GOLOBORODKO Denis PDF
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GOLOBORODKO Denis PDF
pour le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE RENNES 1
Mention : Philosophie
Ecole doctorale SHOS
présentée par
Denis GOLOBORODKO
Préparée à l’unité de recherche n°EA1270
Philosophie des normes
UFR de Philosophie de Rennes 1
Introduction .....................................................................................................1
Conclusion ...................................................................................................263
Bibliographie ...............................................................................................277
1
Introduction
b) L’explication de la méthode.
1
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 56.
2
Ce qui est d’ailleurs assez singulier, l’internement évoqué ici étant la caractéristique
d’un pouvoir éminemment souverain. Foucault en effet, nous le verrons en détails, définit
ce type de pouvoir comme un pouvoir de la loi, du juridique. Mais il est vrai qu’avec la
lettre de cachet, la loi « existe » bien, qui est celle de l’arbitraire du souverain.
5
3
Cette inclusion au sein même de l’exclusion a été récemment soulignée par des
philosophes, spécialistes de Foucault. Cf. par exemple dans REVEL Judith, Dictionnaire
Foucault, Paris, Ellipses, 2008, p. 61 : « […] du grand enfermement – invention d’un lieu
inclusif de l’exclusion – à l’apparition d’une science médicale de la folie (de la « maladie
mentale » à la psychiatrie contemporaine), Foucault fait en réalité la généalogie de l’un
des visages possibles de cette forme singulière du pouvoir-savoir qu’est la connaissance.
[…] l’enfermement ne donnait à voir que le paradoxe spatial d’une connaissance jouant
simultanément sur l’exclusion (spatiale) et sur l’inclusion (discursive) […] » (Je souligne).
(Voir aussi dans DREYFUS Hubert, RABINOW Paul, Michel Foucault. Un parcours
6
d’entrée sur cette fonction négative, puisqu’il s’agit de l’acte de violence sur
la déraison et de la pratique de l’internement. Mais, en même temps, le motif
du pouvoir « productif » est déjà implicitement présent : la raison (ainsi que
la folie) est un produit du pouvoir et non pas son sujet. C’est là un point déjà
maintes fois soulignées dans les travaux de critique et fondamental pour
comprendre la théorie foucaldienne du pouvoir : chez Foucault, le pouvoir n’a
pas de sujet (en tant qu’instance absolument identifiable et localisable d’une
manière univoque).
C’est ce motif du pouvoir « productif », identifié dans l’Histoire de la
folie, qui nous a permis d’entreprendre d’une manière logique et cohérente
l’analyse de la deuxième partie de l’œuvre de Foucault, où il propose
explicitement d’examiner ce côté positif du pouvoir : sa théorie de la prison et
du pouvoir disciplinaire, sa conception de la sexualité et du bio-pouvoir4.
À cette étape, les fils conducteurs méthodologiques utilisés pour
confronter les idées de l’Histoire de la folie étaient les suivants :
- une sorte d’axiome tirée de Surveiller et punir : « Il faut cesser de
toujours décrire les effets du pouvoir en termes négatifs : il « exclut »,
il « réprime », il « refoule », il « censure », il « abstrait », il
« masque », il « cache ». En fait le pouvoir produit (…). L’individu et
la connaissance qu’on peut en prendre relèvent de cette production. »5
- une des idées centrales de La Volonté de savoir où il est dit que la
culture occidentale n’a jamais connu de refoulement du « sexe ». Il y a
eu au contraire, avance Foucault, une contrainte à parler du « sexe », à
4
Cette partie a été souvent considérée comme une rupture voire une trahison du
« premier » Foucault par le « second » Foucault (la vision la plus aiguë qui s’inscrit dans ce
paradigme de lecture est présentée chez Jean Baudrillard dans le livre Oublier Foucault).
La présente thèse va essayer entre autres de montrer les faiblesses d’une telle approche.
5
FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 227.
8
6
« La famille, c’est le cristal dans le dispositif de sexualité : elle semble diffuser une
sexualité qu’en fait elle réfléchit et diffracte » (FOUCAULT, Michel, Histoire de la
sexualité I. La Volonté de savoir, p. 147, Paris, 1976).
7
Judith Revel écrit à ce sujet : « Foucault distingue soigneusement entre « sexe » et
« sexualité » […]. Si l’idée du sexe est intérieure au dispositif de la sexualité, alors on doit
retrouver à son fondement une économie positive du corps et du plaisir […].» (REVEL
Judith, Dictionnaire Foucault, Paris, Ellipses, 2008, p. 122.) Foucault disait pour sa part :
« Il ne faut pas imaginer une instance autonome du sexe qui produirait secondairement les
effets multiples de la sexualité tout au long de sa surface de contact avec le pouvoir. Le
sexe est au contraire l’élément le plus spéculatif, le plus idéal, le plus intérieur aussi dans
un dispositif de sexualité que le pouvoir organise dans ses prises sur les corps, leur
matérialité, leurs forces, leurs énergies, leurs sensations, leurs plaisirs. » (FOUCAULT
Michel, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 205).
11
temps nous donnera l’occasion d’évoquer les polémiques qui se firent dans la
critique foucaldienne sur ce passage entre souveraineté et discipline, au
travers des interprétations de Robert Castel et de François Ewald et de
l’opposition entre Matthieu Potte-Bonneville et Gilles Deleuze.
Chapitre 1.
Cogito et figure de la folie dans les Méditations de Descartes
« Tout ce que j’ai reçu jusqu’à présent pour le plus vrai et assuré, je
l’ai appris des sens (a sensibus), ou par les sens (per sensus) : or j’ai
quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs […]. »8
8
DESCARTES René, Œuvres et Lettres, Paris, Gallimard, 1953, p. 268.
20
9
Ibid. Cf. DESCARTES René, Meditationes de Prima Philosophia, Stuttgart, Reclam,
1994, s. 64 (« Sed amentes sunt isti, nec minùs ipse demens viderer, si quod ab iis
exemplum ad me transferrem »). Les équivalents latins cités entre parenthèses doivent être
soulignés puisque Descartes recourt dans son texte original à trois différentes définitions
dont l’analyse différentielle jouera un rôle important dans la polémique entre Foucault et
Derrida (voir chapitre 3), et notamment dans la défense que Foucault oppose à la critique de
Derrida.
21
10
Ibid.
11
Ibid., p. 270.
12
Ibid.
22
13
Ibid., p. 270-274.
14
Ibid., p. 275.
15
Ibid.
16
Ibid.
23
les idées – tout cela maintenant ne peut pas être reconnu comme ma vraie
existence. « […] je trouve ici que la pensée (cogitatio) est un attribut qui
m’appartient : elle seule ne peut être détachée de moi. »17 Et donc, ma vraie
existence est constituée entièrement par ma pensée. « Je suis, j’existe : cela
est certain ; mais combien de temps ? À savoir, autant de temps que je
pense. »18
L’analyse ci-dessus des deux premières Méditations a comme objectif
de souligner les moments qui les constituent et fondent une « base textuelle »
sur laquelle la polémique sur la raison et la Déraison est devenue possible.
Premier moment : le cogito ne constitue aucunement une thèse comme
on en trouve souvent dans la littérature historico-philosophique. Il apparaît
comme un effet de la procédure d’un doute, « un produit du travail » et même,
dans un certain sens, comme un résultat de la « pratique spirituelle » (puisque
le cogito est lié d’une certaine façon à l’hypothèse quasi-religieuse sur
l’existence du Dieu-trompeur ou du Malin Génie).
C’est le sens de cette procédure qui a été au cœur de la polémique entre
Foucault et Derrida. L’objet de la polémique, a trait au cogito lui-même, qui
contient, lui, deux apanages de la philosophie des Temps Modernes : la
pensée et le sujet.
Deuxième moment : le cogito est lié d’une certaine manière avec une
série de figures (folie-rêve-Malin Génie) en tant que résultat du déroulement
du raisonnement. Il est évident que dans la structure du raisonnement la figure
de la folie se trouve à côté de la figure du rêve et il existe entre eux une
certaine tension discursive (la deuxième soit refoule, soit développe la
première), alors que la troisième (la figure du Malin Génie) se trouve à
l’écart.
17
Ibid., p. 277.
18
Ibid.
24
19
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 58.
20
Ibid.
21
Ibid. Je souligne.
25
22
« L’hétérogénéité du physique et du moral dans la pensée médicale n’est pas issue
de la définition, par Descartes, des substances étendue et pensante ; un siècle et demi de
médecine post-cartésienne n’est pas parvenu à assumer cette séparation au niveau de ses
problèmes et de ses méthodes, ni à entendre la distinction des substances comme une
opposition de l’organique et du psychologique. Cartésienne ou anticartésienne, la
médecine classique n’a jamais fait passer au compte de l’anthropologie le dualisme
métaphysique de Descartes ». FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique,
Paris, Gallimard, 1972, p. 346-347.
23
Dans l’Histoire de la folie elle-même, cela a été exprimé explicitement par sa
composition même. Plus tard, dans sa réponse à Derrida, Foucault définira plus précisément
les moments du texte des Méditations où une certaine pratique prend la forme du discours.
Ce niveau pratique du discours se manifeste dans la chaîne des notions insani-amentes-
26
des théories médicales, elles sont le reflet d’une autre face de l’expérience
« classique » de la Déraison, à savoir la tendance à transformer l’exclu en
objet accessible à la connaissance.
La position du texte de Descartes dans la composition de l’Histoire de
la folie témoigne de son importance fondamentale pour l’archéologie du
savoir : la forme cartésienne de la raison est le prototype de la raison de l’âge
classique. Étant donné que l’exclusion constitue la face cachée de
l’émergence du cogito comme condition de possibilité d’une forme pure de la
raison, ce processus d’émergence n’est pas un mouvement progressif, il
comporte en son sein un moment conflictuel de rencontre avec un obstacle et
de dépassement de la résistance grâce à un type particulier de négation :
l’exclusion. Cette histoire du cogito est le prototype de l’histoire de
l’émergence et du développement de la ratio classique — dans la mesure où
« il s’en faut, comme dit Foucault,
extravagant si je me réglais à leur exemple » : eux sont les fous, et moi je suis
le méditant) et exclut la folie du projet.
25
Ibid., p.57.
26
Ibid., p. 58.
27
Ibid., p. 57.
28
Ibid., p. 58.
29
Chapitre 2.
L’archéologie du savoir et « l’histoire psychique » de l’Europe (la
portée de l’ouvrage Folie et Déraison. Histoire de la folie à l’âge
classique)
29
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 269.
30
Ibid., p. 174.
30
31
C’est par cela qu’on peut expliquer le fait que Derrida dans son interprétation relève
« une dimension hégélienne » du livre de Foucault. DERRIDA Jacques, L’écriture et la
différence, Paris, Seuil, 1967, p. 59.
32
FOUCAULT Michel, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 26-27.
31
33
À propos de l’importance qu’avait pour Foucault ce but, voir le chapitre « L’adieu
au structuralisme » du livre de BLANCHOT Maurice, Michel Foucault tel que je
l’imagine, Paris, Fata Morgana, 1986, pp. 18-24.
34
Peu de philosophes ont remarqué que ces deux notions ne peuvent pas se réduire
l’une à l’autre. La différence des interprétations qui existent à propos de l’Histoire de la
folie est déterminée par le fait que l’on accorde ou non de l’importance à leur altérité.
35
BLANCHOT Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 292. Je souligne.
32
Ici une question peut se poser : quel est cet « espace entre » 36 et
pourquoi accorde-t-on à la littérature et à l’art un rôle spécial par rapport à
l’expérience de la Déraison ? On ne peut avoir de réponse à cette question que
si on s’arrête au sens qui à la fois lie et distingue la Folie et la Déraison.
L’« espace entre » dont parle Blanchot, c’est l’espace qui a été constitué à la
base de l’expérience de la folie à l’« âge classique ». La folie, mélangée au
départ avec les autres formes de « déviations »37 (c’est-à-dire la « folie » qui
n’existe pas encore en tant que folie), s’est séparée finalement d’elles et a
obtenu le statut d’objet indépendant. C’est en cela que consiste un
changement qui fait époque. Il s’est produit au cours des XVII-XVIIIème
siècles. Un des aspects de cette transformation consiste en ce que la folie et la
Déraison se trouvent situées à des « niveaux » d’existence principalement
différents : alors que l’âge classique voit encore dans les autres formes de la
Déraison un lien avec la liberté et les considère comme les phénomènes
socialement déterminés, dans la folie il ne voit déjà rien d’autre qu’un
processus exclusivement naturel (la déviation dans la nature d’un organisme
humain).
36
Il vaut la peine de prêter l’attention au fait qu’il s’agit ici en particulier de
« l’espace ». C’est par cet espace que sont séparées deux essences isolées entre lesquelles la
différence extérieure est ainsi établie.
37
Dans son livre Foucault mentionne les énumérations caractéristiques qui témoignent
d’un pareil mélange : « Depuis 1650 jusqu’à l’époque de Tuke, de Wagnitz et de Pinel
(c’est-à-dire, jusqu’à la fin du XVIIIème), les Frères Saint-Jean de Dieu, les
Congréganistes de Saint-Lazare, les gardiens de Bethléem, de Bicêtre, des Zuchthaüsern (il
s’agit ici des différents Hôpitaux généraux), déclinent le long de leurs registres les litanies
de l’internement : « Débauché », « imbécile », « prodigue », « infirme », « esprit
dérangé », « libertin », « fils ingrat », « père dissipateur », « prostituée », « insensé ».
Entre tous ces qualificatifs, aucun indice d’une différence : le même déshonneur abstrait.
L’étonnement qu’on ait enfermé des malades, qu’on ait confondu des fous et des criminels,
naîtra plus tard. Nous sommes pour l’instant en présence d’un fait uniforme. »
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, pp. 95-
96.
33
38
« Klinifizierung ». In : HABERMAS Jürgen, Der philosophische Diskurs der
Moderne, Frankfurt, Suhrkampf, 1985, p. 280.
34
39
BLANCHOT Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p. 298.
40
Elles apparaissent principalement, dans les entretiens qui étaient publiés pendant sa
vie dans diverses revues françaises et étrangères.
35
l’« autointerprétation » n’a pas été le résultat d’un intérêt fortuit des
interlocuteurs. La plupart des livres de Foucault sont devenus l’objet de ce
travail interprétatif. Et l’Histoire de la folie n’a pas fait exception.
