ILUNGA2017 Deguerpissement
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ILUNGA2017 Deguerpissement
Pour citer cet article : ILUNGA KAKENKE Rado, (2015), « La juridiction compétente
pour statuer sur la demande en déguerpissement », in Ilunga Kakenke Rado, La
complexité du droit judiciaire congolais, Editions du Centre de Recherche Universitaire
du Kivu, Bukavu, pp. 85-108.
Introduction
La loi organique1 n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement
et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire repartit la compétence matérielle
entre les différentes juridictions tant en matière pénale que civile. En matière pénale,
ce sont les articles 85 à 103 qui la déterminent, tandis qu’en matière civile, les articles
110 à 129 constituent la base légale d’attribution de la compétence matérielle à
chaque juridiction civile.
Dès lors, c’est cette loi (de la compétence matérielle) qui énonce les contestations sur
lesquelles chaque juridiction est compétente pour y statuer, même si les objets de la
demande2 ne sont pas expressément attribués à telle ou telle juridiction.
Notre étude porte sur la compétence matérielle des juridictions de droit commun en
matière civile. En effet, les articles 110 et 112 de la loi organique énumèrent les
contestations que chacune de ces juridictions doit connaître. Selon les prescrits de
l’article 110, les tribunaux de paix connaissent de toute contestation portant sur le
droit de la famille, les successions, les libéralités et les conflits fonciers collectifs ou
1 Tout au long de notre propos, l’usage de la loi organique renvoie à cette loi.
2L’objet de la demande est, selon MUKADI et KATWALA (1999 : 38), le résultat auquel un
plaideur désire aboutir en intentant l’action en justice. Cet objet peut donc varier à l’infini
suivant ce que le plaideur demande au juge d’ordonner, d’accorder, ou de prononcer.
2
individuels régis par la coutume. Ils connaissent aussi de toutes les autres
contestations susceptibles d’évaluation pour autant que leur valeur ne dépasse pas
deux millions cinq cent mille francs congolais (article 110 de la loi organique).
A la lecture de cet article, plusieurs objets de demande peuvent découler des
contestations limitativement énumérées par le législateur. C’est le cas de la demande
qui tend à obtenir l’expulsion ou le déguerpissement d’une personne sur un fonds ou
d’une maison.
L’article 112 de la même loi dispose que les tribunaux de grande instance connaissent
de toutes les contestations qui ne sont pas de la compétence des tribunaux de paix.
Ceci veut dire que la contestation qui n’est pas citée à l’article 110 est de la
compétence du tribunal de grande instance.
C’est dans ce cadre que nous nous sommes posé la question de savoir : « quelle est la
juridiction compétente matériellement pour statuer sur une demande tendant à obtenir du
juge le déguerpissement ou l’expulsion de personnes ? » Quelle est la disposition légale qui
détermine la compétence matérielle ?
Dans notre démarche, c’est par les méthodes d’interprétation des différents textes
que cette juridiction sera décelée. Il convient de signaler que cette question de
compétence matérielle se rapportant à l’objet de la demande tendant à obtenir le
déguerpissement n’a pas encore été analysée par la doctrine, d’où l’intérêt de cet
article.
De ce fait, il est important de connaître les juridictions civiles de l’ordre judiciaire (1),
pour ensuite dégager parmi elles celles qui peuvent statuer sur une demande tendant
au déguerpissement (3) après avoir ressorti les contestations donnant lieu au
déguerpissement (2).
ressort ainsi que le siège de chaque tribunal de paix sont fixés par l’ordonnance n°89-
13 du 3 juin 1989 portant création des tribunaux de paix dans les territoires de la
République. Cependant, pour ceux installés dans les villes, leurs ressorts et leurs
sièges sont fixés par différentes ordonnances du président de la République qui les
créent. Toutefois, la loi organique confie la compétence de fixer le siège ordinaire et le
ressort des tribunaux au premier ministre (article 7) ; contrairement au Code de
l’organisation et de la compétence judiciaires qui confiait cette compétence au
président de la république (article 22 du COCJ).
