entraînement n’est prohibée. Seule la variété est obligatoire car tout peut arriver lors d’une
agression, même le pire.
Dans cette optique, le shiai pratiqué en compétition n’est pas fondamentalement néfaste s’il n’est qu’un des
éléments constitutifs d’un entraînement suffisamment varié. Malheureusement, de nombreux entraîneurs,
conditionnés par l’omniprésence de la compétition, consacrent la totalité du temps imparti au kumite à cette
forme exclusive. Et la championnite, qui atteint de nombreux compétiteurs, met le coup de grâce à l’art
martial.
Il y a tout lieu de penser que ce karaté idéal est proche de celui de Sokon Matsumura puisque tous les
experts de l’époque ayant laissé une trace ont suivi ses cours. Et ce n’est pas un simple hasard, car certains
ont dû se démener pour être acceptés comme élèves du maître.
En ces temps, l’efficacité était toujours la première motivation mais, comme on l’a vu, chacun y accédait en
fonction de ses propres prédispositions. Or tous ont trouvé dans l’enseignement de Sokon Matsumura les
ingrédients nécessaires à la satisfaction de leur sensibilité profonde.
Ce vrai karaté, efficace, dangereux, était en lui-même porteur d’une philosophie et d’une éthique car tout
homme intègre et intelligent ne peut se dispenser d’une profonde réflexion quand il tient entre ses mains ―
au sens propre ― un pouvoir de vie et de mort. D’ailleurs les maîtres de l’époque n’hésitaient pas à refuser
leur enseignement à qui en était indigne.
Cependant, deux dates ont marqué l’avènement d’un profond changement de la mentalité japonaise avec des
répercussions notables sur les arts martiaux :
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1853, où les armes à feu firent une irruption remarquée avec l’expédition américaine Perry ; il
s’ensuivit une désaffection progressive envers les arts martiaux traditionnels qui ne semblaient plus
être en phase avec la réalité.
1868, début de l’ère Meiji, qui signa la fin de l’isolationnisme du Japon et la disparition de la société
féodale. Les valeurs occidentales supplantèrent rapidement les valeurs traditionnelles japonaises.
Les successeurs de Matsumura, pris dans ce séisme, ont, dès la fin du 19e siècle et tout au long du 20e, adapté
le karaté aux goûts du grand public et aux exigences des pédagogues, pris le train du sport, de la compétition,
puis du sport-spectacle et du sport-marchandise, multiplié les styles et ont même observé sans trop frémir la
naissance de certains avatars comme le body-karaté. Rien d’étonnant dans cette évolution ; elle reflète notre
civilisation, ses exigences de réussite, ses valeurs contestables, ses plaisirs superficiels et sa notion erronée
du bonheur ― le PIB par habitant n’est-il pas le critère d’évaluation le plus utilisé ? Mais, si nous avons gagné
en confort et agrément, le prix à payer est lourd : stress, égoïsme, aliénation, violence, perte des repères,
etc. Curieusement, la majorité n’a conscience ni des progrès, ni des régressions.
Heureusement, certains sont lucides et il est de leur devoir d’éclairer les autres ; les Krishnamurti nous sont
précieux. Ainsi, lorsque l’évidence prescrit de s’extraire des conditionnements qui guident le troupeau, surgit
la question : comment ?
Le karaté ne revendique-t-il pas le « do » ― la voie ? La voie n’est-elle pas destinée à nous extraire des
imperfections de la société ?
Mais il existe plusieurs karatés dont les différences portent sur le style ou sur la finalité ― sportive,
ludique, éducative ou martiale ― et tous utilisent le suffixe « do ». Pourtant rares sont les clubs de karaté
qui se distinguent d’un classique club de sport ; or la voie ne peut être celle du conformisme.
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Les styles de karaté se différencient sur des détails : position de la main qui fait « hikite », préférences
dans l’exécution des blocages, prépondérance d’attitudes qui favorisent tel ou tel enchaînement, etc. Tout au
plus, les styles issus du Naha-te, Goju-ryu et Uechi-ryu, orientent-ils vers le combat rapproché. Tout cela ne
revêt guère d’importance. L’essentiel est dans la finalité de l’enseignement. Au choix :
Karaté éducatif, pour les enfants. Ce n’est qu’une approche destinée à éveiller les capacités physiques
et mentales des plus jeunes. Ce n’est pas très éloigné du karaté universitaire japonais qui s’est
propagé en Occident sous le vocable de « karaté traditionnel ».
Karaté ludique. L’unique mot d’ordre est : « se faire plaisir ».
Karaté sportif. C’est là que les « détails » prennent toute leur importance, même s’ils ne
correspondent à aucune nécessité sur le plan martial.
Karaté martial ; le seul qui peut revendiquer les appellations « karate-jutsu » grâce à son efficacité
et « karate-do » car il accorde une place essentielle à la maîtrise de l’esprit. Le seul à pouvoir
prétendre conduire sur la voie.
Comment les distinguer ?
À ceux qui se complaisent dans les errements de notre civilisation, qui n’auront pas lu cet article ou, s’ils l’ont
lu, ne l’auront pas compris, voire l’auront jugé stupide, le karaté contemporain offre le choix de milliers de
clubs et d’instructeurs de différents styles qui ne bousculeront guère leur éducation ou leurs croyances, pas
plus qu’ils ne bousculeront d’éventuels agresseurs. Et les nuances de style pourront alimenter quelques
discussions de vestiaire.
Mais ceux qui voient, ou entrevoient, la nécessité de s’engager dans une démarche éthique et philosophique,
qui souhaitent construire un Monde pacifié, qui sont épris de vrai justice, qui ne craignent pas de bousculer
leur ego, qui comprennent l’ineptie des certitudes triviales, qui veulent traverser l’existence sereinement et
la tête haute, qui veulent agir et ne pas subir, qui sont capables d’efforts sans en attendre un titre de gloire,
ceux-là seuls sauront, d’instinct, reconnaître le véritable art martial et le maître authentique ― quel que soit
le nom de son style ―, compétent et généreux, qui les conduira sur la voie.
Sakura Sensei
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