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Le Martyre de Saint Lambert Du Diptyque

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L E M OYEN A GE

R E V U E D ’ H I S T O I R E
E T D E P H I L O L O G I E

2/2012
Tome CXVIII
Le Martyre de saint Lambert du « diptyque Palude »
et les cérémonies de 1489 à la cathédrale de Liège

Introduction
Le Grand Curtius, musée d’art et d’histoire de la ville de Liège, conserve,
sous le nom de « diptyque Palude », deux panneaux dissociés, peints sur
chacune de leurs faces, et sur lesquels subsistent les traces de systèmes de
fixation1. Ces peintures représentent, l’une, la Nativité avec au verso, en
grisaille, le Jugement de Salomon, l’autre, le Martyre de saint Lambert, évêque
de Tongres-Maastricht, avec au revers, également en grisaille, la Rencontre
du Christ avec la femme adultère2.
Le nom donné à cet ensemble lui vient du personnage qui s’est fait
représenter dans le coin inférieur droit du tableau figurant saint Lambert,
tableau qui retiendra ici notre attention (fig. 1). Selon les usages bien connus,
le commanditaire, accompagné de ses armoiries, est peint, dans la scène, à
genoux, en posture de dévotion3. Il s’agit de Henri ex Palude († 1515), un

AUTEUR : Paul BRUYÈRE, Haute École libre mosane (Liège), paul.bruyere@skynet.be.


1. Conservés dans une collection privée, ces deux panneaux ont été légués en
1881 à la Société d’Art et d’Histoire du Diocèse de Liège qui fut à l’origine du Musée
diocésain. Les collections de ce musée furent en partie intégrées dans le Musée d’Art
religieux et d’Art mosan, lequel constitue depuis 2009 l’un des pôles de l’ensemble
muséal de la ville de Liège, le Grand Curtius. Le numéro d’inventaire de l’œuvre est
A 10 a/b.
2. Le « diptyque Palude » a suscité, depuis la fin du XIXe siècle, une littérature
abondante et souvent répétitive. Celle-ci a fait l’objet d’une synthèse par D. ALLART,
La peinture du XVe et du début du XVIe siècle dans les collections publiques de Liège, Bruxelles,
2008, p. 83–96 (avec bibliographie rétrospective).
3. Voir l’étude récente de I. FALQUE, Portraits de dévots, pratiques religieuses
et expérience spirituelle dans la peinture des anciens Pays-Bas (1400–1550), Thèse de
doctorat en Histoire, Art et Archéologie, Université de Liège, 2009. Cet auteur opère,
p. 9–12, une distinction intéressante entre portraits dévotionnels et portraits de

DOI : 10.3917/rma.182.0329
330 P. BRUYÈRE

chanoine de la cathédrale Saint-Lambert, qui joua, comme nous le montrons


ailleurs, un rôle important au sein de son chapitre tant sur le plan politique,
que sur celui de la liturgie. Decretorum doctor, Henri ex Palude fut reçu au
chapitre cathédral le 6 mai 1478, et y fut nommé grand chantre dix ans plus
tard, le 2 août 1488 (fig. 2). Il demeura connu, dans les siècles qui suivirent,
pour avoir offert à Saint-Lambert, en 1495, un bâton cantoral orfévré, de
grande dimension4.
Dans les pages qui suivent, nous entreprenons une mise en perspective de
l’iconographie du Martyre de saint Lambert, en la mettant en relation avec les
récits hagiographiques et les textes liturgiques d’une part, avec la personna-
lité du commanditaire d’autre part. Chemin faisant, nous nous proposerons
de dater aussi précisément que possible la réalisation du « diptyque », et
d’émettre une hypothèse plausible sur le lieu pour lequel celui-ci a été conçu.

Le contexte

Littérature et liturgie
Les faits et gestes de l’évêque de Tongres-Maastricht, Lambert, ont été consi-
gnés dans cinq récits hagiographiques, écrits entre le VIIIe et le XIIe siècle5.
Plusieurs exégètes ont montré que ces biographies, élaborées sur près de
cinq siècles, ont peu à peu fait glisser l’histoire vers la légende, chaque auteur
produisant une version des faits fluctuant au gré d’intérêts à servir6. Alors

donateur. Voir aussi ID., Entre traditions flamande et ibérique. Les œuvres religieuses
flamandes comportant des portraits d’Espagnols (1400–1550), Diplomates, voyageurs,
artistes, pèlerins, marchands entre pays bourguignons et Espagne aux XVe et XVIe siècles, éd.
J.M. CAUCHIES, Publication du Centre européen d’Études bourguignonnes (XIVe–XVIe s.),
t. 51, 2011, p. 275.
4. P. BRUYÈRE, S. DE MOFFARTS D’HOUCHENÉE, Henri ex Palude († 1515) et le bâton
de chantre de la cathédrale Saint-Lambert de Liège, à paraître.
5. Pour la bibliographie générale, nous renvoyons à la Bibliotheca hagiographica
latina antiquae et mediae aetatis, Bruxelles, 1895–1898, p. 698–701, et à son Novum
supplementum, Bruxelles, 1986, p. 514–515 (= BHL 4677–4694). Voir particulièrement
L. VAN DER ESSEN, Étude critique et littéraire sur les vitæ des saints mérovingiens de
l’ancienne Belgique, Louvain–Paris, 1907, p. 20–53 et passim ; P. BERTRAND, Art. Lambert
(saint), Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques (= D.H.G.E.), fasc. 174–
175a, Paris, 2008, col. 48–55.
6. G. KURTH, Étude critique sur saint Lambert et son premier biographe, Anvers, 1876 ;
S. BALAU, Les sources de l’histoire de Liège au Moyen Âge. Étude critique, Bruxelles, 1903,
passim ; VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 39–46 ; Vitae Landiberti episcopi Traiectensis,
éd. B. KRUSCH, Monumenta Germaniae Historica, Scriptores Rerum Merovingicarum
(= M.G.H., S.R.M.), t. 6, Hanovre–Leipzig, 1913, p. 299–352 passim ; H. SILVESTRE, Les
avatars de la tradition liégeoise sur la fin misérable des meurtriers de S. Lambert, Le
Chronicon Sancti Laurentii Leodiensis dit de Rupert de Deutz. Étude critique, Louvain,
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 331

Fig. 1. Diptyque Palude, Martyre de saint Lambert, LIÈGE, Grand Curtius,


A 10 a/b © Liège, Grand Curtius.
Œuvre anonyme commandée entre 1489 et 1495 par Henri ex Palude,
chantre de la cathédrale de Liège
332 P. BRUYÈRE

qu’il est aujourd’hui acquis que saint Lambert fut la victime d’une vendetta
mettant aux prises deux groupes familiaux qui visaient à contrôler le patri-
moine de l’Église de Tongres-Maastricht (la mort eut lieu le 17 septembre
d’une année comprise entre 696 et 705), les hagiographes, conduits par des
préoccupations politiques contemporaines, ont fini par faire accroire que
l’assassinat avait été commandité par Alpaïde, maîtresse de Pépin II auquel
notre saint homme avait reproché sa conduite illégitime. Ce n’était donc
plus à un crime suscité par la vengeance privée qu’on avait affaire, mais au
martyre d’un prélat courageux, mort pour avoir défendu les idéaux de la
foi chrétienne.
Une particularité digne d’intérêt semble avoir échappé à la plupart des
observateurs du tableau qui fait ici l’objet de notre attention, à savoir l’insis-
tance avec laquelle le peintre a mis en scène, aux côtés de saint Lambert,
deux autres personnages eux aussi victimes de l’agression. La violence avec
laquelle ces derniers sont assaillis, la position qu’ils occupent dans la com-
position, de même que l’importance accordée aux attitudes des assaillants
et la précision avec laquelle sont représentées les armes, laissent poindre le
parti pris par le commanditaire d’associer à la mort de saint Lambert celle
de deux de ses parents, connus très tôt dans la littérature hagiographique
sous les noms de Pierre et Audolet.
En passant en revue les différents récits biographiques de saint Lambert,
nous souhaitons comprendre comment s’est peu à peu élaborée une « lé-
gende liturgique » : comment ces narratifs ont servi de « bagage cultuel »
aux clercs de la cathédrale de Liège chargés de perpétuer la mémoire de
leur saint patron.
La Vita vetustissima est l’œuvre d’un auteur resté anonyme. Par sa division
en lectiones, ce récit primitif possède déjà toutes les caractéristiques d’un texte
liturgique7. Dès ce premier texte, écrit entre 727 et 743, les personnages de
Petrus et Autlaecus8 sont nommés. Ceux-ci ont tué Gallus et Rivaldus, deux
frères parents d’un domesticus de Pépin, un certain Dodon. C’est Dodon
qui, en représailles, a organisé le massacre de l’évêque et de ses parents.
Les assaillants font irruption dans la pièce où Lambert est en prière ; l’un
d’eux grimpe sur le toit, dont il ôte le revêtement, aperçoit l’évêque dans sa
chambre ; Pierre et Audolet s’offrent d’opposer une résistance à l’agression,

1952, p. 371–395 ; J.L. KUPPER, Saint Lambert : de l’histoire à la légende, Revue d’Histoire
ecclésiastique, t. 79, 1984, p. 5–49.
7. VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 26.
8. La graphie de ce nom varie selon les manuscrits, la première que nous citons
ayant été adoptée par l’éditeur des M.G.H. : Autlaecus, Autlecus, Audolecus, Audlecus.
Vie la plus ancienne de saint Lambert écrite par un contemporain, éd. J. DEMARTEAU, Liège,
1890, p. 53–54. Nous adoptons, dans le texte, la graphie Audolet de préférence à
Andolet, forme que l’on rencontre tardivement dans la littérature.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 333

Fig. 2. Diptyque Palude, Martyre de saint Lambert, détail, LIÈGE, Grand


Curtius, A 10 a/b © Liège, Grand Curtius.
Le chanoine Henri ex Palude, en habits de chœur avec l’aumusse sur le
bras gauche, et tenant en mains le bâton cantoral reçu en 1488
de son prédécesseur.
334 P. BRUYÈRE

mais l’évêque est frappé d’un coup de lance qui lui est fatal9. L’auteur de
la Vita vetustissima en fait des nepotes de Lambert, c’est-à-dire des parents
proches, strictement les fils du frère ou de la sœur10.
Deux siècles plus tard, l’évêque de Liège Étienne (901–920)11 est, selon
certains auteurs, l’initiateur de la rédaction, par un clerc de son Église, du
long poème métrique intitulé Carmen de sancto Landberto, dans lequel Dodon,
instigateur du raid sur la maison de Lambert, apparaît comme le frère d’Al-
païde12. Ce poème, qui pourrait avoir été écrit pour susciter la méditation
personnelle des chanoines, vit le jour en même temps qu’une nouvelle vita
et le premier office propre attribués à Étienne lui-même, ainsi qu’une passio.
L’office comprend des antiennes et répons qui ont reçu une notation neuma-
tique. Quant à la vita, elle est divisée en neuf leçons, comme il est d’usage
dans les chapitres canoniaux, pour servir de lecture à l’office nocturne de la
célébration du martyre de saint Lambert. De même, la passio est elle aussi
divisée en neuf lectiones, preuve certaine de sa vocation liturgique13. Cette

9. Vita Landiberti episcopi traiectensis vetustissima, M.G.H., S.R.M., t. 6, p. 368.


10. DU CANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augm., t. 5, Niort, 1885,
col. 587b.
11. J.L. KUPPER, Leodium (Liège/Luik), Series episcoporum Ecclesiae catholicae occi-
dentalis ab initio usque ad MCXCVIII, Ser. V, Germania, éd. S. WEINFURTER, O. ENGELS, t. 1,
Archiepiscopatus Coloniensis, Stuttgart, 1982, p. 60–61.
12. J. DEMARTEAU, Saint Lambert. Vie en vers par Hucbald de Saint-Amand et
documents du Xe siècle, Bulletin de l’Institut archéologique liégeois (= B.I.A.L.), t. 13,
Liège, 1878, p. 385. L’éditeur des Monumenta préfère laisser au poète son anonymat :
P. VON WINTERFELD, M.G.H., Antiquitates, Poetae latini aevi Carolini, t. 4, 1, Berlin, 1899,
p. 151. Voir les pertinentes réflexions de R. JONSSON, Historia. Études sur la genèse des
offices versifiés, Stockholm–Göteborg–Uppsala, 1968, p. 130–140.
13. Carmen, vita, office et passio sont, notamment, insérés dans un légendier du
Xe siècle conservé à BRUXELLES, Bibliothèque royale de Belgique (= KBR), ms. 14650–59.
Ils y sont accompagnés de plusieurs pièces qui enrichissent le corpus commémoratif :
un poème de 56 vers – peut-être réservé lui aussi à la méditation personnelle (Versus
in laude beati Lantberti) –, le texte de la biographie remaniée par Étienne (Incipit vita
et passio beati Lantberti episcopi) et le récit de trois miracles. Le manuscrit bruxellois a
fait l’objet d’une étude codicologique approfondie, accompagnée d’une reproduction
photographique : F. MASAI, L. GILISSEN, Lectionarium Sancti Lamberti Leodiensis tempore
Stephani episcopi paratum (901–920), Amsterdam, 1963 (voir particulièrement les p.
critiques XXIV–XXVIII, et fol. 34r, où apparaissent les noms de Petrus et Audolecus).
JONSSON, Historia, p. 155, considère que ce livre devait servir lors des fêtes locales
dans la cathédrale de Liège. É. PALAZZO, Histoire des livres liturgiques. Le Moyen Âge.
Des origines au XIIIe siècle, Paris, 1993, p. 170, observe que les premiers légendiers ont
rarement été destinés à la célébration de l’office, mais qu’ils étaient plutôt réservés à
un usage au réfectoire, ou dans le cadre d’une méditation personnelle. Ce n’est que
dans la seconde moitié du Moyen Âge que les passions et légendes sont devenues
prééminentes dans la lecture à l’office, occupant parfois jusqu’à six voire neuf leçons.
À la cathédrale de Liège, deux marguilliers sont notamment chargés de conserver
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 335

passio évoque la figure des deux nepotes s’interposant courageusement pour


défendre le prélat contre les assaillants qui veulent pénétrer dans la maison.
À cette résistance farouche, leur oncle préfère la sanctification que Dieu ne
manquera pas de leur réserver14.
La troisième œuvre hagiographique est due à l’initiative de Henri de
Montaigu, archidiacre et chantre de la cathédrale, qui commande, vers 1080,
au moine Sigebert de Gembloux († 1112) une nouvelle vie de saint Lambert.
Pierre et Audolet y sont réputés consanguineos praesulis et subissent le martyre
en défendant l’Église15. Cette vie, connue sous deux versions, ne semble pas
avoir servi de substrat liturgique.
Il en va différemment du dernier biographe. En marge de l’élévation,
le 19 décembre 1143, des reliques de saint Lambert, le chanoine Nicolas
rédigea, en effet, une vie16 qui servit de support durable à l’office principal
des heures canoniales, celui des matines17. Il y insiste sur la bravoure des
nepotes, les proches de saint Lambert. Sous l’objurgation du saint, pour qui
il ne convient pas à des soldats du Christ de rendre le mal pour le mal,
ils renoncent à la violence (abjectis armis), manifestant ainsi la noblesse de
leur âme18. Cette fois, Lambert n’est plus attaqué dans sa demeure, mais

trois livres – une bible, un évangéliaire et un légendier – et de les placer au moment


