La Construction Sociale de L'insertion
La Construction Sociale de L'insertion
La Construction Sociale de L'insertion
Claude Dubar
2001/1 no 7 | pages 23 à 36
ISSN 1373-847X
ISBN 2-8041-3637-X
DOI 10.3917/es.007.0023
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2001-1-page-23.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
L ’objet de cet article n’est pas de faire le point des connaissances sur l’in-
sertion en France. Son objectif est d’éclairer les sens de l’expression
“construction sociale”, à partir de l’exemple de la “mise au travail des jeunes”,
appelée ici “transition vers le marché du travail”, là “accès à l’emploi’ et, en
France, aujourd’hui, “insertion professionnelle”. En quoi les manières dont les
jeunes trouvent —ou non— un emploi, accèdent —ou non— au marché du
travail, s’insèrent —ou non— professionnellement sont-elles des “construc-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.113.79.167)
1. Sur la similitude des carrières dans la fonction publique des fils de couches moyennes et des filles
de la bourgeoisie, Darbel & Schnapper (1969).
la grande masse des jeunes d’une même génération. Dans la période anté-
rieure, pour la très grande majorité, cette coupure n’existait pas : les enfants
de paysans comme les enfants d’artisans ou d’ouvriers “travaillaient” soit chez
eux, à la ferme ou dans l’atelier, soit “chez un(e) patron(ne)” où ils étaient
placés, souvent très tôt, en apprentissage, soit à l’usine où le travail des
enfants se développa durant tout le XIXe siècle et ne fut réglementé puis
interdit que dans la seconde moitié de ce siècle, en relation avec le dévelop-
pement de la scolarisation (Charlot & Figeat 1979).
Ce bref rappel historique a pour but d’éclairer un des sens de l’expres-
sion “construction sociale” appliquée à l’insertion professionnelle. Pour que
la question de l’insertion des jeunes sur le marché du travail devienne un
“problème social” et donc une question sociologique possible, il aura fallu
deux grandes ruptures historiques qui ont, en quelque sorte, “construit” la
possibilité même de l’objet-problème. La première est celle qui sépare un
espace spécifique de formation (instruction et éducation) et un espace d’acti-
vité de travail (emploi et revenu) en établissant, du même coup, une coupure
entre la vie privée, déprofessionnalisée, centrée sur la famille d’une part et la
vie professionnelle, délocalisée, centrée sur l’entreprise, d’autre part. Entre les
deux espaces, mais aussi entre deux périodes de la vie (la petite enfance et
l’âge adulte), se construit à la fois un domaine spécifique pour un nouvel “âge
de la vie” : l’école pour la jeunesse (enfance et adolescence). Si on admet
comme définition simple (et provisoire) de l’identité celle d’espace-temps
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.113.79.167)
L’insertion professionnelle,
résultante de stratégies d’acteurs
elles sont aussi des croyances (plus ou moins) partagées par des catégories
d’acteurs éducatifs, professionnels mais aussi “intermédiaires” de l’insertion
(formateurs, médiateurs, conseillers, correspondants, coordinateurs). C’est
pourquoi les recherches parviennent parfois à reconstruire des filières ou des
réseaux au sein desquels tous les acteurs partagent la même logique ou, du
moins, des logiques compatibles entre lesquelles se construisent des compro-
mis aboutissant à telle ou telle forme d’emploi et à telle ou telle “manière de
recruter” (Eymard-Duvernay & Marchal 1997).
On découvre ici un dernier sens de l’expression “construction
sociale”qui n’est pas incompatible —au contraire— avec les deux précédents.
L’espace de transition entre école et emplois est structuré par des jeux com-
plexes d’acteurs sociaux qui se déploient dans des contextes historiques et
institutionnels déterminés mais qui possèdent leur efficacité propre. La ques-
tion de savoir si les jeunes concernés sont ou non des acteurs stratégiques de
leur insertion professionnelle est une vraie question de recherche. Il est pro-
bable que la construction biographique des “capacités stratégiques” des
diverses fractions —socialement situées— de jeunes soit devenue un critère
de plus en plus décisif de leur insertion sur le marché primaire du travail,
celui qui est régi par la logique sélective des “compétences” (Rose 1998 p72-
75). Cela n’empêche pas que la coordination des acteurs institutionnels et
professionnels de l’insertion puisse jouer un rôle important, notamment à
l’échelon local (Demazière & Dubar 1994). L’implication des entreprises
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.113.79.167)
En guise de conclusion
Bibliographie
BORDIGONI M., DEMAZIÈRE D., MANSUY M. 1994 L’insertion professionnelle à
l’épreuve de la jeunesse. Points de vue sur les recherches françaises, Communication au
“Network on Transition in Youth”, Seelisberb
BOUFFARTIGUE P., LAGRÉE J.-C., ROSE J. 1989 “Jeunes : de l’emploi aux modes de
vie. Points de vue sur un champ de recherche”, formation-emploi, n26, Avril-Juin, p63-
75
CHARLOT B. & FIGEAT M. 1979 Histoire de la formation des ouvriers, 1789-1984, Paris,
Minerve
CHARLOT B. & GLASMAN D. (dir.) 1998 Les jeunes, l’insertion, l’emploi, Paris, PUF
CUNNINGHAM H. 2000 “Pourquoi les jeunes Anglais quittent-ils si tôt leurs parents ?”’,
Revue de l’OFCE, janv. p207-215
DARBEL A. & SCHNAPPER D. 1969 Morphologie de la haute administration française. I.
Les agents du système administratif, Paris-La Haye, Mouton
DEMAZIÈRE D. & DUBAR C. (dir.) 1994 L’insertion professionnelle des jeunes de bas
niveau scolaire. Trajectoires biographiques et contextes structurels, Documents CEREQ, n91
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 07/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 187.113.79.167)