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Le Martyre de Saint Lambert Du Diptyque
Le Martyre de Saint Lambert Du Diptyque
Le Martyre de Saint Lambert Du Diptyque
R E V U E D ’ H I S T O I R E
E T D E P H I L O L O G I E
2/2012
Tome CXVIII
Le Martyre de saint Lambert du « diptyque Palude »
et les cérémonies de 1489 à la cathédrale de Liège
Introduction
Le Grand Curtius, musée d’art et d’histoire de la ville de Liège, conserve,
sous le nom de « diptyque Palude », deux panneaux dissociés, peints sur
chacune de leurs faces, et sur lesquels subsistent les traces de systèmes de
fixation1. Ces peintures représentent, l’une, la Nativité avec au verso, en
grisaille, le Jugement de Salomon, l’autre, le Martyre de saint Lambert, évêque
de Tongres-Maastricht, avec au revers, également en grisaille, la Rencontre
du Christ avec la femme adultère2.
Le nom donné à cet ensemble lui vient du personnage qui s’est fait
représenter dans le coin inférieur droit du tableau figurant saint Lambert,
tableau qui retiendra ici notre attention (fig. 1). Selon les usages bien connus,
le commanditaire, accompagné de ses armoiries, est peint, dans la scène, à
genoux, en posture de dévotion3. Il s’agit de Henri ex Palude († 1515), un
DOI : 10.3917/rma.182.0329
330 P. BRUYÈRE
Le contexte
Littérature et liturgie
Les faits et gestes de l’évêque de Tongres-Maastricht, Lambert, ont été consi-
gnés dans cinq récits hagiographiques, écrits entre le VIIIe et le XIIe siècle5.
Plusieurs exégètes ont montré que ces biographies, élaborées sur près de
cinq siècles, ont peu à peu fait glisser l’histoire vers la légende, chaque auteur
produisant une version des faits fluctuant au gré d’intérêts à servir6. Alors
donateur. Voir aussi ID., Entre traditions flamande et ibérique. Les œuvres religieuses
flamandes comportant des portraits d’Espagnols (1400–1550), Diplomates, voyageurs,
artistes, pèlerins, marchands entre pays bourguignons et Espagne aux XVe et XVIe siècles, éd.
J.M. CAUCHIES, Publication du Centre européen d’Études bourguignonnes (XIVe–XVIe s.),
t. 51, 2011, p. 275.
4. P. BRUYÈRE, S. DE MOFFARTS D’HOUCHENÉE, Henri ex Palude († 1515) et le bâton
de chantre de la cathédrale Saint-Lambert de Liège, à paraître.
5. Pour la bibliographie générale, nous renvoyons à la Bibliotheca hagiographica
latina antiquae et mediae aetatis, Bruxelles, 1895–1898, p. 698–701, et à son Novum
supplementum, Bruxelles, 1986, p. 514–515 (= BHL 4677–4694). Voir particulièrement
L. VAN DER ESSEN, Étude critique et littéraire sur les vitæ des saints mérovingiens de
l’ancienne Belgique, Louvain–Paris, 1907, p. 20–53 et passim ; P. BERTRAND, Art. Lambert
(saint), Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques (= D.H.G.E.), fasc. 174–
175a, Paris, 2008, col. 48–55.
6. G. KURTH, Étude critique sur saint Lambert et son premier biographe, Anvers, 1876 ;
S. BALAU, Les sources de l’histoire de Liège au Moyen Âge. Étude critique, Bruxelles, 1903,
passim ; VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 39–46 ; Vitae Landiberti episcopi Traiectensis,
éd. B. KRUSCH, Monumenta Germaniae Historica, Scriptores Rerum Merovingicarum
(= M.G.H., S.R.M.), t. 6, Hanovre–Leipzig, 1913, p. 299–352 passim ; H. SILVESTRE, Les
avatars de la tradition liégeoise sur la fin misérable des meurtriers de S. Lambert, Le
Chronicon Sancti Laurentii Leodiensis dit de Rupert de Deutz. Étude critique, Louvain,
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 331
qu’il est aujourd’hui acquis que saint Lambert fut la victime d’une vendetta
mettant aux prises deux groupes familiaux qui visaient à contrôler le patri-
moine de l’Église de Tongres-Maastricht (la mort eut lieu le 17 septembre
d’une année comprise entre 696 et 705), les hagiographes, conduits par des
préoccupations politiques contemporaines, ont fini par faire accroire que
l’assassinat avait été commandité par Alpaïde, maîtresse de Pépin II auquel
notre saint homme avait reproché sa conduite illégitime. Ce n’était donc
plus à un crime suscité par la vengeance privée qu’on avait affaire, mais au
martyre d’un prélat courageux, mort pour avoir défendu les idéaux de la
foi chrétienne.
Une particularité digne d’intérêt semble avoir échappé à la plupart des
observateurs du tableau qui fait ici l’objet de notre attention, à savoir l’insis-
tance avec laquelle le peintre a mis en scène, aux côtés de saint Lambert,
deux autres personnages eux aussi victimes de l’agression. La violence avec
laquelle ces derniers sont assaillis, la position qu’ils occupent dans la com-
position, de même que l’importance accordée aux attitudes des assaillants
et la précision avec laquelle sont représentées les armes, laissent poindre le
parti pris par le commanditaire d’associer à la mort de saint Lambert celle
de deux de ses parents, connus très tôt dans la littérature hagiographique
sous les noms de Pierre et Audolet.
En passant en revue les différents récits biographiques de saint Lambert,
nous souhaitons comprendre comment s’est peu à peu élaborée une « lé-
gende liturgique » : comment ces narratifs ont servi de « bagage cultuel »
aux clercs de la cathédrale de Liège chargés de perpétuer la mémoire de
leur saint patron.
La Vita vetustissima est l’œuvre d’un auteur resté anonyme. Par sa division
en lectiones, ce récit primitif possède déjà toutes les caractéristiques d’un texte
liturgique7. Dès ce premier texte, écrit entre 727 et 743, les personnages de
Petrus et Autlaecus8 sont nommés. Ceux-ci ont tué Gallus et Rivaldus, deux
frères parents d’un domesticus de Pépin, un certain Dodon. C’est Dodon
qui, en représailles, a organisé le massacre de l’évêque et de ses parents.
Les assaillants font irruption dans la pièce où Lambert est en prière ; l’un
d’eux grimpe sur le toit, dont il ôte le revêtement, aperçoit l’évêque dans sa
chambre ; Pierre et Audolet s’offrent d’opposer une résistance à l’agression,
1952, p. 371–395 ; J.L. KUPPER, Saint Lambert : de l’histoire à la légende, Revue d’Histoire
ecclésiastique, t. 79, 1984, p. 5–49.
7. VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 26.
8. La graphie de ce nom varie selon les manuscrits, la première que nous citons
ayant été adoptée par l’éditeur des M.G.H. : Autlaecus, Autlecus, Audolecus, Audlecus.
Vie la plus ancienne de saint Lambert écrite par un contemporain, éd. J. DEMARTEAU, Liège,
1890, p. 53–54. Nous adoptons, dans le texte, la graphie Audolet de préférence à
Andolet, forme que l’on rencontre tardivement dans la littérature.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 333
mais l’évêque est frappé d’un coup de lance qui lui est fatal9. L’auteur de
la Vita vetustissima en fait des nepotes de Lambert, c’est-à-dire des parents
proches, strictement les fils du frère ou de la sœur10.
Deux siècles plus tard, l’évêque de Liège Étienne (901–920)11 est, selon
certains auteurs, l’initiateur de la rédaction, par un clerc de son Église, du
long poème métrique intitulé Carmen de sancto Landberto, dans lequel Dodon,
instigateur du raid sur la maison de Lambert, apparaît comme le frère d’Al-
païde12. Ce poème, qui pourrait avoir été écrit pour susciter la méditation
personnelle des chanoines, vit le jour en même temps qu’une nouvelle vita
et le premier office propre attribués à Étienne lui-même, ainsi qu’une passio.
