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Histoire Du Droit

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Introduction

L’ensemble des droits européens sont issus des droits antiques. L’histoire de nos systèmes juridiques
commence avec l’histoire de Rome. De nos jours, on considère qu’il y a 3 ou 4 principales sources de
droit : la loi (textes à portée générale votés par le Parlement qui émanent de la volonté populaire), la
jurisprudence (décisions rendues par les tribunaux dans un cas particulier : le juge élabore des
solutions nouvelles en adaptant la loi ; ces jurisprudences peuvent être à nouveaux appliquées par
d’autre juges dans des circonstances similaires), la coutume (ensemble des règles spontanément
acceptées par la société qui revêtent un aspect obligatoire ; a une importance moindre de nos jours,
on lui reconnait de l’importance lorsqu’elle ne s’oppose pas à la loi), et la doctrine (opinions et
analyses émises et développées par des spécialistes sur telle ou telle questions ; n’est plus considéré
comme source de droit de nos jours mais certaines idées sont admises et prises en compte par le
juge).

Ces 4 sources existaient déjà dès l’Antiquité, mais leur importance était différente.

Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés à notre situation actuelle ?

Les historiens distinguent 4 périodes dans l’Histoire : l’Antiquité (-3000 avec l’apparition de l’écriture
à 476 avec la chute de l’empire romain), le Moyen-Âge (476 jusqu’en 1492 avec la découverte des
Amériques par Christophe Colomb), les Temps-Modernes (1492 à 1789 avec la Révolution Française)
et l’Epoque Contemporaine (depuis 1789).

Ces périodes sont des conventions faites par les historiens, il faut savoir les dépasser, elles ne collent
pas parfaitement aux déroulés des faits historiques en matière de droit français. Le territoire qu’on
appelle la France n’apparait pas comme tel avant le 9-10 ème siècle. Le royaume de Francia ne se
dessine qu’à partir du 10ème siècle, lorsque qu’explose l’empire carolingien. Il n’y a pas donc pas de
droit français avant (au sens territorial du terme). Mais il existait déjà sur ce territoire des règles
juridiques qui se rattachent à plusieurs civilisations, et qui ont contribué à ce que se forme une
tradition juridique française.

Entre -50 avec la conquête de la Gaulle, et la chute de l’empire romain, les territoires ont été
imprégnés par la culture latine. Ensuite elle a été soumise à d’autres cultures et usages.

Partie 1 : L’émergence de la France


Titre 1 : L’Antiquité Romaine
De la colonisation de la Gaulle à l’effondrement de l’empire romain, 5 siècles se sont écoulés. Durant
ce laps de temps, le territoire qui est aujourd’hui la France a subi de profondes mutations. Du point
de vue du droit, ces territoires ont subi deux influences : une influence romaine car les Romains ont
implanté leurs institutions, et une influence chrétienne car le christianisme se répand dans l’empire

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romain eu 4ème siècle. En 380 il devient religion d’Etat. Ces chrétiens se dotent d’institutions
particulières, qui donnent naissance à un véritable droit, le droit canonique.

Chapitre 1 : le droit romain, origine et développement


Il est à l’origine du droit européen. Il s’est constitué de manière progressive dans un cadre politique
qui a connu de très nombreux changements. Rome apparait dans l’histoire au 8 ème siècle, la cité
aurait été fondé en -753 par Remus et Romulus. On sait que cette date est légendaire, le site de la
ville de Rome existait bien avant. Les Etrusques ont fondé une royauté à Rome, limité à la cité. Elle
passe ensuite d’une modeste cité à un empire gigantesque. Elle connait différents régimes
politiques : la royauté qui dure jusqu’en -509, date à laquelle elle est remplacée par une République.
Ces institutions républicaines ne sont plus adaptées à un territoire aussi immense (du Maghreb
jusqu’à l’Angleterre et de l’océan Atlantique à la République Tchèque. Progressivement, le pouvoir
évolue vers un pouvoir personnel. En -27, la République est remplacée par un empire qui s’achève
en Occident en 476, il persiste en Orient jusqu’en 1453, mais s’il est d’usage de s’arrêter en 565, date
de fin de règne du dernier empereur romain d’Orient qui utilisa le latin comme langue officielle,
Justinien. Au cours de cette période, le droit a évolué pour s’adapter à la société.

Les historiens du droit distinguent 3 grandes périodes : l’ancien droit romain (8 ème au 2ème siècle avant
JC), le droit classique (du 2 ème siècle avant JC au 3ème siècle) et le droit postclassique ou du bas-empire
(4ème au 6ème siècle).

I – L’ancien droit romain

Il connait une première période à l’époque royal mais se développe principalement à l’époque
républicaine.

1) Le droit et la loi à l’époque royale

Aux premiers temps de Rome, le droit plonge ses racines dans la religion mais par rapport à d’autres
sociétés, ils se sépareront rapidement. Cette séparation est l’œuvre des pontifes qui, pendant
plusieurs siècles ont détenu à la fois la connaissance du droit et de la religion. Ils forment un collège,
avec à leur tête un chef, le grand pontife. Ancien droit et religion romaine ont été dirigés par ces
hommes, avec comme objectif principal d’être efficace. Cela supposait un partage des taches. A la
religion est assignée la tache de maintenir la paix entre les dieux et les hommes, et les règles
concernant cette religion seront désignées sous l’appellation de Fas. Le rôle du droit est de maintenir
la paix entre les hommes, les termes du droit seront désignés sous le terme de Jus. Ce droit va être
exprimé par la loi (lex qui vient du latin legere qui veut dire lire). Au départ, la loi qui exprime le droit
est une lecture publique faite à haute voix. Elle a un double but : c’est une mesure de publicité du
droit, mais elle a également un rôle de solennité qui est nécessaire pour la validité de la loi. C’est un
acte unilatéral qui n’émane que du détenteur de l’autorité et qui ne requiert aucune approbation
populaire. C’est sous la République que le peuple va intervenir dans l’élaboration de la loi.

2) Les sources du droit à l’époque républicaine

A la fin du 6ème siècle avant notre ère, les rois étrusques prennent l’habitude de gouverner en
s’appuyant sur le petit peuple. Elle va être très mal supportée par l’aristocratie composée de
propriétaires terriens qui se disent descendre des pères fondateurs de la cité. Le dernier roi
étrusque, Tarquin le superbe est chassé en -509. A ce moment-là se met en place un régime dans
lequel le gouvernement est la chose public (res publica), c’est donc la République. Elle n’a jamais été

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une démocratie, c’est un mélange entre les magistrats (ceux qui exercent une fonction publique), le
Sénat et le peuple qui s’exprime à travers différentes assemblées. Le pouvoir suprême, Imperium, est
détenu par 2 hommes, les consuls qui sont choisis pour un an par le Sénat.

L’essentiel du droit repose toujours sur d’anciens textes au moment de la mise en place de la
République, textes dont la connaissance est réservée aux pontifes.

A) Les sources fondatrices du droit : la loi des 12 tables (-459 à -450)

Elle résulte de l’opposition entre 2 groupes sociaux qui se partagent la cité, les Patriciens et les
Plébéiens. En dépit de son nom, cette République romaine est une oligarchie (oligoi), ce qui signifie
le gouvernement de quelques-uns. Ces quelques-uns se considèrent comme les meilleurs, cette
République est en fait un régime aristocratique dans lequel le pouvoir est aux mains d’un seul groupe
social, les Patriciens. Ce sont eux qui peuvent prétendre à l’exercice des magistratures et au
sacerdos, les seuls qui ont accès aux fonctions publiques et religieuses.

Pendant 1 siècle et demi, cette République va connaitre de grandes tensions qui donnent lieu à des
affrontements entre Patriciens et Plébéiens. Cette opposition concerne notamment l’exercice de la
justice, car la connaissance du droit était le monopole des pontifes, des patriciens qui tenaient cette
connaissance secrète. Ces pontifes étaient soupçonnés de collusion avec les magistrats chargés de
l’exercice de la justice, des patriciens également. Les patriciens avaient donc le monopole de la
connaissance et de la sanction du droit. On leur reprochait de se servir du droit au privilège de leur
ordre et de leurs intérêts. Le caractère secret du droit prédisposait à l’arbitraire. La Plèbe va
s’insurger et réclamer la divulgation du droit. A partir de -462, les plébéiens demandent chaque
année des lois écrites permettant de borner l’arbitraire des magistrats. En -451, les patriciens sont
obligés de céder et mettent en place un collège de 10 magistrats, les décamicir, chargés de rédiger
des lois. La même année, 10 tables sont rédigées, et l’année suivantes 2 sont ajoutées  : c’est la
naissance de la loi des 12 tables. Elle a pour objet de prendre en compte un certain nombre de
situations concrète et de donner au citoyen romain la possibilité de faire sanctionner en justice ces
situations. Elle se compose d’une centaine de règles pour des cas très précis. Le droit repose sur une
loi écrite, connue de tous et qui s’impose à tous, magistrats compris. Chaque fois que les conditions
énoncées par la loi des 12 tables seront réunies, n’importe quel citoyen pourra demander au consul
l’ouverture d’un procès, ce que ce dernier ne pourra refuser. Cette loi consacre l’égalité juridique
des citoyens et met un terme à l’arbitraire dans l’exercice de la justice, le magistrat est lié par la loi.

Cette loi ne concerne que des cas particuliers, donc la survenance de situations nouvelles non prises
en compte par la loi des 12 tables entraine le développement d’autre sources de droit.

B) Les sources créatrices de droit sous la République

1) Les lois demandées et les lois données

La rédaction de la loi des 12 tables ne fixe pas le droit romain, il continue à évoluer : face à des
situations nouvelles, il faut poser des nouvelles règles. C’est le peuple qui va pourvoir à fixer ces
règles au cours de réunions. Ces lois sont appelées lois votées ou demandées car c’est le vote qui est
demandé au peuple par les magistrats. Ce sont les plus nombreuses à l’époque républicaine. Un
projet de loi est émis par les magistrats, l’initiative de la loi lui appartient. Le projet est porté à la
connaissance des citoyens, puis est affiché pendant 3 marchés successifs, de façon à ce que les
citoyens puissent en avoir la connaissance et en discuter au cours de réunions, les contiones. Ils
proposent des modifications à l’auteur du texte, que celui-ci peut décider d’amender ou non. Arrive
le jour du vote, où le magistrat lit le projet définitif et demande aux citoyens de se prononcer par oui

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ou non. S’il y a une majorité favorable, le magistrat qui préside l’assemblée promulgue la loi par une
déclaration solennelle, la renunciatio. La loi est ensuite gravée sur une table de marbre et affichée
dans un lieu public pour que tout le monde puisse la connaitre ; un exemplaire de celle-ci est
également déposé dans le temple de Saturne pour être conservé avec le trésor de la cité.

Il y a un autre type de loi, les lois octroyées ou lois données : ce sont des lois qui sont accordées par
les magistrats de leur propre initiative, dans certaines circonstances exceptionnelles. On les doit
généralement à un général victorieux ou à un magistrat à la suite de la conquête d’un nouveau
territoire, ces lois ont pour but d’organiser les provinces conquises. Globalement, elles interviennent
le plus souvent dans un domaine administratif. Mais qu’il s’agisse des lois demandées ou octroyées,
toutes présentent des caractéristiques communes : leur non-rétroactivité (pour l’avenir) et leur
perpétuité (pas de désuétude, la loi récente déroge à la plus ancienne), tout comme lois actuelles.

2) La divulgation des règles de droit

En 450-449, les Romains ne sont pas allés au bout des exigences démocratiques, mais la mise en
œuvre des principes du droit, nécessite le respect d’un calendrier judiciaire qui était dicté par des
considérations religieuses, mais également la connaissance de formules très précises. Les 12 tables
n’ont dévoilé ni l’un ni l’autre, on connait ses droits mais on ne sait pas comment les mettre en
œuvre. Ces formules et le calendrier restaient à la seule connaissance des pontifes qui déterminaient
les jours où l’on pouvait plaider, les jours fastes (au contraire des jours néfastes ou c’était
impossible). Les pontifes gardent également la main sur la procédure car ils connaissent les formules
rituelles à employer dans les procès. Ils vont chercher à conserver leur monopole en bloquant la
diffusion de ces formules. Cela a soulevé des plaintes de la part des justiciables, qui étaient
tributaires des pontifes. Dans les années -312, un scribe, Cneus Flavius, secrétaire du grand pontife,
Apius Claudius Caecus, va divulguer les formules judicaires et dévoile le calendrier judiciaire en -304.

A partir de ce moment, là, le public dispose d’un texte sur, des formules et du calendrier, il devient
possible d’intenter un procès sans recourir au pontife, l’interprétation du droit va très rapidement
échapper à ces pontifes.

II – Le droit classique romain (2ème siècle avant JC siècle, au 3ème siècle)

Il se forme à l’époque la plus brillante de la civilisation romaine. En quelques siècles, la cité romaine,
après avoir soumis l’ensemble de l’Occident, finie par conquérir l’ensemble de l’Orient. Dans le
même temps, l’organisation politique de Rome se transforme. Au 1 er siècle avant JC, la République se
détraque, avec l’apparition de guerres civiles et de dictatures successives (en cas de révolution, sur
proposition du Sénat et par celui-ci, est désigné pour une durée qui ne peut pas excéder 6 mois, une
personne à laquelle ils confient la totalité du pouvoir, le dictateur ; pendant la durée de ces fonctions
tous les magistrats doivent obéissance à celui-ci). Le dernier dictateur est César après avoir conquis
la Gaule. Il est assassiné en mars 44 après avoir tenté de rétablir la monarchie à son profit.

Par testament, il institue son neveu Octave qui devient son fils adoptif et donc l’héritier de sa
puissance. A partir de ce moment, s’ensuit une lutte pour le pouvoir, opposant Octave et Marc-
Antoine, lieutenant de César. Cette rivalité est le témoignage d’un conflit entre 2 civilisations, Octave
incarnant l’Occident latin, Marc-Antoine représentant l’Orient grec. Marc-Antoine perd cette
confrontation, et Octave devient le maitre du monde romain. Il se fait élire chaque année au consulat
à partir de 31, et cumule différentes magistratures. En 27, il réalise le principa, car il était soupçonné
d’aspirer à la royauté, il assoit ainsi son pouvoir avec une légitimité républicaine indiscutable : il
abandonne tous ces pouvoirs, qu’il remet à la disposition du Sénat et du peuple de Rome. Il s’agit
d’un simulacre de démission car le Sénat ne peut pas accepter cette décision sous peine de nouvelle

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guerre civile. Le Sénat le supplie donc de conserver le pouvoir et lui attribue des pouvoirs
supplémentaires, l’Imperium proconsulaire. Après un an, un consul était nommé proconsul pendant
un an supplémentaire et devenait gouverneur de province. Dans le cas d’Octave, il est donné sans
précision de temps et de lieu : il dispose de l’autorité suprême sur l’empire romain.

Le Sénat attribue également l’auctoritas (vient d’augere = augmenter) qui a pour but d’augmenter
l’efficacité d’un acte juridique en lui conférant une autorité supérieure. A partir de ce moment,
toutes les décisions d’Octave deviennent supérieures à toutes les autres : Octave devient Auguste (=
porteur d’auctoritas), il est placé au-dessus du commun des mortels, c’est le premier des magistrats
de la République (le prince). Il ne se présente pas comme un monarque, c’est pourquoi l’on appelle
cette période principa. Auguste se présente comme continuateur de la République. En réalité, ce
régime marque le point de départ d’une monarchie impériale, qui va rapidement se transformer en
monarchie absolue. Dès le 3ème siècle, la fonction d’empereur et l‘empereur deviennent sacré,
l’empereur est appelé Dominus (=maitre). Cette période est le domina. L’empereur va éliminer tous
les pouvoirs concurrents du sien. A partir du 4ème siècle, lorsque Constantin se convertit au
christianisme, on passe même à une monarchie absolue de droit divin. Une deuxième capitale est
créée, Constantinople, qui deviendra la capitale de l’empire romain d’Orient.

L’évolution du droit romain suit l’évolution des institutions de la cité. Les anciennes sources de droit
vont décliner, se transformer, et de nouvelles sources de droit vont apparaitre.

1) Le déclin des anciennes sources de droit

A partir du 2ème siècle avant JC, la loi des 12 tables reste la première source de droit, mais elle ne
suffit pas à répondre à toutes les situations juridiques, d’où les lois octroyées et données. Avec la
disparition de République et l’évolution du pouvoir royal, le rôle des assemblées populaires va avoir
tendance à se réduire de plus en plus, ce qui entraine la disparition de lois votées (la dernière date
de 96-98 après JC). Lorsque le régime impérial s’installe définitivement, la loi n’émane plus que de la
seule volonté du prince. Il devient, à ce moment-là, la source unique du droit. Mais la transition vers
ce triomphe impérial va se faire par une source particulière de droit.

2) Une source transitoire : les senatus-consultes

Ce sont des décisions prises par le Sénat, un collège aristocratique, qui a un rôle considérable sous la
République. C’est une assemblée de sages, une sorte de conseil de gouvernement, qui donne son
avis sur toutes les grandes affaires politiques. Il doit administrer les finances, préparer la guerre,
décide du statut des pays conquis et peut également servir de haute cour de justice. A la fin de la
République, le Sénat prend l’habitude formuler des règles, les senatus-consultes. Il en laisse
l’application à ceux qui exercent des fonctions publiques. Ce sont des conseils, dépourvus de
caractère obligatoire, mais le magistrat qui reçoit un avis du Sénat, compte tenu de l’autorité de
celui-ci, est tenu de le respecter. Paradoxalement, plus le pouvoir de l’empereur s’affirme, plus le
pouvoir politique du sénat décroit, et la valeur des senatus-consultes augmente. Au début de
l’empire, c’est l’empereur qui nomme la plupart des sénateurs, le Sénat devient une sorte d’organe
législatif au service de l’empereur. L’empereur, en personne ou représenté, prononce devant le sénat
un discours, une oratio, dans lequel le prince prie le sénat de prendre telle ou telle mesure. En
réalité, cette prière est un ordre et les sénateurs se contentent d’avaliser la décision du prince en lui
donnant la forme juridique d’un senatus-consultes. Ce système culmine au 2ème siècle sous le règne
d’Hadrien. A partir du 3ème siècle, le pourvoi royal s’achemine vers l’absolutisme et l’empereur n’a
plus besoin de se cacher derrière le Sénat, les senatus-consultes disparaissent donc. Entre temps,
d’autres sources de droit se sont développées.

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3) Une source en expansion : la doctrine ou jurisprudentia

Ce que les romains appellent jurisprudentia n’a rien à voir avec la jurisprudence d’aujourd’hui. En
droit français contemporain, c’est la décision des tribunaux qui peut acquérir l’autorité de précédent.
A Rome, au Moyen-Âge et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, il définit la science du droit, ce que l’on
appelle aujourd’hui la doctrine.

A) Le développement de la doctrine

Le droit était réservé aux pontifes dans la Rome antique. Au milieu du 3 ème siècle avant JC, les
premiers jurisconsultes apparaissent. En -254, le collège des pontifes s’ouvre aux plébéiens et le
premier grand pontife d’origine plébéienne, Tibérius Coriuncanius, va innover, en autorisant des
auditeurs à ses consultations juridiques. A cette occasion, il rend sa décision mais en profite pour
expliquer oralement les raisons qui la motivent. Désormais, on connait les règles de droit, on connait
également les règles de la justice, et enfin, on connait également les formules à prononcer : le droit
est complétement divulgué, ce qui fait disparaitre le monopole des pontifes. Les premiers juristes
laïcs (= non pontifes) apparaissent. Le monopole de la science du droit passe des pontifes aux
grandes familles de la noblesse romaine. Les candidats aux magistratures vont devoir se former une
clientèle politique, ils vont donner des consultations juridiques pour se former cette clientèle. Cette
pratique va contribuer à laïciser le droit et est à l’origine de la naissance de la science juridique
romaine. A partir du moment où le monopole du droit échappe aux pontifes, le monde de l’humain
et le monde du divin sont séparés et il ne peut pas y avoir de conflit à propos d’une quelconque
hiérarchie de l’un sur l’autre : le droit est séparé de la sphère religieuse, il peut être analysé,
modifié, critiqué, sans que cela ne soit ressenti comme un sacrilège ou comme une atteinte à l’ordre
divin. Cette séparation est un apport essentiel de Rome au monde occidental.

Ces juristes sont de plus en plus souvent des fonctionnaires sous l’empire, qui sont entièrement
dévoués aux services du prince, payés par lui, et qui assurent la totalité des fonctions publiques.

B) Les méthodes de pensée et les écoles

Il n’y a pas d’école de droit à Rome, les juristes sont formés auprès d’un juriste de renom, dans une
sorte de stage. La formation est essentiellement pratique, il n’y a pas de théorie juridique. Il existe
malgré tout un certain nombre de cercles intellectuels, les écoles de pensée. Au début de l’empire on
en distingue 2 qui s’opposent : les sabiniens et les proculiens. Ils doivent leur nom à 2 juristes,
Sabinus et Proculus. Sabinus passe pour avoir été plutôt conservateur, les sabiniens sont donc
considérés comme défenseurs du droit stricte, de l’application rigoureuse des règles anciennes.
Proculus était plutôt novateur, les proculiens étaient donc partisans de l’innovation, de la souplesse
dans la règle de droit. Cette opposition a produit un travail intellectuel qui a fait progresser la science
juridique romaine, car ces juristes ont une double activité : ils collaborent à l’application du droit en
donnant des consultations, en étant juges (praticiens du droit), mais dans le même temps ils
composent des œuvres de doctrine essentiellement consacrées au droit privé. Certains de ces
juristes vont être appliqués par la philosophie grecque, la morale… A partir de ce moment-là, ils se
détachent de la simple pratique du droit pour commencer à élaborer un début de théorie du droit.

Ces juristes vont faire de ce droit un objet de réflexion en élaborant un certain nombre de définitions
et en entreprenant des classifications. Ainsi, vers 200 après JC, Ulpien, va donner la première
définition de ce qu’est le droit naturel. En même temps que ces définitions étaient élaborées, les
juristes romains inventent des classifications, dont la plus célèbre est celle de Gaius, un juriste du 2 ème
siècle, qui est l’auteur d’un manuel à l’usage des étudiants, les Institutes, en 160. Dans cet ouvrage, il
organise le droit en grandes catégories qu’il va ensuite subdiviser. Il distingue le droit commun

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(=propre à tous les hommes) et le droit civil (=propre à chaque cité). Au sein de ce dernier, il fait une
distinction entre le droit public et droit privé. Il opère une distinction au sein du droit privé entre
personnes (acteurs du jeu juridique), choses (enjeu de l’activité juridique) et actions (moyens
juridiques par lesquelles les personnes demandent à la justice de dire le droit = procédure civile). Ce
plan des Institutes, produit en 160, sera repris 16 siècle plus tard, par les rédacteurs du Code Civil, et
il n’est toujours pas désavoué de nos jours. Progressivement, on assiste à un foisonnement de la
doctrine. Face à ce foisonnement, quel est la valeur juridique de cette doctrine ?

C) La valeur de la doctrine : le droit de répondre publiquement

A Rome, quiconque connait le droit peut répondre à qui vient le constituer. Sur un même point de
droit, les opinions peuvent diverger, quelle autorité accorder à des opinions divergentes  ? Auguste a
décidé d’accorder le Jus Publice Respondendi ou droit de répondre publiquement. C’est un privilège
que l’empereur accorde à un certain nombre de juristes qu’il choisit librement. Les juristes munis de
ce droit vont pouvoir faire figurer sur leurs consultations, la mention ex auctoritate principis (= par
l’autorité du prince). A partir du 2 ème siècle, l’empereur Hadrien va décider que, lorsque sur un point
de droit, les réponses des juristes titulaires du droit de réponse publique concordent, le juge sera
tenu de respecter cette opinion. L’opinion des juristes, la doctrine donc, devient une source de
droit.

Cela induit 2 choses : le poids pris par les juristes dans la cité, et l’importance que l’empereur leur
reconnait. On constate l’emprise croissante du pouvoir étatique sur le droit, car, si l’empereur
confère le droit de répondre publiquement, il s’octroie par là-même le contrôle du développement
de la doctrine. Cette doctrine ne sera plus source de droit que lorsque l’empereur le décidera.
D’autres sources de droit apparaissent en même temps.

4) L’apparition de nouvelles sources de droit

Elles sont constituées par les édits des magistrats et constitutions impériales. L’apparition de ces
sources nouvelles est liée à l’évolution des institution politiques romaines.

A) Les édits des magistrats

On ne les retrouve dans aucun autre système juridique. C’est le droit édictal ou prétorien

1) L’origine du droit édictal ou prétorien

Les juristes romains l’opposent au droit civil (ancien droit propre aux citoyens romains qui est
composé des textes de la loi des 12 tables, des lois demandés et octroyées, des senatus-consultes et
des interprétations qu’en fait la doctrine). Pour expliquer l’apparition du droit prétorien, il faut savoir
qu’à Rome, lorsqu’un citoyen doit agir en justice, il doit d’abord se présenter devant un magistrat et
exprimer sa demande, mais la situation du demandeur est prise en compte par le droit uniquement
s’il existe une procédure judiciaire pour la sanctionner. Ces procédures sont orales, formalistes et
consistent en le prononcé de paroles solennelles et en l’accomplissement de certains gestes. Le
magistrat contrôle alors la demande, et si elle respecte les règles de forme, il désigne un juge qui
sera chargé de trancher le litige. Si la prétention d’un plaideur ne s’inscrit pas dans le cadre
formaliste de la procédure, il ne peut pas obtenir satisfaction, car l’erreur le plus minime rompt
irrémédiablement la procédure, et car on ne peut pas agir 2 fois pour la même cause. Avec le
développement de l’empire, de nouveaux litiges apparaissent, qui ne sont pris en compte ni par la loi
des 12 tables, ni par les lois votées ou demandées.

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Par exemple, le droit civil romain est inaccessible aux étrangers, ils ne peuvent s’en prévaloir. Ce
système pouvait fonctionner tant que Rome était limité à une cité. Avec l’expansion des conquêtes
romaines, de plus en plus de non citoyens vivent en territoire romain. Ils ont des conflits juridiques
mais rien n’est prévu dans ces situations. Pour remédier à cela, dès la fin du 2 ème siècle avant JC,
certains magistrats se voient décerner la responsabilité de livrer des nouvelles voies de droits. Ils sont
3 : le préteur (maitre de l’organisation de la justice), l’édile curule (chargé de la police de la cité), et
le gouverneur (administre un territoire conquis par Rome). Dès qu’un de ces magistrats entre en
charge pour un an, il rédige une sorte de programme de ce que sera son activité. On y trouve
notamment des formules d’actions en justice que le magistrat promet de délivrer aux plaideurs, c'est
à dire que ce magistrat peut créer du droit en protégeant de nouvelles situations juridiques. Ces
formules sont accordées principalement par le préteur, c’est pourquoi on parle de droit prétorien.
On parle de droit édictal car ce droit est contenu dans un texte, l’édit du préteur.

Le champ d’application de ce droit prétorien est beaucoup plus large que celui du droit civil et il va
permettre d’étendre l’application du droit romain aux non romains. En -77,-78, le nouveau préteur,
Octavius, décide d’introduire une formule d’action qui prive d’efficacité tout ce qui sera accompli
sous la contrainte. Le contexte politique est alors troublé et violent, et de nombreux citoyens ont vu
leurs biens confisqués par la force, par des voisins cupides et peu scrupuleux, et n’avait aucun
recours en justice possible. Le préteur dit qu’il ne tiendra pas pour valable ce qui a été fait par
crainte. En promettant une action, le magistrat créé un droit puisqu’il reconnait que telle situation
qu’il détermine sera, dorénavant, juridiquement protégée. Il transforme une situation de faits en
une situation de droit. Ce droit prétorien ne va cesser d’évoluer, il s’adapte et va permettre un
profond renouvellement du droit romain. Là encore, avec le temps, ce droit prétorien va finir par se
fixer.

2) La formation de l’édit perpétuel

Le magistrat qui détient le droit édictal, lorsqu’il rentre en charge, n’est pas tenu par les promesses
de ses prédécesseurs, chaque nouveau préteur peut modifier l’édit de son prédécesseur en ajoutant
ou en supprimant des dispositions. En pratique, pour des raisons de simplification, l’habitude va être
prise par chaque nouveau préteur, de renouveler les dispositions de l’édit du préteur précédent.
Cet édit va avoir tendance à se stabiliser, c’est ce qu’on observe au milieu du 1 er siècle. Il va même se
figer peu à peu, les préteurs vont se contenter de recopier les anciennes prescriptions sans rien y
ajouter.

Constatant cette situation au début du 2ème siècle, Hadrien demande à Julien de procéder à la mise
en ordre de l’édit du préteur et d’en donner une version définitive, l’édit perpétuel. Là encore, cette
stabilisation de l’édit est due aux évolutions des instituions politique romaines. Au moment où l’édit
se fige, le pouvoir impérial atteint son apogée et se transforme en monarchie absolue, et l’empereur
se débarrasse progressivement des institutions républicaines. Les lois votées par le peuple ont
disparu, les senatus-consultes s’effacent, la doctrine est contrôlée et les préteurs perdent leur
privilège de créer du droit. Les sources du droit se tarissent. L’empereur prend la relève au travers de
la législation impériale.

B) Les constitutions impériales

Ce mot n’a pas le même sens qu’aujourd’hui. A Rome, une constitution est un texte normatif qui
émane de l’empereur.

1) Origine et caractère généraux

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L’apparition des constitutions impériales est liée à la transformation politique romaine. Durant 1 er
siècle après JC, les successeurs d’Auguste agissent prudemment, ne font qu’un usage limité du
pouvoir législatif. A partir du 2ème siècle, il s’intensifie au moyen des constitutions impériales. Elles
sont assimilées par les juristes aux anciennes lois votées qui ont disparu sous l’empire. Par voie de
conséquence, le terme de lex qui les désignait ne désigne plus rien. Ce terme va être repris par les
juristes pour désigner les constitutions impériales. Des juristes comme Pomponus expliquent que ces
constitutions tiennent lieu de loi. Au 3ème siècle, Ulpien affirme qu’une constitution impériale a la
même autorité que la loi. Il forme un adage : quod principi placuit leges habet vigorme (= ce qui plait
au prince a force de loi) ; cela est possible car le peuple romain, qui autrefois était titulaire du
pouvoir législatif, a expressément délégué ce pouvoir à l’empereur en lui accordant l’Imperium.
L’empereur apparait directement comme source créatrice de droit et les constitutions impériales
deviennent de véritables sources de droit.

Avant d’être promulguées, ces constitutions sont élaborées par le conseil impérial, composé de
juristes. Techniquement, ces constitutions sont l’œuvre de juristes, mais elles sont promulguées par
le prince, et placées sous son autorité. Ces constitutions font l’objet de publication par voie
d’affichage public, et sont également déposées aux archives impériales.

2) Les différentes sortes de constitutions impériales

D’un point de vue juridique, les plus importantes sont les édits impériaux. Ce sont des prescriptions
générales applicables à tout l’empire ou à une catégorie de personnes ou à un territoire de l’empire.
Les édits impériaux sont très différents des édits des magistrats car ils n’interviennent pas
nécessairement lors de l’entrée en fonction de l’empereur mais à n’importe quel moment du règne.
D’autre part, ils ne sont pas limités dans le temps, ils sont pris pour une durée indéterminée et ne
sont susceptibles d’être abrogés que si une nouvelle législation vient les remplacer.

En dessous des édits, on trouve les décrets impériaux (vient de decretum = décision d’un magistrat).
A l’époque classique, ce sont des jugements qui sont théoriquement rendus par l’empereur, mais,
concrètement, ils sont rendus par le conseil impérial. Comme toujours et comme tout jugement, ils
n’ont donc de valeurs que pour l’affaire à propos de laquelle ils ont été rendus ; en raison du prestige
de l’empereur, au nom de qui ils sont rendus et en raison de leur qualité, ces jugements vont jouir
d’une très grande autorité, et vont très fréquemment être invoqués dans des affaires analogues. Les
juges des juridictions inférieurs vont hésiter à les contredire. Ces décrets acquièrent l’ autorité de
précédent.

La troisième forme est constituée par les rescrits impériaux. Ce sont des réponses données par
l’empereur ou son conseil à des question posées par des fonctionnaires ou des magistrats et qui
peuvent intervenir à l’occasion d’un litige ou en dehors de tout contentieux. La réponse à la question
est donnée au bas de la lettre dans laquelle l’empereur est consulté, sur la même lettre qu’envoyée.
Le rescrit formule une solution juridique qui permet à celui qui à poser la question de résoudre le
litige ou à le tirer d’embarras. Dans ce rescrit, l’empereur ne vérifie ni les faits allégués ni le bien
fondé des prétentions des demandeurs. Dans ce système, l’empereur ne juge pas le fond, il est laissé
à l’appréciation de celui qui pose la question, l’empereur se contente de donner la solution de droit,
avec la réserve « si les faits allégués dans la requête sont vérifiés… ». Ces rescrits correspondent à
une consultation juridique et n’ont de valeur, en principe, que pour les affaires pour lesquelles ils
ont été rendus ; pour les mêmes raisons que les décrets, ils vont prendre la valeur de règles de droit
applicables dans des cas analogues.

