14 | Cours d’introduction à la grammaire générative en 2ème Année à la FLA de l’UEH (Prof : E.

Rosena)

1.3.2.1.1. La grammaire de la théorie de la communication

Issue de la théorie de la communication (Shannon & Weaver, 1949)1, la première grammaire est
composée d’un ensemble finis d’états successifs. Un mot est généré à chaque passage d’un état à un
autre de façon qu’une phrase implique un état initial et un état final (8a). Des boucles sont prévues afin
d’autoriser la répétition de mots (8b).
8. (a) (b)

Même si Chomsky admet que cette grammaire ne peut produire toutes les phrases grammaticales de
l’anglais, il reconnait qu’une grammaire ayant cette ambition ne peut être conçue sans des boucles (qui
opérationnalisent la notion de récursivité).

1.3.2.1.2. La grammaire de l’analyse en constituant immédiat

La grammaire de l’Analyse en Constituant Immédiat (AIC) est issue du distributionnalisme, un courant
qui prône une description grammaticale fondée sur la distribution des unités constitutives des phrases
d’un corpus donné. La distribution d’une unité est l’ensemble des positions (occurrences) qu’elle est
susceptible d’occuper. Ainsi, les unités qui apparaissent dans un même environnement appartiennent à
une même classe distributionnelle. En (9a) les syntagmes "la hyène" et "le loup" appartiennent à la
même classe distributionnelle, contrairement à "sauvagement". Car ce dernier occupe une position
différente dans la phrase (9b). Par conséquent, l’adverbe et ces syntagmes sont dits en distribution
complémentaire dans la phrase de (9b).

9. (a) Le lion chasse ________. (b) Le lion chasse ________ sauvagement.

la hyène la hyène
le loup le loup
*sauvagement

Chaque classe distributionnelle est définie par des propriétés spécifiques de combinaison (relations
syntaxiques). Ces propriétés combinatoires sont représentées par des formules (Det+N ; V+Det+N…).
Les classes distributionnelles ainsi que leurs relations syntaxiques peuvent être mises en évidence par

1
The mathematical theory of communication, Urbana, The University of Illinois Press.
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l’Analyse en Constituants Immédiats (ACI). L’ACI permet d’appréhender la phrase comme une
hiérarchie de niveaux et un système de dépendances syntaxiques. Son principe consiste d’abord à
décomposer la phrase en ses grands constituants, puis décomposer les grands constituants en leurs
constituants. Ce procédé se poursuit jusqu’à ce qu’on parvient aux constituants terminaux que sont les
mots. Il existe diverses manières de procéder à l’ACI :

10. (a) par la boite de Hockett2

La fille dansait le compas (1)
La fille (2) dansait le compas (3)
La (4) fille (5) dansait (6) le compas (7)
dans-(8) ait (9) le (10) compas (11)

(b) par la boite de Bloch et Harris3

Ph
SN SV
Art N V SN
RV Tps Art N
La fille dans Ait le Compas

(c) par les parenthèses étiquetées

[Ph [SN [Art La ] [N fille] [SV [V dansait ] [SN [Art le ] [N compas] ] ] ] ]

(d) par le schéma arborescent

Ph

SN SV

Art N V SN

Art N

La fille dansait le compas

2
(1958), A course in Modern Linguistics, New York, the Macmillan Company.
3
Éléments d’introduction à la syntaxe générale du professeur Joseph Marcel GEORGES
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(e) par la dérivation linéaire successive

Ph
SN + SV (i)
Art + N + SV (ii)
Art + N + Verbe + SN (iii)
La + N + V + SN (iv)
La + fille + V + SN (v)
La + fille + danse + SN (vi)
La + fille + danse + Art + N (vii)
La + fille + danse + le + N (viii)
La + fille + danse + le + compas (ix)

1.3.2.1.3. Limite de l’Analyse en Constituant Immédiat (ACI)

L’ACI est réductible aux règles de réécritures du type X → Y qui se lit "réécrit y pour x" (11a) et la
règle de définition du constituant (11b).

