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Les Ressources en Eau Profonde Du Désert Du Sahara Et de Ses Confins Arides Et Semi-Arides

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Numéro 14

LES RESSOURCES
EN EAU PROFONDE
DU DÉSERT DU SAHARA ET DE SES
CONFINS ARIDES ET SEMI-ARIDES

Comité Scientifique Français de la Désertification


French Scientific Committee on Desertification
Les dossiers thématiques Comité Scientifique Français
du CSFD numéro 14 de la Désertification
Directeur de la publication
Jean-Luc Chotte La création, en 1997, du Comité Scientifique Français de la Désertification, CSFD,
Président du CSFD répond à une double préoccupation des ministères en charge de la Convention des
Directeur de recherche de l’Institut de recherche Nations Unies sur la lutte contre la désertification. D’une part, il s’agit de la volonté de
pour le développement (IRD) mobiliser la communauté scientifique française compétente en matière de désertification,
de dégradation des terres et de développement des régions arides, semi-arides et
Auteur
subhumides afin de produire des connaissances et servir de guide et de conseil aux
Yves Travi décideurs politiques et aux acteurs de la lutte. D’autre part, il s’agit de renforcer le
Hydrogéologue, hydrochimiste, isotopiste, positionnement de cette communauté dans le contexte international. Pour répondre à
Avignon Université, France, yves.travi@univ-avignon.fr
ces attentes, le CSFD se veut une force d’analyse et d’évaluation, de prospective et de
suivi, d’information et de promotion. Le CSFD participe également, dans le cadre des
Contributeurs
délégations françaises, aux différentes réunions statutaires des organes de la Convention
 Lilia Benzid, chargée de la communication et du
des Nations Unies sur la lutte contre la désertification : Conférences des Parties, Comité
genre, Observatoire du Sahara et du Sahel, Tunisie
de la Science et de la Technologie, Comité du suivi de la mise en œuvre de la Convention.
 Marc Bied-Charreton, agroéconomiste et
géographe, professeur émérite de l’Université de Il est également acteur des réunions aux niveaux européen et international. Il contribue
Versailles, Saint-Quentin-en-Yveline, France aux activités de plaidoyer en faveur du développement des zones sèches, en relation
 Philippe Billet, juriste en droit public, Université avec la société civile et les médias. Le CSFD participe à des réseaux internationaux (par
Jean Moulin Lyon 3, France exemple le réseau international DNI, DeserNet International).
 Gilles Boulet, hydrologue, IRD, France
 Richard Escadafal, pédologue spécialisé en
télédétection, retraité de l’IRD, France
 Sonja Koeppel, experte en affaites Le CSFD est composé d’une vingtaine de membres et d’un Président, nommés
environnementales, Convention sur l’eau, Division intuitu personae par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de
de l’environnement, Commission économique pour l’Innovation et issus des différents champs disciplinaires et des principaux organismes
l’Europe des Nations Unies, Suisse et universités concernés. Le CSFD est géré et hébergé par Agropolis International,
association de médiation sciences-sociétés qui s’appuie sur un écosystème académique
Coordination éditoriale et rédaction
remarquable en région Occitanie dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation,
Isabelle Amsallem, amsallem@agropolis.fr de la biodiversité et de l’environnement. Le Comité agit comme un organe indépendant
Agropolis Productions et ses avis n’ont pas de pouvoir décisionnel. Il n’a pas de personnalité juridique.
Le financement de son fonctionnement est assuré par des contributions du ministère de
Réalisation
l’Europe et des Affaires étrangères, du ministère de la Transition écologique et solidaire.
Frédéric Pruneau, pruneauproduction@gmail.com La participation de ses membres à ses activités est gracieuse et fait partie de l’apport du
Pruneau Production
ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Remerciements pour les illustrations
Véronique Gaston et Daina Rechner (photothèque
Indigo de l’IRD, https://indigo.ird.fr), Philippe Pour en savoir plus
Crochet, Alexis Gutierrez (BRGM), Jacques www.csf-desertification.org
Taberlet ainsi que les auteurs des différentes
photos présentes dans le dossier.
La rédaction, la fabrication et la diffusion de ces dossiers sont entièrement à la charge
Impression : LPJ Hippocampe (Montpellier, France) du Comité, grâce à l’appui qu’il reçoit des ministères français. Les dossiers thématiques
Dépôt légal : à parution • ISSN : 1772-6964 du CSFD sont téléchargeables sur le site internet du Comité, www.csf-desertification.org
Imprimé à 1 000 exemplaires
© CSFD / Agropolis International, janvier 2021. Pour référence
Travi Y., 2021. Les ressources en eau profonde du désert du Sahara et de ses confins
arides et semi-arides. Les dossiers thématiques du CSFD. N°14. janvier 2021.
CSFD/Agropolis International, Montpellier, France. 56 pages
Avant-propos

L
a dégradation des terres concerne environ 23 % ainsi que les décideurs publics et privés, par les
de la surface émergée du globe, augmente à un connaissances scientifiques les plus récentes.
rythme annuel de 5 à 10 millions d’hectares. Elle
affecte 3,2 milliards de personnes dans le monde. Dans C’est pour répondre à cette nécessité que le Comité
les zones sèches, qui représentent près de 40 % des terres Scientifique Français de la Désertification a décidé de
(hors terres gelées), on parle de désertification. lancer une série intitulée « Les dossiers thématiques du
CSFD » qui veut fournir une information scientifique
L’utilisation mal contrôlée de l’Homme sur les terres valide sur la désertification, toutes ses implications et
est la principale cause de dégradation des sols. Le ses enjeux. Cette série s’adresse aux décideurs politiques
changement climatique accentue ces effets et accélère et à leurs conseillers du Nord comme du Sud, mais
la désertification. La lutte contre la désertification est également au grand public, aux journalistes scientifiques
au cœur des enjeux de la Convention des Nations Unies du développement et de l’environnement. Elle a aussi
sur la lutte contre la désertification. Éviter, réduire la l’ambition de fournir aux enseignants, aux formateurs
dégradation des sols, restaurer les terres dégradées ainsi qu’aux personnes en formation des compléments
aident à lutter contre le changement climatique sur différents champs disciplinaires. Enfin, elle entend
(e.g. restaurer 350 millions d’hectares permettrait de contribuer à la diffusion des connaissances auprès des
soustraire de l’atmosphère de 13 à 26 gigatonnes de CO2) acteurs de la lutte contre la désertification, la dégradation
et de lutte contre la perte de biodiversité. Tendre vers des terres et la lutte contre la pauvreté : responsables
un monde neutre en termes de dégradation des terres d’organisations professionnelles, d’organisations non
est la cible 3 de l’Objectif de Développement Durable 15 gouvernementales et d’organisations de solidarité
« Vie terrestre ». Restaurer les terres − les services qu’elles internationale.
rendent à la Planète et aux Sociétés − est au cœur de la
Décennie de la restauration des écosystèmes lancé par Ces dossiers sont consacrés à différents thèmes aussi
les Nations Unies (2021-2030). variés que les biens publics mondiaux, la télédétection,
l’érosion éolienne, l’agroécologie, le pastoralisme,
Lutter contre la désertification et la dégradation etc., afin de faire le point des connaissances sur ces
des terres est un enjeu mondial qui repose sur des différents sujets. Il s’agit également d’exposer des débats
actions concrètes adaptées aux conditions locales. d’idées et de nouveaux concepts, y compris sur des
Cette mise œuvre nécessite une coopération entre questions controversées, d’exposer des méthodologies
tous les acteurs : organisations de la société civile, couramment utilisées et des résultats obtenus dans
organisations professionnelles, partenaires techniques divers projets et, enfin, de fournir des références, des
et financiers, décideurs publics, acteurs du secteur adresses et des sites internet utiles. Ces dossiers sont
privé, établissements d’enseignement supérieur et validés par les membres du comité.
de recherche. La recherche a, quant à elle, le rôle
Jean-Luc Chotte
d’accompagner ces actions ancrées dans les territoires,
Président du CSFD
Directeur de recherche de l’Institut de recherche pour le développement (IRD)

1
Préface
D’une superficie comparable à celle de l’Europe actuelle à des intérêts générés par ce capital. En théorie,
géographique (dix millions de km2), le désert du Sahara l’exploitation sur le long terme de ces ressources en eau
constitue la plus grande étendue de terre aride d’un seul souterraine ne peut être considérée comme durable que
tenant dans le monde. Avec ses confins semi-arides, il si elle touche aux intérêts, donc à la recharge, et non au
occupe la quasi-totalité de l’Afrique septentrionale, de capital, le stock.
l’océan Atlantique à la mer Rouge, et près de la moitié
de la surface totale de ce continent. Cette vaste région Les flux d’alimentation de ces aquifères sahariens (leur
renferme aussi parmi les plus grandes réserves d’eau « recharge ») sont donc très faibles, voire quasi nuls
douce liquide présentes sur Terre. dans certaines zones. Par conséquent, la quantité d’eau
souterraine qui sort naturellement de ces réservoirs,
Le Comité Scientifique Français de la Désertification notamment à l’origine des oasis qui ponctuent le désert,
s’attache, dans ce dossier technique coordonné par est, globalement, très faible. Pourtant, elle est d’une
Yves Travi, qui a consacré l’essentiel de sa carrière à importance capitale, en ces lieux spécifiques, tant
l’étude des ressources en eau de cette région du monde, à pour les sociétés humaines que pour les écosystèmes,
présenter et expliciter cet apparent paradoxe. puisqu’il s’agit de la seule ressource en eau douce de
cette vaste région. En outre, dans de nombreux cas, les
Ce dossier nous rappelle notamment que les eaux débits de sortie naturels actuels, aux oasis notamment,
souterraines constituent, sur notre planète, le deuxième ne sont pas en équilibre avec le climat d’aujourd’hui et
stock d’eau douce après les glaces continentales sont encore le fruit, du fait de la lenteur des écoulements
polaires, loin devant les eaux de surface des lacs et souterrains, de périodes de recharge plus importantes,
des rivières. Il nous montre aussi que la présence de datant d’il y a plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines
ces stocks d’eau douce liquide sur les continents n’est de milliers d’années. C’est pour cette raison que ces eaux
pas directement liée au climat, mais qu’elle dépend souterraines sont souvent qualifiées de « fossiles ».
aussi de la structure géologique du sous-sol. À cet
égard, l’Afrique septentrionale est dotée des meilleurs Ce dossier nous explique aussi que l’introduction, au
réservoirs géologiques en la matière. Il s’agit de bassins cours de la seconde moitié du xxe siècle, de techniques
sédimentaires, parmi les plus vastes du monde, remplis modernes de pompage de l’eau souterraine dans ces
de roches accumulées depuis plusieurs centaines de aquifères par forages profonds a permis un certain
millions d’années sur plusieurs milliers de mètres développement économique dans ces régions, ainsi que
d’épaisseur. Chaque mètre cube de ces roches poreuses, l’amélioration du bien-être des populations concernées.
appelées « aquifères », renferme de 50 à plusieurs Ce mode de prélèvement artificiel de l’eau souterraine,
centaines de litres d’eau exploitables. Et cette eau est par opposition aux sorties naturelles artésiennes dans
douce, elle n’est pas salée par la présence de couches de les oasis, au sein de ces aquifères peu rechargés se fait
sel parmi les sédiments, comme c’est souvent le cas pour souvent en prélevant plus que la recharge, donc en
les aquifères profonds. puisant sur le capital. Il induit aussi des impacts, à plus
ou moins long terme, jusqu’à plusieurs siècles, tant
Ce dossier nous montre néanmoins que, compte tenu du socio-économiques que sur les écosystèmes, impacts eux
climat aride qui règne aujourd’hui dans cette région du aussi bien décrits dans ce dossier.
monde, ces réserves d’eau colossales ne sont, pour une
grande part, que très faiblement alimentées, c’est-à-dire Yves Travi, et les autres contributeurs au dossier,
renouvelées ou « rechargées », par les précipitations (les proposent aussi une excellente perspective sur
pluies) actuelles. Il s’agit là d’une contrainte importante, les différents types de méthodes et d’approches
qui n’existe pas dans les régions du monde qui sont progressivement développées par l’hydrogéologue, le
plus arrosées. En d’autres termes, pour établir une scientifique spécialiste des eaux souterraines, depuis
analogie financière, ces stocks d’eau souterraine peuvent la seconde moitié du xxe siècle. Ces méthodes ont été
être comparés à un capital financier et leur recharge nécessaires pour la connaissance, la mise en valeur

Les ressources en eau profonde


2
du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
et la gestion de ces grands aquifères sédimentaires, valeur ajoutée ; la constitution, au moyen d’une partie
notamment dans ce contexte spécifique aride. Cette des bénéfices économiques tirés de ce capital en eau,
région du monde a ainsi servi de terrain expérimental d’un autre type de capital, technologique ou financier
à de nombreux développements scientifiques (isotopie, par exemple, destiné à garantir un relai efficace lorsque le
datation des eaux souterraines, paléoclimatologie, capital en eau initial sera tari ? En résumé, il s’agit de choix
calage des modèles numériques…) qui, en retour, ont politiques, à effectuer au premier chef par les décideurs
permis d’établir les connaissances sur ces systèmes locaux concernés, pour lesquels l’hydrogéologue doit
hydrogéologiques rares. Ce dossier constitue donc apporter sa contribution technique destinée à éclairer les
additionnellement une excellente illustration de la décideurs ; il doit néanmoins leur laisser toute latitude
manière dont les progrès scientifiques les plus pointus d’effectuer eux-mêmes ces choix politiques. À cet égard,
peuvent profiter au développement économique d’une l’exploitation de type minier des eaux souterraines ne se
région du monde, en l’occurrence ici par sa connaissance distingue pas des autres exploitations minières : nous
hydrogéologique. extrayons un éventail de ressources rares du sous-sol
pour satisfaire nos besoins actuels, sans nous soucier de
Les données et outils techniques sont donc maintenant la façon dont les générations suivantes se procureront
disponibles. Certes, comme le soulignent les auteurs les ressources dont ils auront besoin. Il s’agit là d’un
de ce dossier, des progrès sont encore nécessaires, problème éthique et moral qu’il serait urgent d’aborder,
notamment pour disposer de modèles de simulation tant dans le domaine de l’eau que celui des métaux rares
des écoulements d’eau souterraine encore plus précis et autres minéraux. Un nouveau rapport de prospective
et fiables. Néanmoins, ces données et outils sont d’ores comme celui du Club de Rome de 1972 apparaît comme
et déjà à disposition des décideurs (élus, associations, indispensable aujourd’hui…
représentants professionnels, populations, etc., des
régions concernées) et permettent d’évaluer avec une Le présent dossier thématique vulgarisé sur les
précision satisfaisante non seulement les débits d’eau ressources en eau du désert du Sahara et de ses confins
souterraine exploitables, mais aussi les localisations arides et semi-arides, de grande qualité, satisfera aussi
géographiques les plus appropriées pour cette bien les spécialistes des eaux souterraines désireux
exploitation, et également les incidences, à plus ou d’élargir leur culture hydrogéologique, qu’un grand
moins long terme, de cette exploitation (tarissement public souhaitant se documenter sur la problématique
des sources, assèchement des oasis, augmentation des des ressources en eau de cette région du monde et, plus
coûts de pompage, etc.). Les connaissances scientifiques largement, des régions arides et semi-arides comportant
et techniques sont donc à disposition des décideurs qui de grands bassins sédimentaires à faible recharge.
possèdent de ce fait tous les éléments pour construire et Il servira aussi sans aucun doute d’ouvrage de référence
faire leurs choix parmi différentes politiques d’utilisation permettant d’inspirer les politiques d’utilisation des
de ces eaux souterraines. Faut-il réduire voire stopper ressources en eau souterraine de cette région du monde.
l’exploitation actuelle de ces importantes réserves afin
de laisser ce stock intact pour les générations futures, Patrick Lachassagne
Hydrogéologue, Directeur, HydroSciences Montpellier,
comme cela pourrait être fait pour un gisement minier Université Montpellier, CNRS, IRD, France
laissé « en réserve » par exemple ? À l’opposé du champ des Président du Comité Français d’Hydrogéologie
de l’Association Internationale des Hydrogéologues
possibles, faut-il utiliser ce capital en quelques décennies
afin de satisfaire des besoins qui, avec le recul du long
terme, pourront paraître superflus, surtout si aucune Ghislain de Marsily
Professeur émérite à Sorbonne Université
solution relai n’est prévue ? Des solutions intermédiaires Membre de l’Académie des Sciences, France
sont-elles envisageables, en s’inspirant par exemple
de celles mises en œuvre par certains pays disposant
de ressources pétrolières ou minières importantes : la
satisfaction aujourd’hui de besoins vitaux et/ou à haute

Préface 3
pp Lac Katam, Tchad. © Jacques Taberlet

4 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Sommaire
Introduction : l’eau douce, un enjeu mondial.................................................................................6
Eaux fossiles et désertification.................................................................................................... 10
Caractéristiques générales des aquifères fossiles................................................................... 18
Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale...............................................26
Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ?.................................38
Quel avenir pour les aquifères profonds des régions saharo-sahéliennes ?.........................50
Pour en savoir plus….....................................................................................................................52
Lexique.............................................................................................................................................56
Acronymes et abréviations............................................................................................................56

Sommaire 5
Introduction : l’eau douce, un enjeu mondial

L’eau, sur la Terre, est essentiellement contenue dans souterraine dans les nappes, ou encore alimente les lacs ;
les océans. L’eau douce continentale représente un peu le reste constitue l’eau « verte » qui est provisoirement
moins de 3 % et se décompose en deux entités : les stocks stockée dans le sol, puis directement évaporée ou
et l’eau du cycle de l’eau renouvelable (Marsily et al., absorbée puis évapotranspirée par les plantes. L’eau bleue
2015). Quand il pleut, une fraction de l’eau qui atteint représente environ 32 % des précipitations à l’échelle du
le sol contribue à l’eau dite « bleue » qui s’écoule en globe, soit approximativement 36 000 km3 d’eau de pluie
surface, dans les rivières et, après percolation, de façon par an (Marsily et al., 2018 ; Marsily, à paraître).

pp Irrigation, Tunisie. Monsfe Hnshir (agriculteur) témoigne de l'importance de l'irrigation de sa parcelle agricole, Kettana, Tunisie.p
Christian Lamontagne © IRD

UNE RESSOURCE LIMITÉE ?

La ressource en eau directement utilisable par les Les prélèvements d’eau bleue (tout type d’usage
populations appartient à l’eau bleue. Celle-ci est confondu) sont en 2020 de l’ordre de 4 700 km3/an
principalement utilisée à des fins domestiques, dans le monde, soit 13 % de l’eau disponible, pour
industrielles, de transport et d’irrigation agricole. La une consommation de 2 500 km3/an, soit 7 % de l’eau
ressource en eau domestique s’intègre donc dans un disponible. L’irrigation constitue la part principale des
objectif plus général de gestion et de préservation de la prélèvements car elle concourt à assurer les besoins
ressource en eau. alimentaires des populations.