opportun sur l’aigle-lutrin dans le chœur (Cérémonial, LIÈGE, Archives de l’Évêché
(= AÉvL), Cathédrale Saint-Lambert, A I 1, fol. XVr). Il est probable que ce légendier doit
être identifié avec le Codex Bruxellensis susmentionné.
14. ÉTIENNE, Vita Landiberti episcopi Traiectensis, M.G.H., S.R.M., t. 6, p. 390–391.
15. SIGEBERT DE GEMBLOUX, Vita Landiberti episcopi Traiectensis, M.G.H., S.R.M., t. 6,
p. 399–400, 402.
16. NICOLAS, Vita Landiberti episcopi Traiectensis, M.G.H., S.R.M., t. 6, p. 423–424.
R. Adam a consacré à cette Vita plusieurs travaux : R. ADAM, La Vie de saint Lambert du
chanoine Nicolas (ca 1144–45) et l’élection de l’évêque de Liège Henri de Leez (1145–
1146), B.I.A.L., t. 111, 2003, p. 59–89 ; ID., La Vita Landiberti Leodiensis (ca 1144–1145) du
chanoine Nicolas de Liège. Étude sur l’écriture hagiographique à Liège au XIIe siècle,
Le Moyen Âge, t. 111, 2005, p. 503–528 ; ID., Saint Lambert et la Dévotion moderne :
essai d’interprétation de la diffusion de la Vita Lamberti Leodiensis du chanoine Nicolas
(ca 1145) au XVe siècle, d’après les manuscrits conservés, Revue bénédictine, t. 116, 2006,
p. 119–132.
17. Nous le savons par Jean Chapeaville (1551–1617) qui, ayant pris le soin de
révéler ses sources, déclare faire l’édition de l’œuvre du chanoine Nicolas, ex M.S.
codice ecclesiae cathedralis S. Lamberti, ex quo lectiones sub matutino officio legi solent.
J. CHAPEAVILLE, Qui Gesta pontificum Tungrensium, Traiectensium et Leodiensium scripse-
runt auctores praecipui, t. 1, Liège, 1612, p. 370.
18. Le peintre a accentué leur posture pacifique en représentant, avec une grande
précision, l’équipement et les armes blanches de leurs agresseurs. C. GAIER a eu la
grande amabilité de réaliser sur ceux-ci la n. suivante ; nous l’en remercions sincère-
ment. « Le personnage juché sur le toit frappe saint Lambert d’un épieu, une arme
de chasse qui s’employait aussi au combat durant le Moyen Âge classique et tardif.
336 P. BRUYÈRE

dans un lieu sacré. Comme s’il voulait concilier les versions distinctes de
ses prédécesseurs, Nicolas reprend à son compte un terme choisi pour son
ambivalence, cella, qui peut désigner aussi bien le réduit du pauvre – c’est-
à-dire l’endroit où, même dans une demeure patricienne, il est possible de
se retirer –, que le sanctuaire19. Devant l’autel des saints Cosme et Damien,
dont Nicolas ne précise pas l’emplacement20, Lambert se dispose à mourir
comme en martyr, les bras en croix, in summa orationis devotione. L’un des
séides de Dodon, plus audacieux que les autres, grimpe sur le toit pentu de
l’oratoire (fastigium oratorii), en écarte les tuiles, et se tenant en équilibre, dans
un grand élan, le frappe de sa lance et le transperce mortellement.
En synthèse, il est sans conteste que les écrivains, en construisant une
œuvre édifiante, non seulement contribuaient à propager dans les milieux
lettrés le culte de saint Lambert, mais aussi permettaient, par le choix d’un
mode rédactionnel adapté, une expression propre à l’exaltation liturgique.
Les chanoines de la cathédrale étaient donc familiarisés avec les noms de
Petrus et Autlaecus. Ils faisaient partie de l’histoire sans plus. La reconnais-
sance de leurs reliques21 va bientôt changer la donne et procurer aux neveux
de l’évêque une existence autre que proprement légendaire.

Il est revêtu d’une cotte de mailles et coiffé d’un casque à oreillons, une forme de
couvre-chef militaire connue au XVe siècle, mais dont on ignore le nom spécifique.
L’assassin de gauche tue au moyen d’une arme de hast que l’on qualifierait, de nos
jours, de guisarme (les appellations contemporaines sont incertaines). Elle permet
de frapper d’estoc (comme ici) et de taille, et est munie d’une rondelle de garde qui
protège les mains. Cet homme est revêtu d’une cotte de mailles sans manches. Ses
jambes sont munies de grèves de fer plain. Il porte, au côté gauche, une épée, de type
indistinct, dans un fourreau. Le personnage de droite frappe l’autre acolyte d’un
grand coutelas, que l’on nommait : fauchon, braquemart ou malchus (du nom du
serviteur du Grand Prêtre de Jérusalem auquel Simon Pierre coupa une oreille, lors
de l’arrestation du Christ, avec ce genre d’armes). En conclusion, ce type d’armement
est normal pour la fin du XVe siècle, en particulier le fauchon, dont la forme de la
poignée trahit l’époque. C’est un armement de fantassin (non aristocratique !), un
peu disparate, comme il en était pour les gens de pied ».
19. F. GAFFIOT, Dictionnaire latin français, Paris, 1934, p. 285. Le mot figure dans
une antienne du troisième nocturne de l’office de saint Lambert, JONSSON, Historia,
p. 221.
20. L’autel des saints Cosme et Damien était situé dans le Vieux chœur ou chœur
occidental de la cathédrale. Il est vraisemblable qu’il avait été initialement fondé,
à l’époque romane, dans la crypte occidentale construite sur les lieux mêmes du
martyre. La fondation aurait été reconstituée dans le Vieux chœur surplombant cette
crypte entretemps désaffectée. Sur la mention de cet autel dans les textes hagiogra-
phiques, voir les développements de VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 33–37.
21. Sur cette question, le livre N. HERRMANN-MASCARD, Les reliques des saints.
Formation coutumière d’un droit, Paris, 1975, demeure indispensable.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 337

Crise politique et culte de saint Lambert : les découvertes de 1489


Lorsqu’il s’agit de donner un successeur à Louis de Bourbon, évêque de Liège
assassiné par Guillaume de La Marck – le fameux Sanglier des Ardennes –,
le choix d’une partie du chapitre cathédral se porte sur Jean de La Marck,
le fils de ce dernier22. Cette désignation, opérée le 14 septembre 1482, a été
avalisée préalablement par trois membres du chapitre, consultés en leur
qualité de juristes, parmi lesquels Henri ex Palude qui, quelques années plus
tôt, avait échangé avec l’élu un bénéfice23. Une minorité de chanoines, retirés
à Louvain, soutiennent, quant à eux, Jean de Hornes, qu’ils se dépêchent de
revêtir des ornements sacrés. Cette nomination crée ainsi une fracture nette
entre deux clans.
Confirmé prince-évêque le 17 décembre 1483, Jean de Hornes s’emploie à
passer avec Guillaume de La Marck un accord visant à la réconciliation des
deux maisons antagonistes. Mais cette détente, en dépit de son nom de paix
de Tongres (12 mai 1484), n’est pas une véritable paix. La principauté passe
d’une guerre civile à une autre, et lorsque les Hornes prennent la résolution
d’abattre leur ennemi de toujours, Guillaume tombe dans le guet-apens
qu’ils lui ont tendu ; il sera décapité le 18 juin 1485. Ce climat, où alternent
combats et négociations entrecoupés de trêves, va perdurer pendant plu-
sieurs années, au gré des alliances et des soutiens internationaux.
Éverard de La Marck, frère de Guillaume, croit tenir la revanche familiale,
lorsqu’à la faveur de ses relations diplomatiques, il se rend maître de la
principauté. Le 20 mars 1488, le peuple liégeois confirme l’alliance passée
quatre ans plus tôt avec son lignage. Pourtant, Jean de Hornes obtient de
Rome d’être rétabli dans tous ses droits. Innocent VIII frappe les La Marck
d’excommunication, et d’interdit les villes où ils résideraient en cas de refus
d’obéissance. On prête même à Jean de Hornes le dessein de transférer en
Brabant le chapitre cathédral. Il n’en faut pas plus pour relancer les combats
et décider le clan La Marck au siège de Maastricht, ville où l’évêque s’est
retiré avec ses partisans.
C’est dans ce contexte de crise grave qu’il faut situer certains événements
qui ont un intérêt direct avec notre propos, tout d’abord la nomination
d’Henri ex Palude comme grand chantre du chapitre cathédral de Liège, le
2 août 1488, à un moment où les La Marck sont en état de soutenir ce fidèle
allié. Quelques mois plus tard, Henri vise à faire revenir la paix dans un
pays depuis trop longtemps divisé. Pour conjurer les heures mauvaises et

22. On aura une idée précise du contexte avec A. MARCHANDISSE, Le prince-évêque


Louis de Bourbon et le Sanglier des Ardennes Guillaume de La Marck, deux vic-
times d’assassinats politiques à la fin du XVe siècle liégeois, Mourir pour des idées, éd.
C. CAZANAVE, F. MARCHAL-NINOSQUE, Besançon, 2009, p. 57–87.
23. P. HARSIN, Études critiques sur l’histoire de la principauté de Liège 1477–1795, t. 1,
La principauté de Liège à la fin du règne de Louis de Bourbon et sous celui de Jean de Hornes
1477–1505, Liège, 1957, p. 94, n. 17.
338 P. BRUYÈRE

apaiser la colère des puissances supérieures, le Moyen Âge n’a pas trouvé
plus efficace que le recours aux saints, par l’intermédiaire de leurs reliques24.
En raison de son passé prestigieux, et en dépit des incendies et des guerres,
la cathédrale de Liège en est abondamment pourvue. Henri ex Palude se
trouve au centre de grandes démonstrations religieuses, orchestrées avec la
plus grande solennité tout au cours de l’année 1489. En sa qualité de céré-
moniaire, fonction alors réservée au grand-chantre, mais aussi en raison de
sa proximité avec le clan des La Marck25, il est convié par le doyen, le prévôt
et tout le chapitre, à faire partie des membres du clergé chargés de présider
à l’organisation de cérémonies grandioses, qui mobilisent non seulement
le clergé du diocèse, mais aussi tout le peuple. Ex Palude y joue un rôle de
premier plan.
Ces solennités, visant à solliciter les protecteurs de l’Église de Liège, et
prioritairement la Vierge et saint Lambert, nous sont remarquablement
connues par un témoin direct, demeuré anonyme, qui les a décrites, à la
demande du chapitre, avec le souci manifeste d’en conserver le souvenir26,
et avec assez de précision pour permettre aux clercs de la cathédrale de les
imiter lors de célébrations futures. Ce témoignage, édité par le vicaire géné-
ral et chroniqueur Jean Chapeaville27, est conservé dans un recueil28, où il
est précédé d’un cérémonial de la même écriture29, et suivi de la relation de
cérémonies religieuses de différents types30.

24. Sur le pouvoir accordé aux reliques par les hommes du Moyen Âge, voir
notamment les réflexions de P. CORDEZ, Gestion et médiation des collections de
reliques au Moyen Âge. Le témoignage des authentiques et des inventaires, Reliques
et sainteté dans l’espace médiéval, éd. J.L. DEUFFIC, Pecia, t. 8–11, 2005, p. 33–63.
25. Chronique du règne de Jean de Hornes, éd. S. BALAU, Chroniques liégeoises, t. 1,
Bruxelles, 1913, p. 379, énonce sans équivoque que le chapitre cathédral supplie
Éverard de la Marck de faire revenir la paix.
26. Ces manifestations sont relatées sommairement dans la Chronique du règne de
Jean de Hornes, p. 380–383.
27. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, Liège, 1616, p. 213–227.
HARSIN, La principauté de Liège, p. 235, s’avance en attribuant à la plume du notaire
Crespin Roefs la relation des événements. On sait seulement que celui-ci a fait, à la
demande d’ex Palude, les comptes rendus des visites destinés à être enfermés dans
les reliquaires. Tous les récits sont anonymes, de l’aveu de l’éditeur, même si celui-ci
croit reconnaître la plume d’un homme très pieux et très savant, membre du chapitre
cathédral (CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 213, 216, 224).
28. LIÈGE, AÉvL, Cathédrale Saint-Lambert, A I 1. Chapeaville y est peut-être
l’auteur de notes marginales rectifiant certaines erreurs ou imprécisions du scribe,
et sur lesquelles nous aurons à revenir.
29. Ce cérémonial a jusqu’ici été peu exploité. Il constitue un document de pre-
mière importance pour l’histoire du rituel à la cathédrale de Liège. Nous l’étudions
dans P. BRUYÈRE, Note sur un cérémonial inédit de la cathédrale Saint-Lambert de
Liège (fin du XVe siècle), en préparation.
30. Voici quelques-unes de ces cérémonies : réception d’un roi des Romains,
cérémonies funèbres d’un évêque, Joyeuse Entrée d’un prince, messe solennelle
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 339

Nous savons, grâce à cette source, que les manifestations de 1489 se décli-
nèrent en trois temps forts : ouverture des riches reliquaires que possédait la
cathédrale, et reconnaissance des reliques31 ; célébration en grande pompe
de la fête de la Translation de saint Lambert32 ; cérémonie d’ostension des
reliques33.

Ouverture des reliquaires


La « visitation » des châsses, à partir du 14 avril 1489, est sans conteste un
événement majeur34. L’enjeu « national » explique le caractère exceptionnel
de ces cérémonies de reconnaissance des restes des saints. Les opérations
d’ouverture sont effectuées par une commission de cinq chanoines en pré-
sence de Crispin Roefs, chanoine de la Petite Table35 et notaire instrumentant,

d’intronisation, ordre de la procession de la translation de saint Lambert, déroule-


ment du jubilé d’un chanoine, prières et anathèmes proférés par les clercs contre
un ennemi de l’Église de Liège, indulgences accordées par les papes ou les nonces
apostoliques…
31. Historia visitationis feretri B. Lamberti martyris et pontificis, et aliarum reliquiarum
Ecclesiae Leodiensis, éd. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 213–216
(BHL 4692). Sur l’élévation, la translation, la vénération des reliques, les travaux
d’A. Angenendt seront consultés en priorité, notamment : A. ANGENENDT, Zur ehre
der Altäre erhoben. Zugleich ein Beitrag zur Reliquienteilung, Römische Quartalschrift
fur christeliche Altertumskunde und Kirchengeschichte, t. 89, 1994, p. 221–244 ; ID., Heilige
und Reliquien : Die Geschichte ihres Kultes von den Anfängen bis zur Gegenwart, 3e éd.,
Munich, 2007; ID., Relics and Their Veneration, Treasures of Heaven. Saints, Relics
and Devotion in Medieval Europe, éd. M. BAGNOLI, H.A. KLEIN, C. GRIFFITH MANN,
J. ROBINSON, Baltimore–Londres, 2010, p. 19–28.
32. Historia solennissimae festivitatis venerandi capitis sancti Lamberti Leodii habitae
anno Domini 1489, éd. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 216–224
(BHL 4693).
33. Historia ostensionis reliquiarum celebratae Leodii anno Domini 1489, éd.
CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 224–227 (BHL 4694). Un ouvrage
étudie ce sujet en profondeur : H. KÜHNE, Ostensio reliquiarum. Untersuchungen über
Entstehung, Ausbreitung, Gestalt und Funktion der Heiltumsweisungen im römisch-
deutschen Regnum, Berlin–New York, 2000.
34. Dans un fragment autographe du chroniqueur Adrien d’Oudenbosch,
conservé à BRUXELLES, KBR, une annotation marginale fait état de la date du 27 janvier
pour l’ouverture de la châsse de saint Lambert. BALAU, Les sources de l’histoire de Liège,
p. 627.
35. À la cathédrale de Liège, en dehors du chapitre principal composé, dès le
Xe siècle, de 60 chanoines, il existe deux chapitres secondaires, institués plus tardive-
ment en vue d’assurer le service du culte : le chapitre de Saint-Materne (1200–1203),
et le chapitre de Saint-Gilles ou chanoines de la Petite Table (ca 1227–1234). Sur
le chapitre de Saint–Materne, voir L. LAHAYE, Les chanoines de Saint–Materne à
Saint-Lambert de Liège, Bulletin de la Société d’Art et d’Histoire du Diocèse de Liège
(= B.S.A.H.D.L.), t. 27, 1936, p. 97–150 ; A. MARCHANDISSE, L’obituaire du chapitre
340 P. BRUYÈRE

