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Alain Beaulieu (Dir.), Gilles Deleuze, Héritage Philosophique, Paris, PUF, 2005, 174 Pages

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Philosophiques

Alain Beaulieu (dir.), Gilles Deleuze, héritage philosophique,


Paris, PUF, 2005, 174 pages.
Charles Bolduc

Volume 34, numéro 2, automne 2007

URI : https://id.erudit.org/iderudit/017432ar
DOI : https://doi.org/10.7202/017432ar

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Éditeur(s)
Société de philosophie du Québec

ISSN
0316-2923 (imprimé)
1492-1391 (numérique)

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Citer ce compte rendu


Bolduc, C. (2007). Compte rendu de [Alain Beaulieu (dir.), Gilles Deleuze,
héritage philosophique, Paris, PUF, 2005, 174 pages.] Philosophiques, 34(2),
427–431. https://doi.org/10.7202/017432ar

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possibilité ; ce que précisément l’auteur parvient à très bien faire valoir en introduc-
tion et en conclusion de l’ouvrage.
Cependant, malgré les grands mérites de cette démarche et la rigueur avec
laquelle elle est menée, on ne peut s’empêcher de se demander à quel lectorat un tel
ouvrage est destiné. En effet, si cette étude s’adresse avant tout à ceux désireux de trouver
dans la pensée spéculative hégélienne une piste d’espoir pour sortir l’humanité de la
crise écologique — objectif que l’auteur semble privilégier dans l’introduction — alors,
force est d’admettre qu’il manque à cet ouvrage une introduction générale à la pensée
de Hegel dans son ensemble. Assurément, un lecteur néophyte risque en de nombreux
passages de n’y rien comprendre tant la pensée hégélienne, et peut-être encore plus sa
philosophie de la nature, manifeste une impénétrabilité certaine.
Par delà cet élément de critique, ou peut-être même pour y parer, il ne reste main-
tenant qu’à souhaiter que Jean-François Filion poursuive sur la voie ouverte par
cette étude, en mettant à profit l’approche spéculative hégélienne afin de proposer des
pistes de solutions pour sortir d’humanité de la présente menace écologique qui pèse
sur son habitat. Rendre justice à la profondeur du hégélianisme peut parfois exiger
de passer sous silence la pensée du maître.

DANIC PARENTEAU
École d’études politiques, Université d’Ottawa

Alain Beaulieu (dir.), Gilles Deleuze, héritage philosophique, Paris, PUF,


2005, 174 pages.
L’année 2005 a marqué le dixième anniversaire de la mort de Gilles Deleuze. À l’oc-
casion d’une publication dans la collection « Débats philosophiques » des Presses
Universitaires de France, Alain Beaulieu entend défendre l’idée que Gilles Deleuze fut
« simultanément historien, créateur et expérimentateur de concepts » (p. 12). En
refusant de dissocier catégoriquement et d’étudier séparément — comme on l’avait
généralement fait jusque-là — ces différentes facettes de la vie intellectuelle du
philosophe, Alain Beaulieu espère donner un second souffle à la réception posthume
de ses écrits. À cette fin, il a réuni dans ce volume les contributions de six des princi-
paux commentateurs de l’œuvre deleuzienne, à la fois d’Europe (Manola Antonioli,
Arnaud Villani, Olivier Fahle et Stéfan Leclercq) et de ce côté-ci de l’Atlantique
(Constantin Boundas et Alain Beaulieu).

