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Pharaons Noirs. Sur La Piste Des Quarant PDF

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PHARAONS NOIRS.

SUR LA PISTE DES QUARANTE JOURS • MUSÉE ROYAL DE MARIEMONT 2007


Photo de couverture : Ouvrage édité à l’occasion
Oushebti de Senkamanisken,
de l’exposition organisée
643-623 av. J.-C., Nouri
© Musées royaux d’Art et d’Histoire du 9 mars au 2 septembre 2007
de Bruxelles. Photo M. Lechien par le Musée royal de Mariemont

ISBN: 2-930469-06-4 Photographie


et traitement de l'image
Dépôt légal : D/2007/0451/113 Michel Lechien

© Musée royal de Mariemont, Mise en page


Belgium Claudine Werquin-Lacroix

Impression
Bietlot, Gilly
PLU 1558

PHARAONS NOIRS
SUR LA PISTE DES QUARANTE JOURS
PHARAONS NOIRS
Sur la Piste des Quarante Jours

MUSÉE ROYAL DE MARIEMONT


2007
PRÉFACE

L’Égypte et le Soudan sont intimement liés par le Nil, source de toute vie. Route immense prédesti-
née au commerce et au voyage, qu’il faut pourtant contourner à hauteur des cataractes: c’est alors
que le Darb al-Arba’în devient son prolongement et son double, aussi aride que le fleuve est
luxuriant et fluide.

Cette «Piste des Quarante jours», magnifiquement évoquée dans cette exposition, rappelle
l’impitoyable difficulté de la traversée du désert. Son nom même l’inscrit directement dans le mythe:
depuis la plus haute Antiquité, le nombre quarante symbolise l’épreuve dont on sort transformé, la
rencontre féconde du divin dans la solitude du désert. Il faut aux Hébreux quarante années d’errance
au Sinaï avant de pénétrer en Terre Promise; Moïse, Élie et Jésus se retirent au désert pendant
quarante jours avant d’accomplir leur mission. Dans la tradition coranique, c’est au quarantième jour
que l’embryon dans le sein maternel se voit attribuer son âme et son destin, au quarantième jour
que l’âme du défunt rompt les derniers liens avec son corps...

Lieu de tous les dangers, la caravane est aussi lieu de rencontres, d’échanges, de transmission
des cultures. C’est à l’étape d’une caravane au Soudan que le célèbre anthropologue
Léo Frobenius, en 1912, recueille les légendes où le vieux capitaine de ses chameliers,
Arash-ben-Hassul, fait revivre le passé royal de la Nubie, du Kordofan, du Darfour et de l’Éthiopie…

Isaïe évoquait déjà cette «terre bruissante d’ailes» et ce «peuple de haute stature, à la peau luisante»,
cette «nation redoutée bien au loin, dont le pays est sillonné de fleuves» (Isaïe, 18, 1-2). Les cultures
très importantes – pharaonique, chrétienne et musulmane – qui y ont vu le jour, méritent d’être mieux
connues du grand public. J’ai eu le privilège de pouvoir en contempler un merveilleux exemple
en visitant les pyramides de Méroé. Cette inoubliable nécropole de pharaons noirs, d’une pureté
minérale, illustre brillamment la fertilisation mutuelle de l’Égypte, de la Nubie et du Soudan.

C’est l’immense mérite de Marie-Cécile Bruwier, commissaire de l’exposition, directrice scientifique


du Musée royal de Mariemont et de Luc Limme, Chef de la section Égypte, Proche-Orient, Iran
des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles – qui a prêté à Mariemont de nombreux objets
exposés ici – d’attirer notre attention sur les aspects méconnus du dialogue entre l’Égypte et le
Soudan, pourtant essentiel à leur développement économique et culturel au cours des millénaires.
L’enthousiasme de Madame Bruwier, que j’ai eu le plaisir de rencontrer au Caire, est communicatif.
Je ne peux que me réjouir de la reconnaissance accordée à sa compétence scientifique et
à son formidable travail par le Musée natioinal du Soudan à Khartoum, qui a accepté de prêter
des pièces essentielles, complétant magnifiquement celles des collections du British Museum
et des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles.

Au nom des visiteurs qui auront la chance d’être invités à ce fabuleux voyage dans l’Histoire
et dans le Temps, qu’ils en soient tous remerciés.

Guy TROUVEROY
Directeur Afrique, Ministère des Affaires Étrangères
Ancien Ambassadeur de Belgique en Égypte et au Soudan.

5
LES AUTEURS
Coordination générale et édition scientifique Paul DUBRUNFAUT, Attaché au Musée Royal de l’Armée,
du catalogue Titulaire des collections d’armes à feux (PD)
Marie-Cécile BRUWIER, Directrice scientifique du Musée royal Vincent FRANCIGNY, Chercheur pensionnaire Section Française
de Mariemont de la Direction des Antiquités du Soudan (© Elnour)
Guido CREEMERS, Conservateur du musée provincial Gallo-
Textes romain de Tongres (GC)
Raymond BETZ Else HARTOCH, Responsable de la gestion de la collection
Charles BONNET, Membre de l’Institut, archéologue du Canton du musée provincial Gallo-romain de Tongres (EH)
de Genève, responsable des fouilles de Kerma, Directeur Arnaud QUERTINMONT (AQ)
du site de Kerma Claude RILLY, Chargé de recherches au CNRS - LLACAN
Marie-Cécile BRUWIER (Langage, Langues et Cultures d’Afrique noire) (CR)
Albert BURNET Olivier PERDU, Chercheur auprès de la Chaire de Civilisation
Jeannine CALLEWAERT pharaonique du Collège de France (OP)
Michel DEWACHTER, Ingénieur de Recherche au CNRS, Frédéric VAN DE VIJVER, Bibliothécaire (FV)
Université de Paris IV-Sorbonne
Jean-Charles DUCÈNE, Chargé de cours à l’Université Libre de Traduction de textes
Bruxelles
Pascale PILAWSKI ; Dominique BAUTHIER ; André P. LE BLANC
Nora FERRERO, Collaboratrice scientifique, Mission
archéologique au Soudan (Kerma) Adaptation des textes
Brigitte GRATIEN, Directeur de recherche au CNRS, Danielle VANDENBORNE
HALMA-IPEL, Université de Lille 3
Claude IVERNÉ, Photographe documentaire Cartes
Olivier LEBLEU, Journaliste et écrivain Alain WERQUIN (sauf indication contraire)
Danièle MICHAUX-COLOMBOT, Docteur en philologie, Université
Catholique de Paris Crédits photographiques
Claude OBSOMER, Professeur à l’Université Catholique © British Museum (Londres) : cat. 5, 60, 69, 70, 75-77, 99-103
de Louvain-la-Neuve © Collection IPEL, Université de Lille 3 (Lille).
Arnaud QUERTINMONT, Historien de l’art et archéologue, Clichés G. NAESSENS, dépôt Lille,
collaborateur scientifique Musée des Beaux-Arts : cat. 7-9, 18, 25, 30, 33, 35, 87
Marguerite RASSART-DEBERGH, Archéologue et historienne de © Musées royaux d’Art et d’Histoire (Bruxelles).
l’art, Membre permanent de la Mission suisse d’archéologie Clichés M. LECHIEN : cat. 10-17, 19-23, 29, 36, 41-43, 46-47,
copte 53-59, 61-68, 72-74, 80, 82-86, 89-90, 97
Heiko RIEMER, Préhistorien, archéologue, membre de l’unité © NCAM (Khartoum) : cat. 1, 2, 4, 26, 27, 71, 79, 88, 98
de recherche ACACIA, Université de Cologne © Provinciaal Gallo-Romeins Museum (Tongeren)
Aminata SACKHO-AUTISSIER, Collaborateur scientifique, section Clichés G. SCHALENBOURG : cat. 91-93
Nubie-Soudan du Département des antiquités égyptiennes
du Musée du Louvre
Jean TRINQUIER, Maître de conférences HALMA-IPEL-UMR
8164 (CNRS, Lille 3, MCC)
Xavier VAN DER STAPPEN, Président de l’Association Cultures
et Communications
Gustaaf VERSWIJVER, Conservateur à la section d’ethnographie
du Musée royal de l’Afrique Centrale à Tervueren

Coordination des notices


Arnaud QUERTINMONT

Notices
Marie-Cécile BRUWIER (MCB)
Claire DERRIKS, Chef de travaux, Conservatrice des antiquités
égyptiennes et proche-orientales (Musée royal de Mariemont)
(CD)
Gilles DOQUIER, Historien (GD)

6
REMERCIEMENTS
Le Musée royal de Mariemont, établissement scientifique Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire
de la Communauté française de Belgique, relève de l’autorité (Bruxelles)
du Ministre de la Culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse, Philippe THILLY, Directeur
Madame Fadila LAANAN. Paul DUBRUNFAUT, Titulaire des collections d’armes à feu

Pour cette exposition, le Musée royal de Mariemont Bibliothèque des Sciences Humaines de l’UCL
a bénéficié du précieux soutien de: (Louvain-la-Neuve)
Monsieur Ali Yousif AHMED, Ambassadeur du Soudan en Jean GERMAIN, Directeur
Belgique;
Monsieur Guy TROUVEROY, Directeur Afrique au Ministère des Bibliothèque Royale Albert Ier (Bruxelles)
Affaires Étrangères, ancien Ambassadeur de Belgique en
Patrick LEFÈVRE, Directeur général
Égypte et au Soudan;
Monsieur Daniel LEROY, Ambassadeur de Belgique en Égypte
Universiteitsbibliotheek (Gent)
et au Soudan;
Monsieur Claude MISSON, Directeur général à l’Institut Royal Sylvia VAN PETEGHEM, hoofdbibliothecaris
des Relations Internationales.
L’Association Cultures et Communications
Le Musée royal de Mariemont remercie cordialement les Xavier VAN DER STAPPEN, président
responsables des musées et collections publiques qui ont
prêté leurs pièces, ainsi que les collectionneurs privés qui Le commissariat de l’exposition est assuré par Marie-Cécile
se reconnaîtront. BRUWIER avec le concours d’Arnaud QUERTINMONT.
Notre reconnaissance s’adresse à tous ceux, très nombreux,
qui nous ont aidés de leur soutien, de leurs compétences
Musée National du Soudan (Khartoum) et de leur amitié.
Hassan Hussein Idris AHMED, Director General Merci en particulier à:
(The National Corporation for Antiquities and Museums)
Raouf CAMILLE qui nous a transmis d’abondantes sources
Abd el Rahman Ali MOHAMED, Director of Museums d’information.
Abd el Rahman Abd el Fatah Ali SIDDIQA, Director Ingeborg STEENBEKE pour son aide précieuse.
of the Sudan National Museum
Denis GUILLAUME qui nous a fait partager sa grande
British Museum (Londres) connaissance du Soudan.

Vivian DAVIES, Keeper, Department of Ancient Egypt Vincent FRANCIGNY pour sa collaboration scientifique.
and Sudan Nous sommes redevables pour de nombreuses
Claire MESSENGER, Senior Administrator, Department photographies à:
of Ancient Egypt and Sudan Julie ANDERSON, Assistant Keeper Nadia ANTONOFF, Nicole BÈS, Raymond BETZ,
Jon BODSWORTH, Jacques BOËL, Albert BURNET,
Musées royaux d’Art et d’Histoire (Bruxelles) Monique DEKIMPE, Roger COSIJNS, Christian DE BRUYNE (†),
Anne CAHEN-DELHAYE, Directeur général des Musées royaux François GOURDON, Charles HENNEGHIEN, Michel LIZIN,
d’Art et d’Histoire, Luc LIMME, Chef de la section Égypte, Danielle VANDENBORNE.
Proche-Orient, Iran Nous remercions pour la documentation générale:
Laëtitia CHUDA, Aurélie PAULET, Charlotte LEJEUNE,
Provinciaal Gallo-Romeins Museum (Tongeren) Virginie PEETERS.
Guido CREEMERS, Conservateur au Provinciaal Gallo-Romeins
Museum, Tongres Réalisés par le Musée royal de Mariemont, l’exposition
Else HARTOCH, Responsable de la collection et le catalogue qui l’accompagne résultent d’un travail collectif.
Notre vive gratitude s’adresse à François MAIRESSE, Directeur,
Lille, Musée de L’Université de Lille III et à tous les membres du personnel, aux guides
Florence GOMBERT, Conservateur du patrimoine, et aux stagiaires.
Département des Antiquités, du Moyen Âge et de la
Renaissance, Palais des Beaux-Arts de Lille
Nathalie PFISTER, Assistante, Palais des Beaux-Arts
de Lille

Musée africain ASBL (Namur)


Paul RUYSSEN, Vice-président
Joseph VANDENBERGHE, Conservateur adjoint

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TA B L E D E S M AT I È R E S

13 Introduction
Marie-Cécile BRUWIER

16 Carte de la Haute et Basse Nubie

17 Chronologie

I. La Nubie soudanaise dans l’Antiquité : histoire et cultures


21 Clayton Rings et empilements de pierres: les premiers voyages en milieu désertique
dans le Sahara oriental
Heiko RIEMER

29 Royaumes du Soudan lointain


Brigitte GRATIEN

39 Les expéditions d’Herkhouf (VIe dynastie) et la localisation de Iam


Claude OBSOMER

53 L’empire nubien des Sésostris: Ouaouat et Kouch sous la XIIe dynastie


Claude OBSOMER

77 Le Royaume de Kerma
Charles BONNET et Nora FERRERO

83 Qui sont les Medjay et où était leur pays ?


Danielle MICHAUX-COLOMBOT

95 Les pharaons noirs et la XXVe dynastie égypto-kouchite


Aminata SACKHO-AUTISSIER

99 Époques Tardive et Chrétienne


Marguerite RASSART-DEBERGH

115 Catalogue des objets archéologiques

175 Essai photographique - Partie 1


Claude IVERNÉ

II. Regards sur la Nubie soudanaise depuis l’époque pharaonique


191 L’expérience égyptienne des Nubiens de l’Ancien Empire au Nouvel Empire
Marie-Cécile BRUWIER

8
217 L’Éthiopie vue de Grèce et de Rome aux époques hellénistique et romaine
Jean TRINQUIER

245 Le Darb al-arba’în à l’époque musulmane


Jean-Charles DUCÈNE

253 Quelques voyageurs occidentaux au Soudan oriental du 16e au 19e siècle


Claude IVERNÉ

261 Alexine Tinne, voyageuse intrépide et peu connue


Jeannine CALLEWAERT et Raymond BETZ

269 Les peuples nilotiques


Gustaaf VERSWIJVER

271 Du chat Kordofan au «défilé» de Napata: le regard des Européens du 19e siècle sur le Soudan
Michel DEWACHTER

279 Catalogue des livres et objets des 18e et 19e siècles

297 Essai photographique - Partie 2


Claude IVERNÉ

III. Sur les pistes avec les caravaniers...


311 Hommage aux ânes, précieux auxiliaires sur la route caravanière des siècles
Albert BURNET

319 Zarafa, première Girafe de France !


Olivier LEBLEU

327 Le dromadaire
Xavier VAN DER STAPPEN

331 Essai photographique - Partie 3


Claude IVERNÉ

9
AVERTISSEMENT LISTE DES ABRÉVIATIONS
La graphie des noms de lieux, des noms propres et des noms AEPHE Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études
communs varie selon les époques et les auteurs. Anc. Soc. Ancient Society
Annales HSS Annales Histoire, Sciences sociales
Noms de lieux, de régions, de sites ANRW Aufstieg und Niedergang der römischen Welt
APAW Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu
Abou Simbel, Ebsambul, Ibsamboul, Ibsambul,
Gottingen. Philosophische-Historische Klasse
Alodia, Aloa, Alwa
APF Archif fur Papyrusforschung und verwandte Gebiete
Assouan, Aswan
ASAE Annales du Service des Antiquités de l’Égypte
Assiout, Asyut
AUB (class) Annales Universitatis Budapsetinensis de Rolando
Chalfak, Shalfak
Eotvos nominatæ
Chendi, Shendi, Shendy
BCH Bulletin de correspondance hellénique
Darfour, Darfur, Dar Fur
BEFAR Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de
Dodécashène, Dodékaschoinos
Rome
Dongola, Dunqula, Dungala
BIFAO Bulletin de l’Institut Français d’Archéologie Orientale
Dongola el Agouz, Old Dongola
BSFÉ Bulletin de la Société française d’Égyptologie
Esna, Esne
CdÉ Chronique d’Égypte
Gebel Barkal, Djebel Barkal
CIL Corpus Inscriptionum Latinarum, Berlin, 1863-
Hammamat, Hammâmât
Coll. EFR Collection de l’École Française de Rome
Iam, Yam
CQ Classical Quarterly
Kaoua, Kawa
Khartoum, Khartum
CRAI Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et
Kobbé, Kobbay, Qobbay, Qobbé Belles Lettres
Kordofan, Qurdufan CRIPEL Cahier de Recherches de l’Institut de Papyrologie et
Kouban, Kuban, Qouban d’Égyptologie de Lille
Koumma, Kumma CRPOGA Centre de Recherche sur le Proche-Orient et la Grèce
Koush, Kouch, Kush, Couch antiques
el Kourrou, el Kurru Durrbach F. DURRBACH, Choix d’inscriptions de Délos, Paris,
Makouria, Makuria 1921
Massaoua, Massawa EPRO Études Préliminaires aux religions orientales dans
Méroé, Méroë l’Empire romain
Moussawarat, Mussawarat GM Göttinger Miszellen
Nobatie, Nobatia ID Inscriptions de Délos, Paris, 1926-1972
Nouba, nuba IFAO Institut Français d’archéologie Orientale
Nouri, Nuri IGR Inscriptiones græcæ ad res Romanas pertinentes,
Ouadaï, Wadai 4 vol., Paris, 1911-1927
Ouadi, Wadi ILS H. DESSAU, Inscriptiones Latinæ Selectæ, 3 vol.,
Ouaouat, Wawat Berlin, 1892-1916.
Qosseir, Quseir, Qusayr JARCE Journal of the American Research Center in Egypt
el Shab, el Sheb JEA Journal of Egyptian Archæology
Sennar, Sennâr, Sinnar JNES Journal of Near Eastern Studies
Sioua, Siwa, Syouah JRS Journal of Roman Studies
Souakin, Sawakin MDAIK Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Insti-
Tochka, Toshka tuts, Abteilung Kairo
MEFRA Mélanges de l’École Française de Rome: Antiquité
Noms propres et noms d’ethnies MH Museum Helveticum
MRSH Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen
Ababda, Ababdeh OGI Orientis Græci Inscriptiones
Amenhotep, Amenophis OGIS W. DITTENBERGER, Orientis Græci inscriptiones selectæ.
Bishari, Beshareen Edidit W.D., 2 vol., Leipzig, 1903-1905.
Chabaka, Shabaka Op. Ath. Opuscula Atheniensia
Chabataka, Shabataka PSBA Proceedings of the Society of Biblical Archæology
Chepenoupet, Shepenoupet QUCC Quaderni urbinata di cultura classica-Rome
Foung, fong, funj REG Revue des Études Grecques
Mehemet Ali, Mohammed Ali, Mohamed Aly REgypt Revue d’Égyptologie
Mentouhotep, Montouhotep SAK Studien zur Altägyptischen Kultur
Pepy, Pepi SB Sammelbuch griechischen Urkunden aus Ägypten
Tanoutamon, Tantamani V, Strasbourg, 1955
Touthmosis, Thoutmosis TAPhA Transactions and proceeding of the American
Philological Association
Noms communs UGAÄ Untersuchungen zur Geschichte und Altertumskunde
Cheikh, sheikh Ägyptens (Leipzig-Berlin)
Malik, melek Urk. K. SETHE, Urkunden des ägyptischen Altertums, 8 vols
Pacha, pasha ZAS Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde

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A V A N T- P R O P O S

Le Musée royal de Mariemont consacre une exposition inédite au Soudan et au désert occidental
de la Vallée du Nil moyen, en suivant l’une des pistes caravanières les plus célèbres de l’histoire,
le Darb al Arb’aîn, c’est-à-dire la « Piste des Quarante Jours ».

Les civilisations qui se sont développées au nord de la première cataracte du Nil, à Assouan,
frontière naturelle entre l’Égypte et le Soudan, font l’objet d’études savantes depuis 1822,
date de la naissance de l’égyptologie coïncidant avec le déchiffrement des hiéroglyphes.
Cependant, les cultures majeures dont la Haute Nubie a été le foyer, ne sont particulièrement mises
en lumière que depuis la seconde moitié du 20e siècle, suite au développement de l’archéologie
soudanaise. Pendant longtemps, divers obstacles ont freiné les recherches archéologiques dans la
région, notamment la difficulté de franchir les cataractes du Nil et la barrière géographique du
Batn el Hagar, le «ventre de pierre » au niveau de la deuxième cataracte. Toutefois, quelques
pionniers, tels G.W. Browne, au 18e siècle, ou Fr. Cailliaud, J.J. Burchkardt, et K.R. Lepsius,
au 19e siècle sont parmi les premiers Européens à décrire, dessiner et étudier les monuments
et les cultures au sud de la deuxième cataracte.

Au début du 20e siècle, la décision de construire un barrage à Assouan suscite une vaste
campagne de prospections centrées sur les temples condamnés à l’immersion.
Depuis les dernières décennies, les archéologues et les chercheurs du monde entier aux côtés
des spécialistes soudanais, font progresser considérablement la connaissance scientifique
des cultures du cours moyen du Nil en procédant à de minutieuses fouilles archéologiques
sur le terrain. Ils en ont présenté les résultats lors d’expositions temporaires récentes à Khartoum,
Paris, Londres et Barcelone.

C’est dire si la Direction Générale des Antiquités et des Musées du Soudan soutient activement
l’initiative du Musée royal de Mariemont en prêtant, et c’est la première fois en Belgique, des pièces
majeures du patrimoine national soudanais.

Puisse l’exposition « Pharaons noirs. Sur la Piste des Quarante Jours » contribuer à faire connaître
aux visiteurs le passé du plus grand pays d’Afrique et recueillir le succès mérité.

Hassan Hussein Idris AHMED


Directeur Général des Antiquités et des Musées du Soudan
(NCAM, The National Corporation for Antiquities and Museums)

11
INTRODUCTION

L’exposition «Pharaons noirs. Sur la Piste des Quarante Jours» évoque la Nubie soudanaise,
qui s’étend de la deuxième à la sixième cataracte du Nil. La Basse Nubie, en aval de Ouadi Halfa,
a été très tôt rattachée au domaine de l’Égypte pharaonique puis de l’Égypte moderne.
Seule, la Haute Nubie fait partie du Soudan actuel. Plus en amont, au-delà du confluent
entre le Nil Blanc et le Nil Bleu, commence le monde de l’Afrique noire.

Trois approches sont proposées simultanément au visiteur. L’exposition aborde tout d’abord
l’histoire ancienne et l’archéologie du Soudan. Elle traite ensuite du regard posé sur les peuples
de la Nubie soudanaise depuis l’antiquité, du troisième millénaire avant J.-C. aux premiers siècles
de notre ère, par les Égyptiens, les Grecs et les Romains. Cette seconde voie se poursuit par une
évocation de la christianisation du pays, sa rencontre ultérieure avec l’Islam ainsi qu’avec
l’Occident, de la Renaissance au 19e siècle. L’exposition retrace en troisième lieu les voies
de pénétration en Nubie soudanaise: le Nil et surtout son alternative, la voie désertique,
en particulier, le Darb al-Arba’în, la célèbre Piste des Quarante Jours.

Le regard offert ici, hélas unilatéral, est celui du monde méditerranéen et puis européen sur la Nubie
soudanaise. L’absence de sources écrites dans les cultures anciennes de la Haute Nubie nous prive
en grande partie du regard réciproque posé par les Nubiens et par les Soudanais, sur les sociétés
antiques, sur les Arabes et sur les Occidentaux qui ont déferlé dans leur pays.

Quelques grandes découvertes récentes de l’archéologie soudanaise mettent en évidence la


contribution essentielle à l’histoire de l’humanité des cultures développées entre la deuxième et la
sixième cataracte du Nil. Ceux que les Égyptiens appellent les Koushites demeurent, pendant
longtemps, sous l’emprise de leurs voisins septentrionaux. Des rapports ambivalents s’établissent
entre eux.

Selon l’idéologie prévalente à l’époque pharaonique, les Nubiens, en tant qu’étrangers, sont perçus
comme des ennemis potentiellement dangereux qu’il faut soumettre. Mais ils sont aussi les habitants
du pays d’où provient l’indispensable crue annuelle du Nil. C’est également chez eux que les
Égyptiens se procurent nombre de merveilles: l’or, l’ébène, l’ivoire, l’oliban, la myrrhe, tout autant
que les peaux de félins, et de nombreux animaux vivants tels que les troupeaux de bovins, les
singes, les girafes, les lions, les panthères... À l’Ancien Empire, commence donc une longue suite
d’expéditions militaires et commerciales pour obtenir les produits convoités. Au Nouvel Empire,
pendant la XVIIIe dynastie, la Nubie est exploitée directement par l’administration égyptienne placée
sous l’autorité du vice-roi de Koush. Les premiers Ramsès sont encore actifs en Nubie, mais les
intérêts pharaoniques évoluent progressivement et se tournent désormais vers le Delta du Nil
et la Méditerranée.

Les Koushites, dont le pouvoir s’accroît à cette époque, finissent par conquérir un vaste territoire
qui s’étend de la sixième cataracte du Nil jusqu’à la Méditerranée. S’ouvre alors une nouvelle
époque de l’histoire nubienne, dont est issue la XXVe dynastie (747 à 663 avant notre ère), souvent
présentée comme la dynastie dite des «pharaons noirs», aussi appelée «éthiopienne».
Cette appellation dérive du nom que les Grecs et les Romains utilisent pour désigner tout pays
habité par des Noirs, «Éthiopie», qui s’applique donc également à la Nubie. Les monarques de cette
époque portent deux uræi au front, afin de souligner leur double souveraineté sur l’Égypte
et le Pays de Koush. À partir de 663 avant notre ère, les Koushites perdent l’Égypte et développent

13
un État de plus en plus africain, le royaume de Napata (650-270 av. J.-C.). La capitale, Napata,
se situe au pied de la montagne sacrée du Gebel Barkal. Vers le 6e siècle, elle est transférée
à Méroé (aujourd’hui Begrawiya), beaucoup plus au sud, en amont de la cinquième cataracte.

À l’époque hellénistique, la Basse Nubie reste un enjeu disputé entre les rois nubiens et les souve-
rains lagides. Plus tard, les Romains s’avancent jusqu’à Napata et, après des conflits impitoyables,
un modus vivendi s’établit peu à peu. La paix, conclue et signée à Rome ainsi qu’à Méroé, inclut
la Basse Nubie, baptisée Dodécaschène, dans les limites de l’Empire romain.

Vers 350 de notre ère, la Haute Nubie est occupée par les Nobas, nommés Nubæ par les auteurs
classiques. Leur nom a souvent été rapproché du mot noub, signifiant «or» en égyptien ancien;
cette étymologie n’est pourtant pas certaine. Le royaume de Nobatia, peuplé par les descendants
des Koushites de Méroé et par les Noubas, est ainsi l’héritier du royaume méroïtique. Il s’étend
d’Éléphantine jusqu’aux environs de Dongola; sa capitale est Ballana.

Les débuts de l’évangélisation de la Nubie à partir de l’Égypte se situent vers 550.


Les trois principautés plus ou moins indépendantes qui se sont constituées sur les ruines du
royaume de Méroé – Nobatia (capitale Faras), Makouria (capitale Dongola el Agouz) et Alodia
(capitale Soba) – se convertissent au christianisme.

Au 7e siècle de notre ère, les Nubiens christianisés sont confrontés au monde musulman.
Les Arabes concluent avec eux un traité (baqt), qui entre en vigueur en 652 et sera appliqué jusqu’au
13e siècle. Selon les termes de l’accord, les habitants de l’Égypte et de la Nubie sont autorisés à
circuler librement entre les deux pays. Les Arabes s’engagent à ne pas attaquer la Nubie.
En contrepartie, les habitants doivent verser un tribut annuel en esclaves contre des fournitures de
blé égyptien. Cependant, peu à peu, les Arabes pénètrent très largement dans le pays, dont la
conquête s’achève au 15e siècle. Disparaît alors la dernière principauté chrétienne, désormais
intégrée à un État musulman, le royaume Foung de Sennar.

Lorsqu’en 1517, l’Égypte entre dans l’Empire ottoman, la Basse Nubie redevient un territoire
égyptien, alors que la Haute Nubie reste au pouvoir des Foungs. Leur royaume est conquis
seulement en 1822 par l’armée égyptienne de Mohammed Ali.

La Nubie et les régions méridionales demeurent terra incognita pour les premiers voyageurs
européens qui s’aventurent dans la Vallée du Nil au Moyen Âge et à la Renaissance. Cependant,
la croyance que ce fleuve prend son origine au paradis alimente l’imaginaire des Européens qui
se lancent à la recherche des sources du Nil. La légende de l’existence d’un royaume chrétien,
celui du Prêtre Jean, situé au sud de l’Égypte, sur un territoire qui commencerait à quinze jours
de marche de ce pays et s’étendrait jusqu’à la Nubie, incite d’intrépides voyageurs à se lancer à sa
découverte. L’or, l’argent et le fer, que l’on croit abondants dans ces régions, attirent également
les marchands. Les explorations se multiplient; c’est ainsi que les cartes de l’Afrique orientale
se précisent et s’améliorent graduellement.

Les voies de pénétration de cette région difficile d’accès restent inchangées depuis des millénaires.
Les voyageurs empruntent la voie fluviale, lorsqu’elle est praticable. Dans de nombreux cas,
ils suivent plutôt les pistes caravanières. La dénomination générique de «Piste des Quarante Jours»

14
couvrent les routes les plus connues du désert occidental. Parcourues par la grande caravane,
ces pistes ont vu défiler des milliers d’esclaves noirs. Tout comme dans l’Antiquité, les défenses
d’éléphants, les peaux d’hippopotames, les cornes de rhinocéros, les plumes d’autruches,
mais aussi les billes d’ébène, la gomme arabique, le natron et l’alun sont acheminés vers l’Égypte
le long de ces routes. Les caravaniers ramènent aussi avec eux des animaux vivants, tels que
des singes et des perruches; à leur arrivée, ils vendent en outre les dromadaires qui ont servi au
transport. Au retour, ils rapportent des armes, de la toile, du lin, de la soie, mais aussi des épices,
des parfums, du sucre, du riz et du café. Les guerres mahdistes, entre 1883 et 1898, mettent fin à
ce trafic. À partir de 1898, le commerce des esclaves est interdit. Privées de ce commerce lucratif,
les grandes caravanes se raréfient. Aujourd’hui, quelques caravanes fréquentent encore le tracé
de l’ancienne piste. Pour les Égyptiens, il s’agit notamment de se ravitailler en natron, et pour les
Soudanais, d’aller vendre leurs dromadaires en Égypte.

Dans l’exposition, les trois approches évoquées ci-dessus sont illustrées à l’aide de nombreux
documents. Des objets archéologiques, datant de la préhistoire à l’époque romaine, témoignent
des cultures anciennes du Soudan et de leur rencontre avec celles du monde antique pharaonique,
grec et romain. Des cartes de la Vallée du Nil moyen et des récits d’explorateurs européens du
15e siècle au 19e siècle montrent que la perception occidentale de la géographie et des populations
de ces régions africaines s’affine peu à peu. Des gravures et des photographies anciennes
traduisent quelques regards européens posés sur l’archéologie, la vie, la culture, les traditions
et les souffrances des populations soudanaises rencontrées au fil de leurs explorations.
Une panoplie d’objets ethnographiques illustre de nombreux ustensiles d’usage quotidien évoqués
par les voyageurs étrangers au Soudan.

Des photographies contemporaines, de qualité remarquable, exaltent tant les populations que
les paysages et les monuments archéologiques et complètent cet hommage rendu par le Musée
royal de Mariemont aux peuples de la Nubie soudanaise.

Marie-Cécile BRUWIER
Directrice scientifique du Musée royal de Mariemont

15
CHRONOLOGIE SIMPLIFIÉE

Égypte Basse Nubie Haute Nubie

- 4000 Nagada Abkien Néolithique

- 3500 Groupe A Pré-Kerma

- 3000

Période Thinite Raids égyptiens


Ancien Empire Royaume de Koush
Kerma Ancien
- 2500

1re Période Intermédiaire Groupe C

Kerma Moyen
- 2000 Moyen Empire

Kerma Classique
2e Période Intermédiaire

Nouvel Empire Nouvel Empire

- 1000 3e Période Intermédiaire


Royaume de Koush

XXVe dynastie Période napatéenne

- 500 Basse Époque


Époque ptolémaïque Période méroïtique

0 Époque romaine

500 Époque byzantine


Époque médiévale

Période islamique

1000

1500 Période ottomane Période ottomane Période islamique

16
I.
La Nubie soudanaise
dans l’Antiquité :
histoire et cultures
Clayton Rings et empilements de pierres:
les premiers voyages en milieu désertique
dans le Sahara oriental
Heiko RIEMER

L’augmentation de la pluviosité au cours de la phase de grande mobilité et de flexibilité dans ses déplacements
humide de l’holocène, qui correspond à la période qui saisonniers qui pouvaient couvrir plusieurs centaines de
s’étend entre 9000 et 5000 av. J.-C., transforma le Sahara kilomètres par an.
en un environnement de type « savane », agrémenté d’ar-
bres comme l’acacia et le tamaris (fig. 1). Pendant la sai- Ces déplacements épisodiques au travers du Sahara for-
son des pluies, les dunes de sable se couvraient d’herbe mèrent un réseau de pistes qui sillonnaient le désert et qui
verte et des mares peu profondes parsemaient le paysage. disparut brusquement lorsque le climat se mit à changer
La végétation attira des animaux comme les gazelles et les vers 5000 av. J.-C. Le Sahara s’assécha rapidement et, au
antilopes, et des groupes de chasseurs-cueilleurs quittèrent cours du Prédynastique ancien, les populations finirent par
à leur tour les oasis et la Vallée du Nil pour gagner cette migrer vers les oasis et la Vallée du Nil, où elles se séden-
savane, y chasser et cultiver des plantes et des graminées tarisèrent et s’adonnèrent progressivement à l’agriculture
sauvages. L’élevage de moutons, chèvres et bovidés com- et à l’élevage. Le désert n’étant plus habité, les contacts
plétait dans une certaine mesure leur économie. Pendant la furent rompus et les groupes culturels du désert occidental
saison sèche, lorsque les pluies cessaient, les plans d’eau installés dans les derniers refuges furent marginalisés.
s’asséchaient et les clans préhistoriques étaient contraints Cependant, le réseau de pistes préhistoriques ne disparut
de retourner vers les puits et les sources des oasis. La plu- pas complètement, il se concentra sur celles qui permet-
viosité était cependant extrêmement variable dans le temps taient de traverser rapidement le désert inhospitalier, puis-
et l’espace, une caractéristique propre aux zones arides. qu’il n’y avait aucun espoir de trouver de l’eau sur le par-
L’adaptation de l’homme préhistorique à la grande diffi- cours. On peut donc dire que ce changement climatique
culté de trouver de l’eau se traduisait par une stratégie modifia profondément l’existence humaine et les modes
de déplacement et qu’il marqua véritablement le début des
traversées des larges espaces sahariens.

En dehors des oasis, le désert occidental égyptien est


quasiment dépourvu de tout matériel archéologique pour
la période postérieure à 5000 av. J.-C. On y trouve cepen-
dant un type de céramique remarquable qui témoigne de
l’existence de contacts entre les groupes culturels vivant
dans les oasis et les zones refuges du nord du Soudan. Ces
céramiques remontent aux environs de 3000 av. J.-C., ce
qui correspond au Prédynastique récent ou, le long du Nil,
au Dynastique ancien. Elles se présentent sous la forme
Fig. 1. Occupation du Sahara oriental pendant la phase humide entre 9000 et 5000 d’anneaux ou de tubes légèrement coniques de facture
av. J.-C., attestée par la fréquence des dates 14C obtenues dans des sites archéolo-
giques du désert occidental. L’assèchement vers 5000 av. J.-C. entraîna un dépeuple- grossière, semblables à des pots de fleurs ouverts aux deux
ment spectaculaire de la plupart des territoires du désert. Les anneaux de céramique extrémités (fig. 2). Elles ont toujours été trouvées asso-
trouvés au Sahara oriental datent d’une époque où la région s’était transformée en
désert aride et constituent les plus anciennes preuves de déplacements de populations
ciées à des disques de céramique percés, souvent réalisés
à travers les déserts dépourvus de points d’eau. à partir de vieux tessons.

21
bles est la cache de Bir Sahara contenant des poteries,
située à plus de 300 km à l’ouest du Nil et fouillée en 1973
par F. Wendorf et la Combined Prehistoric Expedition. Ce
site a été étudié et a fait l’objet d’une publication par
M.C. Gatto en 2001-2002, et les objets sont actuellement
conservés au British Museum de Londres. Ce site fait véri-
tablement figure d’exception par rapport aux autres décou-
vertes relatives aux Clayton Rings dans le Sahara oriental.
En effet, on y a mis au jour deux groupes de poteries de
36 anneaux au total, qui avaient été enterrés dans des
sédiments accompagnés de récipients nubiens du Groupe
A et de récipients égyptiens datant de Nagada III. Par
chance, l’association avec d’autres poteries a non seule-
ment fourni une datation remontant à 3000 av. J.-C. envi-
ron, mais elle a également été d’une grande utilité pour
retracer les contacts entre communautés culturelles au
Fig. 2. Anneau et disque de Clayton trouvés à El Kharafish. Cliché Heiko Riemer.
sein d’un cadre géographique plus vaste. Gatto en a déduit
que les caches auraient été installées par des nomades ou
Le célèbre géographe anglais Patrick A. Clayton, qui des marchands appartenant au Groupe A, qui seraient
a dirigé des expéditions dans le désert pour le Service entrés en contact avec des Égyptiens dans le lointain nord-
Topographique Égyptien dans les années 1920-1930 – l’âge est. Les objets en céramique ont manifestement été aban-
d’or des premières explorations du désert –, découvrit une donnés en attendant le retour de leurs propriétaires qui,
paire d’anneaux, battus par les vents, associés à deux semble-t-il, ne les ont jamais récupérés.
disques à 500 km environ à l’ouest du Nil, près de la
frontière entre l’Égypte et le Soudan (fig. 3). À l’époque, Un ensemble d’anneaux similaire a été trouvé en 2000 par
peu de découvertes pouvaient être mises en parallèle ACACIA à plus de 500 km de là, à Mirmala, dans la
avec ces anneaux, et les chercheurs n’avaient pas la moin- Grande Mer de sable, à proximité de la frontière libyenne.
dre idée de leur contexte culturel ni de leur âge. Les Le site a fourni trois groupes de dix anneaux chacun et
recherches systématiques à leur sujet n’ont débuté qu’à la un nombre équivalent de disques qui étaient posés à la
fin du 20e siècle, lorsque de nombreux sites furent mis surface du désert (fig. 4). À chaque anneau correspondait
au jour par les expéditions archéologiques du projet un disque, ce qui renforce l’idée selon laquelle l’anneau et
ACACIA* de l’Université de Cologne. Comme l’archéo- le disque forment un ensemble fonctionnel (fig. 5). Aucun
logie égyptienne ne disposait d’aucun terme pour désigner autre type de poterie n’a malheureusement été mis au
ce type de poteries, les archéologues les ont baptisés jour sur ce site.
Clayton Rings (« anneaux de Clayton ») en l’honneur du
grand géographe. Fig. 3. Anneau et disque érodés par le vent, photographiés à environ 500 km à l’ouest
du Nil par Patrick A. Clayton lors de son expédition dans le désert en 1930-1931.
Cliché Heiko Riemer.
Depuis lors, un grand nombre de sites contenant ces
anneaux ont été répertoriés, principalement grâce aux
recherches récentes des diverses missions archéologiques
actives en Égypte et au Soudan. On note également l’exis-
tence d’anneaux « oubliés » qui ont fait l’objet de courtes
publications par J. de Morgan, Murray, H. A.Winkler et
d’autres archéologues, ainsi que d’anneaux non publiés
qui attendent d’être redécouverts dans les collections de
différents musées. Une des découvertes les plus remarqua-

* Arid, Climate, Adaptation and Cultural Innovation in Africa.

22
Il est un fait que les sites de type « Clayton » ne livrent
généralement aucun autre matériel archéologique que des
anneaux et les disques qui les accompagnent. Les sites les
plus typiques se caractérisent par une petite colline ou un
rocher où les anneaux et disques sont entreposés – souvent
empilés ou disposés en ligne – dans d’étroites niches ou
anfractuosités rocheuses ou sous des surplombs (fig. 6).
Le nombre d’anneaux et de disques découverts dans ce
type de cache peut varier d’un seul ensemble à des groupes
de dix ensembles, voire plus.

De nombreux Clayton Rings présentent des marques de


potier, le plus souvent sous la forme d’incisions réalisées
après cuisson (fig. 7). On peut penser que ces marques
Fig. 4. Enregistrement des anneaux et des disques de Clayton trouvés à Mirmala renvoient aux propriétaires des anneaux, quoique nous ne
dans la Grande Mer de sable. Cliché Heiko Riemer. comprenions pas leur signification individuelle. Mais il
Fig. 5. À Mirmala, les disques ont été découverts à l’intérieur des anneaux. faut surtout regretter le manque d’informations quant
Cliché Heiko Riemer. à leur fonction. La forme de ces céramiques et leur lien

23
avec les disques percés semblent attester un caractère
véritablement fonctionnel. Malheureusement, nous ne
disposons pas encore d’analogies ethnographiques et
le contexte archéologique dans lequel s’inscrivent les
anneaux est trop pauvre pour permettre une interprétation
définitive. Plusieurs hypothèses, plus ou moins sérieuses,
suggèrent que ces objets auraient servi à fabriquer du
fromage, sécher du sel, cultiver des plantes, préparer de
la bière, ou encore à servir de pièges pour les oiseaux,
de ruches, d’ustensiles pour faire du feu, de dispositif
de fermeture destiné aux outres à eau, mais également
de cloches ou d’« abat-jour » de lampes, pour ne citer que
les principales.
Fig. 6. Des anneaux et disques de Clayton ont été entreposés sous un surplomb
rocheux à quelque 100 km au sud de Dakhla (désert occidental).
Cliché Heiko Riemer. Quoique de nombreuses informations concernant les
Clayton Rings aient été récoltées ces dernières années,
nous ne disposons toujours pas de preuves archéologiques
directes et fiables sur leur usage, de sorte que leur fonction
reste une énigme. On peut cependant faire quelques
suppositions qui illustrent le contexte dans lequel ils
étaient utilisés. Étant donné que les anneaux et les disques
ont été entreposés dans le désert en attendant le retour
de leurs propriétaires, on peut penser que c’est dans le
désert qu’ils étaient employés. Les déplacements, à cette
période où les conditions de vie dans ce type de milieu
étaient tout à fait inhospitalières, n’invitent pas à considé-
rer les anneaux de Clayton comme des biens de luxe. Étant
donné l’absence de végétation dans le désert, ils n’ont
probablement pas été fabriqués ni cuits sur place. Il faut
plutôt y voir un outil indispensable à la vie quotidienne
dans cet environnement aride.

La répartition géographique des sites où ont été décou-


verts des Clayton Rings montre leur diffusion du nord de
l’Égypte au nord du Soudan, et de la frontière libyenne à
la mer Rouge (fig. 8). Quelques exemplaires ont même été
découverts récemment en Israël, alors qu’ils sont manifes-
tement absents de la Vallée du Nil.

Cette localisation laisse penser que les Clayton Rings


n’étaient pas propres à une communauté déterminée
vivant dans le Sahara oriental; ces outils innovants ont
sans doute été adoptés par des populations vivant aux
confins du désert qu’elles étaient fréquemment amenées
à traverser. Cette hypothèse est basée sur la variété des
techniques de fabrication et des formes de céramiques,
souvent fidèles aux traditions propres à chaque région
Fig. 7. Marques de potier sur des Clayton Rings. (fig. 9).

24
Fig. 8. Distribution des anneaux
de Clayton dans le Sahara Oriental.
Cliché Heiko Riemer.

Fig. 9. Clayton Ring de facture


grossière illustrant la grande variété
de formes (trouvé en compagnie
d’un disque en face d’un rocher
à environ 50 km au sud-ouest
de l’oasis de Dakhla).
Cliché Heiko Riemer.

Il est très probable que les Clayton Rings aient fait


partie d’une stratégie de survie particulière permettant
de faire face aux conditions précaires lors des traversées
du désert. Cette stratégie aurait également impliqué la
capacité technique de transporter des quantités suffisantes
d’eau et de nourriture, et on peut donc suggérer que les
déplacements dans le désert ont été fondamentalement
amorcés et facilités, grâce à l’introduction et à la domes-
tication de l’âne.

Les caches contenant des Clayton Rings ne sont souvent


distantes que de quelques kilomètres, mais aucune obser-
vation ne fait état de pistes balisées les reliant. Les dépla-
cements des hommes qui en faisaient usage s’appuyaient
manifestement sur un appareil cognitif bien rodé leur
permettant de « naviguer » à travers le désert sans recourir
à l’installation d’aucun signe artificiel. Ils s’orientaient

25
en utilisant des points de repère naturels, avec peu de recrutaient des guides locaux expérimentés pour leurs
risque d’erreur, apprenaient à mémoriser des itinéraires et expéditions dans le désert (fig. 11).
des séquences de paysages, des reliefs et caractéristiques
de terrain le long de leur route. Mais la manière dont les Égyptiens traversaient le désert
diffère radicalement des pratiques utilisées antérieure-
Lorsque l’Égypte pharaonique occupe le désert occidental ment. Des réserves d’eau composées de dizaines de jarres
et commence à coloniser les oasis, des faits attestés à de céramique étaient installées le long des pistes tracées au
partir de la IVe dynastie, les Clayton Rings sont toujours travers des sables, parmi lesquelles celle d’Abou Ballas –
en usage parmi les habitants du désert, où ils se retrouvè- la plus importante de l’Ancien Empire – qui partait de
rent mélangés aux artefacts de l’Égypte pharaonique l’oasis de Dakhla vers le sud-ouest, couvrant plus de
jusqu’à la fin de l’Ancien Empire. À El Kharafish, sur 400 km. La nécessité d’installer de grands dépôts d’eau
le plateau calcaire situé au nord de l’oasis de Dakhla, un s’explique par le fait qu’ils utilisaient des ânes pour
camp saisonnier appartenant aux habitants de l’oasis a transporter l’eau et la nourriture, le recours au chameau
livré les tessons d’une centaine d’anneaux et de disques ne datant que de la deuxième moitié du premier millénaire
(fig. 10). Le fait que des anneaux aient été découverts av. J.-C. Les étapes qui jalonnaient cette piste étaient
dans un avant-poste égyptien du désert appelé « Montagne marquées par des signaux ou balises (alamat) constituées
de l’eau de Djédefrê » et répertorié sous le nom de Chufu de pierres dressées ou d’empilements de gros cailloux
01/1 (IVe dynastie) pourrait indiquer que les Égyptiens (fig. 12). Chaque signal était visible depuis l’étape précé-
dente, ce qui évitait aux voyageurs de s’égarer. Ce système
de balises est manifestement ultérieur à la pénétration du
désert occidental par les Égyptiens. L’orientation stricte
de la piste d’Abou Ballas et le soin apporté à l’installation
de balises très visibles semblent indiquer que les explo-
rateurs de l’époque pharaonique ne disposaient ni de
l’expérience ni des connaissances pratiques qui leur
auraient permis de s’orienter naturellement dans un pay-
sage désertique. Par contre, le système des étapes et des
balises traduit le haut niveau d’équipement et d’organisa-
tion des expéditions dans le désert, niveau qui ne put être
atteint que grâce au potentiel économique et administratif
de l’Égypte pharaonique.

Fig. 10. Ensemble de disques brisés provenant d’El Kharafish. Cliché Heiko Riemer.

Fig. 11. Clayton Rings découverts dans l’avant-poste égyptien


du désert Chufu 01/1 datant de la IVe dynastie. Cliché Heiko Riemer.

26
Fig. 12. Les routes égyptiennes traversant
le désert à l’Ancien Empire étaient balisées
par des signaux (alamat) constitués
de pierres dressées ou d’empilements de
cailloux (piste d’Abou Ballas, fin de l’Ancien
Empire / Première Période Intermédiaire).
Cliché Heiko Riemer.

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C.R. Palevol, 5, 2006, p. 409-419.

27
Carte générale.
Dessin: M. Bocquet.
Royaumes du Soudan lointain

Brigitte GRATIEN

Qui vivait au sud de l’Égypte pharaonique ? Quels sont les Herkhouf, comme d’autres, nous a laissé la liste des
royaumes qui se succédèrent dans ces régions parcourues produits rares qu’il rapporta de Nubie. Mais les sujets de
par quelques expéditions dans l’Antiquité ? Les découver- Pharaon cherchaient aussi à acquérir des objets précieux
tes archéologiques commencent à éclairer ce qui n’était originaires du Sud lointain, de l’Afrique subsaharienne,
jusqu’ici que terra incognita. Depuis ces quarante dernières ainsi l’ébène, l’ivoire, les peaux de félin, les résines aro-
années, nos connaissances sur ces régions du Soudan matiques, et parfois même les fameux «nains dansants».
moderne ont été complètement renouvelées. Que ce soit Plus tard, les mêmes noms apparaissent dans les listes
lors de la campagne de sauvetage des monuments de Nubie de tributs livrés par les Pays du Sud à l’Égypte.
avant la mise en eau du barrage d’Assouan ou, plus récem-
ment, avec les grands chantiers de fouilles ouverts le long L’on sait désormais l’importance qu’a joué le royaume
du Nil, l’importance des royaumes nubiens a enfin était de Kerma dès la fin de l’Ancien Empire (Kerma Ancien),
reconnue. Les découvertes faites sur l’île de Saï et à Gism et au Moyen Empire (Kerma Moyen), alors que les Égyp-
el-Arba par la Mission de l’Université de Lille, par exem- tiens sous Sésostris I, II et III, bâtirent une série de forte-
ple, ou celles effectuées par Charles Bonnet et la Mission resses impressionnantes sur la frontière de la deuxième
de l’Université de Genève à Kerma, ont mis en évidence la cataracte. Ces postes militaires seront bientôt transformés
richesse et la longévité du royaume qui s’est développé en établissements commerciaux et administratifs où l’on
autour de Kerma, probablement le Pays de Iam et le Pays contrôlait et gérait le trafic entre le sud et le nord. Puis, au
de Kouch des anciens Égyptiens entre 2500 et 1500 avant cours de la Deuxième Période Intermédiaire, Kerma pren-
notre ère. Et l’on connaît de mieux en mieux ceux que l’on dra le contrôle de ce commerce et connaîtra une nouvelle
appelle les Pharaons noirs, du royaume de Napata, et leurs phase de prospérité (Kerma Classique).
successeurs, les rois de Méroé. Je voudrais ici attirer l’at-
tention sur les pays qui se situent au sud du pays de Kouch L’arrière-pays Kerma participe à cette transformation,
et dont on commence seulement aujourd’hui à comprendre comme le prouvent les fouilles de l’Université de Lille
l’importance. menées à Gism el-Arba, à une trentaine de kilomètres au
sud de Kerma *. Dans ce fertile bassin agricole, l’occupa-
L’ancienneté des liaisons entre l’Égypte et la Nubie est tion humaine est dense, à proximité des nombreux bras
prouvée par les mentions des campagnes militaires, mais du Nil qui étaient en eau au moins pendant la crue. On
aussi par les récits des chefs d’expéditions commerciales, sait l’importance du grand et du petit bétail dans l’écono-
tel Herkhouf, et ceci dès la fin du IIIe millénaire av. J.-C. mie de Kerma, mais l’agriculture est aussi une des bases
C’est ainsi que l’on retrouve des objets égyptiens importés de l’économie, et ce dès les débuts, dans la deuxième
dans les sépultures et sur les habitats nubiens anciens. moitié du IIIe millénaire av. J.-C. Les villages sont de type
agricole. À proximité des huttes se dressent quelques gre-
niers circulaires, parfois entourés de palissades. Puis les
* Ces recherches, et celles menées au Kordofan, n’auraient pas été pos- habitations sont construites en matériaux durs, en briques
sibles sans l’investissement de l’équipe de base composée de Vincent crues, au Kerma Moyen. Au Kerma Classique, elles devien-
Dayer, René-Pierre Dissaux, Jean Evrard, Séverine Marchi, Laetitia
Meurice, Giorgio Nogara, Cécilia Populaire, Vincent Rondot, David nent de vastes fermes: les pièces d’habitation et les réser-
Sys, Olivier Thuriot et Jean-Michel Willot. ves s’organisent autour d’une cour centrale qui peut abriter

29
les animaux, tandis que certaines activités domestiques se Cet établissement d’un type très particulier, et pour
déroulent à l’extérieur de la maison, à proximité des fours l’instant unique en Nubie, a été détruit par plusieurs incen-
à pain et des fours pour la poterie. dies aux environs de 1500 av. J.-C., c’est-à-dire à la même
époque que la conquête du royaume de Kerma par
À Gism el-Arba, plusieurs villages en témoignent; toute- l’Égypte. Si ce type de constructions est exceptionnel au
fois, l’un d’eux, l’habitat 2, montre une organisation très Soudan, on en connaît d’autres en Afrique subsaharienne,
différente. Il était situé au bord d’un bras ancien du Nil et au Burkina Fasso et au Mali, chez les Dogons, par exem-
semble avoir été fondé au début du IIe millénaire av. J.-C. ple. Cette architecture est donc de type africain. Parmi les
C’est alors un village agricole de quelques huttes circu- trouvailles faites sur l’habitat 2 de Gism el-Arba, il faut
laires ou rectangulaires, construites avec des matériaux signaler un grand nombre de sceaux et d’empreintes
légers et protégées par des palissades. De petits greniers de sceaux : empreintes égyptiennes de la fin du Moyen
circulaires, partiellement enterrés, peuvent avoir servi à Empire et de la Deuxième Période Intermédiaire et sceaux
abriter les récoltes (fig. 1). Très rapidement, les maisons et empreintes de sceaux Kerma contemporains. Gism
sont édifiées en briques crues et un nouveau type de gre- el-Arba pouvait donc être un lieu de stockage, un entrepôt
nier apparaît: une construction quadrangulaire en terre est au bord du Nil, qui participait au flux commercial entre
dressée sur une base en pierres. À partir de 1750/1700 av. l’Afrique subsaharienne, Kerma et la deuxième cataracte
J.-C. environ, le village se transforme. Autour de quelques et, encore plus loin, vers l’Égypte. La puissance du
grands bâtiments en briques, particulièrement soignés, des royaume de Kerma n’était donc pas uniquement fondée
dizaines de greniers ou de magasins sont construits. Ils sur l’élevage; l’agriculture permettait de nourrir une popu-
sont bâtis sur un même modèle, mais de taille variable : lation importante et le commerce devait être florissant et a
sur des piles de pierres est installé un soubassement en pu grandement contribuer à la fortune du Pays de Kouch
poutres de bois, recouvert d’un plancher, et sur lequel au milieu du IIe millénaire.
on élève des parois en terre fermées par un toit plat. On
accédait au niveau de circulation par une rampe ou un Ces faits, l’existence d’une architecture caractéristique
petit escalier (fig. 2). Ces bâtiments ont pu contenir grains de l’Afrique subsaharienne et l’éventualité d’un commerce
ou marchandises, mais ils étaient pratiquement vides lointain, nous ont donc amenée à étendre nos recherches
lorsqu’on les a fouillés, à la différence d’une résidence au sud de la Vallée du Nil, à la rencontre de nouvelles
dans laquelle était encore en place un mobilier précieux: cultures encore non identifiées. Les chercheurs de l’Uni-
vaisselle de table et contenants, vases d’albâtre, pom- versité de Cologne qui travaillent depuis plusieurs années
meaux de dagues en ivoire, perles d’œuf d’autruche, dans le désert occidental et dans le Ouadi Howar (qui
outillage en os… prend sa source vers le Tchad), y ont mis en évidence

Fig. 1. Gism el-Arba, habitat 2; au premier plan, les huttes et les greniers du Kerma Fig. 2. Gism el-Arba, habitat 2; le niveau du Kerma Classique.
Moyen. Cliché Br. Gratien. Cliché Br. Gratien.

30
une occupation très ancienne, entre autres une phase dans la partie méridionale du Ouadi el-Milk, aujourd’hui
contemporaine du Groupe C et de Kerma. Une autre voie au milieu d’une steppe herbeuse, traversée par des chaînes
de pénétration possible vers le sud était le Ouadi el-Milk, de collines qui atteignent 300 m, et parsemée de baobabs
qui traverse le Darfour et le Kordofan, sur une orientation et autres arbres, parmi lesquels les fameux arbres d’où
parallèle à la fameuse Darb el-Arba’în, la «Piste des Qua- s’écoule la gomme arabique (fig. 3). C’est devenu une
rante Jours », qui aurait peut-être pu être fréquentée dès région aride aujourd’hui touchée par la sécheresse, et par-
l’Antiquité. Des récits de voyageurs du début du 20e siècle courue par chèvres et moutons. Elle est habitée par de
faisaient état de quelques ruines; mais avant notre venue, petits cultivateurs de sorgho et des éleveurs de chameaux
en 2002, nous ne savions pas si l’occupation humaine était qui vivent dans des villages de huttes. L’eau est devenue
très ancienne. Notre équipe était la première, et reste très rare: le ravitaillement se fait aux puits de Foga, ou par
encore la seule, à travailler dans ces régions au sud-ouest des puits qui atteignent la nappe phréatique: mais on uti-
du Nil, hormis les missions menées par nos collègues sou- lise également des réservoirs, appelés hafirs, où se concen-
danais. Il fut donc décidé de faire une prospection avec trent les eaux des éventuelles pluies d’automne, malheu-
une petite équipe autour de deux points test : Zankor au reusement devenues ces derniers temps très irrégulières.
sud, et Abou Sofyan un plus au nord. Et nous y avons Mais, dans l’Antiquité, la région devait être plus humide.
découvert des centaines de sites inconnus et très anciens La prospection s’est étendue dans un rayon de 20 km
appartenant à de nouvelles cultures, différentes, mais autour de Zankor. Le peuplement humain y est très ancien,
contemporaines de celles de la Vallée du Nil. puisque plusieurs sites du paléolithique moyen, de faciès
nubien, ont été découverts sur les terrasses anciennes.
Zankor fut découvert par l’Anglais Penn, qui fit quelques L’occupation devient plus dense, semble-t-il, à partir du
sondages à l’emplacement de ce qu’il croyait être une ville mésolithique, représenté en particulier par une nouvelle
méroïtique. Zankor se situe dans le Kordofan occidental, industrie, encore en cours d’étude. Quelques sites épars

Fig. 3. Dans la région de Zankor, le Gebel Garawid. Cliché R.-P. Dissaux.

31
remontent au néolithique. C’est toutefois à partir des Le niveau suivant date des environs de l’an zéro; il est
périodes suivantes que les sites se multiplient. Ils se très répandu. Le site principal est celui de la ville de
concentrent généralement autour des djebels: les habitats Zankor, mais des villages ont été identifiés dans les alen-
s’abritent dans des criques protégées du vent par les tours. L’accès principal à la ville se faisait par un bras prin-
rochers tandis que les cimetières sont installés dans des cipal du Ouadi, à l’ouest, mais les enceintes englobaient
lieux ouverts sur la plaine. Bien que les recherches soient un bras secondaire, à l’est, au voisinage duquel se trouvait
encore en cours, et que la carte archéologique doive être le hafir. Les enceintes englobaient une large zone, de
complétée, nous le répétons, l’occupation humaine est 1,8 sur 1,3 km environ: le mur, de 2 m de large, était cons-
ancienne et dense; mais les vestiges appartiennent à des titué de deux parois de pierres taillées en hauteur, et en
cultures encore inconnues, et qu’il nous faut dater; les briques dans la plaine, et empli de blocaille au centre.
résultats présentés ici sont donc encore provisoires. Le Cette muraille avait été construite sur la ligne de faîte du
travail est complexe, car nous n’avons aucun élément de djebel Zankor, où elle avait été renforcée de tours d’ob-
comparaison avec des éléments importés qui nous permet- servation, avant de redescendre vers la plaine, et d’abriter
traient une datation relative. Tout résultat provient actuel- une «ville basse» jusqu’au hafir; dans ce dernier secteur,
lement des datations par analyses du 14C. l’occupation est peu dense; ce sont peut-être des établis-
sements agricoles, des abris pour animaux, des ateliers et
Plusieurs niveaux d’occupation ont cependant été identi- magasins… ? Une muraille secondaire déviait les eaux
fiés dans toute la région prospectée, qui semblent être pluviales ruisselant sur les pentes de la montagne. Deux
souvent séparés par des périodes obscures, que ceci soit citernes taillées dans les hauteurs contribuaient au ravi-
la conséquence de changements climatiques ou non. Le taillement en eau. La ville haute a encore une forme gros-
premier niveau important et largement représenté remonte sièrement ovale. L’accès principal, à l’ouest, se faisait par
à la deuxième moitié du IIe millénaire av. J.-C.: des habi- une porte monumentale, mais des portes secondaires exis-
tats ouverts en structures légères au pied des montagnes, taient sur les trois autres côtés (fig. 5). Malheureusement,
caractérisés par un outillage lithique, et surtout par une le site a été presque entièrement détruit récemment, car
très belle céramique: de grandes jarres sphériques bordées les briques cuites ont servi à construire les villes modernes
d’une large lèvre plate, en poterie brun beige, polie, et voisines. Les maisons anciennes, en grandes briques cuites
couvertes d’un décor géométrique incisé, rempli d’impres- pour la plupart, se succédaient le long de terrasses;
sions faites avec une molette pivotante aux dents très quelques-unes, en pierres sèches, ont échappé aux pillards.
fines (fig. 4). Ce sont soit des bâtiments de cinq ou six pièces groupées,
soit disposées en enfilade. Des piliers de pierre polie,
souvent terminés en arrondi et disposés en cercles, petits
ou grands, pourraient avoir été des lieux de culte. Le plus
Fig. 4. Céramiques de la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C.
Cliché G. Naessens. grand d’entre eux a été sondé par Penn à proximité du
réservoir: c’était un grand cercle de douze piliers, avec
un treizième au centre, formés de tambours superposés
qui se rétrécissaient et s’arrondissaient au sommet (fig. 6).
Il n’en reste plus aujourd’hui que des blocs épars. Le fer
était travaillé dans un vaste atelier au sud de la ville où
il subsiste un imposant ferrier.

L’analyse 14C confirme une datation autour de l’an zéro,


soit contemporaine du royaume de Méroé le long du
Nil. Mais nous n’avons jusqu’à présent découvert aucun
vestige méroïtique. L’élément le plus caractéristique de
ce faciès demeure la céramique: des vases grossiers, des
plats et des coupes, des bols et des jarres (fig. 7), à la base
montée sur une vannerie, et couverts d’un épais engobe
rouge poli, et souvent agrémentés d’un décor géométrique

32
Fig. 5. La ville de Zankor. Cliché Br. Gratien.

Fig. 6. Cercle de pierres, à proximité du hafir de Zankor. Cliché Br. Gratien.

33
Vallée du Nil, ni d’importations du nord, à l’exception de
quelques similitudes avec certaines productions du Nil
Blanc, ou d’autres avec le Ouadi Howar; et encore moins
avec les anciennes cultures de Kerma. Même la céramique
de Zankor n’a pas été identifiée ailleurs.

L’un des rares rapprochements que nous puissions faire


avec le site Kerma de Gism el-Arba, ce sont quelques
bases de greniers ou de lieux de stockage en pierre qui
existent dans la région de Zankor, mais malheureusement
ces structures sont indatables car elles sont encore en
usage de nos jours.

Nous n’avons encore guère mentionné les multiples cime-


tières appartenant à toutes les périodes. Le plus souvent
la tombe est couverte d’un tumulus de pierre (fig. 9).
Fig. 7. Jarre découverte à Zankor (Musée National du Soudan à Khartoum).
Cliché Br. Gratien. Certains peuvent être de grande taille, jusqu’à 8 m de haut;
cette fois encore, il est difficile de les dater par la super-
structure seule. Souvent une ou deux tombes de plus
incisé ou imprimé à la molette sous la lèvre. L’occupation grande taille dominent le cimetière, comme si les autres
n’a probablement pas été longue car nous n’avons retrouvé se groupaient autour de la tombe d’un chef ou d’un
aucune trace de remaniement dans les édifices subsistants. patriarche. Les plus remarquables sont des tumuli édifiés
Zankor est donc le siège d’une principauté, d’un royaume au centre d’un quadrilatère de pierres levées, parfois lui-
(?), qui ne présente jusqu’à présent aucun lien avec les même prolongé par des « antennes » aux quatre points
royaumes contemporains du Nil. cardinaux. L’un d’eux a été fouillé au voisinage de la ville
de Zankor; il est daté de la fin du 13e siècle ou du début
Les occupations postérieures sont encore mal connues. du 14e siècle de notre ère par le 14C. Ce tumulus mesurait
Mais la région semble redevenir florissante aux 13e et 8 m de diamètre et 3 m de hauteur, et le quadrilatère de
14e siècles, d’après les résultats préliminaires des analyses pierres levées, 50 m de côté, soit des centaines de pierres
14C, qu’il sera cependant nécessaire de multiplier. Aucun
disposées verticalement tout autour (fig. 10). Des «allées»
site urbain n’a encore été repéré, à l’exception de celui
de Foga, à une trentaine de kilomètres au sud de Zankor,
une ville actuellement célèbre pour la qualité de ses eaux
Fig. 8. Fondations d’une hutte, région de Zankor. Cliché R.-P. Dissaux.
pérennes, et dont il nous faudra bien entendu préciser
la datation. Ce site, protégé par des murailles qui ferment
les passages entre les montagnes, est composé d’une partie
enclose et d’une zone ouverte. Ailleurs, sur le pourtour
de la plupart des djebels, les habitats sont de petite taille
et parfois protégés par un muret; ils se composent de
quelques huttes circulaires, aux fondations de pierres
(fig. 8) et une élévation en matériaux périssables, avec
entrée le plus souvent orientée au sud; l’outillage est
bien souvent le quartz, mais on y travaille aussi le fer; la
céramique est grossière et souvent difficile à dater car elle
est le plus fréquemment imprimée sur vannerie ou corde.
Des anneaux d’archer, en pierre ou en céramique, peuvent
indiquer une date plus ancienne pour certains. Quoi qu’il
en soit, nous n’avons toujours aucune trace de lien avec la

34
Fig. 9. Tumulus de pierres. Cliché R.-P. Dissaux.

Fig. 10. Tumulus avec pierres levées, en cours de fouille, près de Zankor. Cliché Br. Gratien.

35
préhistoire. Jusqu’à présent aucun rapport, ni avec la
Vallée du Nil, ni avec Zankor, n’a pu être reconnu. La
prospection, sur un secteur de 20 km sur 20, n’en est qu’à
ses débuts; les sites sont, là aussi, en cours de datation,
si bien que nous ne pouvons donner ici que les prémisses
de nos recherches. Le site le plus ancien est un très beau
site du paléolithique moyen, situé au centre d’un djebel,
au milieu de gravures rupestres d’époques variées. Jusqu’à
présent aucun site du mésolithique n’a encore été identifié.

Un des sites les plus remarquables découverts ces derniè-


res années est un petit cimetière regroupant une dizaine
de tumuli qui sont précédés d’une allée double de pierres
levées (fig. 13), et voisins d’un possible sanctuaire empli
de stèles. Les premières analyses donnent une date de
Fig. 11. Le désert à Qalaat el-Wich, près d’Abou Sofyan. Cliché R.-P. Dissaux.
4500 avant notre ère, soit au cœur de la période néoli-
thique. Ce site est peut-être comparable à un site «astro-
nomique», découvert dans le désert du sud égyptien, daté
menaient des quatre antennes vers la tombe. La fosse, de la même époque. Pour la suite, la situation est très
à 2,50 m de profondeur sous la surface, était circulaire. Le différente de celle rencontrée à Zankor. Les habitats sont
corps avait été déposé sur des branchages recouverts moins nombreux, concentrés, et souvent placés à proxi-
d’une natte et d’un linceul, le tout replié sur lui. Il ne mité d’une zone rocheuse, mais les lieux d’inhumation,
portait que quelques rangs de perles de cornaline, et de toujours sous tumuli de pierres, sont multiples et très
verre bleu et blanc. Le travail d’analyse demande donc à dispersés. Le site d’Abou Sofyan même est composé
être poursuivi. À l’époque moderne, et peut-être à cause d’un habitat et d’une nécropole, à proximité de gravures
de la raréfaction des ressources en eau, il se peut que la rupestres dont un grand nombre de bovidés. L’habitat,
région ait perdu de son importance, et que les centres de comme les autres repérés dans le voisinage, et aujourd’hui
pouvoir se soient éloignés plus au sud-ouest, vers le Djebel complètement ensablé, n’est plus visible que par l’enceinte
Marra et de Meidob. de pierre qui le cernait, une enceinte de plus de 200 m
de diamètre. La tombe repérée par Newbold est la plus
En 2005, nous avons débuté une nouvelle prospection imposante du cimetière (fig. 14), mais elle se trouve au
dans une seconde zone-test, à 250 km environ au Nord, centre de tumuli plats de toutes tailles, signalés par des
autour d’Abou Sofyan. Abou Sofyan est situé entre la
«Piste de Quarante Jours», à l’ouest, et le Ouadi el-Milk,
à l’est, au milieu d’un véritable désert de sable, aujour- Fig. 12. Nomades au puits d’Abou Sofyan. Cliché Br. Gratien.
d’hui traversé par quelques bancs rocheux et parsemé
de boules de grès et de granite, et de quelques arbres dans
les endroits abrités (fig. 11). Le pays n’est plus habité que
par quelques membres de la tribu des Kabbabish, éleveurs
de chameaux et de petit bétail, qui se ravitaillent aux puits
toujours en activité d’Abou Sofyan (fig. 12). Le site avait
été repéré en 1923 par un voyageur britannique, Newbold,
puis sondé par Shaw en 1935. On n’y mentionnait que
l’existence d’un grand tumulus attribué, comme les ruines
de Zankor, aux Méroïtiques, ainsi que quelques gravures
rupestres à un lieu dit Qalaat el-Wich. Mais, cette fois
encore, les vestiges antiques allaient s’y révéler abondants
et très variés, et l’occupation humaine présente depuis la

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Fig. 13. Tumulus avec stèles. Cliché Br. Gratien.

Fig. 14. Le cimetière principal à Abou Sofyan, dominé par un grand tumulus. Fig. 15. Habitat dans son enceinte, à proximité des puits d’Abou Sofyan.
Cliché Br. Gratien. Cliché J. Évrard.

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Fig. 16. Autruches et hyène. Cliché Br. Gratien. Fig. 17. Bovidé. Cliché Br. Gratien.

cercles de pierres ou de briques cuites ou crues. Elle- faune sauvage : girafes, antilopes, rapaces, autruches, et
même, de 50 m de diamètre et de plus de 3 m de haut, est plusieurs hyènes (fig. 16). Très répandues également
faite d’un tumulus subcirculaire en briques cuites et couvert sont les figurations de bovidés à grandes cornes, dont plu-
d’un dallage de briques crues. La poterie qui a été retrouvée sieurs ont la robe tachetée (fig. 17). Plusieurs autres repré-
dans les alentours date des environs de l’an zéro. Le site sentent des archers ou des personnages épais, aux jambes
est donc contemporain de l’époque méroïtique de la vallée, écartées et aux bras dressés, proches de certaines gravures
mais aussi de la ville de Zankor. Cependant le matériel ne du Sahara. Enfin, les plus tardives montrent des droma-
montre aucune similitude, ni avec l’un ni avec l’autre. daires, montés ou non, et des signes parmi lesquels il faut
peut-être reconnaître quelques marques de tribus ?
Un autre habitat remarquable se trouve à proximité des
puits modernes: son enceinte circulaire en pierres est bien Voici donc, sommairement, ce que l’on peut dire aujour-
conservée (fig. 15); elle protège ce qui semble être les d’hui, des cultures, principautés ou royaumes, qui se
bases en pierre de huttes circulaires et quelques tumuli. sont succédés au sud du Nil et au voisinage de la Piste
D’autres tombes se succèdent l’une l’autre, à l’extérieur, des Quarante Jours. Un premier résultat remarquable: le
sur le pourtour de l’enceinte. Cette ville domine de même fait que la région a été occupée par l’homme depuis la
une vaste zone habitée, de plusieurs centaines de mètres de Préhistoire et presque continuellement. C’est de là qu’ont
long. On retrouve donc ici, mais sous un schéma différent, pu provenir une part des produits réclamés par Herkhouf
la division ville haute / ville basse que l’on avait reconnue et ses successeurs. Mais ces pays sont restés indépendants
à Zankor. Le matériel céramique est cependant totalement des États du Nil. L’occupation fut particulièrement impor-
différent et plus proche de celui de la vallée, puisque l’on tante au début de notre ère. Le long de ces routes commer-
y reconnaît des jarres où les décors incisés sur l’épaule ciales, il faut envisager désormais l’existence d’une suc-
reprennent certains motifs de Kerma ou du Groupe C, cession, dans le temps et dans l’espace, de principautés
mais qu’il nous reste à dater. ou de royaumes indépendants qui précédèrent les grands
royaumes des Furs et des Fungs du Soudan Central.
Nous terminerons par la mention des très nombreux sites
de gravures rupestres qui semblent avoir été fréquentés
depuis les périodes les plus anciennes jusqu’à l’époque
contemporaine : un phénomène que nous n’avions pas
rencontré autour de Zankor. À Abou Sofyan, on trouve,
parmi les plus anciennes, des gravures faites par pique-
tage, martelage ou incisions, et qui représentent de la

38
Les expéditions d’Herkhouf (VIe dynastie)
et la localisation de Iam *
Claude OBSOMER

Sur la rive occidentale du Nil à Assouan, la colline connue Si la localisation du pays de Pount est maintenant mieux
sous le nom de Qoubbet el-Haoua conserve une série de établie, grâce aux travaux de Rolf Herzorg et de Rodolfo
tombes creusées à l’Ancien ou au Moyen Empire, dont Fattovich 4, la localisation du pays de Iam reste probléma-
les inscriptions témoignent de l’activité incessante des tique. La majorité des égyptologues et nubiologues actuels
notables locaux dans le cadre des expéditions vers le Sud. adhèrent à la thèse défendue il y a cinquante ans par Elmar
Le propriétaire de la tombe n° 35, Pépy-Nakht surnommé Edel, qui place Iam à la hauteur de Kerma, soit au sud de
Héqa-ib, décrit les différentes missions qu’il mena pour la troisième cataracte du Nil. Mais on avouera que les
le roi Néferkarê Pépy II (vers 2270-2200), visant notam- arguments qui ont servi à fonder cette thèse ont une valeur
ment à soumettre par la force les pays nubiens de Ouaouat parfois très contestable. Les études les plus récentes, pro-
et d’Irtjet 1. Ses succès lui valurent de connaître une gloire duites par David O’Connor, Hans Goedicke et Galina
posthume au niveau local, puisque c’est à lui que fut dédié Belova, ne manquent pas de le mettre en évidence, avant
le Sanctuaire d’Héqa-ib, édifié sur l’île d’Éléphantine de proposer une localisation tout autre de Iam. Le premier,
entre les temples de Satis et de Khnoum 2. en effet, place Iam au-delà du confluent du Nil et de
l’Atbara, tandis que les autres le situent dans une ou
Propriétaire de la tombe n° 34n, Herkhouf fut l’un des plusieurs oasis du désert occidental. Pour sa part, Jean
prédécesseurs de Pépy-Nakht dans la fonction de «respon- Vercoutter semble bien perplexe, car il situe Iam dans
sable des troupes auxiliaires » (imy-r(A) aw ou imy-r(A) le désert occidental de Nubie, tout en précisant qu’il n’est
iaAw) 3, puisque ses trois premiers voyages se déroulèrent pas impossible que sa capitale ait été Kerma dès la
sous Mérenrê Nemtyemsaf Ier (vers 2280-2270). Même VIe dynastie 5.
s’il se trouvait à la tête d’une troupe en armes, Herkhouf
poursuivait essentiellement un objectif commercial et Après une présentation in extenso des textes inscrits sur
non pas militaire, puisqu’il s’agissait chaque fois de rame- la façade de la tombe d’Herkhouf, je proposerai à partir
ner en Égypte des produits africains acquis au pays de de son témoignage une analyse de la question de Iam qui
Iam. Toutefois, le récit de la troisième expédition révèle permettra, me semble-t-il, de renforcer l’identification de
en Herkhouf un réel diplomate qui, profitant des circons- ce pays à la Kerma des premiers temps.
tances, arrive à nouer des liens plus étroits entre Mérenrê
et le souverain de Iam, au grand dam des habitants de
Ouaouat, d’Irtjet et de Satjou. 1. Les textes d’Herkhouf

La quatrième expédition d’Herkhouf au pays de Iam Trois textes différents sont inscrits sur la façade de la
eut lieu au début du règne de Pépy II, mais l’inscription tombe d’Herkhouf (fig. 1). Au-dessus de la porte d’entrée
qui nous en parle concerne presque exclusivement les court un texte à caractère funéraire (1a), composé de
mesures à prendre pour ramener sain et sauf d’Assouan 8 lignes écrites de droite à gauche et endommagées aux
à Memphis « un nain (…) issu du pays des Akhétyou deux tiers de leur longueur. Des deux côtés de la porte
et semblable au nain que le chancelier du dieu Baourdjed un texte autobiographique (1b) décrit les trois premières
avait ramené de Pount à l’époque d’Isési » (vers 2420- expéditions (fig. 2). Il commence du côté nord (14 colon-
2380). nes verticales disposées de gauche à droite), où il accom-

39
Fig. 1. La façade de la tombe d'Herkhouf. © Cl. Obsomer, 2006.

pagne une image d’Herkhouf tenant les attributs de sa qui-est-dans-l’Embaumement, le Maître de la Terre
fonction. Il se poursuit du côté sud (10 lignes horizontales sacrée. Puisse-t-il (sc. Herkhouf) être enterré dans la
disposées de droite à gauche), au-dessus d’une représen- nécropole du désert occidental, ayant atteint le grand
tation d’Herkhouf âgé, appuyé sur un bâton, qui reçoit âge dans de bonnes conditions, en tant que bienheureux
de son fils Djémi une fumigation d’encens. Une impor- auprès du Grand Dieu. […] le Grand Dieu. Le prince
tante lacune s’observe dans la seconde partie de l’inscrip- responsable de la Haute Égypte, le chancelier royal et
tion, au début des premières lignes. Enfin, le troisième compagnon unique, le ritualiste, le responsable des trou-
texte relatif à la quatrième expédition reproduit le contenu pes auxiliaires, le bienheureux auprès de Ptah-Sokar,
d’une lettre de Pépy II (1c) envoyée à Herkhouf pour lui Herkhouf. 6
communiquer les recommandations royales; inscrit sur la
paroi nord, il comprend 2 courtes lignes horizontales et (2) Puisse le roi donner satisfaction. Puisse Osiris don-
24 colonnes verticales (fig. 5). ner satisfaction, (lui qui est) le Maître de Bousiris. Puisse-
t-il voyager en paix sur les chemins de l’Occident, sur
1a. Le texte funéraire lesquels voyagent les bienheureux. Puisse-t-il monter
vers le dieu Maître du ciel, en tant que bienheureux
(1) Puisse le roi donner satisfaction. Puisse Anubis don- auprès de […]. [Le prince, le conseiller], le préposé
ner satisfaction, (lui qui est) Celui-qui-est-sur-sa- à Nekhen et chef de Nekheb, le compagnon unique,
Colline, Celui-qui-préside-à-la-Chapelle-divine, Celui- le ritualiste, le bienheureux auprès d’Osiris, Herkhouf. 7

40
(3) Puisse le roi donner satisfaction : une offrande invo- 1b. Le texte autobiographique
catoire pour lui dans la nécropole. Puisse-t-il être
glorifié par le ritualiste pendant la fête du Nouvel An, (1) [Le prince, le compagnon] unique, le ritualiste, le
pendant la fête de Thot, pendant la fête du Premier Jour conseiller, le gardien de Nekhen et chef de Nekheb, le
de l’An, pendant la fête Ouag, pendant la fête de Sokar chancelier royal et compagnon unique, le ritualiste, le
pendant la [Grande Fête, pendant la fête de chaque jour, responsable des troupes auxiliaires, le préposé à toutes les
…] pour le chancelier royal, le compagnon unique, affaires confidentielles de la Tête-du-Sud, le confident de
le ritualiste, le responsable des troupes auxiliaires son maître, Herkhouf. 13
Herkhouf. 8
(2) [Le chancelier royal et compagnon] unique, le prêtre-
(4) Aujourd’hui, je suis venu de ma ville, je suis descendu lecteur, le responsable des troupes auxiliaires, qui rame-
de mon nome. Je me suis construit un domaine en nait à son maître des produits de tous les pays étrangers
(y) dressant des portes de bois et j’ai creusé un bassin et ramenait des présents à l’Ornement du roi, le responsa-
en (y) plantant des arbres, après que le roi m’eut loué ble de toutes les régions désertiques de la Tête-du-Sud,
et que mon père m’eut accordé une donation. J’étais quel- qui établissait la crainte (3) [de l’Horus dans] les pays
qu’un d’excellent […], l’aimé de son père et le favori de étrangers, qui accomplissait ce que [son] maître avait
sa mère, quelqu’un que tous ses frères appréciaient. 9 loué, le chancelier royal et compagnon unique, le ritua-
liste, le responsable des troupes auxiliaires, le bienheureux
(5) J’ai donné du pain à l’affamé, des vêtements à ceux qui auprès de Ptah-Sokar, Herkhouf, (4) il dit: 14
étaient nus, et j’ai abordé avec celui qui n’avait pas le
moyen de traverser. Ô vivants qui êtes sur terre, [vous qui (première expédition)
passerez devant cette tombe] en allant vers le Nord (ou) La Majesté de Mérenrê, mon maître, m’a envoyé vers Iam
vers le Sud, et qui direz: «1000 pains et pots de bière (6) avec mon père, le compagnon unique et ritualiste Iri, afin
pour le propriétaire de cette tombe », c’est grâce à cela d’explorer une route menant à ce pays. (5) Je l’ai faite en
que je vais accéder (à la qualité de bienheureux) dans la sept mois, et j’ai ramené de là toutes sortes de produits
nécropole. J’étais un esprit efficace et compétent, un ritua- d’un bel éclat (?), la faveur que j’en retirai étant très
liste qui connaissait ses formules. Quant à tout homme qui grande. 15
entrera dans ce tombeau [en état d’impureté, je vais lui
attraper le cou] comme à un oiseau et il sera jugé pour (deuxième expédition)
cela par le Grand Dieu 10. Sa majesté m’envoya une deuxième fois, (6) seul. Je suis
parti par le chemin d’Éléphantine. Je suis revenu par (le
(7) J’étais quelqu’un qui disait le bien et répétait ce qui pays) Irtjet, à savoir Mekher, Tereres et Irtjetj, en l’espace
était apprécié. Jamais je n’ai dit quoi que ce soit de mau- de huit mois. Je suis revenu (7) après avoir emporté de ce
vais à propos d’un puissant en m’adressant à qui que ce pays étranger des produits en très grande quantité, dont on
soit, car j’ai voulu que mon nom soit parfait auprès du n’avait jamais (8) ramené l’équivalent vers ce pays (sc.
Grand Dieu. Jamais je n’ai [jugé deux opposants (?) …] l’Égypte) précédemment. Je suis revenu à proximité du
dans le cas où l’on dépouillait un fils du patrimoine domaine du souverain de Satjou-Irtjet, (9) après avoir
de son père. 11 exploré ces pays étrangers. On ne trouve aucun compa-
gnon responsable des troupes auxiliaires parti vers Iam
(8) Puisse le roi donner satisfaction. Puisse Anubis donner auparavant qui ait jamais fait (cela). 16
satisfaction, (lui qui est) Celui-qui-est-sur-sa-Colline,
Celui-qui-préside-à-la-Chapelle-divine: une offrande invo- (troisième expédition)
catoire dans la nécropole pour lui, pour le bienheureux (10) Sa Majesté m’a donc envoyé vers Iam pour la troi-
auprès d’Anubis, Celui-qui-est-sur-sa-Colline, Celui-qui- sième fois. (11) Je suis parti du nome de … (?) par la route
préside-à-la-Chapelle-divine […] le prince et ritualiste, [le de l’Oasis, et j’ai constaté que le souverain de Iam (12)
conseiller, le gardien de Nekhen et chef de Nekheb, le chan- était allé, quant à lui, au pays Tjémeh pour frapper des
celier royal et] compagnon unique, le ritualiste, le respon- Tjéméh(ou) (13) vers la courbe occidentale du ciel. Je suis
sable des troupes auxiliaires, le bienheureux Herkhouf. 12 parti à sa suite vers le pays Tjémeh, (14) et je l’ai satisfait

41
Fig. 2. Le texte autobiographique d'Herkhouf. © Cl. Obsomer, 2006.

à un point tel qu’il rendait grâces à tous les dieux en fait preuve était excellente, plus que celle de tout autre
faveur du souverain. 17 compagnon responsable de troupes auxiliaires envoyé vers
Iam précédemment. 20
(1) [J’ai envoyé …] Iam … […] pour faire savoir à la
Majesté de Mérenrê, mon maître, (2) [que j’étais parti Et lorsque le serviteur que je suis voyageait donc vers la
vers le pays Tjémeh (?)] à la suite du souverain de Iam, et Résidence, on fit que vienne à ma rencontre (9) [le prince],
que j’avais satisfait ce souverain de Iam (3) […]. 18 le compagnon unique, le responsable du double domaine
de l’eau fraîche, Khouni, avec des bateaux chargés de
[Je suis revenu] par le Sud d’Irtjet et le Nord de Satjou, et vin de dattes, de gâteaux, de pain et de bière. 21
j’ai constaté que (?) le souverain d’Irtjet-Satjou-Ouaouat
(4) [… (?)] 19. Je suis revenu avec 300 ânes chargés (10) Le prince, le chancelier royal et compagnon unique, le
d’encens, (5) de bois d’ébène, d’huile hékénou, d’aromate ritualiste, le chancelier divin, le préposé aux affaires confi-
(khé)saÿt, de peau(x) de léopard, de défense(s) d’éléphant, dentielles du gouvernement, le bienheureux Herkhouf. 22
de bâtons de jet et de toutes sortes de beaux présents.
Et tandis que le souverain d’Irtjet-Satjou- (6) Ouaouat (légende de la scène principale)
voyait la force imposante de la troupe de Iam qui revenait Accomplir une fumigation d’encens, de parfum de fête et
avec moi vers la Résidence, en compagnie de la troupe d’huile hékénou pour son père, par son fils aîné qu’il
envoyée avec moi, alors (7) ce [souverain] me fit passer, aime, le compagnon unique et ritualiste, le responsable
il me donna bœufs et ibex, et il me montra les routes des des troupes auxiliaires, le bienheureux auprès du dieu
collines d’Irtjet, car la clairvoyance (8) dont j’avais Maître du ciel, Djémi, surnommé Méseni. 23

42
1c. La copie de la lettre de Pépy II (fig. 5) deux côtés du bateau, et qui lui évitent de tomber à l’eau.
Chaque fois qu’il dort la nuit, choisis des gens (20) compé-
(1) Sceau du roi lui-même. An 2, 3e mois d’Akhet, jour 15. tents qui dorment autour de lui, dans sa cabine, et contrôle
(2) Ordre du roi. L’ami unique, le ritualiste, le responsable à dix reprises durant la nuit. (21) Ma Majesté souhaite voir
des troupes auxiliaires, Herkhouf. 24 ce nain plus que les produits des régions minières (22) de
Pount. 30
(évocation d’une précédente lettre d’Herkhouf au roi)
(3) On a pris connaissance des propos de ta lettre que Si tu parviens à la Résidence tandis que ce nain est avec
voici, que tu as adressée au roi au palais, afin que l’on toi (23) en vie et en bonne santé, alors ma Majesté accom-
sache que tu étais revenu (4) en paix de Iam avec la troupe plira pour toi des choses plus grandes que ce qui fut fait
qui t’accompagnait. 25 au chancelier du dieu Baourdjed (24) à l’époque d’Isési, et
conformes à l’envie de ma Majesté de voir ce nain. 31
Tu as dit dans ta lettre que voici que tu as ramené (5) toutes
sortes de produits grands et beaux qu’Hathor, Maîtresse (25) Des ordres furent apportés au gouverneur de la ville
d’Imaaou, a donnés pour le ka du (6) roi de Haute et Basse nouvelle, le compagnon, le responsable des prophètes, afin
Égypte Neferkarê, vivant soit-il éternellement et à jamais ! d’ordonner de prendre, (26) de sa part, des provisions dans
Tu as dit dans ta lettre que voici que tu as ramené chaque dépôt de l’administration des magasins et dans
un nain (7) (pour) les danses du dieu, issu du pays des chaque temple. On n’y fit aucune exception. 32
Akhétyou et semblable au nain que (8) le chancelier du
dieu Baourdjed ramena de Pount à l’époque d’Isési. Tu as
dit à ma Majesté qu’aucun (nain) (9) semblable à lui n’a
jamais été ramené par aucun autre ayant parcouru Iam 2. Les principales hypothèses
précédemment. 26 quant à la localisation de Iam
Es-tu vraiment un (homme) capable (10) d’accomplir ce Même s’il fournit des données utiles sur l’itinéraire suivi
que ton maître aime et loue ? Passes-tu (vraiment) le jour (expéditions 2 et 3) et la durée de l’entreprise (expéditions
et la nuit à te préoccuper d’accomplir (11) ce que ton maî- 1 et 2), le récit autobiographique d’Herkhouf conserve
tre aime, loue et ordonne ? 27 d’importantes zones d’ombre, qui ont été comblées diver-
sement par les commentateurs modernes. Ainsi, le point
(énoncé de l’ordre royal à Herkhouf) de départ d’Herkhouf n’est jamais indiqué, et sa destina-
Certes, « Sa Majesté » réalisera tes désirs (12) nombreux tion finale n’est définie comme la Résidence royale de
et raffinés, afin d’être bénéfique au fils de ton fils à jamais, Memphis que dans le récit de la 3e expédition, ainsi que
si bien que tous les gens diront, (13) lorsqu’ils entendront pour l’expédition qui ramena le nain de Pépy II.
ce que ma Majesté aura fait pour toi: «Est-ce que (telle
chose) est comparable à ce qui fut fait au compagnon 2a. Iam sur le Nil
unique Herkhouf (14) lorsqu’il revint de Iam, en raison de
la clairvoyance dont il avait fait preuve en vue d’accom- Pour Elmar Edel 33, il était clair que le point de départ et
plir ce que son maître aimait, louait (15) et ordonnait ?» 28 d’arrivée d’Herkhouf était invariablement Memphis,
puisque c’est au roi que l’émissaire était censé ramener
Toi, viens immédiatement vers le Nord, vers la Résidence ! les produits acquis au pays de Iam. Edel chercha alors à
Pars et amène (16) avec toi ce nain que tu ramenas du pays situer Iam par rapport à Memphis, en utilisant les deux
des Akhétyou, en vie, en forme et en bonne santé, (17) pour mentions de durée qu’offre le récit: «7 mois» pour la pre-
les danses du dieu, afin de divertir et de rajeunir le cœur mière expédition et «8 mois» pour la seconde. Pour Edel,
du Roi de Haute et de Basse-Égypte Néferkarê, doué de il se serait agi chaque fois de la durée totale du voyage, de
vie (soit-il) éternellement ! 29 Memphis à Iam et retour. Estimant à 15 km par jour la
vitesse moyenne de déplacement d’une caravane avec des
(18) Chaque fois qu’il embarque avec toi sur le bateau, dési- ânes, il réserva, pour le séjour d’Herkhouf à Iam, 10 des
gne des gens compétents qui soient autour de lui, (19) des 210 jours (7 mois) et totalisa quelque 3000 km pour les

43
200 jours de trajet effectif. Iam se serait donc trouvé à Le premier argument d’O’Connor me semble tout à fait
environ 1500 km de Memphis, soit, selon Edel, aux envi- pertinent. Certes, Memphis est le point de départ vraisem-
rons de Sedeinga. Le même calcul effectué pour les 8 mois blable de chacun des voyages d’Herkhouf, puisqu’il s’agit,
(240 jours) de la deuxième expédition amenait Herkhouf dans le cas d’une mission royale, de rendre compte au roi
aux environs de Dongola el-Ordi, soit au-delà de la 3e cata- et de lui ramener les produits acquis. Mais un trajet par
racte. Comme la vitesse de 15 km par jour n’était qu’une bateau jusqu’au point de départ de la caravane qui s’enfon-
vitesse de déplacement théorique, Edel conclut que le but cera dans le désert semble plus raisonnable à concevoir
des voyages d’Herkhouf devait être Kerma, située entre qu’une caravane organisée depuis Memphis et longeant
Sedeinga et Dongola el-Ordi (carte 1, p. 49) 34. le fleuve dans un premier temps (hypothèse d’Edel). En
réalité, le problème des voyages d’Herkhouf, si Iam est
Edel complétait son étude par la localisation des pays bien à localiser sur le Nil soudanais, tient à la difficulté des
Satjou, Irtjet et Ouaouat : ceux-ci se succédaient du Égyptiens de l’Ancien Empire de gagner par bateau les
sud au nord de la Basse Nubie, entre les 2e et 1re catarac- régions situées au-delà de la 2e cataracte: une telle entre-
tes 35. Irtjet devait se trouver aux environs de Tômas, en prise n’est attestée qu’à partir du Moyen Empire, quand la
raison d’une inscription rupestre du temps de Pépy Ier Basse Nubie aura été placée sous contrôle direct permanent
qui y mentionnait la venue d’un responsable des troupes des Égyptiens 42. Dans le cas d’Herkhouf, le trajet en cara-
auxiliaires Nysoukhou(i) (ou Khounès ?) en vue d’explo- vane à travers le désert ne semble être que la seconde phase
rer Irtjet (r wbA IrTt) 36. Satjou était attesté sur une stèle d’un voyage qui en comporte trois (fig. 3): (a) un trajet flu-
d’Ancien Empire découverte par Simpson aux environs vial de la Résidence de Memphis au point de départ effectif
de Tochka 37, ce qui confirmait la localisation de Satjou de la caravane, mentionné pour les 2e et 3e expéditions
au sud d’Irtjet que l’on pouvait déduire du récit de la (Éléphantine et un nome de Moyenne Égypte); (b) un trajet
troisième expédition d’Herkhouf. par caravane sur les pistes du désert occidental, de loin la
phase la plus remarquable du voyage et celle qui, de ce fait,
S’accordant avec Edel pour définir Memphis comme est décrite avec le plus de détails (aller et retour); (c) une
le point de départ et d’arrivée de chaque expédition, D.M. fois rentré en Égypte, à un endroit qui n’est jamais précisé,
Dixon émit des réserves quant à la méthode utilisée pour un trajet fluvial permettant à Herkhouf de gagner Memphis
localiser Iam 38. Edel n’avait pas tenu pas compte des et de rendre compte au roi du succès de sa mission. Ce
haltes, notamment à Éléphantine où résidait Herkhouf, retour par bateau, suggéré pour la 3e expédition par l’em-
et cela impliquait de réduire la distance parcourue. Dixon ploi du verbe xdi, est très explicite en ce qui concerne l’ex-
proposa donc de localiser Iam au nord de la 2e cataracte pédition ramenant le nain au palais de Pépy II.
et du 22e parallèle. Mais si un comptoir commercial égyp-
tien est bien attesté à Bouhen aux 4e et 5e dynasties 39, Si Éléphantine peut effectivement avoir été, comme le
rien ne prouve qu’il s’y serait trouvé ensuite un État «rich, pense O’Connor, le point de départ et le point de retour
powerful, and populous», comme l’était sans conteste – et des routes du désert empruntées lors des deux premières
de l’avis même de Dixon 40 – l’État Iamite atteint par expéditions, rien ne permet par contre d’affirmer, comme
Herkhouf. il le propose, que le but de celles-ci était d’atteindre le
Boutana. Cette région pouvait être atteinte, d’après lui,
Convaincu également du caractère nilotique du pays de Iam, grâce un trajet d’environ 1300 km dont il reconstitue
David O’Connor proposa pour sa part de localiser celui-ci l’itinéraire à partir des informations relatives aux 2e et
bien au-delà de la 5e cataracte, dans la région du Boutana où 3e expéditions (carte 2, p. 49) 43. L’oasis de Sélima aurait
l’État méroïtique allait prospérer de nombreux siècles plus été un point de passage obligé, tant à l’aller qu’au retour,
tard 41. Les principaux arguments avancés par O’Connor mais une route différente aurait été empruntée entre
pour placer Iam près du confluent de l’Atbara sont les sui- Sélima et le Boutana : Herkhouf aurait évité Kerma à
vants: (1) les trajets de 7 et 8 mois mentionnés par Herkhouf l’aller, en contournant par l’ouest la plaine du Dongola;
doivent être envisagés au départ d’Éléphantine, et non pas mais au retour, avec une caravane lourdement chargée,
au départ de Memphis, comme le pensait Edel; (2) c’est le il aurait pris une route plus directe via Kerma et Saï,
pays Irtjet qui correspond à la région de Kerma, ce qui où O’Connor localise le pays Irtjet cité par Herkhouf.
impose de repousser Iam plus loin vers le Sud. Malheureusement, plusieurs objections peuvent être énon-

44
Voyages Phase 1 Phase 2 (caravane sur les routes du désert) Phase 3
Trajet aller (pr.n.i) Trajet retour (h3.n.i)

N° 1 ––– explorer un chemin ––– –––


menant vers Iam

N° 2 ––– par le chemin d’Abou par Mékher, Térès et Irtjetj –––


du pays Irtjet;
aux environs du domaine du
souverain de Satjou et Irtjet
après exploration de ces pays

N° 3 ––– vers Iam; par … (?) au sud d’Irtjet au «Tandis que je naviguais
depuis le nome … (?) nord de Satjou vers le Nord, vers la
par le chemin de l’Oasis Résidence, on fit venir
Khouni à ma rencontre
avec des bateaux»
+ épisode des Tjéméhou + rencontre du souverain
d’Irtjet-Satjou-Ouaouat

N° 4 ––– «Tu es revenu en paix de Iam» «Toi, viens immédia-


tement vers le Nord,
vers la Résidence»

Fig. 3. Relevé des informations fournies par Herkhouf pour chaque voyage.

cées à l’encontre de cette partie de la thèse d’O’Connor. Enfin, l’argumentation développée par O’Connor pour
D’abord, le Boutana n’a révélé jusqu’à présent aucune déplacer Irtjet de la Basse Nubie vers Kerma est caduque.
culture contemporaine de l’Ancien Empire qui soit suffi- Elle se fonde sur une inscription rupestre retrouvée
samment importante pour être le pays de Iam décrit par au Khor el-Aqiba 45, qui mentionnerait selon O’Connor
Herkhouf 44. Pour atteindre le Boutana et revenir à la venue d’un certain Khâbaoubet avec une troupe de
Assouan lors de sa 2e expédition, Herkhouf aurait marché 2000 hommes « pour détruire Ouaouat » (r bA ‹AwAt).
à un rythme minimum de 13 km par jour, ce qui demande Comme le Khor el-Aqiba se trouve un peu au sud
à être confirmé, mais il aurait fallu aussi franchir le Nil de Tômas, l’inscription impliquerait, selon O’Connor,
à deux reprises avec toutes les marchandises, ce qui pou- que Ouaouat s’étendait au sud du Khor el-Aqiba, jusqu’à
vait augmenter le risque de pillages (évoqué par O’Connor la 2e cataracte du Nil. Mais en réalité, l’inscription n’at-
à l’encontre de la théorie de Edel). On peut d’ailleurs se teste devant la mention de la destruction de Ouaouat
demander si un autre chemin n’eût pas été préférable pour aucune préposition r qui indiquerait que Khâbaoubet
atteindre le Boutana à partir d’Éléphantine : remonter devait encore effectuer sa mission : elle note seulement
le Nil jusqu’au Ouadi Korosko et couper à travers le désert bA ‹AwAt, à savoir « détruire Ouaouat », voire « Ouaouat
oriental par la piste d’Abou Hamed. En tout cas, identifier a été détruite», ce qui indique dès lors un résultat obtenu
Iam au Boutana nous éloigne considérablement des régions au nord du Khor el-Aqiba 46. L’absence de cette préposi-
occidentales où l’on a coutume de localiser les Tjéméhou, tion r conserve donc toute sa pertinence à la localisation
dont il est question dans le récit du 3e voyage. d’Irtjet et de Satjou proposée par Edel.

45
2b. Iam au désert occidental d’explorer ces régions éloignées du Sud, au risque de
perdre tout le bénéfice de sa mission ? Enfin, grâce aux
Parallèlement aux hypothèses de Edel, Dixon et O’Con- découvertes de Michel Valloggia à Balat, on sait aujour-
nor, qui préconisent une localisation nilotique de Iam, d’hui que Dakhla était appelée l’« Oasis » à l’Ancien
plusieurs égyptologues ont proposé d’identifier ce pays à Empire et que des gouverneurs égyptiens y furent en
une ou plusieurs oasis du désert occidental. Dès 1953, fonction dès le règne de Pépy Ier 52. Il me semble donc
Jean Yoyotte s’est prononcé pour une localisation de Iam excessivement difficile d’identifier cette même Oasis de
dans le désert libyque, en raison de la mention des Tjémé- Dakhla, voire celle de Kharga à un pays étranger nommé
hou dans le récit de la 3e expédition 47. Mais sa proposition Iam et gouverné par un puissant souverain non-égyptien !
d’identifier Iam à la seule petite oasis de Dounqoul n’a
convaincu personne, car on n’y a jamais trouvé de vestiges
assez significatifs pour évoquer le redoutable État Iamite 3. Pour une approche renouvelée de la question
du récit d’Herkhouf 48. En outre, les durées de 7 et de
8 mois sont difficiles à justifier si elles concernent un Les recherches archéologiques menées sur le site de
trajet aller-retour entre Assouan et Dounqoul. Kerma ont permis à Charles Bonnet de mettre en évidence
l’importance de cette ville dès l’Ancien Empire 53. On y
En 1981, Hans Goedicke reprend néanmoins l’idée à son distingue à présent une phase «Kerma Ancien», antérieure
compte, mais il étend l’appellation «Iam» à deux autres au Moyen Empire, qui débute entre 2400 et 2300 avant
oasis : Kourkour, sur la route d’Éléphantine, et surtout J.-C. et est grosso modo contemporaine de la phase du
Kharga, au nord, là où aboutit selon lui la « route de « Groupe C ancien » en Basse Nubie. Rodolfo Fattovich
l’Oasis » empruntée lors du 3e voyage (carte 3, p. 49) 49. voit également en Kerma le lieu de transit principal des
Pour Goedicke, c’est vers Dakhla que se rend le souverain produits de Pount à l’Ancien Empire 54, si bien qu’une
de Iam, lorsqu’il mène ses troupes contre les Tjéméhou. localisation à Kerma de la Résidence du Souverain de Iam
Contraint de justifier les durées de 7 et 8 mois mention- apparaît comme une hypothèse de plus en plus séduisante.
nées dans le récit des deux premiers voyages, il précise que
les 7 mois seraient la durée du premier séjour d’Herkhouf Mon objectif sera ici de montrer en quoi le témoignage
à Iam, tandis que les 8 mois concerneraient une expédition d’Herkhouf convient parfaitement à cette localisation
menée à Irtjet à partir de Kharga 50. En 1993, Galina (carte 4, p. 49). Le tableau qui suit en reprend les données
Belova adopta le point de vue de Goedicke, mais en modi- essentielles.
fiant sensiblement la localisation de Iam. Kharga n’ayant
livré aucun vestige contemporain de l’Ancien Empire, à Herkhouf n’a pas précisé, pour chaque phase de ses expé-
l’inverse de Dakhla, elle proposa d’appliquer le terme ditions, le détail de l’itinéraire, les modalités du déplace-
«Iam» à l’ensemble des deux oasis, tandis que Kourkour ment ou la durée du trajet. C’est que cela n’était pas
et Dounqoul feraient partie du pays Irtjet, visité également indispensable à la bonne compréhension d’un concitoyen
par Herkhouf, et que Sélima correspondrait au pays Satjou contemporain qui pouvait lire, sur la façade de sa tombe,
avec un accès à la Vallée du Nil 51. le récit de ses voyages.

Voici les objections essentielles à une théorie des oasis, Le récit de la quatrième expédition est centré sur la
qui a si fortement évolué au cours des décennies. Si vrai- question du nain ramené de Iam. C’est après avoir reçu
ment les Égyptiens avaient un intérêt quelconque à d’Herkhouf une lettre mentionnant ce fameux nain que le
acquérir des produits africains à Dakhla plutôt qu’à roi Pépy II lui communique ses ordres: Toi, viens immé-
Kerma, il est étonnant en soi que le roi memphite Mérenrê diatement vers le Nord, vers la Résidence ! (…) Ma
ait fait appel à plusieurs reprises à des notables d’Éléphan- Majesté souhaite voir ce nain plus que les produits des
tine pour se rendre dans une région qui entretenait déjà régions minières de Pount. On peut en déduire qu’il était
des contacts avec les notables résidant dans la vallée entre habituel pour Herkhouf de faire, au retour de Iam, une
Assiout et Thèbes. En outre, une fois les ânes chargés halte d’une certaine longueur à Éléphantine, avant d’em-
de produits destinés à la Résidence, quel besoin Herkhouf barquer pour Memphis en vue d’y acheminer les produits
aurait-il donc eu de se rendre en Irtjet et Satjou, en vue rapportés de Iam. Le souhait du jeune roi devait cette

46
fois accélérer son départ pour la Résidence et les recom- de la vallée d’où la caravane prendra le chemin du désert,
mandations qu’il donne à Herkhouf concerne clairement simplement parce qu’il était évident pour un Égyptien
un trajet en bateau. qu’il en fut ainsi.

Lors de l’expédition précédente, Herkhouf avait déjà Si on observe le récit des 2e et 3e expéditions, on aperçoit
transmis un message au roi Mérenrê qui, en retour, avait clairement que la phase 2 est décrite en distinguant le trajet
envoyé à sa rencontre les bateaux de Khouny chargés aller et le trajet retour. L’emploi répétitif des verbes pr.n.i
de victuailles. C’est que Herkhouf avait fait connaître au et hA.n.i en fonction non prédicative permet de distiller, à
roi la façon dont il avait attiré vers sa personne les bonnes propos du trajet de la caravane dans le désert, une série
grâces du souverain de Iam, en aidant ce dernier lors d’informations qui concernent soit l’aller (pr.n.i), soit le
de son action contre les Tjéméhou. La troupe de soldats retour (hA.n.i). Les 8 mois (ou 240 jours) mentionnés pour
Iamites qui accompagne Herkhouf lors de son trajet vers la deuxième expédition, qui emprunta à l’aller le chemin
l’Égypte semble concrétiser une alliance nouvelle entre d’Éléphantine, correspondent de toute évidence à la durée
les deux États, qui ne manque pas d’impressionner le sou- totale du trajet en caravane, d’Assouan à Iam et de Iam à
verain des peuples coalisés de Basse Nubie (Irtjet, Satjou Assouan, y compris l’exploration plus détaillée du pays
et Ouaouat). Irtjet. Comme près de 800 km séparent Assouan de
Kerma, un déplacement de 15 km par jour, comme envi-
Si on examine à présent les deux premières expéditions, on sagé par Edel, permettait à Herkhouf de rester une cen-
constate l’absence d’informations quant au déplacement taine de jours à Kerma afin de réceptionner, voire même
d’Herkhouf vers Memphis: c’est que rien de spécial ou de de « commander » les produits qui seraient ramenés en
remarquable ne caractérisa son trajet en bateau vers la Égypte. En réduisant la durée de ce séjour à Iam, on envi-
Résidence, après une halte d’une durée normale effectuée sagera la possibilité de haltes prolongées en cours de
à Éléphantine. Aucune indication n’est jamais donnée non route 55. La route la plus simple partant d’Éléphantine est
plus pour la première phase de chaque voyage, à savoir le celle qui passe par Dounqoul et Sélima : c’est d’ailleurs
trajet en bateau de la Résidence de Memphis vers l’endroit par cette route qu’étaient probablement acheminés, aux

Fig. 4. L'hiéroglyphe du nome figurant dans le récit du 3e voyage d'Herkhouf.

1. Signe attesté chez Herkhouf


2. Signe habituel du nome d'Abydos (Ta-our)
3. Hypothèse d’Edel (nom partiel de Ta-our, cfr 3bis)
4. Signe du nome de Diospolis Parva (Bat)
5. Hypothèse: nome d'Hermopolis (Lièvre)
6. Hypothèse: nome d'Assiout (Grenadier supérieur)

47
Fig. 5. La copie de la lettre de Pépy II. © Cl. Obsomer, 2006.

dynasties précédentes, les blocs de gneiss anorthositique Venant de Memphis en bateau, il s’était arrêté pour
(«diorite de Chéphren») destinés à la statuaire. prendre ce chemin dans un nome dont le nom est difficile-
ment identifiable (fig. 4). Pour Edel 56, il s’agirait du nome
Il est probable que la première expédition, conduite par le d’Abydos (Ta-our, nome VIII); pour les autres 57, ce pour-
père d’Herkhouf avait inauguré le même itinéraire, car rait être celui de Diospolis Parva (Bat, nome VII). Si le
il s’agissait alors d’explorer un chemin vers Iam que, logi- signe attesté chez Herkhouf ressemble davantage à la
quement, Herkhouf a pu reprendre la fois suivante. Cela voile déployée TAw qu’au fétiche bAt, trop étroit, il convient
expliquerait l’absence de détails fournis par le récit, d’au- de noter que TAw-wr n’est pas la graphie la plus courante
tant qu’Herkhouf n’était pas le chef de l’expédition. La du nom du VIIIe nome, et qu’il y manquerait l’indispensa-
durée de 7 mois concerne à mon avis l’exploration du ble hirondelle wr. La question de l’identification du nome
chemin vers Iam, citée dans la phrase qui précède, c’est- reste ouverte. On ne peut exclure le nome du Lièvre (Her-
à-dire le trajet en caravane d’Assouan à Iam, le séjour à mopolis, nome XV) dont la silhouette grossièrement sculp-
Iam et le retour à Assouan. tée pourrait convenir au signe d’Herkhouf, ni le nome
d’Assiout (Grenadier supérieur, nome XIII), qui offrirait
Lors de son troisième voyage, Herkhouf prend un autre à la caravane un point de départ plus logique qu’Abydos
chemin, celui de l’Oasis, par lequel on se rend à Dakhla. ou Diospolis Parva, si Herkhouf vient par bateau de

48
49
Memphis. Le signe d’Herkhouf pourrait-il correspondre à du règne de Mérenrê (l’un de l’an 5, l’autre peut-être
la notation de NDfyt xntyt ? Et dans l’affirmative, la «route de l’an 1), conservés aux environs immédiats de la pre-
de l’Oasis» empruntée par Herkhouf, serait-elle le Darb mière cataracte, attestent la venue du roi en personne
˛
al Arba în menant à Kharga ou le Darb el-Tawil menant à la frontière sud de l’Égypte pour recevoir l’hommage
à Dakhla ? des souverains de Médja, Irtjet et Ouaouat 61. On notera
une dégradation de la situation sous le règne de
La suite du chemin est en tout cas plus claire. Une fois Pépy II, puisque Pépy-Nakht sera envoyé pour attaquer
arrivé à Kharga, Herkhouf a pu se diriger vers le Sud Ouaouat et Irtjet 62. Le grand mérite d’Herkhouf aura
˛
par le Darb al Arba în, atteindre l’oasis de Sélima et, peut-être été, vers la fin du règne de Mérenrê, d’imposer
de là, obliquer vers Kerma. C’est alors qu’il constate à ces même peuples, de même qu’au pays Satjou, la
l’absence du Souverain de Iam, parti guerroyer chez les crainte respectueuse d’une Égypte qu’ils voyaient alliée
Tjéméhou, à l’ouest de Kerma. Dans la bouche d’un aux Iamites.
Égyptien d’Assouan, le terme « Tjéméhou » peut très
bien n’être tout au plus qu’un terme générique désignant
des habitants du désert occidental, quelle que soit la lati-
tude concernée. Cet épisode déjà commenté plus haut
offrira à Herkhouf l’opportunité de servir les intérêts
politiques de son roi. Si la durée de l’expédition n’est
pas mentionnée, c’est peut-être parce que celle-ci s’est
NOTES
prolongée d’une façon anormale et, par conséquent, non
significative pour les expéditions à venir. Si Herkhouf Liste des abréviations
se met à décrire les produits transportés par ses 300 ânes, ASAÉ = Annales du Service des Antiquités de l’Égypte;
c’est probablement parce que cette 3e expédition fut BIFAO = Bulletin de l’Institut Français d’Archéologie Orientale;
BSFÉ = Bulletin de la société française d’Égyptologie;
plus profitable que les précédentes. Le trajet retour offre CRIPEL = Cahier de Recherches de l’Institut de Papyrologie et
hélas une lacune là où on s’attend à trouver un toponyme d’Égyptologie de Lille;
qui pourrait correspondre non seulement à la limite entre GM = Göttinger Miszellen;
Satjou et Irtjet, mais aussi à la résidence du Souverain JARCE = Journal of the American Research Center in Egypt;
JEA = Journal of Egyptian Archæology;
des peuples coalisés de Basse Nubie. Si Tômas est bien MDAIK = Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts;
en Irtjet et Tochka en Satjou, comme semblent l’indiquer PSBA = Proceedings of the Society of Biblical Archaeology;
des inscriptions retrouvées en ces lieux, alors Aniba SAK = Studien zur Altägyptischen Kultur;
JNES = Journal of Near Eastern Studies;
(anciennement Miam) apparaît comme une hypothèse
Urk. = K. SETHE, Urkunden des ägyptischen Altertums, 8 vols.;
sérieuse 58, puisqu’une abondante population du Groupe ZAS = Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde.
C a été remarquée en ce lieu 59. Il est possible que les
« chemins des collines d’Irtjet », que le souverain local
* À toi, ma chère Agnès, où que tu sois, ou quel que soit le chemin...
montre à Herkhouf, correspondent à la route qui mène 1 Urk. I, p. 133-134.
de Tômas à Dounqoul et, de là, vers Assouan. 2 L. HABACHI, The Sanctuary of Heqaib on Elephantine Island,

Mayence, 1985; D. FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib auf Elephan-


En somme, rien ne s’oppose à ce que Iam soit le nom tine, Heidelberg, 1994.
3 P. M. CHEVEREAU, «Contributions à la prosopographie des cadres
de l’ancien royaume de Kerma contemporain de la militaires de l’Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire»,
VIe dynastie égyptienne, plusieurs siècles avant que le in RdÉ, t. XXXVIII, 1987, p. 23-33.
4 R. HERZOG, Punt, Glückstadt, 1968; R. FATTOVICH, «The Problem
nom de Kouch ne lui soit appliqué, suite à la campagne
of Punt in the Light of the Recent Field Work in the Eastern Sudan»,
de l’an 18 de Sésostris Ier (vers 1940 avant J.-C.) 60. Situé
in Akten Des Vierten Internationalen Agyptologen Kongresses,
au-delà de la deuxième cataracte, ce royaume était un Munchen, 1985, t. IV, Hambourg 1991, p. 257-272.
intermédiaire important dans le commerce des produits 5 J. VERCOUTTER, L’Égypte et la vallée du Nil, t. I, Paris, 1992, p. 339-

du Sud, et il entretenait pour cette raison de bonnes 340.


