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Arrêtons de Manger de La Merde
Arrêtons de Manger de La Merde
Arrêtons de Manger de La Merde
MÊME AUTEUR
Aux éditions Flammarion
Toutes les recettes de Vivement Dimanche Prochain, 2013
Aux éditions Le Livre Qui Parle
Descente aux plaisirs, souvenirs d’une bouteille, 2012
Aux éditions Plon
Ces messieurs-dames de la famille, 2011
Recevoir vos amis à petit prix, 2010
Le Plaisir à petit prix, 2009 (J’ai Lu, 2010)
Mes confitures, 2008 (Le Livre de Poche, 2010)
Les Arbres et arbustes que j’aime, 2007
La Véritable Histoire des Jardins de Versailles, 2007
Les Recettes de cuisine de Vivement Dimanche Prochain, 2006
(Le Livre de Poche, 2008)
Mes vins plaisirs à moins de 10 €, 2005
CONSommateurs révoltons-nous ! 2004 (Pocket, 2005)
JEAN-PIERRE
C O F F E
ARRÊTONS
DE MANGER
DE LA MERDE !
Flammarion
© Flammarion, Paris, 2013
Tous droits réservés
ISBN : 978-2-0813-1012-4
editions.flammarion.com
Préface
« On bouffe de la merde, tout est dégueulasse ! » Voilà ce qu’on
peut entendre. La même rengaine dans toutes les couches de la société.
Qui sont les responsables de ce leitmotiv ? En France, il faut toujours
trouver des responsables. Les boucs émissaires sont rapidement
identifiés : l’industrie agroalimentaire et la grande distribution.
Toujours la même chose, on ne cherche plus, on a trouvé. Alors, tapons
dessus !
J’ai essayé d’analyser, avec responsabilité, les griefs des uns et des
autres, et je n’ignore pas que cela peut paraître paradoxal, dans la
mesure où je collabore avec Leader Price. Quels sont mes arguments
pour m’engager dans une telle démarche ? Depuis quatre ans, j’ai visité
plusieurs dizaines d’usines, d’ateliers d’artisans, d’élevages et
d’abattoirs. Ils travaillent pour toutes les grandes enseignes sans
exclusivité. J’ai créé et permis d’améliorer bientôt 2 000 produits pour
cette enseigne, en éliminant l’huile de palme et les produits chimiques.
Je prétends connaître les méthodes des uns et des autres. Je reconnais
volontiers que, dans tous ces contacts, je n’ai pas vu que des modèles,
des exemples, mais ils ne sont pas tous aussi démoniaques et pervers
que la vox populi et les médias veulent bien le laisser croire. J’affirme
ne pas avoir vendu mon âme au diable, comme d’aucuns le prétendent.
J’ai simplement décidé, quand l’occasion m’a été offerte, d’élargir mon
champ d’action. Personne ne peut nier que, depuis trente ans, je me
bats pour défendre la qualité de l’alimentation de mes contemporains.
Mon spectre d’investigation et d’enquête s’étant ouvert, j’ai accepté les
propositions qui m’étaient faites : permettre aux plus démunis de
manger convenablement, à un prix juste, des produits respectueux de
leur santé. Pourquoi voulez-vous qu’il y ait, pour ceux-là, une fatalité à
bouffer de la merde ?
Avant toute condamnation, il est bon que les nouvelles générations
le sachent : après la dernière guerre mondiale, le pays était exsangue et
nos campagnes dévastées, nos adversaires s’étaient emparés du
meilleur de notre cheptel. Notre industrie était détruite, les bras
manquaient pour faire redémarrer les activités agricoles et
industrielles. Nos alliés américains, prospères, se sont proposés pour
nous aider. Trop heureux, nos politiques ont accepté, essentiellement
par nécessité, mais sans se douter qu’ils allaient imposer un
bouleversement complet de nos modèles et de nos spécificités. Avec
eux, nous sommes entrés dans une ère agricole et industrielle,
robotisée, marketée, calibrée, dont nous subissons toujours les
conséquences.
Ces évolutions furent rapides et brutales. L’agriculture a découvert
la stabulation – autrement dit l’abandon de l’herbe –, la Holstein
pisseuse de lait et la mécanisation. Le monde agricole s’est jeté avec
délectation dans le productivisme. Tout comme le monde industriel,
qui rebâtissait les usines, s’équipait de matériels techniques
performants et découvrait la rationalisation. Nos concitoyens étaient
heureux, après une période de rationnement, ils mangeaient à leur
faim et trouvaient du travail confortablement rémunéré.
Reconnaissons que tout le monde a cru à ce nouvel eldorado, inconnu
jusqu’alors.
Les commerçants de bouche avaient à nouveau le sourire : le
crémier vendait du lait à la louche et pouvait fabriquer des œufs au lait
dans sa cuisine sans se douter que la sécurité alimentaire l’en
empêcherait ; le boucher faisait tuer dans un abattoir de proximité des
bêtes qu’il avait choisies au pré, et il n’imaginait pas qu’un jour il serait
obligé d’abandonner son couteau pour une machine à hacher ; les
marchands de fruits et légumes ignoraient tout de la
désaisonnalisation, ils vendaient des fruits cueillis à maturité par des
producteurs respectueux. Tout le monde était heureux, les bas de laine
se remplissaient à nouveau, l’hygiénisme et la normalisation ne
s’étaient pas encore abattus sur leurs petits commerces.
Carrefour, la première enseigne de ce qu’on allait appeler « la
grande distribution », fut créé à l’initiative de deux épiciers qui avaient
découvert aux États-Unis les nouvelles méthodes de vente. Au début,
seuls les produits alimentaires étaient disponibles, mais très vite,
répondant à la demande des consommateurs, le premier Carrefour
s’est agrandi et a proposé de l’électroménager, de l’habillement, de
l’outillage et de la vaisselle, etc. Les périphéries des villes se sont
construites, les enseignes de la grande distribution se sont multipliées :
il fallait bien approvisionner tous ces nouveaux habitants. La
déstabilisation des commerces urbains et ruraux pouvait commencer.
Se pose-t-on la question de savoir qui a toléré le développement
anarchique de la grande distribution ? Qui a accordé les permis de
construire ? Le pouvoir politique, les maires, les conseillers généraux.
Tout le monde voulait son enseigne, si possible dans la périphérie, sans
imaginer qu’elle détruisait le commerce local, la convivialité, les
relations de voisinage.
Nous vivions des années « glorieuses », la course au profit était
dans les starting-blocks, plus on vendait, plus on voulait gagner. Les
centrales d’achat et les coopératives firent leur apparition, inquiètes de
voir les profits du commerce, elles voulaient aussi en profiter. Les
industriels se sont équipés, agrandis, largement robotisés, pour
répondre à la demande du nouveau commerce, qui exigeait des
volumes de plus en plus importants en échange de prix de plus en plus
bas. Le gâteau des profits grossissait, chacun en voulait un morceau, si
possible une part plus grosse que celle de son voisin.
Aucun des protagonistes ne voulait céder ne serait-ce qu’un petit
bout de ses profits, et personne n’avait appréhendé les crises qui
allaient s’ensuivre. Chacun de son côté a cherché des solutions, les
coopératives agricoles se sont délocalisées, les industriels aussi, sans se
rendre compte que, en profitant de la main-d’œuvre étrangère, ils
ouvraient la porte au chômage, qui toucherait toutes les couches du
monde agroalimentaire et industriel.