6 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
pp Disponibilité en eau douce (m3/personne/an) en 2017. D’après FAO-AQUASTAT, 2019

DES SITUATIONS RÉGIONALES VARIÉES

La croissance de la population mondiale, l’intensification Toutefois, cette vision globale reflète imparfaitement
de l’agriculture, l’augmentation de l’utilisation de l’eau la réalité lorsqu’on considère l’échelle régionale. En
dans l’industrie entraînent une hausse continue de la effet, l’eau douce n’est pas répartie équitablement
demande en eau. Les besoins en eau, à l’horizon 2050, sur le globe (cf. carte ci-dessus), suivant en cela
devraient ainsi augmenter d’environ 50 %, en particulier l’abondance ou la rareté des précipitations en plus d’une
du fait de la demande en irrigation agricole. Malgré cela, distribution de la population souvent en inadéquation
la demande sera encore très inférieure à l’eau disponible. avec cette ressource. La gestion de l’eau peut alors être
On ne peut donc pas parler de pénurie d’eau douce à confrontée à différents enjeux contradictoires et des
l’échelle mondiale. choix stratégiques doivent s’opérer. Par exemple, l’eau

Introduction : l’eau douce, un enjeu mondial 7


potable, selon les endroits, peut être confrontée à des L’Afrique septentrionale est un bon exemple de cette
problèmes de rareté, de transport et/ou de qualité. problématique car cette région abrite de nombreux
Dans les zones déficitaires, l’eau potable entre grands aquifères transfrontières non ou peu alimentés.
directement en concurrence avec d’autres utilisations Ces eaux souterraines constituent souvent la principale
beaucoup plus consommatrices (comme l’irrigation) et et, parfois, la seule ressource en eau douce disponible
oblige à mettre en place des stratégies comme celle de et leur utilisation peut ainsi être source de conflits. Par
compenser la diminution de la consommation d’eau conséquent, ces aquifères ont été très étudiés au cours
d’irrigation par l’importation de la nourriture qu’il n’est de la période 1990-2010 et ont fait l’objet d’actions
plus possible de produire sur place. concrètes de rapprochement entre les pays concernés
pour une gestion commune. Ces actions se sont ensuite
Compte tenu de l’importance considérable de la considérablement ralenties du fait de l’insécurité
ressource en eau douce pour l’humanité, en particulier endémique régnant dans la plupart de ces pays. Mais
à la lumière des changements climatiques, la gestion les connaissances apportées et les actions en cours
durable de cette ressource devient une priorité. Ainsi, sont suffisantes pour apporter un éclairage sur leur
parmi les 17 objectifs de développement durable (ODD), lien possible avec les phénomènes de désertification
adoptés le 25 septembre 2015 par les États membres des et décrire leur fonctionnement hydrogéologique
Nations Unies, l’ODD 6 s’intéresse tout particulièrement fortement influencé par les climats du passé, et dont
à l’eau (cf. zoom ci-contre). l’étude s’appuie sur les méthodes isotopiques et les
modélisations. Dans cet ouvrage, ces deux aspects font
LE STOCK D’EAUX DOUCES SOUTERRAINES l’objet des deux premiers chapitres. L’hydrogéologie et
l’étude de ces systèmes sont décrites en détail dans le
95 % de l’eau utilisée sur Terre proviennent de la troisième chapitre, en s’appuyant sur trois exemples
ressource renouvelable. Les 5 % restants proviennent du de grands systèmes aquifères profonds : le bassin du
stock d’eau souterraine. À l’échelle mondiale, ce stock Tchad, le système aquifère des grès nubiens (NSAS)
décroît continuellement du fait (1) d’une surexploitation et le système aquifère du Sahara septentrional (SASS).
pour l’irrigation de quelques grandes ressources en eau Enfin, dans le dernier chapitre, la question de la gestion
souterraine comme c’est le cas en Inde, aux États-Unis, rationnelle de ces grands systèmes et son aspect
au Pakistan, en Iran et au Mexique (Döll et al., 2016) et transfrontière sont abordés en décrivant en détail
(2) surtout du fait de l’utilisation des eaux fossiles de les actions entreprises sur le NSAS et le SASS. C’est
grands aquifères non renouvelés, souvent seule ressource également l’occasion de rappeler les textes juridiques
régionale d’importance disponible dans les régions où ils internationaux en vigueur dans ce domaine.
se trouvent.

qq Dunes du Grand Erg Oriental, Tunisie. Vincent Bonneau © IRD

8 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> ZOOM | Un ODD dédié à l’eau
L’ODD 6 vise à « garantir l’accès de tous à l’eau et à et mentionne la réduction du nombre de personnes souffrant
l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources de la rareté de l’eau. Cet objectif intègre la notion de gestion
en eau ». Plus précisément, cet objectif vise un accès universel transfrontalière de cette ressource, essentielle à sa gestion
et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement durable mais aussi favorable à la paix et à la coopération.
d’ici 2030, en particulier pour les populations vulnérables. Il L’ODD 6 s’accompagne de huit cibles qui contribuent chacune à
appelle également à une gestion durable de cette ressource, l’atteinte de cet objectif (cf. tableau ci-dessous).

Cibles Descriptifs
Accès à l’eau potable 6.1 D’ici à 2030, assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable.
6.2 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous, dans des conditions équitables, à des services d’assainissement et d’hygiène
Accès aux services
adéquats et mettre fin à la défécation en plein air, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et
d’assainissement et d’hygiène
des filles et des personnes en situation vulnérable.
6.3 D’ici à 2030, améliorer la qualité de l’eau en réduisant la pollution, en éliminant l’immersion de déchets et en
réduisant au minimum les émissions de produits chimiques et de matières dangereuses, en diminuant de moitié
Qualité de l’eau
la proportion d’eaux usées non traitées et en augmentant considérablement à l’échelle mondiale le recyclage et la
réutilisation sans danger de l’eau.
6.4 D’ici à 2030, augmenter considérablement l’utilisation rationnelle des ressources en eau dans tous les secteurs et
Gestion durable des ressources
garantir la viabilité des prélèvements et de l’approvisionnement en eau douce afin de tenir compte de la pénurie d’eau
en eau
et de réduire nettement le nombre de personnes qui souffrent du manque d’eau.
6.5 D’ici à 2030, mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux, y compris au moyen
Gestion intégrée des ressources
de la coopération transfrontière selon qu’il convient.
Protection et restauration des 6.6 D’ici à 2020, protéger et restaurer les écosystèmes liés à l’eau, notamment les montagnes, les forêts, les zones
écosystèmes humides, les rivières, les aquifères et les lacs.
6.a D’ici à 2030, développer la coopération internationale et l’appui au renforcement des capacités des pays en
Coopération et renforcement de développement en ce qui concerne les activités et programmes relatifs à l’eau et à l’assainissement, y compris la
capacités collecte de l’eau, la désalinisation, l’utilisation rationnelle de l’eau, le traitement des eaux usées, le recyclage et les
techniques de réutilisation.
6.b Appuyer et renforcer la participation de la population locale à l’amélioration de la gestion de l’eau et de
Gestion collective de l’eau
l’assainissement.

Introduction : l’eau douce, un enjeu mondial 9


Eaux fossiles et désertification

En dehors des grands bassins fluviaux, la présence d’eau de milliers d’années. Leur surexploitation par l’homme
douce dans les zones arides ou désertiques de la bande (par drainage et pompage) ou leur vidange naturelle
saharo-sahélienne, sous la forme de lacs ou de sources conduisent à l’asséchement et/ou à la salinisation de
(oasis), est souvent exclusivement liée à l’émergence ces zones humides et, par voie de conséquence, à la
d’eaux souterraines profondes, considérées comme disparition de leur biodiversité. La préservation des
« fossiles » car accumulées lors des périodes pluvieuses ressources en eaux souterraines profondes constitue un
du Quaternaire, il y a des milliers voire des centaines facteur important pour lutter contre la désertification.

qq Lac Oum El Ma erg d'Oubari en Libye. Résurgence d'eau souterraine.


© Philippe Crochet

10 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> ZOOM | Un peu de terminologie hydrogéologique…
Aire d’alimentation ou zone de recharge : domaine dans Décompression hydraulique : lors de l’exploitation ou de la
lequel ont lieu les apports d’eau, continuels ou temporaires, vidange naturelle d’une nappe emprisonnée entre deux niveaux
qui alimentent une nappe, un aquifère défini, notamment un imperméables (« nappe captive »), son niveau piézométrique
aquifère en partie captif, non alimenté sur toute son étendue. baisse, comme pour une nappe libre mais sans que l’aquifère
Aire d’influence d’un captage : domaine dans lequel le niveau ne soit désaturé. Seule la pression en son sein diminue. Cela
piézométrique d’une nappe est influencé, c’est-à-dire modifié entraîne d’une part une diminution (élastique en général,
par des rabattements sous l’effet d’un prélèvement. donc réversible) de la porosité de la roche et, d’autre part, une
décompression de l’eau qu’elle renferme, d’où le terme de «
Alimentation d’une nappe : apport d’eau externe, de toutes
décompression hydraulique ». Ce sont ces deux processus qui
origines, à un aquifère.
permettent la production d’eau sans désaturer le milieu.
Aquifère : couche ou massif de roches perméables comportant
Drainance : transfert d’eau souterraine, le plus souvent vertical
une zone saturée (ensemble du milieu solide et de l’eau
et lent, à travers un niveau semi-perméable.
contenue) suffisamment conducteur d’eau souterraine pour
permettre l’écoulement significatif d’une nappe souterraine et Nappe d’eau souterraine : ensemble des eaux comprises dans
le captage de quantités d’eau appréciables. la zone saturée d’un aquifère, dont toutes les parties sont en
liaison hydraulique.
Aquifère captif et nappe captive : aquifère surmonté d’horizons
géologiques peu perméables dont la nappe souterraine qu’il Niveau piézométrique : niveau supérieur de la colonne liquide
contient est sans surface libre ; elle est soumise en tous statique qui équilibre la pression hydrostatique au point auquel
points à une pression supérieure à la pression atmosphérique. elle se rapporte. Il est matérialisé par le niveau libre de l’eau
Cette nappe est dite « captive » et sa surface piézométrique dans un tube vertical ouvert au point considéré (piézomètre).
est supérieure au toit de l’aquifère. Ainsi, la baisse du niveau Système aquifère : aquifère ou ensemble d’aquifères et de
piézométrique ne désature pas l’aquifère, limité par son toit, corps semi-perméables (« aquitards ») d’un seul tenant, dont
mais entraîne une décompression hydraulique. toutes les parties sont en liaison hydraulique continue et qui est
Aquifère libre et nappe libre : aquifère généralement circonscrit par des limites faisant obstacle à toute propagation
superficiel dont la surface piézométrique forme la limite d’influence appréciable vers l’extérieur. Un système aquifère
supérieure et dont la nappe est dite « à surface libre ». Le niveau est à la fois le champ d’écoulement des eaux souterraines (et
piézométrique fluctue librement et sa pression est équivalente de transport par celles-ci), suivant la répartition des potentiels
à la pression atmosphérique. Lorsque le niveau piézométrique (charge hydraulique ou pression de la colonne d’eau), et
baisse le réservoir se désature. le champ de propagation d’influences de toutes origines,
naturelles (recharge, décharge par exemple) et artificielles
Artésianisme : phénomène de jaillissement d’eau souterraine
(pompage par exemple).
à la surface du sol.
Zone non saturée : système à trois phases (solide, liquide, gaz)
Artésien : qualifie un puits ou un forage exploitant une nappe
où seule une partie des espaces lacunaires sont remplis d’eau,
captive, dans lequel l’eau s’élève naturellement.
le reste étant occupé par l’air du sol.
Champ de captage : domaine comportant un certain nombre de
Zone saturée : système à deux phases (solide, liquide) où tous
captages, de puits de pompage interconnectés ou non, disposés
les pores du milieu solide sont remplis d’eau.
de manière à restreindre leurs interférences et exploités
Pour plus d’informations : Castany et Margat, 1977 ; Collin, 2004
ensemble pour une même utilisation. http://hydrologie.org

Eaux fossiles et désertification 11


LES EAUX FOSSILES : DES RESSOURCES ANCIENNES environnementales acceptables. En effet, la « réserve »
ET VULNÉRABLES d’eau, que l’on peut entamer dans un premier temps,
si le réservoir est suffisamment épais et si le niveau de
Schématiquement, et du point de vue de leur gestion, la nappe est proche du sol, peut alors se reconstituer
il existe deux catégories de systèmes aquifères, à savoirsur le moyen terme. Une gestion durable veut que l’on
(1) ceux dans lesquels l’eau souterraine s’écoule et qui s’intéresse seulement à cette partie renouvelable.
se rechargent au fil des saisons – les systèmes aquifères
« renouvelables » – et (2) ceux qui se rechargent peu ou On trouve fréquemment ces systèmes aquifères dans
pas en raison des contextes climatique les régions humides ou tempérées,
et/ou géologique – les systèmes Les eaux fossiles se notamment sous la forme de nappes
aquifères « non renouvelables » ou « peu sont accumulées dans alluviales ou colluviales, ou encore
renouvelables ». La gestion durable de des aquifères à des dans les systèmes karstiques où l’eau
ces deux types de système repose sur s’écoule de manière significative
des schémas d’exploitation différents.
époques géologiques durant un cycle hydrologique. Ils sont
lointaines, il y a des beaucoup moins nombreux dans
Les aquifères renouvelables sont milliers voire des les régions arides ou semi-arides
réalimentés dans leurs zones de
centaines de milliers où les réseaux hydrographiques se
recharge par les pluies directement, résument souvent aux grands fleuves.
par percolation, ou indirectement, via d’années lorsque les Les nappes superficielles des régions
les eaux de surface. Parfois, ils peuvent conditions climatiques sahéliennes sont réalimentées au cours
aussi être réalimentés par les nappes étaient plus humides des saisons des pluies, mais elles restent
profondes, en particulier dans les zones très vulnérables du fait de réserves
de pompage, par le phénomène de
qu’aujourd’hui. très limitées et qui résistent mal à de
drainance ascendante entre deux aquifères contigus et longues périodes de sécheresse.
superposés et provoquée par la baisse de charge (ou du
niveau piézométrique) de l’aquifère superficiel. La partie Les aquifères non renouvelables, au contraire, sont
renouvelable de cette ressource peut être considérée peu ou pas réalimentés, du fait de leurs caractéristiques
comme étant la part du flux naturel moyen que l’on peut hydrogéologiques, mais aussi et surtout parce qu’ils
utiliser dans des conditions techniques, économiques et se situent aujourd’hui sous des climats arides ou

12 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
semi-arides alors qu’ils se sont constitués, pour n’influencent souvent que relativement peu les flux
l’essentiel, lors de périodes géologiques anciennes, plus naturels sortants (aux sources et par drainance). Dans
humides. Les précipitations dans ces régions sont en effet le cas des nappes captives profondes, ce déstockage
souvent trop faibles et l’évapotranspiration trop forte ne désature pas le réservoir mais provoque une
pour recharger significativement les nappes profondes. décompression hydraulique.
Dans cette seconde catégorie, qui correspond en général
aux aquifères des grands bassins sédimentaires, l’eau est Dans les régions humides ou tempérées, les aquifères
alors dite « fossile ». non renouvelables existent à côté de cours d’eau
permanents et d’aquifères renouvelables, mais ces
Par définition, les eaux fossiles sont donc des eaux derniers sont utilisés de préférence et, lorsque la
d’origine atmosphérique qui se sont rechargées décompression est suffisante, ils peuvent même parfois
directement ou indirectement, via les fleuves et les réalimenter les aquifères sous-jacents (par drainance
lacs, au cours des épisodes humides du Quaternaire. descendante). Leur gestion y est donc relativement plus
Compte tenu de leur enfouissement dans les niveaux aisée.
captifs et loin des zones de recharges, ces eaux sont
sous pression (« en charge ») et peuvent rejoindre la À l’échelle du globe, l’exploitation de ces aquifères
surface naturellement − sous forme de sources ou non renouvelables ne représente pas des quantités
de venues diffuses qui alimentent des fleuves et des d’eau considérables (32 km3/an, soit environ 4 % de
lacs comme par exemple le lac Yoa au nord du Tchad l’exploitation d’eau souterraine mondiale). Mais, dans
(cf. photographie ci-dessous) − ou artificiellement (à les régions arides ou semi-arides, les aquifères non
l’aide de forages). renouvelables constituent souvent la principale – voire
la seule – ressource en eau mobilisable. Leur utilisation
Les prélèvements anthropiques (artificiels) de ces s’apparente donc à une exploitation de type minier,
eaux fossiles correspondent essentiellement à du c’est-à-dire avec un risque important d’épuisement
déstockage et, dans les premières années d’exploitation, (cf. zoom page suivante).

tt Accès à l'eau au Niger. qq Lac Yoa (370 ha, profondeur maximale 25 m) près d’Ounianga Khebir,
Forage artésien. Nord du Tchad. Entre le Tibesti et l’Ennedi, ce lac est alimenté par plusieurs
Wankam, dans la région de Tillabéri. sources qui jaillissent des grès fracturés (eau à 300 mg/l de minéralisation). p
Tahirou Amadou © IRD © Jacques Taberlet

Eaux fossiles et désertification 13


> ZOOM | Exploitation minière des eaux fossiles :
une caractéristique des zones sèches ?
Pour l’essentiel, et même en totalité dans la plupart des pays exploitations minières s’élèverait à 4 % au plan mondial, ce
du monde, les exploitations d’eau souterraine captent des qui est relativement faible. Toutefois, ce type d’exploitation
ressources renouvelables. Toutefois, une fraction minime des eaux fossiles se concentre dans quelques pays et
de ces prélèvements au plan mondial, mais notable dans est prédominante dans certains d’entre eux (cf. carte
quelques pays, correspond à des exploitations minières de ci-dessous).
ressources non renouvelables.
Les pays producteurs
Quantité d’eau produite dans le monde par exploitation L’exploitation minière des eaux souterraines est relativement
minière concentrée : les trois plus grands pays producteurs
Sur la base des statistiques disponibles (données de − Arabie saoudite, Libye et Algérie − cumuleraient près de
1995 à 2005), relativement anciennes et incomplètes, 85 % du total mondial estimé. Il est à remarquer qu’il s’agit
l’exploitation minière d’eau souterraine atteindrait, pour de pays dont l’économie est en majeure partie minière
cette période récente, environ 32 km3/an dans le monde (exploitation des hydrocarbures), pour qui la valorisation
(cf. tableau ci-contre). de ressources non renouvelables est familière et normale,
même s’agissant de l’eau… L’exploitation minière de l’eau
Part de ces productions par rapport aux exploitations est ainsi une spécialité de la zone aride et hyperaride :p
totales d’eau souterraine la quasi-totalité de ces extractions (98,5 %) se situe dans
L’exploitation totale d’eau souterraine dans le monde les pays arabes.
s’élève à environ 800 km3/an. Aussi, la part due aux

pp Exploitation minière des ressources en eau souterraine non renouvelables dans le monde. D’après Margat, 2006

Au-delà d’un certain seuil, toute utilisation


des eaux fossiles est considérée comme une
surexploitation qui conduit à la disparition
progressive du stock d’eau contenu dans
l’aquifère. Ces eaux constituent alors une
ressource exploitée de type minier.

14 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Dans les plus grands pays producteurs, l’extraction Ces exploitations minières de ressources en eau non
des ressources non renouvelables est une source renouvelables sont des facteurs de développement
d’approvisionnement notable, souvent dominante, voire la appréciables à court et moyen termes, mais, à l’évidence,
seule. Celle-ci couvre une majeure partie des besoins en qui risquent de poser des problèmes à long terme,
eau (principalement pour l’irrigation) : humains, sociétaux et écologiques.
• 86 % en Arabie saoudite
• 83 % en Oman
• 74 % dans les Émirats Arabes Unis
• 71 % en Libye D’après Margat, 2008
• 35 % en Algérie (~ 100 % au Sahara) Pour plus d’informations : Marsily et al ., 2015 ; Marsily, à paraître

Pays Date des données Extraction km3/an Aquifères exploités Références


Arabian Multilayered
Arabie saoudite 2000 20,47 Abdurrahman, 2002
Aquifer System
Nubian Sandstone Bakhbakhi, 2002
Lybie 1999-2000 3,2
Aquifer SASS, Murzuk OSS, 2003
Algérie 2000 1,68 SASS OSS, 2003
Émirats Arabes Arabian Multilayered
1995-96 1,57 ESCWA, 1999
Unis Aquifer System
Oman 1998 1,09 ESCWA, 1999
Nubian Sandstone
Égypte 2002 0,9 ESCWA, 1999
Aquifer
Al Asbahi, 2005
Yémen 2005 0,9 Tihama Aquifer
(IWC-Env.)
Tunisie 2000 0,46 SASS OSS, 2003
Jordanie 1998 0,35 Disi Aquifer ESCWA, 1999
Arabian Multilayered
Koweït 1998 0,25 ESCWA, 1999
Aquifer System
Mali 2000 0,2 Bassin de Taoudéni OSS/UNESCO, 2005
Sénégal 2003 0,18 Maastrichtien OSS/UNESCO, 2005
Arabian Multilayered
Bahreïn 1995-96 0,16 ESCWA, 1999
Aquifer System
Arabian Multilayered
Qatar 1995-96 0,15 ESCWA, 1999
Aquifer System
Afrique du Sud - ~ 0,10 Karoo Aquifer
Mauritanie 2003 0,09 Maastrichtien OSS/UNESCO, 2005
pp Exploitation minière des ressources en eau souterraine non renouvelables dans le monde.
Productions contemporaines d’après les données disponibles.

qq Oasis d'El Guettar, Tunisie. Forage profond atteignant les aquifères fossiles. Situé en amont de l'oasis,
l'eau s'écoule gravitairement vers les parcelles cultivées et les habitations. Jean-Pierre Montoroi © IRD

Eaux fossiles et désertification 15


SALINISATION ET PERTE DE BIODIVERSITÉ Assèchement des zones humides et salinisation…

Qu’elles jaillissent naturellement (sources pouvant Par exemple, l’oasis de Kufrah (Sud de la Libye, près des
alimenter des oasis) ou artificiellement (forages), les frontières du Tchad et de l’Égypte) était un magnifique
conditions d’exutoire et d’utilisation des eaux fossiles lac d’eau douce en 1924. Devenu un lac salé en une
peuvent avoir une incidence importante − telle que la quarantaine d’années (jusqu’aux années 1960), il a
salinisation des eaux et des sols ou l’arrêt du jaillissement complètement disparu aujourd’hui du fait de l’arrêt de
naturel de la ressource − dans des environnements l’artésianisme. Les palmeraies sont depuis alimentées
fragiles, comme par exemple celui de l’oasis de Kufrah par des forages profonds de plusieurs dizaines de mètres
(Lybie) ou encore au Sud de la Tunisie. (voir les photos ci-dessous).