L’office comprend des antiennes et répons qui ont reçu une notation neuma-
tique. Quant à la vita, elle est divisée en neuf leçons, comme il est d’usage
dans les chapitres canoniaux, pour servir de lecture à l’office nocturne de la
célébration du martyre de saint Lambert. De même, la passio est elle aussi
divisée en neuf lectiones, preuve certaine de sa vocation liturgique13. Cette
dans un lieu sacré. Comme s’il voulait concilier les versions distinctes de
ses prédécesseurs, Nicolas reprend à son compte un terme choisi pour son
ambivalence, cella, qui peut désigner aussi bien le réduit du pauvre – c’est-
à-dire l’endroit où, même dans une demeure patricienne, il est possible de
se retirer –, que le sanctuaire19. Devant l’autel des saints Cosme et Damien,
dont Nicolas ne précise pas l’emplacement20, Lambert se dispose à mourir
comme en martyr, les bras en croix, in summa orationis devotione. L’un des
séides de Dodon, plus audacieux que les autres, grimpe sur le toit pentu de
l’oratoire (fastigium oratorii), en écarte les tuiles, et se tenant en équilibre, dans
un grand élan, le frappe de sa lance et le transperce mortellement.
En synthèse, il est sans conteste que les écrivains, en construisant une
œuvre édifiante, non seulement contribuaient à propager dans les milieux
lettrés le culte de saint Lambert, mais aussi permettaient, par le choix d’un
mode rédactionnel adapté, une expression propre à l’exaltation liturgique.
Les chanoines de la cathédrale étaient donc familiarisés avec les noms de
Petrus et Autlaecus. Ils faisaient partie de l’histoire sans plus. La reconnais-
sance de leurs reliques21 va bientôt changer la donne et procurer aux neveux
de l’évêque une existence autre que proprement légendaire.
Il est revêtu d’une cotte de mailles et coiffé d’un casque à oreillons, une forme de
couvre-chef militaire connue au XVe siècle, mais dont on ignore le nom spécifique.
L’assassin de gauche tue au moyen d’une arme de hast que l’on qualifierait, de nos
jours, de guisarme (les appellations contemporaines sont incertaines). Elle permet
de frapper d’estoc (comme ici) et de taille, et est munie d’une rondelle de garde qui
protège les mains. Cet homme est revêtu d’une cotte de mailles sans manches. Ses
jambes sont munies de grèves de fer plain. Il porte, au côté gauche, une épée, de type
indistinct, dans un fourreau. Le personnage de droite frappe l’autre acolyte d’un
grand coutelas, que l’on nommait : fauchon, braquemart ou malchus (du nom du
serviteur du Grand Prêtre de Jérusalem auquel Simon Pierre coupa une oreille, lors
de l’arrestation du Christ, avec ce genre d’armes). En conclusion, ce type d’armement
est normal pour la fin du XVe siècle, en particulier le fauchon, dont la forme de la
poignée trahit l’époque. C’est un armement de fantassin (non aristocratique !), un
peu disparate, comme il en était pour les gens de pied ».
19. F. GAFFIOT, Dictionnaire latin français, Paris, 1934, p. 285. Le mot figure dans
une antienne du troisième nocturne de l’office de saint Lambert, JONSSON, Historia,
p. 221.
20. L’autel des saints Cosme et Damien était situé dans le Vieux chœur ou chœur
occidental de la cathédrale. Il est vraisemblable qu’il avait été initialement fondé,
à l’époque romane, dans la crypte occidentale construite sur les lieux mêmes du
martyre. La fondation aurait été reconstituée dans le Vieux chœur surplombant cette
crypte entretemps désaffectée. Sur la mention de cet autel dans les textes hagiogra-
phiques, voir les développements de VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 33–37.
21. Sur cette question, le livre N. HERRMANN-MASCARD, Les reliques des saints.
Formation coutumière d’un droit, Paris, 1975, demeure indispensable.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 337
apaiser la colère des puissances supérieures, le Moyen Âge n’a pas trouvé
plus efficace que le recours aux saints, par l’intermédiaire de leurs reliques24.
En raison de son passé prestigieux, et en dépit des incendies et des guerres,
la cathédrale de Liège en est abondamment pourvue. Henri ex Palude se
trouve au centre de grandes démonstrations religieuses, orchestrées avec la
plus grande solennité tout au cours de l’année 1489. En sa qualité de céré-
moniaire, fonction alors réservée au grand-chantre, mais aussi en raison de
sa proximité avec le clan des La Marck25, il est convié par le doyen, le prévôt
et tout le chapitre, à faire partie des membres du clergé chargés de présider
à l’organisation de cérémonies grandioses, qui mobilisent non seulement
le clergé du diocèse, mais aussi tout le peuple. Ex Palude y joue un rôle de
premier plan.
Ces solennités, visant à solliciter les protecteurs de l’Église de Liège, et
prioritairement la Vierge et saint Lambert, nous sont remarquablement
connues par un témoin direct, demeuré anonyme, qui les a décrites, à la
demande du chapitre, avec le souci manifeste d’en conserver le souvenir26,
et avec assez de précision pour permettre aux clercs de la cathédrale de les
imiter lors de célébrations futures. Ce témoignage, édité par le vicaire géné-
ral et chroniqueur Jean Chapeaville27, est conservé dans un recueil28, où il
est précédé d’un cérémonial de la même écriture29, et suivi de la relation de
cérémonies religieuses de différents types30.
24. Sur le pouvoir accordé aux reliques par les hommes du Moyen Âge, voir
notamment les réflexions de P. CORDEZ, Gestion et médiation des collections de
reliques au Moyen Âge. Le témoignage des authentiques et des inventaires, Reliques
et sainteté dans l’espace médiéval, éd. J.L. DEUFFIC, Pecia, t. 8–11, 2005, p. 33–63.
25. Chronique du règne de Jean de Hornes, éd. S. BALAU, Chroniques liégeoises, t. 1,
Bruxelles, 1913, p. 379, énonce sans équivoque que le chapitre cathédral supplie
Éverard de la Marck de faire revenir la paix.
26. Ces manifestations sont relatées sommairement dans la Chronique du règne de
Jean de Hornes, p. 380–383.
27. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, Liège, 1616, p. 213–227.
HARSIN, La principauté de Liège, p. 235, s’avance en attribuant à la plume du notaire
Crespin Roefs la relation des événements. On sait seulement que celui-ci a fait, à la
demande d’ex Palude, les comptes rendus des visites destinés à être enfermés dans
les reliquaires. Tous les récits sont anonymes, de l’aveu de l’éditeur, même si celui-ci
croit reconnaître la plume d’un homme très pieux et très savant, membre du chapitre
cathédral (CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 213, 216, 224).
28. LIÈGE, AÉvL, Cathédrale Saint-Lambert, A I 1. Chapeaville y est peut-être
l’auteur de notes marginales rectifiant certaines erreurs ou imprécisions du scribe,
et sur lesquelles nous aurons à revenir.
29. Ce cérémonial a jusqu’ici été peu exploité. Il constitue un document de pre-
mière importance pour l’histoire du rituel à la cathédrale de Liège. Nous l’étudions
dans P. BRUYÈRE, Note sur un cérémonial inédit de la cathédrale Saint-Lambert de
Liège (fin du XVe siècle), en préparation.