Les producteurs de tomates, de melons, de fruits et de légumes ont
accepté que leurs propres coopératives aillent produire des fruits et des
légumes concurrents dans l’autre hémisphère, engendrant la
désaisonnalisation. Les industries ont cessé d’investir dans leurs
usines, puisque les pays émergents s’en chargeaient en échange de leur
technologie. La grande distribution exigeait des prix de plus en plus
bas. La dégradation de la qualité des produits s’est développée à
grande vitesse. Les agents de synthèse chimiques ont remplacé les
intrants naturels, et, très rapidement, la moindre tentative de vertu
dans l’alimentation fut anéantie. L’emploi des engrais, des pesticides,
des insecticides, des améliorants et des colorants a gagné la partie ;
adieu le respect de la santé, le goût, et le plaisir. Les pouvoirs publics
n’ont rien fait pour arrêter la débâcle, ils se sont engagés dans la
course, encourageant la nourriture industrielle dans les écoles, les
collèges, les universités, les hôpitaux, les maisons de retraite, les
prisons. L’Europe n’a pas empêché non plus la sinistre spirale.
Nous en sommes là. Qu’ont fait les consommateurs ? Se sont-ils
révoltés ? Quand ont-ils défilé ? Ont-ils réfléchi avant de mettre leur
bulletin de vote dans l’urne ? Si peu. Ils se sont réfugiés dans la
nouvelle niche – le bio –, sans réfléchir à ce que c’était effectivement.
Est-ce vraiment un progrès ? Une perspective réaliste d’un monde
meilleur ? Sans doute. Est-ce que l’ensemble des partenaires est prêt à
jouer le jeu ? À éviter les magouilles, la triche ? Rien n’est encore
prouvé.
Arrêtons de subir ! Les géants de l’agroalimentaire exploitent
toutes les cachettes possibles de la rentabilité ; les magnats de la
grande distribution jouent les diktats des prix ; les lobbies prennent
tout le monde en tenaille. Pendant ce temps, les petits agriculteurs et
producteurs pleurent la misère. La recherche du prix, par tous les
moyens, a un corollaire : la destruction de la qualité, et celle de
l’entreprise. Y a-t-il une solution ? Oui. Est-elle utopique ? Il faut
essayer.
Si les pouvoirs publics avaient le courage de réunir producteurs,
transformateurs et distributeurs autour d’une table et que chacun
jouait le jeu de la transparence, étalait ses prix de revient et ses
marges, et qu’ils se mettaient d’accord pour acter pour une rentabilité
digne. Est-ce utopique ? Si tous prenaient la responsabilité de
neutraliser le coût de l’énergie et de supprimer les intrants, ne serait-ce
pas une occasion pour assainir le marché ? Tous autour d’une table,
sachant que les discussions sectorielles n’aboutissent à rien, sinon à
déglinguer le système. Est-ce utopique de vouloir réinventer un
modèle ? C’est seulement difficile, et particulièrement en France : les
mentalités sont dures à faire évoluer et les habitudes difficiles à
changer. Cela est d’autant plus difficile que le président de la FNSEA
(Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) est
également un industriel de l’agroalimentaire. Pourtant, nous disposons
dans ce pays de tous les éléments pour réussir. Certains jouent le jeu,
de plus en plus nombreux. Nous avons le savoir-faire, que tout le
monde l’utilise !
Le combat pour une bonne alimentation est exaltant, ne pas y
participer est suicidaire pour nos enfants. Si nous laissons faire, la
France va devenir un immense grenier à blé et à céréales, on importera
la viande, le lait, les fruits, et toute la richesse de la filière agricole aura
disparu. Réfléchissons à l’incohérence du système : il encourage, entre
autres, à utiliser des biocarburants, d’un côté, et conforte les lobbies
céréaliers à gaver les bêtes d’ensilages de maïs en même temps. Ce
n’est qu’un exemple.
Je suis convaincu qu’il est encore possible d’inverser la tendance,
de préserver la diversité. Courage ! Nous étions le pays du bon sens,
restons-le.
Chapitre premier
Code 3 2 1 1 0
LE POISSON
Les Français sont inattendus ! Lisez plutôt : 89 % d’entre eux
apprécient les pêcheurs, et 72 % la pêche. Ces chiffres sont le résultat
d’un sondage effectué par Ipsos, en 2011, pour le CNPMEM (Comité
national des Pêches Maritimes et des Élevages Marins). Plus de huit
Français sur dix considèrent que le secteur fournit des services et des
produits de qualité, selon FranceAgriMer (Établissement national des
produits de l’agriculture et de la mer). Il y a de quoi se réjouir, la
consommation des produits de la mer est en hausse constante : 31 kg
par habitant, en 2000, 36,8 kg par habitant, en 2011. Il n’y a
apparemment aucune raison de se priver de poisson, d’autant que les
publicitaires nous rappellent régulièrement qu’il est diététiquement
correct, recommandé pour tous, et surtout, qu’il est naturel. Essayons
de regarder ce qui se cache derrière ce tableau idyllique : une triste et
sombre réalité. Vous êtes naïf, alors ? Vous croyez vraiment que votre
saumon a remonté le courant des rivières, que votre sushi au thon
rouge est vraiment fabriqué avec du thon rouge ? Que le bar ou la
dorade royale que vous vous apprêtez à déguster dans un restaurant
« chic » se baladait en pleine mer avec d’autres espèces, que vos
crevettes ont été pêchées en pleine mer ? Éclairons votre lanterne. Le
monde de la mer est devenu un miroir aux alouettes, entre illusions et
fumisteries. Ne vous étonnez pas qu’un jour vos enfants vous affirment
que les poissons carrés nagent ou naissent dans un congélateur.
Rendons-nous sur le port de Boulogne-sur-Mer, au petit matin,
quand le soleil se lève timidement. Les poissons ont été débarqués un
peu plus tôt dans la nuit, la criée va bientôt commencer. Il n’y a pas
foule dans cette salle ultramoderne aux allures d’amphithéâtre
universitaire, peu de pêcheurs sont rentrés au port. Il est 6 heures, les
acheteurs se tiennent prêts derrière leur pupitre, l’œil braqué sur trois
ou quatre cadrans sur lesquels sont indiqués le nom et les origines des
espèces, les quantités disponibles et les prix. Vingt minutes plus tard,
la vente est expédiée dans un silence de morgue. Les offres ont été
faites d’une simple pression du doigt sur des boutons. La criée telle
qu’on se l’imaginait n’existe plus, criée ne veut plus dire crier. Depuis
quelque temps les acheteurs effectuent leurs achats à distance, reliés
aux bateaux par ordinateur. Ils se renseignent sur la provenance, la
quantité, proposent un prix, topons-là, la vente est faite, inutile d’aller
vérifier la qualité de la marchandise.
Ce matin-là, à l’exception de deux bars majestueux, peau brillante,
quelques merlans et rougets de pêche française, la plupart des navires
qui déchargeaient étaient étrangers, britanniques, norvégiens,
islandais, néerlandais, asiatiques, africains… les mêmes poissons qu’on
retrouve sur les étals. Quelques anciens se lamentent : « Il n’y a plus de
poisson à Boulogne-sur-Mer, ni ailleurs. » Les ports français ont perdu
leurs gros armements et la moitié de leurs bateaux. Il y a dix ans, le
drapeau tricolore flottait sur environ 8 000 bateaux, il en reste 5 815.
