Nicolas Gisin - L'Impensable Hasard - Non-Localité, Téléportation Et Autres Merveilles Quantiques-Odile Jacob (2012)
Nicolas Gisin - L'Impensable Hasard - Non-Localité, Téléportation Et Autres Merveilles Quantiques-Odile Jacob (2012)
Nicolas Gisin - L'Impensable Hasard - Non-Localité, Téléportation Et Autres Merveilles Quantiques-Odile Jacob (2012)
Nicolas Gisin
L'Impensable Hasard
Non-localité, téléportation
et autres merveilles quantiques
1 www.odilejacob.fr 1
ISBN: 978-2-7381-7869-5
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2" et 3• a),
d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste
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est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce
soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du
Code de la propriété intellectuelle.
PRÉFACE
Alain Aspect,
Palaiseau, mai 2012.
AVANT -PROPOS
Depuis notre plus jeune âge, nous apprenons que pour interagir
avec un objet qui est hors de notre portée, nous n'avons que le
choix entre deux possibilités. Soit nous nous déplaçons jusqu'à lui,
en rampant comme le font les bébés ; soit nous utilisons un objet,
par exemple un bâton, pour allonger notre bras afin de l'atteindre.
Plus tard, nous comprenons que des mécanismes plus complexes
peuvent également être mis en œuvre : déposer une lettre dans une
boîte aux lettres, par exemple. La lettre sera prélevée par un
employé de la poste, triée à la main ou par une machine, expédiée
par camion, train ou avion, puis acheminée vers son destinataire.
Internet, la télévision et d'innombrables autres exemples quotidiens
nous apprennent qu'en fin de compte toute interaction et toute com-
munication entre deux objets éloignés se propagent continûment
de proche en proche en suivant un mécanisme qui peut être com-
plexe, mais qui suit toujours une trajectoire continue qu'on peut
repérer, au moins en principe, dans l'espace et au cours du temps.
Cependant, la physique quantique, qui étudie le monde au-delà
de ce qui nous est directement perceptible, affirme que des objets
éloignés dans l'espace peuvent parfois former un tout. Ainsi, quelle
que soit la distance qui les sépare, si l'on touche l'un des deux objets,
tous les deux tressaillent ! Comment croire à une chose pareille ?
Une telle affirmation est-elle testable ? Comment faut-il la com-
prendre? Et peut-on utiliser cette drôle de physique quantique pour
communiquer à distance à l'aide de ces objets-éloignés-qui-ne-for-
16 L'IMPENSABLE HASARD
À quoi ça sert ?
APÉRITIFS
Newton:
une si grande absurdité...
Encadré 1
Newton 1
so that one Body may act upon another at a Distance thro' a Vacuum,
without the mediation of any thing else, by and through which their
Action and Force may be conveyed from one to another, is to me so
great an Absurdity, that 1 believe no Man who has in philosophical
Matters a competent Faculty of thinking, can ever fall into it. »
qu'ils s'éloignent très loin l'un de l'autre : ainsi, quel que soit le
mécanisme grâce auquel les combinés communiquent, la qualité
de la liaison devrait décroître et finalement disparaître. Mais, encore
une fois, rien n'y fait.
Alice et Bob en concluent que leurs combinés ont enregistré
une très longue séquence d'un bruit dont ils reproduisent une
séquence chaque fois qu'on décroche, la séquence exacte étant choi-
sie très précisément en fonction de l'heure. Ainsi, il n'est plus sur-
prenant que les deux combinés produisent toujours le même bruit.
Tout fiers de leur démarche scientifique, Alice et Bob vont pré-
senter leur trouvaille à leur professeur de physique qui les félicite.
Mais le professeur ajoute: «L'hypothèse que vos téléphones produi-
sent le même bruit grâce à une cause commune, un même bruit enre-
gistré dans vos deux combinés, est une hypothèse qu'on peut tester;
on appelle cela un test de Bell. » Les tests de Bell, ou jeux de Bell,
seront présentés au chapitre suivant. Pour l'instant, contentons-nous
de dire qu'Alice et Bob se précipitent chez eux pour effectuer ce test
de Bell sur leurs combinés et que le test échoue. Ils répètent l'expé-
rience plusieurs fois, mais rien n'y fait. L'hypothèse d'une cause com-
mune enregistrée dans les combinés est donc réfutée.
Alice et Bob se demandent alors quel mécanisme permet à leurs
combinés de produire ce même bruit, à grande distance, sans com-
munication et sans que celui-ci soit préenregistré dans les combinés.
Ils ont beau se creuser les méninges, ils ne parviennent pas à ima-
giner le moindre mécanisme susceptible d'expliquer le phénomène.
Ils retournent voir leur professeur : « Pas surprenant que vous ne
trouviez pas de mécanisme, car il n'y en a aucun ; ce n'est pas de
la mécanique, mais de la physique quantique: le bruit est produit
au hasard, mais il s'agit du "vrai" hasard, chaque bit du bruit n'exis-
tant pas avant que les combinés ne le produisent dans un pur acte
de création. De plus, ce hasard quantique est capable de se mani-
fester en plusieurs endroits à la fois, dans vos deux combinés par
exemple.
- Mais, s'écrie Alice, ce n'est pas possible, le signal doit
décroître avec la distance entre les deux appareils, sinon cela
implique qu'on pourrait communiquer à des distances arbitraires.
24 L'IMPENSABLE HASARD
CORRÉLATIONS LOCALES
ET NON LOCALES
Corrélations
Chaque jour, nous faisons des choix qui ont des conséquences.
Certains choix et leurs conséquences sont plus importants que
d'autres.
Certaines conséquences ne dépendent que de nos choix, mais
beaucoup dépendent aussi de choix faits par d'autres. Dans ce cas,
les conséquences de nos choix ne sont pas indépendantes les unes
des autres: elles sont corrélées. Par exemple, le choix du menu du
repas du soir dépend, entre autres, du prix des produits à l'épicerie
du coin, prix décidés plus ou moins librement par d'autres. Les
menus des habitants d'un même quartier sont ainsi corrélés : s'il y
a une grosse promotion sur les épinards en branche, il est probable
que ce plat sera fréquemment au menu. Une autre cause de cor-
rélation entre les menus est l'influence du choix du voisin. S'il y a
une queue devant un stand, nous pouvons être influencés et tentés
d'aller voir ce qui semble si attrayant ou, au contraire, d'éviter cette
queue. Dans les deux cas, il y aura corrélation - positive dans le
premier cas, négative dans le second.