30. Voici quelques-unes de ces cérémonies : réception d’un roi des Romains,
cérémonies funèbres d’un évêque, Joyeuse Entrée d’un prince, messe solennelle
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 339
Nous savons, grâce à cette source, que les manifestations de 1489 se décli-
nèrent en trois temps forts : ouverture des riches reliquaires que possédait la
cathédrale, et reconnaissance des reliques31 ; célébration en grande pompe
de la fête de la Translation de saint Lambert32 ; cérémonie d’ostension des
reliques33.
les Brabançons dans les plaines de Steppes, près de Montenaeken, le 13 octobre 1213,
et qui fut plus durablement commémorée par une fête solennelle au calendrier (voir
n. 68).
41. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 214, est le premier auteur
à en faire état. Les sources historiques de ce don ont été relevées par W. PARAVICINI,
Guy de Brimeu. Der burgundische Staat und seine adlige Führungsschicht unter Karl dem
Kühnen, Bonn, 1975, p. 229 et n. 539.
42. Voir, au sujet de ce terme, H. LECLERCQ, Reliques et reliquaires, Dictionnaire
d’Archéologie chrétienne et de liturgie (= D.A.C.L.), t. 14, 2, Paris, 1948, col. 2294–2359
(authentiques de reliques, col. 2338–2343) ; M. HEINZELMANN, Translations Berichte und
andere Quellen des Reliquienkultes, Turnhout, 1979, p. 85–86. Une réflexion stimulante
a été faite récemment : P. BERTRAND, Authentiques de reliques : authentiques ou
reliques ?, Le Moyen Âge, t. 112, 2006, p. 363–374.
43. L’authentique qui accompagne les restes détaille les reliques historiques
de la sainte. Elle est éditée par l’auteur du récit. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum
Leodiensium, t. 3, p. 215–216. Deux autres petites châsses sont encore visitées.
44. Le scribe précise : dans la caisse supérieure appelée Mechlinia. Au XVe siècle,
les archives de la cathédrale étaient conservées dans une chambre située au centre
de l’aile ouest du cloître occidental, à côté de la compterie (S. BORMANS, Répertoire
chronologique des conclusions capitulaires du chapitre cathédral de Saint-Lambert, à Liège,
t. 1, 1427–1650, Liège, 1869–1875, p. 57 : 27 avril 1490). Elles étaient placées dans des
capsae de bois (au nombre de 45 à la fin du XVe siècle, selon l’inventaire publié par
A. CAUCHIE, A. VAN HOVE, Documents concernant la principauté de Liège (1230–1532),
spécialement au début du XVIe siècle extraits des papiers du cardinal Jérome Aléandre, t. 2,
342 P. BRUYÈRE
dam feretro super introitum chori dicte Leodiensis ecclesie consistente, in quo sacrum corpus
gloriosi martiris b. Lamberti patroni eiusdem ecclesie venerabiliter requiescit (U. BERLIÈRE,
Les évêques auxiliaires de Cambrai aux XIVe et XVe siècles, Revue bénédictine, t. 21, 1904,
p. 51). L’emploi de super au lieu de supra pouvait laisser entendre que le tombeau
se trouvait à l’entrée du chœur. Le texte de 1489 ne laisse planer aucun doute : les
célébrants montent des escaliers pour atteindre le lieu où repose le corps du martyr
(CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 220).
49. Il s’agit de l’antienne du Magnificat des premières vêpres. Voir A. AUDA, L’école
musicale liégeoise au Xe siècle : Étienne de Liège, Bruxelles, 1923, p. 184–186, qui observe
que « le Magna vox jouait un rôle prédominant, car il clôturait généralement les
cérémonies de quelque importance » ; ID., La musique et les musiciens de l’ancien pays
de Liège, Bruxelles–Paris–Liège, 1930, p. 20–23.
50. La messe et la procession sont aussi évoquées par le chroniqueur Jean Peecks
ou de Looz (* 1459–† 1516), qui insiste également sur le caractère exceptionnel des
cérémonies : […] specialem missam cum solemni processione, cujus simili antea non exsti-
tit visa. JEAN DE LOOZ, Chronicon rerum gestarum ab anno MCCCCLV ad annum MDXIV, éd.
P.F.X. DE RAM, Documents relatifs aux troubles du pays de Liège sous les princes-évêques
Louis de Bourbon et Jean de Horne, 1455–1505, Bruxelles, 1844, p. 99. Nous développons
les aspects liturgiques de cette fête dans P. BRUYÈRE, Érard de La Marck, promoteur
en 1512 de la procession de la Translation de saint Lambert, à paraître.
344 P. BRUYÈRE
51. Nous traduisons en annexe la liste complète des reliques exposées, publiée
par CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 225–227.
52. Cela ne veut pas dire qu’il soit demeuré intact : A. MARCHANDISSE, I. VRANCKEN-
PIRSON, J.L. KUPPER, La destruction de la ville de Liège (1468) et sa reconstruction,
Destruction et reconstruction de villes du Moyen Âge à nos jours. Actes du 18e colloque
international (Spa 1996), Bruxelles, 1999, p. 82.
53. J.L. KUPPER, Les Gesta pontificum Leodicensis aecclesiae du chanoine Anselme,
Problématique de l’histoire liégeoise, Liège, 1981, p. 29–39.
54. ID., Leodium, p. 56.
55. Herigeri et Anselmi gesta episcoporum Tungrensium Traiectensium et Leodiensium,
éd. R. KOEPKE, M.G.H., SS, t. 7, Hanovre, 1846, p. 198 : Huius corpus cum Petro et
Audoleco, qui occisi sunt cum beato Lamberto, uno compositum est sepulchro. KUPPER,
Leodium, ne donne pas cette précision. BALAU, Les sources de l’histoire de Liège, p. 171,
n. 1, a démontré que cette partie de l’œuvre d’Anselme n’a pas été interpolée par
Gilles d’Orval, mais qu’il emprunte ces détails à la tradition orale.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 345
cette sépulture. Mais nous allons voir que, selon toute vraisemblance, le sort
des parents fut lié à celui de saint Lambert.
Un important incendie frappa la cathédrale dans la nuit du 28 au 29 avril
1185. Un témoin anonyme de cette catastrophe rapporte, de manière assez
précise, les dommages que l’édifice dut subir, notamment la destruction,
dans le chœur occidental, de l’autel de la sainte Trinité56. Il ne dit cependant
pas un mot de la crypte située sous cet autel, où le martyre fut perpétré57. Le
corps de saint Lambert échappa aux flammes, puisqu’on le sauvegarda en
le plaçant dans l’église de Notre-Dame aux Fonts, voisine de la cathédrale58.
Son retour fut solennisé le jour de sa fête, le 17 septembre 1197. À cette date,
selon le chroniqueur Gilles d’Orval, la châsse de saint Lambert fut installée
sur l’autel de la Trinité59, sous un nouveau ciborium ou baldaquin recouvert
d’or et d’argent, et il fut procédé à l’élévation des corps des saints Pierre et
56. J.L. KUPPER, Sources écrites des origines à 1185, Les fouilles de la place Saint-
Lambert à Liège, t. 1, Liège, 1984, p. 34.
57. Breviloquium de incendio ecclesiae sancti Lamberti, éd. W. ARNDT, M.G.H., SS,
t. 20, Hanovre, 1868, p. 620.