6 (1) ∂i nzw Htp, di Inpw Htp, tpy-Dw.f, xnty zH-nTr, imy-wt, nb tA-Dzr.
relations avec l’Égypte. Les relations avec les popula- Qrz.t(w).f m Xryt-nTr zmyt imntyt, iA.(w) nfr wrt m imAxw xr nTr-aA. […]
tions de Basse Nubie (Groupe C ancien) semblent avoir nTr-aA. ÎAty-a imy-r(A) ∑maw, xtmty-bity zmr-waty, Xry-Hbt, imy-r(A) iaAw,
été d’un tout autre ordre. Deux inscriptions rupestres imAxw xr PtH-Zkr, Îr-xw.f.

50
7 (2) ∂i nzw Htp, di ‹zir Htp, nb Δdw. ≈p.f m Htp Hr wAwt D(z)r(w)t 21 Ixr xd rf bAk-im r Xnw, rdi.tw iwt (9) [HAty-a] zmr-waty, imy-r(A) prwy

n(yw)t Imnt, xpp(w)t imAxw Hr.zn. Ia.f n nTr nb pt, m imAxw xr [… . qbHw ≈wni m xzf.(i), m Haww ATpw m bnit, mzwq, t, Hnqt.
ÎAty-a, imy-iz], iry-Nxn, Hry-tp Nxb, zmr-waty, Xry-Hb(t), imAxw xr ‹zir, 22 (10) ÎAty-a, xtmty-bity, zmr-waty, Xry-Hb(t), xtmty-nTr, Hr(y)-zStA n(y)

Îr-xw.f. wDt-mdw, imAxw Îr-xw.f.


8 (3) ∂i nzw Htp : prt-xrw n.f m Xryt-nTr. ZAx.t(w).f iz (i)n Xry-Hbt m 23 Irt nz(w)t znTr, zT-Hb, Hknw n it.f in zA.f zmzw mry.f, zmr-waty Xry-Hbt,

‹pt-rnpt, m ΔHwtyt, m py-rnpt, m ‹Ag, m Zkr, m Îb [wr, m Hb ra nb, imy-r(A) iaAw, imAxw xr nTr nb pt, Δmi, rn.f nfr Mzni.
…] n xtmty-bity, zmr-waty, Xry-Hbt, imy-r(A) iaAw Îr-xw.f. 24 (1) ≈tm nzw Dz.(f). Rnpt-zp 2, Abd 3-nw Axt, zw 15. (2) ‹D-nzw. Zmr-
9 (4) Iw.n.(i) min m niwt.(i), hA.n.(i) m zpAt.(i). Qd.n.(i) pr.(i), zaHa(w) waty, Xry-Hbt, imy-r(A) iaAw, ⁄r-xw.f.
aAw, SAd.n.(i) S, zrd(w) nhwt, Hz.n w(i) nzw, ir.n n.(i) it.(i) im(y)t-pr. Ink 25 (3) Iw ziA(w) mdt n(y)t mDAt.k tn, irt.n.k xr nzw r izt, r rdit rx.t(w)

iqr […], mry n(y) it.(f), Hzy n(y) mwt.f, mrrw znw.f nb(w). wnt.k hA.t(i) (4) m Htp m IAm Hna mSa nt(y) Hna.k.
10 (5) Iw rdi.n.(i) t n Hqr, Hbzw n HAyw; zmA.n.(i) tA m iwty m Xnt.f. I 26 Δd.n.k [r] mDAt.k tn wnt in.n.k (5) inw nb aA nfr rdi(w).n Îwt-Îr nbt

anxw tp(y)w-tA, [zwAt(y).zn Hr iz pn m x]d m xzft, Ddt(y).zn : «xA <xA> t ImAAw n kA n(y) (6) nzw-bity (Nfr-kA-Ra)| anx.(w) Dt r nHH! Δd.n.k r
H(n)qt (6) n nb n(y) iz pn», iw.(i) r zbt Hr.zn m Xryt-nTr. Ink Ax iqr apr(w), mDAt.k tn wnt in.n.k dng (7) (r) ibAw-nTr m tA Axtyw mit(y) dng in(y) (8)
Xry-Hb(t) rx(w) r(A).f. Ir z nb aqt(y).f(y) r iz [pn m abw.f, iw.(i) r iTt Tz].f xtmt(y)-nTr BA-wr-Dd m Pwnt m rk (Izzi)|. Δd.n.k xr Hm.(i) iwty-zp (9)
mi Apd, iw.f r wDa(w) Hr.z in nTr-aA. in.t(w) mit(y).f in ky nb ir(w) IAm Dr-bAH.
11 (7) Ink Dd(w) nfr(t) <n> wHm(w) mrrt. N-zp Dd.(i) xt nb(t) Dw(t) n 27 In tr rxw Tw (10) irt mrrt Hzzt nb.k ? In wrS.k zDr.k Hr mH(t) m irt (11)

zxm-ir.f r zw nb(w), mr.n.(i) nfr rn.(i) xr nTr-aA. N-zp [wDa.(i) …] m zp mrrt Hzzt wDt nb.k ?
zSwy zA m Xrt it.(f). 28 Iw Hm.f r irt zArw.k (12) aSAw iqrw, r Ax n zA n(y) zA.k n Dt, r Dd rmT nbw
12 (8) ∂i nzw Htp, di Inpw Htp, tpy-Dw.f, xnty zH-nTr : prt-xrw n.f m (13) zDm.zn ir(y)t n.k Hm.(i) : “(I)n iw mi nf iry n zmr-waty Îr-xw.f, (14)
Xr(y)t-nTr, n imAxw xr Inpw, tp(y)-Dw.f, xnt(y) zH-nTr […] HAty-a, Xry- hA.f m IAm Hr rz-tp ir(w).[n.f] r irt mrrt Hzzt (15) wDt nb.f ?”
Hb(t) [imy-iz, iry Nxn, Hry-tp Nxb, xtmty-bity], zmr-waty, Xry-Hb(t), imy- 29 Mi r.k m xdt r Xnw Hr-aw(y). [≈]Aa in.n.k (16) dng pn m-a.k in(y).k m

r(A) iaAw, imAxw Îr-xw.f. tA Axtyw, anx.(w) wDA.(w) znb.(w) (17) r ibAw nTr, r zxmx-ib, r znxx ib n(y)
13 (1) [ÎAty-a, zmr]-waty, Xry-Hbt, imy-iz, iry Nxn, Hry-tp Nxb, xtmty- nzw-bity (Nfr-kA-Ra)| anx.(w) Dt !
bity, zmr-waty, Xry-Hbt, imy-r(A) iaAw, Hr(y)-zStA n(y) <A> mdt nb(t) n(y)t 30 (18) Ir hA.f m-a.k r dpt, ir rmT iqrw wnn(w) HA.f (19) Hr gzwy dpt, zAw

†p-Rzy, imy-ib n(y) nb.f, Îr-xw.f. xr.f m mw. Ir zDr.f m grH, ir rmT (20) iqrw zDrw HA.f m Xn.f, z(i)p zp 10
14 (2) [≈tmty-bity, zmr]-waty, Xry-Hbt, imy-r(A) iaAw, inn(w) xrt xAzwt n grH. (21) Mr Hm.(i) mAA dng pw r inw biA (22) Pwnt.
nb(wt) n nb.f, inn(w) inw n Xkr(t)-nzw, imy-r(A) xAzwt nb(wt) n(y)t 31 Ir zpr.k r Xnw, zk dng pw m-a.k (23) anx.(w) wDA.(w) znb.(w), iw Hm.(i)

p-Rzy, dd(w) nrw (3) [Îr m] xAzwt, irr(w) Hzzt.n nb.[f], xtmty-bity, r irt n.k aAt r iryt n xtmty-nTr BA-wr-Dd (24) m rk (Izzi)|, xft zt-ib n(y)t
zmr-waty, Xry-Hbt, imy-r(A) iaAw, imAxw xr PtH-Zkr, Îr-xw.f, (4) Dd.f: Hm.(i) r mAA dng pw.
15 [I]w hAb.n w(i) Hm n(y) (Mr-n-ra)| nb.(i) Hna it.(i), zmr-waty, Xry-Hb(t) 32 (25) Iw in(w) wDw n HqA niwt mAt, zmr, imy-r(A) Hmw-nTr r wD nHm

Iri, r IAm, r wbA wAt r xAzt tn. (5) Iw ir.n.(i) z(y) n Abd 7, in.n.(i) inw nb zzAw (26) m-a.f m H(w)t nb(t) n(y)t pr-Sna m H(w)t-nTr nb(t). N ir(w) xwt im.
im.z nfr qaH, Hzt.(i) Hr.z aA.(ti) wrt. 33 E. EDEL, op. cit., in Festschrift H. Grapow, Berlin, 1955, p. 62-68;
16 ÌAb w(i) Hm.f m zn-nw zp, (6) wa.k(wi). Pr.n(.i) Hr wAt Abw. ÌA.n.(i) E. EDEL, «Inschriften des Alten Reiches, XI. Nachträge zu den Reise-
m IrTt – Mxr, †rrz, IrTT – m Hnt Abd 8. ÌA.n.(i) (7) in.n.(i) inw m xAzt tn berichten des Îrw-≈wjf», in ZÄS, t. LXXXV, 1960, p. 18-23.
r aAt wrt, iwt(y)-zp (8) in.t(w) mitt r tA pn Dr-bAH. ÌA.n.(i) m hAw pr HqA 34 Carte établie d’après E. EDEL, op. cit., in Festschrift H. Grapow,

ZATw IrTt, (9) wbA.n.(i) xAzwt (i)ptn. N-zp gmy ir.n zmr, imy-r(A) iaAw nb Berlin, 1955, p. 59.
pr(w) r IAm tp-aw(y). 35 E. EDEL, op. cit., in Festschrift H. Grapow, 1955, p. 59-62; E. EDEL,
17 (10) Iw gr(t) hAb.n w(i) Hm.f m xmt-nw zp r IAm. (11) Pr.n.(i) m … (?) «Die Ländernamen Unternubiens und die Ausbreitung der C-Gruppe
Hr wAt ‹HAt, gm.n.(i) HqA IAm (12) Sm.(w) r.f r A-™mH r Hw(t) ™mH(w) nach den Reisberichten des Îrw-≈wjf», in Orientalia, t. XXXVI, 1967,
(13) r qaH imnt(y) n(y) pt. Iw.(i) pr.k(w)i m-zA.f r A-™mH, (14) zHtp.n.(i) zw p. 133-158.
r wn.f Hr dwA nTrw nb(w) n ity<w>. 36 A.E. WEIGALL, A Report on the Antiquities of Lower Nubia, Oxford,
18 (1) [Iw hAb.n.(i) (?) …] IAm n(y)t Smz […] r rdit rx Hm n(y) (Mr-n- 1907, pl. LVIII.29; Urk. I, p. 208.15-16.
ra)| nb(.i) (2) [wnt w(i) pr.k(w)i r A-™mH (?)] m-zA HqA IAm, ixr zHtp.n.i 37 W.K. SIMPSON, Heka-nefer, New Haven-Philadelphie, 1963, p. 49-

HqA IAm pf (3) […]. Restitutions d’après E. EDEL, «Inschriften des Alten 50, fig. 40.
Reiches, V. Die Reiseberichte des Îrw-≈wjf (Herchuf)», in Ägyptol- 38 D.M. DIXON, «The Land of Yam», in JEA, t. XLIV, 1958, p. 40-55.

ogische Studien (= Festschrift H. Grapow), Berlin, 1955, p. 54-56, 39 W.B. EMERY, «Egypt Exploration Society. Preliminary Report on
qui propose également une hypothèse quant à la ligne 1. the Excavations at Buhen, 1962 », in Kush, t. XI, 1963, p. 116-120;
19 [ÌA.n.(i)] m xnt IrTt m pHwy ZATw, gm.n.(i) HqA IrTt ZATw ‹AwAt W.Y. ADAMS, Nubia. Corridor to Africa, Londres, 1977, p. 139-140,
(4) [… (?)]. Pour le début de la ligne 4, E. EDEL, op. cit., in Festschrift p. 170-174.
H. Grapow, 1955, Berlin, p. 58-59, propose [dmDy m xt wat], qui 40 D.M. DIXON, op. cit., in JEA, t. XLIV, 1958, p. 49-50.

signifierait « unis en une seule chose » et expliciterait la réunion des 41 D. O’CONNOR, «The Location of Yam and Kush and Their Histor-

pays Irtjet, Satjou et Ouaouat sous le gouvernement d’un seul Héqa. ical Implications», in JARCE, t. XXIII, 1986, p. 27-39.
Néanmoins, le harpon wa serait écrit sous la forme du rouleau de 42 Cl. OBSOMER, Sésostris Ier, Bruxelles, 1995, p. 237-359.

papyrus, ce qui reste à prouver, tandis que le t du féminin ne semble pas 43 Carte établie d’après D. O’CONNOR, op. cit., in JARCE, t. XXIII,

correspondre à la trace encore visible. 1986, p. 31; H. GOEDICKE, «Yam More», in GM, t. CI, 1988, p. 42.
20 ÌA.[n].(i) m aA 300 ATp(w) m znTr, (5) hbn(y), Hknw, (X)zAyt, bA, 44 H. GOEDICKE, op. cit., in GM, t. CI, 1988, p. 35. Par contre, il est

mzwA Abw, TniAw, mAaw nb nfr. Ixr mAA HqA IrTt ZATw (6) ‹AwAt nxt aSA probable que cette région est le pays Irem mentionné dans les textes
Tzt n(y)t IAm hA.(w) Hna.(i) r Xnw Hna mSa hAb(w) Hna.(i), wn.in (7) [HqA] du Nouvel Empire.
pn Hr zbt.(i), Hr rdit n.(i) kAw niAw, Hr zSm n.(i) wAwt n(yw)t Tzwt n(yw)t 45 J. LOPEZ, Las inscripciones faraónicas entre Korosko y Kasr Ibrim,

IrTt, n iqr rz-tp (8) ir(w).n.(i) r zmr imy-r(A) iaAw nb hAb(w) r IAm Madrid, 1966, p. 27-28, n° 27; J. LOPEZ, « Inscriptions de l’Ancien
Dr-bAH. Empire à Khor el-Aquiba», in RdÉ, t. XIX, 1967, p. 65; W. HELCK,

51
«Die Bedeutung der Felsinschriften J. Lopez, Inscripciones rupestres
nr. 27 und 28», in SAK, t. I, 1974, p. 215.
46 L’inscription voisine (n° 28) mentionne d’ailleurs en sa ligne 2: nDrt

NHz(y) 17.000 « capturer 17.000 Nubiens ». Il est clair qu’il s’agit


également d’un résultat, et non pas d’un objectif à atteindre.
47 J. YOYOTTE, « Pour une localisation du pays de Iam », in BIFAO,

t. LII, 1953, p. 173-178.


48 D.M. DIXON, op. cit., in JEA, t. XLIV, 1958, p. 50; H. GOEDICKE,

«Herkhuf’s Travels», in JNES, t. XL, 1981, p. 10, n. 54.


49 H. GOEDICKE, op. cit., in JNES, t. XL, 1981, p. 1-20; H. GOEDICKE,

op. cit., in GM, t. CI, 1988, p. 35-42 (avec carte).


50 H. GOEDICKE, op. cit., in GM, t. CI, 1988, p. 36.
51 G. BELOVA, «Egyptians and Nubian Lands in the Old Kingdom»,

in Ancient Egypt and Kush, Moscou, 1993, p. 35-38, p. 44-47 (carte


p. 65).
52 M. VALLOGGIA, Le mastaba de Medou-Nefer, Le Caire, 1986,

p. 71-74; L. GIDDY, Egyptian Oases, Warminster, 1987, p. 140-141.


Les Égyptiens fréquentèrent la région dès la IVe dynastie, comme
l’indiquent les inscriptions localisées à 100 km au sud-ouest de Dakhla:
R. KUPPER, « Les marches occidentales de l’Égypte : dernières nou-
velles», in BSFÉ, t. CLVIII, 2003, p. 12-34.
53 Ch. BONNET, Le temple principal de la ville de Kerma, Paris, 2004,

p. 12-15, qui contredit H. GOEDICKE, op. cit., in JNES, t. XL, 1981,


p. 10. Les vases d’Ancien Empire retrouvés in situ ne sont pas une
preuve d’un contact à l’époque, s’ils résultent d’un commerce tardif,
comme c’est le cas de statues et stèles du Moyen Empire.
54 R. FATTOVICH, op. cit., in Akten Des Vierten Internationalen Agyp-

tologen Kongresses, Munchen, 1985, t. IV, Hambourg 1991, p. 263,


266-267.
55 Un rythme de marche moins soutenu n’est certes pas rentable. L’on

pourrait envisager plutôt d’augmenter le kilométrage journalier, mais


20 ou 25 km par jour se pratique-t-il avec des ânes comme plus tard
avec des dromadaires ?
56 E. EDEL, op. cit., in Festschrift H. Grapow, Berlin, 1955, p. 73-75.
57 À la suite de la note de Kurt Sethe dans Urk. I, p. 125.
58 E. EDEL, op. cit., in Orientalia, t. XXXVI, 1967, p. 144-147.
59 W.Y. ADAMS, op. cit., 146, fig. 17.
60 Cfr Cl. OBSOMER, op. cit., p. 325-334.
61 Urk. I, p. 110-111.
62 Urk. I, p. 133.

52
L’empire nubien des Sésostris :
Ouaouat et Kouch sous la XIIe dynastie
Claude OBSOMER

Dès l’époque thinite et sous l’Ancien Empire memphite, dévaster Ouaouat et Irtjet, et il y massacre de nombreux
les Égyptiens ont affirmé leur présence en Nubie par habitants 9 ; le second est contraint de négocier le
des expéditions militaires et commerciales. Plusieurs rapatriement du corps de son père Mékhou, mort en
expéditions menées en Basse Nubie, entre les première Ouaouat 10.
et deuxième cataractes du Nil, semblent avoir eu pour
objectif essentiel de razzier la région pour en ramener Durant le IIIe millénaire, la frontière sud de l’Égypte
des milliers de prisonniers et de têtes de bétail. Mais resta fixée à la première cataracte du Nil, sous la
au cours des IVe et Ve dynasties, après une campagne responsabilité des nobles d’Éléphantine. Les rois mem-
dévastatrice ordonnée par le roi Snéfrou 1, un comptoir phites ne semblent pas avoir exercé un contrôle
égyptien fonctionna durant près d’un siècle au nord permanent sur la Basse Nubie marqué par une occupa-
de la deuxième cataracte, en un lieu connu plus tard tion militaire de son territoire : on a montré depuis
sous le nom de Bouhen 2, tandis que des carrières de longtemps que la première phase de construction des
gneiss ou « diorite de Chéphren », situées dans le désert forteresses d’Ikkour, Qouban (Baki) et Aniba (Miam)
à 70 km au nord-ouest de Tochka, étaient exploitées pour dataient non pas de l’Ancien Empire, mais des débuts
les besoins de la statuaire 3. Sous la VIe dynastie, la du Moyen Empire 11. Au-delà de la deuxième cataracte,
Basse Nubie est divisée en plusieurs régions, qui sem- Iam était la destination d’expéditions à vocation pure-
blent jouir d’une certaine autonomie, mais rendent ment commerciale : acheminer vers l’Égypte les produits
l’hommage au roi d’Égypte Mérenrê en visite sur la pre- exotiques du cours supérieur du Nil et du pays de Pount.
mière cataracte 4.
Au Moyen Empire, la politique nubienne va évoluer consi-
Les pays Ouaouat, Irtjet et Satjou se succèdent du nord dérablement, sous la XIIe dynastie (vers 1987-1795).
au sud, avec de probables extensions vers le désert occi- Après une conquête rapide de Ouaouat, qui s’étend
dental, tandis que le pays Médja correspond au désert désormais sur l’ensemble de la Basse Nubie 12, et son
oriental 5. Sous Pépy Ier, des mercenaires nubiens issus contrôle permanent grâce à des garnisons égyptiennes éta-
de ces régions font partie de l’armée égyptienne placée blies dans des forteresses nombreuses et puissantes, la
sous les ordres d’Ouni, qui remporte une victoire contre frontière sud de l’Égypte sera déplacée vers la deuxième
des nomades Âamou 6. Devenu responsable de la Haute cataracte, s’établissant probablement d’abord à Bouhen,
Égypte sous Mérenrê, le même Ouni assemble sept avant de se fixer à Semna. Et, c’est à partir de ces deux
bateaux en acacia de Ouaouat en vue d’acheminer des places fortes que seront lancées, par Sésostris Ier et Sésos-
blocs de granit vers la pyramide royale 7. Vers la même tris III, trois expéditions militaires contre Kouch, dont
époque, Irtjet et Satjou sont visités par Herkhouf au le nom entre pour la première fois dans l’histoire. Si
retour de deux expéditions vers Iam 8. Un même chef les sources textuelles du Moyen Empire, nombreuses
nubien dirige alors les deux régions, étendant même désormais, s’accordent à désigner par Ouaouat et Kouch
son pouvoir sur Ouaouat, tandis qu’Herkhouf lui mon- les régions situées respectivement au nord et au sud de
tre la belle entente qui anime Iamites et Égyptiens. La la deuxième cataracte, l’archéologie nubienne opère au
situation se dégrade sous Pépy II, comme en témoignent niveau des populations la distinction entre deux cultures:
Pépy-Nakht et Sabni : le premier reçoit la mission de le «Groupe C» et la «Culture Kerma».

53
1. Une première campagne sous Montouhotep II 2. La conquête et l’annexion de Ouaouat

Les populations de Basse Nubie avaient recouvré leur Plus de 40 ans après l’expédition attestée par Tjéhémaou,
totale autonomie durant la « Première Période Intermé- le roi Séhétepibrê Amenemhat Ier (vers 1987-1958) envoya
diaire » (vers 2160-2030), tandis qu’une lutte pour le en Ouaouat son vizir Antefoqer à la tête d’une troupe
pouvoir royal opposait en Égypte les Thébains et les importante. D’emblée, les inscriptions retrouvées sur les
Héracléopolitains. Sorti victorieux de ce conflit, Nebhé- lieux mêmes des faits deviennent plus nombreuses et
petrê Montouhotep II proclama l’union des Deux Terres, plus explicites (carte 1).
en y associant dans sa hout-ka de Dendéra la soumission
des peuples voisins, parmi lesquels les Néhésyou, les 2a. L’expédition de l’an 29 d’Amenemhat Ier
Médjayou et Ouaouat 13. À cette scène légendée de
Dendéra, on associera volontiers une inscription fragmen- Un rocher situé à 80 km au sud d’Assouan, près d’ech-
taire de Deir el-Ballas attribuée à Montouhotep II, qui Chima, conserve les noms de plusieurs soldats de cette
mentionne la soumission de Ouaouat et de l’Oasis expédition 18. Un certain Kébès y est présenté comme «un
(Dakhla) et leur annexion à la Haute Égypte 14. jeune homme des troupes du Roi de Haute et de Basse
Égypte Séhétepibrê ». Mais c’est près de Korosko, à el-
Montouhotep II pourrait effectivement avoir mené Girgaoui, que furent découvertes les inscriptions les plus
ou, du moins, envoyé une armée jusqu’aux confins de intéressantes. Connue dès 1875 19, la première fut gravée
la deuxième cataracte, si l’on se réfère au graffito hiéra- par des officiers et présente une date: «Le militaire-Smzw
tique gravé sur un rocher d’Abisco par un mercenaire Khnoum; le militaire-Smzw Amenemhat; le militaire-Smzw
nubien, Tjéhémaou : « J’ai commencé à combattre à Ichet-ka; le militaire-Smzw Nakhti. An 29 du Roi de Haute
l’époque de Nebhépetrê dans l’armée, lorsqu’il / elle et de Basse Égypte Séhétepibrê, vivant éternellement !
remonta le fleuve vers B[ouh]en » (col. 3-7) 15. Comme Nous sommes venus pour abattre Ouaouat» 20. Découverte
la suite du récit de Tjéhémaou concerne des opérations
postérieures menées autour de Thèbes contre des Âamou,
on ignore quels furent les objectifs et les résultats
de cette expédition vers Bouhen, et aucun témoignage
archéologique ou épigraphique retrouvé entre Abisco
et la deuxième cataracte ne vient combler cette lacune 16.

Quatre graffiti des environs de la première cataracte


soulignent l’intérêt de Montouhotep II pour la Nubie,
mais restent bien peu explicites : l’un indique que « tous
les pays étrangers sont sous tes sandales»; un autre men-
tionne des «bateaux de Ouaouat» 17.

En l’absence de preuves tangibles d’une occupation


militaire effective de la Basse Nubie par les Égyptiens,
on supposera que l’expédition à laquelle participa Tjéhé-
maou avait eu pour objectif de réaffirmer la présence
égyptienne en Basse Nubie en vue de garantir la sécurité
de la frontière méridionale de l’Égypte, sur la première
cataracte du Nil. En somme, rien ne permet de penser
que la politique nubienne de Montouhotep II ait été
fondamentalement différente de celle des rois memphites
de l’Ancien Empire.

54
en 1963 21, la seconde inscription décrit brièvement l’ac- que l’objectif d’Antefoqer en Nubie avait dû être simi-
tion du vizir Antefoqer, chef de l’expédition: «C’est alors laire : une razzia en prisonniers et en bétail, peu avant
qu’on était occupés à construire ce camp (xnrt) que furent l’an 30 d’Amenemhat durant lequel allait être célébrée la
massacrés les Nubiens de tout le reste de Ouaouat. J’ai fête sed du roi. Dans ce cas, la campagne nubienne de
navigué vers l’amont victorieusement, en massacrant le l’an 29 n’aurait été qu’une opération ponctuelle, à l’instar
Nubien sur sa rive, et j’ai redescendu le fleuve en arrachant de celles qui furent menées en Nubie à l’Ancien Empire.
(leurs) céréales et en coupant des fagots de leurs Toutefois, deux stèles de l’an 5 de Sésostris Ier tendent
arbres, dans l’intention de mettre le feu à leurs maisons, à prouver le contraire (fig. 1).
comme on fait à celui qui se rebelle contre le roi» 22.
Ces deux stèles de près de 80 cm de haut ont été retrouvées
Cette inscription, concise mais précise, jette un éclairage dans la forteresse de Bouhen, aux abords du temple
sur les décisions d’Antefoqer une fois arrivé à mi-chemin du Nouvel Empire 25. Datée du premier mois de Chémou,
entre les première et deuxième cataractes. Deux actions la première désigne Sésostris Ier comme «aimé des dieux
furent menées simultanément par les troupes égyptiennes: de Ouaouat »; datée du deuxième mois de Chémou,
la construction d’un camp-xnrt à el-Girgaoui 23, et le mas- la seconde en fait l’« aimé de Khnoum qui préside à la
sacre des Nubiens de Ouaouat habitant en amont de ce Cataracte». Placées à l’origine dans le temple du Moyen
lieu. Cette opération militaire est décrite avec plus de Empire, ces stèles semblent indiquer que la forteresse
détails, puisqu’elle fut conduite par Antefoqer lui-même. qui abritait ce temple était opérationnelle en l’an 5 de
Le «Nubien» qu’il massacra «sur sa rive» avant de revenir Sésostris Ier. Les archéologues qui en ont étudié les struc-
à el-Girgaoui est sans aucun doute le souverain de Ouaouat, tures précisent que cette construction, particulièrement
qu’il fallait trouver et abattre pour «abattre Ouaouat» de
façon effective. Une fois rentré à el-Girgaoui, le vizir fit
donc graver le récit de son exploit près du xnrt mentionné Fig. 1. La forteresse de Bouhen.
au début de l’inscription. Contrairement à ce que l’on a
pensé dans un premier temps, ce xnrt n’était sans doute Plans d'après W.B. EMERY, The
Fortress of Buhen, The Archaeological
pas un fort, qui aurait laissé in situ des vestiges de quelque Report, Londres, 1979, pl. 2-4
importance, mais plutôt un camp de détention. Ce camp- [1. Début de la XIIe dynastie; 2. Fin de
la XIIe dynastie; 3. Nouvel Empire]
xnrt a pu permettre aux Égyptiens de maintenir leurs
prisonniers sous bonne garde durant l’absence d’Antefo-
qer, avant que celui-ci ne décide de faire mouvement.

L’inscription d’Antefoqer n’indique hélas pas quelles


furent alors les intentions du vizir : rentrer en Égypte
avec ces prisonniers ou poursuivre l’expédition vers la
deuxième cataracte ? Deux événements de peu postérieurs
permettent de proposer une réponse à cette question.

Le premier est le décès par assassinat du roi Amenemhat Ier,


au 67e jour de son an 30, quelques mois à peine après que
fut gravée l’inscription nubienne d’Antefoqer. On peut
penser que les assassins ont profité de l’absence conjuguée
du vizir Antefoqer et du fils aîné du roi, Sésostris, pour
mener à bien leur complot. Le texte de Sinouhé (R 11-16)
précise que ce dernier avait été envoyé au désert occidental Stèle EES 882 (an 2 de Sésostris Ier):
à la tête d’une troupe «pour frapper les étrangers et abattre H.S. SMITH, The fortress of Buhen,
The Inscriptions, Londres, 1976,
ceux qui sont en Tjéhénou» et qu’il «revenait et ramenait pl. IV, 4.
des prisonniers de Tjéhénou et toutes sortes de bestiaux
en nombre illimité » 24. On pourrait donc a priori penser

55
homogène, fut réalisée d’un seul bloc 26, et qu’il fallut territoires conquis et à la mise en œuvre de l’exploitation
commencer par édifier la vaste enceinte à bastions semi- systématique de ses ressources et gisements. L’inscription
circulaires de 712 m de long et 4 m de large, ouverte vers de Rédis est sans doute contemporaine de la grande expé-
le Nil, qui allait protéger la zone où le fort lui-même allait dition de l’an 18 vers Kouch, dont le maître d’œuvre serait
être édifié. Par conséquent, comme la date des deux stèles le général Montouhotep.
nous amène à Bouhen 5 ans après la campagne d’Ante-
foqer en Ouaouat, il est très probable que le but de celle- Achevée dès l’an 5, la forteresse de Bouhen fut construite
ci était d’atteindre la deuxième cataracte pour y établir un au nord de la deuxième cataracte, un peu en amont de
poste avancé qui allait rendre possible un contrôle durable l’endroit où un comptoir commercial avait fonctionné à
de la Basse Nubie. Les prisonniers rassemblés dans le l’Ancien Empire. Il est très possible que la frontière sud
camp-xnrt d’el-Girgaoui ont donc très bien pu être ache- de l’Égypte ait été déplacée d’Assouan à Bouhen dès cette
minés vers le chantier de Bouhen dès l’an 29 d’Amen- époque, car plus tard, en établissant sa frontière à Semna,
emhat Ier 27. Si tel est le cas, on pourra même songer Sésostris III déclarera : « J’ai établi ma frontière quand
à identifier à la grande enceinte extérieure de Bouhen j’ai dépassé au sud (celle de) mes pères. J’ai accru ce qui
les énigmatiques « Murs d’Amenemhat-juste-de-voix » me fut légué » 33. La forteresse elle-même, au centre de
auxquels un certain Antef effectua des travaux en l’an 33 la grande enceinte à bastions semi-circulaires, était un
d’Amenemhat III, d’après une stèle de Kerma 28. modèle du genre dans l’architecture militaire (fig. 1). Elle
décrivait un espace rectangulaire de 150 x 138 m fermé
2b. Le contrôle et l’exploitation de la Basse Nubie sur ses quatre côtés, avec une porte monumentale sur la
(premiers témoignages) face ouest et deux autres à l’est qui permettait un accès
direct au Nil grâce à des quais. Le rempart d’une hauteur
Aucun combat n’est attesté en Basse Nubie sous le règne de 10 m, pourvu de tours tous les 5 m, était renforcé sur
de Sésostris Ier. Le site d’el-Girgaoui a révélé des dizaines trois côtés par un second rempart moins élevé au sommet
d’inscriptions, qui, quand elles sont datées, appartiennent duquel courait un chemin de ronde à meurtrières, avec
aux deux premières décennies (carte 1, p. 54). Un certain des bastions semi-circulaires tous les 20 ou 25 m. Un large
Ibès déclare, par exemple : « [Je suis] venu [avec] une fossé complétait le système de défenses. À l’intérieur,
patrouille en l’an 4 [+ x, xe mois de] Péret (?). J’ai voyagé l’espace était aménagé de façon rationnelle, grâce à un
vers le nord avec des prospecteurs, sans qu’il y ait eu de système de rues perpendiculaires qui séparait les différents
combats (…)» 29. Une patrouille est également mention- blocs: entrepôts, ateliers, logements des soldats et des offi-
née sur une stèle rupestre de l’an 9 gravée par un certain ciers, temple et espaces de rassemblement. Seule la zone
Sobekhotep 30, et il n’est pas rare que ces soldats indiquent du temple sera remodelée plus tard, au Nouvel Empire,
le détachement auquel ils appartiennent 31. Un abri sous et un second temple sera en outre construit au nord, à l’ex-
roche situé au pied du gebel a conservé les noms de térieur du fort, protégé par la grande enceinte qui avait
nombreux militaires, dont certains se retrouvent au fond quant à elle été renforcée dès la fin du Moyen Empire,
du ouadi. Un Antef dresse la liste de ses frères d’armes, peut-être sous Amenemhat III 34. C’est dans le temple nord
tandis qu’un autre est le frère d’un Amény qui a laissé que furent retrouvées les stèles de deux généraux de
une stèle en l’an 16… Il est clair qu’une troupe égyptienne Sésostris Ier : la stèle triomphale dressée par Montouhotep
a occupé en permanence le site d’el-Girgaoui au moins en l’an 18, après son expédition contre Kouch, et celles
jusqu’en l’an 19, ce que confirme l’inscription de Rédis. de Dédou-Antef, qui lui sont probablement postérieures 35.
Celle-ci précise que «le chancelier royal Séhétep-(ib)-rê
et le noble prince, chancelier royal et compagnon unique Trois autres forteresses de Basse Nubie semblent pouvoir
(…), responsable des bateaux Rédis furent envoyés (en dater, dans leur première phase de construction, de la pre-
mission) durant 20 années [pour] les allées et venues mière ou de la deuxième décennie du règne de Sésostris Ier 36 :
vers Ouaouat du [responsable] de la ville et vizir […] Aniba, Ikkour et Qouban (carte 1, p. 54). Aniba (Miam)
Antefoqer» 32. Comptées à partir de l’an 29 d’Amenemhat avait pour objet d’exercer un contrôle efficace des Nubiens
Ier, ces 20 années d’activités ont dû être consacrées non du Groupe C qui abondaient dans la zone située en amont
seulement à la construction de Bouhen et d’autres forteres- d’el-Girgaoui: le site d’el-Girgaoui a pu être abandonné
ses, mais aussi à la mise en place de l’administration des dès qu’Aniba fut devenue pleinement opérationnelle.

56
Aniba sera élargie avant l’an 6 de Sésostris II, sur le de filiation utilisant mz.n, tandis que l’origine du prospec-
modèle de Bouhen. Ikkour avait un rôle similaire à celui teur Khésébed est instructive, puisqu’il s’agit d’un nome
d’Aniba, à mi-chemin entre el-Girgaoui et la première de Moyenne Égypte réputé pour ses nombreuses carrières.
cataracte. Sur la rive opposée, Qouban (Baki) était liée à À 25 km au nord du Ouadi Rahma, le Ouadi Cheima
l’exploitation de l‘or du Ouadi Allaqi, dont elle protégeait conservait encore au début du siècle des inscriptions
l’accès: le minerai y était entreposé avant d’être acheminé datées de Sésostris Ier et de l’an 3 d’Amenemhat II 44.
vers l’Égypte. Un poids de pierre au nom de Sésostris Ier Dans le désert à 35 km au sud-est d’Assouan, les carrières
a été retrouvé sur place, ainsi que des empreintes de sceaux d’améthyste du Ouadi el-Houdi, exploitées pour la
de Sésostris II. Comme Aniba, ces deux forteresses ont
connu un agrandissement postérieur, sous la XIIe dynastie.

D’autres sites de Basse Nubie témoignent d’une activité


sous le règne de Sésostris Ier ou de ses successeurs. À
Tochka, une stèle de l’an 4 d’Amenemhat II décrit la
troupe qui accompagnait le héraut Horemhat lorsqu’il
revint des carrières de pierre-xnmt: des soldats, 50 géolo-
gues, 200 ouvriers de la nécropole, un bon millier
de serviteurs et 1000 ânes 37. Cette pierre-xnmt, identifiée
aujourd’hui à la cornaline 38, provenait du Gebel el-Asr,
situé à 70 km au nord-ouest de Tochka, où l’on extrayait
également la pierre-mntt (gneiss anorthositique). À une
dizaine de kilomètres au nord du site exploité aux IVe et
Ve dynasties, le site du Moyen Empire était marqué par
une série de stèles datées de Sésostris Ier à Amenemhat
III 39, dont plusieurs sont exposées au Musée de la Nubie
à Assouan. On conserve un certain nombre de statues du
Moyen Empire sculptées dans cette pierre, comme la
statue dédiée à Sahourê par Sésostris Ier, découverte dans
la Cachette de Karnak (Caire CG 42004), le torse royal
Berlin 1205, la tête royale Louqsor J 32, la statue-cube du
général Nysou-Montou exposée à Munich, un fragment
de statue-cube conservé à Cambridge.

Un groupe d’inscriptions fut gravé sur un rocher près


d’Areika, au sud d’Amada. L’une d’elles offre la date la
plus haute connue pour le règne de Sésostris Ier, l’an 45,
tandis que deux autres appartiennent aux premières années
d’Amenemhat II 40. Mais on y lit également les noms de
Sésostris III et d’un officier de ce dernier, le fameux Khou-
Sobek, si bien que l’on hésite à dater de l’un ou l’autre de
ces règnes le camp-xnrt qui y a été découvert 41. Au Ouadi
Rahma, à 45 km au nord de Qouban, un grand rocher isolé
conserve une vingtaine d’inscriptions attribuées au Moyen
Empire, dont la plus intéressante indique 42 : «(An) 28. Le
prospecteur du nome du Lièvre Khésébed, qu’a enfanté
Héteptjou, juste de voix et maître de la condition de
bienheureux» 43. L’attribution au règne de Sésostris Ier est
assurée, grâce au critère de datation qu’offre la formule

57
première fois sous Montouhotep IV, le sont de nouveau de
l’an 17 à l’an 29 de Sésostris Ier 45.

L’acheminement des produits nubiens vers l’Égypte était


placé sous la responsabilité du nomarque d’Éléphantine,
Sarenpout Ier. L’inscription gravée à l’entrée de sa tombe
de la Qoubbet el-Haoua (n° 36) le présente comme « le
préposé au sceau, responsable de tous les tributs de l’En-
trée des régions montagneuses qui constituent l’ornement
du roi», «celui à qui on faisait rapport concernant la pro-
duction du pays Médja». Son rôle essentiel était d’assurer
le transit des marchandises au niveau de la première cata-
racte. Pour ce faire, on vidait les bateaux de leur contenu
et on transportait les marchandises sur la route menant de
Konosso à Assouan, dont le nom antique Sounou (Syène
en grec) désigne un lieu de commerce ou d’échanges. La
route était parsemée d’inscriptions et protégée des éven-
tuels pillards par un mur dont certaines portions ont été
identifiées 46. L’inscription de Sarenpout le présente aussi
comme «le préposé aux ports qui se trouvent en Ta-Séty
(sc. le nome d’Assouan), sous la supervision de qui on
naviguait et on accostait» et «celui qui pénètre les cœurs
sur “le dos de la rive”, le grand responsable des bateaux
dans le domaine royal, qui approvisonnait la Double
Maison de l’Argent» 47.
à This n’est certes pas précisée, mais plusieurs sections
du papyrus offrent la copie d’ordres émanant du vizir
3. La campagne contre Kouch en l’an 18 Antefoqer, dont on connaît l’intérêt durable pour la Nubie
de Sésostris Ier grâce à l’inscription de Rédis.

La campagne de l’an 18 de Sésostris Ier contre Kouch Lors de son passage à Assouan, Sésostris Ier attribua
(carte 2) est encore mieux documentée que celle de l’an 29 au nomarque Sarenpout Ier une double récompense,
d’Amenemhat Ier contre Ouaouat. Cette fois, le roi parti- comme l’indique l’inscription d’un des piliers centraux du
cipe à l’expédition, comme en témoignent Amény de portique de sa tombe 49 (fig. 2) : « Quand Sa Majesté
Béni Hassan et Sarenpout Ier d’Éléphantine. Le document s’avança pour abattre Kas la vaincue, Sa Majesté fit que
essentiel, une stèle triomphale érigée à Bouhen par le l’on m’apporte du bœuf cru. Quant à tout ce qui est
général Montouhotep fils d’Âmou, offre dans le récit des accompli à Éléphantine, Sa Majesté fait que l’on m’appor-
opérations une date précise: Péret I.8 (environ le 12 avril) te un flanc ou un arrière-train de bœuf, un plateau rempli
de l’an 18 (vers 1941). de toutes sortes de bonnes choses, en plus de cinq oies
crues. Ce sont quatre hommes qui me l’amènent » 50.
3a. Le trajet vers Bouhen Sarenpout ne semble pas avoir accompagné le roi dans son
expédition en Nubie, mais c’est à lui que revenait de
Claude Vandersleyen a suggéré de lier à la campagne de superviser le franchissement de la première cataracte par
l’an 18 les données du pReisner II 48, qui concerne les les bateaux, les troupes et le matériel. C’est sans doute
fournitures destinées aux charpentiers des chantiers navals pour le succès cette l’opération que Sarenpout reçut une
de This, près d’Abydos, entre Chémou II de l’an 16 et première récompense. La seconde, plus importante, est
Akhet II de l’an 17 (de septembre 1943 à janvier 1942 motivée par l’activité de Sarenpout à Éléphantine, là où se
avant J.-C.). La destination finale des bateaux construits trouvent les temples de Khnoum et de Satis, ainsi que le

58
Fig. 2. Assouan (Qoubbet el-Haoua), inscription du pilier 4 de la cour de
Sarenpout Ier. Photo © Cl. Obsomer, 2006. Copie au trait: A.H. GARDINER, in ZÄS,
t. XLV, 1909, pl. VIII A.

sanctuaire d’Héqa-ib dédié au chef d’expédition de Pépy calendrier civil et les saisons réelles, le franchissement
II, Pépy-Nakht. Pour obtenir une navigation favorable sur de la première cataracte a pu bénéficier d’une hauteur de
le haut cours du Nil, il était indispensable, en effet, de Nil idéale pour le halage des bateaux. Or, une stèle de l’an
veiller au culte des divinités de la cataracte. L’étape à 17 découverte au Ouadi el-Houdi 51, à 35 km au sud-est
Assouan fut pour Sésostris Ier l’occasion de visiter les édi- d’Assouan, atteste la présence aux carrières d’améthyste
fices existants, voire de convenir avec Sarenpout des cons- d’une troupe de quelque 1300 soldats venant non seule-
tructions à réaliser, des offrandes à constituer. ment d’Éléphantine, mais aussi d’Ombos et de Thèbes. Le
nombre total de soldats paraît anormalement élevé pour
Le franchissement de la cataracte par la flotte et les une telle expédition, de même que la proportion des Thé-
troupes obligea le roi Sésostris à effectuer un séjour plus ou bains (1000) par rapport aux troupes locales (200) 52. Aussi,
moins long chez son hôte Sarenpout. La date figurant sur il est probable que ces Thébains faisaient partie de la troupe
la stèle de Bouhen (Péret I.8 de l’an 18) permet de penser que le roi emmenait vers la Haute Nubie, et qu’ils se
que cette opération se déroula en l’an 17, puisqu’il convient trouvaient en manœuvres dans le désert oriental tandis que
de tenir compte de la durée du déplacement d’Assouan à le roi séjournait à Assouan. Si c’est de la même expédition
Bouhen et des opérations contre Kouch. Comme la crue du que date la stèle de l’intendant Hor trouvée aux carrières
Nil avait lieu de Péret IV.15 à Chémou IV.15 environ, en d’el-Houdi 53, on comprend mieux la portée militaire du
raison du décalage important au Moyen Empire, entre le panégyrique royal que cette stèle comporte, décrivant le

59
roi présent à Assouan comme «le dieu parfait qui décapite 3b. Les opérations militaires au-delà de la deuxième
les Iounou et coupe les cous de ceux qui sont dans Sétjet, cataracte
le souverain qui contient les Haou-nébou, atteint la limite
des hordes nubiennes et détruit les chefs du clan séditieux, Lorsqu’elle fut découverte en 1818 par William Bankes
quelqu’un à la frontière étendue, qui prolonge les expédi- dans les vestiges du temple nord de Bouhen, la stèle en
tions, dont l’excellence a uni les Deux Terres, qui possède grès du général Montouhotep était quasi intacte et avait la
force et respect dans les régions montagneuses, dont le partie inférieure enfouie dans le sol, comme le montre
carnage a fait tomber les opposants – ceux qui le défient la copie qu’en fit à l’époque Alessandro Ricci (fig. 3) 59.
ont péri à cause du carnage après qu’il a attrapé ses ennemis Ricci revint à Bouhen dix ans plus tard, accompagnant
au lasso –, un chef au caractère agréable pour celui qui l’expédition franco-toscane dirigée par Jean François
l’accompagne, qui donne le souffle de vie à celui qui Champollion, qui resta sur place du 30 décembre 1828 au
l’adore» 54. 1er janvier 1829. La stèle fut retrouvée grâce à ses indica-
tions, fortement endommagée et recouverte par le sable.
Dans leur progression vers le Sud, les troupes de Sésostris Seule la partie supérieure put être dégagée alors et rame-
ont pu faire escale dans les forteresses d’Ikkour, Qouban née à Florence. Champollion et Rosellini en produisirent
et Aniba. Mais c’est le site d’el-Girgaoui qui conserve chacun une copie 60. Les fragments de sa partie inférieure,
des traces de leur passage, notamment la stèle du respon-
sable du Double Grenier Montouhotep, datée explicite-
Fig. 3. Bouhen, stèle de l’an 18 de Sésostris Ier (Florence 2540), copie de Ricci:
ment de l’an 18 de Khéperkarê 55, sans que l’on puisse H.S. SMITH, The fortress of Buhen, The Inscriptions, Londres, 1976, pl. LXIX, 1.
déterminer a priori si cette date concerne l’aller ou le
retour de l’expédition. Le texte, mal conservé, commence
par une longue série de titres, parmi lesquels on relèvera
celui de «responsable des 6 Grandes Cours» habituelle-
ment détenu par un vizir. Il se poursuit par un récit narratif
très court, dans lequel figure le terme «émissaire» (wpwty),
et s’achève par un appel aux vivants. Il est vraisemblable
que Montouhotep avait reçu du roi une mission d’inten-
dance, et que le vizir Antefoqer lui avait délégué ses
pouvoirs dans les matières judiciaires. Par ailleurs, une
stèle non datée a été gravée en l’honneur d’un « Antef
fils de Montouhotep fils d’Âmou », qui pourrait bien
être le fils du général qui mena les opérations contre
Kouch 56.

En bordure du Nil, à quelques kilomètres au Sud de


Bouhen, le site de Kor a révélé une triple enceinte à
bastions semi-circulaires dont la plus ancienne faisait
près de 700 m de long et protégeait ce que les fouilleurs
ont interprété comme un bâtiment administratif 57. Pour
Barry Kemp 58, ces bâtiments sont en réalité un palais
royal de campagne, où Sésostris Ier a pu résider durant
la campagne de l’an 18, tandis que le général Montou-
hotep parcourait victorieusement les territoires situés
en amont de la deuxième cataracte. L’enceinte a pu être
construite en vue d’accueillir les troupes et le matériel
acheminés en Nubie pour la campagne, en laissant à la
garnison de Bouhen l’espace qui lui était nécessaire
dans la forteresse.

60
collectés en 1892 par Henry Lyons, rejoignirent également Série horizontale (de gauche à droite): «Chémyk, Khésaï,
le Musée de Florence, où James H. Breasted en effectua Chaât, Ikherqyn, ?, ?, Ima (?)».
une copie intégrale en 1901 61. Série verticale (de haut en bas): «Kas, Haou, Ya (?)».

Cette stèle présente trois sections bien distinctes 62. En Dans la série horizontale, Chémyk et Chaât sont attestés
haut, une scène montre le dieu Montou amenant au roi par ailleurs : il s’agit clairement de la cataracte de Dal
Sésostris « tous les pays qui sont dans Ta-Séty », en connue par une inscription locale sous le nom Ichmyk,
l’occurrence dix prisonniers sous forme de cartouche- et de l’île de Saï. Ces toponymes concernent donc la
forteresse incluant un toponyme. Au centre, sept lignes région de la troisième cataracte du Nil. Khésaï et Ikherqyn
horizontales, en partie détruites aujourd’hui, offrent un ne font pas, jusqu’à présent, l’objet d’une identification
panégyrique royal dans lequel le roi est présenté comme certaine, tandis qu’Ima pourrait correspondre au Iam de
«le faucon qui saisit grâce à sa force», «le taureau blanc l’Ancien Empire, mais attesterait une graphie inusitée par
(?) qui va piétiner les Iounou». En bas, dix-sept colonnes ailleurs. Dans la série verticale, seul «Kas» est identifiable
verticales (fig. 4), détruites dans leur partie inférieure, à Kouch. La graphie utilisée est proche de celle qui figure
donnent les titres et épithètes du général Montouhotep, dans l’inscription de Sarenpout, ainsi que dans trois figu-
ainsi qu’un bref récit des opérations menées au-delà rines d’envoûtement conservées au Caire et qui, pour
de Bouhen : « L’Horus Ankh-mésout, le Roi de Haute et cette raison, ont été attribuées au règne de Sésostris Ier par
de Basse Égypte Khéperkarê m’a désigné [comme émis- Georges Posener 65. Plus tard, dans l’inscription d’Amény
saire royal (?)]. An 18, premier (mois) de Péret, huitième de Béni Hassan et dans la suite de la XIIe dynastie, c’est
jour, so[us la Majesté de l’Horus Ankh-mésout], aux la graphie «Kach» qui sera employée. D’après Posener 66,
expéditions étendues, le Roi de Haute et de Basse Égypte le terme «Kas» ou «Kach» aurait désigné au départ une
Khéperkarê [vivant (soit-il) éternellement (?). Je me suis région d’étendue limitée situé entre Semna et Saï, puis il
avancé… (?)] en détruisant [leurs] troupes (?) […], leur se serait étendu à la totalité de la Haute Nubie, supplantant
vie étant achevée. [J’ai] massacré […, j’ai mis] le feu le toponyme Iam utilisé jusqu’alors pour désigner la
dans [leurs] tentes (?), […], leur grain étant jeté dans le région de Kerma. À l’appui de sa thèse, l’ordre dans lequel
fleuve […]. [Je suis] quelqu’un qui obéit, qui ne trans- se succèdent les toponymes nubiens cités sur deux figuri-
gresse pas [les instructions du palais], un homme dans la nes d’envoûtement du Caire, où Kas se trouve entre
force de son ka, [journellement (?)] et à jamais. Aussi vrai Ouaouat et Saï: «Tous les Médjayou d’Oubat-sépet et tous
que vit le Fils de Rê Sésostris, je dit ce qui s’est passé les Néhésyou de Ouaouat, de Kas, de Chaât et de Béqes».
véritablement. Le général Montouhotep fils d’Âmou» 63. Bien que séduisante, l’idée de Posener demande à être
confirmée. Elle impliquerait une lecture des toponymes
Ce récit très mutilé reste très général et ne présente aucun de la stèle qui commencerait par Kas, se poursuivrait par
toponyme précis, puisque ceux-ci sont placés en exergue Chémyk et Chaât, et s’achèverait par Ima. Dans ce cas,
dans le cintre de la stèle (fig. 5). En figurant le dieu Ima correspondrait probablement à Kerma, l’objectif
Montou amenant à Sésostris Ier les dix captifs nubiens présumé de la campagne de l’an 18.
représentant les régions parcourues, on matérialise d’une
certaine manière l’action du général Montouhotep, pré- Lorsqu’il examina les vestiges de la deffufa occidentale de
sentant à son roi resté à Bouhen ou Kor les détails de sa Kerma, George A. Reisner pensa que l’édifice avait été,
campagne victorieuse. L’ordre dans lequel les toponymes au Moyen Empire, la résidence fortifiée d’un gouverneur
doivent être lus ne fait pas l’unanimité parmi les commen- égyptien de Haute Nubie, et que le gouverneur en place à
tateurs: faut-il lire d’abord les sept noms de la série hori- l’époque de Sésostris Ier avait été le nomarque d’Assiout
zontale ou les trois noms présentés à droite et parmi Djéfai-Hâpy, puisqu’une statue de ce nomarque et une
lesquels figure Kas (Kouch) ? En outre, cinq des dix noms autre de son épouse Sénouy avaient été trouvées dans le
sont aujourd’hui endommagés ou détruits, si bien que tombeau K III de Kerma 67. Mais cette interprétation est
l’on doit, comme le fit jadis Champollion, se référer à la aujourd’hui abandonnée, car la deffufa occidentale est un
copie de Ricci pour tenter une identification. Sans entrer édifice religieux du Kerma Classique, postérieur au Moyen
dans les détails 64, voici la lecture la plus vraisemblable Empire égyptien 68, et il en va de même pour le tombeau
de ces toponymes: K III, situé près de la deffufa orientale 69. Les statues du

61
Fig. 4. Bouhen, stèle Florence 2540, restitution du texte inférieur: Cl. OBSOMER, in GM, t. CXXX, 1992, p. 64, fig. 4.

Fig. 5. Bouhen, stèle Florence 2540, copie du fragment supérieur:


J.H. BREASTED, in PSBA, t. XXIII, 1901, pl. III.

nomarque d’Assiout et de son épouse y furent donc


amenées à la Deuxième Période Intermédiaire, peut-être
comme présents égyptiens offerts au souverain de Kerma
par ses alliés Hyksôs, qui contrôlaient alors une bonne
partie de la Moyenne Égypte, et pouvaient emprunter les
routes du désert occidental. Mais peut-être ces statues,
ainsi que celle de Djéfaï-Hâpy découverte au Gebel
Barkal 70, proviennent-elles plutôt d’une forteresse égyp-
tienne investie par les Nubiens de Kerma à la Deuxième
Période Intermédiaire. L’on pensera alors à Bouhen, où
Djéfaï-Hâpy aurait pu exercer certaines fonctions en sa
qualité de «grand chef de la Haute Égypte», «responsable
de la Haute Égypte tout entière », car Assiout était en
contact direct avec les oasis nubiennes proches de Bouhen,
˛
par le Darb al Arba în.

Amény de Béni Hassan, un autre nomarque de Moyenne


Égypte, prit part à la campagne de l’an 18, comme il
l’explique dans l’inscription de sa tombe datée de l’an 43
de Sésostris Ier 71 : « J’accompagnai mon maître quand
il navigua vers le Sud pour abattre ses ennemis consistant

62
en quatre peuples étrangers. C’est en tant que fils du prince, dans ma troupe » 75. De retour dans le nome de l’Oryx,
chancelier royal et général en chef du nome de l’Oryx que Amény reçut du roi la charge de nomarque, qui semble
j’ai navigué vers le Sud, aussi vrai qu’un homme peut avoir été occupée jusqu’alors par la famille des Khnoum-
remplacer (son) père devenu vieux conformément aux hotep. La date de cette promotion peut être calculée à
faveurs du domaine royal et à l’amour de sa personne au partir de la double date affichée à l’entrée de sa tombe :
palais. Je traversai Kach en remontant le fleuve, après comme l’an 25 du nomarque correspond à l’an 43 du roi,
avoir atteint la limite du pays, et j’ai rapporté le tribut Amény a donc été promu à sa nouvelle fonction en l’an
de mon maître. Ma faveur, elle atteignait le ciel» 72. À la 19 de Sésostris Ier.
tête des troupes de l’Oryx, Amény accompagna donc le
roi Sésostris jusqu’à Bouhen, désignée comme la limite À Assouan, Sarenpout a noté sur un pilier du portique
du pays (Drw tA) dans une proposition utilisant une de sa tombe 76, en face de l’inscription mentionnant
forme zDm.n.f circonstancielle. Amény parcourut ensuite l’expédition contre Kouch, une liste non canonique de
le pays de Kouch en remontant le fleuve, et il en ramena produits, parmi lesquels figurent des produits nubiens,
le tribut destiné au roi, ce qui lui valut d’être honoré par comme du parfum de l’arbre ti-cheps et de l’aromate
celui-ci. Amény accompagna donc le général Montouhotep khésaÿt, à la suite de denrées produites en Égypte. Pour
dans son expédition vers Kerma. Il mentionne un tribut- Elmar Edel, il s’agit de présents royaux accordés après le
inw versé par les Kouchites, qui, à défaut d’une occupation succès de la campagne contre Kouch. Le retour victorieux
militaire, permettait aux Égyptiens d’imposer leur suzerai- de l’expédition était peut-être mentionné dans la partie
neté aux Nubiens de Kerma. L’existence de ce tribut supérieure du pilier, aujourd’hui détruite.
est confirmée par les Annales memphites d’Amenemhat II.
La campagne de l’an 18 contre Kouch fut la seule expédi-
Amény précise également que la traversée de Kouch tion militaire à laquelle Sésostris Ier participa durant son
s’effectua m xntyt, ce qui, pris au premier degré, implique règne. On proposera l’hypothèse suivante en ce qui
l’utilisation de bateaux, d’autant que les Égyptiens concerne le déroulement de la campagne: la construction
sont censés avoir atteint l’île de Saï. Or, on sait par possible de bateaux aux chantiers navals de This à la fin
les inscriptions du temps de Sésostris III qu’il était difficile de l’an 16 et au début de l’an 17 (pReisner II); le franchis-
de franchir la cataracte de Dal (Chémyk ou Ichmyk) en sement de la première cataracte au moment des hautes
février, en raison du niveau peu élevé de l’eau 73. Pour eaux, vers Chémou II de l’an 17 (septembre 1842); la
franchir les cataractes au moment des hautes eaux, les navigation à travers la Basse Nubie et l’installation à
bateaux égyptiens ont dû quitter Bouhen au plus tard Kor, vers Chémou III de l’an 17 (octobre 1842); le fran-
en novembre (1842), soit en Chémou IV de l’an 17. chissement de la deuxième cataracte par les bateaux
Comme la date de la stèle de Florence (Péret I.8) de Montouhotep et d’Amény, vers Chémou IV de l’an 17
correspond à peu près au 12 avril, elle concerne à coup (novembre 1842); la navigation jusqu’à Kerma, la soumis-
sûr le retour à Bouhen et implique que l’on rencontra sion des différentes zones habitées, la réception du tribut
certaines difficultés en chemin. Mentouhotep et Amény et le retour vers la deuxième cataracte, de Chémou IV de
aurait-ils été contraints de faire passer leurs bateaux l’an 17 à Akhet III de l’an 18 (de novembre 1842 à février
par la terre ferme aux abords de la deuxième cataracte ? 1841); le franchissement difficile de la deuxième cata-
Certes, une glissière à bateaux permettait de contourner racte, en Akhet IV et Péret I de l’an 18 (mars-avril 1841).
la deuxième cataracte par la rive occidentale 74, mais
on ignore si elle remonte à une période aussi ancienne
que l’an 18 de Sésostris I er. 4. Les relations avec Kouch,
de Sésostris Ier à Sésostris III
3c. Le retour en Égypte
La campagne de l’an 17-18 de Sésostris Ier n’a pas permis
Amény poursuit de la sorte son récit de la campagne : aux Égyptiens d’annexer la région de la troisième cataracte
«Alors Sa Majesté s’avança en paix, après avoir abattu ses et la plaine de Kerma. Le contrôle de cette région était,
ennemis dans Kach la vaincue, et je suis revenu en l’ac- en effet, plus difficile à établir et à maintenir que celui
compagnant, dans la vigilance (?). Il n’y a pas eu de pertes de la Basse Nubie, annexée à l’Égypte depuis près de

63
deux décennies. Néanmoins, aucune campagne militaire La stèle rupestre de Hépou, gravée sur un rocher bordant la
égyptienne au-delà de la deuxième cataracte n’est attestée route de Konosso à Assouan 80, indique que l’on procéda
avant le règne de Sésostris III, ce qui laisse supposer un à une «inspection des forteresses de Ouaouat» en l’an 3
équilibre dans les relations entre l’Égypte et Kouch pen- de Sésostris II. Le quai bordant la ville proche de
dant une cinquantaine d’années. la forteresse d’Aniba a conservé la notation d’une niveau
d’inondation daté de l’an 6 de Sésostris II 81. L’élargis-
4a. Sous Amenemhat II et Sésostris II sement des forteresses d’Aniba, Ikkour et Qouban peut
dater des règnes d’Amenemhat II et de Sésostris II.
Le tribut-inw mentionné dans le récit d’Amény est attesté
également aux colonnes 11-12 des Annales memphites 4b. Sous Sésostris III
d’Amenemhat II 77. Il semble avoir constitué pour les
Nubiens de Kouch, ainsi d’ailleurs que pour les Médjayou Trois campagnes militaires contre Kouch sont attestées
d’Oubat-sépet, le prix à payer pour vivre et croître dans sous le règne de Sésostris III, en l’an 8, en l’an 10 et en
la paix, tandis que les Égyptiens s’assuraient l’acquisition l’an 19. Le nombre même de ces campagnes, la présence
aisée des ressources et produits du Sud. Voici le passage du roi à la tête de ses troupes, ainsi que le message des
des Annales qui détaille le contenu de ce tribut: «[Venue stèles de l’an 16 donnent à penser que l’enjeu était essen-
en baissant la tête des enfants des souverains de K]ach tiel pour Sésostris III. Une interruption du versement du
et d’Oubat-sépet chargés de leurs tributs. Ils ont apporté tribut de Kouch et d’Oubat-sépet a pu déclencher la
dans leurs bras : 23752 dében d’encens; 24 dében de… première campagne du roi. Le constat de la montée en
(?); 1 héqat 25/32 de grenat, et un reste en plus; 1 dében puissance de Kerma, qui offrait des risques potentiels pour
3/4 d’électrum et un reste; 120 dében 1/4 de malachite; la sécurité des implantations égyptiennes en Nubie, est
11 héqat 3/4 d’ocre jaune; 2 héqat 1/4 de plante-SAazx,; 3/8 sans doute ce qui justifia la mise en œuvre des expéditions
d’héqat de plante-SAbt; 4 arcs et 20 flèches; […]; 1 pierre suivantes (carte 3, p. 64).
précieuse polie; 280 sacs d’aromate-SzAyt (?); 5 sacs de
fruits du jujubier; 7 chevets en bois; 15 bâtons-aA (?) en
bois-mSS; 3 taureaux; 14 bovidés à courtes cornes (?); 164
perruques; 11 queues de girafes; 1 morceau de bois d’ébè-
ne». Ce tribut était probablement versé périodiquement,
ce qui ne peut être contrôlé dans l’inscription des Annales,
trop partiellement conservée. On notera que ce sont les
enfants des souverains de Kouch qui étaient chargés de
l’apporter aux Égyptiens, sans doute à Bouhen.

Le développement des échanges commerciaux entre


Égyptiens et Nubiens est probablement ce qui amena la
construction de la forteresse de Mirgissa (Iqen), à une
dizaine de kilomètres au sud de Bouhen, qui constitue la
première étape de l’installation égyptienne dans le Batn
el-Hagar. Le nom de Sésostris II figure sur les empreintes
de sceaux découverts sur le site 78, qui offre un important
espace de stockage, ainsi qu’une zone d’habitat. C’est éga-
lement le nom de Sésostris II qui se lit sur les plus ancien-
nes empreintes de sceaux retrouvées dans la zone de
Semna 79, à 50 kilomètres au sud de Mirgissa, si bien que
l’on peut attribuer à ce roi le projet d’établir dans la passe
de Semna le système de forteresses où Sésostris III, une
décennie plus tard, établira la nouvelle frontière sud
de l’Égypte.

64
Fig. 6. Séhel, inscription de l’an 8 de Sésostris III. © Cl. Obsomer, 2006.

Fig. 7. Séhel, le Nil au pied de l’inscription de l’an 8 de Sésostris III.


© Cl. Obsomer, 2006.

Plusieurs inscriptions rupestres de l’île de Séhel attestent


le nom de Sésostris III. La plus intéressante est gravée
sous une représentation du roi faisant offrande à la déesse
Satis, maîtresse d’Éléphantine (fig. 6) 82 : « An 8 sous la
Majesté du Roi de Haute et de Basse Égypte Khâkaourê,
vivant (soit-il) éternellement ! Sa Majesté ordonna de
remettre à neuf le chenal dont le nom est “Beaux sont
les chemins de Khâkaourê éternellement”, après que Sa
Majesté s’avança en remontant le fleuve afin d’abattre
Kouch la vaincue» 83. Le reste de l’inscription donne les
dimensions du chenal (150 coudées de long, 20 de large et
15 de profondeur 84), qui se trouvait sans doute en contre-
bas (fig. 7), ainsi que le nom du responsable des travaux,
un certain Senânkh. Ces travaux ont dû être effectués en
période des basses eaux et, en tout cas, après le franchis-
sement de la première cataracte par la flotte royale. Il est

65
Fig. 8. Semna, stèle de l’an 8 de Sésostris III (Berlin 14753): copie de G. MEURER, Fig. 9. Semna, plan de la forteresse principale (Semna-Ouest): d’après D. DUNHAM,
Nubier in Ägypten, Berlin, 1996, pl. 1. J.M.A. JANSSEN, Semna Kumma, Boston, 1960, p. III.

On n’a aucune information sur les opérations menées


au-delà de la deuxième cataracte, mais la stèle de l’an 8
découverte à Semna indique que le roi déplaça à Heh la
frontière sud de l’Égypte (fig. 8) 85 : « Frontière sud faite
en l’an 8 sous la Majesté du Roi de Haute et de Basse
Égypte Khâkaourê, doué de vie (soit-il) éternellement et
à jamais !, pour empêcher que ne la franchissent en allant
vers le Nord, par la terre ou en barque, tout Nubien et tout
troupeau appartenant à des Nubiens, à l’exception du
Nubien qui viendra pour faire du commerce à Iqen ou
en mission officielle, et (à l’exception de) tout ce qu’on
pourra faire avantageusement avec eux, mais sans permet-
tre qu’une barque appartenant à des Nubiens franchisse
Heh en allant vers le Nord, jamais ! » 86. Heh désigne
sans aucun doute l’affleurement rocheux percé de
plusieurs chenaux, qui barre le Nil à la hauteur de Semna.
La nouvelle frontière est marquée par trois fortifications:
la forteresse principale Sékhem-Khâkaouré, «Puissant est
Sésostris III» (fig. 9), a été construite sur la rive occiden-
difficile de déterminer à quel fait correspond la date de tale et dispose d’un poste avancé au sud (Semna-Sud); la
l’inscription. Mais si l’an 8 concerne plutôt l’achèvement forteresse secondaire se trouve dans les rochers de la rive
du chenal, il est très probable que c’est dès la fin de l’an 7 orientale (Semna-Est ou Koumma). L’objet de la stèle de
que Sésostris III quitta Assouan pour gagner la deuxième l’an 8 est de déterminer les conditions dans lesquels des
cataracte. Nubiens du Sud pourront franchir la frontière pour se

66
signale que Sésostris III « s’est avancé pour abattre les
Kouchites», en Akhet II de l’an 10, si l’on se réfère à la
copie de Richard Lepsius 90. Mais cette lecture n’a pas été
confirmée par Flinders Petrie, qui a lu pour sa part l’an
12, saison Akhet 91. Quoi qu’il en soit, l’expédition de l’an
10 est attestée par deux inscriptions gravées sur un rocher
de la cataracte de Dal, à 80 km au sud de Semna, tandis
que la flotte royale revenait de sa mission 92. L’une déter-
mine par sa position le «Niveau du fleuve trouvé à Ichmyk
quand on y passa en allant vers le Nord, en l’an 10, 3e mois
d’Akhet, jour 9, sous la Majesté du Roi de Haute et de
Basse Égypte Khâkaouré…». La date correspond environ
au 25 janvier (1863), un moment de l’année où le niveau
d’eau était largement inférieur à la moyenne. Ceci est
d’ailleurs confirmé par l’autre inscription, qui précise que
ce niveau était de 4 coudées d’eau (2 mètres).

De retour à Semna en l’an 16, Sésostris III décida la


contruction d’une forteresse sur l’île d’Ouronarti, à quel-
ques kilomètres seulement au nord de la frontière. Le nom
de celle-ci est précisé par la stèle qui y fut découverte en
1900 93 : «An 16, 3e mois de Péret, quand fut construite la

Fig. 10. Éléphantine, stèle de l’an 9 de Sésostris III (Londres BM 852).


© Cl. Obsomer, 2004.

rendre à Iqen (Mirgissa) : le passage sera réservé aux


personnes venues échanger des produits ou en mission
diplomatique, et ceux-ci devront obligatoirement passer
par la rive plutôt que par le fleuve. Le fortin avancé de
Semna-Sud permettait de contrôler effectivement ceux qui
venaient du Sud, et un mur de briques protégeait à l’Est
l’accès vers la forteresse de Semna. Le trajet suivi par les
négociants à travers cette dernière, de la porte sud à la
porte nord a été mis en lumière par Barry Kemp 87.

La seconde expédition de Sésostris III, au début de l’an


10, quitta probablement Assouan dès la fin de l’an 9. Une
stèle d’Éléphantine (fig. 10), datée de Chémou III de
l’an 9 88, atteste qu’un certain Amény reçut du roi l’ordre
d’effectuer des travaux à la forteresse d’Éléphantine,
« lorsque [Sa Majesté] s’avança pour abattre Kouch la
vaincue» (r zxrt KAS Xz(y)t) 89. La date correspond à sep-
tembre-octobre (1864), soit au moment des hautes eaux.
Toutefois, sur la route d’Assouan à Konosso, un graffito

67
forteresse “Celui qui écarte les Iounou” (≈zf-Iwnw) ». raient s’accorder à un terme masculin sous-entendu,
Cette forteresse insulaire est d’un nouveau type, caracté- comme mnnw «forteresse» ou, mieux, Khâkaourê Sésos-
risé par une structure triangulaire et un grand mur-éperon. tris. L’Onomasticon du Ramesséum offre une liste de
Des forteresses semblables furent construites entre Ouro- toponymes classés géographiquement du Sud au Nord
narti et Mirgissa, Chalfak et Askout, dont les noms sont (carte 4, p. 67), qui inclut les noms des forteresses nubien-
similaires à celui d’Ouronarti : ‹af-xAzwt « Celui qui nes du Moyen Empire 94. Elle permet de distinguer clai-
soumet les étrangers» et Δr-Ztyw «Celui qui entrave les rement les forteresses du règne de Sésostris III et celles
Sétyou ». Ces noms présentent des participes qui pour- qui lui sont antérieures:

1. ∂Ai(w)-Zty Celui qui contrôle Séty Semna-Sud Sésostris II ?/III


2. Zxm-≈a-kAw-Ra Puissant est Khâkaourê Semna Sésostris II ?/III
3. Itnw-PDwt Celui qui s’oppose aux archers Koumma Sésostris II ?/III
4. ≈zf(w)-Iwnw Celui qui écarte les Iounou Ouronarti Sésostris III
5. ‹af(w)-xAzwt Celui qui soumet les étrangers Chalfak Sésostris III
6. Δr(w)-Ztyw Celui qui entrave les Sétyou Askout Sésostris III
7. Iqn Iqen Mirgissa Sésostris II
8. Bwhn Bouhen Bouhen Sésostris Ier
9. Inq(w)-†Awy Celui qui rassemble les Deux Terres Faras ? Sésostris III
10. ≈zf(w)-MDA(y)w Celui qui écarte les Médjayou Serra ? Sésostris III
11. MaAm Mâam/Miam Aniba Sésostris Ier
12. BAki Baki Qouban Sésostris Ier
13. Znmwt Senmout Biggeh Ancien Empire
14. Abw Abou Éléphantine Ancien Empire

À la pointe sud d’Ouronarti, un palais de campagne difficultés par la suite, en un lieu dont le nom est hélas
fut construit pour les besoins du roi 95, qui revint une devenu illisible.
dernière fois sur les lieux en l’an 19 de son règne. L’expé-
dition qu’il mena en Haute Nubie est attestée par une L’expédition est également évoquée par une stèle abydé-
inscription du quai d’Ouronarti (fig. 11), qui décrit les nienne offerte à un certain Amény par son fils, le cham-
difficultés rencontrées lors du trajet retour 96 : « An 19, bellan Sa-Satet 98, qui déclare : « Je suis venu à Abydos
4e mois d’Akhet, jour 2, sous la Majesté du Roi de Haute avec le responsable des choses scellées Iikhernéfert,
et de Basse Égypte Khâkaourê, vivant (soit-il) éternelle- pour façonner (la statue) d’Osiris Khenty-Imentyou,
ment et à jamais ! Quand le maître, vivant (soit-il), le Maître d’Abydos, lorsque le Roi de Haute et de Basse
prospère et en bonne santé !, s’avança vers le Nord en Égypte Khâkaourê, vivant (soit-il) éternellement !,
ayant soumis Kouch la vaincue, on devait trouver de l’eau s‘avança en ayant soumis (Hr zxrt) Kouch la vaincue, en
pour franchir Ichmouk et hâler (les bateaux) en cette l’an 19 » 99. La stèle d’Iikhernéfert mentionne les termes
saison, chaque chenal (d’Ichmouk) étant semblable. Mais de l’ordre reçu de Sésostris III 100 : « Ma Majesté a
quant au [chenal de… (?)], il fut difficile, [son (?)] eau ordonné de faire que tu navigues vers Abydos [du nome
étant trop réduite pour passer et pour hâler (les bateaux) thinite] pour accomplir une action mémorable pour
sur elle à cause de la saison » 97. La date de l’inscription (mon) père Osiris Khenty-Imentyou, pour restaurer son
correspond environ au 19 février (1854). Elle concerne image secrète avec l’or fin qu’il a permis à Ma Majesté
le retour à Ouronarti, de sorte que le franchissement de ramener de Nubie victorieusement et triomphale-
de la cataracte de Dal a dû s’effectuer une semaine avant, ment » 101. Le texte se poursuit par l’énoncé des actes
voire davantage, puisque l’expédition rencontra d’autres accomplis autour de la statue et de la barque procession-

68
Fig. 11. Ouronarti, inscription du quai (Khartoum 2683): copie d’après D. DUNHAM, Uronarti, Shalfak, Mirgissa, Boston, 1967, pl. XXV.

nelle, et s’achève par une description succincte des mourut moins d’un an après sa dernière campagne contre
mystères eux-mêmes qui, selon Hartwig Altenmüller 102, Kouch. Aucun des arguments avancés pour soutenir l’idée
avaient lieu en Akhet I.22, soit au début de l’année civile. d’une co-royauté de 20 ans avec son fils Amenemhat III ne
sont concluants 106.
Deux hypothèses sont a priori envisageables, si l’on
veut situer dans le temps la célébration abydénienne dont
s’occupèrent Iikhernéfert et Sa-Satet: l’an 19 et l’an 20. 5. La frontière sud de Sésostris III
S’il s’agit de l’an 19, la mission à Abydos a été donnée
par le roi avant son départ pour la Nubie, et il se trouvait Lorsqu’on observe les statues nombreuses qui subsistent
là lorsque la statue d’Osiris était restaurée avec l’or nubien de Sésostris III, la gravité qu’elles affichent cadre parfaite-
ramené d’une campagne précédente: on privilégiera alors ment avec la préoccupation essentielle de son règne :
la traduction de Hr zxrt rendant une simultanéité («lorsque garantir la frontière méridionale du pays. En participant
le roi… s’avança en soumettant Kouch…») 103. S’il s’agit à quatre, voire cinq expéditions en Nubie – en l’an 8, 10,
de la célébration de l’an 20, le roi s’exprime en l’an 19 16, 19 et peut-être en l’an 12 –, sans oublier la campagne
après son retour à la Résidence, au plus tôt durant la asiatique attestée par la stèle de Khou-Sobek, Sésostris III
seconde saison (Péret), et l’or utilisé peut être celui de la aura payé de sa personne plus que tout autre. Mais grâce
dernière campagne. C’est vers la fin de l’an 19 que les à l’action d’un roi qui y sacrifia probablement son énergie
deux hauts fonctionnaires se sont rendus à Abydos en vue et sa santé, le pays connut un demi-siècle de paix et
de restaurer la statue du dieu et la barque processionnelle, de prospérité.
d’où la date notée sur la stèle dédiée par Sa-Satet à son
père Amény. Jusqu’à preuve du contraire, on privilégiera 5a. Les Hymnes d’el-Lahoun
la seconde solution, car d’autres stèles laissées à Abydos
par des subordonnés d’Iikhernéfert attestent l’an 1 d’A- Six hymnes en l’honneur de Sésostris III sont conservés au
menemhat III, notamment la stèle que Sa-Satet s’est fait recto d’un papyrus découvert dans la ville d’el-Lahoun 107,
faire pour lui-même 104. Il est généralement accepté les deux derniers étant très mutilés. Leur composition a
aujourd’hui que Sésostris III a connu le début d’un « an pu être motivée par une visite royale, au cours de laquelle
20» qui s’est poursuivi, à une date inconnue avant Péret II, ils auraient été lus, ou par leur utilisation dans le cadre
par l’« an 1 » d’Amenemhat III lorsque que ce dernier d’un culte rendu à Sésostris III après sa mort. Les allusions
monta sur le trône 105. Tout porte à croire que Sésostris III à la frontière sont récurrentes.

69
Le premier hymne est un éloge adressé au roi, qui vante un mensonge –, et j’ai capturé leurs femmes et emmené
ses qualités militaires et laisse deviner les liens privilégiés leurs sujets, montant vers leurs puits, abattant leurs bovi-
qui existaient entre lui et ses ouailles: «Salut à toi, Khâ- dés, coupant leurs céréales et y mettant le feu. Aussi vrai
kaourê, (qui es) notre Horus-aux-manifestations-divines, pour moi que mon père est vivant, je parle en vérité :
le protecteur du pays qui élargit son territoire et écarte il n’y a pas là l’expression d’une exagération sortie de ma
les étrangers grâce à sa couronne, celui qui unit les Deux bouche » 109.
Terres par l’action de ses bras et […] les pays étrangers
par (l’action de) ses épaules, celui qui massacre les archers L’important pour le roi est d’avoir vu des Nubiens, comme
sans (même) utiliser le bâton et lance la flèche sans l’indique la forme prédicative autonome conférée au
(même) tendre la corde (de l’arc); lui dont la terreur a verbe, de même que l’insistance sur la véracité de ce fait:
frappé les Iounou dans leur pays, dont la crainte a massa- «Ce n’est pas un mensonge». Le reste est présenté comme
cré les Neuf Arcs, dont la violence a fait mourir des une conséquence de la présence de ces Nubiens : leurs
milliers d’archers […] qui attaquaient sa frontière; lui qui femmes et leurs sujets ont été emmenés, leur bétail et leurs
tire une flèche comme fait Sekhmet, quand il abat par cultures ont été détruits. On notera qu’en aucune manière
milliers ceux qui ignorent sa puissance, la langue de sa Sésostris III ne s’en prend aux chefs de clans nubiens, ce
Majesté contraignant Séty et ses propos faisant fuir les qui s’explique parfaitement si l’endroit où les faits se pas-
Sététyou; lui qui est le seul (à être) un Horus vigoureux sent est la région située immédiatement au nord de Semna.
qui lutte pour sa frontière, épargnant à ses serviteurs d’être En somme, le roi ne fait qu’appliquer en l’an 16 les mesu-
fatigués et laissant les notables se reposer jusqu’à l’aube, res décidées en l’an 8 concernant la présence de Nubiens
ses troupes s’occupant de leur tranquillité et son cœur au nord de la frontière de Semna: un séjour de durée limi-
étant leur protecteur; lui dont les stèles ont établi les fron- tée lié à des raisons commerciales ou diplomatiques (stèle
tières et dont les paroles ont rassemblé les Deux Rives». Berlin 14753, fig. 8). Ayant constaté la présence illicite
de Nubiens au nord de celle-ci, Sésostris III élimine donc
La frontière est également un thème essentiel de l’hymne ce qui constitue les marques évidentes d’une volonté
2, puisqu’après chaque énoncé, la phrase suivante était d’installation plus durable : les femmes, les serviteurs, les
semble-t-il répétée comme un refrain: «Toi qui es l’Horus- troupeaux et les (maigres) cultures 110. Le titre de la stèle
qui-élargit-sa-frontière, puisses-tu répéter l’éternité ! ». de l’an 16 de Semna confirme l’objet de l’action royale:
Un nom d’Horus officieux semble avoir été créé pour « An 16, 3e mois de Péret. Action de sa Majesté d’établir
l’occasion. L’hymne 3 définit la personnalité du roi grâce la frontière méridionale à Heh » 111. La date correspond
à l’utilisation d’une série de métaphores, dont la dernière d’ailleurs à une période (mai-juin) où le niveau du Nil, au
concerne la frontière: «C’est Sekhmet contre les ennemis plus bas, ne permet pas une navigation vers Kouch.
qui marchent à sa frontière».
La stèle de l’an 16 comporte, pour l’essentiel, un message
5b. Les stèles de l’an 16 adressé aux soldats de la garnison frontalière. Ce discours
idéologique et moralisateur vise dans un premier temps
Huit ans après avoir fixé à Semna sa frontière méridionale (lignes 2-11) à leur expliquer l’opportunité de son action
et précisé sous quelles conditions des Nubiens pouvaient exemplaire, qui ne fait qu’appliquer les décisions de l’an
franchir celle-ci pour se rendre vers le Nord, Sésostris III 8: «J’ai établi ma frontière en dépassant au sud (celle de)
était revenu sur les lieux pour contrôler l’efficacité de la mes pères. J’ai accru ce qui me fut légué. Je suis un roi
garnison frontalière et renforcer la frontière par la cons- qui parle et qui agit – ce qui arrive par mon bras, c’est ce
truction de la forteresse d’Ouronarti. Les deux stèles que mon cœur conçoit –, avide de conquête et empressé
de l’an 16 découvertes à Semna (fig. 12) et à Ouronarti vers le succès, (un roi) dans le cœur de qui une parole/
offrent un texte identique, à l’exception de la première affaire ne dort pas; qui prend en considération ceux qui
ligne 108. À aucun cas, il n’est question d’une expédition réclament et qui s’appuie sur la douceur, mais qui n’est
au-delà de la deuxième cataracte, qui serait dirigée contre pas clément envers l’ennemi qui l’attaque; qui attaque
Kouch. Mais l’ennemi est désigné par le terme Néhésy quand on l’attaque et reste silencieux quand on est silen-
ou Nubien, et les actions militaires se limitent à ce qui cieux, qui répond à une situation en fonction de ce qui peut
suit (lignes 12-14): «Ma Majesté les a vus – ce n’est pas résulter d’elle » 112. Sésostris considère alors que ces

70
Fig. 12. Semna, stèle de l’an 16 de Sésostris III (Berlin 1157).
Copie au trait : Cl. OBSOMER, Les campagnes de Sésostris dans Hérodote, Bruxelles, 1989, p. 182. © Cl. Obsomer, 2006.

Nubiens qu’il a surpris au nord de sa frontière, faisant fi Ce ne sont pas des gens que l’on respecte; ce sont des
des règles énoncées en l’an 8, ont «attaqué» le territoire misérables au cœur brisé» 113.
égyptien et ne méritent aucune clémence. Le roi en vient
à énoncer les principes de la guerre préventive, tout en Dans un second temps (lignes 15-19), le roi cherche à
dénonçant l’attitude laxiste dont ont fait preuve ses sol- remotiver ses troupes en leur rappelant leur devoir. Se
dats : « Puisque se taire après une attaque, c’est enhardir référant d’abord à l’Enseignement de Ptahhotep, il en
le cœur de l’ennemi, (alors) c’est du courage que d’être adapte une maxime 114 : «Quant à tout fils à moi qui main-
agressif, et de la lâcheté que de battre en retraite. C’est tiendra cette frontière que Ma Majesté a établie, c’est mon
un véritable efféminé (Hm), celui qui est repoussé de sa fils; c’est pour Ma Majesté qu’il est enfanté. Il est sem-
frontière. Puisque le Nubien n’entend que pour tomber blable au “Fils-protecteur-de-son-père”, celui qui main-
à la moindre parole, (alors) c’est lui répondre qui fait qu’il tient la frontière de celui qui l’a engendré. Quant à celui
se retire. Quand on est agressif envers lui, il montre son qui la perdra et ne luttera pas pour elle, ce n’est pas mon
dos; (mais) quand on a reculé, il en vient à être agressif. fils; ce n’est pas pour moi qu’il a été enfanté» 115. Par la

71
référence au « Fils-protecteur-de-son-père », c’est-à-dire Les rois de la XIIIe dynastie restent présents sur la
à Horus, Sésostris III envisage un futur où il espère le deuxième cataracte, comme en témoignent les stèles,
maintien de son œuvre lorsqu’il sera devenu lui-même inscriptions et empreintes de sceaux à leurs noms, d’Ougaf
Osiris. L’on y associera volontiers l’énoncé des lignes à Sobekhotep IV 121. Des communautés civiles se dévelop-
8-9, où le terme Hm « efféminé » désigne « celui qui est pent à proximité des forteresses, et ces Égyptiens se font
repoussé de sa frontière», alors qu’il qualifie traditionnel- même enterrer sur place, puisque la Basse Nubie fait par-
lement le dieu Seth, comme si le fait de ne pas accomplir tie intégrante de l’Égypte 122. Mais bientôt, l’attention se
son devoir en ce lieu revenait à comploter contre le roi. relâche et, tandis que les rois égyptiens doivent faire face
L’inscription se termine par une exhortation à des soldats à l’arrivée au pouvoir des Hyksôs dans le Nord, les rois de
qui doivent agir à l’exemple du roi: «Voici donc que Ma Kerma investissent les forteresses de la deuxième cataracte
Majesté a fait faire une représentation de Ma Majesté sur et de la Basse Nubie. À Bouhen, une famille de dignitaires
cette frontière que Ma Majesté a établie, afin que vous contemporaine de la XVIIe dynastie thébaine n’hésite pas
soyez fermes à cause d’elle et afin que vous luttiez pour à se présenter comme vassale du roi de Kouch 123. Parmi
elle » 116. Cette dernière phrase trouve d’ailleurs un écho eux, le fonctionnaire Ka utilise la métaphore de l’eau pour
dans l’hymne 2 d’el-Lahoun: «Comme les troupes de ta exprimer la réalité de cette relation: «J’étais un serviteur
garnison sont joyeuses, depuis que tu as fait qu’elles soient valeureux du souverain de Kouch, tandis que je lavais mes
fermes». pieds dans les eaux de Kouch dans la suite du souverain
Nédjeh ». De son côté, Séped-Hor déclare : « J’étais un
5c. Les «Dépêches de Semna» commandant valeureux de Bouhen, et aucun commandant
n’a fait ce que j’ai fait, tandis que je construisais le temple
Découvertes dans une tombe de la XIIIe dynastie près d’Horus de Bouhen à la (grande) satisfaction du souverain
du Ramesséum, avec l’Onomasticon déjà cité et plusieurs de Kouch ».
textes littéraires du Moyen Empire, les Dépêches de Semna
sont une compilation thébaine de lettres rédigées par les D’autres stèles privées de la Deuxième Période Intermé-
commandants de plusieurs foreteresses nubiennes, dont diaire retrouvées à Bouhen permettent de penser à une
notamment Semna 117. Ces lettres attestent qu’en l’an 3 d’un divinisation post mortem de Sésostris Ier, car le nom du roi
roi non spécifié, qui ne peut être qu’Amenemhat III 118, est mentionné dans la formule di-nzw-Htp avec d’autres
les garnisons frontalières observaient scrupuleusement les dieux, notamment l’Horus de Bouhen 124. À la même
moindres mouvements de Nubiens aux abords de la zone période appartient une stèle découverte par Lyons dans le
frontalière. Lorsqu’un groupe de Nubiens s’approchait de temple nord (Oxford, Ashmolean Museum 1893.175), qui
la forteresse, on s’interrogeait sur la raison de leur venue montre le roi Sésostris Ier coiffé d’un bonnet à uraeus et
et, ensuite, on les renvoyait là d’où ils étaient venus, en salué par l’Horus de Bouhen qui l’accueille 125. Sésostris
notant leur nombre et la date précise. Le message des III sera également divinisé dans le lieu de ses exploits :
stèles de l’an 16 de Sésostris III avait donc manifestement Touthmosis III et Taharqa lui rendront hommage comme
porté ses fruits. à un dieu, comme en témoignent les reliefs des temples de
Semna et de Koumma 126.

6. En conclusion

Durant le règne d’Amenemhat III et les décennies suivan-


tes, de nombreux graffiti garnirent les rochers de la zone
de Semna-Koumma, traces laissées par des officiers et sol-
dats de la garnison frontalière, ou marques de hauteur de
Nil particulièrement élevées 119. Un barrage a peut-être été
aménagé pour canaliser l’eau vers un seul chenal au
moment de l’étiage, et favoriser le franchissement de la
cataracte, à moins que le climat n’ait provoqué des crues
exceptionnelles à partir de l’an 1 d’Amenemhat Ier 120.

72
NOTES 24 Une traduction intégrale de Sinouhé et un commentaire succinct sont
proposés dans Cl. OBSOMER, «Littérature et politique sous le règne de
Sésostris Ier », in Égypte Afrique & Orient, t. XXXVII, 2005, p. 45-58.
1 Pierre de Palerme, recto, registre inférieur: T.A.H. WILKINSON, Royal
25 Stèles Philadelphie E 10995 et EES 882: H.S. SMITH, The Fortress
Annals of Ancient Egypt, Londres - New York, 2000, p. 142-142, fig. 1. of Buhen. The Inscriptions, Londres, 1976, pl. LXXII.3 et pl. IV.4.
2 Les empreintes de sceaux attestent des noms royaux allant de
26 W.B. EMERY et alii, The Fortress of Buhen. The Archaeological
Chéphren à Nyouserrê : W.B. EMERY, « Egypt Exploration Society. Report, Londres, 1979, p. 4-5, p. 90-91.
Preliminary Report on the Excavations at Buhen, 1962 », in Kush, 27 Les partisans d’un règne partiel commun (ou «corégence») d’Ame-
t. XI, 1963, p. 116-120; B.G. TRIGGER, Nubia under the Pharaohs, nemhat Ier et de Sésotris Ier prétendent que l’an 5 du second équivaut à
Londres, 1976, p. 46-47; W.Y. ADAMS, Nubia. Corridor to Africa, l’an 25 du premier. Mais est-il raisonnable de penser que quatre ans
Londres, 1977, p. 139-140, 170-174. Voir aussi B. GRATIEN, « La après la mise en service de Bouhen, au sud de Ouaouat, les Égyptiens
Basse Nubie à l’Ancien Empire: Égyptiens et autochtones», in JEA, luttaient seulement au nord de celle-ci à partir du poste d’el-Girgaoui
t. LXXXI, 1995, p. 43-56. «pour abattre Ouaouat» (RILN, n° 4) ?
3 Des stèles retrouvées in situ attestent les noms de Chéops, Sahourê,
28 Cl. OBSOMER, op. cit., p. 345-346.
Djedefrê et Djedkarê-Isési (Caire JE 59481, 59494, 68752, 68753) : 29 RILN, n° 53; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 105.
R. ENGELBACH, « The Quarries of the Western Nubian Desert », in 30 RILN, n° 58; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 110.
ASAÉ, t. XXXIII, 1933, p. 70, pl. II.1-2; R. ENGELBACH, «The Quar- 31 Détails dans Cl. OBSOMER, op. cit., p. 282.
ries of the Western Nubian Desert and the Ancient Road to Tushka», 32 RILN, n° 10A; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 99.
in ASAÉ, t. XXXVIII, 1938, p. 371, p. 388-389, pl. LV-LVI; A. ROWE, 33 Stèles de l’an 16 de Sésostris III, commentées ci-après.
«Provisional Notes on the Old Kingdom Inscriptions from the Diorite 34 Peut-être est-ce l’objet de la stèle de l’an 33 d’Amenemhat III
Quarries», in ASAÉ, t. XXXVIII, 1938, p. 393-396. trouvée à Kerma, évoquée ci-dessus.
4 Urk. I, p. 110-111.
35 Argumentation dans Cl. OBSOMER, op. cit., p. 259-261.
5 On consultera toujours avec profit G. POSENER, «Néhésyou et Méd-
36 Cl. OBSOMER, op. cit., p. 265-269.
jayou», in ZÄS, t. LXXXIII, 1958, p. 38-43. 37 Caire JE 89630: W.K. SIMPSON, Heka-nefer, New Haven-Philadel-
6 Urk. I, p. 101.9-15.
7 Urk. I, p. 108.13-15.
phie, 1963, p. 50-53, fig. 42, pl. XXVI.
38 L. POSTEL, I. RÉGEN, « Annales héliopolitaines et fragments de
8 Voir ici-même, Cl. OBSOMER, Les expéditions d’Hirkhouf (VIe dynas-
Sésostris Ier réemployés dans la porte de Bâb al-Tawfiq au Caire», in
tie) et la localisation de Iam. BIFAO, t. CV, 2005, p. 254-256.
9 Urk. I, p. 133.
39 R. ENGELBACH, op. cit., in ASAÉ, t. XXXIII, 1933, p. 65-74, pl. IIV;
10 Urk. I, p. 136-138.
11 T. SÄVE-SÖDERBERGH, Ägypten und Nubien, Lund, 1941, p. 30-33.
Cl. OBSOMER, op. cit., n° 124-129.
40 A.E. WEIGALL, « A Report of the Antiquities of Lower Nubia »,
12 La lecture par Zaba des toponymes Irtjet et Satjou dans les inscrip-
Oxford, 1907, p. 101-102, pl. LIII; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 121-123.
tions d’el-Girgaoui est sans doute erronée: cfr Cl. Obsomer, Sésostris Ier, 41 J.W. WEGNER, « Regional Control in Middle Lower Nubia : The
Bruxelles, 1995, p. 278-280. Function and History of the Site of Areika», in JARCE, t. XXXII, 1995,
13 Caire JE 46068, panneau central: L. HABACHI, «King Nebhepetre
p. 127-160.
Menthuhotp», in MDAIK, t. XIX, 1963, p. 21-23, fig. 6. 42 RILN, n° 211; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 88.
14 Berkeley, Museum of Anthropology, 6-19868: L. HABACHI, op. cit.,
43 (Rnpt-zp) 28. Zmnty n(y) ‹nw ≈zbd mz.n Îtp-Tw, mAa-xrw nb imAx.
in MDAIK, t. XIX, 1963, p. 29-30; H.G. FISCHER, Inscriptions of 44 A.E. WEIGALL, op. cit., p. 61, pl. XVIII; Cl. OBSOMER, op. cit.,
the Coptite Nome, Rome, 1964, p. 112-118, pl. XXXVII. n° 86-87.
15 Voir en dernier lieu J.C. DARNELL, « The rock inscriptions of
45 A.I. SADEK, The Amethyst Mining Inscriptions of Wadi el-Hudi,
Tjehemau at Abisko», in ZÄS, t. CXXX, 2003, p. 33-37, pl. VIII. Warminster, 1980-1985; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 67-85.
16 Les graffiti laissés aux environs de Bouhen par des militaires
46 H. JARITZ, «The Investigations of the Ancient Wall Extending from
nommés Montouhotep ou Antef ne doivent pas être nécessairement Aswan to Philae», in MDAIK, t. XLIX, 1993, p. 101-114, pl. 24-25.
attribués à la XIe dynastie, puisque ces noms restent très fréquents à Parmi les inscriptions relevées le long de cette route, cinq sont du règne
la XIIe dynastie: Cl. OBSOMER, op. cit., p. 239. de Sésostris Ier : Cl. OBSOMER, op. cit., n° 58-59 et 64-66.
17 L. HABACHI, op. cit., in MDAIK, t. XIX, 1963, p. 43-44, fig. 20-21;
47 Voir A.H. GARDINER, «Inscriptions from the Tomb of Si-renpowet
W.M.F. PETRIE, A Season in Egypt 1887, Londres, 1888, pl. VIII, I, Prince of Elephantine», in ZÄS, t. XLV, 1909, pl. VI-VII; D. FRANKE,
n° 213 et 243. Das Heiligtum des Heqaib, Heidelberg, 1994, p. 192-203; Cl. OBS-
18 Z. ZABA, The Rock Inscriptions of Lower Nubia, Prague, 1974,
OMER, op. cit., n° 3.
nos 168, 170, 172, 173. [= RILN] 48 Cl. VANDERSLEYEN, L’Égypte et la vallée du Nil, t. II, Paris, 1995,
19 RILN, n° 4; Cl. OBSOMER, Sésostris Ier, Bruxelles, 1995, n° 97. [les
p. 70.
documents ainsi numérotés sont décrits, translittérés et traduits in 49 Urk. VII, p. 5.14-21; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 4, pilier 4b.
extenso à la fin de l’ouvrage]. 50 ‹DA Hm.f r zxrt KAz Xz(y)t, i(w) di.n Hm.f in.t(w) n.(i) iwA m wADt. Ir
20 ∑mzw ⁄mnw; Smzw Imn-m-HAt; Smzw ISt-k(A); Smzw Nxti. Rnpt-zp
grt irt nb(t) m Abw, i(w) Hm.f Hr (r)dit in.t(w) n.(i) iwA Drw pHw(y) r-pw,
29 n(y)t nzw-bity (ZHtp(w)-ib-Ra)| anx.(w) Dt! Iwt.n r zxrt ‹AwAt. pg(A) mH.(w) Xr nfrwt nb(wt), r(A) 5 Hr.f m wADt. In z 4 in(w) n.(i) zw.
21 RILN, n° 73; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 119.
51 El-Houdi 6 (Assouan 1471): A.I. SADEK, op. cit., t. II, Warminster,
22 Lignes 6-11: [‹]n.t(w) Hr qd xnrt pn, aHa.n zmA(w) NHz(y)w zpt nbt
1985, pl. III; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 67.
m ‹AwAt. aHa.n.i xnt.kw(i) m nxt Hr zmA NHz(y) Hr idb.f, xd.n.(i) Hr fdt 52 Par comparaison, l’expédition aux carrières d’Hammamat, en l’an
it, Hr zwA zpw nhwt.z(n), dy xt m prw.zn, mi ir.t(w) r zbi(w) Hr nzw. 38 de Sésostris Ier, n’emmènerait que 1000 soldats pour protéger près
23 L’emploi du démonstratif donne à penser que ce camp se trouvait
de 18000 travailleurs, parmi lesquels 300 thébains pour 700 locaux
près de l’endroit où fut gravée l’inscription. (de Coptos).

73
53 El-Houdi 143 (Caire JE 71901): A.I. SADEK, op. cit., t. II, Warmins- 72 ∑mz.i nb.i xft xnt.f r zxrt xftyw.f m xAztyw 4. ≈nt.n.i m zA HAty-a,
ter, 1985, pl. XXIII; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 79. xtmty-bity, imy-r(A) mSa wr n(y) MA-HD, m idn z it iAw.w xft Hzwt<t> m
54 NTr nfr dn(w) Iwnw, zn(w) wzrwt imyw ZTt, ity arf(w) HAw-nbw, in(w) pr-nzw, mrwt.f m ztp-zA. Zn.i KAS m xntyt, in.n.i Drw tA, in.n.i inw nb.i.
Drw rzwt nHz(y)wt, zk(w) tpw Abt XAkt-ib, wzx tAS, pD(w) nmtt, zmA(w).n Îzt.i, pH.z pt. Pour la traduction de in.n.i Drw tA, voir Cl. OBSOMER,
nfrw.f †Awy, nb At znD m xAzwt, zxr(w).n Sat.f zbyw – A[q].n bTnw.f n Sat op. cit., p. 350.
Hm.f, zp[H.n].f [x]ftyw.f –, wr bnr bit n Smz(w) zw, didi(w) TAw n(y) anx 73 Voir ci-après, l’inscription d’Ouronarti de l’an 19 de Sésostris III.

n dwA(w) zw. 74 J. VERCOUTTER, Mirgissa, t. I, Paris, 1970, p. 204-214.


55 RILN, n° 74; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 120, p. 190-192, p. 223, 75 aHa.n Hm.f wDA.(w) m Htp, zxr.n.f xftyw.f m KAS Xz(y)t, ii.n.i Hr Smz.f

p. 319-320. m zpd-Hr. N xpr nhw m mSa.i.


56 RILN, n° 69; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 116. 76 E. EDEL, «Beiträge zu den Inschriften des Mittleren Reiches in den
57 J. VERCOUTTER, « Kor est-il Iken ? Rapport préliminaire sur les Gräbern der Qubbet el Hawa», Berlin, 1971, p. 28-33, fig. 10; Cl. OBS-
fouilles françaises de Kor (Bouhen sud), Sudan, en 1954 », in Kush, OMER, op. cit., n° 4, pilier 3d.
t. III, 1955, p. 4-19; H.S. SMITH, «Kor. Report on the Excavations of 77 H. ALTENMÜLLER, A.M. MOUSSA, «Die Inschrift Amenemhets II.

the Egypt Exploration Society at Kor, 1965», in Kush, t. XIV, 1966, aus dem Ptah-Tempel von Memphis. Ein Vorbericht », in SAK,
p. 187-243. t. XVIII, 1991, p. 1-48; J. MALEK, S. QUIRKE, «Memphis 1991. Epigra-
58 B.J. KEMP, « Large Middle Kingdom Granary Buildings and the phy», in JEA, t. LXXVIII, 1992, p. 13-18; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 53.
Archaeology of Administration», in ZÄS, t. CXIII, 1986, p. 134-136; 78 J. VERCOUTTER, op. cit., p. 21.

B.J. KEMP, Ancient Egypt, 2e éd., Londres, 1991, p. 178-179. 79 Mise au point dans Cl. OBSOMER, op. cit., p. 337-340.
59 H.S. SMITH, op. cit., pl. LXIX, 1. 80 J. DE MORGAN et alii, Catalogue des monuments et inscriptions de
60 I. ROSELLINI, I monumenti dell’Egitto e della Nubia, Partie I. Monu- l’Égypte ancienne, t. I.1, Vienne, 1894, p. 125, n° 178; H. JARITZ, op.
menti Storici, t. I, Pise, 1832, pl. XXV; J.F. CHAMPOLLION, Monuments cit., in MDAIK, t. XLIX, 1993, pl. 24c; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 60.
de l’Égypte et de la Nubie, t. I, Paris, 1835, pl. I. 81 G. STEINDORFF, Aniba, t. II, Glückstadt-Hambourg-New York,
61 J.H. BREASTED, « The Wadi Halfa Stela of Senwosret I», in PSBA, 1937, pl. 2.
t. 23, 1901, p. 230-235, pl. I-III. Voir aussi S. BOSTICCO, Museo 82 J. DE MORGAN, op. cit., p. 86, n° 39; K. SETHE, Aegyptische Leses-

Archeologico di Firenze. Le stele egiziane dall’Antico al Nuovo Regno, tücke, 2e éd., Leipzig, 1928, p. 85.
t. I, Rome, 1959, pl. 29. 83 Rnpt-zp 8 xr Hm n(y) nzw-bity (≈a-kAw-Ra)| anx.(w) Dt ! ‹D Hm.f irt
62 Cl. OBSOMER, «Les lignes 8 à 24 de la stèle de Mentouhotep (Florence mr m mA(w)t, rn n(y) mr pn “Nfr wAwt (≈a-kAw-Ra)| Dt”, m-xt wDA Hm.f
2540) érigée à Bouhen en l’an 18 de Sésostris Ier », in GM, t. CXXX, m xnt r zxrt KAS Xz(y)t.
1992, p. 57-74; Cl. OBSOMER, Sésostris Ier, Bruxelles, 1995, n° 137. 84 La coudée vaut 52,5 cm.
63 ∂i.n wi Îr anx-mzwt, nzw-bity (≈pr-kA-Ra)| [m wpwty-nzw (?)]. 85 Berlin 14753: G. MEURER, Nubier in Ägypten bis zum Beginn des

Rnpt-zp 18, tpy n pryt, zw 8, x[r Hm n(y) Îr anx-mzwt, w]zx nmtt, nzw- Neuen Reiches, Berlin, 1996, pl. 1-2.
bity (≈pr-kA-Ra)| [anx.(w) Dt (?)]. […] m zk[t] zk[w…], anx.z(n) km.(w). 86 AS rz(y) iry m rnpt-zp 8 xr Hm n(y) nzw-bity (≈a-kAw-Ra)| di.(w) anx Dt

ZmA.[n.i…, di.n.i] xt m imAw[w.z(n), …], it-mH.z(n) qmA.(w) n itrw […]. r nHH !, r tm rdi(w) zn zw NHz(y) nb m xd, m Hrt m kAi, mnmnt nbt n(y)t
[Ink m]Dd(w) wAt, tm Th(w) [tpt-r(A) n(y)t ztp-zA], z m [p]Hty kA.f m [Xrt NHz(y)w, wpw-Hr NHz(y) iwt(y).f(y) r irt zwnt m Iqn, m wpwt r-pw, irt.t(w)
hrw n(y)t ra] nb, n nHH. ZA-Ra (Z-n(y)-‹zrt)| anx.(w), Dd.i nn xpr(w) m nbt nfr Hna.zn, nn zwt rdit zwA kAi n(y) NHz(y)w m xd Hr ÎH, r nHH !
wn-mAa. Imy-r(A) mSa amw zA MnTw-Htp.(w). 87 B.J. KEMP, op. cit., p. 174-176.
64 Voir Cl. OBSOMER, op. cit., n° 137, p. 325-330. 88 Londres BM 852 : Hieroglyphic Texts from Egyptian Stelae in
65 Caire JE 63955, 63956 et 63958: G. POSENER, Cinq figurines d’en- the British Museum, vol. 4, Londres, 1913, pl. 10; J.W. WELLS,
voûtement, Le Caire, 1987, p. 16. « Sesostris III’s First Nubian Campaign », in Essays in Egyptology
66 G. POSENER, op. cit., p. 23; G. POSENER, «Pour une localisation du in honor of Hans Goedicke, San Antonio, 1994, p. 339-347. C’est l’an
pays de Koush au Moyen Empire», in Kush, t. VI, 1958, p. 60-63; Y. 9 et non l’an 8 qu’il convient de lire, comme l’avait indiqué J.H.
KOENIG, « Les textes d’envoûtement de Mirgissa », in RdÉ, t. XLI, BREASTED, Ancient Records of Egypt, vol. I, Chicago, 1906, p. 293.
1990, p. 103-104. 89 R.D. DELIA, A Study of the Reign of Senwosret III, Columbia, 1980,
67 Boston MFA 14.7242 et 14.720 : G.A. REISNER, Excavations at p. 28-33. La ligne finale mentionne, de façon isolée, l’un des noms du
Kerma, t. I-III, Cambridge, 1923, pl. 7.1-2; t. IV-V, p. 509, p. 535-539; nomarque Sarenpout II.
Cl. OBSOMER, op. cit., n° 144-145. On y ajoutera la table d’offrande au 90 C.R. LEPSIUS, Denkmaeler aus Aegypten und Aethiopien, vol. 2,

nom de Sésostris Ier trouvée dans l’île d’Argo: A.H. SAYCE, «A Greek Genève, 1971, p. 136c.
Inscription of a king (?) of Axum found at Meroe», in PSBA, t. XXXI, 91 W.M.F. Petrie, op. cit., pl. XIII, n° 340.

1909, p. 203; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 146. 92 J. VERCOUTTER, «Égyptologie et climatologie. Les crues du Nil à
68 Ch. BONNET, Le temple principal de la ville de Kerma et son quar- Semna», in CRIPEL, t. IV, 1976, p. 154-155; P. TALLET, Sésostris III,
tier religieux, Paris, 2004, p. 20, p. 28-31. Paris, 2005, p. 43.
69 Ch. BONNET, Édifices et rites funéraires à Kerma, Paris, 2000, p. 8, 93 Khartoum 451 : J.M.A. JANSSEN, « The Stela (Khartoum Museum

p. 112-142. Les tombes contemporaines du Kerma moyen sont plus no. 3) from Uronarti», in JNES, t. XII, 1953, p. 51-54
modestes et situées un peu plus au nord: Ch. BONNET, op. cit., p. 17, 94 A.H. GARDINER, «An Ancient List of the Fortresses of Nubia», in

p. 26-36. JEA, t. III, 1916, p. 184-192; A.H. GARDINER, Ancient Egyptian Ono-
70 G.A. REISNER, « Historical Inscriptions from Gebel Barkal », in mastica, vol. 3, Oxford, 1947, pl. II.
Sudan Notes and Records, t. IV, 1921, p. 63; D. DUNHAM, «An Egyp- 95 D. DUNHAM, Uronarti, Shalfak, Mirgissa, Boston, 1967, p. 22-31,

tian Statuette of the Middle Kingdom », in Worcester Art Museum pl. XV-XIX; B.J. KEMP, op. cit., p. 178-179; B.J. KEMP, « Large
Annual, t. III, 1937-38, p. 14-15; Cl. OBSOMER, op. cit., n° 147. Middle Kingdom Granary Buildings and the Archaeology of Adminis-
71 P.E. NEWBERRY, Beni Hasan, t. I, Londres, 1893, pl. VIII; Cl. OBS- tration», in ZÄS, t. CXIII, 1986, p. 135-136; P. TALLET, op. cit., p. 63.
OMER, op. cit., n° 50B. L’organisation interne de ces forteresses est connue grâce aux

74
nombreuses empreintes de sceaux : B. GRATIEN, « Départements et car ce n’est certes pas ton fils, il n’a pas été mis au monde pour toi»
institutions dans les forteresses nubiennes au Moyen Empire », (traduction de Cl. Lalouette).
in Hommages à Jean Leclant, vol. 2, Le Caire, 1994, p. 185-197. 115 Berlin 1157, lignes 15-18: Ir grt zA.i nb zrwDt(y).f(y tAS pn ir(w).n
96 Inscription Khartoum 2683: D. DUNHAM, op. cit., pl. XXV. Hm.i, zA.i pw; mz.t(w).f n Hm.i. †wt(w) ZA-nDty-it.f zrwD(w) tAS n(y)
97 Rnpt-zp 19, Abd 4-nw n(y) Axt, zw 2, xr Hm n(y) nzw-bity (≈a-kAw-Ra)| wtt(w) zw. Ir grt fxt(y).fy zw, tmt(y).f(y) aHA(w) Hr.f, n zA.i iz; n mz.t(w).f
anx.(w) Dt r (n)HH ! ‹DA nb anx.(w) (w)DA.(w) z(nb.w) ! m xd Hr zxrt iz n.i.
KAS X(zy)t, iw.tw r gmt mw r zAwd (= zwA) ISmwk, r zAzA r pA itrw, mr.z 116 Berlin 1157, lignes 18-19: IzT grt rdi.n Hm.i ir.t(w) twt n(y) Hm.i Hr

nb r-mitt. Ir zwt [mr …], iw.f qzn.(w), mw.[f] iz r zAwd (= zwA), r zAzA tAS pn ir(w).n Hm.i, n-mrwt rwD.Tn Hr.f, n-mrwt aHA.Tn Hr.f.
Hr.f n pA itrw. 117 P.C. SMITHER, «The Semnah Despatches», in JEA, t. XXXI, 1945,
98 Genève D 50 : W.K. SIMPSON, The Terrace of the Great God at p. 3-10, pl. II-VII; E. WENTE, Letters from Ancient Egypt, Atlanta,
Abydos, New Haven-Philadelphie, 1974, pl. 4 (ANOC I.9). 1990, p. 70-73.
99 Ii.n.(i) r AbDw Hna imy-r(A) xtmt Ii-Xr-nfrt r mzt ‹zir ≈nt(y)-Imntyw 118 Le gardien de Nékhen Sa-Montou mentionné dans la sixième

nb AbDw, xft wDA nzw-bity (≈a-kAw-Ra)| anx.(w) Dt ! Hr zxrt KAS Xz(y)t m dépêche est connu par quatre autres documents datés des premières
rnpt-zp 19. J’ai traduit Hr zxrt KAS en suivant A.H. GARDINER, Egyptian années d’Amenemhat III : trois inscriptions rupestres de Koumma
Grammar, 3e éd., Oxford, 1957, § 165.10, comme dans l’inscription (Hintze 495, 498 et 499), ainsi que la stèle Londres BM 1290 provenant
du quai d’Ouronarti qui, pour sa part, est plus claire en raison de la de Semna. Voir D. FRANKE, Personendaten aus dem Mittleren Reich,
présence de m xd. Voir aussi M. MALAISE, J. WINAND, Grammaire Wiesbaden, 1984, n° 526.
raisonnée de l’égyptien classique, Liège, 1999, p. 601. 119 F. HINTZE, W. REINEKE, Felsinschriften aus dem sudanesischen
100 Berlin 1204 : H. SCHÄFER, Die Mysterien des Osiris in Abydos Nubia, Berlin, 1989, I, p. 92-162.
unter König Sesostris III, Leipzig, 1904; S. NACKERS, Les mystères 120 Le débat lancée par Jean Vercoutter est résumé dans Cl. VANDERS-

d’Osiris à Abydos d’après la stèle Berlin 1204, Louvain-la-Neuve, LEYEN, op. cit., p. 105-107.
2002 (inédit). 121 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., 156-157.
101 Iw wD.n Hm.i rdit xnt.k r [ A-wr] AbDw r irt mnw n it.(i) ‹zir ≈nt(y)- 122 P. TALLET, op. cit., p. 69-71.