A côté de la compétence en matière répressive, qui ne nous intéresse pas dans cette
étude, le tribunal de paix connaît de toutes les contestations portant sur le droit de la
famille, les successions, les libéralités et les conflits fonciers collectifs ou individuels
régis par la coutume (article 110 alinéa 1er de la loi organique). En outre, le tribunal
de paix connaît de toutes contestations susceptibles d’évaluation pour autant que
leur valeur ne dépasse pas deux millions cinq cents mille francs congolais. Il convient
de relever que ces matières sur lesquelles le tribunal de paix doit fonder sa
compétence matérielle « engendrent » plusieurs objets de demande.
A titre illustratif, pour les contestations portant sur le droit de la famille, nous
pouvons avoir des objets de demande relatifs au divorce, à la restitution des biens
pour cause de rupture abusive des fiançailles, à la garde des enfants, etc.
3 En matière de successions, il ne faut pas perdre de vue que le Code de la famille attribue
la compétence tant aux tribunaux de paix qu’aux tribunaux de grande instance. C’est la
valeur du patrimoine à liquider qui détermine la compétence matérielle. Et ceci est l’objet
d’un autre chapitre (II).
4
fonciers régis par la coutume. Il a ainsi, par ce deuxième alinéa de l’article 110 de la
loi organique, étendu la compétence matérielle des tribunaux de paix pourvu que la
contestation ne dépasse pas la valeur maximale prévue à cette disposition. « Toutes
autres contestations », est une expression fourre-tout qui conduit tout plaideur à
formuler devant le juge une demande. C’est ainsi que les contestations peuvent
porter sur la réclamation d’une créance, la validité4 ou la résiliation5 d’un bail (article
127 de la loi organique), les privilèges ou les hypothèques entre créancier et débiteur
(article 128 de la loi organique), l’annulation d’une vente6.
Il peut arriver que les parties soulèvent une contestation « non évaluable » en argent.
Le tribunal de paix n’est compétent que si la contestation doit être tranchée par la
coutume, et par elle seulement. Il ne peut jamais statuer sur une telle matière par
application de la loi écrite (Kengo, 1973 : 4-5). Cette position doit être comprise
comme ne concernant pas la nature des constations prévues à l’alinéa 1er de l’article
110 de la loi organique.
Pour statuer sur ces contestations, qui relèvent de sa compétence, le tribunal de paix
siège à juge unique, c’est-à-dire à un seul juge. Toutefois, il siège au nombre de trois
juges lorsqu’il y a lieu de faire application de la coutume locale. Dans ce cas, deux
des trois juges sont les notables du lieu désignés par le Président de la juridiction.
Le notable ainsi assumé prête, devant le Président, le serment7 suivant : « je jure de
respecter la constitution et les lois de la République démocratique du Congo et de
remplir loyalement et fidèlement, avec honneur et dignité, les fonctions qui me sont
confiées » (article 10 de la loi organique).
Le tribunal de paix siège avec l’assistance d’un greffier et le concours du ministère
public (article 13 de la loi organique). La loi organique a ainsi rendu obligatoire le
concours du ministère public, contrairement au code de l’organisation et de la
compétence judiciaires, abrogé, qui laissait la possibilité au juge de paix d’assumer
lui-même cette fonction ou être assurée par un officier de police judiciaire (article 17
du COCJ).
faut y verser les ordonnances les assumant ainsi que leurs procès-verbaux de prestation de
serment. La cour d’appel de Bukavu a eu à annuler la décision rendue par le tribunal de
grande instance d’Uvira, siège secondaire de Kavumu, pour composition irrégulière du fait
qu’au dossier il n’y avait pas le procès-verbal du défenseur judiciaire qui était assumé
(Cour d’appel de Bukavu, RPA 2125, 28 février 2009 inédit).
5
8
Le défendeur ne pourra se pouvoir qu’en cassation au regard de l’article 116 de la loi
organique
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1. 4. La cour de cassation
La cour de cassation n’est pas une juridiction de fond en matière civile, mais au
contraire une juridiction de contrôle ; c’est-à-dire, elle ne jugera pas l’affaire dans son
ensemble, elle contrôle si le droit a bien été appliqué par les juridictions « du fond ».