1.
Avec son analyse des « Stratégies différentielles dans la pensée deleuzienne », Constantin
Boundas cherche à dégager les réquisits et les conséquences d’une authentique philoso-
phie de la différence. L’auteur nous rappelle tout d’abord que, chez Deleuze, « la diffé-
rence ne se donne pas comme un concept » (p. 16) puisqu’elle est pensée comme un
processus, ce qui implique en retour une ontologie des forces et des relations qui s’oppose
à l’étude des différents étants dans leur particularité. Certes, les forces se manifestent
nécessairement dans des états de choses distincts les uns des autres, mais puisque ceux-
ci ne peuvent rendre compte de leur devenir et du processus dont résulte leur différen-
ciation, Deleuze en est conduit à penser, à la suite de Bergson, une différentiation virtuelle
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des tendances qui ont généré ces distinctions actuelles. Dans la perspective d’une telle
ontologie, loin d’être purement informes ou à l’inverse totalement réifiées, les forces
sont donc à la fois des grandeurs extensives (différenciées) et intensives (différentiées).
Ce départage de l’actuel et du virtuel — tous deux bel et bien réels — amène
Constantin Boundas à présenter, dans une seconde partie, la première conséquence
philosophique de cette théorie deleuzienne de la différence, soit la remise en question
d’une certaine « image de la pensée » qui, en opposant le possible au réel, marque la
prédominance de la recognition et de la représentation dans l’exercice de la pensée.
Cette critique n’est cependant pas pour nous surprendre, puisqu’une telle conception
de la pratique philosophique réduit l’étude des différences réelles à l’élucidation
d’une forme commune d’expérience possible, ce dont témoignent par exemple les
philosophies transcendantales kantienne et husserlienne. Il s’ensuit conséquemment
une redéfinition de la philosophie comme création de concepts et une nouvelle
méthode — l’empirisme transcendantal — adaptée au souci de ne pas trahir le concret
dans sa singularité : si l’état de choses rencontré dans l’expérience est étudié sous le
signe de sa différence constitutive, alors, ce qui est dégagé, ce n’est pas la forme qu’il
partage avec d’autres états de choses, mais ses conditions réelles — les tendances
virtuelles non représentables — qui en expriment la genèse en tant qu’événement à nul
autre pareil. Ces considérations amènent enfin Constantin Boundas à s’interroger sur
les conséquences éthiques d’une telle prise en considération de la différence. D’une part,
il constate que, pour Deleuze, celle-ci s’accompagne d’une lutte active pour démasquer
les prétentions indues de l’actuel à vouloir s’arroger tout le champ du réel. D’autre
part, suivant encore une fois Deleuze, ce combat apparaît inséparable d’un renverse-
ment des rapports entre l’éthique et la morale. Ainsi, contrairement à ce que l’on pour-
rait croire de prime abord, ce ne sont jamais des valeurs morales transcendantes qui
imposent une conduite particulière : pour qu’une personne accepte de se plier à cer-
taines obligations, celles-ci doivent d’abord avoir été évaluées, c’est-à-dire précédées
par une expérience éthique qui en a mesuré la teneur en puissance de vie.

2.
La contribution d’Alain Beaulieu intitulée « Gilles Deleuze et les Stoïciens » questionne
l’une des références deleuziennes les plus constantes mais étrangement peu étudiée
jusqu’à maintenant. Après avoir rappelé que Deleuze ne pense jamais à partir des dis-
tinctions historiques qui divisent le stoïcisme en trois grandes périodes (ancien, moyen
et impérial) et après avoir souligné que, par un regard plus attentif aux sources utili-
sées, Deleuze semble privilégier le stoïcisme athénien (stoïcismes ancien et moyen) plus
théorique, au détriment du stoïcisme romain (impérial) plus soucieux des pratiques
de soi, l’auteur en vient à la conclusion que, malgré ces distinctions historico-critiques,
l’important est que « l’œuvre deleuzienne rappelle l’ancienne démarche stoïcienne qui
consiste à développer la philosophie en trois parties complémentaires : la logique, la
physique et l’éthique » (p. 50). L’article ouvre alors sur une étude tripartite où, pour
chacune de ces rubriques, Alain Beaulieu recense les points de convergence et de diver-
gence entre les principales thèses stoïciennes et celles avancées par Deleuze. D’un côté,
tout comme l’ont fait à leur manière les stoïciens, Deleuze substitue une logique propo-
sitionnelle à une logique prédicative, pourfend la recherche d’une origine transcendante
du monde et enfin promeut un mode de vie qui épouse les forces qui conduisent le monde.
D’un autre côté cependant — et c’est ce qui distingue sa pensée des enseignements stoï-
ciens —, puisqu’il ne considère pas la Nature comme étant un système totalement
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organisé, la recherche d’une logique universelle pouvant exprimer tous les événements
perd tout son sens, et le philosophe ne peut viser un idéal de sérénité. Cela étant dit,
bien qu’Alain Beaulieu ait fait un relevé minutieux de ces différents points de rencontre
et de désaccord, ce travail mériterait d’être complété par un autre qui départagerait
cette fois non pas Deleuze et les stoïciens, mais d’un côté l’héritage que lui ont laissé les
principaux commentateurs français du stoïcisme (Émile Bréhier et Victor Goldschmidt)
et de l’autre ce qui revient en propre à la lecture deleuzienne de cette tradition.