Ainsi dans l’entretien publié sous le titre « Le souci de la vérité », paru
en 1984, peu avant sa mort, il met en parallèle l’étude de la sexualité qui a
pour objectif de savoir « comment on « se gouverne » soi-même » (en
particulier, dans l’Antiquité), et l’étude de la folie qui devait répondre à la
question : « comment on « gouvernait » les fous ». Et voici la remarque la
plus importante :
Il ajoute ensuite qu’il voit dans les recherches comparées « deux voies
d’accès inverses vers une même question : comment se forme une
« expérience » où sont liés le rapport à soi et le rapport aux autres. »
L’analyse menée dans l’Histoire de la folie passe de la « folie », comme
problème social, politique et épistémologique, à la « folie » comme une sorte
d’« expérience ». Tandis que l’étude de la sexualité présente le mouvement
inverse : de la conduite sexuelle comme problème des individus eux-mêmes,
on passe à la formation des règlements, signifiants du point de vue social, qui
concernent la sexualité dans le domaine de la morale.
Une autre importante indication sur le sens de la recherche ayant trait à
la folie se trouve dans l’interview Pouvoir et savoir, qui appartient à la
période moyenne de l’œuvre de Foucault :
41
FOUCAULT Michel, Dits et écrits IV (1980-1988), Paris, Gallimard, 1994, p. 670.
36
42
FOUCAULT Michel, Dits et écrits III (1976-1979), Paris, Gallimard, 1994, p. 402.
Je souligne.
37
43
Un peu plus tard, on va revenir sur cette thèse très importante qu’on peut considérer
comme un des exemples de la généalogie du pouvoir.
44
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 447.
45
Ibid., p. 94.
38
46
Ibid., p.96.
47
Ibid., p.129.
39
rapport plus humain envers les fous. L’intention des « réformateurs » était
effectivement de rendre leurs conditions d’existence plus favorables. Mais
l’analyse de Foucault le conduit à une autre conclusion : l’aliénation non
seulement ne disparaît pas, mais elle se « redouble ».
L’âge classique et son expérience spécifique de la folie proprement
dite sont constitués par ces deux jalons. Entre eux se déroule une histoire, un
processus qui ont abouti à l’émergence de l’image de la folie héritée par
l’époque contemporaine où cette image est acceptée sans preuves et où « la
folie » joue le rôle d’une matrice. La stabilité de ces phénomènes s’avère
inébranlable : avec certaines modifications, ils existent jusqu’à nos jours et
c’est seulement Freud et certaines nouvelles recherches dans le domaine de la
neurophysiologie qui ont pu dans une certaine mesure les ébranler. Or, à l’âge
classique lui-même, ce processus était habité par certaines contradictions et
un dynamisme spécifique. Foucault les décrit d’une manière très détaillée en
citant de nombreux exemples provenant de sources différentes. Il y a un
moment qu’on peut désigner comme un moment-clé : c’est celui du
« déplacement » de la folie de la sphère de la liberté humaine dans la sphère
du déterminisme de la nature.
La pratique de l’internement des fous avec d’autres « éléments
asociaux » indique une particularité essentielle de « l’expérience classique de
la folie ». Cette particularité consiste dans la signification éthique qu’on a
pendant longtemps attribuée à « la folie ». Le fait que les fous étaient internés
ensemble avec « les débauchés » et « les libertins » témoigne que la folie a été
comprise comme liée à la faute et au mauvais usage de la liberté ! Or, elle a
été progressivement détachée des autres formes de la Déraison et a émergé en
tant qu’objet particulier. Ce processus se double d’autre processus dans lequel
a été éliminée de l’expérience de la folie tout ce qui la liait à la Déraison, et
en premier lieu, la signification éthique. C’est la définition de la folie comme
une maladie particulière qui est en train de se former, la maladie qui affecte
40
48
Ibid., p. 174.
41
elle qui révèle qu’elle doive son origine à l’exclusion et au refoulement d’un
certain contenu ni même à la contrainte qui, au fil de siècles, s’est exercée sur
les autres types de l’expérience.
Il faut revenir maintenant à la question de savoir pourquoi, du point de
vue de Foucault, on ne peut pas affirmer qu’avec la naissance des cliniques
spécialisées l’aliénation, qui constituait une base anthropologique de
l’expérience de la folie à la période de l’internement, est abolie. C’est
qu’après avoir analysé le dynamisme du changement du rapport à la folie (de
sa perception sur le fond commun de la Déraison à sa transformation en objet
isolé), il pose une conclusion univoque : l’aliénation ne disparaît pas, elle
devient au contraire encore plus globale. La clinique, c’est une forme plus
sophistiquée de l’aliénation. Elle la rend totale : ici la vérité de la folie non
seulement est séparée de la vérité du reste du monde, mais est scindée en soi.
Dans la structure de l’internement, « le fou » était aliéné de la société, mais il
n’était pas aliéné de lui-même. C’est parce qu’une certaine responsabilité
éthique lui a été conférée, qu’il a été par-là reconnu implicitement comme
« créateur » et possesseur de sa propre folie, comme porteur de sa vérité.
Dans la structure de la clinique, il est soumis à une double aliénation : il est
non seulement isolé de la société, mais il est aliéné de lui-même. C’est parce
qu’on ne perçoit plus « la folie » sur le fond de la liberté, mais à partir du
déterminisme naturel, que « le fou » n’est pas considéré comme possesseur de
sa propre vérité. Elle est transmise aux mains de l’Autre, symbolisé par la
figure du médecin. C’est ainsi que se termine encore un processus qui
détermine l’essence anthropologique de l’âge classique : le changement du
régime de la compréhension de « l’Autre ». Dans la période de l’internement,
le sens de l’Autre se trouvait déjà dans deux sphères différentes.
1. Là où « la folie » se formait dans le cadre des définitions juridiques et
a été comprise comme une incapacité juridique. C’est là que la vérité
clinique prend son origine : c’est parce que les définitions médicales
42
49
Cette citation représente à la fois une conclusion que Foucault tire à une certaine
étape de sa recherche, et le projet qui est à la base de la conception du livre dans son
ensemble.
50
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 189.
44
51
Je cite ici d’après Derrida, qui, quant à lui, utilise l’édition de 1961. DERRIDA
Jacques, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, p.57.
45
52
La notion de « l’exclusion » est un élément de base structurant le livre de Foucault.
C’est cela que soulignent les philosophes américaines Hubert Dreyfus et Paul Rabinow.
Voir DREYFUS Hubert, RABINOW Paul, Michel Foucault. Un parcours philosophique.
Au-delà de l’objectivité et de la subjectivité, Paris, Gallimard, 1984, p. 17-18 : « Dès les
premières pages, Histoire de la folie à l’âge classique introduit ces deux thèmes parallèles
de l’exclusion géographique et de l’intégration culturelle qui vont structurer l’ensemble du
livre. »
53
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 40.
54
Ibid.
46
55
Ibid., p. 38.
56
Ibid., p. 37.
57
Ibid., p. 38.
58
Ibid., p. 39.
47
elle n’était que la moitié de la vérité. Ce double de la raison fut justement, des
siècles durant, la Déraison. Ensemble, ils formaient la configuration unifiée
de la vérité. Dorénavant la raison déterminera seule sa forme propre. On peut
dire que la raison elle-même se transforme mais il faut ajouter que la
configuration de la vérité change également : là où elle surgissait d’un
processus d’échange entre deux sphères différentes de l’expérience, une seule
sphère englobe maintenant tous les phénomènes possibles. La raison devient
la forme unique de la vérité. Tout ce qui est de l’ordre de la Déraison est
relégué au dehors d’elle. Se produit « un étrange coup de force »59 qui aboutit
à la prise du pouvoir par la ratio, c’est-à-dire la raison dans sa forme pure. Un
des aspects de ce coup de force est le changement de configuration de la
vérité. Un second aspect est la disparition de la Déraison. Mais la Déraison ne
se « dissout » pas purement et simplement, comme s’il ne restait plus rien de
confus, de trouble et d’angoissant dans le monde. La disparition de la
Déraison équivaut à l’effacement des anciens contours de la forme par
laquelle elle participait au processus de formation de la vérité. Mais une
forme nouvelle apparaît et un nouveau concept surgit. Grâce à lui, l’ensemble
de l’expérience se rapportant à la Déraison est englobé dans une forme qui
répond aux exigences du nouveau processus de formation de la vérité — aux
exigences fixées par la ratio. Ce concept est « la folie ». En ce sens, la
disparition de la Déraison signifie que change de façon significative non
seulement sa propre forme mais également la structure de formation de la
vérité : avant, la Déraison était « sujet » de la vérité (un des deux « sujets »
égaux en droit), désormais elle se transforme en un objet de jugement (la
Déraison devient « folie »). La raison devient le seul sujet de la vérité.
On voit de la sorte que l’exclusion a le rôle d’un concept « générateur »
dans la chaîne « exclusion — objectivation — silence ».
59
Ibid., p. 56.
48
60
FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris,
Seuil/Gallimard, 1999, p. 24.
50
61
Ibid., p. 7.
62
Ibid., p. 12.
51
l’« anormal ». Il souligne trois éléments qui ont formé « le groupe des
anormaux »63 (il faut prendre en compte que, comme le remarque Foucault, sa
« constitution n’a pas été exactement synchronique »64).
1. « Le monstre humain ». C’est la loi qui constitue « le cadre de
référence » de cette notion. Or, c’est la loi au sens large : « ce qui
définit le monstre est le fait qu’il est, dans son existence même et dans
sa forme, non seulement violation des lois de la société, mais violation
des lois de la nature »65. Deux choses le mettent automatiquement hors
la loi et le renvoient « au-delà » : a) le monstre ne peut pas être un
sujet de la loi, puisque la loi n’est pas capable parler de lui ni de
prendre en compte son existence ; b) le monstre, c’est une « forme
naturelle de la contre-nature »66 et un modèle « de toutes les petites
irrégularités possibles » (ainsi, l’expertise psychiatrique des XIXème-
XXème siècles va chercher le grand monstre naturel derrière le petit
voleur).
2. « L’individu à corriger ». Cette figure est plus tardive que « le
monstre ». Elle « est le corrélatif moins des impératifs de la loi et des
formes canoniques de la nature que des techniques de dressage avec
leurs exigence propres. »67. La figure de « l’incorrigible » apparaît en
même temps que les techniques disciplinaires en usage dans l’armée,
l’école, l’atelier. L’incorrigible, c’est celui, pour qui ces techniques
s’avèrent inefficaces et pour qui il faut donc recourir à des
technologies supplémentaires. C’est ainsi que « se dessine un axe de la
63
FOUCAULT Michel, Résumé des cours, Paris, Julliard, 1989, p. 73.
64
Ibid.
65
FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris,
Seuil/Gallimard, 1999, p. 51.
66
Ibid., p. 52.
67
FOUCAULT Michel, Résumé des cours, Paris, Julliard, 1989, p. 75.
52
68
FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Paris,
Seuil/Gallimard, 1999, p. 54.
69
Ibid., p. 56.
53
70
BLANCHOT Maurice, Michel Foucault tel que je l’imagine, Paris, Fata Morgana,
1986.
71
DELEUZE Gilles, Foucault, Paris, Minuit, 1986.
72
BAUDRILLARD Jean, Oublier Foucault, Paris, Galilée, 1977.
54
73
BLANCHOT Maurice, Michel Foucault tel que je l’imagine, Paris, Fata Morgana,
1986, p. 34.
74
Ibid., p. 49.
55
75
Comme exemple frappant de cette interprétation, on peut mentionner un texte
intéressant à maints égards, « Foucault tribunal » (http://www.foucault.de).
76
HABERMAS Jürgen, Le discours philosophique de la modernité, Paris, Gallimard,
1988. (Cf. HABERMAS Jürgen, Der philosophische Diskurs der Moderne, Frankfurt,
Suhrkampf, 1985.)
56
77
Ibid., p. 281-314.
78
Ibid., p. 315-347.
79
Ibid., p. 282-294.
80
Ibid., p. 283. Il faut remarquer que c’est cette thèse de l’Histoire de la folie que
Blanchot, lui aussi, comme on l’a vu, propose de considérer comme une formulation du
projet de ce livre. (BLANCHOT Maurice, L’entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, p.
292).
57
81
Ibid.
82
Ibid.
83
Ibid., p. 284.
58
84
Ibid., p. 285.
85
Ibid.
59
86
Ce qui ne se réduit pas simplement au geste qui substituerait un signe à l’autre. On
ne peut pas néanmoins ranger Derrida parmi les interprètes qui simplifient
fondamentalement le projet de l’Histoire de la folie en l’interprétant comme une tentative
de substituer le moins au plus.
87
La folie n’existe pas hors du renfermement. C’est en cela que consiste la vérité
fondamentale de l’âge classique qui est découverte par la recherche « archéologique ». Le
« silence » de la folie ne veut pas dire, comme le pense Derrida, que la folie elle-même est
un silence. Cela veut dire que l’existence de la folie à l’âge classique est inséparable de ces
apparences dans lesquelles elle figurait à l’intérieur des pratiques (discursives et non-
discursives).
61
88
Ibid., p. 283. Je souligne.
62
89
Foucault montre justement que la limite établie par la raison produit en même temps
la « forme » à l’intérieur de laquelle la « folie » devient possible. Et le franchissement de
cette limite n’est pas identique à la « transformation ».
90
FOUCAULT Michel, Dits et écrits III (1976-1979), Paris, Gallimard, 1994, p. 404.
64
91
FOUCAULT Michel, Dits et écrits, 1954-1988, Paris, Gallimard, 2001. V.1: 1954-
1975, p. 634 : « Je cherche à diagnostiquer, à réaliser un diagnostic du présent […]. »
65
92
Il semble qu’elle ne puisse être ébranlée que par certaines expérimentations
surréalistes.
66
le sens se découvre dans le système des lacunes, des réticences, des défauts,
des hiatus.
Voici quelques exemples des symptômes qu’on trouve dans les
recherches de Foucault :
1. Comme nous avons déjà mentionné, dans l’Histoire de la folie il y a
une idée qui traverse tout le livre comme un fil rouge : l’idée selon
laquelle il existe à l’âge classique un déséquilibre entre deux sphères
de l’existence de la folie – la sphère pratique et la sphère théorique.
