La Pluannualité
La Pluannualité
La Pluannualité
Depuis les années 1990, les finances publiques connaissent de profondes transformations, les
faisant entrer très certainement dans une ère de modernité résultant d’une plus grande prise en
compte de leur éfficacité au regard des objectifs qu’elles entendent servir. Pour se faire, elles
opèrent d’abord par introspection, repli sur elles-mêmes en mettant en place des procédures
de gestion comptable et financière n’ayant rien à envier aux agents économiques privés. Et
elles procèdent en même temps par extériorisation, c’est-à-dire ouverture sur leur
environnement pour optimiser l’utilisation des deniers publics et améliorer leur impact. Dans
ce cadre, les techniques classiques s’assouplissent, tels les principes budgétaires
développement de la pluriannualité, émergence de la sincérité budgétaire, modification de la
substance du principe de spécialité, tensions sur les principes d’unité par la multiplication des
acteurs financiers publics65.
Les principes budgétaires sont solides et souples car ils résistent à des tensions quasi
permanentes. Il faut toutefois se demander si les pressions parfois très fortes qu’ils subissent
actuellement, contribuent à les renforcer ou bien vont elles les amener à se transformer voire à
être remplacés par de nouveaux principes sensés mieux correspondre aux « finances publiques
post-moderne »66.
Depuis deux siècles, les principes budgétaires qui se déclinent par le « carré magique » de
l’annualité budgétaire, de l’unité budgétaire, de la spécialité budgétaire et de l’universalité
budgétaire, ont évolué pour s’assouplir. Cette évolution s’explique par le développement des
mesures d’amélioration de la gestion des finances publiques et l’émergence de nouvelles
préoccupations qui ambitionnent d’être consacrées en nouveaux principes budgétaires venant
soit en concurrence soit en renforcement des principes classiques.
Le problème de la pluriannualité dans notre droit budgétaire est présenté généralement dans
les termes suivants l’annualité est la règle, la pluriannualité est l’exception. En effet,
l’annualité est un des quatre principes budgétaires, elle fixe la règle selon laquelle le budget
décrit l’ensemble des recettes et dépenses de l’Etat pour une année, ce principe régissant aussi
bien la durée de l’autorisation budgétaire que l’exécution du budget lui-même. Mais dans les
faits, l’essentiel de la loi de finances est constitué d’engagements pluriannuels implicites
comme le paiement du traitement et de la retraite des fonctionnaires ou la charge de la dette.
Ainsi, bien que l’autorisation parlementaire soit formellement annuelle, les dépenses de l’Etat
sont le plus souvent pluriannuelles par nature. Le budget de l’Etat comporte donc
nécessairement une forte part de pluriannualité69.
Cette pluriannualité trouve ses origines dans la nécessité ressentie par les gouvernements de
s’adapter aux dimensions croissantes du secteur public, d’influer sur l’activité économique, et
en raison aussi des incidences à long terme des décisions du moment70.
Le principe d’annualité budgétaire qui s’applique sous la forme d’un vote du budget constitue
un fondement essentiel de la démocratie parlementaire. Il donne une forte substance au
consentement du peuple à l’impôt, consacré par la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789. Il vise à assurer le contrôle parlementaire sur l’action du gouvernement71.
Historiquement, le principe de l’annualité fut le premier des principes à s’imposer. Dégagé en
Angleterre au XVIIe siècle et il découle implicitement, en France, de la règle du
consentement annuel des impôts, posée par la Constitution de 179172.
Dans son sens le plus large, ce principe signifie que les prévisions et les autorisations
budgétaires, ainsi que l’exécution de la loi de finances sont enfermées dans le délai d’un an
(exercice budgétaire). De façon plus schématique, on dit souvent que la loi de finances ne
produit d’effet que pendant un an. Les articles 1er, 6,15 et 26 de la LOLF se réfèrent au
principe de l’annualité budgétaire73.