et de quatre témoins, eux aussi clercs de la cathédrale. Après avoir ouvert


la châsse de saint Lambert, ils découvrent le cercueil rouge (sarcophagium)
portant l’inscription, « en une écriture ancienne », Loculus sancti Lamberti
martyris & pontificis36, et dans lequel sont enfermés le corps du saint enseveli
dans deux suaires orientaux (Baldetrina)37, une épitaphe en plomb datant
de la première mise en bière38, une plaque de cuivre doré commémorant le
transfert des reliques, le 19 décembre 114339, après le Triomphe du saint à
Bouillon40, et enfin une inscription rappelant le prélèvement en 1469 d’une

de Saint-Materne à la cathédrale Saint-Lambert de Liège, Bulletin de la Commission


royale d’Histoire (= B.C.R.H.), t. 157, 1991, p. 1–124. Sur le chapitre de Saint-Gilles,
R. FORGEUR, Sources historiques et iconographiques, Les fouilles de la place Saint-
Lambert. Le Vieux marché, t. 2, Liège, 1988, p. 18 ; A. WILKIN, Sur les chanoines de la
Petite Table, corps secondaire de la cathédrale Saint-Lambert de Liège, Leodium, t. 89,
2005, p. 37–47, partiellement repris dans ID., La gestion des avoirs de la cathédrale Saint-
Lambert de Liège des origines à 1300. Contribution à l’histoire économique et institutionnelle
du pays mosan, Bruxelles, 2008, p. 167–170.
36. J. DE CHESTRET DE HANEFFE, Les reliques de saint Lambert et les sept fiévés,
B.I.A.L., t. 24, 1894, pl. 3 et p. 9, reproduit le cercueil avec ses ferrures, et transcrit
l’inscription. Il y confond cependant l’esperluette avec un Z. Une étude épigraphique
permettrait peut-être d’affiner la datation et de vérifier si ce cercueil est ou non
contemporain de l’élévation de 1143 (voir infra).
37. O.J. THIMISTER, Pièces d’étoffes renfermant le corps de saint Lambert, B.I.A.L.,
t. 10, 1870, p. 87–90. Le mot dont l’étymologie renverrait à Bagdad désigne, de
manière générique, un textile venu d’Orient. Les deux suaires de saint Lambert sont
encore conservés au trésor de la cathédrale de Liège. Le plus ancien serait une soierie
iranienne post-sassanide du VIIIe siècle, et le second, un samit byzantin ou islamique,
tissé entre 950 et 1030 : F. PIRENNE, Les soieries des châsses mosanes, Liège. Autour de
l’an mil, la naissance d’une principauté, Liège, 2000, p. 169, 170, 174.
38. Cette plaque a été dessinée par J. Helbig dans DE CHESTRET, Les reliques de
saint Lambert, pl. 2.
39. DE CHESTRET, Les reliques de saint Lambert, p. 8 et pl. 1. Cette inscription fut
restaurée en 1584, sous l’épiscopat d’Ernest de Bavière. Recueil d’épitaphes de Henri
van den Berch, héraut d’armes Liège-Looz de 1640 à 1666, éd. L. NAVEAU DE MARTEAU,
A. POULLET, t. 1, Liège, 1925, p. 3 (pecia cupri). CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum
Leodiensium, t. 3, p. 214. L’événement historique figure dans Annales Floreffienses
(éd. L. BETHMANN, M.G.H., Scriptores (= SS), t. 16, Hanovre, 1859, p. 624) : Sanctus
Lambertus in feretro novo cum honore debito reponitur.
40. Le 21 septembre 1141, les Liégeois, à l’instigation de leur évêque Albéron II,
récupérèrent la forteresse de Bouillon. Cette victoire fut attribuée à l’intervention
miraculeuse du corps de saint Lambert. Sur cet événement historique, voir A. JORIS,
Le « Triomphe de saint Lambert à Bouillon » (1141). Récit d’un témoin ou expres-
sion d’une mentalité ?, Publications de la Section historique de l’Institut grand-ducal de
Luxembourg, t. 95, 1981, p. 183–200, repris dans ID., Villes – Affaires – Mentalités. Autour
du pays mosan, Bruxelles, 1993, p. 393–410 ; P.A. NISIN, L’arrière plan historique du
« Triomphe de saint Lambert » à Bouillon, Le Moyen Âge, t. 89, 1983, p. 195–213. On
ne confondra pas cet événement avec la bataille que les Liégeois remportèrent contre
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 341

parcelle du pied du saint, au bénéfice du lieutenant général de Charles le


Hardi, Guy de Brimeu, seigneur de Humbercourt41.
Le 18 avril 1489, c’est Henri ex Palude qui procède lui-même à l’ouver-
ture d’une châsse conservant les squelettes presque entiers de deux corps,
identifiés grâce à deux scedulae42 (« authentiques »). La première contient
ces mots : Haec sunt reliquiae Petri & Andoleti cognatorum B. Lamberti Episcopi
& Martyris qui cum eo passi sunt. La seconde, d’une écriture que le narra-
teur juge ancienne, met en exergue les deux parents de Lambert, reconnus
comme saints au même titre que celui-ci : Hic iacent corpora sanctorum Petri
& Andoleti cognatorum B. Lamberti. Cette authentique est accompagnée d’un
grand sceau rond avec l’effigie de saint Lambert et cette inscription sur le
pourtour : Sanctus Lambertus Episcopus Leodiensis et patronus.
Après avoir protégé soigneusement les reliques dans de nouveaux
suaires, ex Palude ordonne de les enfermer avec les deux cédules, auxquelles
sera joint le rapport de visite établi par son confrère Roefs, et de replacer la
châsse là où elle était auparavant, ad locum suum pristinum.
Le lendemain, c’est encore ex Palude qui procède à la visite de la châsse
de saint Materne et à celle de sainte Madelberte43. L’examen terminé, les
clés, tant extérieures qu’intérieures, des différentes châsses sont portées
solennellement dans le local des archives44.

les Brabançons dans les plaines de Steppes, près de Montenaeken, le 13 octobre 1213,
et qui fut plus durablement commémorée par une fête solennelle au calendrier (voir
n. 68).
41. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 214, est le premier auteur
à en faire état. Les sources historiques de ce don ont été relevées par W. PARAVICINI,
Guy de Brimeu. Der burgundische Staat und seine adlige Führungsschicht unter Karl dem
Kühnen, Bonn, 1975, p. 229 et n. 539.
42. Voir, au sujet de ce terme, H. LECLERCQ, Reliques et reliquaires, Dictionnaire
d’Archéologie chrétienne et de liturgie (= D.A.C.L.), t. 14, 2, Paris, 1948, col. 2294–2359
(authentiques de reliques, col. 2338–2343) ; M. HEINZELMANN, Translations Berichte und
andere Quellen des Reliquienkultes, Turnhout, 1979, p. 85–86. Une réflexion stimulante
a été faite récemment : P. BERTRAND, Authentiques de reliques : authentiques ou
reliques ?, Le Moyen Âge, t. 112, 2006, p. 363–374.
43. L’authentique qui accompagne les restes détaille les reliques historiques
de la sainte. Elle est éditée par l’auteur du récit. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum
Leodiensium, t. 3, p. 215–216. Deux autres petites châsses sont encore visitées.
44. Le scribe précise : dans la caisse supérieure appelée Mechlinia. Au XVe siècle,
les archives de la cathédrale étaient conservées dans une chambre située au centre
de l’aile ouest du cloître occidental, à côté de la compterie (S. BORMANS, Répertoire
chronologique des conclusions capitulaires du chapitre cathédral de Saint-Lambert, à Liège,
t. 1, 1427–1650, Liège, 1869–1875, p. 57 : 27 avril 1490). Elles étaient placées dans des
capsae de bois (au nombre de 45 à la fin du XVe siècle, selon l’inventaire publié par
A. CAUCHIE, A. VAN HOVE, Documents concernant la principauté de Liège (1230–1532),
spécialement au début du XVIe siècle extraits des papiers du cardinal Jérome Aléandre, t. 2,
342 P. BRUYÈRE

Célébration de la translation de saint Lambert


Les solennités de la translation de saint Lambert sont ensuite ordonnées par
les tréfonciers de la cathédrale qui veulent faire revenir dans le pays l’évêque
légitime et, avec lui, la paix, quia salutem non humana ope sed sanctorum tantum
interventu proventuram sperabant.
Ces cérémonies sont organisées avec le concours des membres du clergé
des églises collégiales, abbatiales et conventuelles, tous revêtus de leurs plus
beaux ornements, et en présence d’une impressionnante foule de fidèles45.
Elles sont présidées par Jaspar Poncin, abbé de Stavelot46, qui, se rendant sur
le jubé, retire de la châsse le chef de saint Lambert, demeuré intact depuis
346 ans47, et le montre au peuple48. Une procession, qui associe aux religieux

Bruxelles, 1920, p. 262–307). Mechlinia correspondait à la caisse numérotée dix-huit


(F. HÉNAUX, Le Liber cartarum ecclesie Leodiensis. Notice sur ce cartulaire, B.I.A.L., t. 6,
1863, p. 128). Le 24 janvier de cette année 1489, Henri ex Palude place dans cette
même caisse la chaîne en or pur que Jean de La Marck lui a remise pour servir de
garantie à un prêt consenti en sa faveur par des chanoines auprès de banquiers
romains (BORMANS, Répertoire, p. 56). La clé de la fierte de saint Lambert est, quant à
elle, rangée dans la deuxième caisse (Ibid., p. 57 : 27 avril 1490).
45. Une description de la messe solennelle célébrée ce jour-là dans la cathédrale
est conservée dans LIÈGE, AÉvL, Cathédrale, A I 1, fol. 47r–v. On y évoque la présence
importante des églises conventuelles et paroissiales, venues avec leurs bannières,
leurs reliques et leurs statues de saints.
46. Sur ce personnage, abbé de Stavelot-Malmedy de 1460 à 1499, voir U. BERLIÈRE,
Monasticon belge, t. 2, Province de Liège, Maredsous, 1928, p. 92–93, qui ne connaît
cependant pas cette présidence.
47. Les acteurs de l’ostension sont eux-mêmes conscients d’être les premiers
à visiter les reliques de saint Lambert depuis l’élévation de 1143, date qu’ils ont
découverte dans la châsse du saint. La preuve est donnée par ce texte (CHAPEAVILLE,
Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 223) que le chef de saint Lambert était déjà
enfermé dans un réceptacle (capitis custodia), avant qu’Érard de La Marck ne décidât
de le placer dans un écrin de prestige. Ce dernier reliquaire (1508–1512) est conservé
dans le trésor de la cathédrale de Liège. É. SCHOOLMEESTERS, Deux lettres d’indul-
gences accordées au chapitre de la cathédrale pour l’aider à faire exécuter le buste
de saint Lambert, Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois (= B.S.B.L.), t. 10, 1913,
p. 235–238 ; P. COLMAN, L’orfèvrerie religieuse liégeoise du XVe siècle à la Révolution, t. 1,
Liège, 1966, p. 96–97, font le point sur les initiatives antérieures à la réalisation de ce
chef reliquaire.
48. Le passage où Jean d’Outremeuse affirme que, le 28 avril 1319, l’évêque
Adolphe de La Marck fit placer la châsse de saint Lambert deseur le porte de hors avait
été interprété comme signifiant « sur le jubé fermant le grand chœur nouvellement
construit » (Ly Myreur des histors, éd. S. BORMANS, t. 6, Bruxelles, 1880, p. 250–251). On
pouvait cependant avoir un doute sur la localisation de la fierte, enfermant notam-
ment la châsse orfévrée. Dans une bulle du 11 avril 1407 par laquelle Grégoire XII
vient au secours de l’élu de Liège, Jean de Bavière, il est fait état de reliques, de joyaux,
de privilèges, lettres et chartes que les chanoines de Saint-Lambert ont placés in quo-
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 343

les corps constitués de la cité, se déploie avec la châsse de saint Théodard et


les reliques de saint Lambert.
Ex Palude, en sa qualité de grand chantre, officie à nouveau comme maître
de cérémonie. Il lui revient d’harmoniser l’ensemble des rites, d’entonner
les hymnes, de précéder, muni de son bâton d’argent, l’assemblée venue
vénérer saint Lambert et de lancer la célèbre antienne Magna Vox49. Au
terme de manifestations rehaussées de musique et de chants, mais aussi
empreintes de profondes émotions et dont le narrateur peine lui-même à
exprimer l’ampleur50, il remet en place, avec deux de ses confrères, le chef
de saint Lambert.

Ostension des reliques


La troisième partie de ces grandes célébrations se déroule du 10 au 22 juillet,
fête de sainte Marie-Madeleine. Chacune des treize journées est ponctuée par
l’ostension d’un ensemble différent de reliques. Il s’agit, ici encore, d’« apai-
ser la colère de Dieu » et de se concilier les puissances célestes incarnées dans
les corps des saints ou dans les objets leur ayant appartenu. Les suffrages
sont prioritairement adressés aux deux protecteurs de la cathédrale, la Vierge
Marie et saint Lambert, mais aucun des précieux reliquaires n’est négligé. Les
objets sacrés sont disposés sous un dais (tabernaculum) tendu de tissus d’or et
de soie, au-dessus de l’entrée du chœur, à côté du tombeau de saint Lambert.

dam feretro super introitum chori dicte Leodiensis ecclesie consistente, in quo sacrum corpus
gloriosi martiris b. Lamberti patroni eiusdem ecclesie venerabiliter requiescit (U. BERLIÈRE,
Les évêques auxiliaires de Cambrai aux XIVe et XVe siècles, Revue bénédictine, t. 21, 1904,
p. 51). L’emploi de super au lieu de supra pouvait laisser entendre que le tombeau
se trouvait à l’entrée du chœur. Le texte de 1489 ne laisse planer aucun doute : les
célébrants montent des escaliers pour atteindre le lieu où repose le corps du martyr
(CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 220).
49. Il s’agit de l’antienne du Magnificat des premières vêpres. Voir A. AUDA, L’école
musicale liégeoise au Xe siècle : Étienne de Liège, Bruxelles, 1923, p. 184–186, qui observe
que « le Magna vox jouait un rôle prédominant, car il clôturait généralement les
cérémonies de quelque importance » ; ID., La musique et les musiciens de l’ancien pays
de Liège, Bruxelles–Paris–Liège, 1930, p. 20–23.
50. La messe et la procession sont aussi évoquées par le chroniqueur Jean Peecks
ou de Looz (* 1459–† 1516), qui insiste également sur le caractère exceptionnel des
cérémonies : […] specialem missam cum solemni processione, cujus simili antea non exsti-
tit visa. JEAN DE LOOZ, Chronicon rerum gestarum ab anno MCCCCLV ad annum MDXIV, éd.
P.F.X. DE RAM, Documents relatifs aux troubles du pays de Liège sous les princes-évêques
Louis de Bourbon et Jean de Horne, 1455–1505, Bruxelles, 1844, p. 99. Nous développons
les aspects liturgiques de cette fête dans P. BRUYÈRE, Érard de La Marck, promoteur
en 1512 de la procession de la Translation de saint Lambert, à paraître.
344 P. BRUYÈRE

Parmi un grand nombre de châsses précieuses51, le narrateur anonyme


insiste sur celle des saints Pierre et Audolet, en reprenant des détails qu’il
avait déjà donnés lors de l’ouverture des reliquaires. La châsse, précise-t-il,
contient tous leurs os, à l’exception d’une tête dont on ne conserve que la
mâchoire inférieure : in quo feretro omnia ossa eorum continentur, uno capite
dempto, cuius tamen mandibula est ibidem. Les os laissent apparaître en plu-
sieurs endroits les traces du martyre des parents de saint Lambert : de quorum
venerando martyrio in eorum ossibus magna signa apparent.
En résumé, nous pouvons dire que ces longues expositions et ces céré-
monies grandioses de 1489 nous donnent une idée précise de la diversité et
de la richesse du patrimoine cultuel et dévotionnel de la cathédrale Saint-
Lambert, lequel, selon toute apparence, n’avait pas été sérieusement entamé,
lors du sac de la ville par le duc de Bourgogne Charles le Hardi en 146852. Il
est difficile de se représenter aujourd’hui l’extraordinaire émotion que ces
manifestations sans précédent ont dû susciter tant parmi le monde des clercs
qui y participèrent directement que sur l’ensemble des Liégeois, marqués
par la découverte simultanée de trésors de reliques ardemment sollicitées
pour que revienne la paix (fig. 3).
La subite réapparition historique de Pierre et Audolet mérite assurément
une remise en contexte de ces deux personnages.