Elle considère comme acquis les faits qui sont énoncés dans les décisions qui lui sont
soumises ; c’est ce qu’on appelle : « le pouvoir souverain des juges du fond » (Hess-
Pallon et Simon, 2007 : 52). Elle n’est pas un troisième degré de juridiction pour
examiner les fonds de la cause.
Après analyse des juridictions civiles de l’ordre judiciaire, il convient d’examiner les
contestations qui donnent lieu au déguerpissement. Il s’agit des éléments suivants :
les conflits fonciers ainsi que ceux portant sur la validité ou la résiliation d’un bail.
9
Cette saisie n’est pas prévue par l’acte uniforme portant organisation de procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (en droit OHADA).
10
En matière pénale, elle siège au nombre de cinq membres pour les infractions prévues au
Statut de Rome de la Cour pénale internationale (article 22 de la loi organique).
7
11
L’article 34, alinéa 2, de la Constitution : l’Etat garantit le droit à la propriété individuelle
ou collective acquis conformément à la loi ou à la coutume.
12
Le législateur du Code forestier définit à son article 1er, qu’il faut entendre par
communauté locale « une population traditionnelle organisée sur base de la coutume et unie
par des liens de solidarité clanique ou parentale qui fonde sa cohésion interne. Elle est
caractérisée en outre par son attachement à un terroir déterminé ».
8
Par ailleurs, il a été jugé qu’en vertu de la loi du 20 juillet 1973 portant régime général
des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, les droits des
jouissances sur les terres occupées par les communautés locales sont régis par le droit
coutumier avant leur règlementation par l’ordonnance présidentielle (CSJ., RC 1032,
20 janvier 1988, RJZ., 1988 : 7).
Une terre régie par la coutume est ainsi l’opposée d’une terre régie par le droit écrit.
Partant, toute terre appartenant à l’Etat (article 9 de la Constitution et 53 de la loi
foncière) qui n’est pas lotie ou concédée par lui en vertu de la loi portant régime
général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés ; mais
dépendante ou attenante à celle habitée, cultivée et/ou exploitée par la communauté
locale reste une terre coutumière. Ainsi un conflit foncier qui surgirait entre les
membres de la communauté locale sera régi en vertu de la coutume locale qui règle
la manière dont on devient ayant droit foncier coutumier.
Il convient toutefois de signaler que les communautés foncières traditionnelles ne
doivent pas être distinguées de l’Etat, ou être opposées à celui-ci. Elles sont
considérées comme des subdivisions de l’Etat de qui elles dépendent et qu’elles
représentent au niveau local (Tunga-Bau, 2010 : 17). C’est ainsi que la résolution de ce
conflit foncier régi par la coutume sera soumise à la juridiction civile compétente qui
en traitera conformément à la coutume locale et ce, conformément à l’article 153
alinéa 3 de la Constitution qui prévoit que « les cours et tribunaux (…) appliquent
(…) la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux
bonnes mœurs ».
Les ayants droits fonciers coutumiers disposent ainsi d’un droit réel tel que son
titulaire peut en réclamer et en revendiquer avec succès dans n’importe quelles
mains où il se trouve. Ce droit foncier individuel en vertu de la coutume et des
usages locaux est constitué par l’occupation effective et exclusive du sol, traduite par
le travail, y exécuté. Tant que le travail y existe effectivement, personne ne peut en
troubler la jouissance par une autre occupation sans autorisation du premier
occupant sous peine aussi bien des sanctions civiles comme l’expulsion et les
dommages et intérêts éventuels, que des sanctions pénales du fait de l’occupation
illégale de terres (article 207 de la loi portant régime général des biens, régime foncier
et immobilier et régime des sûretés et ses mesures d’exécution).
Cependant, Malangu et les autres estiment que pour être régulier et non punissable,
l’accès au sol pour constituer son droit foncier individuel doit se conformer à la
coutume et aux usages locaux. Généralement les coutumes d’accès au sol d’une
communauté locale consiste en une autorisation expresse ou tacite donnée par le chef
de la communauté ou son représentant conformément à la coutume ou aux usages
du lieu. Les autorités coutumières pouvant attribuer les terres sont en principe les
suivantes : le chef de clan, le chef de lignée, de famille, ou leurs représentants sur les
terres de leur attachement traditionnel conformément à la coutume ou à l’usage local.