– D’abord, historiquement, cette règle a été imposée pour des raisons politiques, permettre au
parlement d’exercer un contrôle régulier sur les finances publiques ;
– Ensuite, pour des raisons techniques dans la mesure où la loi de finances est fondée sur des
prévisions, les autorisations qu’elle contient ne peuvent, pour des raisons de précision, couvrir
une période plus longue, sous peine que l’écart entre les prévisions et les résultats effectifs ne
soit important ;
– Et, enfin, pour des raisons économiques à l’époque où le droit budgétaire s’élabore,
l’agriculture se trouvait au cœur de l’activité économique donc elle assurait l’essentiel des
recettes budgétaires. Or, comme elle était soumise au rythme annuel, c’est tout naturellement
que le cycle budgétaire s’est calqué sur le cycle agricole dont il dépendait étroitement74.
Presque tous les pays appliquent la règle de l’annualité budgétaire mais tous n’ont pas choisi
la même date de départ de l’année financière, l’article 1er de la LOLF précisant que l’exercice
budgétaire s’étend sur une année civile, ce dernier débute le 1er janvier et s’achève le 31
Décembre. En Grande Bretagne et au Japon l’année budgétaire court dès le 1er avril, aux
Etats-Unis dès le 1er octobre, et en Australie dès le 1er juillet75.
L’annualité budgétaire est rigide, empêche d’adapter les gestions aux contingences
quotidiennes et provoque de surcroît une rupture de fin d’exercice faisant obstacle à la
continuité de la gestion ainsi qu’aux programmations dépassant l’horizon annuel. Toutes ces
raisons justifient des aménagements à l’annualité budgétaire par un certain nombre de
mécanismes qui s’efforcent de sauvegarder la périodicité de l’autorisation parlementaire.
En France, si la réforme organique a supprimé « les services votés » qui, pour l’Etat,
constituent « le minimum de dotation que le gouvernement juge indispensable pour
poursuivre l’exécution des services publics, dans les conditions qui ont été approuvées l’année
précédente par le parlement »76, il n’empêche que subsistent encore de nombreuses
dérogations à l’annualité
– Modification en cours d’exercice par les lois de finances rectificatives, seules de telles lois
peuvent corriger et compléter les dispositions de la loi de finances initiale. Elles sont
obligatoires en cas de bouleversement des grandes lignes de l’équilibre économique et
financier déterminé par la loi de finances initiale77 ;
– Les transitions entre exercices, une autre dérogation à l’annualité, des dépenses peuvent être
engagées sur les crédits de l’année suivante dans les conditions prévues par la loi de finances
et, une période complémentaire dont la durée ne peut excéder 20 jours permet de
comptabiliser des dépenses et des recettes. C’est l’article 9 de la LOLF qui prévoit cette
technique appelée engagement des dépenses par anticipation. L’article 29 de la LOLF a
introduit cette période complémentaire de 20 jours79 ;
– Et comme 3eme modalité de dérogation à l’annualité, la pluriannualité budgétaire en est
certainement la plus développée qui s’efforce de concilier le respect de l’annualité budgétaire
et la prévision-programmation dans l’utilisation des fonds publics80.
Habituellement, les normes et objectifs budgétaires globaux sont fixés pour plusieurs années,
et pas seulement pour l’exercice suivant immédiatement. Cette dimension pluriannuelle est
essentielle car, pour faire correspondre le budget à des objectifs acceptables, il faut
habituellement opérer par étapes, le budget de chaque exercice progressant un peu vers
l’objectif fixé. La budgétisation pluriannuelle représente le pont entre les objectifs globaux à
moyen terme et les budgets annuels. La budgétisation pluriannuelle est également devenue un
instrument de réforme de la gestion financière dans plusieurs pays de l’OCDE qui ont essayé
d’améliorer l’efficacité et l’efficience dans le secteur public en restructurant leurs pratiques
budgétaires81.