Pierre et Audolet : deux saints sans culte


Il semble que le chanoine Anselme, dont l’œuvre fut achevée au plus tard en
105653, fut le premier chroniqueur à faire état de la conservation des corps
des deux parents de saint Lambert. Il indique que le corps de saint Floribert
(† 736/738)54, qui succéda à saint Hubert sur le siège épiscopal de Liège,
fut déposé dans un sépulcre partagé avec Pierre et Audolet, tués avec saint
Lambert55. Il ne situe malheureusement pas, dans la cathédrale, le lieu de

51. Nous traduisons en annexe la liste complète des reliques exposées, publiée
par CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 225–227.
52. Cela ne veut pas dire qu’il soit demeuré intact : A. MARCHANDISSE, I. VRANCKEN-
PIRSON, J.L. KUPPER, La destruction de la ville de Liège (1468) et sa reconstruction,
Destruction et reconstruction de villes du Moyen Âge à nos jours. Actes du 18e colloque
international (Spa 1996), Bruxelles, 1999, p. 82.
53. J.L. KUPPER, Les Gesta pontificum Leodicensis aecclesiae du chanoine Anselme,
Problématique de l’histoire liégeoise, Liège, 1981, p. 29–39.
54. ID., Leodium, p. 56.
55. Herigeri et Anselmi gesta episcoporum Tungrensium Traiectensium et Leodiensium,
éd. R. KOEPKE, M.G.H., SS, t. 7, Hanovre, 1846, p. 198 : Huius corpus cum Petro et
Audoleco, qui occisi sunt cum beato Lamberto, uno compositum est sepulchro. KUPPER,
Leodium, ne donne pas cette précision. BALAU, Les sources de l’histoire de Liège, p. 171,
n. 1, a démontré que cette partie de l’œuvre d’Anselme n’a pas été interpolée par
Gilles d’Orval, mais qu’il emprunte ces détails à la tradition orale.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 345

Fig. 3. Chef-reliquaire de saint Lambert, sixième niche, LIÈGE, Trésor de la


cathédrale, © Bruxelles, Kik-Irpa.
Cette sixième niche illustre la vénération des reliques de saint Lambert
et réfère, selon toute vraisemblance, aux grandes cérémonies de 1489 qui
sont encore dans toutes les mémoires.
346 P. BRUYÈRE

cette sépulture. Mais nous allons voir que, selon toute vraisemblance, le sort
des parents fut lié à celui de saint Lambert.
Un important incendie frappa la cathédrale dans la nuit du 28 au 29 avril
1185. Un témoin anonyme de cette catastrophe rapporte, de manière assez
précise, les dommages que l’édifice dut subir, notamment la destruction,
dans le chœur occidental, de l’autel de la sainte Trinité56. Il ne dit cependant
pas un mot de la crypte située sous cet autel, où le martyre fut perpétré57. Le
corps de saint Lambert échappa aux flammes, puisqu’on le sauvegarda en
le plaçant dans l’église de Notre-Dame aux Fonts, voisine de la cathédrale58.
Son retour fut solennisé le jour de sa fête, le 17 septembre 1197. À cette date,
selon le chroniqueur Gilles d’Orval, la châsse de saint Lambert fut installée
sur l’autel de la Trinité59, sous un nouveau ciborium ou baldaquin recouvert
d’or et d’argent, et il fut procédé à l’élévation des corps des saints Pierre et

56. J.L. KUPPER, Sources écrites des origines à 1185, Les fouilles de la place Saint-
Lambert à Liège, t. 1, Liège, 1984, p. 34.
57. Breviloquium de incendio ecclesiae sancti Lamberti, éd. W. ARNDT, M.G.H., SS,
t. 20, Hanovre, 1868, p. 620.
58. À la suite de l’incendie, le corps de saint Lambert fut d’abord transféré en
l’église collégiale Saint-Barthélemy et exposé à la dévotion du peuple en la collégiale
Saint-Martin avec le corps de saint Domitien venu de Huy, LAMBERT LE PETIT, Annales,
éd. L.C. BETHMANN, M.G.H., SS, t. 16, p. 649. L’exil semble s’être prolongé pendant
douze ans. En effet, le 24 juillet 1196, en raison d’inondations, mais aussi en vue de
s’en accommoder les faveurs en période de disette, le corps de saint Lambert fut
conduit en l’abbaye de Cornillon puis transféré, le 23 août, en la collégiale Saint-
Barthélemy avant de réintégrer la cathédrale, le 17 septembre de l’année suivante, à
l’endroit même où il était encore honoré à l’époque du chroniqueur Renier. RENIER DE
SAINT-JACQUES, Annales, M.G.H., SS, t. 16, p. 653 : In festo sancti Lamberti corpus ipsius
martyris de medio monasterio, in quo ab incendio ecclesiae iacuerat, cum maximo honore et
plebis tripudio in loco in quo nunc iacet honorifice relocatur. Ces différents transferts sont
traités à la date de 1185 par Lambert le Petit. Renier de Saint-Jacques qui complète
l’œuvre de celui-ci à partir de 1193 nous paraît donc plus fiable. BALAU, Les sources de
l’histoire de Liège, p. 426–428. Voir aussi GILLES D’ORVAL, Gesta episcoporum Leodiensium,
éd. J. HELLER, M.G.H., SS, t. 25, Hanovre, 1880, p. 112.
59. Ibid., p. 116 : In festo sancti Lamberti [1197] corpus ipsius martyris de medio monas-
terio, ubi multa miracula Dominus per eum operatus est, in quo iacuerat ab incendio ecclesie,
cum maximo honore et plebis tripudio super altare sancte Trinitatis collocatur.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 347

Audolet60 et à l’enchâssement de ceux-ci dans un reliquaire distinct – toujours


avec le corps de saint Floribert –, placé à côté de celui de saint Lambert61.
Le procès-verbal de la visite de 1489 corrobore parfaitement ces événe-
ments. Nous nous souvenons qu’Henri ex Palude découvrit les corps réunis
de Pierre et Audolet, accompagnés de cédules, dont l’une portait un grand
sceau rond marqué de l’effigie de saint Lambert. Ce sceau correspond en
tous points au modèle en vigueur, au sein du chapitre cathédral, à la fin du
XIIe–début du XIIIe siècle62. Ainsi donc, les fidèles parents de saint Lambert
reçurent les honneurs de l’élévation et de l’exposition de leurs reliques sur
l’autel principal du chœur occidental.
Le corps de saint Lambert ne demeura pas sur l’autel de la Trinité, au-des-
sus de l’espace historique du martyrium. À une époque demeurée inconnue
– que l’on situe habituellement au début du XIVe siècle –, il fut transféré sur le
jubé qui fermait le chœur oriental, pour y demeurer jusqu’à la fin de l’Ancien
Régime. Il est probable que ce déplacement contribua à la désaffection des
reliques de Pierre et Audolet qui, quant à eux, ne prirent pas place dans la
nouvelle installation, mais demeurèrent, selon toute apparence, dans l’une
des chapelles où sommeillaient la plupart des reliquaires.
Ainsi, même s’il jouirent d’une reconnaissance éphémère, les « saints »
Pierre et Audolet ne furent honorés, au sein du chapitre cathédral, par
aucune solennité. Ils ne furent vénérés sur aucun autel de la cathédrale63. Le

60. Ibid., p. 46 : Post multos vero annos levata sunt etiam corpora sanctorum Petri et
Audoleci, qui cum beato Lamberto martirizati sunt, et cum corpore beati Floereberti in uno
collocata sunt feretro. Quod feretrum in ciborio iuxta corpus beati Lamberti usque in hodier-
num diem collocatum est cum aliis sanctorum pignoribus. Gilles d’Orval ajoute que les
corps de saint Théodard et de sainte Madelberte, placés eux aussi dans une même
châsse, furent également installés sous ce baldaquin orfévré (Ibid., p. 46–47).
61. Le chroniqueur Gilles d’Orval termina son œuvre en 1251 (BALAU, Les sources
de l’histoire de Liège, p. 451). Il a également complété l’œuvre d’Anselme en y dupli-
quant ces informations. ANSELME, Gesta pontificum Traiectensium et Leodiensium, éd.
CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 1, Liège, 1612, p. 145.
62. É. PONCELET, Le martyre de saint Lambert et les sceaux, B.S.B.L., t. 5, 1892–1895,
p. 169–170, décrit un sceau rond de 60 mm de diamètre, portant un buste d’évêque
tenant une crosse de la main droite et bénissant de la main gauche, d’après un acte
de 1189, mais il renvoie à F. DE REIFFENBERG, Monuments pour servir à l’histoire des pro-
vinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg, t. 1, Bruxelles, 1844, p. 548 et pl. II, no 13,
lequel publie un sceau accompagnant une charte du 18 avril 1209, et dont le texte est
en partie illisible. L’inscription pourrait, selon nous, se lire ainsi : SCS LAMBER[TUS EPS
LEOD]IENSIS PATRONUS. La place laissée par le manque permet en effet d’insérer episcopus
(EPS) entre Lambertus et Leodiensis.
63. É. SCHOOLMEESTERS, Liste des autels de la cathédrale de Saint-Lambert, Leodium,
t. 8, 1909, p. 87–93 ; R. FORGEUR, Un pouillé des bénéfices de la cathédrale de Liège du
début du XVIIe siècle, Leodium, t. 69, 1984, p. 8–16.
348 P. BRUYÈRE

calendrier liégeois ne leur réserva aucune mention64. Les titulaires de fiefs,


chargés de la garde des reliques de saint Lambert, les ignorèrent65.
En procédant à l’ouverture des châsses en 1489, les chanoines de la
cathédrale redécouvrent les restes réels des saints Pierre et Audolet66. À leur
grand étonnement, ils détiennent les véritables reliques de ceux-là mêmes
dont ils font inlassablement mémoire au cours des offices67 et des messes
anniversaires68.
Même si, comme nous le verrons, leur représentation dans l’art connaît
quelque développement, et même si une place leur est réservée dans le dis-
positif cultuel de la translation de saint Lambert, dont l’évêque Érard de La
Marck relance la solennisation le 28 avril 151269, l’engouement pour les deux
héros de l’Église liégeoise est de faible ampleur, insuffisant pour les faire bé-
néficier d’un culte véritable. Déjà au début du XVIIe siècle, en effet, leurs restes
mortels doivent recevoir un nouveau réceptacle. On les mêle alors dans une

64. Nous avons consulté, à la bibliothèque du Séminaire de Liège, les calendriers


qui introduisent les missels liégeois de ca 1478–1480 (6 A 15), de 1509 (26 L 31) et
de 1513 (26 E 17). Voir également le calendrier liégeois établi par H. GROTEFEND,
Zeitrechnung des Deutschen Mittelalters und der Neuzeit, t. 2, Hanovre, 1892, p. 105–109.
65. DE CHESTRET, Les reliques de saint Lambert, p. 26–45. Le livre des offices –
au sens de fonctions – de la cathédrale, qui remonte au XIVe siècle, n’affecte aucun
personnel à la conservation des reliques de Pierre et Audolet. Voir S. BORMANS,
É. SCHOOLMEESTERS, Le Liber officiorum ecclesiae Leodiensis, B.C.R.H., t. 6, 1896,
p. 445–520.
66. M. DEVUYST, Pietro e Andoleto, Bibliotheca sanctorum (= B.S.), t. 10, 1968,
col. 791, ne fait que mentionner cette reconnaissance de 1489.
67. G. PHILIPPART, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout,
1977, p. 22–23, souligne que « l’historien de la liturgie qui étudie le déroulement de
l’office et s’attache à décrire le rôle de la lecture durant les matines, ne peut man-
quer de montrer la part grandissante qu’occupèrent les lectiones hagiographiques ».
L’obituaire de la cathédrale de Liège fait état du legs fait au chapitre, par des cha-
noines, de livres spécialement conçus pour l’office de matines, et désignés par le
terme matutinal (Commemoratio […] Johannis presbyteri qui dedit nobis matutinale mag-
num). A. MARCHANDISSE, L’obituaire de la cathédrale Saint-Lambert de Liège (XIe–XVe siècles),
p. 114 (date inconnue).
68. Quatre fêtes de saint Lambert sont solennisées au XVe siècle : la Translation
de ses reliques (28 avril), le dies natalis du saint (17 septembre), l’octave de cette
fête patronale (24 septembre) et son Triomphe (13 octobre). AUDA, Étienne de Liège,
p. 124–126, en a décrit l’évolution historique. A.G. MARTIMORT, Les lectures liturgiques
et leurs livres, Turnhout, 1992, p. 17, indique qu’une lecture hagiographique – norma-
lement un extrait d’actes des martyrs – remplace la lecture de l’Ancien Testament, à
la messe des fêtes de certains saints.
69. Ce jour-là, la châsse des saints Pierre et Audolet est portée par deux chanoines
en dalmatique. LIÈGE, AÉvL, Cathédrale, A I 1, fol. 49r. Voir à ce sujet BRUYÈRE, Érard
de La Marck, promoteur en 1512 de la procession de la Translation de saint Lambert.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 349

même châsse avec des reliques de saint Lambert et de saint Théodard70. Cette
châsse, un siècle plus tard, se trouve dans la trésorerie ; elle n’y est plus qu’un
Coffre des saints Pier et Andolete, un réceptacle ordinaire dépourvu de décora-
tion, par contraste avec les châsses d’argent ou dorées, d’ivoire ou couvertes
d’étoffe71. Les premiers hagiographes modernes hésitent, quant à eux, sur
le traitement à leur réserver. Ainsi, dans son catalogue des saints locaux,
Philippe Ferrarius inscrit saints Pierre et Audolet à la date du 17 septembre
se fondant sur la passion de saint Lambert, cum quo martyrio coronati sunt72.
Le jésuite Barthélemy Fisen fait de même, en s’appuyant sur la vie de saint
Lambert, laquelle fait état, dit-il, de leur glorieux combat73. Au milieu du
XVIIIe siècle, le bollandiste Constantin Suyskens, dans les commentaires qui
accompagnent les éditions des vies de saint Lambert, consacre aux neveux
quelques notes savantes74, dans lesquelles il ne cache pas son embarras. Il
n’a pas découvert d’office dans le bréviaire liégeois, ce qui ne nous surprend
guère. Mais il n’a rien trouvé non plus sur leurs reliques.
Ce lent déclin mémoriel paraît inéluctable. À la fin de l’Ancien Régime, la
trace de Pierre et Audolet semble avoir été définitivement perdue. Comble de
déchéance : le reliquaire qui enferme leurs ossements n’est pas même repris
parmi les objets placés en caisse en 1794 pour être mis à l’abri en Allemagne75.