58. À la suite de l’incendie, le corps de saint Lambert fut d’abord transféré en
l’église collégiale Saint-Barthélemy et exposé à la dévotion du peuple en la collégiale
Saint-Martin avec le corps de saint Domitien venu de Huy, LAMBERT LE PETIT, Annales,
éd. L.C. BETHMANN, M.G.H., SS, t. 16, p. 649. L’exil semble s’être prolongé pendant
douze ans. En effet, le 24 juillet 1196, en raison d’inondations, mais aussi en vue de
s’en accommoder les faveurs en période de disette, le corps de saint Lambert fut
conduit en l’abbaye de Cornillon puis transféré, le 23 août, en la collégiale Saint-
Barthélemy avant de réintégrer la cathédrale, le 17 septembre de l’année suivante, à
l’endroit même où il était encore honoré à l’époque du chroniqueur Renier. RENIER DE
SAINT-JACQUES, Annales, M.G.H., SS, t. 16, p. 653 : In festo sancti Lamberti corpus ipsius
martyris de medio monasterio, in quo ab incendio ecclesiae iacuerat, cum maximo honore et
plebis tripudio in loco in quo nunc iacet honorifice relocatur. Ces différents transferts sont
traités à la date de 1185 par Lambert le Petit. Renier de Saint-Jacques qui complète
l’œuvre de celui-ci à partir de 1193 nous paraît donc plus fiable. BALAU, Les sources de
l’histoire de Liège, p. 426–428. Voir aussi GILLES D’ORVAL, Gesta episcoporum Leodiensium,
éd. J. HELLER, M.G.H., SS, t. 25, Hanovre, 1880, p. 112.
59. Ibid., p. 116 : In festo sancti Lamberti [1197] corpus ipsius martyris de medio monas-
terio, ubi multa miracula Dominus per eum operatus est, in quo iacuerat ab incendio ecclesie,
cum maximo honore et plebis tripudio super altare sancte Trinitatis collocatur.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 347
60. Ibid., p. 46 : Post multos vero annos levata sunt etiam corpora sanctorum Petri et
Audoleci, qui cum beato Lamberto martirizati sunt, et cum corpore beati Floereberti in uno
collocata sunt feretro. Quod feretrum in ciborio iuxta corpus beati Lamberti usque in hodier-
num diem collocatum est cum aliis sanctorum pignoribus. Gilles d’Orval ajoute que les
corps de saint Théodard et de sainte Madelberte, placés eux aussi dans une même
châsse, furent également installés sous ce baldaquin orfévré (Ibid., p. 46–47).
61. Le chroniqueur Gilles d’Orval termina son œuvre en 1251 (BALAU, Les sources
de l’histoire de Liège, p. 451). Il a également complété l’œuvre d’Anselme en y dupli-
quant ces informations. ANSELME, Gesta pontificum Traiectensium et Leodiensium, éd.
CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 1, Liège, 1612, p. 145.
62. É. PONCELET, Le martyre de saint Lambert et les sceaux, B.S.B.L., t. 5, 1892–1895,
p. 169–170, décrit un sceau rond de 60 mm de diamètre, portant un buste d’évêque
tenant une crosse de la main droite et bénissant de la main gauche, d’après un acte
de 1189, mais il renvoie à F. DE REIFFENBERG, Monuments pour servir à l’histoire des pro-
vinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg, t. 1, Bruxelles, 1844, p. 548 et pl. II, no 13,
lequel publie un sceau accompagnant une charte du 18 avril 1209, et dont le texte est
en partie illisible. L’inscription pourrait, selon nous, se lire ainsi : SCS LAMBER[TUS EPS
LEOD]IENSIS PATRONUS. La place laissée par le manque permet en effet d’insérer episcopus
(EPS) entre Lambertus et Leodiensis.
63. É. SCHOOLMEESTERS, Liste des autels de la cathédrale de Saint-Lambert, Leodium,
t. 8, 1909, p. 87–93 ; R. FORGEUR, Un pouillé des bénéfices de la cathédrale de Liège du
début du XVIIe siècle, Leodium, t. 69, 1984, p. 8–16.
348 P. BRUYÈRE
même châsse avec des reliques de saint Lambert et de saint Théodard70. Cette
châsse, un siècle plus tard, se trouve dans la trésorerie ; elle n’y est plus qu’un
Coffre des saints Pier et Andolete, un réceptacle ordinaire dépourvu de décora-
tion, par contraste avec les châsses d’argent ou dorées, d’ivoire ou couvertes
d’étoffe71. Les premiers hagiographes modernes hésitent, quant à eux, sur
le traitement à leur réserver. Ainsi, dans son catalogue des saints locaux,
Philippe Ferrarius inscrit saints Pierre et Audolet à la date du 17 septembre
se fondant sur la passion de saint Lambert, cum quo martyrio coronati sunt72.
Le jésuite Barthélemy Fisen fait de même, en s’appuyant sur la vie de saint
Lambert, laquelle fait état, dit-il, de leur glorieux combat73. Au milieu du
XVIIIe siècle, le bollandiste Constantin Suyskens, dans les commentaires qui
accompagnent les éditions des vies de saint Lambert, consacre aux neveux
quelques notes savantes74, dans lesquelles il ne cache pas son embarras. Il
n’a pas découvert d’office dans le bréviaire liégeois, ce qui ne nous surprend
guère. Mais il n’a rien trouvé non plus sur leurs reliques.
Ce lent déclin mémoriel paraît inéluctable. À la fin de l’Ancien Régime, la
trace de Pierre et Audolet semble avoir été définitivement perdue. Comble de
déchéance : le reliquaire qui enferme leurs ossements n’est pas même repris
parmi les objets placés en caisse en 1794 pour être mis à l’abri en Allemagne75.
70. BORMANS, Conclusions capitulaires, p. 346 : don d’une châsse en argent, en juin
1618, par le chanoine Jean Damen. On trouvera de plus amples informations dans
J. DARIS, Notices historiques sur les églises du diocèse de Liège, t. 17, Liège, 1899, p. 10–21.
71. Répertoire établi en 1713. J. DEMARTEAU, Trésor et sacristie de la cathédrale
Saint-Lambert à Liège 1615–1718, B.S.A.H.D.L., t. 2, 1882, p. 25.
72. P. FERRARIUS, Catalogus generalis sanctorum, qui in Martyrologio Rom. non sunt,
Venise, 1625, p. 369.
73. B. FISEN, Flores ecclesiae Leodiensis sive vitae vel elogia sanctorum […], Lille, 1647,
p. 417.
74. Acta Sanctorum, Septembris, t. 5, Anvers, 1755, p. 546–549.
75. Contrairement aux châsses de sainte Madelberte et des saints Materne,
Théodard, Laurent et Lambert. J. PURAYE, Le trésor de la cathédrale Saint-Lambert
pendant et après la Révolution française, B.I.A.L., t. 64, Liège, 1940, p. 55–117.
350 P. BRUYÈRE
donc au plus près du lieu du martyre76. Par testament, il fonde une messe
en l’honneur de saint Lambert, qui devait être solennisée par le chant, tous
les mardis, dans ce même Vieux chœur77.
Ex Palude a présidé aux ouvertures de châsses, a été au plus près des
saints et a respiré les fragrances que leurs corps dégagent (Quo aperto eva-
poravit coelestis & super omnem humanam dulcedinem dulcissimus odor continue
durans78), a dirigé l’ostension solennelle de reliques, dont un grand nombre
appartient à des saints de l’Église de Liège. On peut percevoir que ce vécu a
profondément marqué l’homme de foi. Comment ne pas comprendre aussi
qu’il ait voulu garder la trace d’une telle expérience personnelle ?
Deux personnages, connus par des procédés mémoriels liés aux lectures
liturgiques, lui sont révélés au grand jour dans leur réalité matérielle. Le
privilège qu’il eut d’ouvrir, pour la première fois depuis trois siècles, le reli-
quaire de Pierre et Audolet l’autorise à tirer parti des informations que les
restes recèlent. Leurs corps conservent les traces de leur martyre. Le peintre
dispose d’informations précises : Pierre a dû être frappé avec une violence
plus marquée, puisqu’il ne subsiste de sa tête que la mâchoire inférieure
encore pourvue de dents79. Cette description offre à l’artiste le scénario de la
scène. Sur la droite du tableau, Pierre est saisi par la chevelure. Son agresseur
s’apprête à lui asséner un coup de fauchon qui va lui briser la face.