3.
Avec « La machination politique de Deleuze et Guattari », Manola Antonioli prend
le prétexte du politique pour remettre en question les dualismes à partir desquels on
a l’habitude d’interpréter leur philosophie. Alors qu’une certaine vulgate la réduit bien
souvent à un parti pris pour les notions de minorité, de micropolitique et de déterri-
torialisation (par opposition à celles de majorité, de macropolitique et de territorialité),
l’auteur nous rappelle que, pour Deleuze et Guattari, tout est une question de tendances,
et que le crédit accordé à certaines d’entre elles ne relève pas d’une évaluation réalisée
dans la perspective d’un idéal à atteindre. C’est ainsi que leur critique du capitalisme se
déploie de l’intérieur même du système : la remise en question de tous les codes sociaux
étant inhérente au devenir du capitalisme, les mouvements qui s’agitent sous les insti-
tutions qui le régulent actuellement à l’échelle mondiale ne peuvent être critiqués unila-
téralement au nom de ces mêmes institutions, puisque ces dernières sont justement
elles-mêmes le résultat de processus micropolitiques de déterritorialisation. Du coup, si
ces derniers revêtent généralement une valeur positive aux yeux de Deleuze et Guattari,
ce n’est pas parce qu’ils visent la perte et la destruction de tous les repères, mais unique-
ment parce qu’ils ne cherchent pas à mesurer la valeur des devenirs sociaux à l’aune
d’un code préexistant qui, en occultant sa propre origine et en prenant l’allure d’une
norme transcendante, ne fait que réprimer sournoisement et injustement tout désir de
changement. Ce n’est donc pas la macropolitique en tant que telle qui est dévaluée
(Deleuze et Guattari soulignent souvent les dangers d’une déterritorialisation effrénée
et incessante), mais seulement sa tendance à écarter du revers de la main les solutions
de rechange qui, d’après elle, ne sont pas viables ou réalistes.

4.
Lecteur fidèle et attentif des écrits de Gilles Deleuze, Arnaud Villani entend pour sa
part contribuer aux débats suscités par son œuvre en critiquant les interprétations qu’en
donnent Mireille Buydens et Jacques Rancière. Dans « De l’esthétique à l’esthésique :
Deleuze et la question de l’art », il remet en cause leurs critères d’évaluation qu’il juge
inadéquats pour saisir l’originalité du propos du philosophe. D’un côté, Mireille
Buydens soutient qu’il n’y a pas d’esthétique chez Deleuze puisque la forme serait selon
lui toujours seconde et contingente par rapport aux forces à exprimer. D’un autre côté,
Jacques Rancière en arrive lui aussi à la même conclusion quand il est question d’une
potentielle esthétique typiquement deleuzienne puisque, d’après lui, le philosophe se
fait le chantre de l’impossibilité de toute œuvre d’art. Selon Arnaud Villani, ces juge-
ments sont irrecevables, car ils ne tiennent pas compte du fait que, chez Deleuze, tout
exercice de la pensée met en jeu deux faces (pensée et non-pensée), deux tendances
qui s’affrontent continuellement, et que c’est précisément parce que l’esthétique tra-
ditionnelle occulte toujours l’une de ces deux faces que Deleuze n’a pas développé une
« esthétique » propre, c’est-à-dire une théorie de l’œuvre d’art accomplie et dominée
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par la pensée. En d’autres termes, ce ne serait pas l’œuvre d’art qui serait disqualifiée
ou jugée impossible par Deleuze, mais seulement l’esthétique traditionnelle, d’où
s’explique le dès lors nécessaire passage de l’esthétique (triomphe du pouvoir de la forme
dans la représentation) à l’esthésique (« la critique du pouvoir, non de la pensée, mais
dans la pensée » [p. 118]). Ainsi, selon Arnaud Villani : « Il n’y a pas d’allégorie de la
fin de l’art chez Deleuze, mais ce qui se passe dans l’art est l’archétype de ce qui consti-
tue le réel » (p. 118).