Le Martyre de saint Lambert du « diptyque Palude »

La mise en scène de mots et de choses


Ces prémisses étaient nécessaires pour expliquer mieux le contexte politique
et religieux dans lequel l’œuvre fut créée.
Henri ex Palude nourrit pour saint Lambert une affection particulière.
De son vivant, il fait élection de sépulture dans la cathédrale, in Veteri choro,

70. BORMANS, Conclusions capitulaires, p. 346 : don d’une châsse en argent, en juin
1618, par le chanoine Jean Damen. On trouvera de plus amples informations dans
J. DARIS, Notices historiques sur les églises du diocèse de Liège, t. 17, Liège, 1899, p. 10–21.
71. Répertoire établi en 1713. J. DEMARTEAU, Trésor et sacristie de la cathédrale
Saint-Lambert à Liège 1615–1718, B.S.A.H.D.L., t. 2, 1882, p. 25.
72. P. FERRARIUS, Catalogus generalis sanctorum, qui in Martyrologio Rom. non sunt,
Venise, 1625, p. 369.
73. B. FISEN, Flores ecclesiae Leodiensis sive vitae vel elogia sanctorum […], Lille, 1647,
p. 417.
74. Acta Sanctorum, Septembris, t. 5, Anvers, 1755, p. 546–549.
75. Contrairement aux châsses de sainte Madelberte et des saints Materne,
Théodard, Laurent et Lambert. J. PURAYE, Le trésor de la cathédrale Saint-Lambert
pendant et après la Révolution française, B.I.A.L., t. 64, Liège, 1940, p. 55–117.
350 P. BRUYÈRE

donc au plus près du lieu du martyre76. Par testament, il fonde une messe
en l’honneur de saint Lambert, qui devait être solennisée par le chant, tous
les mardis, dans ce même Vieux chœur77.
Ex Palude a présidé aux ouvertures de châsses, a été au plus près des
saints et a respiré les fragrances que leurs corps dégagent (Quo aperto eva-
poravit coelestis & super omnem humanam dulcedinem dulcissimus odor continue
durans78), a dirigé l’ostension solennelle de reliques, dont un grand nombre
appartient à des saints de l’Église de Liège. On peut percevoir que ce vécu a
profondément marqué l’homme de foi. Comment ne pas comprendre aussi
qu’il ait voulu garder la trace d’une telle expérience personnelle ?
Deux personnages, connus par des procédés mémoriels liés aux lectures
liturgiques, lui sont révélés au grand jour dans leur réalité matérielle. Le
privilège qu’il eut d’ouvrir, pour la première fois depuis trois siècles, le reli-
quaire de Pierre et Audolet l’autorise à tirer parti des informations que les
restes recèlent. Leurs corps conservent les traces de leur martyre. Le peintre
dispose d’informations précises : Pierre a dû être frappé avec une violence
plus marquée, puisqu’il ne subsiste de sa tête que la mâchoire inférieure
encore pourvue de dents79. Cette description offre à l’artiste le scénario de la
scène. Sur la droite du tableau, Pierre est saisi par la chevelure. Son agresseur
s’apprête à lui asséner un coup de fauchon qui va lui briser la face.
Le reste de la scène est le reflet fidèle des lectures faites au chœur, lorsqu’est
évoquée, lors de la célébration des matines, la Vie de saint Lambert du chanoine
Nicolas. Si la réalité historique, reconstruite par la comparaison des vitae,
veut que l’évêque de Tongres, Lambert, ait été assassiné dans sa résidence
privée pendant qu’il était en prière, la peinture montre Lambert, en habits
sacerdotaux, s’apprêtant à célébrer la messe (comme l’atteste le missel,
posé sur la gauche de l’autel). L’un des assaillants s’est hissé sur le toit du
bâtiment, y a percé une ouverture, puis a frappé l’évêque à deux mains avec
un épieu. Le futur patron du diocèse de Liège n’est pas couché les bras en

76. On le sait par son testament, daté du 20 mars 1515. Ce document est conservé
à LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, ff. 59–61v. On ne sait en revanche pas où
J. PHILIPPE, La cathédrale Saint-Lambert de Liège, Liège, 1979, p. 153, a lu que « Henri ex
Palude promit par testament de faire dorer la statue de saint Lambert placée dans le
chœur ».
77. LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, fol. 61v. Henri ex Palude décède le
24 mars 1515 : L. NAVEAU, Recueil d’épitaphes de la cathédrale de Liège, B.S.B.L.,
t. 10, 1912, p. 76.
78. Ou encore : miro odore fragrantissimo. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum
Leodiensium, t. 3, p. 214. Ce poncif des odeurs de sainteté est déjà présent dans la vie
de saint Lambert de l’évêque Étienne, ainsi que dans celle du chanoine Nicolas. Voir
sur ce sujet : C. SAUCIER, The Sweet Sound of Sanctity. Sensing St Lambert, Senses &
Society, t. 5, 2010, p. 10–27.
79. CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 215, 226.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 351

croix, mais debout les bras croisés sur la poitrine. Nous sommes en plein
correspondance avec la version du chanoine Nicolas, le premier écrivain à
faire mourir saint Lambert dans son oratoire80.
Les authentiques des reliques insistent sur un point : les deux neveux sont
des « cognats » de saint Lambert ; ils lui sont unis par le sang81. Le peintre a
clairement voulu prêter à l’un d’eux – Pierre qui a subi le martyre avec le plus
de violence – des traits quasi identiques à ceux de l’oncle : cheveux ondulés et
foncés, nez fin et allongé, sourcils délicatement dessinés, bouche étroite. Les
neveux assistent le célébrant, revêtus de la chasuble rouge, en usage au sein
du chapitre cathédral lors des messes commémoratives de saint Lambert.
Dans l’optique adoptée, il est tout naturel que les vaillants gaillards, prêts à
défendre, armes au poing, un membre de leur lignage, aient fait place à deux
clercs désarmés qui n’ont d’autre choix que de subir le supplice.
Un détail de la représentation confirme le moment de l’attentat : le célé-
brant, tout comme ses deux assistants, portent le manipule sur l’avant-bras
gauche. Cet insigne honorifique porté par l’évêque, le prêtre, le diacre ou
le sous-diacre pour la célébration de la messe82 présente encore au XVe siècle
un sens symbolique fort. Suivant une prière faite sur les versets du psaume
125, au moment où l’on s’en revêtait, l’Église veut que ce manipule qu’on a
mis à la main ou au bras gauche, & qui servoit autrefois à essuyer les larmes & la
sueur du travail, nous fasse souvenir qu’il faut travailler & souffrir en ce monde,
pour avoir part aux récompenses éternelles83. Or le discours que, toujours selon
le chanoine Nicolas, saint Lambert tient à ses neveux, au moment où ils
veulent intervenir pour le défendre, s’inscrit parfaitement dans cette attitude
de résignation : Audite itaque, carissimi, ultima hec patris vestri verba et ad eum,
apud quem est misericordia et copiosa redemptio, spem cordis vestri firmiter erigite
atque ante eius conspectum omnes reatus vestros humiliter confitendo proprio vos
condempnate iudicio84. Sur le tableau, la symbolique liée à la messe commé-
morative est encore appuyée par la présence de croix rouges sur chacun des
trois manipules85.
En synthèse, le Martyre de saint Lambert du « diptyque Palude » réhabilite
historiquement les deux neveux du martyr et offre à ceux-ci une représen-

80. Ainsi que l’avait déjà observé BALAU, Les sources de l’histoire de Liège, p. 308.
81. DU CANGE, Glossarium, t. 2, col. 392a.
82. J. ROUX, Art. Manipule, Dictionnaire pratique de liturgie romaine, Paris, 1952,
col. 619–621. Voir aussi H. LECLERCQ, Art. Manipule, D.H.G.E., t. 11, Paris, 1931,
col. 1411–1416.
83. P. LE BRUN, Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémo-
nies de la messe suivant les anciens auteurs […], t. 1, Paris, 1777, p. 46–50.
84. NICOLAS, Vita Landiberti episcopi Traiectensis, p. 424.
85. Cette citation picturale du manipule n’a rien pour surprendre : le dernier jour
de la « montre » des reliques, on exposa notamment le manipulum de saint Lambert
(CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 227).
352 P. BRUYÈRE

tation calquée sur la réalité des découvertes de 1489. Leurs apparitions dans
l’art, rares jusque là et limitées à leur présence paisible aux côtés du saint86,
prennent désormais la forme d’une association à la mort du héros87.
La nouvelle figuration du martyre « familial » essaime rapidement. Pour
le début du XVIe siècle seulement, nous pouvons citer un dessin à la plume,
conservé dans l’obituaire de la paroisse Saint-Amand de Jupille (ca 1502)88,
le sceau aux causes du chapitre de saint Lambert (au plus tard 1514)89, deux
œuvres offertes par le prince-évêque Érard de La Marck, à savoir le reli-
quaire contenant l’occiput de saint Lambert (entre 1508 et 1512) (fig. 4)90 et

86. On ne peut guère citer qu’une enluminure illustrant une vie de saint Lambert
en ancien français, datant de la première moitié du XIIIe siècle (Vie de saint Lambert en
français du XIIIe siècle, traduite de la biographie écrite au Xe siècle par Étienne, évêque de Liège,
éd. J. DEMARTEAU, Liège, 1890, d’après un ms. conservé à LONDRES, British Library).
Dans cette représentation, conservée dans un manuscrit de BRUXELLES, KBR, 10326,
fol. 158r, Pierre et Audolet assistent saint Lambert sans subir comme lui le martyre. Ils
sont nimbés et manifestent la stupeur (reproduction dans Le livre illustré en Occident
du haut Moyen Âge à nos jours, Bruxelles, 1977, p. 34–35). Ils sont encore représentés,
en accompagnateurs, sur une peinture murale de l’église Saint-Lambert de Bois, dans
le Condroz liégeois (ca 1456). Nous renvoyons à J. FOLVILLE, Datation et attribution à
un même auteur de deux œuvres conservées dans le Condroz, Bulletin de la Société
royale « Le Vieux Liège » (= B.S.R.L.V.L.), t. 9, Liège, 1976, p. 27–28, qui rappelle oppor-
tunément que c’est Gauthier de Corswarem, chanoine du chapitre cathédral, qui y
a fait exécuter d’importants travaux, à partir de 1456.
87. L’étude fondamentale sur les représentations de saint Lambert dans l’art de-
meure celle de M. BRIBOSIA, L’iconographie de saint Lambert, Bulletin de la Commission
royale des Monuments et Sites, t. 6, 1955, p. 85–248 (spécialement p. 187–196, conte-
nant l’étude de la scène du martyre, qui ne fait aucun cas particulier des neveux de
l’évêque). Voir également Saint Lambert. Culte et iconographie, Catalogue de l’exposi-
tion, Liège, 1980, p. 54–57 ; P. GEORGE, L’iconographie du meurtre de saint Lambert,
B.S.R.L.V.L., t. 14, 2002, p. 303–312 ; J.L. KUPPER, P. GEORGE, Saint Lambert. De la légende
à l’histoire, Bruxelles, 2006. Ces derniers travaux n’examinent pas non plus la question
de la représentation de Pierre et Audolet dans les scènes du martyre.
88. LIÈGE, AÉvL, fonds non classé (Karthularium aniversariorum gloriosi Amandi). Le
dessin, à la plume et lavis d’encre et rehaussé de rouge, a été réalisé par l’auteur de
l’obituaire, Mathieu Bertran, qui s’y définit comme vesti et tenant (1496), ou comme
clerc de Jupille (1502). Nous retenons cette dernière date pour le dessin. Celui-ci a
été reproduit dans C. DURY, Vingt ans après… les archives paroissiales du diocèse
de Liège, Revue d’histoire religieuse du Brabant wallon, t. 22, 2008, p. 139.
89. PONCELET, Le martyre de saint Lambert et les sceaux, p. 175–176 et pl. II.
90. Sur cette œuvre, voir COLMAN, L’orfèvrerie religieuse liégeoise, t. 1, Liège, 1966,
p. 94–109 ; t. 2, fig. 8–41 ; P. COLMAN, R. SNEYERS, Le buste-reliquaire de saint Lambert
de la cathédrale de Liège et sa restauration. Étude historique et archéologique, Bulletin
de l’Institut royal du Patrimoine artistique, t. 14, 1973–74, p. 39–87.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 353

Fig. 4. Chef-reliquaire de saint Lambert, troisième niche, LIÈGE,


Trésor de la cathédrale, © Bruxelles, Kik-Irpa.
La troisième niche illustre la scène du meurtre de saint Lambert. Les deux
parents, Pierre et Audolet, sont associés au martyre, tandis qu’ils servent,
comme diacre et sous-diacre, la messe que saint Lambert célèbre.
La scénographie est très proche de celle du « diptyque Palude ».

le vitrail du chœur de la collégiale Saint-Martin de Liège (ca 1527)91, enfin


un tableau, datable entre 1520 et 1544, commandé par un chanoine régulier
de Windesheim92.

91. Y. VANDEN BEMDEN, Les vitraux de la première moitié du XVIe siècle conservés en
Belgique. Provinces de Liège, Luxembourg, Namur, t. 4, Gand, 1981, p. 203, 204, 215.
92. ALLART, La peinture du XVe et du début du XVIe siècle dans les collections publiques
de Liège, p. 157–161.
354 P. BRUYÈRE

Deux œuvres de la famille ex Palude


Sur la foi du témoignage tardif de Gérard-Gaspard Hoyoux, l’un des derniers
propriétaires de l’œuvre à la fin de l’Ancien Régime, plusieurs historiens de
l’art ont considéré que les deux panneaux, qui auraient été offerts pour être
placés dans la cathédrale, formaient encore au XVIIIe siècle un véritable dip-
tyque93. Hoyoux allait jusqu’à préciser qu’on ouvrait celui-ci à trois reprises
au cours de l’année : à Noël, à l’Assomption et à la fête de saint Lambert94.
Or, un témoin de premier plan établit que l’œuvre ne fut point conçue
pour figurer dans la cathédrale. Dans son Catalogue des chanoines de l’Église
cathédrale de Liège95, le chanoine et chantre Guilbert de Wissocq de Bomy
(† 1661)96 fait état d’un tableau, conservé dans le Vieux chœur et représentant
Gérard ex Palude, chanoine et écolâtre de Saint-Lambert, neveu et exécuteur
testamentaire de Henri97.
J’aÿ trouvé qu’il (Gérard ex Palude) portoit pour ses armes, de gueul semé de
besans d’or, au franc canton d’hermines : le heaume surmonté d’un bourlet d’or
et de gueulles, cimier la tete et encoulure d’un cheval d’argent : les hachemens
d’or et de gueul, du moins son oncle, qui mourut aussi Chanoine de S. Lambert
comme je fais voir en suitte98, les portoit telles, ainsi que j’aÿ remarqué en
plus[ieu]rs lieux a Liege meme j’aÿ souvenance d’avoir vu es premieres années
de ma residence99 un tableau fort escaillé de viellesse attaché contre la muraille au
viel Chœur de n[ot]re Egl[is]e justem[en]t a l’opposite de la place ou il demandoit

93. J. BRASSINNE, Une collection liégeoise de peintures au XVIIIe siècle, B.S.A.H.D.L.,


t. 25, 1934, p. 25.
94. Sans plus faire les réserves d’usage, l’ancien conservateur du Musée diocésain
avançait que le tableau se trouvait appendu au dernier pilier de la nef septentrionale
de Saint-Lambert : J. PURAYE, Le Musée diocésain de Liège. Catalogue des collections et notes
historiques, Liège, 1937, [p. 10].
95. Ce catalogue, déjà signalé par L. ABRY, Les hommes illustres de la nation liégeoise,
éd. H. HELBIG, S. BORMANS, Liège, 1867, p. 112–114, puis par [DE VILLENFAGNE], Recherches
sur l’histoire de la ci-devant principauté de Liège, t. 2, Liège, 1867, p. 465–466, est précédé
d’une préface fort intéressante, qu’a éditée M.L. POLAIN, Travaux inédits sur l’histoire
de Liège, B.I.A.L., t. 3, 1857, p. 281–286. Il s’agit d’un ouvrage de grande ampleur, dont
les ressources n’ont été que très partiellement exploitées. J. DE THEUX DE MONTJARDIN,
Le chapitre de Saint-Lambert, t. 3, Liège, 1871, p. 279, exprime ainsi l’intérêt de l’œuvre
de Wissocq : « Il fournit, sur les familles des chanoines et sur les preuves qu’ils ont
dû fournir, infiniment plus de renseignements que nous n’avons pu en donner. »
96. Nous renvoyons à l’étude de S. DE MOFFARTS D’HOUCHENÉE, Un manuscrit
inconnu du chanoine de Wissocq sur les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert
de Liège, B.S.B.L., t. 27, 2011, p. 1–50.
97. LIÈGE, AÉL, Fonds Lefort, IV, 31, p. 52. L’observation de Wissocq remonte aux
environs de 1638.
98. Ibid., p. 71–72.
99. Guilbert de Wissocq est admis au chapitre le 8 décembre 1636. DE THEUX, Le
chapitre de Saint-Lambert, t. 3, p. 277.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 355

d’etre ensepvelis par son testam[en]t100 : sur lequel se voioit encor son pourtrait
fait apres le naturel en posture de priant revetu d’une robe rouge101 avec l’aumusse
sur le bras et ses armes a ses pieds mais sans timbre lequel tableau at eté quitté
du depuis et transporté je ne scais ou, a cause qu’il servoit d’empeschement pour
dresser un nouvel ouvrage de siege qu’on ÿ at fait faire102.