11. (a) (b)

X→Y Définition du constituant

Phrase → SN + SV Une suite de mots d’une dérivation est un constituant Z,
SN → Art + N si elle permet de remonter à un point d’origine unique de
SV → Verbe + SN cette dérivation, et ce point d’origine unique est étiqueté Z.
Art → le
N → fille, compas
V → danser

Suivant la règle de définition du constituant de (11b), les suites de mots "la fille", "dansait le compas"
et "le compas" qui, en (10d), nous permettent de remonter respectivement à SN, SV et SN sont des
constituants. Mais la séquence "fille dansait" n’est pas un constituant car elle ne permet pas de
remonter à un point d’origine. Pour Chomsky, ces deux règles sont insuffisantes pour rendre compte de
tous les phénomènes de l’anglais comme, entre autres, la coordination. D’où la nécessité pour lui de
formuler la règle suivante capable d’en tenir compte (Chomsky 1969 ; 42).

12.
Règle de coordination : Si Ph1 = Z+X+W
et Ph2 = Z+Y+W
alors Ph3 = Z+ X+etY +W

Si phrase-1 et phrase-2 sont des phrases grammaticales, et que phrase-1 diffère de

phrase-2 seulement par la présence de X en phrase-1 la où Y apparait en phrase-2,
et X et Y sont des constituants du même type dans phrase-1 et phrase-2 respectivement,
alors phrase-3, qui résulte du remplacement de X par X + et Y dans phrase-1 est une
phrase grammaticale.
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Par exemple,
13.
Phrase-1 = La scène du film était à Chicago.
Z + X + W
Phrase-1 = La scène de la pièce + était à Chicago.
Z + Y W

Phrase-3 = La scène du film + et de la pièce + était à Chicago.

Z + X et Y W

Chomsky a également remarqué que l’ACI ne propose aucune règle pour les déclinaisons verbales et
les auxiliaires. Dans une phrase comme "The man has been reading the book", la séquence "has been
reading" est traité comme V. Cependant, elle est décomposable en un ensemble d’unités (has + been +
reading) susceptibles d’être décomposées en (ha+s ; be+en ; read+ing). C’est dans l’idée de tenir
compte de ces décompositions que Chomsky (1969 ; 44-45) propose les règles suivantes :

14.
Règle A
i. Verbe → Aux + V
ii. V → read, etc.
iii. Aux → C (M) (have+en) (be+ing) (be+en)
iv. M → will, can, may, shall, must

Règle B
i. C→ S dans le contexte SNSing
ø dans le contexte SN pl
passé

ii. Af représente l’un quelconque des affixes passé, en, ing

v représente tout M ou V, ou have ou be (tout non affixe dans le syntagme verbe).
Alors Af + v → v + Af # où # = frontière de mot

iii. Remplacer + par # sauf dans le contexte v + Af. Insérer # au début et à la fin.

Pour appliquer ces deux règles à la phrase "The man has been reading the book" nous devrions avant
tout procéder à la forme (10e) de l’ACI. Mais ici faisons abstraction de l’ACI en considérant la phrase
comme suit :
the + man + Verbe + the + book Appliquons à cette sequence la règle (A-i)
the + man + Aux + V + the + book (A-i) est appliquée. Appliquons (A-ii)
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the + man + Aux + read + the + book (A-ii) est appliquée. Appliquons (A-iii)
the + man + C + have + en + be + ing + read + the + book dans (A-iii), prenons (have+en) et (be+ing)
the + man + S + have + en + be + ing + read + the + book dans (B-i), prenons S dans le contexte SNSing
the + man + have + S # be + en # read + ing # the + book (B-ii) est appliquée. Appliquons (B-iii)
#the # man # have + S # be + en # read + ing # the # book# (B-iii) est appliquée

Après l’application de ces deux règles que Chomsky nomme règles transformationnelles, une règle
morphophonologiqiue peut être prévue de façon qu‘une forme finale soit attribuée à la dernière
séquence. Ainsi, # have + S # be + en # read + ing # seront transformés en "has been reading".

