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Escarre2014 Vol63

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Modéliser les tissus mous pour mieux prévenir les

escarres.
Vincent Luboz, Marek Bucki, Antoine Perrier, Bruno Diot, Francis Cannard,
Nicolas Vuillerme, Yohan Payan

To cite this version:


Vincent Luboz, Marek Bucki, Antoine Perrier, Bruno Diot, Francis Cannard, et al.. Modéliser les
tissus mous pour mieux prévenir les escarres.. L’escarre, 2014, 63, pp.8-11. �hal-01066319�

HAL Id: hal-01066319


https://hal.science/hal-01066319
Submitted on 19 Sep 2014

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Modéliser les tissus mous pour mieux prévenir les escarres
V. Luboz1, M. Bucki2, A. Perrier1,2,4, B. Diot3, 4, F. Cannard2, N. Vuillerme4,5, Y. Payan1*
1
UJF-Grenoble1/CNRS/TIMC-IMAG UMR 5525, Grenoble, F-38041, France, {vluboz, aperrier, ypayan}@imag.fr ;
2
TexiSense, Montceau-les-Mines, France, {marek.bucki, francis.cannard}@texisense.com ;
3
IDS, Montceau-les-Mines, France, b.diot@ids-assistance.com ;
4
UJF-Grenoble1/AGIM, Grenoble, F-38041, France, Nicolas.Vuillerme@agim.eu ;
5
Institut Universitaire de France, Paris, France

* Auteur correspondant :
Yohan Payan
Équipe GMCAO – Laboratoire TIMC-IMAG
Université Joseph Fourier - CNRS UMR 5525
Pavillon Taillefer
Faculté de Médecine - 38706 La Tronche cedex - France
Tel : +33 (0) 4 56 52 00 01 - Fax : +33 (0) 4 56 52 00 55
Email : Yohan.Payan@imag.fr

Introduction

Ces dernières années, de nombreux efforts ont été consentis pour améliorer la qualité des supports
d’interface avec comme objectif principal une meilleure répartition des pressions à la surface des
tissus mous. Ceci s’est traduit par un certain nombre de progrès et notamment par le fleurissement
d’industriels du coussin et/ou du matelas.

Force est de constater aujourd’hui que ces efforts ne sont pas suffisants puisque la prévalence des
escarres reste très (trop) importante. Paradoxalement, comme le montrent les autres articles de ce
numéro, la recherche fondamentale sur l’étiologie de l’escarre a considérablement avancé ces
dernières années. À tel point qu’on a aujourd’hui une bonne idée de ce à quoi devrait ressembler un
dispositif efficace de prévention des escarres. Quatre briques devraient en effet selon nous être
assemblées pour constituer un tel dispositif : (1) la présence d’un support optimisant la répartition
des pressions de surface, (2) la mesure en continu de ces pressions de surface, (3) l’estimation des
déformations internes aux tissus mous avec (4) la détection d’un risque d’escarre et l’envoi d’une
alerte en direction de la personne. Cet article focalise sur les trois dernières briques qui restent à
assembler pour construire un dispositif efficace de prévention des escarres. Nous pensons en effet
que l’état de l’art de la recherche scientifique et technologique est suffisamment avancé pour
pouvoir proposer un tel dispositif dans les années qui viennent.

1. Mesure en continu des pressions d’interface

Plusieurs industriels proposent des « nappes de capteurs » permettant de collecter les pressions à
l’interface entre supports et tissus mous du corps humain. La figure 1 présente quelques exemples
de nappes visant à mesurer les pressions d’assise. À l’origine commercialisées en direction des
centres de rééducation, ces nappes n’étaient pas prévues pour être embarquées sur un appareil avec
un fonctionnement autonome. Certaines nappes (Tekscan et Texisense pour celles présentées
figure 1) proposent aujourd’hui une version sans fil qui permet d’envisager un dispositif comme celui
indiqué en introduction de cet article. Notons également que les industriels ont pris conscience de ce
marché et cherchent à proposer des nappes « confortables » (cf. le dispositif flexible en lycra de Vista
Medical ou la nappe textile de Texisense).

Figure 1 : Nappes de pressions pour fauteuils roulants

2. Estimation des déformations internes aux tissus mous

Ce sont sans doute les travaux récents des équipes d’Amit Gefen d’une part et de Cees Oomens
d’autre part qui ont permis de mieux comprendre l’étiologie de l’escarre [1,2,4,8]. En effet, ces
chercheurs ont mis en évidence le rôle dévastateur que jouent les « déformations » mécaniques
internes aux tissus. La notion de « déformation » est une notion assez délicate à appréhender. La
figure 2 tente d’illustrer de manière simplifiée ce que l’on entend par déformation interne à une
structure.