Étant par définition peu ou pas rechargés, ces aquifères


constituent une ressource de type minier ; cette
ressource est donc menacée à plus ou moins long terme
1924
dès que la vidange (naturelle) ou les prélèvements
sont supérieurs à l’alimentation en eau. Que ce soit
naturellement, très lentement, ou plus rapidement du
fait d’une forte exploitation, la pression hydraulique
diminue dans l’aquifère (décompression hydraulique),
le niveau piézométrique de la nappe baisse, entraînant
progressivement la disparition des sources et, par voie de
conséquence, de ces oasis.

Par ailleurs, du fait de la très forte évaporation de l’eau


liée aux températures élevées qui prédominent dans ces
environnements, la salinisation des eaux et des sols peut 1968
y être importante. En effet, les sels (éléments dissous)
présents naturellement dans les eaux souterraines ne
s’évaporent pas et s’accumulent sur place. La salinisation
est donc associée à la dynamique des eaux souterraines
qui alimentent les eaux de surface et accompagne ainsi
souvent la baisse des niveaux et des débits des eaux
souterraines. Ces évolutions ont forcément un impact
négatif important sur la biodiversité.

2004

pp Évolution du lac de l’oasis de Kufrah de 1924 à nos jours.


Haut : d’après Edmunds, Travi et al ., 2001
Milieu : © W.M. Edmunds
Bas : © Y. Travi

16 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
La baisse du niveau du lac, concomitante à la baisse de
son alimentation, entraîne la disparition de son exutoire.
L’eau n’est plus suffisamment renouvelée et le lac se
concentre alors du fait de l’évaporation. De même, dans
les endroits où l’eau stagne avec une faible épaisseur ou
effectue des allers-retours, les dépôts de sels s’installent
rapidement (comme c’est le cas autour du lac Youan au
Tchad, cf. photos ci-contre).

… et perte de la biodiversité

Une microfaune et une macrofaune, permanentes ou


saisonnières, très riches, sont présentes autour et au
sein de ces plans d’eau douce en plein désert. Il est pp Zone du lac Yoa (Tchad). Source d’eau douce et dépôts de sel à proximité.
évident que la disparition totale, ou la salinisation, © Ministère en charge de l'Eau, Bureau national de la commission conjointe de la nappe des grès de
Nubie, Ndjamena, Tchad
de ces plans d’eau s’accompagne de la disparition de la
quasi-totalité de la biodiversité.

Même si, à plus ou moins long terme, certains de ces


sites naturels sont condamnés par la vidange et la
décompression naturelle de l’aquifère profond, une
bonne gestion de la ressource en eau peut les préserver
pour de nombreuses années. La salinisation peut en effet
être combattue en assurant un bon drainage des plans
d’eau et les forages peuvent remplacer les venues d’eau
naturelles à condition que leurs débits soient adaptés
aux conditions hydrogéologiques pour préserver au
maximum la ressource.

Pour en savoir plus sur la description et le comportement pp Zone d'Ounianga Serir, lac Teli, Tchad. p
hydrologique de ces lacs : Van Der Meeren Thijs et al., Dépôts de sels sur les rives du lac. © Jacques Taberlet

2019.

pp Présence d’oiseaux dans les eaux douces du lac Bokou, près d’Ounianga Serir au Nord du Tchad.
© Ministère en charge de l'Eau, Bureau national de la commission conjointe de la nappe des grès de Nubie, Ndjamena, Tchad

Eaux fossiles et désertification 17


Caractéristiques générales
des aquifères fossiles

pp Forage artésien dans le bassin du Lac Tchad, Nigeria. © I. Baba Goni

PALÉO-HYDROLOGIE : DES AQUIFÈRES PROFONDS


RELIQUES DES PÉRIODES HUMIDES DU QUATERNAIRE

Il existe de nombreux indices (peintures rupestres,


outils, etc.) indiquant la présence ancienne de zones
peuplées, avec de l’eau en abondance et une végétation
dense, dans les régions sahariennes et subsahariennes.
De larges rivières, dont les lits sont encore visibles dans
la topographie, s’écoulaient vers le Nord en direction de
la Méditerranée ou vers l’Atlantique au Sud ou encore
vers de vastes dépressions lacustres. Des traces de la
présence de lacs (des sédiments ou des restes et fossiles
de faune) sont actuellement visibles dans les endroits
pp Lac fossile dans le Sahara algérien (In Atei), constitué d’alternances de les plus arides du Sahara (cf. la photographie à gauche et
diatomites et de dépôts détritiques fins et grossiers. De nombreux fossiles celle ci-contre).
de poissons d’eau douce sont présents dans les diatomites. On trouve
également sur les berges des restes d’animaux sauvages, du charbon de
bois et des outils préhistoriques. © Yves Travi

18 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
pp Peinture rupestre en Libye. Pour les Touaregs, le djebel Akakus est la Tadrart, « la montagne » en tamasheq, sous-entendu le massif le plus haut du
sud-ouest libyen. Le site préhistorique du Tadrart Akakus a été classé site du Patrimoine Mondial par l'UNESCO pour sa richesse exceptionnelle en gravures
et peintures rupestres. Au travers des animaux et des figures humaines représentées, cette zone quasi-désertique témoigne de l'évolution du climat à travers
le temps. Christian Leduc © IRD

Les réservoirs souterrains pouvaient alors se remplir


à partir des reliefs centraux du Sahara jouant un rôle
de « château d’eau » ou par infiltration des grandes Sahara : épisode humide
700
étendues lacustres. Les datations obtenues montrent
que des recharges épisodiques ont eu lieu aux différentes
époques humides de l’Holocène et du Pléistocène 600
tardif. À l’heure actuelle, le Sahara et le Sahel
regorgent ainsi d’importantes quantités d’eau
stockées en profondeur héritées de ces périodes
CH4

500
anciennes. Les oasis du désert représentent les seuls
« restes » visibles du fonctionnement hydrologique de
ces époques. Ils constituent les points de sortie naturels 400

de ces vastes aquifères profonds, sous l’effet de la


pression, de l’eau infiltrée il y a plusieurs milliers
d’années (cf. zoom page suivante). 300
0 50 100 150
Age (*103 ans)
pp Évolution du climat (en relation avec les concentrations atmosphériques
du méthane) sur 150 000 années, et phases pluviales au Sahara. p
D’après Petit-Maire et al., 1991

Caractéristiques générales des aquifères fossiles 19


> ZOOM | Oasis : une réminiscence des périodes humides anciennes
Les oasis, en zones désertiques, sont alimentées par de la nappe (actuel ou ancien) au niveau de dépressions
des eaux souterraines d’origine profonde. Celles-ci topographiques (cf. schéma ci-dessous, à gauche).
peuvent remonter à la surface à la faveur de fractures,
Les exutoires se présentent sous la forme de sources, de
associées à des structures géologiques diverses, plus
plans d’eau ou de zones humides.
ou moins complexes, ou par affleurement de la surface

pp Cycle de l’eau en région aride. La pluie de l’époque actuelle peut mettre plusieurs pp Oasis d'Aoué et ses palmiers au nord de la
dizaines ou centaines d’années pour atteindre la nappe. Le niveau de cette dernière s’ajuste guelta d'Archei au Tchad. Marcel Roche © IRD
aux conditions arides actuelles. D’après Edmunds, Travi et al., 2001

pp Guelta d'Archei, au sud-ouest du massif de l’Ennedi. © Jacques Taberlet

20 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
FONCTIONNEMENT DES AQUIFÈRES PROFONDS
DE LA ZONE SAHARO-SAHÉLIENNE

Le Sahara : présence de vastes aquifères

La majeure partie du Sahara reçoit moins de 100 mm de Les eaux souterraines s’écoulent généralement depuis
pluie par an. On trouve toutefois de l’eau souterraine de les reliefs qui s’étendent au centre du Sahara (Hoggar,
bonne qualité dans un grand nombre de vastes bassins Tassili, Tibesti, Air, Adrar des Iforas, Ennedi), zones
sédimentaires, mais l’extraction de cette d’alimentation potentielle (les zones
eau potable nécessite parfois des ouvrages Les bassins de recharge), vers le centre des bassins
de captage très profonds. La géochimie et
sédimentaires du où l’écoulement des eaux est le plus
l’hydrologie isotopique (cf. p. 23) ont démontré souvent très lent (quelques mètres par
qu’il s’agissait d’eaux anciennes alimentées Sahel et du Sahara an) avec une composante verticale
par les pluies (recharges) durant des périodes contiennent de ascendante relativement importante
anciennes qui bénéficiaient alors de climats grandes ressources (cf. carte et schéma ci-contre).
plus humides que ceux d’aujourd’hui.
en eau souterraine
fossile.

pp Le Sahara.

uu Représentation
schématique des paysages, de
la recharge et de l’évolution
de la qualité des eaux
souterraines dans la partie
africaine du Sahara.
D’après Edmunds, Travi et al., 2001

qq Délimitation
des grands
aquifères
profonds captifs
en Afrique
septentrionale.
D’après Seguin et
Gutierrez, 2016

Caractéristiques générales des aquifères fossiles 21


Ainsi, des réserves étendues d’eaux anciennes fossiles Plusieurs bassins sédimentaires se trouvent dans la zone
existent dans de larges bassins sédimentaires du Sahara sahélienne (sénégalo-mauritanien, Tchad, Iullemeden)
à l’image du système aquifère du Sahara septentrional toutefois relativement plus petits que leurs équivalents
(cf. p. 34). Ces bassins comprennent des séries de la zone nord-saharienne.
géologiques s’étendant du Cambrien (ère primaire)
au Quaternaire et renferment de nombreuses strates Plusieurs de ces bassins se situent dans des grabens
perméables contenant de l’eau douce jusqu’à 2 000 m de (fossés d’effondrement) du socle (bouclier africain,
profondeur. composé de granites, roches métamorphiques et
roches sédimentaires anciennes). Les aquifères ont été
Les eaux douces passent progressivement à des eaux fortement réalimentés au cours du Pléistocène et, plus
saumâtres en s’approchant des côtes en même temps localement, au cours de l’Holocène, et de nombreux
que les faciès géologiques continentaux laissent place à paléo-lacs témoignent des derniers climats humides
des faciès marins dominés par les carbonates. autour de 4 000 ans BP (Before Present*).

Le Sahel : des aquifères plus petits Comme pour le Sahara, la plupart des eaux souterraines
du Sahel sont fossiles et des recharges actuelles
Le Sahel sépare la zone tropicale humide du Sahara significatives interviennent seulement le long des rivières
proprement dit. Deux grands fleuves, le Sénégal et le pérennes ou saisonnières.
Niger, comme le Nil plus à l’Est, s’étendent à travers
le Sahel, apportant l’eau en provenance de la zone
tropicale humide. De même, le Chari fournit la principale
alimentation en eau du lac Tchad. * Par convention, la date du « présent » est située au 1er janvier 1950.

pp Représentation schématique des paysages et de la présence des eaux souterraines dans les régions sahéliennes.
D’après Edmunds, Travi et al., 2001

22 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
INDICATEURS PALÉOCLIMATIQUES ET OUTILS DE Une série de radio-isotopes et d’éléments chimiques
DATATION d’origine anthropique (comme les chlorofluorocarbones
– CFC − communément appelés fréons, par exemple)
Utilisation de traceurs isotopiques peut être utilisée pour estimer l’âge de l’eau. Ces traceurs
couvrent des périodes allant de quelques dizaines
Pour reconstituer les climats terrestres anciens, d’années à plusieurs dizaines ou centaines de milliers
les scientifiques s’appuient sur des indicateurs d’années (cf. figure ci-dessous). Beaucoup de ces traceurs
paléoclimatiques. L’eau rencontrée au-dessus ou sont d’une utilisation et d’une interprétation délicates et
au-dessous du niveau des nappes peut fournir des nécessitent l’intervention d’un spécialiste.
renseignements utiles pour reconstituer le climat
du passé et déterminer les périodes de recharge des
He/3H
3

aquifères. Pour cela, sont utilisés des traceurs sensibles H


3

aux variations climatiques (température et pluviométrie) 85


Kr
et des indicateurs de temps de séjour pour dater l’eau freons, SF6
souterraine et situer ainsi, dans le temps, l’évolution des 36
CI
paramètres climatiques. 39
Ar
226
Ra
14
C
81
Kr
4
He
Ar/ Ar
40 36

0.1 1 10 102 103 104 105 106 Temps (années)


L’eau souterraine est une Périodes possibles de datation
mémoire du passé. L’eau peut pp Échelles de temps couvertes par les différents traceursp
D’après Edmunds, Travi et al., 2001
garder les traces des climats
et des températures du passé, Les traceurs isotopiques sont devenus d’utilisation
courante, comme le couple oxygène 18/deutérium
de la végétation ancienne et des (18O/2H) et le carbone-14 (14C) utilisé pour les eaux
roches qu’elle a traversées. anciennes, ou encore le couple oxygène 18/deutérium
En effet, elle conserve certaines et tritium ou les CFC, pour les eaux récentes. Ces outils
permettent de déterminer le temps de résidence de
caractéristiques acquises au
l’eau et de mettre en évidence l’origine et les conditions
moment de son infiltration et climatiques de la recharge.
s’écoule ensuite très lentement
dans le sous-sol. Des eaux Le radiocarbone (ou isotope radioactif du carbone,
14
C), associé au couple 180/2H, est probablement le
âgées jusqu’à plusieurs millions plus utilisé dans les études sur les eaux souterraines
d’années sont donc présentes saharo-sahéliennes, comme c’est le cas de la
dans le sous-sol. dépression de l’Azaouad située au nord du fleuve Niger
(cf. l’encadré page 25). Les isotopes stables de l’oxygène
et de l’hydrogène sont utilisés pour reconstituer les
paléoclimats, en caractérisant les eaux évaporées et les
conditions de la recharge (origine des eaux, température
et pluviosité) (cf . zoom page suivante).

Les rapports entre les gaz nobles (hélium, néon,


argon, krypton, xénon, radon), plus rarement utilisés
(du fait d’un échantillonnage et d’analyses plus
complexes), fournissent quant à eux des informations
sur les températures atmosphériques des périodes plus
anciennes, dans la mesure où leur solubilité dépend de la
température ; cette signature est conservée lorsque l’eau
atteint les réservoirs captifs.

Caractéristiques générales des aquifères fossiles 23


> ZOOM | Utilisation des isotopes de la molécule d’eau pour reconstituer
les paléoclimats
Les isotopes sont des atomes du même élément chimique qui
ne diffèrent que par le nombre de neutrons de leur noyau ; ils -20
n’ont donc pas la même masse atomique. L’eau est composée
de deux isotopes stables, à savoir  : 2H218O, isotopes lourds ud le)
ha dia
et 1H216O, isotopes légers. Ces isotopes se fractionnent au sc n Eau de mer
Plu
-0
e mo
cours des processus météorologiques (condensation et u
riq Lacs
téo

Deutérium (0/00)
évaporation) et leurs rapports évoluent en conséquence.
-20
id mé oratio
n
Ainsi la composition isotopique (δ18O ou δ2H2) peut être fro ite d’évap
s Dr
o Droite
utilisée comme traceur climatique des eaux souterraines  : Plu e(
p lui
des valeurs plus négatives associées à une diminution relative -40
de
de l’isotope lourd (appauvrissement en 18O, par exemple) u
Ea
Eaux souterraines actuelles
indiquent généralement un climat plus froid et plus humide  ;
-60
inversement un enrichissement relatif en 18O relève d’un climat
plus chaud ou d’une forte évaporation de l’eau analysée. Dans Eau fossile
le cas de l’évaporation, le fractionnement se faisant dans une -80
atmosphère non saturée (contrairement à la condensation), 18O
-8 0
et 2H fractionnent de manière différente et, sur le diagramme, Oxygène -18 (0/00)
les points s’alignent alors sur une droite d’évaporation avec une pp Informations données par la relation 18O/2H.
pente différente de celle de la droite des vapeurs océaniques D’après Edmunds, Travi et al., 2001
(droite météorique mondiale).
Pour plus d’informations : Tweed et al ., 2019

Carbone-14 et krypton-81, outils de datation privilégiés La datation au carbone-14 est basée sur la mesure de son
des eaux souterraines très anciennes activité radiologique résiduelle. Principalement deux
méthodes sont utilisées pour les eaux souterraines :
Les eaux souterraines des régions saharo-sahéliennes 1. le comptage en scintillation liquide des particules
présentent des temps de résidence dans les réservoirs bêta, après extraction du carbone contenu dans les
de l’ordre de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers différentes formes carbonatées dissoutes dans l’eau et
d’années ou plus. Aussi, la méthode de datation des eaux transformation sous forme de benzène ;
souterraines au moyen du carbone-14 est de loin la plus 2. la spectrométrie de masse à accélérateur (AMS),
utilisée puisque son champ d’action, avec une précision méthode plus récente, considérée comme la plus
suffisante, s’étend jusqu’à environ 35 000 ans (cf. figure efficace. La fraction du carbone-14 est directement
ci-dessous). mesurée (par comptage des atomes) par rapport aux
atomes de carbone 12 et 13.

tt Le carbone-14, seul isotope radioactif du


carbone, est produit dans la haute atmosphère
par le rayonnement cosmique et, comme
tout atome de carbone, se combine avec
l’oxygène pour former du CO2. Une fois isolé de
l’atmosphère, dans le sous-sol, le carbone 14
commence peu à peu à se désintégrer
(décroissance radioactive). Son activité
Décroissance radioactive 14C radiologique décroît au cours du temps selon
une loi exponentielle fonction de sa période
100 radioactive (ou demi-vie, de 5 730 ans, cf. figure
de droite). La limite maximum de datation
est contrainte par la capacité de comptage
des appareils de mesure (seuil de détection
limite). Par ailleurs, l’interprétation est souvent
rendue délicate par la dilution causée par la
dissolution de « carbone radioactivement mort »
(carbone ancien ne contenant plus de 14C) des
C
14

roches carbonatées (cf. figure de gauche) qui


50
Activité

vient se mélanger avec le carbone d’origine


atmosphérique qui sert de base à la datation et
« vieillit » artificiellement les eaux souterraines.
D’après Edmunds, Travi et al., 2001
25

0
5 730 11 460 17 190 22 920
Temps (années)

24 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> EXEMPLE | Utilisation des isotopes de l’eau et du carbone-14 pour
caractériser des paléorecharges d’eau souterraine au nord du Mali
Au Mali, la dépression de l’Azaouad située au nord du fleuve Niger a
été rechargée à la fois lors des épisodes de crues du Niger actuels
et directement par les précipitations durant les périodes humides de
l’Holocène.