Les mandats impériaux sont des instructions administratives adressées par l’empereur à ses
fonctionnaires, le plus souvent des gouverneurs de province. Ces mandats n’ont de valeur que

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pendant la vie de l’empereur qui l’a formulé, et que pendant la durée des fonctions de leur
destinataire. Concrètement, les empereurs reprennent les mesures édictées par leurs prédécesseurs.
Avec ce système, ces mandats tendent à devenir des sources permanentes de droit.

Ce droit classique connait son apogée au 2-3ème siècle après JC. A partir de la fin du 3 ème siècle, on
passe à un droit romain postclassique.

III – Le droit postclassique (4ème-6ème siècle après JC)

A la fin du 3ème siècle, l’empire romain est si vaste qu’il est difficile de maintenir une complète unité
administrative. Des révoltes éclatent dans les régions périphériques de l’empire, qui subissent la
pression des barbares (peuples qui venant de l’est, qui pénètrent dans l’empire et se livre au pillage).
Le christianisme, né en Orient, se répand en même temps. L’absence de cohésion de l’empire
apparait au grand jour avec l’Orient d’influence grecque et l’Occident d’influence latine, qui subit
chaque jour la pression des peuples germaniques. Pour faire face à cette situation, l’idée va émerger
de dédoubler le gouvernement et l’administration ; dorénavant il y aura un empereur pour l’Orient
et un pour l’Occident. Le premier à inaugurer ce système est Dioclétien en 285-286, en constituant
un gouvernement à 4 chargés d’assurer, dans le respect de l’unité de l’empire, le partage des tâches
et la transmission du pouvoir. Ce système est la tétrarchie. Dioclétien s’installe en Orient et confie la
défense de l’Occident à Maximien, auquel il confère le titre d’Auguste. Dioclétien donne un auxiliaire,
Constance à Maximien et il s’en adjoint un également, Galère. Ces auxiliaires doivent leur succéder
mais ce régime ne va pas survivre à son créateur.

Constantin, qui meurt en 337, est le dernier à maintenir avec succès une unité politique. Après lui, la
rupture est consommée entre Orient et Occident. A partir de ce moment-là, va se découper un
empire byzantin à l’est de l’empire latin, qui va durer jusqu’à la fin du Moyen-Âge. Ces
bouleversements vont rejaillir sur l’histoire du droit. Il va se développer différemment en Orient et
en Occident.

1) Le droit romain dans la partie occidentale de l’empire

L’empereur devient la seule source de droit et la doctrine perd de son pouvoir. L’affaiblissement du
pouvoir de l’empereur, à partir du 4 ème siècle, se traduit localement par le développement d’une
nouvelle source de droit, la coutume.

A) La reconnaissance de la coutume comme source de droit

L’empire d’Occident englobe des peuples extrêmement différents, donc le droit romain classique,
élaboré par des juristes spécialisés, n’est pas adapté, ni aux réalités locales, ni aux différentes ethnies
qui l’habitent. On va donc voir se former des usages locaux, des coutumes, qui vont être considérées
comme une véritable source de droit. Les praticiens vont également adapter les règles de droit
romain, aboutissant à la formation d’un droit commun vulgaire.

1) Les tentatives de définition de la coutume par les juristes

Son importance a été relevée par certains auteurs dès l’époque classique. Si certains juristes
n’admettent pas qu’elle soit considérée comme des sources de droit, certains intellectuels,
notamment Cicéron, lui reconnaissent certaines valeurs car ils mettent en avant le fait que les actes
d’usage, qui instaurent une coutume, dénotent le consentement d’un groupe social. Dès le 2 ème
siècle, le juriste Julien soutient que la coutume puise une certaine force obligatoire dans son
ancienneté, c’est un droit établi par les mœurs. Un texte, que l’on attribue à Constantin, lui donne
une justification supplémentaire, en expliquant qu’une coutume prend sa force de sa rationalité.

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La valeur de la coutume connait 3 fondements : son ancienneté, le consentement général et son
caractère rationnel. Dès le bas-empire, les juristes lui reconnaissent une certaine force obligatoire,
même si ses différents fondements sont développés par les juristes du Moyen-Âge.

2) L’importance des usages locaux et la formation d’un droit romain vulgaire

A l’époque classique, le droit romain a acquis une très grande technicité, il est difficilement
transposable dans d’autres régions conquises récemment, et habitées par des peuples ayant une
tradition juridique différente, où le droit est beaucoup plus coutumier. Il y a un choc entre ces deux
formes de droit. Ce raffinement du droit romain rend inapplicable les règles qu’il développe auprès
des peuples conquis, ayant un droit moins élaboré. Dans la mesure où les usages de ces peuples ne
portent pas atteinte à l’ordre public, l’Etat romain accepte ces usages comme étant des coutumes
propres à tel ou tel groupe. Ces droits locaux ont été élevés au rang de coutume provincial romaine.
Il y a 2 attitudes vis-à-vis de ces droits locaux.

La doctrine sépare ces coutumes du droit romain, à l’inverse, la législation impériale les prend de
plus en plus souvent en compte, parfois pour les supprimer, mais d’autres fois pour les intégrer au
droit officiel. La législation impériale amalgame solutions romaines et solutions provinciales, tirées de
la coutume. Cela donne un droit simplifié, qualifié de vulgaire (= créé et adapté par les praticiens). Il
a un but de simplification du droit romain à cette époque.

B) Le triomphe de la législation impériale

A l’époque postclassique, les constitutions impériales se multiplient et leur valeur se transforme.


Cette inflation législative va conduire aux premières codifications du droit.

1) L’inflation et la transformation de la législation impériale

Comme à l’époque classique, les constitutions impériales les plus importantes sont les édits,
qualifiés de loi générale. Depuis la division de l’empire, les constitutions d’un empereur ne
s’appliquent que dans la partie de l’empire qu’il gouverne. On voit apparaitre une nouvelle catégorie
de textes, légèrement inférieure aux édits, ce sont les pragmatiques sanctions. Ce terme désigne des
édits un peu moins solennels. On continue d’opposer les décrets et les rescrits. L’importance des
rescrits va devenir considérable pour 2 rasions : à cause du développement de la bureaucratie
impériale, le nombre de fonctionnaires augmente et donc le nombre de demandes adressées à
l’empereur, et, désormais, il est permis à tout justiciable de s’adresser directement au prince qui va
répondre à la question de droit qui lui est posée.

Les mandats vont avoir tendance à perdre de leur importance. La situation de partage législatif entre
l’Orient et l’Occident va se trouver modifiée au cours du 5 ème siècle par les codifications juridiques.

2) Les premières grandes codifications du droit

L’abondance de la législation impériale, son importance croissante, et les graves insuffisances de sa


diffusion, vont inciter certains juristes à élaborer des recueils de constitutions, de législation. On doit
d’abord ces recueils à des initiatives privées qui vont aboutir à des codifications officielles.

a) Les codifications privées : les Codes Grégorien et Hermogénien

Au début du 3ème siècle, le jurisconsulte Paul élabore une collection de décrets impérieux, de
décisions judiciaires. Mais ces premières compilations ne donnent pas les textes de manière
intégrale, elles se contentent d’analyser les dispositions les plus importantes. Comme ces recueils
étaient des œuvres privées, ils n’ont aucune garantie d’authenticité. C’est à la fin du 3 ème siècle que

71
les choses changent, car 2 nouvelles compilations apparaissent, qui sont d’un genre différent, et qui
tentent de remédier à ces imperfections. Ce sont des œuvres privées, qui, pour la première fois,
donnent l’intégralité des textes qu’elles rassemblent. Dans les 2 cas, ce sont des collections de
rescrits qui concernent le droit privé. La plus ancienne est le Code Grégorien, composé vers 291-292
par Gregorius dont on ne sait pas grand-chose. La deuxième est le Code Hermogénien, composé
entre 295 et 314 par Hermogenius, dont on ne connait pas la vie non plus. Ces deux recueils ont été
composés pour mettre à la disposition des juristes, les rescrits les plus importants. Ces collections
restent des œuvres privées, sans valeur officielle.

b) Le Code Théodosien

Au cours du 4ème siècle, les constitutions impériales se multiplient, entrainant des changements
considérables dans les domaines administratifs, fiscaux, mais également dans le droit privé. Certains
textes vont finir par se contredire les uns les autres et les praticiens connaissent mal le droit du fait
de sa complexité. En décembre 435, l’empereur d’Orient, Théodose II, décide de réunir toutes les
constitutions émises depuis l’empereur Constantin, donc depuis 306, et de les classer
chronologiquement mais également par matière, quitte, éventuellement, à fragmenter ces
constitutions. Les compilateurs, chargés de faire ce travail, ont également pour instruction de
supprimer les développements inutiles et de ne conserver que ce qui a valeur législative. On leur
donne également ordre de faire disparaitre les éventuelles contradictions entre les textes, de
modifier ce qui n’est plus adapté au besoin du moment, et éventuellement, ajouter ce qui leur parait
nécessaire. Ce Code Théodosien est achevé en 437 et est remis à l’empereur d’Occident, Valentinien
III, au moment celui-ci vient à Constantinople pour épouser la fille de Théodose II. Ce code est
promulgué le 15 février 438 par Théodose II, qui lui confère une valeur officielle. A partir du 1 er
janvier 439, on ne pourra plus faire valoir en justice, que les constitutions contenues dans le Code.
Ce code est valable en Orient comme en Occident. Une fois ce Code posée, la législation impériale
n’est pas fixée. Les constitutions antérieures, prises par l’un des deux empereurs ne seront valables
que dans la partie de l’empire qu’il administre, mais pourront être reçues dans l’autre partie de
l’empire, au moyen d’une pragmatique sanction.

Ce Code est divisé en 16 livres, eux-mêmes divisés en titre dont chacun porte sur une matière
particulière. Le livre I traite des sources du droit, les livres II à V sont pour le droit privé, les livres VI à
XV regroupent le droit public, fiscal et pénal, tandis que le livre XVI est consacré au droit
ecclésiastique, témoignant du lien unissant l’empire et l’Eglise chrétienne. Ce Code Théodosien ne
détrône pas les codes Hermogénien et Grégorien, il les complète. Ce Code Théodosien reste en
vigueur en Occident jusqu’à la chute de l’empire romain en 476. Il conserve une importance
considérable, notamment en Gaulle. En Orient, il est détrôné au 6ème siècle par les Compilations de
Justinien.

Parallèlement à cette codification, la science du droit va connaitre de très profondes modifications.

c) L’évolution de la doctrine

A partir du 4ème siècle, les œuvres des juristes se caractérisent essentiellement par un souci de
simplification et de classification des notions. Au siècle suivant, ces œuvres se présentent sous la
forme d’interprétations du Code Théodosien : c’est un travail essentiellement compilatoire, on
adapte les textes sans innover dans la pensée juridique. Les différents extraits compilés par les
jurisconsultes, font apparaitre des contradictions entre les auteurs, quant à son interprétation, qui va
compliquer la tâche des juges. Devant ces difficultés, le pouvoir impérial réagit, en imposant la loi des
citations.

71
Elle est promulguée en 426 par Valentinien III d’Occident. Ce texte a une importance considérable, il
vise à réformer la valeur normative de la doctrine en imposant un certain nombre de limites.
Désormais, seuls 5 juristes de l’époque classique pourront être allégués devant les tribunaux, ces
juristes sont Gaius, Papinien, Paul, Ulpien et Modestin. Il se peut que parmi ces 5 juristes, aucun
n’ait abordé la question de droit en question, il est alors possible d’invoquer un autre auteur, à 2
conditions : il doit avoir été cité par un des 5 juristes précédents, et on doit pouvoir prouver l’opinion
de l’auteur, en présentant un manuscrit de son œuvre. Pourtant, ces 5 auteurs aussi peuvent se
contredire ; dans ce cas le juge statue alors en fonction de la majorité. S’il y a égalité (si un des 5
juristes n’a rien dit), c’est l’opinion de Papinien qui l’emporte. Si Papinien ne s’est pas prononcé, le
juge retrouve sa liberté.

Cette loi des citations signifie que la valeur juridique de la doctrine est étroitement circonscrite.
Ainsi contrôlée par le pouvoir, cette doctrine va finir par se tarir. Il va falloir attendre le 12 ème siècle
pour qu’elle retrouve la vigueur et l’importance qu’elle avait à l’époque classique.

2) Le droit romain dans la partie orientale de l’empire : le Corpus Juris Civilis

Après la chute de l’empire romain d’Occident, l’histoire du droit romain se poursuit en Orient
jusqu’au 6ème siècle qui constitue l’aboutissement de l’histoire du droit romain en Orient, cet
aboutissement est dû à des compilations élaborées entre 528 et 554 sous l’autorité de l’empereur
byzantin Justinien. On les désigne depuis le Moyen-Âge sous le nom de Corpus Juris Civilis. Elles
opèrent la synthèse de tout le droit romain, depuis ses origines, jusqu’au 6 ème siècle. Mais, pendant
près de 6 siècle, jusqu’au 12ème siècle, elles restent ignorées en Occident. Lorsque l’on va les
redécouvrir, leur succès va être considérable, et l’influence de ces textes va se faire sentir jusqu’à
l’époque moderne. Cette œuvre est due à l’initiative de l’empereur Justinien qui accède au trône de
Byzance en 527 et meurt en 565. Il a des ambitions politiques extrêmement fortes et veut restaurer
le prestige de l’empire, aussi bien que le plan intérieur qu’extérieur. Il entreprend de très
nombreuses reconquêtes : l’Afrique, l’Italie et l’Espagne. Il entreprend également de très
nombreuses réformes, ce qui correspond à une législation abondante. Il cherche à mettre de l’ordre
dans les sources de droit. Pour ce faire, il est aidé par un professeur de droit, Tribonien, entouré d’un
groupe d’avocats et de professeurs, et va mener un travail gigantesque de compilation et de mise à
jour, dont le résultat est le Corpus Juris Civilis, composé du Code, du Digeste, des Institutes, et des
novelles.

A) Le Code

Le premier souci de Justinien est de mettre de l’ordre dans les constitutions impériales. Il nomme une
commission de 5 membres avec Tribonien, qui publie le 16 novembre 534, le Code, qui rentre en
application le 29 décembre de la même année. Il comprend 12 livres divisés en titres thématiques et
à l’intérieur desquels les constitutions sont rangées par ordre chronologique et par matière. Toutes
les matières y sont abordées, des sources du droit à la procédure, en passant par le droit privé et le
droit pénal. Les premiers livres du Code de Justinien concernent du droit ecclésiastique, ce qui
témoigne du renforcement de l’alliance entre l’empire et la religion chrétienne, et la primauté que
lui accord Justinien. Les textes intégrés à ce Code ont été interpolés pour les mettre en conformité
avec le droit de l’époque. Chaque constitution est présentée de façon à être identifiée de façon
précise (nom de l’empereur qui l’a prise, à qui elle est adressée et la date à laquelle elle a été prise).
Il est complété par 3 autres codes

B) Le Digeste

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Justinien en décide la réalisation après avoir constaté que le Code restait insuffisant. Le Digeste est
une monumentale compilation de fragments d’œuvres des jurisconsultes de l’époque classique.
C’est une masse énorme de texte, qui s’échelonne sur près de 5 siècles, qui fourmille de
contradictions et de solutions dépassées. Justinien charge Tribonien de diriger l’écriture du Digeste.
Ce dernier doit récupérer tout ce qui a été écrit et doit opérer un choix à l’aide des jurisconsultes qui
ont obtenu le droit de répondre publiquement. Il faut faire cesser les contradictions, corriger les
textes pour les adapter et éliminer les solutions désuètes. Le Digeste est publié avant le Code, le 16
décembre 533. Il contient 50 livres qui sont divisés en titres thématiques, eux-mêmes scindés en
fragments ou en extraits. Chaque fragment indique le nom du juriste et l’œuvre dans lequel le texte a
été pris.

Les juristes les plus fréquemment cités sont ceux de la loi des citations (2 ème-3ème siècle). Le Digeste a
pour but de permettre de résoudre les questions de droit les plus complexes, en s’aidant des
solutions imaginées par leurs prédécesseurs. En d’autres termes, le Digeste est un réservoir de
doctrine. Le plus vieux manuscrit du Digeste est aujourd’hui conservé à Florence. En même temps
que le Digeste, trois membres de cette commission ont préparé un manuel pour les étudiants, les
Institutes.

C) Les Institutes

Les praticiens n’ont pas été mis à contribution, seuls les professeurs se sont chargés de sa rédaction.
Ils empruntent aux Institutes de Gaius, sont divisés en 4 livres : les personnes, les choses et les
actions (2 livres).

Ils ont une vocation essentiellement scolaire, il est plus simple que le Digeste. Ils sont publiés le 21
novembre 533 et entre en vigueur en même temps que le Digeste, le 30 décembre 533. Ils ont un
succès considérable, vu le nombre de manuscrits qui ont été conservés. Ils sont composés de
définitions, de règles générales, théoriques.

L’œuvre de Justinien se veut parfaite, totale.

La remise en ordre des constitutions n’a pas interrompu l’activité législative de Justinien. Entre 535 et
565, de très nombreuses constitutions sont publiées, après la rédaction du Code. Ces nouvelles
Constitutions ou novelles ont à leur tour été regroupées en recueils.

D) Les novelles

Elles sont conservées aux archives du palais et publiée par semestre. Aux alentours de 554, elles sont
regroupées pour la première fois en collection. A cette date, Justinien a reconquis l’Italie et le pape
de l’époque, Vigile, demande à Justinien d’y rétablir la législation romaine. Il va utiliser une
pragmatique sanction, appelée Pro Petitione Vigile, grâce à laquelle il déclare applicable en Italie le
Code, le Digeste, les Institutes, ainsi que les novelles qu’il va compiler. En dépit de sa perfection,
l’œuvre de Justinien va rester inconnue en Occident jusqu’au 12 ème siècle. Pendant tout le haut
Moyen-Âge, c’est le Code Théodosien qui va être principalement utilisé.

IV – L’Introduction du droit romain en Gaulle et son application, jusqu’au 5 ème siècle

1) La situation juridique de la Gaulle jusqu’en 212 : le droit des gens

Durant les 2 premiers siècles après sa conquête, la Gaulle est divisée en 4 provinces dirigées par des
gouverneurs. Certains Gaulois se sont vus conférer la citoyenneté romaine. Dans ce cas, on peut
appliquer le droit romain à ces individus. Mais, dans les faits, la plupart des habitants des provinces
conquises restent considérés, jusqu’au début du 3 ème siècle, comme des étrangers, donc le droit

71
romain ne leur est pas directement applicable. Tous les non-citoyens en Gaulle romaine, utilisent
leur droit propre, qui constitue en des usages oraux qui concernent essentiellement le droit de la
famille. Ce droit peut éventuellement être pris en compte par les tribunaux locaux et les gouverneurs
de province. Si des provinciaux non-citoyens se rendent à Rome et qu’ils ont un procès, ils peuvent se
tourner vers un magistrat spécial, le prêteur pérégrin, chargé de résoudre tous les litiges impliquant
au moins un non-citoyen résidant à Rome. La principale sanction de ces coutumes locales est donc le
droit prétorien. Lorsque les règles nouvelles, dégagées par le prêteur, s’adresseront à tous, le droit
prétorien sanctionnera le droit des gens, commun à l’humanité toute entière.

Le développement de ce droit des gens résulte de relations de plus en plus fréquentes et


importantes entre les Romains et les étrangers. Ce droit des gens apparait donc à l’occasion de
relations d’affaires, c’est-à-dire dans le domaine du droit des contrats et de la responsabilité. Ce
droit s’est formé presque spontanément par la création d’actes juridiques simples, donc ce droit est
dominé par un soucis de pragmatisme. Ce droit des gens nait de la coutume, du droit prétorien, de
la législation impériale, et de la doctrine. Son originalité ne résulte pas dans sa source mais dans son
domaine d’application puisque, à la différence du droit civil, il s’applique à tous dans les provinces,
au fur et à mesure des conquêtes.

En raison de ses origines et de sa portée, ce droit possède plusieurs caractères spécifiques : il est
indépendant de toute religion car s’adresse à tous, il est peu formaliste car devant être accessible à
tous, et il est fondé sur ce qui est le propre de toutes les sociétés humaines.

A côté des coutumes locales, c’est le droit des gens qui va s’appliquer aux non-romains dans les
provinces conquises. Cette situation est modifiée au début du 3 ème siècle par l’édit de Caracalla.

2) L’édit de Caracalla de 212

Il montre le point d’aboutissement de la politique de Rome vis-à-vis des territoires conquis. L’édit
indique « Je (Caracalla) donne à tous les pérégrins qui sont sur la terre, le droit de cité romaine.  ».
Cet édit a une portée énorme. Désormais, tous les étrangers résidant dans les limites d l’empire,
acquièrent la citoyenneté romaine. Les raisons de l’édit de Caracalla sont de plusieurs ordres. Avant
tout, il s’agit d’unifier le statut juridique des habitants de l’empire, mais en réalité, c’est la
reconnaissance légale d’une situation de faits. Avec le développement du droit des gens et du droit
prétorien, au 3ème siècle, la citoyenneté ne donne plus de droits spécifiques. Elle impose pourtant
toujours des devoirs, notamment les obligations fiscales qui pèsent sur les citoyens romains.

Cet édit ne fait que compléter le processus de romanisation des provinces conquises.
Théoriquement, la première conséquence de l’édit, est que, tous ces nouveaux citoyens sont donc
désormais soumis au droit civil romain. Mais en pratique ce droit civil, qui est beaucoup trop
formel, complexe, est en régression, supplanté par le droit des gens qui devient progressivement le
droit universel de l’empire. On a ici une unification juridique de l’empire.

Cette unification juridique, opérée par l’édit de Caracalla va très rapidement être remise en cause par
les invasions germaniques qui vont se produire. Même avant ces invasions germaniques, l’émergence
du droit canonique va faire que certaines règles vont s’appliquer à une catégorie particulière de
citoyens, les chrétiens.

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Chapitre 2 : L’émergence du droit canonique
La religion chrétienne apparait dans un royaume juif, contrôlé par les romains et immergé dans un
Orient hellénisé. Lorsque cette religion apparait, les disciples du Christ ne se désignaient pas par un
nom générique. Ce christianisme, pour s’exprimer, va essentiellement utiliser le grec et le latin,
langues universelles. C’est à Antioche, aujourd’hui en Turquie, lorsque l’enseignement de l’apôtre
Paul a commencé à s’adresser aux non-Juifs, qu’apparait le terme de chrétien. Cette nouvelle
dénomination permet de dépasser les races particulières, pour désigner les disciples du Christ, par
opposition à ceux qui ne le sont pas. Petit à petit, ces différentes communautés vont être désignées
d’un mot grec, ecclesia, qui désignait à l’origine l’assemblé des citoyens de la cité à Athènes. Ces
Eglises locales vont s’organiser autour du respect de certaines règles de vie. Au-delà de leur
autonomie, ces différentes Eglises locales font partie d’un ensemble qui a vocation à l’universalité,
c’est ce qu’on va appeler l’Eglise catholique qui dérive du mot grec katholikos, signifiant universel.
Dans la littérature romaine, ce mot n’a pas été traduit par son équivalent latin mais a été translittéré,
est devenue catholicus. C’est à la fin du 16 ème siècle, avec l’apparition du protestantisme, que ce
terme de catholique a été utilisé pour identifier une confession chrétienne parmi d’autres.

Ces différentes Eglises qui apparaissent localement vont se regrouper et s’organiser, on en trouve
en Turquie, en Syrie, en Israël, en Grèce… Ce catholicisme se retrouve à Rome dès 43. Il s’implante
en Gaulle, dans la région de Lyon, vers le 2 ème siècle puis va s’étendre progressivement à toute la
Gaulle. Les Romains finissent par se rendre compte de la spécificité de cette religion et l’Etat romain
a adopté une attitude hésitante envers les chrétiens jusqu’à sa reconnaissance et sa définition
comme religion d’Etat.

Les persécutions à l’encontre des chrétiens peuvent s’expliquer par leur attitude face au pouvoir. Ils
exercent une religion monothéiste, ce qui implique le rejet des dieux romains, refusant ainsi d’offrir
des sacrifices aux dieux romains, et de participer au culte impérial. Mais, dans l’esprit romain, ces
dieux étaient les éléments fédérateurs de la cité, leur rendre hommage était un devoir civique et ne
pas le faire risquait d’attirer la colère des dieux. Le 5 avril 311, 5 jours avant sa mort, Galère,
constatant l’échec des persécutions, publie un édit de tolérance par lequel il accepte que ceux qui le
souhaitent puissent devenir chrétiens et se réunir à condition de ne rien faire de contraire à l’ordre
public. C’est au cours de l’hiver 312-313 que l’empereur d’Occident, Constantin, va entreprend des
négociations avec l’empereur d’Orient, Licinius, pour arriver à une pacification définitive avec les
chrétiens. Ce texte, l’édit de Milan est publié le 23 juin 313 et affirme la liberté de croyances et de
cultes pour tous. Ainsi toléré, le christianisme ne cesse de gagner du terrain, à tel point que
Théodose Ier d’Orient, par l’édit de Thessalonique, reconnait le catholicisme comme religion
officielle de l’Etat. On passe d’une liberté octroyée par Constantin à tous les cultes, à une religion
d’Etat.

I – Les origines du droit canonique

Durant les trois premiers siècles de leur existence, les chrétiens vivaient dans une clandestinité, ne
possédaient pas de droits propres, chaque communauté chrétienne vivait selon ses usages
ancestraux, en les adaptant aux principes chrétiens.

Dans le même temps, certaines règles disciplinaires se développent de manière plus ou moins
formelle au sein de ces communautés. A partir du 4 ème siècle, lorsque ce catholicisme peut s’afficher
au grand jour, ces règles disciplinaires deviennent un véritable droit, le droit canonique (vient du
mot grec kanon qui signifie la règle). Les premiers textes juridiques de l’Eglise sont apparus dans des
communautés chrétiennes de langue grec.

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Le droit canonique est le droit qui renferme les règles propres à l’Eglise catholique. Ce droit
apparait au 4ème-5ème siècle. On voit se dessiner trois types de documents, que l’on ne cessera de
retrouver par la suite : les canons des conciles, les décrétales des papes et les collections
canoniques qui sont des œuvres qui regroupent les deux premiers types de documents.

A la même époque, le christianisme est d’abord reconnu puis devient religion d’Etat. Les autorités
laïques vont aussi légiférer pour le christianisme : le droit romain va devenir une source de droit
canonique.

II – La législation conciliaire, au 4ème-5ème siècle

Un concile est une réunion, ce sont des réunions qui regroupent les membres de la hiérarchie
ecclésiastique, les archevêques et les évêques. Selon l’importance de ces conciles, on en distingue 2
types : les conciles généraux ou œcuméniques qui réunissent l’ensemble des évêques et des
archevêques de la chrétienté, ce qui signifie que les décisions qu’ils vont prendre auront une valeur
universelle, et les conciles provinciaux qui se réunissent dans le cadre d’une province ecclésiastique
sous l’autorité d’un archevêque, et qui regroupe plusieurs circonscriptions, les diocèses, sous
l’autorité d’un évêque.

Tous ces conciles prennent des décisions, regroupées dans des canons, des règles. Au départ, lorsque
l’Eglise s’organise petit à petit, beaucoup de question au sein de ces conciles, seront relatives à la
discipline et donc à l’organisation de la société chrétienne. A ce titre, ces conciles sont véritablement
source de droit.

A côté de ces canons apparaissent dès le 4 ème siècle d’autres textes, les décrétales.

III – Les décrétales des papes et les collections canoniques

Ce terme vient du mot latin decretum, qui signifie décision. Les décrétales des papes sont donc des
réponses qui sont données par les papes. Ces décrétales interviennent à propos d’affaires
particulières dans lesquelles les instances locales n’ont pas pu ou pas osé répondre. La question est
alors posée au pape. La décrétale ne règle pas dans le détail l’affaire qui va être soumise au pape. Elle
se contente de formuler la règle de droit applicable à la circonstance. Après l’avoir formulé, elle laisse
le soin à l’archevêque ou à l’évêque, d’appliquer le point de droit au cas concret. Ces décrétales des
papes sont, en droit canonique, ce que sont les rescrits en droit romain. A l’image de ce qui s’est
passé pour les rescrits, ces décrétales, de par l’autorité pontificale qui les concède, vont avoir
tendance à acquérir force de précédant. A partir du début du 5ème siècle, ces décrétales vont avoir
tendance à se multiplier, mais de plus en plus vont s’avérer être beaucoup plus que de simples
réponses, car les papes vont utiliser ces textes pour poser des règles de portée générale. Avec ce
système, on va voir s’affirmer un véritable pouvoir législatif du pape.

Il s’appuie notamment sur la qualité d’évêque de Rome que possède le pape. Le pape va
progressivement affirmer sa prééminence sur tous les autres évêques, pour 2 raisons  : en tant
qu’évêque de Rome, le pape se considère comme le successeur de St Pierre, qui a été le premier
évêque de Rome, et qui était le chef des apôtres. Or, comme dans la tradition chrétienne, les
évêques sont considérés comme les successeurs des apôtres, le successeur du chef des apôtres avait
vocation à devenir supérieur aux autres évêques. Rome étant la capitale de l’empire, il apparaissait
logique que son évêque ait une prééminence sur les autres évêques.

Les premières décrétales nous ont été transmises par des collections canoniques. Elles sont
apparues pour des raisons analogues aux premières codifications du droit romain. L’Eglise s’organise,
les papes affirment leur pouvoir, donc les décisions des conciles et les lettres des papes vont se

71
multiplier. Il va être extrêmement difficile de connaitre exactement le droit de l’Eglise. Des clercs ont
tenté d’en constituer des recueils. On va remarquer une évolution de ces collections.

Ces textes regroupent au départ des prescriptions liturgiques, qui fixent le déroulement du culte. Le
plus ancienne de ces collections, la Didaché ou Doctrine des 12 Apôtres, a été composée à la fin du
1er siècle. A partir du 3ème siècle, ces ouvrages vont se multiplier. Certains commencent à décrire
l’organisation de la communauté chrétienne, avec au centre l’évêque, entouré de prêtres.

A partir du 4ème siècle, ces collections évoluent encore, en accordant de plus en plus de place à la
discipline. Un texte de la fin du 4ème siècle, les Canons Apostoliques, composé par une communauté
chrétienne de Syrie, est un texte purement normatif, avec des règles qui sont alignées les unes à la
suite des autres, constituant la première véritable collection canonique.

Ce droit canonique ne nait pas dans n’importe quel contexte, mais dans un contexte romain, il a
donc été influencé par la culture juridique romaine, d’autant plus qu’à la fin du 4ème siècle, la religion
catholique devient la religion d’Etat. Pour ces 2 raisons, le droit romain tardif va devenir une source
du droit canonique.

IV – Le droit romain, source de droit canonique

Lorsque l’Eglise va se développer, elle va se faire dans les frontières de l’empire et sur le modèle
administratif romain. Elle ne peut donc pas ignorer le droit romain, d’autant que ses fidèles sont
romains. Les clercs qui administrent les communautés chrétiennes le font sur le plan spirituel et
temporel. Toute cette administration du temporel se fera en utilisant le droit romain. A partir du
moment où le christianisme est toléré et où il devient religion d’Etat, les autorités laïques vont
prendre différentes mesures en faveur de l’Eglise. Ces différentes dispositions du droit romain par
rapport à l’Eglise, vont constituer une source du droit canonique. C’est ce qui explique que le livre 16
du Code de Justinien soit consacré au droit ecclésiastique. A la fin de l’antiquité, droit romain et
canonique s’entremêlent.

Cette étroite implication entre source du droit laïc et source du droit ecclésiastique vont se retrouver
après la chute de l’empire romain.

Dès le 4ème siècle, l’empire romain subit l’assaut des barbares. Dès, le général barbare Odoacre
dépose le jeune empereur d’Occident Romulus Augustule et renvoie à l’Orient les insignes du pouvoir
impérial. Désormais les chefs des royaumes occidentaux se considèrent comme maitres chez eux.
Ils s’affranchissent totalement de l’autorité de l’empereur d’Occident. Cela entraine le début d’une
nouvelle période, le Haut Moyen-Âge ou époque Franque.

Titre 2 : le Haut Moyen-Âge ou époque


Franque
Ce haut Moyen-Âge s’étend sur plus de 5 siècles et correspond à l’installation d’une nouvelle
civilisation en Gaulle. A la chute de l’empire romain, la Gaulle est divisée en royaumes barbares, sud-
ouest dominé par les Wisigoths, sud-est dominé par les Burgondes, royaume de Syagrius entre la
Somme et la Loire, les Francs Ripuaires autour de Reims, et les Francs Saliens entre Bruxelles et
Cambrai. Ces Francs Saliens, fédérés par Clovis, font finit par dominer l’ensemble du territoire qui

71
forme la France actuelle. Ses descendants, les mérovingiens, vont régner jusqu’en 751, date à
laquelle la dynastie mérovingienne est remplacée par la dynastie des carolingiens, maintenue jusqu’à
la fin du 10ème siècle. Ce sont des Francs, d’où le nom de cette période.

Ces Francs, comme les autres peuples, lorsqu’ils s’installent, apportent avec eux des usages très
différents de la tradition juridiques romaine. Pendant plusieurs siècles, 2 systèmes juridiques, l’un
romain et l’autre germanique, vont cohabiter sans fusionner. Cette situation évolue avec l’arrivée de
la dynastie carolingienne.