Imntyw, r zmnx b[zw.f] StA m Dam rdi(w).n.f int Hm.f m xnt A-Zty m nxt, 123 Notamment Khartoum 18 et Philadelphie E10984 : T. SÄVE-

m mAa-xrw. SÖDERBERGH, «A Buhen Stela from the Second Intermediate Period


102 H. ALTENMÜLLER, « Feste », in Lexikon der Ägyptologie, vol. 2, (Khartoum n° 18) », in JEA, t. XXXV, 1948, p. 50-58; H.S. SMITH,
Wiesbaden, 1977, col. 182. op. cit., p. 41, p. 55-56, p. 73-76, pl. LXXII.1; P. TALLET, op. cit., p. 73.
103 Tel est le choix de P. TALLET, op. cit., p. 50. 124 Il s’agit des stèles EES 263, du commandant de la flotte du souve-
104 Louvre C 5: W.K. SIMPSON, op. cit., pl. 3 (ANOC I.7). rain Iÿ, et Londres BM 489, du responsable des bateaux Néférou :
105 Voir Cl. OBSOMER, «Sésostris III et Amenemhat III: une succes- H.S. SMITH, op. cit., pl. I.2; Hieroglyphic Texts from Egyptian Stelae
sion royale avec ou sans corégence ?», in Studia Aegyptiaca, t. XVII, in the British Museum, vol. 4, pl. 4; Cl. OBSOMER, Sésostris Ier, Bruxel-
Budapest, 2002, p. 373-392. les, 1995, n° 132, 139.
106 Mon point de vue est partagé par P. TALLET, op. cit., p. 22-30, 125 Cl. OBSOMER, op. cit., p. 258.

p. 265-272. 126 P. TALLET, op. cit., p. 73-75.


107 pKahun LV.1: F. Ll. GRIFFITH, Hieratic Papyri from Kahun and

Gurob, Londres, 1898, pl. 1-3; K. SETHE, op. cit., p. 65-67.


108 Berlin 1157 et Khartoum 451 : Cl. OBSOMER, Les campagnes de

Sésostris dans Hérodote, Bruxelles, 1989, p. 182-183. Les citations


renvoient à la disposition du texte dans la stèle de Semna.
109 Berlin 1157, lignes 12-15: Iw mA.n zt Hm.i – nn m iwmz –, HAq.n.i

Hmwt.zn, in.n.i Xrw.zn, pr(w) r Xnmwt.zn, Hw(w) kAw.zn, wHA(w) it.zn,


rdi(w) zDt im. anx n.i it.i, Dd.i m mAat : nn xn im n(y) aba pr(w) m r(A).i.
110 En ce qui concerne des traces d’installation de Nubiens du Groupe

C dans le Batn el-Hagar, voir S.T. SMITH, « Askut and the Role of the
Second Cataract Forts», in JARCE, t. XXX, 1991, p. 109-110.
111 Berlin 1157, ligne 1: Rnpt-zp 16, Abd 3-nw Prt. Irt Hm.f tAS rz(y)t r

ÎH.
112 Berlin 1157, lignes 2-7: Iw ir.n.i tAS.i, xnt.i itw.i. Iw rdi.n.i HAw Hr

zwDt n.i. Ink nzw Dd(w) irr(w) – kAAt ib.i pw, xprt m-a.i –, Ad(w) r iTt,
zXmw r mar, tm(w) zfnw n xrwy pH(w) zw; pHw pH.t(w).f, grw gr.t(w),
wSbw mdt mi xprt im.z.
113 Berlin 1157, lignes 7-11 : Δr-ntt ir gr m-xt pH, zzxm ib pw n(y)

xrwy, qnt pw Ad, Xzt pw Hmxt. Îm pw mAa, Arw Hr tAS.f. Δr-ntt zDm
NHz(y) r xr n r(A), in wSb.f didi(w) Hm.f. Ad.t(w) r.f, didi.f zA.f; Hmxt(w),
wA.f r Ad. N rmT iz n(y)t Sf.t(w) zt; Hwrww pw zDw ibw.
114 Maxime 12: «Si tu es un homme de valeur et si tu as fait un fils,

par la grâce de Dieu, si celui-ci est convenable, s’il est proche de ta


nature, s’il écoute tes instructions (…), alors cherche à lui faire du bien;
car c’est ton fils, qui vient de la semence de ton ka (…). Si celui-ci s’é-
gare et transgresse tes conseils, s’il ne suit pas tes instructions (…),
alors éloigne-toi de lui, que rien ne vienne en sa possession, chasse-le;

75
Fig. 1. La deffufa occidentale, temple majeur établi au
centre de la ville (Mission archéologique suisse au Soudan
(Kerma) - D. Berti).

Fig. 2. Les vestiges d’un palais de l’époque du Kerma


Classique, après restauration (Mission archéologique
suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).
Le Royaume de Kerma

Charles BONNET et Nora FERRERO

Le Bassin de Kerma est au bénéfice d’une forte tradition Initiées en 1976, les investigations, menées à raison de
pré et protohistorique, et il n’est guère surprenant que deux mois et demi de fouilles par année, ont duré trois
cette région soit devenue le berceau de l’un des plus anciens décennies. Les résultats obtenus ont permis de retracer
royaumes du continent africain 1. L’histoire du royaume de dans ses grandes lignes le développement de la ville,
Kerma débute vers 2500 av. J.-C. et couvre près d’un millé- dont la complexité atteste son rôle de capitale. Au Kerma
naire. À son apogée, il étend son influence sur l’ensemble Classique, période d’une grande prospérité, elle s’étend
de la Nubie. C’est l’archéologue américain, George A. Reis- sur près de 30 hectares et comprend des quartiers réservés
ner qui mit au jour les premiers vestiges de cette civilisation à différentes institutions liées à l’exercice du pouvoir,
lors de trois missions menées sur le site éponyme entre 1913 chacun marqué par quelques monuments d’importance
et 1916. Celles-ci eurent un certain retentissement en raison (fig. 2). À côté de maisons en briques crues, dont seules
de l’originalité du matériel funéraire exhumé dans d’im- les fondations sont conservées, se remarquent des huttes
menses tombes de forme circulaire 2. Depuis lors, à la suite construites en matériaux plus légers restituées par des
de la fameuse campagne de Nubie des années 1960, les trous de poteaux. Il existait plusieurs voies d’accès qui
prospections et les fouilles se sont multipliées entre les conduisaient vers le centre au travers de portes flanquées
première et cinquième cataractes, offrant un nouvel éclai- de bastions arrondis (fig. 3). La ville était en effet entourée
rage sur l’évolution des cultures nubiennes. d’un imposant système de défense, doublé de fossés, dont
certains étaient sans doute inondés pendant une partie de
Trois phases chronologiques ont été distinguées, le Kerma l’année. Leur tracé a varié au fur et à mesure de l’expan-
Ancien (2450-2050 av. J.-C.), le Kerma Moyen (2050- sion de la ville. Quant à la deffufa, une analyse architectu-
1750 av. J.-C.) et le Kerma Classique (1750-1480 av. rale approfondie a montré qu’il s’agissait d’un temple qui
J.-C.). Une brève quatrième période, appelée Kerma Final, n’a cessé, lui aussi, d’être remanié et agrandi: au Kerma
marque la transition entre la fin du royaume et l’occupa- Moyen, l’édifice, relativement étroit, est doté du côté nord
tion égyptienne par les pharaons de la XVIIIe dynastie, d’un bastion plein, englobé ensuite dans les parements
autour de 1450 av. J.-C. Cette séquence chronologique postérieurs. Si, dans son dernier état, la silhouette de la
fut établie par Brigitte Gratien en 1978, sur la base de deffufa évoque celle d’un temple égyptien, son plan inté-
données issues essentiellement de la fouille de cimetières, rieur n’offre guère de points de comparaison: la porte éta-
puisqu’à l’époque aucun habitat n’avait fait l’objet d’in- blie sur le côté ouest s’ouvre sur une volée de marches
vestigations systématiques 3. Sur le site même de Kerma, menant à un corridor aveugle orienté au nord, qui tient lieu
G.-A. Reisner n’avait en effet que peu exploré la ville, de sanctuaire; un second escalier permettait d’accéder à la
à l’exception de la ruine monumentale qui en occupait terrasse supérieure sur laquelle se déroulaient certaine-
le centre. Connu sous le nom de deffufa, le monument ment des cérémonies.
a suscité nombre d’interprétations quant à sa fonction,
tombe royale, comptoir commercial, tour de guet, etc.4 En parallèle, des recherches ont été menées dans la nécro-
(fig. 1). Aussi, lorsque la mission archéologique suisse, pole contemporaine, située à 4 km à l’est, avec pour objec-
en accord avec le Service des Antiquités du Soudan, mit tif de vérifier les phases de développement observées
sur pied un nouveau programme de recherches, elle définit dans la ville et de mieux documenter les périodes les
comme priorité l’étude de la ville. plus anciennes. Le nombre de tombes se chiffrant par

77
milliers, une fouille systématique n’était pas envisageable
et nous avons procédé par sondages. Quelques 350 sépul-
tures ont ainsi été mises au jour qui, ajoutées aux 3000
fouillées par G.-A. Reisner, permettent de suivre l’évolu-
tion des coutumes funéraires. Les tombes sont signalées en
surface par des tumuli de terre renforcés par des rangées
de pierres disposées en cercles concentriques. Les plus
anciennes, qui se trouvent au nord de l’aire funéraire, ont
un diamètre d’environ 1,50 m; certaines sont caractérisées
par un entourage de stèles, également disposées en cercle
(fig. 4). Dès la fin du Kerma Ancien, on observe des varia-
tions importantes dans les dimensions, signe d’une hiérar-
chisation croissante de la société: 8 à 9 m et jusqu’à 30 m
au Kerma Moyen, puis près de 90 m pour les tombes
royales du Kerma Classique (fig. 5). En bordure sud sont
déposés des bucranes, témoins symboliques de richesse
(fig. 6) tandis qu’à l’est sont regroupées des céramiques
retournées, qui attestent de libations en l’honneur du
défunt. Dès le Kerma Moyen, des chapelles sont associées
à certaines tombes.

Dans la fosse, le mort est placé sur le côté, en position


contractée ou fléchie, la tête à l’est, entre deux peaux
de bœuf (fig. 7). Il est généralement vêtu d’un pagne
en cuir, sur lequel sont souvent cousues des pièces rappor-
tées de forme losangique ornées de perles de faïence
noire, bleue ou blanche. L’équipement funéraire, d’abord
Fig. 3. Une rue dans le quartier sud-ouest. modeste, inclut progressivement, outre les objets person-
(Mission archéologique suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).
nels, tels que vêtements, parures, éventails ou armes,
d’importantes réserves alimentaires ainsi que des meubles
en bois, en cuir ou en vannerie. De jeunes béliers, déposés
à côté de la couche, participent du culte funéraire. Plu-
sieurs sont porteurs d’un attribut céphalique formé d’un
faisceau de plumes d’autruche fixé dans une coque en
cuir, retenue par des lacets. Ce décor, qui n’est pas sans
évoquer les représentations d’Amon sous sa forme crio-
céphale, était encore complété par des pendeloques faites
de perles de faïence attachées aux cornes, percées à cet
effet. Il n’est pas rare de trouver à côté du sujet principal
un ou plusieurs individus, adultes ou jeunes enfants des
deux sexes, dont la position ou la situation dans la fosse –
entre le lit et le bord de la fosse par exemple – indique
qu’ils ont été mis à mort à l’occasion du décès de la
personne inhumée (fig. 8). Dans les dernières tombes
royales du Kerma Classique, fouillées par G.-A. Reisner,
Fig. 4. Stèles marquant
l’emplacement d’une c’est par centaines que se comptent les « sacrifiés ». Le
tombe de l’époque du mobilier issu de ces tombes était tout aussi exceptionnel,
Kerma Ancien
(J.-B. Sevette). reflet des richesses accumulées par ces souverains, grâce

78
Fig. 5. Un tumulus de l’époque du Kerma Moyen. (Mission archéologique suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).

Fig. 6. Dépôt de bucranes effectué au sud d’un tumulus datant de l’époque du Kerma Moyen (Kohler-Rummler).

79
Fig. 7. Peaux de bovidés recouvrant la personne
inhumée (Mission archéologique suisse
au Soudan (Kerma) - D. Berti).

Fig. 8. Une sépulture de l’époque du Kerma Moyen


(Mission archéologique suisse au Soudan
(Kerma) - D. Berti).

Fig. 9. Sceaux à décor géométrique retrouvés dans la ville antique


(Mission archéologique suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).

Fig. 10. Deux bols rouges à bord noir de l’époque du Kerma Moyen
(Mission archéologique suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).

Fig. 11. Contenu d’un coffret en bois déposé dans une tombe de l’époque
du Kerma Moyen (Mission archéologique suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).

80
au contrôle qu’ils pouvaient exercer sur les flux de mar-
chandises en provenance de l’Afrique centrale, de la mer
Rouge ou de l’Égypte.

La région de Kerma est en effet doublement privilégiée.


Elle se trouve non seulement au carrefour des pistes
commerciales mais aussi dans la plus grande plaine allu-
viale de Nubie, propice à l’agriculture comme à l’élevage
de bovinés et de caprinés. Elle constitue ainsi un relais
incontournable, ce qui explique son remarquable essor.
Témoins de ces échanges, les innombrables sceaux et Fig. 12. Élément de «faïence» provenant de la deffufa du cimetière oriental
empreintes de sceaux (fig. 9) retrouvés dans la ville ou (Mission archéologique suisse au Soudan (Kerma) - D. Berti).
les récipients de facture égyptienne, sans compter les
magasins établis à proximité des palais. Si les forteresses
construites sur la deuxième cataracte par les pharaons du part, l’ambitieuse politique d’expansion a fini par susciter
Moyen Empire avaient certes pour but de parer au danger des réactions. Au début du Nouvel Empire, après avoir
potentiel que représentaient le royaume de Kerma ou repris le contrôle des forteresses de Basse Nubie, le
les tribus du désert, elles constituaient aussi des lieux pharaon Thoutmosis Ier (vers 1496-1483) se lance à la
d’échanges, comme le démontre la présence de vastes conquête de Kerma. Le récit de sa campagne est gravé sur
greniers et entrepôts. Progressivement, les souverains un rocher de la troisième cataracte. Non content de s’être
nubiens étendent leur sphère d’influence, tant vers le Sud, emparé de la capitale nubienne, Thoutmosis Ier implante
jusque vers la cinquième cataracte, que vers le Nord, jus- une ville fortifiée à 1 km au nord-est, au lieu-dit Doukki
qu’à la première. L’ampleur des constructions mises en Gel, littéralement «colline rouge», allusion aux amoncel-
œuvre dans la ville et dans la nécropole durant le Kerma lements de moules à pain rougeâtres qui ponctuent le site,
Classique se fait l’écho de la prospérité de cette époque. partiellement enfoui sous une palmeraie. Le secteur encore
accessible correspond au quartier religieux et fait l’objet
L’originalité de la civilisation Kerma, qui n’a pas déve- de fouilles systématiques depuis une dizaine d’années,
loppé d’écriture, s’exprime également au travers de ses livrant des témoins, parfois spectaculaires, qui permettent
réalisations artisanales, notamment la céramique fine d’en esquisser l’histoire depuis sa fondation jusqu’aux
rouge à bord noir, dont la qualité est particulièrement occupations napatéenne et méroïtique. C’est sur ce site
remarquable 5 (fig. 10). Le travail du cuir est également qu’ont été découvertes les fameuses statues en granit des
très représentatif, ce qui n’est guère surprenant au sein pharaons noirs (figs. 13-14) 6.
d’une population d’éleveurs : outre le vêtement (pagnes,
calottes, fines résilles recouvrant le visage, sandales) Fig. 13. Tête du pharaon Tanoutamon découverte dans la cachette de Doukki Gel.
ont été retrouvés des coffres, des étuis, des sacs ou des Cliché N. Faure.
barattes. Des poignards et des dagues au pommeau
d’ivoire, des rasoirs et des miroirs illustrent le travail du
bronze (fig. 11). Parmi les artisanats de prédilection,
citons encore la céramique siliceuse émaillée ou faïence,
qui a servi à façonner d’innombrables perles de forme et
de taille variées, ainsi que des éléments de décor mobilier
ou mural, retrouvés en abondance dans les deux temples
funéraires datés du Kerma Classique (fig. 12).

La raréfaction des animaux dans les tombes de cette


époque est sans doute liée à une plus grande aridité, ainsi
qu’à une surexploitation des sols, une évolution qui a
inévitablement retenti sur l’économie du royaume. D’autre

81
NOTES
1 M. HONEGGER, «Peuplement et préhistoire», in Kerma et archéologie

nubienne. Collection du Musée d’art et d’histoire, Genève, 2006,


p. 13-20.
2 G.A. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-III et IV-V (Harvard

African Studies, 5 et 6), Cambridge (Mass.), 1923.


3 B. GRATIEN, Les cultures Kerma. Essai de classification, Lille, 1978;

Saï, vol. I: La nécropole Kerma, Paris 1986.


4 Voir par exemple B.J. KEMP, « Old Kingdom, Middle Kingdom

and Second Intermediate Period », in B.G. TRIGGER, B.J. KEMP,


D. O’CONNOR, A.B. LLOYD, Ancient Egypt. A Social History, Cam-
bridge (GB), 1983, p. 162-168; W. Y. ADAMS, « Reflections on the
Archæology of Kerma», in Ägypten und Kush, Schriften zur Geschichte
und Kultur des altern Orients, 13, Berlin, p. 41-51.
5 B. PRIVATI, « La céramique de la nécropole orientale de Kerma

(Soudan): essai de classification», in Cahier de Recherches de l’Institut


de Papyrologie et d’Égyptologie de Lille, 20, 1999, p. 41-69.
6 C. BONNET et D. VALBELLE, Des pharaons venus d’Afrique : la

cachette de Kerma, Paris, 2005.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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Soudan: royaumes sur le Nil, Paris 1997.
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B. GRATIEN, Saï, La nécropole Kerma, Paris, 1986.
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(catalogue d’exposition, British Museum, Londres, 2004).
D. WILDUNG (éd.), Soudan: royaumes sur le Nil (catalogue d’exposi-
tion, Institut du monde arabe, Paris, 1997).

Les rapports de fouilles de la mission suisse sont régulièrement publiés


dans le périodique Genava édité par les Musées d’art et d’histoire
Fig. 14. Statue de Tanoutamon. Cliché N. Faure. de Genève.

82
Qui sont les Medjay
et où se situait leur territoire ?
Danielle MICHAUX-COLOMBOT

Les Medjay sont connus des sources égyptiennes à partir perd. L’histoire des Medjay, largement méconnue, mérite
du Décret de l’An 21 de Pépi Ier, sous la VIe dynastie. Leur une approche nouvelle, car elle dévoile un volet non négli-
nom dériverait d’une culture plus ancienne cristallisée geable de l’histoire du Moyen-Orient.
dans les Textes des Pyramides. On y trouve un substantif
et une divinité MD3, fille de Rê, déterminés par une W. M. Müller fut le premier à s’intéresser aux Medjay en
barque, évoquant une notion de « passeur » 1. Quoiqu’il en 1910 11. Sa documentation sera reprise par A. H. Gardiner
soit, Pépi Ier accorde un affranchissement aux « Néhésy en 1947 12, auteur d’une théorie devenue canonique depuis.
pacifiés » habitant le domaine funéraire de Snéfrou à En 1910, il était encore trop tôt pour en déduire une loca-
Dahchour, dont les auxiliaires de Medja, Iam et Irtjet 2. lisation convaincante, mais le débat était ouvert. Pensant
Ouni, chargé de faire appliquer cette charte, mène par que les Medjay sont des Nègres liés au commerce de
ailleurs une vaste expédition contre les ‘Amou avec l’aide l’encens, W. M. Müller situe leur pays à l’est du Nil
de ces Néhésy du Medja et d’ailleurs. Il creuse également Bleu, en Abyssinie 13. On les assimilait alors aux Bedja
des canaux dans le Sud assisté du souverain du Medja, modernes 14. Ensuite E. Schiaparelli 15 localise le pays à
rompu aux courtoisies d’usage devant Pépi Ier et Mérenrê, l’est de Berber et Khartoum, entre l’Atbara et l’Érythrée,
sur la frontière méridionale au sud d’Assouan 3. Avec H. Schäfer, à l’est de la troisième cataracte 16; et H. Gau-
Montouhotep II, fondateur du Moyen Empire, qui « assu- thier 17, entre Korosko et Abou Hamed, c’est-à-dire tout
jettit les quatre montagnes », le processus de vassalisation le plateau nubien comprenant le Ouadi Allaqi et le Ouadi
s’engage et le Medja fournit un revenu 4. Les Medjay Gabgaba. Selon G. Daressy, le territoire devait être au
sont à la fois craints, objets de rituels magiques à Helwan, nord d’une ligne Korosko-Bérénice, limite entre Medja
Saqqara, Thèbes et Mirgissa 5, et reçus courtoisement en et Ouaouat, sans toutefois atteindre la Thébaïde 18, contra
délégation à la cour égyptienne 6. Des femmes Medjay K. Sethe, partisan du désert de Coptos 19. En 1972, K. Zibe-
entrent au harem royal, dans les familles de notables lius 20 résume les opinions de T. Säve-Söderbergh, A. H.
et dansent aux festivals 7. Ces gens font commerce d’épi- Gardiner, G. Posener, D. Dixon, A. J. Arkell et M. Bietak 21
ces 8 et servent dans les temples 9. Près de Serra Est en qui s’accordaient pour situer le Medja du Moyen Empire
Nubie, une forteresse portait le nom de « Repousser-les- à l’est des deux premières cataractes, dans le secteur du
Medjay » 10. Au Nouvel Empire, de hauts postes militaires, Ouadi Allaqi. Elle reprend l’hypothèse d’A. H. Gardiner,
administratifs, diplomatiques et architecturaux sont confiés selon laquelle, au Nouvel Empire, le pays aurait perdu
à leurs chefs, dont l’apogée se situe sous Ramsès II. La plu- son identité dans la notion étendue de Ouaouat, faute
part des sources proviennent de Haute Égypte, surtout de preuve que les Medjay d’alors étaient des étrangers.
sous les Ramessides. Les Medjay sont partout. Ils circulent Mais la documentation s’arrête à la période kouchite. Les
sur les pistes au sud, au nord, à l’ouest et à l’est de l’Égypte sources gréco-romaines 22, loin d’être négligeables, n’ont
jusqu’au Sinaï, comme administrateurs, carriers, commis- pas pesé dans les discours. Deux thèses s’affrontaient
sionnaires et accompagnateurs. Ils sont envoyés en Syrie, entre les partisans du désert oriental à la hauteur de la
voire en Anatolie, comme matelots, militaires ou diploma- Haute Égypte et de la Nubie, et les partisans d’un pays
tes. Le Medja procure du granite rouge à l’époque de riverain du Nil au sud de Faras 23. L’hypothèse septentrio-
Domitien et figure dans les rituels des temples gréco- nale est écartée au profit de la méridionale, repoussée vers
romains encore sous Trajan. Au-delà, l’information se le plateau nubien, car, sur les figurines d’Helouan, les

83
Medjay de Wb3t-spt, sont opposés aux Néhésy de Ouaouat
(W3w3t), connus ailleurs comme des commerçants se
livrant au trafic fluvial 24.

L’idée directrice sous-jacente à ces opinions est d’ordre


ethnologique. Un peuple noir conviendrait à une popula-
tion soudanaise. Mais la momie de la dame Medja,
présente un épiderme clair 25. Et un teint foncé leur est très
rarement attribué 26. Par ailleurs, l’hypothèse du plateau
nubien n’est confirmée par aucune référence aux Medjay
parmi les inscriptions rupestres relevées dans cette
région 27. L’existence d’une ethnie de type hamite, proche
des Ababdah actuels, nomadisant dans le désert oriental
au nord d’une ligne Assouan-Bérénice a été proposée 28
(fig. 1, a). Retenue par certains 29, l’hypothèse n’a pas pour
autant modifié l’opinion classique 30. Il est généralement
admis qu’après leur succès lors de l’expulsion des Hyksos,
les Medjay sont intégrés aux forces de l’ordre, avec pour
conséquence une assimilation à la société égyptienne telle,
qu’à partir du Nouvel Empire, le terme même de med-
jayou (MD3yw) aurait perdu tout sens ethnique au profit
de la fonction policière. L’évocation du pays MD3 ne serait
qu’un pur archaïsme. Par conséquent, depuis l’étude
d’A. H. Gardiner, MD3yw est systématiquement traduit
« policiers ». Or, son étude n’analyse qu’une soixantaine
de sources, alors qu’il en existe plus de trois cents 31. De
plus, la lecture des hiéroglyphes a fait des progrès, ainsi
que l’information archéologique. D’autres perspectives
qu’une disparition des Medjay après le Moyen Empire due
à un glissement sémantique, sont à notre portée 32.

En premier lieu, la traduction « policier/gendarme » serait


un leurre. Car, aucun des mots servant à désigner les
activités policières en ville, sur les pistes ou les frontières,
s3-pr, nww, pXrt, entre autres 33 n’est appliqué aux Medjay.
Que l’on trouve des Medjay comme témoins dans des opé-
rations de police ou comme vigies ou rangers au Nouvel
Empire ne prouve aucunement que l’appellation Medjay
désignait un corps particulier d’un service d’ordre. Un tel
concept, inhérent au monde moderne, ne peut être appli-
qué aux sociétés antiques. Chaque administration assurait
une police interne par des membres désignés, souvent titu-
laires de fonctions plurielles. Certains Medjay ramessides
de Deir el-Medineh faisaient partie d’équipes d’ouvriers,
rmT-ízt, comme le Medjay Khnoummesou, condamné
par l’Assemblée de la Tombe à restituer des pains volés
sous la surveillance du quartier-maître, 3Tw, Khaemipet 34.
Fig. 1a. Des Medjay quartiers-maîtres sont également des chefs

84
divisionnaires, Hry 35, lesquels devaient rendre compte
en cas de problème. Mais ces derniers sont souvent des
organisateurs qui accompagnent et informent des Medjay
« toutes mains » comme « les soixante hommes Medjay »
qui ont transporté le mobilier funéraire de Ramsès IV
avec d’autres ouvriers de la Place de Vérité 36. Des Medjay
ramessides proclament des titres sans rapport avec une sup-
posée fonction policière, comme conducteurs de travaux,
de chars, chef des écuries ou des chevaux, messagers
royaux en tous pays. Les plus modestes de Thèbes ouest
sont scribes, commissionnaires, loueurs d’ânes ou garants
de transactions.

Sous la XXe dynastie MD3(yw)-3Tw est un titre courant 37.


En fait, lorsque A. H. Gardiner a rédigé son étude à
partir du n° 188 de l’Onomasticon Golénischef, daté de
Ramsès IX, à cette époque on ne lisait pas le signe de la
jambe, dont on a reconnu depuis la valeur propre 3Tw. Par
conséquent, le n° 188, qui figure dans une liste de métiers
après carriers, potiers et sculpteurs, a été lu mD3yw et
non MD3(yw)-3Tw 38, comme il se doit. La formule de
« occupational title », souvent citée, n’est justifiée que
pour l’ensemble MD3yw-3Tw.

Rien ne prouve qu’une fonction ait oblitéré la notion eth-


nique. A contrario, quatre chefs indigènes sont encore
connus sous la XXe dynastie. Mahuy, wr n MD3yw, est
tenancier de terres en Moyenne Égypte près P3-MD3
(Oxyrhynchos) 39, nom évocateur d’une colonie. Dans
l’Ouadi Hammamat, Achakhet, « fils du scribe de la forte-
Fig. 2. Amenemone, sur un montant de porte à Abydos
resse », est «délégué du chef des Medjay de la région Sud», G.A. GABALLA & K.A. KITCHEN, CdÉ 43, 1969, p. 265, fig. 3.
ídnw n wr n MD3 n‘-rsy 40. Le wr n MD3 Nakht […] n‘-rsy, Photo Danielle Michaux-Colombot.
« de la région Sud » est venu à Deir el-Bahari 41. Et le père
d’un Nesamon était également un wr n3 MD3w 42. Wr dési-
gne des princes vassaux ou des souverains étrangers 43. barbe sémitique et un profil joufflu (fig. 2) 46. Un profil
Mais T. Säve-Söderbergh a mis en doute la connotation similaire dépeint son alter ego Iouni, wr n MD3, sur une
ethnique du titre, dans le cas particulier des Medjay 44. Son stèle rupestre d’El Kanaïs (fig. 3) 47. La petite barbe est
raisonnement extrapole sur l’hypothèse selon laquelle les une caractéristique constante des Medjay sur les tableaux
Hry MD3yw sont des chefs de la police qui pouvaient être ethniques 48. Elle est un attribut de Min, le dieu des Medjay,
des Égyptiens, car ils sont représentés comme eux, et par courte dans le Ouadi el Kash à l’est de Coptos, ainsi que sur
conséquent, la même situation pouvait s’appliquer aux la stèle d’Achakhet, sa taille varie ailleurs 49, comme pour
wrw. Mais outre l’argument invalide du « policier », l’hypo- les Pountites. Enfin des attestations de femmes jusqu’à
thèse d’exception s’accorde mal avec le corporatisme la XXe dynastie 50, devraient éliminer la fiction « policier »
égyptien qui veut qu’un chef soit désigné à l’intérieur d’un et son corollaire ethnique. Traduire « policières », même
groupe et souvent de façon héréditaire 45. De plus, il est avec un déterminatif féminin, serait difficile.
inexact que leurs représentations, toujours stéréotypées
dans les tombes ou sur les stèles, ne les distinguent jamais En ce qui concerne le territoire, l’emplacement même
des Égyptiens. Amenemone est représenté avec la petite dans le désert oriental d’inscriptions les concernant cons-

85
Fig. 3. Iouni, stèle rupestre d’El Kanaïs. Photo Danielle Michaux-Colombot.

titue une information capitale. Des preuves incontourna- d’un puits in situ pour la survie des mineurs 53. La pose
bles existent sur l’Orient de la Haute Égypte, aux Ouadi agenouillée, les deux mains levées devant le roi convien-
El Houdi (XIIIe dynastie), Ouadi Abbad (XIXe dynastie) nent à un vassal sur son territoire bien qu’au service
et Ouadi Hammamat (XXe dynastie). Dans la mine de Pharaon. L’inscription lui attribue les titres de « chef
d’améthyste du Ouadi el Houdi, à environ 20 km au des écuries de Séti Ier, conducteur de char de [Sa] Majesté
sud-est d’Assouan, une stèle mal conservée, datée de [VPS], fils royal des deux Kouch, prince des Medjay ».
Sobekhhotep IV, relate l’expédition d’Iounefer « envoyé Une stèle votive d’Abydos complète l’information par
vers ce gebel d’améthyste pour en rapporter de l’amé- « surveillant des gebels des deux régions Sud, fils royal
thyste-Hzmn, de l’améthyste-Hm3gt, du minéral-Hmwt, de Ta-seti, surveillant des travaux dans la Demeure
de l’obsidienne et du cristal, du feldspath vert-nSmt, et d’Amon, prince de Medja » 54. Iouny n’aurait été qu’un
des minéraux précieux […] sortie vers ce gebel du grand éphémère vice-roi de Kouch, tombé en disgrâce après la
des Medjay » (fig. 4) 51. La mine d’améthyste est donc mort de son bienfaiteur Séti Ier 55. Mais son cas illustre
dans le territoire d’un vassal Medjay. Compte tenu de clairement une situation de vassalité cumulée avec les
la variété des gemmes citées, ce territoire ne devait pas plus hauts postes de l’administration égyptienne sous la
être négligeable. Si mnw km est bien de l’obsidienne, l’en- XIXe dynastie. Les titres rares concernant les gebels des
tité aurait été reliée au commerce en mer Rouge, car cette deux régions Sud, une vice-royauté de deux Kouch et
roche ne pouvait provenir que d’Éthiopie ou du Yémen 52. de Ta-seti supposent une entité politique à l’est de la Haute
Au Ouadi Abbad à El Kanaïs, à 50 km à l’est d’Edfou, Égypte. †3-ztí désigne stricto sensu, le premier nome
Iouny (fig. 3) fait acte d’obédience devant Séti Ier, donateur de Haute Égypte entre Assouan et Edfou 56. L’extension

86
sémantique vers le Sud masque une réalité géographique
mal appréhendée de nos jours. †3-ztí n’est pas qu’au Sud.

Trois inscriptions du Ouadi Hammamat, datées de Ramsès


IV, font état d’une main d’œuvre Medjay. En l’An 1, Ousir-
maâtrê-Nakhtou mène une expédition pour extraire des
statues en pierre de bekhen avec 406 participants dont 20
hommes de Medja 57. Deux ans après, le Premier Prophète
d’Amon, Ramsès-Nakht, retourne sur les lieux avec plus de
8000 personnes parmi lesquels Nakht-Amon, qui serait
délégué, [idnw] de 50 hommes Medjay 58. Et, à une date
indéterminée, « le messager royal », Achakhet, cité ci-dessus,
va « quérir les monuments de son maître ». Or, il est « délé-
gué du prince des Medjay de la région Sud ». L’information
n’est utile que si ce prince est sur place pour fournir les
Medjay nécessaires au bon déroulement des opérations,
comme lors des précédentes expéditions. S’agissant de
Medjay « de la région Sud », groupe cité à El Kanaïs, l’entité
engloberait également l’Ouadi Hammamat.

Deux roches réputées de Medja confirment ces déduc-


tions, la grauwacke et le granite rouge. Le sarcophage de
Merenrê a été extrait à Ibhat d’après le récit d’Ouni. Or,
son sarcophage, comme ceux d’Ounas, de Teti et de Pépi
Ier, est en grauwacke, une roche spécifique du Ouadi Ham-
mamat, appelé pierre de bekhen par les Égyptiens 59. Ibhat
est une localité Medjay. Le nom est porté par une servante
d’Ashaït, de type égyptien 60. Des hommes et des femmes
Medjay venant « du puits d’Ibhat » ont été ramenés par une
patrouille sous Amenemhat III 61. La dépêche, trouvée au
Ramesseum, est censée provenir de Semna ou Mirgissa.
En réalité, le lieu d’expédition [Iken] est restitué, donc
incertain 62. Et rien ne prouve que ces gens et Ibhat soient
en Nubie comme on le prétend 63. La grauwacke situant
Ibhat au Ouadi Hammamat, le « puits d’Ibhat » pourrait Fig. 4. Stèle de Iounefer, Ouadi el Houdi 23. A. I. SADEK, The The Amethyst,
être celui du Ouadi Chagg près de Bir Hammamat, où in Modern Egyptology Series, Warminster, 1980, pl. XI.
Merenrê a laissé une inscription 64. Photo Danielle Michaux-Colombot.

L’autre roche de Medja, selon des monuments plus tardifs, endroits, entre Assouan et Shellal, et à l’Ouadi Fawa-
est le granite rouge. Les deux obélisques de Bénévent khir 67. Cette seconde mine est proche de Bir Hammamat
portent des inscriptions quasi identiques 65. « L’Horus... où sont gravées des inscriptions datées de Domitien 68.
Domitien est revenu des Deux Terres (l’Égypte) et des Ainsi, ces deux mines uniques encadrent parfaitement le
gebels des MDyw (Obélisque B) / Mtyw (Obélisque A), à secteur géographique du désert où les Medjay sont attes-
sa capitale Rome » où fut « érigé un obélisque de m3T ». tés, à l’est des latitudes Assouan – Hammamat. La grau-
Or, ces obélisques sont en granite rouge. Sous Thoutmosis wacke de Merenrê, provenant d’Ibhat, et le granite rouge
III, « le m3T de tout gebel » est une « rareté de Medja » de Medja s’accordent pour désigner l’Ouadi Hammamat
collecté par « l’administrateur des pays Sud » 66. Le fait comme pays Medjay à toutes les périodes. L’autre source
probant est que le granite rouge n’est exploité qu’en deux d’Assouan est proche du Ouadi El Houdi et des endroits

87
où les princes de Medja rencontraient Pharaon sous la
VIe dynastie, entre Assouan et Biggeh. Ces informations
s’accordent également pour situer près d’Assouan une
frontière du Medja à toutes les périodes.

Ce secteur de l’Etbaye septentrionale est traversé de très


nombreux ouadis qui sont autant de passages privilégiés
vers la mer Rouge. Pendant toute la civilisation pharao-
nique, là se serait trouvé le Medja, le pays des «passeurs»
ou « traversants ». Le nom est formé du participe D3í
«traverser», précédé du ‘m’ formant les noms d’agent 69.
C’est le peuple de l’Est, de la déesse Medja, fille de Rê, le
soleil levant. L’orientation Est, corroborée par tous les
tableaux ethniques 70, correspond au domaine de Min le
Medjay prospecteur des régions minières d’or et des fards
célébré à Philæ, Kom Ombo, Edfou et Médamoud dans
les temples gréco-romains 71.

La province de Medja, à l’est d’Assouan, devait s’étendre


jusqu’à Bérénice. D’après Pline, la Trogodytice près de
Bérénice se nommait Midoë / Midioë 72. L’identification
jadis avec le Medja par J. Farina 73 peut bénéficier d’argu-
ments supplémentaires. La graphie correcte est Trogo-
dutai 74, de consonance rare et sans étymologie évidente.
Le toponyme pourrait dériver d’un pater eponymos Med-
jay. Le répertoire d’exécration de Saqqara évoque plu-
sieurs souverains de Medja dont ™ghDw/™hghDw, qui
régnait sur 3wSk 75, un pays connu également du répertoire
de Mirgissa 76. Selon G. Posener, 3wSk devait être limitro-
phe de Wb3t-spt, un autre pays du Medja, car ils sont
nommés ensemble et dans un ordre indifférent. Ayant deux
princes contemporains, Wb3t-spt serait plus vaste 77, à
placer dans la portion la plus large de l’Etbaye Nord
entre l’Ouadi el-Houdi et peut être Bir Abraq à l’ouest
de Bérénice. L’hypothèse de l’origine éponyme de Trogo-
dutai serait renforcée par d’autres proximités phonétiques
entre 3wSk, Sikket, Senskis et Sukari, toponymes de mines
d’or au nord de Bérénice. Ils retiennent tous l’élément SK,
rare également, mais présent dans Sukkim, ethnie biblique
synonyme de Trogodutai 78.

Ce Midoë trogodytique serait celui du « Medja de Pount »,


pays couplés dans des hymnes dès le Moyen Empire 79 et
dans les rituels des apports minéralogiques de Min cités
ci-dessus. Une nouvelle inscription découverte à El Kab
dans la tombe de son gouverneur Sobek-nakht débute par
un récit d’une invasion de pillards à la XVIIe dynastie
Fig. 1b. détruisant l’enceinte de la ville : « [Le vil ?] Kouch est

88
Fig. 5. Stèle de Humay au Gebel Agg.
Détail. Humay, sa mère et ses deux frères.
W.K. SIMPSON, Heka-Nefer and the Dynastic Material from Toshka and
Arminna, in Publications of the Pennsylvania - Yale Expedition to Egypt, 1,
New Haven - Philadelphie, 1963.

Fig. 6. Stèle de Penniout, région de l’Oasis de Kurkur.


J.C. DARNELL, SAK 31, 2004, pl. 2.

89
venu… levé en masse, ayant soulevé les tribus de Ouaouat, les vases de proscriptions de Mirgissa et les sceaux d’une
[les habitants ?] des îles de Khenthennefer, de Pount et forteresse « Repoussser-les-Medjay » près de Serra don-
les Medjay… » 80. Selon V. Davies, les Kouchites seraient nent l’impression que le Medja est proche de la deuxième
passés par les pistes du désert à l’orient d’Assouan. En cataracte 93. Qu’ils aient été assez puissants à l’époque
plaçant Pount 81 dans la région de Bérénice, à Shenshef pour y mener des incursions armées ou pour gêner la
ou Kalalat, par exemple, où se trouvent puits et fortins mainmise commerciale égyptienne ne prouve pas une
examinés par l’équipe de S. E. Sidebothan, la séquence proximité immédiate. Les inscriptions du Nouvel Empire
géographique de l’inscription devient cohérente. Après y sont trop rares par rapport à la masse documentaire foca-
Pount, la coalition aurait progressé ensuite par les ouadis lisée sur les régions septentrionales. Une inscription de
en enrôlant les Medjay jusqu’à ceux du Ouadi Abbad, très Tombos de la XVIIIe dynastie énumère des épices des
près d’El Kab, justifiant qu’ils soient cités en dernier. Medjay 94. À Kumna, sur deux piliers, deux vice-rois de
Kouch, Seni qui a « inspecté tout le Medja », et [Ousersa-
Les « Medjay du Sud » ne représentent pas le seul groupe tet] qui en reçoit le granite rouge cité ci-dessus 95. Ils
au Nouvel Empire. Les « Medjay de Coptos » fournissent n’énumèrent que des actes faisant partie de leurs fonc-
de l’or et du gibier 82. Les « Medjay d’Akhet-Aten » occu- tions. Enfin selon une stèle de Merenptah provenant
pent de multiples fonctions à El Amarna, comme vigies et d’Amada, le roi a « mâté le Medja » car « des rebelles de
conducteurs de char, entre autres 83. Ils peuvent avoir contrées soumises ont fait une incursion dans le Sud » 96.
investi le désert oriental également à ces latitudes 84. Les Les Medjay existent encore bel et bien, mais leur pays
« Medjay de (Thèbes) ouest» participent aux activités de serait plus septentrional. Ils feront d’autres incursions
la nécropole et au-delà sur les pistes 85. plus au sud encore, près de Kawa et du G. Barkal sous les
Kouchites Irike-Amannote, Harsyotef et Nastasen 97.
Au Nord, à Tjékou dans le Ouadi Tumilat, des « Medjay
de la relève » et des « Chemins de Prê » parcouraient les Hors de la vallée, au Gebel Agg près de Toshka, Humay,
pistes vers le Sinaï. Ils étaient enrôlés parmi les tribus du « Medjay de Sa Majesté », a fait graver une stèle d’époque
désert environnant 86. Des princes Medjay des « chemin de amarnienne sur laquelle il est représenté avec ses parents
Prê » et de « Re‘-Tjenen de Thèbes » ont participé à des et deux frères 98 (fig. 5). Il porte d’une main une gazelle et
expéditions minières à Sérabit el-Khadim 87. À Tjaru, le de l’autre, un grand arc. Un frère, Seni-nefer, est « bouvier
poste frontière vers la Palestine, les Medjay veillent à la de l’Horus de Miam ». L’autre, Meniou ? est « escorte du
sécurité de l’Égypte 88. La stèle de l’An 400 prouve que roi et messager royal ». La mère tient dans la main la
sous Ramsès II, un wr n MD3 comme Séti, Premier Pro- pointe de Sopdou, une référence au dieu du Delta oriental.
phète de Seth, est traité par le roi comme un quasi alter La famille se tient devant trois dieux : Horus de Miam,
ego, puisqu’il est représenté derrière Ramsès II paré de la Sésostris III et Réchep, un dieu sémitique. La culture de
queue royale 89. Les Medjay, alors au sommet de leur cette famille postée à Miam relève d’un contexte nord-
gloire, sont les seuls voisins de l’Égypte qui peuvent oriental plutôt que soudanais.
correspondre aux prestigieux mercenaires de Meluh ha.
˘˘
Selon un courrier cunéiforme adressé au roi hittite Hattu- De la même époque date la stèle de Penniout, député de
sili III, Ramsès II en a posté à H alba en Syrie 90. À cette Ouaouat, trouvée à près de 30 km au sud-ouest d’Assouan
˘
époque, le wr n MD3 Penrê, « chef des travaux dans le dans la région de l’Oasis de Kurkur 99 (fig. 6). Penniout y
Ramesseum », « conducteur de char de Sa Majesté », « sur- réprimande un chef Medjay pour n’être pas venu faire le
veillant des gebels des pays Nord », est « messager royal guide sur l’enceinte de la forteresse, ni être venu prendre
en tous pays et surveillant de Khor », Syrie-Palestine 91. le sceau. Le Medjay lui répond « combien longue est la
Des hommes de Meluh ha avec des harnais et des femmes marche des quatre ítr.w (plus ou moins 42 km) que je fais
˘˘
de Meluh ha avec des étoffes de luxe furent expédiés à la tous les jours : cinq fois gravissant (le gebel), cinq fois
˘˘
cour de Hattusa comme cadeaux de prestige par Ramsès II descendant (le gebel), aussi ne fais pas que je sois rem-
à son futur beau-père Hattusili III 92 (fig. 1b). placé par un autre ». Medjay est noté avec deux graphies
différentes. La première pour l’adresse au p3 MD3y est
Dans le Sud nubien les Medjay sont surtout attestés sur classique. La seconde, celle de la réponse, est déterminée
les monuments égyptiens de la vallée. Au Moyen Empire, avec un bras armé au lieu du bois de jet et de la montagne.

90
Étant dépositaire du sceau, on est tenté d’interpréter le Ächtung Feindlicher Fursten, Völker und Dinge auf Altägtyptischen Tongefäss-
cherben des Mittleren Reiches, Berlin, 1926, p. 34-37 ; Y. KOENIG, « Les Textes
déterminatif du bras armé comme le signe du fondé de d’Envoûtement de Mirgissa », in Revue d’Égyptologie, 41, 1990, p. 105-109,
pouvoir 100. Des déterminatifs particuliers pour Medjay se 118-121, 124-125.
6 À Médamoud, lors du festival de Montou. A. SPALINGER, « Notes on the
multiplient au Nouvel Empire. Ils indiqueraient peut-être
day-summary accounts of P. Boulaq 18 and the intradepartmental transfers »,
une distinction honorifique par rapport au Medjay ordi- in Studien zur Altägyptischen Kultur, 13, 1985, p. 179-241; A. SCHARFF, « Ein
naire, dont le cas du MD3-3tw ne serait qu’une catégorie. Rechnungsbuch des königlichen Hofes aus der 13 Dynastie », in Studien zur
Altägyptischen Kultur, 40, 1923, pl. 12**-14**, 19**, 21**.
Le Medjay de Penniout porte un grand arc comme Humay. 7 Ashaït, épouse secondaire de Montouhotep II, avait trois servantes Medjay.

L’un et l’autre s’insèrent dans le contexte administratif J. J. CLÈRE et J. VANDIER, Textes de la Première Période Intermédiaire, t. I,
Bruxelles, 1948, p. 28-29. Une sœur de Khéperkarê, P. BOESER, Beschrijving
provincial de Ouaouat.
van de Egyptische Verzameling, t. II, Leyde, 1909, n° 6, pl. V. Elles sont offertes
comme « dames d’atours », lorsqu’un prince de Medja assiste aux festivals
Pour conclure, rien ne permet d’affirmer que le Medja se d’Assouan, Urk. VII,1,2-2,3 ; E. EDEL, « Zur Lesung und Bedeutung einiger
Stellen in der biographischen Inschrift S3-rnpwt’s I », in Zeitschrift für
trouvait dans la région traversée par la Piste des Quarante ägyptische Sprache und Altertumskunde, 87, 1962, p. 98-101; F.LL. GRIFFITH,
Jours. Les Medjay et les Trogodytes étaient des « cou- Hieratic Papiri from Kahun and Gurob, Londres, 1898, p. 60, pl. 24.
8 F.LL. GRIFFITH, Ibid, p. 52, pl. XX II; Wb. II, 186, 2.
reurs» 101 aussi émérites que le subordonné de Penniout. 9 L. BORCHARDT, «Besoldungsverhältnisse von Priestern im mittleren Reich»,
Mais s’ils ont parcouru cette piste pendant plus de deux in Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde, 40, 1902-3, p. 114.
millénaires pour leur compte ou celui des Égyptiens, il y 10 Y. KOENIG, op. cit. (supra n. 5); P. SMITHER, « The Semnah Despatches », in

Journal of Egyptian Archæology, 31, 1945, p. 7-8; J. KARKOWSKI, Faras V,


a peu de chance pour qu’ils y soient autochtones. Les The Pharaonic Inscriptions from Faras, Varsovie, 1981, p. 18-20.
Medjay nomadisaient en tribus confédérées, originelle- 11 W. M. MÜLLER, Egyptological Researches, II, Washington, 1910, p. 69-79.
12 A. H. GARDINER, Ancient Egyptian Onomastica, t. I, Oxford, 1947, p. 73-89.
ment à l’est de la Haute Égypte. À une période indétermi-
Wb. II, 186, 1-13.
née ils auraient investi tout le désert oriental jusqu’au 13 A. H. GARDINER, Ibid, p. 72-73, 78.
14 F. F.LL. GRIFFITH, Catalogue of the Demotic Pap. J. Rylands, t. III, Man-
Delta.
chester, 1909, p. 87 n. 4, p. 319 n. 2, p. 420.
15 E. SCHIAPARELLI, La geographia del’Africa Orientale secundo,le indicationi

dei monumenti eiziani, Rome, 1916, p. 240.


16 H. SCHÄFER, Die äthiopische Königsinschrift des Berlin Museen, Leipzig,

1901, p. 41.
17 H. GAUTHIER, Dictionnaire des noms Géographiques contenus dans les

textes hiéroglyphiques, t. III, Le Caire, 1926, p. 26-27, 65-66; Ibid, t. IV, p. 220-
221, t. VI, p. 144.
NOTES 18 G. DARESSY, « Un Fils Royal de Nubie », in Annales du Service des Antiqui-

tés de l’Égypte 20, 1920, p. 138-139.


*Abréviations : KRI = K. A. KITCHEN, Ramesside Inscriptions, Historical and 19 K. SETHE, op. cit. (supra n. 5), p. 36.

Biographical, Oxford, 8 vol. 1975-1990. LÄ = Lexikon der Ägyptologie, 7 vol., 20 K. ZIBELIUS, Africanische Orts-und Völkernamen in hieroglyphischen und

Wiesbaden. LEM = A. H. GARDINER, Late Egyptian Miscellanies, Bruxelles, hieratischen Texten, Wiesbaden, 1972, p. 133-137.
1937 (BAe VII) et R. CAMINOS, Late Egyptian Miscellanies, Londres 1954. 21 T. SÄVE-SÖDERBERGH, Ägypten und Nubien, Lund, 1941, p. 18, 139-140;

LRL = J. ČERNÝ, LRL =Late Ramesside Letters, Bruxelles, 1939 (BAe IX) et A. H. GARDINER, op . cit. (supra n. 12); G. POSENER, « Néhésyou et Medjayou
E. WENTE, LRL =Late Ramesside Letters, Chicago, 1969 (SAOC 33). PT = Pyra- (en hiéroglyphes) », in Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde,
mid Texts. TT = Theban Tombs. Urk. I = K. SETHE, Urkunden des Alten Reichs, 83, 1958, p. 38-43, D. DIXON, « The Land of Yam », in Journal of Egyptian
Leipzig, 1932-1933. Urk IV = H. SETHE, Urkunden der 18. Dynastie, Leipzig, Archæology, 44, 1958, p. 48-49; A. J. ARKELL, History of the Sudan, Londres,
1906-1909. Urk.VII = K. SETHE et W. ERICHSEN, Urkunden des Historische- 1961, p. 52, 78-79, E. EDEL, op. cit (supra n. 7), p. 100-101; M. BIETAK,
biographische Urkunden des Mittkeren Reiches, Leipzig 1935. Wb. = A. ERMAN Ausgrabungen in Sayala-Nubien 1961-65, Denkmäler der C-Gruppe und der
et H. GRAPOW, Wörterbuch der Ægyptischen Sprache, Leipzig, 1926-1931. Pan-Gräber Kultur, Vienne, 1966, p. 77-78.
1 Wb. 187,2 ; PT § 1237, PT § 2048, § P 454. R. O. FAULKNER, The Ancient 22 J. YOYOTTE, « Une épithète de Min comme exploreur des régions orientales

Pyramid Texts, t. I, Oxford, 1969, p. 186, 293-294 n. 3; C. BOREUX, Études », in Revue d’Égyptologie, 9, 1952, p. 125-126, 131-134.
de Nautique égyptienne, Le Caire, 1924 (Mémoires publiés par les membres 23 G. POSENER, op. cit. (supra n. 21), p. 38.

de l’Institut français d’archéologie orientale, 50), p. 434. 24 Ibid, p. 39-41.


2 Urk. I, 211, 2 ; H. GOEDICKE, Königliche Documente aus dem Alten Reiches, 25 B. BRUYÈRE, Rapport sur les fouilles de Déir el Medineh, La Nécropole de

Wiesbaden, 1978, p. 55-56. l’Est, Le Caire, 1937 (Fouilles de l’Institut Français d’Archéologie Orientale,
3 Urk. I, 101 et 109 ; Urk. I, 110, 15 ; Urk. I, 111,10. XV/2), p. 157-158. Le cercueil de la dame Medja, une musicienne, est exposé
4 L. HABACHI, « King Nebhepetre Menthuhotep : his Monuments, Palace and au Louvre (date Hatchepsout).
History », in Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Abteilung 26 Deux servantes Medjay d’Ashaït sont noires. Elle-même est brun-chocolat

Kairo, 19, 1963, p. 23-23, fig. 6. De cette conquête daterait le culte de la medjat, sur son sarcophage. J. J. CLÈRE et J. VANDIER, op. cit. (supra n. 7), n° 6-7;
mortier de Min : D. MICHAUX-COLOMBOT, « The deification crown of the god la troisième servante n° 8, Ibhat, a un type égyptien; G. POSENER, op. cit. (supra,
Min in Ancient Egyptian rituals », in Cultural Heritage of Egypt and Christian n. 21), p. 42 n. 2; C. HAYES, Scepter of Egypt, t. I, New York, 1990, p. 160-161,
Orient, 3, Moscou, 2006, p. 53-68. Concernant l’identification de la medjat : 220.
M. GABOLDE, « La statue de Merymaât gouverneur de Djâroukha », in Bulletin 27 Z. ŽÁBA, The Rock-Inscriptions of Lower Nubia, Prague, 1974, p. 53-57;

de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 94, 1994, p. 261-275. B. B. PIOTROSVKY, Wadi Allaqi : The road to the Nubian Gold Mines, Hiero-
5 G. POSENER, Cinq figurines d’envoûtement, Le Caire, 1987, p. 45-47; ID., glyphyphic and Hieratic Rock Inscriptions (en russe avec un résumé en alle-
Princes et Pays d’Asie et de Nubie, Bruxelles, 1940, p. 50-54; K. SETHE, Die mand), Moscou, 1983.

91
28 49 D. ROHL, Followers of Horus, Abingdon, 2000, p. 124. Le bon Medjay
D. MICHAUX-COLOMBOT, « The MD3yw, not Policemen but an Ethnic Group
from the Eastern Desert », in C. BONNET (ÉD.), Études Nubiennes, t. II, Neu- de Pount est « celui à la haute barbe », G. ROEDER, Debod bis Bab-Kalabsheh,
châtel, 1990-1994, p. 29-36. Le Caire, 1911, p. 57, pl. 57.
29 B. MANLEY, Atlas historique de l’Égypte Ancienne, Paris, 1996, p. 27, 45, 51. 50 La dame Medja, (supra n. 25); H. RANKE, Die ägyptische Personennamen,

30 D. O’CONNOR, Ancient Nubia, Philadelphie, 1993, p. XIV, 42-44; Glückstadt, 1935-52, t. II, p. 343, T3-Mdyt, TT n° 260 (XVIIIe dyn.); t. I,
S. GIULIANI, « Medja sources in the Old Kingdom », in Discussions in Egypto- p. 357,18 (XXe dyn.); J. ČERNÝ et E. WENTE, LRL, n° 31, T3y MD3.
51 A. I. SADEK, Wadi el Hudi I, Warminster, 1980, p. 48-50, pl. XI n° 23;
logy, 42, 1998, p. 45, 51; ID. « Some Cultural Aspect of the Medja of the
Eastern Desert », in T. KENDALL (ÉD.), Nubian Studies, 98, Boston, 2004, A. FAKHRY, Inscriptions of the Amethyst Quarries at Wadi el Hudi, Le Caire,
p. 289-290. 1952, n° 23, p. 40-42, fig. 33; K. J. SEYFRIED, Beiträge zu den Expeditionen
31 Corpus rassemblé dans une thèse encore inédite, D. MICHAUX, Les énigmes des M.R. in die Ost-Würst, Hildesheim, 1981, p. 63-70; M. BIETAK, op. cit.
géographiques Medja, Punt, Meluhha et Magan au Proche Orient Ancien, (supra n. 21), p. 78. A. I. SADEK et K. J. SEYFRIED lisent D3mu, mais M. BIETAK
soutenue à l’Institut Catholique de Paris en juin 2002. lit MD3w avec raison. Traduction des minéraux d’après celle de S. AUFRÈRE,
32 Le Lexikon der Ägyptologie n’a pas de rubrique « Medjay ». G. ANDREU, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, Le Caire, 1991, p. 66.
52 P. T. NICHOLSON et I. SHAW, Ancient Egyptian Materials and Technology,
«Polizei», in Lexikon der Ägyptologie, IV, 1982, col. 1068-1071; M. BIETAK,
« Pfannen-gräber » in Lexikon der Ägyptologie, IV, 1982, col. 999-1004; Cambridge, 2000, p. 46-47.
53 Selon la stèle d’Anena gravée à côté de celle d’Iouny, KRI I, 72.
R. HERZOG, « Beja », in Lexikon der Ägyptologie, I, 1973, col. 676-677. Voir
54 KRI III, 68,8-9.
aussi in Lexikon der Ägyptologie VII, 1992, col. 269.
33 G. ANDREU, loc. cit. (supra n. 32). 55 H. GAUTHIER, « Le temple de l’ouadi Mîyah (El Kanaïs) », in Bulletin de

34 Caire, Catalogue Général, 25553 recto, 4; J. ČERNÝ, Ostraca Hiératiques, l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 17, 1919, p. 38.
56 W. HELCK, « Gaue », in Lexikon der Ägyptologie, II, col. 385-386.
Le Caire, 1935, pl. XXV, p. 42*; K. A. KITCHEN, Ramesside Inscriptions,
57 KRI VI,1,13 ; G. GOYON, op. cit. (supra n. 40), p. 24-25, 103-106.
Historical and Biographical, Oxford, 1969, V, 454,10-11. Pour le titre 3Tw :
58 KRI VI,14,7-8; L. CHRISTOPHE, « La stèle de l’An III de Ramsès IV au Ouadi
G. POSENER, « Sur la valeur phonétique 3t>3t du signe (de la jambe en hiérogly-
phe) », in Revue d’Égyptologie, 15, 1963, p. 127-128; O.D. BERLEV, « Les Hammamat », in Bulletin de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 48,
prétendus ‘‘citadins’’ au Moyen Empire », in Revue d’Égyptologie, 23, 1971, p. 1949, p. 20-21, 24, 36.
59 Urk. I,106; M. WISSA, « Le sarcophage de Merenrê et l’expédition à Ibhat »,
34-42. Pour la traduction « quartier-maître », H. WILD « Quatre statuettes
du Moyen Empire dans une collection privée suisse », in Bulletin de l’Institut in C. BERGER et al. (ÉDS.) Hommages à Jean Leclant, t. I, Le Caire, 1994,
Français d’Archéologie Orientale, 69, 1970, p. 121. p. 379-387 ; P.T. NICHOLSON et I. SHAW, op. cit., p. 57.
35 P. Turin, 2021, 4,15-21, J. ČERNÝ et T.E. PEET, « A marriage settlement 60 J. J. CLÈRE et J. VANDIER, op. cit. (supra n. 7).
61 P. SMITHER, op. cit. (supra n. 10), p. 7-8, pl. 3a.
of the XXth Dynasty », in Journal of Egyptian Archæology 13, 1927, p. 33;
62 Ibid, p. 3-4; A. NIBBI, « The nHzy.w of the Dashur Decree of Pepi I », in
J.J. JANSSEN, Commodity Prices from the Ramesside Period, Leyde, 1975, p. 26
n. 10. Dans cette liste de témoins, 4 3Tw, Imenkhâou, Pakhor, Imenhotep et Göttinger Miszellen, 53, 1982, p. 30-32.
63 Urk. IV, 1659-1661. À la fin de la XVIIIe dynastie, Merymes mène une expé-
Imenipetou sont des Medjay connus chacun dans plusieurs autres documents
contemporains, D. MICHAUX, op. cit. (supra n. 31), t. I, p. 50-53. dition pour « punir en un jour en une heure Ibhat devenue trop prétentieuse ».
36 KRI VI, 340,14-15, 342,3-4, 10-12, 343,5-8; D. VALBELLE, « Les Ouvriers Il est parti de Beki, identifié à Kouban, et a parcouru 52 ítrw n zqdwt, soit
de la Tombe », in Bibliothèque d’Étude, XCVI, 1985, p. 37, 134-135, 199-200. environs 500 km, une distance qui peut mener au Ouadi El Hammamat.
37 J. ČERNÝ, LRL, n° 21, p. 36, n° 34, p. 53, n° 35, p. 54; E. WENTE, LRL, p. 53, R. KLEMM et D. D. KLEMM, Stein und Steinbrüche im Alten Ägypten, Berlin,
69. Également dans la Formule 167, (XVIIIe dynastie), P. BARGUET, Le Livre 1993, p. 363-364.
64 « Bir » signifie « puits ». Pour l’O. Chagg, G. GOYON, « Le papyrus de Turin
des Morts des Anciens Égyptiens, Paris, 1967, p. 240.
38 A. H. GARDINER, op. cit. (supra n. 8), p. 72-73. dit ‘‘des mines d’or’’ et le Wadi Hammamat », in Annales du Service des Anti-
39 P. Wilbour, A, III, 46,40 ; Mahuy, wr n MD3yw, A. H. GARDINER, Papyrus quités de l’Égypte, 49, 1949, p. 370-372, fig. 14.
65 E. ERMAN, « Die Obelisken der Kaiserzeit », in Zeitschrift für ägyptische
Wilbour, t. I, Oxford, 1941, pl. 21-21A.
40 KRI VI,3; G. GOYON, Nouvelles Inscriptions, Paris, 1957, p. 25, 110-113; Sprache und Altertumskunde, 34, 1896, p. 149-158 ; M. MALAISE, Inventaire
M. VALLOGIA, Recherche sur les « Messagers » (WPWTYW) dans les sources préliminaire des documents égyptiens découverts en Italie (Études préliminaires
égyptiennes profanes, Genève-Paris, 1976, p. 174, 252. aux religions orientales dans l’empire romain, Leyde, 1972), p. 296-299,
41 M. MARCINIAK, Études et Travaux, V, 1971, pp. 56-59; ID., Déir el-Bahari, pl. 55-56 ; W. M. MÜLLER, op.cit. (supra n. 11), p. 79. La traduction « pays
t. I, Varsovie, 1974, p. 59-61, pl. IIIv, IIIa. étranger des ennemis » d’E. ERMAN et de M. MALAISE ne tient pas compte
42 T. E. PEET, The Great Tomb-Robberies of the Twentieth Egyptian Dynasty, des graphies dégradées de Medja, fréquentes à cette époque.
66 D. DUNHAM et J. JANSSEN, Semna Kumma, Second Cataract Forts I, Boston,
Oxford, rééd. 1977, p. 64, pl. VII, 2,18. Peut-être s’agit-il de Patamdîmen, père
de Nésymen cité dans P. Turin 93, col. II, A1 : KRI, VI,597,5. 1960, p. 119, n° 3, pl. 51.
43 E. EDEL, « Zur Familie des Sn-msjj nach seinen Grabinschiften auf der 67 R. KLEMM et D.D. KLEMM, op. cit. (supra n. 63), O. Sid/Fawakhir : p. 355-

Qubbet el Hawa bei Assuan », in Zeitschrift für ägyptische Sprache und 357, et Assouan : p. 324-350 ; P.T. NICHOLSON et I. SHAW, op. cit. (supra
Altertumskunde, 90, 1963, p. 28-31 ; D. LORTON, The juridical terminology of n. 59), p. 16, 35-36, 38.
68 A. BERNAND, De Coptos à Kosseir, Leyde, 1972, n° 52, 53, 61, 66.
international relations in Egyptian texts through Dyn. XVIII, Baltimore, 1974,
69 E. EDEL, Altägyptische Grammatik, t. I, Rome, 1955, p. 102 § 235, p. 110
p. 21-63. Sous les Hyksos, wr est opposé à HqA pour indiquer un rapport de
vassalité, le second étant réservé à un souverain indépendant. Au Nouvel Empire § 256; S. GIULIANI, op. cit. (supra n. 30, DE 42).
70 G. ROULIN, loc. cit. (supra n. 48). Ils sont opposés aux Néhésy (Sud), Témé-
HqA disparaît au profit de wr, « grand » une terminologie diplomatique calquée
sur le sémitique LUGAL, « homme grand ». hou (Ouest) et ‘Amou (Nord).
44 T. SÄVE-SÖDERBERGH, New Kingdom Pharaonic Sites, Partille, 1991 (The 71 J. YOYOTTE, op. cit. (supra n. 22); E. EDEL, op. cit. (supra n. 7), p. 101.
72 « Trogodytice, quam prisci Midoen, alii Midioen dixere... ». PLINE, Histoire
Scandinavian Joint Expedition, V2), p. 206-209.
45 T. SÄVE-SÖDERBERGH, The Navy of the Eighteenth Egyptian Dynasty, Naturelle VI, 169, éd. Loeb, Londres, 1969, p. 464-465; D. MEREDITH, « Bere-
Uppsala-Leipzig, 1946. nice Trogloditica », in Journal of Egyptian Archæology, 43, 1957, p. 56.
46 G. A. GABALLA et K. A. KITCHEN, « Ramesside Varia I », in Chronique 73 J. FARINA, « Contributo alla geografia dei ‘‘paesi barbari meridionali’’ del-

d’Égypte, 43, 1968, p. 263-267, fig. 2-3. Amenemone est bien documenté, l’antico Egitto », in Aegyptus, VI/1, 1925, p. 53.
74 Et non Troglodutai, une étymologie populaire dérivé de troglo, trou. G. W.
KRI III, 272-277; KRI VII, 128; A. H. GARDINER, LEM, p. 134; R. CAMINOS,
LEM, p. 491-494. MURRAY « Trogodytica : the Red Sea Littoral in Ptolemaic Times », in The Geo-
47 KRI I,303-304 ; G. DARESSY, op. cit. (supra n. 18). graphical Journal, 133, 1967, p. 24-25, avec note de G. W. Warmington;
48 G. ROULIN, Livre de la Nuit, Göttingen, 1996, t. I, p. 230-231, t. II, pl. X n° 5. É. BERNAND, Recueil des inscriptions métriques de l’Égypte gréco-romaine,

92
Rome, 1969, p. 562-563. A. BERNAND, Le Paneion d’El Kanaïs : les inscriptions 95 D. DUNHAM et J. JANSSEN, op. cit. (supra n. 66), p. 119, n° 3 & n° 8, pl. 51,
grecques, Leyde, 1972, n° 3, 8, 13, 18, 43, 60-62, 82 ,90, et p. 76, 119. 55 A.
75 G. POSENER, Princes et Pays, Bruxelles, 1940, p. 54, A5. 96 KRI, IV,1.
76 Y. KOENIG, op. cit. (supra n. 5). 97 T. EIDE et al. (ÉDS), Fontes Historiæ Nubiorum, Bergen, 1994-1998, t. II,
77 G. POSENER, op. cit. (supra n. 21), p. 38-39. p. 407, 461-462, 492.
78 Sukkim existe dans la version massorétique en hébreu et quelques manuscrits 98 W. SIMPSON, Heka-Nefer and the Dynastic Material from Toshka and

grecs à la place de Trogodutai, D. MICHAUX-COLOMBOT, « The identification Armina, New Haven, 1963, p. 36-41, pl. 20, fig. 22. M. VALLOGIA, op. cit.
of Lubim, Sukkı̄yim and Kušı̄m in II Chronicles 12,3-4 », communication au (supra n. 91), p. 116-117, identifie le second frère, dont il lit le nom Mniw, avec
Colloque de Moscou en Mai 2006, sous presse, in Cultural Heritage of Egypt le messager Ma-ne-e d’Amenhotep III à la cour de Tushratta, roi du Mitanni
and Christian Orient 4. Pour les toponymes, cf. D. MEREDITH, « The Romans (Lettres d’El Amarna, EA 19-21, 24, 26-29). Manê a rapporté des équipages
remains in the Eastern Dessert of Egypt », in Journal of Egyptian Archæology, de chevaux, un fait qui correspondrait mieux au wr n MD3, surveillant des
39, 1953, p. 24; A. BERNAND, Pan du Désert, Leyde, 1977, p. 167-177; chevaux, de la TT 91, dont le nom est martelé, mais qui pourrait être M3n3, cité
H. CUVIGNY, La route de Myos Hormos, Le Caire, 2003 (Fouilles de l’Institut dans la tombe voisine TT 90 du Medjay Nebamoun. Ces deux princes des TT
Français d’Archéologie Orientale, 482), p. 271. S. E. SIDEBOTHAM, Berenike 90 et 91, contemporains d’Amenhotep III, ont ramené des chevaux et des fils
1998, Leyde, 2.000, p. 359-366. des chefs du Naharina. TT 90 : N. de G. DAVIES, The tomb of Two Officials of
79 A. BARUCQ et F. DAUMAS, Hymnes et Prières, Paris, 1980, p. 192-193, 199, Tuthmosis the Fourth, Londres, 1923, p. 36, pl. 27 (= Urk. IV, 1620, 3-4) et
372. Urk. IV, 318-319. p. 33, pl. XXVIII-XXIX (Urk. IV, 1620, 7-11). TT 91 : Urk. IV, 1597-1599
80 W.V. DAVIES, «Kouch en Égypte : Une nouvelle inscription historique à et W. WRESZINSI, Atlas zur altägyptische Kulturgeschichte I, Leipzig 1923,
El-Kab», in Bulletin de la Société française d’Égyptologie, 157, 2003, p. 38-44; pl. 290 pour les chevaux.
ID., Sudan and Nubia, 7, 2003, p. 52-54; ID. in Egyptian Archæology, 23, 2003, 99 J. C. DARNELL, « A Stela of the Reign of Tutankhamun from the region

p. 3-6. of Kurkur Oasis », in Studien zur Altägyptischen Kultur 31, 2003, p. 73-91,
81 Pount, en dernier lieu : R. FATTOVITCH et K. BARD, « À la recherche de pl. 2. Je remercie vivement Marc GABOLDE de m’avoir signalé ce nouveau
Pount», in Egypte, Afrique et Orient, 41, 2006, p. 7-30; D. MICHAUX-COLOM- document.
BOT, « Geographical Enigmas related to Nubia, Medja, Punt, Meluhha and 100 Autres exemples de cette graphie : La stèle de Res et Ptahour (M.E.),

Magan », in T. KENDALL (ÉD.), Nubian Studies 1998, Boston 2004, p. 353-363; A. MORET, Annales du Musée Guimet 32, 1909, p. 31-34, pl. XIII; M. F. L.
D. MEEKS, « Locating Punt », in D.O’CONNOR et S. QUIRKE (ÉDS), Mysterious MACADAM et N. DAVIES, A Corpus of Inscribed Egyptian Funerary Cones,
Lands, Londres, 2003, p. 53-80; S. P. HARVEY, « Interpreting Punt : geographic, Oxford, 1957, n° 500; A. ABDALLAH, « An unusual private stela of the Twenty-
cultural and artistic landscapes », in Mysterious Lands, p. 81-91. First Dynasty from Coptos », in Journal of Egyptian Archæology, 70, 1984,
82 Urk. IV, 931. p. 65-66, fig. 1.
83 N. DAVIES, The Rock tombs of El Amarna, IV, Londres, 1906 (ASE, 16), 101 La vélocité des coureurs, sin.w, allait de pair avec leurs aptitudes guerrières.

pl. XVII-XIX, XXII-XXIII, XXV-XXVI, XXIX. G. POSENER, op. cit. (supra n. 5, BdE, CI), p. 41-42. Pour la vélocité des
84 À la fin du Moyen Empire, ils sont cités dans des inscriptions des carrières Trogodytes, HÉRODOTE, IV, 183,4 et HELIODORE, Æthiopica, 8,16[4], T. EIDE
de Hatnub, non loin d’El Amarna. R. ANTHES, Die Felseninschriften von et al., op. cit. (supra n. 97), t. I, n° 66; t. III, n° 274.
Hatnub, Leipzig 1928, p. 57-58, 36-37.
85 Urk. IV, 1620,3-4 ; Urk. IV, 1621,3-8; Y. M. EID, « A newly discovered

staela of Neb-Amon », in Annales du Service des Antiquités de l’Égypte, 70,


1983-84, p. 19-20, pl. 1; KRI, III,41-43; J. LIPÍNSKA, « Preliminary Report on
the reconstruction works of the Temple of Hatshepsut at Deir el Bahari », in
Annales du Service des Antiquités de l’Égypte, 60, 1968, p. 166 n°17; T. SÄVE-
SÖDERBERGH, « A Stela of a Ramesside Policeman », in Orientalia Suecana
XLI-XLII, 1992-93, p. 273-275; A. H. GARDINER, LEM, p. 36, 117; CAMINOS,
LEM, p. 131-133, 731; B. BRUYÈRE, Rapport sur les fouilles de Déir el Médi-
neh, Le Caire, 1953 (Fouilles de l’Institut français d’archéologie orientale,
XXVI), p. 76-77, fig. 20, pl. X , n° 4.
86 A. H. GARDINER, LEM, p. 66-71; R. CAMINOS, LEM, p. 253-256, 268-270.
87 A. H. GARDINER et al., Inscriptions of Sinai, Londres, 1955, t. I-II, n° 58,

296, 301, 305, 369, 396.


89 P. MONTET, « La stèle de l’An 400 retrouvée », in Kêmi, 4, 1931, p. 191-215,

pl. 11-15; KRI II, 287-288. Voir toute la bibliographie et les commentaires de
K. A. KITCHEN, Ramesside Inscriptions, Translated and Annotated, Notes and
Comments, II , Oxford, 1999, p. 168-172. Pour le royaume voisin indépendant,
M. BIETAK, « Zur Herkunft des Seth von Avaris », in Ägypten und Levante, I,
1990, p. 10-15.
90 KBo I 15+19. E. EDEL, Die ägyptische-hethitische Korrespondance aus

Boghazköi in babylonischer und hethitischer Sprache, Opladen, 1994, t. I,


p. 62-63, pl.XIV-XV. Sur l’identification Meluhha-Medja, D. MICHAUX-
COLOMBOT, « Assyrian and Kushite chronologies˘revisited
˘ », in Actes de la
e
X Conférence Nubian Studies, Rome, 2006, p. 457-465 (sous presse);
D. COLOMBOT, « La prétendue glose Meluhha-Kasi », in Nouvelles Assyriolo-
giques Brèves et Utiles, 4, 1990, p. 110-111.
91 KRI III, 268-271; M. VALLOGIA, op. cit., p. 134-135. À cette époque d’autres

Medjay ont des titres similaires : Houy, KRI IV, 125; Hatiay, KRI, III,196-197
et Amenemone, cf. supra note 46.
92 KUB, III, 51 et KUB, III, 52. E. EDEL, op. cit. (supra n. 90), t. I, p. 16-17;

p. 20-21; t. II, p. 29-39.


93 Cf. supra n. 10.
94 Urk. IV, 1375, 12, 16.

93
Fig. 1. La nécropole d’el-Kourrou. Cliché A. Sackho-Autissier.

Fig. 2. La tombe de Piankhy à el-Kourrou (Ku 17). Cliché A. Sackho-Autissier.

Fig. 3. Vue du Djebel Barkal et du grand temple d’Amon (B 500). Cliché A. Sackho-Autissier.
Les pharaons noirs
et la XXVe dynastie égypto-kouchite
Aminata SACKHO-AUTISSIER

À la fin du Nouvel Empire, l’Égypte est frappée par des du royaume de Kouch. La ville prend alors les aspects
troubles internes et des révoltes constantes, mais la Nubie d’une ville-sanctuaire et devient le principal centre reli-
reste province égyptienne jusqu’aux environs de 1050 gieux kouchite.
av. J.-C. Nous connaissons mal la situation politique qui
prévaut, à la fin du Nouvel Empire, après le retrait des La politique de conquête inaugurée par Piankhy est
troupes égyptiennes de Nubie. poursuivie par son frère et successeur, Chabaka (716-702
av. J.-C.) qui décide d’assumer lui-même le gouvernement
Au milieu du 9e siècle avant notre ère, une dynastie kou- de la Vallée du Nil. Dès le début de son règne, Chabaka
chite, originaire de Napata, forme un royaume indépen- rejoint Memphis pour y consolider son pouvoir, et met fin
dant dont la XXVe dynastie égyptienne est issue. Les au règne de Bakenranef (720-715 av. J.-C.). Il prend ainsi
dynastes locaux demeurés anonymes sont inhumés dans le contrôle de toute la Vallée du Nil, de la VIe cataracte à
la nécropole d’el-Kourrou (fig.1). Alara (785-760 av. J.-C.), la Méditerranée. En installant sa capitale à Memphis dont
septième souverain de la dynastie de Napata, se dit «fils il honore les dieux, Chabaka amorce l’attachement des
d’Amon », et emprunte quelques épithètes à la tradition Kouchites à la tradition memphite. À Karnak, il restaure la
royale égyptienne. D’une grande piété envers Amon, il fonction du Grand prêtre d’Amon et entreprend de nou-
entreprend une politique de construction pour le dieu au velles constructions.
Djebel Barkal et à Kawa, et consolide le royaume de la
troisième cataracte à Méroé, dans la plaine du Boutana. L’Égypte va demeurer sous domination nubienne pendant
Son frère et successeur Kachta, dit « le Kouchite » (760- un siècle en renforçant le rôle du Grand prêtre d’Amon
747 av. J.-C.), s’empare de la Basse Nubie, et se proclame à Thèbes, et en nommant leurs sœurs ou leurs filles «Divi-
roi de Haute et Basse Égypte. nes adoratrices d’Amon». Ces grandes prêtresses de Kar-
nak, portant le titre d’«Épouses du dieu», deviennent les
Piankhy (747-716 av. J.-C.) (fig. 2), fils et successeur de garantes de la légitimité du pouvoir kouchite en Égypte.
Kachta , emprunte le nom de couronnement de Thoutmo- Lors de la conquête de l’Égypte par les Kouchites, Chépé-
sis III, fondateur du temple consacré à Amon, situé au pied noupet Ire, fille du roi Osorkon III de la XXIIIe dynastie
du Djebel Barkal. Après avoir consolidé son pouvoir en (787-759 av. J.-C.), a été contrainte d’adopter la fille de
Nubie, il entreprend la conquête de l’Égypte alors désunie. Kachta, Aménirdis Ire. De même, Chépénoupet II, fille de
Il place rapidement sous son contrôle la région de Thèbes Piankhy et sœur de Taharqa, est adoptée par Aménirdis Ire ;
où il est couronné. En l’an 20 de son règne, il fait campa- Aménirdis II, fille de Taharqa, est adoptée par Chépénou-
gne dans le Delta du Nil contre une coalition égyptienne pet II. Ainsi, elles forment une véritable dynastie sacerdo-
menée par Tefnakht, prince de Saïs (727-720 av. J.-C.), tale et jouissent de privilèges royaux: leur nom est inscrit
prend le grand centre religieux Memphis, puis rentre à dans un cartouche, et elles peuvent être associées aux rites
Napata. Cette conquête est relatée dans sa Stèle triomphale de fondations des sanctuaires.
découverte en 1862 au Djebel Barkal, et conservée au
Musée égyptien du Caire (inv. JE 48862). À Napata, Pian- Sous les règnes de Chabataka (702-690 av. J.-C.) et de
khy restaure et agrandit le grand temple d’Amon du Taharqa (690-664 av. J.-C.), le royaume de Napata va
Djebel Barkal (fig. 3), qui devient le plus grand sanctuaire de Jérusalem à Khartoum. Fils de Piankhy, Chabataka

95
Fig. 4. L’aiguille du Djebel Barkal. Cliché A. Sackho-Autissier.

Fig. 5. Le temple dédié à Amon édifié par Taharqa à Sanam Abou Dom, sanctuaire
de Taharqa. Cliché A. Sackho-Autissier.

Fig. 6. Tombe de la reine Qalhata à el-Kourrou (Ku 5), chambre funéraire, variante
de la cérémonie de l’ouverture de la bouche.
Cliché A. Sackho-Autissier.

Fig. 7. Le grand temple d’Amon (B 500) vu depuis le Djebel Barkal.


Cliché A. Sackho-Autissier.

96
succède à son oncle Chabaka (702-690 av. J.-C.). En 704 appartiennent aux premiers rois de la dynastie napatéenne:
av. J.-C., il vient en aide à la Phénicie et à la Palestine qui Taharqa, Tanoutamon, Senkamanisken, Anlamani et
se rebellent contre le roi assyrien Sennachérib. Le royaume Aspelta, qui ont régné entre 690 et 590 av. J.-C. Enfouies
assyrien réplique en organisant une expédition punitive par les prêtres officiant dans les sanctuaires de Doukki Gel,
contre l’Égypte qui tourne court à la suite d’une épidémie elles ont ainsi échappé aux mutilations ordonnées par
ravageant l’armée assyrienne. Cette situation donne lieu Psammétique II en 593-591 av. J.-C.
à un statu quo entre les deux puissances jusqu’en 677-676
av. J.-C. À la fin du 6e siècle avant notre ère, sous le règne de
Cambyse II (525-521 av. J.-C.), les Perses tentent une
À la mort brutale de Chabataka en 690 av. J.-C., Taharqa, incursion en territoire kouchite. Cette tentative est relatée
fils de Piankhy et de la reine Abar, monte sur le trône. par Hérodote dans le Livre III de ses Histoires, et confir-
Son règne est brillant et prospère jusqu’en 677-676 av. mée par l’archéologie. Des traces de fortins perses ont
J.-C., lorsque les troupes assyriennes attaquent l’Égypte. été repérées sur la deuxième cataracte.
En 674 av. J.-C., ne pouvant s’opposer à la montée des
Assyriens, Taharqa se replie à Napata. Durant son règne, La période napatéenne du royaume de Kouch est connue
il fait agrandir le temple de Kawa qui devient le deuxième grâce aux grandes nécropoles d’el-Kourrou (fig. 6) et de
grand sanctuaire du royaume de Napata et réalise de Nouri, aux monuments du Djebel Barkal (fig. 7), à une
nombreux chantiers à Sanam Abou Dom (fig. 5), Méroé, ville et à un cimetière à Sanam, et aux installations
Semna, Qasr Ibrim et Bouhen. cultuelles et résidentielles de Kawa. Les premiers souve-
rains sont inhumés à el-Kourrou, dans des tombes-masta-
Succédant à son cousin Taharqa, Tanoutamon (664-656 bas dotées de pyramides surmontant un puits funéraire
av. J.-C.) hérite d’un pouvoir affaibli en Égypte. Il tente de et entourées d’une enceinte en grès ou en briques crues.
reconquérir le territoire en engageant une campagne mili- À Nouri, nécropole inaugurée sous le règne de Taharqa,
taire contre les potentats du Delta du Nil, qui à l’instar de une chapelle est adossée à la face orientale des pyramides.
Néchao Ier, fondateur de la XXVIe dynastie, avaient reçu La plupart des sépultures sont de plan tripartite, et consti-
l’appui des Assyriens. Après une victoire de courte durée, tuées d’une antichambre, suivie parfois d’une pièce trans-
Tanoutamon doit se replier aux confins de la quatrième versale donnant accès à la chambre funéraire.
cataracte, marquant la fin de la dynastie kouchite en Égypte.
D’une grande piété envers Amon, les souverains de Napata
Les souverains de Napata sont boutés hors d’Égypte se font volontiers représenter accomplissant le culte selon
par les troupes assyriennes qui pénètrent dans le pays la tradition égyptienne. Ils empruntent aux Égyptiens leurs
à deux reprises au cours du 7e siècle av. J.-C. La perte rites funéraires et l’écriture (fig. 8). Dans un désir de légi-
du territoire égyptien entraîne le repli sur lui-même du timation du pouvoir, ils adoptent la titulature et les insi-
royaume de Napata, et marque le début d’une période gnes royaux égyptiens. Les épithètes «fils de Rê», «aimé
de relatif isolement. Altanersa (655-643 av. J.-C.), fils d’Amon» et «roi de Haute et Basse Égypte» sont conser-
de Taharqa, est le premier souverain à régner exclusive- vées bien après leur expulsion d’Égypte. Les modèles qui
ment sur un royaume réduit à la région du Nil moyen. En ont inspiré les artistes officiels de Napata sont souvent
593-591 avant notre ère, les troupes de Psammétique II à rechercher dans les œuvres de l’Ancien et du Moyen
(595-589 av. J.-C.) mettent à sac et rasent la ville de Empire.
Napata. Le roi saïte fait détruire les statues de tous les
souverains kouchites, en remontant jusqu’au règne Les représentations des souverains kouchites présentent
d’Aspelta (593-568 av. J.-C.). toutefois plusieurs nouveautés. Le « bonnet » kouchite,
serré, porte deux cobras dressés (uræi) coiffés des couron-
En janvier 2003, sur le site de Kerma-Doukki Gel, la nes blanche et rouge de Haute et Basse Égypte. Leurs
mission archéologique de l’université de Genève a mis au corps se déroulent jusque derrière la tête en passant par
jour les fragments de sept statues monumentales de rois le sommet du crâne. Ces deux uræi caractérisant la double
kochites, cachées dans une favissa creusée dans une salle souveraineté sur l’Égypte et sur le pays de Koush, seront
adjacente à l’un des temples. Les sept statues en granit systématiquement martelés lors de la violente campagne

97
originelle d’Amon. Culminant à 97 mètres, son aiguille
domine les vestiges de Napata. Sa silhouette évoque un
cobra dressé (uræus), coiffé de la couronne blanche de
Haute Égypte (fig. 8). Restauré et agrandi sous le règne
de Piankhy, le grand temple d’Amon (L. 146 m, l. 46 m)
est le pendant méridional du temple d’Amon-Rê à Karnak.
Son plan s’inscrit dans la tradition égyptienne en étant
formé d’une succession de voies processionnelles, de
cours, de salles hypostyles, et de sanctuaires dont le
principal est dédié à la triade thébaine : Amon, Mout et
Montou.

Vers le 6e siècle avant notre ère, la capitale politique se


déplace vers le Sud, à Méroé, dans la région du Boutana.
Mais le Djebel Barkal demeurera un centre spirituel et
religieux majeur des souverains kouchites du royaume
de Méroé.

Fig. 8. Le temple B 300 du Djebel Barkal, Taharqa et la reine font l’offrande


des vases nou devant Amon et Mout, «dans» le Djebel Barkal, détail.
Cliché A. Sackho-Autissier.

engagée par Psammétique II. Les oreilles sont générale-


ment ornées d’une boucle d’oreille en forme de tête de
bélier, avatar du dieu Amon en territoire kouchite.

À partir du règne de Taharqa, la dynastie kouchite se


détache progressivement de l’héritage pharaonique et
développe un style propre qui place au premier plan les
composantes ethniques locales. Le traitement du corps
est trapu et massif: les épaules sont développées, le visage
rond avec un menton carré, le cou ramassé et court et les
lèvres charnues.

De tous les sites napatéens, le Djebel Barkal, est sans


doute le plus important. Nommé « la montagne pure »
(djou ouâb), ce massif tabulaire en grès ferrugineux, haut
d’une centaine de mètres, est considéré comme la demeure

98
Époques Tardive et Chrétienne

Marguerite RASSART-DEBERGH

Le titre même de l’exposition « Pharaons noirs » paraît celles qu’Antony J. Arkell (1898-1980) conduit pour le
exclure mon sujet; on verra ultérieurement qu’il n’en est Service des Antiquités de Khartoum 6. Viennent ensuite
rien et que, sur les peintures chrétiennes, les artistes ont celles menées à partir de 1945 par un autre anglais, Peter
tenu à montrer la peau sombre de leurs hauts dignitaires. Shinnie (1915) et celles de la mission allemande conduite
On ne peut évoquer, même rapidement, cette période sans alors par Fritz Hintze (1915-1993) à Musawwarat. À cette
d’abord rappeler les événements qui sont à la base du liste, qui est loin d’être exhaustive 7, on ajoutera, pour la
savoir actuel, toutes époques confondues. En effet, la Nubie chrétienne, notre propos ici, les travaux de quatre
connaissance de la Nubie, tant égyptienne que soudanaise, pionniers: l’Américain G. S. Mileham, les Anglais Francis
dont témoignent les travaux ici rassemblés est le résultat Ll. Griffith 8 (1862-1934) et Somers Clarke 9 (1841-1926),
du renouveau d’intérêt que suscita toute la région lors et l’Italien Ugo Monneret de Villard (1881-1954). Après
du projet, en 1954, de construire, au sud du premier leurs publications, les sites chrétiens ne connurent plus
barrage d’Assouan, le Haut Barrage, Sadd-el-Ali et son guère de fouilles systématiques jusqu’à celles causées par
lac de retenue. la construction du nouveau barrage et de son lac de rete-
nue. À côté des vestiges connus et qu’il convenait de pro-
La Nubie n’était point alors terre inconnue. Mais excep- téger, (ré)apparaissent alors aussi des églises dont la déco-
tion faite de la curiosité de voyageurs 1 comme Frédéric ration suscite parfois l’étonnement ; tous les édifices ne
Cailliaud (1787-1869), et de la grande expédition prus- pouvant être sauvés, ils sont documentés au maximum, et
sienne menée, entre 1842 et 1845, par Karl Richard une partie de leurs ornements est, autant que faire se peut,
Lepsius (1810-1884), les véritables études sur la Nubie enlevée et entreposée dans des musées. Un nouveau
semblent bien liées au Nil et au barrage d’Assouan: à sa domaine de recherches va se créer et aura pour nom la
construction d’abord en 1902, puis à ses surélévations suc- «Nubiologie» 10.
cessives en 1912 et en 1934. En effet, au tout début du 20e
siècle, Gaston Maspéro (1846-1916) s’émeut du danger
que la construction du barrage va faire courir aux temples A. La «Nubiologie»
égyptiens et nubiens, et demande un relevé de ceux qui
sont directement menacés; entre 1907 et 1911, deux autres La création
égyptologues, l’américain George A. Reisner 2 (1867-
1942) et l’anglais Cecil M. Firth (1878-1931) effectuent la C’est en juin 1972 (fig. 1), il y aura donc bientôt 15 ans,
première véritable campagne de Nubie et fouillent une que la « Nubiologie » naissait officiellement à Varsovie,
quarantaine de nécropoles; leurs recherches aboutissent à sous l’impulsion du professeur Kazimierz Michalowski,
plusieurs articles et aux rapports dans The Archælogical avec la création de la Société des Études Nubiennes /
Survey of Nubia 3. Entre 1913 et 1932, Reisner fouille Society for Nubian Studies devenue depuis l’International
notamment des forteresses de la seconde cataracte, les Association for Nubian Studies. L’IANS 11 semble donc être
pyramides de Nuri, d’El-Kurru, de Méroé et du Djebel la cadette, mais d’un an seulement, des Journées Interna-
Barkal ainsi que Kerma 4. Peu après l’intérêt se porte sur tionales d’Études méroïtiques / International Conferences
la préhistoire nubienne 5 avec les excavations, en 1940, de for Meroitic Studies. Leurs premières Journées de Berlin
l’archéologue anglais Olivier H. Myers (1903-1966) et furent rapidement complétées par un Symposium organisé,

99
Fig. 1. Varsovie, en juin 1972. Création de la «Nubiologie» et premier congrès de la Société des Études Nubiennes: 1° Le président Kazimierz Michalowski (de face) discutant avec
le professeur Peter Shinnie à sa droite; 2° Réception au château de Lazienski: à droite, derrière les autorités polonaises, le représentant du gouvernement Soudanais, M. Negmeddin
M. Sheriff; à gauche, les professeurs Sergio Donadoni et Ida Baldassare conversant; derrière eux, le professeur Jean Leclant; 3° Réception au château de Nieborow; le professeur
Michalowski parmi les invités, devant le miroir, le professeur Erik Dinkler; 4° Après le congrès, visite de la maison de Chopin; dans le jardin, les invités écoutent le conférencier;
au premier rang (de gauche à droite) l’épouse du professeur Martin Krause, Ida Baldassare, Negmeddin M. Sheriff, derrière lui, les professeurs Erik Dinkler et Sergio Donadoni; entre
l’auteur et son mari, le professeur K. Michalowski. © Collection privée (photos de I. Noyszewski).

à Paris (29 juin - 1er juillet 1972), par le CNRS sur les et durant laquelle fut inaugurée solennellement la Galerie
« Aspects sémantiques du méroïtique »; il a été rendu de Faras au Musée National était en même temps le «IIe
ompte de cette «Table-ronde» peu après dans les Meroitic Colloque International consacré aux recherches archéolo-
Newsletter (MNL 11, décembre 1972). Depuis les spécia- giques et historiques sur la Nubie. […] L’organisation
listes se réunissent régulièrement en Europe (Paris, Rome, d’une coordination des recherches sur les problèmes de la
Berlin, Londres, Munich) mais aussi à Khartoum, même Nubie fut encouragée en 1968 par l’initiative du Profes-
si une section «Méroé» leur est dévolue au sein de l’IANS. seur Carl Hundhausen, alors directeur de la Fondation
Villa Hügel à Essen, à l’occasion de l’exposition à la Villa
De fait, la première réunion internationale de «Nubiolo- Hügel d’une partie des peintures murales découvertes par
gie» qui se tint à Varsovie du 19 au 22 juin 1972 (fig.2), la Mission Polonaise à Faras au Soudan. La Fondation

100
organisa le premier Colloque scientifique international ne l’ont pas été […] Des nécropoles de l’époque méroï-
consacré à la Nubie, qui eut lieu les 7 - 12 septembre 1969 tique […] n’ont jamais été fouillées […] Nombreux sont
[…]» 12 ; axé essentiellement sur les découvertes chrétien- aussi les tumulus attribués à un groupe dit Groupe X, qui
nes, ce colloque réunit une vingtaine de conférenciers s’identifierait peut être avec les Nobades. Quant aux égli-
dont les textes furent publiés l’année suivante 13. L’idée ses et aux monastères de l’époque chrétienne, la plupart
de créer une nouvelle discipline centrée sur la Nubie fit d’entre eux n’ont fait l’objet jusqu’ici d’aucune investiga-
rapidement son chemin et un comité coordinateur fut tion […] la plupart d’entre eux sont construits en briques
constitué : E. Dinkler (Heidelberg), J. Leclant (Paris), crues et ne peuvent être démontés […]».
K. Michalowski (Varsovie), J. M. Plumley (Cambrige) et
J. Vercoutter (Lille et Le Caire). Le projet définitif fut pré-
senté le 22 juin à l’assemblée générale et accepté à l’una- Bref rappel de la participation belge
nimité : la Society for Nubian Studies était née, ses statuts
établis, son président élu. L’ensemble des résolutions Il m’a paru utile d’évoquer très rapidement des faits bien
fut communiqué le 6 juillet suivant au directeur général connus il y a près d’un demi siècle, mais maintenant
de l’UNESCO, Monsieur René Maheu, l’association se moins présents à l’esprit car ils permettent de mieux mesu-
proposant de «développer son activité spécifique scienti- rer l’importance des résultats obtenus alors 16 et de ceux
fique dans le cadre d’analogues sociétés internationales auxquels on est arrivé actuellement. Les textes présentés
affiliées à l’UNESC» 14. à Mariemont donnent un bon aperçu de mises au point et
de découvertes récentes.
C’est de cette illustre institution qu’était parti, le 8 mars
1960, l’appel solennel de Messieurs André Malraux, En 1960, la Belgique répondit «présente», dans la mesure
Ministre d’État chargé des Affaires Culturelles, et Vitto- de ses moyens, à l’appel de l’UNESCO. Elle envoya
rino Veronese, Directeur général de l’organisation inter- trois experts au « Centre de documentation et d’études
nationale pour la sauvegarde de monuments nubiens pour l’histoire de l’art et de la civilisation de l’ancienne
menacés d’engloutissement sous les flots du futur nouveau Égypte », participa aux relevés photogrammétriques et
Barrage, Sadd-el-Ali. Si une prospection systématique épigraphiques de cinq monuments au Soudan et organisa
avait déjà été entreprise pour la Nubie égyptienne, il en l’exposition Cinq mille ans d’art égyptien qui permit
allait autrement pour la Nubie soudanaise. On lit en effet de sensibiliser le grand public, la presse et le monde
dans le petit fascicule de l’UNESCO, Un devoir de solida- politique. Notre pays contribua en outre aux démontage,
rité 15, qu’un relevé rapide dans cette zone avait montré transfert et reconstruction à Khartoum, par le Service
les lacunes : sur une centaine de sites, seulement « une des Antiquités, du temple de Semna-ouest (1963-1967).
dizaine ont été jusqu’ici partiellement fouillés. […] En effet, était rapidement apparue l’impossibilité de
Plusieurs forteresses du Moyen Empire n’ont pas encore sauvegarder certains monuments en pierre: «les vestiges
été fouillées […] La plupart des sites du Nouvel Empire

Fig. 2. Musée National de Varsovie, inauguration de la «Galerie de Faras», le 19 juin 1972. Invitation officielle. Peinture de l’évêque Marianos (IXe s.) ornant l’invitation.
© Collection privée.

101
d’un temple de Ramsès II à Akcha […], le temple construit Kalabcha et celui de Turin, le spéos d’Ellesiya. Enfin, plus
dans la vaste forteresse du Moyen et du Nouvel Empire à proche de nous, Leyde s’enorgueillit de posséder le sanc-
Bouhen […] deux temples à Semna-est et à Semna-ouest tuaire d’Isis de Taffa 19.
[…] Il n’y eut pas besoin de campagne internationale
particulière […] la France se chargea du temple d’Akcha, Avant de résumer, sans tenter la moindre exhaustivité, les
le Royaume-Uni de celui de Bouhen, les Pays-Bas de celui résultats de quelques travaux qui témoignent des progrès
de Semna-est et la Belgique de celui de Semna-ouest réalisés en cinquante ans, il me faut encore mentionner,
[…] » 17. « Les monuments en briques séchées au soleil dans le cadre de cette campagne internationale où se dis-
posaient un problème plus grand encore car il était impos- tinguèrent tant de savants, une autre contribution des cher-
sible de les transporter, leur seul sauvetage résidait dans cheurs belges. La Fondation Égyptologique Reine Élisa-
leur documentation, leur étude et leur publication. Tel était beth publia en effet une plaquette La Nubie antique 20
le sort de nombreuses églises et notamment de la merveille regroupant des articles de Cl. Préaux, J. Bingen, E. De
de Faras, la cathédrale décorée d’une centaine de belles Keyser, C. De Wit, P. Gilbert, A. Mekhitarian, B. van de
peintures murales bien datées, et de toute la série d’autres Walle. À propos du temple de Ramsès II à Ouadi es-
églises contenant une profusion de peintures murales et de Seboua, E. De Keyser écrit: «Les salles du fond ont subi
détails architecturaux reflétant toute la vigueur créatrice d’importantes transformations au 6e siècle après Jésus-
d’un art nubien qui entretenait d’étroites relations culturel- Christ […].
les avec le Proche-Orient. Là aussi, bien que les construc-
tions n’aient pas pu être sauvées, les peintures murales ont On peut regretter les altérations apportées au monument
été déposées, quelquefois par couches successives, renfor- pharaonique, mais l’église elle-même, particulièrement
cées et mises à l’abri pour être exposées dans des musées, ancienne et bien conservée, offre un grand intérêt. Certai-
principalement à Khartoum et à Varsovie […] » 18. En nes peintures, notamment le Christ et les apôtres de l’ab-
outre, des temples furent offerts aux pays qui avaient side, ont une véritable grandeur […] Ainsi Ouadi es-
donné la plus grande contribution et pris à leur charge les Seboua apparaît comme un témoin remarquable de deux
frais de démontage, de transport, de reconstruction et de phases importantes de l’histoire de la Nubie et du monde.
conservation des édifices. Le Metropolitan Museum de L’image étrange qui apparaît au fond du sanctuaire, mon-
New York reçut le temple de Dendour, un parc de Madrid trant Saint Pierre tenant ses clefs, surmonté d’une grande
abrite celui de Debod, les musées de Berlin, le portique de barque solaire, cependant qu’à droite et à gauche des figu-

102
res de Ramsès II font le geste de l’adoration, est comme
le symbole des plus puissants courants de civilisations
qui ont emprunté la voie du Nil» 21. Claire Préaux décrit
ainsi la Nubie qu’elle avait parcouru pour la première fois
dix ans auparavant avec Jean Leclant: «Lorsqu’on navigue
jusqu’à Ouadi Halfa, le bateau […] se fraye un chemin
entre les têtes de palmiers à demi noyés dont les paysans
viennent cueillir les dattes en bateau. De temps en temps
émergent les chapiteaux ou la corniche d’un temple
[…]. L’accès de l’Afrique n’a jamais été facile […]. Quant
au Nil, il n’est pas la voie de pénétration aisée que l’on
imaginerait à ne regarder que la carte. Il est coupé de
cataractes presque infranchissables en bateau. Certaines,
comme la deuxième et la troisième, sont formées de
rapides qui tourbillonnent sur des centaines de kilomètres.
Il faut les contourner par le désert, le désert où les noma-
des _ Nobades et Blemmyes _ guettaient les caravanes
[…] » 22. Ces difficultés dont elle m’entretint si souvent,
_ que connurent aussi les premiers voyageurs puis les
fouilleurs, _ n’empêche pas la Nubie de séduire. Jean
Leclant, dans son « Parcours d’égyptologue » évoque
bien ce sentiment. En 1949 (fig. 3), il visite les lieux pour
la première fois et conclut : « Cette première traversée
rapide de la Basse Nubie fut pour moi un enchantement: Fig. 3. Clichés réalisés par Claire Préaux lors de son premier voyage en 1949.
1. Entre la première et la deuxième cataracte;
la découverte de ce secteur isolé du reste du monde, sous 2. À la deuxième cataracte;
l’ardeur du soleil du tropique, la contemplation du Nil 3. Deuxième cataracte Sud (Semnah-Kumnah);
4. Semnah;
impassible, triomphant du désert, sable et rochers […]. 5. Église chrétienne (VIIe s.) Mograkka.
Aussi fus-je très heureux, quelques mois plus tard, de © Collection privée.

103
repartir pour la Nubie et le Soudan, en compagnie cette Ne pouvant donner ici qu’une information restreinte, je
fois de la célèbre papyrologue belge Claire Préaux: bateau me bornerai à mentionner quelques-uns des projets qui
jusqu’à Ouadi Halfa, train aux wagons blancs des Sudan virent le jour après la création de la «Nubiologie» et les
Railways (plus de trente heures) jusqu’à Khartoum, publications qui en résultèrent. Voyez aussi la bibliogra-
directement par le désert […] visite de Méroé et de ses phie sélective (infra, p. 112).
champs immenses de pyramides […] grands sites de Naga - Sous l’impulsion de K. MICHALOWSKI, le «Centre d’ar-
et de Musawwarat es-Sufra […] depuis Napata et sa chéologie méditerranéenne de l’académie polonaise
montagne sacrée du Gebel Barkal, nous visitâmes toute la des sciences» et le «Centre polonais d’archéologie médi-
suite des sites nubiens où je devais plus tard faire tant terranéenne de l’université de Varsovie » lancèrent en
de campagnes […]» 23. 1961, la série des Faras (8 volumes publiés entre 1962 et
1985), puis celle des Nubia (2 volumes sur Dongola
actuellement).
Après Varsovie - Le projet des Fontes Historiæ Nubiorum a vu le jour et
a été mené à bien (infra, T. EIDE…).
La Société des Études Nubiennes / Society for Nubian
- Fr. GEUS (éd.), Archéologie du Nil Moyen. Fouilles au
Studies se réunit ensuite à Chantilly en 1975, à Cambridge
Soudan et en Nubie. Les textes de cette revue (10 ouvrages
en 1978, à La Haye en 1979, et à Heidelberg en 1982.
actuellement) se positionnent entre les nouvelles brèves
À partir de cette date, les colloques se tinrent régulière-
des newsletters et les articles de synthèse. On doit au
ment tous les quatre ans respectivement à Uppsala,
même chercheur d’avoir lancé le Rapport annuel d’acti-
Genève, Lille, Boston, Rome et enfin Varsovie. Ces
vité donnant les résultats des travaux de la «Section fran-
congrès furent accompagnés d’expositions qui, le plus
çaise de recherches archéologiques du Service des Anti-
souvent, avaient trait aux découvertes réalisées par les
quités du Soudan».
missions du pays organisateur. Bien évidemment leurs
actes constituent la première, la plus précise et la plus - Les « Gdansk Archeological Museum Expedition »
complète source d’informations. (GAME) nés après un survey à Sennar en 1993, ont mené
des campagnes entre Shendi et Begrawiya, puis se sont
En effet, à côté des sessions «secondaires» consacrées aux concentrés à la quatrième cataracte: H. PANER (ÉD.), Afri-
découvertes récentes, aux projets, à des sujets pointus et can Reports, I, 1998.
précis (architecture, iconographie, langue, traditions, - Les Méroitic Newsletters créées par Jean Leclant donnent
société) et à la culture nubienne (y compris moderne), ont régulièrement depuis plus de quarante ans, des informa-
lieu les grandes mises au point («plenary sessions») sur tions sur toute étude traitant de Méroé.
les différentes phases de l’histoire et de l’archéologie - P. O. SCHOLZ (ÉD.), Nubica. Internationales Jahrbuch
nubiennes; toutes les périodes sont envisagées: la préhis- für Koptische, Meroitisch-Nubische, Äthiopische und
toire, le royaume de Kerma, la période pharaonique, les verwandt Studie, International Journal for Coptic, Meroi-
rois napatéens, Méroé, l’époque de l’antiquité tardive et tic, Nubian, Ethiopian, and related Studies. Annuaire
le Moyen Âge. Les références aux actes des congrès figu- international pour les études coptes, méroïtiques, nubien-
rent à la fin de cet article. Rappelons également que, bien nes, éthiopiennes et autres études connexes, Varsovie.
que présents au sein de la «Nubiologie», les méroïtisants Cette série regroupe aussi bien des articles pointus que des
organisent leurs propres congrès. Après la « 1st Interna- rapports de fouilles ou des résumés des congrès. Le but
tional Conference for Meroitic Studies» (ICMS) de Berlin des fondateurs était de couvrir tous les domaines et toutes
en 1971 complétée l’année suivante par le «Symposium les périodes de la Vallée du Nil.
on Meroitic Langage» de Paris, eurent lieu à Paris en 1973
les « 2nd ICMS » et en 1978, à New York le symposium - Sudan & Nubia. The Sudan Archaeological Research
« Africa in Antiquity ». Les congrès suivants se tinrent Society. Lancé en 1997 par le British Museum, ce «bulle-
respectivement en 1981 à Berlin, 1984 à Rome, en 1989 à tin» a déjà 9 volumes à son actif.
Khartoum, en 1992 à Berlin, en 1996 à Londres, en 2000 - A. VILA, La prospection archéologique de la vallée du
à Munich. Les «10th ICMC» ont réuni les chercheurs à Nil, au sud de la cataracte de Dal (Nubie soudanaise), 15
Paris en 2004. vol., Paris, 1975-1985.