Michel BOUVIER, dans son livre « finances publiques », distingue entre deux mécanismes de
pluriannualité, il parle donc de mécanismes implicites la pluriannualité masqué, et de
mécanismes volontaires la pluriannualité organisés.
A/ La pluriannualité masquée
– La création d’emplois nouveaux dans la fonction publique lorsque l’Etat crée un emploi
budgétaire, et recrute sur le poste ainsi créé, il prend en fait un engagement pluriannuel,
puisqu’il s’engage à payer le traitement et la retraite du fonctionnaire pour une très longue
durée ;
– La charge de la dette publique lorsque l’Etat émet un emprunt, il s’engage à en régler les
intérêts pour toute la durée des annuités. Par voie de conséquences on peut dire que la
pluriannualité est la conséquence nécessaire d’un déficit budgétaire ;
– Les bonifications d’intérêts en favorisant l’octroi de prêt à des taux privilégiés, l’Etat allège
la charge du débiteur pour toute la durée de prêt, en réglant à sa place une partie des intérêts.
Même si l’autorisation parlementaire est formellement annuelle, les dépenses de l’Etat sont le
plus souvent pluriannuelles par nature et l’essentiel de la loi de finances est constituée
d’«engagements pluriannuels occultes ». Sans craindre et céder au paradoxe, on pourrait
aisément retourner la formulation habituelle du principe.
B/ La pluriannualité organisée
Le budget de l’Etat comporte nécessairement une forte part de pluriannualité qui se concrétise
dans le cadre des reports de crédits. Cette technique porte directement atteinte au principe
d’annualité, puisqu’elle offre à un service la possibilité d’utiliser, l’année suivante, le reliquat
des crédits inutilisés au cours de l’année d’autorisation. Longtemps prohibée, elle a
finalement été admise dans de strictes limites, car elle évite le gaspillage des crédits par les
administrations en fin d’année87.
Sont disponibles sur un programme qui peuvent être reportées. Dans la nouvelle loi
organique, et comme on l’a déjà mentionné, les crédits sont regroupées par programme au
sein d’une mission. Ceci signifie que la prévision budgétaire sera, en principe, pluriannuelle
car le programme s’étalera généralement sur plusieurs années. Il en ira de même de
l’exécution les autorisations d’engagement disponibles sur un programme à la fin de l’année
pourront être reportées sur le même programme (ou, à défaut, sur un programme poursuivant
les mêmes objectifs)89.
Plus précisément, cela consiste pour l’assemblée délibérante à voter d’abord le montant global
d’autorisations de programme qui « constituent la limite supérieure des dépenses que les
ministres sont autorisés à engager pour l’exécution des investissements prévus par la loi » cela
permet à l’administration tout à la fois d’obtenir l’accord sur le coût global de
l’investissement et de prendre toute décision correspondant à la réalisation de l’équipement
concerné. Ensuite, dans chacun des budgets successifs, seront votés les crédits de paiement
(CP) correspondants.
Constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être ordonnancées ou payées pendant
l’année pour la couverture des engagements contractés dans le cadres des autorisations de
programme90.
Ces CP disponibles sur un programme, y compris ceux relatifs à des dépenses de personnel,
peuvent être reportés par arrêté conjoint du Ministre de l’Economie et des Finances et du
ministre intéressé. En revanche, les conditions du report sont plus contraignantes que celles
imposées aux AP. La LOLF retient une double logique une logique de « bloc à bloc » dans la
mesure où les reports doivent majorer les crédits de titres d’un même programme ou d’un
programme poursuivant les mêmes objectifs ; une logique de limitation car le report ne doit
pas dépasser 3% du montant des crédits du (des) titres (s) à l’origine du report.
