AFFAIRE BOUTAFFALA C. BELGIQUE
AFFAIRE BOUTAFFALA C. BELGIQUE
AFFAIRE BOUTAFFALA C. BELGIQUE
(Requête no 20762/19)
ARRÊT
STRASBOURG
28 juin 2022
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne le grief du requérant selon lequel les juridictions
internes ont, en violation de l’article 46 combiné avec l’article 3 de la
Convention, dénaturé une déclaration unilatérale préalablement soumise par
le Gouvernement devant la Cour et l’ont condamné pour rébellion au mépris
de l’article 6 § 1 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1976 et réside à Bruxelles. Il a été représenté par
Me T. Mitevoy, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente,
Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
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38. La rébellion contre l’ordre public commis par des particuliers est
incriminée aux articles 269 à 274 du code pénal. La rébellion à l’égard des
agents de police est constitutive d’un délit.
39. L’article 154 alinéa 1er et l’article 189 du code d’instruction criminelle
disposent que la preuve des délits et contraventions peut être faite par des
procès-verbaux. La loi attache une valeur probante aux procès-verbaux en
raison de la confiance qu’elle place dans les membres de la police qui en sont
les auteurs. Les procès-verbaux ne font cependant preuve que des faits
personnellement constatés par les verbalisateurs et dans la mesure où ils
avaient mission de les constater. La force probante s’attache donc aux faits
matériels et non pas aux déclarations ou appréciations du verbalisateur, pas
plus qu’aux conséquences juridiques qu’il déduit de ces constatations. Cette
valeur probante est, en outre, limitée puisque les procès-verbaux ne lient en
principe pas le juge et valent comme simples renseignements, conformément
au droit commun de la preuve en matière pénale.
40. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que le juge ne
méconnaît ni les règles relatives à l’administration de la preuve, ni les droits
de la défense en accordant crédit à une déclaration figurant dans un procès-
verbal régulièrement versé au dossier et que les parties ont pu contredire
librement (Cass., 22 septembre 2010, P.10.0226.F). Le juge n’est pas tenu,
selon la Cour de cassation, d’écarter un procès-verbal au seul motif qu’après
l’avoir établi, son auteur est poursuivi par la personne qui en a fait l’objet.
41. Le droit à un procès équitable n’interdit pas à un policier de se déclarer
victime de coups, rébellion et outrages, et d’en dresser procès-verbal dont il
appartiendra au juge du fond d’en apprécier ensuite la crédibilité (Cass.,
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EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 46 COMBINÉ
AVEC L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
43. Le requérant se plaint que les autorités belges ont dénaturé la portée
de la décision de radiation du 27 juin 2017 par laquelle la Cour a constaté la
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Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
Article 46
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs
de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille
l’exécution. (...) »
44. La Cour rappelle que, dans le cadre de la requête concernant la
procédure dirigée par le requérant contre les policiers (requête no 48302/15),
le Gouvernement a soumis une déclaration unilatérale reconnaissant
que l’interpellation du requérant s’était déroulée dans des conditions qui
n’avaient pas contribué au plein respect de son droit à l’absence de traitement
dégradant garanti par l’article 3 de la Convention et octroyant une somme au
titre du dommage moral subi de ce chef. Le requérant ayant marqué son
accord sur les termes de cette déclaration unilatérale, la Cour a pris acte du
règlement amiable implicite auquel les parties étaient parvenues et a
subséquemment rayé la requête du rôle (Boutaffala c. Belgique (déc.),
no 48302/15, 27 juin 2017).
45. Cette déclaration unilatérale du Gouvernement a été versée au dossier
de la procédure pénale dirigée contre le requérant pour rébellion. Dans le
cadre de cette procédure, la cour d’appel de Bruxelles a considéré que la
déclaration unilatérale était vraisemblablement motivée par les déclarations
d’une agente de police qui s’était indignée des injures proférées par ses
collègues à l’égard du requérant dans le fourgon, lors du trajet vers le
commissariat. Selon la cour d’appel, cette reconnaissance n’était pas de
nature à remettre en cause le non-lieu qui avait été prononcé antérieurement
en faveur des policiers par la chambre des mises en accusation le 26 juin 2014,
cette décision étant définitive à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du
24 mars 2015 rejetant le pourvoi (paragraphe 29 ci-dessus).
46. Le requérant reproche à la cour d’appel d’avoir dénaturé la portée de
la déclaration unilatérale faite par le Gouvernement devant la Cour. Il
reproche plus particulièrement à la cour d’appel de n’avoir tiré aucune
conséquence de ce que le Gouvernement avait reconnu une violation de
l’article 3 de la Convention non seulement en raison des injures mais
également de l’usage illégitime de la force par les policiers.
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55. Le requérant allègue que ses droits de la défense n’ont pas été
respectés et que les juridictions internes ont fait peser sur lui une charge de la
preuve excessive en violation de son droit à un procès équitable garanti par
l’article 6 § 1 de la Convention.
56. La disposition invoquée est ainsi libellée dans ses parties applicables :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ».