104
B. La Vallée du Nil chrétienne Vers 300 av. J.-C., la nécropole royale est donc transférée
de Nuri à Méroé où elle restera 500 ans. Originale, la civi-
Au seuil de l’ère chrétienne coexistent trois royaumes 24 : lisation de Méroé (275 av. J.-C. - 350 ap. J.-C.) mêle à la
l’Égypte devenue province impériale romaine 25, la Nubie, culture locale les apports grecs puis romains30. Le pan-
territoire situé au sud de la première cataracte avec alors théon religieux est mixte, unissant les dieux indigènes et
comme centre culturel et politique Méroé, et l’Éthiopie ou les égyptiens. Le souverain est, comme en Égypte, dit «fils
plutôt l’empire axoumite qui, après la fin du 3e siècle avant d’Amon »; il est souvent représenté accompagné de sa
notre ère, s’était petit à petit développé autour de sa capi- mère. Les femmes, spécialement les reines mère, jouent
tale Axoum. en effet un grand rôle; les auteurs classiques font allusion
aux « Candaces », imposantes matrones que l’on voit
même sur les parois des temples massacrant des prison-
L’Égypte niers. À côté des «Éthiopiens», les textes mentionnent des
groupes 31 nomades dont les Noubaï (à l’ouest), les Sem-
On a déjà longuement rappelé, lors de l’exposition Égyp- brites (au sud de Méroé), les Blemmyes et les Mégabaroï
tiennes. Étoffes coptes du Nil qui s’est tenue à Mariemont, (à l’est jusqu’à la mer Rouge).
il y a quelques années 26, la lente christianisation de
l’Égypte romaine. La tradition la fait remonter au 1er siècle Après la conquête de l’Égypte par Auguste (30 av. J.-C.),
de notre ère mais les témoins ne sont conservés qu’à la les rapports, d’abord paisibles, entre les troupes romaines
fin du second. Elle est par contre bien attestée tant par et Méroé se gâtent rapidement. L’armée « éthiopienne »
les vestiges archéologiques que par les textes à la fin du pille les villes d’Assouan, d’Éléphantine et de Philæ, et
3e et surtout au 4e qui voit la naissance, puis le développe- ses troupes emportent les statues impériales érigées à la
ment des trois formes de monachisme. L’Empire romain frontière. Elle est ensuite vaincue par l’expédition punitive
étant devenu lui-même chrétien, les temples païens sont du préfet romain G. Petronius: la forteresse de Qasr Ibrim
fermés ou convertis à la nouvelle religion 27 à l’exception est prise 32, les temples et la ville de Napata sont détruits;
de celui d’Isis à Philæ en activité jusqu’au milieu du le royaume de Méroé est alors dirigé par une Kandaké.
6e siècle; l’Égypte n’adopte toutefois pas toujours les En 21 av. J.- C. un accord est signé et la frontière fixée à
ukases de Byzance. La conquête arabe au 7e siècle n’inter- Hierasykaminos /Maharraba: le Dodékaschoinos jusqu’à
rompt pas la construction d’édifices chrétiens ni leur orne- Maharraba reste donc sous domination romaine tandis que
mentation. Bien au contraire, elle permet leur survie pour tout ce qui est en amont est abandonné au royaume de
deux siècles, comme l’ont bien montré les découvertes Méroé. Pendant plus de deux cents ans la Nubie méridio-
kelliotes 28. Peu à peu toutefois le christianisme s’efface nale prospère autour de sa capitale religieuse et politique,
au profit de l’Islam. Méroé. Elle entretient d’excellents rapports avec ses
voisins dont la Basse Nubie qui bénéficie du commerce
de transit. Les liens sont encore renforcés par la présence
La Nubie de méroïtes à Philæ, au temple d’Isis qu’ils honorent.
Les richesses du royaume de Méroé qui impressionnèrent
La dynastie dite «éthiopienne» ou «koushite» et sa cul- tellement Fréderic Cailliaud 33 (fig. 4), puis Karl Richard
ture ont été évoquées déjà par A. Sackho-Autissier (p. 95- Lepsius 34 ont été magnifiquement mises en valeur à Paris,
98). Rappelons toutefois que « […] Vers le milieu du à l’Institut du Monde arabe, par l’exposition itinérante
3e siècle av. J.-C., bien après la perte de l’Égypte, les rois Soudan 35. Les trésors funéraires d’el-Kurru, de Nuri, du
de Koush transportèrent leur nécropole plus au sud, et Djebel Barkal et de Méroé y ordonnent un parcours histo-
bâtirent désormais leurs singulières pyramides effilées à rique à travers cinq millénaires, de l’âge du Fer à l’aube du
Méroé, non loin de l’actuelle Khartoum. Cette phase finale christianisme. La plupart des sépultures des nécropoles
de leur civilisation, qui s’étend jusqu’à l’aube du 5e siècle royales avaient été violées mais une tombe de la nécropole
de notre ère, est appelée «royaume méroïtique». Elle se nord de Méroé faisait exception. Partagé entre les musées
caractérise par une prise de distance progressive avec la de Berlin et de Munich, le trésor découvert dans la pyra-
culture égyptienne, et notamment par l’adoption d’une mide de la Kandaké Amanichakhéto 36 (vers 50 av. J.-C.)
écriture indigène transcrivant la langue locale [...] » 29. est en effet bien conservé 37 : bagues, bracelets, pendentifs,

105
Fig. 4a. Vue de la pyramide d’Amanichakhéto. Méroé, Fr. CAILLIAUD, Voyage à Méroé..., pl. XLI.

pectoraux rivalisent en beauté; s’y mêlent des éléments bronze (cruches, œnochoés, lampes) se différencient à
et des sujets égyptiens, méroïtiques et hellénistiques. peine des objets coptes de même époque. Au premier
Des quelque deux cents pyramides recensées dans les siècle de notre ère, le roi Natakamani avait fait construire
nécropoles nord, sud et ouest de Méroé, plusieurs se sont des pyramides à Méroé (où se trouve sa tombe), à Naga,
effondrées malgré les travaux de restauration et de préser- à Amara, et au Djebel Barkal. Là, ce roi bâtisseur fit éga-
vation menés entre 1976 et 1988 conjointement par deux lement édifier un vaste palais. C’est à la mission romaine
missions, une soudanaise et une allemande dirigée par dirigée par Sergio Donadoni que revint de fouiller ce
Friedrich Hinkel. Néanmoins les poteries et les verres complexe unique 38 à partir de 1973. Parmi les ultimes
témoignent d’une grande habileté et d’un sens esthétique chefs d’œuvre de l’artisanat méroïtique, on citera les
fort développé. En effet, comme les bijoux du «trésor», superbes calices en verre coloré de Sedeinga (3e s.), qui
les céramiques prouvent la maîtrise des artisans qui les ont a livré une vaisselle abondante et variée; sur le bleu du
réalisés; bouteilles pansues et jarres globulaires s’ornent corps cylindrique dont la forme évoque les flûtes à cham-
de motifs géométriques, de frises de cornes de bovins, de pagne, se détachent sur la base des motifs floraux. Sur la
signes de vie, de fleurs, de pampres, de boutons de lotus, panse quatre figures dont un Osiris trônant et sur le col ce
de têtes stylisées aux oreilles pointues. Certains objets en conseil «Bois et tu vivras». À cette époque 39, les troupes

106
Fig. 4b. Vue de l’apothéose d’Amanichakhéto. Méroé, Fr. CAILLIAUD, Voyage à Méroé..., pl. XLVI.

romaines subissent l’assaut des Blemmyes, peuple du par exemple, le grand bol de Karanog ou les bronzes d’el-
désert particulièrement agressif. L’empereur Dioclétien Hobagi. On y retrouve des décors semblables à ceux du
(régne 284-305) abandonne le nord de la Nubie, ramène la 1er siècle : des rinceaux, des fleurs de lotus, des boutons
frontière romaine à Assouan et utilise d’autres nomades, de papyrus, des têtes hathoriques… En 1994, l’exposition
les Nobades, comme «état tampon». Tantôt alliés, tantôt Nubie, cultures antiques du Soudan de Lille a mis en
en guerre, Blemmyes et Nobades se partagent ainsi le évidence les découvertes de dix années de travaux de la
pouvoir durant les 3e et 4e siècles de notre ère. Vers 350, «Section française au Soudan», dont les objets trouvés à
l’empire méroïtique semble avoir perdu de son pouvoir et el-Hobagi. Les tombes princières de ce site (non loin de
on considérait, il y a une dizaine d’années encore, qu’il Méroé, mais sur la rive opposée) fouillées par Patrice
avait pris fin sous les attaques venues du sud profond, Lenoble et son équipe ont livré du matériel en verre et
d’Axoum, où s’était alors constitué un nouvel empire en bronze «mixte»: tantôt purement méroïtique (parfois
puissant. Toutefois, la fin des inhumations royales à Méroé même avec inscription), tantôt purement romain, avec
(4e s.) ne marque pas nécessairement celle de sa culture. même un portrait d’empereur. Ces trouvailles et celles
On parle maintenant de « méroïtique tardif » et de « post d’autres sites comme Tangasi et Zuma (découverts res-
méroïtique » pour les 4e-5e siècles, période qu’illustrent, pectivement par Peter Shinnie et par Georges Andrew

107
Reisner) montrent qu’existaient alors d’importantes de Makouria et d’Alodia, semble bien s’être réalisée
dynasties locales. En 1907, Reisner identifiait aussi une au cours des vingt années suivantes. Dès lors, commence
culture qu’il appelait « Groupe X », maintenant nommée pour la Nubie une période de grandeur et de prospérité.
«culture de Ballana». Les tombes de Ballana (déjà trou- Aux traditions locales se mêlent les apports du monde
vées par Emery et Kirwan lors de leur survey) comme chrétien, de l’Égypte et de Byzance surtout. Cosmas
celles de Qustul, impressionnantes par leurs dimensions, Indicopleutes mentionne des ermites en Nobadie autour
l’étaient aussi par leur contenu. En effet, du matériel pure- de 547. La grotte anachorétique près de Faras conduit à
ment chrétien (sans doute des importations byzantines) penser que, comme en Égypte, certains chrétiens se reti-
voisinait avec des objets où l’iconographie est égypto- rent dans des lieux déserts pour y vivre en solitaires 42.
méroïtique: les armes et les célèbres couronnes en argent Comme en Égypte aussi, les chrétiens réoccupent parfois
en sont les plus beaux exemples. les édifices antérieurs. Ainsi, l’ancien temple de Taharqa à
Qasr Ibrim, est transformé en église (6e s.), et ses décors
En 452, les Blemmyes signent un traité de paix avec cachés par des peintures chrétiennes. S’il détruisit parfois
Byzance, mais par la suite les Nobades prennent le un édifice païen (le temple n° 6), le christianisme prolon-
dessus et chassent leurs adversaires dans le désert oriental. gea aussi la vie du site qui connut la construction d’une
À cette époque, les cultes proprement égyptiens subsistent cathédrale et demeura siège d’évêché jusqu’à la fin du
toujours puisque les Nubiens obtiennent de Byzance 14e siècle. Deux siècles plus tard la cathédrale sera trans-
de transporter chez eux la statue d’Isis à laquelle ils formée en mosquée et le site survécut alors comme poste
demeuraient fidèles: «Les Nubiens défendirent farouche- militaire. Les premiers établissements attestés par les
ment ce droit d’accéder au sanctuaire d’Isis et le firent fouilles à Tafa, Faras, Debeira ouest et Ghazali appartien-
confirmer encore au 5e siècle de notre ère. Lieu saint nent au 7e siècle, c’est-à-dire l’époque où le monachisme
du Nil et guet de frontière de l’empire romain, Philæ égyptien connaît son essor. Les liens artistiques entre les
échappa longtemps à la christianisation complète. Non deux régions sont d’ailleurs révélés par certains thèmes
sans heurts d’ailleurs; vers 360, Makedonios tua le dernier et par le culte de saints communs. Ainsi, pour ne donner
fauon sacré […]. Mais un siècle plus tard, c’est là encore qu’un exemple, on trouve dans la cathédrale de Faras 43
qu’au 5e siècle de notre ère, la vieille religion, plus de la représentation de l’ermite Onophrius qui figure égale-
cinq fois millénaire, fit graver ses derniers hiéroglyphes ment sur une peinture du couvent de Saint-Jérémie à
[…] » 40. Ils entretiennent également des liens commer- Saqqara (7e s.) et plus tard dans les couvents de la mer
ciaux avec l’Égypte copte, notamment à travers les migra- Rouge.
tions de nomades. La fermeture des temples de Philæ, en
535/7, ordonnée par Justinien marque la fin définitive du En 640, l’Égypte est envahie par les Arabes qui, l’année
monde païen. Trois royaumes se partagent alors le vaste suivante, attaquent la Nubie. Au terme d’une guerre de
territoire nubien: celui de Nobadie au Nord (avec comme 10 ans, un traité de paix (bakt) est signé grâce auquel la
capitale Faras, l’ancienne Pachoras), au centre celui de Nubie restera hors des influences arabes durant six siècles.
Makouria (Muqurra avec comme capitale Dongola, Dun- À cette époque, le roi Mercurios qualifié de « nouveau
qula) et au sud celui d’Alodia (‘Alwa avec comme capitale Constantin » unit la Nobadie au royaume de Makouria
Soba, près de l’actuelle Khartoum) (cf. carte, p. 17). ce qui fit de la région une force économique importante:
un évêché s’établit à Faras où une première cathédrale
Le christianisme s’installe progressivement au point s’installe sur l’emplacement d’un palais, lui-même bâti
que vers 540, le célèbre sanctuaire d’Isis à Philæ fut détruit par-dessus une église du 5e siècle 44. Détruite rapidement,
par Narsèse. Au 6e siècle, Silko se proclame « roi des la cathédrale fut rebâtie et agrandie sous l’épiscopat
Nobades et de tous les Éthiopiens » dans l’inscription de Paulos (690-710). Elle fut décorée de peintures qui
qu’il fit graver à Kalabcha. Deux de ses successeurs, Eir- firent le renom du site. Rappelons que, grâce à sa situation
panomé et Tokiltoéton sont également mentionnés en tant géographique, Faras avait bénéficié d’une destinée privilé-
que rois de la Nobadie chrétienne. Mais on attribue sa giée depuis fort longtemps. Ainsi, au Nouvel Empire, elle
christianisation officielle à la mission du prêtre Julien, avait été siège du Vice-Roi de Nubie et on y avait construit
envoyé en 542-543 par l’impératrice Théodora, épouse des temples ; les premiers rois de Nobadie y érigèrent
de Justinien 41. La conversion des royaumes méridionaux, une forteresse. À l’époque chrétienne, le site continua

108
à jouer un rôle culturel important; les monastères et la chrétienne. Devenue une grande puissance, elle est respec-
dizaine d’églises qu’on y découvrit ainsi que la célèbre tée de ses voisins. Ainsi, le prince héritier Georgios, fils
cathédrale témoignent de son importance religieuse. Après du roi Zacharias, est-il reçu avec tous les honneurs tant
l’union des deux royaumes, la capitale politique est trans- au Caire qu’à Bagdad lorsqu’il s’y rend pour négocier
férée à Dongola, mais Faras demeure le centre religieux un nouveau traité de paix. C’est également du 9e siècle,
grâce à l’installation d’un évêché. La Nobadie reste sous que datent les deux monuments les plus prestigieux de
les ordres d’un gouverneur qui porte le titre d’éparque. Dongola, l’ « Église cruciforme » et la « Salle du Trône »
La ville de Dongola 45, que visita Cailliaud 46, fut évangé- (transformée en mosquée en 1317). Le plan du premier
lisée comme la Nubie septentrionale au milieu du 6e siècle. édifice, sans doute le plus grand de Nubie, s’inspire des
Selon W. Godlewski 47, c’est de cette époque que datent églises commémoratives de Syro-Palestine. De la même
la « Vieille église » et le « Mausolée ». Ce dernier fut époque date également une importante architecture civile:
construit en l’honneur de deux hauts personnages enseve- les peintures qui y furent découvertes s’apparentent à
lis dans les cryptes et vénérés jusqu’à la fin du christia- celles de Faras. Durant les deux siècles suivants, la ville se
nisme nubien. À la fin du 6e siècle, il fut remplacé par développa encore mais de manière plus modeste. C’est
une basilique à cinq nefs. Deux autres édifices furent toutefois à cette époque que sont attribuées les fort belles
élevés à la charnière des 6e-7e siècles. Leur plan tout peintures illustrant deux thèmes fréquents dans la Vallée
comme leur décoration montrent une nette influence du Nil: les Trois Hébreux 49 et le Christ dans une mandorle
byzantine. L’expédition militaire d’Abdullah Abu Sarg portée par les Quatre Animaux. Le royaume d’Alodia
en 652, qui se solda par un traité de paix déjà mentionné, reprit son indépendance vers 940, mais ce fait n’affaiblit
causa d’importants dégâts aux édifices. De nouvelles pas la Nubie. Les bons rapports que ses rois entretenaient
églises furent alors édifiées dont l’«Église aux Colonnes avec les Fatimides favorisèrent assurément le développe-
de Granit». Celle-ci servit de modèles à d’autres églises ment culturel de la Nubie qui se poursuivit jusqu’au milieu
épiscopales nubiennes comme la cathédrale de Paulos du 12e siècle. Les Nubiens envahissent alors l’Égypte
(707) à Faras. À partir de 750, les rapports entre l’Égypte pour soutenir les Fatimides contre les conquérants ayyou-
musulmane et la Nubie chrétienne se détériorent à nou- bides. La répression est immédiate et terrible : les Ayyou-
veau, mais néanmoins la Nubie ne cesse de prospérer. bides entrent en Nobadie et prennent Qasr Ibrim (1172-
C’est du 8e siècle, semble-t-il, que date un des monastères 1173). Des pourparlers ont lieu, et la paix règne à nouveau
de Dongola. L’existence de nombreux monastères était entre l’Égypte et la Nubie. Mais le royaume nubien est
connue par la liste d’Abou Salih et par les anciennes harcelé par des tribus arabisées venues du désert occiden-
prospections de Clarke, de Mileham et de Monneret de tal et il commence à décliner. Le roi de Makouria, David
Villard qui ont donné plans, photos et descriptions de ces Ier, tente un ultime essai et repousse d’abord les Arabes
vestiges plus ou moins importants. Depuis, les fouilles jusqu’à Assouan; son armée est ensuite défaite et les
systématiques à Nag’Esch-Schema (Sayala), à Qasr el- Arabes occupent la Nubie jusqu’à Dongola. Ainsi, prend
Wizz et à Old Dongola ont permis de mieux connaître les fin au 14e siècle, la puissance nubienne, après plus de
installations monastiques de Nubie 48. On constate ainsi, 6 siècles, pendant lesquels elle avait connu un essor dont
qu’à Qasr el-Wizz l’organisation ressemble à celle du cou- les répercutions se firent sentir en Éthiopie.
vent de Saint-Siméon à Assouan. On note dans l’enceinte:
une cour au sud, puis l’église orientée à l’est, et, au nord, On l’a rappelé déjà, la construction du grand barrage
un corridor autour duquel se situent les cellules puis le d’Assouan fit redécouvrir au monde savant la Nubie
réfectoire et les pièces qui y sont liées; ici pas de grotte chrétienne et ses trésors. L’équipe polonaise dirigée par
mais, liée à l’église, une tombe. On estime habituellement K. Michalowski eut la chance de fouiller le site de Faras
que le monachisme attesté à partir du 8e siècle se déve- et d’y trouver les superbes peintures conservées en partie
loppa jusqu’au 12e siècle. à Varsovie, en partie à Khartoum. Celles-ci et leurs
contemporaines (découvertes, par exemple, à Abdallah
Durant le 9e siècle, l’importance politique de la Nubie Nirqi, Sonqi Tino, Tamit) avaient permis de dresser, dès
s’accrut encore grâce à l’annexion du royaume d’Alodia. 1975, une première histoire de l’art de la Nubie chré-
Elle nous apparaît dès lors comme la charnière entre tienne. Aucune peinture ne figurant ici, on me permettra
l’Égypte, alors dominée par les Arabes, et l’Éthiopie de résumer schématiquement les grandes étapes de cet

109
art. Les premières peintures (8e s.) montrent de grandes continuent à unir l’église d’Alexandrie et celle d’Éthiopie,
ressemblances avec celles d’Égypte : il suffit pour s’en la nomination des métropolites (Abouna) étant faite par le
convaincre de comparer les visages d’apôtres dans la patriarcat alexandrin. À la dynastie salomonide d’Axoum
cathédrale de Faras avec ceux de saints coptes de la même succède celle des Zagoué (10e-13e s.). Un de plus ses
époque. Puis se développe, dès le siècle suivant, un art fameux rois, Lalibela, fait ériger les splendides églises
plus indépendant et plus «nubien» avec des changements rupestres qui portent son nom. C’est l’époque où l’Occi-
dans le style, dans les coloris aussi et l’apparition de dent découvre « l’Empire du prêtre Jean » et s’intéresse
personnages à la peau sombre. La Nubie subit également à ces terres lointaines.
les influences artistiques de Byzance, avec qui elle
entretenait de bons rapports. Certains édifices de Dongola Au terme de ce trop rapide résumé historique, parfois
et quelques-uns de leurs décors ont bien montré l’impact simplifié à l’extrême, il me paraît licite de constater que
byzantin. Le répertoire iconographique s’enrichit avec le christianisme s’étendit progressivement au cours des
notamment des cycles fort développés de la Nativité treize premiers siècles de notre ère depuis Alexandrie
et de l’Adoration des Mages d’une part, de la crucifixion jusqu’aux sources du Nil, laissant partout des traces artis-
et des scènes qui suivirent (descente de croix, mise tiques qui, au fur et à mesure, se colorent d’éléments
au tombeau, descente aux Lymbes...) de l’autre. Mais esthétiques et iconographiques particuliers à la région
l’iconographie devient en même temps plus particulière: qu’il traverse.
apparaissent les fameuses « théophanies nubiennes » 50.
On retrouve fréquemment ces thèmes dans la peinture En 1960, A. Mekhitarian écrivait: «Certaines ruines sont
éthiopienne mais avec des caractéristiques qui leur sont monumentales, telles la forteresse de Bouhen que déblaye
propres. depuis trois ans le professeur Emery, ou celle de Mirgissa
[…]. Quelques-unes enfin ont été occupées successive-
ment durant l’histoire jusqu’à devenir de petites cités chré-
L’Éthiopie tiennes ou de gros monastères. Il est bon de rappeler ici
que l’Islam n’a définitivement supplanté le christianisme
Quelques mots, enfin, sur ce troisième royaume évoqué au Soudan qu’au 12e siècle, et que la Nubie notamment
au début de ma présentation. Au pays du Nil Bleu, durant est pleine d’églises conservées parfois jusqu’aux coupoles
6 siècles (3e av. J.-C. jusqu’à environ 320 ap. J.-C.), l’his- et portant encore des restes de peintures sur les absides
toire des souverains d’Axoum et de Méroé s’est mêlée. et les voûtes […] tant que des fouilles exhaustives n’auront
La tradition selon laquelle le roi Ezana mit fin au royaume pas été faites […] on ne pourra affirmer qu’ont dit leur
de Méroé est maintenant devenue hypothétique. La chris- dernier mot des sites comme Faras […]» 51.
tianisation unit pacifiquement les trois régions de la Vallée
du Nil; en effet, ce roi Ezana fut converti au christianisme Si Faras repose désormais sous les flots du Nil, les peintu-
par son précepteur syrien, Frumentius; ce dernier avait été res qui y furent découvertes sont partiellement conservées.
nommé évêque par le patriarche d’Alexandrie Anathase; Elles ont joué un grand rôle dans la poursuite de fouilles
ce fait plaça l’église éthiopienne sous l’autorité de celle d’autres sites. Elles sont en tous les cas à l’origine de la
d’Égypte. On sait par ailleurs que les chrétiens d’Égypte «Nubiologie».
et de Syrie ont participé activement à l’installation du
christianisme en Éthiopie, notamment en fondant les pre-
miers monastères dans la région d’Axoum et dans le Tigré.
En 451, lors du Concile de Chalcédoine, l’Église éthio-
pienne suivit la doctrine prônée par l’Égypte. Durant tout
le 6e siècle, des moines venus de Géorgie, d’Arménie, de
Syrie et surtout d’Égypte poursuivirent la conversion
de l’Éthiopie. Les liens se resserrent encore entre elle et
l’Égypte au 7e siècle, lorsque, suite à l’islamisation de
l’Arabie, les Axoumites perdent le contrôle de la mer
Rouge. Pendant les siècles suivants, des relations étroites

110
NOTES Zeit. Ergebnisse und Probleme auf Grund der jüngsten Ausgrabungen,
Recklinghausen, 1970.
14 K. MICHALOWSKI, Nubia (cité n. 12), p. 138.
1 Le musée royal de Mariemont a déjà consacré une exposition à ce 15 UNESCO, Un devoir de solidarité internationale : la sauvegarde
sujet : M.-C. BRUWIER (ÉD.), Explorer l’Égypte et la Nubie au début du des monuments antiques de Nubie, [Paris], 1960 avec copie du Com-
XIXe siècle, Mariemont 30 avril-12 septembre 1999, Mariemont, 1999. muniqué de Presse n° 1978 du 8 mars et de l’appel lancé par Monsieur
2 Sa classification en cultures « du Groupe A », « du groupe B » et « du
Veronese; citations extraites respectivement des p. 8, 13 et 18.
groupe C » a été depuis discutée (« B » a été abandonné); d’autres affir- 16 T. SÄVE-SÖDERBERGH (dir.), Temples and Tombs of Ancient Nubia.
mations ont été revues ou critiquées, voire rejetées ou, en tous les cas, The International Rescue Campaign at Abu Simbel, Philae and Other
affinées; c’est une des raisons qui me conduit à mentionner, sans les Sites, Paris-Londres, 1987, présenté revisé et traduit par L.-A. CHRIS-
commenter, les travaux de ces pionniers. J’ai souhaité reconstituer le TOPHE sous le titre Victoire en Nubie. La campagne internationale de
contexte global dans lequel s’inscrivaient la « Nubiologie » et ses sauvegarde d’Abou Simbel, de Philae et d’autres trésors culturels,
découvertes à l’origine; une bibliographie sélective (p. 112) devrait Paris, 1992.
permettre au lecteur qui le souhaite de compléter et de mettre à jour le 17 Ibid., p. 164.
résumé fourni ici. 18 Ibid., p. 163.
3 Respectivement : G. REISNER, The Archæological Survey of Nubia. 19 H.D. SCHNEIDER, TAFFEH. rond de wederopbouw van een Nubische
I 1907-1908, Le Caire, 1910 et C. FIRTH, The Archæological Survey of tempel, La Haye, 1979.
Nubia. Report for 1908-1909, 2 vol., Le Caire, 1912; Report for 1909- 20 La Nubie antique. Plaquette de la Fondation Égyptologique Reine
1910, 2 vol., Le Caire, 1915; Report for 1910-1911, Le Caire, 1927. Élisabeth, Bruxelles, [1960].
Après la dernière surélévation du Nil : W.B. EMERY, L. KIRWAN, The 21 E. DE KEYSER, « Wadi-es-Seboua », in La Nubie antique, p. 43-45,
Excavations and Survey between Wadi es-Seboua and Adindan, 2 vol., cit. p. 45.
Le Caire, 1935. 22 Cl. PRÉAUX, « Nubie », in La Nubie antique, p. 9-20, cit. p. 9 et 15.
4 Cf. ici Ch. BONNET et N. FERRERO, « Le Royaume de Kerma», p. 77-82. 23 J. LECLANT, « Un parcours d’égyptologue », in Au fil du Nil : le par-
5 Bref rappel de J. REINOLD, « Le néolithique de la Nubie soudanaise »,
cours d’un égyptologue. Colloque de la Fondation Singer-Polignac en
in La Nubie. L’archéologie au Soudan, Dijon, 1994 (Les dossiers d’ar- l’honneur de Jean Leclant, Paris, 12 novembre 2001, p. 5-40, cit. p. 15.
chéologie, 196), p. 6-11. 24 Ne voulant pas alourdir cette présentation, j’ai réduit les notes à
6 Une bibliographie nourrie où sont mentionnés ces travaux et bien
l’indispensable et aux ouvrages facilement accessibles; on trouvera
d’autres figure dans D. N. EDWARDS, « Archæology and Settlement in dans les travaux cités dans la bibliographie donnée à la fin de cet article
Upper Nubia in the 1st Millennium A.B. », in Cambridge Monographs les informations de base; les communications aux congrès de l’IANS
in African Archaeology, 36 (= BAR International Series, 537), Oxford, fournissent les compléments et les mises au point ultimes.
1989. 25 Cf. J. TRINQUIER, « L’Éthiopie vue de Grèce... », p. 217-244.
7 Ne pouvant présenter ici un relevé complet, j’ai choisi de mentionner 26 M.-C. BRUWIER (ÉD.), Égyptiennes. Étoffes coptes du Nil, Marie-
uniquement les lieux auxquels il sera fait allusion par la suite. mont, 1997, sp. « Civilisation et arts coptes », p. 11-48.
8 F. Ll. Griffith à qui on devait déjà un volume sur des textes méroï- 27 M. RASSART-DEBERGH, « Sacralité continue ou exorcisme chez les
tiques (Meroitic Inscriptions. Soba to Dangeil, Londres, 1911) publia Coptes », in U. ZANETTI et E. LUCCHESI (ÉD.), Ægyptus Christiana.
assidûment ses « Oxford Excavations in Nubia » dans les Liverpool Mélanges d’hagiographie égyptienne et orientale dédiés à la mémoire
Annals of Archæology and Anthropology à partir de 1922. Signalons du P. Paul Devos Bollandiste, in Cahiers d’Orientalisme, t. XXV,
que la Fondation Égyptologique Reine Élisabeth faisant régulièrement Genève, 2004, p. 287-312.
un don à la société anglaise, les Musées royaux d’Art et d’Histoire de 28 Dom P. MIQUEL, A. GUILLAUMONT, M. RASSART-DEBERGH, Ph.
Bruxelles reçurent, en remerciement, des objets dont certains sont BRIDEL, A. DE VOGÜE, Déserts chrétiens d’Égypte. Les Kellia, Nice,
exposés dans la section consacrée à la Nubie; s’y trouvent notamment 1993.
des lampes chrétiennes provenant des fouilles de Faras. 29 Cl. RILLY, « Les études méroïtiques », in Au fil du Nil (cf. n. 23),
9 Aussi S. CLARKE et G. B. MILEHAM, Les Temples immergés de la
p. 95-105, cit. p. 95.
Nubie, 1920. 30 J. LECLANT, « Art méroïtique », in C. ALDRED et al., L’Égypte du
10 K. MICHALOWSKI, « La naissance d’une nouvelle discipline histo-
crépuscule, Paris, 1980, (L’Univers des Formes, 3), p. 227-300.
rique : la Nubiologie », in Mélanges Mansel, Ankara, 1974, p. 7-12; 31 Leur identification et leur localisation posent parfois encore pro-
P. VAN MOORSEL, « Nubian Studies in preparation », in Orientalia, blème; l’étude de D. Michaux-Colombot (p. 83-93) en est une bonne
t. XLIII, 1974, p. 228-236. illustration.
11 Comme en coptologie, bien que l’appellation ait été bilingue à l’ori- 32 La longue (1.000 av. J.-C. à 1812) histoire de cette forteresse a été
gine, l’anglais l’a emporté rapidement sur le français; on adoptera donc résumée par D. N. EDWARDS, « La forteresse de Qasr Ibrim », in La
l’abréviation courante actuelle. Nubie… (cf. n. 5), p. 64-69.
12 K. MICHALOWSKI, (sous la rédaction de), Nubia récentes recher- 33 Fr. CAILLIAUD, Voyage à Méroé, au Fleuve Blanc, au-delà de
ches. Actes du colloque nubiologique international au musée national Fazoql, dans le midi du Royaume de Sennar, à Syouah et dans cinq
de Varsovie, 19-22 juin 1972, Varsovie, 1975, cit. ext. p. 7. Tous ceux autres oasis fait dans les années 1819, 1820, 1821 et 1822, 4 vol., Paris,
qui firent et font encore la « Nubiologie » se trouvaient là; les noms de 1826-1827 et 2 de pl.; au chapitre XXIX (livre 2, p. 142), on lit : « […]
certains comme Brigitte Gratien et Charles Bonnet apparaissent ici pour ruines de l’antique capitale de l’Éthiopie. Enfin, j’y arrivai: mon pre-
résumer leurs trouvailles au Kordofan (p. 29-38) et à Kerma (p. 77-82) mier soin fut de gravir sur une éminence, pour embrasser d’un coup
ou évoquer celles des autres (le présent article); bien des aînés nous d’œil l’ensemble des pyramides […] ».
ont quittés et des cinq fondateurs ne reste que Jean Leclant mais tous 34 K. R. LEPSIUS, Denkmäler aus Ägypten und Äthiopien, Berlin, 1849-
survivent par leur œuvre. 1859.
13 E. DINKLER (Éd.), Kunst und Geschichte Nubiens in Christlicher 35 Soudan : royaumes sur le Nil, Paris, Institut du Monde arabe, 1997.

111
36 Fr. CAILLIAUD, op. cit. (supra n. 33) l’a décrite (p. 157-162) comme
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
une des plus grandes, et reproduite à la planche XLI de son Voyage; il
dessine également certaines sculptures qui lui « ont paru dignes d’atten-
tion » dont « l’apothéose d’une reine » (pl. XLVI). • Vision d’ensemble dans les divers articles de The Coptic Encyclope-
37 K.-H. PRIESE, Das Gold von Meroe, Berlin, 1992. dia éditée sous la direction de A. S. ATIYA, 8 vol. New York, Toronto,
38 Première vision globale : S. DONADONI, « Le palais de Natakamani », Oxford, Singapour, Sydney, 1991 à savoir :
in La Nubie… (cf. n. 5), p. 54-59.
39 Une des premières synthèses après le sauvetage de 1960 (encore uti- – N. K. ADAMS, « Nubian Textiles », in EC, t. VI, p. 1819-1820.
lisée mais affinée depuis) est l’œuvre de K. MICHALOWSKI, « La Nubie – W. A. ADAMS, « Alwa », in EC, t. I, p. 110-111; ID., « Longinus », in
chrétienne », in Africana Bulletin, t. III, 1965, p. 9-26. Voir aussi W. Y. EC, t. V, p. 1479-1480; ID., « Makouria », in EC, t. V, p. 1513-1514;
Adams, « Nubia », « Nubia, Evangelisation of », Nubia, Islamization ID., « Nobatia », « Nobatia, Eparch of », in EC, t. VI, p. 1797-1798;
of », « Nubian Archaeology, Medieval », « Nubian Ceramics », in EC, ID. « Nubia », « Nubia, Evangelisation of », Nubia, Islamization of »,
t. VI, p. 1800-1807. « Nubian Archaeology, Medieval », « Nubian Ceramics », in EC, t. VI,
40 J. BINGEN, « Philae », in La Nubie antique (cf. n. 20), p. 23-29, extr.
p. 1800-1807; ID., « Nubian Christian Survivals », « Nubian Church
p. 29. Art », « Nubian Church Organisation », « Nubian Inscriptions, Medie-
41 Dernière mise au point au « 21e congrès international d’études
val », « Nubian Languages and Literature », in EC, t. VI, p. 1811-1816;
byzantines » à Londres en 2006 par M. GRATSIANSKIY, « Justinian’s ID., « Nubian Monasteries », « Nubians », in EC, t. VI, p. 1817-1819.
Missionary Efforts. The Case of Nobadia ».
42 P. JEUTÉ, « Monasteries in Nubia. An open issue », in P. SCHOLZ,
– W. H. C. FREND, « Nubian Liturgy », in EC, t. VI, p. 1816-1817.
Nubica, vol. 3, t. I, 1994, p. 59-97. – P. GROSSMANN, « Nubian Christian Architecture », in EC, t. VI,
43 K. MICHALOWSKI, Faras, centre artistique de la Nubie chrétienne, p. 1807-1811.
Leyde, 1966.
44 Un volume publié l’an dernier retrace l’évolution des divers édifi- • Livres. J’ai choisi de citer des ouvrages de référence où le lecteur
ces : W. GODLEWSKI, Pachoras. The Cathedrals; cf. aussi les 8 volu- trouvera une bibliographie plus complète.
mes de la série Faras.
45 P. M. GARTKIEWICZ, The Cathedral in Old Dongola, Varsovie, – W. Y. ADAMS, Nubia. Corridor to Africa, Princeton, 1977.
1990, (Nubia t. I, Dongola, t. II), et B.ZURAWSKI, Southern Dongola – W. Y. ADAMS, Ceramic Industries of Medieval Nubia, 2 vol., Lexing-
Reach Survey 1.Survey and excavations between Old Dongola and ez ton, 1986.
Zuma, Varsovie, 2003, (Nubia, t. II); les missions polonaises œuvrent
– C. ALDRED, Fr. DAUMAS, Ch. DESROCHES-NOBLECOURT, J. LECLANT,
sur ce site depuis 1964.
46 Fr. CAILLIAUD, op. cit. (supra n. 33), vol. II, p. 17-22; il mentionne
L’Égypte du crépuscule. De Tanis à Méroé, 1070 av. J.-C.- IVe siècle
apr. J.-C., Paris, 1980 (L’Univers des formes. Les Pharaons, 3).
p. 20 et 21 : « un ancien couvent des Coptes […] deux petites colonnes
en granit gris, provenant d’une église chrétienne […] une petite ruine – Ch. BONNET, D. VALBELLE, Des pharaons venus d’Afrique, Paris,
en terre, voûtée, de la même époque ». 2005.
47 W. GODLEWSKI, « Dongola capitale de la Nubie chrétienne », in La – S. CLARKE, Christian Antiquities in the Nile Valley, Oxford, 1912.
Nubie (n. 5), p. 72-77. – D.’O CONNOR, A. REID (Éd.), Ancient Egypt in Africa, Londres,
48 P. JEUTÉ, « Monasteries… » (cf. n. 42) : vue d’ensemble avec une
2003.
bonne bibliographie.
49 M. RASSART-DEBERGH, « Les trois Hébreux dans la fournaise en
– J. CUOQ, Islamisation de la Nubie chrétienne VIIe-XVIe siècle, Paris,
1986
Égypte et en Nubie chrétiennes », in Studi in onore di Ugo Monneret de
Villard. I. La Valle del Nilo in epoca cristiana, in Rivista degli Studi – S. CURTO, Nubia. Storia di una civiltà favolosa, Novare, 1965, sp. les
Orientali, t. LVIII, Rome, 1987, p. 141-151. restes chrétiens aux fig. 95 ( de Silko au temple de Mandulis à
50 Le père VAN MOORSEL a consacré de nombreuses études à ce sujet Kalabsha),134-138 (Wadi-es-Seboua), 259-260 (chapelle d’Horemheb
comme le montrent plusieurs articles réunis dans Called to Egypt au Djebel Adda).
(Leyde, 2002) par Claudine Chavannes-Mazel, Mat Immerzeel, Karel – M. DAMIANO-APPIA, Il sogno dei faraoni neri. Alta Nubia : una terra
Innemée, Gertrud van Loon, Luk Van Rompay et Kees Veelenturf. J’ai tra due imperi, Florence, 1994.
également insisté sur les rapports entre ce thème nubien et certaines – W. V. DAVIES (Éd.), Egypt and Africa, Londres, 1991.
représentions coptes : M. RASSART-DEBERGH, « Quelques considéra-
– W. B. EMERY, Egypt in Nubia, Londres, 1965.
tions sur les rapports thématiques et stylistiques entre l’Égypte copte et
la Nubie chrétienne », in Mélanges Armand Abel, III, Leyde, 1978, – F. W. HINKEL, Auszug aus Nubien, Berlin, 1977.
p. 200-220; EAD., « Le thème de la croix sur les peintures murales des – F. et U. HINTZE, Alte Kulturen im Sudan, Leipzig, 1966.
Kellia, entre l’Égypte et la Nubie chrétiennes », in Nubische Studien. – T. EIDE, T. HÄGG, R.H. PIERCE, L. TÖRÖK, Fontes Historiæ Nubio-
Tagungsakten des 5. internationalen Konferenz..., p. 363-36; EAD., rum. Textual Sources for the History of the Middle Nile Region between
« Quelques croix kelliotes », in P. O. SCHOLZ, R. STEMPEL (éd.), Nubia the Eighth Century BC and the Sixth Century AD, 4 vol., Bergen, 1994,
et Oriens christianus. Festschrift für C. Detlef G. Müller zum 6O. 1996, 1998, 2000.
Geburtstag, in Bibliotheca Nubica, t. I, Cologne, 1988, p. 373-385.
51 A. MEKHITARIAN, « La deuxième cataracte », in La Nubie antique – P. M. GARTKIEWICZ, « The Cathedral in Old Dongola and its Ante-
cedents », in Nubia t. I, Dongola, t. II, Varsovie, 1990
(cité n. 20), p. 73-79, extr. p. 74.
– W. GODLEWSKI, Pachoras. « The Cathedrals of Aetios, Paulos and
Petros. The Architecture », in PAM, Supplement Series, 1, Varsovie,
2005.

112
– I. HOFMANN, Die Kulturen des Niltals von Aswan bis Sennar, Ham- – Ch. BONNET (ÉD.), Études nubiennes. Conférence de Genève. Actes
bourg, 1967. du VIIe Congrès international d’études nubiennes, 3-8 septembre 1990,
– I. HOFMANN, Studien zum meroitischen Königtum, Bruxelles, 1971. Genève, 1992.
– S. JAKOBIELSKI (Éd.), Nubia Christiana, t. I, Varsovie, 1982. – T. KENDALL (ÉD.), Nubian Studies 1998. Proceedings of the Ninth
Conference of the International Society of Nubian Studies, Boston,
– S. JAKOBIELSKI, P. O. SCHOLZ (Éd.), Dongola Studien. 35 Jahre
August 21-26, 1998, Boston, 2004.
polnischer Forschungen im Zentrum des makuritischen Reiches,
Varsovie, 2001. – I. CANEVA, A. ROCCATI, Acta Nubica, Rome, 2006.
– K. MICHALOWSKI, Faras, centre artistique de la Nubie chrétienne,
Leyde, 1966; ID. Faras. Die Kathédrale aus dem Wüstensand, Zürich,
Cologne, 1967.
– K. MICHALOWSKI, Faras. Wall Paintings in the Collection of the
National Museum in Warsaw, Varsovie, 1974.
– G. S. MILEHAM, Churches in Lower Nubia, Philadelphie, 1910.
– U. MONNERET DE VILLARD, Storia della Nubia cristiana, Rome,
1938.
– U. MONNERET DE VILLARD, La Nubia Medioevale, 4 vol., Le Caire,
1935, 1953, 1957
– La Nubie. L’archéologie au Soudan, Dijon, 1994 = Les dossiers
d’archéologie, 196, septembre 1994.
– P.L. SHINNIE, M. SHINNIE, Debeira West, a Medieval Nubian Town,
Warminster, 1978.
– P.L. SHINNIE, H.N. CHITTICK, Ghazali. A Monastery in he North
Sudan, in SASOP, 5, Khartoum, 1961.
– B.ZURAWSKI, Southern Dongola Reach Survey 1.Survey and excava-
tions between Old Dongola and ez Zuma, in Nubia, t. II, Varsovie,
2003.

• On trouvera des informations régulières dans la chronique « Compte-


rendu des fouilles et travaux » que Jean LECLANT lança dans Orientalia
à partir de 1950 pour l’Égypte, de 1951 pour le Soudan. Pour les
fouilles polonaises, outre les séries « Faras » et « Dongola » déjà citées,
on consultera les articles (annonce de découvertes, iconographie…)
dans la revue Études et travaux, Varsovie.
• Colloques. Des Études nubiennes et leurs actes donnent, depuis
la première réunion de 1970, d’indispensables mises au point.
Ce sont:

– E. DINKLER (ÉD.), Kunst und Geschichte Nubiens in Christlicher


Zeit. Ergebnisse und Probleme auf Grund der jüngsten Ausgrabungen,
Recklinghausen, 1970.
– K. MICHALOWSKI, (sous la rédaction de), Nubia récentes recherches.
Actes du colloque nubiologique international au musée national de
Varsovie, 19-22 juin 1972, Varsovie, 1975.
– J. LECLANT, J. VERCOUTTER (ÉD.), Études nubiennes. Colloque de
Chantilly, 2-6 juillet 1975, Le Caire, 1978.
– P. VAN MOORSEL (ÉD.), New Discoveries in Nubia. Proceedings of
the colloquium on Nubian Studies, The Hague, 1979, La Haye, 1979.
– J. M. PLUMLEY (ÉD.), Nubian Studies. Proceedings of the Symposium
for Nubian Studies, Selwyn College Cambridge 1978, Warminster,
1982.
– M. KRAUSE (ÉD.), Nubische Studien. Tagungsakter der 5. internatio-
nalen Konferenz der International Society for Nubien Studies, Heidel-
berg, 22.-25. September 1982, Mayence, 1986.
– T. HAGG (ÉD.). Nubian Culture. Past and Present. Main papers
presented at the Sixth International Conference of Nubian Studies in
Uppsala, 1986, 2 vol. Stockholm, 1992.

113
Catalogue des objets
archéologiques
Cat. 3
1. Tête de massue Bibl.: J. REINOLD, «Tête de massue», in Nubie. Les
cultures antiques du Soudan, à travers les explora-
tions et les fouilles françaises et franco-soudanaises
Pierre
(catalogue d’exposition, Marcq en Baroeul, Fonda-
Diam. max. : 17,9 cm; diam. ouv. : 2,6 cm; tion Prouvost, 1994), p. 58, n° 58; F. GEUS, New
ép.: 1,3 cm Discoveries in Nubia, Leyde, 1982, p. 16, pl. XII;
Néolithique ID., Rescuing Sudan Ancient Culture, Lille, 1984,
El-Kadada / cim. A, T. 94, sect. 22, KDD p. 60 sq.; ill. 2; J. REINOLD, Archéologie au Soudan.
22/92-94-101/11, Fouilles SFDAS, 1993 Les civilisations de Nubie, Paris, 2000, p. 58.
Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
AQ
SNM 26887

Cette tête de massue se présente sous la


forme d’un disque perforé au centre per-
mettant la fixation sur un manche. La 2. Hache
perforation est obtenue par un double
Pierre
forage afin d’éviter les risques de cassu-
L.: 10,7 cm; ép.: 3,5 cm
res. L’arme était placée dans une tombe
Néolithique
avec un autre objet semblable, sous la Darfour 3. Vase caliciforme
tête d’un défunt. Le reste du matériel se Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
composait de deux outils en os et de six SNM 31397 Terre cuite
vases. La forme discoïdale de ce type H.: 27,7 cm; diam. max.: 23,4 cm
d’objet est si récurrente sur le site d’El- Cette hache en pierre illustre une Néolithique
Kadada qu’elle en devient caractéris- méthode d’assemblage spécifique appe- El-Kadada / cim. C, T.3, sect. 76, KDD
tique. La faible épaisseur de la pièce lée leiterband 1. Elle présente un ressaut 76/3/59, Fouilles SFDAS
(à peine treize millimètres) atteste sa Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
vertical en guise de tenon, et était
SNM 26899
fonction symbolique et rituelle, et non emmanchée sur un élément en bois (?).
usuelle. La présence dans la tombe de Ce vase caliciforme se présente sous la
Retrouvé essentiellement dans la région
deux massues, symboles de puissance forme d’un récipient non tourné, à fond
du Ouadi el Howar et dans le Sahara du
et d’autorité, permet d’affirmer que le globulaire, au large bord évasé et avec un
sud-est 2, ce genre d’objet était vraisem-
défunt était un personnage important, étranglement central facilitant la préhen-
blablement utilisé pour le travail du bois,
mais également que la culture néolithique sion. Recouvert d’un engobe et poli, il
bien qu’une fonction d’apparat ne soit
d’El-Kadada était déjà hiérarchisée. porte un décor incisé incrusté de pigment
pas à exclure.
blanc à la fois sur sa face externe mais
1 R. KUPER, « Untersuchungen zur Besiedlungs- également sur la paroi interne de son
gechichte der östlichen Sahara. Vorbericht über die ouverture. Cette céramique serait pure-
Expedition 1980», in Beiträge zur allgemeinen und ment funéraire de libation. En effet, on
vergleichenden Archäologie, 3, 1981, fig. 4.3. ne la retrouve jamais sur les sites d’habi-
2 ID., p. 273; B. KEDING, Djabarona 84/13. Unter-
tat, ni sous une forme complète ni sous
suchungen zur Besiedlungsgechichte des Wadi Howar
anhand der Keramik des 3. und 2. Jahrtausends
la forme de tessons. Constituant l’une
v. Chr. Africa Præhistorica, 9, Cologne, 1997, des plus belles représentations de la céra-
p. 192-195. mique nubienne, ce genre d’objet a été
AQ exhumé non seulement à El-Kadada au
Soudan central, mais également en Nubie
et dans les régions qui attestent une occu-
pation «Néolithique de Khartoum».

Bibl. : F. GEUS, New Discoveries in Nubia, Leyde,


1982, p. 16, pl. V, ill. 4, et pl. XI (c); ID., Rescuing
Sudan Ancient Culture, Lille, 1984, p. 57; J. REI-
NOLD, «Vase caliciforme», in Nubie. Les cultures
antiques du Soudan, à travers les explorations et
les fouilles françaises et franco-soudanaises (cata-
logue d’exposition, Marcq en Baroeul, Fondation
Prouvost, 1994), p. 60, n° 63; J. REINOLD, Archéo-
logie au Soudan. Les civilisations de Nubie, Paris,
2000, p. 61; D. WELSBY, « Caliciform beaker »,
in Africa. The Art of a Continent, Londres, 1995,
p. 105, n° 1.75.
AQ

117
4. Vase globulaire
Terre cuite
H.: 26,8 cm; diam.: 26,3 cm
Néolithique
El-Kadada / cim. A, T. 94, sect. 22, KDD
22/92-94-101/11, Fouilles SFDAS, 1993
Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
SNM 27361

Vase au décor incisé d’écailles striées se


recouvrant partiellement du haut vers le
bas.

Bibl.: J. REINOLD et L. KRZYZANIAK, «Vase glo-


bulaire», in Soudan. Royaumes sur le Nil (catalo-
gue d’exposition, Paris, Institut du monde arabe,
1997), p. 31-32, n° 24; F. GEUS, New Discoveries
in Nubia, Leyde, 1982, p. 16, pl. 63, ill. 3; ID.,
Rescuing Sudan Ancient Culture, Lille, 1984, p. 3;
ill. 3.

© Elnour

5. Clayton Rings b) Bol Bir Sahara, Désert occidental


Terre cuite Londres, British Museum, inv. EA. 76813
H.: 8,5 cm; diam.: 26,7 cm; ép.: 3 mm
a) Bol Époque prédynastique Ce cône tronqué ouvert des deux côtés
Terre cuite Bir Sahara, Désert occidental était à l’origine une pièce complète
H.: 8,5 cm; diam.: 14,7 cm; ép.: 3 mm Londres, British Museum, inv. EA. 76812
Époque prédynastique
faite à la main. Présentant également la
Egypte, Bir Sahara, Désert occidental marque en forme de flèche, il porte une
Ce petit bol à fond plat et se distingue par ligne gravée sur sa surface externe.
Londres, British Museum, inv. EA. 76811
les deux trous de suspension présents
sous la lèvre. La marque en forme de flè- d) Disque en céramique
Ce petit bol en céramique présente un
che est également présente. Terre cuite
goulot sur le côté. On peut également
Diam. ext.: 8,5 cm; diam. int.: 2 cm; ép. ext.:
distinguer des traces horizontales de c) Cône tronqué 3 mm; ép. int. : 4 mm
brûlures à l’intérieur de la pièce. On Terre cuite Époque prédynastique
remarque également une marque de H.: 8,5 cm; diam. haut: 9,25 cm; diam. bas: Bir Sahara, Désert occidental
potier ou de propriété semblable à une 13,5 cm; ép.: 4 mm Londres, British Museum,
petite flèche. Époque prédynastique inv. EA. 76814

118
Ce disque de céramique présente une Darfour pour affirmer qu’il s’agirait à solidariser des plaques d’argile prépa-
surface brune et lisse. d’un moyen de récolter le miel 3. Vu le rées. La bordure noire est due au procédé
contexte de la découverte, l’hypothèse de cuisson. Il s’agit de déposer la pièce,
e) Disque en céramique la plus vraisemblable est que cette vais- le col vers le bas, sur un lit de combusti-
Terre cuite selle était utilisée à des fins stratégiques ble et ensuite de la recouvrir. Cette cuis-
Diam. ext.: 8 cm; diam. int.: 2 cm; ép.: 5 mm pour la survie des caravanes dans le son en atmosphère réductrice noircit le
Époque prédynastique désert. bord en contact avec les cendres, tandis
Bir Sahara, Désert occidental
que le reste de la pièce cuit presque à
Londres, British Museum, inv. EA. 76815 1 H. RIEMER et R. KUPER, « ˝Clayton Ring’s˝ : l’air libre et prend une couleur rouge.
Enigmatic Ancient Pottery in the Eastern Sahara»,
Identique au précédent, ce disque pos- in Sahara, 12, 2000, p. 91-101; H. RIEMER, « New AQ
sède une marque en forme de flèche. Results about the Clayton Rings : Long distance
Desert Travellers during Egypt’s Predynastic», in
S. HENDRICKX, R.F. FRIEDMAN, K.M. CIALOWICZ,
Découverts exclusivement dans le désert M. CHLODNICKI, Egypt at its Origins. Studies in
occidental et oriental d’Égypte et du nord Memory of Barbara Adams. Proceedings of the 7. Palette à fard
du Soudan 1, ces céramiques sont regrou- International Conference «Origin of the State. Pre-
dynastic and Early Dynastic Egypt», 28th August Pierre
pées sous l’appellation générique de
- 1st September 2002, in Orientalia Lovaniensia L.: 13,6 cm; l.: 8,7 cm; ép.: 1,7 cm
«Clayton Rings». Elles doivent leur nom Analecta, 2004. Groupe A
à l’archéologue Patrick Clayton 2 qui les 2 P. A. CLAYTON, « The South-Western Desert
Aksha
remarqua pour la première fois lors d’une Survey Expedition 1930-1931 », in Bulletin de la Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
campagne de prospection dans le désert société Royale de Géographie d’Égypte, 19/3, inv. L. 549
occidental en 1930-1931. p. 251-265.
3 H. RIEMER et R. KUPER, ibidem, p. 100.
Dès l’époque néolithique et protohisto-
AQ
Connue par plus d’une quarantaine de rique, les palettes à fard font partie du
sites, la majeure partie de ce matériel matériel funéraire des tombes nubiennes.
particulier fut trouvée entre 1995 et 2000 Placée près du bord de la sépulture, avec
par l’unité de recherche ACACIA (Arid, un pilon et des récipients pour les colo-
Climate, Adaptation and Cultural Inno-
6. Vase rouge à bord noir
rants, cette palette appartient au mobilier
vation in Africa) de l’Université de Colo- Terre cuite d’un défunt aisé. Les exemplaires en
gne. Certaines céramiques ont été trouvées H.: 12,3 cm; diam.: 22,5 cm quartzite sont cependant plus récents et
dans le désert, d’autres dissimulées dans Kerma ancien caractéristiques des sépultures de Basse
des massifs rocheux… peut-être à l’usa- Provenance inconnue Nubie du Groupe A. Certaines palettes
ge des caravaniers de passage. Khartoum, Musée national du Soudan, inv. conservent parfois les traces des fards qui
SNM 2086 y étaient écrasés comme la galène ou la
Découverts systématiquement en con- malachite. Les bords longs de cet exem-
nexion avec des disques d’argile, ces cônes Entièrement poli, à l’intérieur et à l’exté- plaire sont convexes, tandis que les bords
témoignent de la réutilisation d’une céra- rieur, ce vase présente une panse rouge latéraux sont rectilignes.
mique dont on a coupé la partie infé- tandis que le col est décoré d’une bordure
rieure pour aménager une ouverture. Les noire présentant des incisions et des Pièces de comparaison : Nubie. Les cultures anti-
rehauts blancs. Il existe à cette époque ques du Soudan, à travers les explorations et les
marques parfois présentes sur ces objets fouilles françaises et franco-soudanaises (catalo-
et les quelques datations au radiocarbone deux grandes techniques de façonnage gue d’exposition, Marcq en Baroeul, Fondation
effectuées les situent à la période prédy- de la céramique. La première s’attache à Prouvost, 1994), p. 59, n° 61; ID., New Discoveries
nastique et au début de l’Ancien Empire, creuser et à amincir à la main une motte in Nubia, Leyde, 1982, p. 90, n° 95 et 96.
soit plus de 2000 ans après la désertifica- d’argile, tandis que la deuxième consiste AQ
tion des régions où ils furent trouvés.
L’absence de structures à proximité de
ces sites prouve qu’il s’agit, vraisembla-
blement, de campements provisoires
pour les expéditions parcourant le désert.
Bien que l’on soit documenté sur plu-
sieurs sites où ont été retrouvés des
« Clayton Rings », leur fonction reste
inconnue. Il existe cependant plusieurs
hypothèses, scientifiques ou non, quant
à leur utilisation. L’une d’elles se fonde
sur la présence d’objets similaires au

119
10. Dague
Ivoire d’éléphant, cuivre et bronze
L.: 30,5 cm
Kerma classique
Kerma, K IV, corps G
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 7391

Cette dague est constituée d’une lame


de bronze, longue et effilée, attachée à
un pommeau en ivoire par deux séries
de trois rivets de cuivre. La forme du
pommeau rappelle celui des dagues
égyptiennes contemporaines. Cette arme
8. Palette à fard 9. Lame a été retrouvée entre les jambes du corps
G dans une tombe (K IV) qui a livré plus
Pierre Silex d’une centaine de dagues similaires. La
L.: 14,8 cm; l.: 7,9 cm; ép.: 1,7 cm H.: 13,1 cm; ép.: 0,3 cm
plupart d’entre elles conservent leur four-
Groupe A Moyen Empire
reau de cuir, ce qui explique le bon état
Aksha Mirgissa
Lille, Collection IPEL, Université de Lille III, Lille, Collection IPEL, Université de Lille III, de conservation de la lame.
inv. L. 554 inv. L. 595
De nombreux tumuli de Kerma ont été
Légèrement convexe d’un côté et concave Cette lame de silex chamois provient perçus comme étant les tombes de nota-
de l’autre, ce genre d’objet était utilisé peut-être d’un couteau. Elle était, à l’ori- bles égyptiens en raison du matériel
pour broyer de petites quantités de matiè- gine enchâssée dans un manche en bois qu’ils contiennent. Aujourd’hui, il est
res. Celui-ci pourrait, d’après des restes aujourd’hui disparu. clair que ces tombes sont celles de l’élite
de couleur, avoir été utilisé pour broyer AQ dirigeante de Kerma et que les objets
des pigments. Il est fréquent de retrouver égyptiens retrouvés à l’intérieur provien-
ce genre d’objet, généralement associé nent d’échanges et de pillages perpétrés
avec un pilon, dans les tombes soudanai- par les Nubiens.
ses du Groupe A.
Bibl.: B. PORTER et R.L.B. MOSS, Topographical
AQ Bibliography of Ancient Egyptian Texts, Reliefs
and Paintings, VII Nubia, The Deserts and outside
Egypt, Oxford, 1951, p. 178; G. REISNER, Excava-
tions at Kerma, Parts I-III, Harvard African Stu-
dies, V, Cambridge, 1923, p. 148; ID., Excavations
at Kerma, Parts IV-V, Harvard African Studies, V,
Cambridge, 1923, p. 190, n° 216; M. WERBROUCK,
« Archéologie de Nubie », in Bulletin des Musées
royaux d’Art et d’Histoire, 13, 1941, p. 19-20,
fig. 11.

Pièce de comparaison: Nubia. Los reinos del Nilo


en Sudán (catalogue d’exposition. Barcelone,
Fundación «La Caixa», avril - août 2003), p. 216,
n° 157.
AQ

120
11. Prisonnier nubien
(figure d’exécration)
Argile séchée
H.: 32,5 cm; l.: 15,2 cm
Moyen Empire, XIIe dynastie
Égypte, Saqqara
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 7440

Dans l’idéologie égyptienne, l’ordre n’exis-


te que là où le pharaon règne selon Maât.
Dans ce cadre, il est donc logique que
l’ennemi, un être potentiellement dange-
reux, puisse conduire au chaos. Représen-
ter les ennemis de l’Égypte entravés ou
soumis répond donc à un rituel magique
qui vise à neutraliser le danger qu’ils
représentent et à les empêcher d’agir, dans
le Visible comme dans l’Invisible.

Les figures d’exécration se fondent sur


ce modèle: un prisonnier est agenouillé,
les bras ramenés derrière le dos et atta-
chés au niveau du coude. Sur cet exem-
plaire, on reconnaît un Nubien à sa coif-
fure crêpelée, aux yeux globuleux, au
nez évasé, aux pommettes saillantes et
aux lèvres épaisses. Dans un souci de
détail, trois trous ont été percés au som-
met du crâne de façon à y insérer des
cheveux, ou plus vraisemblablement des
plumes d’autruches, éléments caractéris-
tiques de la parure nubienne. La plupart
de ces figures ont généralement un trou
sous le coude qui permet de glisser un
lien servant à entraver réellement la
statuette. Bien que les traits ethniques
soient fortement soulignés, le corps est
simplifié de façon à créer des surfaces
plus ou moins planes et régulières per-
mettant d’y inscrire un texte. Écrit à l’en-
cre rouge, couleur des forces hostiles, ce
texte reprend une liste des ennemis de
l’Égypte, dans le pays et en dehors de ses
frontières. La magie opérant, ils seront
privés de leurs mouvements, tout comme cataracte au Soudan. La puissance du (Libye), pour se poursuivre avec des
la statuette en cas de rébellion, d’attaque rituel pouvait être renforcée par le sacri- populations internes néfastes à l’Égypte.
ou de complot contre celle-ci. fice d’un être humain, comme l’atteste le Les princes, prisonniers et alliés de ces
crâne retrouvé à Mirgissa. peuples sont cités de façon très détaillée.
Des listes de ce genre sont bien connues. Il est d’ailleurs courant de trouver le nom
On les retrouve sur des figures d’exécra- La comparaison de listes semblables personnel des ennemis avec ceux de leurs
tion en albâtre ou sur des vases. De plus, conservées à Berlin permet de constater ancêtres. Ces mises à jour permettent de
nous connaissons un dépôt de textes de régulières mises à jour qui commen- dire que ces listes étaient rédigées par
d’envoûtement trouvés in situ sur le site cent généralement par des peuples du l’administration centrale égyptienne de
de Mirgissa, à la hauteur de la deuxième Sud (Nubie), du Nord (Asie) et de l’Ouest façon à être correctes en permanence.

121
Les phrases concernant la Nubie com-
mencent par l’énumération des princes 1 :
« Le prince de KAS (appelé) Wttrrss (?),
né de Ttj, né pour AwAA, et tous les frap-
pés qui sont avec lui; Le prince de SAat
(appelé) Aktwi, né de RhAi, né pour stjkxi,
et tous les frappés qui sont avec lui; Le
prince de WbAt-spt (appelé) ‘ITAw et tous
les frappés qui sont avec lui; Le prince
de WbAt-spt (appelé) ‘Iwnai né de Thwfi,
né pour KhAwbi, et tous les frappés qui
sont avec lui ; Le prince de AwSq (appelé)
TghDw et tous les frappés qui sont avec
lui».
Et continue avec la liste des pays:
«Tous les NHsw (Nubiens) de KAS ; de
Mwgr; de SAat; de GwsAi; de Gwbtj; de
Gwbi; de …wqn…; de Mwajw; de IAm; de
xAbjt ; de Rwmgt; de Irsjk; de Nasmx; de les objets suivants (cat. 13, 14,15,16,17), 13. Ornement géométrique
tir(?)iA; de Irswxt; de ImA-nas; de ImA-...t; il était fixé sur un bonnet de cuir. Cette
de KakAj; de TwksAi; de B3Hasis; de MakiA; catégorie de coiffure porte généralement Mica blanc (silicate d’aluminium et de potas-
de Ibtis ; de Grw; de AwSq; de WbAt-spt; des représentations, probablement à sium)
valeur apotropaïque, d’animaux afri- H.: 3 cm
de IAAt ; de tTksis ; de MwgsrwiA; de RwS;
Kerma classique
les Iwnwt en Nubie (Stj)». cains, de personnages fantastiques et de
Kerma, KX, corridor principal, corps EC
motifs géométriques. Des restes de poly-
Bibl.: B. van de WALLE, La collection égyptienne
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
chromies repérés sur certains exemplai- inv. E. 7403
de Bruxelles, Bruxelles, 1980, p 33; G. POSENER,
res permettent de supposer qu’ils étaient
Princes et Pays d’Asie et de Nubie, Bruxelles,
1940; B. PORTER et R.L.B. MOSS, Topographical rehaussés de couleurs. Ces bonnets de Trouvé sur le corps du sacrifié EC dans le
Bibliography of Ancient Egyptian Texts, Reliefs cuir étaient-ils réservés à l’apparat funé- corridor principal du tumulus KX, ce
and Paintings, III² Memphis (Abû Rawâsh to raire ou portés lors de cérémonies ? La motif géométrique est constitué de deux
Dahshûr), Oxford, 1931, p 659; A. QUERTINMONT, question reste ouverte. Technique
« Prisonnier nubien », in Sphinx. Les gardiens de
séries de cercles encadrés d’une bordure.
typique de la Nubie, le travail du mica, Généralement, les motifs géométriques
l’Égypte (catalogue d’exposition, Bruxelles, Espace
ING Bruxelles, 2006), p. 192 et 194, cat. 22. probablement exécuté par les ivoiriers, se situent dans le bas du bonnet.
est peu employé en Égypte.
Pièces de comparaison : G. POSENER, Princes et Bibl. : B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical
Pays d’Asie et de Nubie, Bruxelles, 1940. La présence de nombreux corps humains Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic
Textes, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The
dans les tombes datées des périodes
1Pour l’édition complète cf. G. POSENER, Princes et Deserts and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 176;
Pays d’Asie et de Nubie, Bruxelles, 1940, p. 48 et sq. Kerma atteste la continuité d’une tradi- G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-III,
tion déjà bien présente au Néolithique, Harvard African Studies V, Cambridge, 1923,
AQ celle de personnes sacrifiées accompa- p. 292; ID., Excavations at Kerma, Parts IV-V,
gnant le défunt. Le matériel funéraire est Harvard African Studies V, Cambridge, 1923,
p. 277, pl. 57; M. WERBROUCK, «Archéologie de
parfois associé à ces corps. Rien ne per-
Nubie », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
met d’attester une mort violente tant pour d’Histoire, 13, 1941, p. 18, fig. 12.
12. Ornement géométrique les humains que pour les animaux inhu-
més en même temps. AQ
Mica blanc (silicate d’aluminium et de potas-
sium) Bibl. : B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical
H.: 4,5 cm Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic
Textes, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The
Kerma classique
Deserts and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 176;
Kerma G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-III,
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, Harvard African Studies V, Cambridge, 1923,
inv. E. 7399 p. 479, pl. XXX; ID., Excavations at Kerma, Parts
IV-V, Harvard African Studies V, Cambridge,
Cet ornement géométrique provient de la 1923, p. 279, n° 41 et pl. 57.
chapelle B du tumulus XIV de la nécro-
pole orientale de Kerma. De même que AQ

122
14. Ornement en forme rosaces en haut du bonnet, et à une frise
d’oiseau rekhit d’animaux fantastiques encadrant un élé-
ment central situé sur le front, alors que le
Mica blanc (silicate d’aluminium et de potas- bas est orné d’une bordure géométrique.
sium)
H.: 7,5 cm En Égypte, l’oiseau rekhit symbolise un
Kerma classique être dominé. Sa présence dans le mobi-
Kerma, T. 23, annexe de KIII, corps A lier funéraire nubien implique-t-elle la
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
même symbolique ?
inv. E. 7404
Bibl. : B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical
Cet ornement représente l’animal fantas- Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic
tique rekhit, une sorte de vanneau aux Textes, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The
ailes déployées, généralement muni de Deserts and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 176;
G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-III,
bras humains levés en signe d’adoration. Harvard African Studies V, Cambridge, 1923, p. 161;
15. Ornement en forme de huppe
Disposé au niveau de la tête du sacrifié ID., Excavations at Kerma, Parts IV-V, Harvard
A de la tombe 23, annexe du tumulus African Studies V, Cambridge, 1923, p. 277, pl. 57; Mica blanc (silicate d’aluminium et de potas-
K III, il fut découvert avec d’autres élé- M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie », in sium)
ments en mica, parmi lesquels dix autres Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 13, H.: 3,2 cm
1941, p. 18, fig. 12. Kerma classique
oiseaux du même type. La disposition des
AQ Kerma, KX, couloir B, corps ZK
objets fait penser à un agencement de
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 7400

Une des plus grandes tombes (le tumulus


KX de 90 m de diamètre) de la nécropole
orientale de Kerma présente un caveau
central et de nombreux couloirs adja-
cents. On y a retrouvé non seulement des
capridés en grand nombre, mais aussi
quatre cents personnes sacrifiées pour
accompagner le défunt dans l’au-delà.

Le bonnet de cuir du corps ZK, exhumé


dans le couloir B, portait un ornement en
mica en forme de huppe. En Égypte, où
il est souvent représenté dans un fourré
de papyrus grouillant de vie, cet oiseau
insectivore a une connotation symbo-
lique véhiculant l’idée de vitalité et de
capacité à survivre. Dotée de compéten-
ces magiques, la huppe passe aussi pour
améliorer la vue et la mémoire 1. Dans
le cas qui nous occupe, le motif en forme
d’oiseau peut simplement évoquer le
contexte environnemental du défunt.

Bibl.: B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical


Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Tex-
tes, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The Deserts
and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 176; G. REIS-
NER, Excavations at Kerma, Parts I-III, Harvard
African Studies V, Cambridge, 1923, p. 306; ID.,
Excavations at Kerma, Parts IV-V, Harvard African
Studies V, Cambridge, 1923, p. 278, pl. 59, 1, n° 3.

1 P. VERNUS ET J. YOYOTTE, Bestiaire des Pha-

raons, Paris, 2005, p. 385-386.


AQ

123
de Nubie», in Bulletin des Musées royaux d’Art et
d’Histoire, 13,1941, p. 18, fig. 12.

Pièce de comparaison : S. WENIG, Africa in Anti-


quity. The Arts of Ancient Nubia and the Sudan II
(catalogue d’exposition, Brooklyn, The Brooklyn
Museum, 1978), p. 152, n° 56.

1 P. VERNUS ET J. YOYOTTE, Bestiaire des Pha-

raons, Paris, 2005, p. 160.


AQ

17. Ornement en forme de girafe


Mica blanc (silicate d’aluminium et de potas-
16. Ornement en forme sium)
de double tête de lion H.: 8 cm
Kerma classique
Mica blanc (silicate d’aluminium et de potas- Kerma, KX, couloir B, corps E1
sium) Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
H.: 5,5 cm inv. E. 7402
Kerma classique
Kerma, T. 44, annexe de KX Cette girafe fragmentaire (trois pattes
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, manquent ainsi que la base sur laquelle
inv. E. 7401 l’animal reposait) fut retrouvée dans le
corridor B du tumulus KX du cimetière
Trouvé sur un fragment de cuir dans la de l’est, sur le corps E1 à proximité de
tombe 44, annexe du grand tumulus KX, l’ornement en forme de huppe (cat. 15).
avec huit autres éléments semblables, cet Élément typique de la faune africaine, la
Pièce de comparaison : S. WENIG, Africa in Anti-
ornement en forme de double tête de lion quity. The Arts of Ancient Nubia and the Sudan II
girafe est souvent représentée dans les (catalogue d’exposition, Brooklyn, The Brooklyn
était placé au sommet du bonnet des scènes de « tribut nubien » du Nouvel Museum, 1978), p. 151, n° 55.
défunts. Les deux trous de fixation sont Empire. La queue de la girafe était fort
creusés au bas de la pièce. prisée des Égyptiens (Amenemhat II en
1 P. VERNUS ET J. YOYOTTE, Bestiaire des Pha-

raons, Paris, 2005, p. 143-144.


fit venir onze de Nubie). Elle était utili-
Le lion est un animal purement africain. AQ
sée, notamment, comme élément de
Sa symbolique multiple se fonde notam- parure du chasseur d’hippopotame. Le
ment sur ses qualités physiques: puis- mythe d’Horus harponneur ne dit-il pas
sance, vigilance... En Égypte, le double d’un chasseur d’hippopotame « Beaux
lion évoque les félins qui rôdent en bor- tes ornements en tresses de girafe ! » ?
18. Boucle d’oreille ou de cheveux
dure occidentale et orientale de la vallée Elles devaient, en outre, avoir une valeur
du Nil et veillent sur le parcours du Or sur âme de bronze
importante puisque certains défunts de Diam.: 1,15 cm; diam. du fil: 0,2 cm; ép.: 1 cm
disque solaire, lui permettant ainsi de Kerma disposent de queues de girafes Kerma classique
renaître chaque matin 1. Il se peut qu’en dans leur trousseau funéraire 1. De plus, Mirgissa
Nubie, cette symbolique soit différente. la girafe figure sur les fresques des gran- Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
En effet, d’autres exemplaires identiques des chapelles associées à ces tombes. inv. L. 776
présentent une série de quadruple tête de Ailée, elle est également reprise dans les
lion, soit deux motifs comme celui qui motifs de lit en ivoire.
nous occupe superposés, ce qui serait
propre à Kerma. Bibl. : B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical
Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic
Bibl. : B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical Textes, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The Deserts
Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 176; G. REIS-
Textes, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The NER, Excavations at Kerma, Parts I-III, Harvard
Deserts and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 176; African Studies V, Cambridge, 1923, p. 301; ID.,
G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-III, Excavations at Kerma, Parts IV-V, Harvard Afri-
Harvard African Studies V, Cambridge, 1923, can Studies V, Cambridge, 1923, p. 278, pl. 58;
p. 366; ID., Excavations at Kerma, Parts IV-V, M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie », in Bul-
Harvard African Studies V, Cambridge, 1923, letin des Musées royaux d’Art et d’Histoire, 13,
p. 278, pl. 56, 4; M. WERBROUCK, « Archéologie 1941, p. 18, fig. 12.

124
Cet anneau faisait partie d’une paire
découverte à proximité des orifices auri-
culaires d’un squelette. Formée d’un fil
de bronze plaqué or enroulé près de trois
fois sur lui-même, cette boucle présente
des incisions parallèles à ses extrémités.
Un exemplaire similaire fut découvert à
Dra Abou’l Naga, indiquant peut être la
provenance égyptienne de notre objet.

Bibl.: La Nubie au temps des pharaons (catalogue


d’exposition, Boulogne-sur-Mer, 1975), p. 19, n° 115;
Nubie. Les cultures antiques du Soudan, à travers
les explorations et les fouilles françaises et franco-
soudanaises (catalogue d’exposition, Marcq en
Baroeul, Fondation Prouvost, 1994), p. 150, n° 219;
J. VERCOUTTER, A. VILA et al., Mirgissa I, Paris,
1970, p. 237, fig. 74; Ch. BONNET, Kerma, 218; Nubia. Los reinos del Nilo en Sudàn (catalo- Le panneau du lit funéraire présente
royaume de Nubie (catalogue d’exposition, Genève, gue d’exposition, Barcelone, Fundación « La généralement des éléments de marquete-
1990), p. 232, cat. 328. Caixa», 2003), p. 216, n° 158.
rie en ivoire. Représentant des animaux
AQ AQ réels ou imaginaires, il est probable qu’ils
étaient chargés d’une valeur symbolique
19. Rasoir et plus spécifiquement funéraire.
20. Ornement en forme de vautour
Bronze Le vautour est le motif le plus fréquent
L. : 14 cm; l. : 6 cm Ivoire dans la décoration de ces lits. Dans l’ima-
Kerma classique H. : 12 cm ginaire égyptien, la figure du vautour joue
Kerma, T. 27, annexe du K III Kerma classique un rôle protecteur, c’est pourquoi, elle
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, Kerma, K 439-1, corps B figure tant sur les bijoux que sur les cou-
inv. E. 7393 Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, teaux magiques ou sur les couvercles de
inv. E. 7405
sarcophages. Ici, l’animal est vu de profil
Dans le trousseau funéraire des défunts avec les ailes déployées, fusionnant ainsi
du Kerma Classique, il est courant de Cet ornement en forme de vautour déco-
l’image égyptienne du vautour vu de face,
trouver une boîte contenant des objets rait un lit funéraire dont l’usage se répand
présent notamment sur les bijoux, et celle
usuels tels des rasoirs, des couteaux et à partir du Kerma moyen. Auparavant, le
du rapace, de profil, protégeant le roi.
des harpons. C’est dans un coffret sem- défunt reposait sur une peau animale ou
blable que fut trouvé ce rasoir, accompa- dans un coffre en cuir. Les sépultures Bibl. : G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts
gné de dix-sept autres du même type sont alors constituées de fosses rectangu- I-III, Harvard African Studies V, Cambridge, 1923,
laires dans lesquelles reposent le défunt p. 228; ID., Excavations at Kerma, Parts IV-V,
(Type 1) dans la tombe 27, annexe du
et son matériel funéraire. Recouvertes Harvard African Studies V, Cambridge, 1923,
tumulus K III. Aujourd’hui conservés p. 269; M. WERBROUCK, «Archéologie de Nubie»,
dans divers musées du monde, le modèle par une dalle ou par une voûte en plein in Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire,
le plus proche se trouve au British cintre (voûte nubienne), la tombe est sur- 13, 1941, p. 19, fig. 13.
Museum (EA. 55444). montée d’une superstructure en pierre
emplie de cailloutis. Des chapelles sont Pièces de comparaison : V. DAVIES et R. FRIED-
MAN, Egypt, Londres, 1998, p. 127.
Le rasoir de Bruxelles se compose de parfois associées à la sépulture.
AQ
deux parties distinctes: la lame qui, à l’o-
rigine, était enchâssée dans un matériau
différent (bois ou ivoire), et le manche.

Bibl.: G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-


III, Harvard African Studies V, Cambridge, 1923,
p. 165; IDEM., Excavations at Kerma, Parts IV-V,
Harvard African Studies V, Cambridge, 1923, p.
181-183, pl. 49.

Pièces de comparaison: A. CABROL, «Rasoir», in


Nubie. Les cultures antiques du Soudan, à travers
les explorations et les fouilles françaises et franco-
soudanaises (catalogue d’exposition, Marcq en
Baroeul, Fondation Prouvost, 1994), p. 149, n°

125
22. Ornement en forme de grenouille
Ivoire
H. : 5 cm; l.: 2 cm
Kerma classique
Kerma, K IV/44
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 7408

Cet élément de décoration de lit, initiale-


ment placé au bas du pied, provient de la
tombe 44, annexe du tumulus K IV. À
l’origine décrite comme étant un frag-
ment de bordure géométrique, il faudrait
plutôt y voir une représentation de gre-
nouille, les pattes étant visibles à gauche
et à droite. En Égypte, la grenouille est
un animal lié à la naissance et donc à la
21. Ornement en forme de girafe renaissance après la mort. En effet, la
déesse Heqet, sous la forme de ce batra-
Ivoire cien, protège les parturientes. En outre,
H. : 8,5 cm; l.: 8,5 cm cet animal pond ses œufs à la saison de la
Kerma classique crue et vit dans un milieu grouillant de
Kerma, T. 9, annexe du tumulus K III vie. L’expression «Celui dont la vie est
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, 23. Ornement en forme d’autruche
renouvelée » est liée au hiéroglyphe de
inv. E. 7407
cet animal. Ivoire
Cet ornement en ivoire en forme de H.: 12 cm
Bibl.: G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I- Kerma classique
girafe ailée était appliqué sur le pied d’un III, Harvard African Studies, V, Cambridge, 1923,
Kerma, T. 96, annexe du tumulus KX
lit funéraire en acacia trouvé dans la p. 235; ID., Excavations at Kerma, Parts IV-V,
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
tombe 9, annexe du tumulus K III. Cette Harvard African Studies, V, Cambridge, 1923,
p. 269, pl. 55,2; M. WERBROUCK, « Archéologie inv. E. 7406
sépulture a également livré la célèbre
de Nubie », in Bulletin des Musées royaux d’art
statue d’Hapidjefaï, nomarque d’Assiout et d’histoire,13, 1941, p. 19, fig. 13. Cette pièce fait partie des ornements en
(XIIe dynastie), conservée aujourd’hui au ivoire en forme d’autruches aux ailes
Museum of Fine Arts de Boston. Cette Pièce de comparaison : S. WENIG, Africa in Anti- déployées qui décoraient le pied du lit de
découverte a longtemps été considérée quity. The Arts of Ancient Nubia and the Sudan II
la tombe 96, annexe du tumulus KX. La
comme la preuve qu’Hapidjefaï dirigeait (catalogue d’exposition, Brooklyn, The Brooklyn
Museum, 1978), p. 149, n° 51; V. DAVIES, R. FRIED- décoration comportait trois rangées : la
la ville nubienne. Aujourd’hui, on s’ac- MAN, Egypt, London, 1998, p. 127. première, comprenant six outardes; la
corde plutôt sur l’hypothèse qu’elle fait AQ deuxième, neuf autruches; et la troisiè-
partie d’objets pillés en Égypte par les me, neuf girafes et sept autruchons. Les
habitants de Kerma. La représentation de animaux sont tournés vers la droite, tout
girafe ailée ne connaît aucun précédent, comme le défunt allongé sur le lit.
ni en Égypte, ni en Nubie. Il s’agit donc
ici d’une innovation de la culture Kerma. Animal africain par excellence, l’autru-
L’animal est représenté le cou baissé, che était fort prisée, tant par les Égyptiens
comme pour s’abreuver, tandis que du que les Nubiens. L’oiseau était chassé,
milieu de son dos jaillissent deux ailes comme en témoigne une inscription sur
formant un arc autour du mammifère. le manche du flabellum déposé dans la
Bibl. : G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts
tombe de Toutânkhamon. La viande et
I-III, Harvard African Studies, V, Cambridge, les œufs étaient consommés; les œufs
1923, p. 150; ID., Excavations at Kerma, Parts IV- servaient aussi de récipients. Quant aux
V, Harvard African Studies, V, Cambridge, 1923, plumes, elles se retrouvent sur les éven-
p. 269, n° 7; M. WERBROUCK, « Archéologie de tails et décorent l’harnachement des
Nubie », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
d’Histoire, 13, 1941, p. 19, fig. 13.
chevaux. Le motif de l’autruche aux ailes
Pièces de comparaison: V. DAVIES, R. FRIEDMAN, déployées évoque peut être le compor-
Egypt, Londres, 1998, p. 127. tement de l’oiseau. Au petit matin, il
AQ commence à courir, s’arrête brusquement,

126
bat des ailes et repart rapidement. Cette
attitude a été interprétée comme une
danse au lever du soleil 1. Le motif asso-
cie dès lors la renaissance du défunt à la
réapparition quotidienne de l’astre du
jour.

Bibl.: G. REISNER, Excavations at Kerma, Parts I-


III, Harvard African Studies, V, Cambridge, 1923,
p. 369; ID., Excavations at Kerma, Parts IV-V,
Harvard African Studies, V, Cambridge, 1923,
p. 270, pl. 54,1; M. WERBROUCK, « Archéologie
de Nubie », in Bulletin des Musées royaux d’Art
et d’Histoire, 13,1941, p. 19, fig. 13.

1 P. VERNUS ET J. YOYOTTE, Bestiaire des Pha-

raons, Paris, 2005, p. 385-386.


AQ

24. Vase rouge à bord noir


Terre cuite
H.: 10 cm; diam.: 22 cm
Kerma franco-soudanaises (catalogue d’exposition, Marcq Vase rouge à bord noir portant un liseré
Ukma, Fouilles SFDAS, 1969 en Baroeul, Fondation Prouvost), 1994, p. 152-153, gris central typique de l’époque Kerma.
Khartoum, Musée national du Soudan, inv. n° 228, 229; Nubia. Los reinos del Nilo en Sudàn
(catalogue d’exposition. Barcelone, Fundación «La
Son long bec verseur et ses parois très
SNM 19096
Caixa», avril - août 2003), Sudan Ancient Treasu- fines montées sans le tour, témoignent de
res, Londres, 2004, p. 264, n° 246; Soudan. Royau- la grande maîtrise des potiers nubiens
Ce vase présente une panse globulaire et mes sur le Nil (catalogue d’exposition, Paris, Insti- dont les productions ont toujours été
un col court et évasé. La face externe est tut du monde arabe, 1997), p. 112-113; J. REINOLD, richement décorées depuis les périodes
polie. Archéologie au Soudan. Les civilisations de Nubie,
les plus reculées.
© Elnour Paris, 2000, p. 99.
AQ
Pièce de comparaison : Soudan. Royaumes sur le
Nil (catalogue d’exposition, Paris, Institut du
25. Vase tulipe monde arabe, 1997), p. 110-111, n° 119.
26. Vase à long bec verseur © Elnour
Terre cuite
H.: 11,7 cm; diam.: 14,4 cm Terre cuite
Kerma classique H.: 10,7 cm; diam.: 7,6 cm
Saï Kerma
Lille, Collection IPEL, Université de Lille III, Mirgissa, expédition française
inv. L. 2245 Khartoum, Musée national du Soudan,
inv. SNM 14024
Cette forme de céramique rouge à bord
noir, appelée «vase tulipe», fait partie du
mobilier funéraire des tombes du Kerma
classique. À cette époque, les sépultures
sont rectangulaires et les hécatombes de
bétail diminuent.

Bibl.: B. GRATIEN, Nubische Studien. Tagungsak-


ten der 5. Internationalen Konferenz der Interna-
tional Society for Nubian Studies. Heidelberg, 22 -
25. September 1982, Heidelberg, 1986, p. 293,
fig. 236c.

Pièces de comparaison : B. GRATIEN, « Vase tuli-


pe», in Nubie. Les cultures antiques du Soudan, à
travers les explorations et les fouilles françaises et

127
28. Vase figuré 29. Bol à boire à décor étoilé incisé
Terre cuite Terre cuite grise
H.: 9,6 cm; diam. max.: 10 cm H.: 8 cm; l.: 6,2 cm
Kerma, chapelle A de K XIV Groupe C
Kerma, Harvard University Expedition Provenance inconnue
Khartoum, Musée national, inv. SNM 1135 Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 2318
Parmi la céramique Kerma, on retrouve
des vases à décor figuré qui forment une Ce bol hémisphérique en terre cuite grise
catégorie bien distincte des autres pro- aux parois épaisses et à l’ouverture étroite
ductions de cette période. Il s’agit géné- est fait à la main et cuit en atmosphère
ralement de vases à étrier dont le bec ver- réductrice. Le décor s’organise autour
seur est modelé soit en forme de tête d’une étoile gravée sur le fond extérieur
d’animal, soit surmonté d’un animal, et alterne ensuite des plans lisses épou-
27. Vase rouge à bord noir comme c’est le cas ici avec ce petit singe sant la forme de l’étoile, séparés par
assis, les pattes antérieures levées. La des bandes de lignes verticales incisées.
Terre cuite panse, généralement décorée, comporte Des lignes croisées comblent les espaces
H.: 19,5 cm; diam. max.: 18 cm sur cet exemplaire deux crocodiles joli- triangulaires terminaux formés par ce
Kerma
ment modelés grimpant vers le goulot. décor zigzagant. Le bol est bordé par une
Melik El Nasir, SAS UNESCO, 1968
bande lisse et la lèvre est incisée de croi-
Khartoum, Musée national du Soudan, inv. Bibl. : Soudan. Royaumes sur le Nil (catalogue
SNM 20505 sillons. Le décor est accentué par l’inser-
d’exposition, Paris, Institut du monde arabe, 1997),
p. 96 et 98, n° 97; G. REISNER, Excavations at tion d’une pâte blanche dans les creux.
Ce vase à panse globulaire et à col court Kerma, Parts I-III, Harvard African Studies V, L’aspect brillant des surfaces lisses a été
et évasé présente un liseré gris central et Cambridge, 1923, p. 481; ID., Excavations at obtenu au moyen d’un brunissoir.
Kerma, Parts IV-V, Harvard African Studies V,
un polissage externe. Cambridge, 1923, p. 406, ill.; 285, pl. 71.1.
La céramique est un marqueur essentiel
© Elnour AQ dans l’évolution des peuples, tant du
point de vue chronologique que du point
de vue culturel. Forme, décor et techno-
logie définissent des groupes dont on
peut suivre l’évolution, les établissements
et les coutumes. La production de céra-
mique a été importante au Soudan, tant
en ce qui concerne la poterie quotidienne
qu’en ce qui concerne la céramique plus
créative sur laquelle le potier recherche
des effets esthétiques. Des poteries qui
nous sont parvenues ont été découvertes
dans les tombes où elles étaient déposées
comme offrandes funéraires, mais des
fours de potiers ont également été mis
au jour sur la plupart des sites archéolo-
giques du Soudan.

Ce petit récipient à boire appartient à une


des grandes catégories de l’histoire de la
poterie qui est apparue dès la Préhistoire,
celle de la céramique montée à la main.
Ce bol hémisphérique est caractéristique
d’une céramique produite par une culture
nubienne semi-sédentaire dite Groupe C,
qui était établie entre 2300-1600 av. J.-C.
entre la première et la deuxième cataracte
du Nil. Bien que ce groupe culturel ait
été en contact avec les Égyptiens et avec

128
Ce bol caréné à fond conique est typique
du Groupe C. Le décor incisé qui imite
peut-être la vannerie, est complété sous
la lèvre par un décor imprimé au poin-
çon. Le motif de bandes réparties en
secteurs triangulaires le classe dans la
catégorie typologique Ib, proposée par
M. Bietak.

Une grande unité formelle caractérise


la céramique produite à cette période. Elle
comprend essentiellement des bols hémis-
phériques à lèvre légèrement rentrante.
la culture de Kerma, leur céramique 30. Bol décoré Bibl.: La Nubie au temps des pharaons (catalogue
est restée totalement imperméable aux d’exposition, Boulogne-sur-Mer, 1975), p. 16, n° 54;
influences extérieures et se caractérise par Terre cuite Nubie. Les cultures antiques du Soudan, à travers
une poterie entièrement recouverte d’un H.: 12,3 cm; diam.: 18 cm les explorations et les fouilles françaises et franco-
Groupe C soudanaises (catalogue d’exposition, Marcq en
riche décor géométrique incisé accentué
Aksha Baroeul, Fondation Prouvost, 1994), p. 102, n° 124.
par des pigments blancs, parfois aussi
Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
par des pigments colorés. Les décors du AQ
inv. L. 334
Groupe C sont beaucoup plus riches et
variés que ceux produits en Égypte à la
même époque, peut-être parce que cette
poterie était entre les mains de familles
et non produite de manière industrielle.
Des bols hémisphériques à décor étoilé
ont été découverts à Aniba 1 dans des
tombes de type III et situés dans la pre-
mière phase du Groupe C, lorsque les
décors sont encore fortement influencés
par le travail de la vannerie 2.

Bibl.: inédit.

1 G. STEINDORFF, Aniba, I, Glückstadt-Hambourg,


1935, pl. 40, 44, 46, bols étoilés très proches.
2 M. BIETAK, «Ceramics of the C-Group Culture»,

in Meroitica, 5, 1979, p. 107-127, spéc. p. 118-123;


Ch. BONNET, «Le Groupe C», in Soudan. Royau-
mes sur le Nil (catalogue d’exposition, Paris, Insti-
tut du monde arabe, 1997), p. 50-63.
CD

129
Cat. 34
Je moule la brique. J’amalgame la terre
et l’eau. Je façonne la brique-mère pour
fonder ta maison, pour établir solidement
les angles de ton temple, pour rénover tes
lieux saints trouvés abandonnés, pour
asseoir (à neuf) ce qui a périclité dans les
Deux-Iteret».
Bibl. : F. THILL, « Deux modèles de moule à bri-
ques», in Nubie. Les cultures antiques du Soudan,
à travers les explorations et les fouilles françaises
et franco-soudanaises (catalogue d’exposition,
Marcq en Baroeul, Fondation Prouvost, 1994),
p. 176-177, n° 261 F.
31. Vase globulaire cié à cinq autres modèles réduits : une 1 S. AUFRÈRE, L’univers minéral dans la pensée
meule, un mortier, un pilon, une houe et égyptienne, 2 : L’intégration des minéraux, des
Terre cuite
des briques. Le dépôt d’outils en réduc- métaux et des «Trésors» dans la marche de l’uni-
H.: 7,5 cm; diam.: 9 cm
tion et d’un échantillonnage miniaturisé vers et dans la vie divine, Le Caire, 1991, p. 677.
Groupe C
Provenance inconnue des matériaux entrant dans la construc-
tion d’un édifice se retrouve générale- AQ
Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
SNM 17230 ment dans un angle de soubassement ou
dans une niche des murs de fondation. Il
s’agit d’un usage rituel lié à la construc-
33. Palette de scribe
Vase funéraire portant un décor incisé
sur la lèvre et des motifs en forme de tion d’un édifice religieux, d’un temple Serpentine
losanges et de triangles sur la panse. Une divin ou d’un temple des Millions d’an- L.: 34,5 cm; l.: 7,6 cm; ép.: 0,7 cm
pâte blanche est incrustée dans les inci- nées, mais aussi à l’érection d’obélis- Nouvel Empire
sions. Les potiers de cette époque avaient ques. Cette cérémonie est bien connue Saï
coutume d’élaborer des décors imitant par de nombreux textes comme celui-ci Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
les vanneries. provenant d’Edfou 1 : «Je prends le moule. inv. L. 2478
© Elnour

32. Modèle de moule à briques


Terre cuite
L. : 6 cm; l. : 3 cm
Nouvel Empire, règne de Thoutmosis III
Saï
Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
inv. L. 1539

Daté de l’époque de Thoutmosis III, ce


modèle réduit de moule à briques en terre
cuite provient d’un dépôt de fondation.
De facture sommaire, cet objet est asso-

131
Inspirée par la forme des objets réels, 35. Scarabée à tête humaine
cette palette de scribe factice porte deux
pastilles de pierre, l’une en cornaline, Péridotite finement grenue, partiellement ser-
l’autre en schiste, simulant les godets à pentinisée
encre rouge et encre noire. Les deux pier- L.: 6,3 cm; l.: 4,1 cm; ép.: 1,8 cm
res sont entourées du signe hiérogly- Nouvel Empire
phique shen, signifiant « encercler », Saï
symbolisant l’orbe du monde, l’ordre et Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
la stabilité. C’est tout naturellement inv. L. 2472
qu’au-dessous de ces éléments se trou-
vent les six calames du scribe, soigneuse- Cette amulette destinée à être suspendue
ment incisés et représentés dans leur étui. au cou du défunt adopte la forme d’un
Cet objet appartient à la catégorie d’ob- coléoptère, appartenant à la famille Sca-
jets votifs déposés dans les temples ou rabeus sacer qui présente des élytres
les tombes. Une inscription mentionne rayées; le prothorax de l’insecte porte l’i-
souvent le nom de celui qui offre l’objet mage incisée d’Isis; la déesse age-
ainsi qu’une invocation à Thot, le patron nouillée sur le signe de l’or étend les
des scribes. bras, auxquels sont attachés des signes
ânkh en guise de protection. Les pattes
Bibl. : F. GEUS, « Études Nubiennes, Fouilles à du scarabée ne sont pas représentées. La
Saï», in Bibliothèque d’Étude, 77, 1979, pl. XXX; tête et le clypeus de l’animal sont rem-
La Nubie au temps des pharaons (catalogue d’ex- placés par une tête humaine. Le texte
position, Boulogne-sur-Mer, 1975), p. 25, n° 259;
Nubia. Los reinos del Nilo en Sudàn (catalogue
incisé sur le plat du scarabée se compose
d’exposition, Barcelone, Fundación « La Caixa », de neuf lignes horizontales de signes hié-
2003), p. 156, n° 62; A. MINAULT-GOUT, «Tombes roglyphiques. Il fait référence au chapitre
du Nouvel Empire à Saï», in Cahier de Recherches XXX du Livre des Morts (Le Livre de
de l’Institut de Papyrologie et d’Égyptologie de Sortir au Jour) où figure la formule des-
Lille 2, 1974, p. 90; «Palette de scribe votive», in
Nubie. Les cultures antiques du Soudan, à travers
tinée à empêcher le cœur, siège de la
les explorations et les fouilles françaises et franco- mémoire et de la conscience morale, de
soudanaises (catalogue d’exposition, Marcq en porter témoignage contre son proprié-
Baroeul, Fondation Prouvost, 1994), p. 184, n° 276. taire, au moment de la psychostasie.
Soudan, à travers les explorations et les fouilles
AQ françaises et franco-soudanaises (catalogue d’ex-
Les éléments iconographiques et épigra- position, Marcq en Baroeul, Fondation Prouvost,
phiques présents sur le scarabée relèvent 1994), p. 180-181, n° 268.
de la pensée religieuse égyptienne. Les MCB et AQ
Égyptiens pensaient que le coléoptère
34. Vase thériomorphe naît par génération spontanée. Observant
que l’insecte roule une boule devant lui, 36. Miroir
Terre cuite ils en ont fait l’image du jeune soleil,
Bronze
H.: 15 cm; diam.: 9 cm l’héritier de la lumière, assimilé à Horus.
H.: 32,9 cm, disque h.: 13,9 cm; l.: 17,4 cm;
Nouvel Empire Isis, sa mère, contribue à la renaissance
ép.: 1,5 cm.
Soleb solaire. Dans le cas présent, la tête Nouvel Empire
Khartoum, Musée national du Soudan, inv. humaine représente le défunt. L’objet Provenance inconnue
SNM 11843 signifie donc l’espoir que le défunt, au Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
cours de sa métamorphose, ressorte inv. E. 8049
Retrouvé dans le puits d’accès d’une rajeuni comme le soleil du matin.
tombe égyptienne de la nécropole proche Le miroir à manche-statuette est une
du temple d’Amenhotep III, ce vase en Apparus pour la première fois à la XVIIe création égyptienne qui remonte au Nou-
terre cuite représente un étonnant cyno- dynastie, sous le règne de Sobekemsaf vel Empire et qui s’est développée jus-
céphale assis, la main gauche posée sur Ier, ces scarabées ne cessent de se déve- qu’à la Troisième Période Intermédiaire.
un gros sac retombant de part et d’autre lopper et de se répandre durant l’histoire Une centaine de ces objets réalisés sui-
de son genou. égyptienne. vant la technique de la cire perdue a été
répertoriée. Ils avaient principalement
Bibl. : J. REINOLD, Archéologie au Soudan. Les Bibl.: La Nubie au temps des pharaons (catalogue
civilisations de Nubie, Paris, 2000, p. 109. une destination funéraire. Celle-ci est
d’exposition, Boulogne-sur-Mer, 1975), p. 25,
n° 257 ; A. MINAULT et F. THILL, «Scarabée à tête confirmée par la haute valeur symbolique
© Elnour humaine », in Nubie. Les cultures antiques du des éléments qui le composent: le disque

132
rappelle le parcours du soleil; le chapi-
teau papyriforme symbolise le renouveau
de la nature; la nudité juvénile, les bijoux
et la perruque ont une connotation éro-
tique et font référence à la procréation et
à l’éternelle jeunesse. Parfois, les jeunes
filles tiennent dans la main un oiseau ou
un chat, animal qui est également associé
à la sphère érotique. Le miroir de Bruxel-
les, constitué de deux figures féminines
nues dos à dos se tenant les mains, ne
possède pas de parallèle, mais il se situe
dans la tradition des bronziers égyptiens
du début du Nouvel Empire.

En Nubie, des disques de bronze étaient


parfois déposés près des défunts dans les
tombes du Groupe C, comme c’était le
cas en Égypte durant l’Ancien Empire 1.
Des miroirs à manche de forme végétale
ou animale (faucons) ont été mis au
jour dans des tombes de Kerma (Kerma
ancien- classique) 2. Il est clair que le
commerce avec leurs voisins égyptiens a
favorisé les échanges, et que des miroirs
fabriqués en Égypte ont été acheminés en
Nubie. Mais il n’est pas impossible que
les artisans de la culture de Kerma aient
eu une production spécifique de miroirs
en bronze 3. Des miroirs-statuette ont été
mis au jour en Nubie dans un contexte
funéraire égyptien, notamment à Qustul,
à Semna et à Aniba 4. En revanche, c’est
dans le temple de Bouhen qu’un manche-
statuette représentant une jeune fille
offrant un chat a été découvert 5.

Le double miroir de Bruxelles préfigure


peut-être les exceptionnelles réalisations
en métal précieux découvertes dans la
tombe du roi Shabaka à El Kurru, dans
celles des rois Amani-natake-lebte et de
Nastasen à Nuri. Les manches de ces
miroirs sont de véritables chefs-d’œuvre
d’orfèvrerie, comprenant quatre figures
en relief adossées à un fût de colonne
végétale. Le manche-sculpture de Sha-
baka (vers 716-702 av. J.-C.) 6 représente
quatre déesses debout autour d’une
colonne palmiforme; celui d’Amani-
natake-lebte (538-519 av. J.-C.) 7 repré-
sente le souverain aux côtés de trois
dieux: Amon, Horus, Rê-Horakhti autour
d’une colonne papyriforme; et enfin celui
de Nastasen (vers 320-310 av. J.-C.) 8 est
dédié à la triade thébaine, Amon, Mout

133
et Khonsou, accompagnée d’Hathor. Ces
miroirs font partie des plus belles réali-
sations des orfèvres des époques kou-
chite et méroïtique.

Bibl. : C. DERRIKS, « Les miroirs cariatides égyp-


tiens en bronze. Typologie, chronologie, symbo-
lique », in Münchner Ägyptologische Studien, 51,
Mayence, 2001, n° 36, p. 141-142.

1 C.M. FIRTH, The Archæological Survey of Nubia.


Report for 1908-1909, II, Le Caire, 1912, pl. 39,
c, 1-4. Disque de miroirs du Groupe C.; ID., The
Archæological Survey of Nubia. Report for 1910-
1911, Le Caire, 1927, pl. 65 d, 2-3; T. SÄVE-SÖDER-
BERGH, « Preliminary Report of the Scandinavian
Joint Expedition, Archæological Investigations
between Faras and Gemai, Nov. 1961-March 1962 »,
in Kush, XI, 1963, p. 55; D. DUNHAM, Excavations
at Kerma, VI, Boston, 1982, pl. XXXVIIa, N 35,
N 90, N 100, N 120, N 131, N 183.
2 D. DUNHAM, Excavations at Kerma, VI, Boston,

1982, pl. XXXVIIa, N 35, N 90, N 100, N 120,


N 131, N 183; B. GRATIEN, La grande nécropole
Kerma de l’île de Saï, in Cahiers de recherches de
l’Institut de papyrologie et d’égyptologie de Lille,
5, 1979, p. 179, fig. 9; ID., Les cultures de Kerma.
Essai de classification, Lille, 1978, p. 196, fig. 57.
Cette dague a été découverte dans la for- 38. Cône funéraire de Merymes,
3 Sur la fonderie découverte à Kerma, voir Ch. teresse égyptienne de Semna. L’attache vice-roi de Koush
BONNET, « Les fouilles archéologiques de Kerma de la lame porte une petite scène gravée
(Soudan)», in Geneva, n.s., XXX, 1982, p. 8-9. sur les deux faces montrant l’emprise Terre cuite
4 C. DERRIKS, « Les miroirs cariatides égyptiens
d’un lion, symbole de la puissance sou- L.: 15,3 cm; diam.: 6,9 cm
en bronze. Typologie, chronologie, symbolique », Nouvel Empire, XVIIIe dynastie
in Münchner Ägyptologische Studien, 51, Mayence,
veraine de l’Égypte, sur un personnage
nubien d’un côté et asiatique de l’autre. Égypte, Qurnet Muraï ?
2001.
5 Parmi les débris de surface d’un dépôt de la Ce décor résume la politique menée à Collection privée
XVIIIe dynastie dans l’enceinte du temple. W. B. l’époque dans les marges méridionales et
EMERY, H. S. SMITH et A. MAILLARD, «The Fort- orientales du royaume, où les conquêtes
ress of Buhen. The Archæological Report », in
Egypt Exploration Society, XV, Excavation Memoir,
militaires se succèdent.
49, Londres, 1979, pl. 105, f-h, 1662, p. 159; Sou-
dan. Royaumes sur le Nil (catalogue d’exposition, Bien que le Nubien ne soit plus véritable-
Paris, Institut du monde arabe, 5 février - 31 août ment perçu comme un ennemi, il n’en
1997), p. 132, n° 136. demeure pas moins considéré comme
6 D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush, I.,

El-Kurru, Cambridge, Mass, 1950, KU 15, p. 57,


tel d’un point de vue symbolique. Les
«not registered», pl. LXII. diverses figures présentant les Nubiens
7 D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush, II, en position d’infériorité, en tant que
Nuri, Boston, 1955, p. 156, fig. 117, p. 155, 17-1- captifs foulés du pied par les rois et les
11, pl. XCI, A-E. dieux reflètent plus un langage iconique
8 ID., op. cit., II, p. 247, fig. 192, p. 249, 17-2-1992,

pl. XCII; Soudan, op. cit., n° 266.


et idéologique qu’une réalité tangible.
CD Bibl.: B. PORTER et R.L.B. MOSS, Topographical
Bibliography of Ancient Egyptian Texts, Reliefs
and Paintings, VII Nubia, The Deserts, and outside
Egypt, Oxford, 1951, p. 150; D. DUNHAM-J. JANS-
SENS, in Bulletin of the Museum of Fine Arts,
37. Dague XXVI/156, 1928, p. 62, ill. 4, 64; J. VERCOUTTER, in
The image of the Black in Western Art, New York,
Bronze 1976, p. 83 sq., ill 57-58; Soudan. Royaumes sur le
L.: 41,2 cm; l.: 5,15 cm; ép.: 0,9 cm Nil (catalogue d’exposition, Paris, Institut du
monde arabe, 1997), p. 134 et sq., n° 138; Nubia.
Nouvel Empire, XVIIIe dynastie
Los reinos del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposi-
Semna, Harvard University Expedition, 1924 tion. Barcelona, Fundación «La Caixa», avril - août
Khartoum, Musée national du Soudan, inv. 2003), p. 190, n° 109.
SNM 2468 AQ

134
Cat. 37
Horus et, sur l’autre face, l’image d’Osi- 40. Fragment de sistre
ris debout devant Isis. Une inscription
identifie le rapace coiffé du pshent, Faïence
la double couronne d’Égypte. Il s’agit H.: 10 cm; l. max.: 6,6 cm; l. min.: 2,9 cm
de l’Horus de Baki (c’est-à-dire Kou- Troisième Période Intermédiaire ?
ban), vénéré à la première cataracte et Provenance inconnue
plus au sud, jusqu’à Kouban. Deux Collection privée
autres formes du dieu solaire font l’objet
d’un culte en Nubie : l’Horus de Miam Ce fragment de sistre hathorique, instru-
(Aniba) et l’Horus de Bouhen. Sous le ment de musique, dont il manque une
règne d’Horemheb, à la fin de la XVIIIe partie du manche et la partie supérieure
dynastie, se développe le culte de l’Ho- évoquant la caisse de résonnance, appar-
rus de Meha. Sur la face arrière de la tient à la catégorie des objets votifs.
stèle, Osiris momiforme, coiffé de la
couronne atef et tenant les sceptres royaux Hathor, au visage féminin doté d’oreilles
En Égypte, les cônes funéraires apparais- à la main, se tourne vers sa sœur-épouse, de vache, porte la perruque qui la distin-
sent durant la XIe dynastie. Á l’origine, identifiée par une inscription: «Isis, mère gue et un collier ousekh. De chaque côté
ils sont disposés en frise sur les façades divine (?)». de la tête divine figurent deux uræi, coif-
des chapelles des tombes, mais ils peu- fés, d’une part, de la couronne rouge,
vent également être offerts aux temples À Kouban, se dressait la forteresse qui symbole de la Basse Égypte, d’autre part,
dans le but d’attirer les faveurs des dieux défendait l’entrée du Ouadi Allaqi et de la couronne blanche évoquant la
sur le défunt. Il s’agit en réalité d’une l’accès aux mines d’or tant convoitées par Haute Égypte. «Dame de la Turquoise»
forme particulière de sceaux qui présen- les pharaons depuis le Moyen Empire. par excellence, titre auquel le matériau
tent à la base une courte formule d’of- Associer la triade osirienne, à laquelle les du sistre fait référence, Hathor est aussi
frande ou, simplement, le nom et les souverains égyptiens sont étroitement liés la Déesse Lointaine, allégorie de la crue
titres et défunt. (le pharaon n’est-il pas l’Horus vivant ?) du Nil, revenant annuellement de Nubie.
revient à assurer la suprématie de l’Égypte
Le texte mentionne «Le bienheureux sur la terre qui fournit l’or, cette précieuse Sur le manche du sistre, deux cartouches
auprès d’Osiris, fils royal de Koush, matière première, essentielle dans l’univers sont partiellement lisibles : « Le roi de
Merymes». Ce «fils royal», c’est-à-dire, religieux égyptien. Haute et de Basse Égypte, Nefer-ka-Rê»
vice-roi de Koush, représente directement et «Le fils de Rê, Ouah-[…]- Rê». Plu-
le pharaon en Nubie. Merymes est contem-
Bibl.: inédit. sieurs souverains égyptiens portent le
MCB nom de Nefer-ka-Rê, à savoir Pépi II de
porain de Thoutmosis IV et d’Amenhotep
III. Sa tombe, située à Qurnet Muraï (TT la VIe dynastie, Chabaka, pharaon de la
38), a laissé plusieurs sarcophages et XXVe dynastie, et un roitelet du Delta,
diverses statues et stèles, aujourd’hui contemporain de Psammétique Ier, à la
conservés dans différents musées. Quatre- XXVIe dynastie. Quant à Ouah-[…]- Rê,
vingt-cinq cônes funéraires semblables à selon qu’il représente Ouah-ib-Rê ou
celui-ci ont été mis au jour à proximité de Ouah-ka-Rê, il peut être soit Bocchoris
la sépulture du vice-roi de Nubie, par (Ouah-ka-Rê) un rival de Chabaka, pha-
l’archéologue H. Gauthier en 1917-1918. raon à la XXIVe dynastie, Psammétique Ier
et Apriès de la dynastie saïte, tous deux
Bibl.: inédit. appelés Ouah-ib-Rê.
AQ
Si les deux cartouches désignent deux
rois différents, trois hypothèses peuvent
39. Stèle être émises. S’ils représentent Chabaka
et Bocchoris, ils mettent en présence
Talc
H.: 7,4 cm; l.: 4,1 cm deux ennemis mortels puisque le pha-
Nouvel Empire, XIXe ou XXe dynastie raon nubien a défait et tué Bocchoris.
Kouban ? En second lieu, nous pourrions avoir
Collection privée affaire à un hommage rendu par Psam-
métique Ier (Ouah-ib-Rê), par exemple,
Cette stèle cintrée dont les coins supé- à Pépi II (Nefer-ka-Rê), roi prestigieux
rieur et inférieur droits sont perdus, porte de l’Ancien Empire. En troisième lieu,
sur une face, la représentation du faucon Psammétique Ier (Ouah-ib-Rê) et un roi

136
3 Chr. ZIEGLER, Musée du Louvre. Département
des Antiquités égyptiennes. Catalogue des instru-
ments de musique égyptiens, Paris, 1979, p. 33 et
n° 45-47, p. 48. Voir aussi la partie supérieure d’un
sistre, ayant malheureusement perdu sa poignée,
conservé à Providence, au Museum of Art, Rhode
Island School of Design, inv. 1995.050.

MCB et JB

41. Oushebti du roi Taharqa


Granit
H.: 41,3 cm; l.: 14,5 cm; ép.: 9 cm
XXVe dynastie, règne de Taharqa (690-664
av. J.-C.)
Nouri, pyramide I
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 6111

Se présentant sous la forme d’une effigie


momiforme, ce genre de statuette repré-
sente un personnage qui tient différents
types d’outils, mais le plus souvent une
houe et un sac de grains. Dans le cas pré-
sent, ce personnage porte une barbe, un
uræus et la coiffe enveloppante khât. Il
porte également deux houes et deux sacs
de grains sur les épaules. Une inscription
est gravée sur la partie inférieure du
corps. Il s’agit du chapitre VI du Livre des
Morts (Livre pour sortir au jour) dans
lequel est cité l’ensemble des corvées
agricoles, théoriquement demandées au
défunt, mais dont le serviteur assume la
charge. Dans ce cas-ci, nous pouvons
y lire « Illumination [ou instruction] de
l’Osiris, le roi Taharqa. Il dit : « Ô cet
oushebti, si on inspecte, si on appelle, si
on dénombre le roi Taharqa juste de voix,
pour remplir ses obligations, en écartant
le mal du roi au cours de ses prestations:
«Me voici», diras-tu. [Si] on inspecte en
Nefer-ka-Rê auraient-ils régné simulta- Un argument stylistique plaide en faveur tout temps où l’on travaille pour faire
nément pendant une courte période, au de l’époque tardive en tout cas: la forme croître les champs, pour remplir les
début de la XXVe dynastie ? carrée du menton d’Hathor. Cette parti- canaux d’irrigation, pour transférer le
cularité se remarque sur d’autres exem- sable de l’est à l’ouest et vice versa; si on
Il reste à formuler une dernière hypo- plaires de sistre, dont l’un porte la titula- mande le roi Taharqa juste de voix, pour
thèse, au cas où les deux cartouches ture de Psammétique Ier 2 et sur une statue faire tous les travaux qui se font dans la
appartiendraient à la titulature d’un seul sistrophore de Montouemhat 3. nécropole: «Je le fais, me voici» diras-tu
roi nommé Nefer-ka-Rê, Ouah-ka-Rê 1. dans la nécropole, « C’est moi qui suis
En effet, les deux noms se trouvent men- Bibl.: inédit. toi» 1. Taharqua est le plus célèbre repré-
tionnés côte à côte sur deux documents. 1 J. YOYOTTE, «Un nouveau souvenir de Sheshanq I
sentant des rois nubiens de la XXVe
Il pourrait s’agir alors d’un roi, quasi- et un muret héliopolitain de plus», in Revue d’Égyp- dynastie. Il est aussi celui qui a fait res-
ment inconnu, de l’époque de la Troi- tologie, 54, 2003, p. 252, n. 129. taurer le plus d’objets et de monuments,
sième Période Intermédiaire. 2 San José, Rosicrucian Museum, inv. 1731. notamment au temple de Karnak.

137
L’usage de ce type de statuettes funérai-
res apparaît en Égypte au Moyen Empire.
Appelées alors shaouabtis (de l’égyptien
shaouab, c’est-à-dire « nourrir »), les
figurines s’identifient au défunt. À la
XXIIe dynastie, le vocable oushebti (de
l’égyptien ousheb qui signifie « répon-
dre») les désigne. Ce terme indique aussi
le changement de relation qui s’instaure
entre la statuette et le défunt. Il s’agit
désormais d’une relation hiérarchique de
maître à serviteur.

Bibl.: D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush,


II Nuri, Boston, 1955, p. 284; M. WERBROUCK,
« Archéologie de Nubie. Napata », in Bulletin des
Musées royaux d’Art et d’Histoire, 14, 1942, p. 27
et 29, fig. 3.

Pièces de comparaison: Soudan. Royaumes sur le


Nil (catalogue d’exposition, Paris, Institut du
monde arabe, 1997), p. 194 et sq.

1 M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.

Napata », in Bulletin des Musées royaux d’art et


d’histoire, 14, 1942, p. 29.
AQ

42. Oushebti du roi Taharqa


Granit
H.: 26,6 cm; l.: 9,2 cm; ép.: 6,5 cm
XXVe dynastie, règne de Taharqa (690-664
av. J.-C.)
Nouri, pyramide I
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 6110

Bien qu’appartenant également à Taharqa,


la physionomie de cet oushebti est fort
différente de celle de la statuette précé-
dente. Le roi porte la barbe et la coiffe
enveloppante khât surmontée d’un uræus.
Il tient deux houes et ses épaules suppor-
tent deux sacs de grains. L’inscription
du chapitre VI du Livre pour sortir au
jour est complète et détaillée: «Illumina-
tion [ou instruction] de l’Osiris, le roi
Taharqa. Il dit : « Ô cet oushebti, si on
inspecte, si on appelle, si on dénombre le
roi Taharqa juste de voix, pour remplir
ses obligations, en écartant le mal du roi
au cours de ses prestations: «Me voici»,
diras-tu. [Si] on inspecte en tout temps
où l’on travaille pour faire croître les
champs, pour remplir les canaux d’irri-
gation, pour transférer le sable de l’est

138
43. Roi agenouillé
Bronze doré
H.: 8,2 cm; l.: 3,3 cm
Kawa, temple T, salle hypostyle n° 0973.
XXVe dynastie, règne de Taharqa ?
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 6942

Cette statuette représente un roi agenouillé


dans l’attitude de l’offrande, les bras
portés vers l’avant, les paumes des mains
se faisant face. Il est vêtu de la shendjit
au plissé large maintenue par une cein-
ture. Il porte une coiffe arrondie décorée
de cercles incisés. Le front est ceint d’un
large diadème fixé à l’arrière par deux
longues terminaisons qui suivent la
courbe du cou et atteignent les omopla-
tes. Deux uræi couronnés se dressent au
centre du diadème et s’étirent jusqu’à
l’arrière de la tête. Le roi est paré d’une
cordelette croisée dans la nuque et ornée
de trois pendentifs en forme de bélier.
L’amulette principale est couronnée du
disque solaire.

La figure du roi se distingue par une large


carrure, une tête ronde et une nuque
ramassée et épaisse. Le modelé du corps
est peu accentué. Un enduit noir sur
lequel l’or avait été appliqué est encore
visible à plusieurs endroits. De nombreu-
ses traces du revêtement d’or persistent
sur le cobra, au sommet du crâne, sur la
coiffe, au poignet, sur le pagne, sur la
jambe, etc.