C’est ainsi que Bours (1936 : 29) considère que, par rapport à la coutume de
Bekalebwe au Lomami, la terre est propriété commune et de ce fait régie par le chef,
assisté de son conseil des notables.
9
Toutefois, Kalambay Lumpungu (1989 : 92) pense même que « pour les terres
occupées en vertu du droit coutumier, les conclusions de l’action possessoire13
peuvent servir de titre pour l’enregistrement du droit foncier et immobilier de
circonscription rurale ».
Il convient toutefois de signaler que le droit foncier coutumier individuel ne peut pas
se constituer sur les terres loties, affectées ou concédées par l’Etat étant donné que
l’occupation de celles-ci échappe à l’application de la coutume ou des usages locaux ;
c’est-à-dire, sur ces terres l’occupation se fait en vertu du droit écrit qui est la loi
foncière.
13Le même auteur précise que, dès que le possesseur est inquiété dans la jouissance du bien
possédé, la loi lui donne une « action possessoire » dont le but est de sauvegarder sa
situation et de le remettre dans sa situation antérieure s’il en a été évincé.
10
Le concessionnaire peut aussi faire jouir l’immeuble ou le fonds à une autre personne
à travers le bail. Lors de l’exécution de ce contrat, il peut naître une contestation qui
peut conduire à la résiliation du bail.
partielle ou simplement tardive, le juge devra apprécier si elle est suffisante pour
justifier la résolution.
La résiliation d’un bail (ou du contrat en général) entraîne certains effets. Entre
parties, le contrat est anéanti non seulement pour l’avenir, mais aussi
rétroactivement. Tout doit se passer comme si le contrat n’a jamais existé et chaque
contractant doit restituer ce qu’il a reçu en vertu du contrat. Envers les tiers, la
résiliation peut entraîner des résolutions en cascade.
Le locataire est ainsi obligé de libérer la maison louée. En vertu du principe
l’accessoire suit le principal, le principal c’est la demande en résiliation du bail dont la
demande accessoire est le déguerpissement, le juge saisi d’une demande en
résiliation d’un bail est compétent d’ordonner le déguerpissement, bien entendu si le
demandeur l’avait postulé dans son exploit introductif d’instance. C’est dans ce sens
qu’il a été judicieusement jugé que pour statuer sur le déguerpissement, le juge du fond
devant, comme il l’a fait en l’espèce, se prononcer au préalable sur la résiliation des baux
sollicités (CSJ., RC 185, 27 février 1980, Bull. Arrêts de la CSJ, 2001 : 15). L’action
principale ne doit pas résider sur la contestation portant sur la qualité du
concessionnaire ou sur la qualité de propriétaire de l’immeuble couvert par un titre.
Le code civil livre trois prévoit certains cas qui peuvent conduire à la résiliation du
bail par le bailleur et même à l’expulsion du preneur (locataire). C’est le cas où le
preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée,
ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur. Celui-ci peut, suivant les
circonstances, faire résilier le bail (article 386 du CCLIII). Il est aussi résilié par le
défaut du preneur de remplir son engagement (article 397 du CCLIII). En outre,
l’article 408 du CCLIII, prévoit l’hypothèse où le locataire qui ne garnit pas la maison
de meubles suffisants peut être expulsé. Ainsi que dans l’hypothèse, s’il a été
convenu, lors du bail, qu’en cas de vente l’acquéreur pourrait expulser le fermier ou
locataire (article 400 du CCLIII). Pour plus d’éléments relatifs aux contestations sur le
bail, lire les articles 370 à 426 du CCLIII.
Après l’analyse des contestations, dont l’objet de demande peut-être le
déguerpissement, il convient de déterminer la juridiction compétente qui peut
l’ordonner.