Ce tableau est indubitablement distinct de l’œuvre qui nous occupe. En voici


les raisons principales. Tout d’abord, Wissocq ne mentionne pas la scène du
martyre de saint Lambert, et le priant est dit revêtu d’une chasuble rouge,
quand le chanoine du « diptyque Palude » est en habit de chœur. Ensuite,
Wissocq précise que les armoiries qui figurent sur ce tableau fort escaillé de
viellesse est dépourvu de timbre, suggérant ainsi par contraste les armes
que Henri avait ornées d’une encolure de cheval. Or, la motivation de cet
élément héraldique est strictement personnelle : le chantre détient le privi-
lège non seulement d’installer l’évêque entrant en possession de sa charge
sous le baldaquin qui lui est réservé dans le chœur de la cathédrale103, mais
aussi, selon une ancienne coutume, après que le prince est descendu de
sa monture au pied des degrés de la cathédrale, de faire emporter par son
serviteur le cheval avec tous les ornements104. Henri ex Palude a pu jouir de

100. Gérard ex Palude fut reçu au chapitre le 20 avril 1511. Il avait lui aussi émis
le vœu d’être enterré dans le Vieux chœur de la cathédrale, aux côtés de son oncle.
Ibid., p. 24–25.
101. Le terme robe désigne ici la chasuble, vêtement liturgique que le prêtre revêt
pour la célébration de la messe. Cardinal BONA, De la liturgie ou traité sur le saint sacrifice
de la messe, t. 1, Paris, 1854, p. 532–533 [traduction française, par l’abbé Lobry, du traité
De rebus liturgicis, publié à Rome en 1671]. Le choix de la couleur est assez évident
pour un clerc qui manifeste son attachement à saint Lambert. C’est en effet revêtus
d’une chasuble rouge que les prêtres célébraient les quatre fêtes annuelles du patron
du diocèse. Voir également M. PASTOUREAU, Ceci est mon sang. Le Christianisme
médiéval et la couleur rouge, Le pressoir mystique. Actes du colloque de Recloses, éd.
D. ALEXANDRE-BIDON, Paris, 1990, p. 43–56.
102. Il est difficile de savoir précisément à quoi Wissocq fait ici allusion. Cet
ouvrage de siège ayant nécessité le déplacement d’un tableau ne correspondrait-il pas
à des stalles dont le dossier haut devait masquer une partie des murs et qui auraient
été, peu de temps auparavant, installées dans le vieux chœur ?
103. Le 13 juillet 1456, le chantre Arnold de Eldris introduit Louis de Bourbon
dans le chœur de la cathédrale et l’installe in sede episcopali ad latus dexterum superius,
baldekino aureo ibidem pendente, et cussino posito (DE RAM, Documents, p. 419).
104. Ce privilège est déjà attesté en faveur de prédécesseurs d’ex Palude. Ainsi,
relativement à la Joyeuse Entrée de Louis de Bourbon en 1456, le cérémonial de la
cathédrale (LIÈGE, AÉvL, Cathédrale, A I 1, fol. XIv) affirme un véritable droit : Et venit
eques ad gradus beatissimi Lamberti in foro. Et caballu cui insidebat [sic] postquam descendit
ante dictos gradus. Servitores cantoris ecclesiae Leodiensis receperunt. Nam de jure pertinet
cantori. Voir WISSOCQ, Catalogue des chanoines, Préface, éditée par POLAIN, Travaux inédits,
p. 285.
356 P. BRUYÈRE

ce privilège – directement lié à la chanterie105 – et se rendre propriétaire du


cheval d’Érard de la Marck, lorsque ce dernier fut inauguré le 30 mai 1506106.
Un autre point est important à souligner. Si le « diptyque Palude » avait
été conçu pour la cathédrale, Wissocq – qui était lui-même chantre – n’aurait
pas manqué de signaler son existence, en précisant que son lointain prédé-
cesseur s’était fait représenter avec le bâton de sa charge. Au lieu de cela, il
se contente de rapporter qu’il a pu observer les armes complètes de Henri ex
Palude « en plusieurs lieux à Liège », mais il ne mentionne pas la cathédrale.

Pour quel espace la représentation du martyre de saint Lambert


a-t-elle été conçue ?
Une étude approfondie portant sur la représentation du dévot dans la pein-
ture des XVe et XVIe siècles n’a relevé aucune occurrence de diptyque où un
donateur était figuré dans une scène narrative occupant l’un des panneaux107.
Cela ne nous étonne guère : peut-on concevoir un diptyque de la dimension
du « diptyque Palude » (chacun des panneaux mesure 518 x 392 mm) se fer-
mant à 90 degrés, contrariant ainsi la vision simultanée des deux versos en
grisaille ? Les panneaux du Grand Curtius étaient sans conteste, à l’origine,
les volets extérieurs d’une œuvre plus vaste, peinte ou sculptée, dont le
panneau central était le thème principal108.
Ce qui nous est conservé sous le nom de « diptyque Palude » est, selon
toute vraisemblance, une œuvre destinée à la dévotion personnelle de son
commanditaire. Voici pourquoi.

105. C’est ce qui ressort explicitement du récit de la Joyeuse Entrée de Jean de


Hornes, le 7 novembre 1484 : Ibidem [dominus Johannes de Hoerne] a suo equo valde
notabili, quem dominus Petrus de Hollengnoul, cantor Leodiensis, tanquam sibi ratione suae
cantariae competentem ad se recepit et habuit. DE RAM, Documents, p. 767.
106. L.E. HALKIN, La Joyeuse Entrée des princes-évêques de Liège. Une relation
inédite de 1506, B.S.A.H.D.L., t. 21, 1928, p. 13 du tiré-à-part : Dominus Erardus de
Marcka […] descendit de equo ante gradus ecclesiae […] et incontinenti dimisso equo quem
familiaris domini cantoris ad se recepit (dicitur enim quod ex antiqua consuetudine equus
in quo dominus venit et civitatem intrat ipso die introitus ad cantorem Leodiensem spectare
debet et pertinere) domum Districtus accessit. Il n’est pas inconcevable que le timbre ait
été ajouté après cet événement, car le dessin de la robe d’Audolet est sous-jacent.
La remise du cheval au chantre est encore attestée en 1581, lors de la Joyeuse Entrée
d’Ernest de Bavière : J. POLIT, Reverendissimi ac serenissimi principis Ernesti, utriusque
Bavariae Ducis […] inauguratio, Cologne, 1583, p. 58.
107. FALQUE, Portraits de dévots, p. 182–183, se fondant sur un corpus de quelque
663 œuvres comportant au moins un portrait de donateur.
108. Nous rejoignons sur ce point Ibid., qui soutient l’hypothèse d’un petit trip-
tyque ou d’un polyptique avec des arguments comparatifs à l’appui.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 357

Henri ex Palude occupait une maison claustrale109 qu’il avait reçue, le


1 novembre 1484, du doyen Wauthier de Corswarem110. Cette demeure,
er

agrémentée d’une fontaine, donnait sur le Vieux marché, et était contiguë à


l’emplacement du tableau d’affichage de la cathédrale (prope principaliores
valvas ecclesiae)111. Plus précisément située retro sacellum sancti Materni112, elle
abritait l’un des trois autels fondés dans un immeuble extérieur à la cathé-
drale (fig. 5)113. Dédié à la Bienheureuse Vierge Marie, à saint Lambert et à
saint Blaise, cet autel était desservi par un chapelain ou recteur qui devait y
célébrer trois messes chaque semaine114.
La configuration et la taille des fenêtres dessinées par le peintre du tableau
Palude évoquent bien celles d’une demeure patricienne115 et permettent
même de suggérer que l’artiste a pu peindre l’autel domestique où le sacrifice
divin devait être célébré.
Pour l’organisation de ses funérailles, Henri ex Palude lègue dix florins
d’or du Rhin à la fabrique cathédrale, à la condition que celle-ci ne réclame
aucun des biens qu’il a possédés ou reçus circa domum meam claustralem116.
Une telle disposition a ainsi permis la transmission de l’œuvre par voie
successorale et la faire échapper au sort que connut le patrimoine de Saint-
Lambert117. La présence du tableau dans la maison d’ex Palude étonnera

109. Le domaine de la cathédrale, comprenant notamment les encloîtres ou quar-


tier canonial jouissant de l’immunité, a été décrit par É. PONCELET, Les domaines urbains
de Liège, Liège, 1947, p. 90–108 (spécialement p. 91–92).
110. Ce personnage fut doyen du chapitre cathédral pendant 43 ans, de 1483 à
sa mort en 1526. Recueil d’épitaphes de Henri van den Berch, p. 11.
111. LIÈGE, Bibliothèque générale de Philosophie et Lettres (= BGPhL), Manuscrits,
ms. 1980, p. 1390 (manuscrit du chanoine Hinnisdael) ; BORMANS, Conclusions capitu-
laires, p. 50. Cette maison canoniale sera possédée par Jean Chapeaville lui-même,
de 1600 à 1623 (LIÈGE, AÉvL, Cathédrale, A V 29, fol. 30r).
112. Ibid., Registre des revenus de l’autel 1577–1646. Mentions sur le contreplat de
la reliure et passim. Sacellum pourrait désigner ici une chapelle fermée, par opposition
à capella. Ce lieu, réservé au chapitre secondaire de Saint-Materne, abritait en effet
plusieurs reliquaires, tout comme la chapelle de Saint-Gilles, qui lui faisait face. Voir
CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium, t. 3, p. 227.
113. SCHOOLMEESTERS, Liste des autels, p. 93, dit que cet hôtel canonial était situé
« derrière la chapelle Saint-Luc », ce qui est moins précis. Voir FORGEUR, Sources his-
toriques, p. 21–27.
114. ID., Un pouillé des bénéfices, p. 15.
115. J. PHILIPPE, La cathédrale Saint-Lambert de Liège. Gloire de l’Occident et de l’Art
mosan, Liège, 1979, p. 153, avait, pour sa part, suggéré que l’auteur du panneau avait
pu s’inspirer de certains éléments architectoniques ou décoratifs existant alors dans
la cathédrale.
116. LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, fol. 59r.
117. J. PURAYE, Le trésor de la cathédrale Saint-Lambert pendant et après la
Révolution française, B.I.A.L., t. 64, 1940, p. 55–117.
358
P. BRUYÈRE
Fig. 5. J. DENEUMOULIN († ca 1850) (attribué à), Dessin aquarellé,
LIÈGE, Université, Collections artistiques, no 3044, © Liège, Université, Collections artistiques.
Vue de la face septentrionale de la cathédrale Saint-Lambert de Liège à la fin du XVIIIe siècle. On distingue encore,
à droite du portail, des constructions accolées, comme au Moyen Âge, à la chapelle de Saint-Materne,
et qui faisaient partie des espaces claustraux.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 359

d’autant moins qu’il s’y était déjà fait représenter, dans la même posture,
sur une verrière118. Si des œuvres à caractère privé sont entrées, au décès de
leur propriétaire, dans le patrimoine de la cathédrale119, ce ne fut assurément
pas le cas du Martyre de saint Lambert.
En commandant le polyptyque, Henri ex Palude a fait choix de thèmes
proches de ses dévotions120, mais aussi de ses préoccupations. Ouverte,
l’œuvre donnait à voir une scène encadrée par la naissance du Christ à
gauche et, à droite, par la « naissance au ciel » de l’évêque Lambert, sanctifié
par le martyre. Refermées sur le panneau central, les scènes en grisaille des
revers de volets favorisaient la méditation de Henri ex Palude, si souvent
sollicité, en sa qualité de jurisconsulte, pour régler des conflits et rendre
des arbitrages. L’histoire nous enseigne son constant souci de pacifier les
tensions et d’intervenir pour mettre fin à des différends121. Deux modèles
de sagesse s’offraient alors pour éclairer son esprit : le roi Salomon qui, sous
le couvert habile d’une équité vigilante, démasque l’imposture de la femme
qui veut s’emparer d’un enfant qui n’est pas le sien (1 R 3, 16–28), et le Christ
Jésus s’employant à interpeller les bonnes consciences, promptes à condam-
ner la femme adultère, qui avait enfreint le septième commandement. Sur
ce revers, Jésus écrit sur la terre, avec le doigt, la loi de la nouvelle alliance
qui accomplit parfaitement celle donnée par Dieu à Moïse sur le Mont Sinaï :
« Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre » (Jn 8, 1–11).

De quand le tableau date-t-il ?


Le terminus post quem que nous imposent les cérémonies d’ouverture de
châsses d’avril 1489 est postérieur à l’entrée d’ex Palude dans ses fonctions
de chantre. Le bâton cantoral sur lequel ses mains sont jointes est le baculum
argenteum que lui a transmis son prédécesseur en 1488. Ce n’est pas le pres-
tigieux instrument qu’il a offert au chapitre en 1495. Si nous développons

118. Selon DE THEUX, Le chapitre de Saint-Lambert, t. 2, p. 306, des verrières placées


dans des maisons claustrales représentaient ex Palude en costume de chantre et dans
l’attitude de la prière. Il y a probablement là exagération.
119. C’est le cas du chanoine Pierre de Strepen qui, dans son testament du
5 novembre 1534, « ordonne qu’un tableau représentant Notre Sauveur, fait très artis-
tement et se trouvant dans la salle du rez-de-chaussée de ma maison, soit placé contre
ma tombe ou près de celle-ci, avec mon épitaphe sculptée dans le cuivre, en lettres
d’or ». É. PONCELET, Œuvres d’art mentionnées dans les testaments des chanoines de
Saint-Lambert de Liège (1488–1762), B.S.A.H.D.L., t. 26, 1935, p. 5 du tiré-à-part.
120. S’il n’est pas interdit de reprendre l’hypothèse que le sujet serait une
Assomption, ce que suggère l’information selon laquelle l’œuvre était montrée lors
de la fête de la Vierge (voir supra, n. 93), des thèmes paraissent plus propices à offrir
une cohérence à l’ensemble, tels la Résurrection du Christ, le Trône de gloire ou le
Jugement dernier.
121. Cet aspect de son charisme est développé dans l’étude citée n. 4.
360 P. BRUYÈRE

ailleurs les caractéristiques de ce nouveau bâton, il importe de préciser ici


que celui-ci avait au moins deux spécificités essentielles que nous ne retrou-
vons pas sur notre tableau. D’une part, l’oiseau rapace était orné de pierres
précieuses et surmontait un édicule polygonal formé de plusieurs niches
hébergeant les figurines de saints. D’autre part, le bâton de 1495 atteignait
la hauteur impressionnante d’un mètre quatre-vingt, soit la dimension d’un
homme de grande taille, alors que le bâton ici représenté ne dépasse pas
l’orant en position agenouillée. Personne enfin ne doutera que, si le nouveau
bâton avait existé au moment de la réalisation du tableau, ex Palude eût
veillé à lui réserver une visibilité de choix122.
Nous disposons, avec ces éléments précis, d’une fourchette étroite de
datation. Le Martyre de saint Lambert a été réalisé entre 1489, date de l’ouver-
ture des châsses – événément auquel le tableau est intimement lié –, et 1495,
date où est offert un bâton de prestige, distinct du précédent par son édicule
massif et sa taille hors du commun. Comme nous inclinons à penser que la
réalisation du tableau a dû être proche de la date de la découverte des reliques
des saints Pierre et Audolet, nous voudrions proposer la date de 1492, qui
vit la paix revenir dans le pays après plus de dix années de troubles123.
Cette année-là, le chantre Henri ex Palude avait les raisons les plus élevées
de commander une œuvre en hommage à son saint patron Lambert, grâce
auquel Liège avait retrouvé une quiétude proprement inespérée.