La troisième forme des reports des crédits concerne les fonds de concours, définis comme des
ressources de caractère non fiscal versés par des personnes morales ou physiques (quelle que
soit leur nationalité) pour financer des dépenses d’intérêt public, ou les produits de legs et
donations attribués à l’Etat. Si les crédits d’un programme ou d’une donation correspondant
aux fonds de concours sont disponibles à la fin de l’année, le report des crédits est
automatique report sur un même programme ou un programme poursuivant les mêmes
objectifs.
De même pour les comptes spéciaux de trésor, le solde de chacun de ces derniers est reporté
automatiquement, sur l’année suivante, à son profit, sauf disposition contraire de la loi de
finances91.
Aussi, et comme une autre technique de pluriannualité organisée, les lois de programmes
constituent une sorte d’échelon intermédiaire dans la mise en place de mécanismes financiers
destinés à permettre la réalisation de travaux d’équipement s’échelonnant sur plusieurs
années92.
– Elles se situent en dehors du cadre budgétaire proprement dit. Les lois de programme n’ont
pas le caractère de lois de finances. Ce sont des textes législatifs ordinaires, votés par le
parlement selon la procédure courante ;
– Elles ont pour but d’instituer, dans certains secteurs, une politique pluriannuelle
d’investissements, située en quelque sorte à mi-chemin entre le plan qui est une prévision
d’ensemble, et les AP qui engagent véritablement la dépense ;
– Elles sont dépourvues de toute force obligatoire sur le plan financier par elle- même, elles
n’ouvrent aucun crédit, elles se bornent à établir des prévisions que les lois de finances
annuelles devront rendre exécutoire.
On ajoutera enfin qu’une société qui exclue toute réflexion politique de fond sur elle-même
est une société qui est dans l’incapacité de se donner un projet. Or une société sans projet,
sans prévision et sans programmation des moyens à mettre en œuvre, est une société sans
grand avenir93.
Un cadre budgétaire pluriannuel est un outil de gestion des ressources publiques qui exprime
les grandes orientations, les priorités et les prévisions de recettes et de dépenses sur un
horizon excédant douze mois soit un exercice.
– Les budgets d’équipement des ministères présentés dans le PBE qui incluent les AP des
projets d’équipement par secteurs portant sur un horizon de plus d’un an.
Toutefois, un consensus international se dégage du fait que l’horizon annuel est trop court et
empêche la gestion efficace des dépenses publiques.
En effet, sur une base annuelle, les décisions d’affectation des ressources sont prises, sans une
vue d’ensemble et sans tenir compte des répercutions des décisions antérieures et présentes
au-delà de l’année budgétaire96.
Ce choix envisagé par le Gouvernement algérien suit les recommandations des organismes
internationaux et la tendance de la majorité des pays membres de l’OCDE.
Il est pertinent pour renforcer cette position, de souligner les principales forces de ce choix97.
– Il permet de fixer les objectifs globaux de la politique budgétaire du pays sur un horizon
excédant un an, ce qui donne une meilleure vision de la situation des finances publiques ;
Lire le mémoire complet ==> La gestion axée sur le résultat en matière de préparation du Budget en
Algérie
_________________________________
65 Henry-Michel CRUCIS « finances publiques » focus droit, montchrestien 2003. p, 161.
66 Idem. p, 186.
67 Jean LIENERT « existe-il un modèle standard de gestion publique ? » Réformes des finances
publiques. Démocratie et Bonne Gouvernance. L.G.D.J 2004. P, 116.
69 Idem.
71 Étude menée sur la réforme de l’ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi
organique relative aux lois de finances. ( www.senat.fr)
89 « Les grands principes du droit budgétaire ». Les Finances de l’Etat. Fiche n°4. p, 5.
www.sffp.asso.fr/finances_publiques/finances_publiques/fiche4.htm
95 Rapport sur les options de budgétisation. Projet MSB, Sous- composante 1-1. P, 3-20.
97 Rapport sur les options de budgétisation. Projet de modernisation des systèmes budgétaires.
Sous- composante1-1. P, 25.
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