14
Ce terme désigne les règles de droit qui n’ont pas été édictées par les pouvoirs publics,
mais qui sont devenues obligatoires à la suite d’usage prolongé. Les termes coutumes et
usages sont souvent considérés comme synonymes, cependant, on peut distinguer deux
catégories d’usages, dont une seule répond aux caractères de la coutume (Hess-Fallon et
Simon, 2007 : 23).
13
Pour statuer sur cette demande, le président de la juridiction devra assumer deux
notables du lieu et ce, en vertu de l’article 10 de la loi organique15. C’est-à-dire, dans
ce cas, deux des trois juges sont des notables du lieu. Au cas où le tribunal de paix
siège à juge unique, le jugement est annulable pour composition irrégulière.
Le juge devra interroger la coutume du lieu. C’est-à-dire, savoir que dit la coutume
lorsqu’une personne ou un groupe de personnes occupent un fonds d’autrui en
violation de la coutume et usage du milieu. Le sort de l’occupant et de tout ce qu’il a
planté dépendent d’une coutume à l’autre. Ainsi, bien qu’on ne puisse utiliser le
terrain défriché par autrui, la coutume veut qu’on respecte les arbres si un autre que
le propriétaire les a plantés. On peut lire dans un jugement du tribunal de Territoire
de Matadi que « les juges déclarent que la coutume indigène ne permet jamais la
destruction de plantations, même si celles-ci ont été établies sur terrain d’autrui. Que
celui qui se croit léser doit s’en référer au chef indigène, qui seul peut trancher le
différend » (Jugement du 6 septembre 1935 in Malengreau, 1947 : 170). Il en est de
même à Sampwe, où « lorsqu’un indigène établit un champ sur la jachère d’un autre
qui ne l’a pas autorisé, celui-ci ne peut exiger son expulsion. Il devra attendre
l’enlèvement de la récolte » pour qu’il quitte le champ (Marchai., Le droit coutumier
des Bazela, des Balomotwa et des Banwenshi cité par Malengreau, 1947 : 170).
Cette position coutumière n’est pas différente de la coutume Shi (dans la province du
Sud-Kivu) qui dispose que toute personne qui occupe une maison ou un champ qui ne
trouve pas son fondement dans la coutume, on doit lui donner une mise en demeure (une
période de temps) juste pour lui permettre de récolter ses cultures. S’il y a résistance on
recourt au Tribunal pour le faire partir de force16. C’est-à-dire, l’expulser du lieu.
Malengreau (1947 : 197) présente plusieurs cas où l’expulsion est prévue en vertu de
la coutume. C’est le cas où le chef se réserve l’emplacement qu’il juge le mieux lui
convenir. Il a bien pour devoir de respecter dans son choix les terres déjà occupées
par ses sujets, mais, s’il se sent suffisamment puissant, si son pouvoir est presque
absolu (…) l’expulsion forcée d’autrui ne le gêna guère, quitte à faire indemniser sa
victime par la collectivité.
Chez les Bahunde, l’expulsion était prononcée par le tribunal de clan ou par le
tribunal de famille, surtout en cas d’insoumission sérieuse envers le Mutambo
15
La cour d’appel de Bukavu avait annulé le jugement pour composition irrégulière en
motivant sa décision en ces termes : « la cour constate que la composition qui a instruit la
cause et prononcé le jugement a été irrégulière, en ce qu’un membre de la composition a été
assumé au titre du juge assesseur, en l’occurrence Maître Kitambala défenseur judiciaire de
son état ; cependant, aucun élément du dossier ne prouve sa désignation ni sa prestation de
serment d’usage entre les mains du président avant de composer le siège » (C.A. Bukavu,
RPA 2125, du 28 février 2009, inédit).
16
Entretien réalisé par KAKULE MUKE, Juge au Tribunal de paix de Kabare (Province du
Sud-Kivu), avec les notables assumés dans la cause inscrite sous RC 84, le 1er août 2015
14
En cas de déguerpissement résultant de la validité du bail, le cumule des loyers pour toute la
durée du bail ne peut dépasser deux millions cinq cent mille francs congolais ;
Pour le déguerpissement résultant de la résiliation du bail, le cumule des loyers à échoir doit
être inférieur ou égal à deux millions cinq cent mille francs congolais ;
Il n’est pas important, dans tous les deux cas, de connaître que l’immeuble ou la concession
est couvert(e) d’un titre ou il est acquis en vertu de la coutume.