2. Dans sa recherche sur la sexualité dans la société bourgeoise en train
de naître, Foucault note qu’il existe une contradiction entre, d’une part,
les restrictions auxquelles sont soumises les manifestations de la
sexualité dans la vie sociale93, et, d’autre part, l’incitation à exprimer
ces manifestations, bien qu’elles soient défendues, dans une sphère
certaine de l’existence individuelle (dans le cadre de la pratique de
l’aveu).
3. Dans sa recherche sur « La technologie politique des individus »
Foucault remarque une contradiction qui existe entre les boucheries
collectives et les programmes de la protection sociale de l’individu :
93
L’exemple le plus frappant que cite Foucault, c’est une fondation en Allemagne de
l’école pour les garçons où la conduite sexuelle des élèves a été soumise à un contrôle
incessant dans le but de rendre impossible « le péché de la masturbation ».
94
FOUCAULT Michel, Dits et écrits IV (1980-1988), Paris, Gallimard, 1994, p. 815.
68
Dans ces exemples, nous avons affaire avec l’analyse dont la « force
propulsive » est une absence de lien évident. C’est cette absence qui demande
à être interprétée. Le but paradoxal que se propose une telle analyse consiste à
clarifier le sens de l’absence. L’objection qui pourrait être adressée à telle
analyse, pourrait être formulée de la manière suivante : le chercheur qui
pratique ce type d’analyse est voué à une recherche infructueuse et aux
interprétations fausses parce qu’il cherche à expliquer des phénomènes qui
appartiennent à des champs principalement différents et qui ne peuvent pas
être mis sur le même plan, tout comme ils ne peuvent être ni comparés, ni
confrontés. En effet, la « pratique de l’internement » et l’histoire des décrets
et des institutions destinées à définir le statut social de la « folie » font partie
de l’histoire du développement des établissements sociaux, tandis que les
théories qui concernent le phénomène des déviances psychiques forment une
toute autre histoire, celle de la psychiatrie comme branche de la théorie
médicale générale. Aussi, l’évolution et l’usage des appareils de destruction
appartiennent à l’histoire des rapports internationaux stratégiques, à l’histoire
des guerres et des accords, tandis que le développement des programmes de
protection sociale fait partie de l’histoire du devenir de la société
démocratique.
Pourtant, c’est dans cette réunion d’éléments hétérogènes dans un
champ unique de problématisation que consiste la spécificité du travail
historique de Foucault. Sa méthode ne reconnaît pas un sens déjà donné dans
des évidences historiques incontestables comme, par exemple, les conflits
internationaux, les institutions sociales etc.
69
Chapitre 3.
La polémique sur la raison et la Déraison (Foucault-Derrida)
95
En particulier, il faudrait considérer séparément la question en quoi ces idées sont
différentes des « idées » (ideae) qui sont devenues un objet de la philosophie (et des
polémiques philosophiques) des Temps Modernes.
71
conception de Foucault. Mais pour Derrida cette différence n’a pas de portée
décisive. Cela s’explique en premier lieu par la différence des stratégies
interprétatives.
Foucault considère le texte comme une formation intégrale qui a été
formée selon une série de règles certaines qui déterminent une vérité
significative pour telle ou telle « coupe » historique. Ces règles et les
mécanismes de la formation de la vérité constituent l’objet de l’analyse
« archéologique » (c’est cela qu’on peut appeler une « stratégie
archéologique »). Ce sont eux qui déterminent la différence entre l’expérience
qui est englobée à l’âge classique par la notion de « folie » et celle qui
précède cette expérience-même et qui est englobée par la notion de
« Déraison ». Cette différence constitue la vérité « archéologique » principale
de l’Histoire de la folie. On ne pourrait pas saisir cette vérité sans avoir
appliqué la stratégie archéologique : le texte des Méditations de Descartes est
examiné par Foucault dans la mesure où la vérité archéologique y est
présentée dans une forme discursive.
En revanche, pour la stratégie propre à Derrida, la « coupe » historique
du texte n’apparaît pas déterminante. La lecture déconstructiviste se fonde sur
l’hypothèse selon laquelle il existe un « reste » textuel qui n’a pas été
approprié par le temps concret. Derrida examine le texte comme une sorte de
mosaïque, désagrégée en micro-éléments, qui sont hétérogènes, bien qu’ils
investissent les frontières de l’une et de l’autre « unicité textuelle »
(« l’œuvre »). L’appartenance du texte à un « âge » (« époque ») ne constitue
qu’une « couche secondaire ». L’interprétation doit la dépasser afin
d’atteindre un niveau du texte où le sens qu’il exprime doit être libéré de
toutes caractéristiques temporelles (que l’on peut appeler, non sans
précautions, caractéristiques « historiques ») qui conditionnent sa qualité
anthropologique. Par exemple, dans son interprétation du texte des
Méditations, Derrida met en évidence, d’une part, les éléments qui
74
96
DERRIDA Jacques, De la Grammatologie, Paris, Minuit, 1967, p. 233.
97
Selon Canguilhem, l’Histoire de la folie est devenu un événement. (CANGUILHEM
Georges, « Sur l’Histoire de la folie en tant qu’événement », Le Débat, № 41. Septembre-
novembre. 1986. P. 37–40). Sa parution a eu tout de suite des échos auprès d’intellectuels
français universellement connus : Maurice Blanchot et Roland Barthes lui ont consacré des
critiques détaillées.
75
98
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, collection
« Bibliothèque des Histoires », 1972, p. 583–603.
99
FOUCAULT Michel, Dits et écrits, 1954-1988, Paris, Gallimard, 2001. V.1: 1954-
1975, p. 1149–1164.
100
DERRIDA Jacques, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 56 et 66.
77
101
Ibid., p. 54-55.
102
Ibid., p. 67-68.
103
Ibid., p. 56-59.
104
Ibid., p. 53. Derrida se rendait sans doute compte qu’il utilise ainsi le paradigme
psychanalytique : dans ce passage, il fait référence à L’Interprétation des rêves de Freud.
78
105
Ibid., p. 70. « En particulier en ce qui regarde Descartes, on ne peut répondre à
aucune question historique le concernant — concernant le sens historique latent de son
propos, concernant son appartenance à une structure totale — avant une analyse interne
rigoureuse et exhaustive de ses intentions patentes, du sens patent de son discours
philosophique ».
106
Ibid., p. 54. Le passage consacré à l’interprétation de Descartes se trouve aux pp. 71-
82.
79
Le premier paragraphe.
On entreprend ici de limiter l’universalité du doute par la sphère des
choses « peu sensibles et fort éloignées »107. Derrida avance l’hypothèse selon
laquelle l’intention de limiter le doute appartient non pas au sujet de la
« méditation », mais à son « opposant virtuel ». Et le passage où apparaît la
figure de la folie, selon Derrida, est un élément interne à une étape du
mouvement de la réflexion dont l’essentiel est la tentative de limiter
l’universalité du doute. Le sens de l’apparition de la figure de la folie est le
suivant : il faut éliminer de la sphère de ce qui peut être soumis au doute
l’expérience du corps, parce que soumettre au doute la certitude de son corps
voudrait dire s’avérer fou. C’est en cela que consiste le rôle que joue dans le
texte des Méditations l’histoire sur les rois nus. Et c’est parce que l’intention
du sujet de la « méditation » ne coïncide pas avec l’intention du sujet
opposant que le paragraphe suivant commence par le mot « toutefois ». Ce
paragraphe est une démonstration que l’argument du sujet opposant n’est pas
valide. L’exemple du sommeil et du rêve joue un rôle de réfutation de la
prétention à limiter le doute. Il démontre qu’il y a des raisons de douter de la
certitude de l’expérience du corps. Et ces raisons sont tellement sérieuses108
qu’il convient de reconnaître que l’hypothèse du sommeil et du rêve est
valide. C’est pourquoi le paragraphe suivant commence par les mots
« Supposons donc maintenant que nous sommes endormis… ». Ce moment
107
« Sed forte, quamvis interdum sensus circa minuta quaedam & remotiora nos fallant
[…] » (DESCARTES René, Meditationes de Prima Philosophia, Stuttgart, Reclam, 1994, s.
64). Cf.: DESCARTES René, Œuvres et lettres, Paris, Pléiade, 1953, p. 268.
108
Il est impossible de distinguer la veille d’avec le sommeil : là maintenant, dans le
moment même de la réflexion, « c’est avec dessein et de propos délibéré (prudens et
sciens) que j’étends cette main » et je ressens cela avec une clarté qui est impossible pour
celui qui dort ; mais dans le même instant, je me ressouviens d’avoir senti la même chose
lorsque je dormais ; et de cette pensée, « j’en suis tout étonné » (« je suis en stupeur
(stupor) », comme le dit le texte latin) ; « et mon étonnement (stupor) est tel, qu’il est
presque capable de me persuader que je dors ». DESCARTES René, Œuvres et Lettres,
Paris, Gallimard, 1953, p. 269.
80
109
DERRIDA Jacques, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 85. Ou aussi
« l’étape naïve, naturelle et prémétaphysique de l’itinéraire cartésien » (Ibid., p. 81).
110
Ibid., p. 81. « [...] la phase proprement philosophique, métaphysique et critique du
doute ».
111
Ibid., p. 72.
112
Ibid., p. 79.
81
113
À notre avis, cette remarque de Derrida est en quelque sorte essentielle. Elle marque
la limite de l’interprétation déconstructiviste. Ainsi, Derrida désigne qu’il parle, au sens
strict, non pas de l’expérience, mais des hypothèses, des « instruments du doute ». Et il
trouve des raisons pour cela dans le texte de Descartes : dans une des notes, il insiste sur le
fait que Descartes ne thématise pas la folie (on pourrait ajouter, tout comme il ne thématise
pas le rêve). Et cela veut dire que la folie (tout comme le rêve) n’est pas un objet de la
réflexion dans les Méditations. (Ibid., p. 79).
114
L’hypothèse de la folie « n’affectait, de manière contingente et partielle, que
certaines régions de la perception sensible » (DERRIDA Jacques, L’écriture et la
différence, Paris, Seuil, 1967, p.79), « ne couvre pas la totalité du champ de la perception
sensible » (Ibid.) ; « la folie n’est qu’un cas particulier, et non le plus grave, d’ailleurs, de
l’illusion sensible qui intéresse ici Descartes » (Ibid., p. 77), alors que l’hypothèse du rêve
« ruinera tous les fondements sensibles de la connaissance » (Ibid., p.78).
115
Ibid., p. 79.
82
distinguait des gens normaux. Descartes ne les exclut pas plus qu’il n’exclut
tous ceux pour qui son projet de soumettre au doute « la totalité de
l’étantité »116 va trop loin. Descartes les exclut parce qu’ils doutent de trop
peu de choses. Le sujet méditant doute de beaucoup plus de choses, lorsqu’il
suppose que le monde est une illusion qui nous est inspirée par le Malin
Génie : il doute de tout. C’est ainsi qu’il pousse le doute à un niveau où ces
drôles d’hommes n’osent pas le pousser. C’est pourquoi c’est ce sujet
méditant qui mérite d’être appelé un vrai fou, un fou authentique.
Dans la partie finale de son article 117 , Derrida formule une thèse
importante, qui a des conséquences considérables. Cette thèse pose que le
cogito est une trace de la folie absolue. Dans le cadre de la recherche qui est
la nôtre, il est impossible de mettre entièrement à jour le sens de cette thèse.
Nous nous limitons à indiquer l’essentiel de cette thèse : Derrida établit par-là
entre la folie et le cogito un rapport de continuité et d’homogénéité. Bien sûr,
il ne dit pas que le cogito est le fruit de la folie. Ce serait une thèse grossière
et manifestement fausse. Leur homogénéité est postulée par Derrida d’une
manière plus sophistiquée : à travers une autre thèse selon laquelle « la
certitude [du cogito] […] n’est pas à l’abri d’une folie enfermée, elle est
atteinte et assurée en la folie elle-même »118.
C’est en cela que consiste la différence la plus essentielle entre
l’interprétation archéologique et l’interprétation déconstructiviste : Foucault
considère le cogito comme le résultat de l’opération de l’exclusion, tandis que
Derrida affirme qu’ils ont une certaine identité. Bien que cette différence se
trouve à un niveau textuel, sa portée s’étend beaucoup plus loin.
L’interprétation déconstructiviste non seulement met en question
116
Ibid., p. 87.
117
Ibid., p. 83-97.
118
Ibid., p. 86.
83
119
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, collection
« Bibliothèque des Histoires », 1972, p. 593. Voir aussi FOUCAULT Michel, Dits et écrits
II (1970-1975), Paris, Gallimard, 1994, p. 256.
85
120
FOUCAULT Michel, Dits et écrits II (1970-1975), Paris, Gallimard, 1994, p. 256.
86
121
FOUCAULT Michel, Dits et écrits II (1970-1975), Paris, Gallimard, 1994, p. 253.
122
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972,
p. 148. On trouve dans le même passage un exposé de la relation génétique liant la
conscience médicale naissante à la conscience juridique.
87
123
FOUCAULT Michel, Dits et écrits II (1970-1975), Paris, Gallimard, 1994, p.267.
88
124
Ibid.
125
Ibid., p. 263.
N. HAROU-ROMAIN. Projet de pénitencier, 1840. Un détenu, dans sa cellule, fait sa prière devant
la tour centrale de surveillance. Reproduit dans FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Paris,
Gallimard, 1975.
Section II.
Entre exclusion et inclusion : la prison et les
disciplines
Chapitre 1.
De l’internement à l’isolement. L’histoire politique du corps
126
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 18.
95
127
Ibid., p. 104.
128
Ibid.
129
Dans le cadre de ce paradigme, l’âme dans laquelle la trace s’imprime (c’est-à-dire,
la perception qu’a le spectateur du supplice public) est comprise à partir de l’idée que sa
nature est corporelle. L’âme est un « prolongement » du corps et aucune rupture, aucun vide
ne la sépare de lui, ce qu’on retrouvera dans la métaphysique cartésienne des deux
substances. Dans le cadre du paradigme de la souveraineté, le principe métaphysique
médiéval de la corporéité de l’âme règne.
130
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 43-44.