Seule la Scapêche (Intermarché) détient une vingtaine de gros navires
à Lorient. Face à ce délitement, on s’imagine une profession solidaire,
une filière française au coude à coude. Si c’était le cas, à Bruxelles,
embarqués dans la même galère, ils feraient front commun pour
batailler, défendre leurs intérêts ensemble, unis.
Pas du tout ! Chaque pêcheur mène sa barque de son côté, c’est la
guerre entre Bretons et Boulonnais, entre ceux du Nord et ceux du
Sud. Chacun défend son littoral. Pourtant, la cohésion nationale serait
indispensable pour défendre une filière fortement soumise aux aléas
du marché. Moins de bateaux, moins de pêcheurs : de moins en moins
de jours de pêche. Nos pêcheurs français sortent en moyenne deux fois
par semaine pour des campagnes de 24 à 48 heures. Ils jettent l’ancre
le vendredi pour passer le week-end en famille, les temps changent, le
pêcheur ne travaille plus le dimanche, certains autres restent même à
quai. Les quotas ! Le gros mot est lâché. Une décision inique, injuste
selon eux, car pendant ce temps-là, les Britanniques remplissent leurs
cales.
Le constat est terrible, les poissons issus de la pêche française
représentent seulement 10 à 20 % de ce qu’on voit sur les étals, donc
de ce que nous mangeons. Il n’est pas facile de savoir d’où ils viennent.
Est-ce que nous serons contraints, comme les Américains, de nous
méfier ? Là-bas, un tiers des poissons portent une étiquette
frauduleuse. Par exemple, on vend du tilapia pour du rouget. En
France, le Service de la répression des fraudes nous dit que ce type
d’escroquerie est marginal. Doit-on le croire ? Il est vrai que dans la
filière poisson il y a moins d’intermédiaires que dans celle de la viande.
En France, depuis 2002, l’étiquetage est supposé fiable puisqu’il
impose de mentionner sur les étiquettes la zone de capture. Vous avez
déjà lu : « péché en Atlantique Nord-Est », « péché en Atlantique
Nord-Ouest », « péché en Atlantique Centre-Ouest ». Ces zones de
pêche délimitées l’ont été par la FAO, l’Organisation des Nations unies
pour l’alimentation et l’agriculture. Qu’est-ce que ça veut dire : « Zone
Atlantique Nord-Est », « zone 27 » pour la FAO, couvre grosso modo
une portion de mer qui partirait du Groenland au nord de la Russie,
pour s’étendre jusqu’au sud de l’Espagne, Islande incluse. Vous
pourriez aussi imaginer que la « Zone Atlantique Centre-Est », « zone
FAO 361 », touche les côtes françaises. Vous avez perdu, il s’agit du
Canada ; quant à l’Atlantique Centre-Ouest, elle longe les côtes de
l’Afrique de l’Ouest. Eh bien oui, constatez, comme moi, que votre
poisson a souvent fait un long périple avant d’atterrir dans votre poêle
ou votre court-bouillon.
La réglementation impose que chaque produit soit étiqueté du
nom scientifique de l’espèce tout au long de la filière, même pour les
plats cuisinés. A priori, l’intérêt pour le consommateur est strictement
limité, à moins qu’il ne fasse ses courses avec le code des usages sous le
bras. Le nom scientifique du poisson ne nous apprendra jamais s’il a
été péché la veille ou quinze jours auparavant, si la pêche a eu lieu sur
la côte bretonne ou au large des États-Unis, pas davantage si c’est un
chalut industriel ou côtier qui a pratiqué la pêche.
La technique de pêche la plus utilisée dans le monde est la pêche
au chalut. Les bateaux partent pour des campagnes de dix à douze
jours dans des zones de capture de plus en plus éloignées. Les marins
déploient un long filet, traîné au fond de la mer, plus ou moins long, de
six à cent cinquante mètres, en fonction de la taille du chalutier. Le
poisson est éviscéré et stocké en chambre froide jusqu’à son
débarquement, vous pouvez donc être assurés que rien ne distingue
plus ceux qui ont été péchés le premier jour du dernier. Dix-huit jours
peuvent s’écouler entre la sortie de l’eau et l’arrivée sur les étals.
Les plus petits assurent la pêche côtière, presque artisanale, et ne
s’éloignent guère que deux ou trois jours.
Les plus imposants des bateaux sont de véritables navires usines
qui congèlent directement le poisson sur place en haute mer. Ils
partent pour des traversées au long cours et leurs retours à terre sont
rares. Les équipages aux accents slaves sont envoyés par avion,
débarquent au loin et rejoignent le navire, qui poursuit sa pêche
mortifère. Sur ces bateaux, le hasard n’est pas de mise : les bancs de
poissons sont repérés par des sonars et des GPS ultra-performants qui
leur permettent d’effectuer des prises considérables en un temps
record.
Autre système, l’avion. Non pas qu’on puisse pêcher avec un
hydravion, mais pour approvisionner le marché français, le thon est
débarqué en Mauritanie ou au Sri Lanka, le rouget à Dakar : posé sur
de la glace, il atterrit à Roissy. Le périple le plus long pour un poisson
serait d’être transformé en Chine. Il arrive dans les usines congelé pour
être décongelé, vidé, et ensuite recongelé, pour être réexpédié enfin en
containers vers la vieille Europe. Celui-là finit généralement en
rectangle pané ou en plat préparé, distribué par la RHD (restauration
hors domicile). Ces déplorables pratiques sont le fait de puissants
groupes agroalimentaires. Encore dans les cales, certains lots de
poissons peuvent aussi être réservés en mer et vendus sans passer par
la criée. Il s’agit surtout du cabillaud et du lieu noir, destinés à la vente
en promotion. À terme, Rungis, la grande halle à marée d’Île-de-
France, le plus important marché de gros de l’Hexagone, ne sera plus
qu’une vaste plate-forme, un simple entrepôt de transit. Quand le
pavillon de la marée a ouvert, en 1969, on y recensait plus de 106
postes de mandataires, à peine une vingtaine aujourd’hui. Là encore,
entre 70 et 80 % des poissons sont d’importation. Il faut se lever de
très bonne heure pour trouver les beaux produits : bar de ligne, turbot,
saint-pierre, péchés sur les côtes françaises. Jean-Pierre Lopez, le
poissonnier parisien d’exception, présent tous les matins à Rungis, se
désole de l’état de la pêche et du métier.
Revenons, si vous le voulez bien, au circuit classique, celui qui
intéresse le consommateur. Quand la marchandise est achetée à la
criée, les mareyeurs préparent les poissons avant de les livrer aux
grossistes, aux centrales d’achat ou aux détaillants. À Boulogne-sur-
Mer, les poissons peuvent être transformés sur place. Sur 150 hectares,
le numéro un des ports français accueille toutes les activités de la
filière pêche : commercialisation et transformation. Le jour de notre
visite, les merlans de nationalité néerlandaise ont été achetés
directement par la société Frais Embal, un très important spécialiste
de la découpe du poisson. Après une centaine de mètres en camion, le
poisson est débarqué dans l’atelier de filetage. Le responsable qualité
de cette société se réjouit : « Regardez, ils sont encore rigor mortis
(rigidité cadavérique), les yeux bombés, les ouïes se décollent, bien
rosées. Quand on voit un produit comme cela, c’est magnifique ! » Les
merlans sont découpés, filetés dans la journée, à la main ou à la
machine, et mis en barquette sous atmosphère modifiée avant d’aller
garnir les rayons de la grande distribution, moins de 24 heures plus
tard. Bien emballé dans son conditionnement, le poisson ne dégage
aucune odeur, il est prêt à l’emploi, facile à cuisiner, et la plupart du
temps sans arêtes. « Conservé sous atmosphère modifiée » signifie
qu’on a retiré l’oxygène. Gilles Noury a découvert ce procédé en 1996 :
« On m’a pris pour un fou », dit-il quand il évoque cette époque.