Les tribunaux de paix ne pourront examiner cette demande que si le demandeur ne
réclame pas qu’il soit reconnu propriétaire de l’immeuble. Une fois que les
contestations se rapportant sur la validité ou la résiliation du bail amènent les
tribunaux de paix à examiner la qualité du propriétaire de l’immeuble ou du
concessionnaire, dans ce cas les tribunaux de paix doivent se déclarer incompétent
du fait qu’il s’agit maintenant d’un conflit foncier régi par le droit écrit. C’est-à-dire,
une action en revendication de la propriété de l’immeuble.
A ce sujet, il a été jugé sous d’autres cieux que « le juge de paix peut prononcer
l’expulsion chaque fois qu’il constate que le défendeur occupe les lieux sans droit, même s’il
n’y a jamais eu de bail entre parties, du moment que l’objet réel de la demande est l’expulsion
d’un occupant sans droit et que l’action n’a pas pour objet la revendication de la propriété
d’un immeuble.
15
Il est notamment compétent pour ordonner l’expulsion d’une personne devenue occupante
sans droit ni titre à la suite de la résiliation de son bail emphytéotique, encore que cette
convention confère un droit réel au preneur » (J.d.P. Lux., 28 juin 1983, 26, 122, cité dans
le nouveau code de procédure civile Luxembourgeoise).
Il ressort de cette position jurisprudentielle que les tribunaux de paix sont
incompétents de statuer sur les actions en revendication de la propriété d’un
immeuble couvert par un titre (conflits fonciers régis par les textes de loi). Et cela
découle même de l’article 110, alinéa 1er, de la loi organique qui laisse la compétence
aux tribunaux de paix de connaître les contestations portant sur les conflits fonciers
régis par la coutume.
Attendu que les deux parties se sont mises d’accord sur un bail portant sur
l’occupation de l’immeuble sis au n° XX de l’avenue Lomami, quartier Makutano,
dans la Commune de Lubumbashi, à Lubumbashi et que l’assigné a versé au
requérant, le 05 janvier 2008, la somme de 12.000 $US couvrant la durée de 5 ans
du bail, soit 200 USD par mois.
Attendu qu’à partir du mois de mars 2015, le requérant est surpris de constater
que l’assigné n’a pas versé le loyer de cinq mois équivalent à 1 000 USD soit
920 000 CDF.
Attendu que le comportement de l’assigné constitue une faute, étant une violation
de la clause du contrat de bail ;
Compétence matérielle : Il s’agit ici d’une contestation portant sur la résiliation d’un
17
Pour le déguerpissement résultant de la résiliation du bail, le cumul des loyers à échoir doit
supérieur à deux millions cinq cent mille francs congolais ;
Il n’est pas important, dans tous les deux cas, de connaître que l’immeuble ou la concession
est couverte d’un titre ou il est acquis en vertu de la coutume. Car l’action ne vise pas ici, la
revendication de la propriété de l’immeuble ou la qualité du concessionnaire comme
dans l’hypothèse du conflit foncier.
Attendu qu’à travers un courtier immobilier, il a été informé que l’assigné cherchait
une maison à Lubumbashi pour y loger ;
Attendu que les deux parties se sont mis d’accord sur un bail portant sur
l’occupation de l’immeuble sise au n° XX de l’avenue Lomami, quartier Makutano,
dans la Commune de Lubumbashi, à Lubumbashi et que l’assigné a versé au
requérant, le 05 janvier 2007, la somme de 12.000 $US couvrant la durée de 5 ans du
bail, soit 200 USD par mois.
Attendu qu’à partir du mois de janvier 2014, le requérant est surpris de constater
que l’assigné n’a pas versé le loyer de vingt-quatre mois équivalent à 4 800 USD.
Attendu que le comportant de l’assigné constitue une faute, étant une violation de
la clause du contrat de bail ;
Attendu que l’assigné, pour conclure le contrat, avait fait usage d’une fausse
qualité pour persuader le requérant d’accepter le contrat ;
Compétence matérielle : Il s’agit ici d’une contestation portant sur la validité d’un bail.