Figure 2 : Schéma d’un tissu mou déformé sous le poids d’un objet (en bleu). Les déformations
internes peuvent avoir des valeurs différentes d’une région à l’autre du tissu.
En effet, alors qu’on a tendance à parler de déformation globale ou macroscopique d’une structure
molle, cette déformation doit en fait être vue comme un ensemble de déformations locales aux
tissus, fonctions des hétérogénéités et anisotropies de la structure. Ainsi, comme illustré dans cette
figure 2, les tissus situés dans la zone à mi-chemin entre l’objet qui exerce une pression et le support
sur lequel repose la structure déformable subissent des déformations locales εm bien supérieures
aux déformations subies par les tissus situés plus près du support (εi).

C’est sans doute suite aux travaux de la thèse de science de Sandra Loerakker [4] qu’ont été
formulées pour la première fois des hypothèses quant aux liens entre valeurs seuils des déformations
internes et risques d’escarre (figure 3).

Figure 3 : Hypothèses sur les liens entre déformations internes aux tissus et risques d’escarres

D’après Sandra Loerakker et ses collègues, deux seuils de déformations internes aux tissus doivent
être surveillés. Le premier seuil est connu depuis longtemps des cliniciens puisqu’il correspond au
niveau de déformation qui entraîne la compression des vaisseaux sanguins conduisant à une
ischémie. Sandra Loerakker estime ce niveau de déformation εi de l’ordre de 20 % et indique que
cette déformation ne doit pas être subie par les tissus pendant plus de deux heures sous peine de
risque d’escarre. Cette durée correspond à ce qui est souvent conseillé par les cliniciens aux patients
blessés médullaires qui doivent faire au moins une manipulation de type push-up toutes les deux
heures, ou à ce qui est indiqué aux infirmières qui doivent veiller à ce que les patients alités soient
régulièrement « pivotés » au moins une fois au cours de cette durée. Ce qui est moins connu des
travaux de Sandra Loerakker et ses collègues concerne un deuxième seuil de déformation εm
(figure 3), estimé aux alentours de 50 %, et qui correspond à la déformation maximale que peuvent
subir les cellules musculaires (et sans doute aussi les cellules graisseuses) sous peine de voir leur
membrane rendue perméable et leur cytosquelette dégradé avec comme conséquence une mort
cellulaire. Ce processus purement mécanique a la très mauvaise caractéristique de se dérouler sur
des périodes courtes, i.e. de l’ordre de 10 minutes (voire moins d’après ce que nous a confié
oralement Cees Oomens). On comprend ici le danger de ces fortes déformations qui peuvent
expliquer les apparitions d’escarres du paraplégique consécutives à des transferts ou les ulcères
profondes du pied diabétique issues des chocs répétés.
On voit alors qu’un dispositif efficace de prévention des escarres devrait être capable de suivre en
quasi temps-réel les niveaux de déformations internes aux tissus afin d’alerter la personne et/ou les
soignants en cas de dépassement d’un des deux seuils sur leurs durées respectives.
Malheureusement, aucun dispositif de mesure ou capteur embarqué n’offre aujourd’hui cette
possibilité, pour la seule et bonne raison qu’on demanderait à ce capteur d’aller observer en temps
réel la façon avec laquelle les tissus mous se déforment à l’intérieur du corps humain.
Heureusement, les chercheurs proposent une solution [3] qu’ils sont allés trouver dans le champ
scientifique de la mécanique : à supposer que l’on soit capable de connaître tout ou partie de
l’anatomie des tissus du patient, on peut construire ce que l’on appelle un « modèle biomécanique »
des tissus mous, sorte de modèle mathématique implémenté sur un ordinateur et capable d’estimer
les déformations internes aux tissus à partir des pressions mesurées à la surface.

3. Modèle biomécanique patient-spécifique des tissus mous

La méthode mathématique la plus utilisée pour modéliser les structures molles et pour simuler leurs
déformations est la « Méthode des Éléments Finis ». L’idée sous-jacente à cette méthode consiste à
partitionner le volume des tissus mous concernés (on parle de maillage) en briques de base jointives
(on parle d’éléments – tétraèdres, hexaèdres, prismes). Les équations de la mécanique peuvent alors
être résolues et simulées par l’ordinateur sur chacun de ces éléments permettant ainsi de calculer
notamment le niveau de déformation dans chaque élément. Si le maillage est composé d’un nombre
suffisamment grand d’éléments, on peut alors estimer les déformations internes avec une précision
acceptable.

La figure 4 illustre l’application de la méthode des éléments finis à la modélisation des tissus mous
fessiers d’un patient [5]. À partir d’un examen d’imagerie de ce patient (CT scanner ici, fig. 4d), les
contours des os sont reconstruits et les géométries des structures musculaires, de la graisse et de la
peau sont extraites puis partitionnées en éléments finis (figure 4b, c). A chaque type d’élément
peuvent alors être attribuées des élasticités spécifiques (la graisse étant par exemple beaucoup plus
souple que la peau, la proportion de collagène influençant la limitation de la déformation et la
proportion d’élastine limitant la rigidité). Pour une cartographie de pression d’interface donnée, la
méthode des éléments finis implémentée sur un ordinateur fournit alors une estimation des
déformations internes aux tissus mous. Dans l’exemple illustré figure 4 (bas), on peut alors estimer
les zones à risque ischémique (déformations supérieures à 20 %) ou à risque mécanique
(déformations supérieures à 50 %).
Une alerte doit alors être lancée en direction du patient, des aidants et/ou du personnel médical.
Différents supports peuvent être utilisés pour cette alerte, depuis des alarmes classiques jusqu’à des
dispositifs plus récents de type montre vibrante ou smartphone [7].