Le reste de la scène est le reflet fidèle des lectures faites au chœur, lorsqu’est
évoquée, lors de la célébration des matines, la Vie de saint Lambert du chanoine
Nicolas. Si la réalité historique, reconstruite par la comparaison des vitae,
veut que l’évêque de Tongres, Lambert, ait été assassiné dans sa résidence
privée pendant qu’il était en prière, la peinture montre Lambert, en habits
sacerdotaux, s’apprêtant à célébrer la messe (comme l’atteste le missel,
posé sur la gauche de l’autel). L’un des assaillants s’est hissé sur le toit du
bâtiment, y a percé une ouverture, puis a frappé l’évêque à deux mains avec
un épieu. Le futur patron du diocèse de Liège n’est pas couché les bras en
76. On le sait par son testament, daté du 20 mars 1515. Ce document est conservé
à LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, ff. 59–61v. On ne sait en revanche pas où
J. PHILIPPE, La cathédrale Saint-Lambert de Liège, Liège, 1979, p. 153, a lu que « Henri ex
Palude promit par testament de faire dorer la statue de saint Lambert placée dans le
chœur ».
77. LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, fol. 61v. Henri ex Palude décède le
24 mars 1515 : L. NAVEAU, Recueil d’épitaphes de la cathédrale de Liège, B.S.B.L.,
t. 10, 1912, p. 76.
78. Ou encore : miro odore fragrantissimo. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum
Leodiensium, t. 3, p. 214. Ce poncif des odeurs de sainteté est déjà présent dans la vie
de saint Lambert de l’évêque Étienne, ainsi que dans celle du chanoine Nicolas. Voir
sur ce sujet : C. SAUCIER, The Sweet Sound of Sanctity. Sensing St Lambert, Senses &
Society, t. 5, 2010, p. 10–27.
79. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 215, 226.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 351
croix, mais debout les bras croisés sur la poitrine. Nous sommes en plein
correspondance avec la version du chanoine Nicolas, le premier écrivain à
faire mourir saint Lambert dans son oratoire80.
Les authentiques des reliques insistent sur un point : les deux neveux sont
des « cognats » de saint Lambert ; ils lui sont unis par le sang81. Le peintre a
clairement voulu prêter à l’un d’eux – Pierre qui a subi le martyre avec le plus
de violence – des traits quasi identiques à ceux de l’oncle : cheveux ondulés et
foncés, nez fin et allongé, sourcils délicatement dessinés, bouche étroite. Les
neveux assistent le célébrant, revêtus de la chasuble rouge, en usage au sein
du chapitre cathédral lors des messes commémoratives de saint Lambert.
Dans l’optique adoptée, il est tout naturel que les vaillants gaillards, prêts à
défendre, armes au poing, un membre de leur lignage, aient fait place à deux
clercs désarmés qui n’ont d’autre choix que de subir le supplice.
Un détail de la représentation confirme le moment de l’attentat : le célé-
brant, tout comme ses deux assistants, portent le manipule sur l’avant-bras
gauche. Cet insigne honorifique porté par l’évêque, le prêtre, le diacre ou
le sous-diacre pour la célébration de la messe82 présente encore au XVe siècle
un sens symbolique fort. Suivant une prière faite sur les versets du psaume
125, au moment où l’on s’en revêtait, l’Église veut que ce manipule qu’on a
mis à la main ou au bras gauche, & qui servoit autrefois à essuyer les larmes & la
sueur du travail, nous fasse souvenir qu’il faut travailler & souffrir en ce monde,
pour avoir part aux récompenses éternelles83. Or le discours que, toujours selon
le chanoine Nicolas, saint Lambert tient à ses neveux, au moment où ils
veulent intervenir pour le défendre, s’inscrit parfaitement dans cette attitude
de résignation : Audite itaque, carissimi, ultima hec patris vestri verba et ad eum,
apud quem est misericordia et copiosa redemptio, spem cordis vestri firmiter erigite
atque ante eius conspectum omnes reatus vestros humiliter confitendo proprio vos
condempnate iudicio84. Sur le tableau, la symbolique liée à la messe commé-
morative est encore appuyée par la présence de croix rouges sur chacun des
trois manipules85.
En synthèse, le Martyre de saint Lambert du « diptyque Palude » réhabilite
historiquement les deux neveux du martyr et offre à ceux-ci une représen-
80. Ainsi que l’avait déjà observé BALAU, Les sources de l’histoire de Liège, p. 308.
81. DU CANGE, Glossarium, t. 2, col. 392a.
82. J. ROUX, Art. Manipule, Dictionnaire pratique de liturgie romaine, Paris, 1952,
col. 619–621. Voir aussi H. LECLERCQ, Art. Manipule, D.H.G.E., t. 11, Paris, 1931,
col. 1411–1416.
83. P. LE BRUN, Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémo-
nies de la messe suivant les anciens auteurs […], t. 1, Paris, 1777, p. 46–50.
84. NICOLAS, Vita Landiberti episcopi Traiectensis, p. 424.
85. Cette citation picturale du manipule n’a rien pour surprendre : le dernier jour
de la « montre » des reliques, on exposa notamment le manipulum de saint Lambert
(CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 227).
352 P. BRUYÈRE
tation calquée sur la réalité des découvertes de 1489. Leurs apparitions dans
l’art, rares jusque là et limitées à leur présence paisible aux côtés du saint86,
prennent désormais la forme d’une association à la mort du héros87.
La nouvelle figuration du martyre « familial » essaime rapidement. Pour
le début du XVIe siècle seulement, nous pouvons citer un dessin à la plume,
conservé dans l’obituaire de la paroisse Saint-Amand de Jupille (ca 1502)88,
le sceau aux causes du chapitre de saint Lambert (au plus tard 1514)89, deux
œuvres offertes par le prince-évêque Érard de La Marck, à savoir le reli-
quaire contenant l’occiput de saint Lambert (entre 1508 et 1512) (fig. 4)90 et
86. On ne peut guère citer qu’une enluminure illustrant une vie de saint Lambert
en ancien français, datant de la première moitié du XIIIe siècle (Vie de saint Lambert en
français du XIIIe siècle, traduite de la biographie écrite au Xe siècle par Étienne, évêque de Liège,
éd. J. DEMARTEAU, Liège, 1890, d’après un ms. conservé à LONDRES, British Library).
Dans cette représentation, conservée dans un manuscrit de BRUXELLES, KBR, 10326,
fol. 158r, Pierre et Audolet assistent saint Lambert sans subir comme lui le martyre. Ils
sont nimbés et manifestent la stupeur (reproduction dans Le livre illustré en Occident
du haut Moyen Âge à nos jours, Bruxelles, 1977, p. 34–35). Ils sont encore représentés,
en accompagnateurs, sur une peinture murale de l’église Saint-Lambert de Bois, dans
le Condroz liégeois (ca 1456). Nous renvoyons à J. FOLVILLE, Datation et attribution à
un même auteur de deux œuvres conservées dans le Condroz, Bulletin de la Société
royale « Le Vieux Liège » (= B.S.R.L.V.L.), t. 9, Liège, 1976, p. 27–28, qui rappelle oppor-
tunément que c’est Gauthier de Corswarem, chanoine du chapitre cathédral, qui y
a fait exécuter d’importants travaux, à partir de 1456.