Chapitre 1 : La période mérovingienne, 6ème-8ème siècle


Ces barbares qui s’installent, qui ont leurs propres règles, ne sont pas prêts à adopter les règles
juridiques romaines, et inversement. Il va en résulter une très grande diversité des sources du droit
laïc. Dans le même temps, l’Eglise, qui cherche à maintenir ses institutions, conserve l’usage d’un
droit propre. Comme les barbares se convertissent au christianisme, le droit canonique va finir par
s’appliquer à tous. Il va constituer un élément fédérateur.

I – La diversité des sources du droit laïc

Très rapidement, ces différents droits vont faire l’objet de tentatives de codifications. Les lois
nationales s’appliqueront à chacun, selon son origine ethnique. C’est le système de la personnalité
des lois.

1) Le système de la personnalité des droits

Les Gallo-Romains appliquent un droit romain, teinté de traditions provinciales, adapté localement :
le droit romain vulgaire. Mais ce droit n’en constitue pas moins un ensemble de règles très
élaborées. La technicité de ces règles convient très mal aux envahisseurs germains, qui ont des
coutumes orales et bien souvent archaïques. Les droits germaniques anciens présentent certains
aspects propres aux civilisations guerrières. La vengeance privée y tient une grande place, et dans
les procès, la preuve incombe au défendeur. La présomption d’innocence n’existe pas. Les barbares
ne sont pas prêts à adopter le droit romain, et les Gallo-romains ne sont pas prêts à abandonner la
civilisation, léguée par l’empire romain.

Le tableau n’est pas aussi tranché, car dans certains cas, les différents droits vont s’influencer
mutuellement, et un fond de règle commune va se dégager, pour 2 raisons : les règles gallo-
romaines seront parfois codifiées avec les droits barbares, et d’autre part, parce que les souverains
barbares, vont légiférer pour l’ensemble de leurs sujets, d’origine barbare ou gallo-romaine,
notamment en matière pénale et de police. Dans ce domaine, le juge ne tiendra pas compte de la loi
personnelle, il appliquera la loi légiférée par le roi. Lors d’une affaire de droit privé opposant un
Gallo-romain à un barbare, il faut recourir à la loi personnelle. Dans ce genre d’affaire, lorsqu’un
justiciable se présente devant un tribunal, le juge se renseigne sur l’origine du justiciable, la
première question qu’il pose est : « sub qua lege vivis  », sous quelle loi vis-tu ? En fonction de la
réponse donnée, dépend le droit qui sera appliqué, celui du défendeur. Pour que chacun puisse
alléguer ces usages devant le juge, il faut qu’il puisse les prouver facilement. C’est la raison pour
laquelle on se met à rédiger des recueils qui vont porter le titre de droit, car ils sont le plus souvent
officiellement promulgués par les rois barbares.

2) Les lois nationales des barbares

Ces lois nationales ont été rédigées sur l’initiative des rois barbares qui se partagent la Gaulle à la fin
du 5ème siècle.

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A) Le royaume wisigothique

Le recueil le plus ancien que l’on ait est l’édit de Théodoric, écrit aux alentours de 460, à la demande
du roi wisigoth Théodoric 2. Il a été élevé à Toulouse et a connu une instruction par un précepteur
romain, il est imprégné de culture romaine. La plupart des propositions de son édit sont empruntées
aux codes Grégorien, Hermogénien et Théodosien. Il concerne essentiellement un texte partiel qui
regroupe des questions de police et de droit pénal. En dépit de ces sources essentiellement
romaines, il s’applique à tous les habitants du royaume wisigoth. Quelques années plus tard, dans
les années 496-497, son successeur, Euric fait rédiger un Code d’Euric ou Loi ancienne des
Wisigoths, qui reprend les traditions germaniques. Ce texte, va malgré tout s’appliquer plus
spécifiquement aux Wisigoths. Le fils d’Euric, Alaric II, est confronté à de nombreux conflits opposant
Gallo-romains à Wisigoths. Pour les régler, il fait rédiger pour ses sujets romains, la loi romaine des
Wisigoths. Cette loi est un résumé du droit romain en usage chez les Gallo-romains wisigoths. Cette
loi va être baptisée, à partir du 11 ème siècle, du nom de Bréviaire d’Alaric. Il va être promulgué en
506. Il reprend le Code Théodosien et les interprétations qui en sont données par les juristes Gaulois.
Ce texte va connaitre un succès considérable.

Les deux derniers codes correspondent aux 2 composantes de la population soumise au roi wisigoth.

B) Le royaume Burgonde

Au début du 6ème siècle on trouve 2 recueils principaux : la loi Gombette ou loi des Burgondes et la
loi romaine des Burgondes.

La loi Gombette est fortement imprégnée de droit romain et doit son nom au roi des Burgondes,
Gondebaud, qui a promulgue à Lyon en 502. Ce texte est censé s’adresser à tous. A côté de cette loi,
un autre recueil est censé s’adresser aux Gallo-Romains, la loi romaine des Burgondes, composée
entre 502 et 507. Les burgondes disparaissent en 534, une législation royale n’a pas eu le temps de
se mettre en place.

C) Le royaume Franc

La plus célèbre des lois nationales franques est la loi Salique, qui doit son nom aux Francs Saliens,
installés en Gaulle à partir du début du 5 ème siècle. La première version de cette loi est intitulée Pacte
de la loi Salique et parait avoir été rédigée sou l’initiative de Clovis, entre 507 et 511. Cette loi se
présente sous la forme d’un Code Pénal, fondée sur le principe de la composition pécuniaire. En cas
d’infraction, le coupable doit composer avec sa victime, le dédommager en lui versant une somme
d’argent. Cette loi Salique interdit la vengeance privée et rend la conciliation obligatoire, en
contraignant la victime et sa famille à accepter la composition financière.

On retrouve dans cette loi, la conception pénale de l’Eglise, reposant sur deux points : le paix et de
pardon. Il s’agit de rétablir une paix définitive entre les partis en conflit. Pour y arriver, le texte de la
loi Salique détaille les différentes compositions financières qui peuvent éteindre la loi à la vengeance
privée, c’est la Wergeld ou prix de l’homme. Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux Francs Saliens.
Pour les gallo-romains, on va utiliser le bréviaire d’Alaric. En 507, Clovis a battu le roi Alaric II à la
bataille de Vouillé, le royaume Wisigoth a été intégré au royaume franc. Le bréviaire d’Alaric,
promulgué en 502 constitue une aubaine pour les rois francs. Grace à ce dernier, Clovis a sous la
main un recueil très complet, de bonne qualité, à l’usage des gallo-romains. Il étend son usage à tous
les gallo-romains du royaume franc. Il sera utilisé jusqu’au 11 ème siècle. C’est par son intermédiaire
que le droit romain est connu et utilisé en Gaulle.

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Clovis meurt en 511, mais ses descendants poursuivent son œuvre de conquête, et en 534, la
conquête du royaume Burgonde éclipse les codifications effectuées pour ce royaume. Dans le
même temps, dès les origines, les rois francs ont légiféré de manière assez timide, limitée à des
questions d’administration. Lorsque ces législations traitent de procédure, elles constituent un
facteur d’unification de droit, car en matière de procédure, c’est la même, peu importe l’origine.

Un autre facteur d’unification juridique est l’existence d’un droit qui s’applique à tous, le droit
canonique.

II – Un élément fédérateur : le droit canonique

Clovis se convertit aux alentours de 499. Lorsqu’il se convertit, il convertit également ses fils et
proches. Ils soumettent l’ensemble de la Gaulle, qui devient un royaume exclusivement chrétien, ce
qui signifie que si les sujets de Clovis restent soumis à leurs lois nationales propres, ils vont être, en
même temps soumis au droit canonique sur de nombreux points. L’Eglise revendique ma
connaissance du mariage, un acte religieux. Elle va émettre une législation relative au mariage, qui
s’adresse à tous. On trouve, en matière de droit canonique, 3 types principaux de sources de droit :
les décrétales, les canons des conciles et les collections canoniques. Mais, pendant cette période,
l’équilibre entre ses sources va avoir tendance à se modifier.

1) La décadence de la législation pontificale

Elle s’explique par la situation particulière de la papauté à cette époque, car les papes vont se trouver
déchirés entre 2 influences contradictoires : l’empire byzantin qui cherche à maintenir son influence
en Italie, et les rois barbares qui se sont installés en Italie, et qui veulent aussi assurer leur
domination.

Durant les 25 premières années du 6 ème siècle, les papes vont légiférer avec une certaine constance.
Après cette période, leur activité législative se réduit considérablement, ils disparaissent
pratiquement du paysage législatif, à 2 exceptions prêts qui tiennent autant aux circonstances
politiques qu’au caractère des papes : le premier est Vigile qui est pape de 537 à 555. Sous son
pontificat, en 554, lorsque Justinien reprend l’Italie aux barbares, Vigile demande à l’empereur de lui
envoyer les compilations de droit pour rétablir le droit romain. Par la pragmatique sanction, à la
demande de Vigile, Justinien déclare applicable en Italie le Code, les Institutes, le Digeste et les
novelles. Le fait de gloire de Vigile est d’avoir introduit le droit romain en Italie. Ses conséquences
ont été extrêmement limitées, car ce droit parait beaucoup trop complexe. Ces textes sont
redécouverts au 11ème siècle, et auront un impact législatif important.

Grégoire le Grand, pape de 590, à 604, va comprendre que l’intérêt de Rome est en Occident et pas
en Orient. Sa politique va être résolument tournée vers les royaumes barbares. Ce pape était un
grand législateur, pour orienter sa politique vers l’Occident. Après lui, la production législative des
papes est quasiment nulle. Une autre source de droit va prendre le relais : la législation conciliaire.

2) L’évolution de la législation conciliaire

Depuis 476, l’empire romain d’occident n’est plus, et les différents royaumes vont favoriser la
régionalisation des conciles. En Gaulle, entre le début du 6 ème siècle et la fin du 7ème siècle, 45
conciles se sont tenus. Les plus nombreux se sont tenus sur le territoire soumis à Clovis et à ses
descendants. Ces conciles peuvent être provinciaux, interprovinciaux mais peuvent également être
des conciles généraux du royaume mérovingien. A cette époque, il est très fréquent que les rois
interviennent dans la convocation de ces conciles, des assemblées d’ecclésiastique. A cette époque,
l’Eglise est la force la plus puissante et la plus stable du royaume, les rois mérovingiens ont compris

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qu’ils avaient à s’appuyer sur elle et lui permettre de se réformer. C’est pourquoi Clovis convoque en
511 le premier grand concile du royaume franc dans la ville d’Orléans. Ce concile va permettre
d’organiser la nouvelle Eglise mérovingienne. Cette législation prise au sein de ces conciles va être
reprise dans les collectons qui en assurent la diffusion.

Chapitre 2 : l’époque carolingienne, 8ème-10ème siècle


Elle doit son nom plusieurs membres de la nouvelle dynastie qui succède aux mérovingiens, le plus
célèbre étant Carolus Magnus, Charlemagne. Ce changement s’explique par un affaiblissement
progressif du pouvoir royal mérovingien, à la fin du 7 ème siècle. Des hauts fonctionnaires, les maires
du palais, du royaume mérovingien, vont profiter de la jeunesse de certains rois mérovingiens, pour
accaparer l’exercice du pouvoir. Ces maires du palais, qui appartiennent tous à la même famille, vont
finir par s’emparer de la royauté. Le fils d’un de ces maires du palais, Pépin le Bref, père de
charlemagne, devient Roi des francs en 751. Trois ans plus tard, pour légitimer son pouvoir il se fait
sacrer par le pape Etienne II. Son fils va être à son tour sacré Roi des Francs, avant d’être couronné
empereur en l’an 800, par le pape Léon III. Ces sacres et ce couronnement vont avoir pour
conséquence de sceller entre la dynastie carolingienne et l’Eglise, un pacte d’entente. Ce sont les
prémices de l’Alliance du Trône et de l’Autel. D’un point de vue juridique, les conséquences de cette
alliance sont très importantes. Les sources du droit laïc et ecclésiastique est forte, cela marque la
période qui s’ouvre alors. Ces sources vont connaitre de très importants changements pendant cette
période.

I – Les mutations du droit laïc

Dans son principe, le système des lois nationales va se maintenir, mais la législation royale, qui
connait un développement fort, va constituer, au-delà des lois nationales va constituer un facteur
d’unification du droit.

1) Le maintien du principe des lois nationales

Au moment où les carolingiens prennent le relais, la Gaulle est soumise à la domination des Francs
depuis plus de 2 siècles. Dans le même temps, les différentes populations qui habitent dans le
royaume mérovingien se sont progressivement mélangées. On ne distingue plus toujours les
barbares des Gallo-Romains. Les carolingiens, mais surtout Charlemagne, vont entreprendre
d’importantes politique de conquête. Il maintient le principe des lois nationales au bénéfice des
nouveaux peuples conquis et intégrés dans le royaume franc. La loi Salique va être remodelée et de
nouvelles lois nationales sont rédigées, et le droit romain conserve une certaine importance.

A) Les remaniements de la loi Salique

Lorsque les rois Francs légiféreraient, leurs décisions éteint parfois intégrés à la droit Salique,
formant des chapitres additionnels à celle-ci. Indépendamment de ces additions, le texte original de
la loi a été également retouché par certains successeurs de Clovis. Mais tous ces motifs ont été
faites sans ordre ou rigueur. Cette loi est devenue très difficile à utiliser. C’est pourquoi en 802,
Charlemagne décide d’établir la loi Salique corrigée, version claire et utilisable du texte. Elle connait
un très grand succès. Charlemagne n’est pas un franc salien, c’est un ripuaire, qui va faire rédiger de
nouvelles lois

B) La rédaction de nouvelles lois nationales

La plus importante de ces lois est la loi des francs ripuaires. Elle concerne les francs ripuaires
installés dans la région de Cologne, auxquelles se rattache les lois carolingiennes. La version de ce

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texte qui nous est parvenue date du début du 9 ème siècle, rédigée sur l’ordre de Charlemagne. Il
traduit la volonté de réorganiser juridiquement son royaume, qui s’étend désormais à l’est. Le
peuples qu’il conquiert ont déjà leurs usages propres, certains possèdent des recueils de droit,
d’autres n’ont que des coutumes orales. Dans un souci de clarification, d’unification, Charlemagne
décide de soit réformer les lois des peuples conquis ou de rédiger les lois des peuples qui n’avaient
pas de textes écrits. Ce mouvement de rédaction des lois nationales n’est pas propre au royaume
franc, c’est un mouvement général en Europe. De nombreux rois barbares font donc rédiger des lois.
Par exemple, dans les iles britanniques, on rédige la loi des anglo-saxons. Parallèlement, le droit
romain se diffuse dans le royaume carolingien et dans l’empire

C) La persistance du droit romain

Dès le règne de Clovis, l’usage du Bréviaire d’Alaric s’est généralisé en Gaulle. En 768, le droit
d’utiliser ce bréviaire est expressément confirmé par Pépin le Bref. Ce texte va être abondamment
diffusé. Pour la faciliter, on va en rédiger des abrégés à partir du 8 ème siècle, les épitomés. On va en
profiter pour adapter le texte, l’interpréter pour le mettre en conformité avec le droit du temps. On
perpétue donc l’habitude de vulgariser le droit romain. Sur certains points, ce droit romain fournit
des solutions supérieures à celle des lois barbares, donc les carolingiens vont intégrer les règles
romaines dans leurs propres législations.

2) L’essor de la législation carolingienne : les capitulaires

Charlemagne, lorsqu’il arrive au pouvoir, va entreprendre de très nombreuses réformes, notamment


administratives. Pour les appliquer, on légifère en émettant des capitulaires.

A) Les différentes formes de capitulaires

Il vient du mot latin capitulum (= chapitre), et schématiquement ce sont des mini codes de droit
destinées aux fonctionnaires de l’empire. Ils sont très différents des lois barbares qui existaient à
l’époque précédente et qui étaient des coutumes propres à tel ou tel peuple, dont le roi ordonnait la
rédaction et qu’il promulguait officiellement. En faisant cela, le roi franc, ne créait pas de droit
nouveau, il reconnaissait ou confirmait des usages anciens. A l’inverse, les capitulaires sont très
souvent novateurs, posent des règles nouvelles, considérées comme promulguées directement par
l’empereur. Il existe différentes sortes de capitulaires, on les distingue selon leur forme ou objet.

1) Distinction selon la forme

Il existe 3 sortes principales de capitulaires.

Premièrement, on a les capitulaires additionnels aux lois, qui viennent réformer ou compléter les
recueils de lois nationales barbares. Il y a des capitulaires additionnels à la loi Salique, à la loi
Ripuaire.

La deuxième catégorie concerne les capitulaires pris pour eux-mêmes, ce sont des textes législatifs
autonomes, ils concernent en général le droit public (justice, administration, finances). Ils peuvent
émaner du roi seul, mais la plupart du temps, le roi va s’entourer d’une assemblée qui lui sert de
conseil. Ces capitulaires, à la différence des lois barbares, ont une application territoriale, pour tout
le royaume ou l’empire, ou pour une portion seulement.

La troisième catégorie regroupe les capitulaires adressées au missi dominici (= envoyé du maitre),
des fonctionnaires créés par Charlemagne pour renforcer la centralisation administrative de son
empire. Ce sont des personnages qui vont par 2, et sont chargés de contrôler l’administratif d’une

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vaste région. On peut les comparer grossièrement à des préfets, ces missi dominici reçoivent des
instructions du maitre sous la forme de capitulaires.

2) Distinction selon l’objet

Selon que les capitulaires concerneront des questions relatives à l’Eglise ou des affaires purement
laïques, ces capitulaires s’intituleront différemment. Les rois carolingiens vont intervenir souvent en
matière ecclésiastique, par exemple des décisions prises au cours de conciles sont publiées sous
forme de capitulaires, ces capitulaires sont alors ecclésiastiques. Lorsque les capitulaires sont laïcs,
ils vont être qualifiés de capitulaires mondains. Cette distinction n’est pas toujours évidente, bien
souvent les capitulaires sont mixtes, traitent des deux sujets. Mais, quoi qu’il en soit, les plus anciens
recueils de ces capitulaires les classent toujours dans l’une ou l’autre catégorie.

B) La diffusion des capitulaires

Lorsque le roi franc prend un capitulaire, un exemplaire est déposé aux archives du palais, et des
copies authentiques sont adressées aux fonctionnaires impériaux, qui les font transcrire et les
adressent aux fonctionnaires inférieurs de leur circonscription ; le texte est ensuite lut publiquement
en présence du peuple assemblé, devant le Tribunal public, le Mallus.

Les exemplaires authentiques de ces capitulaires sont souvent mal conservés, donc certains juristes
vont avoir l’idée d’en faire des recueils. Le plus ancien recueil est connu sous le nom de collection
d’Anségise, abbé de Fontenelle, qu’il a composé en 827. La législation impériale connait un
renouveau par rapport à l’ère mérovingienne. Mais une autre législation se développe, la législation
pontificale.

II – L’évolution du droit canonique

1) La renaissance de l’activité législative des papes

Au milieu du 8ème siècles, cette activité législative reprend, du fait de l’amélioration politique de la
papauté. Ça n’est pas un hasard si cette reprise s’amorce avec le pontificat de Zacharie, de 741 à 752,
c’est sur ce pape que Pépin le Bref, exerçant des fonctions de maire du palais (n°2 du
gouvernement), va s’appuyer pour renverser le dernier roi mérovingien et arriver au pouvoir. En 751,
Pépin le Bref va envoyer un émissaire auprès du pape, pour lui expliquer la situation du royaume
franc, et lui demander, à demi-mot, son avis, avant de se faire élire droit des francs. Le pape accepte
ce changement de dynastie, et une fois Pépin devenu roi, le successeur de Zacharie, Etienne II, sacre
Pépin le Bref roi en 754. Charlemagne procède de même. En 800, Charlemagne aide Léon III, il le
défend. A la même époque, l’empereur de Byzance, Constantin VI, a été déposé par sa mère, le bruit
court alors que le trône impérial ne pouvant être occupé par une femme, il est vacant. De fait, pour
remercier Charlemagne, Léon III, en l’an 800, couronne Charlemagne empereur au cours de la
messe de Noël.

On assiste à une alliance de l’Eglise, avec les princes les plus puissants d’Occident, ce qui va
permettre au pape de relever la tête. C’est à partir du milieu du 9ème siècle que la législation
pontificale prend son envol, avec Nicolas Ier ou Jean VIII, qui vont chercher à réaffirmer les privilèges
de l’Eglise romaine. Regagnant de son importance, la papauté va à nouveau légiférer. Dans un
premier temps, cette force retrouvée de la papauté va être étroitement dépendante des pouvoirs
laïcs, plus précisément de l’empereur carolingien. Ces princes vont s’intéresser de près aux affaires
ecclésiastiques, notamment en participant aux conciles. On assiste à une confusion entre législation
conciliaire et laïque, car, à l’époque, de nombreux conciles sont convoqués par le roi. Ces autorités

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laïques s’occupent de faire publier et appliquer les décisions des conseils. De cette façon, ces
décisions vont être considérées comme émanant de l’autorité laïque et de l’autorité ecclésiastique.

Cela se poursuit avec le fils de Charlemagne, Louis le Pieux, puis, progressivement, les conciles vont
commencer à regagner une certaine autonomie. A côté de la législation pontificale et conciliaire, on
voit apparaitre 2 nouvelles sources de droit canoniques.

2) L’apparition de nouvelles sources de droit canonique

Pour veiller à la discipline du diocèse, l’évêque va prendre l’habitude de réunir le clergé de son
diocèse dans une assemblée, le Synode diocésain. A cette occasion, l’évêque va publier des
capitules, qui ont une double fonction. Ils servent à l’évêque de code disciplinaire et le roi
carolingien les utilise en demandant aux évêques de diffuser par ces capitules, leur propre
législation.

A la même période apparait également, les pénitentiels. Ils apparaissent d’abord dans les iles
celtiques, en Angleterre et en Irlande. Ce sont de petits manuels, des petits traités, à l’usage des
confesseurs. Ils établissent les listes de pêchés éventuels, et leurs peines associées. Ce régime de
pénitence tarifé ressemble à la composition financière prévue par les lois barbares, et notamment
dans la loi Salique. Dans un cas comme dans l’autre, la conception est la même, on peut racheter sa
faute, en s’acquittant d’une amende dans les lois barbares, et d’une pénitence dans le cas des
pénitentiels. Les plus célèbres sont ceux de Finian et Colomban. Les prêtres les utilisent pour
interroger les pénitents. Dans ces pénitentiels, on trouve beaucoup de détails sur les fautes
sexuelles. Egbert punit la fornication, relation sexuelle entre 2 personnes non mariées ou non liées
par un vœu. Cette faute est punie d’une pénitence de 7 à 10 ans, qui s’exprime sous la forme de
récitations de prières, de jeunes… La masturbation est punie de 140 jours de pénitence,
l’homosexualité de 15 ans, l’inceste de 12 ans, la bestialité de 7 à 15 ans. Cette pénitence tarifée
relève plus de la morale ecclésiastique que du droit car les sanctions sont imposées par un
confesseur. On trouve dans ces pénitentiels certaines question juridiques qui sont abordées comme
des règles relatives au mariage, donc ces pénitentiels peuvent apparaitre comme des sources de
droit.

Ces pénitentiels vont connaitre un franc succès, une augmentation du nombre de ces ouvrages, ce
qui posent des difficultés car la sanction d’une même faute ne va pas être la même d’un recueil à un
autre, un même pénitentiel peut même annoncer une peine différente pour une même faute. Le
pénitentiel de Saint-Gall est divisé en trois parties et pour une même faute inflige une peine
différente selon ces parties. Dans la première partie, il est évoqué qu’un évêque coupable de
bestialité peut être condamné à 12 ans de pénitence, 10 pour un prêtre et 4 pour laïc. Dans la
deuxième partie, la pénitence est de 15 ans pour tous. Dans la troisième partie elle est de un an pour
tous. Cela créé une anarchie. Dès le début du 9 ème siècle, des conciles tentent de remédier à ces
problèmes. Un conseil tenu en 829 demande de rechercher et brûler ces pénitentiels. Pourtant,
certains circulent jusqu’au 11 ème siècle, avant de disparaitre, mais certaines des dispositions qu’ils
contenaient ont été reprises par des collections canoniques.

Après la mort de Louis le Pieux en 840, l’empire carolingien est partagé par le partage de Verdun, en
843. A l’Ouest nait un royaume, la Francie occidentale, attribué à Charles le Chauve. C’est de ce
royaume que va naitre la France.

71
Partie 2 : La période médiévale, 12ème-
15ème siècle
A partir de la fin du 9 ème siècle, les institutions mérovingiennes commencent à se dégrader, cela est
dû au partage successif de l’empire entre les descendants de Charlemagne, et aux nouvelles
invasions venus du Nord (les Normands). Le pouvoir impérial qui s’affaiblit va user d’expédiant pour
maintenir son autorité. Les derniers carolingiens vont prendre l’habitude de gratifier leurs proches en
leur distribuant des charges publiques, qui vont devenir héréditaires avec l’affaiblissement du
pouvoir royal. Robert le Fort va se voir confier la défense de la région d’Angers et de Blois, c’est le
grand-père d’Hugues Capet. Face à la faiblesse des rois carolingiens, se constitue dans l’empire des
principautés territoriales. On aboutit ainsi à un morcèlement de l’empire, il s’accentue au 10ème
siècle car ces principautés éclatent à leur tour en comtés, qui à leur tour vont devenir autonomes.
Ces comtés éclatent ensuite, pour former des seigneuries. La déliquescence des pouvoirs du roi,
puis celle des princes amènent de simples particuliers à s’ériger en seigneurs de petits territoires. Ils
construisent un château sur celui-ci pour en assure la défense. La seigneurie banale apparait donc,
ce mot banal vient du fait que le seigneur prétend détenir et exercer sur ce territoire, le pouvoir de
ban (pouvoir de commandement et de justice) qui était au départ détenu par le roi. Le pouvoir de
commandement, de justice que détenait le roi, est passé aux mains de seigneurs locaux qui
l’exercent sur leurs territoires. Cela donne la naissance à la seigneurie banale.

Pendant plusieurs siècles, jusqu’au début du 13 ème siècle, c’est dans cette seigneurie que vont
s’établir les rapports de droit, c’est la féodalité. Ce phénomène ne touche pas que la France, mais
l’ensemble de l’Europe, et touche également l’Eglise. A partir de la fin du 9 ème siècle, elle est toujours
plus soumise à l’emprise des autorités laïques. A tous les niveaux, les princes puis les seigneurs
laïques vont s’emparer des biens ecclésiastiques. La papauté elle-même, qui subit d’abord la tutelle
des carolingiens, subit, à partir de la fin du 10 ème siècle, la tutelle des empereurs germaniques.
Pendant tout le 10ème siècle, l’Occident est plongé dans une situation de non-droit. A la fin du 11 ème
siècle, à partir de la réforme grégorienne, un renouvellement s’impose. C’est la papauté qui
commence par regagner sa place, puis les monarques laïcs vont ensuite réussir à se dégager de leur
emprise féodale. Ceci va permettre, à partir du 13 ème siècle, l’émergence d’un Etat en France. Cela a
été possible grâce à un renouveau des études juridiques, puisqu’entre la fin du 11 ème siècle et le
début du 13ème se produit une révolution juridique.

Titre 1 : La Révolution juridique des 11ème-


12ème siècle
La redécouverte, dans la seconde moitié du 11ème siècle, du droit romain antique, permet cette
révolution juridique. Par l’essor qu’elle donne à la science du droit, cette redécouverte donne un
essor au droit canonique et marque profondément le droit laïc, car elle est à l’origine de
l’émergence des droits territoriaux (droit nationaux de l’Europe aujourd’hui).

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Chapitre I : La redécouverte des compilations de Justinien
I – Les circonstances de la redécouverte des compilations de Justinien

Pendant le Moyen-Âge, elles sont restées ignoré du monde occidental. Ce Corpus Juris Civilis parait
beaucoup trop complexe aux occidentaux ayant subi l’influence germanique. La connaissance du
droit romain circule par le Bréviaire d’Alaric et les résumés qui en ont été fait. A partir du 11 ème siècle,
cette situation se modifie grâce à la réforme grégorienne qui diffuse ces textes en Occident.

1) Les causes de la redécouverte du droit de Justinien

Pour les clercs, notamment ceux de l’entourage des papes, le droit romain jouit d’un très grand
prestige. Cela est dû à la qualité du droit romain, bien supérieure au droit barbare et au fait que le
droit romain, depuis le 4 ème siècle, est formé d’une législation élaborée par des empereurs chrétiens,
c’est le droit d’un empire chrétien qui s’est voulu universel. C’est la raison pour laquelle dès le milieu
du 9ème siècle, certains papes ne vont pas hésiter à recourir au droit romain pour suppléer le droit
canonique. Ces règles empruntent au Code et au Institutes, mais ignorent le Digeste. C’est la
redécouverte du Digeste qui va provoquer la renaissance des études de droit romain. Cette
redécouverte a eu lieu à la faveur de recherches entreprises par la papauté lors de la réforme
grégorienne. La réforme grégorienne se développe en réaction contre la féodalité et les désordres
que celle-ci engendre, notamment dans le clergé. La féodalité a désorganisé les structures
ecclésiastiques du sommet jusqu’à la base. Au sommet le pape est totalement soumis aux
empereurs germaniques et a quasiment perdu tout pouvoir, et les clercs transgressent les règles de
la discipline ecclésiastique, en se mariant, en ayant des enfants et en usurpant à leur profit des biens
de l’Eglise.

Face à ce délabrement, l’abbaye de Cluny représente un îlot de résistance et les moines de l’abbaye
de Cluny pensent que pour pouvoir remédier à ce délabrement, il faut restaurer les pouvoirs du
pape. L’un de ces moines devient pape en 1049, sous le nom de Léon IX, et va tenter de mettre ces
idées en application. Plusieurs de ses successeurs partageant les mêmes idées, vont faire de même.
Le plus célèbre est un moine, Hildebrand, qui devient pape en 1073 sous le nom de Grégoire VII.
C’est lui qui, en raison de sa fermeté et de l’ampleur de ses réalisations, a laissé son nom à la réforme
grégorienne. Afin d’asseoir leur prétention, ces différents papes réformateurs vont s’entourer de
savants qui vont entreprendre des recherches dans les bibliothèques italiennes, de textes
permettant d’affirmer la supériorité du pape sur toutes les autres puissances ecclésiastiques et
laïques. C’est à cette occasion que sont redécouvertes les compilations de Justinien, car les savants
vont se rendre compte que le droit romain peut fournir au pape les moyens de sa reconquête
politique. Plusieurs réformateurs grégoriens commencent donc à l’utiliser dans les années 1070.

2) Les conditions de la redécouverte des compilations justiniennes

Les circonstances exactes demeurent inconnues. Le Digeste était connu en 1076, car il est cité dans
un procès en Italie du Nord. A la même époque, un moine, Yves voyage en Italie et fait la
connaissance du droit de Justinien. A son retour en France, en 1090, il devient évêque de Chartres et
rédige 3 grandes collections : le Décret, le Panormie, et le Tripartite. Dans ces collections il cite le
Digeste. A partir de ce moment-là, les juristes du Moyen-Âge vont réorganiser le Corpus Juris Civilis
en le complétant et en le divisant. Ils y ajoutent 2 Constitutions prises par l’empereur allemand
Frédéric Ier, et une prise par Frédéric II. Ces ajouts sont justifiés par le fait que ces empereurs
germaniques sont considérés comme les successeurs des empereurs romains. Leurs Constitutions
sont considérées comme des novelles.

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A partir du 13ème siècle, on ajoute à cet ensemble un traité de droit féodal, le livre des fiefs, qui est
étudié comme une simple partie du Corpus Juris Civilis. Avec ces rajouts, le droit romain n’est pas
considéré comme sacré mais comme quelque chose de vivant. Les remaniements de ce texte se font
dans un but strictement pratique. C’est sous cette forme que le droit romain est étudié dans les
écoles.

II – La renaissance de l’étude du droit romain : l’Ecole des Glossateurs

C’est d’abord à Bologne que l’on recommence à étudier le droit romain, puis cela se propage à la
France en 1130, puis au Nord de l’Europe à la fin du 13 ème siècle. Les premiers juristes médiévaux qui
étudient le droit romain en établissent une nouvelle méthode de travail qui va laisser son nom aux
juristes médiévaux, on les appelle les Glossateurs.

1) L’école de Bologne

A) Le cadre intellectuel du développement des études de droit romain

Au Moyen-Âge, le fait que cette étude ait commencé à Bologne n’est pas un hasard. A l’époque c’est
une des cités les plus riches d’Italie, et elle possède des cercles intellectuels groupés autour d’écoles
épiscopales. Le développement de ces études se fait dans des écoles cathédrales, établies par
l’évêché. L’enseignement de base, le Trivium était composé de 3 branches, on y étudie la
grammaire, la rhétorique et la dialectique. Au départ, les premiers juristes médiévaux sont à
l’origine des grammairiens, des philosophes… Ces matières sont enseignées notamment au travers
de modèles d’actes juridiques. La découverte du droit de Justinien modifie cette situation, certains
grammairiens, attirés par la qualité des textes juridiques, commencent à étudier le fond de ces
textes. A partir de là, apparaissent des petites écoles de droit qui se détachent des anciens centres
d’études.