Figure 4 : Haut : maillage éléments finis du patient (a-b-c) construit à partir d’un examen CT (d) ;
Bas : zones à l’intérieur des tissus mous pour lesquelles les déformations sont trop élevées,
avec risque ischémique (gauche) ou mécanique (droite)

Discussion/Conclusion

Cet article a expliqué au lecteur l’importance des outils de modélisation patient-spécifiques pour
mieux prévenir les escarres, et notamment pour estimer en temps-réel les déformations internes que
subissent les tissus mous en réponse à de fortes pressions d’interface. Quand ces déformations
deviennent trop importantes, elles peuvent en effet être à l’origine d’escarres ischémiques voire
d’escarres dues à la destruction mécanique des cellules. Nous avons pris ici l’exemple des escarres
ischiatiques du blessé médullaire mais les outils et méthodes mis en jeu restent génériques et
pourraient être étendus à d’autres pathologies et comportements à l’origine de plaies de pressions
(talon, sacrum). On peut aussi citer par exemple le cas des ulcères profonds du pied diabétique [6].
Une prévention efficace de telles plaies passe par la mesure en continu des pressions d’interface (à
l’aide de semelles ou de chaussettes intelligentes, figure 5 gauche) et par l’estimation des
déformations internes aux tissus (via l’élaboration de modèles éléments finis du pied, figure 5
droite). De manière similaire à ce qui a été présenté pour la prévention des escarres du blessé
médullaire, des déformations supérieures aux seuils proposés par Sandra Loerakker (i.e. 20 % pour
les risques ischémiques et 50 % pour les risques mécaniques) et observées pendant les périodes à
risque correspondantes devront déclencher une alerte en direction du patient, des aidants et/ou du
personnel médical.

Figure 5 : Gauche : mesure en continu des pressions d’interface via une semelle ou une chaussette ;
Droite : modèle éléments finis du pied du patient (vu en coupe) et estimation des déformations
internes en station debout

Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’ANR à travers ses programmes d’Investissements d’Avenir (Labex
CAMI, ANR-11-LABX-0004) et Technologie pour la Santé et l’autonomie (ANR-TecSan 2010–013 IDS).

Conflits d’intérêts
Certains auteurs sont salariés de l’entreprise Texisense.

Références :

[1] Gefen A, van Nierop B, Bader D, Oomens C. (2008). Strain-time cell-death threshold for skeletal
muscle in a tissue- engineered model system for deep tissue injury. Journal of Biomechanics, Vol. 41,
pp. 2003-12.

[2] Linder-Ganz E, Engelberg S, Scheinowitz M, Gefen A (2006). Pressure time cell death threshold for
albino rat skeletal muscles as related to pressure sore biomechanics. Journal of Biomechanics, Vol.
39, pp. 2725–2732.
[3] Linder-Ganz E, Yarnitzky G, Yizhar Z, Siev-Ner I, Gefen A. (2009). Real-time finite element
monitoring of sub-dermal tissue stresses in individuals with spinal cord injury: toward prevention of
pressure ulcers. Ann. Biomed. Eng., Vol. 37, pp. 387-400.

[4] Loerakker S., E. Manders, G.J. Strijkers, K. Nicolay, F.P.T. Baaijens, D.L. Bader, and C.W.J. Oomens
(2011). The effects of deformation, ischaemia and reperfusion on the development of muscle
damage during prolonged loading. J. Appl. Phys., Vol. 111(4), pp. 1168-1177.

[5] Luboz V., Petrizelli M., Bucki M., Diot B., Vuillerme N. & Payan Y. (2014). Biomechanical Modeling
to Prevent Ischial Pressure Ulcers. Journal of Biomechanics, Vol. 47, pp. 2231-2236.

[6] Luboz V., Perrier A., Stavness I., Lloyd J.E., Bucki M., Cannard F., Diot B., Vuillerme N. & Payan Y.
(sous presse). Foot Ulcer Prevention Using Biomechanical Modeling. Computer Methods in
Biomechanics and Biomedical Engineering: Imaging & Visualization.

[7] Perrier A., Vuillerme N., Luboz V., Bucki M., Cannard F., Diot B., Colin D., Rin D., Bourg J.P. & Payan
Y. (2014). Smart Diabetic Socks: Embedded device for diabetic foot prevention. Innovation and
Research in BioMedical engineering, Vol 32 n°2, pp. 72-76.

[8] Slomka N, Gefen A. (2012). Relationship between strain levels and permeability of the plasma
membrane in statically stretched myoblasts. Ann. Biomed. Eng., Vol. 40(3), pp. 606-18.

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