87. L’étude fondamentale sur les représentations de saint Lambert dans l’art de-
meure celle de M. BRIBOSIA, L’iconographie de saint Lambert, Bulletin de la Commission
royale des Monuments et Sites, t. 6, 1955, p. 85–248 (spécialement p. 187–196, conte-
nant l’étude de la scène du martyre, qui ne fait aucun cas particulier des neveux de
l’évêque). Voir également Saint Lambert. Culte et iconographie, Catalogue de l’exposi-
tion, Liège, 1980, p. 54–57 ; P. GEORGE, L’iconographie du meurtre de saint Lambert,
B.S.R.L.V.L., t. 14, 2002, p. 303–312 ; J.L. KUPPER, P. GEORGE, Saint Lambert. De la légende
à l’histoire, Bruxelles, 2006. Ces derniers travaux n’examinent pas non plus la question
de la représentation de Pierre et Audolet dans les scènes du martyre.
88. LIÈGE, AÉvL, fonds non classé (Karthularium aniversariorum gloriosi Amandi). Le
dessin, à la plume et lavis d’encre et rehaussé de rouge, a été réalisé par l’auteur de
l’obituaire, Mathieu Bertran, qui s’y définit comme vesti et tenant (1496), ou comme
clerc de Jupille (1502). Nous retenons cette dernière date pour le dessin. Celui-ci a
été reproduit dans C. DURY, Vingt ans après… les archives paroissiales du diocèse
de Liège, Revue d’histoire religieuse du Brabant wallon, t. 22, 2008, p. 139.
89. PONCELET, Le martyre de saint Lambert et les sceaux, p. 175–176 et pl. II.
90. Sur cette œuvre, voir COLMAN, L’orfèvrerie religieuse liégeoise, t. 1, Liège, 1966,
p. 94–109 ; t. 2, fig. 8–41 ; P. COLMAN, R. SNEYERS, Le buste-reliquaire de saint Lambert
de la cathédrale de Liège et sa restauration. Étude historique et archéologique, Bulletin
de l’Institut royal du Patrimoine artistique, t. 14, 1973–74, p. 39–87.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 353
91. Y. VANDEN BEMDEN, Les vitraux de la première moitié du XVIe siècle conservés en
Belgique. Provinces de Liège, Luxembourg, Namur, t. 4, Gand, 1981, p. 203, 204, 215.
92. ALLART, La peinture du XVe et du début du XVIe siècle dans les collections publiques
de Liège, p. 157–161.
354 P. BRUYÈRE
d’etre ensepvelis par son testam[en]t100 : sur lequel se voioit encor son pourtrait
fait apres le naturel en posture de priant revetu d’une robe rouge101 avec l’aumusse
sur le bras et ses armes a ses pieds mais sans timbre lequel tableau at eté quitté
du depuis et transporté je ne scais ou, a cause qu’il servoit d’empeschement pour
dresser un nouvel ouvrage de siege qu’on ÿ at fait faire102.
100. Gérard ex Palude fut reçu au chapitre le 20 avril 1511. Il avait lui aussi émis
le vœu d’être enterré dans le Vieux chœur de la cathédrale, aux côtés de son oncle.
Ibid., p. 24–25.
101. Le terme robe désigne ici la chasuble, vêtement liturgique que le prêtre revêt
pour la célébration de la messe. Cardinal BONA, De la liturgie ou traité sur le saint sacrifice
de la messe, t. 1, Paris, 1854, p. 532–533 [traduction française, par l’abbé Lobry, du traité
De rebus liturgicis, publié à Rome en 1671]. Le choix de la couleur est assez évident
pour un clerc qui manifeste son attachement à saint Lambert. C’est en effet revêtus
d’une chasuble rouge que les prêtres célébraient les quatre fêtes annuelles du patron
du diocèse. Voir également M. PASTOUREAU, Ceci est mon sang. Le Christianisme
médiéval et la couleur rouge, Le pressoir mystique. Actes du colloque de Recloses, éd.
D. ALEXANDRE-BIDON, Paris, 1990, p. 43–56.
102. Il est difficile de savoir précisément à quoi Wissocq fait ici allusion. Cet
ouvrage de siège ayant nécessité le déplacement d’un tableau ne correspondrait-il pas
à des stalles dont le dossier haut devait masquer une partie des murs et qui auraient
été, peu de temps auparavant, installées dans le vieux chœur ?
103. Le 13 juillet 1456, le chantre Arnold de Eldris introduit Louis de Bourbon
dans le chœur de la cathédrale et l’installe in sede episcopali ad latus dexterum superius,
baldekino aureo ibidem pendente, et cussino posito (DE RAM, Documents, p. 419).
104. Ce privilège est déjà attesté en faveur de prédécesseurs d’ex Palude. Ainsi,
relativement à la Joyeuse Entrée de Louis de Bourbon en 1456, le cérémonial de la
cathédrale (LIÈGE, AÉvL, Cathédrale, A I 1, fol. XIv) affirme un véritable droit : Et venit
eques ad gradus beatissimi Lamberti in foro. Et caballu cui insidebat [sic] postquam descendit
ante dictos gradus. Servitores cantoris ecclesiae Leodiensis receperunt. Nam de jure pertinet
cantori. Voir WISSOCQ, Catalogue des chanoines, Préface, éditée par POLAIN, Travaux inédits,
p. 285.
356 P. BRUYÈRE
d’autant moins qu’il s’y était déjà fait représenter, dans la même posture,
sur une verrière118. Si des œuvres à caractère privé sont entrées, au décès de
leur propriétaire, dans le patrimoine de la cathédrale119, ce ne fut assurément
pas le cas du Martyre de saint Lambert.
En commandant le polyptyque, Henri ex Palude a fait choix de thèmes
proches de ses dévotions120, mais aussi de ses préoccupations. Ouverte,
l’œuvre donnait à voir une scène encadrée par la naissance du Christ à
gauche et, à droite, par la « naissance au ciel » de l’évêque Lambert, sanctifié
par le martyre. Refermées sur le panneau central, les scènes en grisaille des
revers de volets favorisaient la méditation de Henri ex Palude, si souvent
sollicité, en sa qualité de jurisconsulte, pour régler des conflits et rendre
des arbitrages. L’histoire nous enseigne son constant souci de pacifier les
tensions et d’intervenir pour mettre fin à des différends121. Deux modèles
de sagesse s’offraient alors pour éclairer son esprit : le roi Salomon qui, sous
le couvert habile d’une équité vigilante, démasque l’imposture de la femme
qui veut s’emparer d’un enfant qui n’est pas le sien (1 R 3, 16–28), et le Christ
Jésus s’employant à interpeller les bonnes consciences, promptes à condam-
ner la femme adultère, qui avait enfreint le septième commandement. Sur
ce revers, Jésus écrit sur la terre, avec le doigt, la loi de la nouvelle alliance
qui accomplit parfaitement celle donnée par Dieu à Moïse sur le Mont Sinaï :
« Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre » (Jn 8, 1–11).
Conclusion
Alors qu’à la fin du XVe siècle Liège vit au rythme d’une guerre civile qui
n’en finit pas, les chanoines de la cathédrale mobilisent la cohorte des saints
dont ils possèdent des reliques. Si la cour céleste est largement sollicitée, c’est
avant tout à l’adresse de saint Lambert, le patron du diocèse, que la ferveur
se fait la plus insistante.
122. Comme d’autres chanoines liégeois, Henri ex Palude porte sur le bras
l’aumusse, sans doute obtenue lors de la titularisation d’un autel dans la cathédrale.
Il a par ailleurs les épaules couvertes d’un mantelet d’hermine, que doit porter le
chantre selon le chanoine Wissocq (LIÈGE, AÉL, Fonds Lefort, IV, 31, p. 72). Cet insigne
ne semble toutefois pas attesté ailleurs.