Cette sculpture de bronze a été décou-


verte avec d’autres statuettes cultuelles
similaires à Kawa, au sud de la troisième
cataracte du Nil. La ville de Kawa a joué
à l’ouest et vice versa; si on mande le Bibl.: D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush, un rôle clef dès l’arrivée au pouvoir de la
roi Taharqa juste de voix, pour faire t. II Nuri, Boston, 1955, p. 284. Plusieurs autres dynastie koushite 1. Des inscriptions font
oushebti de Taharqa, notamment dans Nubia. Los
tous les travaux qui se font dans la nécro- en effet allusion à la restauration d’un
reinos del Nilo en Sudán (catalogue d’exposition.
pole : « Je le fais, me voici » diras-tu Barcelona, Fundación «La Caixa», 2003), p. 294; édifice religieux et à la construction d’un
dans la nécropole, « C’est moi qui suis M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie. Napa- nouveau temple dédié à Amon, important
toi» 1. ta », in Bulletin des Musées royaux d’Art et d’His- du point de vue des cérémonies de cou-
toire, 14, 1942, p. 27 et 29, fig. 2. ronnement. Les rois koushites se consi-
Pièce de comparaison : S. WENIG, Africa in Anti-
En Égypte, à la XXVe dynastie, les ser- déraient comme les fils du dieu Amon.
quity. The Arts of Ancient Nubia and the Sudan II
viteurs funéraires ne sont généralement (catalogue d’exposition, Brooklyn, The Brooklyn Ils se distinguaient des pharaons par des
plus réalisés en pierre. Néanmoins, dans Museum, 1978), p. 169, n° 78. ornements spécifiques que l’on reconnaît
un désir d’archaïsme et de traditiona- sur cette statuette. Ils portaient notam-
1 M. WERBROUCK, «Archéologie de Nubie. Napata»,
lisme, Taharqa fait exécuter pas moins ment une coiffe particulière arrondie 2,
in Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire,
1070 exemplaires de ces répondants en 14, 1942, p. 29.
dite coiffe koushite, qui était rehaussée
pierre de couleurs et de grains différents. AQ de deux uræi dressés surmontés de la

139
Période Intermédiaire. La signification du 44. Stèle de donation fragmentaire
geste des bras et le sens de l’offrande ne
sont pas clairement établis 6. Calcaire compact
H. max.: 26,5 cm; l.: 28 cm
Bibl.: Chroniques d’Égypte, X, 20 (1935), p. 324; XXVe dynastie, règne de Taharqa
K. BOSSE, «Zwei Kunstwerke aus der Ägyptischen Provenance inconnue mais probablement la
Sammlung der Eremitage», Zeitschrift für ägyptis- région d’Athribis
che Sprache und Altertumskunde, LXXII 1936, Collection privée
p. 132, n. 3; M.F.L. MACADAM, The Temples
of Kawa, II, History and archæology of the site,
in Oxford University excavations in Nubia, Oxford, De ce monument inédit 1, on ne possède
Londres, 1955, pl. 79A [0973], p. 144; B. PORTER, que le sommet cintré où apparaît une
R.L.B. MOSS, Topographical Bibliography of scène rituelle réunissant trois figures
Ancient Egyptian Hieroglyphic Textes, Reliefs and
debout, dont il manque le bas. De droite
Paintings, VII Nubia, The Deserts and outside
Egypt, Oxford, 1951, p. 189; M. WERBROUCK, à gauche, on découvre un roi officiant
« Salle de Nubie », in Bulletin des Musées royaux devant un dieu suivi d’une déesse, le
d’Art et d’Histoire 24, 1952, p. 8-9; J. LECLANT, tout s’insérant dans un cadre constitué
Recherches sur les monuments thébains de la XXVe de deux sceptres ouas supportant un
dynastie dite éthiopienne, in Bibliothèque d’Études,
ciel stylisé sous lequel plane un disque
36, Le Caire 1965, p. 329, n. 3; R. RUSSMANN, The
Representations of the king in the XXVth dynasty, solaire ailé.
Bruxelles, 1974, p. 60, n. 11, fig. 18; ID., « Some
Reflections on the Regalia of the Kushite Kings of Le roi, reconnaissable à l’uræus dressé
Egypt», in Africa in Antiquity. The Arts of Ancient au-dessus de son front, porte la coiffe
Nubia and the Sudan, in Meroitica, 5, p. 49-54,
pl. IX; J. Ch. BALTY et alii, Musées royaux d’Art et
némès et un pagne à devanteau trian-
d’Histoire, Bruxelles, Antiquité, Bruxelles, 1988 gulaire. De ses deux mains, il élève vers
(Musea Nostra, 20, p. 34); F. LEFÈBVRE et B. VAN le dieu le symbole de la campagne – un
RINSVELD, L’Égypte. Des pharaons aux Coptes, marais d’où émergent des roseaux –, ce
Service éducatif, Musées royaux d’Art et d’His- geste étant commenté dans un texte dont
toire, Bruxelles, 1990, p. 152, 160; Nubia. Los rei-
nos del Nilo en Sudán (catalogue d’exposition.
il ne reste que le début: heneq, « offrir».
Barcelone, Fundación «La Caixa», p. 174, n° 88; Cette image est surmontée d’une légende
M. HILL, « Royal bronzes statuary from ancient livrant deux noms en cartouche qui cor-
Egypt with special attention to the kneeling pose», respondent à ceux de Taharqa, troisième
couronne blanche et de la couronne rouge. in Egyptological Memoirs, Leyde, Boston 2004,
Leur dévotion au dieu thébain se mani- et dernier roi de la XXVe dynastie éthio-
p. 183, n° 78, K-24.
festait non seulement dans les temples pienne à avoir véritablement exercé son
qui étaient édifiés en son honneur mais 1 Elle s’appelait «Gematen» et avait probablement pouvoir sur l’Égypte. La portée de l’of-
encore dans leurs bijoux: des pendentifs, été fondée par Akhenaton. M.F.L. MACADAM, The frande accomplie par le souverain est
Temples of Kawa, II, History and archæology of déterminante car celle-ci permet de pré-
bracelets, boucles d’oreilles, etc. en forme the site, in Oxford University excavations in Nubia,
de tête de bélier. L’identité du souverain Oxford-Londres, 1955, p. 12-13.
ciser que la stèle commémorait probable-
représenté par cette sculpture est hypo- 2 L. TÖRÖK, The royal crowns of Kush. A study in ment la donation d’un domaine agricole,
thétique car il n’y a pas de cartouche the middle Nile valley regalia and iconography in dont les détails devait être mentionnés
the 1st millenia B.C. and A.D., in BAR Internatio- dans une inscription gravée dans la partie
inscrit 3. Le style koushite du visage, les
nal Series, 338, Oxford, 1987, p. 4 s. manquante 2.
joues arrondies, la bouche étroite avec 3 Il est donné pour Taharqa, in M. WERBROUCK,
des lèvres ourlées, est bien caractéris- «Salle de Nubie», dans Bulletin des Musées royaux
tique. Il est possible que ces traits repré- d’art et d’histoire, 24, 1952, p. 8-9. Il représenterait Le dieu auquel s’adresse l’offrande appa-
sentent ceux du roi Taharqa promoteur Chabaka (?) dans J. Ch. BALTY et alii, Musées raît avec un collier ousekh autour du cou
royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, Antiquité, et une croix ânkh dans sa main droite
de la construction du temple d’Amon. Le
Bruxelles, 1988 (Musea Nostra, 20, p. 34).
style de la statuette autorise un rappro- 4 Taharqa, prov. Inconnue, XXVe dynastie. Berlin,
tombant le long du corps. Mais surtout,
chement avec une statuette inscrite figu- Ägyptisches Museum und Papyrusammlung, il se présente apparemment nu, avec la
rant le roi Taharqa agenouillé 4. Une autre n° 3497. H. 15,5 cm. Soudan. Royaumes sur le Nil couronne de Haute et Basse Égypte sur
sculpture de bronze découverte dans le (catalogue d’exposition, Paris, Institut du monde la tête et un pendentif cordiforme sur le
arabe, 5 février 1997 - 31 août 1997), p. 179. torse, portant un doigt de sa main gauche
temple A de Kawa et également inscrite 5 British Museum. M. HILL, op. cit., p. 160, pl. 38,
au nom de Taharqa offre quelques points à la bouche, ce qui permet de reconnaître
Kawa n° 0974.
de ressemblance 5. En réalité, les statuet- 6 Voir à ce propos : M. HILL, Royal bronzes sta- en lui un avatar du dieu enfant qui
tes de rois agenouillés ont été très appré- tuary from ancient Egypt with special attention incarne aux époques tardives la figure
ciées durant la période koushite, car elles to the kneeling pose, in Egyptological Memoirs, royale par excellence. Le nom surmon-
Leyde, Boston 2004, p. 69. tant sa représentation vient d’ailleurs le
sont nombreuses mais souvent anonymes.
Ce type était connu depuis la Troisième CD confirmer puisqu’il le désigne comme

140
Cat. 43
laissés par le souverain dans le nord du
pays sont d’ailleurs très peu nombreux et
surtout limités à deux villes, dont préci-
sément Athribis 6. Dans le temple local,
non seulement quelques éléments archi-
tecturaux conservent le souvenir d’une
construction menée sous sa tutelle, mais
un ex-voto en forme de contrepoids de
collier menat associe son image à celle
du patron de la localité. Ces traces de
l’influence de Taharqa à Athribis ne sont
d’ailleurs guère surprenantes, cette ville
demeurant assez peu éloignée de Mem-
phis, point d’appui des Éthiopiens en
Basse Égypte où le roi s’est fait couron-
ner et où il a établi une résidence.
OP

1 Il a seulement été signalé dans O. PERDU, «La


chefferie de Sébennytos de Piankhy à Psammétique
Ier », in Revue d’Égyptologie, 55 (2004), p. 109, n. 91.
2 Pour plus d’informations sur ce type d’objet,

consulter l’étude de D. MEEKS, devenue une réfé-


rence en la matière, dans E. LIPINSKI (éd.), State
and Temple Economy in the Ancient Near East, II,
Proceedings of the International Conference orga-
nized by the Katholieke Universiteit Leuven from
the 10th to the 14th of April 1978, in Orientalia
Lovaniensia Analecta, 6, 1979, p. 605-687.
étant Harpocrate, autrement dit «Horus- XXVe dynastie mentionnant un prophète 3 Cf. P. VERNUS, Athribis in Bibliothèque d’Étude,

l’enfant». La déesse qui l’accompagne se de l’Harpocrate d’Athribis 5. C’est donc à 74, 1978, p. 347-350 et 354.
4 Cf. P. VERNUS, op. cit., p. 459-460.
présente sous une forme assez banale. la divinité juvénile de cette localité que 5 Cf. P. VERNUS, op. cit., p. 460-461.
Pourvue d’une couronne hathorique, devait profiter la donation commémorée 6 L’autre ville étant Tanis. Pour plus de détails, se

d’une perruque tripartite, d’un collier et par la stèle, et il ne fait alors guère de reporter à O. PERDU, op. cit., p. 109.
d’une robe moulante à bretelles, elle sai- doute que l’origine du monument soit à
sit de sa main gauche un sceptre ouas et rechercher du côté d’Athribis, où il reflè-
de l’autre une croix ânkh. Son nom en terait l’intérêt porté au culte des diverses
revanche est assez original, les hiérogly- formes de dieu enfant depuis le début de 45. Scarabée de Shepenoupet
phes qui la précèdent l’identifiant comme la Troisième Période Intermédiaire.
«Isis dame de Kem». Grâce à cette réfé- Lapis-lazuli
rence géographique, on est en mesure de Le fait que Taharqa soit représenté L.: 2,2 cm; l.: 1,1 cm
mieux situer les divinités représentées et, offrant le symbole de la campagne à Har- XXVe dynastie
Provenance inconnue
au-delà, l’origine du monument. Ce qui pocrate ne signifie pas pour autant qu’il
Collection privée
est écrit Kem correspond en effet à une est le véritable bienfaiteur du dieu, cette
graphie répandue aux époques tardives image du roi s’imposant sur l’ensemble
du nom d’Athribis 3, capitale provinciale des stèles commémorant des cessions de
du Delta à un peu plus d’une soixantaine terres, qu’elles soient d’origine royale ou
de kilomètres au nord de Memphis. L’I- privée. Sa présence n’en est pas moins
sis en question est donc celle d’Athribis, significative, car elle permet au moins
parèdre du patron de la ville, dont la d’établir que son autorité était reconnue
documentation locale atteste la présence dans la région d’Athribis au moment de
dès la période ramesside 4. Quant à la donation. Ce détail n’est pas sans inté-
«l’Horus-l’enfant» qu’elle suit, il s’agit rêt car ce roi a éprouvé autant de difficul-
très probablement de celui de cette même tés que ses deux prédécesseurs à s’impo-
localité, qui se présente ainsi comme sa ser face aux chefs locaux qui se
progéniture et dont la plus ancienne trace partageaient le Delta depuis la fin de la
apparaît sur un autre document de la domination libyenne. Les témoignages

142
Cat. 46
Ce scarabée en lapis-lazuli fait partie de Celle-ci a également livré des perles de
la catégorie dite «naturaliste» parce qu’il collier, des plaquettes de calcédoine, un
représente d’une façon très minutieuse le collier de perles, un chaton de bague
coléoptère Scarabeus sacer associé au avec le cartouche de Menkheperrê
soleil levant. Le plat est gravé au nom de (Thoutmosis III), trois vases en calcite,
Shepenoupet écrit en hiéroglyphes à l’in- des scarabées… également conservés
térieur d’un cartouche. Deux princesses aux Musées royaux d’Art et d’Histoire
portant ce patronyme sont les détentrices de Bruxelles. L’un des scarabées se
d’une charge religieuse et politique très trouve au Musée national du Soudan à
importante créée à la fin du Nouvel Khartoum.
Empire: celle de prêtresse, d’Épouse du
Dieu (Amon), Divine Adoratrice dans le L’albâtre a une valeur symbolique assez
temple d’Amon à Karnak. Le fait que importante en Égypte ancienne. En
leur nom soit inscrit dans un cartouche effet, en raison de sa couleur translucide
souligne le caractère quasi royal de la qui mêle des nuances de blanc ou de
fonction. Celle-ci est d’abord occupée jaune strié de blanc comme dans cet
par Shepenoupet, fille d’Osorkon III, qui exemple, il fut utilisé dans la confection
la transmet à Aménirdis, sœur du pha- de nombreux objets liés au domaine
raon Piyé de la XXVe dynastie. Plus tard, funéraire (tables d’embaumement, sarco-
la dernière princesse nubienne à assumer phages…), dans la statuaire (nombreuses
cette fonction est Shepenoupet II qui offi- statuettes d’Amenhotep III ou de la Divine
cie sous les règnes de Chabataka, Adoratrice Aménirdis) et la vaisselle
Taharqa et Tanoutamon. Nitocris, fille de (coupes et vases destinés à recevoir les
Psammétique Ier, lui succède, attestant aliments et les parfums).
ainsi la suprématie de la XXVIe dynastie,
Bibl. : F.L. GRIFFITH, « Oxford excavations in
dite saïte, sur la ville de Thèbes.
Nubia », in Annals of Archæology and Anthropo-
logy, 10, 1923, p. 85, 134-135.
Bibl.: inédit.
Une amulette similaire (Londres, British AQ
AQ
Museum, inv. 54412) présente une
variante où est ajoutée une représentation
du génie Heh, signifiant «éternité», avec
46. Ânkh votif
un disque solaire sur la tête et un stipe de
Faïence égyptienne palmier à chaque main. Le souhait for-
H.: 26,7 cm; l.: 11,1 cm; ép.: 1,8 cm mulé dans ce cas-ci peut se comprendre
XXVe dynastie, environ 700 av. J.-C. comme « Vie, stabilité, prospérité éter-
Égypte, El Kab, crypte du temple de Nekhbet nellement».
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 7711 Bibl.: H. DE MEULENAERE, Het leven na de dood
in het Oude Egypt (catalogue d’exposition, Ton-
gres, 1969), p. 47, n° 83.
Cette amulette, fort restaurée, combine la
AQ
forme de trois hiéroglyphes: le signe de
vie ânkh; le pilier djed qui évoque la
colonne vertébrale d’Osiris et symbolise
la stabilité; et le sceptre à tête d’animal
47. Alabastron
ouas, signifiant littéralement «être vert», Albâtre (calcite)
c’est-à-dire, rajeunir, reverdir. Le signe H.: 14 cm; l.: 4,5 cm
ânkh porte le djed lui-même surmonté XXVe dynastie
du ouas. Il s’agit d’un souhait de «Vie, Méroé
stabilité, renaissance-renouvellement » Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
adressé au propriétaire. L’objet porte une inv. E. 5704 (8)
inscription à l’encre noire partiellement
effacée où «Amon-Rê, roi des dieux» est Ce flacon allongé dont la panse s’élargit
cependant clairement lisible. Sa destina- vers le bas, présente une lèvre aplatie et
tion votive ne fait aucun doute puisqu’il deux anses. À l’origine destiné à recevoir
provient de la crypte du temple de Nekh- un cosmétique, il fait partie des objets
bet à El Kab. trouvés dans la tombe 210 de Méroé.

144
48. Cône funéraire Instauré dès le Nouvel Empire, lorsque
au nom de Montouemhat le territoire nubien est conquis par les
Égyptiens, cet attribut caractérise les sou-
Terre cuite verains koushites.
L.: 20,7 cm; diam.: 8,3 cm
XXVe - XXVIe dynastie L’identification de ce roi n’est pas assu-
Égypte, el-Assasif ? rée. Néanmoins, certains traits invitent
Collection privée à y voir Chabaka, notamment le cou
puissant, qualifié de « cou de taureau »,
Ce cône funéraire porte quatre registres une caractéristique que l’on retrouve sur
verticaux d’inscriptions hiéroglyphiques plusieurs bronzes représentant ce pharaon.
identifiant le propriétaire : « Le gouver-
neur, trésorier du roi, compagnon unique, Bibl. : P. PAMMINGER, « Features of the Past. A
Quatrième Prophète d’Amon, prince de royal Statuary and its Secret», in Revue d’Égypto-
logie, 51, Paris, 2000, p. 153-173.
la ville, Montouemhat justifié (?)».
AQ
Montouemhat, qui porte les titres de
«Prince de la ville» et «Quatrième Pro-
phète d’Amon », vécut à une période 50. Scarabée de Chabaka
cruciale et a été le témoin de grands
Stéatite
changements politiques. À cette époque, L.: 3,8 cm; l.: 2,5 cm
l’Égypte passe successivement aux mains XXVe dynastie, règne de Chabaka
des pharaons de la XXIVe dynastie, de la Provenance inconnue
XXVe dynastie, dite «nubienne», et de la Collection privée, ancienne collection du Duc
XXVIe dynastie, dite «saïte». Il servit les de Northumberland
rois nubiens Taharqa et Tanoutamon
dont il supervisa les travaux à Karnak et
à Medinet Habou. À la suite de l’inva-
sion assyrienne de l’Égypte et de la mise 49. Statuette de Chabaka (?)
à sac de Thèbes, il devint gouverneur de
Bronze
la Haute Égypte et donc le personnage le
H.: 11,6 cm; L.: 5,5 cm; l.: 2,3 cm
plus important de la région. La tombe de
XXVe dynastie
Montouemhat (TT 34) est la plus grande Provenance inconnue
de la nécropole d’el-Assasif. Collection privée
Bibl.: inédit.
Bibl. suppl. : J. LECLANT, « Montouemhat, Qua- Cette statuette en bronze représente un
trième Prophète d’Amon, “Prince de la ville”», in roi dans l’attitude de la marche, la jambe
Bibliothèque d’Études 35, Le Caire, 1961. gauche en avant. Tenant un bâton d’ap-
AQ pui à la main droite, il est vêtu du pagne
shendjit et porte le némès surmonté de
deux uræi. Les proportions sont élégan-
tes, la musculature soigneusement souli-
gnée, mais sans excès. Les épaules sont
larges et puissantes, la taille mince. La
physionomie générale, de même que les
traits du visage, témoignent du souci
archaïsant des pharaons de la XXVe
dynastie: les commissures labiales adop-
tant la forme d’un U de l’Ancien Empire,
un nez droit thoutmoside, les yeux arron-
dis et effilés dans le plan facial et latéral
de l’époque d’Amenhotep III, et un corps
rappelant la statuaire du Moyen Empire.

Les deux uræi au front du roi symboli-


sent la double royauté Égypte-Nubie.

145
Au revers de ce scarabée figure un roi Le scarabée à tête de bélier est une créa-
tourné vers la droite. Le souverain, vêtu tion composite fondée sur l’écriture égyp-
du pagne shendjit et coiffé de la cou- tienne. Le bélier se lit ba, mot homophone
ronne rouge, court en tenant une massue de celui qui représente un des aspects
(?) à la main gauche et le flagellum à la de la personnalité humaine et divine. Le
main droite. Entre ses jambes apparaît un ba de Rê, par exemple, peut être figuré
ennemi couché, et devant lui, un ennemi sous l’aspect d’une momie criocéphale.
agenouillé, les bras entravés dans le dos. Le scarabée quant à lui, se lit kheper et
Le souverain est identifié par le cartou- symbolise le soleil levant. Le dos du
che de Nefer-ka-Rê, associé à l’épithète coléoptère porte la représentation de deux
«le beau dieu». De part et d’autre de la cobras coiffés de la couronne rouge, éten-
figure royale apparaissent les mentions dant leurs ailes protectrices autour du
«Protection derrière lui» et «Vie». Les cartouche de Nefer-ka-Rê, c’est-à-dire
personnages se tiennent debout au dessus Chabaka. Sur le plat, un sphinx au corps
du hiéroglyphe heb signifiant «fête». de félin et à la tête humaine coiffée du
AQ némès et pourvue d’un uræus, porte une
barbe postiche; il surmonte deux cartou-
ches au nom de Nefer-ka-Rê (Chabaka).
Les cartouches sont séparés par les hiéro-
51. Scarabée à tête de bélier glyphes ânkh (vie) et djed (stabilité). Ils
reposent sur le hiéroglyphe heb (fête). Un
Stéatite exemplaire assez proche se trouve aux
L.: 2,6 cm; l.: 1,8 cm Musées royaux d’Art et d’Histoire de
XXVe dynastie, règne de Chabaka Bruxelles, inv. E. 3221.
Provenance inconnue AQ
Collection privée

52. Statuette du dieu Thot 53. Oushebti du roi Senkamanisken


Terre cuite Serpentinite
H.: 18 cm; ép.: 9 cm H.: 18,2 cm; l.: 6,6 cm
XXVe dynastie Règne de Senkamanisken (643-623 av. J.-C.)
Kawa, Oxford Expedition in Nubia, 1930 Nouri, pyramide III
Khartoum, Musée national du Soudan, inv. Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
SNM 2725 inv. E. 6109 A

Représenté sous la forme d’un babouin, La figurine représente un roi (barbe pos-
le dieu Thot est assis sur un autel à cor- tiche et némès) momiforme. Deux uræi
niche orné sur les quatre faces d’un pilier dressés au front du souverain symboli-
djed entouré de ouas. Les mains posées sent le double royaume: celui de l’Égypte
sur les genoux, il porte un large collier et celui de la Nubie. Le serviteur funé-
sur la poitrine et se tient dans la posture raire tient aussi à la main les sceptres
sereine du «maître de la magie». heqa (crosse) et nekhakha (flagellum),
attributs royaux par excellence, en lieu et
Bibl. : M.F.L. MACADAM, The Temples of Kawa, place des habituelles houes. Pourtant, si
Londres, 1955, p. 140, pl. LXXV, e; Gods and
Divine Symbols of the Ancient Sudanese Civilisa-
Senkamanisken règne incontestablement
tion: Catalogue of the Sudan National Museum in sur la Nubie soudanaise, il n’est pas le
Khartoum, Moscou, 2006, p. 110-111, n° 90. souverain de l’Égypte. Le souvenir de la
prestigieuse XXVe dynastie reste toute-
Pièces de comparaison: cf. Gods and Divine Sym- fois vivace à l’époque des monarques de
bols of the Ancient Sudanese Civilisation: Catalo-
gue of the Sudan National Museum in Khartoum,
Napata. Les constructions se multiplient
Moscou, 2006, p. 111. au Gebel Barkal qui peut être comparé au
© Elnour Karnak égyptien.

Sur le corps de cet oushebti royal figure


un extrait du chapitre VI du Livre pour

146
sortir au jour (Livre des Morts). La pyra-
mide de Senkamanisken a livré plus de
1277 oushebtis de formes et de factures
diverses. Les plus beaux exemplaires,
dont fait partie l’exemplaire des Musées
royaux d’Art et d’Histoire, représen-
teraient les contremaîtres. Cette hypo-
thèse est motivée par le fait qu’ils sont
les seuls à arborer les regalia du pouvoir
pharaonique.

Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.


Napata », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
d’Histoire 14, 1942, p. 30, fig. 4; Nubia. Los reinos
del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barce-
lone, Fondación «La Caixa» 2003), p. 296, n° 291;
D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush, t. II
Nuri, Boston, 1955, p. 280-282.
AQ

54. Oushebti du roi Anlamani


Faïence égyptienne
H.: 27,3 cm; l.: 8,8 cm
Règne d’Anlamani (623-593 av. J.-C.)
Nouri, pyramide VI
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 6108

Cette figurine funéraire destinée au roi


Anlamani représente un souverain (barbe
tressée et némès) momiforme. Le person-
nage tient une houe à chaque main. La
main gauche tient également une lanière
à laquelle est suspendue un sac de grains
qui repose sur le dos de la statuette. Sur
son corps est gravé un extrait du chapitre
VI du Livre pour sortir au jour (Livre des
Morts).

Les sépultures nubiennes des périodes


antérieures se présentent sous la forme
d’inhumations en fosse ou sous tumulus,
et cela, jusqu’à el-Kourrou. Ce n’est que
lorsque les souverains nubiens annexent
l’Égypte que la forme pyramidale appa-
raît dans les nécropoles du sud, à el-
Kourrou, à Nouri, au Gebel Barkal et à
Méroé. Après la chute de l’empire méroï-
tique et jusqu’à l’avènement du christia-
nisme (du 4e au 6e siècle de notre ère),
la tombe reprend sa forme tumulaire
notamment à Ballana et à Qustul. Cet
emprunt au vocabulaire architectural
est légitimé par la prise de pouvoir
des pharaons noirs sur la terre d’Égypte.

147
S’identifiant alors pleinement à leurs pré-
décesseurs égyptiens, ils vont en adopter
la titulature, les regalia, les traditions
funéraires…

Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.


Napata », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
d’Histoire 14, 1942, p. 32, fig. 5; Nubia. Los reinos
del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barce-
lone, Fondación «La Caixa» 2003), p. 297, n° 292.

AQ

55. Oushebti du roi Aspelta


Faïence égyptienne
H.: 26,2 cm; l.: 7,6 cm
Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.)
Nouri, pyramide V
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 6107A

Cet oushebti royal momiforme est coiffé


du némès et porte une longue barbe tres-
sée. À chaque main, il tient une houe,
mais la main gauche tient également une
lanière à laquelle est suspendue un sac de
grain. Le corps du souverain porte un
extrait du chapitre VI du Livre pour sor-
tir au jour (Livre des Morts) dans lequel
le serviteur funéraire, dont le rôle est de
remplacer le roi dans les corvées de l’au-
delà, assure qu’il répondra à l’appel.

Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.


Napata », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
d’Histoire 14, 1942, p. 32, fig. 5; Nubia. Los reinos
del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barce-
lone, Fondación «La Caixa» 2003), p. 296, n° 293.

AQ

148
56. Vase en calcite au nom d’Aspelta
Albâtre (calcite)
H.: 20 cm; l.: 8,5 cm
Méroé
Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.)
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 3539

Provenant de Méroé, ce vase en calcite,


conservé à l’état fragmentaire, a pu être
restitué grâce à d’autres objets similaires.
Des inscriptions sur les fragments origi-
naux indiquent la fonction du récipient.
On lit l’identification du roi le « Fils de
Rê, Aspelta, aimé de Rê» suivie par une
colonne de hiéroglyphes: «Dire les paro-
les par», le sujet étant la divinité dont l’i-
mage est perdue à l’exception du sceptre,
d’un morceau de bras et de couronne sur-
montée de deux plumes. Cet élément
nous permet d’identifier ce dieu à Amon.
Le cartouche royal est surmonté d’un
disque solaire ailé partiellement
conservé, tandis qu’au dessus du dieu
figure une rangée d’étoiles.

Vient ensuite une bande horizontale qui


porte l’inscription « Prends pour toi
l’[onguent] hekenou de sorte que ton
cœur se réjouisse grâce à lui» et «… ce
qu’aiment les dieux, je te donne la joie
de Rê, de sorte que ton cœur se réjouisse
grâce à lui...». Il existe un autre parallèle,
également au nom d’Aspelta, conservé
au Museum of Fine Art de Boston (inv.
20.1070) qui est surmonté d’une décora-
tion de pendeloques en argent et en pier-
res semi-précieuses.

L’«onguent» hekenou, également appe-


lée l’huile de jubilation, est bien connu
notamment à l’époque ptolémaïque dans
des textes issus des murs du « labora-
toire » du temple d’Edfou. Composé de
divers matériaux dont la myrrhe, des
bourgeons de cassia, du styrax et des aro-
mates, l’hekenou est employé lors de la
cérémonie d’onction des statues divines
et dans le Rituel de l’Ouverture de la
Bouche.

Bibl.: B. PORTER et R.L.B. MOSS, Topographical


Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic
Texts, Reliefs and Paintings, VII Nubia, The
Deserts, and outside Egypt, Oxford, 1951, p. 261;
H. GAUTHIER, Le Livre des Rois d’Égypte, recueil

149
57. Oushebti porte un uræus frontal. Un extrait du
de la reine Akhe (Akheqa ?) chapitre VI du Livre pour sortir au jour,
couvre le corps de la statuette.
Faïence
H.: 17,8 cm; l.: 6,8 cm Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.
Napata », in Bulletin des Musées royaux d’Art
Règne d’Aspelta (593-568 av. J.-C.) et d’Am-
et d’Histoire, 14, 1942, p. 30; Nubia. Los reinos
talqa (568-555 av. J.-C.) del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barce-
Nouri, pyramide XXXVIII lone, Fundación « La Caixa », 2003), p. 183,
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, n° 100; D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of
inv. E. 7365 Kush, II Nuri, Boston, 1955, p. 286; ID., et M.F.
MACADAM, « Names and Relations of Royal
Fille du roi Aspelta, Akhe est l’épouse Family of Napata », in Journal of Egyptian
principale du roi Amtalqa, le successeur Archæology 35, p. 139-149; G. REISNER, «Prelimi-
nary report on the Harvard-Boston Excavations
de son beau-père. Cet oushebti présente at Nuri : the kings of Ethiopia after Taharqa », in
une reine momiforme tenant une houe Harvard African Studies, Varia Africana, II, Cam-
et un sac de grains sur l’épaule gauche. bridge, 1918, p. 35.
La reine, coiffée d’une perruque tripartite
surmontée d’une dépouille de vautour, AQ

des titres et protocoles royaux. IV. De la XXVe


dynastie à la fin des Ptolémées, in Mélanges de
l’Institut Français d’Archéologie Orientale 20, Le
Caire, 1916, p. 56.

Pièces de comparaison: D. WILDUNG, «Alabastre


du roi Aspelta », in Soudan. Royaumes sur le Nil
(catalogue d’exposition, Paris, Institut du monde
arabe, 1997), p. 180, n° 174, 175, 176; Nubia. Los
reinos del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition.
Barcelone, Fundación «La Caixa», 2003), p. 285,
n° 268; S. WENIG, Africa in Antiquity. The Arts of
Ancient Nubia and the Sudan II. (Catalogue d’ex-
position, Brooklyn, The Brooklyn Museum, 1978),
p. 193, n° 112.
AQ

150
58. Oushebti de la reine Piankher sur l’épaule gauche. Un extrait du chapi- 59. Oushebti du roi
tre VI du Livre pour sortir au jour est Amani-natake-lebte
Faïence gravé sur le corps. Il faut toutefois noter
H.: 15,9 cm; l.: 5,3 cm que les reines égyptiennes ne sont que Faïence
Règne d’Amtalqa (568-555 av. J.-C.) très rarement représentées munies de H.: 26 cm; l.: 9 cm; ép.: 5,1 cm
Nouri, pyramide LVII houes. Il s’agit donc d’une variante kous- Règne d’Amani-natake-lebte (538-519 av.
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, hite relative aux pratiques funéraires J.-C.)
inv. E. 7367 Nouri, pyramide X
liées aux femmes.
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
Cet oushebti de reine est coiffé d’une Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie. inv. E. 7362
perruque tripartie surmontée d’une Napata », in Bulletin des Musées royaux d’Art
dépouille de vautour dont les pattes et d’Histoire, 14, 1942, p. 30; Nubia. Los reinos Ce serviteur funéraire dont le visage et
enserrent le signe shen signifiant «encer- del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barce- une partie du bras sont endommagés est
lone, Fundación «La Caixa», 2003), p. 183, n° 99;
cler ». Hormis ce détail particulier, le D. DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush, t. II
coiffé du némès surmonté d’un seul
reste de la statuette est semblable à celle Nuri, Boston, 1955, p. 105. uræus et porte la barbe tressée. Il tient
des oushebtis de rois : elle porte une une houe à chaque main; la gauche tient
houe, un sarcloir (?) et un sac de grains AQ également une lanière retenant un sac de

151
grains dans le dos. L’extrait du chapitre 60. Dépôt de fondation c) Soc de charrue
VI du Livre pour sortir au jour, visible Cuivre
sur le dos de la statuette est réduit à deux Époque napatéenne, règne de Malowieba- L.: 2,7 cm; l.: 2,3 cm
lignes de texte. mani (463-535 av. J.-C.)
Nouri, pyramide XI d) Tige de cuivre
Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie. Londres, British Museum, inv. EA. 55573 Cuivre
Napata », in Bulletin des Musées royaux d’Art et L.: 5 cm; l.: 0,4 cm
d’Histoire, 14, 1942, p. 29; Nubia. Los reinos del
Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barcelone, a) Fragment d’une boîte e) Tête de lance
Fundación «La Caixa», 2003), p. 297, n° 294; D. Bois et feuille d’or Cuivre
DUNHAM, The Royal Cemeteries of Kush. t. II Nuri, L.: 3,4 cm; l.: 1,2 cm L.: 6 cm; l.: 0,8 cm
Boston, 1955, p. 279; ID., «Royal Shawabti Figures
from Napata », in Bulletin of the Museum of Fine b) Plat en cuivre f) Lame d’herminette
Arts, 49, n° 276, p. 40-48. Alliage de cuivre Cuivre
AQ Diam.: 2,9 cm L.: 3,7 cm; l.: 1,2 cm

152
g) Plaque semi-circulaire avec décoration tent les matériaux qui interviennent dans
incisée la construction d’un édifice. Le soc de
Calcite charrue et la lame de l’herminette rappel-
L.: 1,9 cm; l.: 1cm; ép.: 0,5 cm lent également ce rituel visant à fonder
h) Plaque au nom de Malowiebamani un bâtiment en traçant ses limites au sol.
Faïence bleue
Bibl.: inédit.
L.: 8 cm; l.: 4,8 cm; ép.: 0,7 cm
AQ
i) Plaque
Faïence bleue
L.: 7 cm; l.: 5 cm; ép.: 0,9 cm 61. Fragment d’inscription
hiéroglyphique
j) Plaque
Calcite Grès rouge
L.: 1,9 cm; l.: 1,2 cm; ép.: 0,7 cm H.: 20,7 cm; l.: 42 cm; ép.: 13,7 cm
Époque méroïtique
k) Plaque Méroé
Gypse Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
L.: 1,1 cm; l.: 0,8 cm; ép.: 0,5 cm inv. E. 3978
l) Plaque
Agate Ce bloc de grès, coupé (scié ?) en deux
L.: 1,1 cm; l.: 0,8 cm; ép.: 0,6 cm morceaux a été mis au jour par J. Gars-
tang lors des fouilles qu’il a conduites à
m) Plaque Méroé en 1909-1910. Il porte un cartou-
Stéatite che avec des signes hiéroglyphiques. Le
L.: 1,1 cm; l.: 0,9 cm; ép.: 0,4 cm nom d’Amon est clairement lisible ainsi
n) Plaque
que deux signes à lire «pl» ou «pr»; ils
Feldspath font partie d’un nom royal. Le bloc pro-
L.: 1,2 cm; l.: 0,9 cm; ép.: 0,5 cm vient vraisemblablement d’une chapelle
attenant à la pyramide d’un roi ou d’une
o) Plaque reine méroïtique.
Feldspath
L.: 1,7 cm; l.: 1,4 cm; ép.: 0,6 cm Bibl. : H. GARTSANG, Meroe, the city of the Ethio-
pians, Oxford, 1911, n° 295.
p) Plaque AQ
Ardoise
L.: 1,1 cm; l.: 0,8 cm; ép.: 0,4 cm

q) Plaque
Lapis-lazuli
L.: 0,7 cm; l.: 0,5 cm; ép.: 0,2 cm w) Plaque
Plomb
r) Plaque L.: 1,9 cm; l.: 1,2 cm; ép.: 0,4 cm
Jaspe rouge
L.: 1,4 cm; l.: 1,3 cm; ép.: 0,5 cm x) Plaque
Hématite
s) Plaque L.: 1,8 cm; l.: 1,1 cm; ép.: 0,4 cm
Jaspe brun
L.: 1,5 cm; l.: 1,1 cm; ép.: 0,5 cm
Lors de la fondation d’un édifice reli-
t) Plaque gieux égyptien, il est de coutume de
Plomb déposer une série de petits objets dans un
L.: 2,3 cm; l.: 1,6 cm; ép.: 0,9 cm des angles de soubassement du bâtiment.
Cette pratique a pour but de protéger le
u) Plaque monument des forces négatives. Parfois
Cuivre retrouvé sous la forme de petites plaquet-
L.: 1,6 cm; l.: 1,2 cm; ép.: 0,55 cm
tes en or ou en faïence, ce dépôt peut
v) Plaque prendre la forme de miniatures d’objets
Argent (?) usuels et/ou de culte. Les divers «échan-
L.: 2 cm; l.: 1,2 cm; ép.: 0,4 cm tillons» de pierre et de métaux représen-

153
C»). Le texte est inscrit de manière assez
peu soignée. Plusieurs séparateurs de
mots (deux points superposés), notam-
ment le dernier, sont ainsi omis. L’état de
conservation de la stèle est médiocre,
mais il n’était pas meilleur au moment de
la découverte, comme en témoigne la
photographie de Garstang (GARSTANG et
al., pl. LIX). La fin de la ligne 4 et la
ligne 5 sont difficilement lisibles.

Cette inscription appartient à une catégo-


rie très particulière de textes méroïtiques
récemment identifiés comme des «com-
mérations d’offrandes» (cf. RILLY 2003).
Huit inscriptions de semblable nature
sont actuellement attestées (REM 0064,
0070, 0076, 0241B, 0444, 0451, 0809,
1195), presque toutes dans un contexte
funéraire. Une seule d’entre elles (REM
0076), figurant originellement sur une
colonne du temple d’Amon de Napata,
pourrait être en relation avec le culte
divin. Toutes les autres proviennent de
62. Inscription méroïtique « Meroë, the City of the Ethiopians », tombes, dont trois des pyramides royales
avec une lecture et un bref commentaire de Méroé (REM 0064, 0070 et 0809).
Grès rougeâtre de Griffith (GARSTANG et al., 1911,
H.: 24,3 cm; l.: 34.0 cm; ép.: 6,3 cm p. 78). Elle avait été exhumée dans la Ce sont ces deux dernières, longtemps
Époque méroïtique, fin du 3e siècle de notre partie occidentale du cimetière nord de la considérées à tort comme des « inscrip-
ère ville, au milieu des vestiges de la tombe tions de travaux» (Bauinschriften) com-
Méroé, fouilles Garstang à Méroé, 1909-
415. Ce secteur de la nécropole a été uti- mémorant des rénovations architectura-
1910, tombe 415 (n° 57)
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
lisé à l’époque post-méroïtique et ses les, qui ont permis de clarifier le contenu
inv. E. 3169 occupants souvent inhumés avec du de ces documents. Il s’agit en fait de
Enregistrée au Répertoire d’Épigraphie matériel récupéré des tombes méroï- textes attestant de la continuité du culte
méroïtique sous le numéro REM 0451 tiques antérieures. Ce matériel compor- funéraire et décrivant les offrandes faites
tait parfois des stèles inscrites qui ne au défunt par les desservants de son
Lecture [les chiffres correspondent aux devaient apparemment plus être compri- culte, sans doute ses descendants. Elles
lignes du texte] ses, puisque les noms des anciens pro- sont donc postérieures à l’inhumation,
(1) : dmte qoli [:] klike-li (2) sk-lw: mlo- priétaires n’ont pas été usurpés, mais et renouvellent en quelque sorte les
n: yet-lw [:] (3) mlo-n-ki: tkkete: A (4) dont la valeur magique, liée à la préser- bénédictions des stèles et des tables d’of-
sori: pwrit tro (5)  qese:  (6) vation de la vie des défunts dans l’au- frandes, bien plus nombreuses et mieux
klike-l delà, était encore vaguement perçue. comprises, qui appellent les dieux funé-
Dans la seule tombe 307 ont ainsi été raires à assurer au mort nourriture et
La stèle méroïtique E. 3169 de Bruxelles retrouvées douze inscriptions funéraires boisson dans l’au-delà. Dans un cas
a été retrouvée dans les fouilles de John d’époques différentes. La stèle de (REM 0241B), la commémoration d’of-
Garstang à Méroé. Ces excavations, les Bruxelles ne peut donc plus être replacée frandes a été rajoutée par une seconde
seules de grande ampleur réalisées sur le dans son contexte originel. main, à la suite du texte originel, au bas
site de la ville et les cimetières privés y de la stèle funéraire insérée lors de l’in-
attenant, se sont déroulées de 1909 à Seule la paléographie permet de proposer humation sur le mur du fond de la cha-
1914, et ont permis de mettre au jour un une datation. Le ductus particulier des pelle de culte. Il ne semble pas impossi-
grand nombre d’objets, partiellement signes, avec entre autres les longues ble que la stèle de Bruxelles ait été
publiés, qui sont aujourd’hui dispersés queues se poursuivant à droite sous les semblablement disposée sous la stèle
dans de nombreux musées à travers le signes précédents (le méroïtique se lit de funéraire principale, car, de manière très
monde. La stèle de Bruxelles fut retrou- droite à gauche), indique une époque tar- inhabituelle, la première ligne commence
vée durant la première saison de fouilles dive, vers la fin du IIIe siècle de notre ère par un signe de séparation alors que le
et publiée dans l’ouvrage de Garstang (période paléographique «transitionnelle texte semble complet. Deux autres stèles

154
à contenu similaire, originaires des de Méroé aux défunts par leurs proches scène est décoré d’une frise alternant
nécropoles privées de Méroé (REM 0444 et leurs descendants. On ne peut qu’être quatre traits verticaux avec un cercle. Le
et 1195), ont semblablement dû figurer à frappé de la continuité culturelle qui se motif qui orne la partie centrale de cette
proximité directe de la stèle funéraire manifeste ainsi avec l’Égypte voisine, et pièce est très fréquent et trouve son ori-
principale, car elles ne comportent aucun ce jusqu’à une époque tardive, où les tra- gine dans la culture égyptienne même.
nom de particulier, ce qui serait inconce- ditions pharaoniques qui s’effacent pro-
vable pour un texte funéraire isolé. gressivement au nord sont encore bien Le disque solaire uré et ailé est l’image
vivantes au cœur du Soudan. emblématique d’Horus d’Edfou dans la
Notre connaissance encore très partielle culture pharaonique. Un très beau paral-
Bibl.: J. GARSTANG, A. H. SAYCE, et F. L. GRIF-
de la langue méroïtique ne permet pas lèle provient de la chapelle WT2 de
FITH, Meroë, the City of the Ethiopians, Being an
d’assurer une véritable traduction de Account of a First Season’s Excavations on the Sedeinga1.
cette inscription, mais quelques éléments Site, 1909-1910. Oxford, 1911; I. HOFMANN et
1 J. YELLIN, « The Role of Anubis in Meroitic
peuvent être identifiés ou précisés. L’in- H. TOMANDL, «Die Meroitische Inschrift München
Religion», in Nubian studies, 1982, p. 232, fig. 1.
cipit dmte qoli se retrouve sous des for- Äs 2624», in Beiträge zur Sudanforschung 1, 1986,
p. 38-57; J. LECLANT et al., Répertoire d’épigra-
mes diverses dans les autres commémo- AQ
phie méroïtique. Corpus des inscriptions publiées.
rations d’offrandes et peut se traduire par Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris,
« reçois ceci ». Les noms qui désignent 2000, p. 818-819; C. RILLY, « Les inscriptions
les offrandes ne sont pas élucidés, mais d’offrandes funéraires : une première clé vers la
se retrouvent dans les autres textes: klike, compréhension du méroïtique », Revue d’Égypto- 64. Table d’offrande
sk, yet, drpn, suivis des formes de l’arti- logie, 54, 2003, p.175-82; L. TÖRÖK, Meroe City,
an Ancient African Capital. John Garstang’s Exca- Pierre
cle l, -li, lw. Le premier de ces mots, dont vations in the Sudan, Part I (Texts), Part II (Figures H.: 31 cm; l.: 30 cm
la prononciation devait être /kalike/ ou and Plates), The Egypt Exploration Society, Occa- Époque méroïtique
/kalik/, n’est pas sans évoquer le latin sional Publications 12, Londres, 1997.
Méroé
calix, calicis « coupe » ou le grec kulix, CR Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
kulikos, de même sens, et on ne peut inv. E. 3171
écarter la possibilité qu’il s’agisse d’un
emprunt, parallèle à l’importation (et la Cet exemplaire adopte la forme habi-
copie) de coupes gréco-romaines bien 63. Linteau tuelle des tables d’offrandes égyptiennes,
attestées dans le royaume de Méroé et rappelant le signe hiéroglyphique hetep,
Grès rose
utilisées dans un contexte funéraire. Mais signifiant «offrande». De forme rectan-
H.: 20,9 cm; L.: 52 cm; ép.: 13,1 cm
il peut tout aussi bien s’agir d’une res- gulaire, le rebord porte une inscription en
Époque méroïtique
semblance fortuite. Deux de ces termes Méroé ? écriture méroïtique. La scène principale
sont suivis d’un groupe comprenant l’ad- Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’His- présente deux vases hes et un lotus,
jectif mlo «bon, beau», fréquent dans la toire, inv. E. 7548 disposés de part et d’autre d’une cavité
qualification des offrandes. centrale reliée au déversoir. La décora-
Ce linteau, provenant vraisemblablement tion des vases indique la destination de
Apparaissant dans un contexte syn- d’une petite chapelle ou d’une stèle, l’objet (libation). Quant à l’inscription,
taxique peu clair au milieu de l’énumé- porte un disque solaire ailé flanqué de elle contient généralement le nom, les tit-
ration des offrandes, le groupe Asori : deux uræi. À l’arrière, se trouve un motif res et l’origine du défunt ainsi qu’une
pwrit troti est manifestement une invo- de résille tandis que le sommet de la invocation à Osiris.
cation à Osiris, qui peut sous toutes réser-
ves se traduire par «Osiris, seigneur (?)
de la vie ». Ici aussi, des parallèles sont
attestés dans deux autres commémora-
tions d’offrandes (REM 0444, 1195).
Comme les inscriptions funéraires com-
portent en général une invocation initiale
(et parfois finale) à Isis et Osiris, il n’est
pas étonnant que les commémorations
d’offrandes, lorsqu’elles constituent
comme ici une sorte de suite, en contien-
nent également.

Bien qu’encore intraduisible en totalité,


la stèle de Bruxelles témoigne de la
pérennité du culte rendu dans le royaume

155
Cat. 64, 67
66
65
Les tables d’offrandes se classent en plu- ment, aujourd’hui disparue, devait se porain du style III des tables d’offrande.
sieurs catégories. Certaines d’entre elles trouver une inscription méroïtique. La Les cassures qui strient la pièce sont
n’offrent aucun décor, d’autres en revan- zone d’offrande s’étend entre deux fleurs d’époque moderne et n’étaient pas pré-
che, présentent une offrande funéraire et de lotus. Au centre, un guéridon chargé sentes lors de l’exhumation de l’objet.
portent l’image d’une ou plusieurs divi- d’oies troussées et d’autres offrandes
Bibl. : H. GARSTANG, Meroe, the city of the Ethio-
nités. La typologie établie par J. Yellin alimentaires est accompagné de deux
pians, Oxford, 1911, pl. LVII, fig. 6.
invite à classer l’exemplaire des Musées paniers contenant des grains d’encens
royaux d’Art et d’Histoire dans le type 1, (?) ou des fruits et deux vases hes, utili- Pièces de comparaison : J. REINOLD, Archéologie
qui est retrouvé tant au nord qu’au sud du sés pour les libations. L’offrande alimen- au Soudan. Les civilisations de Nubie, Paris, 2000,
territoire méroïtique. taire est généralement surmontée de p. 114-115.
fleurs ou de bouquets de lotus. La puri- 1 J. YELLIN, «The Role of Anubis in Meroitic Reli-
Bibl. : H. GARSTANG, Meroe, the city of the Ethio- fication se fait par une libation d’eau et
pians, Oxford, 1911, pl. LVII, n° 4. gion» in Nubian studies, 1982, p. 227-231.
un encensement. AQ
AQ
Bibl. : H. GARTSANG, Meroe, the city of the Ethio-
pians, Oxford, 1911.
AQ
68. Brasero
65. Table d’offrande
Grès
H. socle: 5,4 cm; h. récipient: 9 cm; l. socle:
Terre cuite 67. Table d’offrande 11 cm; diam. récipient: 12,7 cm
H.: 20,7 cm; l.: 42 cm; ép.: 13,7 cm
Époque méroïtique Époque méroïtique, de 300 à 200 av. J.-C.
Grès jaune
Méroé Méroé
H.: 28,1 cm; l.: 27,9 cm; ép.: 5,2 cm
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
Époque méroïtique
inv. E. 3982 inv. E. 6949
Méroé, tombe 326
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
Cette table d’offrande ne présente aucun inv. E. 7551 Ce brasero de grès se présente sous la
décor. Seules subsistent quelques traces forme d’un petit autel à acrotères. Situées
de couleur rouge. Une dépression circu- La table d’offrande constitue un des aux angles, ces dernières enserrent un
laire creusée au centre de la table est éléments essentiels du mobilier des cha- récipient, dont le fond est piqueté, devant
reliée au déversoir par un canal. Déposée pelles disposées sur la face orientale des accueillir l’encens. Il ne fait nul doute
sur la table, l’offrande alimentaire, puri- pyramides de Méroé. Sur les exemplaires que cet objet jouait un rôle essentiel dans
fiée par une libation, remplit alors son royaux figure une scène rarement obser- les rituels liturgiques ou funéraires. L’en-
rôle magique dans le monde réel et dans vée sur les monuments de particuliers cens étant par excellence l’offrande des-
celui de l’au-delà. et qui n’a aucun parallèle dans l’icono- tinée aux dieux et aux défunts.
graphie égyptienne: la déesse Isis portant
Bibl. : H. GARTSANG, Meroe, the city of the Ethio- Bibl. : M.F.L. MACADAM, The Temples of Kawa,
le hiéroglyphe de son nom sur la tête et II, History and archaeology of the site, in Oxford
pians, Oxford, 1911.
le dieu Anubis, à tête de canidé, effec- University excavations in Nubia, Oxford, Londres,
AQ
tuent une libation d’eau ou de lait sur 1955, p. 135, pl. 69.
une table d’offrande. Dans la tradition AQ
égyptienne, Isis contribue à la renais-
sance de son époux Osiris, alors qu’Anu-
66. Fragment de table d’offrande bis veille le défunt. Cette scène associe
donc le défunt à Osiris. Anubis, dans la
Pierre
même circonstance, est parfois accompa-
H.: 21,1 cm; l.: 15,5 cm; ép.: 6,9 cm
Époque méroïtique gné de Nephthys ou d’un personnage
Méroé féminin non identifié. Il s’agit peut être
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, d’une prêtresse. Le culte d’Anubis, déve-
inv. E. 3979 loppé à l’époque napatéenne, s’amplifie
à l’époque méroïtique.
Bien que cette table d’offrande de forme
quadrangulaire soit incomplète, nous Une inscription en écriture méroïtique
pouvons assez aisément la reconstituer, sépare Isis et Anubis. Un autre texte
car elle appartient à une catégorie d’ob- est gravé sur la bordure de la table d’of-
jets bien connue, présentant un décor frande. D’après la typologie de J. Yel-
symétrique. Dans la bande d’encadre- lin 1, l’objet de Bruxelles serait contem-

157
71. Tête de statue ba
Pierre
H.: 17,4 cm
Époque méroïtique
Faras
Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
SNM 759

Fragment d’une statue funéraire en grès


représentant le défunt. Connue sous des
formes diverses: aviforme, anthropomor-
phe ou composite, la statue ba était pla-
cée devant la chapelle funéraire adossée
à la paroi est de la pyramide. La présence
dans les nécropoles de la bordure septen-
trionale de l’empire méroïtique, d’objets
directement liés aux concepts funéraires
égyptiens comme le ba ou âme du défunt
69. Tête de statue ba 70. Tête de statue ba quittant le corps grâce à ses ailes d’oi-
seau, pose la question des influences aux-
Calcaire Calcaire
H.: 12,3 cm; l.: 9,6 cm; prof.: 8,9 cm H.: 14,5 cm; l.: 12 cm; prof.: 13 cm quelles est soumise la région de la Basse
Époque méroïtique Époque méroïtique Nubie, par opposition à la région du
Provenance inconnue Faras Soudan central et de la capitale Méroé.
Londres, British Museum, inv. EA. 74200 Londres, British Museum, inv EA. 51575 © Elnour
Bon nombre de têtes du même type ont Cette tête d’oiseau ba appartient au
été retrouvées sur les sites attestant même genre de statue que l’exemplaire
une occupation méroïtique. Il s’agit en précédent (cat. 69). Ici aussi, une cavité 72. Profil de roi
fait de fragments de représentation de creusée dans la tête servait de mortaise
l’oiseau ba. Issu de la tradition égyp- pour y fixer un disque solaire. Ces évoca- Pierre
tienne, cette créature hybride, au corps tions d’un aspect de la personnalité du H.: 42 cm; l.: 32 cm; ép.: 22 cm
d’oiseau et à la tête humaine, symbolise défunt devaient se placer à proximité des Époque méroïtique
Méroé
la vitalité du défunt et lui permet de navi- chapelles funéraires.
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
guer entre le monde des morts et celui AQ inv. E. 3976
des vivants. Plusieurs papyrus figurent
également ce ba voletant dans le puits Sur ce relief figurent le visage, le cou et
d’accès menant au caveau de façon à l’épaule droite d’un personnage royal.
s’élever vers d’autres sphères. Par analo- Son statut peut être établi au port de la
gie, nous connaissons plusieurs statuettes barbe postiche et au fragment de bonnet
complètes de ce type. Le défunt, entière- caractéristique des pharaons nubiens
ment humain, est représenté debout depuis la XXVe dynastie. D’autres élé-
avec une paire d’ailes dans le dos. La tête ments confirment qu’il s’agit de l’image
présente, presque systématiquement, un d’un souverain : le pectoral, associé à
trou au sommet du crâne permettant un collier de grosses perles auquel est
d’insérer un disque solaire symbolisant suspendue une statuette d’Amon criocé-
le défunt et sa potentialité de renaissance. phale, et le sceptre en forme d’épi
Les traits du visage diffèrent grandement qui repose sur l’épaule droite. D’autres
d’une représentation à l’autre. Là où représentations montrent que ce sceptre,
les Égyptiens privilégient un visage neu- de taille humaine, se termine par deux
tre et impassible, les Méroïtes repré- séries de cinq stries disposées en éven-
sentent plus volontiers des expressions tail, enserrant le signe ânkh. Tous ces
souriantes ou empreintes de détresse et attributs distinguent tant les rois méroï-
d’humilité. tiques que certaines reines, telles Ama-
AQ nitore, par exemple, sur le mur extérieur
du Temple du Lion de Naga 1.

158
sceptre d’Amenemhat III 1 et de celui qui
a été découvert dans la tombe de Toutân-
khamon 2, tous deux en or conservés au
Musée égyptien du Caire. Osiris, dieu-
roi, souverain du royaume des morts et
le pharaon égyptien disposaient de deux
sceptres spécifiques: la crosse heka et le
fouet nekhakha. La forme de l’objet fait
penser au flagellum nekhakha. Certains
chercheurs ont voulu voir dans ces deux
modèles de sceptre, le fouet et la crosse
du berger.
1 Caire, Musée égyptien, inv. JE 90200.
2 Catalogue spécial « Toutankhamon » du Musée
égyptien du Caire: 86.
AQ

74. Relief d’un dignitaire


Grès
H.: 47 cm; l.: 43 cm
Époque méroïtique
Provenance inconnue
De nombreux fragments de reliefs simi- présenté comme «trois rangs d’éléments Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
laires, conservés dans plusieurs musées floraux en ivoire ». Ne s’agirait-il pas inv. E. 749
européens et américains, proviennent de plutôt de l’extrémité d’un sceptre ?
pylônes de chapelles funéraires de pyra- Le relief, surmonté du signe hiérogly-
mides de souverains de Méroé. Le côté Si c’est le cas, le manche, aujourd’hui phique du ciel, porte la représentation
gauche du bloc présente cependant un perdu, devait se raccorder à la perle la d’un personnage masculin dont il ne sub-
motif en forme de croisillon. plus grosse, prolongée par trois rangées siste que le buste tourné vers la droite. La
de perles. L’Objet peut être rapproché du tête porte une chevelure crépue, retenue
Bibl. : H. GARSTANG, Meroe, the city of the Ethio-
pians, Oxford, 1911.

1 Soudan. Royaumes sur le Nil (catalogue d’expo-


sition, Paris, Institut du monde arabe, 1997), p. 326.

AQ

73. Élément de sceptre (?)


Faïence avec traces d’émail
H.: 3,5 à 6 cm; L. max.: 52,5 cm
Époque méroïtique
Provenance inconnue
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 7255

Provenant de l’ancienne collection Scheur-


leer (F. 1191), cet assemblage de trois
rangées de dix perles tronconiques en
faïence – fermée par une perle tubulaire
encadrée par une petite perle ronde à
chacune de ses extrémités – est souvent

159
Cat. 74
par un bandeau noué à l’arrière du crâne. contractés, témoignage de la mixité des 78. Anneaux de chevilles (A et B)
L’œil était, à l’origine, incrusté comme croyances, l’une conservatrice et l’autre
en témoigne la dépression importante égyptianisée. Bronze
présente dans la cavité oculaire. L’hom- AQ Diam.: (A) 11, 2 cm, 10, 3 cm;
me, revêtu d’une tunique à manches (B) 11, 4 cm, 10, 4 cm; ép.: (A) 3,1 cm;
courtes et d’une étole (?), porte un pecto- (B) 3,6 cm
ral en forme de naos, un bijou commun 76. Collier Époque méroïtique
Faras
aux hommes et aux dieux comme en
Cornaline Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
témoignent, par exemple, les statuettes inv. E. 3514 A et B
du dieu Amon conservées au Musée Circ.: 120,2 cm
National du Soudan 1 à Khartoum 2 et au Époque méroïtique ?
Faras L’archéologue F.L. Griffith a mené plu-
Staatliches Museum Ägyptischer Kunst sieurs campagnes de fouilles à Faras,
Londres, British Museum, inv. EA. 51487
de Munich. Des reliefs tels que celui-ci, entre 1910 et 1912, au nord de Ouadi
portant la représentation de dignitaires, Halfa au Soudan, un site qui a disparu
La plus grande partie de ce collier est
proviennent de chapelles funéraires des comme beaucoup d’autres à la suite de la
constituée de perles rondes et cylin-
rois et reines de Méroé. construction du barrage d’Assouan 1.
driques de cornaline, auxquelles ont été
1 D. WILDUNG, « Statue du dieu Amon », in Sou-
ajoutées six perles en forme de goutte. L’archéologue a mis au jour un cimetière
dan. Royaumes sur le Nil (catalogue d’exposition, Dés les premières dynasties, la cornaline méroïtique sur la rive ouest du Nil, dans
Paris, Institut du monde arabe, 1997), p. 274-275, – une variété de calcédoine – est particu- le secteur d’un temple en ruines construit
cat. 291. lièrement appréciée en Égypte en raison par Toutânkhamon. Plusieurs milliers de
2 ID., «Statue du dieu Amon», in Soudan. Royau-
de la connotation solaire de ses nuances tombes ont livré un abondant matériel
mes sur le Nil (catalogue d’exposition, Paris, Insti- archéologique parmi lequel un nombre
translucides rouge-orangé.
tut du monde arabe, 1997), p. 274-275, cat. 292.
AQ important d’objets en bronze (vaisselle,
ornements, etc.) qui caractérise les tom-
AQ bes les plus anciennes datées des derniers
siècles avant notre ère. Des ornements de
77. Collier chevilles, épais et ouverts, en font partie.
75. Collier Ils étaient décorés de motifs géomé-
Cornaline et faïence triques incisés à leurs extrémités. Dans
Pierres semi-précieuses, coquillages, faïence
L.: 26,8 cm son rapport de fouilles, F.L. Griffith en a
Circ.: 46,9 cm
Époque méroïtique publié quelques exemplaires proches de
Époque méroïtique
Faras ces deux-ci 2. Des anneaux similaires ont
Faras
Londres, British Museum, inv. EA. 51731 été découverts sur d’autres sites méroï-
Londres, British Museum, inv. EA. 51375
tiques, à Nag-el-Arab (au nord du Gebel
Ce bijou, abîmé, est constitué de sep- Barkal), notamment dans une tombe
Une série de perles rondes, cylindriques,
tante-trois petites perles de cornaline, féminine 3, mais aussi au sud du Ouadi es
biconiques tronquées, et en forme de
rondes ou cylindriques, et de cinq perles Seboua 4 ou encore à Serra 5.
gouttes auxquelles des coquillages ont
de faïence de couleur verte.
été associés constitue ce collier. Elles
AQ Bibl.: inédit.
sont faites de faïence glaçurée, de pierre
noire, de cristal de roche ou encore de
cornaline.

Ce genre de parure est fréquent au sein


du matériel funéraire de l’époque méroï-
tique. Les tombes de Faras présentent
généralement le défunt allongé sur le
dos, le matériel funéraire (essentielle-
ment composé de céramiques) est ras-
semblé au niveau de la tête. L’orientation
même du corps, tête à l’ouest, révèle l’in-
fluence égyptienne. Cependant, des inhu-
mations contemporaines à Sanam Abou
Dom présentent non seulement des tom-
bes à influences égyptiennes de par leur
orientation, mais également des corps

161
Cat. 75

Cat. 77, 76

162
1 F.L. GRIFFITH, « Oxford Excavations in Nubia.

XXX, The meroïtic cemetery in Faras», in Annals


of Archæology and Anthropology issued by the
Institute of Archæology, 11, 1924, p. 141-171,
pl. XIV-LXXII.
2 Idem, op. cit., p. 156-157, pl. XL, n° 2, 3, 4.
3 M. PELLICER, M. LONGUERAS, Las necrópolis

meroíticas, del grupo X y cristianas de Nag el-Ara,


in Memorias Misión Archeológica Española en
Nubia, V, Madrid, 1965, p. 131, 176-177, fig. 32, 2,
pl. XVIII, 1-2. Nag el-Arab T 587; Nubia. Los rei-
nos del Nilo en Súdan (catalogue d’exposition, Bar-
celone, Fundación « La Caixa » 2003), n° 133.
Époque méroïtique.
4 C.M. FIRTH, The Archæological Survey of Nubia.

Report for 1910-1911, Le Caire, 1927, pl. 29e, 1-2.


5 T. SÄVE-SÖDERBERGH (éd.), Late Nubian Ceme-

teries, in The Scandinavian Joint Expedition to


Soudanese Nubia, VI, Arlöv, 1982, site 25, tombe
97, p. 89-90, pl. 99.
CD

Les Nubiens ont toujours été réputés Pièce de comparaison: Nubia. Los reinos del Nilo
79. Collier de perles pour leur habileté à l’archerie. En effet, en Sudàn (catalogue d’exposition, Barcelone, Fun-
dación «La Caixa», 2003), p. 178, n° 93; D. WIL-
un arc et un carquois figurent, depuis très
Pâte de verre DUNG in Soudan. Royaumes sur le Nil (catalogue
longtemps, leur matériel funéraire. À la d’exposition, Paris, Institut du monde arabe, 1997),
Circ.: 50 cm
Époque méroïtique
Première Période Intermédiaire, des contin- p. 244, n° 271; P. LENOBLE, «Enterrer les flèches,
Semna Sud, Oriental Institute of Chicago, gents d’archers nubiens sont incorporés au enterrer l’empire. I: Carquois et flèches des tombes
sein de l’armée égyptienne comme en impériales à el-Hobagi», in Cahier de Recherches
1969
de l’Institut de Papyrologie et d’Égyptologie de
Khartoum, Musée national, inv. SNM 18866 témoigne le célèbre modèle en bois prove-
Lille, 17/2, 1997, p. 137-152.
nant de la tombe de Mesekhti conservé au
Ce collier se compose de nombreuses Musée égyptien du Caire 2. 1 Khartoum, SNM inv. 24705. Sudan. Ancient

perles en pâte de verre. Treasures (catalogue d’exposition, Londres, British


Bibl. : F.L. GRIFFITH, « Oxford Excavations in Museum, 2004), p. 128, cat. 101.
© Elnour
Nubia » in Annals of Archaeology and Anthropo- 2 Caire, Musée égyptien, inv. JE 30969 = CG257.
logy 11, 1924.
AQ

80. Anneau d’archer


Calcaire
H.: 3,2 cm; l.: 4,5 cm; ép.: 1 cm
Époque méroïtique
Faras
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 3523

Cet anneau, caractéristique de l’équipe-


ment de l’archer méroïtique, est assez
souvent représenté sur les reliefs et dans
la statuaire (comme celle du roi-archer
de Khartoum 1). C’est ainsi que nous
savons qu’il s’enfilait au pouce de la
main droite afin d’éviter le retour de la
corde de l’arc. Trouvé assez loin du
royaume de Méroé, cet objet nous permet
de mesurer l’étendue de la sphère d’in-
fluence des souverains noirs.

163
Cat. 81
81. Reliefs de chapelle d) EA. 68992 und Papyrussammlung Museum de Ber-
L.: 70 cm; h.: 25 cm; ép.: 23 cm lin. comme en témoigne un dessin publié
Frise de canidés reposant sur une frise d’étoiles. au retour des membres de l’expédition.
Calcaire
Époque méroïtique, 50-60 ap. J.-C. La scène peut être reconstituée de la
e) EA. 68990
Méroé, chapelle N17, mur arrière manière suivante : Isis se tient derrière
L.: 51 cm; h.: 35,5 cm; ép.: 37 cm
Londres, British Museum le roi qu’elle protège de ses ailes; devant
Fragment de trône en forme de félins accolés
sur lequel siège un roi. le souverain assis sur son trône, Isis et
a) EA. 68987 Anubis procèdent à une libation. La par-
L.: 59 cm; h.: 31,5 cm; ép.: 24 cm tie supérieure de la scène comporte une
f) EA. 68991
Haut d’une tête humaine coiffée d’une dépouille frise étoilée surmontée d’une succession
L.: 69 cm; h.: 40 cm; ép.: 31 cm
de vautour et de cornes de vache enserrant un
Bas du trône à pattes de félin. de petits figures d’Anubis zoomorphe
disque solaire et une partie de bras ailé.
couchées en signe de protection.
Ces six fragments proviennent du mur
b) EA. 68988
L.: 65 cm; h.: 34 cm; ép.: 36 cm
arrière de la chapelle funéraire du roi Bibl. : S.E. CHAPMAN et D. DUNHAM, The royal
Amanitenmemide qui régna dans la Cemeteries of Kush III. Decorated Chapels of the
Torse de femme, le bras gauche ailé dirigé Meroitic Pyramids at Meroe and Barkal, Boston,
vers le haut, et le bras droit dirigé vers le bas. seconde partie du 1er siècle de notre ère. 1952, fig. 21c; W.V. DAVIES, «Egypt and africa in
Les reliefs de cet édifice, intact à l’époque the British Museum », in ID., Egypt and Africa.
c) EA. 68989 de l’expédition prussienne conduite par Nubia from Prehistory to Islam, Londres, fig. 16;
L.: 51 cm; h.: 35 cm; ép.: 36 cm K.-R. Lepsius en Égypte et au Soudan, K.-R. LEPSIUS, Denkmäler aus Ägypten und Äthio-
Extrémité de bras droit ailé à l’arrière d’un en 1843, ont été partagés entre le British pien, Berlin, 1849-1856, V, fig. 50d.
fragment de trône. Museum de Londres et l’Ägyptisches AQ

165
82. Bol en terre cuite exemple similaire a été trouvé notam- similaire a été mis au jour dans le
ment à Nelluah 1. À Qustul, un décor cimetière méroïtique de Faras par F. L.
Argile peinte apparenté peut être rapproché de celui- Griffith, parmi lequel ce charmant exem-
H.: 8 cm; l.: 8,8 cm ci 2. F.L. Griffith a mis au jour des gobe- plaire 2. D’autres sites comme par exem-
Méroé lets semblables à Faras 3. Ce type de ple Qustul 3, Karanog 4, Nelluah 5, ont
Époque méroïtique, 200 av. J.-C.-300 ap. J.-C. gobelet aux parois fines, s’inscrit dans la livré des coupes du même type.
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, production de la céramique méroïtique
inv. E. 3128 Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.
tant par la forme que par le décor.
Méroé », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
Ce petit vase de couleur beige porte un d’Histoire, 17, 1945, p. 8, fig. 19.
Bibl.: inédit.
décor de peinture brun-rouge en écailles, 1
1 L. TÖRÖK, «Meroitic painted pottery: problems
reliées les unes aux autres par deux traits M.A. GARCIA GUINEA, J. TEIXIDOR, La necro-
of chronology and style », in Beiträge zur Sudan-
horizontaux. Ce motif serait un rappel polis meroitica de Nelluah (Argin Sur, Sudan), in
forschungen 2, 1987, p. 75-106; J. HAYES, Roman
Memorias Misión Archeológica Española en
plastique des vanneries anciennement Nubia, Madrid, 1965, pl. XXXV, b Tombe 58, inv. Pottery in the Royal Ontario Museum. A Catalogue,
utilisées pour suspendre les récipients. Toronto, 1976, notamment n° 245, et p. 47 et sv.
14; pl. XI, d, tombe n° 8.
2 F.L. GRIFFITH, «Oxford Excavations in Nubia»,
Par comparaison avec d’autres céra- 2 B.B. WILLIAMS et N.B. MILLET, Meroitic remains
in Annals of Archæology and Anthropology, 11,
miques du même type, il pourrait égale- from Qustul Cemetery Q, Ballana cemetery B, and
1924, pl. XLIX.
ment s’agir de pétales de fleur. A Ballana settlement, in K.C. SEELE dir., Excava-
3 B.B. WILLIAMS et N.B. MILLET, Meroitic
tions between Abu Simbel and the Sudan Frontier.
remains from Qustul Cemetery Q, Ballana ceme-
Part 8, The University of Chicago. Oriental Institute
La céramique méroïtique, de grande qua- tery B, and A Ballana settlement, in K.C. SEELE
Nubian Expedition, VIII, Chicago, 1991, II, Regis-
lité, utilise un répertoire décoratif com- (dir.), Excavations between Abu Simbel and the
ters and plates, pl. 27 I, B 89-5.
3 F.L. GRIFFITH, «Oxford Excavations in Nubia», Sudan Frontier. Part 8,The University of Chicago.
posé de symboles égyptiens, de motifs Oriental Institute Nubian Expedition, VIII, Chi-
végétaux et de vanneries, mais également in Annals of Archæology and Anthropology, 11,
cago, 1991, II, Registers and plates, pl. 58, a, cime-
1924, p. 161, pl. L, n° 2.
de motifs et techniques purement hellé- tière B.
CD 4 C.L. WOOLLEY et D. RANDALL-MACIVER, Kara-
nistiques comme la barbotine.
nòg. The Romano-Nubian Cemetery, in Eckley B.
Bibl. : M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie. Coxe Junior Expedition to Nubia, IV, University of
Méroé », in Bulletin des Musées royaux d’Art et Pennsylvania. Egyptian Department of the University
d’Histoire, 17, 1945, p. 7, fig. 16; H. GARSTANG, Museum, Philadelphie, 1910, pl. 90, 8703, G 761.
Meroe, the City of the Ethiopians, Oxford, 1911, 84. Bol à décor de barbotine 5 M.A. GARCIA GUINEA, J. TEIXIDOR, La necro-

pl. 42 n° 1. polis meroitica de Nelluah (Argin Sur, Sudan), in


Terre cuite Memorias Misión Archeológica Española en Nubia,
Pièce de comparaison: D. WILDUNG, «GOBELET », H.: 6,5 cm; l.: 9, 4 cm. Madrid, 1965, pl. VI b, tombe n° 5.
in Soudan. Royaumes sur le Nil (catalogue d’expo- Époque méroïtique, seconde moitié du 1er et CD
sition, Paris, Institut du monde arabe, 1997), p. 358,
2e siècle ap. J.-C.
n° 425.
Faras
AQ Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 3507
85. Bol décoré de feuilles de vigne
Ce bol caréné en terre cuite rouge
83. Gobelet cylindrique terminé par une base circulaire a été
Terre cuite
H.: 11,1 cm; diam.: 14,8 cm; diam. du pied:
tourné. Le profil concave du bord lui 6,4 cm
Argile rouge
H.: 8 cm; l.: 8,2 cm
donne finesse et légèreté. La surface, à Époque méroïtique, 1er - 2e siècle ap. J.-C.
Époque méroïtique l’exception du pied, est recouverte d’un Faras
Faras engobe grisâtre sur lequel est appliqué un Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, décor en relief comprenant trois rangées inv. E. 3571
inv. E. 3620 de cônes irréguliers en barbotine de
couleur blanchâtre. Quelques uns se sont Ce petit bol hémisphérique sur pied est
Ce gobelet aux parois droites qui s’arron- détachés. Ce décor en relief appliqué monté au tour, une technique qui est appa-
dissent vers un fond plat a été tourné est une des importations nubiennes les rue vers 1500 av. J.-C. en Basse Nubie.
dans une argile rouge. Il est recouvert plus importantes en provenance du Nord Elle apparaît plus tard dans les sites napa-
d’un engobe clair sur lequel est apposé (Égypte). Cette technique était largement téens et atteint son plein épanouissement
un décor de lignes noires qui ondulent répandue dans le monde romain au 1er et durant la période méroïtique.
entre des motifs végétaux stylisés en noir au 2e siècle et elle a perduré jusqu’au 4e
sur fond rouge. Ce motif, dont la forme siècle. En Nubie, cette poterie au décor Réalisé dans une terre de couleur brun-
ressemble à des yeux, pourrait être une parfois sophistiqué est généralement rouge, ce bol est recouvert, à l’exception
interprétation libre du décor de feuilles datée de la seconde moitié du 1er siècle du pied, d’un engobe rouge qui unifor-
de vignes répandu à cette époque. Un et au 2e siècle 1. Un matériel abondant mise la surface. Le décor peint en noir

166
Cat. 82, 83
84, 85

est composé de feuilles de vignes et de Bibl. : Africa in Antiquity. The Art of the Ancien 3 B. B. WILLIAMS et N. B. MILLET, Meroitic

sarments qui ondulent autour de la paroi Nubia and the Sudan (catalogue d’exposition, remains from Qustul Cemetery Q, Ballana ceme-
Brooklyn, The Brooklyn Museum, 1978), p. 302, tery B, and A Ballana settlement, in K.C. SEELE
du bol. Le thème de la vigne est assez
n° 258; F.L. GRIFFITH, « Oxford Excavations in dir., Excavations between Abu Simbel and the
fréquent sur des récipients importés Nubia », in Annals of Archæology and Anthropo- Sudan Frontier. Part 8, The University of Chicago.
d’Égypte ou inspirés par les décors hel- logy 11, 1924, pl. XXVIII, n° LXIVi. Oriental Institute Nubian Expedition, VIII, Chi-
lénistiques. Des exemples similaires à cago, 1991, I. Texts and figures, Fig. 22 c, p. 214
1 F. L. GRIFFITH, «Oxford Excavations in Nubia»,
celui-ci ont été mis au jour dans les = B, Q 646-7; fig. 84 d, p. 262 = Q 284-3; fig. 161 c,
in Annals of Archæology and Anthropology 11, p. 330 = Q 625; II, Registers and plates, pl. 44, a
cimetières méroïtiques – à Faras 1, à 1924, pl. XXVIII, n° LXIV I = numéro de fouilles = B 134-1.
Karanog 2 et à Qustul 3, notamment. Très I/2676. 4 Sudan. Ancient Treasures (catalogue d’exposi-

décoratif, le thème a été réinterprété par 2 C. L. WOOLLEY et D. RANDALL-MACIVER, Kara-


tion, Londres, British Museum, 2004), p. 252 et
les potiers méroïtiques dans de riches nòg. The Romano-Nubian Cemetery, in Eckley B. n° 229. D.N. EDWARDS, A Meroitic Pottery Works-
Coxe Junior Expedition to Nubia, IV, University of hop at Musawwarat es-Sufra, in Meroitica 17.2,
variantes et sur des vases de forme que Pennsylvania. Egyptian Department of the Univer- 1999, p. 90, pl. 12.
l’on retrouve jusqu’à la sixième cataracte sity Museum, Philadelphie, 1910, pl. 52, Philadel-
du Nil 4. phie E 8897 et pl. 90, Philadelphie E 8698-99. CD

167
Cat. 86, 87
86. Vase avec représentation Ce vase, monté sur tour et cuit en atmos- 88. Jarre à long col
d’un Nubien phère réductrice, provient d’un dépôt qui
a livré quinze exemplaires semblables Terre cuite
Argile peinte dans un des magasins du palais de Wad H.: 34 cm; diam. max.: 25 cm
H. : 45,9 cm; diam. : 27,4 (corps) et 9,5 cm Ben Naga. Le décor, composé de motifs Époque méroïtique
(col) Semna, Oriental Institute of Chicago, 1969
incisés ou imprimés, évoque sans conteste
Époque méroïtique Khartoum, Musée national du Soudan, inv.
l’aspect extérieur de certaines vanneries. SNM 18885
Faras Produits par des ateliers spécialisés, en
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
suivant des règles de régularité des for- Jarre globulaire à long col légèrement
inv. E. 3614
mes et des codifications apparentes des évasé. Décor peint en trois registres hori-
Cette céramique montée au tour présente décors, cette céramique caractéristique du zontaux sur la moitié supérieure de la
un homme vêtu d’un pagne blanc tenant monde méroïtique, apparaît au cours du panse et sur l’épaule. Réserve d’eau, par-
un sceptre ouas à la main gauche tandis 1er siècle av. J.-C. et se diffuse, pour l’es- fois peinte de motifs floraux ou d’animaux
que sa main droite est repliée vers la sentiel, au cours des premiers siècles de symbolisant la renaissance émergeant
poitrine. Bien que le corps de l’homme notre ère. de la terre. Cette production originale, très
soit noir, son visage ne l’est pas. Il est Bibl. : Nubie. Les cultures antiques du Soudan, à
répandue dans le nord de l’empire méroï-
suivi par un second personnage à peine travers les explorations et les fouilles françaises tique et quasiment absente de la capitale,
ébauché. Bien que l’on sache différencier et franco-soudanaises (catalogue d’exposition, atteste du dynamisme économique et
plusieurs «mains» d’artistes et retrouver Marcq en Barœul, Fondation Prouvost, 1994), artistique des centres frontaliers.
p. 222, n° 311; La Nubie au temps des pharaons
ainsi certains ateliers, ce vase ne comporte © Elnour
(catalogue d’exposition, Boulogne-sur-Mer, 1975),
pas d’éléments caractéristiques. En Égypte, p. 26, n° 282; J. VERCOUTTER, « Un palais des
à l’époque hellénistique et romaine le “Candaces”, contemporain d’Auguste (Fouilles à
sceptre ouas, destiné à l’origine aux seu- Wad-ban-Naga 1958-1960) », in Syria, 39, Paris,
les divinités est parfois représenté à la 1962, p. 291 et pl. XXc.
main des particuliers. AQ

D’autre céramiques de la même période


présentent une succession de trois per-
sonnages représentés selon les codifica-
tions artistiques égyptiennes: à la fois de
profil et de face. L’exemplaire de Bruxel-
les devait-il à l’origine comporter une
représentation de trois hommes, mais
pour des raisons inconnues, aurait été
laissé inachevé ?

Pièces de comparaison: D. WILDUNG, in Soudan.


Royaumes sur le Nil (catalogue d’exposition, Paris,
Institut du monde arabe, 1997), p. 356, n° 421; S.
WENIG, Africa in Antiquity. The Arts of Ancient
Nubia and the Sudan II (catalogue d’exposition,
Brooklyn, The Brooklyn Museum, 1978), p. 287,
n° 234.

Bibl. : F.L. GRIFFITH, « Oxford Excavations in


Nubia », in Annals of Archæology and Anthropo-
logy 11, 1924.
AQ

87. Jarre
Terre cuite
H.: 33 cm; diam. max.: 27 cm; diam. ouv.:
7 cm
Époque méroïtique
Wad Ben Naga
Lille, Collection IPEL, Université de Lille III,
inv. L. 471

169
89. Vase 90. Vase en terre cuite objet permet d’affirmer que son proprié-
taire était de haut rang, peut-être lié au
Argile peinte Argile pouvoir royal ?
H.: 37,1 cm; diam.: 23 cm (corps) et 8,7 cm H.: 17,9 cm; l.: 16,4 cm; ép.: 6,3 cm (bord)
(col) Époque méroïtique, 1er - 2e siècle ap. J.-C. Bibl.: M. WERBROUCK, « Archéologie de Nubie.
Époque méroïtique (200-400 ap. J.-C.) Méroé, fouilles de J. Garstang 1909-1910 Méroé », in Bulletin des Musées royaux d’Art et
Faras Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, d’Histoire, 17, 1945, p. 6, fig. 13; Nubia. Los reinos
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. E. 3654 del Nilo en Sudàn (catalogue d’exposition, Barce-
inv. E. 3573 lone, Fundación «La Caixa», 2003), p. 229, n° 186;
J. Ch. BALTY, Les Musées royaux d’Art et d’His-
Le vase porte un décor peint sur fond toire, Bruxelles, 1988, p. 45; FR. LEFÈBVRE et
Bien que la forme de ce vase soit bien beige, placé entre deux traits horizontaux B. VAN RINSVELD, L’Égypte, des pharaons aux
connue à des périodes antérieures, son sur lesquels reposent les motifs et une Coptes, Bruxelles, 1990, p. 258.
décor est typique d’une période allant bordure de signes ânkh placés dans un AQ
du 2e au 4e siècle de notre ère et se carac- cadre cordiforme. Deux disques solaires
térise par des bandes alternant le rouge, ailés dotés de deux uræi et d’ailes de
le brun et le blanc. On retrouve de nom- faucon constituent le motif principal.
breux exemplaires de ce type de vase sur Les disques sont sommés d’un petit
des sites comme Faras ou Gamai. disque solaire placé entre des cornes de 91. Balsamaire
vache. Les disques urés et ailés sont
Bibl. : F.L. GRIFFITH, « Oxford Excavations in Bronze
séparés par une fleur de lotus entre deux
Nubia », in Annals of Archæology and Anthropo- H.: 12,4 cm; l.: 5,4 cm; ép.: 3,4 cm
logy 11, 1924. boutons. Époque romaine
Tongres
Pièces de comparaison : D. WILDUNG, « Jarre Il est fréquent de retrouver des symboles Tongres, Provinciaal Gallo-Romeins Museum,
ovoïde et globulaire» in Soudan. Royaumes sur le religieux égyptiens sur la céramique inv. C101bis
Nil (catalogue d’exposition, Paris, Institut du
monde arabe, 1997), p. 355, cat. 418-419-420;
méroïtique. Néanmoins, ils étaient à l’o-
Sudan. Ancient Treasures (catalogue d’exposition, rigine réservés aux monuments pharao- Ce balsamaire coulé en bronze figurant
Londres, British Museum, 2004), p. 156, cat 141. niques. La facture, de même que la sym- un Nubien imberbe a été exhumé à Ton-
bolique de renaissance solaire, associée gres vers 1899, à la limite de Tongres et
AQ à l’idée d’Horus, dont est chargé cet de Koniksem, dans la nécropole romaine

170
située au sud-est de la ville. La pièce anneaux soudés sur les deux côtés du
fit partie de la collection Christiaens- crâne. Les deux montants de l’anse se 92. Balsamaire
Vanderijst avant d’entrer au musée de prolongent en se recourbant et en s’a-
Tongres. Ce buste balsamaire a une hau- mincissant après être passés dans les Verre
teur de 12,4 cm et sa largeur maximale anneaux. Les anses se terminent par une H.: 9 cm; l.: 3,9 cm
est de 5,5 cm. Les récipients en forme tête de canard très stylisée. Le buste a un Époque romaine, fin du 2e - début du 3e siècle
de bustes anthropomorphes sont des visage juvénile, légèrement tourné vers ap. J.-C.
vases à parfum, à huile parfumée ou à la droite, aux lèvres charnues et proémi- Tongres
onguents, liés à la pratique des bains et nentes, au nez évasé, aux yeux à l’iris Tongres, Provinciaal Gallo-Romeins Museum,
de la palestre. Les bustes représentent marqué. La chevelure épaisse a deux inv. C303
des Africains ou des personnages aux rangs de boucles torsadées au-dessus du
traits négroïdes et rappellent la popula- front bas, et quatre rangs de boucles sur Ce flacon céphalomorphe en verre souf-
rité des esclaves noirs dans les bains les côtés et à l’arrière de la tête, cachant flé dans un moule a été découvert à
romains ou témoignent de l’attraction de la nuque. Le buste est monté sur un pié- Tongres en 1882 lors de l’exhumation
l’exotisme. On peut considérer que ce douche à clochette. Le jeune Nubien d’une tombe de la nécropole romaine
type de buste balsamaire était en vogue émerge du calice d’une fleur de lotus, ce située au sud-est de la ville. La fiole était
à partir de la fin du 1er siècle et s’est qui renvoie au dieu égyptien Néfertoum accompagnée de quatre monnaies, dont
répandu aux 2e et 3e siècles ap. J.-C. Les qui est associé aux parfums et à la résur- une d’Antonien le Pieux (138-161 ap.
bustes balsamaires et les balsamaires rection. Néfertoum fut également appelé J.-C.) et une de Marc Aurèle (161-180
céphalomorphes peuvent être divisés «Fleur de lotus au nez de Rê». ap. J.-C.). La tombe date de la fin du
en deux groupes composés, d’une part, 2e, début du 3e siècle ap. J.-C. Il s’agit
de dieux et demi-dieux souvent liés L’origine des plus anciens exemplaires d’un flacon de toilette luxueux. Son
aux thèmes dionysiaques (Bacchus, Silè- est probablement située à Alexandrie. dépôt, majoritairement funéraire, concerne
nes, Satyres et Ménades) et, d’autre part, Selon toute vraisemblance, les exemplai- souvent des sépultures privilégiées. La
de stéréotypes ethnographiques dits res similaires produits ultérieurement pièce fit partie de la collection Chris-
« Nubiens » dont ce balsamaire fait par- ont été fabriqués ailleurs. Aujourd’hui, on tiaens-Vanderijst avant d’entrer au Musée
tie. Les bustes de Nubiens se répartissent n’exclut pas que certains de ces récipients de Tongres. Le balsamaire appartient
à leur tour en deux séries: une première aient été produits par des ateliers gaulois. au type Isings 78 a., Morin-Jean 120,
composée d’Africains barbus et mousta- Doppelfeld 17 : les aryballes céphalo-
chus, une seconde d’Africains imberbes. Bibl. : J. Ch. BALTY, « Balsamaires anthropomor- morphes qui sont des vases à parfum,
phes du monde romain», in Jahrbuch des Römisch- à huile parfumée ou à onguents. Les
Ce buste-ci appartient à la classe des Germanischen Zentralmuseums Mainz, jg. 20, auteurs anciens nous livrent des recettes
Nubiens juvéniles et imberbes. Le vase 1973, p. 261-264; C. BRAUN, «Römische Bronze-
est pourvu d’une anse jouant dans deux balsamarien met Reliefdekor», in BAR Internatio-
et des descriptions de la préparation
nal Series, 917, 2001; M. DE GROOTH et B. MATER,
Een huis voor altijd, Maastricht, 1997; G. FAIDER-
FEYTMANS, Les bronzes romains de Belgique,
Mayence, 1979; M. MALAISE, « À propos d’un
buste-balsamaire en bronze du musée de Tongres.
Sur les traces d’influences alexandrines à Atua-
tuca», in Latomus, 29, Bruxelles, 1970, p. 142-156;
M. MALAISE, «Famille isiaque et “Ægyptiaca” en
Gaule Belgique et en Germanie», in E. WARMEN-
BOL (dir.), La caravane du Caire. L’Égypte sur
d’autres rives, Liège, 2006, p. 15-41; R. NENOVA-
MERDJANOVA, « Typology and Chronology of
the Bronze Vessels used in the Palæstra and in the
Baths from the Roman Provinces Thrace and
Moesia. Acta of the 12th International Congress on
Ancient Bronzes», in Nederlandse Archeologische
Rapporten, 18, Nimègue, 1995, p. 50-58; H. SELD-
MAYER, « Die römischen Bronzegefässe in Nori-
cum », in Monographies instrumentum, 10, 1999;
E. WARMENBOL, «Europa en Égypte», in H. WIL-
LEMS et W. CLARYSSE (dir.), Keizers aan de Nijl,
Tongres, 2000, p. 138-142; E. WARMENBOL, Noti-
ces 271-272, in H. WILLEMS et W. CLARYSSE (dir.),
Keizers aan de Nijl, Tongres, 2000, p. 326-327.

EH et GC

171
des parfums. On utilise la fleur, la feuille, of London, 13, Londres, 1991, p. 56-75: D. SIMON-
la racine, les fruits ou des bois et résines HIERNARD, Verres d’époque romaine. Collections
des musées de Poitiers, Poitiers, 2000; M. VAN-
odoriférantes pour créer des parfums DERHOEVEN, De Romeinse Glasverzameling in het
variés. Ce buste balsamaire incomplet Provinciaal Gallo-Romeins Museum, in Publicaties
en verre bleu-vert peu transparent et van het Provinciaal Gallo-Romeins Museum Ton-
bulleux, a une hauteur de 9,1 cm, le geren, 2, Tongres, 1962.
diamètre de la lèvre est de 3,9 cm, et EH et GC
le diamètre du fond est également de 3,9
m. Le buste anthropomorphe représente
un homme barbu. Le buste a un visage
adulte aux lèvres charnues et proéminen-
tes, au nez légèrement évasé. La cheve-
lure a dix rangs de boucles sur les côtés 93. Balsamaire
et à l’arrière de la tête. Le vase est pourvu
d’une lèvre horizontale à ourlet interne et Bronze
de deux anses delphiniformes. Le fond H.: 14,7 cm; l.: 9,8 cm
du flacon est légèrement enfoncé et porte Époque romaine
la marque de l’arrachement du pontil. Le Riemst
joint vertical de l’assemblage du moule Tongres, Provinciaal Gallo-Romeins Museum,
bivalve est visible au milieu du visage. inv. 81.l.1
Un exemplaire presque identique prove-
nant de Eigelstein (Allemagne) se trouve Ce flacon coulé en bronze a été mis
au Römisch-Germanisches Museum de au jour à Vlijtingen (Riemst, Province
Cologne (inv. N 298). Il n’est pas impos- du Limbourg) en 1981 lors de travaux traces d’oxydation se situent à la hauteur
sible que ces deux pièces, probablement publics. La pièce a été trouvée en même de l’œil droit et du nez. On peut considé-
fabriquées à Cologne, proviennent du temps que des fragments de fer prove- rer que ce type de buste balsamaire était
même moule. Des aryballes céphalomor- nant probablement d’une pointe de lance, en vogue à partir de la fin du 1er siècle
phes sont répertoriés dans les provinces accompagnée de restes de bois. Elle fai- et s’est répandu aux 2e et 3e siècles ap.
occidentales de l’Empire, en France, aux sait vraisemblablement partie d’un ensem- J.-C. Les bustes de Nubiens se répartis-
Pays-Bas, en Belgique, en Rhénanie et ble funéraire qui a été perturbé lors de sent en deux séries: une première d’Afri-
en Angleterre. Le nombre, la variété et la travaux routiers quelques années plus tôt. cains barbus et moustachus, une seconde,
qualité des verreries céphalomorphes Très souvent, ce type de balsamaire à été d’Africains imberbes. Ce buste-ci appar-
trouvées à Cologne tendent à conforter trouvé dans un contexte funéraire accom- tient à la classe des Nubiens juvéniles et
l’hypothèse d’une fabrication rhénane. pagné de strigiles indiquant un lien avec imberbes. Des exemplaires similaires
La pièce se trouvant au Römisch-Germa- la coutume des bains et de la palestre. sont peu connus. Les bustes balsamaires
nisches Museum de Cologne est datée du Les bustes représentent des Africains et les balsamaires céphalomorphes sont
2e siècle ap. J.-C. En général, cette fiole ou des personnages à traits négroïdes. bien représentés dans les provinces le
céphalomorphe, de type négroïde, n’ap- Ils rappellent la popularité des esclaves long du Rhin et du Danube et en Bulga-
paraît pas dans des contextes datés avant noirs dans les bains romains ou témoi- rie, mais apparaissent également dans
la période flavienne. gnent d’une attraction pour l’exotisme. les territoires actuels de la Belgique, de
Le buste représente un Nubien imberbe la Suisse, de la France, de l’Angleterre,
Bibl.: O. DOPPELFELD, Römisches und Fränkisches au visage juvénile, joufflu, regardant de l’Afrique du Nord, de la Turquie, de
Glas in Köln, Cologne, 1966; C. ISINGS, Roman légèrement vers le haut. Il a le nez épaté, l’Espagne, de la Hollande, de l’Italie, de
Glass from dated finds, Groningen, 1957; F. FRE-
MERSDORF, Römisches Buntglas in Cologne, in Die
les lèvres charnues et proéminentes. Les la Yougoslavie ainsi que de la Syrie.
Denkmäler des Römischen Köln, 3, Cologne, 1958; paupières sont clairement profilées, les
F. FREMERSDORF, «Römisches Geformtes Glas in iris et pupilles marqués. La chevelure Bibl.: J. Ch. BALTY, «Balsamaires anthropomorphes
Köln», in Die Denkmäler des Römischen Köln, 6, du monde romain», in Jahrbuch des Römisch-
épaisse a six rangs de boucles torsadées
Cologne, 1961; A.-B. FOLLMANN-SCHULZ, Die Germanischen Zentralmuseums Mainz, jg. 20, 1973,
au-dessus du front bas. Elle a onze rangs p. 261-264; C. BRAUN, «Römische Bronzebalsama-
römischen Gläser im Rheinischen landesmuseum
Bonn, Bonn, 1992; D. FOY et M.-D. NENNA (dir.),
de boucles sur les côtés et à l’arrière de rien met Reliefdekor», in BAR International Series,
Tout feu tout sable. Mille ans de verre antique dans la tête, cachant la nuque. Le buste est 917, 2001. M. DE GROOTH et B. MATER, Een huis
le Midi de la France, Aix-en-Provence, 2001; J. creux jusqu’aux épaules. Trois plis de voor altijd, Maastricht, 1997; T. DE GROOT, «Resul-
MORIN-JEAN, La verrerie en Gaule sous l’empire sa tenue pendent sur l’épaule. Le vase est taten van een Romeins tumulusgraf in Bocholtz
romain, Paris, 1913; J. PRICE, «Decorated Mould- (gem. Simpelveld)», in Rapportage Archeologische
pourvu de deux anneaux soudés sur les Monumentenzorg, 127, Amersfoort, 2006; G. FAI-
Blown Glass Tablewares in the First Century AD»,
in M. NEWBY and K. PAINTER (dir.), « Roman
deux côtés du crâne, bordant le couver- DER-FEYTMANS, Les bronzes romains de Belgique,
Glass. Two Centuries of Art and Invention », in cle. L’anse manque. L’épaule droite a Mayence, 1979; M. MALAISE, «À propos d’un
Occasional Papers from the Society of Antiquaries été endommagée par une pioche. Des buste-balsamaire en bronze du musée de Tongres.

172
Sur les traces d’influences alexandrines à Atuatuca»,
in Latomus, 29, Bruxelles, 1970, p. 142-156; M.
MALAISE, «Famille isiaque et “Ægyptiaca” en Gaule
Belgique et en Germanie», in E. WARMENBOL (dir.),
La caravane du Caire. L’Égypte sur d’autres rives,
E. WARMENBOL (dir.), Liège, 2006, p. 15-41; R.
NENOVA-MERDJANOVA, «Typology and Chrono-
logy of the Bronze Vessels used in the Palaestra and
in the Baths from the Roman Provinces Thrace and
Moesia, Acta of the 12th International Congress on
Ancient Bronzes», in Nederlandse Archeologische
Rapporten, 18, Nijmegen, 1995, p. 50-58; W. VAN-
VINCKENROYE, «Bronzen bustebalsamarium gevon-
den te Vlijtingen», in Helinium 11, 1981; E. WAR-
MENBOL, «Europa en Egypte», in H. WILLEMS et
W. CLARYSSE (dir.), Keizers aan de Nijl, Tongres,
2000, p. 138-142; E. WARMENBOL, Notices 271-
272, in H. WILLEMS et W. CLARYSSE (dir.), Keizers
aan de Nijl, Tongres, 2000, p. 326-327.

EH et GC

94. Support de coupe


Terre cuite
H.: 29 cm; l.: 16 cm
Époque post-méroïtique, de 400 à 600 ap. J.-C.
Méroé, tombe 309
Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire,
inv. E. 3106

Cette céramique d’une seule pièce pré-


sente une base tronconique sur laquelle
repose une coupe. La terre cuite rouge
est rehaussée de motifs géométriques
blancs : lignes et pointillés sur la lèvre
et le pied de la coupe, croisillons, trian-
gles et pointillés sur la base. J. Garstang
a trouvé cet objet ainsi que plusieurs piè-
ces similaires dans un cimetière situé à
l’est de Méroé. Des photographies de l’é-
poque de la découverte montrent que des
plats étaient placés sur ce type de sellette.
Ce type d’objet n’est pas attesté à l’épo-
que méroïtique, mais bien durant des
époques postérieures à la chute de l’em-
pire méroïtique.

Bibl.: J. GARSTANG, Meroe, the City of the Ethio-


pians, Oxford, 1911, pl. XL n° 23, type P.1;
M. WERBROUCK, «Archéologie de Nubie. Méroé»,
in Bulletin des Musées royaux d’Art et d’Histoire
17, 1945, p. 2, fig. 2; S. WENIG, Africa in Antiquity.
The Arts of Ancient Nubia and the Sudan II
(catalogue d’exposition, Brooklyn, The Brooklyn
Museum, 1978), p. 322, cat. 288.
AQ

173
95. Vannerie Les Romains développent alors une cer- sus, et Méroé semble être un des cen-
taine curiosité pour ces populations noi- tres de production les plus importants. La
Vannerie res du Sud, contrées du soleil et des décoration des étoffes conserve des
H.: 6,4 cm; diam.: 10,3 cm dieux. C’est la raison pour laquelle les motifs païens jusqu’à une époque com-
Post-méroïtique / Groupe X céramiques et les mosaïques représentant prise entre le 5e et le 8e siècle de notre ère,
Saï, Fouilles Franco-soudanaises, 1957 des paysages nilotiques, tout comme les époque à laquelle les motifs chrétiens
Khartoum, Musée National du Soudan, inv. balsamaires représentant des Nubiens supplantent les autres types de représen-
SNM 11865
connaissent un réel succès. L’empereur tations. Sur ce fragment, deux personna-
Découverte dans une tombe, cette vanne- Néron renoue le contact avec ces peu- ges de carnation noire sont représentés.
rie était posée à l’envers sur l’embou- ples, ouvre la route vers l’Inde et tente de L’un est nu et l’autre, armé d’une lance,
chure d’un col de jarre à eau. retrouver les sources du Nil. Cependant, est vêtu d’un pagne en peau de léopard.
© Elnour sous la pression des nombreuses attaques
AQ
que subissent les Impériaux, ils renon-
cent à la Nubie, et ce n’est qu’en 298 ap.
95. Lampe J.-C. que Dioclétien ramène définitive-
ment la frontière de l’Égypte à Assouan.
Terre cuite
L.: 9,2 cm; l.: 6,7 cm AQ
Époque romaine
Faras
Londres, British Museum, inv. AES. 51771
97. Fragment de tapisserie
C’est pendant l’époque romaine que l’hel-
lénisme se développe dans le royaume de Lin et laine
Méroé. De nombreux objets romains ou L.: 22 cm; l.: 13 cm
d’inspiration romaine y ont été retrouvés, Époque copte
à l’exception de monnaies. Provenance inconnue
Londres, British Museum, inv. AES. 71573
La première expédition romaine, envoyée
par Auguste dans un but purement mili- En Égypte pharaonique, le lin est préféré
taire, atteint Napata mais se replie durant à la laine, pour la fabrication de vêtements
les assauts des Méroïtes. Une tête en et de textiles d’ameublement. D’usage
bronze de l’empereur fut d’ailleurs retro- courant au 2e siècle av. J.-C. avec l’arri-
uvée dans la capitale koushite. À la suite vée d’émigrants grecs, la laine égyptienne
du traité conclu en 21-20 av. J.-C., une est réputée pour être de médiocre qualité,
garnison romaine s’installe dans la forte- raison pour laquelle les Lagides impor-
resse de Qasr Ibrim située dans la pro- tent des ovins. Dès le 1er siècle de notre
vince du Dodécaschène. ère, la Nubie est renommée pour ses tis-

174
Essai photographique
Claude Iverné

Partie 1
II.
Regards sur la Nubie soudanaise
depuis l’époque pharaonique
Fig. 1. Paysage du pays de Pount. Temple d’Hatshepsout à Der el Bahari (XVIIIe dynatie). Cliché Marie-Cécile Bruwier.

Fig. 2. Nubiens. Relief de la deuxième cour de la tombe du général Horemheb à Saqqara (XVIIIe dynastie). Cliché Danielle Vandenborne.
L’expérience égyptienne des Nubiens
de l’Ancien Empire au Nouvel Empire*
Marie-Cécile BRUWIER

Véritable « corridor africain » 1, la Nubie soudanaise, le La première cataracte, frontière naturelle entre l’Égypte
pays de Koush des textes égyptiens, a développé une et la Nubie, se présente comme une barrière de granit,
civilisation originale autour d’agglomérations où conver- faite de plusieurs îles contournées par des rapides naviga-
gent les pistes de la mer Rouge et des régions orientales, bles selon la hauteur du fleuve et son débit. La voie flu-
ainsi que celles du Darfour et du Kordofan, au sud-ouest. viale est, certes, géographiquement la route la plus directe
Les déserts orientaux et occidentaux de même que les entre l’Égypte et la Nubie soudanaise. Cependant, la
contrées méridionales regorgent de richesses naturelles, présence des cataractes - il y en a six jusqu’à l’actuelle
de la galène aux gisements aurifères 2, en passant par la capitale Khartoum - rend la navigation difficile. Lorsque
pierre de Bekhen 3, c’est-à-dire la grauwacke, le porphyre, le flot devient trop impétueux, aux périodes de crue et de
la diorite, les émeraudes, l’améthyste 4, la cornaline, l’hé- décrue quand les rochers affleurent lors de l’étiage, les
matite, la malachite, le jaspe rouge... Parmi les produits bateaux et les marchandises qu’ils contiennent doivent
africains également prisés figurent l’ébène et l’ivoire, mais être acheminés par voie de terre pour franchir l’un de ces
surtout l’encens, la myrrhe ou les peaux de félins dont rapides 8. Cependant, malgré les dangers que représentent
les Égyptiens ont impérativement besoin pour l’exercice les cataractes du Nil, aucune n’est infranchissable 9, du
de leur culte. Ils recherchent également des objets manu- moins pour de petits bateaux. À l’époque pharaonique,
facturés tels les sièges et trônes faits d’ébène incrusté le coût des expéditions commerciales compte moins que
d’ivoire, les bâtons de jet... Les sujets du pharaon impor- le gain de temps et surtout la sécurité des marchandises;
tent aussi des animaux vivants : canidés, félins, singes, la piste caravanière, plus longue mais plus praticable,
girafes. Ils ramènent exceptionnellement des « nains », est, par conséquent, privilégiée à certains moments. Voilà
mais ils déplacent des populations entières de Nubiens pourquoi les Égyptiens développent un réseau de pistes
avec leurs troupeaux. Les Koushites sont, de ce fait, les qu’ils équipent pour le ravitaillement des corps expédi-
interlocuteurs obligés des Égyptiens de l’époque pharao- tionnaires, tant dans le désert occidental que dans le désert
nique qui s’aventurent bien au-delà des limites de leur oriental. Ils y établissent une surveillance armée pour la
territoire dans les contrées africaines, afin de se procurer protection des caravanes. Enfin, ils colonisent certaines
les matières premières qui leur font défaut 5. Dès les oasis et créent des ports sur la mer Rouge 10.
premières dynasties, les Égyptiens entreprennent des
expéditions militaires et commerciales dans les régions
situées au sud de la première cataracte du Nil dans le but Regards égyptiens sur la Nubie et les Nubiens
de contrôler ce passage obligé vers les richesses africaines.
Les Égyptiens explorent les déserts environnant la Vallée L’image que les Égyptiens donnent d’eux-mêmes aux
du Nil pour en exploiter les ressources minérales et en Nubiens est très peu perceptible. Longtemps sous le joug
défendre les points stratégiques. Ils organisent aussi des ou sous le contrôle égyptien avant la XXVe dynastie,
expéditions au fameux pays de Pount (fig. 1), implanté quand ils prennent en main les destinées de l’Égypte, les
vraisemblablement dans le Delta du Gash 6. Dans leurs Nubiens choisissent de s’exprimer en égyptien dans les
relations avec ces contrées, pour arriver à leurs fins, les textes conventionnels, officiels et religieux, pour lesquels
Égyptiens mettent en œuvre deux modes d’action : la ils adoptent aussi l’écriture hiéroglyphique et hiératique.
manière forte ou la négociation 7. Leur propre langue, dont le sens et la nature échappent

191
Fig. 3. Bateau du convoi du vice-roi Houy qui ramène les prisonniers nubiens en Égypte. Relief de la deuxième cour de la tombe du général Horemheb à Saqqara
(XVIIIe dynastie). N. DE G. DAVIES, A. H. GARDINER, The Tomb of Huy Viceroy of Nubia in the Reign of Tut‘ankhamūn, in The Theban Tomb Series, t. 4, Londres, 1926, pl. XXXII.

encore, n’est transcrite que bien plus tard, dans une écri- en opposition avec la plaine alluviale fertile du Nil 14.
ture alphabétique. Les textes conservés, environ un millier Rien ne pousse dans ce territoire qui relève du domaine
de documents, sont, pour la plupart, des épitaphes prove- stérile de Seth. Issus du désert, les Nubiens apparaissent
nant de nécropoles. Des textes, peut-être historiques, a priori comme les ennemis de la vallée fertile dont ils
demeurent incompris 11. peuvent perturber l’équilibre et l’existence. Pour cette
raison, les Égyptiens doivent impérativement les maîtriser.
L’épigraphie et l’iconographie de l’Égypte ancienne attes- Ainsi, dès l’Ancien Empire, l’iconographie égyptienne
tent que, dès les premières dynasties, les Égyptiens entre- montre les Nubiens entravés 15 sous le siège ou sous les
tiennent un rapport privilégié avec leurs voisins méridio- pieds du pharaon 16 pour les empêcher d’agir négative-
naux. Cependant, la documentation est éclectique et ment, tant dans le monde visible que dans le monde invi-
délicate à manier. En effet, les Égyptiens décrivent l’étran- sible. Puisque le principe de l’équilibre et de l’ordre, per-
ger, et l’Africain en particulier, selon leur idéologie de sonnifié par « Maât », doit être défendu par tous les
l’ordre du monde et du cosmos. Ils assimilent d’office moyens, la politique suivie par le pharaon vise à mettre
celui qui est extérieur à l’Égypte à un ennemi potentiel l’Égypte à l’abri du chaos qui la guette en permanence,
à contrôler. Les plus anciennes mentions d’étrangers sont tant par la diplomatie que par des expéditions militaires.
donc celles de captifs tant nubiens que libyens et asia- La Nubie, région tant convoitée, fait donc l’objet de pré-
tiques. Ces prisonniers symbolisent soit une victoire pré- occupations constantes, à l’époque pharaonique, quand
cise sur l’ennemi, soit le pharaon dominant le monde. elle n’est pas dominée ou sa population asservie.
Dans l’imaginaire égyptien, les Nubiens, comme la plu-
part des étrangers, appartiennent au gebel (khaset 12), Les Égyptiens manifestent une perception ambivalente des
c’est-à-dire au plateau désertique, et au désert (merou 13) Nubiens qui représentent certes une menace potentielle,

192
magique et réelle, mais qui détiennent de nombreux pro- pond, vraisemblablement à une réalité de proximité alors
duits indispensables aux rituels religieux visant à garantir que les figures d’exécration, en revanche, figurant les loin-
la stabilité et le maintien de l’ordre sur la terre d’Égypte. tains voisins méridionaux de l’Égypte, soulignent ces traits
Mais, surtout, la crue du Nil provient du sud. Le flot pour identifier l’ensemble des ennemis du Sud par des
salvateur arrive en Égypte pendant l’été, ce qui est vital marqueurs ethniques aisément reconnaissables. En effet,
dans un pays au climat saharien où la température culmine la population égyptienne n’est-elle pas issue du mélange
en juillet et août. L’inondation avec son apport de limon « des plus basanés des blancs et des mélanodermes » 25 ?
fertile régit toute la vie agricole égyptienne. Elle rythme Dans les peintures égyptiennes, les couleurs de peau
les saisons mais elle a également un impact sur la vie passent du noir profond des Nubiens à la peau burinée
administrative puisque sa hauteur permet de déterminer des campagnards jusqu’aux chairs claires prêtées aux
le montant de l’impôt. Le mythe de l’Œil du Soleil et celui dames. Les momies ont des cheveux noirs généralement
du Retour de la Déesse Lointaine, évoquant métaphori- frisés, parfois crépus. Le modelé facial égyptien varie tout
quement l’arrivée annuelle de la crue, consacrent la Nubie autant: on observe des profils droits, des profils progna-
comme la terre d’où proviennent la fécondité et toutes thes, des pommettes saillantes, des lèvres charnues voire
les richesses associées à la déesse. ourlées, un nez légèrement busqué, un nez raide et massif,
des nez larges et évasés 26.
Les Égyptiens distinguent les Nubiens à la couleur de
leur peau, à leurs cheveux ou à leurs habitudes vesti- Les habitants des régions méridionales diffèrent des Égyp-
mentaires. La carnation noire des Nubiens leur apparaît tiens tant par leurs habitudes vestimentaires que par leurs
beaucoup plus foncée que la leur et que celle des Asia- usages. Ceux qu’ils appelent aussi Koushites (kashyou) 27
tiques qu’ils dépeignent jaune pâle 17. Le vocable égyptien sont qualifiés de « porteurs de tresses (?) » ou de « scari-
Nehesy(ou) 18 « Nubien(s) » désigne les gens du Sud fiés » (fig. 4). Ce sont « ceux qui s’habillent de peaux »,
depuis l’Ancien Empire. Il est parfois précisé que les « ceux qui ont des cheveux crépus » 28. Certains textes trai-
Nehesyou ont le « visage brûlé »19. Tel est d’ailleurs tent aussi les Nubiens de « mangeurs de gomme » parfois
aussi le sens du terme A˙yíoc, « éthiopien » c’est-à-dire de « mangeurs de résine âouych », peut-être pour indiquer
« homme au visage brûlé » utilisé beaucoup plus tard qu’ils n’ont pas autre chose à se mettre sous la dent alors
par les Grecs pour nommer les peuples de race noire 20. qu’en Égypte, la nourriture abonde. Mais, le mot traduit
Le terme Nehesy s’applique à deux types de représenta- par « mangeurs » a également le sens de « masticateurs »;
tions figurées égyptiennes : d’une part, à certains humains par conséquent, l’épithète peut signifier « mâcheurs de
de carnation noire et, d’autre part, à ceux qui, surtout gomme »; il s’agit dans ce cas d’une allusion à l’emploi
à partir du Nouvel Empire, présentent, en plus, des traits hygiénique de la gomme résine mastiquée pour des soins
négroïdes (fig. 2). Cette distinction se retrouve chez l’his-
torien grec Hérodote qui signale des Éthiopiens d’Asie
« aux cheveux raides » et des Éthiopiens de Libye « aux Fig.4. Nubiens. Relief de la deuxième cour de la tombe du général Horemheb
cheveux crépus», «revêtus de peaux de léopards 21 et de à Saqqara (XVIIIe dynastie). Cliché Danielle Vandenborne.
lions ».

Partant de cette difficulté d’identifier avec certitude les


Africains noirs, Jean Vercoutter 22 conclut trop rapidement
à l’absence de contact entre les Égyptiens et une
population d’Afrique noire, avant le Nouvel Empire,
exception faite de « nains » 23, longtemps interprétés
comme des « pygmées ». Les Égyptiens ont, cependant très
tôt, conscience de l’existence de peuples présentant une
physionomie négroïde 24. Ainsi, les figures d’exécration
du Moyen Empire montrent des Nubiens aux cheveux
crépus et avec ce visage caractéristique. La représentation
égyptienne d’hommes noirs, sans traits négroïdes, corres-

193
bucco-dentaires, voire comme dentifrice, et afin de parfu- dans le désert à l’ouest d’Abou Simbel. De la même
mer l’haleine, pratique encore répandue aujourd’hui 29, époque date également la création d’un établissement
notamment en Égypte. à Bouhen, à l’extrémité nord de la deuxième cataracte 38.