Depuis, il est devenu le numéro un de la barquette. Il affirme : « Avec
la barquette, je suis sûr de la qualité du produit, alors que sur l’étal, je
n’ai aucune garantie, je ne sais pas, et personne ne peut me préciser
depuis combien de temps le poisson est là. » Rien à dire, entre le
moment où le poisson a pénétré dans l’atelier, et celui où la barquette
part en caisse, il s’est passé cinq minutes dans une atmosphère à 3°C.
Qu’est-ce qu’il peut bien faire des déchets, têtes, queues, peaux,
arêtes ? Des pâtées pour chien, des crèmes de beauté, mais pourquoi
pas des terrines ou des pâtés au poisson. On n’ose plus employer le
mot « déchet », maintenant il faut dire « coproduit ». « Étant donné la
raréfaction de la ressource, il faudra bien trouver des solutions »,
expliquent les professionnels de la filière, « certains mangeront la
chair, les autres les arêtes… c’est l’avenir ! » Sur les lignes de découpe
de Frais Embal, ce sont surtout des saumons d’élevage et des
cabillauds qui défilent, les deux poissons stars les plus consommés en
France.
Le cabillaud est l’une des espèces les plus populaires d’Europe,
jadis le « bœuf du pauvre », sous sa forme salée ou séchée, autrement
dit la morue. Elle a volé la vedette au saumon, au turbot et à la sole, en
moins de dix ans son prix a doublé. Du milieu du XVIe siècle jusque
dans les années 1970, le poisson le plus consommé en Europe était la
morue. Elle a été créée par nécessité : pas de réfrigérateur à bord pour
conserver le poisson, sitôt pêchée, elle était vidée, salée, stockée dans
le fond de la cale, en attendant que les marins puissent repartir pour de
nouvelles campagnes. Bien avant les Portugais, les Basques avaient
découvert, au large des côtes canadiennes, l’eldorado de la morue. De
plus, ils possédaient d’énormes gisements de sel.
Le développement de la consommation de la morue tient
beaucoup à la religion. Les jours de jeûne étaient de vingt-quatre
semaines par an, pendant lesquelles relations sexuelles et
consommation de viande étaient interdites.
Au fil du temps, la situation s’est dégradée, le productivisme
aveugle a sévi sur les océans, l’agriculture n’était pas la seule à vouloir
profiter des évolutions. L’économie de cueillette a vite été remplacée
par l’économie de massacre. Dans les années 1980, on prélevait chaque
saison 40 % du stock des océans, colossal et suicidaire. Sans oublier
quelques perturbations climatiques, le réchauffement des eaux fatal
aux jeunes cabillauds, la pollution des mers, et surtout la pêche dite
« minotière », destinée à la fabrication des farines pour l’alimentation
du bétail et des poissons d’élevage. Passons sur les tentatives des
fonctionnaires de Bruxelles pour ralentir la course à la productivité, les
TAC (taux admissibles de capture), les POP (plans d’orientation
pluriannuels), la fermeture de certaines zones de pêche et le
désarmement d’une partie de la flottille européenne, tout cela assorti
de subventions, bien entendu, qui furent un échec. Finalement, l’Union
européenne a décidé de réduire de 50 % seulement les quotas de pêche
en mer du Nord. Tout le monde était mécontent, les pêcheurs, les
scientifiques, qui assuraient que cette mesure n’aurait pas de
répercussions sur la reproduction des gisements, peut-être, mais douze
ans plus tard, au début de l’année 2013, on a autorisé une nouvelle fois
l’ouverture des quotas de 30 %. Le repeuplement était en partie assuré,
alors qu’on disait certaines espèces de poissons menacées de
disparition.
Le cabillaud survit, soit ! Mais qu’en est-il de la dorade rose, de
l’empereur, du grenadier, de l’anguille et du thon rouge, pour ne citer
que les espèces les plus courantes. Les scientifiques sont formels.
Toujours. Mers et océans se vident de leurs richesses, les trois quarts
des ressources halieutiques sont pleinement exploitées. En Europe, le
bilan est catastrophique, désastreux : 88 % des stocks sont soumis à la
surexploitation en mer du Nord. L’appétit croissant pour le poisson fait
peser une pression toujours plus grande sur ces ressources. À l’échelle
mondiale, la consommation est passée de 9,9 kg par habitant, dans les
années 1960, à plus de 18 kg, en 2010.
Quel malheur ! Non seulement les poissons se font rares, mais ils
ne sont pas tous appréciés de manière équivalente. Dans les assiettes,
on retrouve toujours, indifféremment, saumon, cabillaud, lieu jaune,
merlan, dorade, bar et sole. Les consommateurs ne font pas preuve de
beaucoup d’imagination, alors qu’il y a encore de nombreux poissons à
découvrir, excellents, peu chers, comme le maquereau, le chinchard, le
hareng et le tacaud. À l’instar des autres denrées alimentaires, les
achats de poisson sont aujourd’hui des actes banalisés. On veut du
« blanc », ou du « rose », et « sans arêtes ». Se soucie-t-on encore de la
ressource, de la saison – car il y a une saison pour les poissons, comme
pour les fruits, les légumes et les fromages.
Les produits de la mer sont principalement achetés dans les
grandes surfaces : 165 459 tonnes en 2011, contre 34 294 tonnes sur les
marchés et 20 250 tonnes dans les poissonneries traditionnelles, qui
disparaissent les unes après les autres – il reste 3 000 établissements
en France. La relève n’est plus assurée, les écoles de poissonnerie sont
presque vides. Jusque dans les années 1980, les rayons « marée »
étaient inexistants dans les supermarchés, aujourd’hui ils font figure
de produit d’appel, garants de produits « frais ». La plupart sont
vendus en libre-service, portionnés en barquette. À ma connaissance,
seul Leader Price garantit que les barquettes de poisson sont retirées
de la vente quatre jours après leur mise en place. Les consommateurs
n’achètent presque plus de poissons entiers. « Aujourd’hui on veut du
filet, du dos, il y a dix ans on vendait de la darne, elle avait l’avantage
de donner une structure au produit », explique un mareyeur
boulonnais. Une chose est sûre, que le poisson soit en darne, en dos, en
filet, entier, en barquette, ou sur étal, le poisson a la même origine.
« Le métier se perd ! », se lamente Jean-Pierre Lopez, « heureusement
que mes fils ont repris, je n’aurais pas trouvé de repreneur. Si c’est
pour voir les mêmes cochonneries importées que l’on nous sert
partout, non merci ! » Il est l’un des rares détaillants qui travaille
encore des produits issus des pêcheries locales. Quand Monsieur Lopez
parle de « cochonneries », il veut sûrement évoquer le panga
vietnamien élevé et congelé en Asie, décongelé en Europe, et servi trop
souvent comme du poisson frais sur les étals. Si ce n’est pas se moquer
du monde, qu’est-ce que c’est ? Fréquemment, il trône parmi d’autres
congénères dans la plus grande indifférence, sinon, dans le meilleur
des cas, une étiquette précise qu’il ne doit pas être « recongelé ». Il
arrive quelquefois que paradent sur les étals des poissons de
« remballe », des poissons invendus, congelés, décongelés, et revendus
sans honte et sans remords. Ce ne sont pas ces abus de confiance
notoires envers le consommateur qui ont une chance de nous faire
apprécier le poisson. Si on veut que le poisson procure du plaisir, il
faut être vigilant, questionner, insister, regarder, avant d’acheter.