Poussons cet exemple à l'extrême. Imaginons deux voisins, que
nous appellerons à nouveau Alice et Bob (nous verrons qu'ils jouent
un rôle similaire à celui des étudiants de l'histoire du drôle de télé-
phone), qui partagent soir après soir toujours le même menu. Leurs
menus du soir sont donc parfaitement corrélés. Comment expliquer
cette corrélation ?
CORRÉLATIONS LOCALES ET NON LOCALES 27
Le jeu de Bell
Alice
Heurex a
9h00 gauche 0
9h01 gauche 1
9h02 droite 1
9h03 gauche 1
9h04 droite 1
9h05 droite 0
Heure Y b
9h00 gauche 0
9h01 gauche 1
9h02 gauche 1
9h03 droite 1
9b04 droite 0
Figure 1. Alice et Bob jouent au jeu de Bell. Chacun est devant une boîte
munie d'une manette. Chaque minute, ils choisissent de pousser leur manette
soit vers la gauche, soit vers la droite, puis chaque boîte affiche un résultat.
Alice et Bob notent consciencieusement rheure, leurs choix et les résultats
produits par leurs boîtes. En fin de journée, ils comparent leurs résultats
et déterminent s'ils ont gagné ou non au jeu de Bell. Leur but est de
comprendre comment fonctionnent les boîtes du jeu de Bell, tout comme
les enfants apprennent en essayant de comprendre comment fonctionnent
leurs jouets.
x = 0 x = 1
y = 0 a = b a = b
y = 1 a = b a o;=b
Encadré 2
Au hasard
Un résultat au hasard est un résultat imprévu. Mais imprévu
pour qui? Bien des choses sont imprévues, soit parce qu'elles sont
le résultat de processus trop complexes pour être appréhendés,
soit parce qu'on n'a pas prêté attention à toutes sortes de détails
qui ont influencé le résultat. En revanche, un résultat au « vrai »
hasard est imprévu car intrinsèquement imprévisible : un tel
résultat n'est pas déterminé par une ou plusieurs chaînes causales,
si complexes soient-elles. Un résultat au vrai hasard n'est pas
prévisible car, avant de se manifester, il n'existait pas du tout:
il n'était pas nécessaire, sa réalisation est un acte de pure
création.
Pour illustrer ce concept, imaginons qu'Alice et Bob se rencon-
trent par hasard au coin de la rue. Cela peut se produire, par
exemple, parce que Alice se rendait au restaurant un peu plus
loin et Bob chez son ami qui habite la rue d'à côté. A partir du
moment où ils ont entrepris d'aller à pied, par le chemin le plus
court, au restaurant pour Alice et chez son ami pour Bob, la ren-
contre était prévisible. C'est un exemple de deux chaînes causales,
les cheminements d'Alice et Bob, qui se croisent et produisent ainsi
un hasard du point de vue de chacune des deux personnes. Mais
la rencontre était prévisible pour quelqu'un qui aurait une vue
globale. L'apparent hasard n'est donc que le fruit d'une ignorance :
Bob ignorait le cheminement d'Alice et réciproquement. Mais
qu'en était-il avant qu'Alice ne décide de se rendre au restaurant?
Si on admet qu'elle jouit de libre arbitre, alors avant qu'elle ne
se décide, la rencontre était proprement imprévisible. Le vrai
hasard est similaire.
CORRÉLATIONS LOCALES ET NON LOCALES 37
Le vrai hasard n'a donc pas une cause au même sens qu'en phy-
sique classique. Un résultat au vrai hasard n'est pas prédéterminé,
de quelque manière que ce soit. Il faut néanmoins nuancer cette affir-
mation, le vrai hasard pouvant avoir une cause. Mais cette dernière
ne détermine pas le résultat, elle détermine seulement la probabilité
des divers résultats possibles. Seule la propension que tel ou tel résul-
tat se réalise est prédéterminée.
Table 1
Encadré 3
Inégalité de Bell
Encadré 4
John Bell:
<< 1 am a quantum engineer, but on Sundays
1 have principles. >>
Encadré 5
Une communication sans transmission est impossible
TI n'est donc pas possible d'utiliser les deux boîtes pour commu-
niquer entre Alice et Bob9• Ce n'est qu'une fois qu'Alice et Bob ont pu
comparer leurs résultats, donc après qu'ils se sont retrouvés en fin de
journée et ont arrêté de jouer, qu'ils peuvent savoir s'ils ont gagné ou
non au jeu de Bell. TI n'y a donc pas de connexion reliant Alice et Bob
qui leur permette de communiquer. Communiquer uniquement grâce
au jeu de Bell serait une communication sans qu'aucun objet porte le
message de l'émetteur au récepteur : ce serait une communication sans
transmission, bref une communication impossible (voir l'encadré 5).
Mais y a-t-il un lien, un «fil invisible» qui relie les deux boîtes
non pour communiquer, mais simplement pour permettre aux boîtes
de gagner au jeu de Bell ? Si un tel lien existait, on comprendrait le
«truc». Ce serait peut-être décevant: un simple truc de magicien. Mais,
pour le physicien, ce pourrait être le début d'une découverte impor-
tante : découvrir de quoi est fait ce lien, comment il fonctionne, à quelle
vitesse il transmet des influences cachées entre les boîtes, etc. Conten-
tons-nous pour l'instant d'observer (par la pensée) qu'aucun lien visible
n'est perceptible. Et rappelons-nous que nos deux boîtes sont tellement
éloignées l'une de l'autre qu'aucune influence se propageant à la vitesse
de la lumière ne parviendrait à destination à temps. De plus, Alice et
Bob n'ont pas besoin de savoir où se trouve leur partenaire. Ils peuvent
prendre leur boîte sous le bras et partir vers un lieu inconnu.
CORRÉLATIONS LOCALES ET NON LOCALES 47
Quand en 1964 John Bell a présenté son jeu, qu'il appelait the
inequality, ce n'était qu'une expérience de pensée, mais, depuis, ce
jeu a été concrétisé dans de nombreux laboratoires. Ouvrons donc
enfin ces boîtes d'apparence magique, puisqu'elles permettent de
gagner au jeu de Bell.
En les ouvrant, on découvre tout un appareillage de physique :
des lasers (des rouges, des verts et même certains produisant une
belle lumière jaune), un cryostat (une sorte de réfrigérateur qui per-
met de refroidir des objets jusqu'au voisinage du zéro absolu, à
environ - 270 degrés Celsius), des interféromètres en fibre optique
(sortes de circuits optiques pour photons), deux détecteurs de pho-
tons (des détecteurs de particules de lumière) et une horloge,
(figure 2). Tout cela ne nous aide guère.
Encadré 6
Un calcul non local...