96
131
Cf. FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, p. 99 : « […] s’il faut
soigner le corps […], il convient de châtier la chair […]; et non seulement la châtier, mais
l’exercer et la meurtrir, ne pas craindre de laisser en elle des traces douloureuses […] ».
97
132
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 111-112.
133
Ibid., p. 112.
98
« […] dans nos sociétés, les systèmes punitifs sont à replacer dans
une certaine « économie politique » du corps : même s’ils ne font pas
appel à des châtiments violents ou sanglants, même lorsqu’ils
utilisent les méthodes « douces » qui enferment ou corrigent, c’est
bien toujours du corps qu’il s’agit – du corps et de ses forces, de leur
utilité et de leur docilité, de leur répartition et de leur
soumission »135.
134
Ibid., p. 31. Je souligne.
135
Ibid., p. 33.
136
Ibid., p. 38.
99
137
Robert Castel, disciple radical de Foucault faisant dériver le projet de l’histoire de la
folie vers la critique antipsychiatrique, insiste, non sans entrer dans la polémique avec le
« maître », sur le fait que les Hôpitaux Généraux du XVII-XVIIIème siècle ainsi que les
cliniques psychiatriques qui leur succèdent, ont instrumentalisé le pouvoir absolu, et cela
dès après que le régime politique de la monarchie absolue a cessé d’exister. Voir Chapitre 2
de la Section II.
100
138
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, p. 87-88.
101
139
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, p. 87.
140
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 233.
141
Ibid.
102
142
Ibid., p. 234-235. Je souligne.
103
les vivants, les malades et les morts — tout cela constitue un modèle
compact du dispositif disciplinaire. »143
« Plutôt que le partage massif et binaire entre les uns et les autres,
elle appelle des séparations multiples, des distributions
individualisantes, une organisation en profondeur des surveillances
et des contrôles, une intensification et une ramification du
pouvoir. »144
143
Ibid., p. 230.
144
Ibid., p.231.
145
Ibid., p. 232.
146
Ibid., p. 232-233.
147
Ibid., p. 236.
104
148
Ibid., p.236.
149
Ibid., p. 239.
150
Ibid., p. 239-240.
151
Ibid., p. 242.
105
Bien que ces deux espèces, ou plutôt, ces deux variétés de la discipline
s’opposent, elles constituent deux pôles d’un seul mécanisme uni et
n’agissent jamais séparément : chacune d’elle suppose l’autre. De plus, la
discipline-blocus est une institution première par rapport à la discipline-
mécanisme. Jusqu’au XVIIIème siècle cependant, les disciplines-blocus,
réduites à leur fonction négative, avaient une position marginale dans la
152
Ibid., p. 244.
106
153
Ibid., p. 246.
154
Ibid.
155
Ibid. Je souligne.
107
156
Ibid., p. 273.
157
Il serait intéressant de mettre ici en parallèle les notions d’internement et
d’isolement, ce afin de permettre une sorte de lecture parallèle de l’Histoire de la folie et
de Surveiller et punir. L’internement de la folie qui, selon Foucault, a emprunté les
méthodes de la lutte contre la lèpre, introduit dans l’exercice du pouvoir la division binaire
« malade-sain », « normal-anormal », « criminel-légal » etc. Robert Castel ramène
l’opération d’internement à une fonction souveraine du pouvoir psychiatrique (voir Section
II, Chapitre 2) ; à sa suite, on pourrait appeler ce type de division, de partage, l’« isolement
souverain ». L’« isolement disciplinaire », qui est appelé dans Surveiller et punir simple
« isolement », agit déjà dans les cadres binaires et les lignes de démarcation posées par
l’isolement souverain. Le but de l’« isolement », consiste à segmenter verticalement
l’espace déjà isolé (dans l’opération de l’internement, par exemple), où le temps même est
suspendu. Cette segmentation verticale est manifeste dans le cas de la lutte contre la peste.
L’isolement pénitentiaire, quand à lui, unit deux types d’isolement : séparation horizontale
du détenu par rapport au monde extérieur (la prison) et séparation verticale vis-à-vis des
autres détenus, dans un segment spatial étroit (la cellule). D’un côté la ville close, à laquelle
correspond la prison, et de l’autre, une partie de celle-ci, un quartier, séparé et placé sous le
contrôle incessant de l’instance surveillante, à lequel correspond la cellule. Soit l’exclusion
et la solitude, deux types d’isolement qui se superposent l’un à l’autre.
158
Du fou, du libertin, du prodigue etc.
159
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 275.
160
Ibid., p. 289.
108
[…] »161. C’est dans ce contexte que le mécanisme du panoptique en tant que
« à la fois surveillance et observation » 162 est devenu le principe matériel
principal pour la constitution de l’espace pénitentiaire. L’objectif du
panoptique est de « […] constituer une prison-machine avec une cellule de
visibilité où le détenu se trouvera pris comme « dans la maison de verre du
philosophe grec […] »163. Le corps isolé doit constituer un objet de contrôle
incessant. La surveillance naît de l’union de l’isolement avec le contrôle.
- Transformation : « […] la privation de liberté […] a dû, dès le
départ, exercer un rôle technique positif, opérer des transformations sur les
164
individus » . C’est le travail qui joue le rôle décisif dans cette
transformation. « Le travail pénal doit être conçu comme étant par lui-même
une machinerie qui transforme le détenu violent, agité, irréfléchi en une pièce
qui joue son rôle avec une parfaite régularité »165. Le résultat du travail dans
la prison, c’est la production « des individus mécanisés selon les normes
générales d’une société industrielle »166.
La prison en tant que machine unie et bien réglée établit les rapports
réguliers et stables entre l’ancien « grand renfermement », les nouveaux
principes « humains » de la justice et les techniques disciplinaires en train de
naître, et les intègre les uns dans les autres.
161
Ibid.
162
Ibid.
163
Ibid., p. 290.
164
Ibid., p. 287-288.
165
Ibid., p. 281.
166
Ibid.
109
***
167
Ibid., p. 347-348. Je souligne.
110
168
DELEUZE, Gilles, Foucault, Paris, 1986/2004, p.84.
111
169
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 291. Je souligne.
113
Chapitre 2.
Les querelles foucaldiennes : la souveraineté dans la discipline (R.
Castel), la normalisation positive (F. Ewald), le schéma du contrôle
(M. Potte-Bonneville vs G. Deleuze)
des « restes » qui demeurent malgré tout, malgré les passages et changements
ayant affecté l’histoire du pouvoir ?
Pour Castel la question des « restes » est essentielle. C’est dans cette
perspective qu’on peut le qualifier de « foucaldien radical », notamment
lorsqu’il avance que
170
Voir CASTEL, Robert « “Problematization” as a Mode of Reading History » //
Foucault and the Writing of History / Ed. by J. Goldstein. Cambridge, Mass.: Blackwell,
1994. La version courte de ce texte en français : CASTEL, Robert « Présent et généalogie
du présent : une approche non évolutionniste du changement ». In : Au risque de Foucault,
Paris, Centre Georges Pompidou, Centre Michel Foucault, 1997, p. 161-169.
115
représentent des dangers pour l’équilibre social »171) étaient rassemblés. Pour
citer une nouvelle fois ce passage essentiel chez Foucault :
171
CASTEL Robert, L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1976, p.67.
172
FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l’âge classique, pp. 95-96.
173
Ibid., p. 148.
116
174
CASTEL, Robert, L’ordre psychiatrique, p. 59.
117
175
FOUCAULT Michel, Le Pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France. 1973-
1974, Paris, Gallimard, Seuil, 2003, p.17.
118
***
176
Cf. chez Foucault : le panoptique est à la fois « isolement et transparence »
(FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 289.).
120
177
DELEUZE, Gilles, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle. » In : DELEUZE,
Gilles, Pourparlers, Les Éditions de Minuit, 1990/2003, p. 245.
178
Texte intitulé « Pouvoir-Savoir » (L’IMEC, Fonds de Michel Foucault, Cote FCL
5.9). Cf. aussi : EWALD François, « Norms, Discipline, and the Law » // Representations,
№.30, Special Issue: Law and the Order of Culture (Spring, 1990), pp. 138-161.
121
***
Ce qui pour Robert Castel était une raison pour commencer une
nouvelle étape de la lutte sur la base de la théorie antipsychiatrique, comprise
d’une manière spécifique, semble pour Ewald – qui se fonde notamment sur
son interprétation de la théorie de la sexualité chez Foucault – une faute. En
refusant de reconnaître le pouvoir comme une essence, Ewald proclame
l’avènement d’une nouvelle époque sans pouvoir et sans exclusion. Le
principe général de la nouvelle société, c’est la norme qui garantit la
transparence absolue et la communication entre toutes les institutions.
122
Grand Renfermement. Mais on ne saurait être d’accord avec cette autre thèse :
par ce biais, la question du pouvoir est refoulée ou, du moins, devient
secondaire. Or c’est tout le contraire : comme nous avons tâché de le montrer
dans la première section, le savoir de la folie s’est établi sur le fondement et
dans l’espace érigés par la procédure de l’exclusion. C’est seulement dans la
mesure où cet espace existe déjà que ce savoir devient possible comme tel.
Ewald dit littéralement le contraire : il n’existe pas de pouvoir avec ses
leurres et ses pièges (et, au bout du compte, avec sa violence), d’une côté, et
de savoir basé et fondé sur lui. Le pouvoir, il faut le comprendre désormais à
partir de la fameuse notion foucaldienne de « régime de la vérité » : il s’agit
dès lors pour toute analyse politique de comprendre comment le savoir
déclenche les mécanismes concrets du pouvoir179. C’est en effet le savoir qui
actualise et justifie le pouvoir. Et, sur ce point-là, la « nouvelle philosophie
politique » d’Ewald se montre en quelque sorte comme une théorie de la
politique qui s’appuie sur un ancien paradigme aristotélicien bien connu :
l’énergie versus l’entéléchie, la potentialité versus l’actualisation. Parce que,
si le savoir est une entéléchie et une actualisation du pouvoir, si c’est le savoir
179
Voilà néanmoins ce que dit Foucault lui-même à propos des « processus de la
véridiction », l’expression qui, nous le pensons, représente une autre manière de formuler la
question du « régime de vérité » : « Par exemple, à propos de la folie. Le problème, ce
n’était pas de montrer que dans la tête des psychiatres s’était formée une certaine théorie
ou une certaine science ou un certain discours à prétention scientifique qui aurait été la
psychiatrie et qui se serait concrétisée ou qui aurait trouvé son lieu d’application à
l’intérieur des hôpitaux psychiatriques. Il ne s’agissait pas non plus de montrer comment
des institutions d’enfermement existant depuis longtemps avaient, à partir d’un certain
moment, sécrété leur propre théorie et leur propre justification dans quelque chose qui
avait été le discours des psychiatres. Il s’agissait d’étudier la genèse de la psychiatrie à
partir [de], et à travers des institutions d’enfermement qui étaient originairement et
essentiellement articulées sur des mécanismes de juridiction au sens très large, - puisqu’il
se trouvait que c’étaient des juridictions de type policier, mais enfin, pour l’instant, à ce
niveau-là, ça n’a pas tellement d’importance -, et qui, a partir d’un certain moment et dans
des conditions qu’il s’agissait précisément d’analyser, ont été à la fois soutenues, relayées,
transformées, déplacées par des processus de véridiction. » (Je souligne.). (FOUCAULT
Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France. 1978-1979, Paris,
Seuil/Gallimard, 2004, p. 35-36.)
124
***
180
ARTIÈRES, Philippe, POTTE-BONNEVILLE, Mathieu, D’après Foucault : Gestes,
luttes, programmes, Paris, 2007.
181
DELEUZE, Gilles, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle. » In : DELEUZE,
Gilles, Pourparlers, Les Éditions de Minuit, 1990/2003, p. 243.
126
cette philosophie utilise. Ce qui veut dire, au bout du compte, que Surveiller
et punir est une recherche sur le savoir, et non pas sur la technique et les
mécanismes. Il semble que sur ce point-là, Potte-Bonneville engage un débat
avec une conception ewaldienne : « la description [à l’œuvre dans Surveiller
et punir] est […] adossée à l’histoire du carcérale »182 ; dans Surveiller et
punir Foucault propose tout d’abord « l’analyse […] des techniques de
pouvoir initiées au XIXème siècle » 183
. Bien que l’affrontement avec
l’« ewaldisme » ne soit pas explicite dans le texte de Potte-Bonneville, il nous
semble possible d’en faire une telle lecture.
Un objet manifeste de la critique de Potte-Bonneville est l’idée
d’identité entre la discipline et le contrôle. C’est notamment cette identité, la
réduction des mécanismes de la discipline à ceux du contrôle, que vise son
argumentation. Et ses objectifs profonds consistent à restituer le sens
authentique de la recherche foucaldienne sur la discipline. Les analyses de
Potte-Bonneville montrent d’une part qu’il ne fait pas de doute que « […] les
disciplines ont pour différence spécifique, vis-à-vis des régimes antérieurs de
pouvoir, l’usage généralisé du contrôle »184. Mais c’est seulement une partie
de la vérité, puisque, d’autre part,
182
Ibid., p. 252.
183
Ibid.
184
Ibid.
185
Ibid., p. 253.
127
186
Ibid., p. 255.
187
Ibid.
188
Ibid.
128
modernité. Voici une phrase qui nous semble décisive : « Il se peut que de
vieux moyens, empruntés aux anciennes sociétés de souveraineté, reviennent
sur scène, mais avec les adaptations nécessaires » 189 . Ce que veut dire
Deleuze, c’est, au bout du compte, cela : il faut faire attention à ces nouvelles
tendances qu’on entrevoit dans notre modernité. Il faut y faire attention, parce
qu’il se peut que l’ancien monstre revienne encore sous une nouvelle
apparence. Les nouvelles tendances qu’on aperçoit dans les régimes des
prisons, des écoles, des hôpitaux, d’entreprise,
***
189
DELEUZE, Gilles, « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle. » In : DELEUZE,
Gilles, Pourparlers, Les Éditions de Minuit, 1990/2003, p. 246.
190
Ibid., p. 247. Je souligne.
129
191
Depuis que nous avons travaillé sur le dactylogramme de ce texte à l’IMEC, ce texte
a été complété par de nouvelles découvertes éditoriales et édité : FOUCAULT Michel, Mal
faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice, Presse universitaire de Louvain, 2012. Ici
nous citons d’après le dactylogramme.