5.
Dans « La visibilité du monde. Deleuze, Merleau-Ponty et le cinéma », Olivier Fahle
tente un rapprochement entre leurs réflexions respectives sur la question de l’image.
D’un côté, d’après Merleau-Ponty, le cinéma nous fait comprendre l’évolution récente
des théories psychologiques sur la perception qui, définissant auparavant l’image men-
tale comme une synthèse intellectuelle d’impressions sensorielles, la considèrent main-
tenant comme un processus spontané toujours déjà structuré. D’un autre côté, chez
Deleuze, le passage de l’image-mouvement à l’image-temps est l’expression d’un
décentrement du primat de l’action représentée vers celui d’un visible qui n’est plus
subordonné à la narration chronologique de cette action. Selon Oliver Fahle, ces deux
analyses trouvent leur point de convergence dans le fait que, pour les deux philosophes,
le visible en vient progressivement à se définir en fonction de l’invisible, ce qui sonne
ainsi le glas de la distinction traditionnelle du sujet percevant et de l’objet perçu. Une
lecture attentive des derniers écrits de Merleau-Ponty offrirait donc un démenti à l’in-
terprétation qu’en donne Deleuze lui-même, qui confondait peut-être un peu négligem-
ment la méditation de Merleau-Ponty avec une phénoménologie de type husserlienne
se fondant en dernière instance sur un sujet transcendantal. Malgré ses qualités indé-
niables, il me semble qu’un bémol doit cependant être apporté à cette démonstration.
Au tout début de son article, l’auteur distingue les conceptions merleau-pontienne et
deleuzienne de l’exercice de la pensée : pour la première, « c’est la philosophie qui éla-
bore des notions «applicables» dans les autres domaines » alors que « ce sont pour
Deleuze les médias qui représentent les modèles sensoriels d’organisation à partir desquels
une explication des notions philosophiques devient possible » (pp. 125-126). Alors
qu’on pourrait s’attendre à ce que l’auteur mesure l’importance de cette différence d’ap-
proche, il la relativise au contraire sous le prétexte qu’elle n’a aucune importance puisque
leur conception du visible est sensiblement la même. Mais n’est-ce pas occulter le fait
primordial que, pour Deleuze, la philosophie est essentiellement une création perpétuelle
de nouveaux concepts, tandis que pour Merleau-Ponty elle demeure essentiellement
l’interrogation et l’explicitation d’une vérité primordiale, soit l’incarnation de l’être
humain dans le monde ?

6.
La dernière contribution du collectif porte sur « La réception posthume de l’œuvre de
Gilles Deleuze ». Stéfan Leclercq y distingue d’une part la perpétuation de l’œuvre elle-
même et d’autre part l’influence qu’elle a eue sur des artistes contemporains. Les divers
moyens de diffusion de la philosophie deleuzienne étant largement connus, c’est sur-
tout la deuxième partie de l’article qui retient l’attention. On lit souvent que la pensée
de Deleuze a davantage influencé les artistes que les philosophes et, à cet égard, plusieurs
publications érudites établissent des liens entre ses concepts et divers mouvements artis-
tiques. Par contre, on ne relève presque jamais ce que les artistes ont vraiment soutiré
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de leur lecture des écrits de Deleuze. En laissant la parole à un peintre (Ange-Henri


Pieraggi), un poète (Jean-Philippe Cazier) et un dramaturge (Alain Jugnon), l’auteur
cherche à combler cette lacune. On y apprend alors quelles sont les idées maîtresses
qui les ont le plus influencés, soit respectivement le Figural (par opposition à la figura-
tion), le corps sans organes ouvert aux forces du dehors (par contraste avec l’organisme
exclusivement structuré de l’intérieur) et la machination (dirigée contre l’interprétation).
Ce qui est par contre un peu regrettable, c’est qu’on a davantage affaire ici à des témoi-
gnages de reconnaissance qu’à des confrontations serrées avec les problèmes soulevés
par Deleuze, ce qui s’explique il est vrai dans une large mesure par certaines contraintes
matérielles, comme l’espace restreint accordé à chacun. On ne peut donc qu’espérer
que ce travail sera l’amorce d’un autre plus approfondi.
Tout compte fait, conformément au projet initial défini par Alain Beaulieu,
cet ouvrage offre bel et bien un aperçu des multiples facettes de la pensée d’un
philosophe qui fut « simultanément historien, créateur et expérimentateur de concepts »
(p. 12). Ce qui me semble la plus importante contribution de cette publication, ce sont
les mises au point faites par les différents auteurs : en reformulant clairement les pro-
blèmes soulevés par l’œuvre, ils écartent d’emblée du débat certaines interprétations
polémiques mais peu profitables à ceux qui désirent approfondir sincèrement leur com-
préhension de la philosophie deleuzienne.

CHARLES BOLDUC
Université de Sherbrooke

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