L'idée d'un tout non local fait immédiatement penser à une com-
munication instantanée. Rappelez-vous la réaction de Newton à propos
de la non-localité de sa théorie de la gravitation universelle. En effet,
si les deux boîtes d'Alice et Bob gagnent au jeu de Bell, éest qu'elles
se coordonnent après que leurs manettes ont été poussées vers la
gauche ou vers la droite. Mais puisqu'elles sont séparées par une grande
distance, ces boîtes doivent être capables de se coordonner à distance.
C'est ce qu'Einstein a appelé une «action fantôme à distance», termi-
nologie qui souligne bien à quel point le grand savant n'y croyait pas.
Mais voilà, aujourd'hui, de nombreuses expériences ont contredit
l'intuition d'Einstein et confirmé la théorie quantique : la nature est
bel et bien capable de « coordonner deux boîtes à distance ».
Coordonner ne signifie pas communiquer. Mais comment
pourrait-on se coordonner sans communiquer? Nous, êtres
humains, en sommes incapables et avons donc la plus grande dif-
ficulté à imaginer comment cela pourrait se passer. Nous allons
voir que pour se coordonner sans communiquer il faut que les boîtes
produisent des résultats au hasard. Pour cela, nous commencerons
par supposer le contraire, à savoir que les boîtes produisent des
résultats prédéterminés ; nous verrons que cela permettrait à Alice
et Bob de communiquer sans transmission. Comme de telles com-
munications sans transmission sont impossibles (voir encadré 5,
p. 45), on en conclut que les boîtes qui permettent de gagner au
jeu de Bell ne peuvent pas produire des résultats prédéterminés.
Afin de mieux cerner la question, commençons par imaginer
le cas simple suivant : la boîte d'Alice produit toujours a = 0 et Bob
choisit y = 1. Si Bob obtient le résultat b = 0, il sait que a = b et
peut en déduire qu'Alice a probablement choisi x= O. Dans l'autre
cas, s'il obtient b = 1, il sait que a~ b et peut en déduire qu'Alice
a probablement choisit x = 1. En effet, ce n'est qu'ainsi qu'ils obtien-
nent un point au jeu de Bell. L'encadré 7 ci-dessous montre que
cette importante conclusion est vraie quelle que soit la relation qui
détermine le résultat d'Alice en fonction de son choix.
56 L'IMPENSABLE HASARD
Encadré 7
Le déterminisme impliquerait une communication
sans transmission
Un « vraz » hasard
Nous venons de voir qu'il n'y a qu'une possibilité pour éviter
que le gain au jeu de Bell ne conduise à la possibilité de commu-
nication à des vitesses arbitrairement grandes: la boîte d'Alice ne
produit pas les résultats en fonction de relations prédéterminées à
chaque minute, mais produit ses résultats au hasard, au «vrai»
hasard. Il n'y a que l'hypothèse d'un vrai hasard qui empêche Bob
de connaître la relation entre le choix d'Alice et son résultat. Si ce
n'était pas du vrai hasard, Bob - et les physiciens - finirait bien
par trouver cette relation.
Il nous faut donc définitivement renoncer à l'idée que la boîte
d'Alice produit localement un résultat. Ce sont les deux boîtes qui
produisent globalement une paire de résultats, même si du point
de vue de chacun des deux partenaires, son propre résultat est dû
au hasard.
60 L'IMPENSABLE HASARD
LE CLONAGE QUANTIQUE
EST IMPOSSIBLE
Encadré 8
Relations d'incertitude d'Heisenberg
Encadré 9
Le théorème de « non-clonage »
Cloner l'ADN ?
Mais alors, s'il est impossible de cloner des systèmes quan-
tiques, comment peut-il être possible de cloner des animaux?
L'ADN, macromolécule biologique, n'est-elle pas aussi un système
quantique? Excellente question! Il est d'ailleurs remarquable que
c'est en se posant cette question que le prix Nobel de physique,
Eugene Wigner, a le premier posé la question du clonage
quantique 3 • Il en a aussi conclu à l'impossibilité du clonage en bio-
logie, mais il a commis là une erreur. L'ADN est bien quantique
(enfin fort probablement, cela n'a pas encore été démontré expéri-
mentalement, mais aucun physicien n'en doute), mais l'information
génétique est codée dans l'ADN en n'utilisant qu'un tout petit peu
des possibilités qu'offre la physique quantique, de sorte que cette
petite quantité d'information peut être clonée 4• De manière générale,
on peut se demander quel rôle joue la physique quantique en bio-
logie, thème de recherche fort actuel.
L'INTRICATION QUANTIQUE
Holisme quantique
En gros, ce que dit cette drôle de physique quantique est qu'il
est possible et même fréquent que deux objets éloignés l'un de
l'autre ne forment, en réalité, qu'un seul objet! C'est cela, l'intrica-
tion. Ainsi, si l'on touche l'un des deux, tous deux tressaillent. Tout
d'abord, rappelons-nous que quand on« touche», c'est-à-dire quand
on fait une mesure sur un objet quantique, celui-ci produit une
réponse - une réaction - au hasard, un résultat parmi un certain
nombre possible, avec une probabilité bien définie que la théorie
quantique prédit très précisément. Le hasard implique qu'on ne peut
pas utiliser le fait que l'objet intriqué au premier réagisse également,
72 L'IMPENSABLE HASARD
Indéterminisme quantique
Intrication quantique
systèmes intriqués, les résultats sont régis par le hasard, mais par
le même hasard ! Le hasard quantique est non local.
L'intrication peut ainsi être définie comme la capacité de sys-
tèmes quantiques à produire le même résultat quand on mesure sur
chacun d'eux la même grandeur physique. Elle se décrit à l'aide du
principe de superposition appliqué simultanément à plusieurs sys-
tèmes. Par exemple, deux électrons peuvent être «l'un ici et l'autre
là» ou être «le premier un mètre à droite d'ici et l'autre un mètre
à droite de là». Selon le principe de superposition, ces deux électrons
peuvent également être dans l'état «ici et l'autre là» superposé à «le
premier un mètre à droite d'ici et l'autre un mètre à droite de là».
Cet état est un «état intriqué ». Mais l'intrication est bien davantage
que le principe de superposition; c'est elle qui introduit les corréla-
tions non locales en physique. Par exemple, dans l'état intriqué ci-
dessus, aucun électron n'a de position prédéterminée, mais si une
mesure de la position du premier électron produit le résultat «ici»,
la position de l'autre électron est immédiatement déterminée à« là»,
même sans mesure de la position de ce deuxième électron.