130
192
L’IMEC, Fonds de Michel Foucault, Les enregistrements audio. Repris dans Dits et
écrits. Nous citons d’après l’enregistrement.
131
- parce que ce pouvoir est « dispersé » dans tout le corps social, ces
luttes sont des luttes diffuses et décentrées ;
- parce que ce pouvoir ne s’exerce pas « quelque part là-bas », mais
toujours « ici », ces luttes sont des luttes immédiates : « elles s’en
prennent aux instances de pouvoir les plus proches, elles s’en prennent
à tout ce qui s’exerce immédiatement sur les individus ».
Et, néanmoins, on ne peut pas sous-estimer l’ampleur de ces luttes. Ce
genre de résistance a pour objectif « les faits de pouvoir eux-mêmes ». « Ce
qui est en question dans ces luttes, c’est le fait qu’un certain pouvoir
s’exerce, et que le seul fait qu’il s’exerce soit insupportable ». Il est vrai que
« la philosophie analytique de la politique » (idée que Foucault développe
dans cette conférence) n’est pas encline à considérer le pouvoir comme une
essence. Elle le définit plutôt comme un jeu ou des jeux. Pour « la philosophie
analytique de la politique », le pouvoir se joue. Malgré tout, l’enjeu de la lutte
et de la résistance reste plus ou moins global : il s’agit « de résistances au jeu
et de refus du jeu lui-même ». Ces jeux de pouvoir, « on ne veut tout
simplement plus de ces jeux-là ».
133
Chapitre 3.
L’assujettissement du corps : les disciplines et la production des
individus. La question de la délinquance
193
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 161. Je souligne.
134
194
Ibid., p. 162. Je souligne.
195
Ibid. Je souligne.
196
Ibid., p. 166.
197
Ibid.
135
198
Ibid., p. 168.
199
Ibid. Je souligne.
200
Ibid.
136
Ce qui est remarquable, c’est que les mesures de l’usage univoque dans
les hôpitaux visaient au départ les choses (par exemple, la « localisation des
médicaments dans des coffres fermés ») et c’est seulement après qu’elles
furent étendues aux hommes (« un système pour vérifier le nombre réel des
malades, leur identité », « puis on réglemente leurs allées et venues, on les
contraint à rester dans leurs salles ; à chaque lit est attaché le nom de qui s’y
trouve »).
L’exemple du développement de l’usage de l’espace dans les hôpitaux
maritimes montre que c’est l’usage de l’espace en tant qu’« espace
administratif et politique » qui est primaire. C’est seulement dans un second
temps qu’il « s’articule [peu à peu] en espace thérapeutique » 202 . L’usage
politico-administratif tendait à localiser les choses et les phénomènes,
l’espace médical pour sa part « tend à individualiser les corps, les maladies,
les symptômes, les vies et les morts ; il constitue un tableau réel de
singularités juxtaposées et soigneusement distinctes »203. L’autre exemple de
l’usage univoque et utile de l’espace c’est celui fourni par les usines (les
manufactures) apparues à la fin du XVIIIème siècle. Ici le principe du
« quadrillage individualisant » se complique, car dans l’espace de l’usine il
201
Ibid., p. 169.
202
Ibid.
203
Ibid. Je souligne.
137
204
Ibid., p. 169-170.
205
Ibid., p. 171. Je souligne.
138
206
une série d’intervalles » . C’est pourquoi, la « localisation » qui
individualise les corps « ne les implante pas, mais les distribue et les fait
circuler dans un réseau de relations » 207 . L’exemple de l’organisation des
individus selon les rangs est l’organisation de la classe dans la deuxième
moitié du XVIIIème siècle. L’attribution des rangs aux élèves dépendait de
leurs succès dans les tâches et les épreuves. Les classes étaient ordonnées
selon, entre autres, les âges et la succession des matières enseignées. La place
d’un élève dans la classe était déterminée par ses qualités morales et les
qualités de ses parents. Selon la nouvelle idéologie disciplinaire de
l’enseignement la classe devait former « un grand tableau unique, à entrées
multiples, sous le regard soigneusement “ classificateur ” du maître »208.
Ainsi peut-on en conclure qu’au niveau des opérations sur l’espace, la
discipline organise les cellules, les places et les rangs, en fabriquant ainsi
« des espaces complexes : à la fois architecturaux, fonctionnels et
hiérarchiques »209. Et tout cela s’inscrit dans le cadre d’une opération spatiale
que Foucault appelle « la constitution de « tableaux vivants » qui
transforment les multitudes confuses, inutiles ou dangereuses, en multiplicités
ordonnées ». En cela, la discipline résout, au niveau de l’espace, le problème
de la formation des masses incontrôlables. Ce problème n’a pas été résolu,
mais au contraire renforcé par l’« enfermement ». La tactique disciplinaire
des tableaux résout ce problème en permettant à la fois de caractériser
l’individu comme individu (l’« individualisation ») et d’ordonner la
multiplicité (la « démassification »). Le « tableau » assure le contrôle et
206
Ibid.
207
Ibid.
208
Ibid., p. 173.
209
Ibid.
139
210
Ibid., p. 175.
211
Ibid.
212
Ibid., p. 176.
213
Ibid., p. 177.
214
Ibid., p. 178.
140
Par la suite ces deux séries s’unissent par le biais d’un certain nombre
de gestes simples (appuyer, plier) établissant ainsi « la suite canonique » de
ces gestes qui constitue « les prescriptions explicites et contraignantes ».
215
Ibid.
216
Ibid., p. 180.
217
Ibid.
141
218
Ibid. Je souligne.
219
Ibid. Je souligne.
142
220
Ibid., p. 182. Je souligne.
221
Ibid., p. 185.
143
222
Ibid. Je souligne.
223
Ibid.
224
Ibid., p. 186.
144
225
Ibid., p. 188-189.
145
226
Ibid., p. 189.
227
Ibid., p. 196.
146
228
Ibid.
229
Ibid., p. 191.
230
Ibid., p. 192. Je souligne.
147
231
Ibid., p. 193.
232
Ibid., p. 195.
233
Ibid., p. 196-197.
148
***
234
Ibid., p. 199.
235
Ibid., p. 200. Je souligne.
149
236
Ibid. Je souligne.
237
Ibid. Je souligne.
238
Ibid., p. 201.
150
239
Ibid., p. 202.
151
240
Ibid.
241
Ibid. Je souligne.
152
242
prochaine. » En tant qu’« instrument d’action médicale », l’hôpital
nouveau doit développer de nouvelles formes, notamment au niveau des
bâtiments et de la séparation des malades pour éviter la contagion, mais aussi
afin d’assurer une meilleure ventilation. « Dans sa matérialité même »,
explique Foucault, il devient « un opérateur thérapeutique. »243 Plus proche
de l’idée de discipline, l’école bâtiment – dans un objectif semblable de
réinvention architecturale – va viser à devenir un « opérateur de dressage ».
C’est particulièrement le cas de l’École militaire de Paris.
Les objectifs sont multiples dans ce cas-ci mais ils reposent tous sur la
possibilité de pouvoir observer le sujet dressé et, si besoin est, de corriger ses
attitudes. L’impératif militaire exige d’obtenir des corps aptes au combat
(impératif de santé), le dressage doit viser à former des officiers possédant les
compétences nécessaires (impératif de qualification), il faut également viser
une stricte obéissance de l’individu militaire (impératif politique) et veiller à
éviter tout écart dans les comportements privés, notamment sexuels (impératif
de moralité). Autant de raisons qui nécessitent aussi bien de cloisonner les
individus que de réaliser au sein de l’architecture militaire des « percées » qui
permettront l’observation des sujets qu’exige leur dressage, jusqu’aux lieux
d’aisance :
242
Ibid., p. 203.
243
Ibid.
153
Il n’est pas anodin de noter, comme le fait Foucault, que c’est au cours
de sa visite de l’École Militaire que le frère de Bentham conçoit pour la
première fois l’idée du Panopticon.
La question qui se pose alors est d’obtenir, au-delà de cette
multiplication des moyens d’observation, donc des regards attachés à la
discipline, un pouvoir le plus homogène possible, à même d’abolir les
discontinuités de l’observation en reliant en un tout les différents regards. Il
ne doit en somme rester qu’un œil, « centre vers lequel tous les regards sont
tournés ». Foucault donne l’exemple de la saline royale d’Arc-et-Senans,
construite par l’architecte du roi Claude-Nicolas Ledoux, exemple typique du
prestige de l’architecture circulaire dans la deuxième moitié du XVIIIème
siècle et expression d’une « certaine utopie politique. » 245 Si le projet de
Ledoux s’inscrit dans l’esprit humaniste des Lumières, notamment en visant à
rassembler autour d’un bâtiment central différents corps de métier, l’ensemble
architectural a bien une fonction de contrôle, que symbolise l’oculus présent
au fronton de la maison du directeur qui occupe le centre du tout. C’est bien
l’œil du maître, symbole des impératifs de contrôle sur les individus
rassemblés autour du centre (tant pour les questions de mœurs que pour éviter
la contrebande de sel).
La figure du cercle n’est cependant pas forcément la forme la plus
adaptée pour le regard disciplinaire, dans la mesure où celui-ci nécessite un
certain nombre de relais, c’est-à-dire des points d’ancrage sur lesquels
appuyer son pouvoir. Plus encore donc que le cercle, Foucault estime que la
244
Ibid., p. 204.
245
Ibid., p. 205.
154
246
Ibid.
247
Ibid., p. 206.
155
248
Ibid., p. 207-208.
249
Ibid., p. 208.
157
250
Ibid., p. 209.
251
Ibid., p. 209-210.
158
chevalier Paulet laisse à voir à chacun ce qu’il peut en coûter de s’écarter des
règles infra-pénales sur lesquelles la discipline s’appuie. En ce sens, la
sanction, qui punit un écart, est aussi la productrice de normes en donnant à
voir les conduites répréhensibles et en mettant en scène leur punition. L’écart
en question ne relève d’ailleurs pas seulement de ce qui est fait mais aussi de
ce n’est pas fait, de l’inaptitude du soldat ou de l’élève à atteindre les
objectifs qu’on lui assigne. Ce que l’élève ne fait pas (par exemple apprendre
sa leçon) peut également être sanctionné. De même le temps nécessaire à
l’apprentissage est lui-même une norme au-delà de laquelle l’élève ne doit
pas aller, sous peine de sanction (sous l’espèce par exemple d’une relégation
de l’élève jugé défaillant au « banc des ignorants »). On retrouve ici l’idée de
Guibert d’après laquelle, pour être essentiellement artificielle, la discipline
n’en doit pas moins respecter les stades du développement de l’individu visé
(particulièrement pour l’individu-enfant dont le corps et les aptitudes
intellectuelles sont les plus sujets à évoluer) par la discipline, selon les règles
généralement observées en la matière. Le contrôle disciplinaire ne peut pas
totalement se départir des exigences organiques, corporelles, des individus
disciplinés. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit à partir de ces exigences, de
ces observations faites sur les corps à discipliner, d’en tirer un certain nombre
de normes auxquelles chaque individu devra s’astreindre. Les corps ne sont
singuliers que le temps d’observer leurs exigences, leurs limites. Passé ce
temps nécessaire, des règles sont fixées qui vont s’appliquer désormais à tous
sans plus de distinction.
Fondé à réduire les écarts, le châtiment disciplinaire – comme
l’indique Foucault – se veut « correctif »252 et passe pour l’essentiel par la
répétition d’exercices basiques destinés à corriger les défauts constatés :
252
Ibid., p. 211.
159
253
Ibid.
254
On retrouvera plus tard ce thème de « l’interdit » au cœur de La Volonté de savoir
dont nous aurons l’occasion de voir à quel point il est lié au pouvoir judiciaire et pénal (cf.
Section III, Chapitre 2).
160
Référer les actes, les performances, les A pour fonction essentielle de se référer,
conduites singulières à un ensemble qui est non pas à un ensemble de phénomènes
à la fois champ de comparaison, espace de observables, mais à un corpus de lois et de
différenciation et principe d’une règle à textes qu’il faut garder en mémoire
suivre.
Différencier les individus les uns par Non pas de différencier des individus,
rapport aux autres et en fonction de cette mais de spécifier des actes sous un certain
règle d’ensemble — qu’on la fasse nombre de catégories générales
fonctionner comme seuil minimal, comme
moyenne à respecter ou comme optimum
dont il faut s’approcher.
Faire jouer, à travers cette mesure Non pas d’homogénéiser, mais d’opérer le
255
Ibid., p. 215.
162
Tracer la limite qui définira la différence (Les dispositifs disciplinaires ont sécrété
par rapport à toutes les différences, la une « pénalité de la norme », qui est
frontière extérieure de l’anormal (la irréductible dans ses principes et son
« classe honteuse » de l’École militaire). fonctionnement à la pénalité traditionnelle
de la loi.)
« La pénalité perpétuelle qui traverse tous les points, et contrôle tous les instants des
institutions disciplinaires compare, différencie, hiérarchise, homogénéise, exclut. En un
mot elle normalise. »
256
Ibid., p. 216.
163
sanction, l’examen est donc une procédure qui agrège les deux processus
essentiels de la discipline, un rite qui associe « la cérémonie du pouvoir et la
forme de l’expérience, le déploiement de la force et l’établissement de la
vérité. » 257 Il est à la fois « assujettissement » (l’objet à discipliner doit se
soumettre au regard qui va, ou non, l’intégrer à la norme) et « objectivation »
(l’assujetti en tant qu’objet normatif).
L’exemple de la médecine est particulièrement emblématique, selon
Foucault, de l’importance que va revêtir l’examen dans les sciences (par le
rituel de la visite) : le malade va se retrouver « en situation d’examen presque
perpétuel. »258 La conséquence essentielle de cette apparition de l’examen au
sein du monde médical va être de faire de l’hôpital non plus seulement, un
lieu d’assistance, mais aussi un lieu d’apprentissage, « de collation des
connaissances ».