L’aquaculture
Si la déchéance du milieu marin continue, le mot « pêcheur » ne
voudra plus rien dire, on parlera « d’éleveur ». La pêche en milieu
marin, l’un des plus vieux et plus beaux métiers du monde, deviendra
une activité récréative, des safaris pour nantis. Depuis plusieurs
décennies, le poisson de la mer fait sa révolution en silence, et très
bientôt, sans que nous nous en soyons rendu compte, le poisson
consommé dans nos assiettes sera majoritairement un animal
d’élevage, vivant dans des conditions similaires à celles des animaux
terrestres (voir le chapitre consacré au cochon).
Oh les chiffres sont éloquents ! En 2008, l’élevage a fourni 45,6 %
de la consommation du poisson, et plus de 50 % en 2012. Les
obsessions diététiques, l’engouement pour les sushis, le succès des
poissons blancs, de la crevette, du saumon – l’aliment dont la
consommation augmente de 6 % par an – tirent la croissance
extérieure du secteur de l’élevage vers le plus haut.
Prenons l’exemple du saumon. Poisson migrateur par excellence, il
a pour ainsi dire disparu à l’état sauvage. Médecins et nutritionnistes
du monde entier se sont entendus pour nous raconter qu’il faut
« manger du poisson gras, principalement du saumon, bon pour le
cœur, la circulation, les maladies inflammatoires. Les acides gras
contenus dans leurs huiles renforcent la santé mentale, le
développement du cerveau, ont un effet bénéfique sur la dépression, la
schizophrénie, la maladie d’Alzheimer ». Pourquoi la Sécurité sociale
ne rembourse-t-elle pas nos achats si les effets d’une tranche de
saumon sont aussi efficaces ? Pourtant, derrière les bons omégas 3 se
dissimule une vérité qui ne va pas de pair avec santé. La vie a bien
changé pour le saumon. Au début du XXe siècle, rivières et fleuves
français en regorgeaient, au point que les ouvriers avaient fait préciser
dans leurs conventions collectives qu’on ne leur servirait pas plus de
deux fois par semaine de ce saumon sauvage. En 2014, on en est plutôt
gavé, proche de l’indigestion. Le Salmo salar est devenu le symbole du
produit de masse. En 2011, les ménages français ont acheté près de
25 763 tonnes de saumon frais et plus de 21 543 tonnes de saumon
fumé. La moitié de tout ça est importée de Norvège. Rien à voir, bien
sûr, avec les espèces sauvages que j’évoquais, excepté leur patronyme.
Il ne s’agit plus du même poisson, il s’agit maintenant de poisson
d’élevage, dont la chair est colorée grâce à des additifs, des copies
chimiques de pigments naturels, canthaxanthine, et astaxanthine.
Si par hasard vous visitez une usine de saumon, sachez qu’il vous
faudra vous mettre dans la tête qu’il s’agit d’une « ferme ». Visitons
l’une de celles-ci. Elle appartient à Marine Harvest, un groupe
aquacole – les capitaux sont suisses – qui a pignon sur mer au Chili, au
Canada, en Écosse et en Irlande. Elle contrôle toute la filière de
production, depuis la recherche et la sélection génétique des souches
de reproducteurs, jusqu’à la livraison en magasins des pavés de
saumon, en passant par la fabrication des aliments, l’abattage et la
transformation. On n’est pas là pour rigoler ! Dès que vous accostez
auprès de la « ferme », vous êtes fermement invité à tremper les
semelles de vos chaussures dans un liquide désinfectant, puis à enfiler
des protège-chaussures en plastique et à revêtir un gilet de sauvetage.
L’aquaculture n’est plus une activité de pêcheurs, mais de
« travailleurs de la mer ». Dans les années 1990, après la grave crise de
surproduction, des centaines de fermes installées dans les fjords
norvégiens ont dû fermer, seules d’importantes multinationales ont pu
ramasser la mise. Marine Harvest est de celles-là. L’investissement est
important, il faut d’abord s’acquitter de près d’un million d’euros pour
obtenir une licence gouvernementale, puis de quelques millions
d’euros supplémentaires dans les installations. Tous ces
investissements pour produire environ 350 000 saumons par an.
Traçabilité, sécurité, efficacité, rentabilité, productivité, et, bien
évidemment, contrôle, sont les leitmotiv. Qualification, initiative,
humanisation, plaisir, autant de mots inconnus dans le lexique local.
Monsieur Taylor peut être satisfait, son organisation scientifique du
travail industriel a encore des adeptes !
Vous vous demandez sans doute ce que les saumons viennent faire
là-dedans ? Ils nagent, dans des grandes cages flottantes ceinturées de
grands filets suspendus, pour décourager la désertion. Juste à côté, les
stocks de granulés. Dans l’usine que nous avons visitée, il y avait huit
cages : 24 mètres de large, 20 mètres de long, 20 mètres de hauteur –
un immeuble de sept étages – dans lesquelles 10 000 saumons
tournent, tournent, tournent… Inutile de poser des questions : est-ce
qu’il y a beaucoup de déserteurs ? Combien de ronds dans l’eau afin
d’atteindre 4,5 kg ? Ce sont des yeux au ciel qui vous répondent.
Soudain, au-dessus des cages, un tuyau en plastique gris crache une
giclée de petits granulés noirs, l’heure de la soupe a sonné pour les
saumons. Il faut à tout prix éviter les gaspillages et entretenir leur
appétit, aussi reçoivent-ils des quantités réduites, à intervalles
réguliers. Il n’y a pas de temps à perdre, la croissance des saumons
répond à des impératifs : les jeunes smolts (petits saumons de
printemps) pèsent 113 grammes. Sitôt sortis de la nurserie, ils sont
plongés dans l’eau salée des fjords et doivent prendre 4,4 kg en
quatorze mois, mais n’ont le droit qu’à 5,3 kg de granulés. Déduisons
que les marges des aquaculteurs norvégiens sont aussi serrées que
celles des producteurs de porcs bretons.
Je suis certain que vous vous demandez ce que peuvent bien
contenir ces granulés ? Ne vous avisez pas de poser la question sur
place, c’est top secret ! Depuis 1996, les farines d’origine animale
terrestre sont interdites, tout comme l’utilisation d’antibiotiques et
autres médicaments… mais à titre préventif seulement. Ces granulés
noirs qui nous intriguent résultent d’un subtil équilibre entre les
exigences zootechniques et les contraintes économiques. Elles varient
donc en fonction du cours des matières premières. Je vous l’ai dit, il y a
peu de différence entre un aquaculteur et un producteur de porcs.
Farines et huiles de poisson, huiles végétales sans OGM, blés, vitamines,
sels minéraux, un peu d’astaxanthine de synthèse… heureusement, le
saumon d’élevage ignore que le saumon sauvage se goinfre de
crevettes !