Comment l'intrication
permet de gagner au jeu de Bell
Le mot « quantique » qui qualifie la nouvelle physique des
années 1920 vient du fait que les énergies possibles d'un atome
sont quantifiées, c'est-à-dire que l'énergie ne peut pas prendre
n'importe quelle valeur - seulement un certain nombre de valeurs
possibles. En fait, il y a beaucoup de grandeurs physiques, en plus
de l'énergie, qui ne peuvent prendre qu'un nombre fini de valeurs,
et qui sont donc quantifiées. Un cas simple et fréquent est celui
où ce nombre de valeurs possibles n'est que de deux ; on parle alors
de bit quantique ou, comme disent les physiciens, de « qubit ».
L'INTRICATION QUANTIQUE 77
3a 3b x=l
y= O
Figure 3. Un bit quantique (un qubit) peut être mesuré selon différentes
«directions ». Si deux qubits sont intriqués et qu'on les mesure selon deux
directions proches rune de l'autre, les résultats sont souvent identiques,
donc fortement corrélés. Par exemple, sur la figure 3a, les choix de mesure
x = 1 et y = 1 donnent lieu à des résultats fortement corrélés, de même
pour x = 2 et y = 1, etc. Néanmoins, les choix x = 1 et y = n donnent lieu
à des résultats différents. Pour le jeu de Bell, les boîtes d'Alice et Bob
utilisent les directions de mesure indiquées sur la figure 3b.
78 L'IMPENSABLE HASARD
La non-localité quantique
rouge : cela ne vous dit pas de quelle couleur est cet objet, seulement
qu'il n'est pas rouge.
Un aspect très important du fait que « non local » est un qua-
lificatif négatif est qu'il ne signifie pas du tout qu'on peut utiliser
des corrélations non locales pour communiquer, ni instantanément,
ni à une vitesse plus grande, ni plus petite que la lumière : les cor-
rélations quantiques non locales ne permettent pas du tout de com-
muniquer. Rien de ce que nous pouvons contrôler dans les
expériences de corrélations non locales ne va plus vite que la
lumière ; il n'y a aucune transmission, donc aucune communication,
mais les résultats observés ne peuvent pas être expliqués par des
modèles locaux (ne peuvent pas être racontés par des histoires dans
l'espace et le temps).
L'absence de communication évite à la physique quantique
d'être en conflit direct avec la relativité. Certains parlent de coexis-
tence pacifique 8, une terminologie surprenante pour parler des
deux piliers de la physique d'aujourd'hui. Il n'en reste pas moins
que ces deux piliers reposent sur des fondements qui sont en totale
opposition. La physique quantique est intrinsèquement aléatoire,
la relativité profondément déterministe ; la physique quantique
prédit l'existence de corrélations impossibles à décrire à l'aide de
variables locales, alors que tout en relativité est fondamentalement
local.
Notre espace
Ombres ------. à trois dimensions
non locales
i Événement local
...... ............................ ~ dans 1' espace de
configuration à
six dimensions
Position 2c particule
EXPÉRIENCE
France
!
!J
s
Su isse
Produire de l'intrication
L'expérience Bernex-Bellevue
Nous avons réalisé cette expérience à Genève en 1997. C'était
la première fois qu'on jouait au jeu de Bell en dehors d'un labora-
toire de physique. Je connaissais bien les télécommunications clas-
siques, en particulier les fibres optiques, ayant contribué à leur
introduction en Suisse au début des années 1980. La difficulté tech-
nique majeure était de pouvoir détecter un par un des photons à
la longueur d'onde compatible avec les fibres optiques. À l'époque,
de tels détecteurs n'existaient pas. Lors de nos premiers essais nous
trempions des diodes dans l'azote liquide (pour les maintenir à
basse température) ... Une difficulté d'un autre genre consistait à
avoir accès au réseau de fibre optique de Swisscom, notre opérateur
national. Heureusement, grâce à mes travaux en télécommunica-
tion, j'avais d'excellents contacts.
Le cristal source d'intrication, avec tout l'équipement qui
l'accompagne, a pu être transporté et installé dans un centre de
télécom important proche de la gare de Cornavin. De là, une fibre
optique ininterrompue file jusqu'au village de Bellevue, au nord de
Genève, et une autre jusqu'à Bernex, un village au sud de Genève,
distant de plus de 10 kilomètres à vol d'oiseau de Bellevue. Dans
chacun de ces villages, nous avons pu installer nos interféromètres
et détecteurs de photons (avec azote liquide !) dans de petits cen-
traux télécom. L'accès à ces centraux nécessite évidemment une clé.
Puis, dans la minute qui suit l'ouverture de la porte, on doit contac-
ter une centrale d'alarme à l'aide d'un interphone dédié et donner
un mot de passe. Puis on descend au quatrième sous-sol, là où les
fibres optiques arrivent de toute la région. Comme il est impossible
d'y utiliser un téléphone mobile, je vous laisse imaginer les pro-
blèmes de logistique.
90 L'IMPENSABLE HASARD
APPLICATIONS
LA TÉLÉPORTATION QUANTIQUE
Substance et forme
Mesure jointe
deux photons, d'être décrits par un état intriqué. Mais, ici, Alice
est en possession de deux photons qui sont décrits par deux états :
le premier est dans un état de polarisation bien précis (mais qui
peut être inconnu d'Alice) et le second est dans un état intriqué.
Ce qu'Alice doit faire est d'intriquer ses deux photons. Pour cela,
elle ne doit pas mesurer l'un ou l'autre, mais les mesurer conjoin-
tement. C'est difficile à comprendre car, comme pour l'intrication,
c'est quelque chose d'impossible à réaliser dans le monde qui nous
est directement accessible.
Pour comprendre, imaginons qu'Alice pose à ses deux photons
la question suivante : « Êtes-vous semblables ? » Par là, Alice
demande aux photons : « Si je faisais la même mesure sur chacun
d'entre vous, produiriez-vous tous deux la même réponse?» Dans
le monde des objets usuels, la seule façon de répondre à cette drôle
de question est d'effectuer les deux mesures et de comparer les deux
résultats. Mais, en physique quantique, on peut faire mieux grâce
à l'intrication. On peut « poser » cette question aux deux photons
qui répondent en se mettant ensemble dans un état d'intrication et
cela sans devoir effectuer deux mesures sur chacun d'entre eux.
Nous savons déjà qu'un état d'intrication est tel que si on mesure
les deux photons de la même manière (dans la même direction
comme discuté au chapitre 5), alors ils produiront toujours le même
résultat, au hasard, le fameux vrai hasard non local. Et cela quelle
que soit la direction de mesure choisie !
Si les deux photons d'Alice produisent toujours la même
réponse pour la même question, et que le photon de Bob intriqué
avec celui d'Alice produit lui aussi le même résultat pour la même
question, alors le photon de Bob produit toujours la même réponse
qu'aurait produite le photon à téléporter. C'est - presque - aussi
simple que cela. Il faut donc utiliser l'intrication deux fois : une
fois comme canal de téléportation quantique non local (l'état intri-
qué des photons d'Alice et Bob) et une deuxième fois pour permettre
de poser à deux systèmes (les deux photons d'Alice) une question
concernant leur état relatif, sans obtenir aucune information sur
l'état de chacun d'eux (voir figure 8).