Même phénomène à l’école où l’examen devient un rituel non plus
destiné à sanctionner au bout d’un temps défini les connaissances acquises,
mais à contrôler en permanence l’élève, dans le but tout autant de surveiller la
transmission du savoir du maître à l’élève que de fournir au maître un savoir
permanent sur ses élèves. L’élève se retrouve alors sans cesse comparé à ses
autres camarades, comparaison qui va fonder une hiérarchie permanente à
l’intérieur de la classe. Cette survenue de l’examen comme rituel fondant la
liaison entre maître et élève marque aussi l’avènement de la science
pédagogique, de la même manière qu’à l’hôpital l’examen constant d’une
malade ouvre sur un nouveau savoir et un « pas épistémologique » pour la
médecine. Au sein des armées, les manœuvres vont avoir la même fonction
que l’examen dans le milieu médical ou scolaire : il permet le développement
d’un savoir important dès les guerres napoléoniennes. « L’examen porte avec
257
Ibid., p. 217.
258
Ibid., p. 218.
164
soi tout un mécanisme qui lie à une certaine forme d’exercice du pouvoir un
certain type de formation de savoir » comme le résume bien Foucault.259
L’examen renverse les manifestations traditionnelles du pouvoir.
Fondé auparavant à « se montrer » et à faire étalage ainsi de sa puissance, le
pouvoir devient celui qui regarde, en même temps qu’il devient invisible :
« C’est le fait d’être vu sans cesse, de pouvoir toujours être vu, qui maintient
dans son assujettissement l’individu disciplinaire ». Dans ce cadre, l’examen
est la cérémonie au cours de laquelle se marque le plus cette nouvelle
« manifestation » du pouvoir, par le biais d’un « mécanisme d’objectivation »
qui fait de l’individu disciplinaire l’objet observé et plié aux volontés du
pouvoir :
259
Ibid., p. 219.
260
Ibid., p. 220.
261
Ibid., p. 221.
165
262
Ibid., p. 224.
263
Ibid., p. 225.
264
Ibid., p. 225-226.
166
265
Ibid., p. 225.
266
Ibid., p. 226.
167
***
Ainsi les individus sont-ils les produits des disciplines. Or, il faut
prendre en compte que, comme nous l’avons évoqué auparavant (section II,
Chapitre 1), la forme la plus développée et totalisante des disciplines est la
prison. C’est en cela que consiste la découverte foucaldienne à propos du
mode de fonctionnement de la prison : l’essence de la prison ne s’épuise pas
dans une fonction négative abstraite, c’est-à-dire dans la détention, la
privation juridique de liberté (« prélèvement juridique sur un bien idéal »268).
Dès le début, à partir du moment de la naissance de la prison, il est légitime
de parler « d’un excès ou d’une série d’excès de l’emprisonnement par
rapport à la détention légale – du « carcéral » par rapport au judiciaire. »269
C’est cet « excès » qui assure ce que Foucault appelle l’« autonomie » du
régime pénitentiaire.
En quoi consiste précisément cet « excès » et qu’est-ce qui se cache
derrière lui ? C’est ici que se place la deuxième découverte de Foucault : elle
consiste à dire que derrière le principe formel de la privation de la liberté –
qui est la base de l’idéologie abstraite de la prison –, on trouve les
mécanismes concrets et spécifiques qui transforment le sens abstrait du projet
inhérent à la prison. Ces mécanismes qui s’agrègent au projet pénitentiaire
« de l’extérieur », soit en contournant le principe formel juridique, sont des
mécanismes propres à la discipline. Ce sont les techniques disciplinaires qui
267
Ibid., p. 227.
268
Ibid., p.287
269
Ibid.
168
270
Ibid., p. 288. Je souligne.
169
monter auparavant (section II, Chapitre 1), s’installe et peut se déployer tel
que le pouvoir le souhaite uniquement vis-à-vis d’individus isolés, c’est-à-
dire en prenant la forme de la surveillance. En outre, explique Foucault, elle
introduit dans la procédure formelle judiciaire la dimension du savoir
disciplinaire qui à son tour contribue à l’installation de l’autonomie
pénitentiaire.
271
Ibid., p. 288-289.
272
Ibid., p. 289.
273
Ibid., p. 291.
274
Ibid.
170
275
Ibid., p. 292.
276
Ibid.
171
277
Ibid.
278
Ibid.
279
Ibid., p. 294.
280
Ibid., p. 293.
281
Ibid., p. 294.
282
Ibid., p. 295.
172
283
Ibid., p. 296.
Max ERNST. L’immaculée conception manquée. Tirée de l’ouvrage : Max ERNST, La
femme 100 têtes. Paris, Éditions du Carrefour, 1929.
Section III.
L’inclusion : le « sexe » et la « vie »
(la matrice productive du pouvoir)
Chapitre 1. Au-delà de l’hypothèse répressive : le pouvoir
et la sexualité......................................................................... 177
1. La découverte de l’instinct ............................................. 178
2. La « folie » et le « sexe » : éléments d’analogie ................ 193
3. L’« implantation perverse » ........................................... 201
4. Le dispositif de la sexualité : qu’est-ce qu’un pouvoir
productif ? ................................................................... 209
Chapitre 1.
Au-delà de l’hypothèse répressive : le pouvoir et la sexualité
1. La découverte de l’instinct
284
Pour cette idée de la finalité de l’histoire de la folie, nous sommes redevable à un
ouvrage important : LE BLANC Guillaume, La pensée Foucault, Ellipses, 2014 (à propos
de ce sujet voir surtout p. 122-131).
179
285
FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975,
Seuil/Gallimard, 1999, p. 97.
180
286
Ibid., p. 101.
287
Ibid., p. 102.
181
288
Dans les faits, Salomé Guiz, mère qui tua en 1817 son enfant de quinze mois, lui
arrachant sa cuisse droite et la faisant bouillir dans du choux. Elle sera jugée « folle pour
préserver l’honneur de l’humanité » (in Jacqueline VORBURGER, « Justice et folie »,
revue Diagonales 94, juillet-août 2013).
289
FOUCAULT, Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France, 1974-1975, p.
102.
290
Ibid., p. 105.
291
Ibid., p.102
292
Foucault précise néanmoins, au début du cours du 12 février 1975, que le mobile en
question ne sera finalement pas retenu et que la « femme de Sélestat » sera acquittée : « si
je vous avais dit qu’elle avait été condamnée, c’est une erreur : elle a été acquittée. Ça
change beaucoup à son destin (si ça ne change rien à celui de sa petite fille), mais ça ne
change pas, au fond, ce que je voulais vous dire à propos de cette affaire, dans laquelle ce
qui m’avait paru important, c’était l’acharnement avec lequel on avait essayé de retrouver
le système des intérêts qui permettrait de comprendre le crime et, éventuellement, de le
rendre punissable. » (Ibid., p. 127)
182
désamorcée, nous dit Foucault, parce que le meurtrier affirme avoir cru
reconnaître dans les enfants qu’il a tués sur un chemin du Bois de Vincennes
deux enfants de la famille royale. Louis-Auguste Papavoine est dès lors tenu
pour un être délirant. Le cas est plus difficile pour Henriette Cornier car ni
« l’assignation de raison » ni « l’assignation de folie » 293 ne semblent en
mesure d’en saisir le sens.
Pour ne pas produire des doublons du récit, nous allons reproduire
cette affaire telle qu’elle est exposée par Foucault :
« Une femme encore jeune – qui avait eu des enfants et qui d’ailleurs
les avait abandonnés, qui elle-même avait été abandonnée par son
premier mari – se place comme domestique chez un certain nombre
de familles à Paris. Et voilà qu’un jour, après avoir, à plusieurs
reprises, menacé de se suicider, manifesté quelques idées de tristesse,
elle se présente chez sa voisine, lui propose de prendre pour quelques
instants la garde de sa toute petite fille, âgée de dix-huit [rectius :
dix-neuf] mois. La voisine hésite, puis finit par accepter. Henriette
Cornier emmène la petite fille dans sa chambre, et là, avec un grand
couteau qu’elle avait préparé, elle lui coupe entièrement le cou, reste
un quart d’heure devant le cadavre de la petite fille, avec le tronc
d’un côté et la tête de l’autre, et quand la mère vient chercher sa
petite fille, Henriette Cornier lui dit : « Votre enfant est mort. » La
mère, à la fois, s’inquiète et ne le croit pas, essaye d’entrer dans la
chambre et, à ce moment-là, Henriette Cornier prend un tablier, met
la tête dans le tablier et jette la tête par la fenêtre. Elle est aussitôt
arrêtée et on lui dit : « Pourquoi ? » Elle répond : « C’est une idée.»
Et on n’a pratiquement rien pu tirer d’autre. »294
Pas plus de mobile tel que la faim (invoquée pour l’affaire Salomé
Guiz) ou le délire (pour Papavoine) dans le cas de Henriette Cornier. Et c’est
cette singularité qui va permettre à la psychiatrie criminelle de « se constituer
293
FOUCAULT Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975,
Seuil/Gallimard, 1999, p.103.
294
Ibid., p. 104
183
comme telle »295. Car, toute singulière soit-elle, cette affaire doit être jugée. Et
si, du côté de l’accusation, on cherche à tout prix à donner une « raison » au
criminel (aux deux sens que le terme recouvre dans la langue française, la
raison en tant que motif, et la raison en tant que faculté), la défense doit au
contraire tenter de démontrer l’absence de raison et d’intérêt.
Pour Foucault, c’est le fait que pouvoir judiciaire et pouvoir médical
vont se rencontrer sur ces cas difficiles où aucune raison ne paraît pouvoir
être invoquée au sujet des crimes exposés et jugés, ce qui va créer les
conditions d’un appel d’air derrière cet inconnu judiciaire que constitue
l’absence d’intérêt.
Dans son analyse de cette affaire, Foucault part des conclusions qui ont
été déjà acquises dans Surveiller et punir : que ce qu’il appelle « la nouvelle
économie du pouvoir de punir » rompt avec le mécanisme souverain et
excessif du supplice qui partait du principe qu’il faut annuler le crime par le
recours à la force démesurément supérieur par rapport au crime (désormais,
dit Foucault, « Il n’est pas question qu’une punition fasse qu’un crime n’ait
pas existé, puisqu’il existe » 296 ). Le cas du supplice de Damiens est à cet
égard emblématique, ainsi qu’a pu le montrer Foucault, précisément dans
Surveiller et punir. Pour décourager le régicide, il convient que le pouvoir se
montre démesurément fort et, une fois accomplie la tentative d’assassinat de
Damiens sur la personne du roi, le pouvoir va utiliser son supplice pour
montrer la démesure de sa force, autrement plus redoutable évidemment que
le coup de canif administré sur Louis XV par son agresseur. La férocité du
supplice de Damiens n’a évidemment de sens que parce qu’il s’accomplit sur
la place publique, sous les yeux d’une foule nombreuse et populaire. C’est de
là qu’il tire sa valeur exemplifiante et son sens. Outre d’ailleurs le supplice, la
295
Ibid.
296
Ibid., p.106.
184
297
Ibid.
298
Ibid.
185
299
Ibid., p. 107.
300
Ibid.
301
Ibid.
186
302
Ibid., p. 108.
303
Ibid., p. 109.
187
304
Ibid.
305
Ibid., p. 109-110.
188
306
Ibid., p. 110.
189
mais elle a également un rôle de prévention car c’est elle qui, en définissant
les caractéristiques du fou criminel, doit permettre d’en prévenir le
surgissement, ou d’empêcher la réalisation de l’acte. Le « crime sans raison »
réclame un savoir que seule la psychiatrie est en mesure de fournir. Ainsi
Foucault peut-il évoquer
Le crime sans raison est après tout le « crime absolu » car sans
motivation, gratuit et, plus grave, qui peut survenir à n’importe quel moment,
tant qu’on ne dispose pas du savoir qui permettra de repérer les signaux
susceptibles de caractériser l’individu à même de passer à l’acte. Proposer un
« savoir » sur le crime sans raison, c’est pour la psychiatrie faire la preuve de
sa nécessité et de son rôle social éminent. Mais il ne faut pas se tromper, la
psychiatrie reste tributaire de la justice qui, en dernier ressort, lui pose cette
question : est-ce que je peux punir ou est-ce que, puisque l’accusé est fou, il
ne relève plus de la justice, de la punition ? La psychiatrie se doit de répondre
à cette question et c’est la possibilité de fournir une réponse qui va légitimer
sa place auprès de l’institution pénale.
Revenons à présent à l’affaire Henriette Cornier. C’est là typiquement
un cas qui ne peut qu’embarrasser la justice car, comme nous l’avons déjà
souligné, ni l’assignation à la raison (le crime de faim chez la « femme de
307
Ibid., p. 112. Je souligne.
190
Sélestat »), ni l’assignation à la folie (le délire qui fait voir à Papavoine deux
enfants de la famille royale dans les deux innocents qu’il assassine au Bois de
Vincennes) ne paraissent possibles. Si bien que l’expertise psychiatrique
demandée par la défense pour leur cliente est d’abord un soulagement car
celle-ci doit permettre de trancher sur ce cas et probablement, suppose-t-on,
de conclure à la folie de l’accusée, puisque l’assignation à la raison de son
crime n’a pas pu être effectuée. Encore est-il vrai qu’il existe pour
l’accusation, souligne Foucault, la possibilité d’assigner le crime sans raison
d’Henriette Cornier à la personnalité même de l’accusée, à sa vie dissolue,
misérable : l’être même d’Henriette Cornier, dans toute son histoire, dans tout
son vécu et dans toute sa débauche, qui nécessairement devait la conduire à
un acte insensé. Or deux expertises psychiatriques successives avancent que
l’accusée, au moins le temps de l’examen, ne présente aucun signe de folie
(parmi les deux experts, le fameux aliéniste Esquirol). Mais après tout,
l’accusation – qui a pourtant accepté ces expertises psychiatriques – ne dit-
elle pas elle-même que la lucidité de l’accusée se lisait déjà dans l’acte
criminel, qui n’est pas le fruit d’une subite bouffée délirante mais bien d’une
préméditation. Et c’est bien Henriette Cornier qui dit, suite à l’assassinat de
l’enfant : « Ça mérite la peine de mort. »
« […] quelque chose qui est une énergie, une énergie intrinsèque à
son absurdité, une dynamique dont il est le porteur et qui le porte. Il
faut reconnaître une force qui est une force intrinsèque. En d’autres
308
Ibid., p. 116-117.
192
309
Ibid., p. 119.
310
Ibid.