Depuis quelques années, un certain nombre d’enquêtes
scientifiques préoccupent le monde du saumon norvégien. Les
Américains et les Canadiens ont découvert des indices élevés de
polluants : quatorze polluants organochlorés, tels que les PCB
(polychlorobiphényles, appelés aussi biphényles polychlorés), DDT,
dioxine, nonachloreii. Des produits considérés comme extrêmement
nocifs pour l’homme. La loi est formelle en Norvège, pas
d’antibiotiques, je l’ai dit mais je le redis. Peut-être, mais alors, que
viennent faire ces traces brunâtres laissées par les vaccins sur la chair
des saumons ? En 2010, Green Warriors, une association norvégienne,
dénonçait la mortalité, les maladies ou les malformations dues à la
surpopulation dans les cages (de 10 à 20 %). Les méthodes d’élevage
intensives rendent les poissons vulnérables et favorisent le
développement des parasites. Le saumon est infesté de poux de mer,
alors on traite au diflubenzuron, un insecticide qui n’est pas autorisé
en France. Les chercheurs suisses enquêtent, eux aussi, leurs
découvertes sont accablantes. Ils ont retrouvé de l’éthoxyquine dans
une dizaine de marques de saumon. Synthétisé dans les années 1950
par la firme Monsanto, cet antioxydant de synthèse était surtout
employé dans le traitement des fruits, notamment pour éviter le
brunissement des poires. Pour le saumon, il est plutôt utilisé sur les
farines de poisson qui servent à son alimentation. Ces farines arrivent
d’Amérique du Sud après une longue traversée en cargo. Elles
présentent des risques, d’explosion, principalement, d’auto-
combustion par oxydation. On asperge ces farines d’éthoxyquine pour
prévenir ces risques.
Vous vous sentez à l’abri puisque vous consommez bio. Pour vous,
le bio c’est 100 % clean. Ça devrait. Mais certains éleveurs irlandais
admettent utiliser de la farine de poisson sud-américaine pour faire
« grandir » plus vite les poissons au début de leur vie.
Dans ces élevages, où les poissons poussent comme de la mauvaise
graine, la moitié des animaux souffre de dépôt graisseux autour du
cœur. Normal, à force d’être gavé, le poisson gras devient trop gras !
Un saumon peut afficher jusqu’à 40 % de matières grasses. Ce constat
est général et touche tous les poissons d’élevage, dont le profil en
acides gras est dégradé par rapport aux sauvages. Prenons pour
exemple le bar d’élevage : 6 % de matières grasses, contre 3,66 % chez
le sauvage ; 1,15 % de graisses saturées, contre 0,71.
Tous ces élevages provoquent d’irrémédiables bouleversements
sur les écosystèmes environnants : les tonnes de déchets rejetés en
mer, les malins qui s’échappent et contaminent les espèces sauvages.
Pourquoi la Norvège n’engage-t-elle pas des expertises officielles
indépendantes pour contrôler ce qui représente une grave atteinte à
son image et pourrait faire du tort au commerce extérieur ? Allez
savoir ! Toujours est-il que la ministre norvégienne de la Pêche,
Lisbeth Berg-Hansen, possède elle-même des parts dans des sociétés
de pêche et qu’elle nomme elle-même les directeurs des organismes
publics censés contrôler l’industrie de la pêche. C’est-y pas mieux
comme ça ? Je comprends que vous ayez envie de manger du saumon,
et si vous ne pouvez pas vous en passer, privilégiez les filières
contrôlées, avec des labels de qualité indépendants. Mais rassurez-
vous, l’avenir s’annonce encore plus rose que rose, « le super saumon »
va bientôt débarquer. AquaBounty Technologies, entreprise de
biotechnologie américaine, met au point un saumon transgénique
destiné à la consommation humaine. Ce saumon doit grandir tout au
long de l’année, même pendant la saison froide. Cette nouvelle
protéine à bas prix arriverait dans vos assiettes en dix-huit mois au lieu
de trois ans. Heureusement, l’agrément de mise sur le marché n’a pas
encore été obtenu. Résistons, luttons, avant que l’abominable
« Franken Fish » ne débarque dans nos assiettes.
Pour alimenter l’aquaculture, la pêche « minotière » fait des
ravages. Elle racle, racle les fonds marins pour récupérer de quoi
élaborer de la farine de poisson. L’ineptie économique du procédé est à
son comble, puisqu’il faut 4 kg de poisson pour obtenir un kilogramme
de chair de saumon. Les professionnels se défendent : « Les poissons
entrant dans la composition des farines ne sont pas des espèces
commercialisables », nous assène-t-on avec cynisme.
Consommateurs, est-ce que vous avez conscience que, lorsque
vous refusez un maquereau ou un hareng, il risque de revenir sous
forme de pavé ou de filet de saumon, après un détour dans une usine
de farine, une ferme d’élevage et un abattoir ?
Ces mêmes aquaculteurs ont l’outrecuidance d’affirmer :
« Aujourd’hui nous sommes parfaitement capables d’engraisser des
saumons avec des granulés 100 % végétaux. » Inutile, après cela, de
prétendre à quelques scrupules écologiques. Les essais sont en cours,
et dans un temps sûrement proche, le saumon sera élevé à partir de
soja et de céréales. L’aquaculteur vit l’œil rivé sur les cours de la
Bourse, prêt à se précipiter sur les matières végétales, le jour – peut-
être pas si lointain, pillage de la mer oblige – où elles coûteront moins
cher que quelques huiles de poisson.
Enfin, dans ces « fermes », lorsque les saumons ont atteint la taille
idéale, à l’aide d’une pompe, ils sont évacués vers un bateau vivier,
conduits à l’abattoir, anesthésiés dans un bain de glace et de gaz
carbonique, un coup de couteau dans l’ouïe, ils se vident de leur sang,
et quelques heures plus tard trônent sur les étals quelque part en
Europe. Quand on pense qu’en 1970 un smicard avait de quoi s’acheter
6 kg de saumon frais par mois, aujourd’hui il peut s’en offrir 200 kg !
Des truites, du bar, de la dorade, du turbot, du cabillaud, tous les
jours à la cantine. Vous voyez déjà la vie en rose, demain vous la verrez
en blanc !
Nous venons d’évoquer les poissons de mer, mais les poissons
d’eau douce ne sont pas épargnés. Examinons un peu les méthodes
d’élevage du panga et du tilapia. Cela risque de vous mettre en appétit !
Rêvez un moment. Vous êtes sur une jonque qui se balance mollement
dans les méandres du delta du Mékong, autour de vous frétillent des
millions de pangasius, eh bien ce sont eux que vous retrouvez sur les
étals des poissonniers et de la grande distribution. Ce poisson est
devenu l’un des principaux produits d’exportation du Viêt Nam. Il a
toutes les qualités requises, top standard ! Vendu sous forme de filet
blanc de grande taille, il n’a aucun goût, une chair insipide et molle, et
miracle, grâce à la main-d’œuvre locale bon marché, son prix de
revient au kilogramme est de l’ordre de 0,60 euro. Non je ne me suis
pas trompé de zéro : 60 centimes, je dis bien. En dix ans, la production
est passée de quelques dizaines de milliers de tonnes à plus d’un
million ! Vous dire que cette production de masse ne crée pas de
problèmes de pollution, et qu’elle n’utilise pas fréquemment des
produits pharmaceutiques interdits en Europe serait vous induire
foncièrement en erreur. Mais si vous voulez en manger, libre à vous.