1.3.2.1.4. L’organisation de la grammaire générative

Sur la base des règles transformationnelles qu’il propose pour compléter les règles de l’ACI, Chomsky
suppose que toute grammaire devrait avoir trois composantes : une composante syntaxique, une
composante sémantique et une composante phonologique. La composante syntaxique assigne une
description structurale aux phrases de la langue. Les composantes sémantique et phonologique
favorisent leur interprétation en leur assignant respectivement une forme logique et une représentation
phonologique (15).
15.
Composante
syntaxique

Composante Composante
sémantique Phonologique

La composante syntaxique comprend une base et une sous-composante transformationnelle constituée

de règles transformationnelles.
16.
Composante
Syntaxique

La base

Sous-composante
Transformationnelle
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La base comprend un lexique et une sous-composante catégorielle constituée de règles de réécriture du

type X→ Y de (11a). La figure (17) illustre la base.

17.
La base

Lexique Sous-composante
Catégorielle

De quoi est constitué le lexique de la grammaire générative ?

1.3.2.1.5. Le lexique de la grammaire générative

Le lexique de la grammaire générative de Chomsky consiste en un ensemble d’entrées lexicales. Une
entrée lexicale est un ensemble de trois informations qui définissent chaque mot du lexique. Ces
informations concernent : a) la prononciation du mot ; b) sa catégorie grammaticale ainsi que sa sous-
catégorisation ; c) et sa grille thématique.

a) la prononciation du mot
La prononciation du mot concerne sa représentation phonologique (Ex : Danser → /dãse/).

b) Catégorisation et Sous-catégorisation
La catégorisation des mots en grammaire générative n’est pas différente de celle de la grammaire
traditionnelle : N(om), V(erbe), Adj(ectif), Adv(erbe), P(réposition), Dét(erminant),
Conj(onction), Aux(iliaire) etc. Mais la grammaire générative classe ces catégories en catégories
majeures (N, V, Adj, Adv, P) et catégories mineures (Dét, Conj, Aux, etc.). Les mots qui entrent
dans les catégories majeures forment une classe ouverte et sont susceptibles d’être spécifiés par
d’autres mots et d’avoir des compléments. Le nom, par exemple, peut être spécifié par un
déterminant et avoir un SP pour complément (Ex : Le livre de Chomsky). Les mots qui entrent dans
les catégories mineures, par contre, forment une classe fermée et ne peuvent être ni spécifiés, ni
avoir de compléments.

La sous-catégorisation est une subdivision de la catégorie, i.e. la spécification d’un mot d’une
catégorie. Dans la grammaire traditionnelle, le verbe en tant que catégorie est sous-catégorisé en
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verbe intransitif (n’admettant pas de CO. Ex : Il dort.), verbe transitif direct (admettant un COD.
Ex : On a résolu le problème.) et verbe transitif indirect (admettant un COI. Ex : Cela nuit à sa
santé.). En grammaire générative, ces informations sont représentées par des symboles (18).

18. Dormir Résoudre Nuire

V[_] V [ _SN] V [ _SP]

Certains verbes comme "annoncer" sélectionnent soit une phrase comme complément obligatoire
(19a), soit un complément facultatif (19b). Dans cette optique, l’information syntaxique se présente
comme suit (19c).

19. (a) Elle a annoncé qu’elle va se marier.

(b) Ella a annoncé la nouvelle (à sa mère).
(c) Annoncer
V _ SN
Ph (SP)

La sous-catégorisation d’un mot nous dit donc si ce mot sélectionne (ou non) un complément et
quel type de complément il sectionne. Le verbe n’est pas la seule catégorie concernée par la sous-
catégorisation. Le nom et l’adjectif peuvent être sous-catégorisés également. Par exemple, le nom
"frère" est sous-catégorisé par un SP parce qu’une personne désignée comme frère est forcément le
frère de quelqu’un. L’adjectif "enclin" est également sous-catégorisé par un SP parce qu’on est
forcément enclin à quelque chose.