Les Nubiens parlent un langage curieux. Alors que l’égyp- À partir de la VIe dynastie, les souverains égyptiens
tien émane des dieux, les langues étrangères et, en parti- adoptent une nouvelle politique nubienne. Les nomarques,
culier le langage nubien, tiennent quant à elles, du chara- chargés des affaires nubiennes, prennent une part active
bia 30. Décrits comme irresponsables et paresseux, les au développement des relations entre l’Égypte et les
peuples de Nubie paraissent aussi dangereux en raison de populations qui occupent le cours moyen du fleuve 39. Ils
leurs compétences en matière de magie 31. organisent régulièrement des missions de reconnaissance,
explorant, de plus en plus loin, le cours du Nil. Plusieurs
Les Nubiens se reconnaissent, en particulier, au manie- textes relatent ces expéditions; pourtant la localisation
ment habile d’armes, comme l’arc et le bâton de jet 32, précise des différentes régions dont parlent les Égyptiens,
au point d’être appelés les Setyou, c’est-à-dire « Ceux Pays de Iam 40, Pays de Ouaouat 41, Pays de Zatjou… se
de l’Arc », et leur territoire, Ta-Seti, le « Pays de l’Arc », discute encore. Irtjet se trouve probablement à proximité
vocable qui désigne également le premier nome égyptien, de Ouaouat. À l’heure actuelle, le Pays de Zatjou 42 n’est
celui d’Assouan / Éléphantine. Les Égyptiens apprécient pas identifié. Diverses hypothèses sur son implantation
tellement leurs qualités militaires qu’ils les intégrent sont formulées par les traducteurs des récits égyptiens.
en grand nombre au sein de leur armée qui compte des Les trajets suivis par les expéditions égyptiennes ne font
mercenaires et des archers noirs, notamment après les pas non plus l’objet d’un consensus. Zatjou est, dans
troubles de la Première Période Intermédiaire 33. Le mot certains cas, situé aux environs de l’Oasis de Sélima,
aa 34, traduit par « interprète », puis par « étranger », sur la route commerciale vers Kharga et à travers el Shab.
désigne peut-être des auxiliaires, militaires ou policiers, La question de la localisation de Zatjou se pose en même
le plus souvent nubiens, au service de l’Égypte. Ils font temps que celle du Pays de Iam, destination finale de
partie des troupes étrangères de l’armée égyptienne et plusieurs expéditions. Se fondant sur la durée estimée
des expéditions hors de la vallée 35. L’importance de du trajet des explorateurs, certains situent Iam dans la
l’archerie nubienne est bien connue, au Soudan, par plaine de Dongola. L’iconographie d’une stèle conservée
de nombreuses tombes contemporaines où le défunt, à Florence 43 illustre cette problématique. Elle permet
coiffé de plumes d’autruches, est inhumé avec un arc et d’envisager deux hypothèses. Dans la scène gravée sous
un carquois. le cintre, le dieu Montou offre la personnification des
ennemis du sud au roi Sésostris Ier. Selon l’ordre de
présentation des personnages, Iam, si, toutefois, il s’avère
À l’Ancien Empire, expéditions militaires que c’est bien le mot Iam qui est écrit, se trouve soit
et commerciales au « Pays de l’Arc » en dixième position, thèse qui accrédite l’hypothèse de
Dongola, soit en quatrième position, ce qui suggère
Les relations commerciales qui existent dès la fin de la une région septentrionale entre la troisième cataracte et
période prédynastique entre les Égyptiens et les habitants l’île de Saï 44.
de la région située entre la première et la deuxième
cataracte s’intensifient au cours de l’Ancien Empire 36. Au fil du temps, ces différents territoires modifient leurs
La plupart des expéditions vers le Sud partent de la frontières, leur hiérarchie interne et leurs relations avec
ville fortifiée d’Abou, bâtie au sud de l’île Éléphantine, les Égyptiens 45.
capitale du premier nome de Haute Égypte. De la IVe
à la VIe dynastie, de nombreux textes et des inscriptions Un expéditionnaire, Ouni, dans l’inscription figurant
rupestres attestent d’expéditions militaires et économiques sur les murs de sa tombe à Abydos 46, rappelle qu’il
entre la première et la deuxième cataracte 37. La IVe dynas- est chargé de recruter une armée importante 47 lors
tie, par exemple, est marquée par une campagne militaire de l’expédition qu’il conduit. Les Nubiens égyptianisés
de Snéfrou, mais également par l’exploitation sous les y occupent la première place 48. Néanmoins, l’un des
règnes suivants de gisements de diorite, à 80 kilomètres récits d’expéditions les plus vivants et les plus détaillés

194
de l’Ancien Empire figure sur les parois de la tombe
d’Herkhouf à Éléphantine. Le rapport contient la mention Peaux de panthère
étonnante d’un « nain » (deneg 49 en égyptien) amené
Les Égyptiens importent des félins vivants. Ils acquièrent aussi des
en Égypte. S’agit-il vraiment d’un Pygmée 50 destiné aux peaux de panthères (fig. 5). Ils s’intéressent, en particulier, au léo-
« danses du dieu » comme on l’a souvent compris ? Dans pard (Felis leopardus ou Panthera leo) qu’ils associent au guépard
l’inscription gravée sur les murs de sa tombe, Herkhouf (Acynonix jubata ou Cynælurus jubatus). Tous deux présentent un
ne dit pas comment il a découvert l’homme 51. De sa pelage tacheté 53 et peut-être, les considèrent-ils comme deux
troisième expédition au pays de Iam, Herkhouf revient variétés d’un même animal car ils appellent le premier, « léopard
à la tête d’une caravane de trois cents ânes chargés du nord » et le second, « léopard du sud ». Un mythe considère le
notamment de peaux de léopards, d’ébène, de senetjer guépard femelle comme l’un des aspects de Sekhmet-Hathor, la
et de hekenou 52. furieuse Lointaine enfuie en Nubie 54. Séchat, la déesse de l’astro-
nomie, revêt elle aussi une robe étoilée en peau de panthère repré-
sentant le ciel 55. Des croyances fort anciennes sont liées à la
dépouille de panthère. Le pouvoir sexuel et régénérant attribué à
cette peau se fonde sur un autre mythe où l’on apprend comment
la peau de Seth, transformé en panthère, a été arrachée par Anubis
qui s’en est servi pour y mettre les lambeaux du corps d’Osiris. La
nébride d’Anubis présente donc parfois, en référence à ce mythe,
l’aspect d’une peau de panthère 56. Dans le rituel funéraire, elle est
portée par les prêtres jouant le rôle du fils, c’est-à-dire d’Horus
auprès d’Osiris. Le prêtre sem, officiant dans le Rituel de l’Ouverture
de la Bouche, en est revêtu, de même que le prêtre-lecteur et le
prêtre Iounmoutef, lors du rituel de la fête sed, c’est-à-dire la céré-
monie du jubilé royal. Le pharaon en tant que ritualiste revêt parfois
une peau de panthère. La tête animale au bout de la dépouille appa-
raît alors de face afin de mieux souligner la puissance qui s’y
concentre. Voilà pourquoi la peau de panthère, associée aux rituels
de la momification est, quelquefois, posée sur le coffre à canopes 57,
Fig. 5. Panthère et peaux de félins apportées en Égypte. contenant les entrailles du défunt.
Relief du temple d’Ermant (XVIIIe dynastie). Cliché François Gourdon.
Ébène
Fig. 6. Défilé de Nubiens apportant en Égypte des billes d’ébène et les autres Parmi les arbres africains, l’ébène (Dalbergia melanoxylon Guill.
produits de Nubie. Relief du temple de Ramsès II à Beit el Ouali (XIXe dynastie). et Perr.) 58, appelé hebeny 59 en égyptien, est, dès la première
Cliché François Gourdon.
dynastie, l’une des essences les plus recherchées par les Égyptiens.
À l’Ancien Empire, l’ébène provient du pays de Iam. À la XVIIIe
dynastie, il passe pour venir de Kouch et de Ouaouat. Ces deux
régions apparaissent comme des lieux de transit plutôt que de
production parce que situés hors de l’aire de dispersion de
l’ébène 60. Les Égyptiens emploient ce bois noir et dur à la fabrica-
tion de statues, mais surtout de meubles de luxe, en particulier de
sièges. Ils l’utilisent exceptionnellement dans l’architecture pour
la confection d’agrafes liaisonnant les blocs de pierre 61. L’ébène,
importé en grandes quantités (fig. 6), est d’abord un produit
précieux. Progressivement s’impose l’idée qu’il s’agit d’un bois
magique car sa couleur d’un noir profond le désigne comme
une essence divine. N’est-ce pas la couleur du limon fertile véhiculé
par la crue, ce qui l’associe à l’idée de régénération et de renais-
sance ? Noir est aussi le bitume qui imprègne les momies. Doté de
cette charge symbolique, l’ébène s’emploie dès lors dans le monde

195
Pour assurer l’approvisionnement constant des matériaux
funéraire et aussi dans la fabrication de remèdes. Le Rituel de précieux que les Égyptiens vont chercher en Nubie, la
l’Embaumement 62 requiert, par exemple, l’usage d’eau de gomme diplomatie joue un rôle essentiel. Il faut à tout prix éviter
d’ébénier. Réduit en poudre, l’ébène sert à la réalisation de collyres. que les caravanes ne soient attaquées, pillées et décimées.
Le même bois intervient dans la confection de baguettes de magi- De manière à se concilier les communautés rencontrées et
ciens ou de coffrets contenant des grimoires. Les textes égyptiens pour qu’elles trouvent profit à traiter avec les Égyptiens,
associent fréquemment l’ébène à l’ivoire, autre produit africain par les chefs d’expéditions développent plusieurs stratégies.
excellence, offert spécifiquement à l’Isis de Philæ, et utilisé pour Les uns convainquent les seigneurs locaux et leurs enfants
la réalisation d’objets magiques. L’ivoire et l’ébène proviennent de venir à la Résidence 77 pour y recevoir une éducation
du pays de la Lointaine, aussi appelée la Grande de Magie 63, rame- similaire à celle de l’élite d’Égypte et y apprendre l’égyp-
née en Égypte par Thot, lui-même un grand magicien. Voilà tien; les autres lèvent des troupes parmi les populations
pourquoi une relation étroite unit l’ébène et Thot, détenteur de la
nubiennes. Malgré cet effort diplomatique, les expéditions
connaissance.
doivent s’adapter au climat politique du moment. Ainsi,
Encens, oliban, résine de térébinthe
lorsque Sabni se rend à Ouaouat pour y faire construire
deux bateaux destinés au transport de deux obélisques jus-
Le mot senetjer qui désigne l’oliban 64, l’encens (fig. 7) par excel-
qu’à Héliopolis, il n’est accompagné que de cinq soldats.
lence de l’époque pharaonique, signifie aussi étymologiquement
« ce qui rend divin ». Pratiqué lors des cérémonies religieuses, l’en- Il en profite pour « engager des étrangers qui se trouvaient
censement de l’offrande la rend apte à être consommée par la à l’Est et à l’Ouest de Ouaouat ». Mais quand Pépi-Nakht
divinité. L’oliban est une gomme-résine en forme de petites larmes va « écraser les pays de Ouaouat et d’Irtjet », où il fait un
blanches à jaune pâle ou plus foncées qui provient des arbres et carnage, il se trouve à la tête d’une troupe importante. Il
arbustes de Boswellia spp. (Burseraceæ) 65. D’autres substances, ramène « un grand nombre de prisonniers à la Résidence».
offrant des caractères et des propriétés analogues, sont, dans Il rentre aussi de sa deuxième mission dans les mêmes
certains cas, mélangées ou substituées à l’oliban pour servir d’en- régions en compagnie de deux princes, de leurs enfants et
cens ou faire des onguents, des pâtes, des poudres cosmétiques ou du directeur des troupes qu’il conduit à la Résidence, vrai-
médicinales et des adhésifs 66. Le terme senetjer recouvre finale- semblablement pour y recevoir une éducation à l’égyp-
ment un groupe de résines de « térébinthacées » régi par l’encens tienne 78. Dans la narration de ses deux premiers voyages,
et dans lequel peuvent être inclus la résine de térébinthe, certains Herkhouf ne fait pas allusion à des frictions entre princi-
exsudats de Commiphora (Burseraceæ), telles la résine de C. sam-
pautés nubiennes. En revanche, au cours de la troisième
harensis Schweinf. (= C. terebinthina Vollesen) et l’oléorésine de
expédition, il se trouve au cœur d’un conflit qui s’étend
Commiphora opobalsamum auct 67.
alors aux habitants du désert occidental. Parti avec une
Onguent-hekenou troupe importante, il commence par convaincre le seigneur
de Iam de modérer ses prétentions à l’encontre du pays
L’« onguent » hekenou 68, pommade rituelle parfumée, parfois
dénommée l’ « huile de jubilation », se compose, tout au moins à des Tjéméhou 79. Herkhouf s’allie alors au souverain de
l’époque ptolémaïque, de plusieurs produits issus de la botanique Iam. La coalition constituée par les seigneurs d’Irtjet, Zat-
africaine et résulte d’opérations complexes 69 nécessitant de nom- jou et Ouaouat s’incline alors devant la combinaison des
breuses cuissons et réductions ainsi que de multiples pauses 70. forces égyptiennes et iamites. Herkhouf envoie un messa-
L’onguent se fabrique à l’aide de divers composants : les fruits d’ar- ger du pays de Iam à la cour égyptienne, pour rendre
bre nedjem, sans doute des bourgeons de cassia (Cinnamomum compte de son succès dans le désert occidental 80.
iners), c’est-à-dire la fausse cannelle, de l’ânti 71, la myrrhe, prove-
nant des arbres et arbustes de la famille des Commiphora spp., et À l’Ancien Empire, l’intégration volontaire ou forcée des
de styrax 72, de la résine de pin d’Alep, de trois aromates tels que Nubiens s’opère non seulement par le biais de la levée de
le tichepès 73, extraits de résines aromatiques, de djebâ et de che- troupes, de l’éducation et de la formation de l’élite au sein
ben 74 ainsi que du vin de l’oasis et de l’eau 75. Offert dans les tem-
du palais royal, mais également par la déportation de
ples, cet onguent est aussi régulièrement attesté en seconde posi-
main-d’œuvre. Des personnes en nombre considérable
tion dans la liste des sept huiles canoniques 76 que l’on dépose
sont déplacées au nord de la première cataracte, comme
auprès du mort. Il a des propriétés comparables à celles de l’encens
et sert à l’onction notamment lors du Rituel de l’Ouverture de la en témoigne l’introduction successive de sept mille Nubiens
Bouche. sous Snéfrou, deux cent mille têtes de bétail 81 et de dix-
sept mille Nubiens au cours de la VIe dynastie, alors que

196
la population égyptienne est évaluée à environ un million Au Moyen Empire, le pays de Koush
et demi d’habitants 82. Le décret de Pépi Ier évoque des et les forteresses égyptiennes 88
«Nubiens pacifiques » appartenant au personnel de la ville
des pyramides de Snéfrou à Dahchour. Ce texte accrédite Au cours de la Première Période Intermédiaire, les expé-
l’hypothèse d’une colonie nubienne aux alentours de ditions commerciales égyptiennes se poursuivent. À
Memphis. Si la documentation contemporaine est impuis- l’aube du Moyen Empire, l’Égypte retrouve son unité
sante à préciser la place de cette main-d’œuvre privée mais doit impérativement se protéger contre la menace
dans la société égyptienne et la nature des relations que la représentée tant par les Libyens et les Asiatiques que par
population entretient avec chacune des ethnies représen- les Nubiens. Les pharaons s’attachent, comme toujours,
tées, la situation est plus claire dans l’armée où les merce- à maintenir l’approvisionnement des matières premières
naires nubiens sont recherchés de préférence à d’autres 83. venant de la Basse Nubie et à sécuriser la région du Ouadi
Même s’ils occupent des fonctions militaires, sacerdotales Allaqi et ses précieuses mines d’or 89. À la suite de démê-
et administratives 84, et si certains d’entre eux atteignent lés avec les habitants de Ouaouat et avec les turbulents
de hautes fonctions à la Cour 85, il semble que les Nubiens Medjayou 90, Montouhotep II 91 initie le mouvement, dès
expatriés en Égypte demeurent des étrangers 86. Par exem- la XIe dynastie, en faisant installer une garnison à Élé-
ple, Pépi I er leur interdit de moissonner les terres de l’en- phantine 92. Dès la XIIe dynastie, Sésostris Ier mène une
ceinte de la pyramide de Snéfrou et de pénétrer à l’inté- campagne en Nubie. Ses successeurs, et, en particulier,
rieur du temple 87. Sésostris III, mettent en place un complexe de forteresses

Fig. 7. Défilé de Nubiens apportant les richesses de Nubie: encens, arcs, mobilier, plumes d’autruches, défenses d’éléphants, billes d’ébène... ainsi que différents animaux.
Relief du temple de Ramsès II à Beit el Ouali (XIXe dynastie). Cliché François Gourdon.

197
dont le nom dévoile le rôle : à Faras, « Celle qui repousse faire de profitable avec eux sans cependant jamais autori-
les Medjayou »; à Shalfak, « Celle qui domine les pays ser une barque des Nubiens à dépasser Heh [Semna]
étrangers »; à Ouronarti, « Celle qui repousse les Iounou»; au Nord »102. La seconde stèle, quant à elle, célèbre notam-
à Koumma, « Celle qui repousse les Arcs »; et à Askout, ment la mise en place de la frontière : « ... Lorsqu’on
«Celle qui repousse les Setyou ». Au cours de cette dynas- marche contre le Nubien, il prend la fuite. Ce ne sont
tie, les monarques égyptiens établissent une nouvelle pas des hommes qui méritent le respect. Ils sont pitoyables
frontière à la deuxième cataracte. Elle est gardée par un et sans courage. Ma majesté les a vus. Ce n’est pas un
réseau complexe de citadelles et de fortins, placé sous un mensonge... ».
commandement unique situé à Bouhen 93. La stratégie
égyptienne ne repose pas seulement sur ce réseau de
fortifications, mais aussi sur des expéditions de contrôle.
En attestent des graffiti relevés dans la région de Bou- Fig. 8. Offrande de l’or et de queues de girafes.
hen 94 et les comptes rendus 95 de missions effectuées Peinture de la chapelle de la tombe de Houy à Gournet Murraï (TT 40)
(XVIIIe dynastie).
sous le règne d’Amenemhat III. La sécurité est encore Cliché François Gourdon.
renforcée par la création d’établissements égyptiens près
de la population autochtone, tel le village d’Areika 96,
occupé par un contingent militaire, la garnison qui est
chargée, comme Semna 97, de surveiller la population
locale. Cet avant-poste présente de nombreuses similitu-
des avec celui du Ouadi el-Houdi 98 au sud d’Assouan.
Il contrôle l’ensemble de la région d’Amada. Au sein
de ces cités, se trouve un kheneret 99. Cet endroit désigne-
t-il une prison destinée aux insurgés, aux fauteurs de
troubles et aux criminels de la région ? Les forteresses
se transforment petit à petit en campements égyptiens
fortifiés, abritant non seulement des soldats mais aussi
des femmes et des enfants. À proximité de ces « villes
fortifiées » se développent les implantations autochtones
et les échanges s’intensifient au point que les populations
noires s’installent finalement à l’intérieur même des struc-
tures égyptiennes.

L’activité militaire de Sésostris III se concentre sur la


Nubie. Ses expéditions le conduisent probablement au
moins jusqu’à Saï 100. À la frontière méridionale atteinte
par les Égyptiens du Moyen Empire, se trouvent les forte-
resses de Semna et Koumma. Sésostris III y fait ériger
deux stèles. La première 101 porte une inscription qui fixe
les limites du territoire égyptien et les règles en matière
de passage des populations locales : « Frontière méridio-
nale fixée en l’an 8 sous la Majesté du Roi de Haute
et Basse Égypte Khâkaourê – puisse-t’il être doué de
vie éternellement et à jamais – afin d’interdire que ne la
franchissent en se rendant au Nord, soit à pied [en suivant
la rive], soit en barque quelque Nubien que ce soit, et
n’importe quel troupeau des Nubiens en exceptant 1)
un Nubien qui viendrait pour faire du commerce à Iqen
[Mirgissa] ou en mission 2) et tout ce qu’on pourrait

198
La construction de citadelles de plus en plus méridionales,
l’implantation de colons et la désignation dans les textes Or et électrum 113
de Koush comme l’ennemi par excellence témoignent À l’époque pharaonique, les quartz aurifères abondent dans les
des changements dans la situation géopolitique. En effet, déserts orientaux et méridionaux. Une fois le minerai concassé et
les populations établies entre la première et la deuxième lavé, l’or, rapporté en poudre dans des sacs de cuir, est transformé
cataracte sont soigneusement contrôlées lorsqu’elles tra- en lingots ou en anneaux 114 (fig. 8). Les expéditions tant à l’aller
versent cette région. Par conséquent, la menace qu’elles qu’au retour coûtent un nombre important de vies humaines. Sur
représentent pour les intérêts égyptiens ne justifie ni une place, les conditions de travail sont d’autant plus effroyables que les
couloirs d’extraction sont très étroits 115. Parmi les divers termes
extension méridionale des défenses ni l’interdiction, à
traduits généralement par « or »116, la lexicographie égyptienne
des tribus qui y vivent déjà, de se rendre au nord de la
utilise très souvent djam 117 et nebou 118. Le vocable djam revient
deuxième cataracte. Les mesures prises par les Égyptiens constamment dans les textes décrivant, par exemple, des colonnes
s’enracinent probablement dans la crainte du développe- « travaillées en or »119, voire une porte « travaillée en or véritable »120,
ment du puissant royaume de Koush (Kerma) 103 et des une précision nécessaire car le bronze doré fait partie des tech-
prétentions qu’il paraît avoir, face à l’Égypte, au cours niques employées. Le titre oudeh en djam, « enfant d’or » est parfois
du Moyen Empire 104. appliqué au jeune Horus, également au jeune roi en tant que fils
du soleil, représentant Horus 121. En réalité, le terme djam désigne
Des pratiques magiques s’ajoutent à la stratégie militaire. plutôt l’électrum, c’est-à-dire un alliage d’or et d’argent. La distinc-
Ainsi, les textes d’exécration 105 de la fin de l’Ancien tion entre or et électrum tient à la composition du métal; s’il contient
Empire et des XIIe et XIIIe dynasties 106 visent particuliè- plus de 75% d’or, c’est de l’« or »; si l’alliage or-argent contient
rement les Nehesyou et les Medjayou 107. Ils sont inscrits moins de 75% d’or, il s’agit d’« électrum » ou d’« or blanc »122. Pour
sur des récipients en terre ou sur des statuettes de prison- contrebalancer la pâleur de l’électrum, due à la présence d’argent,
les Égyptiens ajoutent occasionnellement du cuivre 123. À l’époque
niers brisés rituellement, car leur détenteur est magique-
pharaonique, les deux mots sont parfois utilisés l’un pour l’autre.
ment mis hors d’état de nuire par la destruction de son
Ainsi, par exemple, les deux termes s’appliquent dans l’épithète
nom. La puissance magique de ces textes se trouve parfois d’Hathor, appelée « l’or des dieux et des déesses »124. À l’époque
renforcée par un sacrifice humain, comme le prouve le gréco-romaine, le mot djam désigne l’or en général. Il n’en demeure
crâne associé au dépôt de textes d’envoûtement découvert pas moins que certains objets, telle la main intervenant dans le
à Mirgissa, sur la deuxième cataracte 108. Des inscriptions Rituel de l’Ouverture de la Bouche, soient spécifiquement faits
d’exécration analogues, conservées à Berlin, au Caire et à d’électrum 125. Le même matériau est employé dans la fabrication
Bruxelles, prouvent de régulières mises à jour des listes de vases, de statues, mais aussi dans le placage des obélisques
nominatives énumérant les ennemis de l’Égypte, tant en ou des meubles 126.
son sein qu’à l’étranger.
Pour les Égyptiens, l’or, parure divine et royale, constitue la chair
brillante et incorruptible du soleil et des dieux issus de lui. Ainsi,
À la XIe dynastie, les Égyptiens exploitent le désert oriental Horus d’Edfou illumine les Deux Terres avec l’électrum (djam), équi-
notamment les gisements aurifères du Ouadi Hammâmât, valent de la lumière solaire. Hathor est l’Or incarné. La titulature du
du Ouadi Allaqi et du Pays de Koush. La recherche et le trai- pharaon comporte le nom d’Horus d’Or. On recouvre d’or les pointes
tement de l’or s’opèrent dans toute la zone de la deuxième des obélisques, les porches des temples, les meubles liturgiques...
cataracte 109. L’entrée du Ouadi Allaqi et l’accès aux mines Métal divin, l’or confère une survie divine au défunt lui donnant
d’or sont gardés par le fort de Kouban. Au nord-ouest de l’éternité charnelle du soleil et des dieux. Par extension, le jaune
Toshka, les carrières de gneiss sont exploitées 110. Au Ouadi est primordial dans la symbolique funéraire. Les statues de ka et les
el Houdi, les Égyptiens vont chercher, entre autres maté- cercueils sont façonnés dans les « salles de l’or ». Le même terme
riaux, l’améthyste, la diorite, la cornaline, le feldspath et s’applique à certains endroits où se pratique l’embaumement mais
le grenat. La galène 111, quant à elle, provient du Gebel Zeit. aussi à la chambre du sarcophage des hypogées royaux. Les rois
et les plus nantis disposent d’un masque funéraire en or. Les autres
Les expéditions comptent parfois un nombre important de
portent un masque doré ou peint en jaune. L’or n’est pas exclusi-
personnes, comme en témoigne une inscription datée de l’é-
vement affecté aux usages funéraires. Ainsi, au Nouvel Empire, le
poque de Sésostris Ier dans laquelle est décrit un corps expé- pharaon gratifie les militaires méritants de « mouches d’or » et
ditionnaire composé de mille trois cents hommes dont cin- les fonctionnaires de l’or de la récompense, consistant en colliers,
quante lapidaires et deux cents carriers; le transport depuis bracelets…
les carrières jusqu’au Nil est assuré par mille ânes 112.

199
Un témoignage de la XIe dynastie évoque le voyage du breuses sont les représentations de Nubiens sur des monu-
grand intendant, trésorier Henenou / Henou chargé par le ments privés de Haute Égypte où ils prennent part aux
pharaon Montouhotep III de faire partir des navires à des- conflits armés entre provinces au même titre que les sol-
tination de Pount pour aller y chercher de l’ânti frais 127. dats égyptiens. L’adoption de noms égyptiens, de fréquents
Ce dignitaire a laissé au Ouadi Hammamat une inscription mariages mixtes manifestent une volonté d’intégration
témoignant principalement de la première phase de l’ex- malgré le souci de conserver les signes extérieurs de leur
pédition. Au départ de Coptos, Henou prend la route indi- culture d’origine 142. Leur choix de coutumes funéraires
quée par « Sa Majesté », probablement le Ouadi Hammâ- locales ne les empêche pas de déposer dans leur sépulture
mât au nord et le Ouadi Gawâsîs qui débouche sur la côte du matériel nubien à côté du matériel égyptien 143. En
de la mer Rouge 128. Les effectifs engagés dans ce qui témoigne le contenu des tombes de ces « mercenaires »
apparaît comme une entreprise visant d’abord à ouvrir une nubiens ou Pan Graves 144, dispersées à divers endroits du
route et à la sécuriser forment une armée de trois mille territoire égyptien.
hommes. Le corps expéditionnaire se déplace avec des
ânes chargés de ravitaillement : de l’eau, des vivres et des
sandales de rechange. L’intendance doit fournir chaque Au Nouvel Empire, la Nubie
jour six mille cruches d’eau et soixante mille pains pen- et les vice-rois de Koush
dant une durée qui n’est pas précisée, mais qui doit s’é-
tendre sur des mois 129. Henou aménage plus d’une dou- Reconquête de la Nubie
zaine de puits au cours du trajet. Au retour, il regagne
l’Égypte par le Ouadi Hammamat et revient au pays avec À la Deuxième Période Intermédiaire, l’Égypte se morcèle
les produits trouvés sur la « Terre du dieu » et des pierres et perd la maîtrise de la Basse Nubie. Les Hyksôs occu-
de qualité pour faire des statues du pharaon, à moins qu’il pent la Basse Égypte alors que le sud du pays demeure aux
n’ait ramené ce matériau d’une autre expédition. mains de princes thébains. À la fin de la XVIIe dynastie,
la Nubie est entièrement à reconquérir 145. Cette dynastie
Une œuvre littéraire du Moyen Empire, le Conte du Nau- lance la guerre de libération du territoire égyptien. Il
fragé 130, montre l’intérêt marqué par les Égyptiens pour s’ensuit une série de campagnes tant à l’est qu’au sud 146.
l’ânti, c’est-à-dire la myrrhe et d’autres produits du pays Une fois les Hyksôs boutés hors du pays, les pharaons
de Pount. Un naufragé, seul survivant d’un navire pris dans s’attachent à reprendre et à annexer la Nubie. Ils récupè-
une tempête en mer, échoue sur une île ou une péninsule. rent et agrandissent les forteresses de Basse Nubie, notam-
Or, le maître du lieu est un ophidien fantastique, mesurant ment celles qui protègent le Ouadi Allaqi et en délaissent
plus de quinze mètres. Le serpent dit au naufragé : « ...Tu d’autres. Ils fondent de nouvelles places fortes au-delà
as certes du senetjer, (mais) c’est moi le souverain de Pount de la troisième cataracte 147. Les campagnes d’Ahmosis
et l’ânti m’appartient; ce hekenou que tu prétends apporter, ne se bornent pas à la reconquête du territoire perdu entre
c’est le principal produit de cette île ! 131 ». Dans cette la première et la deuxième cataracte. Le pharaon et son
phrase, le serpent oppose l’ânti, produit typique du pays armée franchissent l’obstacle fluvial redouté du Batn
de Pount et le senetjer qui semble assez répandu sur le el-Hagar, c’est-à-dire « Ventre de pierre », se rendent dans
marché pour que les Égyptiens puissent en obtenir aisé- un pays appelé le Khenthennefer. Ce toponyme, fréquent
ment. À la fin du conte, le naufragé déclare : « il me donna au Nouvel Empire, s’applique à une vaste région allant
une cargaison comprenant de l’oliban 132, des (onguents, probablement des environs de Kerma à la quatrième
aromates) hekenou, ioudeneb, khesayt 133, tichepès 134, cataracte. Le site de Saï a fourni quelques jalons archéo-
chaâsekh 135, du collyre noir 136, des queues de girafes 137, logiques pour reconstituer l’histoire de la progression
un gros tas de résine de térébinthe 138, des défenses d’ivoire, égyptienne vers le sud 148 (fig. 9).
des chiens de chasse 139, des cercopithèques 140, des babouins,
et toutes sortes de produits précieux de qualité 141 ».
Gestion administrative originale de la Nubie
En Égypte, l’intégration de Nubiens se poursuit au cours
de la Première Période Intermédiaire et au Moyen Empire Au Nouvel Empire, l’Égypte instaure une gestion origi-
tant à la Cour qu’au sein de contingents militaires. Nom- nale de la Nubie qui est celle qui prévaut pendant cinq

200
Koushites contrôlent alors les routes caravanières des
oasis. Cela leur permet de contourner Thèbes et d’entrete-
nir un commerce étroit avec les Hyksôs. Les dagues hyk-
sôs, les jarres de Tell el Yahudiya et les sceaux mis au jour
dans divers sites nubiens et à Kerma 156 accréditent ce
contact. Les princes de Thèbes prennent conscience de la
menace que représenterait une coalition du royaume de
Kerma avec les Hyksôs lorsqu’ils interceptent un messa-
ger hyksôs se rendant au pays de Koush dans le but de
constituer une alliance contre les Égyptiens 157. Cependant,
le rêve hyksôs d’alliance avec les Koushites pour régner
sur la Vallée du Nil, de la Méditerranée à la quatrième
cataracte, ne va pas se réaliser. En Nubie, diverses familles
Fig. 9. Scarabée à tête humaine trouvé à Saï. Cat. 35.
égyptiennes se mettent au service des princes de
Kerma 158.
siècles, jusqu’à la fin de la XXe dynastie 149 (fig. 10). Le
Sud est désormais confié à un gouverneur spécial, le En Nubie, le royaume de Koush subsiste comme le mont-
sa nesou ny Kouch, littéralement, « fils royal de Koush ». rent les vestiges de la ville de Kerma, contemporains des
Plutôt qu’un titre de parenté, cette expression souligne le débuts de la XVIIIe dynastie. Toutefois, son territoire sep-
rang exceptionnel du titulaire de la charge 150. Elle signifie tentrional se réduit, ce qui l’amène à réagir car les peuples
que le fonctionnaire désigné à ce poste dépend directement nubiens n’acceptent pas facilement la présence égyptienne.
du palais. Le terme de « vice-roi » convient mieux car le Les villes fortifiées remplacent les forteresses, à la
détenteur du titre représente le pharaon dans cette vaste deuxième cataracte, entre la cataracte de Dal et la troisième
région 151. Le titre n’implique pas une militarisation accrue cataracte, et d’autres types d’agglomération se multiplient
de la Nubie. Le « vice-roi de Koush » et « directeur des peu à peu, entre la deuxième et la troisième cataracte 159.
pays méridionaux » est assisté d’un « idenou de Ouaouat »,
d’un « idenou de Koush », d’un « commandant » des trou-
pes nubiennes. Le centre administratif est Aniba et l’éten- Expéditions militaires égyptiennes en Nubie
due du territoire contrôlé subit des variations notables.
Car, si la Haute Nubie paraît livrée aux mains des Égyp- Lorsque Thoutmosis Ier établit une forteresse à la troisième
tiens, malgré des tentatives régulières de soulèvement, cataracte, la région se soulève à l’instigation du souverain
diverses populations, comme celles d’Irem, de Nemy ou de Kerma. Dès la première année de son règne, le pharaon
de Miou dont la localisation se discute encore, leur don- Thoutmosis II conduit à son tour une campagne afin de
nent du fil à retordre et subissent en retour de nombreuses réprimer une révolte 160. Thoutmosis III maintient égale-
déportations 152. ment une activité militaire importante en Nubie. Il fait
renouveler à Hagar el-Meroua, l’inscription de son grand-
père marquant la frontière méridionale du domaine égyp-
Forteresses transformées en villes fortifiées tien. Lui-même pénètre plus loin, mais temporairement : il
serait allé capturer dans la région de Miou, un rhinocéros,
Le déclin égyptien favorise la montée en puissance de figuré au temple d’Ermant. L’insertion de la Nubie dans le
Kerma, la première cité de l’histoire soudanaise, et l’épa- système économique égyptien paraît, en tout cas, assurée
nouissement de la première grande culture autochtone du sous son règne. Ainsi, les « Annales » du roi figurées sur
continent africain, en dehors de la civilisation égyp- les murs du temple d’Amon à Karnak mentionnent l’ap-
tienne 153. Certaines places fortes égyptiennes sont mises port régulier des pays du Sud 161, sans qu’un combat ou
à sac. D’autres sont habitées par une population nubienne même qu’une expédition soit nécessaire 162.
mêlée aux Égyptiens ou bien passent sous l’autorité de
Kerma comme l’atteste l’inscription de la stèle de Ka 154 Sous Amenhotep III, la frontière méridionale de l’Égypte
traitant de la gestion de la forteresse d’Askout 155. Les se situe à Kary, c’est-à-dire dans la région de Napata et

201
de la quatrième cataracte 163. Le pharaon y conduit une rencontrent au milieu du cours du Nil. Situés à proximité
action punitive en deux campagnes. Au cours de l’une de la deuxième cataracte, ces deux temples sont peut-être
d’elles, il se livre lui aussi, semble-t-il à la chasse au rhi- liés à l’arrivée de l’inondation 169. Il ne faut toutefois pas
nocéros 164. La Nubie joue, aux yeux de ce pharaon, un perdre de vue que ces monuments rupestres relèvent aussi
rôle tellement important, qu’il y fait construire à Soleb, d’une politique de propagande gouvernementale, de même
un temple imposant en rapport avec la célébration de sa d’ailleurs que les statues colossales des souverains expor-
première fête-sed en l’an 30 de son règne. Destiné à assu- tées dans les cours étrangères 170.
rer le renouvellement de la puissance royale, le temple
consacre aussi la divinisation du souverain. À près de Merenptah, le successeur de Ramsès II, connaît, à son
quinze kilomètres au nord, à Sedeinga, Amenhotep III tour, quelques démêlés avec les populations méridiona-
fait établir un temple aux chapiteaux hathoriques en l’hon- les 171. À la fin de la XIXe dynastie, des conflits au sein
neur de la Grande Épouse royale, Tiyi. Les deux temples de la famille royale touchent en particulier les rapports
présentent une disposition similaire à celle des temples avec la Nubie 172. Amenmes, probablement un fils de Sethi
d’Abou Simbel édifiés plus tard sous Ramsès II 165. II, se manifeste à Thèbes en rival de son père, et com-
mence peut être à régner seul dans le sud, en Nubie, avant
Le comportement d’Akhenaton vis-à-vis de la Nubie dif- de disparaître quelques années plus tard. Ramsès III, le
fère peu de celui de ses prédécesseurs. Ses interventions pharaon le plus important de la XXe dynastie, ne manifeste
en Nubie sont rares; toutefois, au cours de la mémorable pas d’intérêt particulier pour cette région, même si une
campagne répressive de l’an 12 de son règne, de nombreux expédition au Pays de Pount est bien attestée sous son
prisonniers sont empalés, d’autres sont emmenés en règne. Au cours de cette dynastie, l’occupation égyptienne
Égypte (fig. 11). Peut-être sont-ce les mêmes personnes de la Nubie régresse progressivement. Seize sites gardent
qui figurent dans les représentations de la grande cérémo-
nie de l’an 12 166. Le pharaon développe particulièrement Fig. 4. Nubien et Égyptien. Relief de la deuxième cour de la tombe du général
le site de Sésébi où se trouvent quatre temples consacrés Horemheb à Saqqara (XVIIIe dynastie). Cliché Michel Lizin.

à Amon, Mout et Khonsou. Le « dieu Amenhotep III », son


père, y est célébré parmi les autres divinités 167. Le nom
du site de Kawa, Gematon, fait penser que la ville a été
fondée par Akhenaton.

À la XIXe dynastie, Sethi Ier conduit au moins une campa-


gne en Nubie 168. Le pays d’Irem fournit plusieurs centai-
nes de prisonniers nubiens sous son règne et sept mille
sous le règne de son successeur. Alors que son père y
laisse surtout des inscriptions militaires, Ramsès II fait
édifier en Nubie sept temples en six lieux différents. Les
fondations les plus spectaculaires sont les deux temples
d’Abou Simbel creusés l’un, dans la montagne de Meha
au sud, et l’autre, au nord, dans la montagne d’Ibshek,
consacrée depuis longtemps à Hathor. Les axes des deux
monuments semblent établis l’un par rapport à l’autre.
Deux fois par an, le soleil levant éclaire le fond du sanc-
tuaire du grand temple; en revanche, il ne pénétre pas
au-delà de l’entrée du petit sanctuaire; les deux axes se

Fig. 10. Enregistrement de captifs étrangers conduits en Égypte.


Relief de la deuxième cour de la tombe du général Horemheb à Saqqara
(XVIIIe dynastie). Cliché Danielle Vandenborne.

203
le témoignage de la présence égyptienne, sur lesquels seu- textes comme dans les scènes officielles des temples, repré-
lement trois rois, Ramsès III, Ramsès IV, Ramsès IX, sont sentent les offrandes faites aux dieux témoignant des suc-
attestés 173. Au début du règne de Ramsès XI, le dernier cès des expéditions militaires et commerciales 176. À Deir
vice-roi de Koush, Panehesy, est chassé de Thèbes, après el Bahari, en son temple des Millions d’Années, Hatshep-
avoir rétabli l’ordre en Haute Égypte. Il rentre en Nubie sout commémore la réussite de l’expédition pacifique
qu’il continue à gérer; mais, quelques années plus tard, les envoyée au pays de Pount. Les reliefs accompagnés de
grands-prêtres d’Amon, Herihor et son fils Piânkhi, lui commentaires énumèrent le contenu de la cargaison rame-
déclarent la guerre. Cette lutte dans une Égypte appauvrie née au pays. Y figurent, en particulier, des arbres à encens,
et désorganisée met alors un terme à la fonction de vice- à oliban et myrrhe que les Égyptiens espèrent acclimater
roi de Koush et prépare l’indépendance de la Nubie 174. dans leur pays. Ils rapportent aussi une grande quantité
L’Égypte, quant à elle, entre dans une période de turbu- d’encens, de myrrhe, d’or, d’argent, tout comme de fard
lence. À la Troisième Période Intermédiaire, pour la pre- noir (galène pulvérisée), de l’ébène et de l’ivoire. De même
mière fois de son histoire, le pays est gouverné par des que dans le Conte du Naufragé, des aromates tichepès et
souverains étrangers. khesayt, une girafe, des babouins, des singes, des chiens,
des peaux de « panthères du Sud » c’est-à-dire de guépards
font partie de la cargaison. Les inscriptions signalent aussi
Produits africains en Égypte que des Pountites avec leurs enfants sont emmenés en
Égypte, sans pourtant indiquer sous quel statut.
Au Nouvel Empire, la documentation égyptienne fournit,
et c’est une nouveauté, un inventaire iconographique Le second temple où figure l’inventaire des produits
détaillé des populations et des produits provenant de du sud présentés au pharaon est l’hémi-spéos de Beit el
Nubie. C’est l’or qui constitue, au moins à la XVIIIe dynas- Ouali (fig. 12), premier monument consacré en Nubie par
tie, l’attrait majeur du désert oriental et méridional. Son Ramsès II. Sur les murs de la cour, deux scènes de répres-
exploitation augmente massivement sous le règne de sion suivie de pacification relatent les premiers hauts faits
Thoutmosis III pour régresser ensuite aux XIXe et XXe du roi. L’expédition punitive conduite au Pays de Koush
dynasties 175. Dès le règne de Thoutmosis III, l’apport de se termine par l’hommage rendu au jeune Ramsès par les
personnel et de richesses transforme considérablement « pacifiés », en présence du vizir, du vice-roi de Nubie et
l’économie égyptienne. Butins, prisonniers et tributs, étroi- de princes royaux. Les hommes du Pays de Koush appor-
tement liés aux récits des victoires du pharaon, dans les tent au souverain égyptien des animaux vivants : deux

Fig. 12. Moulage des reliefs du mur d’entrée de Beit el Ouali par Joseph Bonomi (1796-1878), Londres, British Museum.
Photograph courtesy of Jon Bodsworth, Egyptarchive.

204
Girafe 177
Communément désignée sous le vocable memy 178, la girafe
marque l’imaginaire égyptien au point que le hiéroglyphe qui la
représente soit régulièrement utilisé dans l’écriture du verbe ser
« annoncer, prévoir »179. Figurée depuis la préhistoire, sur les
gravures rupestres, la girafe disparaît peu à peu de l’environnement
égyptien. Dans le Conte du Naufragé, le fait que celui-ci rapporte au
pharaon des queues de girafes (fig. 8) des pays étrangers prouve
au moins que l’animal se trouvait exceptionnellement en Égypte
au Moyen Empire. Au Nouvel Empire, en tout cas, la girafe est
importée. Elle fait généralement partie des produits et animaux rares
transportés. La capture de cet animal, dont les adultes atteignent
parfois six mètres de hauteur et qui représente une masse
de chair comestible de six cent à mille deux cent kilogrammes,
constituent une véritable aubaine. De plus, les multiples ressources
qu’offre la girafe sont exploitées au maximum : la chair, les os, la
peau, les tendons, et même les poils et les crins.

Aux époques préhistoriques, les représentations de girafes captives,


retenues par un lasso ou une longe les montrent à l’âge adulte.
Lorsqu’il s’agit de saisir une girafe dans le but de l’exporter
vers des pays éloignés, on s’en prend à des animaux jeunes. Ne
fut-ce que pour des problèmes alimentaires. Une girafe normale
consomme plus de huit kilogrammes de nourriture par jour et
le parcours se fait sur des milliers de kilomètres. C’est pourquoi,
que ce soit au temple d’Hatshepsout, à Beit el Ouali (fig. 13),
ou dans les représentations des tombes des particuliers, elles
dépassent à peine les hommes qui les accompagnent.

Fig. 13. Girafon. Relief du temple de Ramsès II à Beit el Ouali (XIXe dynastie).
Cliché François Gourdon.

girafes, un lion, des panthères, un oryx, une gazelle, des révèlent l’identité des régions concernées. Cependant,
taureaux, mais aussi des matériaux tels que l’or, l’ivoire les différentes villes, régions, tribus, énumérées ne sont
de défenses d’éléphants, des billes d’ébène, des peaux pas dans des situations similaires. Certaines d’entre elles
de félins, des plumes d’autruches et, enfin, des produits sont indépendantes de l’Égypte. Les habitants de Pount 182
manufacturés comme des chaises en ébène à usage royal ou les Minoens 183, par exemple, n’ont jamais été soumis
en raison du sema-taouy sculpté en à-jour entre les pieds. à l’Égypte. Dès lors, les matériaux et les objets apportés
Matériaux, produits et objets provenant de Nubie, au constituent, tout au moins dans certains cas, un hommage
Nouvel Empire, apparaissent aussi dans un contexte privé. et des cadeaux – plutôt qu’un tribut – offerts au souverain
La chapelle funéraire de quelques hauts fonctionnaires égyptien lors de son couronnement ou à l’occasion de
thébains, vice-rois de Koush ou vizirs de la XVIIIe dynas- son jubilé 184. Les défilés d’étrangers représentés dans
tie et, plus rarement de la XIXe dynastie 180, livre un les chapelles funéraires ne sont pas non plus associés
nouveau type de scène : la réception par le pharaon, assis à des évaluations. Ils racontent seulement la cérémonie
sur son trône, ou par son représentant, de délégations que constitue la présentation au pharaon ou à son délégué,
étrangères amenant les produits de leur pays 181. Les listes d’animaux et de produits étrangers par des dignitaires

205
locaux souvent accompagnés de leurs enfants. Les fonc- (Pountyou) par le nom qui les identifie. Ils portent le
tionnaires qui font reproduire cette scène dans leur même pagne que d’autres étrangers.
tombeau ont, le plus souvent, eux-mêmes une responsa-
bilité directe dans la réception et l’enregistrement de Les fragments de reliefs de la tombe de Sobekhotep
ces richesses, soit par leur fonction dans l’administration conservent aussi l’image de l’apport des produits africains
centrale, comme le vizir Rekhmirê 185, soit par leurs prisés par les Égyptiens : l’or (en anneaux), l’ébène, l’en-
charges relatives aux régions concernées, comme Houy 186, cens, les queues de girafes, les peaux de félins 191.
vice-roi de Nubie. Dans d’autres cas, ils rappellent sim-
plement leur participation à la cérémonie. Selon leur Trois registres du décor de la chapelle de Houy, vice-roi
fonction, ils privilégient tel ou tel moment : le vice-roi de de Koush sous Toutânkhamon, relatent en images, l’arri-
Koush, Houy, ne se contente pas des processions habituel- vée des produits africains en Égypte et leur transfert vers
les de porteurs, mais fait reproduire l’arrivée des bateaux la métropole. Au registre supérieur, des notables nubiens
en provenance de la Nubie, l’inventaire et le transport des agenouillés devant Houy, qualifié de flabellifère, sont sui-
denrées avant leur présentation à Toutânkhamon. vis par une princesse accompagnée d’autres dames et
de Nubiens portant des petits sacs et des anneaux d’or.
Dans la tombe du vizir Rekhmirê, deux registres sont Derrière ceux-ci, une princesse nubienne et son aurige
consacrés, l’un, aux Pountites, l’autre, aux Nubiens. Les arrivent sur un char attelé à deux bovidés (fig. 14); ils
Pountites 187 présentent, parmi d’autres produits, des sont escortés de prisonniers nubiens attachés au cou par
peaux de félins, des colliers, deux queues de girafes, des une corde, les mains entravées. Ils sont accompagnés de
défenses d’éléphants, de l’ébène, des œufs et des plumes femmes et d’enfants. Ces Nubiens portent le costume
d’autruches, un arbre à ânty et des animaux vivants dont de leur pays, alors que les dames et les notables sont vêtus
un babouin, un bouquetin, un singe et un félin. Les scribes à l’égyptienne. Le registre inférieur est occupé par des
égyptiens inventorient soigneusement les nombreux notables nubiens agenouillés, devant des offrandes dispo-
produits de Pount entassés devant eux. Des sachets et sées en tas; ils précèdent des hommes portant des anneaux
des paniers contiennent de l’électrum et de l’or. La résine d’or et des peaux animales, conduisant une girafe et quatre
ântyou est disposée en petits tas en forme d’obélisques bœufs aux cornes décorées. Les tableaux des deux regis-
et de pyramides. La délégation nubienne arrive les bras tres sont orientés vers la représentation de Houy. Au-
chargés d’or, de peaux animales dont celle d’un renard, dessus du vice-roi, figure l’inventaire iconographique
de queues de girafes, de défenses d’éléphants, de bois, de des produits manufacturés : un char, des arcs et des
deux singes, d’un babouin, d’un léopard, d’une girafe boucliers, des lits pourvus de leurs chevets, des trônes à
dont un petit singe escalade le cou, de bovidés conduits accotoirs, des tabourets pliants, des tabourets à pieds fusi-
par un bouvier portant un singe sur l’épaule et de chiens formes. En somme, des objets dont les originaux ont été
de chasse. retrouvés dans la tombe de Toutânkhamon. Au troisième
registre, devant Houy se trouvent les produits africains;
Les scribes égyptiens tiennent le compte des œufs et des des dignitaires nubiens agenouillés sont suivis par des
plumes d’autruches, du bois d’ébène, de l’or sous la forme hommes qui portent des matériaux, des objets divers et
d’anneaux ou en pépites dans des sachets, de l’électrum, des éventails. Un bœuf à larges cornes précède deux
d’un petit singe assis sur deux tabourets superposés, de personnages présentant un petit bassin dans lequel nagent
six jarres d’huile sety 188, des peaux de panthères, des des poissons et où croissent des végétaux.
défenses d’éléphants, des pierres rouges appelées hema-
get 189 et des pierres vertes nommées chesemet 190. Même Ce tableau est fragmentaire aujourd’hui; un dessin 192
s’ils apportent des produits africains pratiquement iden- du 19e siècle nous le fait connaître intact. Derrière les
tiques, les Nubiens (Nehesyou) se distinguent des Pountites deux représentations de Houy s’amoncellent divers
produits : de l’or en grande quantité, du jaspe rouge (khe-
nemet) 193, de nombreuses défenses en ivoire ainsi que des
bâtons de jet en ébène. Parmi les objets présentés figurent
Fig. 14. Princesse nubienne. Peinture de la chapelle de la tombe de Houy à Gournet des jardins d’orfèvrerie, représentant en miniature le pay-
Murraï (TT 40) (XVIIIe dynastie). Cliché François Gourdon. sage nubien.

207
Fig. 15. Lits, trônes, tabourets, boucliers.
Peinture de la chapelle de la tombe de Houy à Gournet Murraï (TT40)
(XVIIIe dynastie). Cliché François Gourdon.

Fig. 16. «Jardins d’orfèvrerie».


Peinture de la chapelle de la tombe de Houy à Gournet Murraï (TT 40)
(XVIIIe dynastie). Cliché François Gourdon.

208
Sièges en ébénisterie Jéricho 208, aucun original complet découvert hors d’Égypte n’est
conservé à l’exception du tabouret 209 d’Oxford daté du Moyen
Parmi les œuvres manufacturées provenant de Nubie, figurent des
Empire qui ne présente pas d’anneaux sculptés ou incisés, comme
trônes, des chaises et des tabourets d’ébène incrustés d’ivoire
la plupart des autres. La configuration des pieds, le rétrécissement
(fig. 15). L’inventaire iconographique de la tombe de Houy men-
suivi d’un élargissement, et les anneaux gravés ou peints à la base
tionne deux trônes recouverts d’or. Ce sont deux fauteuils à
sont deux points communs que les pieds de section cylindrique par-
accotoirs en forme de félins accolés. Le seul exemplaire 194 conservé
tagent avec des pieds de tabouret de section carrée, dont quelques
de ce type de siège, réservé au roi 195 depuis l’Ancien Empire,
exemplaires, datés de la Deuxième Période Intermédiaire, provien-
provient de la tombe de Toutânkhamon. Les chaises en ébène à
nent de Kerma 210 ; d’autres ont été trouvés à Aniba 211 ou encore à
haut dossier incliné et incurvé, avec un sema-taouy entre les pieds
Gourna 212 dans une tombe de la XVIIe dynastie. L’usage du tabouret
en forme de pattes de félin, appartiennent également au mobilier
à pieds fusiformes a pu, lui aussi, être introduit en Égypte au cours
royal égyptien. Le trousseau apporté à Toutânkhamon par les
de la Deuxième Période Intermédiaire. On ne peut écarter l’hypo-
Nubiens, d’après le témoignage de Houy, comprend, en plus des
thèse de l’origine africaine de ce siège. Au Soudan, la tradition
trônes, des lits à pattes de félin pourvus de leur appui-tête, des
perpétue à l’époque moderne l’usage de tabourets 213 dont la forme
tabourets pliants aux pieds terminés par des têtes d’anatidés et des
s’apparente à celle des tabourets à pieds fusiformes.
tabourets à pieds fusiformes, dont le mobilier funéraire du jeune roi
comprend plusieurs exemplaires 196.
Les sièges en ébène sont convoités et offerts en cadeaux. D’une
part, ils font partie des produits manufacturés apportés par les
Les sièges à pieds croisés, pliants ou non, et les sièges à pieds
Africains, d’autre part, ils proviennent de butins de guerres asia-
fusiformes, que ce soient des tabourets ou des chaises, figurent
tiques. Sur les murs des temples, supports privilégiés de l’évocation
dans l’iconographie égyptienne de la XVIIIe à la XXe dynastie. L’em-
iconographique et épigraphique des grandes campagnes, figure
ploi de ces sièges doit-il être placé parmi les divers usages étran-
parfois à la suite de l’évocation des épisodes de l’affrontement,
gers adoptés par les Égyptiens à partir de la Deuxième Période Inter-
l’inventaire de ce qui a été rapporté de ces expéditions à l’étranger.
médiaire ? Iconographiquement, les sièges à pieds croisés figurent
Tel est le cas des « Annales » de Thoutmosis III inscrites en dix-sept
sur des sceaux-cylindres akkadiens 197 et dans le monde oriental et
chapitres sur un mur du temple d’Amon à Karnak. Les deux derniers
égéen, comme sur des sceaux crétois du IIe millénaire avant d’être
chapitres détaillent le butin composé de prisonniers mais aussi de
représentés en Égypte. Les pieds des tabourets sont toujours en
matériel comprenant des chaises à porteurs en ébène et ivoire avec
bois. En revanche, le siège même est constitué d’une peau animale
leur repose-pieds et d’autres meubles en bois précieux provenant
tendue fixée aux pieds. Le choix de la peau du siège n’est pas ano-
de Megiddo. Enlever les sièges de l’ennemi comme butin de guerre
din. Des analyses montrent que les vestiges originaux de cuir
contribue à lui ôter une image de sa puissance. Les sièges sont
conservés dans les musées sont faits de peaux de chèvre. Faut-il y
aussi des articles d’exportation très appréciés, notamment au
voir une évocation de l’animal séthien dont il est question au cha-
Nouvel Empire. Les pharaons en envoient aux rois étrangers 214
pitre 18 du Livre des Morts 198 ? D’après les figurations, le principal
ou en reçoivent en présents de la part de souverains orientaux 215.
accessoire du pliant et de la chaise à pieds croisés est une autre
peau animale sur laquelle s’assied l’usager 199 ou qui est suspendue
au siège libre 200. Elle est associée tant aux sièges de particuliers 201
Jardins d’orfèvrerie 216
qu’à celui du roi 202 ; la queue de l’animal dont la peau recouvre la
surface du siège est généralement dessinée 203. Dans le cas d’un Les jardins d’orfèvrerie (fig. 16) sont représentés dans quelques
tabouret et du « trône » à pieds croisés provenant de la tombe de tombes du Nouvel Empire 217. Il s’agit d’offrandes faites au roi (ou
Toutânkhamon, le siège en bois a la forme d’une peau animale avec au dieu) et figurées dans des scènes de présentation des produits
une queue. Sur le trône 204 de Ramsès III figuré à Medinet Habou et objets apportés des pays du Sud. Ce cadeau apparaît sous la
apparaissent non seulement la queue mais aussi deux pattes et la forme d’une pièce « d’apparat », vraisemblablement orfévrée repro-
tête de l’animal. La plupart des auteurs s’accordent à voir dans la duisant l’environnement naturel des contrées qui s’étendent au sud
couverture de ce siège une peau de léopard 205 ou tout au moins de l’Égypte : la végétation comporte toujours des palmiers-doums et
celle d’un félin. des arbres ima, caractéristiques de la flore nubienne. Des babouins
y sont souvent associés. Enfin, l’or et les peaux animales, tous ces
Les tabourets à pieds fusiformes sont fréquemment représentés sur éléments forment un ensemble cohérent offert en général au roi,
les sceaux-cylindres akkadiens 206 et babyloniens 207. Malheureu- soit placés sur des présentoirs, soit portés en procession: ils sont
sement, à l’exception de quelques fragments de sièges trouvés à l’image condensée et miniature de la Nubie.

209
Égyptiens en Nubie Un changement s’opère dans la perception des Noirs.
Les Nubiens conquis, pacifiés et de plus en plus égyptia-
Au Nouvel Empire, les Égyptiens qui vivent en Nubie ne nisés, ne représentent plus une menace réelle. Ils figurent
se laissent pas tous gagner par les mœurs autochtones. Les alors régulièrement en tant qu’archers dans les défilés
villes fortifiées qui succèdent aux forteresses suggèrent militaires processionnels, par exemple, à Deir el-Bahari 218
plutôt que leurs occupants s’y comportent comme chez ou encore ils sont décrits dans les scènes de remises
eux, habitent des demeures similaires à celles qu’ils ont de matériaux et de produits manufacturés. Ailleurs, ils
quittées et se font inhumer dans des sépultures à pyramide figurent sur divers objets usuels 219. À cette époque, les
semblables à celles d’Égypte. Ils gèrent les intérêts qui représentations égyptiennes continuent néanmoins à
leur sont confiés selon des méthodes inspirées de celles de stigmatiser les traits négroïdes : cheveux crépus (parfois
la Résidence. Des temples (fig. 17), de plus en plus vastes, ornés d’une ou deux plumes d’autruche), prognathisme
sont surtout dédiés à des formes locales de certains dieux facial, nez large, lèvres épaisses, un ou deux anneaux d’or
égyptiens concernés par les territoires étrangers, comme aux oreilles. S’ils ne sont plus véritablement perçus
Horus ou Hathor, ou à des divinités vouées au sud comme comme ennemis, ils le demeurent toutefois symbolique-
Satis et Anoukis ou encore au culte des souverains égyp- ment; ce que montrent les images de Nubiens dévorés par
tiens et de leurs statues, pratique alors fort répandue à un lion incarnant le pharaon ou par des représentations
l’intérieur autant qu’à l’extérieur des frontières d’Égypte. d’ennemis « en grappe » que le souverain égyptien saisit

Fig. 17. Temple de Soleb en Nubie construit pour la première célébration de fête-sed d’Amenhotep III (XVIIIe dynastie).
Cliché Danielle Vandenborne.

210
par les cheveux. Ces représentations de Nubiens en posi- vingt ans. Le mobilier funéraire de sa tombe 223 compte du
tion d’infériorité ou captifs aux pieds des souverains et matériel militaire associé à la charrerie et un papyrus funé-
des dieux transcrivent un langage iconique et idéologique raire au caractère personnel inhabituel dans la mesure où
plutôt qu’une réalité tangible, puisqu’elles se perpétuent Maherpra est peint en noir avec une chevelure crépue. Les
à la XXVe dynastie, alors même que les pharaons sont inscriptions sur les objets déposés dans la sépulture indi-
Nubiens. Cette population engendre également toujours quent qu’il est « flabellifère à la droite du roi » mais aussi
de l’inquiétude vis-à-vis des capacités magiques qui lui qu’il appartient à la classe des khered en Kap 224, c’est-à-
sont prêtées. Un conte expose d’ailleurs le danger représenté dire, des « enfants du Kap », institution qui a fait couler
par un sorcier noir face à la royauté et donc à l’ordre 220. beaucoup d’encre jusqu’à ce que B. Mathieu 225 y donne
une solution appropriée. Ce sont des enfants, de la classe
d’âge du prince, élevés dans son entourage. Un autre
Nubiens en Égypte « enfant du Kap », éduqué à la cour égyptienne comme
l’indique son titre est l’un des princes de Miam (Aniba)
Les conquêtes égyptiennes en Nubie entraînent les coupes bien connu sous le nom de Heqanefer, ce qui signifie « le
d’arbres, celles des moissons, les déportations des hom- bon souverain », en égyptien. Il s’agit peut-être d’une épi-
mes, des femmes et des enfants, les saisies des chevaux et thète substituée au nom nubien. Sa tombe située à Toshka
des troupeaux. Les reliefs de la tombe de Horemheb à Saq- est décorée de scènes peintes et contient du mobilier royal.
qara montrent avec quelle cruauté, les Nubiens amenés en Les inscriptions qui le concernent font savoir que Heqane-
Égypte sont parfois traités. Mais le souci de rentabilité fer accompagne Merymes, le vice-roi à l’époque d’Amen-
incite aussi à prendre d’autres mesures : les personnes hotep III, lors de ses tournées d’inspection dans les mines
appartenant aux classes dirigeantes dans leur pays reçoi- d’or du désert oriental. Plus tard, il se rend à Thèbes à la
vent une éducation égyptienne et les combattants étrangers suite du vice-roi, Houy, quand celui-ci rend compte de sa
sont souvent intégrés dans l’armée. C’est ainsi que la pré- gestion au pharaon Toutânkhamon. Lors du même voyage,
sence nubienne s’observe aussi au sein des différentes une princesse africaine en grand apparat, avec des notables
couches de la société égyptienne. Nous avons une meil- de sa suite, mais aussi des esclaves et des porteurs de pro-
leure connaissance des familles princières nubiennes au duits africains, accompagnent le vice-roi en Égypte 226.
début du Nouvel Empire, bien que la documentation sur Heqanefer a probablement régné plus de trente ans. Il
l’élite nubienne soit plus abondante à la XXe dynastie. laisse des traces sur une large contrée.
Cela tient au fait qu’à la XVIIIe dynastie, les Nubiens tout
en adoptant un nom égyptien conservent leur nom d’ori- Nous avons aussi de bonnes informations sur les princes
gine. Plus tard, en revanche, les Nubiens, gardant le seul de la famille gouvernante du territoire de Teh-Khet, au sud
patronyme égyptien, ne se distinguent pas des Égyptiens de Miam, à l’époque d’Hatshepsout et de Thoutmosis III.
de souche. L’un de ces princes est également attesté à l’époque de
Ramsès II. La documentation archéologique fournit des
Au Nouvel Empire, quelques étrangers de haut rang, données sur des personnages moins connus. De nombreu-
parmi lesquels se trouvent des Nubiens, se voient attribuer ses sépultures, pourvues de textes ou anépigraphes et pré-
le titre d’ « intendant royal ». L’un d’eux, Heqaemsasen, sentant des caractères égyptiens plus ou moins prononcés,
élevé à la cour sous Amenhotep II et enterré à Thèbes, ont été découvertes en Basse comme en Haute Nubie. En
porte parmi les titres habituels de « Prince héréditaire », Égypte même, au cours de la XVIIIe dynastie, certains
celui de « flabellifère à la droite du roi » beaucoup moins nobles Medjayou atteignent de hautes fonctions 227.
fréquent pour un étranger. Sa fonction de « chambellan »
souligne son rapport étroit avec le palais. Il conserve tou- Sur les nobles nubiennes, en revanche, peu d’informations
tefois des liens avec sa patrie d’origine en tant que « direc- nous sont parvenues. Les peintures de la tombe de Houy
teur des pays méridionaux »221. Dans un autre cas, un donnent à penser que des princesses nubiennes se rendent
prince noir a reçu l’insigne honneur d’être enseveli dans la aussi à la cour d’Égypte. Mais il s’agit d’une représenta-
Vallée des Rois. Le jeune homme, Maherpra, probable- tion exceptionnelle. La plupart des égyptologues estiment
ment un contemporain de Thoutmosis IV, dont il est que les princesses koushites n’épousent pas de pharaons.
d’ailleurs peut-être le fils 222, est décédé vers l’âge de Il faut dire que les sources égyptiennes n’informent pas

211
à ce sujet, alors qu’elles documentent les mariages diplo- 10 D. VALBELLE, op. cit., p. 39.
11 Jusqu’au 3e siècle avant J.-C., les textes retrouvés en Nubie sont,
matiques entre les pharaons et les princesses des pays
le plus souvent, écrits en égyptien. Même à l’époque du royaume
asiatiques, en particulier dans les archives amarniennes. de Kerma, le pays de Koush ne semble pas avoir d’écriture propre.
Les Nubiennes passent peut-être inaperçues, car, comme L’écriture méroïtique, utilisée à partir du 3e siècle avant J.-C., dérive
toutes les princesses étrangères, elles recoivent un nom de l’écriture égyptienne à laquelle elle emprunte vingt-trois signes à
valeur essentiellement alphabétique. L’usage d’un séparateur (deux ou
égyptien à leur arrivée et sont ensuite décrites comme
trois points superposés) reflète peut-être une influence sud-arabique.
Égyptiennes. De toute manière, nous connaissons peu J. LECLANT, « Écriture », in C. BERGER, B. GEOFFROY-SCHNEITER,
de choses sur les épouses royales égyptiennes, et encore J. LECLANT, L’ABCDdaire du Soudan Royaumes sur le Nil, Paris,
moins sur leurs parents 228. 1997, p. 52.
12 A. ERMAN, H. GRAPOW, Wörterbuch der ägyptischen Sprache, III,

Leipzig, 1929, p. 234. Le Wörtenbuch est cité ci-après Wb.


En conclusion, il est clair que, depuis la préhistoire, 13 Désert est dit zémyt à l’Ancien Empire (Wb, III, p. 444) et mérou

des liens indiscutables unissent les cultures qui se sont à partir du Nouvel Empire (Wb, II, p. 109).
14 Y. KOENIG, « La Nubie dans les textes magiques “L’inquiétante
développées tant au nord qu’au sud de la Vallée du Nil.
étrangeté” », in Revue d’Égyptologie, 38, 1987, p. 105.
Certes, les expéditions commerciales alternant avec les 15 J.-Ph. LAUER, Recherches et travaux à Saqqarah (campagne 1972-

affrontements militaires ponctuent l’histoire des relations 1973), Paris, 1973, p. 323-340; B.V. BOTHMER, On Realism in Egyp-
entre ces deux régions, séparées par la première cataracte tian Funerary Sculpture of the Old Kingdom in Expedition, Philadel-
phie, 24/2, 1982, p. 27-39; M. VERNER, « Les statuettes en bois
du Nil, mais les interactions culturelles qui s’ensuivent
d’Abousir », in Revue d’Égyptologie, 36, 1985, p. 145-152.
enrichissent indéniablement tant l’histoire de l’Égypte 16 D. B. REDFORD, op. cit., p. 8.

ancienne que celle de ses voisins méridionaux. 17 Ibid., p. 5.


18 Wb, II, p. 303.
19 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 256.
20 Ce mot recouvre la notion de « nègre » (niger en latin). B. GEOF-

FROY-SCHNEITER, « Éthiopie. Le pays des hommes à la peau brûlée »,


in C. BERGER, B. GEOFFROY-SCHNEITER, J. LECLANT, op. cit., Paris,
1997, p. 59.
21 Le vocable générique « panthère » inclut les félins tels le léopard

et le guépard.
22 J. VERCOUTTER, « L’image du Noir dans l’Égypte ancienne (des
NOTES origines à la 25e dynastie) », in Meroïtica, 5. Africa in Antiquity, the
Arts of Ancient Nubia and the Sudan. Proceedings of the Symposium
* Cet article a été réalisé en collaboration avec Arnaud Quertinmont. Held in conjunction with the Exhibition, Brooklyn 29/09 – 1/10 1978,
1 W. Y. ADAMS, Nubia : Corridor to Africa, Princeton, 1977.
Berlin, 1979, p. 19 et sqq.; ID., « L’iconographie du Noir dans l’Égypte
2 D. D. KLEMM, R. KLEMM, A. MURR, « Ancient Gold Mining in the
ancienne », in J. VERCOUTTER, J. LECLANT, F. M. Jr. SNOWDEN et
Eastern Desert of Egypt and Nubian Desert of Sudan », in R. FRIEDMAN J. DESANGES, L’image du Noir dans l’art occidental, 1, Des pharaons
(ÉD.), Egypt and Nubia. Gifts of the Desert, Londres, 1998, p. 215-231. à la chute de l’empire romain, Fribourg, 1976, p. 33 et sqq.
3 S. AUFRÈRE, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, 2, Les 23 S’agit-il vraiment de Pygmées ? Le terme égyptien deneg utilisé
minerais, les métaux, les minéraux et les produits chimiques, les trésors signifie « nain ».
et les défilés de contrées minières : leur intégration dans la marche de 24 D. B. REDFORD, op. cit., p. 5-6.
l’univers et l’entretien de la vie divine, in Bibliothèque d’Étude, CV/2, 25 J. YOYOTTE, « Race », in G. POSENER, S. SAUNERON, J. YOYOTTE,
Le Caire, 1991, p. 701; A. ROWE, A. LUCAS, « The Ancient Egyptian Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, 1970, p. 242-243.
Bekhen-Stone », in Annales du Service des antiquités de l’Égypte, 38, 26 Ibidem.
1938, p. 127-156; J. VERCOUTTER, « Les minéraux dans la naissance 27 Wb, 5, p. 109.
des civilisations de la Vallée du Nil », in P. DER MANUELIAN, Studies 28 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 256-257.
in Honor of William Kelly Simpson, Boston, 1996, p. 811-817. 29 S.-H. AUFRÈRE, « Éthiopiens “mangeurs” ou “mâcheurs” de gomme ? »,
4 I. SHAW, « Life on the Edge : Gemstones, Politics and Stress in the
in Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal. Croyances phytoreli-
Deserts of Egypt and Nubia », in R. FRIEDMAN (ÉD.), Egypt and Nubia. gieuses de l’Égypte ancienne, III (Orientalia Monspelensia, XVI),
Gifts of the Desert, Londres, 2002, p. 244-251. 2005, p. 157-161.
5 D. VALBELLE, Les Neufs Arcs. L’Égyptien et les étrangers de la 30 D. B. REDFORD, op. cit., p. 6.
préhistoire à la conquête d’Alexandre, Paris, 1990, p. 53. 31 Y. KOENIG, op. cit., p. 105-110.
6 R. FATTOVICH, « Punt : the Archæological Perspective », in Atti Sesto 32 D. B REDFORD, op. cit., p. 6.
Congresso Internazionale di Egittologia, II, Turin, 1993, p. 399-405. 33 Voir par exemple le célèbre groupe en bois composé de quarante
7 D. VALBELLE, op. cit., p.53.
archers nubiens provenant de la tombe de Mesehti à Assiout (Caire,
8 Une solution consiste à creuser des canaux de déviation assurant une
Musée égyptien, inv. JE 30969 = CG 257). Les hommes s’avancent en
voie d’eau régulière. D. VALBELLE, op. cit., p. 40. rang par quatre, tenant d’une main leur arc et de l’autre une poignée
9 Cl. VANDERSLEYEN, L’Égypte et la Vallée du Nil. II. De la fin de
de flèches. Ils portent un pagne rouge à motifs verts, un bandeau sur leur
l’Ancien Empire à la fin du Nouvel Empire, Paris, 1995, p. 282. chevelure et un collier autour du cou. J. VERCOUTTER, op. cit., p. 42-43.

212
34 H. GOEDICKE, « An additional note on ‘3 “foreigner”, in Journal of 57 P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 144 et p. 178-179.
Egyptian Archæology, 52, 1966; p. 172-174; le même mot est traduit 58 R. GALE, P. GASSON, N. HEPPER, G. KILLEN, « Wood », in P. T.
« kilt-bearers » par D. B. REDFORD, op. cit., p. 20. Le terme imy-r(a)aou / NICHOLSON, I. SHAW (ÉD.), Ancient Egyptian Materials and Techno-
imy-r(a) iaou désigne le responsable égyptien de ces auxilliaires logy, Cambridge, 2000, p. 338-340.
nubiens. C’est d’ailleurs le titre d’Herkhouf et de Pépy-Nakht. P. M. 59 Ce vocable dont dérive le mot « ébène » figure dans les textes égyp-

CHEVEREAU, « Contribution à la prosopographie des cadres militaires tiens à partir de la IIIe dynastie.
de l’Ancien Empire et de la Première Période Intermédiaire », in Revue 60 S. H. AUFRÈRE, « L’ébène, l’ivoire et la magie en Égypte ancienne»,

d’Égyptologie, 38, 1987, p. 23. in Encyclopédie religieuse de l’Univers minéral. Croyances phytoreli-
35 H. FISCHER, « Nubian Mercenaries of Gebelein during the First gieuses de l’Égypte ancienne, II (Orientalia Monspeliensia, XI, 2001),
Intermediate Period », in Kush 9, 1961, p. 56-59; T. KENDALL, Kerma p. 321.
and the Kingdom of Kush, Washington, 1997, p. 13, fig. 3; Nubia. Los 61 Tel est le cas au temple des Millions d’années de Ramsès III à Medi-

reinos del Nilo en Sudan (Catalogue d’exposition, Barcelone, Funda- net Habou.
ción « La Caixa », 2003), p. 158, cat. 65; D. B. REDFORD, op. cit., p. 20; 62 S. H. AUFRÈRE, op. cit., p. 327-328.

D. VALBELLE, op. cit., p. 44. 63 Ibid., p. 322-325.


36 B. GRATIEN, « La Basse Nubie à l’Ancien Empire : Égyptiens et 64 Du grec libanos, cf. arabe lobân (racine lbn « être blanc »). En

autochtones », in Journal of Egyptian Archæology, 81, 1995, p. 43-56. bas-latin olibanum.


37 D. VALBELLE, op. cit., p.60. 65 M. SERPICO, « Resins, amber and bitumen », in P.-T. NICHOLSON,
38 Ibid., p. 61. I. SHAW (ÉD.), op. cit., p. 438-439.
39 Ibid., p. 40-42. 66 N. BAUM, « SNTR : une révision », Revue d’Égyptologie, 45, 1994.
40 Cf. l’article de Cl. OBSOMER dans ce volume, p. 39. N. BAUM, « Les matières aromatiques », in L’Égypte : parfums d’his-
41 J. VERCOUTTER, « Les pistes de l’or égyptien », in Journal of the toire, Paris, 2003, p. 18.
American Research Center in Egypt, 23 1986, p. 27-50; D.-M. DIXON, 67 N. BAUM, op. cit., p. 19.

« The extent of w3w3t in the Old Kingdom » in Journal of Egyptian 68 Wb, III, p. 180.

Archæology, 44, 1958, p. 119. 69 L. MANNICHE, Sacred Luxuries. Fragrance, Aromatherapy and
42 G.-A. BELOVA, « Les pays de la Nubie ancienne », in Atti Sesto Cosmetics in Ancient Egypt, Londres, 1999, p. 39-40.
Congresso Internazionale di Egittologia, II, Turin, 1993, p. 40. 70 Sa fabrication est connue par deux recettes figurant sur les parois
43 M. BUSH, « The Iam Jam and Florence Stela 2540 » in Wepwawet, du temple d’Edfou.
2 (Été 1986), p. 23-25. 71 Le produit appelé ânti (ou ântyou) est considéré comme la myrrhe
44 Cf. l’article de Cl. OBSOMER dans ce volume, p. 53. et est issu de plusieurs espèces de Commiphora. Le terme s’emploie
45 Sur la problématique anthropologique, voir A. SACKHO-AUTISSIER, aussi de manière générale et inclut les gommes résines de plusieurs
Essai de définition des modes de relation entre États avant la Deuxième Boswellia.
Période Intermédiaire (thèse soutenue à la Sorbonne, le 20/02/1999); 72 Il convient de distinguer le styrax liquide (Liquidamdar orientalis

A. SACKHO-AUTISSIER, « Le pouvoir politique des pays nubiens. Analyse Mill.) du styrax solide (Styrax officinalis L.). N. BAUM, « Les matières
du terme hq3
. et ses applications archéologiques », in Actes de la VIIIe aromatiques », in L’Égypte : parfums d’histoire, Paris, 2003, p. 25-26.
Conférence Internationale des Études Nubiennes, Lille, 1998, p. 203-215. 73 Le tichepès est la cannelle (Cinnamonium camphora ou Ocotea
46 M. STRACMANS, « La carrière du gouverneur de la Haute Égypte usambarensis). L. MANNICHE, An Ancient Egyptian Herbal, Austin,
Ouni (VIe dynastie) », in Volume offert à Jean Capart, Bruxelles, 1935, 1993, p. 88-89. L’onguent tichepès est aussi attesté : L. MANNICHE,
p. 509-544; P. PIACENTINI, L’Autobiografia di Uni, principe e gover- op. cit., p. 41-43. Sur la controverse, voir Fr. COLIN, « Les épices des
natore dell’alto Egitto, Pise, 1990. pharaons », in Saveurs de paradis. La route des épices (catalogue d’ex-
47 D. VALBELLE, op. cit., p. 67. position, Bruxelles, Galerie CGER, 27 mars-14 juin 1992), p. 110-111.
48 Ibid., p. 70. 74 Ces produits ne sont pas identifiés.
49 Ch. PICARD, « Pygmées danseurs en Égypte : ivoires de la XIe 75 S. H. AUFRÈRE, « Nature et emploi des parfums et onguents litur-

dynastie », in Revue Archéologique, série 6, t.V, 1935, p. 120-121; giques », in L’Égypte : parfums d’histoire, Paris, 2003, p. 122, 130, 145.
M. STRACMANS, « Les Pygmées dans l’ancienne Égypte », in Mélanges 76 E. OTTO, Das ägyptische Mundöffnungsritual, in Ägyptologische

Georges Smets, Bruxelles, 1952, p. 621-631. Abhandlungen, 3, Wiesbaden, 1960. M. ABDEL-HAMID SHIMY, Par-
50 Cet exploit de ramener un « nain » n’a eu, semble-t-il, qu’un précé- fums et parfumerie dans l’ancienne Égypte. De l’Ancien Empire
dent, au temps d’Isesi, avant-dernier roi de la Ve dynastie. à la fin du Nouvel Empire, Lyon, 1997, p. 29-30.
51 Cf. l’article de Cl. OBSOMER dans ce volume, p. 39. 77 La Résidence est l’une des appellations du Palais royal égyptien et
52 Cf. infra de la cour en général.
53 P. VERNUS, J. YOYOTTE, Bestiaire des pharaons, Paris, 2005, p. 144 78 D. VALBELLE, op. cit., p. 44.

et p. 178-179. 79 Les Tjeméhou et les Tjéhénou sont ceux qu’on appelle traditionnel-
54 S.-H. AUFRÈRE, « L’ébène, l’ivoire et la magie en Égypte ancienne», lement « Libyens ». Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 31.
in Encyclopédie religieuse de l’Univers minéral. Croyances phytoreli- 80 D. VALBELLE, op. cit., p. 44.

gieuses de l’Égypte ancienne, II, (Orientalia Monspeliensia XI, 2001), 81 D. B. REDFORD, op. cit., p. 20.

p. 328. 82 D. VALBELLE, op. cit., p. 45.


55 N. GUILHOU, J. PEYRÉ, La mythologie égyptienne, [Paris], 2005, 83 Ibidem.

p. 330. 84 D. B. REDFORD, op. cit. p. 8-9.


56 S.-H. AUFRÈRE, « À propos d’une légende du P. Jumilhac La nébride 85 A. REISNER, History of the Giza Necropolis, I, Cambridge, 1942,

de papyrus », in Encyclopédie religieuse de l’Univers végétal. Croyan- pl. 52-56; J. VERCOUTTER, ibid., p. 38 et 40.
ces phytoreligieuses de l’Égypte ancienne, III (Orientalia Monspelien- 86 G. MEURER, Nubier in Ägypten bis zum Beginn des Neuen Reiches,

sia, XV, 2005), p. 119-124. Berlin, 1996.

213
87 D. B. REDFORD, op. cit., p. 9. 114 J. YOYOTTE, « Or », in G. POSENER, S. SAUNERON, J. YOYOTTE,
88 J. LECLANT, « Egypt in Nubia during the Old, Middle and New op. cit., p. 198-201.
Kingdoms », in Africa in Antiquity. The Arts of Ancient Nubia and the 115 Sur les carrières et les mines, voir S. AUFRÈRE, L’univers minéral

Sudan, I (catalogue d’exposition, New York, 1978), p. 63-73. dans la pensée égyptienne, 1, in Bibliothèque d’Étude, CV/1, Le Caire,
89 A. QUERTINMONT, Les défenses de frontières égyptiennes du Moyen 1991, p. 59- 92; sur les conditions de travail, voir ID., L’univers minéral
Empire à la Deuxième Période Intermédiaire, mémoire inédit, Univer- dans la pensée égyptienne, 2, in Bibliothèque d’Étude, CV/2, Le Caire,
sité Libre de Bruxelles, juin 2006. 1991, p. 361.
90 D. VALBELLE, op. cit., p. 101. 116 Sur l’or et les alliages aurifères : S. AUFRÈRE, L’univers minéral
91 J. LECLANT, « L’Égypte au Soudan, l’Ancien et le Moyen Empire », dans la pensée égyptienne, 1, in Bibliothèque d’Étude, CV/2, Le
in D. WILDUNG, Soudan, Royaumes sur le Nil, (catalogue d’exposition, Caire, 1991, p. 354-406; Fr. DAUMAS, « La valeur de l’or dans la pen-
Paris, Institut du monde arabe, 1997), 1997, p. 74; Cl. VANDERSLEYEN, sée égyptienne », in Revue de l’histoire des religions, 149, Paris, 1956,
op. cit., p. 30-31. p. 1-17;
92 « Dans sa chapelle de Dendera, le roi cite explicitement les Nehe- 117 Wb, V, p. 537-539.

syou, les Medjayou et peut-être même Ouaouat comme vaincus et 118 Wb, II, p. 237-240.

conquis ». Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 30-31. 119 P. LACAU, « L’or dans l’architecture égyptienne », in Annales du
93 D. VALBELLE, op. cit., p. 40-41. Service des Antiquités de l’Égypte, t. LIII, 1955, p. 233.
94 A. L. FOSTER, « Forts and Garrisons » in D. B. REDFORD, The Oxford 120 ID., op. cit., p. 235.

Encyclopedia of ancient Egypt, I, Oxford, 2001, p. 554. 121 A. BARUCQ, « Deux fragments d’une stèle historique d’Ameno-
95 Londres, British Museum, inv. EA 10752; J. C. DARNELL, « Ope- phis II au Musée Guimet de Lyon », in Annales du Service des Antiqui-
ning the Narrow Doors of the Desert : Discoveries of the Theban Desert tés de l’Égypte, t. XLIX, 1949, p. 190.
Road Survey », in R. FRIEDMAN (ÉD.), op. cit., p. 139 et sq. 122 J. OGDEN, « Gold and Electrum », in P. T. NICHOLSON, I. SHAW
96 J. W. WEGNER, « Regional Control in Middle Kingdom Lower (ÉD.), op. cit., p. 162.
Nubia : The Function and History of the Site of Areika », in Journal 123 ID., op. cit., p. 164.

of the American Research Center in Egypt, 32, 1995, p. 127-160. 124 P. WILSON, A Ptolemaic Lexikon. A Lexicographical Study of the
97 Ibid., p. 152. Texts in the Temple of Edfu, in Orientalia Lovaniensia Analecta, 78,
98 A. FAKHRY, « Recent Archæological Discoveries in the Egyptian Leuven, 1997, p. 505 et p. 1125.
Deserts », in Actes du XXIe Congrès International des Orientalistes, 125 Ibid., p. 1125.

Paris, 1949, p. 84-87. 126 E. FEUCHT, « Elektrum », in Lexikon der Ägyptologie, I, Wiesbaden,
99 Différentes interprétations du mot dans Wb, III, p. 296. 1975, col. 1216-1217.
100 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 92-94. 127 L’ânti frais est l’ânti fraîchement récolté, les arbres à exsudat
101 Berlin, Ägyptisches Museum, 14754. Sur l’autre stèle, voir aromatique tel que la myrrhe, étant écorcés à la saison sèche qui,
G. MEURER, Nubier in Ägypten bis zum Beginn des Neuen Reiches. Zur en Afrique tropicale, dure plus ou moins d’octobre à avril. N. BAUM,
Bedeutung der Stele Berlin 14753, in Abhandlungen des Deutschen « La course aux aromates », in L’Égypte : parfums d’histoire, Paris,
Archäologischen Instituts Kairo (Ägyptologische Reihe, 13, 1996). 2003, p. 38-39.
102 A. THEODORIDES, « Les relations de l’Égypte pharaonique », in 128 Contra Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 34.

Archives d’histoire du droit oriental. Revue internationale des droits 129 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 35.

de l’antiquité 22, 1975, p. 93-94. 130 Papyrus Ermitage 1115. Voir W. KELLY SIMPSON (Éd.), The
103 D. B. REDFORD, op. cit., p. 31-33. Literature of Ancient Egypt, New Haven-Londres, 1978, p. 50-56;
104 D. VALBELLE, op. cit., p. 107. Cl. LALOUETTE, Textes sacrés et textes profanes de l’ancienne Égypte.
105 Cette pratique consiste à écrire le nom d’un ennemi sur une statuette Vol. 2 Mythes, contes et poésie, Paris, 1987, p. 152-158; G. LEFEBVRE,
d’envoûtement en cire, en pierre ou en terre et de la brûler ou de la Romans et contes égyptiens de l’époque pharaonique. Traduction avec
briser, et puis de l’enterrer près du lieu que l’on veut protéger de introduction, notices et commentaires, Paris, 1976, p. 29-40.
l’influence néfaste. 131 N. BAUM, op. cit., p. 40.
106 D. B. REDFORD, op. cit., p. 27. 132 « Myrrhe » : W. KELLY SIMPSON (ÉD.), op. cit., p. 56; « Encens » :
107 D. VALBELLE, op. cit., p. 47. Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156.
108 Y. KOENIG, « Les textes d’envoûtement de Mirgissa », in Revue 133 « Cassia » : W. KELLY SIMPSON (ÉD.), op. cit., p. 56; « Cannelle » :

d’Égyptologie, 41, 1990, p. 101-125. Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156.


109 D. VALBELLE, op. cit., p. 92. 134 Ti shepses ? : produit odoriférant provenant des rhizomes de l’acore
110 Du Gebel el-Asr, on retire aussi de la cornaline. L. POSTEL, I. RÉGEN, (plante de la famille des aroïdées) : Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156
« Annales héliopolitaines et fragments de Sésostris Ier réemployés dans et 290.
la porte de Bâb al-Tawfik au Caire », in Bulletin de l’Institut français 135 « ? », in Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156.

d’archéologie orientale, 105, 2005, p. 229-294. 136 « Black eye-paint » : W. KELLY SIMPSON (ÉD.), op. cit., p. 56;
111 Minerai dérivé du plomb servant à confectionner fards et khôl. « Poudre d’antimoine » : Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156). Il s’agit du
112 Caire, Musée égyptien, inv. JE 89630. W.K. SIMPSON, Heka-Nefer fard mesdemet, c’est-à-dire la galène, voir S. AUFRÈRE, L’univers
and the Dynastic Material from Toshka and Arminna, in Publications minéral dans la pensée égyptienne, 2, in Bibliothèque d’Étude, CV/2,
of the Pennsylvania Yale Expedition to Egypt, 1, New Haven, Phila- Le Caire, 1991, p. 581-588.
delphie, 1963, p. 50-53, fig. 42, pl. XXVI. 137 Les queues de girafes, terminées par une touffe de poils bien four-
113 A. & A. CASTIGLIONI, « Gold in the Eastern Desert », in D. A. WELSBY, nis, sont fort prisées des Égyptiens. Ainsi, par exemple, le souverain
J. R. ANDERSON (ÉD.), Sudan. Ancient Treasures. An Exhibition of Amenemhat II fait venir onze queues de girafes. Les tombes de Kerma
recent Discoveries from the Sudan National Museum, Londres, 2004, ont aussi livré des queues de girafe. Leurs crins servent à la confection
p. 122-126. d’ornements utilisés, notamment, dans l’apparat du chasseur d’hippo-

214
potames comme en témoigne le mythe d’Horus harponneur. P. VER- 171 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 568.
NUS, J. YOYOTTE, op. cit, p. 142-144. 172 Ibid., p. 575-581.
138 Le mot merryt est parfois traduit par « incense » (W. KELLY SIMP- 173 Ibid., p. 605-606.

SON (ÉD.), op. cit., p. 56). 174 D. VALBELLE, op. cit., p. 176.
139 « Sloughis » : Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156; « Hounds » : W. KELLY 175 Ibid., p. 157.

SIMPSON (ÉD.), op. cit., p. 56. 176 Une des premières scènes de ce type date de l’époque de Thout-
140 « Macaques » : Cl. LALOUETTE, op. cit., p. 156); « Apes » : W. KELLY mosis Ier sur une stèle découverte à Saï. Les reliefs sur les murs de la
SIMPSON (ÉD.), op. cit., p. 56). cour du temple de Beit el Ouali de Ramsès II montrent, d’une part, un
141 G. LEFEBVRE, op. cit., p. 38-39. affrontement entre les Égyptiens et les Nubiens et, d’autre part, les
142 D. VALBELLE, op. cit., p. 81. matériaux et les objets manufacturés amenés en procession par les
143 Ibid., p. 45. Nubiens.
144 C’est-à-dire « tombes en forme de poêle à frire ». C’est le nom 177 F. DEBONO, « À propos de la curieuse représentation d’une girafe

donné par W.-Fl. Petrie en raison de leur forme ronde et plate. Cl. VAN- dans l’ouvrage de Belon du Mans », in Hommages à la mémoire de
DERSLEYEN, op. cit., p. 204. Serge Sauneron 1927-1976, vol. 2, Égypte post-pharaonique, Le Caire,
145 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 156. 1979, p. 417-458.
146 Dans le texte gravé sur deux murs de sa tombe à El Kab, Ahmès fils 178 Chr. CANNUYER, « Du nom de la girafe en ancien égyptien et de la

d’Abana raconte comment il a participé à plusieurs expéditions en valeur phonétique du signe », in Göttinger Miszellen, 112, 1989, p. 7-10.
Nubie sous Ahmosis au sud de la deuxième cataracte. Lors d’une autre 179 P. VERNUS, « Girafe », in P. VERNUS, J. YOYOTTE, op. cit., p. 142-

campagne, sous Thoutmosis Ier, il accomplit un exploit au passage de 144.


la flotte à la quatrième cataracte, ce qui lui vaut le titre de « chef des 180 Parmi les chapelles de tombes thébaines où figurent les matériaux

rameurs ». Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 214. et les objets venant du Sud, les plus célèbres sont : TT 40, TT 78,
147 J. LECLANT, « L’Égypte au Soudan, l’Ancien et le Moyen Empire» TT 84, TT 86, TT 89, TT 91, TT 100 et TT 143.
in D. WILDUNG, Soudan, Royaumes sur le Nil, (catalogue d’exposition, 181 Les envois de cadeaux officiels, les tributs et les livraisons à

Paris, Institut du monde arabe, 1997), p. 122. caractère commercial ne se distinguent pas dans les représentations.
148 D. VALBELLE, op. cit., p. 128-129. D. VALBELLE, op. cit., p. 154-155.
149 D. B. REDFORD, op. cit., p. 41 et p. 54. 182 TT 86, 89, 100, 143.
150 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 311. 183 TT 100.
151 Ibid., p. 226. 184 C. ALDRED, « The Foreign Gifts Offered to Pharaoh », in Journal of
152 D. VALBELLE, op. cit., p. 157. Egyptian Archæology, 56 (1970), p. 105-116; A. GARDINER, Ancient
153 D. B. REDFORD, op. cit., p. 32-33. Egyptian Onomastica I, Oxford, 1947, p. 177.
154 T. SÄVE-SÖDERBERGH, Middle Nubian Sites (Scandinavian 185 Ph. VIREY, « Le tombeau de Rakhmare, préfet de Thèbes sous la

Joint Expedition), Aström, 1989, p. 118; J. C. DARNELL, « Opening the XVIIIe dynastie », in Mémoires publiés par vles membres de la Mission
Narrow Doors of the Desert : Discoveries of the Theban Desert Road Archéologique française du Caire, V (3), Le Caire, 1894, p. 413-434;
Survey », in R. FRIEDMAN (ÉD.), op. cit., p. 139 et sqq. N. DE G. DAVIES, The Tomb of Rekhi-mi-rê’ at Thebes, New York,
155 S. T. SMITH, « State and Empire in the Middle and New King- 1973.
doms », in J. LUSTIG, Anthropology and Egyptology : Developing 186 N. DE G. DAVIES, The Tomb of Huy Viceroy of Nubia in the Reign

Dialogue, Sheffield, 1997, p. 75; D. A. WELSBY, Sudan Ancient Trea- of Tutankhamun (n° 40), Londres, 1926.
sures. An Exhibition of Recent Discoveries from the Sudan National 187 N. DE G. DAVIES, The Tomb of Rekhi-mi-rê’ at Thebes, New York,

Museum, (catalogue d’exposition, Londres, British Museum, 2004), 1973, pl. XVII.
cat. 73. 188 « Ocre jaune ». S. AUFRÈRE, L’univers minéral dans la pensée
156 D. B. REDFORD, op. cit., p. 34. égyptienne, 2, in Bibliothèque d’Étude, CV/2, Le Caire, 1991, p. 652-
157 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 193. 653.
158 D. B. REDFORD, op. cit., p. 35. 189 Améthyste tirant sur le rouge: S. AUFRÈRE, op. cit., p. 557; parfois
159 Ibid., p. 130. traduit par grenat.
160 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 255-257. Il serait allé jusqu’à la 190 Malachite: S. AUFRÈRE, op. cit., p. 541-542.

quatrième cataracte. 191 Les mêmes matériaux africains sont représentés sur deux fragments
161 D. B. REDFORD, op. cit., p. 39. de peinture thébaine provenant de la tombe 63 appartenant à Sobekho-
162 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 310. tep, maire du Fayoum, trésorier, sous Thoutmosis IV. Sur le premier
163 Ibid., p. 371. fragment, deux Nubiens agenouillés en signe d’adoration sont suivis
164 Z. TOPOZADA, « Les deux campagnes d’Amenhotep III en Nubie», par deux porteurs d’or; le porteur d’un plateau empli d’anneaux d’or
in Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 88, 1988, a disparu. Le second fragment montre quatre hommes; l’un présente
p. 153-164. de l’or, le second porte des billes d’ébène et des queues de girafes; le
165 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 375-376. troisième, avec un petit singe agrippé à l’épaule, tient une peau de félin
166 N. DE G. DAVIES, The Rock Tombs of El Amarna, I, in Archæolo- et un plateau rouge; le quatrième porteur, dont il ne subsiste plus que
gical Survey of Egypt, 13, Londres, 1903 (tombe de Meryrê II); ID., les bras, a une perche à la main et un babouin tenu en laisse. Londres,
The Rock Tombs of El Amarna, III, in Archæological Survey of Egypt, British Museum, inv. EA 921 et EA 922.
15, Londres, 1905 (tombe de Houy). 192 R. LEPSIUS, Denkmäler aus Aegypten und Aethiopien, Text, III,
167 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 436-437. Berlin, Leipzig, 1849-1859, p. 301-306.
168 Ibid., p. 503. 193 S. H. AUFRÈRE, op. cit., p. 554.
169 Ibid., p. 535-537. 194 Caire, Musée égyptien, JE 62028 (= Carter, n° 91).
170 D. VALBELLE, op. cit., p. 157. 195 Même s’il est parfois adapté à l’usage des reines.

215
196 Trois tabourets pliants : Caire, Musée égyptien, JE 62035 (= Carter, 216 S. DONNAT, « Les jardins d’orfèvrerie des tombes du Nouvel

n° 83); JE 62036 (= Carter, n° 140); JE 62037 (= Carter, n° 139). Empire », in S.-H. AUFRÈRE, Encyclopédie religieuse de l’Univers
Le siège en peau de deux des trois tabourets est détruit, alors que celui végétal. Croyances phytoreligieuses de l’Égypte ancienne, vol. 1
du troisième pliant est conservé; il est en bois peint d’un motif qui imite (Orientalia Monspelensia, X, 1999), p. 209-218.
une peau animale tachetée. Un trône, constitué d’une chaise à haut 217 Il figurent dans trois tombes thébaines, deux tombes amarniennes

dossier incliné et incurvé attaché à un siège à pieds croisés, appelé et sur le mur du temple de Beit el Ouali.
« trône de cérémonie » : Caire, Musée égyptien, JE 62030 (= Carter, 218 D. WILDUNG, Soudan, Royaumes sur le Nil, Paris, 1997, p. 146-

n° 351). Cl. VANDERSLEYEN, « Quelques énigmes. À propos de la 147, cat. 146-147.


tombe de Toutânkhamon », in Bulletin de la Société française d’égyp- 219 Bruxelles - Musées Royaux d’Art et d’Histoire. Inv. E. 6904 dont

tologie, 8, 1983, p. 99. Un tabouret à pieds fusiformes : Caire, Musée il existe un jumeau au Musée du Louvre; P. GILBERT, CdÉ 24, p. 223-
égyptien, JE 62042 (= Carter 142b et 149). 234, fig. 26.
197 H. S. BAKER, Furniture in the ancient World. Origins and Evolu- 220 M. LICHTHEIM, Ancient Egyptian Literature : A Book of Reading,

tion 3100-475 B.C., New York, 1965, p. 171, figs. 266 et 267. t. III, Berkeley - Los Angeles - Londres, 1980, p. 142-150.
198 Parmi les formules d’exécration de Seth dans la deuxième chapelle 221 R. G. MORKOT, The Black Pharaohs Egypt’s Nubian Rulers,

osirienne de l’est sur le toit du temple de Dendera figure l’expression : Londres, 2000, p. 82-84.
« Je fais de la peau de Seth (un siège) sous Osiris ». S. CAUVILLE, 222 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 351.

Le temple de Dendera. Les chapelles osiriennes. Transcription et tra- 223 KV 36. R. B. PARTRIDGE, Faces of Pharaohs Royal Mummies and

duction, in Bibliothèque d’Étude, CXVII, Le Caire, 1997, p. 66-67. Coffins from Ancient Thebes, Londres, 1994, p. 97-101.
199 N. DE G. DAVIES, The Tombs of Two Officials of Thutmosis the 224 H. BRUNNER, Altägyptisches Erziehung, Wiesbaden, 1957, p. 12-

Fourth (n° 75 and 90), in Theban Tomb Series, 3, Londres, 1923, 13; B. BRYAN, The Reign of Thutmose IV, Baltimore-Londres, 1991,
pl. XXXIII. p. 261-263; Chr. DESROCHES-NOBLECOURT, « Les enfants du Kep »,
200 N. DE G. DAVIES, The Tomb of Ken-Amun at Thebes, in The Metro- in Actes du XXIe Congrès International des Orientalistes, Paris, 1949,
politan Museum of Art Egyptian Expedition, New York, 1930, pl. XVII. p. 68-70; E. FEUCHT, « The hrdw n k3p reconsidered, in S. I. GROLL
201 A. et A. BRACK, Das Grab des Haremhab. Theben nr 78, in (Éd.), Pharaonic Egypt, Jerusalem, 1985, p. 38-47 et p. 343-345; EAD.,
Archäologische Veröffentlichungen, 35, 1980, pl. 89; W.-Fl. PETRIE, Das Kind im Alten Ägypten, Francfort - New York, 1995, p. 266-304;
Heliopolis, Kafr Ammar and Shurafa, in British School of Archæology R. M. et J. J. JANSSEN, Growing up in Ancient Egypt, Londres, 1990,
in Egypt/ERA, 1912, 1915, pl. XXVII; O. WANSCHER, Sella curulis. p. 138-152.
The Folding Stool, an ancient Symbol of Dignity, Copenhague, 1980, 225 Si les enfants sont bien des Égyptiens de souche au Moyen Empire,

p. 49 (Londres, British Museum, inv. EA 37979). en revanche, au Nouvel Empire, certains sont d’origine étrangère, asia-
202 E. PRISSE D’AVENNES, Histoire de l’art égyptien d’après les monu- tique ou nubienne : les uns appartiennent à la catégorie sociale la plus
ments depuis les temps les plus reculés jusqu’à la domination romaine, favorisée, d’autres sont issus de milieux très modestes. B. MATHIEU,
II, Paris, 1878, pl. 89; O. WANSCHER, op. cit., p. 51. « L’énigme du recrutement des « enfants du kap » : une solution ? »,
203 H. SCHÄFER, Principles of Egyptian Art, Oxford, 1980, p. 112-114. in Göttinger Miszellen, 177, 2000, p. 41-48.
204 U. HÖLSCHER, Das hohe Tor von Medinet Habu. Eine baugeschich- 226 Cl. VANDERSLEYEN, op. cit., p. 475.

tliche Untersuchung, Leipzig, 1910, p. 16, fig. 7, et p. 17, fig. 8. 227 R.-G. MORKOT, op. cit., p. 85.
205 K. H. DITTMANN, « Die Bedeutungsgeschichte des ægyptischen 228 Ibid., p. 87.

Klappstuhls », in Studi in memoria di Ippolito Rosellini nel primo


centenario della morte (4 giugno 1843-4 giugno 1943), II, Pise, 1955,
p. 46; H. SCHÄFER, op. cit., p. 114; O. WANSCHER, op. cit., p. 20-21.
206 H. S. BAKER, op. cit., fig. 268.
207 Ibid., p. 172.
208 Ibid., p. 219, fig. 354. Ces tombes à plusieurs inhumations contien-

nent parfois deux tabourets : Argile source de vie. Sept millénaires de


céramique en Jordanie, Bruxelles, 1985, p. 129, n° 327.
209 Oxford, Ashmolean Museum, inv. E. 4162.
210 Boston, Museum of Fine Arts, inv. 13.997: P. DER MANUELIAN,

« Notes on the So-called Turned Stools of the New Kingdom », in


W. DAVIS (Éd.), Studies in Ancient Egypt, the Ægean and the Sudan :
Essays in Honor of Dows Dunham, Boston, 1981, p. 126-127, fig. 3.
211 Ibidem.
212 Ibidem.
213 Au Kordofan. A. KOEPPEN, A. BREUER, Geschichte des Möbels

unter Berücksichtigung der architektonischen und tektonischen For-


men. Eine Stillehre für Bau-und Möbeltischler. Die Entwicklung des
Möbels von den Anfängen des menschlichen Wohnhaus bis zur römis-
chen Kaiserzeit unter Einbeziehung des Mobiliars den ostasiatischen
Ländern, Berlin, 1904, p. 43, fig. 62.
214 S. A. B. MERCER, The Tell el-Amarna Tablets, I, p. 17, p. 49 et

p. 183.
215 J. B. PRITCHARD, Ancient Near Ancient Texts relating to the Old

Testament, Princeton, 1969, p. 487.

216
L’Éthiopie vue de Grèce et de Rome
aux époques hellénistique et romaine
Jean TRINQUIER

Pour illustrer les progrès des connaissances géographiques à l’époque hellénistique; Diodore de Sicile, par exemple,
réalisés à son époque, le géographe grec Strabon d’Ama- n’hésite pas à écrire que « depuis les temps anciens jusqu’à
sée s’étend quelque peu longuement sur le cas de l’aire Ptolémée appelé Philadelphe, non seulement aucun Grec
éthiopienne et érythréenne, une région dont il connaît ne pénétra en Éthiopie, mais ils n’atteignirent même pas
de visu les confins pour avoir accompagné dans une de les frontières de l’Égypte, tant ces lieux étaient inhospita-
ses visites d’inspection son ami Ælius Gallus, nommé liers et dangereux » (I, 37, 5). Il n’en est rien. L’époque
par Auguste préfet d’Égypte en 27 avant notre ère. Le pas- saïte fut, comme on sait, une grande époque d’ouverture
sage (II, 5, 12, C118) mérite d’être cité intégralement : de l’Égypte sur le monde méditerranéen. Avec l’accord
« Les Romains à leur tour ont pénétré dernièrement jusqu’en du pharaon, des cités d’Asie Mineure fondèrent dans le
Arabie Heureuse avec une expédition militaire qui avait à Delta, au VIIe siècle avant notre ère, le comptoir commer-
sa tête un de nos bons amis, un homme de notre âge, Ælius cial de Naucratis. Les pharaons saïtes firent également
Gallus; de leur côté, les trafiquants d’Alexandrie équipent appel à des mercenaires grecs pour restaurer leur pouvoir
maintenant de véritables flottes pour remonter le Nil et
sur la totalité du territoire égyptien et achever de repousser
traverser le golfe Arabique jusqu’en Inde, ce qui fait que ces
pays sont bien mieux connus de nous aujourd’hui qu’ils les Koushites vers le sud. Les opérations militaires condui-
ne l’étaient de nos prédécesseurs. Du reste, quand Gallus sirent ces mercenaires au-delà de la première cataracte,
exerçait son commandement en Égypte, nous sommes dans l’arrière-pays nubien de l’Égypte, comme en témoi-
allés le voir et l’avons accompagné dans sa remontée du Nil gnent les célèbre graffites laissés à Abou Simbel par
jusqu’à Syène et aux limites de l’Éthiopie; nous pouvons les mercenaires grecs de Psammétique II 2. Ces mercenai-
témoigner qu’on voyait jusqu’à cent vingt navires mettre à
res, des Ioniens et des Cariens pour la plupart, étaient
la voile de Myos-Hormos pour l’Inde, alors que précédem-
ment, sous le règne des Ptolémées, bien peu de gens avaient d’abord des marins; joignant le commerce à la guerre, ils
l’audace de lancer leurs navires et de faire commerce de la fréquentèrent, à partir de leurs bases du Delta oriental
marchandise indienne » (trad. G. AUJAC, Paris, CUF, 1969). du Nil, les eaux de la mer Rouge, allant chercher jusque
dans les terres lointaines du Sud – le Pount des Égyptiens
Ce passage permet de saisir les deux traits qui vont ordon- – les précieux aromates tant prisés par les aristocraties du
ner, à partir de l’époque hellénistique, la vision grecque, bassin oriental de la Méditerranée 3. Cette première
puis romaine, de l’Éthiopie: d’une part, l’entrée de l’Égypte période d’échanges intenses entre le monde méditerra-
dans la sphère d’influence du monde gréco-romain, néen, l’Égypte et son arrière-pays africain prit fin avec la
marquée par l’établissement d’une domination étrangère domination perse sur l’Égypte, conquise par Cambyse en
sur le pays; d’autre part, une expansion en direction du 525 avant notre ère. Ce n’est pas que l’Égypte se referma
sud qui s’effectue suivant deux axes privilégiés, une voie sur elle-même; le comptoir de Naucratis, notamment, resta
terrestre, par la Vallée du Nil, et une voie maritime, par prospère et vit affluer de nombreux Grecs. En revanche,
la mer Rouge. les Grecs ne furent plus directement en contact avec le
monde éthiopien, en raison de la réorganisation du com-
Les Grecs n’ont certes pas attendu l’époque hellénistique merce de la mer Rouge, peu propice à la navigation des
pour partir à la découverte de l’Afrique subégyptienne 1, lourds navires marchands à voile qui remplacèrent à la
même si le souvenir de ce qui s’était fait avant les même époque les longues et rapides pentécontères, mues
entreprises de Ptolémée Philadelphe semble s’être perdu essentiellement à la rame. À l’époque de la domination

217
Fig. 1. La mosaïque Barberini, vue d’ensemble. D’après J.-J. BARTHÉLÉMY ; P. BARTOLI, La Mosaïque de Palestrine, Paris, 1760.
Cliché M. Lechien.

218
perse et malgré le creusement du canal de Darius, qui ces deux peuples, habitant respectivement du côté du soleil
mettait en relation la Méditerranée, le Nil et la mer Rouge, levant et du côté du soleil couchant, avaient en commun
le commerce des aromates et des autres produits du de voir l’astre du jour de beaucoup plus près que les
domaine érythréen se reporta sur les pistes caravanières, autres peuples. Ces deux traits – peau noire, localisation
principalement du côté arabe 4. L’établissement de la méridionale aussi bien orientale qu’occidentale – expli-
dynastie lagide en Égypte marqua en revanche le début quent que la dénomination d’« Éthiopien » ait pu s’appli-
d’un nouveau chapitre dans l’histoire des relations entre le quer à des peuples divers, dont les seuls points communs
monde méditerranéen et le monde éthiopien, un chapitre étaient d’être mélanodermes et d’habiter une contrée méri-
qui se poursuivit lorsque la domination romaine se fut dionale. De fait, il n’y avait pas une Éthiopie, ni même
substituée à la domination grecque. deux, comme nous venons de le proposer, mais plusieurs
Éthiopies. À l’Éthiopie nilotique et l’Éthiopie érythréenne,
L’autre enseignement que l’on peut tirer du passage de il faut encore ajouter une Éthiopie occidentale, située en
Strabon est qu’il n’y a pas une, mais deux Éthiopies, Afrique de l’Ouest, et des Éthiopies plus orientales, qui
l’une nilotique, l’autre érythréenne, qui ne communiquent se confondent parfois avec l’Inde. Certains géographes
qu’imparfaitement. L’Éthiopie nilotique constitue l’ar- anciens, comme Strabon, ont même postulé l’existence
rière-pays de l’Égypte, elle débute dès la première cata- d’un peuplement continu d’Éthiopiens, divisé par le golfe
racte et se poursuit jusqu’aux savanes qui entourent Méroé Arabique, le long du rivage méridional de l’océan exté-
(fig. 1). Par Éthiopie érythréenne, j’entends les régions rieur, depuis le soleil levant jusqu’au soleil couchant 8. Dès
côtières de la mer Rouge, au sud de l’Égypte. Cette der- l’instant où l’on s’attacha à préciser les coordonnées
nière région n’est pas unanimement considérée comme géographiques de l’Éthiopie homérique, la localisation
éthiopienne par les auteurs anciens. Elle reçoit différentes nilotique et érythréenne de l’Éthiopie a cependant prévalu
dénominations, notamment celle de Troglodytique, et sem- sur les autres localisations. Les contacts précoces des
ble parfois hésiter entre le monde éthiopien et le monde Grecs avec ces régions en fournissent sans doute l’expli-
arabe, voire indien 5. En fait, c’est l’ensemble du monde cation. À cela s’ajoute le fait que l’Éthiopie nilotique
éthiopien, qu’il soit nilotique ou littoral, qui semble a longtemps été dominée par des empires brillants et struc-
suspendu entre l’Afrique et l’Asie, de la même façon que turés, avec Napata, puis Méroé pour capitales, qui ont
l’Égypte est annexée par les géographes anciens tantôt à retenu l’attention des Anciens. C’est à cette Éthiopie nilo-
l’un, tantôt à l’autre de ces continents. En dernier ressort, tique et érythréenne que nous nous intéresserons ici, à
c’est bien l’Égypte qui fonde aux yeux des Anciens l’unité l’exclusion des autres Éthiopies.
de ces deux Éthiopies, qui ne sont l’une et l’autre accessi-
bles aux Méditerranéens qu’à partir du territoire égyptien. L’Éthiopie que nous avons appelée nilotique et érythréenne
L’Éthiopie des Anciens peut donc être définie comme l’ar- couvre une vaste région, qui comprend, pour se référer
rière-pays africain de l’Égypte 6 ; pour les Grecs comme aux frontières politiques actuelles, le sud de l’Égypte, ainsi
pour les Romains, elle est toujours vue à partir d’Alexan- que la plus grande partie du Soudan, de l’Éthiopie et de
drie, qui constitue le point de départ comme le point d’ar- la Somalie. Cette vaste région ne fut jamais réellement
rivée de toutes les expéditions et de tous les commerces en unifiée dans l’Antiquité, même si les souverains de Méroé
direction de la lointaine Éthiopie. ont dû parfois étendre leur domination en direction de la
mer Rouge 9. Elle offrait des aspects contrastés : aride en
À vrai dire, le terme « Éthiopie » avait une extension plus Basse Nubie, particulièrement désolée entre la deuxième
large encore dans l’Antiquité. Selon une étymologie et la troisième cataracte, moins ingrate dans le bassin de
peut-être erronée, mais largement acceptée par les Dongola, qui s’ouvre au-delà de la troisième cataracte,
Anciens, l’Éthiopie était le pays des Éthiopiens, c’est-à- et plus encore en amont des quatrième et cinquième cata-
dire des « Faces-brûlées », des hommes au visage noirci ractes, à mesure qu’apparaît la steppe, laquelle devient
par les ardeurs du soleil 7. Homère plaçait les Éthiopiens de plus en plus arbustive. Entre le Nil et la mer Rouge
sans plus de précision du côté de l’Océan, aux confins s’étendent des solitudes d’une totale aridité, qui laissent
méridionaux du monde. Un passage de l’Odyssée (I, 23- progressivement place à des zones semi-désertiques, puis
24), âprement discuté dans l’Antiquité, distinguait même à la savane 10. Dans l’Antiquité, la savane devait remonter
des Éthiopiens orientaux et des Éthiopiens occidentaux; plus avant en direction du nord que de nos jours, puisque

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la région abritait encore des éléphants 11. Lointaine et mal d’abord comme satrape, de 323 à 305, puis comme roi et
connue, quoique fréquentée plus ou moins assidûment par fondateur de la dynastie macédonienne des Lagides, de
des soldats en mission, des commerçants ou des particu- 305 jusqu’à sa mort, en 283. Son règne ne connut aucune
liers aventureux, cette région vaste et diverse se prêtait à avancée marquante en direction de l’Afrique tant nilotique
bien des constructions et des rêveries. Il n’est pas étonnant qu’érythréenne 14. Le premier à renouer avec la tradition
que l’Antiquité nous en ait légué des images disparates, égyptienne d’expansion en direction du Sud nubien et
voire contradictoires. Ce sont ces images diverses que de la mer Rouge fut son successeur, Ptolémée II Philadel-
nous étudierons ici, après avoir rappelé l’histoire des phe. Les motivations de cette politique d’expansion furent
contacts entre les peuples de la Méditerranée – Grecs et assurément multiples. Il s’agissait d’abord de mettre la
Romains – et les terres africaines des confins méridionaux Haute Égypte à l’abri des incursions de ses voisins du
du monde connu. Sud, en s’assurant le contrôle des marches nubiennes
de l’Égypte. Diodore de Sicile (I, 37, 5) fait ainsi état
d’une campagne militaire lancée par Ptolémée II contre
Les contacts entre le monde méditerranéen l’Éthiopie, en réponse, semble-t-il, à une attaque nubienne
et le monde éthiopien, du 3e siècle avant notre ère contre Philæ. L’adversaire n’était sans doute pas le
à la fin de l’Antiquité royaume de Méroé, mais plutôt les populations nomades
de Basse Nubie, qui gênaient les échanges entre Méroé
Les Lagides, l’Éthiopie et la mer Rouge et le royaume lagide 15. Outre la pacification de la frontière
méridionale du royaume, il est probable que Ptolémée II
Alexandre conquit l’Égypte à la fin de l’année 332, sans avait aussi pour dessein de s’assurer le contrôle des
que le satrape Mazakès, nommé peu de temps auparavant ressources minières de la Nubie. C’est probablement de
par Darius, ne lui oppose trop de résistance. Les deux son règne que date la mainmise lagide sur les gisements
faits marquants du séjour d’Alexandre en Égypte furent aurifères du Wadi Allaqi, situé dans le désert oriental, près
la visite à l’oasis de la Siwa, pour consulter l’oracle de la limite méridionale de la Dodécaschène, le « Pays
d’Ammon, puis la fondation, en face de l’île de Pharos, des douze schènes » 16. À l’exception d’une parenthèse
de la cité nouvelle d’Alexandrie, promise à l’avenir d’une vingtaine d’années, entre 206 et 186 av. J.-C., mar-
que l’on sait. Dès le printemps de l’année 331, Alexandre quées par la sécession de la Thébaïde, les Lagides exercè-
repartit pour la Phénicie. C’est dire qu’il n’eut pas le rent presque continûment une influence prépondérante
temps de parcourir l’Égypte, encore moins de s’avancer sur la Dodécaschène, comme le montre par exemple la
jusqu’aux portes de l’Éthiopie. Certes, Quinte-Curce donation à l’Isis de Philæ des revenus de cette zone. Sous
(IV, 8, 3-4) lui prête le projet de gagner l’Éthiopie au le règne de Ptolémée Philomètor, le royaume lagide étendit
lendemain de sa visite à l’oasis d’Ammon, mais le fait même sa domination sur la totalité de la région allant de
est douteux. Tout aussi sujette à caution est la tradition la première à la deuxième Cataracte, la Triacontaschène
qui veut qu’Alexandre ait envoyé au fin fond de l’Éthiopie, ou «Pays des trente schènes » des Anciens 17.
à la demande d’Aristote et sous la conduite de Callisthène,
le propre neveu du philosophe, des savants (fig. 2) chargés En contrôlant la Basse Nubie et en organisant à leur profit
d’enquêter sur les causes de la crue du Nil 12. Beaucoup l’exploitation de ses ressources minières, les souverains
mieux attestées sont en revanche les reconnaissances lagides ne firent que reprendre la politique traditionnelle
effectuées sur ordre d’Alexandre le long des côtes de de l’empire égyptien en direction du Sud. Totalement
l’Arabie; commencées en 324, elles s’inscrivent dans nouveau est en revanche l’un des buts poursuivis par les
l’exploration des rivages méridionaux de l’empire nouvel- Ptolémées, à savoir la capture d’éléphants sauvages
lement constitué, du golfe Persique jusqu’à la mer Rouge; pour renforcer la puissance militaire du royaume. Les élé-
les côtes africaines de la mer Rouge et du golfe d’Aden, phants, en effet, furent utilisés avec constance dans les
en revanche, ne furent pas directement concernées par armées hellénistiques depuis que la bataille de l’Hydaspe,
cette entreprise 13. en 326 av. J.-C., apprit aux Gréco-Macédoniens que ces
pachydermes pouvaient servir à la fois de force de rupture
À la mort d’Alexandre, ce fut l’un de ses généraux, Ptolé- et d’arme psychologique. Or les Lagides se trouvaient
mée, le fils de Lagos, qui se rendit maître de l’Égypte, coupés de l’Inde par le royaume rival des Séleucides, alors

220
Fig. 2. Les montagnes de l’Éthiopie. Cliché Jean Trinquier.

Fig. 3. Le quadrupède à la gueule fendue. Cliché Jean Trinquier.