Autre symbole de l’aquaculture intensive, le tilapia. Un poisson
d’eau douce, originaire des lacs et des grands fleuves d’Afrique. Il doit
être migrateur puisqu’il a maintenant quitté ses eaux d’origine pour
être élevé dans toutes les zones chaudes de la planète. Il manifeste un
intérêt particulier pour la Chine. Rappelons, pour mémoire, que la
Chine est le premier « fabricant » de poisson au monde. L’Asie produit
80 % des poissons d’élevage, dont 63 % rien qu’en Chine. Pour
l’élevage, le tilapia est une petite merveille, il avale n’importe quoi, et il
est principalement herbivore. Cela tombe vraiment très bien : il ne
coûte presque rien à produire. Toujours tenté ?
Revenons en eau salée. Un nouveau parasite est arrivé : la crevette.
L’élevage de la crevette a été artisanal pendant longtemps. Mais quand
les stocks de crevettes sauvages ont fortement diminué,
l’industrialisation de la filière a commencé. En dix ans, la
consommation a explosé de 300 % aux États-Unis, au Canada et en
Europe, et pour répondre à cette demande croissante, les pays
asiatiques – Thaïlande, Taïwan, Viêt Nam, Indonésie et Inde – se sont
lancés dans l’élevage intensif, talonnés par le Brésil, le Mexique et
l’Équateur. Les bassins d’élevage sont installés sur les littoraux
tropicaux, comme les mangroves ou les forêts de palétuviers. La taille
des exploitations est passée tranquillement de quelques dizaines à
plusieurs centaines d’hectares, avec une densité pouvant atteindre les
deux cents crevettes au mètre carré. Leur alimentation, industrielle
évidemment : farine animale d’origine maritime ou terrestre. Selon le
grand principe de l’industrie aquacole, « t’as pas faim, tu manges
quand même », elles sont suralimentées. Dans leurs étangs, il fait jour
24 heures sur 24. Pour produire 30 tonnes de crevettes, il faut environ
90 tonnes de farines, donc de poissons. Comme la crevette n’échappe
pas aux règles élémentaires, son univers concentrationnaire crée des
maladies, des parasites et quelques autres contagions quand on ne
traite pas. Action, réaction : puissants traitements d’antibiotiques,
agents conservateurs pour les empêcher de noircir, lavage à l’eau
javellisante pour tuer les bacilles. Ainsi, toute proprette, la crevette
peut tranquillement se présenter congelée sur nos étals. Dois-je vous
préciser que derrière ces petits crustacés se dissimulent de
gigantesques trusts de l’industrie agroalimentaire, qui fournissent à la
fois l’alimentation et les produits phytosanitaires ?
Le problème est le même, quelle que soit la variété des poissons et
des crustacés élevés : que faire des vidanges des bassins de
production ? Vous avez maintenant compris que cette « soupe
immonde » composée de boue aux antibiotiques, pesticides et autres
produits chimiques est encombrante. Mais il faut bien la rejeter,
pourquoi pas sur les terres, aux alentours de ces fermes ? Il est certain
que les cours d’eau et les sols vont être pollués, mais quand il faut se
débarrasser de cochonneries, on n’hésite pas ! Le Vietnam Institut for
Economics and Marin Planning, après une étude récente, précise que
chaque hectare d’élevage de crevette produit 8 tonnes de déchets
solides par an et que les fermes d’élevage vietnamiennes, à elles seules,
rejettent 7 millions de tonnes de déchets. Ça donne envie de se
baigner ! Que dire du respect des écosystèmes ? Bien peu de chose :
d’importantes surfaces de mangroves disparaissent au fil des années,
mettant en danger les côtes devant les cyclones et les tsunamis qui
affectent ces régions. La Thaïlande, par exemple, premier producteur
mondial, a détruit 70 % de toutes ses forêts de mangroves. Tout cela
vous paraît choquant, bien sûr, révoltant même. Vous voulez de la
crevette sauvage, sachez quand même que la pêche de ces dernières est
particulièrement dévastatrice. Les crevettiers sont des bateaux
destructeurs, les « terminators » des mers. En Malaisie, pour une
tonne de crevettes pêchées, quatre tonnes d’oiseaux marins, de tortues,
de requins, et autres poissons sont rejetés.
À quoi sert toute cette pollution ? À nous faire manger des
crevettes toute l’année, à nous donner l’illusion de nous nourrir
« sainement », de « manière équilibrée » grâce à des produits frais…
Une rengaine que vous entendez régulièrement.
Vous voulez vraiment manger des crevettes ? Soyez raisonnable,
optez pour la qualité. Offrez-vous une poignée de bouquets, oui, des
Palaemon serratus, péchés au large de Granville, à la saveur unique,
délicate. Certes, vous les paierez plus cher que les autres, mais vous
n’en mangerez qu’une fois ou deux par an, vous découvrirez la saveur,
les délices, le dépaysement, un instant de bonheur rare.
Il existe des productions plus responsables (Label rouge, bio).
Elles sont essentiellement originaires de Madagascar. Là-bas les
élevages sont moins intensifs : de cinq à dix crevettes au lieu de deux
cent quarante, une alimentation garantie sans OGM, ni farines animales
terrestres, ni colorants ajoutés à la cuisson, et sans usage excessif
d’antibiotiques. Là aussi, vous pouvez y aller.
Pour le moment, en France, nous sommes les leaders spécialistes
de l’élevage du bar, de la dorade et du thon. La plus grande ferme
piscicole au monde est dans le Pas-de-Calais, cocorico ! Créé en 1983,
AquaNord produit 2 500 tonnes de bars et de dorades par an. Les
poissons sont vaccinés et traités aux antibiotiques, « en cas de
nécessité seulement », nous précise-t-on. Pour élever un bar, 4 kg de
poissons sont nécessaires alors qu’il en faut 25 pour un saumon. Outre
la pollution et l’utilisation de produits toxiques pour la santé humaine,
le véritable drame de l’aquaculture est là : il faut beaucoup de
nourriture pour alimenter tous les produits d’élevage. La farine et les
huiles sont pour la plupart issues de poissons pélagiques, poissons
vivant proches de la surface, comme les anchois, capturés par millions
de tonnes au large du Pérou ou du Chili grâce à des pêches
ultramodernes. « Ils sont tellement suréquipés qu’il leur suffirait d’à
peine plus d’une quinzaine de jours pour vider tous les bancs. »
Philippe Cury, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le
développement, est formel. Si l’essor de l’élevage perdure, ces espèces
ne suffiront pas à subvenir à la demande. Certaines ont déjà disparu à
cause des excès de la pêche minotière. Le même Philippe Cury
constate : « Il n’y a plus un poisson pélagique le long des côtes du
Namibie. »
Quel bel enjeu : transformer tous les poissons d’élevage en
végétariens. Les recherches sont en cours mais ne sont pas encore
probantes. Quid alors des omégas 3 ? Il faudra trouver de nouveaux
discours pour faire avaler des poissons guimauves. Adieu les poissons
gras. Au régime, comme tout le monde !
Bruxelles a tranché le débat, en autorisant la réintroduction des
protéines animales dans l’aquaculture. Cette nouvelle aurait dû faire
l’effet d’une bombe, en ces temps troublés de crise alimentaire. Rien
n’a explosé, ni vu, ni connu, consommateur on t’embrouille… Quelques
associations ont quand même réclamé un étiquetage clair à poser sur
un poisson ou un crustacé qui aurait été élevé avec ces farines, rien de
plus. Les professionnels de la filière, les producteurs ont des mines
effarouchées : « Des farines animales dans nos filières ? Jamais ! »
Même Marine Harvest a mis son veto. Belle pudeur ! Jusqu’à quand ?