Conclusion
Alors qu’à la fin du XVe siècle Liège vit au rythme d’une guerre civile qui
n’en finit pas, les chanoines de la cathédrale mobilisent la cohorte des saints
dont ils possèdent des reliques. Si la cour céleste est largement sollicitée, c’est
avant tout à l’adresse de saint Lambert, le patron du diocèse, que la ferveur
se fait la plus insistante.

122. Comme d’autres chanoines liégeois, Henri ex Palude porte sur le bras
l’aumusse, sans doute obtenue lors de la titularisation d’un autel dans la cathédrale.
Il a par ailleurs les épaules couvertes d’un mantelet d’hermine, que doit porter le
chantre selon le chanoine Wissocq (LIÈGE, AÉL, Fonds Lefort, IV, 31, p. 72). Cet insigne
ne semble toutefois pas attesté ailleurs.
123. Le 27 avril de cette année-là eurent lieu la « réconciliation spectaculaire »
(l’expression est d’HARSIN, Études critiques, p. 285) de Éverard de La Marck avec
le prince-évêque Jean de Hornes – permettant à celui-ci d’entamer un règne qui
allait durer treize ans –, et la délivrance de diplômes reconnaissant la neutralité
liégeoise, par le roi de France d’abord (8 juillet), par le roi des Romains ensuite
(8 août). P. HARSIN, Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise, Revue belge
de Philologie et d’Histoire, t. 5, 1926, p. 445–446.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 361

En tant que cérémoniaire, le grand chantre Henri ex Palude préside, en


1489, à plusieurs manifestations sans précédent, dont la pompe extraordi-
naire traduit bien l’importance de l’enjeu. La reconnaissance des corps des
deux neveux de l’évêque Lambert, assassinés avec lui, puis l’ostension de
leurs reliques sont encadrées par une dramaturgie qui n’exclut ni la ferveur,
ni la dévotion. Aussi, lorsqu’il commande un petit polyptyque pour servir
de retable à l’autel de sa maison claustrale, ex Palude entend-il mettre en
scène des événements qui l’ont particulièrement marqué et donner à Pierre
et Audolet une place de choix dans la composition où est exaltée la mort glo-
rieuse de l’évêque de Maastricht124. Ces personnages, évoqués aux matines
par la lecture de la Vita du chanoine Nicolas, sont devenus des êtres réels aux
vertus surnaturelles. Il convenait de les rendre présents, à l’avant-plan, dans
leur dignité de martyrs associés, mais aussi de serrer au plus près les décou-
vertes récentes, en faisant adopter par deux soudards les gestes brutaux qui
expliqueraient les atteintes corporelles dont leurs restes portaient la trace.
Selon les usages du temps, Henri ex Palude s’est fait immortaliser à
genoux, les mains jointes, le regard perdu dans l’infini de la méditation.
Conscient du rôle qui lui avait été dévolu en 1489, il est porteur du bâton
cantoral reçu de son prédécesseur, l’année précédente. Il n’a pas non plus
négligé de sommer son blason du cheval blanc que le prince, selon un usage
ancien, remet au chantre lors de sa Joyeuse Entrée.
Malgré ces efforts de réhabilitation, les chanoines de la cathédrale n’ont
jamais jugé nécessaire d’inscrire Pierre et Audolet dans leur panthéon dévo-
tionnel. Peu à peu, cette désaffection fit rejoindre aux deux neveux de saint
Lambert l’anonymat de « l’immense cortège de tous les saints ». Le Martyre
de saint Lambert est cependant là pour nous rappeller qu’ils ont fait, du moins
pendant quelques décennies, l’actualité artistique125.

***

124. Notons cependant qu’ex Palude n’a pas jugé opportun d’attribuer à Pierre et
Audolet les marques de la sainteté (ils ne sont pas nimbés). Toutefois, en les faisant
représenter avec la chasuble que revêtent les clercs lors des messes anniversaires
dédiées à saint Lambert, il a voulu les associer étroitement au culte du martyr et à
la défense de la cause ecclésiastique.
125. Au terme de ce travail, il nous est agréable de remercier Christian DURY,
conservateur des Archives de l’Évêché, à Liège, dont la serviabilité est en passe de
devenir légendaire, ainsi que les pères Bollandistes qui, avec leurs collaborateurs, nous
ont réservé, dans leur bibliothèque, le meilleur des accueils. Nous devons beaucoup
à Marie-Guy BOUTIER, qui nous a fait part de remarques importantes portant sur la
structure et la lisibilité du texte ; qu’elle trouve ici l’expression de notre profonde
gratitude.
362 P. BRUYÈRE

Le lecteur qui aura pris la peine de nous lire jusqu’au bout n’aura trouvé ici
aucune proposition visant à identifier le peintre, ni même l’atelier qui aurait
pu réaliser le « diptyque Palude », par comparaison avec d’autres œuvres
connues. Il aura compris, en revanche, que la connaissance des œuvres
d’art peut faire des progrès sensibles lorsque les sources historiques sont
sollicitées. En exploitant les archives disponibles, en cherchant à cerner la
personnalité du commanditaire126, en examinant les récits hagiographiques,
en étudiant la liturgie en vigueur à la cathédrale de Liège à la fin du Moyen
Âge, en mettant enfin le tableau en relation avec un événement historique
précis, nous avons porté un regard renouvelé sur un tableau connu de la
fin du XVe siècle.

Haute École libre mosane, Liège Paul BRUYÈRE

126. Nous avons montré naguère ce que la connaissance de la personnalité


du commanditaire apportait à l’intelligence d’une œuvre médiévale : P. BRUYÈRE,
La « Vierge au papillon » du trésor de la cathédrale de Liège (ca 1459), fruit d’une
réflexion théologique originale, L’Église et la vie religieuse, des pays bourguignons à
l’ancien royaume d’Arles (XIVe–XVe siècle), éd. J.M. CAUCHIES, Publication du Centre euro-
péen d’études bourguignonnes (XIVe –XVIe s.), t. 50, 2010, p. 303–327.
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 363

ANNEXE

Reliques exposées à la cathédrale de Liège,


du 10 au 22 juillet 1489127

Jour après jour, les reliques suivantes128 ont été exposées à la vénération des fidèles :

1. L’image de la Vierge Marie peinte par l’évangéliste Luc129 ; l’amict de saint


Lambert130 ; une ampoule d’huile instillée du tombeau de sainte Catherine,
vierge.
2. Des reliques des saints martyrs Vincent, Étienne, Georges, Laurent, Côme,
Géréon, Maurice, Blaise, Crispin, Crispinien, Denis, Rustique et Éleuthère ; un
bras, une côte, une parcelle de mâchoire avec une dent et deux os de sainte
Barbe ; des cendres de saint Paul ; des os de sainte Christine, vierge, et de saint
Hypolite, martyr ; de la roche sur laquelle a coulé le sang du Christ ; de la pierre
sur laquelle la Vierge Marie a fait du pain.

127. Nous traduisons intégralement le texte de CHAPEAVILLE, Qui gesta pontificum Leodiensium,
t. 3, p. 225–227. Voir J. DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le XVe siècle,
Liège, 1887, p. 633–635. Il a existé, de ce texte, une version en langue vulgaire conservée dans
un manuscrit du couvent des augustins sur Avroy, à Liège. Cette version combine la liste des
reliques avec les jours d’ostension. Nous en avons retrouvé trois transcriptions : LIÈGE, BGPhL,
Manuscrits, ms. 780, fol. 287r (fin XVIe s.) ; ms. 1369, fol. 130v (XVIIe s.) ; ms. 1035, doc. 4 (XVIIIe s.).
128. Nous ne commentons ci-dessous que les reliques qui ont un lien direct avec l’histoire
du diocèse de Liège.
129. On identifie traditionnellement cette image avec l’icône byzantine conservée au trésor
de la cathédrale de Liège. J. PURAYE, L’icône byzantine de la cathédrale Saint-Paul à Liège, Revue
belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art, t. 9, 1939, p.193–200 ; P. COLMAN, Le trésor de la cathédrale
Saint-Paul à Liège, Liège, 1968, p. 35–37. Cette image de la Vierge revêtait une importance signi-
ficative : non seulement elle fut la première relique montrée, mais elle fut également portée en
procession lors des solennités de la Translation de saint Lambert. Elle pourrait être en rapport
avec la confraternité de Saint-Luc qui jouait un rôle important au sein de la cathédrale (voir
Cérémonial, fol. XIVr–v) et dont Henri ex Palude était sans doute membre (voyez le legs subs-
tantiel qu’il lui réserve : LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Secrétariat, 266, fol. 60r). Sur cette confraternité,
qui ne comprenait que des clercs de la cathédrale, É. SCHOOLMEESTERS, Jean de Moregny et la
confraternité de Saint-Luc, Leodium, t. 9, 1910, p. 37–46 ; t. 10, 1911, p. 135–136.
130. L’amict est une pièce du vêtement liturgique, de forme rectangulaire, que le célébrant
se met autour du cou avant de revêtir l’aube. Au Moyen Âge, cette pièce s’appelait également
humerale ou superhumerale (parce qu’elle couvrait les épaules). À partir du XIe siècle, on l’ornait
de broderies et parfois de pierres précieuses. V. ERMONI, Art. Amict, D.A.C.L., t. 1, 2, Paris, 1907,
col. 1597–1599.
364 P. BRUYÈRE

3. La châsse en cristal contenant plusieurs os de saint Remacle131, évêque et de saint


Hadelin, confesseur132 ; la châsse dorée contenant plusieurs os de saint Hubert133.
4. La châsse de sainte Madelberte134, nourrice et gouvernante de saint Lambert,
dans laquelle sont enfermés plusieurs os, le voile, la ceinture, la cuculle de la
sainte, ses tuniques et les ciseaux dont elle avait usage135 ; la châsse de saint
Materne, premier évêque de Tongres136, dans laquelle sont les ossements trans-
férés de Trèves à Liège en 842 par le doyen Oger, avec l’autorisation du pape
Étienne IV137.

131. Ancien abbé de Solignac, Remacle est le fondateur de l’abbaye de Stavelot-Malmedy,


vers 650. Voir VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 96–105 ; BERLIÈRE, Monasticon belge, p. 68–71 ; M. DE
SOMER, Art. Remaclo, B.S., t. 11, Rome, 1968, col. 96–98.
132. Disciple de Remacle, Hadelin, fondateur du monastère de Celles près de Dinant,
serait mort vers 690. Voir VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 120–125 ; A. D’HAENENS, Art. Adelino
di Celles, B.S., t. 1, col. 244–246 ; J. MEYERS, La Vita sancti Hadelini, Trésors d’art religieux au pays
de Visé et saint Hadelin, éd. M.G. BOUTIER, P. BRUYÈRE, Visé, 1988, p. 51–64. La châsse des saints
Remacle et Hadelin, abritant des reliques du maître et de son disciple, est mentionnée par
X. VAN DEN STEEN DE JEHAY, La cathédrale de Saint-Lambert et son chapitre de tréfonciers, 2e éd., Liège,
1880, p. 299–300. Comme à son habitude, cet auteur y ajoute des éléments de sa composition,
propres à enfler le prestige de l’institution. Dès la première édition, Essai historique sur l’ancienne
cathédrale Saint-Lambert à Liège et sur son chapitre de chanoines tréfonciers, Liège, 1846, p. 200–201,
il y narre notamment que la châsse aurait été exécutée par Thiry de Bry, sous l’épiscopat de
Georges d’Autriche (1544–1557). Sur la suspicion légitime qui pèse sur les travaux de Van den
Steen, voir R. FORGEUR, Sources et travaux concernant la cathédrale. Étude critique, Les fouilles
de la place Saint-Lambert à Liège, t. 1, Liège, 1984, p. 41–46.
133. Évêque de Tongres-Maastricht, Hubert fut le successeur immédiat de saint Lambert, du-
quel il ramena le corps de Maastricht à Liège, au plus tard en 718. Voir É. BROUETTE, Art. Uberto,
B.S., t. 12, col. 736–743 ; KUPPER, Leodium, p. 55–56 ; P. BERTRAND, Art. Hubert (saint), D.H.G.E.,
t. 25, Paris, 1995, col. 21–26.
134. Sainte Madelberte, fille de Vincent Madelgaire et de sainte Waudru fut abbesse au
monastère de Maubeuge, fondé par sa tante sainte Aldegonde. Elle est morte vers 705 ou
706 (VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 241–244 ; H. PIRENNE, Art. Madelberte (vierge), Biographie
nationale, t. 13, Bruxelles, 1894–1895, col. 22 ; M. DEVUYST, Art. Madelberta, B.S., t. 8, col. 473–474 ;
P. BERTRAND, Le dossier hagiographique de sainte Madelberte de Maubeuge, 2 vol., Mémoire de licence
en Histoire, Université de Liège, 1988–1989), et célébrée à la cathédrale de Liège par une fête
double, le 7 septembre. Ses reliques ont été placées dans un nouveau reliquaire au XIXe siècle,
dans lequel furent redécouverts plusieurs textiles, sous forme de fragments, datés du VIIe au
XIIIe siècle. Voir F. PIRENNE-HULIN, À la découverte des tissus de la châsse de sainte Madelberte,
Feuillets de la Cathédrale de Liège, fasc. 10, s.d.
135. Le trésor de la cathédrale de Liège conserve deux paires de forces à tondre qui auraient
été retrouvées dans sa châsse (IRPA 10069588 et 10069589).
136. Materne est attesté comme évêque de Cologne (mentionné en 313 et 314). L. FALKENSTEIN,
Art. Materno, B.S., t. 9, col. 85–89; S. WEINFURTER, Colonia (Köln), Series episcoporum, p. 7. Les
villes de Cologne, Trèves et Tongres se sont disputé la possession des restes du saint (BALAU,
Les sources de l’histoire de Liège, p. 127–128). Un chapitre secondaire, placé sous sa vocation, et
fondé en la cathédrale de Liège vers 1200 (voir supra n. 35), lui consacrait un culte particulier :
C. SAUCIER, les pratiques liturgiques au XIVe et au XVe siècle dans la cathédrale Saint-Lambert
de Liège, éd. B. VAN DEN BOSSCHE, La cathédrale gothique Saint-Lambert à Liège. Une église et son
contexte, Liège, 2005, p. 33.
137. Dans sa relation de la visite de la châsse, le narrateur avait déjà fait état de ce trans-
fert, sur la foi de l’inscription qui accompagnait les restes de saint Materne. L’histoire de cette
translation ne nous est pas connue. FALKENSTEIN, Art. Materno, col. 85–89, n’en parle pas, et
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 365