d) Grille thématique
La grille thématique d’un mot nous renseigne sur le nombre d’argument (ou actant) que
sélectionne ce mot et sur le rôle (fonction) thématique de chaque argument. Par exemple, le
verbe "mordre" en (20a) a deux arguments : un agent (entité animée qui volontairement fait
l’action) et un patient (entité animée qui subit l’action ou qui en est l’objet). Le verbe "aller"
en (20b) a aussi deux arguments : un agent et un locatif (le lieu où se passe l’action ou son lieu
de destination). Mais le verbe donner en (20c) prend trois arguments dont un agent-source
(l’entité animée qui volontairement est à l’origine de l’action), un thème (entité inanimée qui
subit l’action ou qui en est l’objet) et un but (entité vers laquelle est orientée l’action). En
(20d), le verbe cassé a deux arguments dont un instrument (l’entité qui, involontairement, sert
à la réalisation de l’action) et un thème.
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20. (a) Le chien a mordu le passant.

(b) L’élève va à l’école.
(c) L’étudiant donne le livre à son camarade.
(d) Le vent a cassé la branche.

Compte tenu de ses trois informations, l’entrée lexicale d’un verbe comme "résoudre" dans la phrase "Il
a résolu le problème" se présente comme suit (21).

21. /RezudR/ Information phonologique

V
[_SN] Information syntaxique
Agent, thème Information sémantique

1.3.2.1.5. Relation entre les composantes et sous-composantes de la grammaire générative

Chomsky prévoit la règle (22) dite d’insertion lexicale qui permet aux mots du lexique de s’insérer
dans la composante catégorielle.

22. À chaque élément d’une grille thématique correspond une position syntaxique.

Par exemple, pour la phrase (20a) dans laquelle le verbe "mordre" prend "le chien" comme agent et "le
passant" comme patient, en (23) le SN à gauche du verbe correspond à l’agent et le SN à sa droite au
patient.

23.
Ph

SN SV

Dét N V SN

Art N

Le chien a mordu le Passant

La structure de (23) est appelée indicateur de base parce qu’elle est construite à partir des éléments de
la base, i.e. le lexique et la sous-composante catégorielle. Une règle transformationnelle peut être
appliquée à cet indicateur de base. Et dans cas, il se transformera en un indicateur généralisé. Par
exemple, si nous appliquons à cet indicateur de base l’une des règles transformationnelle de (14), soit
A-i (Verbe → Aux + V), nous aurons l’indicateur généralisé suivant.
22 | Cours d’introduction à la grammaire générative en 2ème Année à la FLA de l’UEH (Prof : E. Rosena)

24.

Ph

SN SV

Dét N V SN

Aux V Dét N

Le chien a mordu le passant

L’indicateur généralisé est aussi appelée structure profonde. Elle s’oppose à la structure de surface
qui, quant à elle, s’obtient lorsque des règles des composantes sémantique et phonologique sont
appliquées à l’indicateur généralisé afin d’avoir un énoncé, i.e. une phrase produite par un locuteur. La
figure (25) offre une présentation succincte de l’organisation de la grammaire générative.

25.

Composante
Syntaxique

La base

Lexique Sous-composante
Catégorielle Indicateur
- Entrées lexicales de Indicateur
- L’insertion lexicale Règles de réécriture base généralisé
Structure
profonde

Sous-composante
Transformationnelle

Règles transformationnelles

Structure
Composante Composante de
sémantique Phonologique surface
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 Références
- Chomsky N., 1965, Structures syntaxiques, Paris, Le Seuil (1969).
- Chomsky N., 1965, Aspects de la théorie syntaxique, Paris, Le Seuil (1971).
- Pollock J-Y, 1998, Langage et cognition. Introduction au programme minimaliste de la
grammaire générative, Paris, Puf.
- Tellier Chr., 1952, Élément de syntaxe du français. Méthode d’analyse en grammaire
générative, Québec, les presses universitaires de Montréal.
- Chiss J-L et al., 2001, Introduction à la linguistique française, Tomé 2 : syntaxe,
communication, poétique, Paris, Hachette.
- Georges J. M., 2009-2010, "Élément d’introduction à la syntaxe générale", document de
cours, Faculté de Linguistique Appliquée de l’Université d’État d’Haïti.