104 L'IMPENSABLE HASARD
Alice Bob
Mesure jointe
··················
........... ~·· ·····················...
Après
Mesure jointe
........···························· ·····...
······...
•::• . Intrication ,/ ·::• •:.• \. Intrication · : :•
\ ·~~.: •-------- - t- • ~, ,,: ~, ,,: •;--------- -~ ~ ...i .
~·· ... , , :' i'.•
····... ..........·········
·····························
cessus s'est bien passé et que Charles n'a rien appris en appliquant
le protocole de cryptographie quantique. En généralisant à tout un
réseau de téléportation quantique, Alice et Bob peuvent s'assurer
de la confidentialité de leur communication même si celle-ci utilise
des nœuds intermédiaires (des «répéteurs quantiques», comme
disent les physiciens).
Échappatoire de détection
Dans le jeu de Bell, chaque fois que la manette est poussée
vers la gauche ou vers la droite, les boîtes fournissent un résultat.
Mais dans les expériences réelles, il arrive que le photon soit perdu 1
ou non détecté et qu'en conséquence aucun résultat ne puisse être
enregistré. Les physiciens comprennent très bien pourquoi certains
photons se perdent et pourquoi les détecteurs de photons n'ont
qu'une efficacité limitée. Il n'en reste pas moins qu'il y a ici une
différence entre le jeu théorique et l'expérience réelle.
114 L'IMPENSABLE HASARD
Encadré 10
Échappatoire de détection
Échappatoire de localité
Une autre difficulté majeure de toute démonstration expéri-
mentale du jeu de Bell est la nécessité d'une stricte synchronisa-
tion. La boîte d'Alice doit produire le résultat a avant que le choix
de Bob n'ait pu lui être communiqué, de façon volontaire ou invo-
lontaire, de façon évidente ou cachée. La relativité impose une
vitesse maximale à toute communication, celle de la lumière.
Ainsi, à partir de l'instant où Bob fait son choix y, jusqu'à l'instant
où la boîte d'Alice produit le résultat a, il ne doit pas s'écouler
plus de temps que le temps mis par la lumière pour parcourir la
distance séparant Bob de la boîte d'Alice. Réciproquement, aucune
information concernant le choix d'Alice ne doit avoir le temps de
parvenir à la boîte de Bob avant que cette dernière ne produise
le résultat b. Sinon, on ouvre ce qu'on appelle l'échappatoire de
localité (Alice et Bob seraient « localement connectés », au sens
de la relativité) 3 •
Pour fermer l'échappatoire de localité, il faut donc jouer au
jeu de Bell (et le gagner plus souvent que 3 fois sur 4) tout en
garantissant qu'Alice et Bob sont suffisamment éloignés et bien syn-
chronisés. Les physiciens disent qu'ils doivent être séparés par une
distance «du genre espace». Notez que la séparation concerne tout
l'intervalle de temps chez Alice entre l'instant où le choix x est fait
jusqu'à l'instant où un résultat a est enregistré (x et a sont toutes
deux des variables classiques, donc non soumises à l'indétermina-
tion quantique); tout cet intervalle doit être séparé de l'intervalle
correspondant chez Bob.
Pour illustrer la difficulté technique, imaginons qu'Alice et
Bob soient distants d'une dizaine de mètres, comme dans la
célèbre expérience d'Aspect décrite ci-dessous. La lumière met
30 milliardièmes de seconde pour parcourir ces 10 mètres. On
comprend qu'il soit difficile de faire un choix, d'ajuster la mesure
à faire (l'équivalent de pousser la manette) et d'enregistrer le résul-
tat en un temps aussi infime. Il n'est évidemment plus question
de laisser une personne faire un libre choix, encore moins de pous-
LA NATURE EST-ELLE RÉELLEMENT NON LOCALE? 117
10 a
10 b
Figure 10. Les figures lOa et lOb illustrent rénorme progrès des technologies
quantiques_ La figure lOa est une photo du laboratoire d'Alain Aspect en
1982, quand il est devenu le premier homme à avoir gagné au jeu de Bell.
On y voit un grand laboratoire encombré. Tous ces appareils constituent la
source de photons intriqués utilisée pour cette expérience historique. La figure
lOb est une photo de la source que nous avons utilisée à Genève en 1997
lors de la première expérience d'intrication hors laboratoire, entre les villages
de Bernex et de Bellevue. Cette boîte à moitié vide, d'environ 30 centimètres
de côté, contient une source de photons intriqués encore plus efficace que
celle d'Aspect. Seulement quinze ans séparent ces deux expériences.
120 L'IMPENSABLE HASARD
Encadré 11
L'expérience Satigny-Jussy
Une telle expérience a été réalisée par mon groupe entre deux
villages proches de Genève, Satigny à l'ouest et Jussy à l'est, distants
d'environ 18 kilomètres. L'expérience a duré douze heures, le temps
pour la Terre d'effectuer un demi-tour, et elle a été répétée quatre
fois 10 • Une équipe italienne a réalisé une expérience similaire 11 •
L'interprétation des résultats est un peu compliquée car elle dépend
de la vitesse de la Terre par rapport à cet hypothétique référentiel
privilégié, vitesse qu'on ne connaît évidemment pas. Si l'on suppose
que cette vitesse est inférieure à celle de la Terre par rapport au
centre de masse de l'univers, alors l'expérience permet d'exclure
toute influence jusqu'à une vitesse de cinquante mille fois la vitesse
124 L'IMPENSABLE HASARD
lui aussi son choix et collecte son résultat avant Alice. Les physiciens
parlent d'une expérience « before-before » ou «avant-avant»,
puisque chacun des deux partenaires, Alice et Bob, agit avant
l'autre ! La magie de la relativité permet de tester la magie quan-
tique.