5. La châsse contenant le corps entier de saint Théodard, évêque de Tongres et


martyr138, et la majeure partie du corps de sainte Madelberte139 ; la châsse des
saints martyrs Pierre et Audolet, parents consanguins de saint Lambert qui furent
martyrisés, laquelle contient tous leurs os, à l’exception d’une tête de laquelle
ne subsiste que la mâchoire inférieure. Les os laissent apparaître en plusieurs
endroits les traces de leur martyre. Cette châsse contient également le corps de
saint Floribert, ancien évêque de Liège140.
6. Deux monstrances dorées, dans lesquelles sont visibles les reliques des douze
apôtres, des quatre évangélistes, des quatre docteurs de l’Église, de la croix de
saint André apôtre, de la pierre sur laquelle le Christ fut présenté au temple, de
la pierre sur laquelle s’assit la Vierge Marie lorsqu’elle était enceinte du Christ,
de la palme et de la tunique de saint Jean l’Évangéliste, des os et de la mitre de
saint Martin, des os de saint Nicolas, tous deux évêques, des os des confesseurs
Léonard, Gilles, Bernard et Jean-Chrysostome.
7. Un autel portatif contenant des os de la tête de saint Jean Baptiste ; d’autres
reliquaires dans lesquels sont, d’après les inscriptions, des reliques de l’éponge,
de la table, de la crèche et de la colonne du Christ.
8. La corde pleine de nœuds (corda nodosa) de saint Lambert, martyre et évêque141.
9. L’amict plein de sang dont était revêtu Lambert lors de son martyre142 ; une par-
celle du linge dont se ceignit le Christ, le jour de la Cène, avec lequel il essuya
les pieds de ses disciples.

montre bien l’histoire embrouillée de ce saint personnage. La main du XVIIe siècle (voir supra
n. 28) signale l’erreur faite par le scribe : Étienne a été pape en 816–817. C’est Grégoire IV qui
était pape en 842. La châsse de saint Materne contient également les restes de plusieurs autres
saints.
138. Prédécesseur immédiat de Lambert sur le siège de l’évêché de Tongres-Maastricht, ca
669/670. Voir VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 135–143 ; É. BROUETTE, Art. Teodardo, B.S., t. 12,
col. 209–211 ; KUPPER, Leodium, p. 53. C’est saint Lambert qui aurait transporté à Liège le corps
de son maître Théodard, en l’église paroissiale. L.F. GENICOT, Un groupe épiscopal mérovingien
à Liège ? Contribution à l’étude du transfert du siège épiscopal par saint Hubert, Bulletin de la
Commission royale des Monuments et des Sites, t. 15, 1964, p. 271.
139. Cet enchâssement a été fait en même temps que celui de Pierre et Audolet, si l’on en
croit Gilles d’Orval, Gesta episcoporum Leodiensium, p. 46. Grâce à M. PONTHIR, M. YANS, Note
sur une œuvre d’art disparue. La châsse de Saint-Théodard, Chronique archéologique du Pays de
Liège, t. 55, 1964, p. 1–8, nous savons qu’une nouvelle châsse en argent, partiellement dorée, a
été confectionnée par l’orfèvre Léonard de Bommershoven, qui l’acheva vers 1528. Cette châsse,
voulue par le prince-évêque Érard de La Marck, fut pour partie financée par le produit de la
vente de la maison d’Henri ex Palude (p. 3).
140. Filius egregius de saint Hubert, Floribert aurait succédé à son père spirituel à la tête de
l’évêché (ca 727–736/738). Voir A. D’HAENENS, Art. Floriberto, B.S., t. 5, col. 940–941 ; KUPPER,
Leodium, p. 56. Selon GILLES D’ORVAL, Gesta episcoporum Leodiensium, p. 46, son corps aurait
été élevé par Notger, et aurait bénéficié d’un tombeau de marbre blanc, placé sur l’autel de la
crypte de l’église nouvellement construite. On s’accorde pour y reconnaître la crypte orientale
qui subsista sous le chœur principal jusqu’au début du XIIIe siècle. Voir FORGEUR, Sources et
travaux, p. 53–54.
141. L’expression désigne le cordon avec lequel le célébrant serre l’aube à la taille.
142. Dans la perspective d’une réinterprétation des circonstances du martyre, la relique, en
tant que pièce de vêtement liturgique, établit ainsi que Lambert est mort tandis qu’il célébrait
la messe.
366
P. BRUYÈRE
Fig. 6. Lettre d’indulgence du cardinal-légat Julien de la Rovere, 3 juillet 1487, LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Chartes et cartulaires, 1093
© Liège, AÉL.
Cette scène marginale d’une lettre d’indulgence accordée, le 3 juillet 1487, par le cardinal-légat Julien de la Rovere à ceux
qui contribueront par des aumônes à la confection d’un buste reliquaire pour contenir le chef de saint Lambert montre un
reliquaire doré porté par deux clercs (voir n. 145).
LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE » 367

10. La partie supérieure de la tête de saint Lambert, avec des cheveux143.


11. Le voile (velum sive caputegumentum) de la bienheureuse Vierge Marie.
12. Le bois de la croix salvatrice de Jésus Christ.
13. La châsse de saint Lambert144, contenant les os vénérables de son corps glorieux
(fig. 6145) ; le bâton pastoral que, à l’heure même du martyre de saint Lambert,
l’ange du Seigneur présenta miraculeusement au pape Serge, le matin dans son
sommeil, en lui annonçant le martyre de saint Lambert, pour le remettre à saint
Hubert – lequel était en pèlerinage à Rome, en l’église Saint-Pierre – en signe
d’investiture à la tête de l’évêché de Tongres. Ce que fit le pape Serge, il remit le
bâton à saint Hubert en prière à Rome en l’église Saint-Pierre, et Hubert rapporta

143. La mention Caput gloriosi Martyris Lamberti, una cum capillis capiti suis a été complétée
en marge par la main du XVIIe siècle (voir supra n. 28), consciente de la synecdoque : testam
capitis (ut ex prescriptis hic patet) caput dictam ; accipiendo principem partem pro toto. La relique ne
comprend en effet pas l’intégralité du crâne, mais seulement la calotte occipitale, ainsi que l’a
montré la visite de la châsse faite le 29 août 1872 (DE CHESTRET, Les reliques de saint Lambert,
p. 16–17).
144. L’histoire de la conservation des reliques de saint Lambert, jusqu’au XVIIIe siècle, reste
à écrire. Nous attirons ici l’attention sur le fait que la confection de la châsse des saints Pierre
et Audolet, fin du XIIe–début du XIIIe siècle, est peut-être contemporaine de la châsse orfévrée
de saint Lambert. Citant Gilles d’Orval, DE CHESTRET, Les reliques de saint Lambert, p. 9, croit à
tort que la fierte de saint Lambert aurait perdu, dans l’incendie de 1185, ses plus belles pierres.
L’auteur des Gesta episcoporum Leodiensium, p. 111 parle en réalité du lectricium, c’est-à-dire de
l’ambon, et non de la châsse. L’obituaire de la cathédrale permet de soutenir cette hypothèse :
MARCHANDISSE, Obituaire, p. 19 (au 9 février, Commemoratio Johannis subdiaconi qui dedit ad opus
feretri beati Lamberti VI marchas), 124 (au 18 septembre, Commemoratio Theodorici de Vriheim decani
nostri qui dedit […] ad feretrum beati Lamberti IIII marchas Leodienses. Thierry de Friesheim est cité
comme archidiacre de Brabant de 1196 à 1198, fut doyen du chapitre en 1207–1208, et mourut en
1229). À une époque difficile à déterminer, la châsse a été placée sur un support en bois sculpté
et peint, et enfermée, avec d’autres reliques, dans un grand caisson aux parois amovibles, décoré
de pierreries et de perles. Jean d’Outremeuse précise que cette « fierte » était en cuivre doré, et
rattache son installation au transfert de la châsse dans le chœur oriental, le 28 avril 1319 (Ly
Myreur des histors, t. 6, p. 250). En attendant une étude approfondie, on lira DE CHESTRET, Les
reliques de saint Lambert ; É. SCHOOLMEESTERS, La fierte de saint Lambert en 1365, Leodium, t. 7,
1908, p. 3–7 ; J. YERNAUX, La grande châsse de saint Lambert, B.S.A.H.D.L., t. 27, 1936, p. 71–79
(cet auteur semble cependant confondre la châsse avec le coffrage).
145. L’image que nous reproduisons est probablement une représentation schématisée de la
châsse de saint Lambert. Placée sur un brancard que deux clercs portent aux épaules, celle-ci
repose sur une soierie ornée de trois blasons. Elle affecte la forme d’une châsse gothique dont
les longs côtés sont rythmés par une succession de six gâbles, ce qui pourrait correspondre avec
la description laissée par Louis Abry, selon lequel la châsse était un « coffre d’argent entouré
des douze apôtres » (L. ABRY, Revue de Liège en 1700, éd. S. BORMANS, B.I.A.L., t. 8, 1866, p. 282).
LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Chartes et cartulaires, 1093. Le style général peut être rapproché de la
châsse de sainte Marie d’Aix-la-Chapelle (ca 1210–1239). Voir H. LEPIE, Zur Konservierung
des Karlsschreins und des Marienschreins, Die gotische Chorhalle des Aachener Doms und
ihre Ausstattung, Petersberg, 2002, p. 285–287 ; ID., Châsse de Notre-Dame, dans H. LEPIE et
G. MINKENBERG, Le trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, Ratisbonne, 2010, p. 104–107.
368 P. BRUYÈRE

le bâton à Liège146 ; l’étole, le manipule, les gants, les sandales et les souliers de
saint Lambert147.
D’autres reliques, placées sur l’autel majeur, au-dessous de l’enclos de la châsse de
saint Lambert, dans la chapelle de Saint-Materne et dans la chapelle de Saint-Gilles148,
ne furent pas montrées en raison de leur trop grand nombre149.

146. Cette légende est une création littéraire du chanoine Nicolas (Vita Landiberti episcopi
Traiectensis, p. 425–426 ; VAN DER ESSEN, Étude critique, p. 51–52), qui aurait une justification
politique, selon ADAM, La Vie de saint Lambert du chanoine Nicolas, p. 75–76.
147. L’existence, dans le trésor, de ces « effets personnels » [deux amicts, dont l’un était
ensanglanté (reliques 1 et 9), le cordon (relique 8), ainsi que l’étole, le manipule, les gants, les
sandales et les chaussures (relique 13)] permet de suggérer que le chapitre a fait réaliser des
reliques historiques, soit vers 1143 lors de l’élévation du corps de saint Lambert – contemporaine
de la Vita écrite par Nicolas –, soit concomitamment avec la confection de la châsse au début
du siècle suivant (voir n. 144). Ce type de reliques, constituées d’objets familiers, cultuels ou
symboliques, est tout à fait caractéristique des XIe–XIIIe siècles. Pour un exemple typique, voir
R. DIDIER, Les reliques « historiques » de saint Hadelin. Corporal, gants, peigne liturgique et
étole, dans BOUTIER, BRUYÈRE, Trésors d’art religieux au pays de Visé et saint Hadelin, p. 201–209.
Les différentes contributions de Ornamenta ecclesiae. Kunst und Künstler der Romanik in Köln, t. 3,
Cologne, 1985, p. 19–202, sont, sur ce sujet, d’un grand intérêt.
148. Cette précision pourrait laisser entendre que la trésorerie n’abritait pas de reliquaires.
Celle-ci était alors située au Sud, au rez-de-chaussée de la grande tour : deinde ducitur (Louis de
Bourbon) sub turri magna propre thesauraria (Cérémonial, fol. XIr). Outre les joyaux, on y conservait
les livres et les ornements liturgiques (Cérémonial, fol. XIIr).
149. En 1483, de nombreux joyaux de la cathédrale furent mis en gage, au couvent des céles-
tins à Paris, en vue de garantir l’élection à l’épiscopat de Jean de La Marck. Ces objets précieux
ne furent restitués que le 28 octobre 1494 (DE RAM, Documents, p. 111 ; Chronique du règne de Jean
de Hornes, p. 491–492). Un seul reliquaire, explicitement désigné – une tête de saint Jean-Baptiste
présentant une ouverture permettant d’apercevoir les reliques – figure, parmi les biens mis en
gage, dans l’inventaire dressé par le notaire public (DE RAM, Documents, p. 717–723 ; BORMANS,
Répertoire, p. 59, cite un inventaire dressé en français par J. de Busco). Cette précision renforce
notre conviction que l’ex-voto en or offert par Charles le Hardi en 1471 à la cathédrale n’était
pas à l’origine un reliquaire. Dans cet inventaire, l’ex-voto ainsi que le socle qui lui sert de
support sont décrits avec une insigne précision, mais sans la moindre évocation de la relique.
P. BRUYÈRE, La plus ancienne représentation connue de l’ex-voto offert par Charles le Hardi à la
cathédrale de Liège (ca 1584), B.S.R.L.V.L., t. 14, 1999, p. 833–856. Pour un clerc du Moyen Âge,
il est impensable de désigner par le terme générique imago une pièce contenant une relique,
sans mentionner explicitement la présence de celle-ci.
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »

Fig. 1. Diptyque Palude, Martyre de saint Lambert, LIÈGE, Grand Curtius,


A 10 a/b © Liège, Grand Curtius.
Œuvre anonyme commandée entre 1489 et 1495 par Henri ex Palude,
chantre de la cathédrale de Liège
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »

Fig. 2. Diptyque Palude, Martyre de saint Lambert, détail, LIÈGE, Grand


Curtius, A 10 a/b © Liège, Grand Curtius.
Le chanoine Henri ex Palude, en habits de chœur avec l’aumusse sur le
bras gauche, et tenant en mains le bâton cantoral reçu en 1488
de son prédécesseur.
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »

Fig. 3. Chef-reliquaire de saint Lambert, sixième niche, LIÈGE, Trésor de la


cathédrale, © Bruxelles, Kik-Irpa.
Cette sixième niche illustre la vénération des reliques de saint Lambert
et réfère, selon toute vraisemblance, aux grandes cérémonies de 1489 qui
sont encore dans toutes les mémoires.
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »

Fig. 4. Chef-reliquaire de saint Lambert, troisième niche, LIÈGE,


Trésor de la cathédrale, © Bruxelles, Kik-Irpa.
La troisième niche illustre la scène du meurtre de saint Lambert. Les deux
parents, Pierre et Audolet, sont associés au martyre, tandis qu’ils servent,
comme diacre et sous-diacre, la messe que saint Lambert célèbre.
La scénographie est très proche de celle du « diptyque Palude ».
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »
Fig. 5. J. DENEUMOULIN († ca 1850) (attribué à), Dessin aquarellé,
LIÈGE, Université, Collections artistiques, no 3044, © Liège, Université, Collections artistiques.
Vue de la face septentrionale de la cathédrale Saint-Lambert de Liège à la fin du XVIIIe siècle. On distingue encore,
à droite du portail, des constructions accolées, comme au Moyen Âge, à la chapelle de Saint-Materne,
et qui faisaient partie des espaces claustraux.
P. BRUYÈRE – LE MARTYRE DE SAINT LAMBERT DU « DIPTYQUE PALUDE »
Fig. 6. Lettre d’indulgence du cardinal-légat Julien de la Rovere, 3 juillet 1487, LIÈGE, AÉL, Cathédrale, Chartes et cartulaires, 1093
© Liège, AÉL.
Cette scène marginale d’une lettre d’indulgence accordée, le 3 juillet 1487, par le cardinal-légat Julien de la Rovere à ceux
qui contribueront par des aumônes à la confection d’un buste reliquaire pour contenir le chef de saint Lambert montre un
reliquaire doré porté par deux clercs (voir n. 145).

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