311
Ibid.
193
312
Ibid., p. 122.
194
Ce virage pris par la psychiatrie est tout à fait essentiel. C’est celui qui
va directement conduire au fait que la psychiatrie va porter son étude sur les
petites déviances, en tant que symptômes à étudier et susceptibles de
manifester la maladie mentale. Or, évidemment, ces déviances se font par
rapport à un ordre dont la psychiatrie va devenir l’instance de définition et
donc une instance normative. Et c’est leur degré plus ou moins fort entre le
volontaire et l’involontaire qui en donne tout le sens.
313
Ibid., p. 129.
314
Ibid., p. 146.
195
315
Ibid., p. 147-148.
316
Ibid., p. 148.
196
317
Ibid., p. 155.
318
Ibid., p. 156.
197
Et la figure qui va incarner le plus cette anomalie sexuelle, bien plus que le
« pédéraste » ou l’« homosexuel », c’est l’« enfant masturbateur ». Figure qui
va véritablement mener, nous dit Foucault, à une « fabulation scientifique de
la maladie totale » 319 : l’enfant masturbateur devient le nouveau monstre,
d’autant plus dangereux que c’est un monstre du quotidien, un monstre
omniprésent dans lequel chaque être peut être amené à s’incarner. Et on a
bien là un phénomène caractéristique de la psychiatrie au XIXème siècle : la
pathologisation du quotidien. Celle-ci va mener à ce que Foucault décrit
comme une « somatisation des effets de la masturbation, dans le discours,
dans l’existence, dans les sensations, dans le corps même du malade » :
319
Ibid., p. 226.
320
Ibid.
198
321
Ibid., p. 260.
322
Foucault aborde le cas du soldat Bertrand dans son cours du 12 mars 1975. On
trouvera l’interprétation qu’en fait le psychiatre Michéa dans les dernières pages (Ibid., pp.
269-271).
199
Pour Foucault, l’analyse de l’instinct par Michéa est essentielle car elle
va une nouvelle fois déboucher sur un objet nouveau et essentiel de la
psychiatrie. Le crime sans raison de Henriette Cornier avait abouti à la mise
en avant de la notion d’instinct qui, une fois autonomisée du cadre à partir
duquel a été effectuée sa découverte (l’instinct, la pulsion, qui doivent
permettre de donner à Henriette Cornier le statut de fou et empêcher la
punition par le pouvoir judiciaire), provoque la désaliénisation de la
psychiatrie. Le sexe sans raison de Michéa, c’est-à-dire sans la perspective de
l’engendrement, de la reproduction, fait entrer dans la psychiatrie le rôle du
plaisir. Et c’est cette notion de plaisir qui va faire le lien entre anormalité et
sexualité :
323
Ibid., p. 270.
200
324
Ibid., p. 271.
201
325
Dans Surveiller et punir Foucault montre néanmoins que la prison n’accomplit pas
réellement cette tâche de réinsertion (que les idéologues de la prison lui attribuaient) ; la
prison doit corriger, mais elle corrige à l’infini et ne fait jamais aboutir la correction (elle
reproduit la délinquance : c’est là la critique radicale de la prison de la part de Foucault).
326
Foucault évoque cela dans son cours du 5 mars 1975 : FOUCAULT Michel, Les
Anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Seuil/Gallimard, 1999, p. 237.
203
327
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris,
Gallimard, 1976, p. 51.
204
328
Ibid.
329
Ibid., p. 52.
330
Ibid.
331
Ibid., p. 53.
205
332
Ibid., p. 55.
333
Ibid. Je souligne.
206
C’est là tout l’enjeu des nouvelles formes du pouvoir. Non plus exclure
l’objet sur lequel il pratique sa force, mais au contraire le mettre sans cesse en
lumière, au sein même du quotidien (c’est particulièrement vrai pour
l’« enfant masturbateur »), et montrer partout et tout le temps son effectivité.
Et c’est là bien sûr une technique du pouvoir bien plus efficace, large, visible,
334
Ibid., p. 57-58.
207
prégnante, que l’exclusion. Car, après tout, l’enfermement dans une prison,
dans un asile, ne faisait que toucher dans le long terme le fautif et
éventuellement sa famille. Alors que si le fautif, le déviant est au contraire
sans cesse en lumière, il constitue un appui formidable pour les techniques du
pouvoir. Le déviant est dès lors un rappel permanent aux normes que les
techniques de pouvoir prétendent défendre et par rapport auxquelles il s’agit
de contraindre les individus sur lesquels s’exerce le contrôle. Et cette pratique
va plus loin encore, ce qui donne le sens à la formule de Foucault
« l’implantation perverse ». L’anormalité sexuelle n’est plus un objet de
déviance, elle va constituer l’individu lui-même en tant que sujet
essentiellement défini par sa déviance. Si on condamnait auparavant la
pratique de la sodomie, c’est à présent « l’inverti », « l’homosexuel » que l’on
désigne et dont on caractérise son enfance, sa vie, ses manies, au prisme de sa
pratique sexuelle. Ce que Foucault nomme le « disparate » devient un enjeu
pour le pouvoir qui va s’en servir et, par leur dissémination, se disséminer lui-
même dans des espaces auxquels il lui était difficile autrement d’accéder – au
cœur de l’individu même :
335
Ibid., p. 60.
208
336
Ibid., p. 62.
337
Ibid., p. 66.
209
338
Ibid., p.10. Je souligne.
210
339
Ibid., p.11.
211
340
C’est par exemple ce que l’on repère dans l’expression « maison de tolérance »,
désignant les lieux où pourront se pratiquer la prostitution. Pour le pouvoir, il s’agit bien
d’admettre que, puisqu’il ne serait possible d’empêcher un mal qu’au prix d’en créer un
autre, potentiellement plus grave, il va s’agir dès lors de « tolérer », selon un certain
nombre de règles d’organisation précises, la pratique de prostitution. Ainsi, la prostitution
n’est-elle plus bannie par le pouvoir, elle est incluse par celui-ci dans une société par
rapport à laquelle il est estimé qu’on perdrait davantage à en exclure le mal ainsi toléré.
212
« déformé » par ceux-ci (or, la « déformation » ici n’est pas secondaire : c’est
comme si elle s’ajoutait au sens originel, elle est primaire). Dans ce sens, elle
n’est pas même un « objet » (dont on pourrait reconnaître les qualités en
dehors du savoir clinique), elle est en quelque sorte le » sujet » (comme on dit
le « sujet » de la dissertation ou du roman), – le sujet du pouvoir. La « folie »
parle à la place de la Déraison et nous raconte l’histoire et le sens « objectif »
de celle-là. Le sujet qui parle à la place de l’autre. De la même manière, le
« sexe » dans La Volonté de savoir est quelque chose qui parle et qui fait
parler.
341
FOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris,
Gallimard, 1976, p. 101. Je souligne.
213
342
Peut-être à l’appréhension du « dispositif » comme « réseaux » et comme « entre-
deux » qui est déjà bien mis en évidence dans le travaux sur Foucault, on pourrait ajouter
ceci : le « dispositif » c’est ce qui permet de voir tout en restant invisible. Si la
« répression » ferait disparaître (la « Déraison disparaît » dit Foucault dans l’Histoire de la
folie), le « dispositif » » rend visible tout en laissant le mécanisme propre au pouvoir dans
l’ombre. Comme l’écrit Valery Podoroga, philosophe ayant beaucoup contribué à
l’apparition et au développement des recherches sur Foucault en URSS et dans la Russie
post-sovietique (voir à ce propos notre article : GOLOBORODKO, Denis, « Sous le
manteau russe », in : Foucault, Éditions de l’Herne, 2011, p. 217-220) : « Le dispositif c’est
[…] un système (« dis-position ») de miroirs qui permet de « capter » (capturer) l’invisible
[…]. » (PODOROGA Valery, « Le pouvoir et la sexualité. Le thème du dispositif chez
Michel Foucault », Sinij divan (sous la rédaction de Helen PETROVSKY), n. 12, 2008, p.
34-48 (c’est moi qui traduis) ; pour les travaux de Podoroga traduits en français voir :
Valeri A. Podoroga, « La poétique de Dostoïevski. De la voix à l’ouïe », Revue
philosophique de la France et de l’étranger 2/2013 (Tome 138), p. 227-238.) La « folie »
(en tant que phénomène « clinifié ») faisait déjà partie de ces dispositifs : elle permet de
rendre visible (dans le cadre clinique) ce qui restait invisible (les figures multiples de la
Déraison) dans le cadre de l’internement (appliqué communément à toute la Déraison)
même si, à la base, l’internement et la clinique ont cela de commun qu’ils recourent à la
même opération de mise à distance. Cf. par exemple : « Là où on croyait avoir affaire à une
simple opération négative qui dénoue des liens et délivre la nature la plus profonde de la
folie, il faut bien reconnaître qu’il s’agit d’une opération positive qui l’enferme dans le
système des récompenses et des punitions, et l’inclut dans le mouvement de la conscience
morale. Passage d’un monde de la Réprobation à un univers de Jugement. Mais en même
temps une psychologie de la folie devient possible, puisque sous le regard elle est sans
cesse appelée, à la surface d’elle-même, à nier sa dissimulation. On ne la juge que sur ses
actes ; on ne lui fait pas de procès d’intention, et il ne s’agit pas de sonder ses secrets. Elle
n’est responsable que de cette partie d’elle-même qui est visible. Tout le reste est réduit au
silence. La folie n’existe plus que comme être vu. » (FOUCAULT Michel, Histoire de la
folie à l’âge classique, p. 507. Je souligne).
214
343
Ibid., p. 102.
344
Ibid., p. 110-111 Je souligne.
345
Ibid., p. 113.
346
Ibid.
215
347
Ibid., p. 119.
348
Ibid., p. 122.
349
Que l’on considère seulement la notion d’« hexis » chez Pierre Bourdieu mais aussi
ce qu’il appelait les « impératifs engourdis » : « On pourrait, déformant le mot de Proust,
dire que les jambes, les bras, sont pleins d’impératifs engourdis. Et l’on n’en finirait pas
216
Le pouvoir est autant local que global. Ou plutôt, pour être global, il doit
aussi être local :
351
Ibid., p. 130. Je souligne.
352
Ibid., p. 137-138.
218
353
Ibid., p. 139.
354
Ibid., p. 141.
355
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris,
Gallimard, 1976, p. 143.
219
356
Ibid., p. 147.
357
Ibid.
220
358
Ibid., p. 149-150.
359
Ibid., p. 157.
221
Chapitre 2.
Le pouvoir sur la vie ou « bio-pouvoir »
pour le moment analyser le second exemple, qui s’appuie sur l’étude comparé
de trois maladies épidémiques et des trois différentes méthodes qui furent
appliquées pour les combattre. Foucault évoque l’exemple de la lèpre et de la
peste dans Les Anormaux (cours du 15 janvier 1975), afin de préciser la
différence qui oppose pouvoir souverain et pouvoir disciplinaire 360 . Le
lépreux, explique-t-il, faisait au Moyen Âge l’objet d’une exclusion en bonne
et due forme de la communauté. Il devait regagner un monde autre, loin de la
société dans laquelle il avait jusque-là vécu. Deux mondes hermétiques l’un à
l’autre, et Foucault ajoute, deux mondes qui s’inscrivent dans une opposition
– la plus extrême peut-être – entre vie et mort ; le lépreux n’était pas
seulement banni de la communauté, il était en outre considéré comme mort,
tant et si bien que l’on considérait ses biens comme ne lui appartenant plus
(comme lorsque quelqu’un meurt et que ses biens sont partagés entre les
héritiers). Il y a probablement, dans l’exemple de la lèpre et du bannissement
du lépreux, la manifestation la plus pure du principe d’exclusion, principe qui
servira de modèle à un grand nombre de bannissement dans le cadre du
pouvoir souverain et ce jusque tardivement :
360
Précisons tout de même que Foucault synthétise dans Les Anormaux son analyse des
épidémies déjà effectuée, pour le lépreux dans l’Histoire de la folie, pour le pestiféré dans
Surveiller et punir.
223
361
FOUCAULT, Michel, Les Anormaux. Cours au Collège de France, 1974-1975,
Seuil/Gallimard, 1999, p. 40-41.
362
Ibid., p. 41.
363
Foucault écrit à ce sujet : « Il me semble qu’en ce qui concerne le contrôle des
individus, au fond, l’Occident n’a eu que deux grands modèles : l’un, c’est celui de
l’exclusion du lépreux ; l’autre, c’est le modèle de l’inclusion du pestiféré. Et je crois que
la substitution de l’inclusion du pestiféré, comme modèle de contrôle, à l’exclusion du
lépreux, est l’un des grands phénomènes qui se sont passés au XVIIèmee siècle. » (Ibid.).
224
364
Ibid.
365
Ibid., p. 43.
225
santé. On ne prélève pas les corps (les lépreux) pour les placer ailleurs, loin et
ainsi préserver la société. Grâce aux technologies de savoir, il s’agit de
dresser les corps, de les rendre aptes, de les faire fonctionner, en sorte de les
rendre productifs, dans le cadre d’une mise aux normes, d’une normalisation.
Et c’est bien là le principe de la méthode disciplinaire (confer la section II et
les lieux disciplinaires – lieux de normalisation par excellence – que sont
l’armée et l’école). Ce que Foucault appelle « l’invention des technologies
positives de pouvoir »366.
Dans sa Leçon du 11 janvier 1978 (cours Sécurité, territoire,
population) Foucault reprend la distinction entre le traitement du lépreux et le
traitement du pestiféré, la manière dont ces deux traitements recouvrent deux
formes de pouvoir, pouvoir souverain et pouvoir disciplinaire, et deux
notions, l’exclusion et l’inclusion. À ces deux manifestations de pouvoir face
aux épidémies de lèpre et de peste, Foucault ajoute dans sa leçon l’analyse
d’une troisième sorte de pouvoir, qu’il incarne à ce stade sous le nom de
« dispositif de sécurité ».