123. Le 27 avril de cette année-là eurent lieu la « réconciliation spectaculaire »
(l’expression est d’HARSIN, Études critiques, p. 285) de Éverard de La Marck avec
le prince-évêque Jean de Hornes – permettant à celui-ci d’entamer un règne qui
allait durer treize ans –, et la délivrance de diplômes reconnaissant la neutralité
liégeoise, par le roi de France d’abord (8 juillet), par le roi des Romains ensuite
(8 août). P. HARSIN, Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise, Revue belge
de Philologie et d’Histoire, t. 5, 1926, p. 445–446.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 361
***
124. Notons cependant qu’ex Palude n’a pas jugé opportun d’attribuer à Pierre et
Audolet les marques de la sainteté (ils ne sont pas nimbés). Toutefois, en les faisant
représenter avec la chasuble que revêtent les clercs lors des messes anniversaires
dédiées à saint Lambert, il a voulu les associer étroitement au culte du martyr et à
la défense de la cause ecclésiastique.
125. Au terme de ce travail, il nous est agréable de remercier Christian DURY,
conservateur des Archives de l’Évêché, à Liège, dont la serviabilité est en passe de
devenir légendaire, ainsi que les pères Bollandistes qui, avec leurs collaborateurs, nous
ont réservé, dans leur bibliothèque, le meilleur des accueils. Nous devons beaucoup
à Marie-Guy BOUTIER, qui nous a fait part de remarques importantes portant sur la
structure et la lisibilité du texte ; qu’elle trouve ici l’expression de notre profonde
gratitude.
362 P. BRUYÈRE
Le lecteur qui aura pris la peine de nous lire jusqu’au bout n’aura trouvé ici
aucune proposition visant à identifier le peintre, ni même l’atelier qui aurait
pu réaliser le « diptyque Palude », par comparaison avec d’autres œuvres
connues. Il aura compris, en revanche, que la connaissance des œuvres
d’art peut faire des progrès sensibles lorsque les sources historiques sont
sollicitées. En exploitant les archives disponibles, en cherchant à cerner la
personnalité du commanditaire126, en examinant les récits hagiographiques,
en étudiant la liturgie en vigueur à la cathédrale de Liège à la fin du Moyen
Âge, en mettant enfin le tableau en relation avec un événement historique
précis, nous avons porté un regard renouvelé sur un tableau connu de la
fin du XVe siècle.
ANNEXE
Jour après jour, les reliques suivantes128 ont été exposées à la vénération des fidèles :
127. Nous traduisons intégralement le texte de CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium,
t. 3, p. 225–227. Voir J. DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVe siècle,
Liège, 1887, p. 633–635. Il a existé, de ce texte, une version en langue vulgaire conservée dans
un manuscrit du couvent des augustins sur Avroy, à Liège. Cette version combine la liste des
reliques avec les jours d’ostension. Nous en avons retrouvé trois transcriptions : LIÈGE, BGPhL,
Manuscrits, ms. 780, fol. 287r (fin XVIe s.) ; ms. 1369, fol. 130v (XVIIe s.) ; ms. 1035, doc. 4 (XVIIIe s.).
128. Nous ne commentons ci-dessous que les reliques qui ont un lien direct avec l’histoire
du diocèse de Liège.
129. On identifie traditionnellement cette image avec l’icône byzantine conservée au trésor
de la cathédrale de Liège. J. PURAYE, L’icône byzantine de la cathédrale Saint-Paul à Liège, Revue
belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, t. 9, 1939, p.193–200 ; P. COLMAN, Le trésor de la cathédrale
Saint-Paul à Liège, Liège, 1968, p. 35–37. Cette image de la Vierge revêtait une importance signi-
ficative : non seulement elle fut la première relique montrée, mais elle fut également portée en
procession lors des solennités de la Translation de saint Lambert. Elle pourrait être en rapport
avec la confraternité de Saint-Luc qui jouait un rôle important au sein de la cathédrale (voir
Cérémonial, fol. XIVr–v) et dont Henri ex Palude était sans doute membre (voyez le legs subs-
tantiel qu’il lui réserve : LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, fol. 60r). Sur cette confraternité,
qui ne comprenait que des clercs de la cathédrale, É. SCHOOLMEESTERS, Jean de Moregny et la
confraternité de Saint-Luc, Leodium, t. 9, 1910, p. 37–46 ; t. 10, 1911, p. 135–136.
130. L’amict est une pièce du vêtement liturgique, de forme rectangulaire, que le célébrant
se met autour du cou avant de revêtir l’aube. Au Moyen Âge, cette pièce s’appelait également
humerale ou superhumerale (parce qu’elle couvrait les épaules). À partir du XIe siècle, on l’ornait
de broderies et parfois de pierres précieuses. V. ERMONI, Art. Amict, D.A.C.L., t. 1, 2, Paris, 1907,
col. 1597–1599.
364 P. BRUYÈRE
montre bien l’histoire embrouillée de ce saint personnage. La main du XVIIe siècle (voir supra
n. 28) signale l’erreur faite par le scribe : Étienne a été pape en 816–817. C’est Grégoire IV qui
était pape en 842. La châsse de saint Materne contient également les restes de plusieurs autres
saints.
138. Prédécesseur immédiat de Lambert sur le siège de l’évêché de Tongres-Maastricht, ca
669/670. Voir VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 135–143 ; É. BROUETTE, Art. Teodardo, B.S., t. 12,
col. 209–211 ; KUPPER, Leodium, p. 53. C’est saint Lambert qui aurait transporté à Liège le corps
de son maître Théodard, en l’église paroissiale. L.F. GENICOT, Un groupe épiscopal mérovingien
à Liège ? Contribution à l’étude du transfert du siège épiscopal par saint Hubert, Bulletin de la
Commission royale des Monuments et des Sites, t. 15, 1964, p. 271.
139. Cet enchâssement a été fait en même temps que celui de Pierre et Audolet, si l’on en
croit Gilles d’Orval, Gesta episcoporum Leodiensium, p. 46. Grâce à M. PONTHIR, M. YANS, Note
sur une œuvre d’art disparue. La châsse de Saint-Théodard, Chronique archéologique du Pays de
Liège, t. 55, 1964, p. 1–8, nous savons qu’une nouvelle châsse en argent, partiellement dorée, a
été confectionnée par l’orfèvre Léonard de Bommershoven, qui l’acheva vers 1528. Cette châsse,
voulue par le prince-évêque Érard de La Marck, fut pour partie financée par le produit de la
vente de la maison d’Henri ex Palude (p. 3).
140. Filius egregius de saint Hubert, Floribert aurait succédé à son père spirituel à la tête de
l’évêché (ca 727–736/738). Voir A. D’HAENENS, Art. Floriberto, B.S., t. 5, col. 940–941 ; KUPPER,
Leodium, p. 56. Selon GILLES D’ORVAL, Gesta episcoporum Leodiensium, p. 46, son corps aurait
été élevé par Notger, et aurait bénéficié d’un tombeau de marbre blanc, placé sur l’autel de la
crypte de l’église nouvellement construite. On s’accorde pour y reconnaître la crypte orientale
qui subsista sous le chœur principal jusqu’au début du XIIIe siècle. Voir FORGEUR, Sources et
travaux, p. 53–54.
141. L’expression désigne le cordon avec lequel le célébrant serre l’aube à la taille.
142. Dans la perspective d’une réinterprétation des circonstances du martyre, la relique, en
tant que pièce de vêtement liturgique, établit ainsi que Lambert est mort tandis qu’il célébrait
la messe.
366
P. BRUYÈRE
Fig. 6. Lettre d’indulgence du cardinal-légat Julien de la Rovere, 3 juillet 1487, LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Chartes et cartulaires, 1093
© Liège, AÉL.