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A. Sur la recevabilité
57. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de
l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun
autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
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lesquelles il avait été encerclé par les policiers et n’avait pas pu quitter les
lieux dans le contexte d’urgence, de précipitation et de tension de
l’intervention des policiers. Au contraire, elle s’est limitée à certains passages
venant discréditer le requérant.
62. Par contraste, pour condamner le requérant du chef de rébellion, les
juridictions belges se sont fondées sans réserve sur les déclarations des
policiers l’ayant interpellé et les témoignages de leurs collègues, leur
accordant une force probatoire privilégiée.
63. En conclusion, le requérant, pourtant reconnu victime d’une violation
de l’article 3, a été placé dans une situation où sa parole et celle des témoins
qui ont confirmé celle-ci n’avaient aucune chance d’être entendues.
b) Thèse du Gouvernement
64. La reconnaissance de violation de l’article 3 de la Convention par le
Gouvernement s’agissant de la procédure dirigée contre les policiers ne
pouvait raisonnablement pas être interprétée comme couvrant les violences
physiques car cela aurait signifié une remise en cause de la décision de non-
lieu dans la procédure à charge des policiers, et préjugé des suites ultérieures
de la procédure à charge du requérant. À cet égard, s’il est vrai qu’il
appartenait au juge interne de faire preuve de prudence dans l’analyse des
faits et des éléments de preuve à charge et à décharge et de ne pas contredire
une reconnaissance antérieure par l’État de traitement dégradant par ses
agents, il s’avère qu’en l’espèce, le requérant a été entendu le soir même des
faits, que tous les acteurs et témoins pertinents ont été entendus et que la cour
d’appel a analysé scrupuleusement tous les éléments du dossier et confronté
de manière logique et impartiale les versions à charge et à décharge pour
aboutir à une conclusion à la fois favorable et défavorable au requérant.
65. Les juges d’appel n’ont pas donné de prépondérance non justifiée à la
version des forces de l’ordre. S’ils ont souligné que les témoignages à
décharge contredisaient la version du requérant en ce qui concerne les
circonstances de sa chute et l’échange de coups, ils ont aussi tenu compte de
ces témoignages pour l’acquitter du chef de coup volontaire à l’un des
inspecteurs. Selon le Gouvernement, l’analyse exhaustive des rapports et de
la confrontation des témoins à charge et à décharge n’a pas permis d’établir
au-delà de tout doute raisonnable l’absence de rébellion et n’a pu jeter le
discrédit sur la version des forces de l’ordre quant au recours à la force justifié
par les circonstances de l’espèce. Le requérant ne fait en somme que refaire
son procès et développe des arguments dont il n’est pas raisonnablement
possible de conclure qu’ils contredisent la thèse de la rébellion admise par les
juridictions internes à trois niveaux.
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3. Appréciation de la Cour
68. La Cour constate que les circonstances ayant entouré l’arrestation du
requérant et fondé son inculpation pour rébellion étaient contestées par les
différents protagonistes dans le cadre des procédures internes pour violences
policières et pour rébellion. Pour sa part, le requérant a soutenu dès son
audition le jour de son arrestation et ensuite dans le cadre des deux procédures
qui ont suivi les faits, qu’il avait été encerclé par les policiers et qu’il n’avait
pas pu quitter les lieux. Il a constamment contesté s’être rebellé et a imputé
ses lésions notamment à des coups des policiers qui l’avaient maîtrisé au
moment de son arrestation (paragraphes 5-7 ci-dessus).
69. Dans son arrêt du 13 mars 2018, la cour d’appel de Bruxelles a
confirmé la condamnation pénale du requérant prononcée en première
instance pour rébellion à l’encontre des policiers qui avaient procédé à son
interpellation. Elle a estimé que la version des faits du requérant n’était pas
crédible, au contraire des déclarations des policiers qui l’avaient interpellé.
Elle a considéré que si les procès-verbaux d’audition des policiers ne valaient
pas jusqu’à preuve du contraire, ils constituaient néanmoins des
renseignements auxquels une force probante pouvait être accordée en raison
de la confiance que la loi place dans la qualité de leurs auteurs
(paragraphes 30 et 39 ci-dessus). La cour d’appel a par conséquent retenu la
prévention de rébellion à charge du requérant, jugeant qu’il était établi « sans
le moindre doute » que celui-ci s’était rebellé (paragraphe 30 ci-dessus).
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A. Dommage
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B. Frais et dépens
97. Le requérant réclame 17 600 EUR au titre des frais et dépens qu’il a
engagés dans le cadre de la procédure de rébellion menée devant les
juridictions internes et au titre de ceux qu’il a engagés dans le cadre de la
présente procédure menée devant la Cour.
98. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
99. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En
outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se
rapportent à la violation constatée. En l’espèce, compte tenu des documents
en sa possession et des critères précités, la Cour accorde au requérant le
montant de 8 500 EUR qu’il demande tous frais, plus tout montant pouvant
être dû sur cette somme à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur
le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois
mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif
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