Ceci est clairement démontré par les compositions chimiques et


isotopiques (isotopes de la molécule d’eau) et bien défini dans le temps par
les âges radiocarbone (datation au 14C). Ces derniers montrent une zonation
qui suggère que le fleuve a migré du Nord vers le Sud, traversant le fossé
de Nara, sur une période de 4 000 ans depuis la fin de la période humide
de l’Holocène. Les signatures chimiques et isotopiques suggèrent que
l’extension vers le nord de la recharge par les crues du fleuve a été limitée
par la ride de l’Azaouad ; en effet, la partie Sud montre des signatures
caractéristiques des eaux du fleuve, tandis que dans la partie Nord, au
nord de la ride, les signatures indiquent une recharge exclusivement par
les eaux de pluie locales.
D’après Fontes et al., 1991
-20
6
Fossé de Nara te =
Pen
Fleuve Niger
0 Tombouctou et Sud de
la ride d'Azaouad
e
Nord de la ride d'Azaouad ial
o nd
-20
u em
δ2H (1)

riq
étéo 5
em te =
-40 roit Pen
D

-60

-80
-10 -8 -6 -4 -2 0 2 4
δ180 (pour cent)
2
Fossé de Nara
Fleuve Niger
1
Tombouctou et Sud de pp Schéma géologique et coupe à travers le bassin de
la ride d'Azaouad l’Azaouad, Mali. © Edmunds, Travi et al., 2001
Nord de la ride d'Azaouad

te
ali
log (ppm Br)

0 ’h
d el
n
utio
ol
ss
Di
-1 tt Haut : signatures isotopiques de l’évaporation (pentes 5 et 6).
Celles-ci permettent de distinguer les eaux souterraines du Sahara
nt
di éva me eme

(ride d’Azaouad) de celles de la zone sahélienne au Sud, réalimentée


1
n
ro ss

io

=
b hi

at

par une paléo-recharge du Niger.


en nric

nt
tio por
pe
E

-2 tt Bas : rapport Br/Cl. Celui-ci permet de distinguer les eaux


n

légèrement enrichies en brome, en relation avec une recharge


lu

depuis le fleuve de celles dont le rapport est proche de celui des


précipitations.
-3
1 0 1 2 3 4 5
log (ppm CI)

Les limitations de la datation au 14C, au regard des âges s’est développée ces dernières années avec la mise au
très anciens des eaux profondes des grands bassins point de nouvelles techniques. Le krypton-81 est un
saharo-sahéliens, ont conduit à s’intéresser de plus en gaz noble chimiquement inactif et il ne nécessite donc
plus au krypton-81, complémentaire du carbone-14 pas de correction comme pour le carbone qui évolue
pour dater les eaux au-delà de 35 000 ans, voire chimiquement dans le système. Par ailleurs, la mesure
jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années. Son concomitante du krypton-85 permet de contrôler une
utilisation, longtemps entravée du fait de conditions éventuelle pollution par du gaz atmosphérique actuel
d’échantillonnage et d’analyses relativement complexes, lors de l’échantillonnage (Purtschert et al., 2013).

Caractéristiques générales des aquifères fossiles 25


Hydrogéologie des grands aquifères
d’Afrique septentrionale

pp Oasis de Douz au sud de la Tunisie. Douz est une ville du sud de la Tunisie connue comme la « porte du Sahara ». Durant l'Antiquité, c'était l'oasis la plus
importante de la région. Elle était une escale importante pour les caravanes dans leurs voyages entre le Sahara et la Tunisie septentrionale. C'est désormais
une destination de beaucoup de touristes venus visiter les dunes du Grand Erg Oriental. Edmond Bernus © IRD

En Afrique septentrionale, trois grands types d’unités • le Continental Intercalaire, d’âge essentiellement
géologiques peuvent être distingués : (1) les zones de mésozoïque (entre 252,2 et 66 millions d’années BP)
socle ancien, (2) les bassins sédimentaires continentaux dont les formations sédimentaires sont à dominante
et (3) les bassins sédimentaires côtiers, ces derniers étant gréseuse avec des intercalations argileuses. Il constitue le
essentiellement représentés en zone subsaharienne par réservoir aquifère le plus important de l’Afrique saharo-
le bassin sénégalo-mauritanien. sahélienne, dont la ressource est souvent considérée
comme non ou peu renouvelable.
Les aquifères profonds les plus importants, souvent
multicouches et captifs dans leur partie centrale DES SYTÈMES AQUIFÈRES TRÉS VASTES
(c.-à-d. intercalés entre deux formations géologiques
quasi-imperméables), correspondent aux bassins Les principaux bassins sédimentaires continentaux de la
sédimentaires continentaux et se situent dans les deux zone Sahara/Sahel sont schématiquement représentés
grandes séquences géologiques suivantes : sur la carte ci-contre et les principaux aquifères de ces
• le Continental Terminal (ou Complexe Terminal en bassins, sont partagés entre plusieurs pays (cf. tableau
Afrique du Nord) constitué de formations sédimentaires ci-contre).
d’âge cénozoïque (Éocène moyen-Pliocène, de 56 à
2,6 millions d’années BP) essentiellement détritiques,
sableuses ou sablo-argileuses ;

26 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Noms des aquifères Pays Superficies (103 km2)
Système aquifère des
Égypte, Libye, Soudan, Tchad 2 200
grès nubiens (NSAS)
Système aquifère du
Sahara septentrional Algérie, Libye, Tunisie 1 000
(SASS)
Niger, Nigeria, Tchad, Cameroun,
Bassin du lac Tchad 1 500
République centrafricaine
Système aquifère du
Bénin, Burkina Faso, Mali, SAT : 2 000
Taoudeni (SAT) et des
Mauritanie, Niger, Nigeria, Algérie SAI: 500
Iullemeden (SAI)
Certains de ces aquifères ont fait l’objet Bassin de Murzuk Algérie, Lybie, Niger 450
de modélisation numérique* comme le Bassin Mauritanie, Sénégal, Gambie,
340
sénégalo-mauritanien Guinée-Bissau
système aquifère du Sahara septentrional
(SASS), le Nubian Sandstone Aquifer pp Principaux aquifères profonds de l’Afrique septentrionale. D’après Seguin et Gutierrez, 2016

System (NSAS), les bassins des Iullemeden


et de Taoudeni, ces deux derniers mettant
en évidence des flux de recharge non
négligeables sur le versant Sud et via le
fleuve Niger.

Compte tenu de la position géographique


de leur bordure (zone d’alimentation
potentielle), le SASS et le NSAS peuvent
recevoir des flux de recharge, en
particulier au Sud et via le fleuve Niger et
le Nil. Ces recharges restent cependant
dérisoires au regard du volume des
pp Carte schématique des principaux bassins sédimentaires de la zone Sahara/Sahel.
réservoirs. 1. Tindouf ; 2. Grand Erg Occidental ; 3. Grand Erg Oriental ; 4. Murzuq ; 5. Sirte ;
* Les termes définis dans le lexique (page 58) apparaissent en bleu et
6. Kufrah ; 7. « Western Desert » ; 8. Tchad ; 9. Illumeden; 10. Taoudenni ; 11. Sénégalo-
sont soulignés dans le texte. mauritanien. D’après Edmunds, Travi et al., 2001

Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale 27


AQUIFÈRE DES GRÈS NUBIENS : LE NSAS Description du système aquifère

Historique des études Le système aquifère des grès nubiens couvre une
superficie d’environ 2,2 millions de km2 sur quatre pays :
La plupart des études géologiques, hydrogéologiques, le Soudan (376 000 km2), le Tchad (376 000 km2), l’Égypte
hydrochimiques et isotopiques sur le NSAS (pour (828 000 km2) et la Libye (760 000 km2).
Nubian Sandstone Aquifer System) ont été réalisées dans
les années 1970 et 1980. On peut citer en particulier Sur la représentation schématique ci-dessous, on peut
les études menées pendant plusieurs années par le distinguer plusieurs sous-bassins dont le système
projet allemand du Collaborative Research Center (SFB, de Kufrah, s’étendant du Tchad vers la Lybie, et celui
Université technique de Berlin) en Égypte (Toshka, de Dakhla en Égypte avec les dépressions majeures
Dakhla, Bahariya, Farafara) et au Soudan (Darfour et Est comprenant les oasis de Kharga, Dakhla, Farafra et
Kordofan) et par le BGS (British Geological Survey) dans Bahariya.
les bassins de Sarir et Kufrah en Libye (Thorweihe et
Schandelmeier, 1993 ; Edmunds et Wright, 1979).

Une compilation des connaissances sur le NSAS a


été réalisée par le CEDARE (Center for Environment
and Development for the Arab Region and Europe,
cf. zoom page suivante) en 2001 qui a proposé un
modèle numérique pour prévoir les
modifications du bilan et de la qualité
des eaux souterraines. Au cours de la
période 2006-2013, un vaste programme*
a permis d’acquérir un grand nombre
de données et de proposer une nouvelle
modélisation d’ensemble, en plus de son
objectif de gestion commune de ce grand
système aquifère suivant les procédures
des Nations Unies (procédures SADA,
Shared Aquifer Diagnostic Analysis) et SAP
(Strategic Action Plan).

* Programme réalisé par le Programme des Nations Unies pour


le développement (PNUD), l’Agence Internationale pour l’Énergie
Atomique (AIEA) et le programme Hydrologique International de
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la
culture (UNESCO).

Épais par endroits


de 3 500 mètres,
le NSAS est l’une
des plus grandes
réserves d’eaux
souterraines
du monde.

pp Carte du système aquifère des grès nubiens (NSAS). D’après UNESCO, 2001

28 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Le terme « Nubian Sandstone Aquifer System » (NSAS)
> ZOOM | CEDARE : Centre recouvre en fait deux systèmes aquifères superposés :
pour l’environnement et le • le système aquifère nubien (Nubian Aquifer System,
développement pour la Région NAS) s’étend en Égypte, à l’Est de la Libye, au Nord du
Tchad et au Nord du Soudan. Il est formé de sédiments
arabe et l’Europe
détritiques (principalement des grès) qui constituent le
Le CEDARE a été créé en 1992 en tant qu’organisation réservoir aquifère. Les roches qui le composent reposent
intergouvernementale internationale ayant un statut
sur le socle ancien (Cambrien) et leur âge s’étend depuis
diplomatique. Cela faisait suite à la convention adoptée
par le Conseil des ministres arabes responsables de la fin du Cambrien jusqu’au Crétacé supérieur ;
l’environnement (CAMRE) en 1991 et à l’initiative de la • le système aquifère post nubien (Post Nubian Aquifer
République arabe d’Égypte, du Programme des Nations System, PNAS) s’étend au Nord-Est de la Libye et sous
Unies pour le développement (PNUD) et du Fonds arabe
pour le développement économique et social (AFESD).
le désert ouest-égyptien. Il est plus récent et moins
étendu que le NAS. Il est composé de sédiments marins
Le centre facilite les collaborations entre la Région arabe, (essentiellement des argiles, des marnes et des calcaires)
l’Europe et la communauté internationale qui travaille sur
recouverts par des sédiments continentaux.
l’environnement et le développement. Il a pour mandat de
s’associer avec les pays et les institutions pour intégrer et
équilibrer les priorités économiques, environnementales Les deux ensembles (NAS et PNAS) sont séparés par des
et sociales dans les politiques et les actions, pour un avenir couches peu perméables datant du Crétacé supérieur
qui soit plus innovant, centré sur les populations, inclusif,
durable et ancré dans le principe de l’environnement et du
(100,5 à 66 millions d’années BP) et du tertiaire inférieur.
développement du bien-être humain. Ce niveau de séparation est parfois discontinu (du fait
Pour plus d’informations : http://web.cedare.org de l’absence de dépôts ou de l’érosion) et ces couches
sont localement moins épaisses, permettant alors une
connexion directe entre les deux systèmes. Dans la partie
Nord, l’eau devient relativement salée en se rapprochant
de la mer Méditerranée. Au sud du parallèle 26° Nord,
l’aquifère devient un aquifère à nappe libre.

pp Bloc diagramme du NSAS. D’après Salem et Pallas, 2001

Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale 29


État des connaissances : datations et modélisations De manière générale, les modèles s’accordent à dire
que l’exploitation envisagée pour les années à venir
Sur la base de scénarios climatiques, le bilan des eaux ne met pas en péril la réserve globale sur une période
souterraines du NSAS et de son régime d’écoulement a de plusieurs centaines d’années. En revanche, des
été simulé pour la première fois par modèle numérique dommages locaux sont à craindre près des grands
vers la fin des années 1970. Ce modèle a mis en évidence champs de captage du fait d’un rabattement local (baisse
les directions d’écoulement et la localisation des zones du niveau piézométrique) trop important de la nappe.
potentielles de recharge (actuelles ou passées) et de
décharge (oasis d’Égypte et de Libye) de la nappe. De nombreuses datations ont été effectuées depuis les
années 1970, qui fournissent des temps de résidence
À partir de ces données, un nouveau modèle a été variables des eaux souterraines. Nombre d’entre elles
développé par le CEDARE au début des années 2000. sont biaisées du fait de l’utilisation de techniques
Les données isotopiques (isotopes de l’environnement) anciennes et des difficiles conditions d’échantillonnage.
et géochimiques ont été utilisées pour préciser les Mais en se basant sur les plus récentes et en prenant
paramètres du modèle et conforter les résultats en termes en compte les résultats de différentes techniques, on
de recharge et de régime d’écoulement. Ce modèle peut estimer que les temps de résidence (dépendant du
d’échelle régionale considère deux niveaux superposés volume d’eau stockée et du taux de vidange du système)
(NAS et PNAS). Plusieurs scénarios d’exploitation varient de 100 000 à plus de 2 000 000 d’années. Ceci
croissante entre 2000 et 2015 ont pu être testés sur la traduit une réserve énorme, probablement une des
période 2000-2060. Ce modèle est actuellement utilisé plus importantes au monde et indique une recharge
pour prévoir l’évolution du bilan hydrogéologique et essentiellement datée du Quaternaire ancien, les
de la qualité des eaux. De nombreux autres modèles épisodes humides postérieurs à la dernière glaciation
à caractère plus local, autour des grands champs de (autour de 10 000 ans) ayant eu un impact limité sur la
captage en Lybie ou en Égypte, ont été réalisés entre les recharge.
années 1970 et 2005.
Plusieurs estimations du volume d’eau stockée dans
Plus récemment (2009)*, un nouveau modèle original car ce grand réservoir ont été faites. La plus vraisemblable,
fondé sur la paléo-hydrologie (datation des différentes déterminée à partir de la modélisation de la zone saturée
périodes de recharge paléo-climatiques) a été proposé et la calibration des paramètres hydrauliques, fournit
(cf. zoom page suivante). une estimation de l’ordre de 370 000 km3 (cf. tableau
ci-dessous).

* Dans le cadre des projets mis en œuvre par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA),
avec l’appui du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Fonds pour
l’environnement mondial (FEM) (2003-2010).
Pour les activités de l’AIEA en matière de ressource en eau, voir :
https://www.iaea.org/topics/water
Aggarwal et al., 2011 ; Wallin et al., 2005.

Superficies Stocks d’eau douce* Extraction


Pays (1 000 km2) (km3) (km3/an)
PNAS NAS Total PNAS NAS Total PNAS NAS Total
Égypte 569 311 880 102 417 52 299 154 716 0,306 0,2 0,506
Libye 350 300 650 11 240 125 309 136 549 0,264 0,567 0,831
Soudan - 750 750 - 47 807 47 807 - 0,84 0,84
Tchad - 70 70 - 33 878 33 878 - 0,0 0,0
Total 919 1 430 2 350 113 657 259 293 372 950 0,57 1,607 2,177
* En supposant une capacité d’emmagasinement de 10-4 de la partie confinée de l’aquifère et une porosité efficace de 7 % de la partie non confinée.

pp Volumes d’eau stockée dans les différents pays et volumes d’eau pompés. D’après CEDARE/IFAD, 2002

30 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> ZOOM | Le modèle de l’AIEA utilisant la radiochronologie
et la paléo-hydrologie
Établi avec la participation de tous les pays concernés par le L’effet des pompages de plusieurs champs de captage (Kufrah
NSAS, le modèle développé par l’AIEA utilise les données au Nord et East Oweinat au Sud) a également été simulé sur
collectées pour de précédents modèles (CEDARE), mais avec une période de 200 ans. Il montre un fort impact local sur
une approche originale utilisant mesures radio-chronologiques le niveau de la nappe mais un effet régional très limité et
et paléo-hydrologie. Ce modèle AIEA est tridimensionnel (alors l’absence d’effet transfrontalier.
que celui développé par CEDARE était bidimensionnel), avec
deux couches : (1) au Nord, le NAS captif et le PNAS libre et La faible extension des aires d’influence illustre l’énorme
(2) au Sud, uniquement le PNAS libre. potentiel de ce système. Ainsi, dans les secteurs où l’aquifère
est particulièrement épais (comme à Kufrah en Lybie),
Le modèle AIEA considère l’aquifère comme un seul système l’extraction d’eau souterraine devrait pouvoir se poursuivre
homogène mais anisotrope (c.-à-d. avec une forte perméabilité sur des dizaines, voire des centaines d’années sans impact
horizontale et une faible perméabilité verticale). Ce modèle est régional significatif.
construit en utilisant la méthode des différences finies et le code
de simulation des eaux souterraines Modflow, la géométrie Dans le secteur où le réservoir aquifère est plus mince (Sud
étant établie à partir des données topographiques issues du Égypte et Soudan), une forte extraction ne devrait pas causer
modèle CEDARE et les données récentes du « Schuttle radar d’effet régional et transfrontalier mais pourrait avoir un impact
for land surface topography ». Le modèle AIEA couvre une local non négligeable.
plus vaste superficie que le modèle CEDARE en englobant une
plus grande partie du Soudan vers le Sud-Est, de la Lybie vers Le modèle a fait l’objet de tests et d’ajustements pour éprouver
l’Ouest et une petite extension vers les oasis du Tchad, et il se sa robustesse avant d’être mis à disposition pour une utilisation
veut être le plus proche possible des limites hydrogéologiques par les États concernés.
naturelles du système.
Pour plus d’informations : Voss et Soliman, 2014
Nubian News : www.iaea.org/newscenter/news/chad-egypt-libya-and-sudan-
Calibration du modèle
agree-on-framework-for-joint-management-of-the-nubian-sandstone-
La calibration repose principalement sur le postulat que aquifer-system
l’aquifère s’est rechargé depuis la surface au cours des Nubian Regional Strategic Action Programme : www.iaea.org/sites/default/
périodes humides (recharge > vidange) et se vidange files/sap180913.pdf
(recharge <<< vidange) au cours des périodes sèches. La
dernière période de recharge significative s’est terminée il
y a 10 000 ans environ. Ainsi, une simulation démarrant à
moins 10 000 ans devrait donc reproduire l’état actuel du
niveau de la nappe. Les niveaux de référence sont issus des
données des années 1960 (c’est-à-dire avant le début de son
exploitation intensive) et sont relatives aux altitudes des oasis
et des sebkhas qui y correspondent à celles de la nappe. En
ajustant les perméabilités horizontale et verticale de l’aquifère,
ce modèle a pu reproduire le niveau actuel de la nappe.
uu Directions
Une fois la réponse de l’aquifère calibrée sur 10 000 ans, le
d’écoulement
modèle a été ajusté plus finement localement pour représenter illustrant
les baisses de niveau historiques observées sur trois champs l’écoulement
de captage en Égypte et en Lybie. Ceci a permis de connaître naturel de l’eau
la part, dans le rendement spécifique de l’aquifère (quantité souterraine dans
le NSAS avant
d’eau extraite par mètre de baisse du niveau piézométrique/ le début de son
de la pression dans l’aquifère), de sa capacité à restituer de exploitation dans
l’eau d’une part par décompression hydraulique et d’autre part les années 1960.
par désaturation de l’aquifère. La porosité de l’aquifère, qui Les lignes bleu
influence la vitesse d’écoulement des eaux souterraines, a été foncé indiquent
des directions
fixée pour l’ensemble du système ; aucune variation spatiale relatives à des
de la perméabilité n’est prise en compte. Seuls les âges radio- âges de l’ordre
chronologiques ont été utilisés pour calibrer la porosité. de 50 000 ans
En se basant sur une réévaluation des âges carbone-14 (14C) (entre recharge
et chlore 36 (36Cl), et grâce à l’utilisation récente du Krypton et sortie de l’eau
souterraine) et
(81Kr), l’âge des eaux souterraines varie de 200 000 à les lignes rouges
1,5 millions d’années. représentent des
circuits d’environ
Résultats préliminaires et impacts transfrontaliers 2,5 millions
d’années. La
Le modèle, une fois calibré, a été testé sur une période de
figure du haut
3 millions d’années en simulant l’alternance des périodes montre toutes
sèches et humides sur la base des connaissances les directions
paléoclimatiques. Les figures ci-contre montrent une absence d’écoulement
probable d’écoulements à travers la frontière entre le Tchad et et celle du bas
seulement celles
la Lybie ainsi que de faibles mouvements de l’eau souterraine
âgées de plus de
vers le Nord, à la frontière entre la Lybie et l’Égypte. 50 000 ans.

Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale 31


LES AQUIFÈRES PROFONDS DU BASSIN DU TCHAD Pour pallier le manque de données hydrogéologiques
classiques, l’hydrologie isotopique a été utilisée depuis la
Historique des études fin des années 1960. Initialement localisées autour du lac
Tchad, les investigations ont progressivement intéressé
Les premières études géologiques et hydrogéologiques l’ensemble du bassin (Tchad, Nord-Cameroun, Nigeria,
significatives ont commencé au Tchad dans la première Niger), à l’occasion de projet de coopération technique
moitié du 20e siècle avec, en particulier, des études de l’AIEA et de travaux universitaires. La grande majorité
hydrogéologiques menées en 1940 et 1941 dans le des travaux concernent cependant l’aquifère superficiel.
bassin du Chari-Baguirmi. Les premières campagnes
de reconnaissance hydrogéologique par sondage Description du système
ont été entreprises dès 1950, mettant en évidence la
nature et la géométrie du remplissage sédimentaire de Le bassin du lac Tchad se situe dans la partie orientale de
la cuvette tchadienne. Des cartes de reconnaissance la région du Sahel, en bordure Sud du désert du Sahara.
hydrogéologique au 1/500 000 ont ensuite été réalisées C’est l’un des plus grands bassins hydrogéologiques
dès 1964. Elles seront ensuite synthétisées pour aboutir sédimentaires d’Afrique, couvrant environ 2 400 000 km².
à une première carte hydrogéologique synthétique du Cet ensemble aquifère est transfrontalier et partagé entre
bassin sédimentaire en 1969 (Schneider, 1969). le Tchad, le Cameroun, la République centrafricaine, le
Niger et le Nigeria. Les aquifères sédimentaires continus
L’Office de la recherche scientifique et technique outre- et transfrontaliers représentent presque trois quarts de la
mer (ORSTOM) s’est également intéressé au lac Tchad et superficie totale du bassin orographique du lac Tchad.
à ses relations avec les nappes de surface dès 1965. Une
synthèse hydrologique du bassin du lac Tchad (1966-1970)
a été publiée en 1972 (CBLT-PNUD-UNESCO, 1972). En
1992, la carte géologique et les cartes hydrogéologiques
au 1:1 500 000 de la République du Tchad ont été éditées,
accompagnées d’un mémoire
D’importantes explicatif volumineux
ressources en (Schneider et Wolf, 1992).

eaux souterraines Le Schéma directeur de l’eau


sont exploitables et de l’assainissement (2001)
dans les bassins reprend et synthétise les
principaux travaux antérieurs.
hydrogéologiques
Puis, plus récemment,
tchadiens. entre 2010 et 2016, des
Cette ressource études hydrogéologiques,
est localisée géochimiques et isotopiques pp Géologie du bassin du lac Tchad. D’après Schneider et Wolf, 1992 ; BGR, 2012
détaillées ont été réalisées au
majoritairement Tchad par l’Institut fédéral
dans des grands allemand des géosciences
systèmes aquifères et des ressources naturelles
(BGR). Ces études concernent
sédimentaires
essentiellement les eaux
continus couvrant peu profondes des plaines
75 % du territoire. d’inondation du Logone-
Chari, du Kanem et du Bahr
el Gazal. En 2015, Bouchez et al. déterminent, à l’aide
du 36Cl, les temps de séjour des eaux de l’aquifère du
Continental Terminal (autour de 300 000 ans), remettant
alors en question les précédentes datations réalisées
sur la partie Sud du bassin, au Nigeria, dans ce même
aquifère (autour de 40 000 ans).

32 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Dans sa partie Sud, l’aquifère est composé de couches Il est artésien autour du lac Tchad sur une superficie
sédimentaires qui ont commencé à se déposer au d’environ 60 000 km2 et est exploité au Niger et au Nigeria
Crétacé, jusqu’à 7 000 m d’épaisseur. Constitués par plusieurs forages artésiens. Le Pliocène débute par
fréquemment de sables et de grès et séparés par des une série sableuse de 10 à 30 m d’épaisseur (Pliocène
horizons plus argileux parfois discontinus, ces sédiments inférieur) et se poursuit par une sédimentation argileuse
renferment une réserve importante en eau souterraine épaisse de 200 m qui sépare l’aquifère du Pliocène
qui se manifeste sous la forme de nappes libres (« les inférieur – Pliocène de l’ensemble aquifère rapporté au
nappes phréatiques »), captives ou semi-captives, Quaternaire ;
parfois artésiennes dans les zones topographiquement • l’aquifère de la nappe phréatique de N’Djamena est
déprimées. De bas en haut, on distingue quatre grands situé dans les niveaux détritiques du Quaternaire. Il est
ensembles aquifères superposés, celui du Crétacé, du pour l’essentiel formé d’alternances d’argile et de sable.
Continental Terminal, du Pliocène et du Quaternaire Un niveau argileux situé à une vingtaine de mètres
(cf. carte de la page précédente et schéma ci-dessous) : de profondeur sépare de manière discontinue deux
• l’aquifère du Crétacé (« Lower Aquifer » au Nigeria) est horizons ; un supérieur exploité par les puits villageois et
très mal connu ; il repose sur le socle cristallin ; l’autre, plus profond, exploité par forage. La base de cet
• l’aquifère du Continental Terminal inclut à cet endroit ensemble se situe entre 50 et 180 m de profondeur sous le
le Maastrichtien, le Paléogène et le Miocène. Captif dans niveau du sol. Les niveaux piézométriques peu profonds
le centre du bassin et autour du lac Tchad, il est libre (de 5 m en bordure du fleuve Chari à 80 m au centre du
(phréatique) dans les Pays Bas (Bodélé) et au Sud du creux piézométrique de la plaine du Chari Baguirmi)
Tchad ; font de cette nappe une ressource facile à exploiter et
• l’ensemble du Pliocène inférieur se situe entre 250 et de grande extension qui constitue, à l’heure actuelle,
300 m sous la surface du sol. La limite entre cet aquifère la principale source d’approvisionnement en eau de la
et celui du Continental Terminal est souvent mal définie. région.

pp Coupe du bassin du lac Tchad de Maiduguri (Sud-Ouest) à Faya Largeau (Nord-Est).


D’après Schneider et Wolff, 1992 ; BGR, 2012

Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale 33


État des connaissances la géologie et les problèmes de l’eau en Algérie » est publié
sur la base d’études ponctuelles et révèle l’existence de
Du fait d’une grande disponibilité en eau dans sa partie très nombreux rapports relatifs aux ouvrages de captage
superficielle, les nombreuses études entreprises sur ce (sources et puits). La structure et la nature du Mésozoïque
bassin se sont essentiellement penchées sur l’aquifère saharien ont également été décrites en détail dans les
« phréatique » libre et ont quelque peu délaissé les années 1960 (Busson, 1967 ; Conrad, 1969). En 1972,
aquifères profonds. La partie supérieure est donc l’UNESCO finance un projet pour synthétiser l’ensemble
relativement bien connue (taux de recharge, relations des données disponibles sur la gestion des ressources en
avec le lac Tchad, volumes exploitables et renouvelables). eau, présentes et futures, du SASS sur sa partie tunisienne
et une grande partie de la zone algérienne (UNESCO,
En revanche, l’aquifère profond du Continental Terminal 1972). Le document produit sert à développer un modèle
reste peu connu, pour la simple raison qu’il est encore mathématique global évolutif (c.-à-d. de l’ensemble du
peu exploité. La plupart des forages se situent dans système aquifère avec la possibilité de mise à jour au
sa partie Sud au Nigeria, ce qui a permis de constater fur et à mesure de l’acquisition de nouvelles données ;
la présence d’une recharge significative estimée dans voir par exemple Besbes, 2010) lors d’un projet commun
une fourchette de 50 à 130 mm par an et une ressource algéro-tunisien géré par l’Observatoire du Sahara et du
renouvelable estimée à 12 millions de m3 par an. Sur Sahel (OSS, 2002, 2003, 2008). Avec l’apport de nouvelles
la base d’une baisse de niveau de 10 m, la réserve études et modélisations locales, en particulier sur le
exploitable est estimée entre 70 et 145 millions de m3 par territoire libyen, il a ainsi été possible de reconstituer
an. Il est clair toutefois qu’en l’absence de modélisation le fonctionnement du système aquifère et de proposer
(rendue difficile à l’heure actuelle du fait du manque de des scénarios d’exploitation. Plus récemment, la prise
données), ces estimations restent très incertaines. en compte de la paléo-hydrologie à l’aide de traceurs
radioactifs (14C, 36Cl, 4He, 134U/138U), couplée à la
Une carte piézométrique approximative confirme les modélisation hydrogéologique, a permis d’appréhender
directions d’écoulement des eaux souterraines du sud les différents épisodes de recharge au cours du
vers le nord. Des datations récentes au 36Cl confirment Quaternaire, de mettre en évidence et de quantifier
ces directions et ont évalué le temps de résidence des une recharge actuelle et ainsi de consolider les modèles
eaux souterraines à plus de 300 000 ans vers le centre du hydrogéologiques numériques existants (Baba Sy, 2005 ;
bassin (Bouchez et al., 2015). Guendouz et Michelot, 2006 ; Pettersen, 2014).

Description du SASS

Le système aquifère du Sahara septentrional couvre


un million de km2 environ dont 700 000 km2 en Algérie,
80 000 km2 en Tunisie et 250 000 km2 en Libye. Il s’étend,
du Nord au Sud, depuis l’Atlas saharien jusqu’aux
affleurements du Tidikelt et au rebord méridional du
Tinrhert et, d’Ouest en Est, depuis la vallée du Guir-
Saoura jusqu’au Graben de Hun en Libye (cf. carte
ci-contre).

pp Le lac Tchad sous influence climatique. Tchad. François Delclaux © IRD Globalement, on distingue deux grands réservoirs
constitués de bas en haut par le Continental Intercalaire
LE SYSTÈME AQUIFÈRE DU SAHARA SEPTENTRIONAL (CI) et le Complexe Terminal (CT), qui est plus ou moins
(SASS) l’équivalent du Continental Terminal sud-saharien. Le
bassin couvert par ce grand système aquifère peut se
Historique des études subdiviser en trois sous-entités : les deux sous-bassins
(1) du Grand Erg Occidental et (2) du Grand Erg Oriental
Les premières études publiées sont anciennes et − qui sont des cuvettes à écoulement endoréique
accompagnent l’essor de l’exploration pétrolière aboutissant dans les dépressions fermées des « chotts »
dans les années 1950. En 1952, un premier recueil de et « sebkhas » − et (3) le plateau de la Hamada El Hamra.
monographies « Données sur l’hydrogéologie algérienne,

34 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Le Complexe Terminal est un ensemble peu homogène écoulements souterrains globalement orientés du nord
comprenant des formations carbonatées de la fin vers le sud (Moulla et al., 2012).
du Secondaire (Crétacé supérieur) et des épisodes
détritiques du Tertiaire, notamment du Miocène. Dans la partie orientale, le CI peut potentiellement être
rechargé au niveau (1) du massif de l’Atlas au Nord et
(2) du plateau de Tinrhert au Sud. Cette configuration
induit, dans le premier cas, des écoulements d’Ouest
en Est et, dans le second, du Sud vers le Nord, avec un
exutoire naturel commun au niveau des chotts tunisiens
et de l’aquifère côtier de la Djeffara. La recharge actuelle
a été longtemps considérée comme négligeable,
conférant à cet aquifère un caractère non renouvelable
(Edmunds et al., 2003 ; Guendouz et al., 1997). Ce
point de vue repose sur de nombreuses estimations de
la recharge réalisées entre les années 1960 et 2000 en
utilisant différentes approches : bilans hydrologiques,
pp Carte du Sahara septentrional. La partie colorée en jaune hydrodynamiques, traceurs géochimiques et isotopiques
correspond au SASS. D’après OSS, 2003 de l’infiltration ou encore modélisations. Les valeurs de
Le Continental Intercalaire se définit comme l’ensemble recharge obtenues, qui se situent pour la plupart entre
continental compris entre les plissements hercyniens, 8 et 15 m3 par seconde, reposent cependant sur des
qui ont repoussé la mer de la plateforme saharienne, et données souvent disparates et/ou imprécises.
l’invasion marine du Crétacé supérieur. Cet ensemble
comprend majoritairement les formations continentales L’aquifère du Complexe Terminal (équivalent du
gréso-argileuses du Crétacé inférieur, auxquelles Continental Terminal en Afrique) présente une
l’étude des coupes de forages a permis d’associer des configuration similaire à celle du CI avec toutefois une
sédiments marins ou lagunaires, post-paléozoïques et possibilité supplémentaire d’alimentation, directe,
antécénomaniens, intercalés au sein du CI. depuis les dunes de sable du désert oriental (ERESS,
1972 ; Guendouz et al., 2003). Les estimations de la
D’un point de vue hydrogéologique, le Grand Erg recharge de cet aquifère sont moins nombreuses que
Occidental et le Grand Erg Oriental sont séparés (pas de pour le CI – du fait du potentiel du CT nettement inférieur
continuité spatiale des écoulements de part et d’autre et de son artésianisme plus faible, ce qui augmente le
d’une crête piézométrique) par la ride de M’zab qui coût de production − et ont été essentiellement réalisées
s’étend de l’Atlas au Nord jusqu’au plateau de Tademaït grâce à des modélisations. Ces dernières estiment la
(cf. carte ci-dessus). Dans la partie occidentale, Le recharge du CT entre 18 et 24 m3 par seconde (ERESS,
système aquifère est exclusivement utilisé par l’Algérie. 1972 ; OSS, 2003).
La configuration géologique rend possible une recharge
du CI (aquifère libre) au niveau de l’Atlas saharien en
Algérie et à l’Est au niveau de la ride de M’zab, avec des

pp Schéma hydrogéologique du CI dans le Grand Erg Oriental algéro-


pp Coupe Ouest/Est du SASS. D’après Kamel, 2012 tunisien. D’après UNESCO, 2006

Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale 35


Modélisations et gestion du SASS nécessaire de tenir compte des effets possibles de la
décompression (perte d’artésianisme d’où des difficultés
Au Sahara septentrional (Algérie, Tunisie, Libye), les d’extraction et un coût d’exploitation élevé, le tassement
prélèvements ont fortement augmenté depuis les du réservoir, des venues d’eau salée…) et de la répartition
années 1970 : de 790 millions de m3 par an en 1970, ils géographique de l’exploitation.
ont connu une brusque accélération au cours des années
1980 pour atteindre 2,3 milliards de m3 en 2000 (Baba Sy, Au Sahara septentrional, plusieurs modèles de
2005). Ces niveaux d’exploitation sont conformes aux dimensions variées et utilisant différentes techniques
prévisions du projet « Étude des ressources en eau du (méthode analogique, éléments finis ou différences
Sahara septentrional » (ERESS, 1972) qui envisageaient finies) ont été élaborés. Sur la base de ces modélisations
une croissance des prélèvements de 790 millions de m3 et banques de données issues de nombreuses études,
par an (1970) jusqu’à 1,8 ou 2,5 milliards de m3 par an l’OSS a établi en 2002 (première phase du projet SASS)
en 2000 (selon les scénarios) alors que l’exploitation se un modèle mathématique tridimensionnel, utilisant la
faisait grâce à près de 9 000 points d’eau (74 % en Algérie, technique des différences finies. Celui-ci a été réalisé
14 % en Tunisie, 12 % en Libye). Les prélèvements de en considérant un schéma hydrogéologique avec trois
cette période 1970-2000 correspondent à un déstockage niveaux aquifères séparés par deux horizons semi-
d’environ 30 à 40 milliards de m3 au total. perméables (cf. schéma ci-dessous). Il a été ensuite
validé sur la base de cartes piézométriques établies les
En maintenant le niveau de prélèvements de 2000, le années précédentes par différents auteurs. Ce modèle
projet SASS a ensuite projeté un déstockage, à l’horizon a ainsi estimé (1) une recharge globale de l’ordre de
2050, d’un volume de 83 milliards de m3 au total. Ces 36 m3 par seconde, (2) des échanges verticaux entre les
évaluations sont à mettre en parallèle avec les différentes deux principaux aquifères (du CI vers le CT) de 5,8 m3
estimations de la réserve totale du système, entre 60 000 par seconde et (3) que 75 % des écoulements avaient
(UNESCO, 1972) et 31 000 milliards de m3 (Baba Sy, pour exutoire les chotts et les sebkhas, le reste pouvant
2005), tout en gardant à l’esprit que seule une fraction de atteindre la mer Méditerranée.
l’eau d’un aquifère captif est utilisable et qu’il est donc

SCHEMA HYDROGÉOLOGIQUE DU SAHARA SEPTENTRIONAL


ALGÉRIE TUNISIE LIBYE
Toit imperméable
Nappe des Sables Nappe des Sables du Djeric Sables et calcaires Miocène inf.
NAPPE DU COMPLEX TERMINAL - CRÉTACÉ SUPÉRIEUR
Nappe des calcaires Nappes des calcaires Netraoua Mizdah Crétacé supérieur
Semi perméable
Nappe du Turonien - Nalut Aquifer
Semi perméable
NAPPE DU CONTINENTAL INTERCALAIRE - AQUIFÈRE KIKLAH
Crétacé inf. Jurassique Trias Crétacé inf. Jurassique sup. Crétacé inf. Jurassique sup.
Substratum imperméable ou semi imperméable
Carbonifère
Paléozoïque Jurassique inf. Trias
Cambo-Ordovicien

pp Schéma hydrogéologique conceptuel du SASS. D’après OSS, 2003

36 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
Ce modèle a subi plusieurs évolutions afin de prendre en potentialités régionales de l’aquifère plutôt qu’à
compte des spécificités locales ou de nouvelles données, modéliser l’impact de prospectives d’exploitation au
en particulier dans sa partie tunisienne. Après calibration, niveau global (Besbes et al., 2005).
plusieurs simulations des effets de l’exploitation
jusqu’à l’horizon 2050 ont été effectuées en considérant Selon l’OSS (2003), ces simulations prévisionnelles,
différents scénarios : (1) maintien du niveau actuel basées sur une approche hydraulique, ont montré qu’il
d’exploitation, (2) augmentation minimale ou (3) forte était possible d’augmenter l’exploitation par forages du
augmentation. Quel que soit le scénario testé, l’impact SASS (estimée à 2,3 milliards de m3 en 2000) à hauteur
de l’exploitation est important, avec des baisses de de 7,8 milliards de m3 par an, et ce « en respectant
niveau de plusieurs dizaines de mètres − voire plusieurs dans une certaine mesure les contraintes relatives aux
centaines − en particulier au niveau des stations risques de dégradation de la ressource ». Toutefois,
de pompage, ce qui fait craindre la perte totale de cela représenterait un niveau d’exploitation huit fois
l’artésianisme, des problèmes de salinisation des chotts supérieur aux ressources renouvelables estimées du
et des sebkhas ainsi que des influences transfrontalières. SASS et donc un puisage important sur les réserves du
Bien que ce modèle global soit pertinent pour mettre système. Par ailleurs, cela ne paraît possible qu’au prix
en lumière les enjeux et les risques liés à l’exploitation d’un redéploiement des secteurs d’exploitation vers les
du SASS, il a cependant montré ses limites en termes secteurs où la nappe est à surface libre. Ainsi, 80 % des
de gestion et d’outil de décision pour les décideurs. prélèvements additionnels devraient se faire dans des
Les études se sont donc ensuite orientées vers des régions éloignées et encore peu étudiées.
modélisations sectorielles s’attachant à définir les

pp Oasis de Timimoun, Algérie. La ville de Timimoun, surnommée la flamboyante, est située à l'ouest du plateau de Tademait. Elle est entourée d'un ensemble
d'oasis (palmeraies) qui bordent le Grand Erg Occidental. Francois Molle © IRD

Hydrogéologie des grands aquifères d’Afrique septentrionale 37


Une gestion durable des grands aquifères
fossiles est-elle possible ?

pp Forage artésien de la ville de Douz, région de Kebili dans le sud-tunisien. Pierre Deschamps © IRD

Les zones arides et semi-arides, où la ressource en eau Outre une évaluation du volume d’eau disponible,
est rare, doivent faire face aux besoins croissants des une bonne connaissance de l’origine et de l’âge
populations. Un des grands enjeux est alors de garantir des eaux souterraines aide à définir les meilleures
la durabilité de l’approvisionnement grâce notamment à stratégies d’exploitation pour limiter l’impact sur la
une « bonne » gestion de la ressource en eau souterraine. ressource. Comme indiqué dans le schéma ci-contre,
une surexploitation initiale est souvent possible sans
GESTION DES AQUIFÈRES FOSSILES impacter fortement l’environnement. Se pose ensuite
la question d’un rééquilibrage avec une éventuelle
De manière générale, dans un aquifère, sous des recharge ou d’une poursuite de la surexploitation.
conditions naturelles et sur une période suffisamment Cette dernière doit être réalisée avec prudence en
longue, la recharge naturelle s’équilibre avec la décharge privilégiant une exploitation raisonnée, autour de petites
naturelle, les variations périodiques de la recharge se exploitations et en planifiant la baisse de capacité de
traduisant principalement par des variations du stock l’aquifère.
d’eau présent dans l’aquifère (hausse ou baisse du niveau
piézométrique de la nappe). Dans le cas des aquifères Toutefois, une gestion efficace ne se résume pas à une
fossiles, peu ou pas réalimentés, mais renfermant des évaluation globale des volumes extraits de l’aquifère
stocks d’eau considérables, l’exploitation s’additionne à car l’impact environnemental dépend aussi de la
la décharge naturelle et donc accélère la décompression position des ouvrages de captage par rapport aux zones
des aquifères captifs. Il s’ensuit une baisse de l’altitude de recharge et de décharge de la nappe, ainsi que de la
des zones de décharge, ce qui entraîne alors la disparition planification de l’exploitation. Ces éléments sont pris en
des zones humides ou des résurgences (sources, lacs, compte dans les modèles mathématiques qui, une fois
oasis, etc.). établis et validés, permettent de vérifier des scénarios
d’exploitation.

38 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
L’élaboration d’outils mathématiques et numériques
Niveau de l’eau

aidera ensuite à comprendre de manière approfondie


le fonctionnement des hydro-systèmes et l’évolution
de la ressource en eau selon différents scénarios
d’exploitation. Les modèles mathématiques, en effet,
peuvent préciser certains paramètres physiques difficiles
à appréhender sur le terrain (vitesses d’écoulement,
débits, volumes échangés, etc.), et proposent une synthèse
générale, plus ou moins précise, du fonctionnement du
système aquifère dans l’espace bi- ou tridimensionnel et
de ses possibles évolutions quantitatives et qualitatives
Pratique Examen des Stratégie de gestion basée sur la Temps
actuelle : options : connaissance des taux réels de recharge dans le temps. Il est ainsi possible de tester différents
surexploitation recharge ou ou d’une exploitation minière judicieuse
exploitation des eaux fossiles scénarios d’exploitation à l’échelle globale, mais aussi
minière
relatifs aux impacts locaux des actions ou des pressions
pp Différentes stratégies d’exploitation.p
Ligne verte : prélèvement identique à la recharge
anthropiques sur ces systèmes.
Ligne rouge : exploitation de type minierp
D’après Edmunds, Travi et al., 2001
Si les modèles mathématiques et numériques sont
Les modèles : un outil d’aide à la gestion correctement validés et étalonnés pour les objectifs
de la ressource ? recherchés, ils peuvent servir d’outils de gestion et
aider à gérer le potentiel de la ressource en fonction de
Le développement de modèles mathématiques besoins exprimés ou des développements économiques
susceptibles de simuler l’impact de l’exploitation, doit projetés.
se baser tout d’abord sur une bonne connaissance des
paramètres quantitatifs et qualitatifs des systèmes (flux, Toutefois, il faut garder à l’esprit que les modèles sont
limites géométriques, paramètres hydrodynamiques, seulement une représentation plus ou moins précise de
qualité de l’eau) et éventuellement de leur évolution la réalité (fortement dépendante de la quantité et de la
dans le temps*. Pour cela, outre les données existantes, qualité des données recueillies) et que compte tenu du
on peut réaliser ou mettre en place un grand nombre nombre de paramètres en jeu, les calages et validations
d’activités : cartes et coupes géologiques, réseaux peuvent être illusoires. Il est
de mesures et de suivis piézométriques, mesures Des outils d’aide donc nécessaire d’associer aux
des débits aux exutoires de l’aquifère, naturels à la décision plans d’exploitation des eaux
ou artificiels, essais de pompage et mesures de souterraines des réseaux de
débit, prélèvements d’échantillons pour réaliser
peuvent être mis surveillance destinés à suivre
des mesures chimiques et isotopiques, utilisation au point et simuler les évolutions (débits, niveaux
de traceurs naturels ou artificiels, prospections différents scénarios piézométriques) et à valider
géophysiques. les hypothèses issues des
d’exploitation.
modèles ou à les corriger.
Après validation, synthèse, interprétation de ces Mis à disposition
données et éventuellement intégration dans un des décideurs, les
système d’information géographique (SIG), il résultats aident
est possible d’établir un modèle conceptuel du
système aquifère étudié. Ce modèle représente les
à construire
caractéristiques et les modes de fonctionnement des politiques
de la ressource considérée et, en particulier, ses d’exploitation des
relations avec les entités voisines (aquifères, zones
eaux souterraines
étanches, eaux de surface, zones non saturées,
etc.). Il exprime aussi l’état des connaissances avec une bonne
hydrogéologiques à un moment donné ainsi que connaissance des
les éventuelles incertitudes. bénéfices et impacts
associés.
* Pour les aquifères très anciens, la modélisation peut parfois être réalisée en
plusieurs étapes correspondant à des époques climatiques différentes.

Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ? 39


Les transferts d’eau souterraine vers les zones zones plus sensibles peuvent être préservées en
déficitaires ou vulnérables recevant des apports d’eau, par conduite depuis des
parties moins sensibles de l’aquifère, à l’instar de ce
Outre la possibilité d’appliquer différents scénarios qui est actuellement à l’étude sur le bassin du Sénégal
d’exploitation à l’échelle globale ou locale, la (voir l’exemple ci-dessous). L’eau ainsi transférée peut
connaissance approfondie du fonctionnement des être utilisée directement ou réinjectée dans l’aquifère
systèmes aquifères peut aider à envisager des transferts au niveau de zones altérées quantitativement et/ou
d’eau. Compte tenu de l’hétérogénéité de certains qualitativement.
systèmes aquifères et de leur forte inertie, certaines

> EXEMPLE | Projet de transfert d’eau souterraine vers la zone du bassin


arachidier du Sénégal
La nappe profonde, renfermée dans les sables, grès et grès L’ensemble des données recueillies a permis la construction
argileux du Maastrichtien sur l’ensemble du bassin sédimentaire d’un modèle mathématique à partir duquel a été proposé un
du Sénégal, constitue la principale ressource en eau de ce scénario possible. Les débits mobilisables pourraient s’élever
pays. Cette nappe est fortement exploitée et présente, en de à près de 100 000 m3 par jour en répartissant les forages de
nombreux endroits, des risques de surexploitation. captage sur trois sites d’exploitation, constitués de neuf forages
chacun, situés à l’Est de la limite de la zone d’eaux saumâtres, le
La coupe géologique ouest-est à travers le bassin sédimentaire long d’une ligne Nord-Sud. L’extension des zones d’appel (zones
du Sénégal (cf. carte ci-contre), laisse apparaître deux d’influence) de ces captages les préserve d’une contamination
parties distinctes : les niveaux gréso-sableux de l’aquifère du par les eaux plus salées du secteur Ouest.
Maastrichtien, relativement peu profonds à l’Est, s’enfoncent Pour plus d’informations : www.dgpre.gouv.sn
assez brutalement vers l’Ouest sous l’effet de la tectonique, en
devenant plus argileux. Cette rupture s’accompagne
de l’apparition d’une eau de moins bonne qualité
avec le risque d’une détérioration rapide sous l’effet
d’une exploitation excessive. Cette zone correspond
grossièrement au bassin arachidier caractérisé par
une forte densité de population dans les grands centres
urbains tels que les villes de Touba, Mbacké, Diourbel,
Kaolack, Fatick, etc. Dans ces zones et localités
avoisinantes, les potentialités des nappes superficielles
sont le plus souvent faibles et de mauvaise qualité, et
les populations doivent se contenter d’une eau salée
et fluorée de la nappe maastrichtienne (résidu sec
supérieur à 1,5 g/l et teneur en fluor supérieure à
2 mg/l).

La possibilité d’un transfert d’eau souterraine a donc été


envisagée et des études ont été engagées dans ce sens
dans le cadre du projet PAGIRE-BA (Plan d’action de
gestion intégrée des ressources en eau dans le Bassin pp Transferts d’eau souterraine envisagés dans le bassin du Sénégal. p
arachidier) initié par le ministère de l’Hydraulique D’après DGPRE, 2015
et de l’Assainissement du Sénégal et la direction de
la Gestion et de la Planification des Ressources en
eau (DGPRE). Plusieurs options ont été envisagées,
la plus prometteuse concernant logiquement la zone
Est de l’aquifère du Maastrichtien (cf. carte ci-contre).
Pour cette zone, les objectifs étaient d’évaluer les
potentialités réelles de la nappe maastrichtienne de
ce secteur, de déterminer les quantités exploitables
et de localiser les zones de prélèvements pour éviter
une salinisation de cette zone, à partir de la bande
salée à l’Ouest et/ou de la partie salée sous-jacente du
Maastrichtien.

Toute une série d’opérations ont été engagées


comprenant, en particulier, des prospections
hydrogéologiques et géophysiques par sondages
électriques, le creusement de cinq ouvrages pour
effectuer des pompages d’essai, la mise en place et
le suivi d’un réseau piézométrique et, enfin, un grand
nombre d’analyses hydrochimiques et bactériologiques. pp Coupe géologique Ouest–Est à travers le bassin sédimentaire du Sénégal.
D’après DGPRE, 2015

40 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
UNE INDISPENSABLE GESTION TRANSFRONTALIÈRE Ces aquifères correspondent à des bassins sédimentaires
de large extension (de 500 000 km2 à plus de
Les eaux souterraines alimentent plus de la moitié 2 000 000 km2), en particulier :
des populations dans le monde et soutiennent un • au Nord du Sahara : le système des grès de Nubie
grand nombre d’activités économiques, en particulier (NSAS), le système aquifère du Sahara septentrional
l’agriculture. Soumises à des pressions croissantes, elles (SASS) et le bassin de Murzuk ;
nécessitent une attention particulière pour une gestion • au Sud du Sahara : le bassin sénégalo-mauritanien,
durable en adéquation avec les évolutions économiques le bassin de Tindouf, le bassin de Taoudéni, le bassin
et sociétales (AFD, 2010). Cet enjeu est complexe car les d’Iullemeden et celui du lac Tchad.
décisions politiques, nécessaires à une bonne gestion,
concernent souvent plusieurs États souverains, avec Des bassins sédimentaires de tailles plus réduites,
des priorités pas forcément identiques. Il existe, en effet, de quelques centaines de km2 (plaine de Maghnia)
de nombreux cas où le cycle hydrologique concernant à quelques dizaines de milliers de km2 (bassins de la
des eaux souterraines (recharge, écoulement, décharge) Djeffara et d’Errachidia-Béchar), renferment également
se déroule sur le territoire de deux ou plusieurs États : des aquifères transfrontières. Ces derniers présentent des
par exemple un aquifère traversé par une frontière, ressources plus modestes et partiellement renouvelables.
avec une partie dans un État et une autre dans un État Les impacts transfrontaliers de leur exploitation sont
limitrophe ou encore un aquifère qui se trouve dans le donc moindres.
territoire d’un État mais dont la zone d’alimentation
se situe dans un autre, etc. Il est également possible Les grands systèmes aquifères sont le plus souvent
que l’exploitation d’un aquifère dans un pays ait des multicouches, avec des séries épaisses de quelques
conséquences quantitatives et/ou qualitatives au-delà centaines à quelques milliers de mètres. Ces systèmes
de ses frontières…. possèdent des réserves énormes si on les compare au flux
et au taux de renouvellement, ce qui peut justifier une
Plus de 270 systèmes aquifères transfrontières ont exploitation de type « minier ».
été recensés dans le monde par le programme
« Internationally Shared aquifer resources management » Comme on a pu le voir dans le chapitre précédent,
(ISARM)* de l’UNESCO. l’état des connaissances sur ces systèmes aquifères est
inégal. La profondeur des ouvrages de reconnaissance
Les grands bassins transfrontaliers de la zone ou d’exploitation étant très élevée, la prospection de
saharo-sahélienne ces systèmes aquifères a pu, localement, bénéficier de
l’appui conjoncturel des études de recherche pétrolière
La quasi-totalité des grands aquifères subsahariens qui réalisent des explorations profondes. Par ailleurs,
s’étendent sur plusieurs pays (cf. carte ci-dessous). la prospection a pu, aussi, être contrainte par l’absence
Leur bonne gestion passe donc par une approche de ressources, au moins partielles, de substitution qui a
transfrontalière. rendu indispensable l’exploitation des eaux profondes.
Le suivi de ces aquifères est ainsi plus développé dans
* Voir www.isarm.net
les pays d’Afrique du Nord qu’au Sahel.

Un cadre international assez récent pour les eaux


souterraines

Le droit international de l’eau s’est développé très tôt


du fait du caractère transfrontière de certains cours
d’eau, que ce soit à des fins de navigation ou autres
(production d’hydro-électricité, pêche, etc.). Ainsi,
depuis les octrois médiévaux de libre circulation sur
certains fleuves, près de 3 800 actes et déclarations
unilatérales, traités bilatéraux et multilatéraux ont
été signés pour l’utilisation des ressources en eau
internationales, sans compter la coutume internationale
(comme le principe d’utilisation équitable des ressources
pp Les grands bassins transfrontaliers de la zone saharo-sahélienne. partagées), les principes généraux du droit international
D’après UNESCO, 2004

Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ? 41


(comme l’obligation de ne pas abuser de ses droits) et La règle de l’interdiction de causer un dommage,
la jurisprudence (comme le principe de l’utilisation essentiellement élaborée pour la pollution
non dommageable du territoire). Ces dispositifs visent transfrontalière, est plus difficile à mettre en œuvre pour
à favoriser des processus d’entente et de négociation l’aspect quantitatif (volume d’eau prélevé) car toute
entre les États. exploitation a forcément un impact sur l’hydrosystème
concerné. Elle nécessite une bonne connaissance
Les eaux souterraines partagées ont été prises en compte commune du système et de trouver la solution la moins
plus récemment, par étapes successives, parmi lesquelles pénalisante après dialogue entre les parties prenantes
on peut retenir plusieurs initiatives (cf. zoom page (États concernés).
suivante).
La coopération entre acteurs étatiques et non étatiques
Ces différentes initiatives caractérisent une évolution pour une gestion rationnelle des ressources en eaux
certaine du droit international qui ne s’intéressait souterraines peut s’appuyer sur le concept de « Gestion
essentiellement, à l’origine, qu’aux eaux de surface Intégrée des Ressources en Eau » (GIRE) promu depuis
frontalières (rivières, lacs) et à leur rôle comme élément 1992. En effet :
de territoire et de voie de communication. L’aspect • Les « principes de Dublin », adoptés lors de la
économique apparaît ensuite avec la notion de ressource conférence internationale sur l’eau et l’environnement
(agriculture, industrie) plus centrée sur la population de 1992, soulignent notamment que « l’eau douce est
mais avec souvent un caractère territorial. L’affirmation une ressource limitée et vulnérable, indispensable à la
du droit de la personne à l’eau potable (droit à la vie vie, au développement et à l’environnement » et que
et à la santé) l’instaure progressivement comme un « le développement et la gestion des eaux devraient
droit universel rendant nécessaire une coopération être fondés sur une approche participative impliquant
interétatique. usagers, planificateurs et décideurs à tous les niveaux ».
Le programme d’actions adopté à cette occasion prévoit
L’adaptation aux eaux souterraines a nécessité notamment la protection des écosystèmes aquatiques.
d’intégrer les spécificités de la ressource souterraine, • Le Sommet de la Terre de Rio de la même année
plus fragile sur le long terme. La référence à ce jour avait notamment pour objectif d’organiser une gestion
reste la Résolution 63/124 qui promeut deux règles durable de la ressource en eau en instaurant des
fondamentales du droit international de l’eau : (1) une modes de coordination entre les différents usagers, les
utilisation équitable et raisonnable de la ressource, gestionnaires et les autorités publiques.
(2) veiller à ne pas causer de dommage significatif.
À l’heure actuelle, le concept GIRE est encore peu
L’utilisation équitable et raisonnable (« durable ou utilisé au niveau transfrontalier du fait de différentes
optimale ») implique une gestion commune et nécessite contraintes naturelles, administratives, économiques et
la prise en considération de plusieurs facteurs. L’article 5 sociales.
de la résolution précise les différents « facteurs pertinents
pour une utilisation équitable et raisonnable » à prendre
en compte, relatifs, d’une part, aux besoins économiques
et sociaux et, d’autre part, aux caractéristiques et
potentialités du système aquifère et à sa protection.

42 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> ZOOM | Droit international sur les eaux souterraines : quelques dates clés
1989. Projet de traité dit de « Bellagio » relatif aux eaux point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif » et doivent
souterraines transfrontalières. Élaboré à l’initiative d’experts, assurer « une protection efficace des ressources en eau
ce traité promeut « l’unité de gestion » (respect des eaux utilisées pour l’approvisionnement en eau potable et des
souterraines et reconnaissance des interrelations entre eaux écosystèmes aquatiques correspondants contre la pollution
superficielles et souterraines), la « communauté d’intérêts  » due à d’autres causes, notamment à l’agriculture, à l’industrie
ainsi que « l’utilisation optimale et la conservation sur une et aux autres rejets et émissions de substances dangereuses ».
base raisonnable et équitable incluant la protection de
l’environnement souterrain ». Ce projet n’a toutefois pas été 30 novembre 2012. La conférence des Parties de la convention
suivi d’effets mais certains de ses principes ont été repris dans d’Helsinki a adopté une décision qui permet aux États non
des instruments internationaux ultérieurs. membres de la CEE-ONU (Commission Économique des
Nations Unies pour l’Europe) d’y adhérer, alors qu’elle avait été
1992. Adoption, sous l’égide de la Commission des Nations initialement négociée comme un instrument régional par les
Unies pour l’Europe, de la « Convention d’Helsinki » sur la pays de la CEE-ONU. Cette extension va ainsi (et notamment)
protection et l’utilisation des cours d’eaux transfrontaliers et autoriser l’adhésion du Tchad (22 février 2018) et du Sénégal
des lacs internationaux ; celle-ci inclut les systèmes aquifères (31 août 2018) (43 États Parties en février 2019).
partagés. Elle impose aux Parties contractantes de coopérer
pour prévenir et maîtriser la pollution et pour assurer une 2008. Adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies, de
utilisation rationnelle et impartiale des eaux transfrontières. la Résolution 63/124 du 11 décembre 2008 portant sur le droit
des aquifères transfrontières. Cette résolution est fondée sur
1997. Adoption de la Convention de New York sur le droit relatif la souveraineté de chacun des États de l’aquifère transfrontière
aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres sur la portion située sur son territoire, avec l’obligation d’exercer
que la navigation. Entrée en vigueur en 2014 et comptant sa souveraineté conformément au droit international et aux
36 États Parties (février 2019), cette convention ne concerne principes d’utilisation équitable et raisonnable, ce qui implique
cependant que les eaux souterraines partagées associées à de ne pas causer de dommage significatif aux autres États,
un cours d’eau. Elle promeut le principe selon lequel les États d’échanger en continu les données et informations établies par
du « cours d’eau » utilisent sur leurs territoires respectifs le « les États, de prévenir, réduire et maîtriser la pollution par la
cours d’eau » international de manière équitable et raisonnable mise en œuvre de plans de gestion et de surveillance.
et participent de la même façon à son utilisation, à sa mise en
valeur et à sa protection. Cette participation comporte à la fois Ce principe a été rappelé par la Recommandation de la
le droit d’utiliser la ressource en eau et le devoir de coopérer à 6e  Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies
sa protection et à sa mise en valeur. le 11 novembre 2016, qui souligne que le droit des aquifères
transfrontières « est de toute première importance pour les
1999. Le Protocole de Londres sur l’eau et la santé ajoute relations entre États et qu’il faut gérer de façon raisonnable et
à la Convention d’Helsinki la prise en compte des effets appropriée les aquifères transfrontières, qui constituent une
préjudiciables, à court et long termes, sur la santé et le richesse naturelle d’une importance vitale pour les générations
bien-être des personnes, d’une gestion non durable du cycle présentes et futures, en faisant appel à la coopération
hydrologique. Les États Parties doivent ainsi assurer à tous internationale ».
les habitants, notamment aux personnes défavorisées ou Pour plus d’informations : Berberis, 1987 ; Sohlne, 2002 ; AFD, 2010 ; Simonel et al., 2012 ;
Lasserre et Cardenas, 2016
socialement exclues, « un accès équitable à l’eau, adéquat du

pp Forage exploitant la nappe des Grès Nubiens, dans le wadi Qena (« Eastern desert ») en Égypte (forage prévu pour un futur ranch). © R. Guiraud

Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ? 43


LA DIFFICILE MISE EN ŒUVRE D’UNE GESTION évolué lentement au gré de plusieurs accords et de la
DURABLE TRANSFRONTALIÈRE DE LA RESSOURCE mise en place d’instruments de coopération avec en
particulier la création d’une institution internationale
La gestion des eaux souterraines en général − et plus (Quadri, 2017).
encore lorsque celles-ci sont transfrontalières − nécessite
des moyens financiers conséquents aux niveaux Une organisation intergouvernementale de gestion…
national et international pour couvrir les dépenses
d’investissement et de renouvellement des installations, L’Égypte et la Lybie ont manifesté un intérêt à
puis les frais d’exploitation, de maintenance et l’organisation d’une gestion commune du NSAS dès les
d’entretien. Ce point pose problème dans de nombreux années 1980, ce qui s’est concrétisé par un accord, en
pays en développement. Trouver un mode de gestion 1991, pour la création d’une structure (formalisée en
homogène entre les États se heurte à de nombreuses 1992) : le JSAD-NSAS (Joint Authority for the Study and
difficultés liées parfois à de vieilles inimitiés historiques Development of the Nubian Sandstone Aquifer System).
ou à l’absence de volonté politique. À cela s’ajoutent Le Soudan a rejoint cette association en 1996 et le Tchad
des capacités techniques, financières, institutionnelles en 1999. À cette date, un mode de fonctionnement
et administratives très diverses selon les pays. Par a été élaboré : le bureau directeur, dont le siège est
ailleurs, la priorité est souvent donnée aux contraintes officiellement hébergé à Tripoli depuis 2006, est
économiques plutôt qu’à celles environnementales. constitué de trois représentants, d’un niveau ministériel,
de chaque pays avec un directeur exécutif, un secrétariat
Le droit international n’est actuellement pas et une équipe technique. Un bureau national, avec un
contraignant. Pour l’essentiel, il invite le plus souvent coordinateur et une équipe technique, est présent dans
les États à coopérer et fournit, en cas de succès des chaque pays membre. Des rencontres régulières sont
négociations, des règles et des outils pour y parvenir. programmées et des réunions exceptionnelles peuvent
avoir lieu à la demande d’un des États membres. Des
Dans les faits, il s’agit à l’heure actuelle, plutôt d’une représentants des organisations internationales ou de
gestion concertée pour gérer les problèmes de pays donateurs peuvent être invités à ces rencontres.
concurrence entre différents usages et acteurs en
essayant de limiter les dégradations environnementales … pour étudier et surveiller le NSAS
et les conflits sociaux. Cette gestion concertée peut
se mettre en place avec la création d’organisations Du point de vue juridique, le champ d’action du JSAD-
intergouvernementales, comme le montrent les deux NSAS se limite à une régulation interne et ne comprend
exemples développés ci-après. pas de pouvoir de procédure pour la gestion de l’aquifère.
Ses sources de financement sont les contributions
annuelles des pays membres et les subventions
> ZOOM | Les différents
provenant d’institutions nationales ou internationales et
organismes de gestion (surface de pays donateurs.
et souterrain) en Afrique
• Liptako-Gourma Authority (ALG) : www.liptakogourma.org Son principal rôle est la surveillance et l’étude de
• Autorité du bassin du Niger (ABN) : www.abn.ne l’aquifère en commun. Cela se traduit par la collecte de
• Volta basin Authority : www.abv-volta.org données, la préparation d’études et le développement
• Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal
de programmes et de règles communes d’utilisation de
(OMVS) : www.omvs.org
• Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie l’eau de l’aquifère. Sa mission inclut également d’étudier
(OMVG) : www.pe-omvg.org les aspects environnementaux liés à l’état de l’aquifère et,
• Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) : www.cblt.org en conséquence, d’essayer de promouvoir la limitation
• Comité Inter-État de lutte contre la sécheresse au Sahel
(CILSS) : www.cilss.int
de l’extraction des eaux souterraines dans les États
• Facilité africaine de l’eau (FAE) : membres.
www.africanwaterfacility.org
Deux accords, principalement de procédure, négociés
Exemple de gestion concertée : le cas du NSAS par le Centre pour l’Environnement et le Développement
pour la Région Arabe et l’Europe (CEDARE) et signés
Le grand système aquifère des Grès nubiens est exploité en 2000, mettent l’accent sur la nécessité de poursuivre
par quatre pays : l’Égypte, le Tchad, le Soudan et la Libye. le monitoring et la mise à jour des données de façon
Le processus de coopération entre ces quatre États a constante et de partager les données et l’information.

44 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
En 2006, une nouvelle étape est franchie avec la mise Ce dernier projet constitue une avancée significative pour
en place d’un nouveau programme « Regional Action la gestion de ce grand système aquifère transfrontière,
programme for the Integrated NSAS management » même si l’analyse « SWOT » (Strengths, Weaknesses,
financé par le FEM et mis en œuvre par le PNUD, l’AIEA Opportunities, Threats) réalisée en octobre/novembre
et l’UNESCO (Programme Hydrologique International). 2011, laisse apparaître de nombreuses faiblesses et
Ce projet avait pour objectifs de mieux comprendre lacunes. Les actions préconisées par ce plan sont
le fonctionnement et les potentialités de l’aquifère et malheureusement en « stand-by » du fait des événements
d’établir les bases d’un plan d’action stratégique (SAP) et de la guerre civile en Lybie depuis 2014.
en s’appuyant sur les règles de la résolution 63/124
(cf. page 43). Concrètement, quatre objectifs spécifiques
ont été définis :

• identifier les dangers principaux et leurs causes en


utilisant une analyse diagnostique de l’aquifère partagé
(SADA, Shared Aquifer Diagnostic Analysis). Cette
analyse a mis en exergue la croissance démographique,
des structures de gouvernance inadaptées aux niveaux
national et international ainsi que la pauvreté ;
• combler les lacunes de connaissance en utilisant des
approches techniques appropriées ;
• préparer un plan d’action stratégique définissant
la politique et les réformes légales et institutionnelles
nécessaires pour traiter les risques identifiés ;
• proposer une structure institutionnelle pour mettre en
œuvre ce plan d’action stratégique.

Un plan d’action stratégique pour une meilleure coopération


transfrontalière

Le plan d’action stratégique, signé à Vienne par les


quatre pays le 18 septembre 2013, incite à renforcer le
rôle et les capacités de la « Joint Authority » et à définir
de nouveaux domaines de coopération. Il insiste sur
la nécessité de développer une politique régionale
de mesures et de gestion et, pour cela, renforcer les
aspects institutionnel et légal liés à la gestion du NSAS.
Il préconise de développer une structure de coopération
dédiée à l’échange de données et la création d’un réseau
de mesures sur l’ensemble du système aquifère. Enfin,
il recommande d’améliorer l’efficacité des bureaux
régionaux dans les pays membres.

L’objectif final de ce plan d’action est de rendre possible,


à travers des procédures légales et institutionnelles, une
coopération transfrontalière qui intègre les activités
socio-économiques et les schémas d’aménagement
sur la base de l’utilisation efficace des ressources en
eau souterraine. Dans ce domaine, l’implication de
l’agriculture ainsi que le contrôle et la prévention des flux
migratoires jouent un rôle essentiel.

pp Puits traditionnel profond. Bassin de Taoudenni, Nord du Mali. © Yves Travi

Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ? 45


Le cas du SASS et le rôle de l’OSS • la réalisation d’un modèle mathématique, apportant
une valeur ajoutée aux modèles précédents, en intégrant
Le système aquifère du Sahara septentrional est partagé la partie libyenne et en utilisant les nombreuses données
par trois pays : l’Algérie, la Lybie et la Tunisie. Les et études accumulées entre 1972 et 1999. Ce modèle rend
responsables de ces trois pays ont pris conscience des possible la réalisation de simulations et la formulation de
risques de surexploitation dès la fin des années 1960. prévisions ;
• la recommandation de mettre sur pied un mécanisme
En 1972, un programme algéro-tunisien (étude des permanent de concertation entre les trois pays, dont la
ressources en eau du Sahara septentrional, ERESS), a nature juridique reste à définir.
réalisé une première modélisation de cet aquifère avec
une première évaluation de l’impact des prélèvements en SASS II : mise en place d’un mécanisme de concertation
cours et de leur augmentation probable. Ce programme a
ensuite été actualisé en 1980. Cette deuxième phase (2003-2006)* a abouti à :
• la réalisation de deux sous-modèles (Biskra et Bassin
C’est dans le cadre global du programme de occidental en Algérie) et du modèle de la Djeffara
l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) sur les tuniso-libyenne (Besbes et al., 2005) ;
aquifères des grands bassins que le programme • l’établissement d’un diagnostic sur les pratiques
spécifique SASS est né après une série de séminaires agricoles ;
et d’ateliers régionaux. Un document de programme, • la mise en place d’un mécanisme de concertation au
signé à Tunis en septembre 1997, désigne l’OSS comme niveau institutionnel entre les trois pays dont l’unité de
maître d’ouvrage du programme et responsable de la coordination est hébergée par l’OSS. À l’issue de plusieurs
recherche de financements. Ce programme prévoyait ateliers et réunions, la configuration du mécanisme de
une étude de la ressource et de ses usages, de proposer cette structure, son fonctionnement et son financement
un mécanisme de suivi et de gestion commune ainsi que ont été adoptés officiellement en novembre 2017 et un
des recommandations quant aux meilleures valorisations coordinateur a été nommé pour une année sur une base
possibles de cette eau. tournante. Il a pour principale mission d’offrir un cadre
d’échange et de coopération entre les trois pays pour
En mai 1999, une première phase de trois ans (1999- les activités d’études et de recherches en commun, de
2002) a été lancée avec l’appui des administrations définition des protocoles d’échange de données, de mise
responsables de l’eau des trois pays, de la coopération à jour des modèles et de leur exploitation, d’actions de
suisse, du Fonds international de développement formation, etc.
agricole (FIDA) et de l’Organisation des Nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Ce premier À l’issue de la phase d’exploitation des nouvelles
programme (SASS I) a été suivi de deux autres, à savoir connaissances sur le SASS et de la proposition
SASS II (2003-2006) et SASSIII (2010-2015). d’hypothèses variées sur l’utilisation de l’eau, il est
apparu indispensable de mener une enquête socio-
SASS I : hydrogéologie, base de données et modélisation économique poussée sur la situation des irrigants et sur
les coûts réels de l’utilisation de l’eau. Cette action a été
L’OSS assure la coordination de ce programme et s’appuie entreprise lors du projet SASS III.
sur les experts nationaux et internationaux pour sa
réalisation. Cette première phase (1999-2002) a fait l’objet SASS III : recommandations opérationnelles pour une gestion
d’une collaboration étroite entre les responsables de l’eau durable de la ressource en eau
des trois pays concernés avec l’installation d’une équipe
SASS à Tunis. Outre une dynamique de concertation entre La troisième phase du projet (2010-2015) avait
les différents acteurs, cette première phase a permis : pour finalité de proposer des recommandations
• d’améliorer significativement la connaissance opérationnelles visant l’amélioration de la gestion de la
géologique et hydrogéologique du système aquifère ; ressource, en particulier pour l’irrigation agricole, dans le
• la création d’une base de données référençant 9  000 cadre de politiques de développement durable.
forages et leurs principales caractéristiques dont
les débits d’exploitation. Dotée d’outils d’analyse,
celle-ci peut fonctionner comme un véritable * Phase réalisée avec l’appui de la Direction du développement et de la coopération (DDC Suisse),
du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), du Fonds pour l’environnement mon-
système d’information, fournissant ainsi un outil de dial (FEM), du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), de l’UNESCO et de
l’Agence de coopération internationale allemande pour le développement (Deutsche Gesellschaft
gestion à disposition des trois pays ; für Internationale Zusammernarbeit, GIZ).

46 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> ZOOM | L’Observatoire du Sahara et du Sahel
L’OSS est une organisation à caractère international à vocation une valorisation de l’utilisation de l’eau, en particulier pour
africaine, créée en 1992 et établie à Tunis en 2000. Son action l’irrigation.
se situe dans les zones arides, semi-arides et subhumides • CREM : Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), Coopération
sèches de la région sahélo-saharienne. L’OSS compte parmi régionale pour une gestion durable des ressources en eau
ses membres 25 pays africains, 7 pays non-africains et au Maghreb, réalisé en deux phases (2014-2018 et 2019-2020,
13  organisations représentatives de l’Afrique de l’Ouest, de 2020 - 2021) pour la mise en place d’une stratégie régionale de
l’Est et du Nord, d’organisations des Nations Unies ainsi que gestion des ressources en eau.
des organisations non gouvernementales. • NB-ITTAS : Afrique de l’Ouest et du Nord (Algérie, Bénin,
Burkina Faso, Cameroun, Côte d’ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie,
L’OSS a pour mission d’appuyer ses pays membres africains Niger, Nigeria et Tchad), projet ABN-OSS « Améliorer la GIRE,
dans la gestion durable de leurs ressources naturelles dans la gestion et la gouvernance fondées sur la connaissance du
un contexte de changement climatique particulièrement bassin du Niger et du système aquifère d’Iullemeden-Taoudeni/
défavorable. Pour cela, il s’investit dans : Tanezrouft ».
• la mise en œuvre des accords multilatéraux des Nations • GICRESAIT : Afrique de l’Ouest et du Nord (Algérie, Bénin,
Unies sur la désertification (CNULD), la biodiversité (CNUDB) Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Nigeria), « Gestion
et le changement climatique (CCNUCC) ; intégrée et concertée des ressources en eau des systèmes
• la promotion d’initiatives régionales et internationales liées aquifères d’Iullemeden, Taoudéni/Tanezrouft et du fleuve
aux défis environnementaux de l’Afrique sahélo-saharienne ; Niger  » (2010-2017), évaluation du potentiel et suivi des
• la définition de concepts et l’harmonisation d’approches et ressources en eau de ces deux grands systèmes aquifères,
méthodologies en rapport avec la gestion durable des terres, débuté en 2004 par l’étude du SAI.
les ressources en eau et les changements climatiques. • IGAD : Afrique de l’Est (Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Kenya,
Ouganda, Somalie, Soudan, Soudan Sud), projet « Cartographie,
L’Observatoire s’appuie nécessairement sur la transmission évaluation et suivi des ressources en eau partagées de la
des connaissances, le renforcement des capacités et la sous-région » exécuté par l’OSS (2007-2012) pour une vision
sensibilisation de toutes les parties prenantes. commune de la gestion concertée des ressources en eau
transfrontières.
Les activités et les projets de l’OSS sont financés respectivement • Appui aux mécanismes de concertation :
par les contributions volontaires des pays membres, et par - SASS : l’unité de coordination du mécanisme de concertation
les subventions et les dons provenant des partenaires au du SASS, est domiciliée au siège de l’OSS depuis 2008. Ses
développement. missions essentielles sont entre autres, d’appuyer les pays
dans la mise en œuvre des principales activités techniques
Grâce à des mécanismes de gouvernance efficaces et à une destinées à faciliter la concertation entre les pays.
équipe compétente, multiculturelle et multidisciplinaire, l’OSS - SAIT : mise en place d’un mécanisme de concertation
apporte une contribution à haute valeur ajoutée dans le paysage pour la gestion intégrée des eaux souterraines partagées
institutionnel international et africain. d’Iullemeden et Taoudéni/Tanezrouft lors de la réunion des
ministres, tenue le 27 mars 2014 à Abuja. Le principe de la
L’action de l’OSS couvre une large palette d’interventions qui création de ce cadre de gestion de ces ressources en eau a
concernent le suivi et la surveillance de l’environnement en été adopté avec un Protocole d’accord déjà signé par quatre
appui aux efforts des pays dans la lutte contre la dégradation pays (Bénin, Mali, Niger et Nigeria).
des terres et la désertification, dans la gestion durable des
ressources en eau, la résilience des populations, et dans Sur ces différents projets, de nombreux documents (cartes,
la sauvegarde du patrimoine biologique. Dans le cadre des atlas, rapports techniques et documentaires, bases de
ressources en eau plusieurs grands projets ont été conduits données, SIG, Géoportail) ont été publiés par l’OSS.
ou réalisés, ces dernières années par l’OSS :
• SASS : Afrique du Nord (Algérie, Lybie, Tunisie), système
aquifère du Sahara septentrional, projet réalisé en trois
phases entre 2000 et 2015, apportant successivement une
meilleure connaissance du système, des outils de gestion et Pour plus d’informations : www.oss-online.org

Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ? 47


Pour des raisons opérationnelles, le projet a fait l’objet que la sauvegarde des foggaras (galeries souterraines
de trois conventions signées avec les trois partenaires servant à l’irrigation au Sahara), la maîtrise de la
de coopération que sont la Facilité africaine de l’eau, le dégradation des sols, la restauration ou la sauvegarde
Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) des systèmes de production, la valorisation des eaux
et le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM). géothermales, le traitement des sols affectés par la
salinisation ou encore la rationalisation de l’utilisation
Le projet SASS III visait un double objectif : des eaux saumâtres. Les résultats obtenus dans les six
• l’enrichissement des acquis de la connaissance pilotes ont été validés au cours de trois ateliers nationaux
hydrogéologique de la ressource en eau par des et d’un atelier régional (OSS, 2012, 2015) (cf. zoom page
données socio-économiques décrivant la réalité du suivante).
fonctionnement des exploitations agricoles (cf. zoom
page suivante) ;
• la proposition d’alternatives pour le redéploiement
de l’agriculture de la zone et des recommandations
opérationnelles pour une agriculture durable avec
préservation des ressources en eau et des sols. Ce dernier
point a été abordé en développant l’installation d’un
certain nombre de « pilotes de démonstration agricole »
répartis sur tout le SASS.

Six problématiques de gestion des eaux d’irrigation ont


été identifiées et sélectionnées par les autorités en charge
de l’eau des trois pays concernés, autour desquelles ont
été conçus les projets de pilotes de démonstration. Ces
derniers présentent différents objectifs spécifiques tels

qq Forage artésien de Rtem, région de Tozeur, Tunisie, abandonné et non bouché.


Un exemple de mauvaise gestion. Pierre Deschamps © IRD

pp Atelier de forage profond. © Edmunds, travi et al., 2001

48 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
> ZOOM | SASS III : données socio-économiques et résultats des pilotes
de démonstration agricole
Pour dresser un état des lieux quantitatif et qualitatif de agriculteurs irrigants. Sur ce dernier point, en considérant les
l’agriculture irriguée sur l’ensemble du bassin,  3  000 différentes conditions d’accès à l’eau (privé, collectif ou gratuit),
exploitations, réparties sur 10 zones (cinq en Tunisie, quatre deux variables apparaissent particulièrement pertinentes  :
en Algérie, une en Libye) ont fait l’objet d’enquêtes élaborées l’incidence de la salinité de l’eau et le coût supporté par
pour décrire leur fonctionnement et le comportement des l’exploitant (cf. tableau ci-dessous).

Moyenne Accès Accès Accès


SASS privé collectif gratuit Algérie Libye Tunisie
Consommation d’eau par hectare et par exploitant (m3/ha) 12 686 10 516 14 746 21 735 13 520 9 134 13 266
Coût de l’eau ($/m3) 0,036 0,045 0,028 0,004 0,036 0,028 0,040
Productivité de l’eau ($/m3) 0,413 0,484 0,350 0,274 0,405 0,341 0,458
Marge brute par ha 3 909 4 270 3 176 4 683 4 632 2 861 3 478
Importance de l’élevage (% de la recette agricole) 17,72 19,7 12,94 30,85 14,9 27,9 9,4
Superficie irriguée moyenne 4,2 6 2,6 0,85 5,1 6 1,8
Élasticité-prix de la demande en eau en % (variation de la
consommation lorsque le prix augmente de 100 %) -12 -27 -8 - -45 -25 -33
Élasticité-salinité en % (variation de la productivité de l’eau
lorsque la salinité augmente de 100 %) -75 -67 -80 - -53 -52 -35

pp Récapitulatif des résultats par catégorie d’accès à l’eau. D’après OSS, 2015

Le coût plus élevé de l’accès privé à l’eau et, plus globalement, Les solutions techniques rentables mises en application (énergie
l’élévation du coût supporté par l’exploitant, entraînent une solaire, réalisation de drainage enterré, déminéralisation,
réduction de la consommation et la recherche de systèmes irrigations localisées conjuguées avec l’intensification
de culture alternatifs améliorant la productivité de l’eau. La raisonnée des systèmes de culture) ont nettement amélioré
salinité a un impact économique important qui justifie les la productivité de l’eau. On peut citer, par exemple, l’utilisation
investissements de lutte contre ce fléau (drainage, bonification de l’énergie solaire et la modification du système d’irrigation
des terres, déminéralisation, etc.). L’ensemble des résultats dans l’oasis de Reggane en Algérie ou la restauration des sols
peut servir de base à des politiques de développement altérés par la salinisation et l’hydromorphie à Kebili en Tunisie).
(tarification de l’eau, foncier, investissements, etc.). Ces résultats ont joué un rôle pédagogique, non négligeable,
en améliorant la perception de la valeur de l’eau chez les
Pour aider les « décideurs », un modèle hydro-économique a agriculteurs dorénavant plus enclins à payer l’eau d’irrigation
été mis au point. Il permet de simuler des scénarios et de définir et à investir pour une meilleure efficience.
pour chacun d’entre eux : 1) le volume maximal à pomper dans
l’aquifère et 2) le revenu maximal dégagé. Par ailleurs, les pilotes ont également joué un rôle social en
favorisant le dialogue entre les agriculteurs et en favorisant
Les pilotes de démonstration agricole : les six pilotes (deux la diffusion des innovations et l’acceptabilité sociale des
dans chacun des trois pays) avaient pour objectifs de tester des innovations. « Ces dynamiques se sont avérées prometteuses
solutions techniques pour une meilleure productivité de l’eau, et peuvent permettre de revitaliser l’intérêt pour l’agriculture
en relation avec les problèmes de pénurie, de salinisation, irriguée dans certaines régions à travers le bassin ».
d’inefficience de l’irrigation et de dégradation des sols. Pour plus d’informations : OSS, 2015

pp Forage actionné par énergie solaire, Thialaga, vallée du Fleuve. Sénégal. Kirsten Simondon © IRD

Une gestion durable des grands aquifères fossiles est-elle possible ? 49


Quel avenir pour les aquifères profonds des
régions saharo-sahéliennes ?

pp Lac Trouna, Lybie. Ce lac fait partie des 22 lacs de la Ramlah des Daoudas. © Jacques Taberlet

Les grands aquifères profonds de la zone saharienne Au cours des dernières décennies, ces grands systèmes
et de ses confins arides et semi-arides renferment des aquifères ont fait l’objet d’études poussées, utilisant
quantités considérables d’eau douce. À la faveur de les outils classiques de l’hydrogéologie ainsi que les
structures géologiques favorables qui permettent à cette nouvelles méthodes développées au cours de cette
eau, en partie piégée et sous pression, de remonter à la période. Elles ont permis de proposer et de développer
surface, ils ont créé des « îlots » d’eau douce dans le désert des modèles hydrogéologiques utilisés pour simuler
et rendu possible le déploiement des sociétés humaines l’évolution future de ces grands systèmes aquifères en
et de l’agriculture oasienne. Les techniques modernes fonction de différents scénarios envisagés. Compte tenu
d’exploitation des eaux profondes assurent, à l’heure des énormes quantités d’eau, si on les considère dans
actuelle, le développement de nombreuses régions et leur globalité, ces systèmes ne semblent pas menacés
une amélioration des conditions de vie des populations. à court ou moyen terme. Mais, l’exploitation n’est pas
Mais, ces réserves en grande partie héritées des épisodes uniformément répartie et certains secteurs, sur lesquels
humides du passé sont souvent peu ou pas renouvelées se concentre l’exploitation, montrent déjà localement
et sont donc, à priori, vulnérables. des problèmes techniques et environnementaux. Il est
donc important de développer des modèles régionaux

50 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
susceptibles de mieux planifier l’exploitation. Toutefois, doivent s’accompagner d’un renforcement des
les modèles sont seulement une représentation plus coopérations régionale et internationale pour améliorer
ou moins précise de la réalité (fortement dépendante la connaissance de ces systèmes et développer les
de la quantité et de la qualité des données recueillies). techniques modernes qui permettent une meilleure
Il est donc nécessaire de maintenir les réseaux de rentabilité et donc une économie d’eau, en particulier
surveillance et de poursuivre l’acquisition de données, en agriculture, comme cela a commencé à être fait sur
pour valider les prévisions et affiner les modèles. le SASS. Il paraît également nécessaire de développer
une approche globale de la politique de gestion de
À plus ou moins long terme, la surexploitation de ces l’eau, incluant la sécurité alimentaire et la notion d’eau
aquifères, partagés par plusieurs pays, peut conduire « virtuelle » (équivalent en eau d’une ressource importée
à de sérieux problèmes économiques et politiques. Il ou exportée, agricole par exemple). Ces problématiques
paraît difficile de faire le choix de priver les populations sont particulièrement bien décrites et développées dans
des bienfaits de cette ressource pour la préserver pour l’ouvrage de Besbes et al. (2018)* sur la sécurité de l’eau
les générations futures, à une échéance encore difficile en Tunisie.
à évaluer. En revanche, sa gestion doit nécessairement
faire l’objet de choix politiques d’économie et de * Mustapha Besbes, professeur émérite à l’École Nationale d’Ingénieurs de Tunis et associé
étranger de l’Académie des Sciences à Paris, est un spécialiste des ressources en eau des pays
priorisation de l’utilisation de l’eau. Ces démarches arides, souvent consulté lors des différentes étapes du projet SASS.

Quel avenir pour les aquifères profonds des régions saharo-sahéliennes ? 51


Pour en savoir plus…
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52 Les ressources en eau profonde


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Pour en savoir plus… 53


Sites internet
(Liste non exhaustive)

Organisations internationales Agences de coopération internationale

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and Europe www.afd.fr
http://web.cedare.org/

FAO - Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et Institutions et laboratoires de recherche
l’agriculture
www.fao.org/land-water/water/fr/ BRGM - Bureau de Recherches Géologiques et Minières, France
www.brgm.fr/activites/eau/eau
FEM - Fonds pour l’environnement mondial
www.thegef.org/topics/international-waters Cirad - Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement, France
FFEM – Fonds Français pour l’Environnement Mondial www.cirad.fr
www.ffem.fr/fr/page-thematique-axe/eaux-internationales
CNFSH - Comité National Français des Sciences hydrologiques
FIDA - Fonds international de développement agricole https://hydrologie.org
www.ifad.org/fr/water
IRD - Institut de recherche pour le développement, France
IAEA - Agence Internationale de l’Énergie Atomique www.ird.fr
www.iaea.org
Réseaux
IGRAC - International Groundwater Resources Assessement Centre
www.un-igrac.org/fr RIOB - Réseau International des Organismes de Bassin
www.riob.org/fr
ISARM - Internationally Shared Aquifer Resources Management
https://isarm.org Ritimo - Réseau d’information et de documentation sur le
développement durable et la solidarité internationale (site « Partage
Nations Unies - Décennie de l’eau 2018-2028 des eaux »)
www.un.org/sustainabledevelopment/fr/water-action-decade/ www.partagedeseaux.info

OIEau - Office International de l’Eau


www.oieau.fr

OSS - Observatoire du Sahara et du Sahel


www.oss-online.org

PNUD - Programme des Nations Unies pour le Développement - ODD6


www.undp.org/content/undp/fr/home/sustainable-development-
goals/goal-6-clean-water-and-sanitation.html

PNUE - Programme des Nations Unies pour l’Environnement


www.unenvironment.org/fr/explore-topics/water/about-eau

UNESCO - Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science


et la culture
https://fr.unesco.org/themes/securite-approvisionnement-eau/
hydrologie/eaux-souterraines

54 Les ressources en eau profonde


du désert du Sahara et des ses confins arides et semi-arides
pp Les dromadaires à l'abreuvoir au puits dans le grand erg oriental, Tunisie. Vincent Simonneaux © IRD

Pour en savoir plus… 55


Lexique
Chott. En Algérie et en Tunisie, lac salé, plus ou moins desséché.

Endoréique. Eaux de surface n’atteignant pas la mer ou l’océan


mais alimentant un plan d’eau sans exutoire ou bien absorbées
au cours de leur écoulement par infiltration et/ou évaporation.

Modélisation numérique. Elle consiste à construire un ensemble


de fonctions mathématiques décrivant le phénomène. En modifiant
les variables de départ, on peut ainsi prédire les modifications du
système physique.

Sebkha. En Afrique du Nord, fond plat et salé d’une dépression


fermée, sans végétation, caractérisé par des efflorescences salines
en périodes sèches, inondable par des eaux de crue ou des remontées
d’eaux profondes en périodes de pluie.

Acronymes et abréviations
ABN Autorité du bassin du Niger GIRE Gestion intégrée des ressources en eau
AIEA Agence internationale pour l’énergie atomique IRD Institut de recherche pour le développement
Institut fédéral allemand des géosciences et Programme « Internationally Shared aquifer
ISARM
BGR des ressources naturelles - Bundesanstalt für resources management »
Geowissenschaften und Rohstoffe JSAD- Joint Authority for the Study and Development of
BGS British Geological Survey NSAS the Nubian Sandstone Aquifer System
BP Before present NAS Système aquifère nubien
CBLT Commission du bassin du lac Tchad NSAS Système aquifère des grès nubiens
Centre pour l’Environnement et le Développement ODD Objectifs de développement durable
pour la Région Arabe et l’Europe / Center for OSS Observatoire du Sahara et du Sahel
CEDARE
Environment and Development for the Arab Region
and Europe PAGIRE- Plan d’action de gestion intégrée des ressources
BA en eau dans le bassin arachidier
CI Continental Intercalaire
PNAS Système aquifère post-nubien
CNRS Centre national de la recherche scientifique
Programme des Nations Unies pour le
Projet « Coopération régionale pour une gestion PNUD
CREM Développement
durable des ressources en eau au Maghreb »
Programme des Nations Unies pour
CSFD Comité Scientifique Français de la Désertification PNUE
l’Environnement
Continental Terminal (ou Complexe Terminal en SADA Shared Aquifer Diagnostic Analysis
CT
Afrique du Nord)
SAI Système aquifère des Iullemeden
Direction de la gestion et de la planification des
DGPRE SAP Strategic Action Plan
ressources en eau, Sénégal
Étude des ressources en eau du Sahara SASS Système aquifère du Sahara septentrional
ERESS
septentrional SAT Système aquifère du Taoudeni
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation SIG Système d’information géographique
FAO
et l’agriculture
Organisation des Nations Unies pour l’éducation,
FEM Fonds pour l’Environnement Mondial UNESCO
la science et la culture
FFEM Fonds Français pour l’Environnement Mondial
FIDA Fonds international de développement agricole

56 Questions de genre en zones sèches


Les femmes, actrices de la lutte contre la désertification
Résumé
95 % de l’eau douce utilisée par les hommes au niveau mondial, essentiellement d’origine
souterraine, proviennent de la ressource en eau renouvelable (part des précipitations qui n’est
ni consommée par les plantes puis évapotranspirée, ni évaporée). Les 5 % restants proviennent Dans la même collection
du stock d’eau souterraine emmagasinée lors des périodes de recharge excédentaire. À l’échelle
mondiale, ce stock décroît continuellement du fait d’une surexploitation liée à un déséquilibre entre
la vidange, naturelle ou provoquée (notamment pour l’irrigation agricole), et la recharge ou tout
Numéros déjà parus
simplement du fait de la quasi-absence de recharge. C’est le cas des grands aquifères de la région La lutte contre la désertification : 
saharo-sahélienne, souvent seule ressource régionale d’importance disponible. un bien public mondial environnemental ? 
Ces réserves d’eau souterraines non renouvelées, souvent qualifiées de « fossiles », sont en grande Des éléments de réponse... 
partie héritées des périodes humides du Quaternaire. L’âge et les conditions de leur recharge ont pu (M. Requier-Desjardins et P. Caron, janv. 2005)
être étudiés à l’aide de l’hydrologie isotopique (marqueurs de conditions climatiques et datations) Disponible aussi en anglais
associée à de nombreuses traces d’un vaste système hydrologique (réseaux hydrographiques
fossiles, sédiments lacustres) et de vie humaine, animale et végétale. La télédétection : un outil pour le suivi e
t
Dans la partie saharienne, la raréfaction des précipitations au cours des derniers millénaires et la l’évaluation de la désertification
vidange naturelle de ces grands aquifères ont conduit progressivement le désert à reprendre ses (G. Begni, R. Escadafal, D
 . Fontannaz
droits. À l’heure actuelle, seuls subsistent quelques oasis alimentées par l’émergence des eaux et A.-T. Nguyen, mai 2005)
souterraines sous pression. Ces milieux fragiles sont menacés par la surexploitation des ressources Disponible aussi en anglais
en eau souterraines. De nombreuses études, associant souvent plusieurs pays, ont ainsi été
entamées depuis les années 1970 pour mieux comprendre le fonctionnement de ces aquifères et Combattre l’érosion éolienne :
tenter de les gérer durablement. un volet de la lutte contre la désertification
(M. Mainguet et F. Dumay, avril 2006)
Ce dossier replace, tout d’abord, les eaux profondes de la zone saharo-sahélienne dans le contexte
Disponible aussi en anglais
de la disponibilité en eau douce sur la planète et souligne l’importance de leur préservation pour
lutter contre la désertification. Il s’intéresse ensuite aux caractéristiques générales de ces grands  utte contre la désertification : 
L
systèmes aquifères, souligne leurs spécificités géologiques et paléo-hydrogéologiques et décrit l’apport d’une agriculture en semis direct s
 ur
les méthodes d’étude, en s’appuyant sur trois exemples de grands systèmes aquifères profonds :
couverture végétale permanente (SCV)
le bassin du Tchad, le système aquifère des grès nubiens (NSAS) et le système aquifère du Sahara
(M. Raunet et K. Naudin, septembre 2006)
septentrional (SASS). Enfin, la question de la gestion rationnelle de ces grands systèmes et son
aspect transfrontalier sont abordés en décrivant les actions entreprises sur le NSAS et le SASS
Disponible aussi en anglais
Mots clés : Pourquoi faut-il investir en zones arides ?
Aquifères profonds, région saharo-sahélienne, paléo-hydrogéologie, gestion transfrontalière, (M. Requier-Desjardins, juin 2007)
ressources en eau, oasis Disponible aussi en anglais
Sciences et société civile dans le cadre
Abstract d e la lutte contre la désertification
(M. Bied-Charreton et M. Requier-Desjardins,
95% of the freshwater used by mankind worldwide—mainly groundwater—derives from renewable
water resources (i.e. the share of rainfall not taken up by plants or evaporated). The remaining
s eptembre 2007)
5% is from the groundwater stock accumulated during excess recharge periods. Globally, this Disponible aussi en anglais
stock is constantly declining due to overexploitation linked to an imbalance between natural or La restauration du capital naturel
human discharge (especially for crop irrigation) and groundwater recharge, or simply due to the
e n zones arides et semi-arides
complete absence of recharge. This is the case regarding the large Saharo-Sahelian aquifers,
Allier santé des écosystèmes 
which are often the only substantial water resources available in this region.
et bien-être des populations
These nonrenewable, so-called ‘fossil’, groundwater resources were generally formed during (M. Lacombe et J. Aronson, mars 2008)
the wet Quaternary Periods. The age and conditions of their recharge have been studied using
D isponible aussi en anglais
isotope hydrology (climatic markers and dating) combined with abundant evidence of a vast
hydrological system (fossil hydrographic networks, lake sediments) and of human, animal and Une méthode d’évaluation
plant life. et de cartographie de la dégradation
In the Saharan zone, the dwindling rainfall pattern over the last few millennia and the natural des terres. Proposition
discharge of these large aquifers have gradually led to formation of the desert as we know de directives normalisées
it today. Currently, only a few oases remain that are supplied by groundwater pushed to the (P. Brabant, août 2010)
surface under pressure. These fragile environments are threatened by the overuse of groundwater Disponible aussi en anglais
resources. Many often transboundary studies have been conducted since the 1970 s to gain insight
into the functioning of these aquifers and to come up with ways to manage them sustainably. Pastoralisme en zone sèche.
This Dossier considers the deep groundwater resources in the Saharo-Sahelian zone in terms Le cas de l’Afrique subsaharienne
of the availability of fresh water worldwide and highlights the importance of preserving them (B. Toutain, A. Marty, A. Bourgeot,
to combat desertification. It focuses on the general features of these major aquifer systems, A. Ickowicz et P. Lhoste, février 2012)
while underlining their geological and paleohydrogeological specificities. The study methods Disponible aussi en anglais
are then described based on three examples of major deep aquifer systems: the Chad Basin,
the Nubian Sandstone Aquifer System (NSAS) and the North-Western Sahara Aquifer System Le carbone dans les sols des zones sèches.
(NWSAS). Finally, the rational management of these large-scale systems and transboundary Des fonctions multiples indispensables
aspects are addressed while outlining the initiatives undertaken on the NSAS and NWSAS. (M. Bernoux et T. Chevallier, décembre 2013)
Keywords:
Disponible aussi en anglais
Deep aquifers, Saharo-Sahelian region, paleohydrogeology, transboundary management, L’ingénierie écologique pour une agriculture
water resources, oasis durable dans les zones arides et semi-arides
d’Afrique de l’Ouest.
(D. Masse, J.-L. Chotte et E. Scopel,
septembre 2015)
Disponible aussi en anglais
Surveiller la désertification par télédétection
(R. Escadafal et G. Bégni, novembre 2016)
Disponible aussi en anglais
Questions de genre en zones sèches.
Les femmes, actrices de la lutte contre
la désertification
(Droy I., coord., octobre 2019)
Disponible aussi en anglais
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