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que cette contrée constituait à l’époque l’unique source sud, dans les savanes du Soudan, de l’Érythrée, voire de
d’approvisionnement du monde antique tant en éléphants la Somalie 22. La capture des éléphants nécessitait des
de guerre qu’en dresseurs compétents. Pour pallier ce han- effectifs considérables, tandis que leur transport devait se
dicap, Ptolémée II choisit de privilégier la filière africaine, faire sur des navires spécialement conçus, les éléphantè-
en organisant des expéditions de chasse pour capturer des ges, trop lourds pour pouvoir naviguer communément au
éléphants éthiopiens 18. Ces expéditions empruntèrent milieu des écueils et des bancs de sable qui parsèment la
deux itinéraires, l’un nilotique, l’autre maritime. L’exis- mer Rouge. Malheur aux navires qui allaient s’y échouer !
tence d’un itinéraire nilotique est attestée par les signatures L’historien alexandrin Agatharchide a laissé une descrip-
laissées par des chasseurs d’éléphants sur les jambes des tion pathétique du sort atroce qui attendait alors l’équi-
deux colosses méridionaux du temple de Ramsès II à page, condamné à s’entre-tuer et à mourir de faim après
Abou Simbel, ainsi que par un graffite votif de Philæ, une longue agonie, faute de pouvoir dégager leur lourde
qui prie « pour le salut des éléphants », c’est-à-dire pour embarcation, faute de pouvoir gagner à la nage une côte
qu’ils arrivent sains et saufs à destination (Bernand 1969, trop éloignée et de toute façon inhospitalière, faute enfin
n° 309) (fig. 3). Cet itinéraire devait cependant être parti- de pouvoir espérer être recueillis par d’autres navires, dans
culièrement malaisé, en raison des difficultés posées par le une mer qu’ils étaient pratiquement les seuls à fréquenter.
transport des éléphants sur le cours moyen du Nil, particu- La mer Rouge était ainsi jalonnée d’épaves fantomatiques
lièrement accidenté et inhospitalier. En outre, l’accord des et sinistres, que les souverains lagides interdisaient de reti-
souverains de Méroé était sans doute requis pour que ces rer, afin qu’elles signalent aux autres navigateurs l’écueil
expéditions puissent s’enfoncer suffisamment profondé- ou le banc de sable ayant causé leur perte 23. S’ils arri-
ment en direction du sud. De fait, l’itinéraire nilotique vaient à bon port, les éléphants devaient encore traverser
semble n’avoir eu qu’une importance secondaire par rap- le désert oriental et descendre le Nil jusqu’à Memphis, où
port à l’itinéraire maritime, le long des côtes de la mer ils étaient basés 24. Il restait à les apprivoiser et à les dresser
Rouge, en direction des côtes soudanaises et érythréennes. à la guerre, ce qui n’était pas forcément le plus aisé. Les
Le point de départ de cet itinéraire a varié. La stèle de efforts des Ptolémées ne furent guère couronnés de succès,
Pithom indique que les navires des chasseurs empruntèrent car leurs éléphants africains se révélèrent peu efficaces
d’abord, à l’aller comme au retour, le canal creusé par face aux éléphants indiens plus aguerris de leurs adversai-
Ptolémée Philadelphe, qui reliait le bras pélusiaque du res séleucides. Après que la bataille de Raphia, en 217
Nil, au nord d’Héliopolis, au « Lac du Scorpion », qui avant notre ère, eut démontré de façon éclatante l’infério-
correspond sans doute aux « Lacs Amers »; la navigation rité des éléphants éthiopiens, la chasse aux éléphants sem-
sur la mer Rouge commençait ainsi dès le golfe de Suez. ble avoir été abandonnée; du moins n’est-elle plus attestée
Les difficultés posées par la navigation dans la partie à partir des toutes premières années du 2e siècle avant
septentrionale de la mer Rouge furent cependant telles notre ère 25.
que l’habitude fut très vite prise de débarquer les pachy-
dermes beaucoup plus au sud, dans le port nouvellement Les expéditions lancées par les Ptolémées à la recherche
fondé de Bérénice, situé au 24° de latitude N, et de leur de l’éléphant africain servirent aussi à capturer d’autres
faire rejoindre le Nil par voie de terre, à travers le désert animaux exotiques, car l’intérêt de Ptolémée II pour
oriental, jusqu’à Edfou 19. Les premières expéditions la faune éthiopienne et érythréenne ne s’arrêtait pas
furent contemporaines de la fondation de Ptolémaïs des aux éléphants, si l’on en croit l’historien Agatharchide :
Chasses, que la stèle de Pithom invite à placer entre la « Ptolémée II, qui aimait passionnément la chasse aux
16e et la 21e année du règne de Ptolémée Philadelphe, éléphants et qui, à l’occasion de la capture extraordinaire
c’est-à-dire entre 270-269 et 265-264 20. L’effort fut pour- des animaux les plus vigoureux, distribuait de grandes
suivi par le successeur de Ptolémée Philadelphe, Ptolémée récompenses, dépensa des sommes considérables pour
III Évergète, qui paracheva l’équipement des côtes de la satisfaire ce goût, acquit ainsi un grand nombre d’élé-
mer Rouge et organisa un service permanent de chasse à phants de guerre et fit connaître aux Grecs d’autres espè-
l’éléphant 21. ces d’animaux inconnues et extraordinaires » 26 (fig. 4).
Agatharchide dégage les deux critères qui orientaient
Cette chasse constituait une activité complexe et risquée. les curiosités zoologiques du souverain, à savoir la force et
Il fallait aller chercher les éléphants loin en direction du l’étrangeté. Cet intérêt du souverain pour la faune

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éthiopienne et les animaux lointains se manifesta avec considérablement enrichies à la faveur des conquêtes de
éclat dans l’impressionnante procession dont Athénée Rome. On prendra l’exemple de l’écaille de tortue et des
a emprunté la description à Callixène de Rhodes 27. Une pierres précieuses, deux produits qui étaient importés en
section de cette procession réunissait un grand nombre provenance notamment de l’aire érythréenne. Outre l’em-
d’animaux éthiopiens ou indiens dans le but de représenter ploi, connu de longue date, des carapaces de tortue pour
le retour triomphal de Dionysos après sa victoire sur former la caisse de résonance des lyres, l’écaille de tortue
les Indiens; c’est ainsi que les habitants d’Alexandrie et fut également utilisée, dans le monde romain, comme
les invités du roi virent défiler non seulement des chars revêtement précieux, aussi bien pour des meubles que pour
tirés par des éléphants, par des autruches et par diverses des portes ou des murs. Pline l’Ancien (IX, 39) crédite un
espèces d’antilopes, mais aussi des oiseaux exotiques, certain Carvilius Pollio, chevalier romain, d’avoir introduit
ainsi qu’« un grand ours blanc, quatorze panthères, seize cette mode décorative à Rome; comme Carvilius Pollio
guépards, quatre caracals, trois petits de panthères, une est présenté ailleurs comme le premier à avoir revêtu son
girafe et un rhinocéros d’Éthiopie » 28. Ptolémée II possé- triclinium d’ornements d’argent, et que cette innovation,
dait aussi de grands reptiles constricteurs, sans doute des aux yeux de Pline, fut expiée avec d’autres par la guerre
pythons de Seba, dont la longueur semblait démesurée aux civile entre Marius et Sylla (XXXIII, 144), on s’accorde à
Grecs 29 (fig. 5). Il est en revanche douteux que tous ces considérer que les années 83-81 constituent un terminus
animaux exotiques aient été rassemblés à Alexandrie dans ante quem aussi pour la mode des placages en écaille
une sorte de vaste « zoo », fournissant comme le pendant de tortue. Les Satires Ménippées (fr. 448 Cèbe) font éga-
animé des collections de la célèbre Bibliothèque 30. lement mention d’un lit en écaille de tortue, testudineo
lecto, dans une pièce qui reste malheureusement impossi-
Les expéditions des chasseurs d’éléphants ont permis la ble à dater. Rien n’est dit cependant sur l’origine de ces
réouverture des voies maritimes du commerce érythréen écailles de tortue, mais des sources légèrement plus tardi-
et ont sans nul doute joué un rôle dans l’essor des échan- ves, comme Velléius Paterculus (II, 56, 2) ou le Périple
ges, que les souverains lagides avaient intérêt à plus de la mer Érythrée (§ 3, 6, 7, 10, 13, 17, 30, 56), donnent
d’un titre à encourager 31. Ils intervenaient directement à penser que les écailles de tortue transitaient en nombre
dans l’exploitation d’un certain nombre de ressources par Alexandrie, en provenance des côtes de la mer Rouge.
minières, situées non seulement dans le désert oriental, Lors du quadruple triomphe célébré par César en 46 av.
mais jusque dans les eaux de la mer Rouge, où se trouvait J.-C., le triomphe sur Alexandrie bénéficia ainsi d’un décor
la fameuse Île des Topazes 32. D’autre part, les droits de en écailles de tortue 35. Dans ces conditions, il n’est pas
douane prélevés sur les marchandises en provenance ou impossible, comme le propose F. De Romanis, que les
en direction du sud étaient une source importante de reve- carapaces de tortue aient fait partie des produits échangés
nus pour le royaume. Aussi Ptolémée II prit-il des mesures entre Alexandrie et l’Italie centrale à une date assez haute,
énergiques pour conjurer la menace représentée par la sinon dès la seconde moitié du 2e siècle av. J.-C., du moins
piraterie nabatéenne 33. Le commerce érythréen prit dès dans le premier quart du 1er siècle av. notre ère 36.
lors son essor, mais selon des formes, des rythmes et des
itinéraires qui n’avaient pas été prévus par les souverains Quant aux pierres précieuses, ou semi-précieuses, prove-
lagides. Dès le IIe siècle avant notre ère, et après la longue nant de l’aire érythréenne, un témoignage instructif
sécession de la Thébaïde, l’axe majeur du commerce est fourni par le De suppliciis de Cicéron (Verrines, II, 5,
érythréen ne fut plus la route Bérénice-Edfou, mais 146) : « Tous ceux qui s’étaient approchés de la Sicile
plus au nord l’itinéraire reliant Myos-Hormos à Coptos. un peu bien fournis, [Verrès] déclaraient qu’ils étaient des
Comme l’a montré F. De Romanis, le développement de soldats de Sertorius et fuyaient de Dianium. Ceux-ci, pour
ce nouvel itinéraire n’est pas à mettre au crédit d’une poli- détourner le péril, présentaient qui de la pourpre de Tyr, qui
tique volontariste et mercantiliste des Ptolémées, mais est de l’encens, des parfums, des étoffes de lin, qui des pierres
lié à l’essor du commerce maritime dans la mer Rouge, précieuses et des perles, quelques-uns des vins de Grèce et
essor qui tient pour l’essentiel à deux facteurs, tous deux des esclaves asiatiques à vendre, pour faire comprendre, par
indépendants des visées de la politique extérieure lagide 34. les marchandises, d’où ils arrivaient par mer. Ils n’avaient
Le premier facteur est la demande croissante de biens de pas prévu que des causes de danger naîtraient des preuves
luxe dans l’Italie romaine, dont une partie des élites se sont mêmes qu’ils croyaient susceptibles de les sauver. Car

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Fig. 4. Grand reptile éthiopien. Cliché Jean Trinquier.

Fig. 5. Animaux éthiopiens. Cliché Jean Trinquier.

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Verrès déclarait qu’ils avaient acquis ces richesses en de celui de Leukè Comè, située à peu près à la même
s’associant aux pirates; il commandait de conduire ces latitude sur la côte d’en face, en Arabie. Ce sont les mar-
marchands dans les Latomies; il veillait à ce que leurs chands arabes qui prirent l’initiative, dans le courant du
navires et leurs cargaisons fussent soigneusement confis- IIe siècle, de prolonger le commerce de la mer Rouge aussi
qués » (trad. G. RABAUD, Paris, CUF, 1929). En confrontant bien en direction de la côte orientale de l’Afrique, au-delà
cette énumération de produits – la pourpre tyrienne, l’en- du cap Guardafui, que vers le golfe Persique et l’Inde,
cens, les aromates, les vêtements de lin, les pierres précieu- jusqu’à Patala, à l’embouchure de l’Indus 40. Strabon
ses, les perles, les vins grecs et les esclaves originaires (II, 3, 4), il est vrai, attribue à la suite de Poséidonios à un
d’Asie – avec la liste des provenances donnée un peu plus certain Eudoxe de Cyzique la première traversée en direc-
haut dans le discours (II, 5, 145) – l’Asie, la Syrie, Tyr et tion de l’Inde. L’histoire, cependant, mérite d’être racontée
Alexandrie –, F. De Romanis a suggéré que les négociants en détail. À la fin du règne de Ptolémée Évergète II, c’est-
en provenance d’Alexandrie et ceux venus de Syrie se à-dire peu avant 116 avant J.-C., un naufragé indien fut
partageaient le commerce de l’encens, des aromates, des découvert presque mort par des soldats sur la côte éthio-
pierres précieuses et des perles, tandis que les vêtements de pienne de la mer Rouge. Conduit jusqu’au roi, il lui
lin relevaient pour leur part du seul commerce alexandrin 37. proposa, pour lui manifester sa reconnaissance, de guider
Il semble donc bien que des produits d’origine éthiopienne jusqu’en Inde les marins qu’il choisirait. Et c’est ainsi
et érythréenne faisaient l’objet d’un commerce entre qu’Eudoxe de Cyzique aurait effectué la première traver-
Alexandrie et l’Italie dans les années 73-71 av. J.-C. Ces sée directe de l’océan Indien, jusqu’à la région de Patala.
contacts entre commerce méditerranéen et commerce éry- La découverte de cette nouvelle route n’est donc pas à
thréen sont corroborés par l’histoire des progrès du luxe mettre au crédit d’Eudoxe de Cnide, mais à celui de
à Rome dressée par les sources littéraires 38. Selon Pline navigateurs indiens, et sans doute aussi arabes. Ce n’est
l’Ancien (XXXVII, 11), le premier à s’être constitué à que dans un second temps que des négociants grecs
Rome une collection de pierres précieuses ou « dactylio- ont emprunté cette nouvelle route, et encore en petit
thèque » fut Scaurus, le neveu de Sylla, tandis qu’une Satire nombre, si l’on en croit le témoignage de Strabon cité
Ménippée de Varron (fr. 378 Cèbe), datant sans doute des en introduction 41. L’inscription déjà citée de l’archisôma-
années 80-70 av. J.-C., contient une allusion aux perles tophylax Sotérichos ainsi que l’apparition, dans des
et aux émeraudes; selon Ælius Stilo (GRF, fr. 43), la créa- inscriptions du I er siècle avant notre ère, d’une adminis-
tion du mot unio pour désigner les grandes perles daterait tration « chargée des mers Érythrée et Indienne » (SB V
circa Iugurthinum bellum, c’est-à-dire de la fin du 2e siècle. 8036; Bernand 1969, n° 52, 53, 56) 42 montrent que la
De fait, F. De Romanis propose d’étendre aux dernières bureaucratie lagide a su s’adapter à cette nouvelle situa-
décennies du IIe siècle avant notre ère la situation commer- tion et en tirer profit; elles ne prouvent nullement qu’elle
ciale décrite par Cicéron, sur la base de la coïncidence en ait été à l’origine.
entre l’inscription de Délos mentionnant la présence, en 127
av. J.-C., de negotiatores italiens à Alexandrie (ID 1526 = Des grandes expéditions pionnières du IIIe siècle jusqu’à
Durrbach n° 105 = OGIS 135) et l’inscription de l’archisô- l’intensification des échanges commerciaux dans la mer
matophylax Sotérichos, stratège de la Thébaïde, qui atteste Rouge au cours des deux siècles suivants, qui virent éga-
pour l’année 130 av. J.-C. non seulement le transport à tra- lement l’orientation du trafic vers des destinations de plus
vers le désert égyptien oriental d’encens et d’autres mar- en plus lointaines, l’époque hellénistique a donc été une
chandises étrangères, mais aussi l’extraction, dans cette grande époque de découverte, d’exploration et d’ouver-
même zone, de pierres précieuses (Bernand, 1977, n° 86); ture vers le Sud. Parmi les Grecs qui s’aventurèrent
il est en effet raisonnable de penser que la présence de en Éthiopie sous le règne des premiers Lagides, il en fut
negotiatores italiens à Alexandrie et le réveil des activités plusieurs qui regroupèrent les informations collectées
économiques des Lagides dans la mer Rouge étaient au cours de leurs pérégrinations dans des ouvrages intitu-
des phénomènes étroitement liés 39. lés Æthiopica 43. L’un d’eux, Simonide le Jeune, aurait
même séjourné cinq ans à Méroé 44. Dans ces Æthiopica
L’autre facteur est le dynamisme des marchands arabes du 3e siècle ont largement puisé les historiens et géogra-
en mer Rouge. Le développement de Myos-Hormos, sur phes postérieurs, à commencer par l’historien alexandrin
la rive égyptienne de la mer Rouge, ne peut être séparé Agatharchide de Cnide, qui rédigea au siècle suivant une

225
vaste Enquête sur le Sud, dont des extraits importants nous lus, le successeur de Cornélius Gallus, pour attaquer en
ont été conservés par la Bibliothèque historique de Dio- 25 avant notre ère la Thébaïde, dont la frontière avait été
dore de Sicile et par la Bibliothèque du patriarche byzantin imprudemment dégarnie. La réaction des Romains ne se
Photius 45. fit pas attendre. C. Pétronius, le nouveau préfet d’Égypte,
conduisit une armée contre le royaume de Méroé et se
Grâce à l’activité de ces soldats, chasseurs, commerçants, serait emparé de Napata, l’ancienne capitale du royaume,
trafiquants et aventuriers en tout genre, la connaissance située juste en aval de la quatrième Cataracte, du moins à
qu’avaient les Anciens de ces contrées du bout du monde en croire les sources romaines, qui ont été sur ce point
– Éthiopie nilotique, côtes de la mer Rouge et du golfe suspectées de mensonge 50. Les Romains préférèrent fina-
d’Aden, voire côtes de l’Afrique australe et de l’Inde – lement signer une paix de compromis avec Méroé, après
s’accrût dans des proportions considérables. Je ne prendrai que des ambassadeurs éthiopiens se furent rendus auprès
que l’exemple de la crue estivale du Nil, un phénomène d’Auguste à Samos 51. Ils obtinrent la suppression du tribut
qui fascina tant les hommes du nord de la Méditerranée, qui leur avait été imposé, tandis que la Dodécaschène
habitués à voir les fleuves grossir en hiver et s’assécher passa définitivement sous le contrôle des Romains, qui en
en été; le Nil, à l’inverse, entre en crue de façon en appa- firent une sorte de marche militaire, tout en accordant
rence inexplicable en pleine canicule, sans que cette crue une autonomie limitée à sa population éthiopienne 52. La
puisse être mise en relation avec des chutes de pluie. Les paix de Samos marqua la fin des ambitions romaines de
« physiologues » et les géographes grecs avaient élaboré conquête de l’Éthiopie nilotique et ouvrit pour Méroé une
des théories variées pour tenter de rendre compte du ère de grande prospérité, marquée par l’accroissement
phénomène 46. Ce n’est qu’à l’époque hellénistique que les des échanges avec l’Égypte et le monde méditerranéen 53
chasseurs d’éléphants purent vérifier le bien-fondé de la (fig. 6). Par la suite, Rome et Méroé, qui traitaient d’État
théorie qui expliquait la crue du Nil par d’importantes à État, semblent avoir évité de s’affronter. Pline l’Ancien
chutes de pluie très loin vers le Sud, dans les montagnes prête bien à Néron le projet de se lancer à la conquête de
d’Éthiopie 47. Les sources du Nil, autre mystère, restèrent Méroé (XII, 19), mais l’idée fut vite abondonnée, s’il ne
en revanche inaccessibles aux Grecs, quelque grand que s’agit pas simplement d’une allégation malveillante de
fut leur désir de les découvrir 48. Pline, visant à rapprocher Néron d’un autre tyran honni, le
roi perse Cambyse. La mission de reconnaissance envoyée
par Néron en Éthiopie ne saurait en tout cas avoir affiché
L’empire romain et ses confins méridionaux des intentions belliqueuses, car il n’est pas imaginable
qu’elle ait pu s’enfoncer aussi profondément en direction
Après la victoire d’Actium, en 31 av. J.-C., suivie l’année du sud sans l’aval de la puissance méroïtique. Un papyrus
suivante par le suicide d’Antoine et de Cléopâtre, Octave
Fig. 6. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI.
se rendit maître d’Alexandrie et de la Basse Égypte. C’est
Cliché Michel Lechien.
au premier préfet de l’Égypte, Cornélius Gallus, qu’il
appartint de soumettre la Thébaïde et d’organiser la fron-
tière méridionale de l’Égypte, en réglant la question de la
Basse Nubie, cette zone traditionnelle de contact et de
conflit entre l’Égypte et l’Éthiopie, en l’occurrence l’em-
pire de Méroé. Dans une stèle trilingue trouvée à Philæ,
Cornélius Gallus se flatte d’avoir fait passer son armée
« au-delà de la cataracte du Nil, dans une région où la
guerre n’avait encore été portée ni par le peuple romain, ni
par les rois d’Égypte » et d’être intervenu dans la nomina-
tion d’un vice-roi – tyrannos – de la Triacontaschène 49.
Les Romains cherchèrent ainsi à créer un royaume vassal
à la frontière de l’Égypte nouvellement conquise. Cette
politique se solda cependant par un échec, puisque les
Éthiopiens profitèrent de l’expédition arabe d’Ælius Gal-

226
milanais d’époque flavienne fait également état d’une L’intérêt que les Romains portaient à cette région s’ex-
campagne romaine contre les Éthiopiens, mais il est diffi- plique également par la fascination des confins et par
cile de dater avec précision cet épisode et il n’est pas sûr la gloire qui s’attachait, surtout depuis les conquêtes
que les Éthiopiens nommés désignent les Méroïtes 54. Plus d’Alexandre le Grand, à la maîtrise de ces mêmes confins.
que le royaume de Méroé, ce sont en effet les peuples Dans le cas de l’Éthiopie nilotique, la borne ultime que
nomades du désert – Nobades des Oasis et Blemmyes du les Anciens rêvaient d’atteindre était moins l’océan exté-
désert oriental – qui ont menacé les marches méridionales rieur, accessible à partir de la mer Rouge, que les sources
de l’Égypte romaine. Leur pression se fit surtout sentir à fabuleuses du Nil, que nul n’avait atteintes 57. L’expédi-
partir du milieu du 3e siècle. Ce regain d’activité sur la tion déjà mentionnée des deux centurions envoyés par
frontière méridionale de l’Égypte est sans doute à mettre Néron à la découverte des profondeurs de l’Afrique nilo-
en rapport avec la montée en puissance du royaume tique avait pour but de découvrir les sources du grand
d’Axoum, sur les hauts plateaux abyssiniens. Confrontés fleuve, si l’on en croit Sénèque (Questions naturelles, VI,
à la fois aux Nobades, aux Blemmyes et aux Méroïtes, les 8, 3-4), qui avait eu le loisir de bavarder avec eux 58. Ils
Romains furent contraints, pour préserver leurs positions arrivèrent jusqu’à d’immenses marais – probablement
de Haute Égypte, de reculer et de composer avec les nou- l’actuel Sudd, dans le Soudan méridional, où stagne le
velles puissances régionales. Après une campagne avortée Bahr el-Ghazal – envahis par une végétation si dense que
en 296, Dioclétien céda la Dodécaschène aux Nobatæ de seules des petites nacelles montées par un homme pou-
la Grande Oasis, tandis que le désert oriental et ses riches- vaient y naviguer; ils décrétèrent alors qu’ils touchaient
ses minières furent abandonnés aux Blemmyes. Un tribut au but (fig. 7).
fut même versé à ces deux peuples pour les dissuader d’at-
taquer la Thébaïde. À partir de cette date, et malgré un sur- Malgré ces échanges commerciaux avec l’intérieur de
saut à l’époque constantinienne, les Romains renoncèrent l’Afrique via la Vallée du Nil et en dépit de la fascination
définitivement à contrôler directement la partie subégyp- exercée par le cours supérieur du fleuve, l’Éthiopie niloti-
tienne de la voie nilotique 55. que resta une région d’un intérêt marginal pour l’empire
romain, d’un point de vue aussi bien politique que
Durant presque trois siècles, les Romains contrôlèrent commercial 59. L’Éthiopie à laquelle les Romains avaient
donc plus ou moins étroitement la Dodécaschène. L’éta- plus directement accès, la Dodécaschène et la Triacontas-
blissement de relations suivies et en général pacifiques chène, n’était qu’une mince bande de terre alluviale
avec l’Éthiopie méroïtique permit le développement des coincée entre les escarpements du désert oriental et du
échanges économiques, périodiquement menacés par les désert occidental, sans agglomérations de taille notable,
peuples nomades. Faute de sources, ces échanges restent sans rien qui la recommandât particulièrement à l’atten-
mal connus 56. Selon Juvénal (XI, 124), la voie nilotique
Fig. 7. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI.
était empruntée par le commerce de l’ivoire. Si l’on en Cliché Michel Lechien.
croit la Vie d’Apollonius de Thyane de Philostrate (VI, 2),
qui écrivit sous les Sévères, les Éthiopiens apportaient à
Sycaminos – à la frontière de la Dodécaschène – de l’or
non monnayé, du lin, de l’ivoire, des racines, de la myrrhe
et des aromates. Il s’agit sans doute d’une liste en partie
conventionnelle de produits traditionnellement importés
du Sud africain, que l’on peut comparer à celle d’Hérodote
(III, 97), selon qui les Éthiopiens envoyaient tous les ans
en présent au Roi des Rois « deux chénices d’or non passé
par le feu, deux cents billes d’ébène, cinq cents jeunes
garçons et vingt défenses d’éléphant ». Les différences
sont instructives et tendent à accréditer le témoignage de
Philostrate; on notera en particulier l’absence de l’ébène,
ce qui est conforme aux indications fournies par Pline
l’Ancien (XII, 19).

227
tion des Romains. Strabon (XVII, 53) prend ainsi soin de soudanaise, est l’emporion le plus important à la fois
souligner la modestie des ressources de l’Éthiopie, tandis des Troglodytes et des Éthiopiens (VI, 173). Comme l’a
que Pline ne voit dans la région de la Basse Nubie que des bien noté Strabon dans le passage cité en introduction, le
solitudines, terme qui désigne, aux yeux d’un Romain, le règne d’Auguste fut marqué par un développement consi-
type du paysage ingrat et dépeuplé qui est caractéristique dérable des échanges commerciaux dans l’aire éry-
des marges de l’empire romain (VI, 181). Pline étend thréenne, en direction non seulement de la péninsule ara-
même le domaine des solitudines jusqu’à Méroé, dont la bique et de la Corne de l’Afrique, mais aussi des côtes
description, laconique, n’est guère plus enthousiaste : occidentales de l’Inde; c’est par la mer Rouge, puis par
«Méroé comporte peu d’édifices et est gouvernée par une les pistes du désert oriental, que transitaient les produits
femme, la Candace...; le sanctuaire d’Hammon est là aussi convoités du lointain monde indien 61. Un document du
entouré d’une grande révérence » (VI, 186). Tout au plus début de l’époque impériale, le Périple de la mer Érythrée,
indique-t-il que le paysage, aux environs de Méroé, se fait permet de connaître en détail les denrées qui faisaient
moins aride, avec une herbe plus verte, quelques portions l’objet de transactions commerciales dans cette région du
de forêts et les premiers éléphants ou rhinocéros (VI, 185). monde antique 62. La mer Rouge constitue bien, pour les
S’il mentionne la grandeur passée de l’Éthiopie, c’est pour Romains, le centre de gravité du monde méridional, et
repousser cette période de splendeur au règne de Mem- l’Éthiopie érythréenne tend à éclipser l’Éthiopie nilotique.
non, c’est-à-dire avant la guerre de Troie; la décadence de Pour le monde gréco-romain, l’Égypte est plus encore une
l’Éthiopie est pour lui ancienne et profonde, puisqu’il en porte sur la mer Rouge et l’océan Indien que sur la Nubie
impute la responsabilité non aux Romains, mais aux et les profondeurs de l’Afrique.
guerres continuelles qui ont opposé l’Éthiopie à l’Égypte
depuis cette même guerre de Troie (VI, 182 et 186). Cet Il reste à déterminer, compte tenu de l’histoire des rela-
empressement à souligner la pauvreté de l’Éthiopie nilo- tions entre le monde méditerranéen et le monde éthiopien,
tique peut certes paraître suspect et relever d’une quelles étaient les représentations de l’Éthiopie qui avaient
rhétorique impériale prompte à justifier les limites de la cours dans la culture antique hellénistisque et romaine.
conquête en déniant tout intérêt économique aux territoi-
res échappant à la domination romaine. Il n’en reste pas
moins vrai que l’Éthiopie nilotique ne représenta jamais L’Éthiopie, le pays des hommes noirs
pour l’empire romain qu’une terre lointaine et somme
toute marginale. L’Éthiopie, aux yeux des Méditerranéens, est le pays
des hommes noirs. Cela reste vrai à l’époque hellénistique
Le désert oriental et le domaine érythréen ouvraient en et romaine, même si la vision de l’Éthiopien a changé.
revanche de tout autres perspectives. Après les Lagides, Longtemps, la figure de l’Éthiopien a en effet été modelée
les Romains reprirent à leur compte et développèrent par le mythe. Dans les poèmes homériques, les Éthiopiens
l’exploitation des ressources minières du désert oriental. sont un peuple du bout du monde, habitant au bord de
Une stèle trouvée dans le Wadi Semna nous fait ainsi l’Océan et possédant le privilège de banqueter avec les
connaître les responsabilités d’un certain Poplius Iuventius dieux (fig. 8). À la suite d’Homère, toute une tradition
Rufus, tribun de la légion III, qui était en 11 de notre ère littéraire a dressé le portrait idéalisé d’Éthiopiens aussi
commandant de Bérénice, au bord de la mer Rouge, et beaux que grands, aussi justes que pieux, habitant la terre
« directeur général des mines d’émeraude, de topaze, de du Soleil, ce pays de feu où les hommes échappaient
perles et de toutes les mines d’Égypte » (Bernand 1977, presque à la mort et où les dieux venaient encore partager
n° 51). Les mines d’émeraude en question sont celles la table des mortels 63. Cette représentation mythique eut
du célèbre Smaragdus Mons, au Gebel Zebara, situé à dans l’Antiquité une longévité remarquable, puisqu’une
100 km environ au nord-ouest de Bérénice. Les pistes œuvre comme les Éthiopiques d’Héliodore, composée
qui traversaient le désert oriental donnaient également vraisemblablement dans le courant du 3e siècle de notre
accès au littoral de la mer Rouge et à ses ports. À l’époque ère, présente encore des Éthiopiens qui n’ont rien à envier
romaine, l’importance commerciale de cet itinéraire aux Éthiopiens d’Homère et d’Hérodote; ils sont impres-
érythréen était incomparablement supérieure à celle de la sionnants par leur stature, renommés pour leur science et
voie nilotique 60 ; Pline écrit ainsi qu’Adoulis, sur la côte d’une piété exemplaire 64.

228
En contrepoint de cette image idéalisée s’est développée
une autre tradition, traitant d’un peuple bien circonscrit,
les Pygmées, qui étaient présentés comme ridiculement
petits et contrefaits, s’opposant ainsi aux Éthiopiens
grands et bien faits de la tradition idéalisante. La première
mention des Pygmées se trouve elle aussi chez Homère,
dans une comparaison qui ouvre le chant III de l’Iliade
(III, 3-7). Il n’existe cependant aucune connexion, dans
les poèmes homériques, entre les Éthiopiens aux riches
hécatombes et ces Pygmées, que l’Iliade situe également,
sans plus de précision, au bord du fleuve Océan. Les
Pygmées n’ont été localisés en Éthiopie que plus tard. La
localisation éthiopienne des Pygmées, proposée notam-
ment par Aristote (HA, VII (VIII), 12, 597a) et assez Fig. 8. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI.
Cliché Michel Lechien.
largement admise, a cependant été concurrencée, dès
l’époque d’Alexandre, par de nombreuses traditions
secondaires, qui multiplièrent les Pygmées dans d’autres exotiques et plus caractéristiques de l’environnement nilo-
parties éloignées du monde 65. Dans le monde gréco- tique que les grues. L’image y gagne peut-être en exo-
romain, l’épisode principal de la légende des Pygmées est tisme, mais perd cet étalon de la petitesse des pygmées
la géronomachie, cette guerre saisonnière qui oppose que constituaient les grues. En devenant la chétive victime
chaque automne, au retour de la migration, les petits hom- d’un animal aussi imposant que le crocodile ou l’hippopo-
mes aux redoutables grues 66. Sans doute est-ce l’observa- tame, le minuscule adversaire de la grue se rapproche
tion du vol de ces oiseaux et de la direction qu’ils prennent d’une taille normale, ou plutôt, paradoxalement, c’est
au moment de gagner leurs aires d’hivernage, qui a fait l’hippopotame ou le crocodile qui semblent miniaturisés,
prévaloir la localisation méridionale, éthiopienne, de la comme affectés du même coefficient de petitesse que les
légende. La physionomie du pays des Pygmées gagna peu Pygmées.
à peu en précision. Avant l’époque hellénistique, le combat
entre les grues et les Pygmées se déroulait dans un espace L’Éthiopie des Pygmées est une Éthiopie de fantaisie, qui
que rien ne venait particulariser, n’étaient les indications n’a guère de rapports avec l’Éthiopie décrite par les géo-
que l’on pouvait déduire du récit lui-même : le pays des graphes à l’intention des gouvernants. L’Éthiopie des Pyg-
Pygmées était forcément un pays chaud, puisque les grues mées n’est en fait rien d’autre qu’une Égypte peuplée de
s’y repliaient en hiver, et il était également un pays cultivé, nains; elle offre une image grotesque et dégradée de l’É-
puisque les Pygmées s’employaient à défendre leurs récol- gypte, et ne possède pas de traits proprement éthiopiens,
tes contre l’appétit vorace des grues. Le paysage éthiopien si ce n’est la couleur noire des Pygmées. Encore ceux-ci
des pygmées se précise quelque peu avec Aristote, qui possèdent-ils fort peu de caractères ethniques, mais repro-
localise l’aire d’hivernage des grues « dans les marais duisent plutôt les traits de nains achondroplases, avec une
situés au-dessus de l’Égypte, là d’où vient le Nil » (597a). grosse tête au nez camus, un front bombé, un long torse et
C’est la première fois qu’un cadre explicitement nilotique des membres courts et déformés; ils empruntent à l’occa-
est donné à la géranomachie. À l’époque hellénistique, sion certaines caractéristiques à d’autres créatures margi-
puis romaine, ce cadre nilotique s’imposa notamment dans nales comme le satyre et l’enfant 67. Au total, les représen-
les représentations figurées, qui se plurent à mettre en tations de Pygmées d’époque romaine nous renseignent
scène les Pygmées dans un paysage nilotique de conven- sans doute moins sur la vision que les Romains pouvaient
tion, accumulant les traits exotiques. Le goût du pitto- avoir de l’Éthiopie que sur certaines des préventions qu’ils
resque finit même par modifier le cœur de la légende – la nourrissaient à l’encontre de l’Égypte. Elles témoignent
géronomachie –, puisque les Pygmées, sur certaines repré- également, si l’on suit l’interprétation proposée par V.
sentations, changent d’antagonistes et ne sont plus affron- Dasen, du besoin d’exorciser les angoisses suscitées par
tés à des grues, mais à des crocodiles et à des hippopota- certaines malformations congénitales comme le nanisme
mes, animaux à la fois plus impressionnants, plus en transformant des traits pathologiques en traits ethniques

229
Fig. 9. Guerriers nubiens. Cliché Jean Trinquier.

pour mieux les reléguer aux confins du monde connu, dans hirsute de « Trayeurs de chiens », les Cynamolges, qui
un ailleurs de légende 68. Au demeurant, les Pygmées ne élevaient des chiens énormes pour chasser entre autres gros
sont pas le seul peuple monstrueux à habiter les confins animaux le « bœuf indien » et qui complétaient leur régime
éthiopiens du monde connu 69. alimentaire en buvant le lait des chiennes 71. Les peuples
misérables décrits par l’ethnographie hellénistique ont ainsi
Malgré son succès et sa persistance dans les discours perdu l’aura qui était celle des Éthiopiens d’Homère.
antiques sur l’Éthiopie, l’image mythique de l’Éthiopien
ou du Pygmée a été contestée et corrigée à mesure que Cette évolution contribue à expliquer l’intérêt somme
les relations s’intensifiaient avec le royaume koushite et toute modéré que les Grecs de l’époque hellénistique
que le progrès des connaissances discréditait certaines don- et plus encore les Romains portaient aux habitants de
nées de la tradition. Les Éthiopiens du mythe tendent ainsi l’Éthiopie. D’autres facteurs entraient également en ligne
à disparaître de l’ethnographie hellénistique, attentive à de compte. Parmi les régions accessibles aux Anciens,
la mosaïque de peuples qui habitaient ces régions et à la l’Éthiopie nilotique et érythréenne n’était pas la seule à
diversité de leurs modes de vie, de leurs régimes alimentai- abriter des populations de type négroïde 72. Elle ne semble
res, de leurs mœurs et de leurs formes d’organisation poli- pas en outre avoir été une grande région pourvoyeuse
tique 70. Agatharchide de Cnide mentionne par exemple la d’esclaves. Aussi bien l’esclavage que le commerce des
présence, dans la partie la plus méridionale de la région esclaves n’ont joué qu’un rôle marginal dans l’Égypte
comprise entre le Nil et le golfe Arabique, d’un peuple lagide 73. À l’époque hellénistique, ce n’était sans doute

230
pas l’Égypte, mais Carthage qui fournissait le bassin médi- même si les sources antiques ont plutôt tendance à les
terranéen en esclaves noirs 74. Les choses n’ont que peu mentionner à la suite des ressources minérales. Parmi
changé avec l’établissement de la puissance romaine sur les matières premières d’origine végétale, le bois d’ébène,
l’Égypte. Des opérations militaires conduites en Nubie ou traditionnellement importé du Sud dans l’Égypte pharao-
dans les régions littorales de la mer Rouge pouvaient cer- nique, semble avoir connu une raréfaction significative,
tes mettre occasionnellement sur le marché des prisonniers doublée d’une certaine désaffection, notamment à l’épo-
de type négroïde. Strabon fait ainsi état de prisonniers ven- que romaine 78. Les aromates et les épices entraient pour
dus par Pétronius après sa campagne éthiopienne (XVII, 1, une part importante dans les échanges commerciaux
54). D’autre part, le Périple de la mer Érythrée mentionne empruntant l’itinéraire érythréen. Ils provenaient pour la
incidemment des esclaves parmi les marchandises expor- plupart d’entre eux de Perse, de la péninsule arabique et
tées des ports de Malaô et d’Opôné, situés pour le premier plus encore de l’Asie tropicale, en particulier des différen-
sur la côte méridionale du golfe d’Aden, pour le second tes régions de l’Inde. Les Anciens étaient convaincus de la
sur la côte somalienne, au sud du cap Guardafui (PME 8 provenance africaine de certains d’entre eux, notamment
et 13); l’auteur prend cependant soin de préciser, pour le du cinnamome et de la casse; les géographes hellénis-
premier de ces deux ports, que les esclaves ne fournis- tiques donnèrent même le nom de Cinnamomophores aux
saient qu’une denrée occasionnelle et de qualité médiocre. côtes septentrionales de la Corne de l’Afrique, qu’ils pri-
Ces quelques indications ne laissent pas entrevoir l’exis- rent pour repère extrême méridional de leur carte du
tence d’un vaste trafic, même si la présence d’esclaves monde. Il s’agit sans doute d’une confusion entre pays
éthiopiens dans le monde romain est un fait bien établi 75. producteur et pays transitaire, les aromates étant volontiers
Le commerce des esclaves ne peut donc suffire à expliquer stockés dans certains ports érythréens avant d’être réex-
l’intérêt manifesté par les Romains pour l’Éthiopie. portés en direction de la Méditerranée 79. La lointaine
Quelque curiosité que les populations négroïdes aient pu Éthiopie et l’aire érythréenne fournissaient également, en
susciter dans le monde méditerranéen antique, ce n’est pas plus des éléphants utilisés pour la guerre, des animaux
par ses habitants que l’Éthiopie a le plus retenu l’attention rares et exotiques. Nous avons déjà mentionné les curiosi-
des Grecs et des Romains, du moins à partir de l’époque tés zoologiques des Ptolémées. Les Romains étaient éga-
hellénistique. lement de grands consommateurs d’animaux exotiques,
qui pouvaient à l’occasion faire office d’animaux de com-
pagnie, mais qui servaient plus fréquemment à rehausser
L’Éthiopie, terre de merveilles et d’opulence l’éclat des différents spectacles offerts au peuple de Rome
et aux habitants de l’Empire. Lors de grandes uenationes,
Plus que des esclaves, c’étaient des matériaux précieux et ou chasses spectacles, des animaux exotiques de toute pro-
des biens de luxe que l’on allait chercher dans la lointaine venance étaient exhibés et le plus souvent mis à mort pour
Éthiopie ou sur les côtes de l’Afrique. Nous avons déjà
rencontré les différentes productions qui alimentaient Fig. 10. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI.
les échanges commerciaux. L’Afrique, et en particulier Cliché Michel Lechien.

la Nubie, était riche en or, et cet or fut convoité par les


maîtres successifs de l’Égypte. Il n’est pas besoin d’insis-
ter sur la valeur très élevée de ce métal dans l’Antiquité
– plus de 300 fois la valeur de l’ivoire d’après l’Édit du
Maximum de Dioclétien –, ni sur son importance pour
l’économie antique 76. Les domaines éthiopien et surtout
érythréen étaient riches en pierres dures et en pierres
précieuses ou semi-précieuses. À ces ressources minières,
il convient d’ajouter les matières précieuses d’origine ani-
male – ivoire 77, écailles de tortue, plus marginalement
fourrures exotiques et cornes de rhinocéros, si cette der-
nière denrée était effectivement destinée au marché médi-
terranéen; les perles peuvent être jointes à cette liste,

231
lement accessible, l’Éthiopie n’en restait pas moins mal
connue. De l’Éthiopie, les Anciens connaissaient surtout
ses productions, réelles ou supposées. Il n’est donc pas
étonnant qu’ils aient eu tendance à imaginer la physiono-
mie de l’Éthiopie à partir des produits qu’elle exportait et
à construire une image factice de ce pays, dans lequel ils
étaient enclins à reconnaître une terre de merveille et
d’opulence. Deux exemples permettront de saisir le pro-
cessus de construction d’une telle image : la mosaïque
Barberini de Palestrina et les éléphants d’obsidienne du
Temple de la Concorde, à Rome.

La célèbre mosaïque nilotique de Palestrina est la réplique


Fig. 11. Le rhinocéros. Cliché Jean Trinquier. d’un original alexandrin, réalisée in situ dans un bâtiment
dominant le forum de Préneste, petite cité latine, sans
le plus grand plaisir des spectateurs 80. Pour être mémora- doute dans les dernières décennies du 2e siècle av. J.-C.
ble, une uenatio devait se distinguer des précédentes par Elle montre l’Égypte et son arrière-pays éthiopien au
quelques traits : nombre des animaux chassés, variété des moment de la pleine crue du Nil 84. La partie éthiopienne
espèces réunies, exhibition d’un animal exotique encore de la mosaïque déploie sous le regard du visiteur un vaste
jamais vu à Rome, combats inédits entre animaux venus paysage minéral, baigné par les eaux du Nil, qui est par-
des extrémités opposées de la terre, chasses périlleuses, couru par quelques groupes de chasseurs noirs (fig. 1).
ingéniosité des mises à mort, somptuosité des décors etc. L’intérêt se concentre cependant moins sur ces populations
Dans ces chasses aussi somptueuses que coûteuses, l’exo- négroïdes que sur la riche faune qui occupe les lieux; de
tisme éthiopien avait toute sa place, depuis que Pompée très nombreuses espèces, souvent identifiées par une
avait fait paraître des animaux éthiopiens dans les jeux inscription en grec, y sont représentées, faisant de cette
exceptionnels qu’il avait organisés en 55 av. J.-C. pour la mosaïque un véritable inventaire de la faune éthiopienne,
dédicace de son théâtre 81. Quelques années auparavant, où apparaissent dans un apparent désordre des prédateurs
en 61 av. J.-C., Domitius Ahenobarbus avait fait venir des – une lionne et son lionceau, des panthères, des guépards,
chasseurs « éthiopiens » pour combattre des ours numi- des hyènes, des serpents géants etc. –, de puissants herbi-
des 82. Cet intérêt pour l’Éthiopie et pour sa faune perdura vores, notamment deux girafes et un rhinocéros bicorne,
à l’époque impériale. Le rapport remis à Néron par les des singes et des oiseaux en nombre, ainsi que des ani-
centurions envoyés en expédition dans le Sud nilotique maux plus difficilement identifiables ou manifestement
comprenait ainsi des notations précises relatives à la fabuleux, comme une « onocentauresse » au corps de qua-
faune : « À mi-route se trouve l’île de Gaugadè, à partir de drupède mais à tête humaine, ou un curieux pachyderme
laquelle on commence à voir des perruches; pour le singe doté d’une redoutable mâchoire de crocodile. Un détail du
appelé « sphingion », la limite se situe au niveau d’une cadre minéral mérite également de retenir l’attention : de
autre île, appelée Artigula, pour les cynocéphales elle se petits ovales de couleurs chatoyantes, qui affleurent à la
situe à Tergedon » (Plin., Nat., VI, 184). Nul doute que surface des rochers baignés par les flots du Nil, représen-
l’attrait exercé par la faune exotique et surtout le désir de tent les pierres précieuses qui constellent le sol de l’Éthio-
se procurer plus commodément des animaux lointains des- pie. La mosaïque sélectionne ainsi, parmi les ressources
tinés à assurer le renom des jeux organisés par l’empereur et les productions de l’Éthiopie nilotique, celles qui inté-
n’aient joué un rôle important dans la décision de Néron ressaient au premier chef les souverains lagides : les ani-
d’organiser une expédition aussi lointaine et difficile 83. maux exotiques et les ressources minières de la Nubie et
du désert oriental. Le résultat est une image composite,
L’Éthiopie était avant tout pour les Anciens un réservoir qui place, comme l’a bien remarqué P. G. P. Meyboom, les
de produits rares, exotiques et convoités, dont la posses- animaux qui peuplaient les savanes de la Haute Nubie
sion était une marque de statut, puisqu’elle caractérisait le dans le paysage aride et minéral de la Basse Nubie, alors
mode de vie luxueux des élites. Terre lointaine et diffici- qu’ils ne sauraient pour la plupart survivre dans un tel

232
environnement 85. La physionomie du pays est imaginée à
partir de la portion la mieux connue de l’Éthiopie, à savoir
la proche Dodécaschène, et en fonction des ressources
minérales qui étaient censées provenir de son sous-sol.
Pourvoyeuse de matières précieuses animales et d’ani-
maux exotiques, l’Éthiopie est également peuplée, sur la
mosaïque Barberini, par une faune aussi abondante que
diversifiée.

Animaux et pierres précieuses ne sont pas seulement rap-


prochés parce qu’ils éveillaient l’intérêt et la convoitise
des Lagides, puis des commerçants latins. Il existe un rap-
port plus étroit encore entre la faune sauvage et les res-
sources minières de l’Éthiopie, qui manifestent conjoin-
tement l’exubérante fécondité des terres méridionales,
aptes à produire des formes aussi variées qu’inattendues.
Cette fécondité exceptionnelle des terres méridionales
était expliquée, à l’époque hellénistique, par l’action du
soleil, comme en témoigne ce développement de Diodore
de Sicile (Bibliothèque historique, II, 51, 3-52, 6) 86 :

« Le territoire tout proche du midi paraît en effet être le lieu


où souffle une grande force provenant du soleil très vivi-
fiante et il produit donc des espèces animales nombreuses,
diverses et belles également […] Dans ces pays, ce ne sont
pas seulement des animaux aux formes extraordinaires qui
sont engendrés avec l’assistance et la puissance du soleil,
mais encore toutes sortes de pierres aux couleurs remarqua-
bles et aux éclats transparents. […] Réfléchissant à partir de
ces phénomènes, les spécialistes en sciences naturelles ont Fig. 12. Le lion. Cliché Jean Trinquier.
déclaré que la bigarrure primitive des êtres mentionnés plus
haut est due à la chaleur qui est dans tout et qui a donné la
teinte avec l’aide du soleil qui anime les formes de chacun » l’« onocentauresse » ou le quadrupède à mâchoire de
(trad. M. CASEVITZ, Paris, La Roue à livres, 1991). crocodile. Elle s’épanouit pour finir dans le pelage bigarré
de certains fauves, dans la robe mouchetée de la girafe
Ainsi, l’action fécondante du soleil est cause non seule- – kamélopardalis – ou du varan nommé krokodilopardalis,
ment de la conformation des animaux, mais aussi des dans le plumage éclatant du paon, représenté au-dessous
particularités du sol. Ce texte de Diodore fournit un du chien qui accompagne les archers, et de l’oiseau perché
assez bon commentaire de la mosaïque Barberini, dans la près du singe appelé kèpien, dont le dessin de la collection
mesure où les deux documents témoignent d’une vision Windsor (RL 19206) restitue la belle couleur pourpre. La
similaire des confins méridionaux de l’oikoumène. Ces variété n’est pas le privilège exclusif du monde animal,
derniers sont perçus dans les deux cas comme le territoire puisqu’elle se donne aussi à voir dans le paysage, qui
par excellence de la variété, une variété que la mosaïque se présente comme un ensemble d’îlots cernés par les flots
Barberini donne à voir et que le texte de Diodore théorise. du Nil. Cette analogie avait frappé les Anciens, qui compa-
La variété se manifeste d’abord dans la faune, dont on a raient volontiers le Nil en crue à une mer parsemée d’îles,
vu la richesse et la diversité. Cette variété ne tient pas exemple privilégié, pour une sensibilité antique, de variété
seulement à la multiplicité des espèces, elle caractérise plaisante. Les ovales colorés qui figurent des pierres pré-
également certaines espèces ou animaux en particulier, cieuses contribuent également à marquer le paysage au
qui juxtaposent des traits morphologiques empruntés à sceau de la variété; on peut même dire qu’ils y inscrivent
des animaux appartenant à des classes diverses, comme la bigarrure qui est celle de la faune.

233
respond à la côte africaine du golfe Arabique, le pays des
Troglodytes, que Denys identifie avec les Érembes homé-
riques. Les « taches sombres » ne sauraient ici désigner des
oasis, puisque les Érembes affrontent un environnement
particulièrement hostile et aride. Il s’agit sans doute de
marques de brûlure imprimées sur le sol, le paysage por-
tant ainsi comme les hommes les stigmates des ardeurs
excessives du soleil. L’image constitue comme la contre-
partie négative de la variété heureuse et bigarrée qui est
celle de la mosaïque Barberini.

Pierres précieuses et animaux concourent donc à faire de


l’Éthiopie une contrée sauvage, bigarrée et marquée par
Fig. 13. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI. une fécondité sinon excessive et monstrueuse, du moins
Cliché Michel Lechien.
inattendue et surprenante dans ses effets 87.

Cette impression visuelle peut être corroborée par des Ce que la mosaïque de Palestrina montre sous la forme
textes géographiques, il est vrai plus tardifs, qui utilisent d’un vaste paysage s’offrant aux regards, d’autres œuvres
le même type d’analogie. Dans le livre II de sa Géographie le montrent sous une forme plus condensée, par un jeu
(II, 5, 33, C 130), Strabon décrit l’aspect de la Libye, qui entre la matière et le sujet représenté. Les quatre éléphants
désigne l’ensemble du continent africain, à l’exclusion d’obsidienne dédiés par Auguste dans le Temple de la
de l’Égypte et de l’Éthiopie, en usant de la comparaison Concorde en offrent un bon exemple. Si l’obsidienne est
suivante : « La Libye, de l’aveu général, et comme nous l’a d’un usage extrêmement ancien dans le monde méditer-
confirmé C. Pison, qui fut gouverneur de ce pays, ressem- ranéen, puisqu’elle faisait déjà l’objet d’échanges dès
ble à une peau de panthère, car elle est parsemée de points l’époque des derniers chasseurs-cueilleurs 88, la variété
d’habitation qu’entoure une terre sans eau et déserte » éthiopienne de cette pierre était de découverte récente à
(trad. G. AUJAC, Paris, CUF, 1969). L’image de la peau de l’époque d’Auguste. Pline attribue cette découverte à un
panthère s’applique à la répartition de l’habitat dans les certain Opsius, qui a donné son nom latin – opsianus –
zones désertiques, qui se concentre autour des oasis, revê- à l’obsidienne éthiopienne. La dédicace des éléphants
tant ainsi, selon une comparaison bien établie dans l’An- d’obsidienne, qu’il faut placer entre 10 ap. J.-C., année
tiquité, un aspect insulaire. Facile à mémoriser, l’image de la dédicace du Templum Concordiæ, et 14 ap. J.-C., date
s’impose aussi par les associations qu’elle véhicule, car de la mort d’Auguste, fournit un terminus ante quem pour
elle apparaît particulièrement appropriée pour décrire la la découverte d’Opsius, qui était sans doute de peu anté-
conformation d’un pays qui nourrissait justement des fau- rieure. Cet Opsius, que l’onomastique invite à mettre en
ves en grand nombre. Même si les ovales de la mosaïque rapport avec l’Italie méridionale et plus précisément avec
Barberini et l’image employée par Strabon ne renvoient la Campanie, était sans doute un trafiquant romain actif
pas à la même réalité géographique, ils ont en commun dans la mer Rouge 89. Le gîte d’obsidienne découvert par
d’établir un parallélisme frappant entre la physionomie Opsius est sans doute celui que le Périple de la mer Éry-
d’un pays et la faune qui l’habite et de concevoir les terres thrée localise à huit cents stades d’Adoulis, au commen-
africaines à l’image des animaux bigarrés qu’elles abri- cement d’une baie de la côte africaine 90. L’obsidienne
tent. Une image similaire est employée dans la Périégèse prend place, à partir de ce moment-là, parmi les pierres
de Denys d’Alexandrie (v. 179-183), rédigée sous le règne précieuses importées d’Éthiopie. Il s’agit, comme le rap-
d’Hadrien, à propos cette fois-ci d’une région reculée de pelle Pline, d’une pierre d’un noir très soutenu et qui a la
l’Éthiopie : « Là se trouve la terre des premiers des noirs propriété de réfléchir la lumière 91. Toutes ces caractéris-
Éthiopiens, près desquels s’étend le territoire des Érem- tiques intéressent notre propos. La couleur noire, tout
bes; cette terre, à ce qu’on dit, est semblable à une peau de d’abord, est emblématique de l’Éthiopie, l’Éthiopie étant,
panthère, car elle est de fait sèche et aride, mouchetée ici comme nous l’avons vu, le pays des hommes noirs.
et là de taches sombres ». Le territoire des Érembes cor- L’obsidienne partage au demeurant cette couleur sombre

234
avec d’autres matériaux éthiopiens comme le bois d’ébène les éléphants de César avaient éclairé la marche du triom-
ou la basanite, une roche métamorphique d’un noir splen- phateur. Symboles de victoire et de triomphe sur l’Orient,
dide 92. À l’instar des éléphants d’obsidienne du Temple les éléphants d’Auguste brillaient aussi d’un sombre éclat,
de la Concorde, d’autres représentations en rapport avec joignant ainsi à leur origine exotique une caractéristique
l’Éthiopie furent tirées de matériaux de couleur noire. apollinienne qui était en parfait accord avec l’orientation
Ce fut le cas, notamment, de la statue du dieu Nil consa- religieuse du nouveau régime. Il n’est d’ailleurs pas sur-
crée par Vespasien dans son Templum Pacis, qui était, prenant de retrouver l’éléphant sur des antéfixes apparte-
au dire de Pline (XXXVI, 58), en basanite. Comme l’a nant à l’aire du Temple d’Apollon sur le Palatin, dans un
montré P. Moreno, il s’agit selon toute probabilité d’un matériau certes beaucoup moins prestigieux – la terre
original alexandrin, datant peut-être du règne de Ptolémée cuite – et dans des productions artisanales d’un niveau
II 93. Dans la pensée égyptienne, le noir est la couleur du autrement modeste 100. Le minéral précieux et l’animal
limon du fleuve et partant de l’Égypte, qui se dit Km.t en exotique, représentés côte à côte sur la mosaïque de Pales-
égyptien, c’est-à-dire « la Noire » 94. La couleur noire était trina, sont ici fondus dans une même représentation, qui
donc tout à fait appropriée pour une statue du dieu Nil. offre comme le chiffre de l’exotisme éthiopien : un pays
Cette couleur noire fut réinterprétée, au plus tard à l’épo- noir car brûlé par le soleil, regorgeant de matières précieu-
que impériale, comme une allusion à la provenance éthio- ses et d’animaux lointains.
pienne du Nil 95. La même remarque vaut pour les repré-
sentations de la déesse Isis, qui était volontiers figurée, à Le même type d’association, élargie cependant à l’ensem-
l’époque hellénistique, puis romaine, dans un marbre de ble des terres méridionales, se retrouve dans la Satire XI
couleur noire 96 ; dans l’épiphanie d’Isis, au livre XI de de Juvénal, qui évoque les supports de table somptueuse-
l’Âne d’or, Apulée prend soin de préciser que le manteau ment sculptés qu’affectionnait le luxe romain : « Mais de
de la déesse était « d’un noir très profond, brillant d’un nos jours, les riches n’ont plus de plaisir à dîner, […]
sombre éclat » (XI, 3). Dans le cas des éléphants d’Au- si leurs vastes plateaux circulaires n’ont pas pour socle
guste, la couleur noire de l’obsidienne renvoie à la fois l’ivoire allongé, une panthère dressant haut sa gueule large
à l’Éthiopie, aux Éthiopiens et à la couleur sombre du ouverte, sculptée dans ces défenses que nous expédie la
pachyderme. Porte de Syène, les Maures rapides et l’Indien plus basané
que le Maure, ou que l’animal a déposées, devenues trop
L’obsidienne possède un coefficient de réflexion élevé. lourdes pour sa tête, dans les forêts nabatéennes » (XI,
Quoique noirs, les éléphants du Temple de la Concorde 120-127). Sont ici conjoints une matière animale pré-
devaient ainsi apparaître comme particulièrement brillants, cieuse, l’ivoire, qui évoque l’image de l’éléphant porteur
un fait qui a aussi son importance. En effet, comme l’a
montré F. Matz, l’éléphant, dans la culture antique, a partie
Fig. 14. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI.
liée avec la lumière 97. Selon Diodore de Sicile (XVII, 89, Cliché Michel Lechien.
3), Alexandre le Grand dédia à Hélios l’éléphant du roi
indien Poros. En 217 av. J.-C., après la bataille de Raphia,
Ptolémée Philopator sacrifia quatre éléphants à la même
divinité et lui offrit quatre éléphants de bronze 98. À Rome,
les éléphants jouèrent un rôle important lors de la mise en
scène particulièrement grandiose qui marqua le quadruple
triomphe célébré par César en 46, à la fin de la guerre
civile; quarante éléphants porteurs de torches auraient en
effet éclairé la montée au Capitole du général victorieux 99.
Ce double symbolisme, triomphal et céleste, se retrouve
sans doute dans les éléphants d’obsidienne dédiés par
Auguste. Ils ont été consacrés par l’héritier de César, lui-
même vainqueur de l’Égypte, dans un temple situé au pied
du Capitole, à un endroit qui se trouve sur le trajet
emprunté par les cortèges triomphaux, là où justement

235
de défenses, et un félin exotique, la panthère, qui était cette épiclèse avec d’autres divinités, pour gagner en
prisé tant pour sa férocité et sa cruauté que pour la beauté importance à l’époque ramesside 104. Isis était aussi l’une
de sa robe bigarrée. des figures de la Déesse lointaine, dont le mythe a connu
à l’époque ptolémaïque une popularité si grande que tous
les sanctuaires importants de cette période en contiennent
L’Éthiopie, une terre de mystères des épisodes plus ou moins complets 105. Cette Déesse
lointaine était la propre fille du Démiurge, qui s’était
Terre de merveille et d’opulence, l’Éthiopie est également enfuie vers le Sud, au-delà des cataractes, pour mener une
une terre de mystères. Comme nous l’avons déjà rappelé, existence indomptable et sauvage sous la forme d’une
l’Éthiopie est pour Homère et pour une partie de la tradi- lionne déchaînée. C’est également en qualité de grande
tion grecque la terre mythique du soleil et des dieux. Les magicienne – un aspect de sa personnalité divine qui était
mystères de l’Éthiopie, cependant, sont aussi ceux de la important pour la piété populaire –, qu’Isis était mise en
religion égyptienne. Dans les traditions religieuses de rapport avec la Nubie, car la Nubie était pour les anciens
l’Égypte ancienne, l’Éthiopie est en effet la terre de la Égyptiens la terre étrangère par excellence, et par consé-
déesse Isis. Si Osiris est un dieu fermement ancré dans quent le lieu privilégié de l’étrange et de la magie 106. Le
l’espace égyptien, la déesse Isis, au contraire, étend ses rôle joué par Isis dans la religion koushite, perceptible
pouvoirs souverains jusqu’à la Nubie. Ce thème ne fut notamment dans l’envoi répété d’ambassades méroïtiques
nulle part plus populaire qu’à Philæ, qui devint avec les à Philæ, a pu lui aussi contribuer à renforcer l’association
souverains de la XXXe dynastie l’« île d’Isis » par excel- de la déesse Isis avec l’Éthiopie 107.
lence et le resta jusqu’à la transformation du sanctuaire en
église chrétienne, sous le règne de Justinien 101. À Philæ, Cette association d’Isis avec l’Éthiopie ne disparut pas
en effet, Isis veille sur le tombeau de son mari Osiris, situé lorsque son culte devint un culte grec, malgré l’apparition
sur l’île voisine de Biggeh, dans l’Abaton, lieu inaccessi- de nouvelles associations, comme celle d’Isis avec la mer
ble et silencieux. Elle est associée à l’Inondation, source et la navigation, qui met en rapport la déesse non plus
de toute prospérité pour le pays, qui était censée jaillir, avec l’Éthiopie, mais avec la Méditerranée. Le sanctuaire
selon les mythes, soit de la jambe blessée d’Osiris, conser- de Philæ fut fréquenté pendant toute l’Antiquité par des
vée à Éléphantine, soit d’une caverne située dans la zone pélerins venus de tout le monde méditerranéen, qui nous
de la première cataracte. Dans le même temps, Isis est sont connus par les inscriptions et autres graffites qu’ils
située, à Philæ, entre deux mondes, à la frontière avec la laissèrent sur place 108. Une Satire de Juvénal (VI, 526-
Nubie, si bien qu’elle apparaît comme la garante des rela- 528) imagine même une dévote d’Isis poussant jusqu’à
tions entre l’Égypte et ses voisins méridionaux; elle porte Méroé pour puiser l’eau sacrée du fleuve, qu’elle destine
à Philæ les titres de « Dame des pays du Sud » et de à l’Iseum Campense. Il ne s’agit assurément que d’une
«Dame de la Nubie » 102 et son temple est exceptionnelle- hyperbole plaisante, qui raille les excès auxquels se por-
ment orienté en direction du sud. Ce lien étroit d’une part tent à la fois la superstition et la dépravation contempo-
avec Osiris, d’autre part avec la Nubie, permet de com- raine des mœurs; la dévote d’Isis n’est pas sans rappeler
prendre l’extraordinaire rayonnement du sanctuaire de la femme infidèle et adultère de la même Satire, qui
Philæ, parallèlement à la montée de la ferveur osirienne affronte les dangers et l’inconfort d’une traversée de la
et à l’intensification des échanges avec le Sud. La souve- Méditerranée pour suivre son amant en Égypte (VI, 82-
raineté d’Isis sur la Nubie se traduit concrètement par la 113). Une telle plaisanterie n’en suggère pas moins qu’à
donation, confirmée à plusieurs reprises par les Ptolémées, l’époque de Juvénal, l’Éthiopie était perçue comme la
de la Dodécaschène au clergé de Philæ et par la dîme que terre sacrée d’Isis, le pays où les eaux du Nil, proches de
la déesse prélevait sur tous les pays venus du Sud 103. leur source, étaient dotées d’une sacralité plus grande.

L’association d’Isis et de l’Éthiopie débordait largement Aux yeux des Anciens, les Éthiopiens entretenaient des
le cadre de Philæ. S’il faut attendre la Basse Époque pour relations privilégiées avec la grande déesse. L’importance
voir Philæ devenir un lieu saint d’Isis, l’appellation de « d’Isis dans la religion koushite n’avait de fait pas échappé
maîtresse de la Nubie » est attestée bien avant pour Isis, aux historiens et géographes grecs 109. Au IIe siècle de
puisqu’elle apparaît dès la XVIIIe dynastie, où Isis partage notre ère, Apulée va jusqu’à affirmer, dans l’Âne d’or, que

236
Fig. 15. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI. Cliché Michel Lechien.

Fig. 16. La mosaïque Barberini (détail), d’après les dessins de BARTOLI. Cliché Michel Lechien.

237
les peuples des deux Éthiopies sont les seuls, avec les L’Éthiopie nilotique se recommandait à l’attention des
Égyptiens, à appeler Isis de son vrai nom (XI, 5, 3). On Anciens par ses liens anciens avec l’Égypte, dont elle
comprend mieux dès lors la présence de desservants éthio- constitue la marche méridionale, par ses métropoles,
piens dans les scènes figurées de culte isiaque, où ils offi- Napata et Méroé, capitales d’un royaume prospère et
cient comme prêtres, comme musiciens ou comme dan- respecté, par ses ressources, notamment minières, et par
seurs 110. C’est le cas notamment sur deux fresques sa proximité supposée avec les sources du Nil. C’est néan-
célèbres d’Herculanum, aujourd’hui déposées au Musée moins l’aire érythréenne qui joue désormais le premier
archéologique de Naples 111. À ces documents figurés, il rôle, étant donné le développement et l’intensification
convient d’ajouter un passage de la Vie de Caligula de des échanges commerciaux empruntant la mer Rouge.
Suétone (57, 2), qui rapporte que l’empereur avait fait À l’époque lagide et plus encore à l’époque impériale,
préparer une représentation, où des « scènes de l’au-delà », c’est par elle que passe une bonne part du commerce avec
argumenta inferorum, devaient être jouées conjointement les terres lointaines du Sud et de l’Est, Corne de l’Afrique,
par des Égyptiens et par des Éthiopiens. Les Éthiopiens, Afrique australe, péninsule arabique et monde indien. Il
dans ce cas précis, devaient être liés moins aux sources du est vrai que les voies terrestres sont aux mains d’abord des
Nil qu’au monde de la mort, en vertu d’une superstition Séleucides, les grands rivaux des Lagides, puis de l’empire
largement répandue dans le monde antique 112. parthe, que Rome n’a jamais pu soumettre. La constitution
d’une sorte d’unité maritime, englobant à la fois l’Éthio-
pie, l’Arabie et l’Inde, a favorisé les rapprochements, les
Conclusion interférences et les confusions entre ces trois ères 113. Bien
qu’elle ait conservé des traits propres, l’Éthiopie s’est ainsi
L’Éthiopie, pour les Anciens, constitue l’arrière-pays loin- intégrée dans un monde oriental plus vaste, pourvoyeur à
tain et mystérieux de l’Égypte, elle-même volontiers per- la fois de denrées précieuses et de rêves exotiques, pro-
çue comme un pays marqué au sceau de l’altérité. Si les messes de luxe et de volupté. L’axe nord-sud dessiné par
contacts avec ces terres de confins se sont multipliés après le Nil a ainsi été victorieusement concurrencé par un axe
les conquêtes d’Alexandre et l’instauration d’un royaume est-ouest. Même si les premières confusions entre l’Éthio-
gréco-macédonien en Égypte, si l’Éthiopie s’est intégrée pie et l’Inde sont apparues bien avant l’époque hellénis-
dans la carte du monde élaborée par les savants alexan- tique, ce glissement vers l’est du centre de gravité du
drins, si l’Égypte lagide, puis Rome ont traité d’État à État monde éthiopien constitue le fait le plus marquant des
avec le royaume koushite, l’Éthiopie n’en est pas moins époques hellénistique et romaine.
restée, pour les Anciens, un territoire marginal et relative-
ment mal connu, qui a conservé l’aura de mystère et de
merveilleux qui appartient traditionnellement aux terres
de confins dans la culture antique. Les populations qu’elle
abrite ont continué à susciter l’étonnement ou la curiosité,
même si elles sont moins systématiquement présentées de
façon idéalisée ou sous des traits monstrueux. Il est vrai
que l’existence de peuples mélanodermes est désormais
un fait familier et qu’il n’était pas rare, pour un habitant
du nord du bassin méditerranéen, de côtoyer des hommes
noirs, esclaves ou non. L’Éthiopie était également renom-
mée pour sa faune, abondante et diversifiée, dont l’exo-
tisme n’a cessé de fasciner les Grecs et les Romains. Lieu
de production ou de transit de nombreuses denrées pré-
cieuses, l’Éthiopie était perçue avant tout comme un réser-
voir incomparable de produits exotiques qui se négociaient
à prix d’or. Ces importations ont joué un rôle essentiel
dans l’élaboration d’une image souvent composite de
l’Éthiopie.

238
NOTES 17 Sur la Dodécaschène et la Triacontaschène dans l’histoire des royau-
mes lagides et koushites, voir J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2),
1 Cl. PRÉAUX, « Sur les communications de l’Éthiopie avec l’Égypte p. 279-292 et L.TÖRÖK, op. cit. (supra n. 9), p. 424-432.
hellénistique », in CdÉ, t. LIII, 1952, p. 257-281; Cl. PREAUX, « Les 18 M. I. ROSTOVTSEFF, « Zur Geschichte des Ost- und Südhandels im

Grecs à la découverte de l’Afrique par l’Égypte », in CdÉ, t. XXXII, ptolemaïsch-römischen Aegypten », in APF, t. IV, 1908, p. 301-304;
1957, p. 284-312. P. M. FRASER, Ptolemaic Alexandria, t. I, Oxford, 1972, p. 177-179
2 A. BERNAND, O. MASSON, « Les inscriptions grecques d’Abou Sim- et t. II, p. 304-308, n. 359-372; H. H. SCULLARD, The Elephant in
bel », in REG, t. LXX, 1957, p. 5-10; sur cette expédition voir S. SAU- the Greek and Roman World, Ithaca-New York, 1974, p. 126-137;
NERON, J. YOYOTTE, « La campagne nubienne de Psammétique II et sa J. DESANGES, op. cit. (supra, n. 2), p. 254, p. 256-257, p. 297-299;
signification historique », in BIFAO, t. L, 1952, p. 157-207; J. DESAN- L. CASSON, « Ptolemy II and the Hunting of African Elephants »,
GES, « Recherches sur l’activité des Méditerranéens aux confins de in TAPhA, t. CXXIII, 1993, p. 247-260; S. M. BURSTEIN, op. cit. (supra
l’Afrique (IVe siècle av. J.-C.-IVe siècle ap. J.-C.) », in Collection de n. 11), p. 799-807.
l’École Française de Rome, t. XXXVIII, Rome, 1978, p. 221-227; 19 F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3), p. 121-129.

F. DE ROMANIS, Cassia, cinnamomo, ossidiana. Uomini e merci tra 20 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 263, n. 145 et p. 272-273. Cf.

oceano Indiano e Mediterraneo, 1996, p. 79, avec la n. 22. STRABON, Géographie, livre XVI, 4, 7.
3 F. DE ROMANIS, op. cit, p. 56-70. 21 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 297-298.
4 Ibid., p. 84-108. 22 S. M. BURSTEIN, Agatharchides of Cnidus. On the Erythrean Sea,
5 J. DESANGES, « Arabes et Arabie en terre d’Afrique dans la géogra- Londres, 1989, p. 801.
phie antique », in L’Arabie préislamique et son environnement histo- 23 Agatharchide, fr. 83, ap. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque histo-

rique et culturel. Actes du colloque de Strasbourg, juin 1987 (Travaux rique, livre III, 40 et PHOTIUS, Bibliothèque, 250, 456b- 457a.
du CRPOGA, 10), Leyde, 1989, p. 416-418; J. DESANGES, « Diodore 24 Voir le témoignage du Papyrus Petrie, texte II, 20, col. IV, l. 7-8 et

de Sicile et les Éthiopiens d’Occident », in CRAI, 1993, p. 525-541; 12-13.


P. SCHNEIDER, « L’Éthiopie et l’Inde. Interférences et confusions aux 25 I. HOFMANN, Wege und Möglichkeiten eines indischen Einflusses

extrémités du monde antique (VIIIe siècle av. J.-C.-VIe siècle ap. J.-C.)», auf die meroitische Kultur, St. Augustin bei Bonn, 1975, p. 104-111;
in Collection de l’École Française de Rome, t. CCCXXXV, Rome, J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 298-299.
2004, p. 64-66. 26 Agatharchide, fr. 80b, ap. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque histo-
6 J. LECLANT, « L’Égypte terre d’Afrique dans le monde gréco- rique, livre III, 36, 3, trad. B. Bommelaer, Paris, CUF, 1989.
romain », in L’Image du Noir dans l’art occidental, t. I, Des Pharaons 27 ATHÉNÉE, Deipnosophistes, livre V, 196 a-203 b. Sur cette

à la chute de l’Empire romain, Paris-Fribourg, 1976, p. 269-285. procession, voir Fr. DUNAND, « Fête et propagande à Alexandrie sous
7 A. LESKY, « Aithiopika », in Hermes, t. LXXXVII, 1959, p. 27-38; les Lagides », in La Fête, pratiques et discours, Annales littéraires
R. S. P. BEEKES, « Aithiopes », in Glotta, t. LXXIII, 1995, p. 12-34. de la faculté de Besançon, 262, Paris, 1981, p. 11-40; E. E. RICE,
8 P. SCHNEIDER, op. cit. (supra n. 5), p. 15-23. The Grand Procession of PtolemyPhiladelphus, Oxford-New York,
9 Sur l’histoire du royaume de Koush, voir la synthèse de L. TÖRÖK, 1983; C. WIKANDER, « Pomp and Circumstance. The Procession of
The Kingdom of Kush. Handbook of the Napatan-Meroitic Civilization Ptolemaios II », in OpAth, t. XIX-12, 1992, p. 143-150; J. KÖHLER,
in Handbuch der Orientalistik, t. XXXI, Leyde-New York-Cologne, Pompai. Untersuchungen zur hellenistischen Festkultur, Francfort/
1997. Main, 1996, p. 35-45; D. J. THOMPSON, L. MOOREN (ÉD.), « Philadel-
10 Ibid., p. 27-35. phus Procession : Dynastic Power in a Mediterranean Context », in
11 S. M.BURSTEIN, « Ivory and Ptolemaic Exploration of the Red Sea. Politics, Administration and Society in the Hellenistic and Roman
The Missing Factor », in Topoi, t. VI, 1996, p. 801 et 806. World. Proceedings of the InternationalColloquium, Bertinoro, 19-24
12 LUCAIN, Pharsale, livre X, v. 272-275; JEAN LE LYDIEN, Sur les July 1997, Louvain, 2000, p. 365-388; P. SCHNEIDER, op. cit. (supra
mois, livre IV, 107, p. 146-147 (éd. R. Wünsch, Leipzig, Teubner, n. 5), p. 321-324.
1898); PHOTIUS, Bibliothèque, 249, 441 b; sur cette tradition, voir 28 ATHÉNÉE, Deipnosophistes, livre V, 201 c (traduction de l’auteur).

J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 246-247. 29 Agatharchide, fr. 80a, ap. PHOTIUS, Bibliothèque, 250, 456 a, et fr.
13 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 243-245. 80b, ap. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique, livre III, 36-37.
14 Ibid., p. 247-252. Voir L. BODSON, « A Python (Python sebae Gmelin) for the King. The
15 Les sources relatives à cet épisode mal connu des relations entre la Third Century BC Herpetological Expedition to Aithiopia (Diodorus of
Nubie et le royaume lagide ont été réunies dans T. HEIDE, et al., Fontes Sicily 3.36-37) », in MH, t. LX, 2003, p. 22-38.
Historiae Nubiorum. Textual Sources for the History of the Middle Nile 30 J. TRINQUIER, « Localisation et fonctions des animaux sauvages dans

Region between the Eighth Century BC and the Sixth Century AD, t. II, l’Alexandrie lagide : la question du zoo d’Alexandrie », in MEFRA,
From the Mid-Fifth to the First Century BC, Bergen, 1996, p. 536-541, t. CXIV-2, 2002, p. 861-919.
n° 97-99 et p. 655-657, n° 144-145; voir J. DESANGES, op. cit. (supra 31 F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3), p. 127-137.

n. 2), p. 252-262; G. HÖLBL, Geschichte des Ptolemäerreiches. Politik, 32 Agatharchide, fr. 82, ap. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque histo-

Ideologie und religiöse Kultur von Alexander dem Grossen bis zur rique, livre III, 39, 4-9 et PHOTIUS, Bibliothèque, 250, 456 b; ARTÉMI-
römischen Eroberung, Darmstadt, 1994, p. 54-55; J. LOCHER, Topo- DORE, Geographoumena, fr. 96, (éd. R. Stiehle), ap. STRABON, Géo-
graphie und Geschichte der Region am ersten Nilkatarakt in grie- graphie, livre XVI, 4, 6; PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre
chisch-römischer Zeit, in APF, Beiheft, 5, Stuttgart-Leipzig, 1999, XXXVII, 107-108.
p. 235-238; W. HUß, Ägypten in hellenistischer Zeit, 332-30 v. Chr., 33 Agatharchide, fr. 88, ap. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque histo-

Munich, 2001, p. 290-293. rique, livre III, 43, 4-5; ARTÉMIDORE, Geographoumena, fr. 100
16 Agatharchide a laissé une description célèbre du travail dans ces (éd. R. Stiehle), ap. Strabon, Géographie, XVI, 4, 18.
mines : Agatharchide, fr. 23-29, ap. DIODORE DE SICILE, Bibliothèque 34 F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3), p. 127-146.

historique, livre III, 12-14 et PHOTIUS, Bibliothèque, 250, 447 b-449 a. 35 VELLÉIUS PATERCULUS, Histoire romaine, livre II, 56, 2.

239
36 F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3), p. 164-165. 53 J. LECLANT, « Méroé et Rome », in S. DONADONI, S. WENIG (ÉD.),
37 Ibid., p. 160. Studia Meroitica, 1984. Proceedings of the Fifth International
38 Ibid., p. 163-165. Conference for Meroitic Studies, Meroitica, t. X, Berlin, 1989, p. 29-
39 Ibid., p. 163. 45; L.TÖRÖK, op. cit. (supra n. 9), p. 455-467.
40 Ibid., p. 133-146. 54 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 326; J. DESANGES, op. cit.
41 Sur Eudoxe de Cnide, voir J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), (supra n. 48), p. 17-18.
p. 151-173; A. TCHERNIA, « Moussons et monnaies : les voies du 55 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 340-366; J. DESANGES, op. cit.

commerce entre le monde gréco-romain et l’Inde », in Annales HSS, (supra n. 48), p. 31-40.
t. V, 1995, p. 991-1009, repris dans F. DE ROMANIS, A. TCHERNIA, 56 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 321, n. 72; G. K. YOUNG,

Crossings. Early Mediterranean Contacts with India, Manohar, 1997, Rome’s Eastern Trade. International Commerce and Imperial Policy,
p. 250-276. 31 BC-AD 305, Londres-New York, 2001, p. 36-37.
42 Pour la datation au Ier siècle avant notre ère de SB V 8036, voir 57 J. S. ROMM, The Edges of the Earth in Ancient Thought, Geography,

W. PEREMANS, E. VAN’T DACK, Prosopographica, Louvain, 1953, Exploration and Fiction, Princeton, 1992, p. 149-156; voir aussi supra,
p. 16-21; L. MOOREN, « The Date of SB V 8036 and the Development n. 48.
of the Ptolemaic Trade with India », in Anc.Soc., t. III, 1972, p. 127- 58 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2),1978, p. 323-325; J. DESANGES,

133. op. cit. (supra n. 48), p. 14-17; L.TÖRÖK, op. cit. (supra n. 9), p. 464;
43 F. JACOBY, Fragmente der griechischen Historiker, t. III C, Leyde, contra, M. DE NARDIS, « Seneca, Plinio e la spedizione neroniana in
1958, n° 666-670. Voir J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 258-262. Etiopia », in Aegyptus, t. LXIX, 1989, p. 123-152, qui récuse le témoi-
44 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre VI, 183. gnage de Sénèque.
45 Les fragments d’Agatharchide ont été publiés dans S. M. BURSTEIN, 59 J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 314-315.

Agatharchides of Cnidus, Londres, 1989, sous le titre On the Ery- 60 S. E. SIDEBOTHAM, Roman Economic Policy in the Erythra Tha-

thraean Sea; sur Agatharchide, voir D. MARCOTTE, « Structure et lassa, 30 B.C.-A.D.217 in Mnemosyne, Suppl. 91, Leyde, 1986.
caractère de l’œuvre historique d’Agatharchide », in Historia, t. L, 61 Sur les échanges avec l’Inde, voir J. I. MILLER, The Spice Trade of

2001, p. 385-435. the Roman Empire, 29 B.C.-A.D.641, Oxford, 1969; F. DE ROMANIS,


46 Cl. PRÉAUX, « Les Grecs à la découverte de l’Afrique par l’Égypte », op. cit. (supra n. 3), p. 167-202, ainsi que les études réunies dans
in CdÉ, t. XXXII, 1957, p. 284-312; D. BONNEAU, La Crue du Nil, F. DE ROMANIS, A. TCHERNIA, Crossings. Early Mediterranean
divinité égyptienne à travers mille ans d’histoire (332 av. J.-C.-641 ap. Contacts with India, Manohar, 1997.
J.-C.) d’après les auteurs grecs et latins et les documents des époques 62 L. CASSON, The Periplus Maris Erythraei, Princeton, 1989; St. BEL-

ptolémaïque, romaine et byzantine, Paris, 1964, p. 133-169. FIORE, Il periplo del mare eritreo del I sec. d.C. e altri testi sul commer-
47 Voir en particulier STRABON, Géographie, livre XVII, 1, 5. cio fra Roma e l’Oriente attraverso l’Oceo Indiano e la Via della Sete
48 Cl. PRÉAUX, op. cit. (supra n. 46), p. 284-312; J. DESANGES, « Les in Memorie della Società Geografia Italiana, t. LXXIII, Rome, 2004.
relations de l’Empire romain avec l’Afrique nilotique et érythréenne, 63 A. LESKY, « Aithiopika », in Hermes, t. LXXXVII, 1957, p. 27-38;

d’Auguste à Probus », in ANRW, t. II, 10-1, Berlin-New York, 1988, L. KÁKOSY, « Nubien als mythisches Land im Altertum », in AUB
p. 3-43. Pour W. Huß (W. HUß, « Die Quellen des Nils », in CdÉ, t. (class), t. VIII, 1966, p. 3-10; F. M. SNOWDEN (Jr.), Blacks in Antiquity.
LXV, 1990, p. 334-343), les Anciens auraient eu une vague connais- Ethiopians in the Graeco-Roman Experience, Londres-Cambridge,
sance de l’existence des lacs Albert et Victoria, mais son interprétation Mass., 1970; J. Y. NADEAU, « Ethiopians », in QC, 1970, p. 339-349;
du passage-clef de Strabon (Géographie, livre XVII, 1, 2) n’emporte R. LONIS, « Les trois approches de l’Éthiopien par l’opinion gréco-
pas la conviction. romaine », in Ktèma, t. VI, 1981, p. 69-87; A. BALLABRIGA, Le Soleil
49 CIL III, 14147, 5 = IGR, I, 1293 = OGIS, 654 = ILS, 8995; voir et le Tartare. L’image mythique du monde en Grèce archaïque, Paris
G. CRESCI MARRONE, Ecumene Augusta. Una politica per il consenso, 1986, p. 108-110 et p. 175-215; A. BALLABRIGA, Les Fictions d’Ho-
in Problemi e ricerche di storia antica, 14, Rome, 1993, p. 143-160 mère. L’invention mythologique et cosmographique dans l’Odyssée,
et L.TÖRÖK, op. cit. (supra n. 9), p. 448-450. Paris, 1998, p. 75-79 ; J. S. ROMM, op. cit. (supra n. 57), p. 49-60;
50 I. HOFMANN, « Der Feldzug des C. Petronius nach Nubien und seine B. MCLACHLAN, « Feasting with Ethiopians : Life on the Fringe », in
Bedeutung für die meroitische Chronologie », in Ägypten und Kush. QUCC, n.s. 40, 1992, p. 15-33; P. SCHNEIDER, op. cit. (supra n. 5),
Festschrift F.Hintze, Schriften zur Geschichte und Kultur des alten p. 100-109; G. L. CAMPBELL, Strange Creatures. Anthropology in Anti-
Orients, 13, Berlin, 1977, p. 189-205; L.TÖRÖK, op. cit. (supra n. 9), quity, Londres, 2006, p. 84-88.
p. 453-454. 64 R. LONIS, op. cit. (supra n. 63), p. 81-82; R. LONIS, M.-F. BASLEZ,
51 Pour ce conflit, on dispose du récit de Strabon (Géographie, livre P. HOFFMANN, M. TREDE (ÉD.), « Les Éthiopiens sous le regard
XVII, 1, 54) et de Dion Cassius (Histoire romaine, livre LIV, 5, 4-6), d’Héliodore », in Le monde du roman grec. Actes du colloque Interna-
ainsi qu’une liste de localités conquises transmise par Pline l’Ancien tional, ENS, Paris, décembre 1987, Paris, 1992, p. 233-241.
(Histoire naturelle, livre VI, 181-182). J. DESANGES, op. cit. (supra 65 P. SCHNEIDER, op. cit. (supra n. 5), p. 71-75; V. DASEN, « Nains et

n. 2), p. 307-316; J. DESANGES, op. cit. (supra n. 48), p. 7-8; L.TÖRÖK, pygmées. Figures de l’altérité en Égypte et Grèce ancienne », in Penser
op. cit. (supra n. 9), p. 448-455; J. LOCHER, « Die Anfänge der römis- et représenter le corps dans l’Antiquité. Actes du colloque international
chen Herrschaft in Nubien und der Konflikt zwischen Rom und de Rennes, septembre 2004, Rennes, 2006, p. 95 et supra n. 4.
Meroe », in AncSoc, t. XXXII, 2002, p. 51-113. 66 Sur la légende des pygmées, voir les excellentes analyses de
52 L.TÖRÖK, op. cit. (supra n. 9), p. 459; J. Desanges préfère parler V. DASEN, Dwarfs in ancient Egypt and Greece, Oxford, 1993 et
pour sa part de « co-principauté romano-méroïtique » : J. DESANGES, V. DASEN, op. cit. (supra n. 65), p. 95-113.
« Le statut et les limites de la Nubie romaine », in CdÉ, t. XLIV, 1969; 67 V. DASEN, op. cit. (supra n. 65), p. 106-108.

J. DESANGES, op. cit. (supra n. 2), p. 316; sur les forteresses romaines 68 Ibid., p. 113.

en Basse Nubie, voir R. B. JACKSON, At Empire’s Edge. Exploring 69 J. S. ROMM, op. cit. (supra n. 57), p. 77-81; P. SCHNEIDER, op. cit.

Rome ‘s Egyptian Frontier, New Haven-Londres, 2002, p. 129-155. (supra n. 5), p. 71-88; M. BEAGON, The Elder Pliny on the Human

240
Animal, Natural History, Book 7, Oxford, 2005, p. 117. Voir en parti- 88 J. GUILAINE, La mer partagée. La Méditerranée avant l’écriture,

culier PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre VI, 187-188. 7000-2000 avant Jésus-Christ, [1994], Paris, 2005, p. 111-118.
70 C. JACOB, Géographie et ethnographie en Grèce ancienne, Paris, 89 Sur tous ces points, voir F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3),

1991, p. 133-146. p. 227-239.


71 Agatharchide, fr. 60, ap. PHOTIUS, Bibliothèque, 250, 453 b-454 a 90 Périple de la mer Érythrée, 5. Pour l’identification de la localité,

et DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique, livre III, 31. Voir voir F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3), p. 234.
P. SCHNEIDER, op. cit. (supra n. 5), p. 80-81. 91 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre XXXVI, 196.
72 J. DESANGES, « Le peuplement éthiopien à la lisière méridionale de 92 On notera cependant que la basanite est une pierre au moins autant

l’Afrique du Nord d’après les témoignages textuels », in Afrique Noire égyptienne qu’éthiopienne. Le gisement bien connu du Wadi Hamma-
et monde méditerranéen. Actes du colloque de Dakar, janvier 1976, mat se trouve en effet en Moyenne Égypte. Selon D. Del Bufalo
Dakar-Abidjan, 1978a, p. 29-41. (D. DEL BUFALO, M. DE NUCCIO, L. UNGARO, « NOTVLÆ THE-
73 Cl. PRÉAUX, L’Économie royale des Lagides, Bruxelles, 1939, BAICÆ », in I marmi colorati della Roma imperiale (catalogue
p. 303-317; M. I. ROSTOVTSEFF, Histoire économique et sociale du d’exposition, Rome, Marchés de Trajan, septembre 2002 - janvier
monde hellénistique, [1941], trad. franç. d’O. DEMANGE, 1989, p. 225 2003), p. 200-201), il existait un autre gisement, encore inexploré, dans
et p. 1029; T. MAVROJANNIS, « Italiens et Orientaux à Délos », in le Wadi Allaqi, au sud de la première cataracte, près de Bérénice
C. MÜLLER, C. HASENHOR (ÉD.), Les Italiens dans le monde grec, Panchrysia.
IIe siècle av. J.-C.-Ier siècle apr. J.-C. Actes de la table ronde, Paris, 93 P. MORENO, Scultura ellenistica, Rome, 1994, t. I, p. 326-329,

École Normale Supérieure, 14-16 mai 1998, in BCH, suppl. 41, Athè- fig. 313-314, p. 404; É. PRIOUX (à paraître), « On the Oddities and
nes-Paris, 2002, p. 168. Wonders of Italy : When Poets Look Westward », à paraître in Procee-
74 J. LECLANT, « L’Égypte, terre d’Afrique dans le monde gréco-romain», ding of the Eighth Groningen Workshop on Hellenistic Poetry. Actes du
in L. BUGNER (ÉD.), l’Image du Noir dans l’art occidental, t. I, Des Pha- colloque de Groningen, septembre 2006. Pour une date plus tardive,
raons à la chute de l’Empire romain, Paris-Fribourg, 1976, p. 270. dans la première moitié du IIe siècle avant notre ère, voir S. KLEMENTA,
75 E. M. STAERMANN, M.K. TROFIMOVA, La schiavitú nell’Italia impe- Gelagerte Flussgötter des Späthellenismus und der römischen Kaiser-
riale. I-III secolo, trad. italienne, in Biblioteca di storia antica, t. II, zeit, Cologne-Weimar-Vienne, 1993, p. 9-12.
Rome, 1975, p. 13-17; K.R. BRADLEY, Slavery and Society at Rome, 94 S. AUFRÈRE, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, in

Cambridge, 1994, p. 36; W.V. HARRIS, « Demography, Geography and Bibliothèque d’étude, t. CV, vol. 1 et 2, Le Caire, 1991, p. 13 et p. 576.
the Sources of Roman Slaves », in JRS, t. LXXXIX, 1999, p. 72. 95 Voir en ce sens les réflexions caractéristiques de Pausanias, Périé-
76 A. GIOVANNINI, « L’or africain. Un aspect méconnu de l’économie gèse, VIII, 24, 12.
antique et de l’impérialisme romain », in Économie antique. La guerre 96 M. MALAISE, Les conditions de pénétration et de diffusion des

dans les économies antiques, Saint-Bertrand-de-Comminges, 2000, cultes égyptiens en Italie, in EPRO, t. XXII, Leyde, 1972, p. 148-149;
p. 253-276. J. G. GRIFFITHS, The Isis-Book (Met. XI), in EPRO, t. XLVI, Leyde,
77 S. M. BURSTEIN, op. cit. (supra n. 11), p. 799-807. 1975, p. 128-129; L. BRICAULT, « Isis dolente », in BIFAO, t. XCII,
78 R. MEIGGS, Trees and Timber in the Ancient Mediterranean World, 1992, p. 48-49.
Oxford, 1982, p. 282-286. 97 F. MATZ, « Der Gott auf dem Elephantenwagen », in Abhandlungen
79 P. SCHNEIDER, op. cit. (supra n. 5), p. 484-487. L’hypothèse d’un der Geistes- und Sozialwissenschaftischen Klasse, 10, 1952, Wiesba-
cinnamome authentiquement africain a cependant ses partisans : voir den, 1953.
F. DE ROMANIS, op. cit. (supra n. 3), p. 97-117. 98 ÉLIEN, Personnalité des animaux, VII, 44; PLUTARQUE, L’Intelli-
80 G. VILLE, « La Gladiature en Occident, des origines à la mort de gence des animaux, XVII, p. 972 b-c.
Domitien », in BEFAR, t. CCXLV, Paris, 1981; M. CLAVEL-LEVÊQUE, 99 SUÉTONE, Vie de César, 37.

L’Empire en jeux. Espace symbolique et pratique sociale dans le monde 100 M. J. STRAZZULLA, « Il principato di Apollo. Mito e propaganda

romain, Paris, 1984; D. G. KYLE, Spectacles of Death in Ancient Rome, nelle lastre « Campana » dal tempio di apollo Palatino », in Studia
Londres-New York, 1998; A. LA REGINA (ÉD.), Sangue e arena (Cata- archeologica, t. LVII, Rome, 1990, p. 88-93.
logue de l’exposition, Rome, Colisée, juin 2001 - janvier 2002). 101 A. GIAMMARUSTI, A. ROCCATI, File. Storai e vita di un santuario
81 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre VIII, 70. egizio, Novara, 1980.
82 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre VIII, 131. 102 Fr. DUNAND, Le culte d’Isis dans le bassin oriental de la Méditer-
83 J. KOLENDO, À la recherche de l’ambre baltique. L’expédition d’un ranée. t. I. Le Culte d’Isis et les Ptolémées, in EPRO, t. XXVI, Leyde,
chevalier romain sous Néron, Varsovie, 1981. 1973, p. 205-207.
84 F. COARELLI, « La pompé di Tolomeo Filadelfo e il mosaico nilotico 103 Ibid., p. 189, n. 1; G. DIETZE, « Philae und die Dodekaschoinos

di Palestrina », in Ktèma, t. XV, 1990, p. 102-137; P. G. P. MEYBOOM, in ptolemäischer Zeit. Ein Beitrag zur Frage ptolemäischer Präsenz
«The Nile Mosaic of Palestrina. Early Evidence of Egyptian Religion im Grenzland zwischen Ägypten und Afrika anhand der archietktonis-
in Italy», in Religions in the Graeco-Roman World, t. CXXI, Leyde- chen und epigraphischen Quellen », in AncSoc, t. XXV, 1994, p. 69
New York-Cologne, 1995; F. BURKHALTER, « La mosaïque nilotique et p. 71.
de Palestrina et les Pharaonica d’Alexandrie », in Topoi, t. IX, 1999, 104 J. LECLANT, « Isis au pays de Koush », in AEPHE, Ve section,

p. 229-257. t. XC, 1981-1982, p. 47-48.


85 P. G. P. MEYBOOM, op. cit. (supra n. 84), p. 50. 105 H. JUNKER, « Der Auszug des Hathor-Tefnut aus Nubien », in
86 Cf. PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, livre VI, 187-188 et livre APAW, t. III, Berlin, 1911; K. SETHE, « Zur altägyptischen Sage
VII, 21. vom Sonnenauge, das in der Fremde war », in UGAÄ, t. V-3, Leipzig,
87 J. TRINQUIER, « Hic sunt leones. La représentation des confins éthio- 1912; D. INCONNU-BOCQUILLON, « Le Mythe de la Déesse Lointaine
piens de l’Égypte dans la mosaïque Barberini de Palestrina », in à Philae», in Bibliothèque d’étude, t. CXXXII, Le Caire, 2001.
Fr. LECOCQ (ÉD.), l’Égypte à Rome. Actes du colloque de Caen, sep- 106 Y. KOENIG, « La Nubie dans les textes magiques. L’inquiétante

tembre 2002, Cahiers de la MRSH, t. XLI, Caen, 2005, p. 360-365. étrangeté », in RdÉ, t. XXXVIII, 1987, p. 105-110.

241
107 J. LECLANT, « Isis au pays de Koush », in AEPHE, Ve section, S. M. BURSTEIN, « Ivory and Ptolemaic Exploration of the Red Sea.
t. LC, 1981-1982, p. 39-59. The Missing Factor », in Topoi, t. VI, 1996, p. 799-807.
108 A. BERNAND, Les Inscriptions grecques de Philæ. t. I. Époque pto-
S. M. BURSTEIN (ÉD.), Agatharchides of Cnidus. On the Erythraean
lémaïque, Paris, 1969. Sea, Londres, 1989.
109 DIODORE DE SICILE, Bibliothèque historique, livre III, 9, 1; STRA-
G.L. CAMPBELL, Strange Creatures. Anthropology in Antiquity, Lon-
BON, Géographie, livre XVII, 2, 3.
110 F. M. SNOWDEN (Jr.), Blacks in Antiquity. Ethiopians in the
dres, 2006.
Graeco-Roman Experience, Londres-Cambridge, Mass., 1970, p. 189- L. CASSON (ÉD.), The Periplus Maris Erythraei, Princeton, 1989.
192; J. LECLANT, op. cit. (supra n. 74), p. 269-285. L. CASSON, « Ptolemy II and the Hunting of African Elephants », in
111 V. TRAN TAM TINH, Le culte des divinités orientales à Herculanum, TAPhA, t. CXXIII, 1993, p. 247-260.
in EPRO, t. XVII, Leyde, 1971, p. 29-49 et p. 83-86, cat. 58 et 59, avec M. CLAVEL-LEVÊQUE, L’Empire en jeux. Espace symbolique et pra-
les pl. XXVII-XXVIII. tique sociale dans le monde romain, Paris, 1984.
112 F. M. SNOWDEN (Jr.), Blacks in Antiquity. Ethiopians in the
F. COARELLI, « La pompé di Tolomeo Filadelfo e il mosaico nilotico
Graeco-Roman Experience, Londres-Cambridge,Mass., 1970, p. 179- di Palestrina », in Ktèma, t. XV, 1990, p. 225-251, repris dans F. COA-
180. On rappellera seulement l’épisode célèbre de l’Éthiopien rencontré RELLI, 1996, p. 102-137.
et mis à mort par les troupes de Cassius et de Brutus avant la bataille
F. COARELLI, Revixit Ars : Arte e ideologia a Roma. Dai modelli elle-
de Philippes (APPIEN., Guerre civile, IV, 17, 134; FLORUS, Tableau de
nistici alla tradizione repubblicana, Rome, 1996.
l’histoire du peuple romain, II, 17, 7, 7-8; PLUTARQUE, Vie de Brutus,
XLVIII). G. CRESCI MARRONE, « Ecumene Augusta. Una politica per il
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Le Darb al-arba‘în à l’époque musulmane

Jean-Charles DUCÈNE

Le Darb al-arba‘în 1 désigne la route caravanière qui et parfois d’expéditions guerrières. Ce n’est qu’à la fin du
reliait les oasis égyptiennes au Darfour et occasionnelle- 13e siècle que la Nubie est conquise par les Mamelouks.
ment à la Nubie. C’est le tronçon qui rejoignait le Darfour Durant toute cette période et même après, c’est la Vallée
qui joua un rôle essentiel et est bien connu à partir de du Nil qui est la voie privilégiée pour atteindre le sud.
l’exploration de Browne en 1791. À l’époque moderne,
les étapes depuis l’oasis de Khâridja sont : Bârîs, al-Shâb, Quant aux oasis, on est obligé d’avouer que l’on ignore
Salîma, Laqiya arba‘în, le Bi’r natrûn (« le Puits du la date de leur conquête ou simplement de l’arrivée des
natron ») ou Atrûn et enfin Kubayh au Darfour. À partir Arabes. On a tout lieu de croire que cela est fait dans le
de Salîma, une route secondaire partait vers Aswân, de courant de la seconde moitié du 7e siècle, un combat mené
même que depuis le Nil, en Nubie, une piste aboutissait par les musulmans contre les Berbères Lawâta y est men-
à Salîma. tionné en 661 3.

Cette piste joua un rôle important durant l’Antiquité pour À partir du moment où notre documentation existe, il
les relations de l’Égypte avec l’Afrique subsaharienne. apparaît que, malgré les distances, les liaisons entre la
Connue par les Européens à partir du 16e siècle seulement, Vallée du Nil et les oasis de Dakhla et de Khâridja sont
on peut s’interroger sur le rôle qu’elle joua durant l’his- bien établies et multiples. Ainsi, le géographe arabe Ibn
toire arabe et ottomane de l’Égypte. Hawqal 4 déclare à la fin du 9e siècle en parlant des oasis:
« Cette contrée est pour ainsi dire isolée, au centre
d’un arc formé par le Nil et de quelque direction qu’on
Époque médiévale s’achemine vers les oasis, on a toujours besoin de trois
à quatre journées de marche pour y arriver. L’oasis exté-
La conquête de l’Égypte débute en décembre 639 pour rieure (al-Khâridja), connue par ses chefs-lieux Bikhit
s’achever officiellement par la prise de Babylone (Fustât) et Biris, est la plus proche du Nil. Celui qui s’y dirige
et d’Alexandrie en 641. ‘Amr ibn al-‘Âs envoie alors en venant de la Nubie, de Yabrin et des districts qui s’y
des troupes en Haute Égypte et dès lors des raids sont rattachent, passe par ‘Ayn al-nakhla, où l’eau coule abon-
sans doute menés annuellement vers la Nubie tandis damment, mais qui n’est pas habité; ensuite, on ne trouve
qu’Assouan devient un poste frontière. C’est ainsi que plus d’eau jusqu’à Biris. Ceux qui y viennent de l’Égypte
les territoires africains voisins de l’Égypte entrent en même, en partant d’Armant, emportent de l’eau du Nil
contact avec les Arabes. Il faut attendre 651-52 pour jusqu’à Biris. Ceux qui prennent le départ à Balyana, à
qu’une expédition soit conduite par ‘Abdallâh ibn Abî Akhmîm, à Assiout, à Ashmun, soit dans les parties basses
Sarh qui aboutit au siège de Dongola, mais vu la pugnacité de la Haute Égypte, trouvent leur point d’arrivée à Bikhit
des Nubiens, une convention – le célèbre baqt – est passée et emportent aussi de l’eau du Nil. Ceux qui s’y dirigent
entre les belligérants. La paix est garantie 2 tant que les en venant d’Assouan et de la région supérieure de la Haute
termes de la convention sont respectés, soit l’échange de Égypte, passent par Danqal: on y trouve de l’eau courante
produits commerciaux et d’esclaves. Hormis l’arabisation dans un sol sablonneux qu’on peut creuser à la main; il y
de la frange nord de la Nubie, les relations entre celle-ci a autour de ce lieu beaucoup de palmiers mais point d’ha-
et l’Égypte prennent la forme de missions diplomatiques bitants. On y fait provision d’eau pour l’étape jusqu’à

245
Routes caravanières entre d’Égypte et le «pays des Noirs»,
d’après T. WALZ, Trade between Egypt and bilâd as-sûdân, 1700-1820, Le Caire, 1978, pl. 1.

Biris. Sur chacune des routes que je viens de décrire, il y dénommée comme telle, se trouverait chez Ibn al-Faqîh 6,
a trois journées de marche. Elles sont accidentées sur la un compilateur d’Isfahan du début du 10e siècle. En par-
plus grande partie de leur parcours, et l’on franchit des lant des populations de l’Afrique noire depuis l’ouest, il
collines et des vallons». dit qu’en dépassant le pays de Ghâna dans la direction
de l’Égypte, on parvient chez les Kawkaw, chez les
D’autres auteurs arabes 5 confirment et complètent Ibn Maranda, puis chez les Murâwat et enfin aux oasis
Hawqal et du nord au sud, on peut énumérer comme points d’Égypte, à Malsâna.
de départ vers les oasis Ashmûn, mais surtout Assiout,
Ikhmîm, Bulyâna, Qûs, Damâmîn et enfin Assouan. C’est- Le commentaire 7 de ce texte n’est pas simple car l’identi-
à-dire que quasiment toute la vallée du Nil au sud du fication de certaines de ces populations est sujette à
Fayyoum est en relation avec l’oasis de Khâridja. Une controverse. Les points sûrs sont les suivants: Ghâna dési-
prépondérance est cependant accordée à Assiout, départ gne un royaume dont la capitale a été identifiée avec les
traditionnel de la piste allant plein sud pour rejoindre ruines de Koumbi Saleh, au sud de la Mauritanie. Le
Khâridja. terme Kawkaw désigne à la fois le royaume noir de Son-
ghai et sa capitale Gao, sur le Niger. Maranda est une ville
Mais depuis les oasis, peut-on aller au sud-ouest ? La plus dans l’Aïr ou la tribu chamelière d’Arinda, fraction des
ancienne allusion à cette route, mais qui n’est pas ici Toubou. Les Murâwat seraient une branche des Zaghâwa.

246
À l’autre extrémité de la route, le toponyme de Malsâna sées: c’était la route de l’Égypte à Ghâna. Mais des vents
serait peut-être à rapprocher d’Alsâna, nom d’une des continus ont harcelé les caravanes et les groupes de voya-
oasis de Khâridja, ou d’Alsânî qui serait alors un plateau geurs sans bagages: plus d’une caravane et plus d’un voya-
près de l’oasis de Koufra, dans le désert libyque. Dans geur isolé ont péri, sans compter les bandits qui ont sou-
la première hypothèse, nous aurions le tracé du Darb al- vent causé leur perte. Ainsi, on s’est éloigné de cette route,
arba‘în avec son extension, par le territoire des Zaghâwa qu’on a abandonnée en faveur de celle de Sidjilmasa».
au sud du Tchad, vers l’Afrique de l’ouest (Ghâna et
Gao), régions importantes pour l’exportation de l’or et Ce témoignage est capital: il en ressort que des oasis égyp-
des esclaves. Bref, nous serions en présence de la route tiennes plusieurs routes partaient soit vers le Maghreb par
qui mettait en communication le bassin du Niger avec le désert libyque, soit vers le pays des Noirs, c’est-à-dire
le Nil par le Darfour. Selon la deuxième hypothèse, par le Darb al-arba‘în. Mais à cause des difficultés natu-
nous aurions affaire à la piste qui mettait en relation relles et du brigandage, ces voies ont été abandonnées pour
Koufra, ici comprise comme une oasis égyptienne, avec la route qui partait du Maroc. Ibn Hawqal 9 ferait aussi
le Ghâna par le Fezzan, itinéraire par ailleurs bien connu allusion à la route qui menait de la Vallée du Nil en Nubie,
(cf. supra). à l’oasis de Salîma. Il est par ailleurs certain qu’au débou-
ché méridional de la route qui nous concerne, quelque part
Un peu plus tard, dans la deuxième moitié du 10e siècle, dans le Darfour actuel, aboutissait aussi une route venant
Ibn Hawqal 8 revient avec plus de détails sur cette route de la côte orientale africaine 10. Comme nous l’avons déjà
en disant: «Quant aux Oasis, c’étaient des régions ancien- dit, de là une piste partait vers les royaumes noirs de la
nement arrosées par des cours d’eau, couvertes d’arbres, boucle du Niger. En fin de compte toute l’Afrique sub-
et qui contenaient des villages: avant la conquête la popu- saharienne était potentiellement en relation.
lation était grecque. On les traversait pour gagner vers
l’Occident le pays des Noirs en suivant la route qu’on À l’époque où cette voie est utilisée, nous n’avons aucune
empruntait autrefois pour se rendre de l’Égypte à Ghâna, information sur les étapes intermédiaires mais l’oasis
mais elle a cessé d’être fréquentée. Cependant cette voie de Salîma a révélé des vestiges chrétiens. En effet, Théo-
n’est pas dépourvue d’oasis, de vestiges d’habitations dore Krump 11 y observe en 1700 les ruines d’un monastère
humaines, et encore de nos jours on y trouve beaucoup où huit cellules sont encore visibles. Plus récemment, la
d’arbres fruitiers, ainsi que des moutons et des chameaux découverte de fragments de poteries datant de 600 à
qui sont devenus sauvages et se cachent. Pour atteindre les 800 ap. J.-C. a amené Adams à voir dans ces ruines les res-
Oasis en venant de la Haute Égypte, il existe une route tes d’un petit établissement religieux, avant-poste des oasis
partant de la Nubie, et, en trois jours on franchit un désert égyptiennes et ravitaillé par le Darb al-arba‘în. On peut
qui forme la frontière. Les caravanes des Oasis, ainsi que remarquer qu’aux deux extrémités de cette piste, la pré-
celles de la population égyptienne utilisaient plus d’une sence chrétienne était encore vivace au 9e siècle mais que
route pour se rendre au Maghreb et au pays des Noirs à la situation évolua. Ce sont les oasis qui cessèrent d’être
travers des déserts. Ce fait a continué sans interruption majoritairement chrétiennes les premières. Ibn Hawqal 12
jusqu’au règne d’Abû l-‘Abbâs Ahmad ibn Tulun (gouver- remarque que les établissements chrétiens sont nombreux
neur de 868 à 884). Une voie menait au Fezzan et à Barqa, dans les oasis et encore fréquentés. Mais il présente cette
mais elle a été abandonnée à cause des tempêtes de sable situation comme en train de changer avec une islamisation
qui assaillirent les voyageurs pendant plusieurs années et inexorable et bien en marche. À partir de Salîma, une
qui causa la perte de plusieurs caravanes. Abû l-‘Abbâs piste aboutit à la Vallée du Nil, en Nubie. Or, ce pays reste
ordonna d’abandonner cette route et n’a plus permis à qui majoritairement chrétien jusqu’aux 13e-14e siècles.
que ce soit de s’y engager».
La désaffection du Darb al-arba‘în est confirmée par
D’ailleurs, quand Ibn Hawqal avait parlé du Maghreb en al-Mas‘ûdî 13 qui eut une conversation avec « l’agent du
termes généraux, il avait déjà dit: «Entre son arrière-pays roi» des oasis à son époque, en 941. Il mentionne bien les
et la région des Zandjs (terme qui désigne en général les produits qui en sont exportés comme des dattes, des raisins
Noirs dans les sources arabes médiévales), il y a des soli- secs ou de l’alun, mais il reste muet sur les importations
tudes vastes et sablonneuses qui étaient autrefois traver- qui proviendraient du pays des Noirs.