B) Les premiers maitres

Le premier à avoir enseigné le droit à Bologne serait un certain Pepo, dont on sait peu de choses,
hormis le fait qu’il ne connaissait pas le Digeste. Le véritable père de l’école de Bologne est Irnerius,
son successeur direct. Il a une formation de grammairien, a été conseiller de l’empereur d’Allemagne
Henri V et a exercé des fonctions judiciaires. Dans les années 1150 il s‘est mis à lire et commenter
des textes de Justinien devant ses élèves, fondant ainsi une tradition d’enseignement juridique, et
faisant, par là même de Bologne, la capitale européenne du droit jusqu’à la fin du 13 ème siècle. Malgré
la modestie de son œuvre, son prestige est immense, ses contemporains l’ayant même surnommé le
Flambeau du droit. Il a eu pour disciple immédiat les 4 docteurs, qui ont dominé l’enseignement du
droit romain au milieu du 12 ème siècle. Ces 4 docteurs sont Bulgarus, grand défenseur du droit strict,
Martinus, grand adversaire de Bulgarus, défendant l’équité, Hugo et Jacobus. Les élèves de Martinus
et Bulgarus formeront deux écoles rivales. L’enseignement de ces ‘ docteurs va avoir une influence
considérable et les juristes se réfèrent à leur enseignement jusqu’à la fin du Moyen-Âge.

2) La diffusion du droit romain en France et dans le Nord de l’Europe

C’est en Provence que, sous l’influence italienne, on commence à étudier le droit romain. Cette
pénétration précoce du droit romain en Provence s’explique par sa proximité avec l’Italie du Nord, du
fait des échanges commerciaux entre les deux régions. Les hommes de loi italiens, qui connaissent le
droit romain, ancêtres des notaires, rédigent des actes juridiques pour certaines villes, des
seigneurs, des communautés religieuses. A partir de 1125, le vocabulaire et les règles du droit
romain vont se retrouver dans le droit provençal. Dans le même temps, les locaux vont se trouver
troublés par cela, n’étant pas formés au droit romain. Ces hommes de loi italiens créent donc

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localement des lieux d’enseignement éphémères du droit romain. Dès les années 1130, il existe une
école juridique qui se développe dans la vallée du Rhône. De même, vers 1150, Rogerius enseigne à
Montpellier et un de ses élèves poursuit ce centre d’études, qui est à l’origine de la Faculté de droit
de Montpellier créée un siècle plus tard. Le plus souvent, ces lieux d’enseignement sont épisodiques
et disparaissent avec le maitre. A partir de la deuxième moitié du 12 ème siècle, l’étude du droit romain
atteint le Nord de la France, Auxerre, Reims. Ce mouvement gagne toute l’Europe occidentale mais
toutes ces écoles juridiques ont une audience beaucoup moins importante que les écoles italiennes.
En réalité, c’est à Bologne que l’on va retrouver, au début du 13 ème siècle, les juristes les plus
importants. Tous ces juristes sont désignés sous le terme générique de glossateurs.

3) La formation d’une école de pensée : les glossateurs

A) La glose, première méthode de travail des juristes médiévaux

C’est une méthode d’interprétation qu’ont les juristes du Moyen-Âge. La science médiévale consiste
à lire et à interpréter un texte de base. Les théologiens travaillent sur la Bible, les médecins sur les
traités de médecine de l’Antiquité, et les juristes sur le Corpus Juris Civilis. Ces textes du Corpus Juris
Civilis ont vieilli, sont obscurs, datent d’une époque révolue et font référence à des situations nés de
contextes très différents du moment. Pour comprendre ces textes, les étudier, les enseignants vont
élaborer une méthode qui repose sur l’exégèse, qui établit le sens d’un texte au moyen d’une
critique scientifique. Le maitre va lire le texte et va s’arrêter sur chaque mot, sur chaque phrase qui
présent de l’importance ou est obscur, et en donne la définition, les explique. L’étudiant prend les
explications en marge ou entre les lignes des textes qu’il a sous les yeux. On appelle ces annotations
les gloses marginales ou interlinéaires. Si ce sont des notes apportées par le professeur, on parle
alors de gloses rédigées.

Ces gloses vont progressivement évoluer, se transformant en véritables commentaires du texte et


présenteront des interprétations plus libres de la règles. On s’attache moins à la lettre du texte qu’à
son esprit. On va chercher à comprendre le ou les textes étudiés en les mettant en relation les uns
avec les autres. On va également chercher à en tirer des règles générales. A partir de la fin du 12 ème
siècle, certaines gloses vont se fixer et deviennent permanentes, on parle alors d’apparat de gloses.
Progressivement, ces textes seront recopiés avec le texte original. Cet amas de gloses va finir par
constituer une masse hétérogène, très difficile d’usage. Dans les années 1227-1230, un juriste
bolonais, François Accurse va mettre de l’ordre dans ces gloses, en les classant, en les synthétisant. Il
rédige une Grande Glose de l’ensemble du Corpus Juris Civilis, appelée Glose Ordinaire ou Grande
Glose. C’est le texte de référence de la science juridique médiévale jusqu’au 16 ème siècle. Même
après l’invention de l’imprimerie, cette glose sera recopiée avec le texte original. A partir de la
deuxième moitié du 12ème siècle, les glossateurs ont de nouvelles méthodes de travail.

B) La diversification de méthodes de travail

Elle s’explique par des raison pratiques, dans le reste de l’Europe, les manuscrits du Corpus Juris
Civilis sont rares et chers. On les remplace par des résumés commentaires, les sommes. Plus que des
résumés, ces ouvrages vont former des petits traités, composés par les juristes qui empruntent
différents fragments de texte au Corpus Juris Civilis. Ces juristes vont modifier ces textes, et vont finir
par créer des œuvre nouvelles originales. Ces œuvres vont se teinter de préoccupations pratiques.
En faisant cela, les juristes vont adapter le droit romain à leur époque. Parallèlement,
l’enseignement du droit va progressivement s’organiser dans des écoles de droit dans lesquelles est
dispensé un enseignement théorique et pratique. Les maitres élaborent des procès fictifs, les casus,
les ancêtres de nos cas pratiques actuels. Ce sont les élèves qui discutent du problème en donnant
des arguments pro et des arguments contra mais c’est le maitre qui donne la solution en précisant

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l’application de la loi et sa portée pratique. A partir du milieu du 13 ème siècle, ces méthodes vont
évoluer. Ces méthodes d’enseignement sont reprises par le droit canonique.

Chapitre 2 : le renouveau du droit canonique


I – Les collections canoniques réformatrices et le Décret de Gratien

Certains clercs ont lancé des projets de réforme, pour ce faire, ils réunissent dans différentes
collection leurs idées, qu’ils diffusent. A partir de 1049, les réformateurs font élire un pape acquis à
leurs idées et 2 nouvelles collections sont composées. Avec l’arrivée de Grégoire VII, ces collections
se multiplient. Devant cela, la nécessité d’une refonte des textes se fait sentir, ce sera chose faite
avec le décret de Gratien, qui est sans doute le texte le plus important de toute l’histoire du droit
canonique. Son auteur, Gratien, moine dans un monastère de Bologne, était en fait évêque. L’œuvre
semble avoir été composée à Bologne, soit par l’homme seul soit par une équipe, autour de 1140. Le
texte définitif s’est formé progressivement, devient commun en 1150. Il réunit 4.000 textes
différents et qu’il classe d’une manière originale. Le véritable nom de ce décret est Concordance des
Canons discordants. Ce titre résume l’ambition du texte, faire le recensement des principaux textes
de droit canoniques, les classer, et résoudre leurs contradictions. Il s’agit de faire concorder ces
textes, en supprimant leurs discordances et en proposant éventuellement des solutions nouvelles. Il
fallait réunir les textes tirés des écritures saintes, les textes des Pères de l’Eglise, les canons des
conciles, les décrétales des papes, les classer et les comparer. Cela traduit une nouvelle méthode
d’approche du droit canonique, désormais, les textes sont discutés pour proposer une solution
nouvelle. L’œuvre de Gratien connait un très grand succès et éclipse toutes les anciennes collections
canoniques. Il devient un objet d’études et de commentaires dans toutes les écoles de droit
européennes.

Très vite, ce texte s’est avéré insuffisant, en raison de la multiplication de la législation pontificale.

II – Le droit nouveau

La restauration de l’autorité du pape a entrainé un développement de la législation pontificale et des


conciliaires.

1) Le développement de la législation pontificale et conciliaire

A) La législation conciliaire

Pour les papes grégoriens, il faut faire feu de tout bois pour restaurer l’autorité pontificale. Les
moyens à la disposition des papes pour arriver à leurs fins sont la tenue de conciles, qui vont
permettre de faire passer des mesures réformatrices. A côté de ces conciles, les papes, dès la fin du
11ème siècle, ne vont pas hésiter à légiférer eux-mêmes, et ce de manière très importante. A l’époque
de la réforme grégorienne, entre 1060 et 1120, de nombreux conciles sont réunis en Europe
occidentale. Certains de ces conciles ne sont que des conciles provinciaux, à l’échelle d’une région, ils
prennent donc des décisions à portée locale. D’autres assemblées, qui s’inscrivent dans un courant
beaucoup plus réformateur, sont placés sous l’autorité directe du pape. Dans ces conditions, la
législation prise par ces assemblées va être de portée beaucoup plus générale. Les réformateurs
grégoriens vont chercher, par tous les moyens, à multiplier les conciles soumis au pouvoir du pape.
C’est ainsi que plusieurs conciles, les conciles œcuméniques ou généraux, qui réunissent l’ensemble
des évêques chrétiens, sont réunis au 12 ème et 13ème siècle. Les plus importants sont les 4 conciles
œcuméniques du Latran qui se sont réunis en 1123, en 1139, en 1179, et en 1215. Ces conciles,

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censés représenter toute l’Eglise d’Occident, sous réunis sous l’autorité du pape qui en assure la
présidence. Concrètement, c’est le pape qui légifère en concile. Cela révèle le développement de
l’activité législative des papes.

B) La législation pontificale

Elle commence à se développer, cela se manifeste autant sur le plan qualitatif que quantitatif. Entre
la fin du 11ème siècle et le début du 13ème siècle, le nombre de décrétales se multiplie de façon
spectaculaire. Avec la réforme grégorienne et la restauration progressive de l’autorité du pape, des
décrétales de portée générale apparaissent, qui prennent une décision sans question préalable. Avec
la réforme grégorienne est apparue l’idée que le pape peut légiférer pour l’Eglise tout entière. Cela
s’explique par le fait que, à cette époque, le pape revendiquait à son profit un pouvoir législatif
exclusif, à l’image de ce que l’on observait pour les empereurs romains.

S’inspirant des textes de droit romain, les décrétales de portée générale vont se multiplier et les
canonistes reconnaissent à ces décrétales une véritable valeur légale. A la fin du 12 ème siècle, elles
sont même reconnues supérieures aux canons des conciles. Le pape, reconnu comme autorité
suprême est désormais véritablement placé au sommet de l’Eglise. Dans le même temps, la qualité
de ces décrétales générales va s’améliorer car les papes de l’époque sont tous de grands juristes.
Pour légiférer ils s’inspirent de plus en plus du droit romain, et leur législation va progressivement
prendre un caractère de plus en plus précis, technique. La multiplication du nombre de décrétales
va poser un problème, il est difficile de connaitre le droit hormis pour ceux qui ont accès aux
archives de la chancellerie car il n’y a pas de publicité de la loi. Pour pallier cet inconvénient, on
commence à constituer des collections de décrétales.

2) La codification des décrétales

A) Les premières codifications (1140 – 1234)

Elles apparaissent dans les années 1170-1180, une trentaine d’années après le décret de Gratien. On
trouve de ces collections en France, en Italie, au Portugal, en Angleterre… Ces premières collections
viennent d’initiatives privées, la plupart de ces collections présentent un aspect désordonné. Au bout
d’un certain temps, les juristes vont essayer de les classer par sujet. Cet effort de classement trouve
son aboutissent en 1192, un juriste nommé Bernard de Pavie, va achever une collection qu’il va
intituler Recueil de Décrétales extérieures au décret de Gratien. Cet ouvrage va rester dans
l’Histoire car il est remarquable pour l’époque. Il intègre essentiellement des textes nouveaux et le
plan choisit par l’auteur est extrêmement rigoureux. C’est un plan en 5 parties, l’office du juge et les
sources du droit, la procédure, les personnes et les biens ecclésiastiques, le mariage et les délits et
les peines. Toutes les collections, jusqu’à la fin du Moyen-Âge, suivront ce plan. Quatre autres
recueils sont élaborés dans les années suivantes. Elles sont désignées sous le l’appellation des Cinq
Anciennes Compilations, en regroupant avec elles le texte de Pavie. Très vite, la papauté va chercher
à contrôler la circulation de ces décrétales.

B) Les décrétales de Grégoire IX ou Liber Extra (1234)

Au début du 13ème siècle, les collections de décrétales se multiplient mais restent confuses et aucune
n’égale l’œuvre de Bernard de Pavie. Ces collections sont difficiles à utiliser, elles sont incomplètes,
d’autant plus que les papes continuent de légiférer. Les canonistes qui devaient enseigner, gérer ou
plaider dans un procès, utilisaient le décret de Gratien mais qui contenait des textes vieillis et
démodés, et ces cinq anciennes compilations qui parfois se contredisaient. C’est pour dissiper cet
embarras que Grégoire IX a décidé de codifier le droit de l’Eglise. Une légende exprime qu’après son

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accession au pouvoir, en 1227, a voulu alléguer une décrétale mais n’a pas réussi à la retrouver.
Grégoire IX, comme ses contemporains, connait les compilations de Justinien, il sait que c’est le
remède que l’empereur a employé face à la même situation. Le travail de préparation est confié à
Raymond de Peñafort, il sera présenté par la suite comme le Saint Patron des juristes. Il est né en
1180 et mort en 1275, a fait ses études de droit à Bologne avant de retourner enseigner à Barcelone.
En 1230, Grégoire IX lui demande de réunir toutes les décrétales qu’il peut trouver, d’en retrancher
les éléments superflus, et de les modifier à son gré pour les rendre rationnelles. La liberté qui est
laissée au codificateur est assez grande, l’esprit de l’entreprise est très proche de ce qu’avait fait
Justinien. La plupart des textes utilisés par Raymond de Peñafort sont des décrétales mais on trouve
des extraits des textes des pères de l’Eglise, de la Bible, du droit romain, et des canons des grands
conciles œcuméniques. Ce recueil va être divisée en 5 livres, l’organisation judiciaire de l’Eglise, la
procédure, la discipline du clergé, le mariage et le droit pénal. Ce recueil est promulgué
officiellement par Grégoire IX en 1234 et est immédiatement envoyé dans toutes les universités
pour y être enseigné et en faciliter la diffusion. Ce recueil devient le droit officiel de toute l’Eglise et
remplace toutes les anciennes collections, et toutes les dispositions contraires à ce recueil sont
abrogées.

Les règles anciennes que le recueil ne reprend pas et qui ne sont pas contradictoires restent en
vigueur, c’est pourquoi les juristes vont appeler ce recueil le Liber Extra, ce qui signifie livre
complémentaire au décret de Gratien. Même si le droit nouveau contenu dans ce livre dépasse le
décret, on continuera à utiliser ce dernier.

3) L’étude du droit canonique

C’est à Bologne que se développe l’étude du droit canonique. Elle a pour base le décret de Gratien.
Les juristes qui étudient le décret de Gratien sont les décrétistes. Les plus anciennes œuvres de
l’école en matière de droit canonique ne sont pas des gloses, mais des résumés commentaires. Ce
qui s’est passé pour le droit romain va se passer pour le droit canonique. L’étude du droit
canonique va gagner la France, notamment Paris où les études de théologie se développent à partir
du 12ème, puis toute l’Europe. Prenant exemple sur les romanistes, les canonistes vont se mettre à
rédiger des gloses. L’important est que toutes ces œuvres sont marquées par l’apport du droit
romain qui va très fréquemment être invoqué par les canonistes, pour le critiquer ou pour s’en
inspirer. A parti de 1180, les collections de décrétales vont faire l’objet d’études, les décrétalistes
travaillent sur celles-ci. Cette étude se développe à partir de la publication de l’œuvre de Bernard de
Pavie, grâce aux plans rigoureux. Les opinions développées par les décrétistes et les décrétalistes
sont originales et ont souvent été primordiales dans l’évolution de la science du droit.

4) L’apport du droit canonique

Le droit canonique médiéval a influencé le droit public et le droit privé car il est enseigné dans les
universités et est indispensable pour réglementer l’organisation de l’Eglise et de ses Tribunaux.
L’apport du droit canonique a été capital au droit public. La conception du pouvoir pontifical, des
relations entre le pape souverain, la hiérarchie ecclésiastique et l’ensemble des chrétiens, a été
copiée par les puissances laïques. Cela a hâté le développement de la souveraineté et donc des Etats
modernes. De même, les usages développés dans le gouvernement et dans l’administration de
l’Eglise ont servi de modèle aux institutions étatiques. La théorie canonique du mandat est à la base
de la notion de représentation politique sui s’est développée partout en Europe par la suite.

Sur le plan du droit privé, la conception moderne du mariage est due au droit canonique. Dans le
droit romain, le mariage résultait du consentement des époux et celui des chefs de famille. Dans la
tradition germanique, c’est l’union sexuelle qui est essentielle à la formation du mariage. Dans les

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deux cas, le chef de famille jouait un rôle essentiel et le lien matrimonial pouvait toujours être
facilement rompu. A partir du 12ème siècle, le principe est affirmé par l’Eglise que seul le
consentement des époux forme le lien conjugal. Le mariage devient un engagement purement
consensuel, un engagement purement personnel. Si éventuellement le consentement des familles
est souhaitable, il n’est en aucun cas obligatoire. De même, en matière contractuelle, les canonistes,
par soucis de moral et d’équité, on fait valoir sur toute autre considération, la nécessité de tenir ses
promesses. Ceci est à l’origine du consensualisme qui s’est imposé, avec l’idée que, dans un contrat,
seul importe la volonté des parties, l’intention des celles-ci. Tout engagement, dès lors qu’il est
honnête, doit être respecté. Ce consensualisme, à la base du droit des contrats, est dû au droit
canonique.

L’essor du droit canonique est contemporain de l’essor du droit romain, les canonistes étant souvent
formés au droit romain, l’inverse n’est pas encore vrai au 13 ème siècle.

5) Les rapports entre droit romain et droit canonique

Au 12-13ème siècle, les droits romains et canoniques sont les seuls enseignés. Ils sont désignés par les
juristes sous le terme d’Utrumque Jus, l’un et l’autre droit. Ces droits vont avoir des rapports
complexes, qui se comprennent en examinant la manière dont les juristes de l’un des droits
envisagent l’autre.

A) L’attitude des canonistes face au droit romain

Très tôt, l’Eglise a recours au droit romain. Pour les canonistes, ce droit romain est utilisé pour régler
les affaires du siècle. Gratien lui-même, dans son décret, rappelle la valeur du droit romain, en
précisant que l’Eglise l’utilise, à condition que ses dispositions ne s’opposent pas à celles du droit
canonique. Malgré tout, la place du droit romain dans le décret est extrêmement modeste, le but de
Gratien n’est pas d’exposer les règles romaines mais de mettre en avant les règles canoniques. Dans
le même temps, les décrétistes ne vont pas utiliser le droit romain pour interpréter le droit
canonique. Ce mouvement s’accentue à partir des années 1180, à partir de cette date, les papes
utilisent dans leurs décrétales le droit romain. A partir du 13 ème siècle, le recours au droit romain par
les canonistes va être de plus en plus fréquent et de plus en plus large. Cela s’explique par le
caractère vivant du droit que les canonistes étudient, il évolue, s’enrichie, donc l’interprétation de
règles nouvelles, bien souvent teintées de droit romain, exige sans cesse de nouveaux moyens,
fournis par le droit romain.

En dépit de cela, on continue, jusqu’à la fin du 13 ème siècle, à distinguer avec soin les deux droits.

B) L’attitude des romanistes face au droit canonique

Le droit canonique est un droit vivant, qui se créé chaque jour. A l’inverse, le droit romain repose sur
un corpus fermé, sur les compilations de Justinien. Après les quelques modifications des premiers
glossateurs, ces textes sont fixés. Les romanistes considèrent ce droit comme un droit harmonieux,
qui se suffit à lui-même. On n’a pas besoin de recourir au droit canonique pour interpréter le droit
romain. Les romanistes n’invoquent presque jamais le droit canonique. Dans certains domaines très
spécifiques, ces romanistes sont forcés de recourir aux règles du droit canonique qui sont
différentes des règles romaines, par exemple dans le cas du mariage, le droit romain permet le
divorce alors que le droit canonique l’interdit. En matière de mariage, c’est le droit canonique qui
s’applique. A partir du 13ème siècles, les romanistes vont relever les différences qui existent entre les
deux domaines. En faisant cela, ils montrent qu’ils n’ignorent rien du droit canonique.
Progressivement, ils vont finir par renvoyer au droit canonique, et même parfois à l’utiliser. On

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assiste à un mouvement d’interpénétration de ces deux droits. Il s’accélère à la fin du 13 ème siècle,
devient inévitable, notamment car les méthodes de travail sont identiques, ils existent des
parallèles entre droit romain et canonique. En dépit de ces différences, ces deux droits forment un
bloc, les droits savants car ce sont les droits enseignés et étudiés. A ce bloc s’oppose d’autres droits
que sont les coutumes et les législations émises par les princes et les cités. Mais ces autres droits
n’ont pu prendre consistance qu’au contact des droits savants.

Chapitre 3 : L’émergence des droits territoriaux


Sous l’influence du renouveau de la science du droit, le droit laïc connait, entre la fin du 11 ème siècle
et le début du 13ème, de très profonds bouleversements. A cette époque on voit apparaitre
localement des coutumes territoriales, se développer des villes au sein desquelles se mettent en
place des règlementations, et un retour de pouvoir du Roi de France.

I – La genèse des coutumes territoriales et des statuts urbains

L’apparition des coutumes territoriales est favorisée par différents facteurs qui vont conduire au
développement d’un droit coutumier territorial

1) Les facteurs favorables à l’émergence d’un droit coutumier et statuaire

Ces facteurs se résument à trois grands traits : le morcellement féodal, le renouveau des institutions
urbaines, et le développement des droits savants.

A) Le morcellement féodal et le cadre de la seigneurie banale

Le morcellement territorial, caractéristique de la féodalité trouve son aboutissement au début du


11ème siècle avec l’apparition de seigneuries banales. Les attributs de la puissance publique, autrefois
détenus par le roi, passent entre les mains d’une multitude de petits seigneurs locaux. Désormais,
c’est à ces seigneurs qu’appartiennent les pouvoir de commander et de décider, c'est à dire le
pouvoir de ban, autrefois détenu par le roi. Plus généralement, les seigneurs locaux recueillent les
anciens droits de puissance publics, le droit de rendre la justice, de lever l’impôt. Théoriquement, les
seigneurs peuvent, dans le cadre de leur seigneurie, peuvent prendre différents règlements et les
faire exécuter. Concrètement, les seigneurs ne prennent pas tel ou tel règlement pour le faire
exécuter, ce sont les usages qui vont gouverner les relations entre les seigneurs et ses sujets,
notamment dans le cadre de l’acquittement des impôts ou de la justice. Cela aboutit au fait que
certaines règles se fixent, elles deviennent des coutumes et leur ancienneté justifie leur caractère
obligatoire. Ces coutumes, nées des usages, vont finir par s’imposer aux habitants de la seigneurie
comme aux seigneurs. Ces coutumes ont une application territoriale, juridiquement elles se limitent
aux frontières de la seigneurie, aux ressorts de justice du seigneur, au territoire sur lequel le seigneur
exerce sa justice, c'est à dire sur le détroit de justice du seigneur.

B) Le renouveau des institutions urbaines

C’est un phénomène qui se produit dans tout l’Occident à la charnière des 11ème et 12ème siècle et qui
est favorisé par l’amélioration des conditions économiques et sociales. Le 11 ème siècle est une période
de paix, on assiste à une expansion démographique qui a pour conséquence une migration des
populations, elles vont quitter les campagnes pour aller vers les villes. A cette expansion
démographique vient s’ajouter un renouveau du commerce, des échanges. La croissance des villes
va favoriser l’émergence de nouvelles institutions urbaines. Les marchands ambulants vont très mal
s’accommoder du régime féodal, à l’inverse des paysans. Les marchands voyagent de seigneurie en

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seigneurie et s’accommodent mal des règles propres à chaque seigneurie. Ces marchands vont
prendre l’habitude de se grouper en associations pour demander, réclamer aux seigneurs, des
privilèges, qu’ils obtiendront avec plus ou moins de facilité. L’octroi de ces privilèges se font sous la
forme de chartes, celles-ci se multiplient dans le nord comme dans le midi. Au départ, ces privilèges
dérogent au droit commun féodal, par exemple des exemptions d’impôt, de taxes, des prérogatives
de justice, d’administration, ce sont surtout des dispositions de droit public.

A côté de la seigneurie, la ville favorise l’émergence de coutumes particulières, qui ont également
une application territoriale.

C) L’influence du droit savant

L’émergence du droit coutumier territorial est favorisé par la renaissance juridique savante. Lorsque
les juristes médiévaux redécouvrent le droit de Justinien, ils y trouvent des textes relatifs à la
coutume. De ces textes va naitre une théorie de la coutume. Dès le milieu du 12ème siècle les
premiers jalons sont posés, les glossateurs, à partir des textes de droit romain et des usages qu’ils
voient dans les villes, inventent l’expression de droit coutumier. A Rome, la coutume n’est que
supplétive de droit, elle s’applique en l’absence de droit. Ici, en conciliant droit et coutume et en
donnant naissance au droit coutumier, les glossateurs donnent à la coutume une valeur nouvelle
qu’elle n’avait pas jusque-là. En lui donnant valeur de droit, les romanistes vont s’attacher à définir la
coutume. La coutume est un droit non écrit qui nait de la répétition d’usages et qui trouve sa
valeur dans son ancienneté et dans le consensus qui l’a fait adopter. C’est la diffusion de ces
doctrines qui transforme le droit en droit coutumier.

 Premier trou CM 9
2) L’apparition d’un droit coutumier territorial

Les coutumes territoriales remplaçant peu à peu les lois personnelles sont apparues de manière très
progressive. Durant le Haut Moyen-Âge, l’essentiel du droit privé est régi par le droit personnel,
selon son origine ethnique. Ce système, à partir de la fin du 9 ème siècle, tombe en décadence. A la fin
du 9ème siècle on observe une fusion des populations, on ne connait plus l’origine des individus, ce
qui rend inapplicable le système, couplé à l’effondrement des institutions carolingiennes. Le
morcellement féodal donne le coup de grâce au système en faisant disparaitre les instances capables
de contrôler le système.

Pour régler leurs affaires, les particuliers vont prendre l’habitude d’avoir recours à des conventions
privées, des contrats formés par la seule volonté des parties. Ce contrat va pouvoir s’entourer d’une
certaine solennité, de par le prononcer de paroles, la rédaction d’un écrit, mais, quelle que soit sa
forme, ce qui fait naitre ce contrat, c’est la libre volonté de chacun des contractants. Dans ce
système, chacun fait sa loi. Lorsqu’apparaissent les coutumes féodales, l’idée se fait jour que
certains usages, de droit privé ou pénal, pratiqués fréquemment peuvent constituer des coutumes.
Mais, du fait de leur caractère oral, la connaissance des coutumes et leur preuve en justice est
extrêmement difficile. Pour remédier aux inconvénients de l’oralité, on va commencer par mettre ces
coutumes à l’écrit. Dans le même temps, ces recueils se démodent car la coutume est orale, donc
très souple, elle évolue vite, malgré la fixation par écrit à un instant donné. La volonté de rédaction
de ces textes témoigne d’une chose essentielle, la prise de conscience de l’existence d’un véritable
droit coutumier.

Les premiers textes qui font référence à l’idée de droit coutumier se retrouvent dans la première
moitié du 12ème siècle. En 1232, un accord est passé entre Gênes et Narbonne. Dans cet accord il

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existe une mention qui précise que les autorités locales réprimeront les délits commis par les
ressortissants de l’autre cité selon l’usage et les coutumes du lieu. Le Roi de France lui-même fait
référence à la coutume des marchands quelques années plus tard. Les particuliers vont prendre
l’habitude de faire référence aux coutumes, et ce dès la fin du 12 ème siècle. Du fait de leur caractère
oral, la connaissance des coutumes est de plus en plus difficile, et les juristes qui utilisent le droit
canonique et le droit romain n’hésitent pas à utiliser la coutume, la rendant ainsi de plus en plus
complexe et de moins en moins accessible à l’ensemble de la population. On va donc commencer à
les rédiger. Parallèlement à la formation de ce droit coutumier, la législation royale, tombée en
désuétude à la fin de l’époque carolingienne, connait un essor nouveau.

II – Le renouveau de la législation royale

A la fin du 10ème siècle, Hugues Capet devient roi et fonde une nouvelle dynastie, la dynastie
capétienne. Cette dynastie va s’acharner à recouvrer un pouvoir comparable à celui des carolingiens.
Il va y parvenir mais cette dynastie va finir par aller au-delà du pouvoir de la dynastie carolingienne à
partir du 13ème siècle. Cela va se faire progressivement et la royauté capétienne va progressivement
légiférer. Les tous premiers capétiens, qui n’ont que très peu de pouvoir, vont très peu légiférer.
C’est à partir de la deuxième moitié du 12ème siècle que les choses vont commencer à changer.

1) L’activité législative des premiers capétiens (fin 10 ème- milieu 12ème siècle)

Pendant environ 150 ans, de l’avènement de Hugues Capet en 987, jusqu’au règle de Louis VII entre
1137 et 1180, les rois de France vont légiférer essentiellement par privilège. A côté de ça, l’ancienne
idée de loi, au sens de mesure de portée générale et permanente, n’a pas totalement disparu des
esprits.

A) Le règne du privilège

Même à l’époque de la monarchie impériale romaine, lors de la toute-puissance de l’empereur, celui-


ci ne prenait que rarement des dispositions de portée générale, les constitutions. L’ essentiel de la
législation impériale romaine était composée de rescrits, réponses à des questions particulières. Ces
rescrits ne sont pas des lois générales mais des textes qui répondent à des situations juridiques
particulières. Les papes ne vont légiférer pratiquement que par rescrit jusqu’au 11ème siècle. Les
décrétales de portée générale n’apparaissent qu’à la fin du 11 ème siècle avec Grégoire VII, et restent
rares jusqu’à la fin du Moyen-Âge. Les autres princes européens légifèrent aux aussi par privilèges.
Avec ce système, il n’y a rien d’étonnant à ce que les premiers capétiens légifèrent par mesure
générales. En pratique, le roi de France n’accorde le plus souvent que des privatae leges, des lois
particulières, de privilèges. Cela signifie que ces actes législatifs des premiers capétiens, puisque ce
sont des actes particuliers, ont toujours une portée très limitée, ce sont des mesures en faveur d’un
seigneur, d’une abbaye, d’une ville…

Cette situation s’explique par l’idée que les gens du Moyen-Âge se font du droit. Pour les gens de
l’époque, le droit n’est pas une matière en perpétuelle évolution. Il existait un droit d’origine
naturelle et divine préexistant à l’Homme. Personne ne pouvait toucher à ce droit naturel et divin. En
plus, le droit humain devait en tous points se conformer à ce droit naturel et divin. Il se pouvait qu’à
un moment ou l’autre, pour des raisons particulières, on soit obligé de modifier le droit, il faut alors
user de milles précautions car c’est un acte très grave. Le cas le plus fréquent est, par exemple,
lorsque des mesures iniques se sont introduites dans le droit. L’exemple le plus fréquent est celui des
mauvaises coutumes. Ce sont par exemple, des seigneurs qui profitent du désordre féodal pour
s’attribuer des prérogatives indues, telles que des impôts trop élevés. Le Roi de France est en
principe habilité à intervenir et à réformer ces mauvaises coutumes. En pratique, les actes des

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premiers capétiens n’ont jamais revêtu une telle envergure, ils se sont contentés d’accorder des
faveurs telles que l’exemption de redevance ou la concession d’un droit particulier. Cela s’explique
également par la faiblesse relative des premiers capétiens. Si Hugues Capet et ses successeurs
auront bien le titre de Roi de France, leur pouvoir effectif ne s’exercera que sur les terres sur
lesquelles ils ont une autorité directe, l’actuelle Ile-de-France. Portant, l’idée de la loi telle que
connue sous l’Antiquité n’a pas totalement disparu.