Cette scène marginale d’une lettre d’indulgence accordée, le 3 juillet 1487, par le cardinal-légat Julien de la Rovere à ceux
qui contribueront par des aumônes à la confection d’un buste reliquaire pour contenir le chef de saint Lambert montre un
reliquaire doré porté par deux clercs (voir n. 145).
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 367
143. La mention Caput gloriosi Martyris Lamberti, una cum capillis capiti suis a été complétée
en marge par la main du XVIIe siècle (voir supra n. 28), consciente de la synecdoque : testam
capitis (ut ex prescriptis hic patet) caput dictam ; accipiendo principem partem pro toto. La relique ne
comprend en effet pas l’intégralité du crâne, mais seulement la calotte occipitale, ainsi que l’a
montré la visite de la châsse faite le 29 août 1872 (DE CHESTRET, Les reliques de saint Lambert,
p. 16–17).
144. L’histoire de la conservation des reliques de saint Lambert, jusqu’au XVIIIe siècle, reste
à écrire. Nous attirons ici l’attention sur le fait que la confection de la châsse des saints Pierre
et Audolet, fin du XIIe–début du XIIIe siècle, est peut-être contemporaine de la châsse orfévrée
de saint Lambert. Citant Gilles d’Orval, DE CHESTRET, Les reliques de saint Lambert, p. 9, croit à
tort que la fierte de saint Lambert aurait perdu, dans l’incendie de 1185, ses plus belles pierres.
L’auteur des Gesta episcoporum Leodiensium, p. 111 parle en réalité du lectricium, c’est-à-dire de
l’ambon, et non de la châsse. L’obituaire de la cathédrale permet de soutenir cette hypothèse :
MARCHANDISSE, Obituaire, p. 19 (au 9 février, Commemoratio Johannis subdiaconi qui dedit ad opus
feretri beati Lamberti VI marchas), 124 (au 18 septembre, Commemoratio Theodorici de Vriheim decani
nostri qui dedit […] ad feretrum beati Lamberti IIII marchas Leodienses. Thierry de Friesheim est cité
comme archidiacre de Brabant de 1196 à 1198, fut doyen du chapitre en 1207–1208, et mourut en
1229). À une époque difficile à déterminer, la châsse a été placée sur un support en bois sculpté
et peint, et enfermée, avec d’autres reliques, dans un grand caisson aux parois amovibles, décoré
de pierreries et de perles. Jean d’Outremeuse précise que cette « fierte » était en cuivre doré, et
rattache son installation au transfert de la châsse dans le chœur oriental, le 28 avril 1319 (Ly
Myreur des histors, t. 6, p. 250). En attendant une étude approfondie, on lira DE CHESTRET, Les
reliques de saint Lambert ; É. SCHOOLMEESTERS, La fierte de saint Lambert en 1365, Leodium, t. 7,
1908, p. 3–7 ; J. YERNAUX, La grande châsse de saint Lambert, B.S.A.H.D.L., t. 27, 1936, p. 71–79
(cet auteur semble cependant confondre la châsse avec le coffrage).
145. L’image que nous reproduisons est probablement une représentation schématisée de la
châsse de saint Lambert. Placée sur un brancard que deux clercs portent aux épaules, celle-ci
repose sur une soierie ornée de trois blasons. Elle affecte la forme d’une châsse gothique dont
les longs côtés sont rythmés par une succession de six gâbles, ce qui pourrait correspondre avec
la description laissée par Louis Abry, selon lequel la châsse était un « coffre d’argent entouré
des douze apôtres » (L. ABRY, Revue de Liège en 1700, éd. S. BORMANS, B.I.A.L., t. 8, 1866, p. 282).
LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Chartes et cartulaires, 1093. Le style général peut être rapproché de la
châsse de sainte Marie d’Aix-la-Chapelle (ca 1210–1239). Voir H. LEPIE, Zur Konservierung
des Karlsschreins und des Marienschreins, Die gotische Chorhalle des Aachener Doms und
ihre Ausstattung, Petersberg, 2002, p. 285–287 ; ID., Châsse de Notre-Dame, dans H. LEPIE et
G. MINKENBERG, Le trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, Ratisbonne, 2010, p. 104–107.
368 P. BRUYÈRE
le bâton à Liège146 ; l’étole, le manipule, les gants, les sandales et les souliers de
saint Lambert147.
D’autres reliques, placées sur l’autel majeur, au-dessous de l’enclos de la châsse de
saint Lambert, dans la chapelle de Saint-Materne et dans la chapelle de Saint-Gilles148,
ne furent pas montrées en raison de leur trop grand nombre149.
146. Cette légende est une création littéraire du chanoine Nicolas (Vita Landiberti episcopi
Traiectensis, p. 425–426 ; VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 51–52), qui aurait une justification
politique, selon ADAM, La Vie de saint Lambert du chanoine Nicolas, p. 75–76.
147. L’existence, dans le trésor, de ces « effets personnels » [deux amicts, dont l’un était
ensanglanté (reliques 1 et 9), le cordon (relique 8), ainsi que l’étole, le manipule, les gants, les
sandales et les chaussures (relique 13)] permet de suggérer que le chapitre a fait réaliser des
reliques historiques, soit vers 1143 lors de l’élévation du corps de saint Lambert – contemporaine
de la Vita écrite par Nicolas –, soit concomitamment avec la confection de la châsse au début
du siècle suivant (voir n. 144). Ce type de reliques, constituées d’objets familiers, cultuels ou
symboliques, est tout à fait caractéristique des XIe–XIIIe siècles. Pour un exemple typique, voir
R. DIDIER, Les reliques « historiques » de saint Hadelin. Corporal, gants, peigne liturgique et
étole, dans BOUTIER, BRUYÈRE, Trésors d’art religieux au pays de Visé et saint Hadelin, p. 201–209.
Les différentes contributions de Ornamenta ecclesiae. Kunst und Künstler der Romanik in Köln, t. 3,
Cologne, 1985, p. 19–202, sont, sur ce sujet, d’un grand intérêt.
148. Cette précision pourrait laisser entendre que la trésorerie n’abritait pas de reliquaires.
Celle-ci était alors située au Sud, au rez-de-chaussée de la grande tour : deinde ducitur (Louis de
Bourbon) sub turri magna propre thesauraria (Cérémonial, fol. XIr). Outre les joyaux, on y conservait
les livres et les ornements liturgiques (Cérémonial, fol. XIIr).
149. En 1483, de nombreux joyaux de la cathédrale furent mis en gage, au couvent des céles-
tins à Paris, en vue de garantir l’élection à l’épiscopat de Jean de La Marck. Ces objets précieux
ne furent restitués que le 28 octobre 1494 (DE RAM, Documents, p. 111 ; Chronique du règne de Jean
de Hornes, p. 491–492). Un seul reliquaire, explicitement désigné – une tête de saint Jean-Baptiste
présentant une ouverture permettant d’apercevoir les reliques – figure, parmi les biens mis en
gage, dans l’inventaire dressé par le notaire public (DE RAM, Documents, p. 717–723 ; BORMANS,
Répertoire, p. 59, cite un inventaire dressé en français par J. de Busco). Cette précision renforce
notre conviction que l’ex-voto en or offert par Charles le Hardi en 1471 à la cathédrale n’était
pas à l’origine un reliquaire. Dans cet inventaire, l’ex-voto ainsi que le socle qui lui sert de
support sont décrits avec une insigne précision, mais sans la moindre évocation de la relique.
P. BRUYÈRE, La plus ancienne représentation connue de l’ex-voto offert par Charles le Hardi à la
cathédrale de Liège (ca 1584), B.S.R.L.V.L., t. 14, 1999, p. 833–856. Pour un clerc du Moyen Âge,
il est impensable de désigner par le terme générique imago une pièce contenant une relique,
sans mentionner explicitement la présence de celle-ci.
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »