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Explication de la Croissance en Cote d’Ivoire

Chapter 23 of volume 2

Par KOUADIO BENIE Marcel


Université de Cocody
E-mail: beniemarcel@yahoo.fr
Cote d’Ivoire Chapter 23

Table des matières

1. Introduction...............................................................................................................................1

2. Trajectoire et sources de la croissance économique...............................................................4

2.1 Trajectoire de la croissance...................................................................................................4

2.1.1 Période post-indépendance (1950-1960): bases du miracle ivoirien..............................5

2.1.2 Du « miracle » à l’essoufflement (1960-1980)...............................................................7

2.1.3 De la crise à la reprise économique (1980-2000).........................................................11

3. Déterminants de la croissance à long terme..........................................................................17

3.1 Investissement......................................................................................................................17

3.2 Productivités des facteurs....................................................................................................19

3.3 Contributions sectorielles à la croissance économique.......................................................21

3.3.1 Contribution de l’agriculture à la croissance................................................................21

3.3.2 Contribution de l’industrie à la croissance...................................................................23

3.3.3 Secteur tertiaire et croissance.......................................................................................25

4. Rôle des acteurs, des marchés et des politiques économiques.............................................26

4.1 Rôle des acteurs et croissance économique.........................................................................26

4.1.1 Etat et croissance..........................................................................................................26

4.1.2 Apports des étrangers à la croissance économique.......................................................30

4.1.3 Rôle de la « bourgeoisie des planteurs » et des organisations paysannes....................34

4.2 Rôle des marchés dans la croissance...................................................................................38

4.2.1 Marché des produits......................................................................................................39

4.2.2 Marché monétaire et financier......................................................................................44

4.2.3 Marché du travail : de la régulation étatique à la déréglementation.............................49

5. Politique économique: cadre du modèle ivoirien de croissance..........................................56


Cote d’Ivoire Chapter 23

5.1 Doctrine économique...........................................................................................................56

5.2 Politiques macroéconomiques.............................................................................................58

6. Conclusions..............................................................................................................................61

Références bibliographiques........................................................................................................67

Tableaux.........................................................................................................................................73
Cote d’Ivoire Chapter 23

Liste des Tableaux

Tableau 1: Investissements publics et endettement : 1975-81 (en milliards de F CFA)

Tableau 2: Croissance en volume, contribution sectorielle à la croissance

Tableau 3: Comptabilité de la croissance

Tableau 4 : Contribution sectorielle à la croissance du PIB (en%)

Tableau 5: Structure de l’emploi et la répartition de la masse salariale dans le secteur moderne

Tableau 6: Evolution du contrôle financier des entreprises et de la production de l’ampli selon

l’origine : 1975-85

Tableau 7: Taux d’intérêt créditeur (compte d’épargne) en %

Tableau 8: M2 en pourcentage du PIB


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 1

1. Introduction

Bien que l’Afrique noire soit « mal partie », la Côte d’Ivoire semble plus brillante que la plupart

des pays de l’Afrique subsaharienne ayant opté pour « la voie du socialisme du développement »

ou « le socialisme africain ». En effet, cité en exemple en Afrique de l’Ouest, le modèle ivoirien

de libéralisme ouvert sur l’extérieur avec une intervention forte de l’Etat a permis à ce pays de

réaliser une croissance économique remarquable durant les deux premières décennies de

l’indépendance. Quelles sont les raisons de cette croissance extraordinaire? Les options de la

Côte d’Ivoire, favorable au capital privé étranger et à l’Occident, seraient-elles à l’origine de ce

succès?

Ces interrogations sont fondées dans la mesure où malgré des options libérales analogues

le Nigeria n’a pas connu de « miracle » ; la stagnation enregistrée par ce pays et par le Ghana a

été l’origine de leur instabilité politique. La forte croissance du PIB (taux de croissance annuel de

7% durant vingt ans) qualifiée de « miracle ivoirien » résulterait d’une utilisation extensive des

terres et d’un apport massif de facteurs de production étrangers (main-d’œuvre immigrée, cadres

expatriés, capitaux, technologies).

En effet, malgré l’importance du rôle de l’Etat dans l’économie, le secteur privé,

notamment étranger, a dominé un grand nombre de secteurs de l’économie ivoirienne au cours

des trente dernières années. L’accent mis par l’Etat sur les infrastructures et la formation du

capital humain a permis au secteur privé de prospérer.

En raison de sa grande vulnérabilité aux chocs extérieurs, aggravée par des erreurs de

politique économique (surendettement consécutif aux boums des cours du café et du cacao), le

modèle ivoirien a engendré de graves déséquilibres économiques et financiers qui ont atteint leur
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 2

paroxysme au cours des années 1980 et au début des années 1990. En effet, après une vingtaine

d’années (de 1960 à 1980) de « miracle ivoirien », la Côte d’Ivoire a connu plusieurs années

difficiles, au cours desquelles ses indicateurs macro-économiques et sociaux se sont fortement

dégradés.

Pour faire face à cette situation, le Gouvernement avec l’appui du FMI, de la Banque

Mondiale et de la Caisse Française de Développement, a mis en œuvre des programmes

d’ajustement dont l’objectif essentiel était de réduire les déséquilibres internes et externes, de

créer les conditions de la relance et d’assurer une croissance saine et durable.

L’application de ces programmes a donné des résultats mitigés puisqu’on a enregistré une

stagnation, voire une crise de 13 années (1980-1993). Agenor et Montiel (1998)1 expliquent en

partie, la médiocrité des résultats enregistrés par des facteurs institutionnels et politiques mal pris

en compte par les cadres de cohérence macroéconomique.

Comme en gros l’ajustement est à refaire2, la dévaluation du franc CFA en 1994 a permis

à la Côte d’Ivoire de retrouver le chemin de la croissance mettant ainsi fin à la morosité des

années précédentes. Le cycle de la croissance retrouvé a été interrompu par le coup d’Etat

militaire de 1999 puisqu’en 2000, le taux de croissance a été à nouveau négatif (-2%).

Ainsi décrite, la trajectoire de la croissance ivoirienne peut être analysée en considérant

trois principales périodes : la première a enregistré quinze années de « miracle ivoirien » ; la

seconde a été marquée par une crise profonde qui a duré de 1981 à 1993 ; la troisième (1994-

2000), caractérisée par une reprise.

Cette périodisation de l’analyse est nécessaire pour mettre en évidence à la fois les

moments de stabilité, de continuité et/ou de rupture. Elle permet également de savoir si la

1
Cités par Philippe Hugon (1999), p. 75.
2
Cf. Azam et Morrison (1994)
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 3

croissance ivoirienne relève d’un concours de circonstances exceptionnelles ou d’une

transformation en profondeur de l’économie. Autrement dit, quelle est la part des composantes

structurelles de la croissance et celle de ses déterminants conjoncturels?

Quelle que soit la préoccupation, une réflexion sur la croissance économique ivoirienne

présente un grand intérêt dans la mesure où elle va mettre en évidence les mécanismes du

« miracle ivoirien » ; par ailleurs, elle permettra de comprendre les divergences de croissance

entre la Côte d’Ivoire et certains pays africains d’une part et entre ce pays et d’autres pays

émergents, notamment ceux d’Asie et d’Amérique d’autre part.

C’est ainsi que les nombreuses publications sur le modèle ivoirien3 s’inscrivent dans cette

perspective. Même qualifiée de « croissance sans développement », Samir Amin (1967) estime

toutefois que « nul, parmi ceux qui s’intéressent à l’avenir du continent, n’a le droit d’ignorer

cette expérience ». Justement pour la comprendre, cette contribution se propose d’une part,

d’analyser la trajectoire de la croissance économique ivoirienne et ses principaux déterminants et

3
Parmi les travaux anciens, on peut citer celui de Samir Amin en 1967 sur « le développement du capitalisme en

Côte d’Ivoire ». Au niveau des publications récentes, on a :

 L’étude de l’OCDE sur « Agriculture, libéralisation et croissance économique  au Ghana et en Côte

d’Ivoire » par Alpine et Pickett en 1993 ;

 l’étude de l’OCDE sur la faisabilité politique de l’ajustement en Côte d’Ivoire de Azam et Morrisson en

1994 ;

 l’ouvrage collectif sur « le modèle ivoirien en questions » de Bernard Contamin et de Harris Memel-Fote

parut en 1997 donne des éclairages intéressants sur l’expérience ivoirienne ;

 l’importante étude de la CAPEC (Cellule d’Analyse de Politiques Economiques) du CIRES (Centre

Ivoirien de Recherche Economique et Sociale) sur « politique économique et croissance de l’économie

ivoirienne » en 1996.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 4

d’autre part, de mettre en évidence le rôle des principaux acteurs de cette croissance ainsi que les

marchés et politiques économiques qui délimitent et déterminent le champ de ces acteurs.

2. Trajectoire et sources de la croissance économique

Le suivi de la trajectoire de la croissance ivoirienne depuis l’indépendance semble indiquer des

phases contrastées d’évolution : forte croissance, stagnation, régression. Dans cette section et

celle qui suit, nous synthetisons cette phase de la croissance et analysons ses principaux

determinants.

2.1 Trajectoire de la croissance

Malgré les difficultés à établir une périodisation du processus de développement d’un pays, il

importe cependant de distinguer les différentes étapes de sa croissance économique afin de mieux

caractériser et interpréter le processus en cours. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, au regard de

la trajectoire de sa croissance de 1960 à 2000, on peut retenir trois étapes majeures de son

évolution : une première allant de l’indépendance à 1978 ; une seconde couvrant la période se

situant entre 1979 et 1993 et la troisième, de 1994 à 2000. Schématiquement, ces différentes

étapes s’étalant sur quatre décennies correspondent à deux grandes périodes : la période du

« miracle » et d’essoufflement (1960-1980) et la période de crise et de reprise (1981-2000).

Avant de présenter ces deux grandes étapes du processus de la croissance, il convient de

préciser que les bases du « miracle ivoirien » observé lors des quinze premières années de
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l’indépendance proviendraient des progrès accomplis à la fin des années quarante et plus

particulièrement durant la décennie 1950-1960.

2.1.1 Période post-indépendance (1950-1960): bases du miracle ivoirien

L’incorporation de la Côte d’Ivoire au système des rapports économiques internationaux dans le

cadre des régions de colonisation française est sans doute la première étape de son évolution

économique. Le modèle d’économie primaire extravertie caractérisait cette période dont la

production était destinée aux marchés extérieurs. Dans un tel système productif excluant de fait

une industrialisation tournée vers le marché extérieur, l’agriculture d’exportation a joué un rôle

déterminant grâce aux cultures de café, de cacao, de bananes et d’ananas ; l’exportation du bois a

aussi joué un rôle important.

Ces produits d’exportation ont permis à la Côte d’Ivoire de réaliser une croissance globale

extrêmement rapide à partir des années 1940. Le taux de croissance a été particulièrement élevé

entre 1950 et 1960 : 19.5% selon une étude de la SEDES4, entre 7 et 8% selon Samir Amin.

Les raisons de cette croissance extraordinaire sont multiples. On note tout d’abord, le

développement de l’agriculture de plantation et d’exportation et l’exploitation forestière.

L’économie de plantation s’est développée à partir de disponibilités en terre et en main-d’œuvre

étrangère.

En effet, l’extension des superficies des plantations a permis au pays d’accroître ses

grandes productions d’exportation (café, cacao, bananes, ananas) ; combinée à cette agriculture

extensive, l’exploitation forestière a contribué à la croissance du secteur agricole dont la mise en

valeur a bénéficié d’un apport considérable de la main-d’œuvre étrangère fournie par le SIAMO

4
Citée par Samin Amin (1967).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 6

(Syndicat interprofessionnel d’acheminement de la main-d’œuvre) dans le cadre du système

administratif du travail forcé. Cette population immigrée suscitée par l’économie de plantation a

considérablement augmenté dans la mesure où sa proportion est passée de 15% en 1950 à 45% en

1965.

Le rythme rapide de la croissance durant cette période proviendrait ensuite, de l’effort

d’investissements effectué par les secteurs public et privé. Les investissements publics estimés à

90 milliards sur la période 1950-1960, ont joué un rôle moteur particulièrement dans la mise en

place des infrastructures et de l’équipement administratif et social. Ces secteurs ont

respectivement reçu 40 et 38% des investissements publics. En revanche, seulement 12% des

investissements publics ont été alloués à l’agriculture, malgré la prévalence de l’économie de

plantation.

Quant aux investissements privés, évalués à 85 milliards sur la période 1950-60, ils ont

été essentiellement affectés aux Transports (35.3%) et au Logement (31.7%). Leur rôle dans le

processus de la croissance a supplanté celui des investissements publics à partir de 1955.

Globalement, l’effort d’investissement s’est traduit par un volume d’investissements bruts

en accroissement puisqu’il est passé de 14.7% du PIB en 1950 à 16.4% en 1960 ; pour cette

période, le coefficient de capital brut a été de l’ordre de 2.5.

Le financement de cette grande masse d’investissements était majoritairement interne

dans la mesure où il provenait essentiellement de l’épargne des ménages et de l’auto-financement

des entreprises. Il a résulté de cette contribution locale, une réduction de la part du financement

externe qui a progressivement diminué puisqu’on est passé de 47.3% en 1950 à 23.85% en 1960.5

5
Cf. Samir Amin (1967), p. 310.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 7

Il convient aussi de noter que la Côte d’Ivoire n’a pas connu de difficultés de paiements

extérieurs durant cette période. La croissance de son commerce extérieur qui lui a permis de faire

face aux transferts vers l’extérieur de bénéfices et d’épargnes étrangères, a résulté de

l’accroissement des exportations dont la proportion était en augmentation dans le PIB : de 24%

en 1950, celle-ci est passée à 28% en 1960. Par contre, la valeur des importations de ce pays était

constante et représentait environ 85% de ses exportations, ce qui traduit l’excédent de sa balance

commerciale dont la proportion dans la production intérieure brute s’est accrue durant cette

période : 3.6% en 1950 et 4.6% en 1960.

2.1.2 Du « miracle » à l’essoufflement (1960-1980)

La période de la croissance économique allant de 1960 à 1980 a connu deux étapes : la première

phase (1960-1970), qualifiée de « miracle ivoirien » a enregistré un taux de croissance élevé ;

durant la seconde étape (1971-1980), l’économie ivoirienne confrontée à des difficultés, s’est

essoufflée dans sa « marche vers la maturité ».

De 1960 à 1974 : période de croissance

Au cours de cette période, qualifiée de « miracle économique » ; la Côte d’Ivoire a enregistré un

taux de croissance annuel moyen de 8%, engendrant ainsi un accroissement de 4.3% du revenu

par habitant contre 1.6% lors de la décennie précédent l’indépendance.

Les prouesses économiques de la Côte d’Ivoire résulteraient de sa stratégie de

développement reposant sur le libéralisme économique et l’ouverture de son économie dans tous

les domaines, plus précisément à l’ensemble des facteurs.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 8

Optant pour une croissance extravertie et rapide, fondée sur l’agriculture d’exportation et

l’industrie d’import-substitution, les autorités ivoiriennes ont misé tout au long de cette période,

sur la liberté de mouvement des biens, des capitaux et des hommes. C’est ainsi qu’on a assisté à

des entrées massives de capitaux privés en provenance des pays industrialisés, notamment de la

France. L’appartenance de la Côte d’Ivoire à la zone franc a facilité cet afflux de capitaux compte

tenu de certaines règles en vigueur au sein de l’UMOA, notamment la convertibilité illimitée du

franc CFA et la fixité de la parité avec le franc français.

Qualifiée de miracle, la croissance ivoirienne de cette période est pourtant le résultat

d’une planification libérale de l’Etat qui a défini les grandes orientations et a assuré le

développement des infrastructures économiques et sociales. En effet, grâce aux surplus prélevés

sur l’agriculture d’exportation, l’Etat a fait un effort soutenu d’investissement en capital humain,

en infrastructure et même en capital industriel.6

Par le biais de ses entreprises publiques, l’Etat s’est également impliqué dans le système

productif en encourageant et en soutenant la production agricole qui a enregistré une expansion

remarquable. Malgré l’accumulation de type extensif réalisée grâce à cette politique agricole, la

participation du secteur primaire dans le produit global est en baisse dans la mesure où elle est

passée de 46.8% en 1960 à 28.9% en 1974. En revanche, le secteur industriel a connu une

croissance spectaculaire, avec un taux de croissance de 14.4% sur la période grâce à un ensemble

de politiques implicites et explicites émanant des organismes étatiques et une intervention directe

de l’Etat dans l’investissement industriel.7

6
Cf. Azam et Morrisson (1994), p.27.

7
Cf. Ikonicoff (1983) pour plus de détails sur le rôle de l’Etat dans la politique d’investissement industriel.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 9

Au total, il convient de retenir que le « miracle ivoirien » durant la période 1960-1974 a

été possible grâce à la stratégie de développement axée sur le recours des facteurs de production

étrangers (investissements directs et main-d’œuvre) et l’utilisation du surplus agricole prélevé

par l’Etat aux fins de réaliser des investissements d’infrastructure et dans le système productif des

secteurs agricole et industriel. Au cours de cette période, qualifiée d’« âge de l’ouverture », l’Etat

et le secteur public ont joué un rôle important malgré l’option libérale de l’économie.

De 1975 à 1980: le boom des cours des matières premières et le surinvestissement public

Les chocs externes subis par la Côte d’Ivoire pendant le quinquennat sont à l’origine du

dépassement des directives du plan 1976-1980. En effet, les cours mondiaux du cacao et du café

ont respectivement triplé et quadruplé dans les années 1975-1977 consécutivement à la gelée de

la récolte du café au Brésil en juillet 1977.

Victime de l’euphorie incontrôlée due à la flambée des cours du café et du cacao qui a

permis à la Côte d’Ivoire d’obtenir des recettes sans précédent, des investissements importants

ont été réalisés en un temps record.

***Insert Table 1 about here***

En effet, comme l’indique le Tableau 1, il y a eu un accroissement extrêmement rapide

des investissements publics particulièrement lors du choc pétrolier 1977/1978. En 1978, le

volume des investissements publics représentait 3.2 fois celui de 1975 ; sa part dans le PIB

s’élevait à 21%. Pendant le choc pétrolier, les investissements publics représentaient plus de 70%

du volume total des investissements. Les données indiquent aussi que, les investissements publics

ont été financés essentiellement par les emprunts extérieurs. Selon le rapport du FMI, en 1979, la
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 10

dette effective pour les prêts déboursés à la Côte d’Ivoire s’élevait à 3 786 millions de dollars et

le service annuel de cette dette représentait 16.6% de ses recettes annuelles d’exportation contre

958 millions de dollars et 6.8% en 1975.

La brièveté de la période des cours élevés du café et du cacao et leur chute brutale n’a pas

permis au gouvernement de réajuster immédiatement sa politique d’investissement ; en

conséquence, il a dû recourir massivement aux emprunts extérieurs pour le financement du déficit

budgétaire extérieur de plus en plus croissant. C’est ainsi que de 1975 à 1979, la dette publique

ivoirienne a triplé puisqu’elle est passée de 326.8 milliards en 1975 à 1064.6 en 1979 ; il en est de

même du service de la dette qui est passé de 7% des exportations au cours de la période 1975-

1977 à 18% en 1978-1980.

Cet endettement accru s’est accompagné d’un flux de capitaux privés en sens inverse,

amplifiant les effets de l’augmentation du service de la dette. Les raisons de la sortie des capitaux

sont multiples : selon Ghanem (1990)8, elle s’explique par la répression financière dont souffrent

les banques de Côte d’Ivoire du fait de leur appartenance à la zone franc. Les experts de la

banque mondiale et du FMI estiment que la fuite des capitaux est le fait des expatriés qui

rapatrient leur argent. Selon Duruflé (1988) et Leconte (1989)9, les élites ivoiriennes et les

libanaises ont joué un rôle important dans la dégradation du compte courant.

Quelle que soit l’origine de la fuite des capitaux, la Côte d’ivoire aborde les années 1980

surendettée, avec une balance des paiements et des finances profondément déséquilibrées ; en

conséquence, la nécessité d’opérer un ajustement structurel s’imposait.

8
Cité par D. Cogneau et S. Mesple-Somps (1999).
9
Cité par D. Cogneau et S. Mesple-Somps (1999).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 11

2.1.3 De la crise à la reprise économique (1980-2000)

En proie à une crise profonde, l’économie ivoirienne a enregistré deux ajustements majeurs :

l’ajustement réel de 1981 à 1993 qui s’est traduite par la mise en œuvre des programmes

d’ajustement structurel et de stabilisation économique et l’ajustement monétaire qui a vu la

dévaluation du franc CFA décidée en commun accord avec les autres membres de la zone franc le

12 janvier 1994.

De la crise à l’ajustement réel (1981 à 1993)

Pendant la période 1981-1990, l’économie ivoirienne a été confrontée à des difficultés

économiques financières majeures, à la suite du déséquilibre simultané de la balance des

paiements et des finances publiques. Pour faire face à cette situation, le Gouvernement avec

l’appui du FMI, de la Banque Mondiale et de la Caisse Française de Développement, a mis en

œuvre des programmes d’ajustement dont l’objectif essentiel était de réduire les déséquilibres

internes et externes, de créer les conditions de la relance et d’assurer une croissance saine et

durable.

A partir de 1991, un nouveau programme de stabilisation et de relance économique pour

la période 1991-1993 fut lancé ; son objectif était de restructurer le secteur financier (PASFI), de

rétablir la compétitivité globale de l’économie (PASCO) et d’initier un programme de

développement des ressources humaines (PDRH).

1981-90  : Période d’ajustement structurel

On peut distinguer trois (3) périodes dans l’ajustement mis en œuvre au cours de la décennie de

1981 à 1990 par la Côte d’Ivoire : l’effort sur les finances publiques de la période 1981-1983, le
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 12

renforcement de l’ajustement structurel durant la période 1984-1987 et le changement

d’orientation entre 1988 et 1990.

Effort sur les finances publiques pendant la période 1981-1983

La préoccupation majeure durant ce premier programme d’ajustement structurel est de réduire les

dépenses publiques. Parallèlement à la réduction des dépenses publiques, des mesures sont prises

pour renforcer les recettes budgétaires.

Selon Azam et Morrisson (1994), les mesures les plus spectaculaires du premier PAS sont

celles qui concernent les entreprises publiques. Pour preuve 25 sur 32 ont été touchées par des

mesures de réorganisation. En outre, dix (10) entreprises publiques ont été dissoutes ou

démantelées ; onze (11) placées sous le contrôle direct de l’Etat et quatre (4) privatisées. Au

cours de cette période, l’Etat a conservé 200 entreprises à l’issue des restructurations ; parmi

celles-ci, on compte 140 sociétés d’économie mixte. Par ailleurs, d’importantes réductions de

subvention de l’Etat aux entreprises publiques ont été opérées.

Malgré toutes ces mesures prises au cours de la période 1981-1983, la tension sur les

finances publiques a persisté. Le déficit du secteur public consolidé est passé de 12.2% du PIB en

1980 à 11.7% en 1983 ; les intérêts sur la dette sont passés de 3.2% du PIB en 1980 à 8.2% en

1983.

Renforcement de l’ajustement structurel durant la période 1984-1986

Durant cette seconde étape de l’ajustement structurel, l’objectif est également la réduction des

déficits publics. Les mesures prises lors de ce second programme, sont récessionnistes dans la

mesure où elles ont affecté fortement la demande intérieure.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 13

On note, par exemple, que le niveau de l’investissement public qui s’élevait

antérieurement à 13.5% du PIB est passé à 8% en 1984, pour tomber à 6.2% en 1986. Pour les

deux premières années de cette deuxième phase de l’ajustement, les dépenses publiques qui

représentaient encore 40% du PIB en 1982-83 sont descendues à 32% en 1985.

L’amélioration impressionnante des comptes du secteur public dès 1984 s’est traduite par

une réduction importante du déficit de ce secteur : 1.7% du PIB en 1984 contre 11.7% en 1983.

cette amélioration s’explique à la fois par la réduction des dépenses publiques, la hausse des

surplus des entreprises publiques et surtout par les prélèvements de la CSSPPA (Caisse de

Stabilisation et de Soutien des Prix des Productions Agricoles) qui passe de 3.7% du PIB en 1983

à 9.2% en 1984 et 10.0% en 1985.

Au cours de cette période, on a assisté à une relance de l’économie ivoirienne

consécutivement à l’amélioration des termes de l’échange et des conditions climatiques. En effet,

on a enregistré une remontée non négligeable des cours du café et du cacao sur les marchés

mondiaux.

La chute des cours du café et du cacao à la fin de 1986, a interrompu à la reprise fragile de

l’économie ivoirienne. Le marasme qui s’en est suivi, a fait perdre le bénéfice des mesures prises

pour rééquilibrer les finances publiques. Ce qui a nécessité un nouveau besoin d’ajustement

structurel avec des caractéristiques spécifiques.

Changement d’orientation au cours de la période 1987-1990

Durant cette période, il s’est opéré un changement de stratégie correspondant à deux phases. Au

cours de la première (1987-1988), les mesures prises antérieurement ont été renforcées. Durant la

deuxième phase qui couvre la fin de 1988 et le milieu de l’année 1990, il s’est opéré un

changement d’orientation. Celui-ci résulte de la volonté de dépasser le cadre de l’assainissement


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 14

des finances publiques et d’engager des réformes de structures avec une vision de la reprise de la

croissance à moyen terme exprimée dans le programme négocié avec le FMI en 1989.

En juin 1990, le programme a été remodelé avec un objectif de finances publiques et des

réformes structurelles de l’économie, ainsi que des politiques sectorielles d’accompagnement.

1991-1993  : Période de stabilisation et de réformes structurelles

La période ayant précédé la dévaluation du F CFA a connu un net ralentissement de l’activité.

Cela s’est traduit par une croissance nulle (en 1991) ou négative (1992 et 1993) de l’économie.

***Insert Table 2 about here***

Selon le Tableau 2, durant cette période, la part relative des différents secteurs dans le PIB

est demeurée la même : 33% pour le secteur primaire, 20% pour le secteur secondaire et environ

45% pour le secteur tertiaire. En revanche, la contribution des secteurs à la croissance est

contrastée : pendant que l’apport des secteurs primaire et tertiaire est négatif en 1993, la

contribution à la croissance du secteur secondaire est positive.

Le ralentissement de l’activité économique résulterait des efforts de stabilisation

financière entrepris par le gouvernement qui prévoit une compression des dépenses publiques.

Parallèlement, des réformes structurelles sont mises en œuvre en vue de restructurer le secteur

financier (PASFI), de rétablir la compétitivité globale de l’économie (PASCO) et d’initier un

programme de développement des ressources humaines et (PDRH).


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 15

De l’ajustement monétaire à la reprise économique (1994-2000)

Après l’essor remarquable des années 1994-1997 consécutif à l’ajustement monétaire, il a été

prévu un ensemble de mesures et de réformes sectorielles pour consolider la croissance jusqu’en

2000.

Evolution économique post-dévaluation: 1994-1997

Après treize ans de crise, l’économie ivoirienne connaît depuis 1994, une phase d’expansion.

Celle-ci s’est traduite par une hausse de 2% en terme réel du PIB en 1994 contre une baisse

moyenne de 1% entre 1987 et 1993 (-0.4% en 1993). La croissance économique amorcée en 1994

s’est poursuivie et a été supérieure à celle de la population dont le taux de croissance est de 3.8%

par an en moyenne. En conséquence, le PIB par tête s’est accru puisqu’il est passé de 223 400 F

CFA en 1993 à 388 200 F CFA en 1997.

La reprise de la croissance économique durant cette période s’est effectuée dans un cadre

macroéconomique amélioré grâce à la maîtrise de l’inflation, à l’excédent de la balance

commerciale, à un solde primaire positif et à une hausse des investissements privés.

En effet, après la dévaluation, l’inflation a été bien contrôlée, dans la mesure où son

niveau (32.5%) qui est inférieur à ce qui a été prévu par le FMI (35%) a considérablement chuté

les années suivant la dévaluation : 7.7% en 1995 ; 5% en 1996 et en 1997.

En outre, on note un essor du commerce extérieur consécutivement à une augmentation

sensible des exportations et à un redressement des importations. Le solde des échanges extérieurs

a dégagé un excédent commercial de 949.33 milliards en 1996 contre 211.9 milliards en 1993.

Grâce à la reprise des exportations et reflux massif des capitaux privés et publics, les principaux

soldes de la balance des paiements se sont améliorés.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 16

L’amélioration des recettes de l’Etat et les efforts de maîtrise des dépenses publiques ont

permis de dégager un solde primaire positif : de –95.1 milliards en 1993, on est passé à un solde

primaire positif de 58.9 milliards en 1994, 158.9 milliards en 1995 et 209 milliards en 1996.

L’amélioration de sa situation budgétaire a permis à l’Etat d’accélérer le processus de

remboursement des dettes intérieures et de faire face aux échéances de sa dette extérieure.

De 1994 à 1997, on note aussi que les investissements privés se sont accru puisque de

4.3% du PIB en 1993, ils sont passés à 10% en 1996.

Politiques structurelles, sectorielles et sociales pour 1998-2000

Pour poursuivre les résultats satisfaisants obtenus lors des trois premières années de la

dévaluation (1994-1996), un vaste programme pour la période 1998-2000 a été mis en œuvre par

le gouvernement. Il visait l’amélioration du cadre des activités économiques, l’accélération du

désengagement de l’Etat des secteurs productifs, la poursuite des réformes sectorielles

(agriculture, environnement, forêt, mines et hydraulique, transport, télécommunication, etc.).

Dans l’optique de privilégier le secteur privé dans le processus de la croissance, il est

prévu de poursuivre jusqu’en 2000, la politique de privatisation pour un désengagement total de

l’Etat de la sphère des activités productives. Par ailleurs, il est envisagé de continuer les réformes

du cadre juridique et réglementaire par le renforcement du système juridique et de

l’administration judiciaire, l’accélération des procédures et l’augmentation de la flexibilité du

marché du travail.

Sur le plan social, le renforcement de la lutte contre la pauvreté et le SIDA constitue un

volet important du programme 1998-2000. La réduction de l’incidence de la pauvreté de 36.8%

en 1995 à 30% en 2000, implique une amélioration de l’accès à l’éducation, à la santé et à

l’emploi des populations démunies.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 17

3. Déterminants de la croissance à long terme

La théorie économique et les études empiriques ont bien établi que le taux de croissance potentiel

est proportionnel au taux d’investissement et à la productivité des facteurs.

3.1 Investissement

Pour expliquer les divergences de taux de croissance du PIB entre différents pays, les théories de

la croissance endogène privilégient l’investissement ; les études empiriques découlant de ces

théories établissent un lien étroit et significatif entre le taux d’investissement et le taux de

croissance potentiel, compte tenu de la productivité du capital.

Au cours de la première décennie (1960-1978), le capital par tête a été très élevé

consécutivement à « l’accumulation primitive » du capital industriel et des infrastructures

financées en partie par la rente du cacao et café ; Berthelemy et Soderling (1999)10, l’ont estimé à

8% au cours de cette période. En effet, au cours de la décennie 1970, les investissements publics

atteignaient 15% du PIB en raison de la réalisation d’importants programmes agro-industriels

(complexes sucriers, plantations d’hévéa et de palmier à huile, etc.) et de grandes infrastructures

(routes, ponts, télécommunication, logements sociaux, etc.).

Consécutivement à la mise en œuvre des PAS, les investissements publics ont

considérablement chuté durant la décennie 1980 : 10% du PIB en 1983, 4% en 1987 et 2.8% en

10
Cités par D. Cogneau et S. Mesple-Somps (1999).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 18

1991. Sur la recommandation de la Banque Mondiale, ceux-ci sont réorientés vers les secteurs

sociaux (éducation, santé) au détriment des infrastructures et des sociétés d’Etat.

Outre la chute des investissements publics, on note une faiblesse chronique des

investissements privés ; ceux-ci ont toujours été faibles même pendant la décennie du « miracle

ivoirien » où ils n’ont pu excéder 18% du PIB. Depuis les années 1970, ils n’ont cessé de

dégringoler ; en 1993, ils s’élevaient à 4% du PIB.

Des facteurs explicatifs de la faiblesse des investissements privés, deux paraissent

fondamentaux : la faible contribution des investissements étrangers à l’ensemble des

investissements privés et la difficile mobilisation des ressources internes pour le financement des

investissements privés.

A l’opposé des pays émergents où les investissements étrangers représentent plus de 40%

des investissements privés, les flux financiers privés en provenance de l’étranger vers la Côte

d’Ivoire demeurent encore très insuffisants dans la mesure où la part dans le total des

investissements privés oscille entre 10 et 15%.

La faiblesse du taux d’épargne s’explique aussi par les difficultés rencontrées dans le

financement des investissements privés. Elle résulte d’une part, du rapatriement des revenus de la

main-d’œuvre immigrée et celui des bénéfices des entreprises et d’autre part, des importants

transferts dus au remboursement de la dette extérieure.

Depuis la dévaluation, l’épargne et les investissements ont connu un rebondissement

spectaculaire. Le niveau moyen de l’investissement est passé de 205 à 672 milliards de F CFA de

la période 1990-1993 à la période 1994-1997. Parallèlement, le taux d’investissement a presque

doublé sur la même période. Ce gain de 7.5 points en l’espace de quatre ans, s’explique

principalement par l’augmentation de l’épargne des entreprises.11

11
Cf. Ministère de l’Economie et des Finances (1998), p. 30.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 19

Le retour de l’investissement n’a pas suffi à contribuer significativement à la croissance

de la productivité comme durant la période 1960-1978. Comparativement aux taux du Ghana, du

Kenya ou de l’Ouganda, le taux d’investissement de la Côte d’Ivoire demeure inférieur à la

moyenne de l’Afrique sub-saharienne et se situe très en dessous de la moyenne des pays à revenu

faible ou intermédiaire.12

3.2 Productivités des facteurs

Plusieurs méthodes ont été utilisées pour déterminer les sources de la croissance économique et

mesurer l’impact de l’éducation sur la croissance économique : l’approche par la comptabilité de

la croissance de Solow-Swan, le modèle de Solow augmenté.13

L’approche par la comptabilité de la croissance met en évidence le rôle du capital

physique, du capital humain et la productivité globale dans le processus de production ; elle

indique la contribution des facteurs de production de base (capital et travail) à la croissance

économique et un élément inexpliqué ou résiduel qui capte les améliorations technologiques.

La méthodologie de la comptabilité de la croissance a permis d’obtenir des résultats

variables dans le temps et dans l’espace ; on note par exemple qu’en 1996, Collins et Bosworth

(1996) ont, à partir des données de panel rassemblées dans 88 pays en développement dont

notamment 21 de l’Afrique subsaharienne, estimé une fonction de production de type Cobb-

Douglas pour déterminer la contribution du capital physique par tête, de l’éducation par

travailleur et la productivité globale à la croissance annuelle moyenne par tête.

12
Cf. D. Cogneau et S. Mesple-Somps (1999), p. 28.
13
Les résultats du modèle de Solow augmenté ne seront pas exposés parce que la variable capital humain, élément

spécifique de ce modèle par rapport au modèle de base de Solow, n’a pas été prise en compte.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 20

***Insert Table 3 about here***

Pour la Côte d’Ivoire, les résultats de cette estimation contenus dans le Tableau 3

permettent les commentaires suivants.

On note tout d’abord que, sur la période 1960-89, le taux de croissance annuel moyen du

PIB par tête de la Côte d’Ivoire est supérieur à celui de l’ensemble des pays d’Afrique

subsaharienne puisqu’il est de l’ordre de 1.82%. A l’instar des autres pays africains, le taux de

croissance du capital physique par tête est plus élevé que celui de l’accumulation du capital

humain ; en revanche, le taux de croissance annuel moyen de la productivité globale de ces

facteurs est positif. Ces résultats signifient que tous les facteurs primaires de production ont

contribué positivement à la croissance économique, avec une prédominance du capital physique.

La prépondérance du capital physique au cours de cette période s’explique essentiellement

par un important investissement public réalisé et par un apport massif de capitaux étrangers.

Ces résultats globaux positifs supérieurs à ceux des autres pays africains masquent

cependant des disparités lorsqu’on considère les différentes périodes de l’évolution de la

croissance économique. C’est ainsi que le taux de croissance annuel moyen du PIB par tête a été

décroissant au cours de la troisième décennie (1980-1989), période au cours de laquelle

l’économie a connu un ajustement réel qui s’est traduit par la mise en œuvre des programmes

d’ajustement structurel et de stabilisation économique.

Cette croissance négative du PIB par tête résulte de la chute du capital physique par tête et

surtout de la décroissance de la productivité globale des facteurs. La détérioration de la

productivité globale des facteurs est imputable au capital, facteur utilisé en proportion plus

importante. En effet, alors que la productivité du travail s’est améliorée respectivement de 0.35 et
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 21

0.38% au cours des périodes 1980-1984 et 1985-1989, celle du capital s’est dégradée fortement

pendant la période 1985-1989.

3.3 Contributions sectorielles à la croissance économique

Des études indiquent aussi que la contribution des secteurs à la croissance n’est pas la même et

varie selon les différentes périodes.

3.3.1 Contribution de l’agriculture à la croissance

Selon Diop-Boaré (1994), la Côte d’Ivoire est l’un des pays africains qui a bâti sa croissance

économique à partir de son potentiel agricole. En effet, sa production agricole a enregistré durant

la période 1960-1990, une croissance moyenne de 3% avec des pics de 5% en moyenne durant le

boom du café et cacao (1975-1980). Les taux de croissance les plus élevés ont été enregistrés

pendant la première décennie (1960-1970) grâce au café et au cacao ; au cours de la deuxième

décennie (1970-1980), les cultures de diversification ont joué un rôle déterminant dans la

croissance de la production agricole.

La performance de l’agriculture s’est traduite par sa contribution plus importante au PIB :

30% durant la période 1965-1990.14 Selon les estimations de Kouadio Yao (1993), la contribution

de l’agriculture à la croissance globale a été de 45% sur la période 1966-1990 (cf. Tableau 4).

***Insert Table 4 about here***

14
Cf. Diop-Boare (1994), p. 4.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 22

Les résultats remarquables du secteur agricole s’expliquent essentiellement par

l’intervention massive de l’Etat dans ce secteur. Les axes de cette intervention sont nombreux et

multiformes : l’Etat agit simultanément par le biais de la politique des prix agricoles, de la

politique des investissements publics agricoles, du financement agricole et de l’encadrement des

paysans.

L’étude de Diop-Boaré (1994) indique que l’intervention de l’Etat par le biais des

politiques de financement et d’investissements publics, n’a pas donné des résultats satisfaisants

dans la mesure où, ayant privilégié essentiellement trois cultures (café, cacao, et coton) qui ont

absorbé plus de 80% du crédit formel, elle a contribué de façon marginale à la croissance

agricole.

Les investigations empiriques de Diop-Boaré montrent également que le taux de

croissance du PIB agricole évolue différemment en fonction des interventions de l’Etat sur les

prix agricoles. Il est plus important lorsque ces interventions protègent les producteurs et moins

élevé s’il y a une tendance à les taxer.

A partir d’un test non paramétrique et d’un modèle d’estimation par la méthode des

moindres carrés simples, l’auteur analyse la relation entre le taux de croissance économique et les

différentes mesures d’intervention (taux de protection nominal direct, taux de protection nominal

indirect, taux de protection nominal total).

Il ressort de l’application du test non paramétrique que le taux de croissance du PIB réel

est faible pendant les années où les taxations directe et indirecte15 sont extrêmes (au-dessus de la

15
La taxation directe ou indirecte est dite forte lorsque le taux de protection nominale total est supérieur à la taxation

moyenne de la période ; dans le cas contraire, on a une taxation faible.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 23

moyenne) ; en revanche, une accélération de la croissance est observée pendant les années où les

taxations directe et indirecte sont faibles (en dessous de la moyenne). Ce test indique aussi que

les taxations directe et indirecte avaient été nuisibles à la croissance économique avec une

accentuation des interventions indirectes.

L’auteur note toutefois que le test de la méthode des moindres carrés simples n’a pas

donné des résultats satisfaisants dans la mesure où la relation entre la taxation totale et la

croissance économique n’a pas pu être établie de manière significative.

3.3.2 Contribution de l’industrie à la croissance

Selon Koné Solomane (1994), la politique industrielle de la Côte d’Ivoire a connu quatre phases.

La première phase qui correspond à la première décennie (1960-1970), se caractérise par

l’implantation des industries d’import/substitution avec une protection modérée du marché

domestique. La seconde décennie (1971-1980) qui coïncide avec la seconde étape du processus

d’industrialisation, est marquée par l’application d’une politique mixte de protection et de

promotion des exportations industrielles avec un rôle très actif de l’Etat. Les réformes

industrielles caractérisent la troisième étape (1981-1986) qui se situe dans la période de mise en

œuvre des programmes d’ajustement structurel. La dévaluation du F CFA marque le début de la

dernière étape ; au début de celle-ci, l’économie ivoirienne a enregistré un gain de compétitivité

de 30%.16

Selon l’auteur, la remarquable croissance industrielle au cours des deux premières

décennies, avant sa stagnation durant les années 1980, a été suscitée essentiellement par la

demande intérieure qui s’est particulièrement accrue pendant le boom café-cacao (1975-1980). Il

16
Cf. Pegatienan (1994).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 24

souligne en outre que, la croissance industrielle ne s’est pas accompagnée d’un changement

technologique majeur. Celui-ci n’interviendra qu’au travers du développement des exportations

industrielles.

Des études ont été faites pour mettre en évidence les déterminants des exportations des

produits industriels en Côte d’Ivoire ; il s’agit notamment de celles de De Vreyer et al. (1990), de

M’Bet A. (1991) et de Koné (1993).17 La principale conclusion de l’étude de Newman et al. est

que les exportations des entreprises manufacturières en Côte d’Ivoire sont affectées positivement

par les prix à l’exportation ; en revanche, les prix à l’importation ont un impact négatif sur les

exportations des produits industriels. Cette étude indique aussi qu’une augmentation du coût du

travail entraîne une réduction du travail dans l’offre des exportations industrielles.

3.3.3 Secteur tertiaire et croissance

Au cours des premières décennies, la croissance du PIB du secteur tertiaire a été remarquable :

aux cours des plans quinquennaux 65-70, 70-75, et 75-80, les taux de croissance annuelle ont été

respectivement de 7.9%, 7.2% et 7.8%. La part de ce secteur dans le PIB durant ces périodes était

d’environ 45%.18

De 1990 à 1997, la part du secteur tertiaire dans le PIB réel se situe autour de 47%. Ce

secteur qui est dominé par le commerce et le transport, a contribué de plus de 85% à la croissance

en 1994 et près de 50% en 1996 et en 1997.

17
Ces auteurs ont été cités par Kone (1994), p.43.
18
Ministère du Plan et de l’Industrie (1981).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 25

L’amélioration considérable des marges commerciales au lendemain de la dévaluation et

la forte reprise des services de transport consécutive à l’essor des secteurs de production ont été

les principaux facteurs de la forte expansion du tertiaire.

En 2000, le secteur tertiaire va connaître un recul de 7.8% qui touche toutes les branches :

-3.8% pour les Transports ; -8.1% pour le Commerce et –7.7% pour les Services.19

4. Rôle des acteurs, des marchés et des politiques économiques

4.1 Rôle des acteurs et croissance économique

La trajectoire de la croissance économique ainsi que ses déterminants résultent essentiellement du

rôle des différents acteurs, du fonctionnement des marchés des produits et des facteurs et des

politiques économiques mises en œuvre.

Malgré sa délégitimation au cours des deux dernières décennies, l’Etat (4.1.1) continue

de jouer un rôle déterminant dans le modèle ivoirien de développement. La stratégie de ce

modèle qui a accordé une place de choix aux facteurs étrangers (main-d’œuvre et capitaux)

(4.1.2), repose sur une économie de plantation animée par une « bourgeoisie de planteurs » et des

organisations agricoles (4.1.3).

19
Cf. Ministère de l’Economie et des Finances (2001), p. 3.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 26

4.1.1 Etat et croissance

Le « miracle ivoirien » des décennies 60 et 70 est en partie, l’œuvre de l’Etat ivoirien dont

l’intervention se justifiait d’une part, par l’absence d’investisseurs privés au moment de

l’accession à l’indépendance et d’autre part, par la prise en compte d’une rentabilité sociale qui

va au-delà de l’horizon restreint d’opérateurs privés.

L’interventionnisme de l’Etat s’étendait à tous les niveaux de l’activité économique. En

effet, par le biais de ses entreprises, il avait la main mise sur l’organisation et le fonctionnement

de la plupart des activités de production et de distribution.

Qualifié de « capitalisme d’Etat », cet interventionnisme de l’Etat, apparemment

contradictoire avec son option du libéralisme, a été décisif dans la mise en place d’une agro-

industrie et d’une politique d’import-substitution. En effet, à l’indépendance, l’Etat n’avait

aucune participation dans la production des biens agro-alimentaires ; les entreprises qui

produisaient ces biens étaient sous le contrôle exclusif des capitaux français. Durant la décennie

60, l’Etat a favorisé la croissance des activités agro-alimentaires en suscitant les investissements

étrangers par un code d’investissement libéral et surtout en appuyant la réalisation de projets de

développement agricole se situant en amont de l’industrie agro-alimentaire.

L’Etat a surtout créé un environnement favorable aux activités industrielles en instaurant

la stabilité politique dans un continent régulièrement bouleversé par des changements de régime,

de Gouvernement et de dirigeant.20 Il a par ailleurs mis en œuvre progressivement des

infrastructures économiques adéquates (énergie, transport, télécommunication, réseau bancaire,

etc.) et des structures de promotion industrielle telles que BDI (Bureau de Développement

20
Depuis le 24 décembre 1999, la Côte d’Ivoire ne fait plus exception à la règle.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 27

Industriel), OPEI (Office de Promotion de l’Entreprise Industrielle), CAPEN (Centre

d’Assistance et de Promotion de l’Entreprise Nationale) et SONAFI (Société Nationale de

Financement).

Pour intervenir directement dans le développement industriel, l’Etat a créé en 1962 le FNI

(Fonds National d’Investissement) en vue de mobiliser l’épargne nationale au profit de

l’investissement industriel. Outre cette société d’Etat de financement, l’intervention directe de

l’Etat s’est traduite par la création d’autres sociétés d’Etat et des Sociétés d’Economie mixte avec

la participation étrangère ; ce qui lui a permis d’être présent dans tous les secteurs d’activités.

Dans le secteur primaire, il a créé des Sociétés d’Etat liées aux principales cultures

agricoles : SATMACI pour le café/cacao, SODEPALM pour le palmier à huile, SODERIZ pour

le riz, SODESUCRE pour le sucre, etc. Son association avec le capital privé qui s’est traduite par

la création des Sociétés d’Economie Mixte, lui a permis d’être présent dans toutes les branches

industrielles. C’est ainsi qu’en 1974, sa participation couvrait 23% du capital social de

l’ensemble du secteur industriel.

L’importance de l’intervention de l’Etat est suffisamment mise en évidence dans le

secteur tertiaire, par la présence de plusieurs entreprises publiques dans tous les domaines :

finances, tourisme (SIETHO), aménagement du territoire (ARSO), transport terrestre (SOTRA) et

maritime (SITRAM), télécommunications, distribution (DISTRIPAC), administration et services.

La présence de l’Etat tout azimut lui a permis d’avoir une position dominante dans le

système productif jusqu’en 1979 puisqu’il détenait 50% du capital de l’ensemble des entreprises

du secteur moderne. Sa présence est aussi particulièrement forte dans les services qui

regroupaient plus de 60% des entreprises recensées par le Contrôle de l’Etat en 1977.

L’Etat a aussi joué un rôle déterminant dans la croissance économique en mettant en place

une infrastructure de base, moteur ou véhicule de l’activité économique. En effet, l’expansion


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 28

économique des années 1960 n’a pu se faire sans que le système des transports et de

télécommunication n’ait été largement développé.

Par ailleurs, l’Etat a accordé la priorité aux infrastructures sanitaires en investissant 12%

de son budget général de 1960 à 1970 ; en ce qui concerne son appareil éducatif, il a englouti

27% de son budget de fonctionnement.

Malgré les progrès réalisés par la Côte d’Ivoire grâce à l’Etat, son interventionnisme est

remis en cause à partir de 1980. En effet, les déséquilibres financiers internes et externes

enregistrés à la fin des années 1970 ont été attribués en partie à la montée en puissance de

l’ « Etat-entrepreneur ». De sorte, qu’il lui est demandé de s’astreindre à une intervention

minimale en jouant un rôle second dans le processus de production. Selon Contamin et Faure

(1990), la réforme des entreprises publiques de 1980 s’est inscrite dans cette « purge libérale »

prescrite par la Banque Mondiale et le FMI.

Les raisons d’une telle décision sont multiples ; on note toutefois qu’il est reproché aux

entreprises publiques de subir un environnement défavorable à leur rôle moteur dans le processus

de développement. La contre performance de celles-ci proviendrait des autorités de tutelle qui

leur imposent une multitude d’objectifs et d’obligations parfois contradictoires. Leur système de

gestion et leur politique d’investissement et de prix seraient également en cause.21

La remise en cause des politiques interventionnistes d’inspiration néo-keynésienne s’est

traduite par le désengagement de l’Etat et la libéralisation économique. Quoi-qu’inachevé, le

« démantèlement » de l’Etat a rencontré de nombreuses difficultés dont les principales sont sans

doute relatives aux hypothèses implicites de l’existence de « repreneurs » et de « mentalité

entrepreneuriale ». Or, bien que la priorité soit donnée aux opérateurs ivoiriens, il semble que les

21
Cf. Kouadio Benie Marcel (1991), pp. 453-454.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 29

partenaires étrangers aient joué un rôle important au cours de la première vague de privatisation.

Ces repreneurs étrangers ont été plus présents dans les entreprises publiques de monopole.22

Les contraintes au retrait de l’Etat ont limité la portée de l’alternative interventionnisme

ou libéralisation. Les résultats mitigés de la privatisation malgré l’existence d’un cadre

institutionnel, soulignent l’irréalisme de vouloir se passer du secteur public dans le processus

d’industrialisation. On note au contraire un accroissement des contrôles publics et une

consolidation de l’Etat puisqu’il a réalisé jusqu’à fin 1992, plus de 65% des investissements

productifs.

4.1.2 Apports des étrangers à la croissance économique

Selon Tapinos, Hugon et Vimard (2002), trois facteurs expliquent la présence étrangère en Côte

d’Ivoire : l’histoire de la nation ivoirienne, les options politiques de ses dirigeants et son modèle

de développement. Ces étrangers ont apporté leur force de travail, leur savoir-faire et leurs

capitaux.

Force de travail et savoir-faire des étrangers

L’immigration étrangère en Côte d’Ivoire qui n’est pas un phénomène récent, a joué un rôle

déterminant dans l’économie de plantation. En effet, la mise en valeur extrêmement rapide des

possibilités agricoles d’exportation (café, cacao, bananes, et bois) à partir de 1950 et

l’implantation d’un ensemble d’industries légères à partir de 1960 vont entraîner une immigration

22
Il s’agit notamment du rachat de la compagnie d’électricité, d’eau, de gaze, de télécommunication par le groupe

Bouygues.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 30

à grande échelle de Voltaïques, de Maliens et de Guinéens. Composé essentiellement d’hommes

jeunes, cet apport a permis à l’économie de plantation de se développer grâce à la main-d’œuvre

valide et bon marché dont elle a bénéficié.

Une dynamique migratoire a accompagné le développement de l’économie de plantation

qui s’est réalisé par fronts pionniers successifs. C’est ainsi que la main-d’œuvre étrangère a

contribué à l’augmentation des populations rurales, à la déforestation et à l’augmentation de la

production des cultures pérennes. De 1955 à 1990, ce processus de peuplement, de déforestation

et mise en valeur s’est successivement déroulé dans trois grandes régions de la Côte d’Ivoire :

l’ancienne boucle du cacao, la région du Centre-Ouest et la région du Sud-Ouest.

Cette migration du travail s’est transformée en mouvement de colonisation d’autant plus

que la migration individuelle de jeunes célibataires s’est muée en migration collective de famille.

L’immigration des travailleurs a en effet entraîné une immigration familiale qui a eu pour

conséquence une remarquable croissance démographique. Selon le recensement de 1988, cette

population étrangère en Côte d’Ivoire représente 28% de la population totale et 32.3% de la

population active. Leur poids démographique qui s’est considérablement accru, s’est traduit par

une augmentation de leur proportion au sein de la population rurale qui est passée de 16% à 25%.

Volant essentiel de la main-d’œuvre agricole du pays, les étrangers ont largement

participé à l’expansion économique de la Côte d’Ivoire. Fortement insérés dans l’économie de

plantation grâce à leur force de travail, ils sont de plus en plus propriétaires fonciers même s’ils

accèdent plus difficilement à la terre que les ethnies ivoiriennes.

Outre l’économie de plantation, l’immigration étrangère de travailleurs qualifiés et non

qualifiés a également joué un rôle déterminant dans le secteur moderne. En effet, au cours des

deux premières décennies de la croissance économique, les centres de décision et de direction des

entreprises étaient aux mains des cadres et entrepreneurs étrangers. Originaires pour la plupart de
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 31

France et du Liban, ces travailleurs qualifiés ont apporté leur connaissance et savoir-faire aux

entreprises industrielles et commerciales dont les capitaux sont étrangers.

***Insert Table 5 about here***

La présence massive des travailleurs étrangers dans l’économie ivoirienne affecte la

structure de l’emploi. Pour preuve, les données du Tableau 5 indiquent que :

 les expatriés occupent la quasi-totalité des postes de direction et d’encadrement et la

moitié des postes de maîtrise ;

 les nationaux sont en concurrence avec les Africains non ivoiriens pour les emplois

d’ouvriers qualifiés ;

 les emplois de manœuvres sont assurés en majorité par les Africains non ivoiriens.

Cette structure de l’emploi traduit le fait que la décision au sommet et la pression à la base

échappent aux nationaux. Elle influe par ailleurs, sur la répartition de la masse salariale puisque,

n’occupant que 6.3% de l’ensemble des emplois, les expatriés perçoivent 41.1% de la masse

salariale. Quant aux Ivoiriens, qui en représentent 47.5%, ils reçoivent seulement 32.5% des

salaires.

On note toutefois que pendant les périodes d’ajustement structurel, l’emploi des étrangers

a été réduit même si leur apport demeure considérable. C’est le cas des « Africains Non

Ivoiriens » dont la proportion qui était de 29.3% en 1979, est estimée à 21.7% en 1989. Par
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 32

contre, la réduction de l’effectif des « Non Africains » (« Expatriés »), a été plus importante : de

20.5% en 1979, leur part relative dans l’emploi total s’élevait à 3.3% en 198923.

L’augmentation de la part des Ivoiriens dans l’emploi total (67.3% en 1979 et 74.9% en

1989) résulterait en partie de la mise en œuvre de l’ « ivoirisation », comme volonté politique

d’accroître la participation des nationaux à la maîtrise de l’économie ivoirienne.

Capitaux étrangers

Outre leur force de travail à l’économie de plantation et au secteur moderne dans son ensemble,

les étrangers ont contribué fortement à la croissance économique grâce à leur apport de capitaux.

En effet, la croissance économique remarquable de la Côte d’Ivoire sur la période 1960-

1980 a fortement dépendu du capital étranger. Durant les premières décennies, la croissance de la

production industrielle était presque exclusivement le fait d’entreprises aux mains des non

nationaux ; ils ont apporté leurs capitaux et leur savoir-faire.

Comme l’indique le Tableau 6, le contrôle financier des entreprises est assuré par les

étrangers puisque ceux-ci détiennent une grande partie des capitaux. A l’exception de 1976, la

proportion des capitaux ivoiriens privés dans l’ensemble des capitaux, est demeurée faible et n’a

pas atteint le seuil de 90%.

***Insert Table 6 about here***

En revanche, on note que la part des capitaux ivoiriens dans l’ensemble des capitaux, est

en augmentation sur toute la période puisqu’elle est passé d’environ 40% en 1975 à près de 62%

23
Cf. Kouadio Benie (1994), page 92.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 33

en 1980. Une telle évolution a résulté de la stratégie de la promotion de l’entreprise ivoirienne et

le développement de l’actionnariat privé ivoirien.

En effet, trois structures publiques de promotion de l’entreprise ivoirienne ont été mises

en place ; il s’agit de l’Office de Promotion de l’Entreprise Ivoirienne (OPEI), le fonds de

Garantie des Crédits aux Ivoiriens (FGCEI) et le Fond Spécial pour les Petites et Moyennes

Entreprises. Par ailleurs, un marché financier et une Bourse des valeurs ont été créés en juillet

1974 pour orienter l’épargne nationale vers l’acquisition progressive des capitaux étrangers.

Au total, il convient de retenir que l’appareil de production de la Côte d’Ivoire dépend

fortement de l’extérieur par les capitaux, les techniciens et la main-d’œuvre étrangère.

4.1.3 Rôle de la « bourgeoisie des planteurs » et des organisations paysannes

Selon B. Losch (1997), l’économie de plantation ivoirienne, articulée autour de la production

caféière et cacaoyère, a constitué le principal secteur d’accumulation à l’origine de la croissance

soutenue pendant des années. Dans cette économie de plantation très largement constitutive de

l’entité Côte d’Ivoire et de son insertion dans l’économie-monde, il existe des stratégies d’acteurs

individuels (bourgeoisie des planteurs) et collectifs (organisations paysannes).

Bourgeoisie des planteurs

Au niveau des acteurs individuels, l’économie de plantation a sécrété une « bourgeoisie de

planteurs » regroupant une catégorie aisée de la population rurale de la Côte d’Ivoire forestière,

plutôt concentrée dans le sud-est du pays. Cette bourgeoisie était, à la différence de celle du

Ghana et du Nigeria, encore embryonnaire vers 1950 ; elle s’est toutefois développée à
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 34

l’indépendance avec l’appui de l’élite politique et administrative qui lui-même est issu de la

« bourgeoisie de planteurs entrepreneurs ».

C’est ainsi qu’en 1965, environ 20 000 planteurs riches exploitent près du quart des terres,

emploient deux tiers de la main-d’œuvre salariée, et bénéficient de revenus annuels de l’ordre de

400 000 francs en moyenne, ce qui lui laisse un surplus important pour la consommation de

prestige, destinée à renforcer leur contrôle social, et éventuellement le financement

d’investissements urbains (logements, exploitation de taxis et camions).24

Pour S. Amin (1967), cette bourgeoisie rurale n’est pas progressive dans la mesure où

l’accumulation individuelle des grands planteurs, réalisée à partir de leur propre travail et du

surplus de travail extorqué aux manœuvres étrangers, ne participe pas à l’accroissement du détour

productif de leurs entreprises.

Ne procédant pas à une reproduction élargie de leurs exploitations, ces grands planteurs

ne vont pas renforcer leur pouvoir politique et économique. Avec la mainmise de l’Etat sur la

commercialisation du café/cacao par le biais de la Caisse de stabilisation, ils sont

progressivement exclus de la gestion de l’économie de plantation.

Cette exclusion qui marque le divorce implicite entre paysannerie et classe politique, s’est

concrétisée par l’absence de participation à tout processus institutionnel de décision, faute

d’instance de représentation. Contrairement aux autres acteurs de l’économie de plantation, ils

sont restés sans syndicats bien que leur organisation syndicale ait été à la pointe de lutte pour

l’indépendance de la Côte d’Ivoire. La chambre d’agriculture supposée défendre leurs intérêts, a

été mise en veilleuse dès sa création en 1964.

24
Cf. S. Amin (1967), p. 277.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 35

Les difficultés à mettre en place un système coopératif effectif, qui aurait pu remettre en

cause le jeu privilégié entre réseaux privés de commercialisation et d’exportation et classe

dirigeante traduisent également le mal que les planteurs ont à s’insérer dans l’économie de

plantation une fois l’indépendance acquise.

Organisations paysannes

A l’instar des autres acteurs de l’économie de plantation, les organisations paysannes jouent un

rôle important dans la promotion de l’agriculture en Côte d’Ivoire. D’après les données

disponibles, les GVC (Groupement à Vocation Coopérative) ont commercialisé, en 1989, plus de

22% de la production de cacao et de café. En ce qui concerne les « Unions de GVC », leurs

73,455 adhérents issus de 922 GVC de base ont pu collecter 63,297 tonnes de cacao et de café

soit environ 6% de la production totale commercialisable en 1989-1990.25

Malgré la croissance du volume commercialisé par les organisations coopératives, le

mouvement coopératif rencontre des difficultés, surtout en zone de production cacaoyère et

caféière. Selon A. Yapi (1997), plusieurs raisons expliquent les difficultés du mouvement

coopératif ; les plus importantes ont trait à l’utilisation de l’accumulation réalisée par les GVC et

à leur manque d’autonomie.

Sous la contrainte des autorités administratives, la plus grande partie des ristournes

encaissées par les GVC sert à financer les investissements sociaux collectifs. Ce détournement

des ressources prive le secteur productif de l’économie de plantation de moyen nécessaire pour

son expansion et sa modernisation. En orientant l’utilisation des ressources générées par les

groupements coopératifs, l’Administration et les pouvoirs politiques interfèrent dans la gestion de

25
Cf. A. Yapi (1997), p. 563.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 36

ces groupements qui ne reposent sur aucun dynamisme paysan endogène. Ils sont en fait, des

instruments aux mains des autorités administratives pour accroître la production et capter le

surplus.

Malgré l’amplification des difficultés du mouvement coopératif consécutives à la

dissolution de la BNDA, l’ouverture démocratique amorcée en Côte d’Ivoire en 1990 semble

avoir suscité la conquête de l’autonomie paysanne. En effet, le retour du multipartisme a fécondé

le SYNAGCI (Syndicat National des Agriculteurs de Côte d’Ivoire), premier syndicat créé par les

agriculteurs depuis l’indépendance du pays et la COOPAGCI (Coopérative de Production

Agricole de Côte d’Ivoire).

Parallèlement à ces deux organisations agricoles dont la création a été suscitée par le

principal parti d’opposition (le Front Populaire Ivoirien), deux autres structures agricoles à

vocation régionale ont été créées : il s’agit de l’UNACI (Union Nationale des Agriculteurs de

Côte d’Ivoire) et de l’URESCOSCI (Union Régionale des Entreprises Coopératives Agricoles des

Savanes de Côte d’Ivoire) dont l’activité se limite à la commercialisation du coton de la zone de

savane.

Pour affirmer leur autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics, ces organisations agricoles

ont souhaité siéger au Conseil d’Administration de la Caisse de Stabilisation et de Soutien des

Prix des Productions et être représentées effectivement au sein de la nouvelle Chambre

d’Agriculture. Elles ont par ailleurs, revendiqué le droit de participer à la commercialisation

intérieure du coton en zone de savane et préconisé le relèvement des prix des matières premières

agricoles.26

26
Cf. A. Yapi (1997), p. 568.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 37

Bien que la plupart de ces revendications aient été satisfaites, il convient toutefois de

souligner que ces organisations paysannes demeurent encore sous l’emprise des pouvoirs

politiques et des groupes d’intérêts occultes. Pour qu’elles jouent efficacement leur rôle

économique, ces organisations professionnelles agricoles devraient se garder d’être l’appendice

d’un quelconque parti politique car l’histoire récente de la Côte d’Ivoire recommande cette

autonomie. Dotés de telles organisations, les paysans pourront améliorer leurs conditions de

travail et de vie et être des partenaires efficaces des autres acteurs de l’économie de plantation, en

particulier de l’Etat.

4.2 Rôle des marchés dans la croissance

Au niveau des différents marchés des produits et des facteurs, on note une intervention massive

de l’Etat au cours de la première période (1960-1980). Celle-ci s’est traduite par la fixation du

prix aux producteurs des produits agricoles (café, cacao, coton, riz), une protection effective des

produits industriels fabriqués localement. Sur le marché du travail, l’existence de salaires

minima, de limitation des licenciements et du contrôle du processus de recrutement, traduit

également l’interférence étatique sur le fonctionnement de ce marché. La répression financière

observée sur le marché financier, est due au contrôle de la masse monétaire (encadrement du

crédit, plafonnement et sélectivité du crédit) pratiquée au sein de l’UMOA.

La libéralisation économique préconisée au cours de la deuxième période (1981-2000)

s’est traduite par une libéralisation des filières des principaux produits agricoles d’exportation

(café, cacao, ananas, caoutchouc, coton, etc.), du marché du travail. Sur le marché financier, il y a

eu libéralisation financière partielle induite par la réforme du système bancaire et financier.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 38

4.2.1 Marché des produits

Sur le marché des produits agricoles, on a enregistré une diversification des biens et une

stabilisation des cours des matières premières (café, cacao). Au niveau des produits industriels,

après avoir connu une protection effective, ils ont été pour la plupart libéralisés.

Diversification des produits agricoles

Dans la mise en valeur des économies, la politique suivie par l’ancienne puissance coloniale

visait la spécialisation de chaque Territoire dans la fourniture d’un ou trois produits de base bruts.

Dans cette optique, la Côte d’Ivoire était chargée de fournir à la métropole du café, du cacao et

du bois.27

Une fois l’indépendance politique acquise, ces produits agricoles qui dépendent fortement

des aléas climatiques et de l’évolution des cours mondiaux, devinrent les principales ressources

d’exportation de l’Etat. L’idée de la diversification apparaissait comme un palliatif de cette

dépendance et répondait aux préoccupations d’identifier une ou plusieurs cultures susceptibles

d’alimenter le budget de l’Etat, de procurer aux planteurs de café/cacao d’autres sources de

revenus en numéraires et d’en créer, ex-nihilo, pour les paysans de la Savane.28

Dans sa conception, la stratégie de la diversification visait à la fois les produits

d’exportation et les produits vivriers. La stratégie de la diversification des produits agricoles

d’exportation qui répondait à la préoccupation d’élargir la base des recettes en devises, a permis

d’introduire de nouvelles cultures (ananas, palmier à huile, coton, caoutchouc). Négligeables en

27
Cf. Tuho Valy (1992), p. 63.
28
Cf. Sawadogo, cité par Tuho Valy (1992), p. 63.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 39

1960, ces produits représentaient 8.2% des recettes totales d’exportation en 1975 ; en revanche, la

part des produits traditionnels d’exportation (café, cacao) passait de 74% à 60%.

En ce qui concerne la stratégie de diversification des produits vivriers, elle répondait au

souci de nourrir une population de plus en plus nombreuse et concentrée dans les centres urbains.

C’est ainsi que pour faire face au croît démographique soutenu et à l’urbanisation intense, une

diversification des produits vivriers de première nécessité (riz et sucre) a été faite. Cette politique

a permis de maintenir à un niveau stable l’importation de produits alimentaires : 11.5% en 1960,

sa part dans le total des importations s’élevait à 10.9% en 1977.

La diversification de ces produits agricoles a jeté les bases de l’industrialisation de la Côte

d’Ivoire dans la mesure où des complexes agro-industriels ont été créés autour des nouvelles

cultures. On note par exemple la création de :

 SODEPALM pour la production, la transformation et la commercialisation de l’huile de

palme ;

 SODESUCRE pour le développement de la culture de la canne à sucre et son raffinage ;

 SOGB et SAPH pour la production et la transformation du caoutchouc ;

 CIDT pour la production et le tissage du coton ;

 Etc.

La diversification des produits agricoles a été une pièce maîtresse de la croissance

ivoirienne dans la mesure où elle a permis d’assurer pendant les premières années de

l’indépendance, une balance commerciale toujours excédentaire avec un taux de couverture des
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 40

importations variant de 110% à 120%. En augmentant la production des produits agricoles, elle a

servi de base à l’agro-industrie dont le rôle est important dans l’industrie manufacturière.

Stabilisation des produits agricoles

L’agriculture d’exportation a joué un rôle majeur dans l’économie ivoirienne en apportant

l’essentiel des revenus monétaires aux paysans et en alimentant les caisses de l’Etat grâce à la

stabilisation des cours du café et du cacao. Par le biais de la CAISTAB (Caisse de Stabilisation

du Cacao et du Café). Elle assure une certaine garantie des prix du café-cacao aux producteurs en

s’interposant entre ceux-ci et les commerçants exportateurs qui achètent le produit à partir du prix

au producteur fixé par le gouvernement. La CAISTAB annonce un prix autorisé pour

l’exploitation et encaisse la différence entre ces deux prix moins une marge brute accordée aux

intermédiaires.

Par ce biais d’intermédiaire, la CAISTAB s’est retrouvée à la tête de surplus appréciable ;

ses recettes ont été positives pratiquement de 1970 à 1986 et représentaient entre 30 et 44% des

recettes totales de l’etat. Grâce à ses revenus substantiels issus de l’exportation du café-cacao, le

gouvernement a accordé aux producteurs des prix ainsi que des primes suffisamment indicateurs

pour qu’ils augmentent leur production.

La chute des revenus agricoles a impulsé de nouvelles orientations à la CAISTAB. C’est

ainsi que depuis 1991, la CAISTAB n’a plus de compétence que pour la commercialisation du

café et du cacao ; d’autres organismes interviennent pour la commercialisation de la production

agricole. Il s’agit notamment de la Caisse Générale de Péréquation et de l’Office de

Commercialisation des produits vivriers (OCPV) qui assurent la commercialisation du riz, celle

du coton est supervisée par la Compagnie Ivoirienne des Textiles (CIDT).


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 41

En outre, dans le cadre des réformes structurelles, des mesures ont été prises pour réviser

les mécanismes de fixation des prix agricoles en vue de leur donner une plus grande flexibilité.

On note, par exemple, que la gestion de la CAISTAB s’est ouverte aux opérateurs privés dont les

représentants siègent au conseil d’administration qui détermine désormais les équilibres ex-ante

de la filière et qui fait des propositions de prix.

Par ailleurs, un fonds de réserve technique de stabilisation a été mis en place en Octobre

1994 ; les modalités de sa gestion ont fait l’objet d’une convention avec le système bancaire. On

note aussi que des mesures relatives au désengagement de l’etat des opérations de

commercialisations ont été prises.

La libéralisation de l’économie, effective dans la filière café-cacao en Août 1999, s’est

également accompagnées d’une baisse importante des cours mondiaux : le prix au producteur est

passé de 570 F CFA/kg lors de la campagne agricole de 1998/99 la dernière de la stabilisation à

220-260 F CFA en 2000. Les producteurs estiment avoir perdu entre 1998 et 2001 près de la

moitié de leurs revenus et imputent à la libéralisation la responsabilité de cette baisse.

La chute importante des revenus des planteurs consécutivement à la libéralisation de la

filière café-cacao a suscité une controverse. Pour certains experts, la libéralisation est assez

récente pour qu’on puisse lui attribuer des conséquences négatives ; en revanche, pour d’autres,

la libéralisation de la filière a eu un impact négatif direct. Ces derniers regrettent la CAISTAB en

dépit des inefficacités constatées, des divergences entre le prix international et le prix au

producteur au détriment de ce dernier. Ils préfèrent en conséquence avoir une visibilité sur un

revenu inférieur à celui qu’ils peuvent avoir dans un système libéralisé.

Pour garantir le revenu des producteurs, de nouveaux organes ont été créés afin d’éviter

les abus de position dominante. Il s’agit de la Bourse du Café-Cacao (BCC), l’Autorité de

régulation du café et du cacao (ARCC) et l’organe de régulation financière.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 42

Comme on le voit, les nouveaux organes sont créés en vue de garantir des revenus aux

producteurs dans un contexte de libéralisation des filières café-cacao. Cette préoccupation

concerne également les autres filières (coton, ananas, et palmier à huile) qui ont été privatisées.

La libéralisation et la privatisation dans le secteur agricole ont suscité la création des

organisations professionnelles des producteurs nationaux aux fins de garantir leurs revenus. Les

stratégies des OPA qui diffèrent selon les filières, sont axées sur le contrôle des fonds engrangés

par la filière, la production et la transformation de la filière et l’insertion de la filière au marché

mondial.

Libéralisation des produits industriels

Le marché des produits industriels est caractérisé par une production orientée plus vers l’intérieur

que vers l’extérieur et ceci en conformité avec la stratégie d’industrialisation de substitution aux

importations. La protection effective des produits industriels s’inscrivant dans la logique de cette

stratégie, s’est accrue dans les années 1970. La mise en place d’un système complexe de

restrictions quantitatives à l’importation qui protège les entreprises de substitution aux

importations a engendré la diminution de la compétitivité du secteur industriel.

Dans le contexte de la libéralisation économique préconisée durant la période 1981-2000,

un ensemble de prix des produits industriels a été libéralisé ; par ailleurs, une Commission de

concurrence a été créée en vue de faire jouer le mécanisme du marché dans la fixation des

produits industriels.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 43

4.2.2 Marché monétaire et financier

A l’instar de la plupart des pays africains, la Côte d’Ivoire a mis en œuvre une politique de

répression financière jusqu’au milieu des années 1980 ; elle a, par la suite, opté pour une

libéralisation financière dans le cadre des ajustements structurels.

Politique de répression monétaire jusqu’en 1985

Le marché monétaire joue un rôle déterminant dans le processus de la croissance dans la mesure

où il peut contribuer au développement de la production grâce à une orientation judicieuse des

crédits et à une mobilisation efficace de l’épargne. Dans une telle perspective, la politique

monétaire des pays membres de l’UMOA, a visé explicitement deux objectifs : d’une part,

contrôler la croissance du crédit afin de contribuer à l’équilibre de la balance des paiements et

d’autre part, favoriser le développement des économies en vue d’un équilibre extérieur à long

terme.

La faiblesse du réseau bancaire et du marché monétaire sur cet espace monétaire a eu pour

effet de transformer le contrôle du crédit en une limitation quantitative, en une action indirecte

sur les taux d’intérêt. En ce qui concerne l’objectif de sélectivité du crédit dans un environnement

d’accès inégal au crédit bancaire, il s’est traduit par une différenciation des taux d’intérêt et par

une orientation sectorielle des crédits.

La mise en œuvre de cette politique monétaire par la Banque Centrale des Etats de

l’Afrique de l’Ouest (BECEAO) s’est traduite par une répression monétaire au niveau des pays

membres dont la Côte d’Ivoire. En effet, en fixant administrativement les taux d’intérêt à niveau

bas, c’est-à-dire en dessous de leur valeur d’équilibre, la BECEAO n’a pas encouragé la

constitution d’épargne monétaire des ménages.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 44

Dans un contexte de forte inflation, la rémunération de l’épargne en termes nets est

négative lorsque les taux d’intérêt créditeur sont négatifs. Comme l’indique le Tableau 7, le taux

d’intérêt créditeur de la Côte d’Ivoire, de 1970 à 1980, est négatif ; en revanche, la rémunération

de l’épargne en France est positive pendant la période.

***Insert Table 7 about here***

Le différentiel d’intérêt entre la France et la Côte d’Ivoire, estimé à 0.75% au moins à

partir de 1970, a incité les épargnants à placer leurs avoirs en France ; selon Tchundjang P.

(1981), l’épargne ivoirienne est aspirée par Paris, à l’aide d’une rémunération plus forte.

En encourageant le transfert de l’épargne à l’étranger, cette politique monétaire a été

préjudiciable au processus de croissance en cours. En abaissant le taux d’épargne, elle a freiné

l’accumulation du capital. Par exemple, dans les années 1970, l’épargne privée est passée de 11%

du PIB en moyenne pendant la première moitié de la décennie à 5% la deuxième moitié.

Par ailleurs, la politique sélective du crédit de l’UMOA devrait entre autres, favoriser les

PME, notamment celles dirigées par les nationaux, développer l’investissement, l’exportation et

l’habitat social par des dispositions particulières en faveur du crédit à moyen terme et s’efforcer

d’orienter le crédit vers les secteurs productifs délaissés par le crédit institutionnel (agriculture,

artisanat).

Ainsi définis, les objectifs de la politique sélective de crédit ne semblent pas être atteints

dans la mesure où le crédit n’est pas alloué comme prévu entre les différents acteurs et activités

économiques du pays. En effet, selon une étude datant de 1971, les principaux bénéficiaires des

crédits à moyen terme de la BECEAO, étaient les grandes sociétés minières et forestières et les

entreprises de construction. Les dépôts à terme qui sont passés de 6% en 1968 à 25% en 1975,
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 45

ont été alloués de la façon suivante : 45.6% à l’industrie privée étrangère, 6.9% aux sociétés

d’Etat, et 20.45% à l’immobilier.29

En ce qui concerne le crédit à court terme, l’essentiel en 1977 a été destiné au commerce

(53%), à l’exportation du café et du cacao (24%) et aux divers services (4%).30 Une telle

affectation du crédit indique clairement que le secteur agricole, moteur de l’économie ivoirienne,

a été négligé par le système financier. La fuite des capitaux des campagnes vers les villes et de la

Côte d’Ivoire vers l’étranger résulterait de ce comportement du système financier.31

Du fait de la répression financière, le secteur financier ivoirien s’est peu développé même

si l’intermédiation financière est relativement élevée. En effet, bien que la concurrence soit

limitée au sein du système financier en raison de la situation oligopolistique dont bénéficient

certaines banques, l’intermédiation financière a été en hausse au cours du quinquennat 1970-

1975. Malgré la désintermédiation amorcée à partir de 1990, le ratio M2/PIB de la Côte d’Ivoire

est plus élevé que celui des autres pays africains (Tableau 8).

***Insert Table 8 about here***

Peu développé et largement extraverti, le système bancaire a connu une profonde crise au

cours des années 1980, avec une dégradation de la qualité des portefeuilles et le gonflement des

créances irrécouvrables. En effet, les activités des banques commerciales étant étroitement liées à

29
Cf. P. Tchundjang (1981), p. 114.
30
Cf. P. Tchundjang (1981), p.115.
31
Cf. P. Tchundjang (1981), p. 120.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 46

celles de l’etat et des entreprises publiques, elles ont subi les conséquences d’arriérés intérieurs

publics importants.

Les insuffisances du système financier ivoirien pénalisant sérieusement les activités

économiques et plus particulièrement les investissements, ont conduit les pouvoirs publics à le

réformer avec l’aide de la Banque Mondiale et de la France dont les intérêts dans ce système

sont énormes.

Restructuration et libéralisation du marché monétaire et financier

Adopté en 1989, le programme de réforme du système financier et des instruments de politique

monétaire a pour objectif de libéraliser les taux d’intérêt, de restructurer les banques et de

résorber le poids de l’endettement du secteur public auprès des banques.

C’est ainsi que dès 1989, les taux créditeurs ont été libéralisés et les coefficients sectoriels

supprimés. En 1991, débute le plan d’assainissement des quatre principales banques (BICICI

détenue à 49% par la BNP ; SIB dont 51% du capital appartient au Crédit Lyonnais ; SGBCI

rattachée à la Société Générale ; BIAO) dans le cadre du Programme d’Ajustement Structurel

Financier (PASFI). Par ailleurs, un programme de recapitalisation et de liquidation des arriérés de

paiements de l’Etat est mise en place.

La réforme du système bancaire n’a pas modifié en profondeur ce secteur dans la mesure

où les quatre banques, toutes des filiales des banques françaises, détiennent 78% des dépôts.

Cette situation « oligopolistique » est peu favorable au développement économique d’autant plus

que ces banques ont pour principale activité, le financement des campagnes de café et de cacao.

En se cantonnant en général, au financement des investissements de court terme, les

activités de ces banques dans les secteurs industriels et des services sont assez réduites. Pour

leurs investissements de moyen et long terme, les grandes entreprises sont souvent obligées de
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 47

s’adresser à l’étranger. Les PME qui constituent l’essentiel du tissu industriel, ont des difficultés

à accéder au système bancaire moderne dont le coût du crédit demeure encore élevé.

Dans l’ensemble, il convient de souligner que la politique d’allocation sectorielle du crédit

du système financier ivoirien se traduit par le rationnement pour certains secteurs jugés non

prioritaires. Le repli des banques sur des activités qu’elles connaissent (financement des

campagnes café-cacao) aux dépends de la prise de risque et de l’innovation traduit la méfiance

des milieux vis-à-vis de la croissance économique ivoirienne.

En outre, le système financier ivoirien victime d’une ‘‘répression financière’’ en raison de

la politique monétaire pratiquée au sein de l’UEMOA (contrôle de la masse monétaire :

encadrement, plafonnement et sélectivité du crédit) avant 1989, s’est engagé dans une politique

de libéralisation financière après 1989. Malgré la politique de libéralisation financière, la banque

centrale pratique une politique restrictive de crédits sur le marché monétaire aux fins de la

stabilité du taux de liquidité en faisant évoluer le crédit en sens inverse des avoirs extérieurs.

L’évolution du taux de liquidité de l’économie ivoirienne mesuré par le ratio masse

monétaire PIB (MM)/PIB, (de 0.29% en 1990 à 0.24% en 2000) indique l’effectivité de la

restriction continue de la politique monétaire conduite par la BCEAO.32

Par ailleurs, les réformes financières ont eu peu d’impact sur la création de nouveaux

instruments financiers. Les services bancaires ne sont pas diversifiés en Côte d’Ivoire : les

établissements recevant les dépôts proposent des prêts (pour 61% à court terme) et une gamme

restreinte de services financiers (paiements, crédit-bail, gestion de titres, etc.).33

En outre, la fragmentation du secteur financier se traduit par des liens limités entre le

secteur financier formel et le secteur financier informel. Il en résulte un cloisonnement des taux

32
Cf. Ministère de l’Economie et des Finances (1998), p.58.
33
Cf. Banque Mondiale et FMI (2002), p.12.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 48

d’intérêt sur ces marchés dont le développement récent d’un marché financier semi-formel34 n’a

pas pour l’instant été réglé.

Au regard de ce qui précède, il est nécessaire que l’assainissement du système financier se

poursuive pour qu’il participe plus activement à la croissance économique.

4.2.3 Marché du travail : de la régulation étatique à la déréglementation

A l’instar de la trajectoire de la croissance, l’évolution du marché du travail fait apparaître deux

grandes étapes : lors de la première, on a pu observer un essor relatif de l’emploi salarié grâce à

la régulation étatique ; à la deuxième période, le désengagement de l’Etat s’est accompagné du

déclin de l’emploi salarié.

Régulation étatique et essor de l’emploi salarié

Au cours des décennies 60 et 70, l’omniprésence de l’Etat ivoirien sur le marché du travail s’est

manifestée par son intervention sur les conditions de production de la main-d’œuvre, les

conditions de sa reproduction et de sa mobilisation. Selon Rosanvallon (1995), cette intervention

de l’etat s’est articulée autour de deux fonctions principales : la fonction de régulation et la

fonction d’employeur.

Par sa fonction de régulation, l’etat a réglementé les conditions de recrutement et de

licenciement de la main-d’œuvre. De fait, il s’est octroyé le monopole de placement de la main-

d’œuvre par le biais de son bureau de main-d’œuvre, l’OMOCI (Office de la Main-d’œuvre de

34
Cf. la loi PARMEC portant Réglementation des Institutions Mutualistes ou Coopératives d’Epargne et de Crédit

en 1994.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 49

Côte d’Ivoire). En outre, il a institué une autorisation préalable à tout licenciement des employés

à acquérir auprès de ses Inspecteurs du Travail.

La fonction de régulation s’est par ailleurs, traduite par la planification de la main-

d’œuvre. L’approche en terme de besoin en main-d’œuvre est la méthode qui a été choisie par les

pouvoirs publics ivoiriens pour faire face d’une part, à la croissance continue du niveau déjà

élevé des dépenses et d’autre part, à la croissance simultanée du nombre de travailleurs étrangers

et des chômeurs nationaux.35 A partir de cette méthode, une prévision des besoins futurs en main

d’œuvre a été faite. C’est ainsi que pour le secteur public, les besoins en cadres et techniciens ont

été estimés à 7,448 pour la période 1976-1980 ; au cours de celle-ci, un besoin de 4,915 cadres et

techniciens a été prévu pour le secteur privé.

Parallèlement à la gestion réglementée du marché du travail et planifiée de la main-

d’œuvre, l’intervention de l’etat sur le marché du travail a été plus décisive au cours des deux

premières décennies. De par sa fonction d’employeur, il a créé de nombreux emplois pour son

propre compte : les emplois de l’administration ont été multipliés par 3.3 entre 1960 et 1980.36 Sa

participation financière dans les entreprises a également généré de nombreux emplois ; c’est

ainsi que la part des effectifs des entreprises à capital public est passée de 25% à 40% des

effectifs des salariés de l’ensemble des entreprises.

Cette stratégie de création directe d’emplois est selon P. Hugon (1993), cohérente avec les

modalités d’économie de rente plus organisées autour des aspects de redistribution que des

exigences de l’accumulation. La création d’emplois dans l’administration et dans les entreprises à

35
Cf. Capurro G. (1979) pour plus détails sur l’application de cette méthode au cas ivoirien.
36
Cf. Labazée (2002).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 50

participation financière de l’etat est l’instrument central de cette logique redistributive37 qui

correspond à une gestion sociale des déficits d’emplois.

L’application des mesures d’ajustement structurel au début des années 1980 va bloquer

cette dynamique d’emploi impulsée par l’etat. Même si la planification de la main-d’œuvre a été

abandonnée avant la mise en œuvre de ces mesures, celles-ci ont accéléré le processus de remise

en cause de l’intervention de l’etat à travers deux principales modalités : déréglementation et

réduction des emplois publics et para-publics.

Déréglementation du marché du travail et déclin de l’emploi

L’un des arguments justifiant la déréglementation du travail réside dans le fait que les entreprises

privées, du fait de la gestion réglementée du marché du travail, n’ont pu obtenir la main-d’œuvre

compétente, qualifiée et bon marché pour restaurer leur compétitivité.

Une étude de la Banque Mondiale(1990)38 indique à cet effet que, comparativement à

certains pays tels que le Maroc, la Tunisie, le Ghana, l’Ile Maurice, l’Indonésie et la Malaisie, la

main-d’œuvre ivoirienne est peu compétitive en termes de coût et de qualité. Pour améliorer la

compétitivité de celle-ci, deux ensembles de mesures ont été préconisés :

 d’une part, un assouplissement de la réglementation de l’emploi à travers une révision du

Code du Travail et de la Convention Collective Interprofessionnelle en vue d’encourager

le financement direct de la formation professionnelle par les entreprises elles-mêmes, et

faciliter l’embauche et le licenciement collectif temporaire ou permanent d’une partie de

l’effectif ;

37
Cf. Rosanvallon (1995), p. 75.
38
Cf. Kouadio Benié Marcel (1995), p. 106.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 51

 d’autre part, une réduction du coût de la main-d’œuvre, afin d’amoindrir l’écart entre la

Côte d’Ivoire et ses concurrents ailleurs, dans le monde.

L’application de ces mesures implique une réforme des institutions du marché du travail

dont la préoccupation majeure est d’éliminer le pouvoir étatique qui était à l’origine des rigidités

sur le marché du travail et de réintroduire l’entreprise au cœur de l’analyse du marché du travail.

Une telle approche a l’avantage de combiner l’hypothèse de l’individualisme méthodologique

chère au courant orthodoxe du marché du travail au système de garanties mutuelles. Par ailleurs,

elle se situe dans le courant de pensée qui préconise l’endogénéisation des facteurs institutionnels

en vue de minimiser les coûts de transactions et d’éliminer les comportements du type « passager

clandestin ».

Les principales mesures arrêtées dans le cadre de cette réforme des institutions du marché

du travail destinées à renforcer la compétitivité de la main-d’œuvre sont relatives d’une part, à la

flexibilité des effectifs (fluctuation de l’effectif de l’entreprise, emplois temporaires et

licenciement) et d’autre part, à la flexibilité des salaires.

La flexibilité des effectifs qui résulte de la volonté des entreprises à satisfaire aux

exigences de la demande, implique l’existence de travailleurs à contrat flexible, tels que le contrat

à durée déterminée et le travail temporaire. La flexibilité des effectifs nécessite par ailleurs, un

assouplissement de certains aspects du contrat de travail notamment ceux relatifs au licenciement.

Dans une telle optique, les dispositifs législatif et réglementaire ont joué un rôle

déterminant dans l’utilisation de la main-d’œuvre temporaire. L’article 15 de la loi n° 92-570 a à

cet effet, légalisé la création d’emplois précaires au sein de l’Administration et des

Etablissements publics ivoiriens et encouragé l’utilisation de l’emploi temporaire dans le secteur

privé.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 52

Par ailleurs, dans le cadre de la réforme des institutions du marché du travail, la législation

sur les licenciements économiques a été modifiée ; c’est ainsi que la loi n° 92-573 raccourcit la

procédure de licenciement précédente jugée longue et compromettante pour les entreprises en

difficulté. Dans la nouvelle disposition, la décision de licenciement du chef d’entreprise ne

saurait être rejetée par l’Inspecteur du Travail dont la tâche se limite désormais à s’assurer que la

procédure du licenciement telle que prévue par la loi a été respectée. L’application de cette

nouvelle disposition a suscité le licenciement pour des raisons économiques de 11,246 employés

en 1992 et 1993.39

En outre, en ratifiant l’ordonnance n° 91-1032 du 31 décembre relatif à la suppression du

monopole de l’Office de la Main-d’œuvre, la libéralisation du recrutement de travailleurs est

instaurée. Les entreprises peuvent désormais embaucher directement leur personnel ou recourir

aux bureaux et offices privés de placement des demandeurs d’emploi.

La déréglementation du travail s’est accompagnée d’un déclin important de l’emploi

salarié du secteur moderne. En effet, au début des années 1980, il s’est opéré une rupture dans la

dynamique de création d’emplois dans le secteur moderne. Concomitante à la mise en œuvre des

premiers PAS (Programme d’Ajustement Structurel), cette rupture s’est traduite par une

destruction massive d’emploi dans le secteur moderne, en particulier dans les entreprises

publiques et parapubliques. Les entreprises privées ont suivi le mouvement d’ensemble.

Les destructions d’emplois qui ont été remarquables dans le secteur public et parapublic,

ont engendré au début des années 1980, un licenciement massif d’agents : 10,679 personnes

licenciées dont 9,209 issues de sociétés d’état. Sur l’ensemble de la décennie 1980, l’emploi a

39
Cf. Kouadio Benie (1992).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 53

diminué de près de 29% dans les entreprises entièrement publiques et de 17% dans les entreprises

à capitaux publics majoritaires.

L’évolution de l’emploi dans le secteur privé moderne a été affectée par la restriction de la

demande globale consécutive à l’application des mesures de stabilisation et d’ajustement

structurel sur l’économie ; les branches de l’agriculture, des BTP, des transports et

communications, ont été particulièrement affectées au cours de la décennie 1980. La tendance

s’est poursuivie puisque au début de 1990 plus de 33,000 emplois ont disparu dont plus de 13,000

dans le secteur industriel moderne, particulièrement entre 1993 et 1994.

Les enquêtes auprès des ménages effectuées en 1992 et 1995 confirment l’ampleur des

réductions d’emplois dans le secteur moderne au cours de ces dernières années. Selon celles-ci,

les emplois estimés à 276,390 en 1992 n’ont été que de 222,700 en 1995, soit une chute de –

19.4%, 3 ans plus tard.

On note en définitive qu’il y a eu au cours de la décennie 1980 et au début des années

1990, un essoufflement de la dynamique de création d’emplois dans le secteur moderne (privé et

public) d’autant plus que les chiffres officiels indiquent une perte de plus de 60,000 emplois dans

ce secteur entre 1982 et 1992. En 1995, les emplois du secteur moderne, estimés à 464,000 n’ont

concerné que 7.3% du total de la population occupée de Côte d’Ivoire. Au total, entre 1990 et

1994, les effectifs du secteur moderne privé ont connu une baisse de 9.16%.

A partir de 1995, la situation économique et financière qui s’est améliorée à la suite de la

dévaluation du F CFA, a eu des répercussions favorables sur l’emploi puisque la population

occupée est passée de 6,016,000 en 1994 à 7,491,700 en 1998. Les emplois agricoles et informels

sont ceux qui se sont le plus développés, passant respectivement de 3,150,000 à 4,348,000 et de

1,090,000 à 1,868,000 sur la période. Les emplois du secteur moderne sont également en hausse

même s’ils n’ont pas encore atteint leur niveau de 1978.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 54

Les emplois rémunérés comportent une forte proportion d’emplois précaires. En effet si

33.3% d’employés ont un emploi stable, 39.3% n’ont pas de contrat de travail et 13.2% ont un

contrat verbal. Au total, 52.5% des employés occupent un emploi précaire ; parmi ceux-ci, on

compte de nombreuses femmes puisque 64.4% d’entre elles ont un emploi précaire ; en revanche

dans la population masculine, 49% occupent un emploi précaire.

Parallèlement à la restriction et à la précarisation croissante de l’emploi, on note un

accroissement de la pauvreté et une amplification des inégalités de revenu. En effet, les enquêtes

de vie auprès des ménages indiquent que la pauvreté absolue a triplé en Côte d’Ivoire, durant la

période 1981-2000 puisque l’incidence de la pauvreté est passée de 10% en 1985 à 32.3% en

1993. Malgré la reprise de la croissance économique depuis la dévaluation du F CFA, la pauvreté

persiste et a même accru : 36.8% en 1995 et 38.4% en 2002.

La distribution est en outre, devenue plus inégalitaire puisqu’en 1998, les 10% les plus

riches ont cumulé un niveau de revenu total 12.4 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres.

Les 50% les plus pauvres ont cumulé au cours de cette année, au total moins du quart des revenus

totaux nationaux et les 80% les plus pauvres, 52% des revenus totaux. Les 20% les plus riches

ont détenu 48% du revenu total estimé.40

Par ailleurs, l’un des effets attendus de l’ajustement structurel est la réallocation de la

main-d’œuvre des secteurs des biens non échangeables vers les secteurs des biens échangeables.

Or une étude indique que le déplacement de la main-d’œuvre dans la direction souhaitée, c’est-à-

dire du secteur des biens non échangeables vers le secteur des biens échangeables, n’a pas eu

40
Cf. Ministère de la Plan et du Développement/INS (2002).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 55

lieu.41 En outre, on a observé une diminution des salaires réels dans les secteurs des biens

échangeables et non échangeables.42

Il vient d’être indiqué que la politique économique conduite de 1960 à 2000, a affecté

l’emploi, les revenus et la pauvreté en Côte d’Ivoire ; la réduction et la précarisation des emplois

dans l’ensemble de l’économie, l’augmentation du chômage, la baisse des salaires réels,

l’accroissement des inégalités de revenu sont des preuves tangibles de l’impact de

l’environnement macroéconomique et sectoriel sur le fonctionnement du marché du travail.

5. Politique économique: cadre du modèle ivoirien de croissance

La doctrine économique et les politiques macroéconomiques ont façonné la trajectoire de la

croissance économique de la Côte d’Ivoire durant les quatre décennies (de 1960 à 2000).

5.1 Doctrine économique

Au lendemain de son indépendance, la Côte d’Ivoire a choisi sans ambiguïté la voie du

libéralisme qui, au plan de la vie économique, repose sur les principes de la propriété privée des

moyens de production et de l’ouverture sur l’extérieur.

Comparativement à d’autres pays d’atouts similaires ayant opté pour la collectivisation

des moyens de production et le développement endogène, la politique d’ouverture sur l’extérieur

41
Cf. Kouadio Benie (1994), p. 105.
42
Cf. Jean Pierre Lachaud (1993).
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 56

a permis à la Côte d’Ivoire de réaliser des performances économiques plus élevées grâce à un

capitalisme d’etat.

Les résultats satisfaisants obtenus par ce modèle extraverti de développement ont résulté

d’une stabilité politique dont a bénéficié le pouvoir politique qui s’est exprimé pendant trente ans

dans le cadre d’un parti unique (le PDCI/RDA). La culture du dirigisme économique issue de la

période coloniale dont les élites de ce parti ont hérité, s’est traduite par le choix du modèle de

développement dominé par le volontarisme d’etat des deux premières décennies de

l’indépendance.

Durant cette période (1960-1980), l’interventionnisme étatique s’est exprimé dans le cadre

d’une planification indicative. Les méthodes de celle-ci, forgées et perfectionnées lors de

l’élaboration des différents plans quinquennaux (Perspectives décennales 1960-1970, Plan

quinquennal 1970-1975, Plan quinquennal 1976-1980), devenues plus prospectives et

opérationnelles, ont défini un ensemble cohérent et réaliste d’objectifs et de moyens qui ont

permis d’enclencher le « décollage » de l’économie.

Le désengagement de l’Etat, la désétatisation préconisée au début des années 1980 et

grandement mis en œuvre au début des années 1990, a coïncidé avec le processus de la

libéralisation politique. Celle-ci s’est concrétisée par l’instauration du multipartisme dont la

mauvaise gestion s’est soldée par un coup d’etat militaire en 1999. Ce coup de force a interrompu

à la reprise économique enclenchée depuis la dévaluation du F CFA.

Au cours de cette deuxième période (1981-2000), la libéralisation politique s’est

accouplée d’une libéralisation économique. En effet, à l’arrière plan de l’application des

différents programmes d’ajustement structurel (1981-1990), de stabilisation et de relance

économique (1991-1993), les principales réformes institutionnelles visaient à retrouver les « lois

du marché » concernant la libéralisation du commerce, la réduction du rôle de l’Etat, le


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 57

dégraissage des entreprises publiques et para-publiques, le recours à la privatisation.43 Le

Document Cadre de Politique Economique (DCPE) conclu avec les bailleurs de fonds après

l’ajustement monétaire intervenu le 12 janvier 1994, confirme la tendance à la libéralisation

totale de l’économie.

Selon Philipe Hugon (1989), les mesures de libéralisation, de déréglementation,

d’ouverture extérieure visent à réaliser des réallocations sectorielles des ressources du secteur

public vers le secteur privé. Une telle perspective est conforme à la vision de la dimension

politique de l’ajustement qui implique des modifications des rapports de pouvoir entre l’Etat et le

marché, entre le secteur public et le secteur privé.

5.2 Politiques macroéconomiques

La trajectoire de la croissance économique ivoirienne résulte également des politiques

macroéconomiques mises en œuvre durant les deux grandes étapes.

En effet, des instruments de la politique économique sont utilisés pour réaliser un rythme

de croissance élevé, créer les conditions d’une relance économique et assurer une croissance

saine et durable. C’est ainsi que sur le plan budgétaire, d’importants investissements publics ont

été réalisés dans les secteurs de l’agro-industrie, minier pendant les années 1970. Il y a eu un

déficit des finances publiques et un surendettement de l’Etat car celui-ci a dû recourir à l’emprunt

extérieur pour faire face au déficit budgétaire.

L’engagement d’une stricte discipline budgétaire et financière lors de la décennie 1970-

1980 n’ayant pas été respecté, les périodes d’ajustement structurel vont se caractériser par une

43
Cf. Philippe Hugon (1989), p. 64.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 58

réduction des investissements publics, la consolidation du compte du secteur public, les

privatisations, les blocages des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat, la réduction des

subventions de l’etat aux entreprises publiques, etc.

La préoccupation au niveau de la politique budgétaire, pendant la période post

dévaluation, est d’améliorer de manière significative le solde primaire des opérations de l’etat

afin d’éliminer à terme des arriérés intérieurs et de renforcer le programme des investissements

publics sinistrés par la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurels des années

précédentes.

Les mesures prises pour renforcer les recettes budgétaires relèvent de la politique fiscale

dont l’évolution est très contrastée : une période de fiscalisation suivi d’une phase de

défiscalisation.

La phase de fiscalisation accrue correspondant aux deux premières décennies (1960-1980)

de développement de la Côte d’Ivoire, les recettes fiscales d’exportation ont joué un rôle

déterminant dans la croissance économique grâce à une intervention massive de l’etat.

Face à la faiblesse du recouvrement de la fiscalité interne, des mesures ont été prises pour

renforcer les recettes fiscales durant les périodes d’ajustement structurels (1981-1988) ; celles-ci

ont trait à l’augmentation de la taxe sur les carburants, de l’impôt sur les bénéfices industriels et

commerciaux, au relèvement du droit fiscal d’entrée, à l’extension de la TVA à l’ensemble du

commerce de détail et des services.

L’étape de la défiscalisation qui a véritablement commencé avec l’exécution du PASCO

en 1991, a préconisé une baisse des taux sur les bénéfices industriels et commerciaux, une

diminution de la contribution employeur sur salaire du personnel ivoirien, une suppression de

certains impôts indirects et des droits d’entrée sur les intrants destinés au secteur agricole, etc.
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 59

En matière fiscale, l’objectif de la période post-dévaluation a consisté aussi à faire une

structuration profonde de la répartition des charges fiscales entre les différents secteurs

d’activités ; dans une telle perspective, il a été prévu un allègement de la pression fiscale exercée

sur le secteur productif les périodes précédentes et un assujettissement progressif du secteur

informel. Cette période se caractérise aussi par une défiscalisation accrue en vue de renforcer le

rôle du secteur privé dans le processus de la croissance économique.

Sur le plan financier, la stabilité monétaire consécutive à la politique monétaire restrictive

a entraîné l’afflux des investissements privés vers la Côte d’Ivoire qui demeurent faibles en

comparaison des taux d’investissement des pays émergents d’Asie. Le niveau peu élevé des

investissements privés résulte de la politique sélective de crédit du système financier qui

privilégie les crédits à court terme et qui pratique des taux d’intérêt peu attractifs pour les

apporteurs de capitaux. La répression monétaire dont souffrent les banques en Côte d’Ivoire du

fait de leur appartenance à la zone franc explique les difficultés rencontrées pour le financement

des investissements privés durant les deux premières décennies (1960-1980) de l’évolution

économique de ce pays.

Les effets combinés des réformes du système bancaire et financier à partir de 1989 grâce

au PASFI et la dévaluation du franc CFA en 1994, ont eu un impact positif réduit. Malgré la

promotion de la mobilisation de l’épargne locale préconisée dans le DCPE 1998-2000, l’épargne

nationale est demeurée insuffisante pour le financement de la croissance économique.

Par ailleurs, la fixité du taux de change au sein de la zone franc a conduit à une

surévaluation du F CFA dont les effets pervers sur la compétitivité externe ont entretenu et

alimenté la crise économique durant la période 1981-1993. La dévaluation du franc CFA

combinée aux réformes structurelles et aux politiques macro-économiques mises en œuvre avant

le 12 janvier 1994 ont permis le retour de la croissance économique.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 60

Pour renforcer la compétitivité externe retrouvée grâce à la dévaluation, des mesures ont

été prises au niveau de la politique commerciale ; il s’agit notamment de la libéralisation partielle

des prix, de la réduction des tarifs douaniers et des exonérations, de l’harmonisation des tarifs au

niveau régional, de la libéralisation de l’importation de certains produits, etc. Malgré cette

compétitivité-prix depuis l’ajustement monétaire, il convient de souligner la détérioration

permanente des termes de l’échange.

6. Conclusions

La préoccupation de cette étude fut de savoir pourquoi la Côte d’Ivoire a pu décoller, croître de

façon remarquable au cours de la première décennie de l’indépendance dans une Afrique noire

« mal partie ». Et, pourquoi son expansion a-t-elle été freiné ? Enfin, pourquoi les solutions

préconisées par les Institutions de Bretton Woods, n’ont pas pu régler les questions de fonds

d’autant plus que la libéralisation des marchés des biens et des facteurs ne semble pas améliorer

subséquemment le processus et le niveau de la croissance et la distribution des fruits de cette

croissance ?

Quel que soit le questionnement, une réflexion sur la croissance économique ivoirienne

présente un grand intérêt dans la mesure où elle a permis de :

 mettre en évidence les mécanismes du « miracle ivoirien » et les facteurs de son

essoufflement ;
Cote d’Ivoire Chapter 23 page 61

 comprendre les divergences de croissance entre la Côte d’Ivoire et certains pays africains

d’une part et entre ce pays et d’autres pays émergeant notamment ceux d’Asie et

d’Amérique d’autre part ;

 savoir que la croissance ivoirienne relève à la fois de concours de circonstance

exceptionnels et de transformation en profondeur de l’économie.

Cette contribution qui témoigne de l’intérêt a accordé au modèle ivoirien conformément

aux vœux de Samir Amin exprimé en 1967, s’est proposé d’une part, d’analyser la trajectoire de

la croissance ivoirienne et ses principaux déterminants et d’autre part, de mettre en évidence le

rôle des principaux acteurs de cette croissance ainsi que les marchés et politiques économiques

qui délimitent et déterminent le champ de ces acteurs.

S’agissant de la trajectoire de la croissance ivoirienne, elle a été analysée en considérant

trois principales périodes : la première a enregistré quinze années de « miracle ivoirien » ; la

deuxième a été marquée par une crise profonde qui a duré de 1981 à 1993 ; la troisième (1994-

2000), caractérisée par une reprise. Cette périodisation de l’analyse a mis en évidence à la fois les

moments de croissance, de stabilité, de continuité et/ou de rupture.

En ce qui concerne les déterminants de cette croissance, les investissements publics dans

l’agro-industrie et dans les grandes infrastructures ont joué un moteur dans le « miracle ivoirien »

au cours des quinze premières années de l’indépendance du pays. En revanche, leur réduction

lors de la mise en oeuvre des programmes d’ajustement structurel a affecté le processus de la

croissance. Après treize années de crise de l’économie ivoirienne consécutives à ces politiques

d’ajustement structurel, le retour de l’investissement depuis la dévaluation du F CFA n’a permis

de retrouver le sentier d’expansion des quinze premières années de l’indépendance.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 62

Cette étude a également montré que la trajectoire de la croissance ainsi que ses principaux

facteurs explicatifs résultent du jeu des différents acteurs, des mécanismes de fonctionnement des

marchés des produits et des facteurs.

C’est ainsi que malgré sa délégitimisation au cours des deux dernières décennies, l’etat a

continué à jouer un rôle déterminant dans le modèle ivoirien de développement. La stratégie de

ce modèle qui a accordé une place de choix à la main-d’œuvre et aux capitaux étrangers, a reposé

sur une économie de plantation animée par une « bourgeoisie de planteurs » peu progressive et

exclue du processus institutionnel de décision après avoir été un appui de poids à l’élite politique

et administrative ayant accédé au pouvoir à l’indépendance.

Au niveau des différents marchés des produits et des facteurs, on a noté durant la première

période, une interférence étatique à travers une fixation des prix des produits agricoles, une

protection effective des produits industriels fabriqués localement, une réglementation du marché

du travail (limitation des licenciements, contrôle du processus de recrutement, etc.) et un contrôle

de la masse monétaire (encadrement du crédit, plafonnement et sélectivité du crédit).

La libéralisation économique préconisée au cours de la deuxième période (1981-2000)

s’est traduite par une libéralisation des filières des principaux produits agricoles d’exportation

(café, cacao, ananas, caoutchouc, coton, etc.), du marché du travail. Sur le marché financier, il y a

eu libéralisation financière partielle induite par la réforme du système bancaire et financier.

Quoi que préconisée comme solution à l’interventionnisme préjudiciable de l’Etat à

l’économie de marché, la libéralisation des marchés ne semble pas donner les résultats

escomptés : chute de revenus des paysans ; poursuite de la politique sélective de crédit et sortie

massive des capitaux ; déclin et précarisation de l’emploi ; distribution inégalitaire des revenus et

accroissement de la pauvreté ; etc.


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 63

Au niveau de la politique économique, la culture du dirigisme économique issue de la

période coloniale dont les élites politiques et administratives ont hérité, s’est traduite par le choix

du modèle de développement dominé par le volontarisme d’etat des deux premières décennies de

l’indépendance. Les résultats satisfaisants obtenus par ce modèle extraverti de développement ont

résulté d’une stabilité politique dont a bénéficié le pouvoir politique qui s’est exprimé pendant

trente ans dans le cadre d’un parti unique (le PDCI/RDA)

Durant cette période (1960-1980), l’interventionnisme étatique s’est exprimé dans le cadre

d’une planification indicative. Les méthodes de celle-ci, forgées et perfectionnées lors de

l’élaboration des différents plans quinquennaux (Perspectives décennales 1960-1970, Plan

quinquennal 1970-1975, Plan quinquennal 1976-1980), devenues plus prospectives et

opérationnelles, ont défini un ensemble cohérent et réaliste d’objectifs et de moyens qui ont

permis d’enclencher le « décollage » de l’économie.

Le désengagement de l’Etat, la désétatisation préconisée au début des années 1980 et

largement mis en œuvre au début des années 1990, a coïncidé avec le processus de la

libéralisation politique. Celle-ci s’est concrétisée par l’instauration du multipartisme dont la

mauvaise gestion s’est soldée par un coup d’Etat militaire en 1999. Ce coup de force a

interrompu à la reprise économique enclenchée depuis la dévaluation du F CFA.

Que retenir de l’examen de ce modèle de développement ? Les leçons à tirer sont sans

doute nombreuses.

Retenons cependant que cette étude a montré que la mobilité des facteurs de production

(travail et capital) a été bénéfique à la Côte d’Ivoire dans la mesure où elle lui a permis de

développer son économie de plantation et de disposer des capitaux étrangers pour le

développement de son industrie et de ses services. Il convient toutefois de souligner le revers de

la médaille puisque la présence de travailleurs et de capitaux étrangers a occasionné


Cote d’Ivoire Chapter 23 page 64

d’importantes fuites de capitaux et susciter par conséquent la volonté politique d’accroître la

participation des nationaux à la maîtrise de l’économie.

De cette étude, on peut également retenir que le projet de réduction de l’emprise de l’Etat

sur l’économie, sa délégitimisation est difficilement réalisable en raison de sa fonction

redistributive. En effet, les organisations professionnelles agricoles issues de la libéralisation des

principales filières des produits agricoles (café, cacao, coton) n’ont pas encore pu s’affranchir des

pouvoirs publics qui jouent un rôle déterminant dans l’utilisation et la distribution de la rente

constituée par la commercialisation de ces produits.

Cette étude enseigne aussi que les principaux artisans de la croissance économique dans

les pays africains ne détiennent pas toujours l’essentiel des fruits de cette croissance ; ils peuvent

même être marginalisés dans la société. En effet, bien qu’ayant participé à la prise du pouvoir

politique à l’indépendance, la bourgeoisie des planteurs a été progressivement exclue de la

gestion dans l’économie de plantation. Pendant des décennies, elle a été absente dans le processus

de décision parce qu’elle n’a pas pu renforcer son pouvoir politique et économique par une

affectation judicieuse de son accumulation individuelle.

En outre, cette étude de cas ivoirien confirme l’une des hypothèses forte des théories de la

croissance, à savoir le rôle majeur des investissements publics dans le processus de la croissance.

Le « miracle ivoirien » s’est produit avec la réalisation d’importants programmes agro-industriels

et de grandes infrastructures (routes, ponts, télécommunication, logements sociaux, etc.) grâce à

la manne cacaoyère et caféière.

On peut enfin retenir que la libéralisation tout azimut a de nombreux avatars et limites.

Sur le marché du travail par exemple, on note un accroissement du chômage, une précarisation

des emplois et une amplification de la pauvreté ; il en est de même de la libéralisation du marché


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monétaire qui n’a pourtant pas permis de démanteler la position oligopolistique des banques

installées en Côte d’Ivoire.


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Tableaux

Tableau 1: Investissements publics et endettement : 1975-81 (en milliards de F CFA)

Année Investissements du Emprunts extérieurs Couverture en %


secteur public bruts du secteur public (2)/(1)
1975 131 71 54.4
1976 165 82 49.7
1977 340 191 56.2
1978 415 210 50.6
1979 343 198 57.7
1980 313 184 90.7
1981 333 280 84.1
Source : Ministère de la Coopération (1986).
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Tableau 2: Croissance en volume, contribution sectorielle à la croissance

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997


(Croissance en volume en %)
Secteur primaire 4.7 1.2 2 -0.4 0.5 10 3.7 7.9
Secteur secondaire -7.3 1.1 3.1 0.9 0.8 3.3 9.4 8.3
Secteur tertiaire -2.2 -1.3 -2.9 -0.9 3.8 6.6 7.9 5.8
PIB -1.1 0 -0.1 -0.4 2 7.1 6.8 7
(En pourcentage du PIB)
Secteur primaire 32.8. 33.2 33.9 33.9 33.4 34.3 33.3 33.6
Secteur secondaire 19.4 19.6 20.2 20.5 20.2 19.5 20 20.2
Secteur tertiaire 47.8 47.2 45.9 45.7 46.4 46.2 46.7 46.2
PIB 100 100 100 100 100 100 100 100
(Contribution à la croissance, en pourcentage)
Secteur primaire 1.56 0.38 0.68 -0.13 0.16 3.42 1.25 2.66
Secteur secondaire -1.41 0.22 0.63 0.18 0.16 0.64 1.87 1.69
Secteur tertiaire -1.05 0.59 -1.33 -0.43 1.74 3.7 3.69 2.67
PIB -1.1 0 -0.1 -0.4 2 7.1 6.8 7

Source : Direction de la Conjoncture et de la Prévision Economique (2001).


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Tableau 3 : Comptabilité de la croissance

Période Croissance du PIB par Contribution de


travailleur Capital physique par Education par Résidu
travailleur travailleur
1960-64 8.37 2.55 0.06 6.25
1965-69 3.88 2.14 0.18 1.56
1970-74 4.53 2.02 0.29 2.21
1975-79 3.78 3.03 0.30 0.45
1980-84 -3.38 1.39 0.35 -5.11
1985-89 -1.93 -0.66 0.38 -1.65
Total 1.82 1.33 0.25 0.24

Source: Ndulu & O’Connell (2001).


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Tableau 4: Contribution sectorielle à la croissance du PIB (en%)

1966-74 1975-80 1981-85 1986-90 1966-90


Agriculture 13.64 10.51 58.27 132.02 45.13
Industries 22.10 74.54 32.83 58.58 40.13
Services 64.24 14.90 8.89 -70.60 14.73

Source : Kouadio, Yao (1993), p. 3.


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Tableau 5 : Structure de l’emploi et la répartition de la masse salariale dans le secteur


moderne

Catégories Ivoiriens Africains non Non africains Total


professionnelles ivoiriens
Personnel de direction 8.9 1.8 89.3 100.0
Cadres et techniciens 16.2 3.6 80.2 100.0
Maîtrise 40.9 11.8 47.3 100.0
Employés supérieurs 60.5 15.1 24.4 100.0
Employés subalternes 75.1 23.2 1.7 100.0
Ouvriers qualifiés 69.2 29.0 1.8 100.0
Ouvriers spécialisés 61.2 38.6 0.2 100.0
Manœuvres 31.4 68.5 0.1 100.0
Apprentis 67.7 30.3 2.0 100.0
Total secteur moderne 47.5 46.2 6.3 100.0

Secteurs d’activités Ivoiriens Africains non Non africain Total


ivoiriens
Primaire 22.9 44.4 32.7 100.0
Secondaire 38.9 24.2 36.9 100.0
Tertiaire 31.9 21.4 46.7 100.0
Total secteur moderne 32.5 26.4 41.1 100.0

Source : Tableau construit par l’auteur à partir des informations recueillies auprès de la Banque des Données
Financières (BDF).
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Tableau 6 : Evolution du contrôle financier des entreprises et de la production de l’ampli


selon l’origine : 1975-85

1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1984 1985


A : valeur des capitaux ivoiriens
dans les entreprises(en milliards 62.44 115.94 149.63 168.26 230.26 265.61 299.61 389.33 275.50
CFA)
B : % capitaux
ivoiriens/capitaux toutes 39.97 51.35 54.60 53.93 58.23 61.83 61.81 64.28 57.01
nationalités
C : % capitaux ivoiriens
privés/capitaux toutes 8.28 18.77 6.64 7.34 7.73 7.28 9.28 7.64 10.00
nationalités

Source : Tableau construit par l’autuer à partier des donneés de la Centrale des bilans.
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Tableau 7 : Taux d’intérêt créditeur (compte d’épargne) en %


1970 1975 1980 1985 1990
Burkina Faso 3 5.8 6.2 7.2 7
en termes réels 1.2 -12.9 -6.01 0.3 7.8
Côte d’Ivoire 3 5.8 6.2 7.2 7
en terme réels -5.2 -5.6 -8.5 5.4 7.8
Mali 3 5.8 6.2 7.2 7
en terme réel -3.1 -17.2 -10.5 5.9 6.4
Ghana 2.5/3.5 7.5 12.0 16.5 14/18
en terme réel -0.5/+0.4 -13.1 -3.8 +6.2 -23/-19

Sources : Rapports annuels des Banques Centrales, Statistiques Financières Internationales (FMI), World
Development Indicators (Banque Mondiale).
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Tableau 8 : M2 en pourcentage du PIB

1970 1975 1980 1985 1990 1995 1996


Côte d’Ivoire 30.2 32.3 28.9 31.1 27.6 26.9 25.2
Burkina Faso 8.0 11.7 13.7 14.5 20.5 22.1 22.5
Ghana 18.0 22.5 16.2 11.5 13.3 15.7 15.2
Mali 13.8 17.8 17.2 22.1 22.5 20.0 21.0
Ouganda 17.1 20.0 12.9 10.6 6.2 9.9 10.0
Tanzanie 24.2 29.2 41.6 65.0 19.2 25.0 23.3

Source : Extrait de Cogneau et Mesple-Somps (1999).

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