B) La survivance de l’idée de loi

Dans le même temps, la survivance de l’idée de loi, qui n’a pas encore de conséquence pratique, est
entretenue par quelques intellectuels, parce que, pour ceux qui connaissent l’Histoire, la fonction
royale conserve, au moins symboliquement, un certain prestige. Ceux qui sont cultivés, lettrés, se
souviennent des pouvoirs des carolingiens, pour ceux-ci, les rois capétiens sont, à travers la fonction
royale, les successeurs des carolingiens. Ils sont donc héritiers de leur pouvoir. Dans la province
ecclésiastique de Reims, le souvenir carolingien est fort, et cette vision de la royauté est
particulièrement nette. L’abbé Richer, de l’abbaye de Saint-Rémi de Reims, écrit « selon la coutume
royale, Hugues Capet rendit des décrets, fit des lois, ordonna et dirigea tout ». C’est un chroniqueur
des capétiens. En réalité, Hugues Capet n’a bien sur rien accompli de tel. Ce qu’il faut retenir dans
cette phrase est que l’idée persiste chez certains, que le Roi est législateur. De cette idée, certains
intellectuels vont en faire un idéal. Ils vont être aidés, pour cela, par un certain nombre de
documents, de modèles.

Le premier modèle est l’Ancien Testament où l’on a l’exemple de rois qui légifèrent grâce à l’appui
divin (ex : livre des proverbes : par moi règnent les rois et les grands fixent de justes décrets). Un
autre modèle est les capitulaires carolingiennes qui continuent à circuler. On en trouve la trace dans
les collections canoniques. Avec ces capitulaires, on a des exemples de législation royale. A partir de
là, certains, dans l’entourage royal, vont savoir utiliser ces matériaux pour exalter le pouvoir législatif
du Roi. A côté de ces intellectuels, procure un modèle, c’est le redressement politique de la
papauté.

Le pape, à cette époque, est une autorité spirituelle mais également un monarque temporel, il peut
donc légiférer. Les rois capétiens vont prendre conscience de cet état de fait, et dès les années 1077,
le Roi de France, Philippe Ier, va chercher à étendre son autorité. Dans les différents textes qu’il va
accorder, il va rappeler son autorité dans le royaume. A partir de ce moment-là, les allusions à la loi
vont se multiplier dans tous les actes royaux. Petit à petit, on va prendre conscience de l’étendue, au
moins théorique, des pouvoirs du droit. Bien entendu, la réalité est relativement éloignée des
prétentions royales et le pouvoir du Roi se limite encore à son domaine.

Et pourtant, on voit apparaitre une nouvelle catégorie d’actes royaux, les mandements. L’apparition
de ces mandements témoigne d’un certain redressement du pouvoir royal. Ces mandements ne se
contentent pas d’accorder des faveurs, ils servent à exprimer des injonctions, le Roi donne un ordre
à travers ceux-ci. En faisant cela, en passant à l’injonction, le Roi de France prépare le terrain à une
certaine évolution du pouvoir. D’ailleurs, Louis VI qui monte sur le trône en 1106, accentue ce
mouvement, c’est l’éveil de la royauté française. Comme son père, il va utiliser des mandements,
beaucoup même. Cela traduit la tendance à un renouveau législatif. Louis VI ne va pas hésiter à
intervenir pour dispenser, individuellement ou collectivement, de l’application de telle ou telle
coutume. La nouveauté réside dans le fait que le Roi cherche à étendre à l’ensemble du royaume, les
privilèges qu’il octroie pour son domaine. Ainsi, en 1111, Louis VI accorde aux serfs de l’abbaye de
Saint-Denis, le droit de traduire en justice les hommes libres, et il précise que ce privilège s’étendra
à toutes les limites du royaume, chose tout à fait nouvelle.

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En réalité, la véritable révolution législative s’accomplit sous le règne de son successeur, Louis VII.

2) Les mutations de la seconde moitié du 12ème et du début du 13ème siècle

C’est en 1144, sous le règne de Louis VII, que le Roi de France va légiférer pour l’ensemble du
royaume. Dans cette évolution, le droit savant n’est pas étranger.

A) La diffusion du droit savant dans l’entourage royal

Le principal facteur qui a permis l’émergence d’une législation royale de portée générale est la
diffusion du droit savant dans le Sud de la France. Ceci correspond à l’introduction en France du
droit de Justinien. Seule une élite le connait, elle fait partie de l’entourage royal. Giraud de Bourges,
proche de Louis VII, rédige un traité de procédure roman-canonique. Ce traité est le plus ancien
traité juridique élaboré dans l’entourage du Roi de France. L’entourage de Louis VII connait les
compilations de Justinien. On y trouve la présentation de l’empereur comme un législateur
universel, cela présente un modèle bien supérieur à celui du pape. Certains intellectuels vont savoir
faire de ce droit une utilisation politique qu’ils vont mettre au service du Roi de France.
Paradoxalement, les premiers qui affirment le pouvoir législatif royal seront les canonistes, suivis par
les romanistes.

1) Le rôle des canonistes

Au 12ème siècle, les empereurs allemands se considèrent comme les successeurs des empereurs
romains. A ce titre, ils vont s’appuyer sur le droit romain pour affirmer leur autorité, leur
souveraineté, sur toute l’Europe occidentale. Les romanistes, qui pour la plupart sont au service de
l’empereur allemand, vont considérer le droit romain comme un droit impérial. Ces romanistes vont
affirmer, tout au long du 12 ème que là où l’on trouve le droit romain, là est l’empire. En d’autres
termes, cela revient à considérer que partout où s’applique le droit romain, l’empereur allemand
est souverain. C’est ce qui explique que, dès la deuxième partie du 12ème siècle, les romanistes
italiens présentent l’empereur comme la lex animata, la loi vivante. Cet empereur d’Allemagne peut
donc promulguer des lois, y soumettre les uns et en dispenser les autres, mais l’empereur peut juger
les rois et faire ce qu’il veut car il donne vie à la loi. Les juristes qui soutiennent l’empereur vont
puiser dans le droit romain. Ils vont ainsi attribuer à l’empereur allemand le pouvoir suprême
d’auctoritas. Puisque que l’empereur d’Allemagne a l’auctoritas, les différents rois européens n’ont
qu’une puissance secondaire, la potestas.

Dans le même temps, le pape cherche à réaffirmer son autorité, il ne peut donc laisser les
prétentions allemandes suivre leur cours. En réaction, les canonistes vont chercher à relativiser les
prétentions impériales, pour maintenir la primauté du pape. Dès les années 1160, les canonistes
vont s’attacher, pour essayer de limiter la puissance des empereurs allemands, à défendre les droits
des différents rois d’Europe occidentale. Pour ce faire, ils vont, eux aussi, reprendre les catégories
du droit public romain, et les remodeler à leur guise. L’idée mise en avant est que l’ auctoritas
revendiqué par l’empereur allemand, n’est pas sans partage, il n’est donc pas le seul à détenir le
pouvoir législatif. Dans leur souci d’affirmer la primauté du pape, les canonistes attribuent au pape
seule la véritable auctoritas. Les monarques temporels, eux, n’ont que la seule potestas. De cette
façon, l’empereur et les rois sont mis sur un pied d’égalité d’un point de vue législatif. Au milieu du
12ème siècle, Etienne de Tournai résume la situation et explique qu’une constitution, c’est ce qui est
pris par l’empereur, mais aussi par le roi, donc le droit d’édicter appartient au roi, dans les limites de
son royaume. A la fin du 12ème siècle, un des plus célèbres canonistes de l’époque, Huguccio de Pise,
déclare que « Dans son royaume le roi prend un édit, de même que l’empereur prend une
constitution, ainsi le roi et l’empereur sont semblables. ». Ces idées sont systématisées par les

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canonistes français, anglais et espagnols. Tout ce qui est dit de l’empereur est valable pour n’importe
quel roi, et spécialement ceux de France, d’Angleterre et d’Espagne. Le Roi de France acquiert le
droit législatif.

2) L’évolution des romanistes

Dans un premier temps, les glossateurs vont résister car ils considèrent que cette interprétation du
droit de Justinien est fausse. Face à la vitalité de certaines monarchies, cette position des romanistes
ne va pas pouvoir tenir très longtemps. Au début du 13ème siècle, leur résistance est vaincue. Aux
alentours de 1210, un des plus illustres représentants de l’école de Bologne, Azon, va prendre parti
en faveur des nouvelles doctrines. Il explique que le roi a, sur ses terres, les mêmes pouvoirs que
l’empereur sur les siennes. Donc le roi peut, sur ses terres, faire ce qui lui plait, et donc légiférer de la
même manière que l’empereur. Les juristes français vont s’engouffrer dans cette brèche doctrinale
pour défendre le pouvoir législatif du Roi de France. Mais, avant le 13ème siècle, cette autorité a déjà
commencé à se réaffirmer.

B) L’apparition d’une législation à portée générale : les ordonnances

C’est sous le règne de Louis VII qu’apparaissent les premières ordonnances, mais c’est sous le règne
de son fils, Philippe-Auguste, que s’affirme un véritable pouvoir législatif royal.

1) Louis VII (1137-1180) et les premières ordonnances

Au sens strict, une ordonnance est un acte législatif de protée générale et s’appliquant à l’ensemble
du royaume. Le premier de ces actes a été publié en 1144 par Louis VII, il concerne les Juifs relapses.
Ceux sont les Juifs coupables, au regard du droit canonique, d’avoir commis un crime contre la foi. La
relapse consiste, pour un hérétique, à retomber dans l’erreur après s’être converti. Pour échapper à
un certain nombre de persécutions, de nombreux Juifs se sont convertis officiellement au
catholicisme, certains d’entre eux continuaient à pratiquer clandestinement leur religion. Lorsque
cette situation était découverte, elle était assimilée à ce que les théologiens catholiques
considéraient comme une erreur. En 1144, Louis VII avec le consentement de ses barons, que ceux
qui de religion juive se sont convertis au catholicisme puis sont retombés dans l’erreur, seront
bannis du royaume. Cette décision s’applique à l’ensemble du royaume. 11 ans plus tard, en 1155,
une deuxième ordonnance est promulguée, qui institue la paix publique pendant 10 ans, dans tout
le royaume. Il est prévu par ce texte, que tous les habitants du royaume qui accepteront de se
soumettre à la justice royale, bénéficieront de la protection du Roi. Ces deux textes sont des mesures
de portée générale, applicables à l’ensemble du royaume. Si ces deux ordonnances représentent les
premières mesures de police générale du royaume, ils doivent avoir été accepté par les grands du
royaume pour être applicables. C’est seulement si les grands du royaume le veulent bien que la loi
nouvelle sera appliquée sur leurs terres. Ces différentes mesures représentent les premières
marques de la volonté législatrice du Roi de France, le mouvement est lancé. Le fils de Louis VII va
poursuivre et amplifier cette politique de législation à portée générale.

2) L’œuvre de Philippe Auguste (1180-1223)

Lorsqu’il arrive au pouvoir, il bénéficie de circonstances favorables qui lui permettent de s’émanciper
des grands du royaume. Il bénéficie du redressement du pouvoir royal entamé par ses père et grand-
père. Au début du règne de Philippe-Auguste, on prépare la Troisième Croisade, ce qui va être
l’occasion de prendre différentes mesures d’ordre général. La plus importante est en 1188, la
création d’un impôt général annuel sur les clercs et les laïcs qui ne partent pas en croisade. La
même année, il prend une ordonnance qui accorde un moratoire de dettes aux croisées. En 1190, il

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prend une ordonnance qui règle le gouvernement du royaume en son absence, et qui prévoit des
mesures s’il décède pendant la croisade. En dehors des circonstances liés aux croisades, le Roi va
prendre d’autres ordonnances, par exemple la répression du blasphème suite à une ordonnance
1182. Malgré tout, Philippe-Auguste, à l’image de ses prédécesseurs, légifère surtout par privilèges,
des dispenses individuelles.

Titre 2 : La fin du Moyen-Âge, (milieu


13ème siècle- fin 15ème siècle)
A la fin du Moyen-Âge, les mutations juridiques commencent à porter leur fruit, et l’impulsion
donnée à l’étude du droit se traduit par un épanouissement de l’enseignent juridique, c’est l’âge
d’or de la scolastique juridique, marquée par le règne du jus commune, le droit commun, c’est le
droit romano-canonique. Ce droit, commun à l’ensemble de l’Europe, va devoir s’ordonner avec
d’autres règles, les droits particuliers. Ces droits particuliers sont les coutumes, les statuts locaux, et
la législation des princes.

Chapitre 1 : L’âge d’or de la scolastique juridique


Le 13ème siècle européen est marqué par l’apparition des universités, cela entraine une évolution
dans l’enseignement du droit, et les méthodes d’études scientifiques du droit vont évoluer. Cela
conduit à la promotion du jus commune, source commune des droits européens continentaux de
l’époque moderne.

I – l’enseignement du droit

1) La naissance des universités

A) L’apparition des universités

Cette idée n’est pas nouvelle, elle existait déjà à Rome. Mais, il n’y avait pas d’enseignement d’Etat,
la formation des étudiants se faisait dans le cadre familial, auprès de pédagogues privés. On trouvait
des lieux d’enseignement du droit relativement importants dans certaines grandes villes telles que
Rome, Constantinople, Beyrouth ou Alexandrie. En Occident, les différentes écoles qui ont pu se
développer, mais également les études, disparaissent avec la chute de l’empire romain. On va
assister, à l’époque carolingienne, à une restauration de l’enseignement grâce à Charlemagne, on
voit se développer un certain nombre d’écoles confiées aux clercs, les seuls à être instruits à
l’époque. Charlemagne va notamment charger un religieux d’origine anglo-saxonne, Alcuin, de
diriger les écoles d’Aix-la-Chapelle et de Tours. On y enseigne le Trivium, la théologie, la rhétorique
et la grammaire. Mais cette renaissance carolingienne de l’enseignement va disparaitre en même
temps que l’empire carolingien. Dès le milieu du 9ème siècle, le désordre s’instaure et le savoir, la
connaissance, qui disparait peu à peu de la société laïque, va trouver refuge au sein de l’Eglise qui
continu à former ses propres cadres. Les écoles monastiques et les écoles épiscopales deviennent
les seuls lieux d’étude.

Pour la France du 11ème siècle, on connait une soixantaine d’écoles épiscopales, et au siècle suivant, 4
foyers d’enseignement se détachent, Chartres, Laon, Paris et Reims. Paris va bientôt se démarquer
des autres. Ce n’est qu’une fois que la paix sera rétablie, et l’activité économique relancé, que l’on

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voit apparaitre des nouvelles formes de culture intellectuelle. Dans tous les cas, les cadres de ce
renouveau restent les ecclésiastiques. L’émergence, au 12ème et 13ème siècle, de toutes sortes de
corporations favorisées par l’essor des villes, va conduire à l’apparition des universités. Avec le
développement des villes, on va assister à un renouveau des écoles épiscopales situées en ville. Dans
le même temps, les écoles monastiques vont connaitre une régression. Au sein de ces écoles,
l’enseignement étant principalement ecclésiastique, les seigneurs et les villes ne s’en occupent pas. A
ce moment-là, aucune législation scolaire n’existe, aucun texte ne fixe la durée des études ou le
contenu des enseignements. Dans cette organisation, à un niveau élémentaire, l’enseignement tient
sur la lecture, l’écriture et le chant. Au niveau moyen, on étudie les arts libéraux, le Trivium et le
Quadrivium, composé de l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie. A cette formation
peut s’ajouter une formation plus spécialisée dans les domaines de la théologie, de la médecine et
du droit. Au départ, tout cela se fait sans véritable unité, les enseignants peuvent, sur une même
question, professer des choses différentes. Avec cette absence d’organisation, on se trouve face à
des risques de dissension. Pour contrer ces risques, c’est à l’évêque qu’il appartient d’arbitrer le
conflit. Progressivement, il va avoir tendance à se réserver le monopole de tout l’enseignement qui
va développer dans son diocèse.

Progressivement, les étudiants seront de plus en plus nombreux. A Paris, à la fin du 12ème siècle, ces
étudiants s’installent sur la montagne Sainte Geneviève, et vont la coloniser, c’est d’où vient le nom
de quartier latin. Dès le 13 ème siècle, 2 centres d’enseignement dominent en Europe. Le premier est la
ville de Bologne qui domine l’enseignement du droit, et Paris qui est la capitale des études de
théologie. Les universités vont apparaitre, en réaction contre les pouvoirs ecclésiastiques et cintre les
pouvoirs laïcs. Les enseignants, à cette époque, sont des clercs, ils sont soumis à la juridiction de
l’évêque du lieu. Celui-ci ne va pas lui-même contrôler cet enseignement, mais, depuis le 12 ème siècle,
il a pris l’habitude de déléguer ses pouvoirs de contrôle d’enseignement à l’écolâtre, et qui prendra
le nom de chancelier au 13ème siècle. Celui-ci va accorder ou refuser aux uns ou aux autres la licentia
docendi ou permission d’enseigner. Les enseignants, mais également les étudiants vont très mal
supporter cette tutelle et vont chercher à s’en dégager. Le chancelier va rapidement perdre son
pouvoir au profit des maitres, et dès 1213, ce sont les maitres eux-mêmes qui attribueront la
permission d’enseigner. A partir de ce moment, maitres et étudiants se regroupent en
corporations, on leur donne le nom d’universitas, d’universités, qui désigne l’ensemble des maitres
et des étudiants.

Les pouvoirs laïcs vont alors chercher à mettre la main sur ces corporations devenant sources de
richesse et de prestige. Ces tentatives de contrôle sont très mal vu par les universitaires, et en 1200,
des émeutes éclatent entre les étudiants et la police royale commandée par le prévôt de Paris. A la
suite d’une bagarre opposant des étudiants et des bourgeois, en voulant arrêter ces étudiants, la
police royale tue 5 universitaires. Face à cette situation, les maitres parisiens vont se plaindre
auprès du Roi, Philippe-Auguste. En retour, il désavoue son prévôt et exempte les maitres et les
écoliers de la juridiction royale. Il accorde une loi particulière aux universitaires, plaçant maitres et
étudiants en dehors de la situation commune. Cette déclaration royale constitue l’acte de naissance
ou de reconnaissance d’un groupement nouveau, le corps des maitres et des écoliers des écoles de
Paris, qui deviendra l’université de Paris.

La papauté, à son tour, va essayer de profiter de ces conflits pour tenter de s’assurer un contrôle de
ces universités, notamment en ce qui concerne l’enseignement de la théologie. Dès la fin du 12ème
siècle, les papes vont commencer à intervenir pour défendre les universités contre les prétentions
des pouvoirs laïcs et des évêques, dans le but de placer ces universités sous leur propre juridiction.
Dès 1194, le pape Célestin III accorde à ce qui deviendra l’université de Paris, ses premiers

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privilèges. Ce sont Innocent III et Grégoire IX qui assurent à l’université son autonomie définitive. En
1215, sous le pontificat d’Innocent III, Robert de Courson, représentant du pape, donne à l’université
ses premiers statuts officiels. En 1222, le pape Honorius III va parler de l’université des maitres et
des écoliers parisiens. A partir de ce moment, l’université choisit ses enseignants et le chancelier de
l’évêque ne fait plus que délivrer les diplômes d’enseignement à ceux qui sont choisis par les
universités. En 1229, des nouvelles émeutes opposent les étudiants parisiens et la police royale. Ce
conflit va entrainer une grève générale de l’université, elle se retire de Paris et s’installe à Orléans.
C’est une arme importante car le départ de l’université d’une ville peut conduire à la ruine de cette
dernière. Le conflit dure 2 ans avant que Saint-Louis ne reconnaisse officiellement l’indépendance
de l’université, grâce à l’intervention du pape Grégoire IX. En 1231, le pape règlemente
l’enseignement et se réserve les sanctions les plus lourdes contre les maitres, les étudiants et le
personnel de l’université. Par ces interventions, le Saint-Siège reconnait la valeur de l’activité
intellectuelle des universités, et il s’assure une tutelle directe qui lui permet de veiller à la
conformité des enseignements et de la recherche universitaire

B) L’organisation universitaire

Il existe plusieurs types d’universités, mais toutes partagent un certain nombre de caractères
communs. Le premier est que l’université est une corporation ecclésiastique, tous ses membres sont
assimilés à des clercs, enseignants comme étudiants. Ils reçoivent donc tous la tonsure. L’université
échappe aux juridictions laïques et relève directement de Rome. Cette université jouit du droit de
grève, du droit de sécession. A ce titre, l’université peut décider de cesser les cours, de se
transporter dans une autre ville, elle peut également décider de refuser de participer à des
cérémonies officielles, c’est un moyen d’alerter l’opinion publique sur son désaccord avec une
décision. La corporation universitaire dispose d’un monopole local en matière d’enseignement et en
matière de collation des grades universitaires. Ces universités sont totalement internationales, les
étudiants et les enseignants viennent de tous les pays, l’enseignement se fait en latin. Les
professeurs ne sont pas payés car tous sont des clercs, donc ils perçoivent les revenus attachés à
leurs fonctions ecclésiastiques, mais les écoliers, s’ils le souhaitent, peuvent rétribuer leurs
enseignants. Les gradués des plus grandes universités reçoivent la licentia ubique docendi ou
permission d’enseigner partout, dans n’importe quelle université. Au milieu du 13 ème siècle,
l’université se voit reconnaitre, par le pape Innocent IV, le statut de personne juridique, il l’explique
en disant que « Lorsqu’un procès surviendra à propos d’une université, on feindra qu’il s’agit d’une
personne. ». C’est de cette façon qu’est apparu le concept de personne moral.

L’organisation des universités varie selon les lieux mais il y en a 2 grands types, Bologne et Paris. A
Paris, la vie universitaire suscite, à l’attention des étudiants pauvres, la création de collèges dans
lesquels ceux-ci pourront se loger et se nourrir. Bien souvent, on trouve à l’origine de ces collèges,
des fondations privées. En 1248, Louis IX a donné à Robert de Sorbon, un immeuble, pour abriter 16
étudiants en théologie, cette donation est à l’origine de la Sorbonne. L’université de Paris se
compose de 4 facultés, il y a la faculté des arts (lettres), celle de décret (droit), celle de médecine et
celle de théologie. La faculté de droit est celle de décret car, à partir de de 1219, on ne va plus
enseigner à Paris que le droit canonique dont la base est le décret de Gratien. Dans le cursus
universitaire, la faculté des arts est la faculté élémentaire, celle par laquelle tout le monde passe
avant d’accéder à une des trois autres, les facultés supérieures. Dans ces facultés, les étudiants sont
regroupés selon leur pays d’origine, en 4 nations, des groupements d’amitié et d’entraide. Chacune
de ces nations a, à sa tête, un procureur élu, les 4 procureurs assistent le recteur, à la tête de la
faculté. Les facultés supérieures sont dirigées par un doyen élu par les docteurs de l’université. Au
cours du 13ème siècle, le recteur de la faculté des arts devient le chef de l’université, il préside les

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assemblées, dispose des finances. Des bedeaux sont chargés de proclamer les congés, les heures de
cours, les jours de leçons, de publier les décisions de la faculté et d’en assurer l’exécution matérielle.
Ils sont également chargés de précéder, avec des masses d’argent, le recteur ou le doyen lors des
grandes cérémonies. Ces bedeaux existent toujours.

L’université, en tant que personne morale, possède une devise : Hic et ubique terrarum, ici et partout
sur la Terre. Elle possède aussi un sceau qui lui permet d’authentifier ses actes, représentant Saint
Nicolas, le saint des étudiants et Sainte Catherine, la sainte de la Sorbonne.

A Bologne, l’organisation est un peu différente, les maitres ne font pas partie de la corporation
universitaire. L’université au sens strict ne groupe que les étudiants, les maitres forment un collège à
part, un collège de docteur. A Bologne, chaque faculté forme une université à part, les deux plus
importantes sont celles de droit civil (romain), et celle de droit canonique. Elles vont fusionner et
auront à leur tête un recteur. A Bologne également, les étudiants sont regroupés par nations,
groupés en deux fédérations, la fédération des citramontains et celle des ultramontains, ceux qui
viennent d’Italie et les autres.

 Trou du CM 11
2) L’organisation des études

L’organisation des études, même si elle varie selon les lieux, obéit à un schéma courant.
Contrairement à l’université actuelle, l’université médiévale n’est pas seulement un établissement
d’enseignement supérieur, elle s’occupe également de l’enseignement primaire et secondaire, on
peut y rentrer dès l’âge de 8 ans. Le cursus universitaire commence toujours par un passage à la
faculté des arts, pendant 6 ans. Il est disposé entre l’âge de 14 et 20 ans. Ces 6 ans sont divisés en
deux périodes, le baccalauréat au bout de deux ans, et le doctorat 4 ans plus tard. C’est seulement à
la sortie de la faculté des arts que l’étudiant peut entrer en droit, en médecine ou en théologie. Pour
les études de droit et de médecine, la période est de 6 ans, après lequel on obtient le titre de licencié
ou de docteur. Les études de théologie durent 8 ans voire plus.

Au moment où l’université se développe, les effectifs des étudiants en droit est de plus en plus
nombreux, on est dans une époque où l’on a besoin de juristes pour les administrations qui se
développent, pour les tribunaux. Au terme des études, on distingue 2 grandes étapes, l’examen
privé et l’examen public. L’examen privé est une épreuve d’une journée qui commence par
l’audition de la messe du Saint-Esprit, censé inspirer l’étudiant. Le candidat comparait alors devant
un collège de docteurs, dont l’un donne à l’étudiant 2 passages, l’un des compilations de Justinien,
l’autre du décret de Gratien ou des compilations de Grégoire IX, à commenter. Le candidat se retire
chez lui, prépare son commentaire, et se représente le soir devant le jury, expose son commentaire
et répond aux questions du jury. Au terme de l’épreuve, les membres du jury délibèrent et le
candidat est déclaré reçu à la majorité des voix, il est alors licencié. Il prend le titre de docteur et ne
peut enseigner qu’à la suite d’un examen public se déroulant à la cathédrale. Le candidat va faire
un discours, soutient une thèse de droit, et doit défendre son opinion contre les étudiants présents :
Il mène une disputation. A la suite de cet examen, on lui délivre la licencia docendi, la permission
d’enseigner.

3) La méthode d’enseignement : la technique dite scolastique

Cette technique se met en place à partir de la fin du 12 ème siècle, c’est une méthode de pensée tout à
fait nouvelle qui va laisser une empreinte extrêmement profonde sur la pensée juridique
occidentale. Cette méthode scolastique comporte trois caractéristiques essentielles, c’est une

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science du langage, de la démonstration et des autorités. La science du langage vient du fait que les
intellectuels du Moyen-Âge accordent au langage une importance cruciale. Pour ceux-ci il est
essentiel de connaitre quels rapports il existe entre un mot et un concept. C’est pourquoi on trouve
la grammaire et l’étymologie à la base de l’enseignement. C’est également une science de la
démonstration car l’exercice de base consiste à exposer une question, à la discuter, et à la
résoudre. Enfin, la scolastique c’est la science des autorités, car la science médiévale se nourrit de
textes. Presque toujours, on s’appuie sur un texte de base qui sert de référence, que l’on va
commenter. Mais les commentaires que suscite le texte sont justifiés, appuyés, par des références à
d’autres textes. Ces textes justificatifs sont appelés autorités. Tous les exercices universitaires sont
entièrement bâtis à partir de ces trois éléments.

A la base de l’exercice universitaire, on trouve la lecture. Le maitre, l’enseignant, commence par lire
le texte et en produit une analyse grammaticale, ce qui permet d’avoir la lettre même du texte. Après
cela, le maitre donne l’explication logique du texte, ou sens du texte. La lecture s’achève par la
révélation du contenu scientifique du texte. C’est plus ou moins l’ancêtre du cours magistral actuel.
Le commentaire de texte donne lieu à des discussions avec les élèves, cela correspond plus ou moins
aux travaux dirigés actuels. De cette façon, on voit se développer dans l’ensemble de l’Europe
occidental, une pensée juridique nouvelle, empreinte de rigueur. C’est de cette méthode que va
naitre la rationalité occidentale. A la fin du Moyen-Âge, ce système va finir par tourner en rond car
certains auteurs vont avoir tendance à se noyer dans des controverses sans fin, à se noyer dans les
autorités (= enculer les mouches). Certains intellectuels vont remettre en cause ce principe, c’est
ainsi que va naitre une nouvelle méthode de pensée, l’humanisme. Malgré tout, la pensée
scolastique va exercer une très forte influence, notamment dans les domaines de la philosophie et du
droit.

II – L’étude du droit

Elle est désormais installée dans un cadre universitaire, et est nourrie de nouvelles méthodes de
réflexion, la science du droit va connaitre, à la fin du Moyen-Âge, un développement très important.
Droit romain et canonique vont finir par former le jus commune, le droit commun.

1) L’étude du droit romain

Le développement de la scolastique a eu pour premier effet, d’entrainer une profonde évolution de


la manière d’aborder les textes romains. On va passer de la méthode de la glose à celle du
commentaire. Cette technique nouvelle va principalement être développée par l’école d’Orléans au
13ème siècle, puis se répandra en Italie. Ce passage va se faire de façon très progressive au cours du
13ème siècle. Les gloses vont se faire de plus en plus longues, systématiques, et vont se transformer en
véritables discussions dans lesquelles on trouvera l’exposé d’arguments positifs et négatifs, ainsi
qu’une solution proposée. A Bologne, l’auteur qui illustre le mieux cette transition est Odofrède, qui
va enseigner dans la première moitié du 13 ème siècle, il est considéré comme le dernier des
glossateurs et le premier des commentateurs. C’est en France, au milieu du 13 ème siècle, que va se
développer ce mode de pensée.

A) L’importance de l’école d’Orléans au 13 ème siècle

L’étude du droit romain est interdite à Paris, c’est pourquoi elle se développe à Orléans. En 1219, par
la décrétale super speculam, Honorius III interdit tout enseignement des leges, le droit romain. Cette
interdiction était justifiée par le fait que cela ait été demandé par Philippe-Auguste. Un siècle plus
tard, Philippe le Bel donne encore cette version des faits. Philippe-Auguste aurait fait cela car les
premiers glossateurs, en assimilant l’empereur allemand à l’empereur romain, le déclarait

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dominus mundi, maitre du monde. Or cette situation ne pouvait être acceptée en France à un
moment où l’on voulait proclamer l’indépendance du Roi de France. En réalité, cette thèse de
l’hostilité politique du Roi de France au droit romain ne colle pas, d’autant plus que Louis VII, père de
Philippe-Auguste, a des romanistes parmi ses conseillers, il fait usage du droit romain. La véritable
raison de l’interdiction du droit romain par le pape à Paris tient au fait que les clercs ont tendance à
délaisser les études de théologie pour faire du droit, car il offre de meilleures perspectives de
carrière. C’est pour préserver l’enseignement de la théologie que la pape interdit l’enseignement du
droit romain à Paris.

De fait, le droit romain trouve refuge à Orléans dès 1230. 5 ans plus tard, le pape Grégoire IX
autorise expressément l’enseignement du droit romain à Orléans. En 1306, le pape Clément V
accorde à Orléans le statut d’université. Avant même qu’Orléans ait reçu ce statut, l’école d’Orléans
s’est distinguée des autres centres européens par son brio. Ce qui va faire l’originalité de cette école
est sa modernité. Très rapidement, les maitres orléanais vont adopter la technique scolastique et
leurs œuvres vont devenir de véritables commentaires, ils vont révolutionner la méthode juridique
en rejetant la méthode des glossateurs, trop servile par rapport aux textes. Ces glossateurs
considéraient le droit romain comme une sorte de sagesse intemporelle, leur but était de retrouver
le sens originel des mots. Pour les professeurs d’Orléans, le but est différent, c’est l’utilisation du
droit romain, couplée à la prise en compte de la singularité de leur époque par rapport à celle où le
droit romain s’est formé. Ces orléanais ne vont plus considérer ce droit romain comme un texte
intouchable, mais ils vont le voir comme un matériau qu’il faut adapter, par des commentaires, aux
nécessités du temps. Ils vont oublier la glose au profit de véritables discussions, et vont adopter une
démarche thématique, en regroupant tous les textes du corpus relatifs à telle ou telle question, en
les comparant, et en proposant une solution satisfaisante. C’est ainsi que l’on passe à un
commentaire des compilations de Justinien.

Les deux grands maitres orléanais étaient Jacques de Révigny et Pierre de Belleperche. Révigny est
né en 1240, enseigne à Orléans, devient évêque de Verdun et va laisser un grand nombre d’œuvres,
notamment un dictionnaire du droit, le premier du genre. Il s’est également intéressé à la coutume  ;
Belleperche est un élève de Révigny, il enseigne à Orléans entre 1280 et 1296, devient conseiller du
Roi et chancelier de France en 1306. Ces deux juristes ont une importance considérable pour
l’histoire ultérieur du droit, ils attirent des étudiants de toute l’Europe. Leurs théories et méthodes
d’enseignement vont être reprises par les Italiens, qui vont les diffuser. Cela se fait notamment grâce
à Cynus de Pistoie, qui rapporte à Bologne la méthode orléanaise, et assure le renouveau de l’école
juridique italienne au 14ème siècle.