La difficulté principale d'une expérience « before-before » est
qu'il faut mettre en mouvement les boîtes d'Alice et de Bob de façon
que leurs vitesses soient suffisantes pour que l'ordre chronologique
soit opposé dans les deux référentiels. C'est difficile, mais pas
impossible ... avec un peu d'imagination. Mettre tout le laboratoire
d'Alice dans une fusée n'est pas très réaliste. Toutefois, ne suffit-il
pas de mettre en mouvement le composant clé, celui dans lequel
le vrai hasard se produit? Dans une première expérience à Genève 16 ,
nous avons mis une sorte de détecteur sur un disque tournant à
10 000 tours/minute, ce qui correspond à une vitesse tangentielle
(au bord du disque) de 380 kmlh (environ 100 m/s) 17 • Cette vitesse
peut sembler très loin d'une vitesse relativiste, la vitesse de la
lumière étant d'environ 300 000 km/s. Toutefois, si Alice et Bob sont
distants de plus de 10 kilomètres, une bonne synchronisation per-
met déjà d'obtenir l'effet relativiste de « before-before ».L'expérience
a permis de réfuter l'hypothèse de Suarez et Scarani (avec un petit
bémol : le disque ne portait pas un vrai détecteur, mais seulement
un absorbeur. L'information «photon absorbé/pas absorbé», l'équi-
valent du résultat d'Alice, a été lue sur un autre détecteur placé à
l'autre sortie de l'interféromètre).
Antoine Suarez, qui suivait cette expérience de très près, a
immédiatement réagi en disant que ce n'est pas le détecteur qui
doit être mis en mouvement, mais le dernier miroir semi-transparent
de l'interféromètre. Pour lui, c'est ce miroir qui est le choice deviee,
le composant où le choix du résultat se fait (au vrai hasard, vous
l'avez compris). Comment mettre un tel miroir semi-réfléchissant
en mouvement rapide ? Il n'a pas fallu longtemps à mon collabo-
rateur Hugo Zbinden pour trouver la réponse : « Utilisons une onde
acoustique se propageant dans un cristal», proposa-t-il. Comme
cette onde se propage à environ 2,5 km/s, l'expérience peut être réa-
lisée en laboratoire. Et, une fois de plus, la théorie quantique en
LA NATURE EST-ELLE RÉELLEMENT NON LOCALE? 127
Réalisme
Multivers
Une dernière échappatoire à la mode chez certains physiciens
quantiques consiste à supposer qu'il n'y a jamais de résultats de
mesures. Selon cette hypothèse, chaque fois que nous avons l'illu-
sion d'effectuer une mesure ayant N résultats possibles, l'univers
se divise en N branches, toutes aussi réelles les unes que les autres,
avec dans chaque branche un résultat. L'expérimentateur aussi se
divise en N copies, chacune «voyant» l'un des N résultats possibles.
C'est l'interprétation des mondes multiples, ou multivers par oppo-
sition à notre univers. Les adeptes de cette interprétation affirment
que leur « solution » est la plus simple car elle évite le vrai hasard
132 L'IMPENSABLE HASARD
RECHERCHES ACTUELLES
SUR LA NON-LOCALITÉ
~rincipe de continu~
PRÉFACE
1. Pour une description un peu plus détaillée, voir par exemple E. Brézin
et al., «Une nouvelle révolution quantique», Demain la physique, chapitre 5,
Odile Jacob, 2005.
2. << [... ] it is fair to state that we are not experimenting with single par-
ticles, any more tlzan we can raise Ichthyosauria in the zoo», in E. Schrodinger,
<<Are there quantum jumps » (Les sauts quantiques existent-ils?), The British
Journal for the Philosophy of Sciences, vol. III, p. 240.
3. Oublions la solution désespérée consistant à rejeter le libre arbitre,
qui ferait des êtres humains des marionnettes dirigées par on ne sait quel
déterminisme laplacien.
4. Nicolas Gisin a été le premier lauréat, en 2009, du prestigieux prix
John Stewart Bell, attribué à des recherches sur des problèmes fondamentaux
en mécanique quantique et à leurs applications.
INTRODUCTION
1. Quand Alain Aspect, jeune chercheur débutant, est allé voir John Bell
pour lui proposer de réaliser son expérience, Bell lui a répondu: <<Avez-vous un
poste permanent ? » L'expérimenté John Bell savait bien qu'il était dangereux pour
un jeune de travailler sur ce sujet méprisé par l'establishment scientifique.
Chapitre 1
APÉRITIFS
1. Cohen B. et Schofield R. E. (dir.), Isaac Newton Papers & Letters on
Natural Philosophy and Related Documents, Harvard University Press, 1958.
Traduction de François Lurçat dans De la science à l'ignorance, Éditions du
Rocher, 2003, p. 46.
152 L'IMPENSABLE HASARD
Chapitre 2
CORRÉLATIONS LOCALES ET NON LOCALES
Chapitre 3
NON-LOCALITÉ ET VRAI HASARD
Chapitre 4
LE CLONAGE QUANTIQUE EST IMPOSSIBLE
1. Pour des raisons historiques, les physiciens parlent souvent d'<< incer-
titude quantique ». Mais comme << (in)certitude » se réfère plutôt à un obser-
vateur et non au système physique, on préfère aujourd'hui <<indéterminisme
quantique » (voir encadré 8, p. 64.).
2. On peut démontrer que Bob devine juste le choix d'Alice plus souvent
qu'une fois sur deux très précisément si Alice et Bob gagnent au jeu de Bell
plus souvent que 3 fois sur 4.
3. Wigner E. P., <<The probability of the existence of a selfreproducing
unit», in The Logic ofPersonal Knowledge: Essays Presented to Michael Polanyi
on his Seventieth Birthday, Routledge & Kegan Paul, 1961. Repris dans Wigner
E. P., Symmetries and Reflections, Indiana University Press, 1967, et dans
The Collected Works of Eugene Paul Wigner, Springer-Verlag, 1997, part. A,
vol. III.
4. C'est comme si on codait une information dans la position d'un élec-
tron, sans se préoccuper de sa vitesse; dans ce cas, la position peut être copiée,
cela perturbe la vitesse de l'électron, mais peu importe si la vitesse ne porte
aucune information.
S. Gisin N., <<Quantum cloning without signalling », Plzysics Letters A,
1998, 242, p. 1-3.
6. Simon C., Weihs G. et Zeilinger A.,<< Quantum cloning and signaling »,
Acta Phys. Slov., 1999, 49, p. 7SS-760.
7. Terhal B. M., Doherty A. C. et Schwab D., <<Local hidden variable
theories for quantum states», Plzys. Rev. Lett., 2003, 90, p. 1S7903.
NOTES 155
Chapitre 5
L'INTRICATION QUANTIQUE
Chapitre 6
EXPÉRIENCE
1. Pour créer un photon vert, il faut que, par chance, deux photons infra-
rouges soient simultanément présents au même endroit dans le cristal. La
probabilité de cet événement varie avec le carré de l'intensité de la lumière
infrarouge.
