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UNESCO

Trafic illicite et restitution des biens culturels

Pour le retour, à ceux qui l'on créé, d'un patrimoine culturel irremplaçable

Appel de M. Amadou-Mahtar M'Bow, Directeur général de l'UNESCO, 7 juin 1978

Le génie d'un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine
culturel que constitue, au fil des siècles, l'œuvre de ses architectes, de ses sculpteurs, de
ses peintres, gravures ou orfèvres - de tous les créateurs de formes qui ont su lui donner
une expression tangible dans sa beauté multiple et son unicité.

Or, de cet héritage où s'inscrit leur identité immémoriale, bien des peuples se sont vu ravir, à
travers les péripéties de l'histoire, une part inestimable.

Eléments architecturaux, statues et frises, monolithes, mosaïques, poteries, émaux, jades,


ivoires, ors gravés, masques - de l'ensemble monumental aux créations de l'artisan, les
œuvres enlevées égaient plus que des décors ou des ornements : elles portaient
témoignage d'une histoire, l'histoire d'une culture, celle d'une nation dont l'esprit se
perpétuait, se renouvelait en elles.

Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n'ont pas seulement été dépouillés de
chefs-d'œuvre irremplaçables: ils ont été dépossédés d'une mémoire qui les aurait, sans
doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre les
autres.

Aujourd'hui une spéculation effrénée, qu'attisent les prix pratiques sur le marché des œuvres
d'art, pousse encore trafiquants et pilleurs à exploiter l'ignorance locale, à tirer parti de toute
complicité offerte. Dotés de moyens considérables, asservissant la technique à leur cupidité,
des pirates modernes dégradent et dévalisent, en Afrique, en Amérique latine, en Asie, en
Océanie, en Europe même, les sites archéologiques que les hommes des science ont à
peine mis au jour.

Ces biens de culture qui sont partie de leur être, les hommes et les femmes de ces pays ont
droit à les recouvrer.

Ils savent, certes que la destination de l'art est universelle; ils sont conscientes que cet art
qui dit leur histoire, leur vérité, ne l'a dit pas qu'à eux, i pour eux seulement. Ils se réjouissent
que d'autres hommes et d'autres femmes, ailleurs, puissent étudier et admirer le travail de
leurs ancêtres. Et ils voient bien que certaines œuvres partagent depuis trop longtemps et
trop intimement l'histoire de leur terre d'emprunt pour qu'on puisse nier les symboles qui les
y attachent et couper toutes les racines qu'elles y ont prises.

Aussi bien ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au
moins les trésors d'art les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le
plus d'importance, ceux dont l'absence leur est psychologiquement le plus intolérable.

Cette revendication est légitime.

L'UNESCO, que son Acte constitutif charge de veiller à la conservation et à la protection du


patrimoine universel d'œuvres d'art et de monuments d'intérêt historique ou scientifique,
s'emploie à promouvoir l'action requise en la matière.

Le retour des biens culturels aux pays qui les ont perdus continue, toutefois, de poser des
problèmes particuliers que les accords négociés et les actions spontanées ne suffisent pas à

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résoudre. Il est donc apparu nécessaire d'aborder ces problèmes en tant que tels, dans leur
principe et dans leur ensemble.

C'est pourquoi, au nom de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la
culture, qui m'en a confié le mandat :

J'appelle solennellement les gouvernements des Etats membres de l'Organisation à conclure


des accords bilatéraux prévoyant le retour des biens culturels aux pays qui les ont perdus; à
promouvoir prêts à long terme, dépôts, ventes et donations entre institutions intéressées en
vue de favoriser un échange international plus juste des biens culturels; à ratifier, s'ils ne
l'ont pas encore fait et à appliquer avec rigueur la Convention qui leur donne les moyens de
s'opposer efficacement aux trafics illicites d'objets d'art et d'archéologie.

J'appelle tous ceux qui ont mission d'informer -journalistes, chroniqueurs de la presse écrite
et parlée, programmateurs et auteurs d'émissions télévisées et de films - à susciter dans le
monde un vaste et fervent mouvement d'opinion pour que le respect des œuvres d'art se
traduise, chaque fois qu'il le faut, par le retour de ces œuvres à leur terre natale.

J'appelle les organisations culturelles et les associations de spécialistes de tous les


continents à contribuer à la formulation et à l'application d'une éthique plus stricte de
l'acquisition et de la conservation des biens culturels et à la révision progressive des codes
déontologiques professionnels en la matière, s'inspirant en cela l'initiative du Conseil
international des musées.

J'appelle les universités, les bibliothèques, les galeries d'art publiques et privées et les
musées qui ont les collections les plus significatives à partager largement les biens qu'ils
détiennent avec les pays qui les ont crées et n'en possèdent, quelquefois, même plus un
seul exemplaire.

J'appelle aussi celles de ces institutions qui détiennent plusieurs objets ou documents
semblables, à se défaire au moins d'un objet et à le renvoyer dans son pays d'origine, pour
que de jeunes générations ne grandissent pas sans avoir jamais eu la possibilité de voir de
près une œuvre d'art ou une création artisanale de qualité fabriquée par leurs ancêtres.

J'appelle les auteurs de livres d'art et les critiques d'art à dire combien une œuvre gagne en
beauté et en vérité, pour le profane autant que l'érudit, quand il la redécouvre dans le cadre
naturel et social où elle a été conçue.

J'appelle les techniciens de la conservation et de la restauration à faciliter, par leurs conseils


et par leur action, le retour d'œuvres d'art dans les pays qui les ont créées et à rechercher
avec imagination et persévérance de nouveaux moyens de les préserver et de les présenter,
lorsqu'elles auront été replacées dans leur contrée d'origine.

J'appelle les historiens et les éducateurs à faire comprendre la blessure que peut ressentir
une nation devant la rafle de ses œuvres. Survivance des temps de barbarie, la force du fait
accompli constitue un élément de rancœur et de discorde qui nuit à l'établissement d'une
paix durable et à l'harmonie entre les nations.

Enfin, je m'adresse avec une émotion et un espoir particuliers aux artistes eux-mêmes, aux
écrivains, aux poètes, aux chanteurs pour les convier, partout, à témoigner que les peuples
ont besoin aussi d'exister dans l'imaginaire.

Il y a deux mille ans, l'historien grec Polybe nous invitait à ne plus faire du malheur des
autres peuples l'ornement de notre patrie.

Aujourd'hui, tous les peuples étant reconnus égaux en dignité, je suis convaincu que la
solidarité internationale peut au contraire aider concrètement au bonheur général de
l'humanité.
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Restituer au pays qui l'a produit telle œuvre d'art ou tel document, c'est permettre à un
peuple de recouvrer une partie de sa mémoire de son identité, c'est faire la preuve que, dans
le respect mutuel entre nations, se poursuit toujours le long dialogue des civilisations qui
définit l'histoire du monde.

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