Philippe Cury, excellent scientifique, affirme que ce sera inéluctable,
que la biomasse est insuffisante pour nourrir des poissons d’élevage
qui devront nourrir la population croissante. Pour le moment,
saumons, bars et dorades peuvent se régaler avec des protéines
animales transformées de porc et de poulet. Voilà ce qu’on a trouvé
pour « améliorer la durabilité à long terme du secteur de
l’aquaculture ». D’autres solutions sont envisagées, utilisées, même :
une farine alternative issue des coproduits de la pêche – vous vous
souvenez, coproduits = déchets. Les Chinois s’en servent déjà pour
alimenter leurs anguilles. Une probable manne encore peu exploitée
qui permettrait l’optimisation de la ressource. En attendant, Bruxelles
a légiféré, elle impose à tous les pêcheurs français de ramener, dès
2014, tous leurs déchets à terre. À défaut de pêche miraculeuse, la
filière est à la recherche d’une denrée qui pourrait faire tourner
l’industrie des poissons. Si vous trouvez, votre fortune est faite ! En
Pologne, les truites d’élevage sont nourries à la farine d’hémoglobine.
Ne soyez pas choqués ! Les farines de sang d’animaux non ruminants
sont à nouveau autorisées en Europe. Vous ne saviez pas que des
farines de plumes de volaille et des farines de sang étaient permises ?
Pourtant, « elles sont très digestes et très abordables », selon les
aquaculteurs. Pas d’étiquette pour le préciser, pas de vantardise,
discrétion absolue. Les professionnels français ne se risquent pas
encore à les utiliser. Ça viendra, rassurez-vous.
Alors, qu’est-ce qu’on mange ?
Les achats de poissons et de crustacés « frais » ont diminué de
4,8 % en 2011. Cette baisse affecte toutes les familles des produits de la
mer, à l’exception des produits traiteur. Les produits traiteur, c’est
avant tout du surimi, des poissons panés, élaborés à partir de pulpe de
poisson, des bouillies d’arêtes passées à la centrifugeuse, des plats
préparés à partir de poisson globe-trotteur, congelé, décongelé selon
les besoins. Ce sont les vedettes de la malbouffe, les stars de la
fainéantise cuisinière : pâté en croûte, carpaccio, paupiette, rôti,
terrines, il existe même des gaufres aromatisées au poisson. De quoi
être émerveillé par l’imagination délirante des industriels.
Est-il trop tard pour changer, pour essayer de consommer avec
bon sens ? Non, on peut encore acheter du poisson frais au rythme des
saisons de pêche, il sera moins cher, changer de menu, essayer des
huîtres, les moules, les crevettes grises. Rayez de votre alimentation les
crevettes roses, les thons rouges, les grenadiers, les grands prédateurs,
requins, espadons, chargés de mercure, soyez inventifs, téméraires,
variez les espèces, essayez les poissons oubliés, choisissez des produits
locaux, français, de pêche plus responsable.
La « pêche durable » est tendance, tout le monde y va de son
écolabel, aussi marketing que responsable, bien sûr. Passons sur toutes
les horreurs que nous avons évoquées et essayons de voir s’il y a encore
des raisons d’espérer.
Encourageons les bonnes pratiques. Le plus répandu des écolabels
est anglo-saxon : MSC (Marine Stewardship Council). Cette ONG est
basée à London et a été créée par le groupe Unilever, premier acheteur
mondial des produits de la mer, et par le WWF (World Wide Fund for
Nature). Rassurez-vous, cette ONG a pris son indépendance à l’égard
des fondateurs, exit Unilever. Le MSC a développé une norme pour une
pêche durable et responsable, c’est-à-dire dans le respect de la gestion
des stocks. Soyons précis, c’est un label de durabilité, pas de qualité.
Toutefois, ils sont très exigeants et la certification qu’ils octroient
prend du temps, vingt mois avant d’autoriser l’apposition de leur logo
sur les produits. Le respect du cahier des charges est contrôlé au moins
une fois par an. Cinq pêcheries françaises ont obtenu leurs
qualifications dernièrement : la pêcherie du lieu noir en mer du Nord,
la sardine de bolinche en Bretagne du Sud, une pêcherie franco-
britannique de homard, la pêcherie d’églefin et de cabillaud, la
pêcherie de lieu noir de la Scapêche (Intermarché) et la compagnie des
pêches de Saint-Malo. C’est peu, mais ça a le mérite d’exister.
Une autre bannière flotte sur les étals : « pavillon France » ;
depuis l’année 2010 FranceAgriMer, successeur de l’Ofimer, et Ifremer
s’attachent à promouvoir les produits d’une pêche 100 % française.
Certains pêcheurs aussi ont fait le choix de la qualité : filière Opale,
Bretagne Qualité Mer, Normandie Fraîcheur Mer, Fraîcheur du
littoral, l’Association des producteurs méditerranéens. Ces
regroupements imposent un cahier des charges extrêmement strict à
leurs adhérents : trait de chalut limité dans le temps pour ne pas
abîmer les poissons, des cales identifiées pour éviter le mélange des
espèces, un entreposage en chambre froide sitôt la pêche débarquée,
un étiquetage assurant la traçabilité du poisson et la vente au premier
acheteur en moins de 24 heures. Vous voyez, tout n’est pas perdu.
D’autres labels s’efforcent de défendre le mode de capture, comme
l’association des ligneurs de la pointe de Bretagne, qui pare ses
poissons d’une petite étiquette orange. Cinq pour cent du marché, voilà
ce que représentent ces signes de qualité, si on ne les aide pas, ils
disparaîtront. La balle est dans notre camp – saisissons-la avant qu’il
ne soit trop tard.
Pêche durable demande quand même un peu de vigilance. Par
exemple, une grande enseigne de la distribution commercialise des
filets surgelés de flétan, dorade et loup de mer, arborant fièrement le
logo « pêche responsable ». Ce label correspond précisément à trois
garanties : la qualité alimentaire, avec à la clef la sécurité sanitaire, la
protection et la gestion de la ressource, et la protection de
l’environnement. Voilà qui est bel et bon ! L’enseigne oublie de
préciser que c’est elle qui vérifie le respect de ces bonnes pratiques,
sans aucun contrôle indépendant. Une autre enseigne a choisi de
frapper fort, en supprimant le thon rouge de ses linéaires, mais en
privilégiant, a contrario, sous prétexte de faible empreinte écologique,
le tilapia et le pangasius. On n’est jamais assez vigilant.
On peut toutefois se demander s’il y a des contaminants dans la
mer.
Les contaminants susceptibles de se trouver dans les poissons
(PCB – polychlorobiphényles, anciennement utilisés dans les
transformateurs et les gros équipements électriques –, les dioxines, les
retardateurs de flamme polybromés, le mercure) sont des composés
chimiques peu réactifs, et donc persistants. Ils sont peu solubles dans
l’eau et, au contraire, solubles dans les graisses. Mais des
concentrations maximales admissibles dans les produits de la mer ont
été fixées, et d’une manière générale, les teneurs mesurées dans les
espèces destinées à la consommation sont bien inférieures aux limites
de résidus. Enfin, c’est ce qu’affirment scientifiques et organismes
d’État.
Les espèces les plus à risque sont les poissons gras, sardines,
maquereaux, saumons, anguilles. Quant aux grands prédateurs, thon
et espadon, c’est surtout en mercure que leur seuil de contamination
peut être élevé.
Après la lecture de ce chapitre, je vous souhaite quand même bon
appétit, c’est possible, mais soyez vigilants.
Chapitre 4