B) Les écoles Italiennes des 14ème-15ème siècle

A cette époque, les centres d’études et les sujets nouveaux de réflexion vont se multiplier. C’est
principalement en Italie que va se développer la science du droit romain. Jusqu’à la fin du Moyen-
Âge, la ville de Bologne va représenter la mère nourricière des lois pour l’ensemble des juristes
européens. D’autres centres importants se développent en Italie. à partir de la fin du 13 ème siècle, ces
écoles de droit ne se limitent plus à l’étude exclusive du droit de Justinien, certains juristes se
spécialisent dans l’étude du droit romain, au droit féodal, au statut des villes. Cette diversification
des genres montre le souci des juristes de s’adapter à la pratique de leur temps. C’est justement à
cette époque que Cynus de Pistoie importe en Italie les théories et méthodes de son maitre. A partir
de là, la méthode du commentaire va connaitre un succès considérable, une nouvelle école de
pensée va naitre, le Bartolisme, en référence à son principal promoteur, Bartole. Il est un élève de
Cynus de Pistoie et va être le juriste le plus célèbre du Moyen-Âge. Il va pousser très loin les libertés à
l’égard des compilations de Justinien, ce n’est pas la lettre du droit romain qui importe, c’est son

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esprit, sa raison. Son élève, Balde, va être le juriste européen le plus célèbre. A la fin du Moyen-Âge,
ils assurent le triomphe de la méthode italienne d’étude du droit romain. MANQUE UN BOUT DU
COURS

2) L’étude du droit canonique

A) Le renouvellement des sources du droit canonique

A cette période, on observe un renouveau du pouvoir législatif, et à partir de Grégoire IX, les
décrétales de caractère strictement législatif vont se multiplier, on légifère de plus en plus. Cette
multiplication législative va très vite rendre obsolète le Liber Extra de Grégoire IX. Pour faciliter la
connaissance des nouveaux textes législatifs, certains papes vont faire rédiger des recueils qui vont
compléter la collection de Grégoire IX. A la fin du 13ème siècle, en 1296, Boniface VIII ordonne une
nouvelle codification qui est censée compléter les 5 premiers livres de décrétales de Grégoire IX, on
l’appelle le Sexte, ou sixième livre. Aussitôt publié, on va l’envoyer aux universités européennes pour
qu’il soit étudié. A partir de la promulgation du Sexte, on ne pourra plus invoquer les décrétales
publiées après Grégoire IX qui ne sont pas contenues dans le Sexte. 14 ans plus tard, Clément V
promulgue une nouvelle collection, les Clémentines. 2 autres collections complémentaires
d’initiative privées seront composées, une première qui va réunir les textes de Jean XXII, les
Extravagantes de Jean XXII, à partir de 1320, la deuxième apparait à la fin du 14 ème siècle et s’appelle
les Extravagantes Communes. Au début du 15ème siècle, Jean Chapuis, un canoniste français réunit
ces différentes codifications avec le décret de Gratien et publie le tout sous le nom de Corpus Juris
Canonici. Cet ensemble est officiellement reconnu en 1582. A partir de ce moment-là, ce Corpus
Juris Canonici représente, pour le droit canonique, le pendant du Corpus Juris Civilis pour le droit
romain. Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, certaines sources de droit extérieures à ce corpus continuent
d’exister et de circuler. Depuis 1215, dans chaque diocèse, 2 fois par an, l’évêque réunit son clergé au
cours d’assemblées, les synodes diocésains, au cours desquels il règle des problèmes locaux en
promulguant des statuts synodaux qui sont des mini-codes de droit à l’usage du clergé du diocèse.

A côté de ces sources, un nouvel élément apparait, la jurisprudence des tribunaux ecclésiastiques,
car depuis le 13ème siècle, chaque évêque dispose d’un tribunal permanent, l’officialité, qui a, à sa
tête un juge délégué de l’évêque, l’official. Par son rôle d’interprète du droit, le juge ecclésiastique va
parfois élaborer des règles nouvelles, des règles qui seront ultérieurement reprises par d’autres
juges, ou éventuellement même, qui seront reprises par le législateur ecclésiastique. Ces officialités
sont organisées hiérarchiquement et connaissent un système d’appel hiérarchique qui, de degré
d’appel en degré d’appel, peut remonter jusqu’au pape. Il dispose en effet d’un tribunal permanent
depuis le 13ème siècle, le Tribunal de la Rote, qui peut dégager des décisions faisant jurisprudence.

Toutes ces sources nouvelles ont été, pour le droit canoniques, un facteur de renouvellement des
études de ce droit.

B) Les écoles canoniques

Les professeurs des universités vont se tourner vers l’étude de droit nouveau, vers les décrétales. Au
milieu du 13ème siècle, les canonistes vont adopter la méthode scolastique en imitant les
romanistes. Ils élaborent des commentaires, donnent des consultations, et les méthodes de travail
de l’un et l’autre droit vont avoir tendance à se confondre, d’autant plus que les canonistes utilisent
très largement le droit romain. La science canonique va connaitre, dans la deuxième moitié du 14 ème
siècle, un essor formidable en France, grâce à l’installation de la papauté à Avignon. Les élèves des
maitres italiens formés au droit canonique et au droit romain vont se répandre dans l’Europe, c’est
ainsi que se forme le Jus Commune, le droit commun de l’Europe.

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III – L’épanouissement du Jus Commune

1) Développement et contenu du concept de Jus Commune

Dès le 13ème siècle, certains juristes appellent le droit romain Jus Commune. Cette appellation sert a à
montrer que ce droit romain est considéré comme universel. Autrefois il était le droit de l’empire
romain, désormais il est considéré comme le droit laïc commun à toute l’Europe. Ce droit commun
ne se limite pas au seul droit de Justinien, les juristes du Moyen-Âge vont y joindre les commentaires
qu’en ont fait les docteurs. Cela signifie que ce droit commun est un droit qui est fait par les juristes
et qui va s’imposer dans tous les pays où ces juristes exercent. Dans l’esprit de ces juristes, ce droit
commun a un objectif particulier, il est là pour fixer les grands principes. Cela sous-entend que ce
droit commun se place au-dessus de ce que les juristes appellent les droits propres ou particuliers
(législation de princes, statut urbains, coutumes). Puisque ce droit commun n’est là que pour fixer les
grands principes, les droits propres ont vocation à s’appliquer en premier. C’est à titre subsidiaire
que le droit romain est appliqué. A partir du 14ème siècle, ce droit commun va changer de nature. A
partir de ce moment, on retrouve l’influence de la scolastique. Dans ce droit romain, les grands
commentateurs comme Bartole et Balde vont introduire des éléments nouveaux, des dispositions du
droit urbain, du droit coutumier, mais surtout du droit canonique. Cette fusion entre les deux
droits va être particulièrement sensible dans le domaine de la procédure. à partir de ce moment-là,
la procédure qui va se mettre en place sera une procédure romano-canonique. Progressivement, ce
Jus Commune devient un droit romano-canonique.

2) La portée du concept de Jus Commune

Ce Jus Commune comprend les textes normatifs fondateurs, c'est à dire les Corpus Juris Civilis et
Canonici, mais il recouvre également les commentaires qui en sont fait. Très schématiquement, ce
droit commun équivaut à ce que l’on appelle aujourd'hui la doctrine. Au Moyen-Âge, c’est l’une des
premières sources du droit. Vient ensuite la coutume et la jurisprudence, avec la loi qui est la
moins importante. C’est l’ordre exactement inverse aujourd'hui. Quelle est la sphère d’influence de
ces différentes sources ? La doctrine, le Jus Commune, gouverne une bonne partie du droit privé, le
droit de la famille au sens strict est régi par le droit romano-canonique. Ces questions relèvent de la
compétence des cours d’Eglise, elles échappent à la coutume, et aux législations des villes et des
princes. De même, le droit des obligations relève du droit romano-canonique. Ce droit couvre des
pans importants du droit. La coutume gouverne le droit patrimonial. La jurisprudence, quant à elle,
n’est pas encore une véritable source de droit, car elle n’intervient encore que pour sanctionner le
droit commun ou le droit coutumier. La loi voit son domaine d’intervention presqu’entièrement
cantonné au droit public. A partir de là, une question se pose, celle des rapports qui peuvent exister
entre le droit commun et les droits particuliers.

Chapitre 2 : Jus Commune et droits particuliers, l’exemple de la France


Pour des raisons politiques, la position du droit commun en France présente un caractère particulier.
A côté de cela, la France, à la fin du Moyen-Âge, se caractérise par une floraison de ces droits
particuliers.

I – La position du Jus Commune en France

Le droit romain, découvert en Italie, pénètre très tôt en France, dans le midi d’abord, puis dans le
nord dès la fin du 12ème siècle. Les premiers capétiens ont très vite compris l’intérêt politique qu’ils

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pouvaient tirer de ce droit. Mais dans le même temps, l’utilisation du droit romain va poser un
certain nombre de problèmes politiques.

1) Le problème politique de la réception du droit romain

Ce problème politique tient au fait que, pendant longtemps, les romanistes ont considéré le droit
romain comme un droit impérial, ce qui leur permettait d’affirmer que l’empereur allemand pouvait
exercer sa souveraineté sur l’ensemble des princes européens. Cette revendication des romanistes
va être vaincue au début du 13ème siècle, grâce à l’action des canonistes qui mettaient en avant la
souveraineté du pape. Dans le même temps, les rois de France vont tenter, eux aussi, de contrer
l’impérialisme des empereurs germaniques, en affirmant eux-mêmes leur propre souveraineté.

En 1202, le pape Innocent III va reconnaitre, de manière incidente, que le roi de France ne connait
aucun supérieur au-dessus de lui. Dès le début du 13 ème siècle, un certain nombre d’intellectuels de
l’entourage royal vont élever le roi de France à la hauteur de l’empereur allemande. Au même
moment, Innocent III va expliquer que le roi de France ne reconnait aucun souverain au-dessus de
lui.

Les juristes vont s’engouffrer dans cette brèche. En 1204, Rigord, le biographe officiel du roi Philippe
II va le qualifier d’Auguste, autrement dit, de détenteur de l’auctoritas. Se faisant, il sous-entend que
le roi de France est l’égal de l’empereur. Quelques années plus tard, un juriste, Jean de Blanot,
explique que le roi de France est empereur en son royaume. Comme en France, le droit romain est
très largement utilisé, les juristes italiens vont revenir à la charge et vont relancer l’idée que le roi
de France est soumis à l’empereur. Il faut donc de nouveau allumer un contrefeu. Cela se manifeste
par le fait que les monarques français, à partir du règne de Philippe Le Bel, vont affirmer que si le
droit romain est utilisé en France, les monarques français vont affirmer qu’il n’est pas reçu
directement en France. Pour montrer qu’il ne subit pas le développement du droit romain mais qu’il
en est le maitre, Philippe le Bel va, en 1312, renouveler l’interdiction qu’avait déjà formulé Honorius
III, d’enseigner le droit romain à Paris. Sur le fond, le roi de France n’est pas hostile au droit romain,
les principaux juristes de sa cour y sont formés, et ce droit continue d’être enseigné à Orléans. S’il
agit ainsi, c’est une mesure politique. A cette date, un nouvel empereur allemand monte sur le trône,
Henri VII. A cette occasion, il adresse une lettre à tous les princes européens, dans laquelle il se
présente comme leur supérieur à tous : « Tous les hommes, bien que séparés en royaumes, sont
soumis à un prince unique. ». Par réaction, Philippe Le Bel lui écrit que « Si vous aviez un peu mieux
considéré l’état de notre royaume, vous auriez dû le reconnaitre comme exempté de cette sujétion
générale. Le royaume de France n’a jamais eu d’autre roi que le sien et n’a jamais reconnu aucun
supérieur. ». Cette affirmation de l’indépendance totale du royaume de France se manifeste par la
maitrise de la couronne, de l’Etat, non seulement sur le droit appliqué, mais également sur celui qui
est enseigné.

Dans les faits, l’utilisation pratique du droit romain n’est pas interdite. Au contraire, il conserve une
très grande importance.

2) L’importance de l’utilisation du droit romain

Cette importance est d’ordre théorique et pratique. Cette importance est théorique car la
prééminence du droit romain est reconnue par tous les juristes médiévaux, y compris les juristes
français. La non reconnaissance de la souveraineté de l’empereur allemand relève du fait politique,
non du droit. Cette reconnaissance de non souveraineté ne doit pas empêcher l’application en France
des règles romaines. Privé de son fondement politique, le droit romain va s’imposer en raison de sa
valeur intrinsèque. C’est au nom de la seule raison que les juristes français vont l’utiliser. Balde, à la

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fin du 14ème siècle, explique que « Les français servent la raison de la loi, non pas parce que la loi le dit
mais parce que la raison le veut. ». À la fin du Moyen-Âge, on dira, en parlant du droit romain, qu’il
est la raison écrite. En pratique, il ne cesse de gagner du terrain. Cette affirmation progressive du
droit romain, qui se fait surtout dans le Sud du royaume, va finir par s’imposer au roi de France.

Lorsqu’à partir du 13ème siècle, le roi de France va commencer à étendre sa domination dans le midi,
les populations locales vont commencer, au nom du respect de leur particularisme, à opposer au roi
de France le droit romain. Pour tenter de préserver leur spécificité, les méridionaux vont se
retrancher derrière l’autorité du droit romain. Le roi de France va être obligé, malgré son opposition
à l’empereur allemand, d’admettre, au moins dans le midi, l’utilisation du droit romain, alors que,
dans le même temps, pour marquer son indépendance vis-à-vis de l’empereur allemand, il ne cesse
de promouvoir la coutume. Il y a deux évolutions contradictoires. Pour concilier ces évolutions
contradictoires, les juristes royaux vont expliquer que, dans le midi, le droit romain n’est reçu qu’à
titre de coutume. Cela signifie que le droit romain, dans ces régions du midi, ne s’applique pas en
vertu de sa propre autorité mais parce que les populations locales en font usage. De cet usage que
font les populations du droit romain, le roi en déduit le consentement des populations. C’est ce
consentement qui rend le droit romain respectable, au même titre que sont respectables, dans les
autres provinces les coutumes. Avec ce système, on va voir se dessiner une ligne de démarcation
entre les provinces du Nord et de celle du Sud de la France. Les provinces du Nord, soumises le plus
anciennement à l’autorité du roi, seront considérées comme des pays de coutume. Les régions du
Sud, soumise au droit romain, seront désignées sous le nom de pays de droit écrit.

Cette division va rester vague pendant longtemps. Localement on peut trouver des situations
complexes. En Auvergne, les seigneuries ecclésiastiques seront plus souvent soumises au droit
romain, alors que les seigneuries laïques se réclameront du droit coutumier.

II – La floraison des droits particuliers

1) L’essor de la législation royale

Depuis la deuxième moitié du 12ème siècle, le roi de France émet des ordonnances, actes législatifs de
portée générale.

A) Les fondements du pouvoir législatif du roi de France

Jusqu’au milieu du 12ème siècle, ce roi a un rôle symbolique, aux yeux de tous, il est essentiellement
considéré comme le seigneur des seigneurs du royaume, autrement dit, il est le suzerain suprême.
Mais, progressivement, le roi va chercher à se dégager des pouvoirs féodaux, il va chercher à quitter
cet état de suzerain pour se hisser au rang de véritable souverain. Cette ascension s’accomplit
lentement, grâce au travail des romanistes, c’est pourquoi Jean de Glanot peut proclamer que le roi
est empereur en son royaume. Cela sous-entend que le roi de France est désormais détenteur de la
juridiction suprême, ce que lui donnait déjà sa qualité de suzerain. Ce qui est nouveau c’est que,
désormais, le roi de France est également reconnu suprême législateur. Cette prérogative est la
conséquence d’un principe admis dès la seconde moitié du 13 ème siècle par tous les juristes et qui est
résumée par Philippe de Beaumanoir qui explique que « Le roi est souverain par-dessus tout. ». Les
choses vont s’enchainer et d’autres juristes, reprenant cette idée, vont expliquer que le roi de France
peut faire des lois, les interpréter, les modifier, les aggraver. Comme pour l’empereur romain, cette
prérogative est justifiée par le texte d’Ulpien, ce qui plait au prince à force de loi. Il est traduit au
14ème siècle par l’adage « Qui veut le roi, si veut la loi. ». À l’image de l’empereur romain, le roi de
France légifère souverainement pour l’ensemble du royaume. En pratique, au 14ème-15ème siècle,
l’unité territoriale de la France n’est pas achevée et certains grands comme le duc de Bourgogne ou

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celui de Bretagne, légifère toujours sur leur territoire. Pour parer à cela, les juristes vont expliquer,
que non seulement le roi légifère, que sa législation s’impose à tous, mais qu’il est également délié
des lois, il n’est pas obligé de respecter les lois prises. Le pouvoir législatif du roi est considérable,
s’étend à tous et n’est soumis à aucune puissance laïque. En pratique, ce pouvoir du roi connait un
certain nombre de limites.

B) L’étendue du pouvoir législatif du roi de France

Ces limites du pouvoir législatif du roi de France sont à la fois théoriques et pratiques. D’un point de
vue théorique, les légistes qui reconnaissent au roi un pouvoir législatif vont poser dans le même
temps un certain nombre de barrières. Pour ces légistes, le pouvoir de faire la loi ne peut s’exercer
que dans le but de poursuivre des intérêts communs, c’est pourquoi, dès le 13ème siècle, Beaumanoir
explique que si le roi légifère, c’est pour le commun profit. Au 14ème-15ème siècle apparait l’idée que le
roi conserve les lois, une fois la loi édictée, son caractère raisonnable interdit qu’on la rompe, qu’on
la modifie à tout moment. De plus, ajoutent les juristes, le roi, dans son pouvoir de légiférer, ne peut
pas porter atteinte à certaines règles qui relèvent de l’ordre naturel ou divin. Pour légiférer, le roi
doit s’entourer de son Conseil, il reste le seul à décider en dernier lieu, mais il doit toujours
demander conseil. Le pouvoir législatif est encadré par des limites théoriques, mais aussi pratiques.

Ces limites pratiques tiennent au fait que la France médiévale n’est pas encore un Etat moderne, elle
ne connait pas encore d’unité juridique. Chaque corps, chaque province, possède des coutumes, des
libertés, des privilèges, des lois particulières. Le roi ne peut pas les changer à sa guise. Seules les
coutumes mauvaises peuvent éventuellement être réformées. On en déduit que ce respect des
coutumes et des privilèges interdit au roi, presque totalement, d’intervenir en matière de droit
privé.

Toutes ces limites qui empêchent le pouvoir royal de sombrer dans la tyrannie, laisse cependant au
souverain une grande marge de manœuvre. A cette époque, les rois de France légifèrent
abondamment, mais ces législations concernent principalement le droit public, l’administration, la
justice et les finances. Le droit privé est essentiellement régi par le Jus Commune et par la
coutume.

2) Le développement du droit coutumier territorial

A partir de la fin du 13 ème siècle, une différence apparait entre provinces du Nord et provinces du Sud.
La ligne de démarcation va de la Rochelle à Genève, en passant au sud de l’Auvergne.

A) La situation des pays de coutume

Ces coutumes territoriales apparaissent au départ dans chaque seigneurie. Chacune de ces
seigneuries va développer des usages propres, qui peuvent varier d’une seigneurie à une autre.
Malgré tout, il existe des familles de coutume. En réalité, au-delà des usages particuliers, on voit
apparaitre un fond de règles communes à une ou plusieurs provinces. On distingue 5 grands
groupes coutumiers, les coutumes de l’ouest, du nord, de la région parisienne, de l’est, et du centre.

Assez rapidement, un problème s’est posé, celui de la preuve en justice de la coutume. Les parties
en présence pouvaient s’accorder sur une coutume ou le juge pouvait considérer une coutume
comme notoire, il n’y a alors pas de problème de preuve de la coutume. Dans la plupart des cas, la
coutume invoquée par le plaideur pouvait être contestée par l’adversaire ou considérée comme
douteuse par le juge qui ne la connait pas. Différents modes de preuve sont alors utilisés. Le plus
commun est le procédé de l’enquête par turbe, procédure au cours de laquelle on demande à au
moins 10 personnes du lieu qui connaissent la coutume, les turbiers, de s’exprimer à l’unanimité en

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disant qu’ils savent que la coutume qui est invoquée est appliquée. Tout se passe à l’oral et cette
procédure est rendue obligatoire et réglementée par une ordonnance de Saint Louis de 1270. Elle
présent un inconvénient, les turbiers peuvent faire preuve de complaisance, peuvent être
corrompus (« Plus mieux abreuve, mieux preuve. »). Le juge peut avoir recours à un témoignage
isolé, mais, au Moyen-Âge, les juristes posent le principe qu’un seul témoin ne suffit pas (« témoin
unique, témoin nul »). Les canonistes imposent la règle d’au moins 2 ou 3 témoins en s’appuyant sur
un passage de l’Evangile de Matthieu (« que toute parole se tienne dans la bouche de 2 ou 3
témoins »).

Dans le nord de la France et dans les pays germaniques, on utilise le record de coutume, procédure
particulière qui se fait à la requête du seigneur. On interroge les habitants du lieu sur les coutumes
locales, et on les consigne par écrit. Pour faciliter la tâche de certains juges, des juristes ont tenté de
faire des recueils de coutume. Ce mouvement commence à la fin du 12 ème siècle. Le premier ouvrage
est le Très ancien coutumier de Normandie. Il va être remplacé au milieu du 13 ème siècle par le Très
ancien coutumier normand. En 1246 sont rédigées les Coutumes de Tourain-Anjou, reprises en 1273
dans un ouvrage qui a un nom piège, les Etablissements de Saint-Louis, qui sont une compilation
juridique privée composée par un juriste d’Orléans. Au milieu du 13 ème siècle, Pierre de Fontaine
rédige Conseil à un ami, qui reprend les coutumes du Vermandois (St-Quentin). Dans les années
1273, un auteur anonyme, dans la région d’Orléans, rédige le Livre de Jostice et de Plet. A la fin du
13ème siècle, Beaumanoir rédige le plus célèbre des coutumiers français, Les coutumes de Beauvaisis.
Cela continue ensuite, avec la rédaction de L’ancien coutumier de Champagne, la Très ancienne
coutume de Bretagne, le Grand coutumier de France (Ile-de-France, Jacques d’Ableiges). Jehan
Boutillier rédige la Somme rurale (Nord). Enfin, on compte le Coutumier bourguignon glosé et le
Vieux coutumier du Poitou.

Ces coutumiers on plusieurs caractères communs, ce sont des œuvres privées, sans valeur officielle,
même si la plupart d’entre elles ont été rédigées avec l’accord du droit. Les auteurs qui ont composé
ces œuvres ont rédigé ces ouvrages à l’usage des gens de justice et les ont rédigés pour leur servir
plus de manuels que de code. Un autre trait commun de ces ouvrages est qu’ils sont en général
rédigés en français et non en latin, on les qualifie de littérature juridique populaire car ils touchent
un public beaucoup plus large que les traités savants. Enfin, tous ces coutumiers empruntent très
largement au droit romain et au droit canonique, et présentent comme coutumières des règles
romaines ou canoniques. Le livre de Jostice et de Plet va jusqu’à traduire en français des passages du
Digeste qu’il inclut.

B) La situation des pays de droit écrit

Dans le midi, les plus anciennes coutumes rédigées ne se rattachent pas à des seigneuries mais à des
villes, c’est dans les statuts urbains que l’on recueille les usages locaux (statuts d’Avignon, d’Arles,
de Montpellier…). A la différence du Nord, les coutumes rédigées dans le Sud ont une valeur
officielle car elles sont rédigées à la demande du seigneur ou des autorités urbaines. Ces coutumes
sont donc officiellement promulguées, ce qui n’est pas le cas dans le Nord. Leur forme est moins
savante et ces textes du Sud prennent d’avantage l’aspect de petits codes, leur contenu à une
vocation beaucoup plus immédiate et pratique. Dans ces coutumes du Sud, le droit romain contenu
n’est pas le droit de Justinien mais le droit reçu par les juristes médiévaux, le Jus Commune. Pour des
raisons politiques, ce droit romain est reçu à titre de coutume, ce qui signifie que ce qui est
considéré comme étant la coutume locale n’est rien d’autre que le droit romain.

Ce développement du droit romain dans le midi est très inégal selon les régions. Dans le Sud-Est, la
domination est très forte. A l’inverse dans le Bas-Languedoc, l’influence est visigothique espagnole.

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En Aquitaine, on retrouve une influence anglaise. Dans tous ces pays, la pénétration du droit romain
ne s’est faite qu’en surface, cela signifie que si l’on utilise le vocabulaire et la technique romaine, on
repousse la règle en pratique. L’emploi du vocabulaire romain n’est pas toujours bien compris par
les juristes de l’époque. Bien souvent, cette prééminence de principe du droit romain va poser un
certain nombre de difficultés, d’abord parce que ce droit romain n’est pas forcément bien compris,
et qu’il n’est pas forcément bien adapté aux coutumes locales. Dans ces régions, on va voir
apparaitre des gloses de renonciation. A partir du 13ème siècle, les particuliers, lorsqu’ils établissent
des conventions, peuvent décider de renoncer expressément aux règles de droit romain lorsque ces
règles ne leur conviennent pas. Dans ce cas-là, le droit romain applicable va être remplacé par des
règles élaborées par une convention entre les parties. Dans le Nord de la France, comme dans le
Sud, la coutume, plus ou moins teintée de droit romain, domine un certain nombre de matières.
Cette importance ne va pas se démentir à l’époque moderne.

Partie 3 : De l’époque moderne (16ème-


18ème siècle) aux codifications du 19ème
siècle
Pendant cette période, comme au Moyen-Âge, il y a, en France, une pluralité de droits. Le droit
coutumier et la législation royale vont toujours voisiner avec le droit romain et le droit canonique.
Dans le même temps, on se rend compte que, dès le 16ème siècle, on voit se manifester des tendances
à l’unification du droit. Ces tendances annoncent la future codification de 1804, le futur Code Civil.

Titre 1 : L’époque moderne


Chapitre 1 : La persistance d’un pluralisme juridique
Si l’on veut embrasser l’ensemble des sources du droit privé sous l’Ancien Régime, on peut se
rapporter à la description qu’en donne le plus célèbre juriste français de la fin du 17ème siècle, Jean-
Baptiste Domat. Il est né en 1625 à Clermont-Ferrand et a consacré sa vie à l’étude du droit, avec un
souci de rationalisation. Tout au long de ses travaux, il a cherché à présenter l’ensemble du droit
français comme un ensemble cohérent et intelligible. Domat, est considéré comme l’un des lointains
précurseurs du Code Civil. En 1689, il rédige son œuvre majeure, le Traité des lois. A propos des
sources du droit, il dit « Nous avons en France, 4 différentes espèces de lois, les ordonnances et les
coutumes qui sont nos lois propres, et ce que nous observons du droit romain et du droit
canonique. Ces 4 sortes de loi règlent toutes les matières de toute nature, mais leur autorité est
bien différente. ». Pendant la période moderne, de ces 4 sources, la coutume est quantitativement la
source la plus importante. Dans le même temps, la législation royale ne va cesser de gagner du
terrain, et les droits savants sont considérés comme des droits complémentaires, même si leur
rationalité domine l’ensemble du système juridique.

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I – Le triomphe du droit coutumier

La raison de l’importante croissante de la coutume résulte, en fait, d’un phénomène, la rédaction


officielle de ces coutumes, entreprise à la fin 15ème siècle par la royauté française.

1) Caractères généraux de la coutume ♥♥♥

Depuis la fin du Moyen-Âge, les juristes n’ont eu de cesse de tenter de définir la coutume, et de
cerner son champ d’application. Ces juristes de l’Ancien Régime la définisse comme un droit non
écrit, introduit par les usages, qui nait par la répétition de membres d’une même communauté,
d’actes publics et paisibles pendant un délai suffisamment long pour la fixer et pour emprunter
conviction de sa force obligatoire, sur un territoire défini.

La coutume a donc 6 caractères. Elle est avant tout orale au moment où elle s’élabore. Par cette
oralité, la coutume s’oppose aux droits savants et à la législation royale, écrits.

Ensuite, la coutume est introduite par l’usage. Elle résulte d’habitudes, c’est le corpus de la
coutume, ou sa cause matérielle, son élément objectif. L’usage, par essence, relève du fait et non du
droit, il n’en porte donc pas force obligatoire.

Mais, quoi qu’introduite par l’usage, la coutume s’en distingue. Elle s’en distingue parce qu’elle est
obligatoire, a une force contraignante, c’est l’animus de la coutume, ou son élément subjectif. Pour
qu’une coutume s’impose, elle doit résulter d’actes volontaires connus et acceptés de tous. C’est le
consentement tacite du peuple qui justifie la force obligatoire de la coutume.

Le quatrième élément qui constitue la coutume est le temps. La coutume est le fruit du temps. Le
temps fait la coutume, il peut également la défaire. C’est le phénomène de la prescription. Cette
prescription se positionne toujours par apport au droit romain. Lorsqu’un usage est conforme au
droit romain, il faut, disent les juristes, 10 ans pour qu’il devienne une coutume, s’il est étranger au
droit romain, il faut 20 ans, et s’il est contraire au droit romain, il faut 40 ans.

Deux autres caractères viennent s’ajouter. La coutume est territoriale, elle s’applique dans un
détroit, ou un ressort judiciaire déterminé.

Enfin, pour pouvoir être sanctionnée, la coutume doit avoir été constatée par un juge.

Mais différents problèmes se posent par rapport à ces coutumes, leur diversité, leur caractère oral
et évolutif, et parfois également leur archaïsme. Cela va poser des difficultés au moment des
procès. En période d’affirmation de l’autorité royale, ces coutumes échappent à cette dernière. A
partir du milieu du 15ème siècle, le pouvoir royal va décider de procéder à la rédaction officielle de
ces coutumes.

2) La rédaction officielle des coutumes

Ce phénomène de mise par écrit des coutumes n’est pas spécialement français, il est lié à
l’émergence des états nationaux. Au fur et à mesure que l’Etat se construit, se développe et
s’affirme, l’apparition d’une autorité centrale va entrainer un désir de contrôler beaucoup plus
étroitement le droit privé. Mais, dans le même temps, cette rédaction des coutumes ne les a pas
empêché d’évoluer. Puisqu’elles continuent d’évoluer, on va se voir développer des phénomènes de
mise à jour nécessaire. A partir du 16ème siècle, cette coutume va changer de nature.

A) Le mouvement de rédaction et de réformation des coutumes

1) Une initiative royale : l’ordonnance du Montils-Les-Tours de 1454

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A cette date, le roi de France est à Montils-Les-Tours, il prend une ordonnance dont l’objectif
principal est l’organisation de la justice. L’article 125 de l’ordonnance va ordonner la rédaction des
coutumes, justifiée par l’allongement des procès et les frais entrainés par la nécessité de prouver
les coutumes. Toutes les coutumes du royaume doivent donc être mises par écrit. Les résultats
seront minces car seules sont rédigées les coutumes de Touraine en 1461, celles d’Anjou en 1463,
et celles de Bourgogne en 1459. Si la décision a été un échec, c’est lié à la lourdeur de la procédure
instituée. Après quelques hésitations, le successeur de Charles VII, Charles VIII, réforme la procédure
par une ordonnance de mars 1499. Elle va avoir un grand succès et sera respecté jusqu’à la fin de
l’Ancien Régime.

2) La procédure de rédaction : l’ordonnance de Charles VIII de 1499

Elle se décompose en 5 phases. Tout d’abord, le roi de France adresse à ses représentants locaux,
les baillis ou des sénéchaux, ainsi qu’aux gouverneurs de province, des règles leur ordonnant la
rédaction des coutumes. Ces baillis ou sénéchaux sont à la fois des juges royaux et des
administrateurs qui sont à la tête d’une circonscription, le baillage ou la sénéchaussée. Une fois la
lettre reçue, les juges royaux locaux, assistés de praticiens, rédigent un avant-projet, un cahier
provisoire. Ensuite, cet avant-projet est examiné par des commissaires du roi, les membres des
cours souveraines de justice du ressort dont dépend la coutume. Ces cours souveraines sont
appelées parlements, et leurs membres sont les parlementaires, contrairement à aujourd'hui. A
cette occasion, les parlementaires font de observations, apportent des modifications à l’aide du
droit romain. L’assemblée du baillage ou de la sénéchaussée, qui contient des représentants des
trois ordres se réunit pour discuter du projet et le voter, article par article. Chaque disposition, pour
être adopté, requiert la majorité dans chaque ordre, et l’unanimité des trois ordres. Les
dispositions sur lesquelles tout le monde s’accordent sont ensuite arrêtées et publiées par le roi.
Lorsque des articles font l’objet de désaccord, ils sont renvoyés au parlement, qui est chargé de
trancher. En réalité, bien souvent, le parlement qui a été saisi du désaccord s’est abstenu de
trancher, et l’article n’a jamais été adopté. Lors des discussions, mais également lors des votes, le
rôle des commissaires royaux, de très brillants juristes, va être fondamental, car leur influence sur la
rédaction de ces coutumes a été très sensible. Enfin vient la dernière phase qui consiste, pour les
commissaires du roi, à lire publiquement les articles, et à les décréter loi perpétuelle du lieu. Une
fois ceci fait, le texte est envoyé au greffe des différentes juridictions, et sera immédiatement
imprimé à partir du 16ème siècle. Cette procédure va connaitre un franc succès, entre 1506 et 1540, la
plupart des coutumes du Nord ont ainsi été décrétés, Sens en 1506, Chartres et Amiens en 1509,
Paris et l’Auvergne en 1510.