2. Selon le cristal non linéaire utilisé, ces deux photons n'ont pas néces-
sairement exactement la même couleur moyenne. Par exemple, l'un peut être
infrarouge clair, donc contenir un peu de rouge, et l'autre infrarouge foncé,
donc être totalement invisible à nos yeux. Cette différence de couleur et donc
d'énergie peut être assez grande, en particulier plus grande que l'indétermi-
nation en énergie de chacun de ces photons que nous continuerons néanmoins
d'appeler infrarouges. Grâce à cette différence, on peut séparer les deux pho-
tons et envoyer, par exemple, le photon infrarouge clair à Alice et le photon
infrarouge foncé à Bob. Pour ce faire, on injecte ces photons dans des fibres
optiques, les mêmes fibres que celles que vous utilisez quotidiennement lorsque
156 L'IMPENSABLE HASARD
S. Tittel W., Brendel J., Zbinden H. et Gisin N., « Violation of Bell ine-
qualities by photons more than 10 km apart », Plzys. Rev. Lett., 1998, 81,
p. 3S63.
Chapitre 7
APPLICATIONS
1. www.idquantique.com.
2. Pironio S. et al., « Random numbers certified by Bell's theorem »,
Nature, 2010, 464, p. 1021-1024.
3. Intuitivement cela fonctionne ainsi. Imaginons 2 bits bl et b2 et un
adversaire qui a une probabilité de 3,4 de deviner correctement chacun de ces
bits. Remplaçons ces 2 bits par leur somme (modulo 2, afin que le résultat
soit toujours un bit) : b = bl + b2. L'adversaire devine correctement b seule-
ment s'il devine correctement les 2 bits ou s'il se trompe les deux fois ; donc
il devine correctement b avec la probabilité (314? + (1/4)2 = S/8 qui est inférieur
à %. Ainsi, Alice et Bob ont augmenté la confidentialité de leur clé au prix
d'en avoir perdu la moitié. Des algorithmes plus sophistiqués permettent de
faire mieux en perdant nettement moins de la clé originale.
4. Il faut que l'insécurité initiale ne soit pas trop grande, c'est pourquoi
les impulsions qu'Alice envoie à Bob doivent être assez faibles pour limiter
la fréquence des impulsions multiphoton.
S. Pour plus de détails voir N. Gisin, G. Ribordy, W. Tittel etH. Zbinden,
«Quantum cryptography », Rev. Modern Phys., 2002, 74, p. 14S-19S;
V. Scarani, H. Bechmann-Pasquinucci, N. Cerf, M. Dusek, N. Lutkenhaus,
M. Peev, «The security of practical quantum key distribution», Rev. Mad.
Phys., 2009, 81, p. 1301.
Chapitre 8
LA TÉLÉPORTATION QUANTIQUE
professeurs qui répétaient inlassablement que Bohr avait tout résolu ? Com-
bien de jeunes talents ont quitté la physique ? Et combien de grands profes-
seurs répètent encore aujourd'hui que Bohr a tout résolu ?
2. Bennett C. H., Brassard G., Crepeau C., Jozsa R. et Peres A., «Tele-
porting an unknown quantum state via dual classical and Einstein-Podolsky-
Rosen channels », Physical Review Letters, 1993, 70, p. 1895-1899.
3. C'est ainsi que commence la soumission de notre publication sur
la première expérience de téléportation longue distance. Mais les éditeurs
de la célèbre revue Nature ont refusé une citation aussi ancienne
qu'Aristote ! J'ai bien proposé à mes étudiants de renoncer à publier dans
Nature, mais la pression est trop forte et nous nous sommes soumis aux
diktats des éditeurs. 1. Marcikic, H. de Riedmatten, W. Tittel, H. Zbinden
et N. Gisin, <<Long-distance teleportation of qubits at telecommunication
wavelengths, 1 »,Nature, 2003, 421, p. 509-513 (soumission: arXiv:quant-
ph/0301178).
4. Pour un photon avec une polarisation précise il existe un polariseur
au travers duquel le photon est certain de passer. Par contre, un photon
totalement dépolarisé a toujours une chance sur deux de passer à travers
un polariseur, quelle que soit l'orientation de ce polariseur. Dans le premier
cas, le photon porte une structure qu'un polariseur peut confirmer, mais
dans le deuxième cas la réponse << passe ou ne passe pas » à travers
n'importe quel polariseur est toujours de S0-50, donc le photon ne porte
aucune structure.
S. Comme nous l'avons vu au chapitre 6, l'énergie d'un photon peut être
indéterminée. En fait, il en va de même pour la masse, par exemple d'un
condensat de Bose-Einstein. L'important est que la substance, masse ou éner-
gie, soit déjà présente au moins potentiellement chez le destinataire.
6. Une précision pour les physiciens: cela est vrai si l'on téléporte toutes
les caractéristiques d'un photon. Si l'on ne téléporte que sa polarisation, alors
les photons ne sont indistinguables que si leurs autres caractéristiques, telles
que leurs spectres, sont déjà initialement indistinguables.
7. Ici je dois avouer au lecteur qu'il existe beaucoup d'états d'intri-
cation. Jusqu'ici, pour simplifier j'ai toujours parlé de l'intrication qui pro-
duit le même résultat pour les mêmes mesures. Mais il existe d'autres
états d'intrication. Par exemple, il en existe qui sont tels qu'ils produisent
toujours des résultats différents pour les mêmes mesures. Et en fait il en
existe encore bien d'autres, mais nous n'en aurons pas besoin. Pour les
physiciens : il existe quatre états orthogonaux d'intrication maximale de
la polarisation de deux photons; pour chacun d'eux Bob peut appliquer
une rotation (une transformation unitaire) sur la polarisation de son pho-
ton telle qu'il retrouve précisément l'état initial du photon d'Alice (toujours
sans connaître cet état).
NOTES 159
Chapitre 9
LA NATURE EST-ELLE RÉELLEMENT NON LOCALE?
1. Qu'un photon soit perdu n'est en principe pas grave, pour autant qu'on
le sache avant de lui poser une question (avant de pousser la manette à gauche
ou à droite). Sinon, le photon pourrait décider de se «perdre» si la question
ne lui convient pas.
2. Rowe M. A. et al., «Experimental violation of Bell's inequalities with
efficient detection», Nature, 2001, 149, p. 791-794. Matsukevich D. N. et al.,
«Bell inequality violation with two remote atomic qubits », Physical Review
Letters, 2008, 100, p. 150404.
3. Une petite précision s'impose pour tous ceux qui s'inquiètent de la
relativité: si la lumière n'arrive pas à joindre deux événements dans un réfé-
rentiel, alors il en est de même pour tous les autres référentiels possibles.
4. Aspect A., Dalibard J. et Roger G., «Experimental test of Bell's ine-
qualities using time-varying analyzers », Phys. Rev. Lett., 1982, 49, p. 91-94.
S. Weihs G., Jenneswein T., Simon C., Weinfurter H. et Zeilinger A.,
«Violation of Bell's inequality under strict Einstein locality conditions »,
Physical Review Letters, 1998, 81, p. 5039.