Le dispositif de sécurité s’oppose aux dispositifs disciplinaires tout
comme aux mécanismes de souveraineté. Foucault en montre la nouveauté en
le comparant aux nouveaux procédés de lutte contre l’épidémie. Il revient
ainsi à son analyse des moyens de lutte contre la lèpre (archétypes de
l’exclusion) et contre la peste (modèle disciplinaire extrême) et les compare
aux moyens de lutte déployés contre la variole. Son cours du 25 janvier 1978
cherche à préciser la nouveauté de ces moyens et en quoi cette nouveauté
définit un pouvoir autre, qui se distingue du pouvoir souverain et du pouvoir
disciplinaire. Le moyen essentiel de lutte contre la variole c’est – et c’est cela
qui en fait quelque chose d’éminemment nouveau alors, s’affrontant à la
rationalité médicale telle qu’elle était entendue alors – la variole elle-même,
366
Ibid., p. 44.
226
367
FOUCAULT Michel, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France.
1977-1978, Gallimard, Seuil, 2004, p. 8 (les crochets sont de l’éditeur).
368
Le corps existe bien pour le pouvoir souverain, mais celui-ci l’utilise essentiellement
(que l’on pense ici au corps supplicié du régicide Damiens) pour manifester sa puissance
sur un territoire.
228
369
Ibid., p. 14.
370
Ibid., p. 10. Je souligne.
229
371
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris,
Gallimard, 1976, p. 180.
230
372
Ibid., p. 183.
373
Ibid.
374
Ibid.
375
Notons néanmoins qu’il y a déjà dans le corps disciplinaire tel que l’analyse
Foucault, une appréhension du corps qui va au-delà du seul corps mécanique et prend déjà
en compte le « corps naturel », qui a ses contraintes fonctionnelles et qu’il n’est pas
possible de mouvoir de façon simplement artificielle : « […] à travers cette technique
d’assujettissement, un nouvel objet est en train de se composer ; lentement, il prend la
relève du corps mécanique — du corps composé de solides et affecté de mouvements, dont
l’image avait si longtemps hanté les rêveurs de la perfection disciplinaire. Cet objet
nouveau, c’est le corps naturel, porteur de forces et siège d’une durée ; c’est le corps
susceptible d’opérations spécifiées, qui ont leur ordre, leur temps, leurs conditions
internes, leurs éléments constituants. Le corps, en devenant cible pour de nouveaux
mécanismes du pouvoir, s’offre à de nouvelles formes de savoir. Corps de l’exercice, plutôt
que de la physique spéculative ; corps manipulé par l’autorité, plutôt que traversé par les
esprits animaux ; corps du dressage utile et non de la mécanique rationnelle, mais dans
lequel, par cela même, s’annoncera certain nombre d’exigences de nature et de contraintes
fonctionnelles. » (FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 181-
182. (Je souligne)).
231
376
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris,
Gallimard, 1976, p.183.
377
Ibid., p. 187. Je souligne.
232
378
Ibid., p. 188.
379
Ibid., p. 191.
380
Ibid., p. 192.
233
381
Ibid., p. 194. Je souligne.
382
Ibid.
383
Ibid., p. 195.
234
384
Ibid.
385
Ibid.
386
Ibid. p. 196.
387
Cf. à ce sujet les pages 196 et 197 de La Volonté de savoir.
235
388
FOUCAULT Michel, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France.
1977-1978, Gallimard, Seuil, 2004, p. 3.
236
389
Ibid, p. 59.
390
Ibid.
391
Ibid.
392
Nous entendons ici par « objets négatifs » ce qui était conçu comme transgressif
dans le pouvoir souverain, anormal dans le pouvoir disciplinaire.
237
393
Ibid., p.65.
238
394
Ibid., p. 44.
395
Ibid. p. 68.
396
Ibid. p. 69.
397
Ibid., p. 72.
398
Ibid., p. 73.
240
399
Ibid., pp. 73-74.
400
Ibid., p. 74.
241
401
Ibid.
242
402
« […] l’homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et
c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir,
s’il s’adresse à leur intérêt personnel et s’il leur persuade que leur propre avantage leur
commande de faire ce qu’il souhaite d’eux. C’est ce que fait celui qui propose à un autre un
marché quelconque ; le sens de sa proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j’ai besoin, et
vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-même ; et la plus grande partie de ces
bons offices qui nous sont nécessaires s’obtiennent de cette façon. Ce n’est pas de la
bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre
dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à
leur humanité, mais à leur égoïsme et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons,
c’est toujours de leur avantage. » (Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de
la richesse des nations, 1776, Garnier Flammarion, p. 84).
243
403
Ibid., p. 75. Je souligne.
404
Ibid., p. 76.
244
405
Ibid., p. 76.
406
Foucault utilise notamment cette notion de « savoir-pouvoir » dans son cours du 5
février 1975, mais également dans celui du 19 mars 1975. Le « savoir-pouvoir » est alors la
somme de connaissances que prêtant pouvoir acquérir la médecine, et particulièrement la
médecine psychiatrique, pour prévenir les crimes dont il est impossible d’expliquer les
motivations autrement que par la folie ; au pouvoir pénal qui lui demande de savoir s’il lui
est possible ou non de condamner tel ou tel criminel, Foucault fait dire à la psychiatrie :
« Voyez comme ma science est indispensable, puisque je suis capable de flairer le danger là
même où nulle raison ne peut le faire apparaître. Montrez-moi tous les crimes auxquels
vous avez affaire, et moi je suis capable de vous montrer que, derrière beaucoup de ces
crimes, il y en a où je trouverai une absence de raison. C’est-à-dire encore, je suis capable
de vous montrer que, au fond de toute folie, il y a la virtualité d’un crime et, par
conséquent, justification de mon propre pouvoir. » (FOUCAULT Michel, Les Anormaux.
Cours au Collège de France. 1974-1975, Seuil/Gallimard, 1999, p. 113-114).
245
ses exigences, c’est ce sur quoi on a prise par l’éducation, par les
campagnes, par les convictions. »407
407
Ibid., p. 77.
408
Ibid., p. 81.
409
Ibid., p. 80-81.
246
410
Foucault écrit à ce sujet : « La théorie du contrat – du contrat fondateur, de
l’engagement réciproque des souverains et des sujets – va être cette espèce de matrice à
partir de laquelle on essaiera de rejoindre les principes généraux d’un art de gouverner.
Mais si la théorie du contrat, si cette réflexion sur les rapports du souverain et de ses sujets
a eu un rôle fort important dans la théorie du droit public, [en réalité], – l’exemple de
Hobbes [le] prouve à l’évidence –, malgré le fait que ce qu’[on] voulait arriver à trouver,
c’étaient au bout du compte les principes directeurs d’un art de gouverner, [on] en est
toujours resté à la formulation de principes généraux de droit public. » (Ibid., p. 106 ; les
rectifications entre crochets sont de l’éditeur).
411
Ibid., p. 107.
247
plus comme entité abstraite, mais tout ce qu’il y a de plus concret, par des
séries de chiffres, de taux, de moyennes : toutes ses régularités qui permettent
de dire qu’une population est ceci et n’est pas cela, qu’elle fait davantage ceci
que cela, ou qu’elle meurt plus de telle maladie que de telle autre, et ce à des
âges et selon des critères de lieu précis. C’est la statistique, par sa capacité à
saisir des généralités sur cette immense regroupement d’individus que
constitue la population, qui va faire de celle-ci un objet de savoir non
seulement pertinent mais aussi susceptible d’être appréhendé, décrit et, in
fine, objet des nouvelles technologies de pouvoir412.
Foucault précise néanmoins que, si le cadre familial a alors été
supplanté par celui de la population, un niveau éminemment plus efficace
pour le gouvernement, il n’en reste pas moins un lieu essentiel où faire jouer
certaines mécanismes de pouvoir, et par exemple, comme nous l’avons vu au
chapitre précédent, le dispositif de sexualité et ses corollaires normatifs :
412
Foucault explicite un peu plus loin cette idée : « […] la population va être l’objet
dont le gouvernement devra tenir compte dans ses observations, dans son savoir, pour
arriver effectivement à gouverner de façon rationnelle et réfléchie. La constitution d’un
savoir de gouvernement est absolument indissociable de la constitution d’un savoir de tous
les processus qui tournent autour de la population au sens large, ce qu’on appelle
précisément l’« économie ». » (Ibid., p. 109)
413
Ibid., p. 108.
248
414
Ibid.
415
Foucault évoque, dans la Leçon du 25 janvier 1978, combien le Prince de Machiavel
représente l’acmé de ce souci du pouvoir souverain à se concentrer sur la « sûreté du
Prince » : « loin de penser que Machiavel ouvre le champ à la modernité de la pensée
politique, je dirai qu’il marque, au contraire, la fin d’un âge, ou en tout cas qu’il culmine à
un moment, il marque le sommet d’un moment dans lequel le problème était bien celui de la
sûreté du Prince et de son territoire. » (Ibid., p. 67).
249
416
Rappelons cependant, comme nous l’évoquions plus haut, que Foucault explique
également les grands massacres guerriers ou génocidaires du XXème siècle précisément par
ce déplacement du souci de la sûreté du souverain à la sécurité de la population, mêlée
parfois au concept de « race ». Cette « sécurité » de la population ne fut donc, à certains
moments de l’histoire, pas moins coûteuse en vies que ce que valut en guerres la sûreté du
souverain, et souvent même considérablement plus meurtrière.
417
Ibid., p. 109.
250
418
Ibid., p. 110. Je souligne.
251
419
Dans Les Anormaux (Cours du 15 janvier 1975), p. 46, Foucault écrit : « la norme
porte avec soi à la fois un principe de qualification et un principe de correction. La norme
n’a pas pour fonction d’exclure, de rejeter. Elle est au contraire toujours liée à une
technique positive d’intervention et de transformation, à une sorte de projet normatif. »
253
420
Ibid., p. 47. Je souligne.
254
421
Ibid., p. 44. Je souligne.
422
Ibid., p. 48. Je souligne.
255
423
FOUCAULT Michel, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France.
1977-1978, Gallimard, Seuil, 2004, p. 8.
256
424
Ibid., p. 11.
257
425
Ibid., p. 35-36.
426
Ibid., p. 38.
259
« [...] mais le grain avec tout ce qui peut lui arriver et qui lui arrivera
naturellement en quelque sorte, en fonction en tout cas d’un
mécanisme et de lois où vont interférer aussi bien la qualité du
terrain, le soin avec lequel on le cultive, les conditions climatiques de
sécheresse, chaleur, humidité, finalement l’abondance bien sûr ou la
rareté, la mise sur le marché, etc. [...] c’est sur cette réalité du grain,
dans toute son histoire et avec toutes les oscillations et événements
qui peuvent en quelque sorte faire basculer ou bouger son histoire
par rapport à une ligne idéale [qu’on obtient] [...] un dispositif qui,
se branchant sur la réalité même de ces oscillations, va faire en sorte,
par une série de mises en relation avec d’autres éléments de réalité
que ce phénomène, sans rien perdre en quelque sorte de sa réalité,
260
***
427
Ibid., p. 38-39. Je souligne.
261
428
Ibid., p. 48.
263
Conclusion
429
La « vérité » de la folie ne doit pas être comprise comme le sens « originel » de la
folie parce que, comme nous avons essayé de le montrer, dans le cadre de la recherche
foucaldienne il ne s’agit pas de la recherche de l’« origine » mais des mécanismes de
pouvoir.
265
430
Par son enfermement dans un espace isolé et fermé (comme dans le cas de
l’internement), voire par sa destruction pure et simple (comme dans le cas de l’exécution
publique).
431
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, p. 200, Paris, 1975.
267
432
Il s’agit des techniques disciplinaires d’assujettissement.
268
433
FOUCAULT Michel « The subject and power », in : FOUCAULT Michel, Dits et
écrits IV (1980-1988), Paris, Gallimard, 1994. (cité d’après POTTE-BONNEVILLE
Mathieu, Foucault, p. 57).
275
434
FOUCAULT Michel, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France.
1977-1978, Gallimard, Seuil, 2004, p. 5.
277
Bibliographie
Corpus principal
BOYNE Roy, Foucault and Derrida: The Other Side of Reason, Padstow,
Cornwall, Unwin Flyman Ltd., 1990.
Littérature secondaire
CLIFFORD Michael R., « Crossing (out) the boundary: Foucault and Derrida
on transgressing transgression », Philosophy today, Celina, 1987, Vol.
31, № 3/4, p. 223-233.
Résumé
La problématique du pouvoir est tout à fait centrale dans l’œuvre de Michel Foucault et les
études foucaldiennes à ce sujet n’ont pas manqué. Pourtant il nous semble nécessaire de
rendre mieux visible le mouvement d’ensemble et l’intention générale de Foucault : moins
une critique du pouvoir qu’une reconsidération de la nature du pouvoir, qui le détache de tout
sujet identifiable. Dans cette perspective, parmi les moments les plus généraux de la pensée
foucaldienne du pouvoir, c’est avant tout la description du pouvoir en termes d’inclusion et
d’exclusion qui a paru la plus prometteuse dans l’optique d’une analyse philosophique. Ce
sont les deux fonctions principales du pouvoir, mais tout en étant terminologiquement
antagonistes, elles ne rentrent néanmoins pas en opposition. Au sein de ce que Foucault
appelle les «relations de pouvoir», ces deux fonctions agissent simultanément, l’une se
cachant pendant que l’autre s’expose. L’analyse de ces fonctions du pouvoir permet
d’appréhender les trois formes de pouvoir chez Foucault (souveraineté, discipline, bio-
pouvoir) et de dégager dans les évolutions qui conduisent de l’une à l’autre une
« productivité » du pouvoir, opposée à l’idée de « négativité » du pouvoir.
Abstract
The issue of power is absolutely central in the work of Michel Foucault, and it has been
widely studied. Nevertheless, it was necessary to further show the overall movement and
intention of Foucault on this matter: less of a criticism to power than a rethinking of the
nature of power that detaches it from any identifiable object. In this context, among the
general outlines of Foucault’s thinking of power, the description of power in terms of
inclusion and exclusion seems to be the most promising from a philosophical perspective.
These are the two functions of power, but despite of being terminologically conflicting, they
do not oppose each other. Within what Foucault describes as the “relations of power”, these
two functions act simultaneous, each hiding when the other shows. The analysis of the
functions of power allows to understand the three forms of power of Foucault (sovereign
power, disciplinary power, and biopower) and to identify – in the evolutions that lead from
one to another – a “productivity” of power, in opposition to the idea of the “negativity” of
power.
Discipline : Philosophie