Et pour ces genres de contestation, l’article 127 de la loi organique détermine la
compétence matérielle en cumulant les loyers pour toute la durée du bail. Dans le cas
d’espèce, le loyer est de 12. 000 USD soit 11 040 000 CDF (onze millions quarante mille
francs congolais). Cependant, l’article 110, alinéa 2, de la loi organique attribue la
compétence matérielle aux tribunaux de paix sur les contestations susceptibles
d’évaluation pour autant que leur valeur ne dépasse pas deux millions cinq cent mille
francs congolais. Le montant du cumul de loyer, dans le cas sous examen, est supérieur à
celui prévu à l’article sus évoqué. Partant, cette contestation est de la compétence du
tribunal de grande instance.
22
Conclusion
La compétence matérielle entre les cours et tribunaux n’est pas repartie par la loi
organique en vertu des objets de la demande, mais suivant les contestations. Et le
déguerpissement n’est cependant pas une contestation ; il est par contre un objet de
la demande qui résulte d’une contestation. Si on aborde la question de la compétence
matérielle en considérant le déguerpissement comme une contestation, on aboutira à
une conclusion erronée en se fondant sur l’article 112 de la loi organique qui dispose
que les tribunaux de grande instance connaissent de toutes les contestations qui ne sont pas
de la compétence des tribunaux de paix. Il résulte alors de l’approche qu’on mobilise
pour aborder la thématique « déguerpissement » qui déterminera la compétence
matérielle. Mais, il faut retenir que le déguerpissement est un objet de la demande.
L’analyse de la question de savoir, quelle est la juridiction compétente pour statuer
sur la demande en déguerpissement, nous a conduit à passer en revue les différentes
juridictions civiles de l’ordre judiciaire ainsi que leur compétence matérielle. En
outre, l’examen des différentes contestations, qui peuvent conduire au
déguerpissement ou à l’expulsion des personnes, a permis de retenir les conflits
fonciers collectifs ou individuels régis par la coutume ou le droit écrit ainsi que les
contestations sur la validité ou la résiliation d’un bail.
Ces contestations donnant lieu au déguerpissement ne sont pas de la compétence
exclusive d’une seule juridiction. La demande en déguerpissement est un objet de la
demande concurrente. C’est-à-dire, les tribunaux de paix et les tribunaux de grande
instance sont compétents pour connaître chacun dans les limites de sa compétence la
demande en déguerpissement.
Les tribunaux de paix connaissent les actions en déguerpissement qui se rapportent
aux conflits fonciers régis par la coutume et à la validité ou à la résiliation du bail
pour autant que le cumul des loyers pour toute la durée du bail (cas de validité) ou à
échoir (en cas de résiliation) soit inférieur ou égal à deux millions cinq cent mille
francs congolais.
Tandis que les tribunaux de grande instance connaissent, au premier degré, les
actions en déguerpissement liées aux conflits fonciers régis par le droit écrit ainsi
qu’aux contestations portant sur la validité ou la résiliation d’un bail pour autant que
le cumul des loyers pour toute la durée du bail ou à échoir soit supérieur à deux
millions cinq cent mille francs congolais.
C’est donc, la nature du fonds sur lequel porte la contestation d’une part et, le
montant du cumul des loyers pour toute la durée du bail ou à échoir, d’autre part,
qui déterminent la compétence matérielle.
24
Bibliographie
Textes légaux et règlementaires
1. Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que
modifiée à ce jour.
2. Décret du 30 juillet 1888 portant des contrats ou des obligations conventionnelles,
in Code Larcier, Tome I, Larcier 2003, pp. 149-179.
3. Loi n°011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier en République
démocratique du Congo.
4. Loi n°73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés telle que modifiée à ce jour.
5. Loi n°87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille.
6. Loi organique n° 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement
et compétences de juridictions de l’ordre judiciaire.
7. Nouveau code de procédure civile Luxembourgeoise.
8. Ordonnance n°89-13 du 23 juin 1989 portant création des tribunaux de paix dans
les territoires de la république.
Jurisprudence
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