La première moitié du 16 ème siècle est un période de très grande effervescence juridique et les
coutumes rédigées au début du 16ème siècle deviennent très rapidement obsolètes. Les principales
coutumes seront réformées entre 1555 et 1581. Le mouvement de rédaction, mais également celui
de réformation, a été guidé par le pouvoir royal et répond à l’attente des juristes de l’époque, mais
également à celle de l’opinion. Cette réformation, essentiellement réalisée dans le ressort du
parlement de Paris, est l’œuvre pratiquement d’un seul homme, premier président de Paris, désigné
commissaire royal, Christofle de Thou. C’est un humaniste, très grand juriste, qui a cherché à
harmoniser le droit coutumier dans le ressort du parlement de Paris. Il a cherché à écarter les
coutumes déraisonnables tout en cherchant à introduire des solutions tirées de la jurisprudence du
parlement de paris ou, dans une moindre mesure, du droit romain. La coutume de Paris, au moment
de sa rédaction, en 1510, comprenait 120 articles, après sa réformation, en 1580, elle en contient
372. Au 17ème-18ème siècle, le mouvement de réformation des coutumes se termine, mais le processus

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de rédaction, qui n’était pas achevé, se poursuit. La dernière coutume rédigée sera celle d’Hatton-
Châtel, entre 1784 et 1788.

3) Les conséquences de la rédaction des coutumes

Il y a des conséquences positives et négatives. La coutume est à présente certaine, n’a plus à être
prouvée par les plaideurs. Puisque l’on a plus besoin de la prouver, l’enquête par turbe n’a plus lieu
d’être et est supprimée en 1667 par Colbert. La deuxième conséquence positive est que le droit
coutumier, ainsi rédigé, se stabilise et va avoir tendance à s’unifier régionalement. La rédaction
s’effectue dans le cadre du baillage ou de la sénéchaussée, cela signifie que beaucoup de
particularismes qui étaient propres à des seigneuries microscopiques disparaissent ou sont réduits.
Ensuite, au cours de cette rédaction, bien souvent, un certain nombre de dispositions trop
archaïques sont supprimées ; dans le même temps, on va avoir tendance à rapprocher les contenus
des différentes coutumes. On va en profiter également pour introduire de nouvelles règles qui sont
adaptées à l’évolution de la société. Ces nouvelles règles peuvent être prises dans la doctrine, dans
le droit romain, ou dans la jurisprudence.

Il y aussi des effets négatifs à cette mise par écrit. Le premier est la sclérose de la coutume. Mise par
écrit, les règles sont désormais figées, cessent d’évoluer. Certains archaïsmes qui n’ont pas été
gommées au moment de la mise pas écrit, vont se maintenir, vont perdurer jusqu’à la Révolution.
C’est par exemple le cas du droit féodal, qui pouvait se comprendre au 12 ème-13ème siècle mais n’est
plus du tout adapté à la société d’Ancien Régime, mais va demeurer intact jusqu’en 1789. Un autre
effet négatif est le fait que certaines petites coutumes locales qui n’ont pas été effacées au moment
de la mise par écrit vont demeurer en vigueur jusqu’à la Révolution. Ces petites coutumes locales
vont nuire aux tentatives d’unification régionale entreprise par les rédacteurs. La mise par écrit de
ces coutumes a stoppé l’interpénétration nationale des coutumes, alors qu’elle avait tendance à
unifier certaines règles. La coutume fixée par écrit cesse d’évoluer.

La procédure officielle de rédaction des coutumes et leur promulgation par le roi ont pour effet de
changer la nature de ces coutumes. A l’origine, la force de ces coutumes reposait sur l’usage et le
consentement tacite des populations. Mais, dès l’instant où ces coutumes sont mises par écrit, elles
ne sont plus l’œuvre du temps et elles perdent leur caractère populaire. Cela n’a pas échappé à
certains juristes qui se sont interrogés sur ce changement de nature. Ils vont en développer des
théories différentes. Pour des juristes comme Du Moulin ou Coquille, cette rédaction ne change rien
à la nature des coutumes, du fait que l’ancien consentement tacite des populations qui fondait la
coutume orale, est remplacé par le consentement expresse donné par le vote des articles. Cette
unanimité des trois ordres remplace le consentement tacite, la coutume ne change pas de
caractère. D’autres juristes, Louis Le Caron et Pierre de L’Hommeau, avancent que la coutume
désormais écrite comme la loi, tire sa force, non plus du consentement populaire, mais de la seule
volonté royale. Cette coutume rédigée et promulguée par le roi va avoir tendance à se rapprocher de
la loi, mais malgré cela, au 17ème-18ème siècle, on va toujours faire la différence entre les coutumes,
considérées comme des lois consenties par les particuliers, et les ordonnances qui seront des lois
imposées par le roi.

II – L’importance croissante de la législation royale

Sous l’Ancien Régime, la législation royale connait un formidable développement. A la charnière de


la fin du Moyen-Âge et du début de l’Ancien Régime, au cours du 15ème siècle, la conscience nationale
s’est affermie un peu partout en Europe. En France, la guerre de Cent Ans, qui s’achève en 1463,
consolide ce sentiment national. A la fin du 15ème siècle, dans toute l’Europe, on voit apparaitre et
triompher une nouvelle conception, la conception des Etats indépendants, capables de défendre

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leur territoire national et les prérogatives de leur prince. Ces Etats vont être qualifiés de souverains,
ce qui signifie qu’ils possèdent une puissance souveraine, dans le cadre de laquelle le droit devra
prendre place. A partir de ce moment-là, la puissance étatique aura un rôle déterminant dans
l’élaboration du droit, le prince, à la tête de l’Etat, aura véritablement le pouvoir de faire la loi.
Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, cette législation royale, en dépit des formes variées qu’elle va
prendre, elle présente un certain nombre de traits généraux ; dans le même temps, les privilèges se
maintiennent également jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

1) Le pouvoir royal de faire la loi

Il se manifeste à travers la définition de la souveraineté et la théorie du droit divin.

A) Les théoriciens et la définition de la souveraineté

1) Les théories de la souveraineté

Ce que l’on appelle l’Etat commence à se préciser au cours du 15ème siècle et constitue une entité
abstraite, une République au sens étymologique du terme, c'est à dire la res publica, la chose
publique ou les affaires communes. Pour Jean Bodin, l’Etat constitue le lien entre les groupes
sociaux de base, qui sont constitués par les familles, et cet Etat est doté d’une autorité suprême, la
souveraineté. Cette idée de souveraineté n’est pas nouvelle, elle apparait dès le 13 ème siècle et est
reprise au 14ème-15ème siècle, par les juristes partisans du renforcement des prérogatives royales. La
souveraineté est présentée comme la notion centrale qui commande l’organisation de toutes les
institutions. On doit cette évolution à 3 penseurs français, leurs théories vont s’ajouter les unes aux
autres pour former une construction d’une qualité et d’une force remarquable. Ces auteurs sont Jean
Bodin, Charles Loiseau et Cardin Le Bret. En 1576, Jean Bodin publie Les 6 livres de la République,
dans lequel il fixe et précise les critères de la souveraineté, dans des termes qui vont rester
d’actualité jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Quelques années plus tard, Charles Loiseau
fait paraitre en 1608, le Traité des Seigneuries, dans lequel il reprend une grande partie des théories
de Bodin, mais en les plaçant dans un cadre plus juridique que philosophique. Enfin, en 1632,
Cardin Le Bret complète l’ensemble dans le Traité de la souveraineté du roi, de son domaine et de
sa couronne.

2) La définition de la souveraineté

Pour Bodin, la souveraineté est « la puissance absolue et perpétuelle d’une République ». Loiseau,
reprenant Bodin, va la qualifier de « puissance absolue, sans degré de supériorité, sans limitation de
temps, sans exception de personne ». Cette souveraineté constitue le plus haut degré de puissance
publique qui appartienne à l’Etat. Par conséquent, cette souveraineté doit être parfaite. Cardin le
Bret va intervenir à son tour, en insistant sur le fait qu’elle n’est pas divisible.

La souveraineté est une puissance publique est une idée qui met l’accent sur le caractère public de
l’autorité liée à la souveraineté. On met en avant le lien entre la souveraineté et l’idée de
gouvernement. De cette façon, on a un droit de puissance publique qui s’exerce sur des hommes
libres ; ce droit de puissance publique confère à son détenteur un droit de commandement. Mais, ce
droit, à la différence du droit privé, ne l’autorise pas à disposer de ses sujets comme d’un bien lui
appartenant.

La souveraineté ne connait pas de supérieur. Par cette position, les juristes français affirment
l’indépendance du roi de France, par rapport aux 2 puissances étrangères qui, au cours du Moyen-
Âge, ont cherché à dominer l’Occident et qui, au 15ème siècle, menaçaient encore mais plus

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faiblement l’indépendance du royaume, l’empereur germanique d’un côté, le pape de l’autre. Ces
deux hommes n’ont aucune influence sur les actes du roi de France.

La souveraineté n’est pas limitée dans le temps. Cela signifie que ce pouvoir souverain est perpétuel,
témoigne de la continuité royale. Cette souveraineté est dissociée de la personne du prince, ne
disparait pas avec lui à sa mort, elle reste intacte et se transmet immédiatement à son successeur, il
n’y a pas de rupture dans la souveraineté. C’est cette souveraineté qui fera dire à louis XIV, « Je
m’en vais mais l’Etat demeure. » à la fin de sa vie.

La souveraineté ne connait pas d’exception de personne ou de chose. Elle s’impose à tous et les
restes de la féodalité, avec les exceptions et les privilèges, ne constituent plus un frein à la mise en
œuvre de celle-ci.

La souveraineté appartient à l’Etat. Cela signifie que la souveraineté est le propre de chacun des
Etats qui forment la communauté politique du monde. A partir de là, il appartient ces différents
Etats d’élaborer entre eux des relations reposant sur le droit ou la force. De plus, relevant de l’Etat,
la souveraineté n’appartient pas en propre au prince, elle lui est simplement communiquée. Mais
dans le même temps, l’Etat, qui est titulaire de la puissance absolue de souveraineté, puissance qui
n’est pas illimitée, exercée par un roi dont l’autorité est renforcée par la théorie du droit divin.

B) La théorie du droit divin et les limites au pouvoir du roi

1) Le droit divin

L’origine divine du pouvoir est admise depuis le haut Moyen-Âge. Cette idée se retrouve dans une
formule de l’apôtre Paul, « Il n’y as pas de pouvoir, si ce n’est celui qui vient de Dieu. », admise
depuis cette époque. A partir du 16ème siècle, les auteurs insistent sur l’idée selon laquelle le roi
recevrait son pouvoir directement de Dieu, et il n’aurait, par conséquent, de comptes à rendre qu’à
ce dernier. Le gouvernement temporel du roi, dans cette optique, ne dépend nullement du contrôle
du pape, il ne peut ni déposer ni sanctionner le roi. A partir du règne de Louis XIV, cette doctrine
prend un nouvel essor grâce à la faculté de théologie de Paris, qui affirme que le roi n’a d’autre
supérieur au temporel, que Dieu seul. Bossuet, évêque de Meaux, mort en 1704, insiste sur
l’autorité que les rois tirent de cette origine divine de leur pouvoir. Il dit que « Dieu établit les rois
comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. Le trône royal n’est pas le trône d’un
homme mais le trône de Dieu. ». Pour Bossuet, le roi est le lieutenant de Dieu sur terre, donc
désobéir à un ordre du roi, c’est désobéir à un ordre de Dieu. Finalement, cette théorie du droit divin
a joué un rôle considérable dans l’émergence de l’Etat moderne, car cette théorie de l’Etat divin a
contribué à rendre l’Etat indépendant de l’autorité spirituelle et à accroitre sa puissance. Elle a
aussi contribué à accélérer à la laïcisation de l’Etat, en faisant du domaine politique un domaine
autonome, entièrement soustrait au contrôle de l’Eglise. Cette théorie du droit divin renforce
l’autorité absolue que le monarque tire de sa souveraineté. Dans le même temps, cette idée
d’absolutisme ne signifie pas que le roi peut tout faire, qu’il peut abuser de son autorité.

2) Les limites au pouvoir du roi

Ce n’est pas parce qu’il est absolu que ce pouvoir souverain doit devenir tyrannique ou despotique.
Lorsque l’on lit les théoriciens de la souveraineté royale, tous insistent sur les limites posées au
pouvoir du roi. Elles sont au nombre de 3. La première des limites au pouvoir du roi, ce sont les lois
de Dieu car la politique royale doit être en conformité avec la volonté divine, parce que, si par la
théorie du droit divin, tous les sujets sont soumis au roi, le roi lui-même est subordonné à la loi
divine, à la morale chrétienne. Le roi doit également respecter les lois naturelles et doit toujours

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agir pour le bien de ses sujets, ainsi que pour le bien de l’Etat. Le roi doit toujours respecter les lois
fondamentales, les règles relatives au statut de la couronne et du domaine. Les doctrines politiques
relatives à la souveraineté dictent au roi la place qui lui revient dans l’Etat. Pour remplir son rôle, le
souverain dispose de prérogatives de puissance publique, qu’il exerce au titre de détenteur de la
souveraineté. Bodin dégage 5 marques de souveraineté, englobant l’ensemble des prérogatives
royales. Elles sont le droit de nommer les auxiliaires de l’autorité royale, le droit de rendre la
justice, les prérogatives financières et le droit de lever l’impôt, les prérogatives militaires, et le
droit royal de faire la loi.

3) Le droit royal de faire la loi, première marque de souveraineté

Bodin fait du pouvoir législatif la première marque de souveraineté, ses successeurs vont faire de
même. A l’époque de la philosophie des lumières, Rousseau verra dans la loi le souverain lui-même.
C’est donc le roi qui fait la loi, selon une procédure législative impliquant qu’il n’est pas le seul maitre
et que d’autres instances agissent à ses côtés, voire même peuvent s’opposer à lui. De plus, le
domaine d’intervention de la loi reste, à ce moment, assez réduit, et de très larges secteurs
continuent à être régis par la coutume. La loi, au sens de règle de droit impérative et permanente de
portée générale, avait pratiquement disparue au temps féodal. Au cours du Moyen-Âge, les
premières ordonnances royales apparaissent en parallèle avec celles des grands princes féodaux et
finissent par s’imposer à ces princes. Pour arriver au pouvoir législatif, il faut l’ affirmation de
l’autorité du droit, exiger un développement du pouvoir du roi sur les sources du droit. Ce pouvoir
devait être justifié, cela va être chose faite au terme d’une relativement longue évolution. Au 13 ème-
14ème siècle, ce sont les droits savants qui vont fournir les fondements théoriques à l’assimilation du
roi de France à l’empereur. Au 14ème-15ème siècle, la doctrine française soutient la faculté pour le roi
de France d’user de sa puissance et de pouvoir déroger aux normes législatives et coutumières en
vigueur, et même de pouvoir les abroger. Au terme de cette évolution, à partir du 16 ème siècle, ce
pouvoir du roi de faire la loi apparait comme une nécessité politique. D’après les théoriciens de la
souveraineté, l’Etat devient le garant de l’organisation sociale, économique et politique. La
puissance de l’Etat est communiquée au roi, c’est ce dernier qui doit, par ses lois, élaborer le droit
qui garantit cet ordre. Au terme de cette évolution, Henri IV, en 1603, peut déclarer que les lois
dépendent de l’autorité royale. En 1770, Louis XV affirme que le droit de faire des lois lui
appartient sans dépendance ni partage.

2) Caractères généraux de la législation royale

A) Les formes de la législation royale

Au Moyen-Âge, les lois du roi portent différents noms, on trouve le terme d’établissement, celui de
constitution, ou encore ceux de statut ou d’ordonnance. A l’époque moderne, un terme finit par
l’emporter, c’est celui d’ordonnance. Il signifie 2 choses : la première est que le prince donne un
ordre, un commandement auquel il faut obéir ; le deuxième sens est que le prince ordonne, c'est à
dire qu’il met de l’ordre là où régnait le désordre. Ces deux sens d’ordonnance montrent le double
caractère de la loi : la loi qui commande et organise. Il peut être employé au singulier comme au
pluriel. Lorsque l’on parle des ordonnances, il désigne les lois du roi en général. Au singulier, il a un
sens plus étroit.

Il y a les actes relevant de la puissance ordinaire du roi, et ceux de pleine puissance, ou puissance
absolue.

1) Les actes de puissance ordinaire du roi : les lettres patentes.

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Tous les actes de puissance ordinaires prennent la forme de lettres patentes, ouvertes. Tous ces
actes débutent par la même formule, le prénom du roi et la formule « par la grâce de Dieu, roi de
France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront ». Suit un exposé des motifs, puis
les mesures qui sont prises et, à la fin, le texte se termine par une formule exécutoire « nous
voulons et ordonnons », et le roi appose sa signature. Un secrétaire d’Etat contresigne le document
et l’acte est scellé du sceau du royaume. Enfin, le texte est soumis à l’enregistrement par les
parlements. Il existe deux types de lettres patentes, celles qui ont une portée générale, les grandes
lettres patentes, et les autres, les petites lettres patentes.

Les grandes lettres patentes regroupent l’ordonnance au singulier, acte de portée générale et
permanente qui va régler une matière ou une série de matières, mais aussi l’édit qui peut traiter d’un
sujet déterminé ou qui n’intéresse qu’une province ou une catégorie de personnes, et la déclaration
qui interprète une ordonnance ou un édit.

Les petites lettres patentes sont de 3 sortes. Il y a les lettres royales, des textes qui interviennent sur
simple requête pour délivrer une concession ou accorder un droit nouveau exorbitant du droit
commun (ex : lettres de grâce d’un condamné), les lettres de sceau plaqué qui sont des instructions
administratives adressées aux officiers royaux (= circulaires ministérielles aujourd'hui), et enfin les
lettres de nomination et de privilèges, des lettres à caractère individuel, qui procède à une
nomination ou à un anoblissement.

2) Les actes relevant de la pleine puissance du roi

Les lettres patentes ne pouvaient produire leur effet qu’après leur enregistrement par les cours
souveraines, les parlements. Cela signifie que cette législation royale était susceptible d’opposition
ou de refus. La procédure législative par voie de lettre patente était donc politiquement aléatoire. A
l’inverse, les actes relevant de la pleine puissance du roi ne sont pas soumis à l’enregistrement des
cours souveraines.

On trouve d’abord les arrêts du Conseil du roi (organe qui participe au gouvernement et à la
préparation de la loi). À partir du règne d’Henri IV, le roi va souvent utiliser les arrêts pris par ce
Conseil pour légiférer, pour échapper au contrôle des cours souveraines. Bien souvent, lorsque l’on
regarde ces arrêts du Conseil du Roi, on constate que ce sont bien des lois. On trouve aussi les
ordonnances sans adresse ni sceau, utilisées dans les domaines où le roi a toujours décidé seul et
sans contrôle, par exemple le domaine militaire. Elles sont directement appliquées par les autorités
qui les reçoivent, comportent simplement la signature du roi et le contresigné d’un secrétaire d’Etat.
Un troisième type de texte est le brevet. Ce sont de actes de portée individuelle, par lequel roi
concède un bienfait ou nomme à un poste ou à un grade. Enfin, il y a les lettres closes qui servent à
la correspondance diplomatique, ou à la correspondance administrative personnelle du roi. Ces
textes sont signés par le roi, et scellés, non pas du sceau du royaume, mais du sceau personnel du
roi, le sceau du secret.

B) Le mode d’élaboration des actes royaux

L’initiative de la loi appartient au roi qui s’entoure de son Conseil. Mais, même si l’initiative de la loi
lui appartient, certains personnages comme le chancelier de France (chef des écritures, de la justice),
joue un rôle extrêmement important. Par exemple, D’Aguesseau va jouer un rôle considérable, tout
comme certains ministres tels que Colbert. Ils ont été de très grands législateurs. A côté du roi, il
arrive que des lois soient prises à la demande des Etats-Généraux, assemblées qui représentent les
3 ordres de la nation. Il arrive que ceux-ci demandent des réformes au roi, il y accède sous forme
d’ordonnance. Dans tous les cas, le projet de loi est préparé et examiné par le Conseil du roi. Ce

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processus peut être long, et parfois, avant de rédiger le texte, des enquêtes préliminaires peuvent
être demandées. Une fois la loi rédigée, il y a 2 hypothèses. Si c’est un acte de pleine puissance du
roi, il est expédié par un secrétaire d’Etat chargé de son exécution.

En revanche, s’il s’agit d’un acte de puissance ordinaire, le texte va suivre un tas de procédure, en
commençant par être envoyé à la chancellerie pour l’apposition du sceau de France, ou audience du
sceau. Le chancelier, en tant que ministre de la justice et chef des écritures, est le gardien permanent
des sceaux. A l’occasion de l’audience du sceau, le chancelier va examiner la conformité du texte
avec la législation du royaume, et vérifie si la confiance du roi n’a pas été trompée lors de la requête
éventuelle. Si tout va bien, le chancelier scelle l’acte. Sinon, il peut refuser de sceller l’acte, informe
le roi des motifs de son refus et demande un nouvel examen du texte (=amendements). Le roi peut
accepter d’introduire les modifications suggérées par le chancelier, ou de passer outre et d’ ordonner
le scellement. Le chancelier peut accepter, fait alors apposer sur l’acte la mention « Scellé de
l’exprès commandement du roi ». Dans le cas où le chancelier refuse, le roi retire la garde des
sceaux au chancelier, la confie à quelqu'un d’autre, qui scelle l’acte. Une fois l’acte scellé, il est
envoyé aux cours souveraines pour enregistrement, qui vont venir vérifier la légalité de l’acte. Une
fois l’acte enregistré, il devient immédiatement exécutoire.

Tout particulier peut porter une opposition au texte, examinée en Conseil du roi, ou par une cour
souveraine. Lors de la vérification de la légalité, les cours souveraines peuvent faire des
remontrances au roi, et lui renvoyer le texte au roi, accompagné de ces remontrances. Le roi peut
alors, soit accepter les remontrances et modifier le texte, soit les refuser et leur renvoie le texte en
l’état, accompagné de lettres de Jussion, par lequel il ordonne au parlement l’enregistrement. Le
parlement peut refuser d’enregistrer. Au bout d’un moment, un moyen de débloquer les choses est
le fait que le roi recours à la procédure du lit de justice, une grande procédure très solennelle au
cours de laquelle le roi se rend au parlement, reprend la délégation de justice qu’il avait accordé
aux parlementaires. Il procède alors lui-même à l’enregistrement de l’acte. Cette procédure
d’enregistrement par les cours souveraines a été à l’origine de très nombreux blocages à la fin de
l’Ancien Régime, notamment sous Louis XVI. Ces blocages législatifs ont été la cause principale de la
crise politique qui a paralysé la fin de l’Ancien Régime. Symboliquement, cela peut encore être utilisé
aujourd'hui pour de grands actes législatifs.

III – Les droits savants, une source complémentaire

Indépendamment de l’évolution croissante du roi de France et de l’importance des coutumes, de très


nombreuses personnes et régimes continuent à être régies par le droit romain et le droit canonique
sous l’Ancien Régime.

1) Le droit canonique

Il s’applique à tous les chrétiens. Ses sources n’évoluent plus ou très peu. Depuis le 16ème siècle,
l’idée s’est imposée que le roi exerce seul le pouvoir législatif dans le royaume. Le principe s’impose
que c’est l’autorité royale, et elle seule, qui doit donner force obligatoire aux règles du droit
canonique. Avec ce principe, la législation des papes, mais également les canons des conciles qui se
sont tenus à l’étranger, n’obligeront les Français que s’ils ont été officiellement reçus dans le
royaume, acceptés par le roi. Cette situation nouvelle résulte d’un mouvement politique
d’indépendance dans l’Eglise de France qui s’est développé depuis le règne de Philippe le Bel. Ce
mouvement s’appelle le gallicanisme. Selon cette doctrine, le roi de France est, sur le plan temporel,
le seul chef de l’Eglise de France, ou Eglise gallicane. De plus, il ne tient son royaume que de Dieu, et
les évêques, dans l’exercice de leurs fonctions, sont avant tout les sujets du roi de France. Ce dernier
a pleine autorité sur l’Eglise de France. Le droit ancien contenu dans le Corpus Juris Canonici est

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admis et appliqué sans problème dans le royaume. A l’inverse, le droit canonique plus récent,
d’après 1500, n’est exécutoire dans le royaume que s’il accepté par le roi. Pour être applicable dans
le royaume, les canons des conciles et la législation pontificale, doivent avoir été promulguées par
des lettres patentes du roi. Ces lettres patentes du roi doivent être enregistrées par le parlement,
qui vont se proclamer protecteurs des libertés de l’Eglise gallicane. C’est sur la base de ces principes
qu’à partir du 16ème siècle, on voit s’élaborer un droit civil et un droit public ecclésiastique, constitué
par la législation du roi. Les juristes gallicans reconnaissent à l’Etat pleine puissance en matière
d’affaires religieuses.

2) Le droit romain et l’Humanisme juridique

Au 16ème siècle, le droit romain connait une seconde renaissance, qui va lui permettre de conserver
une très grande influence, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, du fait du développement de
l’Humanisme juridique. Les Humanistes vont mettre au point une nouvelle manière de lire les
textes, qui se caractérise par un retour aux textes de l’Antiquité. Ils vont chercher à redonner aux
fragments éclatés par Justinien, une reconstitution tel un puzzle. Ils vont chercher à redonner à ces
textes leur véritable portée, en les replaçant dans le contexte où ils ont été élaborés. Il les
reconstruise pour mieux comprendre le milieu dans lequel les textes se sont développés. C’est
l’école historique du droit, inauguré par André Alciat, qui a enseigné à l’université de Bourges. Le
plus illustre représentant de cette école, Jacques Cujas, va commenter les œuvres des jurisconsultes
en les rétablissant dans leur intégralité et non pas tels qu’ils sont présentés dans le Digeste. Ces
méthodes seront qualifiées de méthodes d’historiens et non de juriste. Abandonnée en France, des
juristes adeptes de cette méthode vont émigrer en Allemagne et en Hollande, leur départ intervient
après la révocation de l’édit de Nantes. Va alors naitre une nouvelle école, celle des Juristes Elégants,
qui va avoir au 17ème-18ème siècle, un rayonnement considérable, à tel point que des juristes français,
Domat et Pothier, s’inscriront dans la ligne de ces juristes. Le droit romain continue, en pratique, à
jouer un rôle très important. Sous l’Ancien Régime, la pénétration des règles de fond du droit
romain se renforce. Dès le début du 17ème siècle, Henri IV le reconnait comme la coutume générale.
Dans le centre et le Nord, il n’a pas la même fonction, n’a qu’une valeur supplétive, en cas de lacune
de la coutume. Dans les autres provinces, en cas d’insuffisance de la coutume, on va chercher dans
les coutumes voisines ou la jurisprudence du parlement. Ce n’est qu’en dernier recours qu’on a
recours au droit romain. Cette importance du droit romain explique le rôle considérable qu’il va
jouer dans le processus d’unification du droit.

Chapitre 2 : Les tendances à l’unification du droit


A partir du milieu du 16ème siècle s’amorce un mouvement qui annonce les codifications
napoléoniennes. Cette tendance unificatrice se manifeste aussi bien à travers un mouvement
doctrinal, qu’à travers l’essor d’une législation royale à portée générale.

I – L’effort doctrinal tendant à l’unification du droit

Les efforts des juristes vont aboutir d’abord à l’émergence d’un véritable droit commun coutumier.
Ce droit va déboucher sur un véritable droit français.

1) L’émergence d’un droit commun coutumier

A) La définition du concept de droit commun coutumier et le rôle de la coutume de Paris

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A la fin du Moyen-Âge et au début de l‘Ancien Régime, lorsque les juristes font référence à ce droit
commun, ils pensent au système juridique commun à tout l’Occident réalisé par la synthèse du droit
commun et des commentaires de la doctrine. A partir du 16ème siècle, les choses vont changer et les
juristes français vont se détacher de ce Jus Commune, car il ne faut pas oublier que se développe
alors le sentiment national, qui motive les juristes français à faire apparaitre un droit national. C’est
de cette volonté, couplée à un désir d’unifier les coutumes que va naitre ce droit commun
coutumier.

Les coutumes sont mises par écrit, réformées. Lors de la réformation des coutumes, on va arriver à
dégager, à travers un grand nombre de ces coutumes réformées, certains principes identiques ou
comparables d’une coutume à une autre. Ceux-ci vont constituer une sorte de fond commun
applicable dans tout le royaume. Dans le même temps, l’idée fait son chemin que, dans ces
coutumes rédigées et réformées, ce ne sont pas les détails qui sont importants, mais les principes
généraux. Le mouvement d’élaboration d’un droit commun coutumier est lancé. La coutume de Paris
va jouer un très grand rôle dans ce processus. L’influence reconnue à la coutume de Paris tient à
l’action d’un homme, Charles Dumoulin. Il a une excellente connaissance, à la fois de la coutume,
mais également de la jurisprudence du parlement et connait parfaitement le droit romain. En 1539, il
va publier un commentaire de la coutume de Paris, rédigée en 1510. Dans ce commentaire, il met en
avant les insuffisances de la rédaction. Dumoulin va également proposer cette coutume comme une
sorte de modèle qui pourrait être appliqué dans les autres provinces du royaume et qui conduirait
ainsi à l’établissement de ce droit commun coutumier qui aurait pour base le droit parisien. C’est
cette critique de Dumoulin qui va provoquer, en 1580, la réformation de la coutume de Paris. Elle
passe de 120 à 372 articles. Cette réformation va donner au droit parisien un rayonnement
extraordinaire. Dans tout le ressort du parlement de Paris, on va reconnaitre cette coutume comme
modèle, et plusieurs provinces ont s’en inspirer. C’est cette prééminence de la coutume de Paris qui
va finir par contribuer à promouvoir l’idée selon laquelle il existe véritablement un droit commun
coutumier.

Cette notion n’a pas été élaborée dans un but purement intellectuel, elle présente un triple intérêt.
Le premier est politique : l’unification du droit constitue une étape fondamentale dans l’unification
du royaume voulue à partir de ce moment-là par la monarchie. Le deuxième intérêt est pratique  : le
droit commun coutumier permet de mettre en place un meilleur fonctionnement de la justice,
grâce aux principes dégagés dans celui-ci, les juges vont avoir un ensemble de textes formant un
dénominateur commun et auquel ils pourront se référer. En suivant les principes dégagés, ces juges
vont pouvoir interpréter les coutumes les unes par rapport aux autres, et vont ainsi pouvoir combler
leur lacune ou leur silence sans avoir à faire appel au droit romain. Le dernier intérêt est plus
théorique, mais tout aussi fondamental. Au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime, on
voit apparaitre l’idée d’une codification du droit, mais toute codification exige des règles juridiques
certaines et identiques pour l’ensemble des territoires et des personnes concernées par cette
codification. Toute codification exige une certaine unité juridique. Mais, dans un pays de coutumes,
cette unité n’est possible qu’à partir du moment où l’on arrive à un droit commun de cette diversité
de coutumes. Cette évolution va se faire sur le long terme, si le concept de droit commun coutumier
est latent chez Dumoulin, il se précise par la suite, grâce à l’œuvre de rationalisation entreprise pas
les juristes.

B) L’œuvre de rationalisation des juristes

L’idée d’un droit commun coutumier va être reprise et va progressivement s’imposer, chez les
juristes comme dans l’opinion publique. Progressivement, les juristes vont prendre l’habitude
d’étudier la coutume comme ils traitaient le droit romain et le droit canonique. A l’imitation de

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Dumoulin, les juristes français vont se mettre à commenter les coutumes rédigées, notamment en
les glosant. Le problème est que, malgré ces efforts, la diversité coutumière se maintient et va
continuer de poser de très nombres problèmes, au justiciable comme au juge, notamment lorsque
vont survenir des conflits de lois. Les Etats-Généraux, lors d’une réunion à Orléans en 1560, puis à
Blois en 1576, appellent à l’unification des lois, des coutumes et de la procédure. En 1597, un juriste,
Pierre Guénois, publie un essai de synthèse dans lequel il rapproche les grands textes coutumiers et
met en lumière leurs ressemblances et leurs divergences. C’est appliquer aux coutumes la méthode
du décret de Gratien. La mode est lancée et, au début du 17ème siècle, de nouvelles synthèses de
droit coutumier sont réalisées. C’est ainsi que l’on voit se profiler ce qui deviendra un véritable droit
français.

2) La naissance d’un droit français

La gestation a été longue. En pratique, ce droit français existe depuis le Moyen-Âge à travers les
coutumes, mais il n’a été véritablement dégagé qu’au 16ème siècle. Ce droit français c’est une
construction des juristes qui a ensuite été consacrée par le roi.

A) Une construction des juristes

On pouvait utiliser le droit romain pour interpréter les coutumes, mais le risque était la romanisation
du droit coutumier. En réaction, certains juristes ont fait apparaitre l’idée d’interpréter les coutumes
en ayant recours aux autres coutumes. C’est ainsi qu’en 1607 un juriste, Guy Coquille, va publier
une Institution au droit français. Dans cet ouvrage, il prend en compte l’ensemble du droit coutumier
du royaume en effectuant des rapprochements entre les provinces. Il dit « Nos coutumes sont notre
droit civil, de même force et de même vigueur qu’était à Rome le droit civil des romains. Mais, dans
la France coutumière, le droit civil romain n’est pas le droit commun, il n’a pas force de loi, il sert
seulement pour la raison, et nos coutumes sont notre vrai droit civil. ». A partir de cette phrase, une
nouvelle science est née, celle du droit français. La même année, un autre juriste, Antoine Loisel,
élève de Cujas, va publier les Institutes coutumières, un travail préparatoire à l’unification du droit
coutumier. Le but de Loisel est de réduire toutes les provinces françaises à une seule loi, puisqu’elles
sont déjà sous l’autorité d’un seul roi. L’étape suivante va être de distinguer le droit français du droit
romain. Cette étape va être franchie en 1676 par Claude de Ferrière avec la publication des
Institutes de Justinien conférés avec le droit français. L’idée d’un droit français indépendant est alors
installée. La royauté va prendre acte de ce mouvement.