6. Tittel W., Brendel J., Zbinden H. et Gisin N., « Violation of Bell ine-
qualities by photons more than 10 km apart », art. cit. Tittel W., Brendel J.,
Gisin N. et Zbinden H., « Long-distance Bell-type tests using energy-time
entangled photons», Physical Review A, 1999, 59, p. 4150.
7. Gisin N. et Zbinden H., «Bell inequality and the locality loophole:
Active versus passive switches », Physics Letters A, 1999, 264, p. 103-107.
8. « It is as if there is sorne kind of conspiracy, tlzat sometlzing is going
on behind the scenes whiclz is not allowed to appear on the scenes. » P. C. W.
Davies et J. R. Brown (dir.), The Glzost in the Atom, Cambridge University
Press, 1986, p. 48-50.
9. Lineweaver C. et al., «The dipole observed in the COBE DMR 4 year
data », Astrophys. J., 1996, 38, p. 470. http://pdg.lbl.gov.
10. Salart Subils D., Baas A., Branciard C., Gisin N. et Zbinden H., «Tes-
ting the speed of "spooky action at a distance», Nature, 2008, 454, p. 861-864.
11. Cocciaro B., Faetti S. et Fronzoni L., <<A lower bound for the velocity
of quantum communications in the preferred frame», Phys. Lett. A, 2011, 375,
p. 379-384.
12. Bohm D., <<A suggested interpretation of the quantum theory in
terms of "hidden" variable», Physical Review, 1952, 85, p. 2.
160 L'IMPENSABLE HASARD
25. Salart D., Baas A., Van Houwelingen J. A. W., Gisin N. et Zbinden
H., << Spacelike separation in a Bell test assuming gravitationally induced col-
lapses », Plzysical Review Letters, 2008, 100, p. 220404.
26. Les adeptes du multivers affirment que leur théorie est locale, mais
le sens dans lequel elle serait locale n'est pas clair. Quand Alice pousse sa
manette, elle, sa boîte et tout son environnement se divisent en deux branches
en superposition, l'une tout aussi réelle que l'autre. De même pour Bob. Quand
les environnements d'Alice et de Bob se rencontrent, ils s'imbriquent judicieu-
sement de telle sorte qu'ils favorisent dans chaque branche les règles du jeu
de Bell. Cette histoire raconte l'équation de Schrodinger, mais fait-elle vrai-
ment davantage que de mettre des mots peu clairs sur une belle équation ?
Est-ce une explication ? Et surtout, est-ce une explication locale ?
27. Pour une théorie incluant des variables quantiques et classiques (par
exemple des résultats de mesures), cela peut se formaliser en exigeant que
l'évolution des variables quantiques doive pouvoir être conditionnée par les
variables classiques (l'expérimentateur doit pouvoir activer ou non un potentiel
en fonction de résultats de mesures antérieures). L. Di6si, Classical-Quantum
Coexistence: A «Pree Will» test, arXiv:1202.2472.
28. Gisin N., <<L'épidémie du multivers », in Dars J.-F. et Papillaut A.
(dir.), Le Plus Grand des hasards. Surprises quantiques, Belin, 2010.
Chapitre 10
RECHERCHES ACTUELLES SUR LA NON-LOCALITÉ
CONCLUSION
1. Les choses ont bien changé ces vingt dernières années. L'émergence
de l'information quantique et la conversion de l'énorme communauté de la
physique du solide ont fait exploser l'usage de mots encore pratiquement inter-
dits il y a deux décennies, tels que <<non-localité », << corrélations non locales »,
<<vrai hasard», <<inégalité de Bell». Mais il reste une grande communauté
encore et toujours réfractaire : celle de la physique des hautes énergies. Il
semble que ces physiciens considèrent jalousement que seule leur physique
aborde des questions fondamentales, que le reste de la physique n'est qu'ingé-
nierie élaborée. Le xx• siècle a vu le nombre de physiciens professionnels aug-
menter drastiquement, et la sociologie de cette communauté reste à écrire.
2. Needham J., La Tradition scientifique chinoise, Hermann, 1974.
REMERCIEMENTS
!.NEWTON....................................................................................................... 20
2. AU HASARD .................................................................................................. 36
3. INÉGALITÉ DE BELL .................................................................................. 40
4. JOHN BELL................................................................................................... 44
S. UNE COMMUNICATION SANS TRANSMISSION
EST IMPOSSIBLE ........................................................................................ 45
6. UN CALCUL NON LOCAL............................................................................ 53
7. LE DÉTERMINISME IMPLIQUERAIT
UNE COMMUNICATION SANS TRANSMISSION..................................... 56
8. RELATIONS D'INCERTITUDE D'HEISENBERG ...................................... 64
9. LE THÉORÈME DE« NON-CLONAGE» ................................................... 66
10. ÉCHAPPATOIRE DE DÉTECTION........................................................... 115
11. L'EXPÉRIENCE SATIGNY-JUSSY:
50 000 FOIS LA VITESSE DE LA LUMIÈRE ........................................... 123
TABLE DES FIGURES
1. LE JEU DE BELL.......................................................................................... 31
2. L'INTÉRIEUR DES BOÎTES......................................................................... 47
3. DIRECTIONS DE MESURE DE BIT QUANTIQUE.................................... 77
4. OMBRES DE L'ESPACE DE CONFIGURATION........................................ 81
S. EXPÉRIENCE DE BELL HORS LABORATOIRE....................................... 83
6. BIT QUANTIQUE CODÉ EN TEMPS (TIME-BIN) ..................................... 88
7. GÉNÉRATEUR DE NOMBRES ALÉATOIRES QUANTIQUES................. 93
8. LA TÉLÉPORTATION QUANTIQUE........................................................... 104
9. LA TÉLÉPORTATION D'INTRICATION...................................................... 107
10. LABORATOIRE D'ALAIN ASPECT EN 1982
ET NOTRE SOURCE DE 1997 .................................................................... 119
11. DU PRINCIPE DE CONTINUITÉ À LA NON-LOCALITÉ ....................... 143
TABLE
PRÉFACE.......................................................................................................... 7
AVANT-PROPOS............................................................................................... 13
INTRODUCTION .............................................................................................. 15
A quoi ça sert? (17)
NICOLAS GISIN
Physicien théoricien, directeur du département de physique appliquée
de l'Université de Genève, Nicolas Gisin est un pionnier de la télépor-
tation et de l'informatique quantiques. Il est cofondateur de la société
ID Quantique, leader mondial en cryptographie quantique. Il a reçu en
2009 le premier prix John Stewart Bell.
préface de
Alain Aspect