B) L’édit de Saint-Germain de 1679

En 1679, Louis XIV créé, par l’édit de Saint-Germain, dans les universités françaises, les premières
chaires de droit français. Au 17ème siècle, l’université française connaissait un grave déclin. Prenant
acte de cette situation, Louis XIV a voulu y remédie, que les universités françaises forment des
juristes compétents. C’est pourquoi cet édit, dans son article 14, institue un enseignement du droit
français, et les professeurs vont recevoir pour mission d’enseigner le droit français contenu dans les
ordonnances et coutumes, et d’expliquer les principes de la jurisprudence française. Même si la
place de ce nouvel enseignement est modeste, de 5h par semaine en 3 ème année, l’innovation est de
taille. Le droit romain et le droit canonique ne sont plus les deux seuls droits enseignés dans les
facultés, et on ouvre la recherche universitaire vers le droit positif national. C’est une tache nouvelle,
extrêmement difficile car ce droit français est une nouvelle matière très abondante et qui n’a
jusqu’alors fait l’objet d’aucune étude doctrinale. L’enseignement de ce droit français va être confié à
des professeurs royaux, recruté parmi les meilleurs praticiens et rémunérés directement par le roi.
Cet enseignement est effectué en français. De même que le droit français est le droit commun du
royaume, la langue français en est la langue commune. A partir de ce moment-là, les cours de ces

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professeurs vont permettre de mettre en évidence les principes communs aux différentes coutumes
et de dégager les éléments d’un droit français, lui aussi commun à tout le royaume. C’est à la même
époque que Jean-Baptiste Domat rédige son œuvre majeure, Les lois civiles dans leur ordre naturel,
la première grande synthèse juridique des temps modernes. Le rayonnement de cette œuvre va
être considérable, les publicistes continuent de s’y référer. Tout au long du 18ème siècle, la doctrine
continue cette étude du droit français et les synthèses se multiplient, l’œuvre des professeurs créés
par l’édit de Saint-Germain. Le plus célèbre de ces professeurs est Robert-Joseph Pothier, qui laisse
un œuvre immense qui va être très utilisée par les rédacteurs du Code Civil, il est surnommé Père du
Code Civil.

C) Le rôle de la jurisprudence

Au sens actuel du terme, elle va jouer un rôle important dans l’unification du droit. A la fin du
Moyen-Âge, elle est encore relativement discrète. Mais, petit à petit, elle va devenir réalité au cours
des 3 derniers siècles de l’Ancien Régime, et va finir par être considérée comme une source du droit
à part entière. Dès le milieu du 13ème siècle, dans le but de faire connaitre les affaires les plus
importantes, le roi de France demande qu’elles soient mises par écrit, non intégralement, mais
seulement les résumés des différentes phases de la procédure et le contenu des décisions. Dès 1258,
on voit apparaitre des registres d’enquêtes, les olims. De cette façon, au 13ème-14ème siècle, les
précédents judiciaires ont commencé à jouer un rôle dans la fixation de la procédure judiciaire. Ils
ont commencé à être invoqués par les plaideurs. Après la procédure elle-même, l’intérêt s’est
étendue aux solutions que les arrêts donnaient sur le fond. Lorsqu’une solution était confirmée par
d’autres décisions, elle créait une sorte de coutume judiciaire que les juges des juridictions
inférieures devaient suivre, et qui, légalement, pouvaient servir de base à l’argumentation des
avocats. Dès le 14ème siècle, certains de ces avocats vont chercher à conserver eux-mêmes les arrêts
les plus importants pour pouvoir éventuellement les alléguer. Certains vont en constituer des
recueils. Le plus célèbre est celui rédigé par Jean le Coq à la fin du 14ème siècle. Au 15ème siècle,
d’autre avocats vont suivre, qui vont également rédiger des arrêts les plus significatifs de leurs cours.
Grace au développement de l’imprimerie, cette démarche s’amplifie. Ces recueils sont donc des
œuvres de jurisprudence et de doctrine, les auteurs en sont les arrêtistes. Le plus connu est Jean
Papon, auteur d’un Recueil d’arrêts notables des cours souveraines de France. Au 17ème-18ème siècle,
cette jurisprudence va être reprise sous forme de dictionnaire. Cette jurisprudence favorise donc une
évolution du droit en profondeur et va ouvrir la voie à l’unification du droit. Le juge aura toujours
tendance à prendre en compte dans ses décisions, le contenu des décisions antérieures.

II – L’emprise croissante de la loi dans l’ordre juridique

Dès le 14ème siècle, les rois de France multiplient les ordonnances de réforme de l’Etat. A partir du
16ème siècle, des monarques comme François Ier ou Henri II prennent d’avantage conscience de leur
pouvoir législatif. La royauté va alors s’efforcer de déterminer de manière légale non seulement les
cadres de l’Etat monarchique, mais aussi nouvellement à déterminer les rapports de privé entre les
personnes. Ce mouvement législatif connait 2 phases. La première, correspondant au 16ème siècle et
aux premières décennies du 17ème siècle se succèdent des ordonnances de réformation dont le but
n’est pas d’innover mais de corriger des abus éventuels. Dans la seconde moitié du 18ème siècle et au
19ème siècle apparaissent les ordonnances de codification.

1) Les ordonnances de réformation du 16ème et du début du 17ème siècle

Elles interviennent à la suite de doléances émises par les Etats-Généraux, afin de corriger des abus.
Une même ordonnance peut traiter, dans un même texte, de questions extrêmement variées, et
contenir un très grand nombre d’articles sans ordre ni classification. Mais, en dépit de leur

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hétérogénéité, ces ordonnances traitent de questions fondamentales qui touchent notamment au
droit privé, et plus particulièrement au droit des particuliers. Beaucoup de ces ordonnances vont
poser sur de nombreux points des bases nouvelles.

A) L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539

Elle est prise par François Ier et inaugure plusieurs nouveautés. Elle est intitulée ordonnance sur le
fait de justice et se présente comme une réformation de la justice. Elle contient des dispositions
relatives à la compétence des tribunaux, à la procédure civile, à la procédure civile, mais ce qui la
rend célèbre sont ses articles 110 et 111 qui interdisent l’usage du latin comme langue judiciaire et
juridique. Tous les actes juridiques quels qu’ils soient devront être rédigés en français. Elle pose
autre chose : les bases de ce qui va devenir l’état-civil en obligeant les curés de paroisse à tenir des
registres de baptême, afin de prouver l’âge de la personne, déterminer sa majorité ou non. Des
registres de sépulture sont donc créés. L’ordonnance de Blois de 1579 créera en outre les registres
de mariage. Dans le domaine du droit civil, elle créé l’interdiction de faire des donations à son tuteur,
mesure qui sera reprise par le Code Civil de 1804.

B) L’ordonnance de Blois de 1579

Il marque la première grande intervention du pouvoir législatif royal dans le droit privé, jusqu’à
présent la chasse gardée du droit coutumier et du droit romano-canonique. Elle vient fixer de
nombreuses règles relatives au mariage, dont on trouve encore des traces. Elle va aussi introduire
en France les règles qui ont été posées par le concile de Trente en matière de mariage. Il s’est tenu
à Trente, en Italie, entre 1545 et 1563, pour réformer l’Eglise catholique, en réponse à l’apparition et
au critique du protestantisme. Depuis le 13ème siècle, pour l’Eglise, le lien matrimonial résultait du
seul consentement des époux, en dehors de toute formalité. Le mariage était conclu entre les seuls
époux, donc les mariages clandestins étaient variables. Devant ces problèmes, les autorités laïques
ont demandé à l’Eglise d’intervenir. Elle va réaffirmer, lors du concile de Trente, que le mariage est
régulièrement conclu, et donc indissoluble, lorsque les époux ont échangé leur consentement. Mais
elle fait du mariage un acte solennel, le consentement, pour être valable, doit être échangé devant
le curé de la paroisse.

Depuis le 16ème siècle, il est établi que le roi de France est le maitre chez lui, donc pour qu’elle
s’applique, les décisions d’un concile tenu à l’étranger doivent être formellement admises dans le
royaume. C’est l’objet de l’ordonnance de Blois. Cette conception heurte la noblesse car elle
souhaite, pour éviter les mésalliances, que le consentement des pairs soit nécessaires à la validité du
mariage. Un scandale a agité la noblesse. François de Montmorency s’est marié à Jeanne de Piennes
secrètement. Son père voulait marier son fils à une fille légitimée du roi de France. Il n’apprit le
mariage de son fils que la veille du mariage prévue avec la fille du roi de France. A la suite de ce
scandale, une première mesure va être prise par un édit de 1566 sur les mariages clandestins. Il va
exiger le consentement des parents au mariage leurs enfants, jusqu’à 30 ans pour les garçons et 25
ans pour les filles. En cas de désobéissance, la sanction est l’exhérédation des enfants. Au-delà de cet
âge, les parents doivent être sollicités par des actes respectueux et donner leur avis. L’ordonnance
de Blois va aller plus loin, en reprenant des dispositions du concile qui convenaient au roi, par
exemple lors de la publication de bans avant la célébration du mariage, ou la nécessité de se marier
devant 4 témoins. Cette ordonnance va aller plus loin, en renforçant le contrôle matrimonial et en
subordonnant la validité du mariage à une condition non prévue par le concile, le consentement des
parents des époux. Dans cette circonstance, l’ordonnance ne pouvait pas contredire le concile en
faisant de l’absence de consentement une cause de nullité. Pour régler cette question, on a fait appel
à une idée que l’on trouvait dans certaines coutumes du Nord de la France, l’assimilation du défaut

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de consentement des parents à un rapt. Le rapt relève de la compétence exclusive des tribunaux
royaux et est puni de mort. L’article 42 de cette ordonnance va assimiler à un rapt tout mariage de
mineur conclu sans consentement des parents, sans espérance de grâce et de pardon. Les
parlements vont construire la théorie du rapt de séduction. S’il n’y a pas eu consentement des
parents, il y a une présomption de rapt, et donc vice du consentement, ce qui justifie l’annulation du
mariage. De cette façon, ce que la loi du roi n’avait pas osé imposer, la jurisprudence va le réaliser, et
le mariage va petit à petit passer du contrôle de l’Eglise à celui de l’Etat.

2) Les ordonnances de codification au 17ème-18ème siècle

A) L’idée d’une codification du droit

L’idée de codification prend naissance assez tôt. Elle ne date pas de l’extrême fin du 18ème siècle avec
le début de rédaction Code civil. Entre le 16ème et le 18ème siècle, un certain nombre de juristes ont
élaboré des projets de codification générale. Le problème avec ces projets c’est que ces codifications
regroupaient toutes les sources de droit et étaient finalement totalement inutilisables de fait. La
codification ne pouvait être mise en œuvre que par une seule source et pour une seule source de
droit : la loi. Seule la loi pouvait ordonner la codification. La première tentative du genre date de la
fin du 16ème siècle. Les Etats-Généraux sont réunis en 1576 à Blois et demandent au roi la mise en
ordre des lois royales, qu’ils considéraient comme beaucoup trop nombreuses et beaucoup trop
confuses. Henri III répond à la demande et ordonne à Barnabé Brisson de recueillir toutes les lois en
un seul volume, et en supprimant celles qui ont été abrogées ou celles qui sont désuètes. Brisson fait
le travail, l’ouvrage est terminé en 1587 et est publié sous le nom de Code Henri III ; il n’a jamais été
officiellement promulgué.

Dans le même temps, on constate que la législation royale va prendre de nouveaux caractères. Dès le
règne de Louis XIV les lois du roi témoignent finalement d’une volonté de recherche d’unité et cette
volonté obéit à deux principes : la nécessité d’une unité du sujet traité par une ordonnance.
Dorénavant, au lieu de rassembler dans un même texte des mesures variées, le roi souhaite qu’un
même texte traite de mesures communes à un sujet unique. Il y a une volonté d’établir une unité
juridique. Cette unité juridique qui va de pair l’unité politique du royaume, et contribue même à
renforcer cette dernière. Quand Louis XIV commence son règne personnel en 1661, le droit royal
est très confus et dispersé, donc la tâche à accomplir est immense. Le roi sait très bien que
l’unification du droit est, encore à cette époque, un projet lointain, surtout dans le domaine du droit
privé qui est essentiellement régie par la coutume. C’est une tâche immense avec un objectif à long
terme. Pour y arriver il va falloir procéder par étape. Avant de s’attaquer au droit privé, il va falloir
commencer par introduire. On va s’attaquer à la procédure mais aussi au droit commercial. C’est ce
que propose Colbert qui va suggérer à Louis XIV d’être un grand législateur pour intervenir sur des
domaines précis.

B) L’œuvre de Colbert

Sous le règne de Louis XIV, on trouve l’effort législatif le plus important avec la rédaction de 4 grands
textes. Colbert est un grand administrateur, et c’est un personnage qui très tôt a compris
l’importance et l’urgence de l’unification du droit. C’est sous son influence, qu’entre 1661 et 1685,
plusieurs grands textes sont adoptés. A partir de ces grands textes, il ne s’agit plus de régler
ponctuellement des questions diverses, mais il s’agit dans le travail législatif de mener une politique
d’ensemble. Le premier résultat est la promulgation en avril 1667 d’une ordonnance sur la
procédure civile qui contient 35 titres, qui est un véritable code de procédure civile. Ce texte répond
au souci d’unification du droit en imposant dans tout le royaume la même procédure civile. Ce texte
est fondamental car plusieurs de ces dispositions seront reprises presque mot pour mot dans le

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Code de procédure civile de 1806. Même le Code civil s’inspire de ça en empruntant tout le régime
relatif aux preuves. Si l’unification de la procédure civile est réalisée en 1667, en 1670 est publiée
une ordonnance criminelle qui vient compléter la précédente et qui est un véritable Code de
procédure pénale. Bien sûr, cette ordonnance sera la source principale du Code d’instruction
criminelle de 1808. Juste avant l’ordonnance criminelle est publiée, en 1669, l’ordonnance sur les
eaux et forêts qui servira de modèle au Code forestier de 1827. En 1673, une ordonnance sur le
commerce qui servira de modèle au Code de commerce de 1807 est publiée. En 1685, après la mort
de Colbert est publié un texte qui s’intitule ordonnance touchant la police des îles de l’Amérique,
plus connu sous le nom de Code noir : c’est le 1er code colonial qui règlemente l’esclavage et qui, tout
en reconnaissant certains droits aux esclaves et en posant quelques limites à l’autorité des maîtres,
reste cependant d’un esprit assez dur. Si l’on regarde bien ces textes on constate plusieurs choses :
ils représentent des avancées importantes. Mais dans le même temps, ces textes interviennent dans
des domaines qui ne sont pas régis par la coutume. De cette façon, le roi comblait certaines lacunes
sans véritablement s’opposer au droit coutumier existant. Finalement, malgré ces textes
fondamentaux, avant le règne de Louis XV, la monarchie va rester relativement prudente dans les
matières de droit privé. A partir du règne de Louis XV, la législation royale va changer de nature. Elle
va aller plus loin et ces changements sont dus au chancelier de France D’Aguesseau.

C) L’œuvre du chancelier D’Aguesseau

Quelque chose ne trompe pas dans cette évolution. Pour le règne précédent, lorsque l’on parle de
ces textes, on parle des ordonnances de Louis XIV. En revanche, pour les textes qui viennent, on
parle des ordonnances de D’Aguesseau. Ce dernier était un juriste éminent et était partisan de
l’unité de législation. Il rêvait d’un droit civil commun à tout le royaume. C’était son rêve qu’il y ait
un seul droit civil applicable à tous. Il n’a pu intervenir que sur quelques questions de droit privé. Là
encore, D’Aguesseau a procédé par étapes et au bout du compte, il a limité son travail de
codification à trois questions, qui ont fait l’objet d’ordonnance distinctes, réunies sous un titre
officieux de code Louis XV. L’ordonnance de 1731 est relative aux donations, celle de 1735 aux
testaments. Dans ces deux domaines, la diversité coutumière était très importante et gênante.
Intervenir dans ces domaines signifiait toucher au fond du droit privé et c’était une démarche tout à
fait nouvelle. Pour parvenir à cela, D’Aguesseau va agir prudemment, il va commencer par consulter
les hautes juridictions, leur envoie des questions précises. Pour ce qui est des donations, le texte de
l’ordonnance va réussir à créer dans ce domaine un régime unique qui sera appliqué dans
l’ensemble du royaume, et qui va emprunter aux règles romaines que l’on retrouve aussi bien dans
les pays de droit écrit que dans la coutume. Quant à l’ordonnance sur les testaments, les choses
étant plus compliquées, le texte de l’ordonnance va se contenter de ramener l’ancienne diversité
juridique à deux grands régimes : l’un applicable dans le Nord, qui va conserver et unifier les règles
coutumières, et l’autre applicable dans le Sud, qui va faire une très grande place aux principes tirés
du droit romain. L’ensemble de ces textes a permis une large unification dans différents domaines
juridiques ; cette idée d’unification va se développer et s’amplifier encore à la fin du 17ème et surtout
du 18ème siècle, et est reprise par les philosophes des Lumières. Cette unification sera mise en œuvre
par la Révolution mais elle ne sera véritablement et efficacement mise en application qu’avec
l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte.

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Titre 2 : La Révolution et l’œuvre
napoléonienne
Depuis la fin du Moyen-Âge, les droit nationaux se sont progressivement constitués, même si on est
encore loin de leur physionomie actuelle. Pour y parvenir, il a fallu un très long processus de
rationalisation et d’unification du droit. Ce processus qui a commencé au 16 ème-17ème siècle
s’amplifie au 18ème. Mais dans ce domaine d’unification juridique, la Révolution française apparaît
comme un accélérateur des tendances amorcées par l’Ancien régime. En pratique, notre droit
contemporain est véritablement le fruit d’un amalgame réalisé entre les traditions issues du droit
romain et du droit coutumier, et les principes révolutionnaires. C’est cet amalgame qui a été réalisé
au 19ème siècle par les codes issus de l’œuvre napoléonienne.

Chapitre 1 : Les transformations de la Révolution


I – L’importance de la loi

1) Les principes révolutionnaires

Sous l’ancien régime, les idées émises par les philosophes des Lumières ont réussi, malgré leurs
contradictions, à donner naissance à un fond d’opinions moyennes et cohérentes que l’on appelle
l’esprit du siècle. Cet esprit du siècle considérait les traditions et l’expérience du passé comme des
abus inutiles et nuisibles. Ces idées ont pesé sur les transformations de la forme et du fond du droit.
Elles ont pesé parce qu’elles ont été reprises par les révolutionnaires qui, à ce moment-là, ont
remplacé le pluralisme juridique d’Ancien régime par un monisme radical (=opposition au dualisme
ou pluralisme). L’idée d’un monisme qui va reposer uniquement sur la loi s’impose alors. Si les hôtes
de la Révolution ont élevé et donc dévalorisé les autres sources de droit, les révolutionnaires ont fait
cela car, dans leur esprit, la loi représente le produit de la raison et de la volonté. A l’inverse, les
origines incertaines des coutumes, mais également leur diversité et leur complexité témoignent de
leur irrationalité, s’opposant ainsi à la loi. Pour des auteurs comme Diderot ou Rousseau, la loi est
l’expression de la volonté générale qui est présumée irréfragablement bonne et infaillible. Ces
idées, mises en place par les révolutionnaires, vont aboutir à un légicentrisme absolu.

 CM 18
2) Le légicentrisme révolutionnaire

D’un point de vue des sources du droit, la Révolution française a développé l’amour de la loi, en
inventant un principe qui nous gouverne encore, celui du législateur anonyme et abstrait,
représenté par une assemblée. Il est censé traduire les volontés de l’ensemble du corps social. Cette
suprématie de la loi s’exprime par la suprématie de son auteur. Cette période est une période de très
grande instabilité politique, on connait 5 régimes différents en 10 ans, et donc, à chaque fois, de
nouvelles Constitutions. Malgré ces changements, un principe est resté intangible : celui de la
séparation des pouvoirs inspiré par Montesquieu dans De l’esprit des lois, publié en 1748. C’était
un très bon connaisseur de l’histoire romaine et des institutions anglaises. Il soulignait que pour
garantir la liberté, les différentes fonctions politiques, faire les lois, les exécuter, juger (pouvoir
exécutif, législatif et judiciaire) devaient être séparées et organisées, exercées par des organes
distincts qui devaient collaborer et se limiter mutuellement. Cette vision va être affinée car
Montesquieu explique également que, pour éviter la domination du législatif, il voulait qu’il soit

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divisé en plusieurs chambres, et que dans le même temps, le pouvoir exécutif bénéficie d’un droit
de véto empêchant la publication des lois. Dans ce système, le pouvoir législatif et le pouvoir
exécutif sont amenés à collaborer.

En pratique, les révolutionnaires ont détourné ce principe et ont voulu faire de ce principe une arme
dirigée contre le roi, en abaissant l’exécutif et en élevant le législatif. En faisant cela, ils ont rendu
leur collaboration impossible. Ce déséquilibre s’est accentué après la chute de la monarchie en 1792
jusqu’en 1795, où, pendant cette période, on a assisté à une véritable dictature d’Assemblée qui a
été fondée sur le principe de la souveraineté nationale. Dans cette vision développée par les
révolutionnaires à partir de 1792, la loi qui est la seule expression de la volonté générale
constitutionnellement valable, elle devient l’unique autorité apte à créer le droit. Cette loi ne doit
subir aucune des entraves qui, par le passé, ont freiné l’action législative du roi. Désormais, dans
l’optique législateur, la loi est libérée de toute norme supérieure, qu’elle vienne du droit divin ou du
droit naturel. Un texte fondamental de l’époque, la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen du 26 août 1789, qui proclame les droits individuels et imprescriptibles de l’individu, n’arrive
même pas à borner l’autorité de la loi. L’article 4 précise que c’est la loi qui détermine les limites de
la liberté. La liberté d’opinion de l’article 10 est admise à condition que sa manifestation ne trouble
pas l’ordre public établit par la loi. La libre communication de pensée de l’article 11 peut donner lieu
à des abus dont les cas sont déterminés par la loi. Dans le domaine de la sureté, l’article 7 prévoit
que nul homme ne peut être arrêté, accusé, détenu, que dans les conditions prévues par la loi. La
propriété, droit inviolable et sacré peut être remise en cause lorsque la loi l’exige. Dans ce système,
l’exercice des droits proclamés de l’Homme dépend entièrement de la loi positive, sans qu’aucune
garantie ne soit donner contre des abus éventuels de celle-ci. Cette omnipotence de la loi s’est
développée en même temps que des tentatives de codification.

II – L’échec des tentatives de codification et la survie des autres sources du droit

1) L’échec des tentatives de codification

Cette idée de codification n’est pas une idée neuve, on la trouve chez la plupart des philosophes des
Lumière au 18ème siècle. Voltaire l’a réclamé, il dénonçait la multiplication et la diversité des
coutumes. Rousseau, Diderot, souhaitent que soient rédigés des codes rationnels et harmonieux.
Cette idée de codification n’est pas propre à la France, elle a déjà été mise en application dans
certains pays d’Europe (Bavière, Piémont, Toscane…). Finalement, en brisant les particularismes
sociaux et territoriaux et les privilèges et en étendant sans limite le domaine de la loi, la révolution a
créé les conditions propices à l’unification du droit et à sa codification.

Dès le mois d’août 1790, l’Assemblée Constituante décide qu’il sera fait un code de lois civiles
communes à tout le royaume. Cet engagement va être renouvelé en 1793 avec la création d’un
Comité de législation civile et criminelle, chargé de préparer la réforme des lois et la codification.
Deux projets, rédigés par Cambacérès en 1793 et en 1794, sont rejetés. Un troisième projet est
présenté, moins novateur que les précédents et qui se référait au droit romain et aux coutumes, il
est rejeté en 1796. Toutefois, l’effort d’unification ne fut pas vain, puisque, à défaut d’un Code Civil,
les révolutionnaires ont réussi à faire voter plusieurs lois de droit privé applicables uniformément
dans toute la France. Finalement, à l’image de ce qui s’est passé avec les ordonnances royales, les
lois révolutionnaires n’ont fait accomplir à l’unification du droit que des progrès ponctuels. Pendant
cette période, les sources anciennes n’ont pas totalement disparu.

2) La survie des autres sources de droit

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Dans l’esprit des révolutionnaires, les coutumes, symbole d’irrationalité, de conservatisme, au même
titre que le droit romain, devaient disparaitre du paysage juridique français, au fur et à mesure que
des lois nouvelles viendraient réformer les matières dont elles traitaient. Mais, devant l’incapacité
des révolutionnaires à codifier, ces coutumes qui devaient disparaitre se sont maintenues et ont
continué à régir les matières qui n’ont pas fait l’objet d’une réforme législative telles que les régimes
matrimoniaux.

La jurisprudence est plus problématique. En effet, pour les Lumières, l’existence d’un pouvoir
judiciaire indépendant est une condition de liberté mais, dans un régime où la loi est souveraine,
l’acte de juger ne peut être qu’une application mécanique de la loi. Les révolutionnaires ont fait du
pouvoir judiciaire non pas un pouvoir autonome mais un simple élément de l’exécutif, avec le
principe du juge automate. Ainsi, en 1790, la loi sur la justice empêche le maintien d’une autorité
jurisprudentielle. Les parlements sont supprimés, toute idée de hiérarchie judiciaire est supprimée,
les magistrats indépendants sont supprimés et sont remplacés par des juges élus par les citoyens.
Enfin, l’interprétation des lois ne va plus relever des tribunaux mais de l’assemblée, avec le référé
législatif.

Chapitre 2 : L’œuvre napoléonienne


I – Le Code Civil
1) L’élaboration du Code Civil

Ce Code Civil s’inscrit dans la suite logique des projets élaborés par la Révolution pendant celle-ci,
avec une petite différence. Au moment de la rédaction de ce Code, le contexte politique a
radicalement changé. Le temps des grands bouleversements de la Révolution et le temps des
massacres avec l’épisode de la Terreur qui a fait 300.000 morts, est passé. Napoléon Bonaparte
proclame officiellement la fin de la Révolution après sa nomination au poste de Premier Consul en
1799. Il entend construire pour le long terme en jetant des masses de granite qui défieront le temps.
Dans le droit civil, Bonaparte va vouloir faire œuvre de compromis entre la France de l’Ancien
Régime et celle de la Révolution. Le but de Bonaparte est de combiner le legs de l’ancienne France
avec l’apport de la Révolution, pour en faire un système acceptable, si ce n’est par tous les français,
au moins par la majorité d’entre eux. C’est dans ce but qu’au mois d’août 1800 est constituée une
Commission chargée de rédiger un nouveau projet de Code Civil.

La composition de cette commission résulte de l’esprit de compromis qui habitait Bonaparte. Elle
comportait 4 membres, tous éminents juristes qui sont politiquement modérés et de tradition
régionale différente. Son président est Tronchet, ancien avocat au barreau de Paris, spécialiste de la
coutume et un des avocats de Louis XVI. Bigot de Préameneu est spécialiste de la coutume de
Bretagne et représente la tradition juridique de l’ouest de la France. Le sud-ouest est représenté par
Maleville, originaire du Périgord. Le plus brillant des 4 est Portalis qui représente la tradition
romaine, ancien avocat d’Aix. Ces 4 juristes, au-delà de leurs spécialités complémentaires, étaient
tous imprégnés des idées des grands auteurs de l’ancien droit, celles de Cujas, de Domat, de
D’Aguesseau et de Pothier. Ils ont énormément emprunté à ces auteurs. Cette commission va
travailler très rapidement et un premier projet est rédigé en 4 mois. Une fois élaboré, il est envoyé
au Tribunal de cassation et aux tribunaux d’appel pour obtenir leur appréciation, leur avis. Puis le
projet est retourné à la commission, et la troisième phase se déroule devant le Conseil d'Etat, organe
créé par Bonaparte chargé de l’examen des lois. Au cours des séances du Conseil d'Etat, Bonaparte

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est venu en personne en présider un très grand nombre. Il l’a fait pour le goût qu’il avait pour le
droit. Surtout, il reconnaissait au droit une très grande importance politique. Le Premier Consul
connaissait très bien l’Histoire et savait que tous les princes restaurateurs d’empire ont été des
princes législateurs (Auguste, Justinien…). Le Code Civil est promulgué le 21 mars 1804 et abroge, à
ce moment, là, « les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts et
règlements dans les matières qui sont l’objet des dites lois composant le présent Code. » Dans cette
organisation nouvelle, quelle va être la place de la jurisprudence ?

2) La loi et le juge : le rôle de la jurisprudence

Parmi les grands principes qui ont guidés les rédacteurs du Code, on trouve l‘idée selon laquelle il
doit chercher un niveau de généralité suffisant, sans chercher à prévoir et à régler toutes les
situations possibles. Portalis explique que l’office de la loi est de régler, par de grandes vues, les
maximes générales du droit. En pratique, ces grands principes doivent être appliqués à des cas
d’espèce, c’est au juge qu’il revient d’en tirer les conséquences. Cela signifie, dans la pensée de
Portalis, que l’office traditionnel du juge est restauré, le principe du juge automate cher aux
révolutionnaires disparait, il est remplacé par le juge chargé de dire le droit. Ce juge retrouve sa
liberté de jugement, mais dans un cadre général posé par les lois. Ce Code réhabilite la jurisprudence
et met un terme à la pratique du référé législatif. Il va même plus loin dans la reconnaissance de ce
pouvoir au juge avec l’article 4 du Code, qui dispose que le juge qui prendrait prétexte des silences,
des lacunes, ou des ambiguïtés de la loi pour refuser de juger pourra être poursuivie comme
coupable de déni de justice. Des lois de 1828 et 1837 ont consacré l’autonomie de la jurisprudence, à
condition qu’elle ne sorte pas de son rôle de trancher des litiges particuliers.

II – L’esprit du Code Civil et les autres Codes

1) L’amalgame entre l’ancien et le nouveau droit

Ce Code reprend, dans sa forme, le plan des Institutes de Gaïus. Dans le Code, l’énoncé des règles en
articles concis et clairs, regroupés en livres, en titres et en sections, s’inspire des grandes
ordonnances de Louis XIV et de D’Aguesseau. Sur le fond, il fait œuvre de transaction car doit servir
d’assise à une nouvelle société qui va devoir rassembler et réconcilier la France d’Ancien Régime et
celle de la Révolution. Cette nouvelle société ne peut voir le jour qu’en empruntant le meilleur de la
Révolution et le meilleur de l’Ancien Régime. On va emprunter à la Révolution les grandes réformes,
l’égalité civile, la propriété individuelle, et à l’Ancien Régime, on va emprunter les traditions
garantes d’ordre et de stabilité. Cela signifie que le Code Civil ne va pas faire table rase du passé, il
va même renouer avec la tradition romaniste, avec la tradition coutumière, sans négliger la
législation royale, tout en cherchant à harmoniser l’ensemble. En matière de droit des personnes et
de la famille, tout ce qui concerne l’organisation technique de l’Etat-civil vient des ordonnances et
donc de l’Ancien Régime. En revanche, la sécularisation du mariage opéré par la Révolution n’est pas
remise en cause et est même renforcé. Le divorce, autorisé par la révolution, est conservé mais plus
limité. Dans les relations entre parents et enfants, l’ancien droit est prédominant puisque la
puissance paternelle est rétablie sur les mineures de moins de 21 ans. Elle est rendue au père qui est
un véritable magistrat domestique dans le Code Civil de 1804. Au-delà de cette majorité, le Code Civil
indique qu’à tout âge, l’enfant doit honneur et respect à ses parents. Pour son mariage, il doit
obtenir le consentement de ses parents jusqu’à ses 25 ans. Pour les régimes matrimoniaux, c’est le
droit coutumier qui l’a emporté, et c’est le droit romain pour le droit des successions. Pour ce qui est
du droit des obligations et des biens, les dispositions sont prises chez Domat et Pothier dont les
codificateurs ont recopié les textes.

2) Les autres Codes

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Ils sont restés tributaires de l’Ancien droit. Le Code de Procédure Civile reprend en grande partie
l’ordonnance de 1667. Le Code Pénal et celui d’Instruction Criminelle représente une transition
entre l’Ancien droit et le droit révolutionnaire. La procédure pénale s’inspire de l’ordonnance de
1670 et le jugement pénal s’inspire du droit révolutionnaire avec les jurys. Le Code de commerce
reprend l’ordonnance de 1673. Cette entreprise de codification se poursuit en Europe, et même hors
d’Europe. Le Code Napoléon, avec les conquêtes de ce dernier, a été imposé aux pays conquis et
s’est parfois maintenu dans ses pays. Lorsqu’il ne s’est pas maintenu, il a inspiré des codifications
nouvelles. Notre Code Civil de 1804 a connu un succès mondial et a donné raison à Napoléon qui
disait « Ma vraie gloire ce n’est pas d’avoir gagné 40 batailles, ce que rien n’effacera, ce qui vivra
éternellement, c’est mon Code Civil. »

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