247
Ceci dit, si les textes restent silencieux sur le Darb al- importent des fruits secs, de la soie, des objets, des vête-
arba‘în, des histoires légendaires ou des allusions mon- ments de soie brute ou de coton. Les principaux produits
trent que le souvenir des voies de communication entre exportés vers l’Égypte sont l’ivoire et même les défenses
les oasis et le pays des Noirs n’était pas oublié. Ainsi, al- d’éléphant.
Bakrî 14 au 11e siècle rapporte en termes merveilleux
l’existence d’une oasis accessible depuis l’extrémité du Au début du 13e siècle, Yâqût 18 compte six étapes entre
pays des oasis mais où les voyageurs n’arrivent que par l’extrémité de la dernière des oasis et la Nubie. Au-delà,
hasard. En 1029, un chef d’une des tribus de l’endroit il sait, mais sans en préciser la direction, que se trouvent
se mit en tête d’y parvenir, il ne trouva en définitive que le Fezzân, le Kawâr et le pays des Noirs.
les ruines d’un mur en briques de cuivre. Il s’agissait
de l’oasis de Koufra. Il faut en fait attendre la fin du 13e siècle pour que les
choses changent. On assiste alors à la conquête et à
Au 12e siècle, al-Idrîsî 15 en reprenant le texte d’Ibn l’arabisation de la Nubie 19 suivies d’une extension des
Hawqal écrit à propos de l’oasis de Khâridja: «Le terri- populations arabes vers le Tchad. Cette arabisation fut un
toire de l’oasis de Khâridja est, de nos jours, un désert; on phénomène lent. Il débute dès le 10e siècle avec l’installa-
n’y trouve personne qui y vive ou qui y cultive. L’eau y tion entre l’Égypte et le Soudan des Rabi‘a, dont une bran-
existe pourtant. C’était même autrefois une région habitée, che donne naissance aux Banû l-Kanz. Il s’accélère au
étendue, avec des palmiers et des cultures. Dans le temps 14e siècle, lorsque la Haute Égypte, la Nubie et même
passé, c’était un lieu de passage: de là (on se rendait) à la le Darfour connaissent un intense mouvement de tribus
ville de Ghâna par des routes fréquentées et des points arabes avec pour conséquence une arabisation 20 du nord
d’eau repérés. Mais tout cela est abandonné et a disparu». de l’actuel Soudan. Le détail nous en échappe par
l’absence de documents car, lorsque les sources cessent
Toujours au 12e siècle, un auteur andalou, al-Zuhrî, dans d’être muettes, les tribus arabes – Djudhâm, Djuhayna –
une œuvre fourmillant de détails descriptifs mais touchant sont en Nubie et au Darfour. Ce phénomène est accompa-
souvent au merveilleux, nous laisse entrevoir que les gné d’agitations arabes bédouines en Haute Égypte qui
relations commerciales entre l’Égypte et l’Afrique noire obligent les Mamelouks à intervenir de manière sévère, et
commençaient à renaître. Malheureusement, on reste au cours de ces opérations de «police», on remarque 21 que
incertain quant aux routes empruntées. Était-ce le Darb les autorités prennent garde de surveiller les débouchés
al-arba‘în ou la route du Fezzan ? Un indice plaide pour le égyptiens du Darb al-arba‘în. Cette route devient une
Darb al-arba‘în: quand il parle de la ville d’Assouan, al- voie d’évacuation possible pour les autorités du Caire des
Zuhrî indique bien que c’est de là que partent les commer- tribus arabes trop agitées. Loin au sud, elles pourraient
çants vers l’Abyssinie et le pays de Djinâwa 16. Ce topo- trouver un terrain «vierge» plus propice à leurs dépréda-
nyme – inconnu jusqu’alors – désigne chez notre auteur tions. Un incident révélateur a ainsi été relevé par
de manière relativement imprécise une partie de l’Afrique Guillaume Garcin: le roi du Bornou écrit au sultan mame-
de l’ouest peuplée de Noirs. Quoi qu’il en soit, la route ici louk Barqûq en 1391-1392 pour se plaindre que des Ara-
évoquée ne peut être qu’une branche du Darb al-arba‘în bes Djudhâm ont fait des razzias dans son pays et enlevé
car l’on sait qu’on pouvait l’atteindre d’Assouan; en des gens comme esclaves. Le roi demande ainsi au sultan
revanche, il aurait été aberrant de donner ce point de de faire des recherches sur les marchés égyptiens afin
départ à un itinéraire censé passer par le Fezzan. Pour ce de retrouver certains de ses parents ! Cet épisode illustre
qui est de ce commerce, en parlant 17 de l’Abyssinie qu’il l’important trafic d’esclaves 22 qui prend alors naissance
faut comprendre ici comme recouvrant plutôt le Soudan et qui longtemps passera par cette voie. Dès 1320, Manfa-
actuel, al-Zuhrî précise que sa capitale, Kawkaw, est lout, sur le Nil, au débouché de la route, possède un mar-
atteinte par des caravanes provenant de l’Égypte, de ché d’esclaves.
Ouargla, mais par peu de caravanes du Maghreb, partant
de Sidjilmasa. Cette précision nous montre qu’il s’agit Enfin, les troubles et les dangers encourus par la traversée
bien de la ville de Gao, sur le Niger. D’ailleurs, plus loin, du désert de la Cyrénaïque 23 poussent les voyageurs à
l’auteur compte soixante jours de cette ville jusqu’en emprunter cette voie beaucoup plus méridionale, mais
Nubie. Les commerçants égyptiens ou maghrébins y plus sûre. Des indices plus pacifiques mais difficilement

248
datables prouvent que cette piste est suivie par des tribus: permet d’acheter au sultan du Caire des armes, des étoffes
ce sont les marques tribales 24 que l’on trouve gravées sur et des chevaux au double de leur prix. Cette générosité
certains rochers des oasis qui s’égrènent le long de cette amène aussi à sa cour force marchands égyptiens. Il
route et que l’on peut mettre en rapport avec d’autres ajoute : « Je me suis trouvé présent lorsqu’un homme de
marques retrouvées dans les oasis égyptiennes et mêmes Damiette a présenté à ce roi un très beau cheval, un sabre
libyennes. turc, une chemise de mailles, une escopette, quelques jolis
miroirs, des chapelets de corail et quelques couteaux, le
Ceci dit, le trafic commercial reste encore bien maigre car tout pouvant valoir au Caire cinquante ducats. Le roi lui
des auteurs égyptiens d’époque mamelouke tels qu’Ibn donna en retour cinq esclaves, cinq chameaux et cinq cents
Duqmâq (ca 1349 - fin 14e s.) ou al-Maqrîzî (1364-1442), ducats de la monnaie du pays, en plus, près de cent
si détaillés quant à l’Égypte ou l’Afrique, passent sous énormes défenses d’éléphant ». Si l’identification et la
silence cette piste caravanière. Et même, lorsqu’ils s’arrê- localisation du royaume de Gaoga sont loin d’être acquise
tent aux oasis 25, ils ignorent les routes qui peuvent les avec certitudes, un indice qui va dans le sens de l’inter-
mettre en contact avec le bilâd al-Sûdân « le pays des prétation de Kalck est le fait que Léon signale que les
Noirs». Au contraire, quand ils relatent l’arrivée de cara- habitants de Munia, c’est-à-dire el-Minia, s’enrichissent
vanes ou de pèlerins du Kanem, la route évoquée est celle du commerce avec le royaume de Gaoga. Or Minia se
passant par le Fezzân et la Cyrénaïque. Une exception est trouve bien au débouché du Darb al-arba‘în.
cependant à noter, c’est al-‘Umarî (1301-1349) qui écrit à
propos de l’empire du Mali 26 : « On parvient au pays de
Mali et de Ghâna, et à leurs dépendances, à partir du Sa‘îd Époque ottomane
occidental d’Égypte, par les Oasis, en franchissant une
région désertique habitée par des groupements d’Arabes, On peut déduire l’existence de cette voie de communica-
puis de Berbères, jusqu’à des régions cultivées d’où on tion entre l’Égypte et l’Afrique noire au milieu du 16e siè-
joint Mali et Ghâna.» cle par des contrats 30 conservés au Caire et qui stipulent
pour les années 1563-1569 l’importation de produits
Une découverte archéologique 27 confirme cette tendance: «depuis l’extrême Soudan, dans le pays des Fazara».
des fragments de céramiques chinoises ont été découverts
à Laqiya arba‘în, fragments remontant au début du 14e siè- À la fin du 16e siècle, le compilateur italien Anania 31
cle et semblables à ceux trouvés à ‘Aydhab ou Qusayr. mentionne aussi l’échange par les marchands égyptiens
Ces ports étaient alors les points d’arrivée du commerce d’armes contre de l’or chez le roi d’Uri, la capitale légen-
de l’océan Indien. De là, les biens et les personnes parve- daire de la dynastie septentrionale du Darfour. Il faut
naient à la Vallée du Nil, notamment à Qûs qui servait attendre le milieu du 17e siècle pour que cette route soit
de plaque tournante. La présence de cette céramique sur à nouveau mentionnée par Vansleb en 1663 32. Une nou-
le Darb al-arba‘în indique que cette route n’est pas uni- veauté notable est qu’en plus des caravanes venant du
quement une voie suivie par les tribus en migration mais Darfour et, plus à l’ouest, du Wadday, arrivent maintenant
qu’elle redevient bien une piste caravanière à part entière. des convois depuis l’empire des Fundj de Sennar.
Ce phénomène s’est lentement mais sûrement mis en place
car les sources 28 nous informent de l’arrivée de pèlerins Les renseignements sont plus nombreux et permettent
d’Afrique occidentale par le Darfour en Égypte en 1485 d’en détailler le parcours. La branche principale du Darb
et en 1557. al-arba‘în reliait ainsi l’oasis de Khâridja avec Kubayba
au Darfour, mais une route partant de Dongola la rejoi-
Au début du 15e siècle, quelques allusions de Léon l’Afri- gnait à Salîma tandis qu’une autre ramification la quittait
cain 29 à l’énigmatique royaume Gaoga ont permis à plus au sud, à al-Shâb pour rejoindre la Vallée du Nil à
Kalck d’émettre l’hypothèse de l’existence de cette route Aswân 33. À l’une des extrémités égyptiennes de la route,
et de son utilisation par Léon lui-même vers 1512-1514. Girga et Manfalût connaissent un certain développement
En effet, ce royaume se situerait au Darfour actuel et grâce au commerce drainé. Benoît de Maillet 34, consul
Léon l’Africain signale expressément que son souverain en Égypte de 1692 à 1708, écrit à propos du commerce de
vient d’étendre son pouvoir et que cet enrichissement lui la Nubie par cette route : « Aujourd’hui, on a trouvé un

249
chemin beaucoup plus court [que la Vallée du Nil], en Cette piste était parcourue par des caravanes qui étaient
faisant passer par les déserts de Nubie en Égypte, et réci- de véritables sociétés en mouvement et dont l’organisation
proquement d’Égypte en Nubie, les marchandises sur devait être bien réglée, sous peine d’anarchie et finalement
des chameaux. La caravane de Nubie vient deux fois par de mort dans ce milieu hostile qu’est le désert. À sa
an en Égypte et part de Gary, lieu situé sur la rive gauche tête, se trouvait le khâbir, litt. « expert ». C’était le chef
du Nil à trois ou quatre journées en deçà de Dongola. C’est de la caravane, c’était bien souvent un riche marchand
là que les marchands de Sannar, capitale du Fungi, ceux de désigné dans cette fonction par le sultan. Il agit comme
Gondar, capitale de l’Éthiopie, et plusieurs autres de divers son envoyé. Quand la caravane arrivait du Soudan, elle
endroits de l’Afrique, s’assemblent dans un certain temps était accueillie au sud de l’oasis de Khâridja par un repré-
qu’ils savent convenir à leur marche. À son départ de sentant du gouverneur de la Haute-Égypte, qui percevait
Gary, la caravane quittant les bords du Nil et s’enfonçant accessoirement les taxes. La rencontre prenait l’aspect
dans les déserts de la Libye, qu’elle traverse, arrive en d’une cérémonie officielle avec tirs de feux d’artifice,
treize journées de marche à une vallée d’environ trente alors que le khâbir et ses adjoints recevaient du café et
lieues d’étendue. Cette vallée, qui va presque du nord au des habits de cérémonie. Une fois les formalités remplies,
sud, est couverte de palmiers et très bien cultivée, parce des messagers partaient pour Assiout annoncer l’arrivée
qu’on y trouve de bonne eau en creusant seulement un prochaine de la caravane.
pied dans la terre (…). Après quelques jours de repos dans
cet agréable séjour, la caravane passe un jour entier entre Quels étaient les biens importés ? On peut se fier au
des montagnes escarpées, dans un chemin uni et fort étroit. témoignage de Benoît de Maillet 37, quand il dit en parlant
De là elle arrive à une gorge de montagne, par où traver- de cette caravane : « De divers endroits de l’Afrique, elle
sant cette chaîne dont j’ai parlé, qui règne le long du Nil apporte ici de la poudre d’or, des dents d’éléphants, de
du côté de la Libye, elle se rend à Manfelout (sic), ville l’ébène, du musc, de la civette, de l’ambre gris, des
de la Haute-Égypte, où les droits du prince se payent en plumes d’autruches, diverses gommes et une infinité
esclaves noirs et où la caravane rejoint le Nil pour la d’autres marchandises de prix. Mais son commerce le
première fois depuis son départ de Gary». plus considérable consiste en deux ou trois mille Noirs,
qu’elle amène vendre en Égypte, et dont l’un portant
L’importance de ce trafic provoque l’essor des villes égyp- l’autre, il n’y en a aucun qui ne vaille deux cents livres à
tiennes qui se trouvent à l’une des extrémités de la route, son maître».
car elles vivent principalement de ce commerce. Les doua-
nes et l’administration qui s’occupent de prélever les taxes La caravane ramenait ainsi principalement des esclaves.
y sont installées, les chameliers s’y rassemblent, les com- Girard qui rencontra à Assiout, en 1799, des marchands
merçants y résident, etc. Ainsi, au 18e siècle, Girga, Benî accompagnant la «caravane du Darfour» dit expressément
‘Adî, Manfalout et Assiout 35 en tirent un grand profit. à propos des esclaves noirs 38 : « Ce sont des enfants
Ce n’est pas un lieu mais bien une région qui en profite des deux sexes, dont les uns sont dérobés dans les villages
car le point d’aboutissement de la caravane a varié selon du royaume de Darfour par des gens qui font métier de
les circonstances et une fois disloquée, les marchands ces sortes d’enlèvements, et dont les autres appartiennent
et les biens pouvaient atteindre le Nil à plusieurs endroits aux prisonniers de guerre que l’on a réduits en esclavage».
différents. Benî ‘Adî 36 par exemple était une petite localité Par ailleurs, des documents de l’époque nous ont gardé
mais bien située dans les terres, entre Manfalout et des patronymes tels que al-Tâguwî, al-Tungurâwî et
Assiout. Cette dernière est cependant plus importante, al-Fûrî, noms d’origine (nisba) d’individus fabriqués en
car sa position et son environnement la poussent au fait sur les noms des royaumes se trouvant à l’extrémité
commerce et à être un terminus. Au bord du Nil, elle sud du Darb al-arba‘în. Si les personnes n’en étaient
possède une bonne agriculture et des ateliers qui produi- pas forcément originaires, c’est là qu’elles avaient été
sent des textiles et de la poterie. D’ailleurs, l’architecture capturées ou achetées. Girard estime de cinq à six mille
ottomane témoigne de sa grandeur passée. À souligner, le nombre d’esclaves rapportés à son époque « dont les
l’existence à l’extérieur de la ville de la « Zawîyat al- quatre cinquièmes sont des femmes. Elles ont depuis six
arba‘în», petit mausolée où tout voyageur qui partait pour à sept ans jusqu’à trente et quarante; le plus grand nombre
cette longue route pouvait demander la protection divine. est de dix à quinze ans».

250
À côté de la marchandise humaine, la caravane ramenait tout le Moyen Âge, cette voie est largement concurrencée
aussi des chameaux qui servaient d’abord comme animaux par d’autres routes plus faciles ou moins dangereuses. Vers
de port mais qui, une fois arrivés, étaient eux-mêmes la Nubie, c’est bien sûr la Vallée du Nil et vers le Darfour,
vendus. On comptait aussi des produits locaux comme de c’est la route parallèle qui passe par l’oasis de Koufra et le
la gomme arabique – prise sur des arbustes poussant au Fezzan. Le Darb al-arba‘în connaît d’ailleurs une réelle
Kordofan –, de l’ivoire bien sûr, des plumes d’autruches désaffection dans le courant du 10e siècle à cause des
ainsi quelques cornes de rhinocéros et de la poudre d’or. conditions naturelles au profit de cette route libyenne.
Aux dires de Girard, ces cornes de rhinocéros étaient Bien qu’il y ait des indices qui attestent que cet itinéraire
utilisées pour faire des poignées de sabre ou de poignard. n’est pas tout à fait oublié, c’est la voie du Fezzan qui est
« Les Turcs, et particulièrement les Mamluks, ont le prépondérante jusqu’à la fin du Moyen Âge. Mais après
préjugé qu’elle donne du courage à celui qui tient à la l’arabisation de la Nubie et du Darfour, d’une part, et l’ins-
main l’arme où elle est ainsi employée ». En moindre tabilité croissante des populations du désert libyque, d’au-
quantité, il faut aussi signaler de l’ébène, du tamarin tre part, le Darb al-arba‘în retrouve un regain d’intérêt au
indien, ainsi que du natron et de l’alun. Ces deux produits début de l’époque ottomane. Ce développement est ampli-
étaient d’ailleurs récoltés en cours de route dans les oasis fié par l’émergence du sultanat du Darfour et par l’appa-
de Bi’r Natrûn (litt. «Puits de natron») et d’al-Shâb (litt. rition du royaume des Fundj de Sennar, qui utilise aussi
« Alun ») 39. Quant aux biens qui étaient transportés vers cette voie de communication avec l’Égypte. Dès lors, cette
le Darfour, ils consistaient en tissus, dont l’Égypte a tou- voie draine à partir du 16e siècle, depuis l’Afrique, des
jours été grande productrice, en métaux et notamment du pèlerins, des matières premières et surtout des esclaves.
cuivre, en épices ou produits médicaux, en armes. Il y avait En retour, des produits manufacturés atteignent le Soudan.
aussi des bijoux semi-précieux, des miroirs et, choses plus Avec l’annexion du Soudan par Mohammed ‘Alî dans le
singulières, des perles vénitiennes de différentes couleurs, deuxième quart du 19e siècle, cette route perd de son
utilisées sur place pour confectionner des bracelets. importance. Elle n’est plus parcourue que par quelques
D’ailleurs, plusieurs de ces perles ont été retrouvées au nomades et des aventuriers.
Darfour 40. Un témoignage arabe un peu plus tardif, mais
qui concerne l’autre extrémité de cette route, confirme ces
exportations. Ainsi, le cheikh Muhammad ibn ‘Alî, qui est
à la cour du roi du Darfour vers 1825 rencontre deux voya- BIBLIOGRAPHIE
geurs en provenance d’Égypte 41 : « Ils avaient apporté
comme présent pour le roi du Darfour dix aunes de drap Routes caravanières entre l’Égypte et le «pays des Noirs».
cramoisi, des perles de verre, des pierres qui avaient été (T. WALZ, op. cit., p. 5).

colorées à l’imitation des pierres précieuses, des écuelles


de porcelaine, trois paires de sandales égyptiennes, des NOTES
cotonnades de fabrication indienne et d’autres objets».
1 R. A. LOBBAN, Historical dictionary of ancient and medieval Nubia,
Lanham and Oxford, 2003, pp. 128-129; P. H. HOLT, « Darb al-
*** arba‘în», in Encyclopédie de l’Islam, t. II, p. 140-141, Leiden, 1954.
2 J. CUOQ, Islamisation de la Nubie chrétienne, VIIe-XVIe siècles, Paris,

Sans doute à la suite d’une présence chrétienne, les musul- p. 11-16.


3 S. TIMM, Das christlich-koptische Ägypten in arabischer Zeit,
mans empruntent le Darb al-arba‘în après la conquête Wiesbaden, 1992, t. VI, p. 2960-2961.
de l’Égypte mais à une époque impossible à fixer. En 4 IBN HAUQAL (sic), Configuration de la terre (Kitab surat al-ard),

outre, à partir du moment où cette piste apparaît dans tr. J.H. KRAMERS et G. WIET, Paris, 1964, I, pp. 152-153.
5 J. THIRY, Le Sahara libyen dans l’Afrique du Nord médiévale,
nos sources, elle a pratiquement cessé d’être utilisée. On
Leuven, 1995, p. 402-404; J.-C. GARCIN, Un centre musulman de la
apprend néanmoins que cette route ne met pas seulement Haute-Égypte médiévale: Qûs, Le Caire, 1976, p. 5.
en relation la Vallée du Nil avec l’ouest du Soudan actuel, 6 IBN AL-FAQÎH AL-HAMADHÂNÎ, Abrégé du livre des pays, tr. H. MASSÉ,

mais c’est aussi un chaînon dans le réseau de pistes Damas, 1973, p. 84.
7 U. MONNERET DE VILLARD, Storia della Nubia cristiana, Roma,
qui traversent l’Afrique subsaharienne, mettant principa- 1938, p. 203-204; J. CUOQ, Recueil des sources arabes concernant
lement en rapport les royaumes d’Afrique de l’ouest avec l’Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle (Bilâd al-Sûdân), Paris,
ceux de l’Afrique de l’est et l’Égypte. Cependant, durant 1985, p. 54, note 4; T. LEWICKI, « À propos du nom de l’oasis de

251
Koufra chez les géographes arabes du XIe et XIIe siècle», in Journal 1740, II, p. 362-363.
of African History, 1965, p. 295-306. 35 T. WALZ, op. cit., p. 22 et svt.; O. V. VOLKOFF, «Siout au temps
8 IBN HAUQAL (sic), op. cit., I, p. 151 et p. 58. des caravanes», in J. VERCOUTTER (dir.), Hommages à Serge Saune-
9 D. A. WELSBY, The medieval kingdoms of Nubia, London, 2002, ron, II. Égypte post-pharaonique, Le Caire, 1979, p. 476-494.
p. 205, en s’appuyant sur Ibn Hawqal mais nous n’avons pu retrouver 36 S. SAUNERON, « Beny ‘Ady : l’arrivée des caravanes du Soudan »,

le passage exact. in Bulletin de Institut Français d’Archéologie Orientale du Caire,


10 J. THIRY, op. cit., p. 401. t. LXVI, 1968, p. 30-35.
11 D. A. WELSBY, op. cit., p. 86, avec référence à T. KRUMP, Hoher 37 J.-B. LE MASCRIER, op. cit., II, p. 339-340.

und Fruchtbarer Palm-Baum, Augsburg, 1710, p. 214; F. W. HINKEL, 38 M. P. S. GIRARD, « Mémoire sur l’agriculture, l’industrie et le

The archaeological map of the Sudan, II. The area of the south Libyan commerce de l’Égypte », in Description de l’Égypte, recueil des
desert, Berlin, 1979, p. 94-95. observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant
12 IBN HAUQAL, op. cit., I, p. 153-154. l’expédition de l’armée française, 2e édition Paris, 1824, t. XVII,
13 MAS‘ÛDÎ, Les prairies d’or, tr. C. BARBIER DE MEYNARD et p. 1-437, spc. pp. 278-291.
A. PAVET DE COURTEILLE, rev. et cor. par C. PELLAT, Paris, 1965, II, 39 Il est à remarquer qu’après la chute de l’État mahdiste, en 1898, plu-

p. 336-337. sieurs tribus bédouines des Oasis avaient à nouveau mis sur pied des
14 W. MAC GUCKIN DE SLANE, Description de l’Afrique septentrionale caravanes pour aller chercher le natron, et cela a duré au moins jusque
par el-Bekri, Alger, 1913, rééd. anast., Frankfurt am Main, 1993, p. 38. dans les années quatre-vingts du XXe siècle, J. KHOURY-WAGNER et
15 J. CUOQ, Recueil des sources, p. 161. C. DÉCOBERT, «Caravanes de natron sur le darb al-arba‘în», in Annales
16 M. HADJ-SADOK, Kitâb al-dja‘râfiyya, Mappemonde du calife al- islamologiques, t. XVII, 1981, p. 331-342.
Ma’mûn reproduite par Fazârî (IIIe / IXe s.) rééditée et commentée par 40 F. W. HINKEL, op. cit., p.148.

Zuhrî (VIe / XIIe s.), in Bulletin d’études orientales, t. XXI, 1968, p. 263. 41 MUHAMMD IBN ‘ALÎ IBN ZAYN AL-‘ÂBIDIN, Le livre du Soudan,
17 J. CUOQ, op. cit., p. 117-118. M. GRISSARD et J.-L. BACQUÉ-GRAMMONT, Paris, 1981, p. 9. L’ou-
18 YÂQÛT, Mu‘jam al-buldân, Beyrouth, 1990, s. al-Wâhât; J. CUOQ, vrage est toujours sujet à controverse car il est difficile de déterminer
op. cit., p. 187. s’il s’agit d’un récit authentique ou d’une forgerie mais la remarque de
19 R. MAUNY, Tableau géographique de l’ouest africain au Moyen Âge l’auteur montre que ces produits étaient parfaitement vraisemblables.
d’après les sources écrites, la tradition et l’archéologie, Dakar, 1961,
p. 436; J. THIRY, op. cit., p. 403-404.
20 J. CUOQ, Islamisation de la Nubie chrétienne, VIIe-XVIe siècles,

Paris, p. 84.
21 J.-C. GARCIN, op. cit., pp. 373-376, p. 380, p. 391.
22 R. S. O’FAHEY, «Slavery and the slave trade in Darfour», in Journal

of African History, t. XIV, 1973, p. 29-43.


23 J. THIRY, op. cit., p. 277-279.
24 F. W. HINKEL, op. cit., p. 95 et p. 111.
25 IBN DUQMÂQ, Description de l’Égypte, Le Caire, 1893-1896, rééd.

anast., Beyrouth, s.d., V, p. 11-14; AL-MAQRÎZÎ, El-mawâ’iz


wa’l-i‘tibâr fî dhikr el-khitat wa’l-âthâr, éd. G. WIET, Le Caire, 1924,
IV, p. 113-118.
26 J. CUOQ, Recueil des sources, p. 279-280.
27 F. W. HINKEL, op. cit., p. 103; J.-C. GARCIN, op. cit., p. 227-230,

sur le rôle de Qûs.


28 R. MAUNY, op. cit., p. 437.
29 J.-L. L’AFRICAIN, Description de l’Afrique, tr. A. ÉPAULARD, Paris,

1980, II, p. 481-483 et p. 531. Remarquons qu’Épaulard identifie cet


État avec le royaume boulala à l’est du Tchad; P. KALCK, «Pour une
localisation du Royaume de Gaoga », in Journal of African History,
t. XIII, 1972, pp. 529-548; R. S. O’FAHEY et J. L. SPAULDING,
« Comment : The Geographical Location of Gaoga », Idem, t. XIV,
1973, p. 505-508.
30 T. WALZ, Trade between Egypt and bilâd as-sûdân, 1700-1820,

Le Caire, 1978, p. 8.
31 D. LANGE, «L’intérieur de l’Afrique occidentale d’après Giovanni

Lorenze Anania (XVIe siècle)», in Cahiers d’histoire mondiale, t. XIV,


1972, p. 343-345.
32 H. E. G. PAULUS (éd.) Sammlung der Merkwürdigsten. Reisen in

den Orient, Jena, 4 vols, 1792-1798, III, p. 45-46, cité par R. S. O’FA-
HEY et J. L. SPAULDING, op. cit., p. 506, note 7.
33 T. WALZ, op. cit., p. 10-11.
34 J.-B. LE MASCRIER, Description de l’Égypte contenant plusieurs

remarques curieuses sur la géographie ancienne et moderne de ce païs


(…) composée sur les Mémoires de monsieur de Maillet (…), Paris,

252
Quelques voyageurs occidentaux
au Soudan oriental du 16e au 19e siècle
Claude IVERNÉ

Les voyageurs occidentaux au Soudan actuel et particu- Excepté la Vallée du Nil qui concentra l’attention, les
lièrement en Nubie furent légion. En témoignent les autres territoires du Soudan Oriental, le Sud, le Darfour, le
nombreuses plaies visibles sur les pierres des temples, les Kordofan et l’est Soudan attendirent de nouveaux enjeux
récits publiés et plus encore les noms de prêtres chrétiens, stratégiques et économiques et le vingtième siècle pour
commerçants, aventuriers, explorateurs couchés sur les susciter un intérêt occidental.
chroniques de voyages. Rares cependant furent ceux qui
se lancèrent à l’assaut de l’inconnu sans autre but que la Le courant et les cataractes constituaient de forts obstacles
découverte. Aventuriers en quête de fortune, militaires en à la remontée des fleuves par navigation. L’insécurité des
reconnaissance ou conquête, missionnaires, diplomates, berges soumises à des chefs locaux décourageait. Beau-
explorateurs et scientifiques en compétition, vinrent pour coup y préférèrent les pistes terrestres à travers le désert.
la plupart défendre des intérêts particuliers ou nationaux, Deux voies majeures y creusent un sillon depuis l’Égypte.
sous prétexte de repousser les limites de la connaissance.
Comme l’écrit Burckhardt, le voyageur n’existe aux yeux À l’est du Nil, la piste depuis Aswan, Korosko, rejoint
du monde que par la publication de ses récits. Peu d’entre des points divers le long de la vallée aussi bien Dongola
eux consignèrent, puis publièrent, pour certains la des- que Abou Hamad et Berber. Trémeaux, Bruce, Burckhardt
cription de leurs découvertes, pour d’autres les jours suivirent cette voie.
égrenés, et avec souvent force détails de leurs héroïques
aventures. Les voyageurs renseignaient souvent pour le La voie de l’ouest part parfois depuis Esna, mais surtout
compte des états ou princes financiers ou protecteurs des Asyut, terminus des gigantesques caravanes du Darfour,
expéditions scientifiques. Ainsi naturellement perçus et plus loin, du Wadaï ou Bornou. Ces sultanats et royau-
par les souverains et peuples dont ils enregistraient les mes indépendants, représentaient d’importants réservoirs
mœurs, codes et territoires. Les publications furent de peaux, d’ivoire et surtout d’esclaves. Les expéditions
parfois expurgées de menus détails d’importance non menées vers la Nubie par la rive ouest, joignaient momen-
désirés à la connaissance extérieure. tanément la piste du Darfour nommée ensuite Darb al
Arba’în, car pèlerins et marchands reliaient Asyut à Cobbé
Le Soudan oriental ou anglo-égyptien, pays des Noirs, en quarante jours de marche par cette voie. Il en fallait
ne représenta que tard un intérêt propre. Beaucoup y bien plus dans le sens inverse, lorsque des centaines
passèrent en chemin vers un but plus lointain et long- d’hommes, de femmes et d’enfants épuisés et assoiffés
temps ambitionné par les rois et empereurs. Les sources acheminaient leurs souffrances à pied vers leurs nouveaux
du Nil firent rêver les cours d’Europe plusieurs siècles maîtres. Après avoir suivi les oasis de Kharga, Boulak, Bei-
durant. La thèse de Bruce, qui les affirma en amont ris, Aïn Mourr, es Sheb, les voyageurs vers la Nubie quit-
du Nil Bleu ne fit qu’accroître l’intérêt à leur localisa- taient la piste du Darfour à l’oasis de Sélima. Ils laissaient
tion. Passage direct depuis la Méditerranée vers les la caravane poursuivre vers Laqya, Atrun ou Malha, et
sources du Nil Blanc, et l’Abyssinie, les contours de la Cobbé; et s’orientaient vers le Wadi el Gab, puis Dongola.
Nubie furent ébauchés par quelques précurseurs au 17e
mais réellement investie au milieu du 18e et surtout au Excepté Browne, et Tunsi, qui empruntèrent à quelques
19e siècle. années d’intervalle le même itinéraire, peu de témoignages

253
écrits de voyageurs sur le tracé de la Darb al Arba’în nous qu’à Asyut. À partir de Sélima, il arrive à Girgeh (Kharga)
sont parvenus. après quarante jours de voyage depuis la vallée. La faible
description du trajet de Reubéni sur la piste compte trois
Une troisième voie menait rapidement aux ports de Suakin à cinq jours de marche entre chaque puits, qui correspon-
et Massaoua par la mer Rouge, reliés de nouveau par cara- dent bien au trajet de la Darb al Arba’în. Reubéni monte
vane à Shendi, Gondar ou Sennar. ensuite à bord d’un bateau pour rallier l’Égypte où il ne se
considère arrivé qu’aux abords d’Asyut.
La plupart des voyageurs écrivains avaient accès à la
connaissance. Ils s’instruisaient de l’expérience de leurs Evliya Celebi, voyageur turc connu sous le nom de Evilya
prédécesseurs ainsi que des textes anciens. Leurs récits Effendi, fils du Derviche Mehmet Zilli à Istanbul, premier
évoquent presque tous Hérodote, Pline, Strabon, Ptolémée. orfèvre du palais du Sultan voyagea quarante-deux
L’exploration de terres inconnues fascine depuis toujours. ans durant, nourri des observations sur les particularités
Les publications successives des aventures ou découvertes et les modes de vie des sociétés et régions fréquentées.
des voyageurs au-delà des terres connues suscitèrent incré- Dans la préface de son œuvre intitulée « Seyahatname »
dulité et jalousie, autant qu’admiration et respect. (récits de voyage), Celebi raconte son vœu d’enfant
de voyager longtemps dans les pays étrangers et de les
Ce bref exposé porte à l’attention du lecteur un choix hété- observer. Après avoir servi lui-même le Sultan Murad IV,
roclite de voyageurs, célèbres et méconnus sur trois siècles il commença dès 1635 à l’âge de 24 ans à voyager et à
de routes et d’ambitions différentes. noter tout ce qu’il voyait et entendait. Son récit en Nubie
comporte parfois d’invraisemblables distances parcourues
L’intérêt du passage énigmatique de David Reubéni vers ou temps de trajets. Certaines coutumes et dates y sèment
1521-1523 en Nubie serait d’avoir été un précurseur, mais parfois le doute. En 1671-1672, outre d’avoir lentement
sans réelle description et aucune intention d’en donner, là remonté le cours du Nil, accueilli de garnison en garnison
n’était pas la démarche. La réalité même du voyage de par ses compatriotes turcs, E. Celebi accompagne d’août
David Reubéni pose problème à nombre d’historiens et à novembre 1671 une expédition ordonnée par le Roi
chercheurs tantôt défenseurs, tantôt détracteurs de la véra- Fung de Sennar contre la rébellion d’un chef tribal nommé
cité même de son passage à Sennar en Nubie et aupara- Hardokan dans les oasis à l’ouest du Nil. Comme s’inter-
vant, en Abyssinie. Les disparitions du volume X de la roge Udal, ces oasis aujourd’hui rassemblées sous l’appel-
seule traduction en allemand, et plus tard du manuscrit lation de Wadi el Gab, permettaient-elles d’abreuver
original en hébreu alimentent encore aujourd’hui la polé- une telle armée ? Charles Cuny qui énonça presque toutes
mique. Souvent énoncé comme un imposteur en quête ces oasis mentionna des points d’eau épars sous réserve
de pouvoir, accusé d’avoir inspiré sa fable de témoignages de creuser à un mètre, ce que je vérifiai sur ses traces
de ses prédécesseurs, voire de ses successeurs, le récit de en février 2006. La montagne de Firdanye pourrait
Reubéni se cantonne de façon unilatérale aux attentions correspondre à la colline au sud de l’oasis de Matassi dont
des hommes et peuples à son égard, sans retour de consi- la base en plusieurs niveaux plats se prêterait assez à une
dération. Quelle qu’en soit l’authenticité, le passage en position défensive. Il subsiste encore à Matassi les bases
Nubie de l’étrange aventurier qui se proclama messie du de constructions en glaise grise, et les traces de sa collecte
peuple Juif ne présente aucun caractère de découverte ni au sol. À de nombreux endroits de Wadi el Gab se trouvent
d’exploration, mais une voie de secours pour fuir un encore les restes de fortifications en pierres. Contrairement
contingent du roi Amara à ses trousses, et rallier Alexan- à Suweini et Laqya, les noms cités par Udal n’évoquent
drie vers Venise et le Pape Clément VII. Sur les conseils rien de nos jours aux habitants. Je photographiai moi-
de son hôte Osman, un vieil ismaélite, Reubéni reste même des fortifications de tailles variables au sein du
trois mois à el Habor (environs de Toshka) pour restaurer Wadi el Gab de conception similaire aux forts ottomans
ses dromadaires et préparer sa traversée du désert vers de Say et Khandak qui évoquent une présence militaire
l’Égypte. Le récit ne s’attarde pas sur le Nil encore moins ancienne dans la région.
sur les sites qui ponctuent son cours. Il relate cependant
l’oasis de Sélima que Reubéni rallia depuis le Nil, à fin L’interprétation d’Udal selon laquelle l’armée aurait fait
d’y rejoindre et suivre en caravane la piste de l’ouest jus- halte à Laqya el Gab est vraisemblable. La région recèle

254
encore aujourd’hui abondamment d’eaux souterraines ce pays fermé à son pays et servir ses ambitions. Les trois
exploitées au moyen de puits artésiens, notamment à hommes quittèrent Asyut le 2 octobre 1698. Ils voyagèrent
Laqya el Gab, proche du lac Feyle cité dans le récit. La via les oasis de l’Ouest, quittant la piste du Darfour à
version d’un itinéraire direct de Moshu à Sawani est tout Sélima pour toucher le Nil à Moshu le 26 octobre, puis
aussi vraisemblable. Le Wadi el Gab, qui s’étend sur une Dongola le 13 novembre. Après une pause, ils traversèrent
bande nord-sud à l’ouest du Nil pourvoit suffisamment le désert de Bayuda plein sud vers Khartoum puis remon-
d’eaux souterraines peu profondes pour satisfaire les tèrent le Nil Bleu jusqu’à Sennar. Après un séjour à la cour
besoins importants. De nombreux puits offrent encore du jeune roi Badi III, ils reprirent la route vers le Négus
aujourd’hui une eau claire sur la piste presque désaffectée juste avant que les voies de communication ne soient rom-
de la Libye. L’extrait du récit de Celebi évoqué par Udal pues par un état de guerre consécutif à l’exécution d’un
prend toute sa place dans la configuration géographique Éthiopien pour des raisons étranges. Brévedent mourut à
du Wadi el Gab. un jour de marche de Gondar. Après avoir soigné l’empe-
reur, Poncet resta onze mois en Éthiopie, puis retourna en
Cependant, les populations Zaghawa qui donnèrent un Égypte en mai 1700 via Axum puis la mer Rouge depuis
temps leur nom au Gebel Atrun (Gebel Zaghawa) se le port de Massawa. Il regagna Paris en 1701. Son succès
trouvent à plus de dix jours de marche forcée à dos de de premier Européen à introduire la cour et y représenter
dromadaires. Cela rend l’hypothèse d’une poursuite aussi Louis XIV lui valut de jalouses inimitiés, d’autant que le
loin des points d’eau du Wadi el Gab extraordinaire. Il contexte politique à l’égard de l’Éthiopie avait changé.
apparaît plus probable que les Gebel Fantoria et Firdaznye L’embarras des diplomates envenimé par les Franciscains
se trouvent à l’extrême ouest du Wadi el Gab, vers les alla jusqu’à nier le voyage même de Poncet à son retour
oasis de Matassi, Um Haggar, Murrat, Murbeiti. accompagné d’un envoyé lui-même jugé douteux.

Lors de la traversée de ce désert avec une caravane en Le prêtre franciscain Théodore Krump prit part à une
plein hiver 2001-2002, nous parcourûmes cinq cent kilo- expédition concurrente en 1700, à laquelle se lièrent deux
mètres en dix jours à raison de quatorze heures quotidien- Jésuites à la recherche du défunt frère de Brévedent. Le
nes de monte. En octobre, la température ne permet pas récit de Th. Krump relate bien la tension et défiance qui
de parcourir de telles distances sans abreuver les bêtes. régnait entre les deux ordres. Les Franciscains suspec-
taient Antoine Granier et Antonio Paoletti, de nationalité
Bien que Browne situe les attaques régulières des carava- française, très aidés du consul français au Caire de servir
nes, mais cette fois par les tribus Kababichs et Bedeyat, des intérêts politiques français vers l’Éthiopie. Mais les
sur une zone encore plus étendue, donc possiblement plus hommes de chaque ordre demeurèrent en termes amicaux.
lointaine de l’oasis de Malha jusqu’à Laghéa (Laqya Krump et ses compagnons prirent la piste à Asyut. Après
arba’în ou Laqya Umran), les chameliers que j’accompa- une feinte pour troubler des observateurs, ils suivirent la
gnais en 2001 craignaient les Zaghawa sur le territoire du piste du Darfour avec une caravane de Gellabs en direction
Darfour, puis les mêmes Kababichs. du sud. Ils atteignirent Sélima le 31 décembre 1700, aussi
épuisés que leurs rations de vivres. L’eau saumâtre et
En 1698, le consul de France en Égypte Benedict de malodorante du puits remplit les outres pour les six jours
Maillet se servit de l’opportunité offerte par Agha Ali, qui les séparaient de la vallée. Ils croisèrent une petite
envoyé de l’empereur Iassous 1er d’Abyssinie. Ce dernier caravane de sel. Krump décrivit la bâtisse de Sélima
réclamait un médecin à son chevet et celui de son fils, comme un cloître ancien habité en des temps reculés par
atteints d’une maladie craignant de dégénérer en lèpre. De des moines coptes. Krump emmena des ânes qui s’échap-
Maillet désigna le chirurgien Charles Jacques Poncet établi pèrent en quête de nourriture. Les Gellabs sacrifiaient des
au Caire pour lequel il manifestait faible estime, dans dromadaires pour manger, ce que répugnaient les reli-
l’espoir de lui adjoindre le frère jésuite Charles François gieux. La méharée souffrit du froid nocturne, de la faim
Xavier de Brévedent déguisé en serviteur sous le faux nom et de la soif.
de Joseph Duval. L’entreprise résidait à devancer les rivaux
franciscains à la cour d’Abyssinie et transmettre au souve- Un fort vent de sable les ralentit, obligea les missionnaires
rain des lettres du roi de France Louis XIV à fin d’ouvrir à stopper et se protéger au flanc des bêtes, puis à remuer

255
les montures sous peine d’ensablement général. L’effet et du village de Geesh autour des sources tant fantasmées.
produit par l’apparition fière et en ordre impeccable de la Il rentra au Caire par Sennar. Descendit le Nil Bleu qui
caravane accueillie à force tambours juste après l’épreuve, était pour lui le vrai Nil. Il laissa le Nil Blanc au confluent
impressionna autant Krump que les locaux. Les Gellabs des deux grands fleuves, puis la vallée jusqu’à Shendi. Il
parés d’habits propres montaient dignement leurs chevaux y séjourna, puis pénétra le désert peu après le confluent
ou des ânes pour l’arrivée, suivis de leurs serviteurs. Lais- de l’Atbara au Nil jusqu’à la deuxième cataracte.
sant la délégation, il revint de Sennar par le chemin
emprunté à l’aller. Lors de son voyage de retour Bruce avait déjà accompli
sa mission. La Nubie ne présentait aucun enjeu pour
La mouvance politique et l’intrigue franciscaine à la cour lui. Il ne s’y attarda pas, mais décrivit généreusement
de France modifièrent la donne. L’envoyé du Négus fut les territoires et sociétés traversés. Juste avant de quitter
réhabilité par le désir renaissant de relations avec l’Éthio- le Nil qu’il attestait Bleu, et prendre la piste du désert
pie. Jacques le Noir Du Roule, alors vice-consul au Caire vers l’Égypte, au sortir de Shendi, le 21 octobre 1772,
avait suivi et passivement participé aux intrigues sur l’ex- Bruce relata sur la montagne de Gibbaainy le premier
pédition Poncet. L’ambitieux de Maillet le poussa à diriger site de ruines rencontré depuis Axoum. Il nota le peu de
en 1704 la nouvelle délégation diplomatique au nom de risque d’erreur à affirmer qu’il s’agissait de Méroé, décri-
Louis XIV vers l’empereur d’Éthiopie accompagné de vit très furtivement les lieux et inscrivit leur position. Il
trois Franciscains, A. Lippi, L. Mace, Bayard, et deux mis- énuméra ensuite longuement les descriptions et écrits
sionnaires jésuites. La délégation suivit le même chemin antiques de l’île de Méroé. La relation de la traversée
que Poncet sur l’itinéraire, qui, jusqu’à Sélima, desservait du désert ne manque cependant pas de détails héroïques
autant la Haute Nubie, le Sennar, que les royaumes de Dar- autant que réalistes sur la méharée. La petite expédition
four, Wadaï et Bornou. Une lettre du roi Badi III leur ouvre très sommairement équipée comptait neuf membres,
la voie vers Sennar, qu’ils atteignent en mai 1705 pour y peu fortunés et le minimum de ressources. Bruce relata
être aussitôt assassinés. Aussitôt la nouvelle connue, le le quotidien bien que haut en couleurs de l’expédition
gouvernement français limoge tous les Nubiens à son ser- comme s’il s’agissait de son ordinaire. Il semble avoir
vice. Ces événements mettent un terme aux contacts diplo- traversé les anecdotes courantes aux récits de ce type,
matiques avec l’Europe pendant près d’un siècle. Beau- comme le simple affranchissement de journées successi-
coup de persévérants missionnaires y laissèrent la vie. ves. Il but l’eau bleuâtre mais inodore et sans goût de
l’estomac de deux dromadaires sacrifiés à leur survie;
James Bruce qui y séjourna de 1768 à 1772, sous la abandonna las et affamé à proximité du but ses instru-
protection du puissant seigneur du Tigré, permit une lec- ments et notes au milieu des carcasses de dromadaires,
ture des rivalités et des luttes sanglantes qui ruinaient le pour les faire chercher plus tard. Bruce décrivit les tribus
pays durant cette époque. Décrit par ses contemporains locales et particulièrement la tribu Bishari, comme elles
comme un homme de belle et impressionnante allure et de subsistent encore aujourd’hui. Après avoir vaincu le
personnalité d’envergure, l’explorateur écossais se lança, Simoun, le danger et le froid, la petite caravane exténuée
à trente neuf ans, à la conquête des sources du Nil, qu’il atteignit à grands cris de joie la seconde cataracte le
prétendit en amont du Nil Bleu. Bruce était accompagné 29 décembre 1772. Son récit des aventures du « chevalier
de son dessinateur, l’italien Belaguni qui ne paraît dans Bruce » le glorifia de la découverte des sources du Nil,
le récit qu’à sa mort. Très au fait de l’affront porté par les suprême ambition rêvée des puissants, tout en corrigeant
français à l’ambassadeur de Iassus aux côtés de Poncet, et les écrits d’un de ses prédécesseurs, le Père Jérôme Lobo.
lavé par son successeur et régicide Tecla Hainamout par L’aspect merveilleux amplifié de quelques anecdotes,
l’assassinat de l’expédition du Roule, Bruce l’écossais comme celle de la Soulada, selon laquelle des soldats
se garantit tous les soutiens avant de fouler le sol chrétien taillèrent deux morceaux de viande dans une vache,
du royaume au port de Massaoua. Il s’intégra merveilleu- pansèrent la plaie de boue avant de poursuivre avec
sement à la cour du roi, qu’il séduisit définitivement grâce elle leur marche, ajoutèrent au scepticisme et à l’antipathie
à une démonstration de monte équestre et surtout de qui accueillirent sa publication, considérée plus comme
tir magistral de chandelle au fusil. À sa requête, le roi roman que document. Le temps et d’autres témoignages
fit don au Chevalier Bruce, rebaptisé Yagoubé, des terres ultérieurs réhabilitèrent son grand mérite.

256
Contrairement à ses pairs, et compte tenu du contexte poli- utile aux travaux du cuir du Darfour et à la préparation des
tique difficile, William Georges Browne décida en 1793 teintures nubiennes.
d’accéder à Sennar et Gondar par le Darfour. Le sultanat
indépendant de cette contrée répandait la réputation de Après une pause d’un jour à Sélima, où Browne cite
bienveillance à l’égard des étrangers, et chrétiens. Il pensa Poncet qui prit un siècle auparavant un cap sud-est vers
opportun de documenter cette région inconnue avant de le Nil, le khabir (guide et chef de la caravane) après
pousser à l’est à son tour vers les sources du Nil où s’aven- hésitation emmena la caravane au sud-ouest cinq jours
turaient parfois les esclavagistes des Fouriens aux dires vers l’oasis de Laqya qui prit plus tard le nom de Laqya
des connaissances de l’époque. arba’în. Quatre autres jours les menèrent au cratère de
Malha (ce temps me semble bien court). À peine arrivé au
Bien que ses objectifs premiers d’explorer la géographie du début de saison humide au terme de la piste à Cobbé,
Nil Blanc échouèrent, Browne reste à ce jour le premier ancienne capitale restée point de commerce avec l’Égypte,
voyageur occidental connu à avoir jalonné de façon indélé- il succomba à une intrigue, pointé comme un espion franc.
bile le tracé total de la Darb al Arba’în alors nommée piste Browne ne déploya ni l’adresse de Bruce à séduire, ni
de Darfour, pour des générations de voyageurs après lui. les lettres de soutien des monarques étrangers. Son carac-
tère intègre mais supérieur semble au contraire avoir
Son récit dressa un portrait vivant des caravanes transsa- appauvri sa situation. Il refusa de surcroît toute assimila-
hariennes, de la façon de les conduire, de leurs rythmes, tion à un mahométan et soumission aux taxes et obliga-
leur hiérarchie, dont j’ai pu revivre l’exactitude deux tions en cours. Burckhardt en tira plus tard enseignement
siècles après lui sur l’itinéraire contemporain des convois. de la façon d’investir une société sans éveiller les soup-
Ses représentations sensibles révèlent admirablement çons. Sans audience du Sultan, ni autorisation de quitter le
le paysage régional et comblent encore autant qu’à leur territoire, il occupa les trois ans d’assignation à résidence
époque le vide de représentation de cette région. Browne à documenter le pays; faune, flore, mœurs, richesses du
attesta humblement mais assurément de son expérience, sol et sous sol, cultures, élevage, les relations politiques et
en opposition aux descriptions supposées du Dar-Four, économiques entretenues dans le royaume et avec ses voi-
issues de transcriptions successives. Il se rendit au pays sins proches et lointains, les Ghazoua et Salatyeh (razzias
des Four au sein d’une caravane de près de cinq cents et expéditions officielles de captures de biens et particuliè-
dromadaires. Le récit de Browne diffuse de façon éparse rement d’esclaves au sud). Il dessina le plan de la rési-
sa connaissance de ses prédécesseurs. Notamment Norden dence du Sultan, des cartes de son itinéraire et du Darfour.
stoppé en chemin, Poncet et Bruce dont les histoires Enfin relâché par le Sultan, il joignit de nouveau la cara-
merveilleuses arrivent en écho jusqu’à Fasher. Il y restitue vane des Gellabs, cette fois pour rentrer sans encombre ni
ses observations, teintées du goût amer des sentiments description en Égypte.
qu’il accuse.
Johann Ludwig Burckhardt reste le plus attachant et le
Le Territoire des Four ne fut annexé au Soudan qu’en plus riche des voyageurs au Soudan. Il voyagea à hauteur
1916 par le régime de protectorat anglo-égyptien après d’homme, dissout dans les sociétés qu’il investit. Jeune
l’assassinat d’Ali Dinar, son dernier Sultan au pouvoir. homme instruit, il fut engagé en 1808 par la Société
À l’époque de Browne ce sultanat représente une puis- Africaine de Londres pour visiter l’intérieur de l’Afrique.
sance africaine importante au même titre que ses voisins Son habileté et la totale maîtrise des langues arabes et
les royaumes de Wadaï et Bornou. turque ainsi que de la religion des Musulmans lui permit
de voyager sous le nom de Ibrahim ibn Adbullah. Il fit
Contrairement à la plupart des voyageurs qui privilégiaient jaillir de l’oubli le site de Pétra en Jordanie, que dessina
l’hiver, Browne quitta Asyut le 25 mai 1793, à la période quelques années plus tard Linant de Bellefonds. En 1813,
la plus chaude. Inversement à son témoignage, les mar- il partit sous l’identité du marchand arabe et musulman
chands soudanais évitent encore aujourd’hui d’envoyer des Cheikh Ibrahim pénétrer la Nubie et y porter un regard de
caravanes vers l’Égypte à cette saison, assurés d’y perdre l’intérieur. Ses descriptions de la Vallée du Nil et de ses
des bêtes. Il suivit l’itinéraire habituel des Gellabs. Khar- habitants regorgent de détails, révèlent un goût certain
gha, Beiris Es Sheb qu’il affirma riche en alun, ingrédient de l’observation. Il fit halte à Derr, Ibrim, Wadi Halfa et

257
poussa jusqu’à Say. Au retour vers Esna, il décida de lon- Il navigua ensuite de nouveau contre le fleuve. Il découvrit
ger les rives du Nil, mais ne parvint pas à traverser le l’antique cité de Napata, en décrivit les étroites pyramides,
fleuve assez tôt. Il regretta de ne pouvoir visiter Soleb qu’il dominées par le Gebel Barkal. Après avoir rejoint Ibrahim
décrivit sommairement depuis la rive est. Plus chanceux Pasha au sud de Sennar, il redescendit le cours du Nil vers
au nord, il découvrit le temple d’Abou Simbel. Shendi. Il revendiqua précéder Cailliaud à Moussawarat
et Naga. Les routes des deux hommes tantôt se croisèrent,
Dans un second voyage, parti de Daraw pour rallier tantôt se confondirent.
Sennar, il parcourut en vingt-deux jours la même route
que Bruce par le désert de Bayuda en sens contraire. En 1826, l’African Society le missionna pour remonter le
Adapté très vite aux codes environnants, il n’éprouva pas cours du Nil Blanc. Il mit à profit huit mois de navigation
les gênes et souffrances de ces prédécesseurs, qu’il consi- pour parfaire sa connaissance du pays. Après avoir
déra exagérées. Il rendit plus volontiers hommage au renoncé à pénétrer plus loin les terres des Shillouks au
courage des quelques pèlerins croisés en route, rentrés 11e degré de latitude nord, il entreprit une reconnaissance
de Suakin par Shendi vers le Darfour. Le 18 mars 1814 difficile entre le Nil et l’Atbara. Alors qu’il était ministre
alors qu’il emmenait son dromadaire à l’écart de l’avidité des travaux publics choisi par Mehemet Ali, ses deux fils
d’Arabes Djaalins, il remarqua les restes d’une ancienne moururent sous les ordres de Gordon Pasha à quelques
cité proche de la rivière, à El Hassa. À Shendi, où il étudia jours d’intervalles de juin 1874, l’un de maladie, l’autre
très précisément le commerce d’esclaves, il reçut un assassiné lors d’une attaque nocturne du campement.
écho du séjour de Browne au Darfour et de la suspicion
d’espionnage qu’avait engendrée selon lui son assiduité En 1816, le naturaliste Frédéric Cailliaud fut nommé
d’enregistrements. Il explora une partie de l’Atbara, puis minéralogiste de Mehemet Ali et, à ce titre, chargé de redé-
traversa le désert vers l’est, y fréquenta les tribus Bishari couvrir les anciennes mines d’émeraudes des pharaons à
et Adendowa en route vers Suakin. Zabarah près de la mer Rouge. Il livra le 3 mai de cette
année un témoignage saisissant de l’arrivée d’une cara-
Il voyagea en simple homme, seul pour mieux passer pour vane du Darfour à Asyut.
pauvre. Il ne réserva une lettre de recommandation du
gouverneur d’Esna écrite en turc et un firman scellé de Il suivit ensuite en 1819 les troupes du Pasha au même
Mehemet Ali Pasha vice-roi d’Égypte qu’aux extrêmes titre que quelques autres scientifiques européens. Une
situations. Ses jours en furent épargnés au moment d’em- caravane de huit personnes, l’aspirant de marine Pierre
barquer de Suakin vers Jeddah. Burckhardt se disposait à Constant Letorzec, cinq domestiques, son guide et lui-
partir pour le Fezzan, quand il mourut au Caire en 1817. même, remontèrent le Nil jusqu’à Sennar sous la protec-
tion de l’armée. Il pénétra ainsi les territoires réputés
Mehemet Ali se lançait militairement à la conquête du les plus dangereux notamment Chaykyé (Cheïguir) en
Soudan, contrée réputée riche en minerais et en ivoire et sécurité à la recherche de monuments anciens jusqu’à
surtout en esclaves, susceptibles d’être enrôlés dans l’ar- la sixième cataracte. Nous devons, à la compétition
mée. Lors d’une première expédition, l’armée progressa qu’il partagea avec Linant de Bellefonds, les premières
le long du Nil, entraînée par les deux fils du pasha, Ibrahim descriptions des sites archéologiques de Nubie et autant
et Ismaïl. De nombreux Européens l’accompagnaient. de magnifiques planches des paysages, portraits et monu-
ments découverts. Lors de ce voyage, Cailliaud visita
Louis Linant de Bellefonds véritable ouvrier du projet l’oasis de Sélima sur un malentendu avec Linant de
du canal de Suez consacra la majeure partie de sa vie à Bellefonds, il raconta son mécontentement d’avoir par-
l’Égypte, où il vécut là où d’autres séjournèrent, et à la couru, peu près en pure perte, soixante lieues dans un
Nubie. Après avoir participé à des missions d’exploration désert aride, par des chaleurs assez constantes de 35 à
en Égypte, il mena une mission géographique et archéolo- 45 degrés. Il décrivit très scrupuleusement l’oasis de
gique indépendante mais parallèle à l’armée du Pasha à Sélima. Cailliaud saigna la pierre de Moussawarat pour
l’initiative de William Bankes. Il conduisit l’expédition affirmer la primeur de sa découverte. À Méroé, où il res-
au-delà de Sennar sans escorte, remonta le Nil jusqu’à tera deux semaines, il grava le nom du célèbre géographe
Aswan, puis en caravane jusqu’à Wadi Halfa et Dongola. d’Anville, dont les cartes dessinées selon les récits

258
l’avaient guidé, au sommet de la plus haute pyramide. Il Napata, atteignit Old Dongola, descendit le fleuve, décrivit
remonta le Nil Bleu avec l’armée, rejointe par le souverain Soleb, accusa les cataractes jusqu’à Dal ou les mariniers
sur une barque donnée par celui-ci. Le Nil Bleu lui et le reïs le convainquirent de se mettre en caravane et
redonna l’occasion d’appliquer ses talents de naturaliste. de ne reprendre la navigation qu’après Wadi Halfa. Sa
Il consacra cette partie du voyage à l’enregistrement de la publication place la région au sud d’Abu Hamad dans la
faune et flore. Le Pasha après avoir plié le roi de Sennar, deuxième partie intitulée Éthiopie. Sur les traces de ses
invita les Européens à se joindre au voyage vers le Fazokl prédécesseurs, Trémaux décrivit Méroé, Naga, Moussa-
pour l’aider à y trouver l’or. Cailliaud profita des prépara- warat, Sauba où il découvrit un mystérieux bélier. Même
tifs de l’expédition pour observer le Sennar. L’expédition si l’extrait du rapport de l’Académie des Inscriptions et
baigna dans le sang des insoumis. La moiteur de la saison Belles-Lettres au ministre de l’instruction publique pour
humide affaiblit l’armée. Las, insatisfait, et instable dans le projet de « publication du voyage de M. Trémaux »,
cette contrée, Ismaïl décida de rebrousser chemin et rentra indique la place privilégiée de ce dernier au sein de
au pas avec son armée, tandis que son père malade regagna l’institution française, ses thèses sur l’évolution freinèrent
Le Caire. Cailliaud et sa suite descendirent le Nil en l’expansion de son nom sur son territoire natal.
barque. Letorzec en route vers le Caire pour soigner sa fiè-
vre, Cailliaud se consacra encore à l’étude de Méroé, La Darb al Arba’în court toujours. Elle a résisté au
décrivit l’ancienne Napata où il travailla deux semaines. temps. Même si les réalités économiques et climatiques
ont dévié le pas lent des chameaux, vers d’autres pierres
Au retour en France, parvint la nouvelle de l’assassinat du martelées au galop; même si les chameaux ne transportent
protecteur de l’expédition, Ismaïl par le melik de Shendi, plus de nos jours d’autre denrée que leur propre chair
qui vengea ainsi le sang de son peuple versé à sa soumis- sur d’autres itinéraires; leur sillage préserve fragilement
sion au Pasha. Cailliaud admiré à Paris ne participa pas à les traits oubliés des premiers conquérants connus de
la nouvelle expédition du Pasha vers les sources du Nil, il l’Afrique. Le 20e siècle y a mené comme ce naissant
se félicita d’avoir initié Mehemet Ali à l’idée de ce type de 21e son lot de nouveaux visiteurs. La nature particulière
conquête, remercia le souverain des auspices exception- et souvent inhospitalière des contrées difficiles d’accès
nelles sous lesquelles il avait pu mieux que ses prédéces- confère encore aujourd’hui aux voyageurs au Soudan le
seurs aider à la connaissance de cette partie du monde. statut d’explorateurs, tant ce territoire sait se faire désirer
Son récit rend hommage à Burckhardt, sermonne Bruce et recèle de secrets à découvrir et déchiffrer.
de n’avoir avant lui prêté plus d’attention aux ruines sur le
chemin qu’il suivit au retour.

Une combinaison d’événements favorisa les voyages


de l’architecte français Pierre Trémaux de 1848 à 1850.
L’engouement de l’orientalisme en Europe accrut l’intérêt BIBLIOGRAPHIE
pour les monuments et les cultures égyptiennes et nord-
W. Y. ADAMS, Nubia : Corridor to Africa, Londres-Princeton, 1977.
africaines.
A. ADLER, Jewish Travellers from the 9th to 18th Century, Londres
1930.
Trémaux put jouir de cette circonstance et enregistrer A. J. ARKELL, A History of the Sudan. From the Earliest Times to 1821,
monuments, coutumes des sociétés de l’époque sur son 2e éd., Londres, 1961.
chemin. Il employait la photographie, naissant outil d’ex- W. G. BROWNE, Travels in Africa, Egypt and Syria from the Year 1792
périmentation de son temps, comme base de dessin. Ses to 1798, Londres, 1799.
images comptent parmi les pionnières du genre documen- J. BRUCE, Travels to discover the Sources of the Nile, 3e éd, Londres,
1813.
taire à l’instar de Maxime Du Camp plus poétique, qui ne
J. L. BURCKHARDT, Travels in Nubia, Londres, J. Murray, 1822.
dépassa pas la deuxième cataracte.
Fr. CAILLIAUD, E. JOMARD (Éd.), Voyage à l’Oasis de Thèbes et dans
les déserts situés à l’Orient et à l’Occident de la Thébaïde, fait pendant
Pierre Trémaux emprunta la piste de Korosko à l’est, puis les années 1815, 1816, 1817 et 1818, Paris, 1821.
longea à nouveau le Nil d’Abu Hamed jusqu’à Shendi. Il Fr. CAILLIAUD, E. JOMARD (Éd.), Voyage à Méroé et au fleuve blanc,
traversa alors le désert de Bayuda vers le nord ouest et 4 tomes et 1 atlas, Paris, 1823-1827.

259
Ch. CUNY, « Notice sur le Dar-Four, et sur les caravanes qui se rendent
de ce pays en Égypte et vice versa », in Bulletin de la Société de géo-
graphie, quatrième série, t. 8, Paris, 1854.
M. DEWACHTER, Graffiti des voyageurs du XIXe siècle relevés dans le
temple d’Amada en Basse-Nubie, in Bulletin de l’Institut français d’ar-
chéologie orientale, 69, 1969, p.131-169.
J. GROS, Nos explorateurs en Afrique, Paris, 1893.
R. HILL, A bibliography of the Anglo-Egyptian Sudan from the earliest
times to 1937, Londres, 1939.
R. HILL, A Biographical Dictionary of the Sudan, 2e éd., Londres 1967.
G. A. HOSKINS, Travels in Ethiopia, above the Second Cataract of the
Nile; exhibiting the state of that country, and its various inhabitants,
under the dominion of Mohammed Ali; and illustrating the antiquities,
arts, and history of the Ancient Kingdom of Meroe, Londres, 1835.
C. IVERNÉ, Darb al Arba’ïn Expeditions 2001-2006, www.elnour.net,
site consulté le 15 janvier 2007.
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années 1821 et 1822, in M. SHINNIE (Éd.), Sudan Antiquities Service,
Occasional Papers, 4, Khartoum, 1958.
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R. S. O’FAHEY, State and society in Dar Fur, New York, 1980.
H. ROY, La vie héroïque et romantique du Docteur Charles Cuny,
explorateur, Paris, 1930.
Tableau de la Nubie, d’après les voyages de M. Burchardt, publiés à
Londres en 1819, précédé de remarques sur l’histoire des découvertes
faites dans ce pays et sur son état ancien; par M. Malte-Brun, in Nou-
velles annales des voyages, de la géographie et de l’histoire ou Recueil
des relations originales inédites 1819, t. V, 1820.
P. TREMAUX, Le Soudan, Paris, 1870.
P. TREMAUX, Voyage en Éthiopie, au Soudan oriental et dans la Nigri-
tie, Paris, 1862.
Mohammed Ben Omar EL TUNSI, Voyage au Darfour, ou aiguisement
de l’esprit par le voyage au Soudan et parmi les Arabes du centre de
l’Afrique, trad. D. Perron, Paris, 1850.
Mohammed Ben Omar EL TUNSI, Voyage au Ouaday, Paris, 1850.
J. O. UDAL, The Nile in Darkness, Conquest and Exploration, 1504-
1862, Norwich, 1998.

260
Alexine Tinne,
une voyageuse intrépide et peu connue
Jeannine CALLEWAERT, Raymond BETZ

Le nom « Tinne » vous parle-t-il ? Si vous vous intéressez rebroussent chemin, et passent par Louxor. Le périple
au Nil, à l’Égypte, au Soudan, l’avez-vous déjà entendu continue en Terre Sainte; Jérusalem, Damas et Beyrouth,
ou lu quelque part ? Peut-être vous souvenez-vous d’avoir où elles resteront six mois et où Alexine étudiera l’Islam,
rencontré la lettre « T*** » au fil de la lecture du livre « Les les accueilleront. En décembre 1856, nous les retrouvons
aventures d’une Comtesse en Égypte » 1 ? Si vous effectuez au Caire où ces dames décident de préparer un deuxième
quelques recherches, vous découvrirez un personnage voyage sur le Nil. Avant de quitter la ville, Henriëtte, qui
hors du commun (fig. 1) qui vécut intensément mais trop consigne soigneusement ses impressions, les soucis et
brièvement. les découvertes dans son journal, écrit : « le beau rêve
d’Alexine est maintenant d’aller jusqu’à Khartoum ».
D’origine néerlandaise, Philip Tinne avait acquis sa for-
tune au Surinam (Amérique du Sud) dans le commerce Fig. 1. «Melle Tinne». Fr. ZURCHER, É. MARGOLLÉ, «Mademoiselle Tinne»,
in Le Tour du Monde : Nouveau Journal des Voyages, t. XXI-XXII, 1870-1871, p. 293.
du café et du sucre, puis avait vécu à Liverpool avec sa
première épouse, adoptant même la nationalité anglaise.
Veuf en 1827, il revient à La Haye et se remarie avec Hen-
riëtte van Cappelen, fille d’un célèbre vice-amiral.

En 1835, naît Alexandrine (Alexine); son père est âgé


de 63 ans, sa mère de 37. Très riche, proche de la maison
d’Orange, la famille dispense à Alexine une éducation soi-
gnée qui se poursuivra malgré le décès de son père en
1844. Dès sa prime jeunesse, elle fréquente assidûment la
Bibliothèque royale de La Haye, qui jouxte sa maison, et
où elle se sent comme chez elle. La jeune fille étudie les
langues (elle parlera néerlandais, anglais, français, alle-
mand, espagnol, norvégien, arabe), le dessin, le piano, la
photographie; elle voyage en compagnie de sa mère dans
les pays nordiques, en Prusse, à Bruxelles, à Paris, etc.
Lors d’un circuit en Italie, elles arrivent en Vénétie, quand
une même idée extravagante jaillit : et si elles allaient en
Égypte ? (fig. 2).

En 1855, elles débarquent à Alexandrie, puis sont reçues


au Caire par le Vice-roi d’Égypte Saïd Pacha. Le même
esprit d’aventure et de curiosité les animant, elles louent
une dahabieh 2 et effectuent la traditionnelle remontée du
Nil jusqu’à Assouan où elles voient leur premier crocodile.
La première cataracte s’avérant trop difficile à passer, elles

261
Nil, à mi-chemin de Khartoum, où elles arriveront finale-
ment le 11 avril 1862; sept semaines auront été nécessaires
pour relier Korosko à Khartoum. L’objectif était de décou-
vrir un pays peu connu dont certains voyageurs parlaient
au Caire.

Au cours du mois pendant lequel elles vivent à Khartoum,


elles rencontrent le Moudir 3, Mohammed Effendi, le
consul français M. Thibaut, Madame et Mademoiselle
Barthélémy, l’épouse soudanaise et la fille d’un marchand
belge. Les conversations leur permettent de récolter les
renseignements nécessaires à la poursuite de leur projet;
mais elles décident d’un changement : ce qui était prévu
au départ, c’est-à-dire remonter le Nil Bleu jusqu’en
Éthiopie, devient remonter le Nil Blanc en direction du
sud (fig. 5). Il s’agit d’une véritable expédition très
coûteuse et hasardeuse.

L’embarquement se fait le 11 mai 1862; elles ont loué le


seul bateau à vapeur disponible à Khartoum, une dahabieh
et un bateau à voiles; un cheval, des ânes, leurs cinq
chiens… et 86 bouches à nourrir tous les jours : pas simple
à gérer !

Le premier voyageur à remonter le Nil Blanc avait été en


1827 un ingénieur français : Linant de Bellefonds, qui avait
parcouru 220 kilomètres au départ de Khartoum. Lorsque
Alexine l’avait questionné, sa réponse avait été que ce
voyage n’était pas recommandé, ni pour sa mère, ni pour
Fig. 2. Carte de la Haute Nubie, ibidem, p. 291.
elle; mais Alexine balayait toujours ces conseils d’un
revers de la main.
À Assouan, elles changent de bateau, passent à Abou
Simbel et atteignent au début de 1857 Ouadi Halfa. À En 1839, Mohammed Ali, alors Vice-roi d’Égypte, était
cause de la deuxième cataracte et du manque de moyens arrivé à 150 km de Gondokoro. Toujours à la recherche de
de transport, elles renoncent à leur projet, terriblement métaux précieux, il avait lancé une deuxième expédition
déçues. L’itinéraire du retour les emmènera à Alexandrie, en 1840 et puis une troisième en 1841 qui avait atteint la
Beyrouth, Athènes, Vienne et, finalement, La Haye sera ville de Reja (Juba); les rapides stoppaient toute progres-
rejointe le 6 novembre 1857. sion au-delà. C’est dire que ces contrées n’attiraient pas
un tourisme de masse !
En juillet 1860, la décision d’un troisième voyage sur le
Nil est prise et cette fois, Adriana, surnommée Addy, une Les Tinne atteignent Djebel Dinka, comptoir commercial
sœur d’Henriëtte, les accompagnera. Un an plus tard, c’est célèbre pour le commerce des esclaves. Alexine s’y inté-
le grand départ qui verra Henriëtte (63 ans), Addy (49 ans) resse et se révolte devant leurs misérables conditions
et Alexine (26 ans), tenacement décidées à rejoindre Khar- d’existence. Dans une lettre du 18 juin 1862, elle écrit :
toum. Au Caire, elles louent une flottille de trois bateaux « J’ai vu pour la première fois comment on traitait les
et un équipage considérable. Elles naviguent jusqu’à nègres et je n’ai jamais été aussi choquée. J’avais déjà lu
Korosko, en Basse Nubie, et là, elles forment une caravane comme tout le monde des récits au sujet des caravanes
qui ira jusqu’à Abou Hamad, sur la boucle rentrante du d’esclaves mais je n’avais aucune idée des circonstances et

262
Fig. 3. «Melle Tinne dans son habitation du Caire», ibidem, p. 297. Fig. 4. «Le Soudanien Fourré», ibidem, p. 296.

de l’horreur de ce commerce ni de la façon cynique dont anglais et son épouse, John et Katie Petherick, les avaient
on les traitait ». Elle leur paie deux bœufs pour qu’ils puis- précédées de peu. Ils transportaient des provisions pour
sent manger et elle achète quelques esclaves qui s’échap- Speke et Grant, ces derniers toujours à la recherche des
peront peu après. Il lui sera même reproché plus tard sources du Nil. Enfin, Gondokoro !
d’avoir participé au commerce des esclaves ! À ce stade
du voyage, les vivres sont quasi épuisés et Henriëtte, char- Mais la fatigue et les fièvres ont raison de leurs forces.
gée de réapprovisionner le groupe, repart vers Khartoum. Malgré la quinine, Alexine délire pendant cinq jours, Addy
en a assez de l’Afrique; la décision est prise : on rentre
Pendant l’été 1862, la navigation se poursuit sur le Nil à Khartoum. Mais en repassant sur le lac No, alimenté par
Blanc. Et c’est la lente traversée du lac No, là où le fleuve le Bahr-al-Ghazal 4 (figs. 6-7) un nouveau projet avait
se répand en gigantesques marais, de plus de 200 km de trottiné dans la tête d’Alexine : explorer cet affluent.
long, qui forment la région du Sudd. L’observation de la
faune où se côtoient éléphants, hippopotames, crocodiles, Fin 1862, tout Khartoum parle de ces dames hollandaises
de la flore et les nombreuses notes qui en découlent les qui rencontrent moult personnalités; parmi celles-ci : le
occupent pleinement. 30 septembre 1862 : halte à la mis- Baron Theodor von Heughlin, ornithologue, et le Docteur
sion catholique autrichienne de la Sainte-Croix. Le consul Hermann Steudner, botaniste. Tous deux, savants réputés,

263
Fig. 6. «Le Bahr-el-Ghazal», ibidem, p. 298.

Fig. 7. «Le Bahr-el-Ghazal: les crocodiles», ibidem, p. 299.

264
décident de prendre part au nouveau projet aventureux Plantæ Tinneanæ, ouvrage qui fera autorité durant des
fomenté par Alexine. L’équipe est poussée par l’espoir décennies. Deux des livres de von Heughlin seront égale-
de voir jusqu’où s’étend à l’ouest le bassin du Nil, et s’il ment inspirés des expéditions. La collection ethnologique
y a réellement un large lac au centre de l’Afrique, comme comprenant plus de 300 objets sera déposée par John
l’affirment les rumeurs. Tinne 6 au musée de la ville de Liverpool 7 (fig. 8).

L’expédition s’ébranle le 5 janvier 1863; cette fois, Addy Revenue en Égypte, Alexine s’est installée au Caire, où sa
ne les accompagne pas. Restée à Khartoum, elle y rencon- famille de Liverpool l’a rejointe quelque temps. Elle res-
trera Speke et Grant au retour de leur exploration réussie. tera dans cette ville durant 18 mois, préférant la solitude
car elle est toujours hantée par les remords.
Juste avant le début de la saison des pluies, le comptoir
de Mashra Ar Riqq sur le Bahr-al-Ghazal est atteint. Par Après ce long temps de réflexion, elle loue le voilier
les montagnes, on poursuit vers l’ouest; il faut atteindre « Claymore » à Alexandrie et entreprend une croisière en
le pays Azande 5 habité par d’étranges noirs de culture Méditerranée; pendant les mois d’été 1865, elle visite la
curieuse et au sujet desquels circulaient beaucoup de Crète, la Grèce, l’Italie, la France, la Sardaigne et Malte.
rumeurs à Khartoum. Le voyage se révèle très compliqué; Et puis en décembre : Ischia, Gênes et enfin Toulon. Elle
la saison des pluies bat son plein, les moustiques innom- achète alors un yacht qui l’amènera à Alger, puis s’établit
brables les attaquent à tel point que les visages ne sont plus dans cette ville et revend son bateau car elle a décidé de
reconnaissables, les violentes tempêtes font s’envoler les suivre les traces d’Henri Duveyrier. Cet explorateur fran-
tentes et tous baignent dans une chaude humidité; les sol- çais (1840-1892) était parti de Philippeville 8 et avait
dats emmenés pour les protéger se mutinent à cause de rejoint Ghat dans le sud libyen.
l’insuffisance des provisions. Malgré une santé défaillante
et ces conditions précaires, Henriëtte, la mère d’Alexine, Fascinée par cette idée, Alexine monte une expédition et
continue de consigner dans son carnet de notes tout ce qui en octobre 1867, elle parcourt de nombreux kilomètres,
pourrait servir d’aide à de futurs voyageurs et Alexine per- rejoignant Ghardaia, Toggourt et Constantine, près de la
sévère, espérant atteindre l’objectif fixé. Mais à cause de côte algérienne (juillet 1868). Puis elle gagne Tripoli et,
ces terribles conditions, la jeune fille, les deux fidèles ser- pendant trois mois, prépare ce qui sera son dernier voyage :
vantes hollandaises, Flora et Anna, le docteur Steudner et traverser la Libye pour atteindre le Haut Nil en passant par
Henriëtte tombent successivement malades. Seule Alexine le lac Tchad et le Darfour. À cette époque, un tel voyage
se rétablit; trop affaiblis, les autres décèdent. était considéré comme quasiment impossible, particulière-
ment pour une jeune femme. Mais bien équipée, Alexine
Bouleversés, meurtris, Alexine et les survivants, accom- ne craint pas le désert. Malheureusement, une rencontre
pagnés des quatre cercueils, retournent à Khartoum qu’ils avec quelques Arabes et des Touaregs lui donnera tort. Au
atteindront le 29 mars 1864. Sept semaines après avoir cours de l’échauffourée qui s’engage le 2 août 1869, elle
accueilli Alexine, sa tante Addy s’éteint aussi. Les nou- perdra la vie d’une manière particulièrement cruelle et
velles de l’expédition et le décès des dames hollandaises barbare. Elle avait 34 ans…
furent publiés dans les journaux du monde entier. Alexine
se reproche d’avoir causé toutes ces morts; son obstination Bien que son époque lui eût rendu justice et l’ait reconnue
à réaliser des voyages aussi périlleux, même au nom de la comme une jeune personne remarquable, nous avons
curiosité scientifique, cela valait-il un tel prix ? oublié combien elle était hors du commun. Et pourtant sa
contribution scientifique n’a pas été négligeable. Évidem-
Les connaissances recueillies durant ce voyage furent très ment, ses collections ethnographiques, ses nombreuses
importantes pour les expéditions futures; grâce aux des- lettres fourmillant de détails précieux furent détruits
sins et aux notes, non seulement la flore, mais la géogra- durant la guerre 1940-45; même l’église construite à sa
phie, la vie des animaux, le climat... purent être étudiés. La mémoire à La Haye subit le même sort. Restent le journal
collection de graines et de plantes patiemment accumulées de sa mère et le courrier envoyé à la famille et aux amis
durant l’expédition du Bahr-al-Ghazal est envoyée à l’émi- que les Archives Royales néerlandaises préservent pré-
nent botaniste Theodor Kotschy de Vienne qui publiera cieusement; une plaque commémorative à Alger et son

265
nom sur un petit obélisque à la gloire des grands explora- Ce qu’elle, aidée de sa mère, a laissé à la postérité, vaut
teurs du Nil du 19e siècle, près de Juba au Soudan, subsis- plus que ces trop modestes traces !
tent néanmoins. But none rises higher in my estimation
Than the Dutch Lady, Miss Tinne, who,
Est-ce sa nature féminine qui l’a parfois rangée erroné- After the severest domestic afflictions
ment dans la catégorie « voyageuse aventureuse » plutôt Nobly persevered in the teeth of every
qu’exploratrice ? Il est vrai qu’elle détonnait furieusement Difficulty 9.
dans ce monde quasi masculin. David LIVINGSTONE

Fig. 8. «Le désert de Nubie», ibidem, p. 300.

266
NOTES N. W. POSTHUMUS, Freule Tinne, de Nederlandsche reizigster door
Afrika, Amsterdam, 1874.
1 M.-C. BRUWIER, Juliette DE ROBERSART, Les aventures d’une com- W. SUTHERLAND, Alexandrine Tinne, Amsterdam, 1937.
tesse en Égypte, décembre 1863-mars 1864, Bruxelles, 2005, p. 344- J. A. TINNE, « Geographical Notes on Expeditions in Central Africa by
345. Three Dutch Ladies », in Transactions of the Historical Society of Lan-
2 Dahabieh : barque du Nil servant au transport des voyageurs (=
cashire and Cheshire, Liverpool, 1864.
cange).
3 Moudir : gouverneur. W. WELLS, The Heroine of the White Nile, New York, 1871.
4 Rivière des Gazelles. W. WESTPHAL, Tochter des Sultans – Die Reisen der Alexandrine
5 Peuplade aussi connue sous le nom Niam-Nams. Tinne, Stuttgart, 2002.
6 Demi-frère d’Alexine.
7 Cette collection fut presque entièrement détruite durant la guerre

1940-1945; le catalogue Publications où Alexandrine Tinne joue un rôle


subsistant témoigne de la diversité et de la richesse des objets rappor- W. G. BLACKIE, Life of Livingstone, Londres, 1880.
tés. M. DJEBARI, Les survivants de la mission Flatters, Tunis, 1895.
8 Ville sur la côte, à l’est d’Alger.
M. DRONSART, Les Grandes Voyageuses, Paris, 1898.
9 Personne n’est aussi haut placée dans mon estime que cette dame

hollandaise, Mademoiselle Tinne, qui après les plus sévères chagrins Th. VON HEUGLIN, Reise in das Gebiet des Weissen Nil und seiner
familiaux a noblement persévéré au milieu de toutes les westlichen Zuflüsse in den Jahren 1862-1864, Leipzig, 1869.
difficultés. W. KIELICH, Vrouwen op ontdekkingsreis. Avonturiersters uit de
negentiende eeuw, Amsterdam, 1990.
C. G. Th. KOTSCHY, J. PEYRITSCH, Plantæ Tinneanæ, Vienne 1867
G. NACHTIGAL, Sahara und Sudan. Ergebnisse sechsjähriger Reisen
in Afrika, I, Berlin, 1879.
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Collection De Constant Rebecque, Archives générales du Royaume,
2e section, La Haye, Pays-Bas.
Travaux sur les régions où Alexandrine Tinne a voyagé
C. GÜLCHER, Notes on the Tinne Family. Archives de la famille Tinne.
H. BARTH, Reisen und Entdeckungen in Nord- und Zentral-Afrika in
Henriëtte TINNE, Journal de Henriëtte Tinne. Archives de la famille den Jahren 1849 bis 1855, I-V, Gotha 1857-58.
Tinne.
M. BRUN-ROLLET, Le Nil Blanc et le Soudan, Paris, 1855.
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267
Fig. 1. Notable dinka. Cliché Christian De Bruyne © Charles Henneghien.
Les peuples nilotiques

Gustaaf VERSWIJVER

Traditionnellement, les Nilotes occupaient les régions dional) occupent déjà une grande partie du nord de la Tan-
limitrophes du confluent du Nil Blanc et du Nil Bleu. zanie. La colonisation et le partage politique de l’Afrique
C’était une population relativement restreinte qui vivait qui s’ensuit ont finalement mis un frein à l’expansion des
presque exclusivement de l’agriculture. Il y a près de Nilotes.
mille ans, les Nilotes ont appris des peuplades orientales
voisines, les Couchites, à exploiter économiquement les Bien qu’ils soient surtout connus comme un peuple de
animaux domestiques. Cette innovation va révolutionner le bergers nomades, rares sont les Nilotes qui vivent exclu-
paysage géo-humain d’Afrique orientale. La souplesse sivement de l’élevage du bétail. L’agriculture joue un rôle
d’un système économique alliant l’agriculture et l’élevage central dans l’économie de la majorité des groupes nilo-
provoque une explosion démographique qui marque, tiques. Les groupes conduits par l’exode vers des terres
pour les Nilotes, le début d’un véritable exode. relativement fertiles cultivent les céréales, le sorgho, les
fèves, le sésame, les bananes, la calebasse, le coton, les
La population sans cesse croissante se dirige en vagues patates douces, etc. Les groupes établis dans les savanes
successives vers le sud, jusqu’à ce que les premiers arides mettent l’accent économique sur l’élevage. Dans
groupes atteignent les rives du lac Victoria. Dans cette la plupart des cas, les deux activités économiques se
région fertile et vallonnée, la marche des Nilotes est combinent. Cette flexibilité fait des Nilotes un peuple émi-
stoppée par les puissants royaumes bantous (Buganda, nemment résistant aux caprices de la nature.
Bunyoro…). Toujours sous la pression d’une population
croissante, les Nilotes se voient forcés de continuer Les bovins (fig. 2), ovins et caprins constituent l’essentiel
l’expansion vers le sud-ouest. La supériorité de leur adap- des troupeaux. Quelques ânes servent comme bêtes de
tation économique leur permet de dominer relativement somme lors des migrations et, depuis un siècle, certains
aisément les savanes, peuplées de chasseurs apparentés groupes importent des chameaux des régions du lac
aux Boshimans. Les Nilotes infiltrent aussi les territoires Turkana. Le degré de nomadisme est directement propor-
des « Couchites mégalithiques », moins bien organisés tionnel à l’abondance des récoltes : dans les régions où l’a-
politiquement et qui ne peuvent contrer la pression nilo- griculture est presque impossible, les groupes sont
tique. Certains groupes couchitiques sont chassés sans très mobiles et sans cesse à la recherche de pâturages et de
ménagements, d’autres sont en grande partie absorbés. Le points d’eau. Dans la plupart des cas, toutefois, des villa-
résultat est une population fortement métissée qui parle ges permanents sont construits, avec une population stable
un idiome nilotique mais dont la culture est fortement constituée de femmes, de vieux et d’enfants. Pendant ce
influencée par les peuples couchitiques. temps, les jeunes hommes partent parfois pendant des
mois à la tête des troupeaux, séparés des autres membres
Au cours de leur exode, les Nilotes se heurtent au sud du groupe par de longues distances. Les jeunes hommes,
du Kenya aux grandes populations bantoues. Ces dernières nomades, opèrent souvent comme guerriers du groupe. Ce
avaient chassé les groupes originels couchitiques, mais n’est que lorsqu’ils accèdent au statut de « guerrier accom-
doivent céder devant la supériorité militaire et politique pli » qu’ils peuvent se marier et abandonner leur mode de
des Nilotes. Lorsque les Blancs font leur entrée en scène, vie essentiellement nomade. La négociation autour du
il y a 200 ans, les Maasaï (le groupe nilotique le plus méri- nombre de têtes de bétail qui doivent être transférées à la

269
Fig. 2. Troupeau de bovidés
chez les Dinkas.
Cliché Christian De Bruyne
© Charles Henneghien.

famille de la mariée représente un élément important de téristique est l’organisation sociale basée sur les groupes
la cérémonie du mariage. Cette dot substantielle est le d’âges, combinée bien souvent à un système générationnel
principal mode de circulation du bétail au sein du groupe. complexe, qui permet aux plus âgés d’exercer le pouvoir
Les bêtes font l’objet de tous les soins. Un animal n’est politique sur les hommes plus jeunes. La plupart des
abattu que lorsque sa mort est rituellement ou économi- rituels (souvent exubérants) s’inscrivent dans le cadre
quement justifiée, ou jugée indispensable. Étant donné de ce système générationnel, de sorte que, au moment
l’importance accordée au bétail, le vol d’animaux est requis, une confirmation rituelle de la hiérarchie prend
généralisé. Il est souvent le fait de jeunes hommes qui place. L’organisation de la plupart des groupes nilotiques
commencent ainsi leur propre troupeau mais, aussi, aug- se limite au voisinage local; les groupes de villages pro-
mentent leur prestige au sein du groupe. Ceux qui réus- ches organisent ensemble leurs activités économiques et
sissent à voler du bétail aux peuples voisins sont récom- se concertent. Les Nilotes ne reconnaissent pas de vérita-
pensés pour leur bravoure et leur corps est orné de bles chefs. Les spécialistes en rituel, les faiseurs de pluie
scarifications (fig. 1) lorsque, au cours des affrontements, et les devins sont souvent les seuls personnages dont l’in-
ils ont tué un ennemi. fluence dépasse le niveau local. Un exemple typique sont
les « maîtres de lance » dinka qui fonctionnent comme
Les Nilotes, hommes et/ou femmes, se font traditionnelle- faiseurs de pluie, sacrificateurs ou juges de paix en cas
ment enlever deux incisives inférieures. Une autre carac- de litige.

270
Du chat Kordofan au « défilé » de Napata :
le regard des Européens du 19e siècle
sur le Soudan
Michel DEWACHTER

Pauvre Darfour ! La malédiction sur ces populations du Bournou ou du Khordofan. C’était un spectacle dont
ne cessera donc jamais ? À l’évidence tout était pourtant j’essayerais vainement de donner une idée 2».
à redouter de cette reprise d’une hémorragie pratiquée
là, et déjà à si grande échelle au 19e siècle, par l’esclava- Indifférence, insensibilité ou difficulté du Déchiffreur,
giste et maître du Bahr al-Ghazal, al Zubair Pacha de l’homme de cabinet, à percevoir l’altérité ? Probable-
(1830-1913). Comment oublier aussi ces Darfouriens ment un peu tout cela à la fois – un comportement que,
vendus pendant si longtemps au Caire, à l’okel des Djel- par exemple, nota Nestor l’Hôte, l’un des dessinateurs de
labs, et dont notre armée, par exemple, incorpora ensuite l’expédition :
certains d’entre eux aux Mamelouks ? Songeons ainsi à « Mr. Champollion, hormis les hiéroglyphes et les
cet Adrien Baraka (Registre des Mamelouks, n° 266) qui sciences où il est extraordinaire, est du reste irréfléchi,
en décembre 1812, devait périr comme d’autres Africains enfant, ignorant les convenances et les égards 3… ».
lors de la retraite de Russie : il avait alors vingt-quatre
ans ! Rappelons aussi que d’autres Darfouriens, à partir Observons cependant que l’impasse de Champollion sur
de 1806, furent parqués à Marseille et inscrits aux Réfu- le Soudan, alors que le programme de Voyage littéraire
giés : Rizkallah (Registre, n° 191), Faraj Serra (Registre, en Égypte qu’il avait adressé à Charles X le 2 juillet 1827
n° 118; réinscrit n° 248), Ali (Registre, n° 185) et Abdal- incluait « Sohleb », est d’autant plus étonnante que, dès
ker (Registre, n° 206). Et pendant la Terreur blanche, les années grenobloises, il s’était intéressé aux Éthio-
combien d’entre eux ou de leurs compagnons originaires, piens 4, donnant même au « style secondaire » de l’art
eux, d’Abyssinie furent victimes des massacres de juin égyptien le nom d’ « Ægypto-Æthiopien 5 ». Et au retour
1815 à Marseille ou déportés au pénitencier de l’île d’Égypte, lors de sa leçon inaugurale du 10 mai 1831 au
Sainte-Marguerite 1 ? Collège de France, il proposait encore « L’Éthiopie : contrée
fameuse où nous reconnaîtrons peut-être le berceau de la
Une fois ces faits rappelés, la tiédeur d’un Champollion population égyptienne 6 », légère nuance à ce qu’il avait
étonne, lequel passa pourtant dix-sept mois en Égypte et écrit dans la Notice sommaire sur l’Histoire de l’Égypte,
ne put ignorer l’ampleur de ce trafic humain. Au Caire, remise à Méhémet Ali, le 29 novembre 1829 :
à Assiout, à Esneh, à Assouan, à Korosko et à Derr, la « Les premières tribus qui peuplèrent l’Égypte,
mission franco-toscane de Champollion et Rosellini ne c’est-à-dire la Vallée du Nil, entre la cataracte d’Osuan et
put ignorer djellabs et recruteurs de Méhémet Ali pour le la mer, venaient de l’Abyssinie ou du Sennâar. Mais il est
Nizam el-Djedid. Toutefois sur ces sujets, Champollion impossible de fixer l’époque de cette première migration
se dérobe et recourt volontiers à la pirouette. Voici à la excessivement antique. Les anciens Égyptiens apparte-
date du 17 janvier 1829 pour la halte de Derr, capitale de naient à une race d’hommes tout à fait semblables aux
la Nubie où le sébil était le point de ralliement des cara- Kennous ou Barabras, habitants actuels de la Nubie 7 ».
vanes du Sennaar, ce qu’il note dans son journal :
« J’aperçus, en passant, dans ma promenade Même idée, pour les Nubiens, portée dans le journal à
nocturne et à la lueur du feu qu’éclairait l’intérieur de ces Ouady-Halfa, le 30 décembre 1828 :
deux fours, plusieurs djellabs couchés pêle-mêle avec « … les Barabras, dont les formes sveltes, les
leurs esclaves noirs des deux sexes, qu’ils amenaient physionomies douces et ouvertes, le teint rouge-brun

271
tirant sur le noir, rappellent tout à fait l’ancienne race Abel de Pujol avait-il songé aux Troglodytes de Diodore ?
égyptienne 8 ». Certes, le sujet était directement emprunté aux Actes des
Apôtres (8, 26-39), dont le texte précise : « un eunuque
Abandonnée donc l’idée de la filiation copte, défendue par éthiopien, ministre et intendant des trésors de la reine
la Commission d’Égypte et affirmée notamment en 1822, Candace d’Éthiopie 14 », mais l’origine du baptisé, comme
par Chabrol de Volvic, dans son Essai sur les mœurs des sa mutilation particulière, auraient pu faire songer aux
habitants modernes de l’Égypte : Colobes de Diodore. Qu’on en juge :
« Il est incontestable qu’ils (les Qobtes) ont un « De même que les Égyptiens, les Troglodytes
caractère de physionomie propre aux habitants de l’Afri- sont circoncis, excepté ceux qui, par suite d’une opération
que; ce qui établit suffisamment leur qualité d’indigènes qu’on leur prodigue de bonne heure, sont appelés Colobes
en Égypte, et porte naturellement à leur supposer une ori- ou mutilés. Ces derniers sont relégués dans des vallées
gine commune avec l’ancienne nation 9 ». étroites, et, dès le bas âge, on leur retranche avec un rasoir
la totalité de la partie du corps qu’on ne fait que circoncire
En fait, l’hypothèse d’une origine éthiopienne n’était chez les autres 15 ».
pas une nouveauté et, par exemple, dans un ouvrage
qui connut un grand succès de 1794 à 1830, L’origine de Si le choix d’un eunuque se comprend pour veiller au
tous les cultes, Charles-François Dupuis attribuait aux harem d’un sultan, avouons que l’on voit mal la nécessité
peuples qui habitaient la Haute Égypte et l’Éthiopie, « il y de préciser la mutilation du ministre de la candace, surtout
a quinze mille ou seize mille ans », l’invention des signes dans un texte de cette nature.
du zodiaque 10 ! Sans invoquer ici les acridophages, cyna-
mynes, cynamolgues, éléphantomaques, struthophages et L’auteur de La tentation de Saint Antoine songea-t-il à
troglodytes de Diodore, notons cependant que c’est préci- l’émasculé du Salon de 1848, ou aux Colobes de Diodore,
sément en se réclamant de cet auteur que, toujours en quand, au Couvent des Martyrs près d’Esneh, il interrogea
1847, et postérieurement à l’expédition nubienne (1843- le 27 avril 1850 le prêtre abyssinien rencontré là ? Toujours
1844) de Lepsius, la fameuse collection L’Univers des est-il que, ce jour là, Flaubert nota dans son carnet, et
frères Firmin Didot rappelait encore aux lecteurs de son garda pour le Voyage en Égypte, rédigé à Croisset en
troisième tome de L’Afrique, que les Éthiopiens juin-juillet 1851 : « Nous causons ensemble d’Abyssinie –
« se vantaient d’avoir précédé les autres peuples la fureur de l’émasculation existe réellement telle qu’on
sur la terre, et la supériorité réelle ou relative de leur me l’avait dit 16 ». On ajoutera cette conversation aux maté-
civilisation, alors que la plupart des sociétés étaient riaux déjà réunis par Jeanne Bem, la savante exégète de
dans l’enfance, semblait justifier leur prétention 11 ». La Tentation, pour son chapitre intitulé : Le rêve des
hommes au couteau 17.
Aujourd’hui, l’information archéologique – brute ou scé-
narisée – assaillant chacun, à tout heure et en tout lieu, on
a peine à imaginer l’importance du décalage existant
Les cataractes
autrefois entre une découverte et sa diffusion : d’où ces
scories de la mémoire, entretenues d’ailleurs par la pénurie
Si l’expédition d’Égypte, à l’exception d’un Nectoux
d’images fiables. Le Soudan, longtemps impénétrable,
herborisant au voisinage de Débod, ne dépassa pas Philae,
condamne chaque acteur mêlé à sa redécouverte, avant
c’est la conquête du Soudan, en 1820-1822, par les armées
de témoigner à son tour à la critique radicale de toutes
de Méhémet Ali qui devait permettre aux voyageurs l’ou-
ses lectures. En ne le faisant pas, Aïda est devenue, à cause
verture régulière des régions situées en amont d’Assouan.
de Mariette, la plus célèbre des princesses éthiopiennes
Revenir des cataractes fut rapidement du dernier chic
et candace, toujours à l’Opéra, une fille de Cléopâtre 12 !
parisien. À tel point que, même trente ans plus tard et
pour l’architecte François-Chrétien Gau (1789-1853) au
L’Eunuque de la candace cimetière Montmartre, on choisit l’allusion à son explora-
tion nubienne de 1819 en gravant sur le tombeau : « Voya-
En présentant au Salon de 1848 un tableau intitulé Saint geur en Palestine et aux Cataractes du Nil / auteur des
Philippe baptisant l’eunuque de la reine d’Éthiopie 13, Antiquités de la Nubie » (fig. 1).

272
voisinage en étaient frappés de surdité. Aujourd’hui cette
cataracte est bien connue, et nous sommes à même,
d’après ce que nous avons observé sur les lieux, de réduire
ces descriptions aux moins exagérées, à leur véritables
proportions. L’aspect de ces cataractes, pour être moins
gigantesques, n’en est pas moins extraordinaire. (…) Ce
lieu présente un spectacle vraiment extraordinaire et devant
lequel on ne peut résister d’abord à un vif saisissement qui
fait place à l’admiration. (…) Un site déchiré par les acci-
dents les plus pittoresques, rembruni par des couleurs som-
Fig. 1. Inscription sur la tombe de François-Chrétien Gau. Cliché Michel Dewachter.
bres sous un ciel éclatant, en réveillant dans l’imagination
des idées de chaos et de bouleversement, retient le specta-
teur comme plongé dans une sorte d’extase 21 (…) ».
De même, et dès mai 1833, dans L’Écho de la Jeune
France, Balzac n’avait-il pas confié à Armand de Montri- Pour Jules Verne, déjà cité, Édouard Riou (1838-1900)
veau, l’un des personnages du récit qui deviendra La aura, lui, à imaginer la plus méridionale de ces cataractes,
Duchesse de Langeais, l’exploration de la Haute Égypte et que Samuel Fergusson et ses deux compagnons observent
des parties intérieures de l’Afrique 18 ? D’ailleurs, un projet à la lunette depuis la nacelle du Victoria :
de « voyage aux contrées situées entre la Haute-Nubie, le « Des rochers énormes embarrassaient çà et là le
Lac Tchad et les sources du Nil Blanc » – soit une bonne cours de cette mystérieuse rivière. L’eau écumait; il se
partie du programme que Jules Verne assignera encore faisait des rapides et des cataractes qui confirmaient le doc-
pour 1862 à son docteur Samuel Fergusson des Cinq teur dans ses prévisions. Des montagnes environnantes se
Semaines en Ballon (1863) – avait été soutenu très tôt par déversaient de nombreux torrents, écumants dans leur
la famille royale et la Société de Géographie de Paris; cette chute; l’œil les comptait par centaines. On voyait sourdre du
dernière lançant même en 1831 une souscription publique sol de minces filets d’eau éparpillés, se croisant, se confon-
pour subvenir aux frais de l’entreprise. Malheureusement dant, luttant de vitesse, et tous couraient à cette rivière nais-
pour la plupart, le voyage s’arrêta à la seconde cataracte : sante, qui se faisait fleuve après les avoir absorbés 22 ».
le 31 décembre 1828, par exemple, pour Salvatore Chéru-
bini, l’un des compagnons de Champollion et de Rosellini. Située au nord de leur lac Ukéréoué, donc le Victoria-
Si le temps et la place manquèrent alors au jeune Salvatore Nyanza, cette « cataracte » correspond très vraisemblable-
– il a alors trente et un ans – pour la lettre qu’il écrivit ment aux Chutes Ripon, nommées ainsi par Speke le
ce jour-là à son père, le compositeur Luigi Chérubini, et 28 juillet 1862 pour honorer le président de la Royal
que les Nouvelles Annales des Voyages publieront 19, il Geographical Society de Londres 23.
se rattrapera en 1847 dans sa contribution à L’Univers,
déjà citée. Voici comment l’Inspecteur des Beaux-Arts et Progressant dorénavant à grands pas, l’exploration du
membre de la Société Orientale, reprenant maintenant Nil Blanc rejetait du même coup dans l’ombre, des récits
notes et croquis 20, ravive ses souvenirs : ayant pu faire illusion un moment : ceux de l’ineffable
« Cataracte d’Ouady-Halfa, la plus considérable comte Pierre-Henri-Stanislas d’Escayrac de Lauture (1826-
de toutes, désignée comme la seconde en venant d’Égypte 1868), une connaissance de Flaubert 24 sont du nombre,
(…) D’après des récits accrédités dans l’antiquité, cet même si je me suis moi-même un moment laissé abuser
accident, qui interrompt le cours du Nil, a été en grande par les supposés résultats de la mission d’exploration
réputation jusque dans le siècle dernier. Rien n’était (1856-1857) que cet ami de Jomard avait su obtenir
comparable aux cataractes de l’Éthiopie parmi les plus du vice-roi Mohamed Saïd, sur la recommandation de
grandes chutes d’eau connues. L’imagination se représen- Ferdinand de Lesseps 25.
tait le spectacle imposant de cette masse d’eau d’un grand
fleuve, tombant d’une hauteur considérable et s’engouf- La carte du Nil Blanc et de ses affluents, dressée en 1870
frant dans des abîmes avec un fracas tel, qu’on l’entendait par John Manuel sur ordre du Khédive Ismaïl, et distribuée
à plusieurs lieues de distance, et que les habitants du plus tard aux sociétés et institutions géographiques

273
d’Europe et d’Amérique sur initiative du roi Fouad Ier 26, voyageur exceptionnel qu’était le Siennois Alessandro
permet d’avoir une idée des connaissances du Haut Nil, Ricci († 1834). Comme Cailliaud et Linant, avec lequel
avant que les troubles consécutifs à l’insurrection de il voyagea plusieurs fois, notamment pour le compte
Mohamed Ahmed al-Mahdi (1848-1885) n’interdisent de William John Bankes (1786-1855), Ricci connaissait
pour longtemps toute nouvelle exploration. En effet, après l’Oasis de Siouah et les éprouvantes méharées sur les
la victoire des troupes anglo-égyptiennes sur l’armée des pistes de l’Ouest; comme eux, il avait découvert égale-
Derviches, à Toschké en août 1889, sites et monuments ment le Sennaar grâce à l’expédition des fils de Méhémet
restèrent interdits ou très difficiles d’accès. En 1896, et Ali. Déplorons donc la manière indélicate dont, à Bouhen
même pour la seule Basse Nubie, c’était encore le cas, le 31 décembre 1828, procéda Champollion pour se pro-
selon le témoignage de Henri Déhérain : curer la stèle qui devait aboutir au Louvre 31, car elle mit
« Je me souviens qu’en février 1896, étant à fin à une amitié née dès la première rencontre en Italie :
Assouan et ayant l’intention de remonter le Nil jusqu’à interdisant désormais au Déchiffreur l’accès au matériel
Ouadi Halfa, nous fûmes priés de ne pas dépasser l’île de et aux souvenirs de Ricci.
Philae. On avait appris qu’un parti de Mehdistes errait
dans le district et on ignorait ses intentions 27 ».
Monsieur Jomard et le « Voyage à Méroé »
Et toujours en décembre de la même année, le Ministère
de la Guerre interdisait même au directeur du Service des Champollion n’était pas à une brouille près, et nous
Antiquités de l’Égypte, Jacques de Morgan, l’inspection savons, par exemple, que son comportement injuste et que-
des temples nubiens 28. Pour ce siècle, l’exploration de la relleur vis-à-vis de Jomard compliqua souvent le progrès
Nubie ne couvrit finalement qu’une soixantaine d’années: des études égyptiennes et nubiennes puisque, rapidement
la période 1820-1880. Époque pendant laquelle l’arrêt à à l’Institut comme à la Société de Géographie, Edmé
Ouady Halfa de la remontée du Nil – un terminus prévu Jomard (1777-1862) fut le mieux au fait de l’exploration
généralement lors du contrat de location passé avec les de l’Afrique et de la Vallée du Nil, en particulier 32. À tel
mariniers à Boulaq ou à Assouan – culpabilisait souvent le point que, aujourd’hui encore, on lui attribue parfois
voyageur. Mais l’excuse apparaissait rapidement sous la même le Voyage à Méroé… de Frédéric Cailliaud :
plume, telle celle inattendue de Champollion : « Jomard (…) spécialiste de la Haute-Égypte sous
« Au-delà existaient bien des monuments, mais au la Restauration (…) avait publié (…) en 1827 une descrip-
fond de peu d’importance 29 ». tion de Sennaar en 4 volumes 33 ».

C’est pourtant le même qui, quelques mois plus tard, va On sait pourtant que cette confusion, basée uniquement
prier le vice-roi : sur la page titre de l’Atlas, n’est plus possible, et que, pour
« d’ordonner qu’on n’enlevât, sous aucun pré- cet ouvrage précisément, Cailliaud s’était libéré de la
texte, aucune pierre ou brique, soit ornée de sculpture, soit tutelle de celui qui avait rédigé ses premiers voyages et
non sculptée, dans les constructions et monuments auquel il demeura toujours reconnaissant 34. Voici
antiques existant encore (…) au-delà de la seconde cata- d’ailleurs ce que Cailliaud précisa lui-même à François
racte : Semneh, Sohleb, Barkal, Assour, Naga et autres Chabas, dans une lettre du 20 mars 1866 :
lieux où existent des monuments jusqu’à la frontière du « Froissé qu’il était (Jomard) de ce que je ne lui
Sennâar, où il n’en existe plus 30 ». avais pas laissé la rédaction de mon texte (de) Méroé,
attendu que je voulais en finir, ce que j’ai fait simple(me)nt
Cette information de Champollion, à cette date, avait trois avec le Prote de l’Imprimerie Royale. Le nom de M. Jomard
sources principales : Frédéric Cailliaud, Linant de Belle- est resté aux planches publiées avant le texte 35 ».
fonds et, bien entendu, le Dr. Ricci : membre de l’expédi-
tion franco-toscane. Éditées en livraison de 1823 à 1827, par l’Imprimerie
Royale comme il vient d’être dit, les cent cinquante plan-
Malheureusement et bizarrement, Champollion ne sut ches dudit atlas furent souvent reproduites ou démarquées,
pas, tout au long de l’exploration de 1828-1829, recueillir notamment pour la collection L’Univers, déjà citée : en
vraiment le fruit des expériences vécues auparavant par le 1839, pour L’ Égypte ancienne de J.-J. Champollion-Figeac

274
Rappelons enfin que c’est le 24 avril 1821 que Cailliaud
atteint les pyramides d’Assour – après le géographe Bour-
guignon d’Anville, croit-il à tort – et note :
« Jamais ma joie ne fut plus extrême et plus vive
qu’en découvrant les sommets de ces nombreuses pyra-
mides qui étincelaient sous les rayons du soleil; cet astre
peu élevé sur l’horizon semblait dorer le sommet de
ces tombeaux qui depuis tant de siècles n’avaient frappé
les yeux d’aucun voyageur. Il semblait que jamais jour,
pour moi, ne serait plus heureux que celui-ci, je grimpai
sur le plus élevé des monuments pour y graver le nom
d’Anville 40 ».

Fig. 2. Hippopotame à Soleb. Fr. CAILLAUD, Voyage à Méroé, op. cit., II, pl. XI. De Sennar, le 11 juillet suivant, il écrit victorieusement à
sa famille et à Jomard : « La découverte de Méroé nous
appartient ». Dès réception, le géographe fait connaître
et, bien entendu, pour La Nubie de Chérubini. Dans ce cette découverte capitale 41 : l’un des résultats « scienti-
dernier cas, on n’hésita pas à modifier l’environnement fiques » de l’expédition d’Ismaïl Pacha 42.
des monuments, en ôtant ou en ajoutant des éléments, voire
en les permutant : comme pour l’hippopotame de Sedeinga Rappelons enfin que c’est dès le 31 mai 1821 que Jomard
(pl. 5), une gravure empruntée en fait à une vue de Soleb 36. avait présenté à l’Institut la carte du Voyage à l’Oasis de
Un site pour lequel il a déjà été repéré comment, en 1862 Thèbes, ouvrage conçu comme une suite à la Description
ou 1863 pour certains croquis et plans, l’architecte Pierre de l’Égypte et, pour cela, dédié au Comte Berthollet.
Trémaux avait simplement copié Cailliaud 37. Après 1859 Malheureusement, la seconde partie de la publication,
toutefois, on s’inspira aussi des nombreuses et belles ultime travail scientifique de Jomard, ne verra pas le jour
planches des Denkmäler aus Ægypten und Æthiopien de avant 1862, minorant donc pendant quarante ans cette
Lepsius et, par exemple, Prisse d’Avennes, qui avait écrit à autre importante exploration de Cailliaud 43. Un siècle
Cailliaud dès janvier 1843, emprunta à la fois aux deux après la cessation du trafic le long du Darb al-Arba’în,
publications pour son ambitieuse Histoire de l’Art égyptien parce que l’insurrection du Madhi décima guides et
(1858-1878), puisque lui-même avait dû finalement renon- chameliers, et que les Britanniques, après la victoire
cer à se rendre au Soudan – un projet pour lequel il avait d’Omdurman en 1898, édifièrent les postes militaires d’El
demandé, aussi en 1843, des instructions à Jomard 38. Shab et de Ouady Halfa, l’ancienne route est oubliée.
Même ce nom de Piste des Quarante Jours est, de nos
Ces instructions furent effectivement adressées à Prisse jours, appliqué à une route bien différente de celle dont
d’Avennes en mai de la même année; elles sont conservées Cailliaud emprunta autrefois la partie septentrionale.
aux archives de la Société archéologique d’Avesnes-sur- C’est en effet « une route qui contourne la frange du
Helpe, et attestent, entre autres, l’intérêt réel de la Société désert, d’ouest en est, du Darfour à Omdurman » que
de Géographie pour l’ethnologie du Soudan : quelques-uns des peuples du Nord Darfour et du Kordofan
« Que Mr Prisse veuille bien ne pas négliger non appelaient, dans les années 1980, Piste des Quarante
plus la langue, les mœurs et les traditions des indigènes, Jours 44. Mais avec la situation actuelle, qu’en sera-t-il
ainsi que les types physiques de leurs races. Tout ce qui demain ?
intéresse l’Ethnologie, tout ce qui aura une vie persistante
dans la constitution ou la mémoire des habitants de la pres- Ne quittons pas le Kordofan sans évoquer cette faune
qu’île (de Méroé) est également digne de ses études. C’est exceptionnelle, célébrée par les voyageurs. On connaît
là une archéologie morale dont l’origine se perd souvent également l’engouement des Parisiens pour la girafe du
dans la nuit des temps, mais qui vient toujours compléter Jardin des Plantes et les couplets qu’elle inspira :
ou contrôler l’explication des monuments de l’art et les « Viens, fille des déserts brûlants (…)
notions de l’histoire 39 ». Girafe, girafe, inspire nos accents 45 ».

275
Ou encore : Toutefois, le scénario de 1870, que l’on attribue à Mariette 51
« C’est de l’acacia qu’elle aime à se nourrir; proposait déjà des gorges au nord du Gebel Barkal, sans
Mais la liqueur du lait fait son plus grand plaisir… préciser vraiment :
Les Hottentots encore, heureux de son trépas « Près de Napata sont des gorges profondes qui
Forment de ses débris leurs plus exquis repas; commandent d’impénétrables forêts. C’est par là que
Enfin dans tout Paris, on aime sa présence l’armée égyptienne passera. C’est là qu’une embuscade
Et son séjour prédit la paix et l’abondance 46 ». facile peut permettre à l’armée des Éthiopiens d’anéantir
en quelques instants les phalanges égyptiennes 52 ».
On pourrait citer aussi les Girafes que Thibaut procura
au jardin zoologique de Regent’s Park, ou celle que Mariette ne connaissait pas le Gebel Barkal, et le lieu scé-
Clot-Bey envoya à Vienne, etc. Mais c’est le chat Kordo- nique se moque de la topographie.
fan qui m’intrigue. Cette mascotte de la mission
franco-toscane est connue par un croquis de Champollion Quant à l’Éthiopienne Aïda, le rôle titre de cet opéra
légendé : « Lit du Chat Kordofan 47 ». Que devint l’animal ? « égyptien » voulu par le Khédive Ismaïl, elle n’a pas
Suivit-il la gazelle nubienne « Pierre » à Florence 48 ? encore livré son secret et tous les commentateurs butent
Est-ce un détail de la robe de ce chat et la connaissance sur ce nom. Peut-être serait-il à chercher tout simplement,
de la domestication par les Nubiens, depuis les temps les non dans les annales nubiennes, mais plutôt du côté des
plus reculés, du chat ganté (felis maniculata) qui seraient potins de coulisses. Pour ma part, je proposerais volontiers
à l’origine de l’appellation Kordofan, ou plutôt un détail la superbe Aïka de La Biche au Bois, interprétée par
relatif à son acquisition ? Toujours est-il que c’est le déter- Mademoiselle Delval, alias Irma Goret, à la Porte-Saint-
minatif du mot miou, le hiéroglyphe du chat, que Cham- Martin 53. Cette filiation Aïka/Aïda cadrerait finalement
pollion porta sur son croquis, à côté du nom Kordofan ! assez bien avec ce Mariette facétieux qui, sur les monu-
ments de Thèbes, aurait inscrit le nom de la fameuse
Que devint aussi ce « jeune singe d’une espèce extrême- Rigolboche !
ment rare venant du fond du Sennar », que Nestor l’Hôte
ramena en France en 1830 49 ? Était-il aussi discipliné que Mais cette « Éthiopienne » de fantaisie ne doit pas masquer
ceux décrits en 1700 dans l’œuvre hautement fantaisiste l’intérêt de l’époque pour l’ethnologie, souci qui a été
d’un secrétaire interprète de Louis XIV pour les langues rappelé avec les instructions envoyées à Prisse en 1843.
orientales, François Pétis de La Croix (1653-1713) ? C’est Six ans plus tard, Gustave Flaubert est en Égypte et décou-
dans sa Relation de la haute Éthiopie ou Abyssinie, vulgai- vre véritablement les nègres. « C’est un paysage nègre »,
rement le pays du prêtre Jean, que l’on trouve : note-t-il à Assouan le 9 mars 1850 54 ; et, le même jour, à
«Lorsqu’ils (les singes) marchent, on les prendrait propos de la danse de cette sauvage Azizeh, native de
pour un bataillon d’infanterie à la tête duquel il y a des Korosko, là où la piste mène sur Abou Hamed :
avant-coureurs pour reconnaître le pays et ils observent un « Ce n’est plus de l’Égypte, c’est du nègre, de
tel silence que si les petits font du bruit, ils sont souffletés l’Africain, du sauvage 55 ».
par les anciens 50… ».
En peinture, je ne retrouve cette violence du trait que chez
un Georges Gasté (1869-1910), cet artiste qui vécut au
Aïda, Azizeh et les belles Bichari Caire en 1901 et visita le Soudan. Son Portrait de Souda-
naise, daté Khartoum 1909 est saisissant, halluciné 56. Pour
Si la vue inoubliable du Gebel Barkal ravit véritablement la photographie, c’est différent, et rares sont les clichés
tous ceux qui s’en approchent, en revanche l’ordonnance conservés des opérateurs ayant travaillé au Soudan pendant
du paysage autour de cette « montagne sainte » de Napata le 19e siècle : Ernest Benecke, Carl Berghof, Richard
déconcerte l’amateur d’opéra : le fameux « défilé » n’existe Buchta, Trémaux… Et peu d’entre eux peuvent prétendre à
pas ! « Le gole di Nàpata… » et « Di Nàpata le gole ! » la production de vues ethnographiques, tant les sujets
comme chante Radamès, Aïda et Amonasro au second posent, parfois même en studio, ou sur la cange comme
tableau du troisième acte sont, en fait, un raccourci mal- dans le cas de Trémaux, et renvoient docilement à l’opéra-
heureux dû à Verdi, Du Locle et Ghislanzoni. teur occidental, le spectacle de ses propres mises en scènes,

276
de ses désirs. Le regard vers l’objectif, le sourire : tout Vallée du Nil, est révélatrice du regard nostalgique que
trahit la connivence, l’échange rétribué. Ces clichés servent tout le 19e siècle porta sur l’aventure africaine, lointaine
aussi à des peintres orientalistes et à des éditeurs de cartes certes, mais toujours possible.
postales. Diffusées dans le monde entier, celles-ci établis- « J’étais né voyageur; si les incidents de mon exis-
sent les codes et, choc en retour, conditionnent le travail tence ne m’avaient retenus à Paris vers ma trentième année
du photographe. La série des belles Bichari (fig. 2), éditée (il est né en 1822), il est possible que, libre et seul comme
pour un photographe d’Assouan, Fiorillo, fournit le parfait je l’étais, je me serais jeté dans le continent africain et que,
exemple des véritables « tableaux vivants » demandés, moi aussi, j’aurais eu ma folie des sources du Nil. Au seuil
et réalisés avec accessoires, bijoux, et devant des toiles de la vieillesse, me retournant pour regarder les jours
peintes, toujours en milieu fermé : ce qui bannit toute écoulés, je regrette de n’avoir pas été au Zambèse, au
valeur ethnologique. Impossible de retrouver Azizeh dans Niger, au Congo; je jalouse Stanley et j’envie la mort de
ces modèles ! Livingstone 57 ».

Confions à Maxime du Camp, au soir de sa vie, le mot de


la fin : sa confidence, trente ans après son voyage dans la

NOTES
Fig. 2. Les belles Bichari. Carte postale. Collection Michel Dewachter.
1 Pour ces Mamelouks originaires du Darfour ou d’Abyssinie, voir

l’étude « Le drogman Gad. Un ancien de la mission scolaire égyptienne


de Méhémet Ali », in Mélanges Anouar Louca (sous presse). Les Pari-
siens connurent en 1867 d’autres Soudanais : ceux du contingent fourni
à Bazaine en 1863 par le Khédive Ismaïl et revenant alors de l’expédi-
tion du Mexique.
2 H. HARTLEBEN, Lettres et journaux de Champollion, in Bibliothèque

Égyptologique, vol. 31, t. II, Paris, 1909, p. 205.


3 Lettre de l’Hôte à ses parents, 8 et 9 février 1829 : D. HARLÉ et

J. LEFEBVRE, Sur le Nil avec Champollion, Orléans-Caen, 1993, p. 232.


4 La rencontre avec Raphaël de Monachis, donc l’orientation réelle

de Champollion vers l’éthiopien, ne peut être antérieure à 1807 : voir


l’étude « Joseph Fourier et les débuts de l’archéologie égyptienne », in
Actes du Colloque Joseph Fourier, Académie Delphinale, 30 novembre
2002, Grenoble 2004, p. 65-81.
5 Lettre du 2 avril 1809 : P. VAILLANT, Jean-François Champollion.

Lettres à son frère (1804-1815), Paris, 1984, p. 23-24.


6 J.-FR. CHAMPOLLION, Grammaire égyptienne, Paris, 1836, p. XX.
7 H. HARTLEBEN, Lettres, op. cit., p. 427.
8 Ibid., p. 185.
9 Description de l’Égypte. État moderne, t. II, 2 = éd. Panckoucke,

t. XVIII, Paris 1826, p. 13.


10 Cité par G. DARDAUD, « Champollion et la querelle des Zodiaques»,

in Revue des Conférences Françaises en Orient, t. XIII, 7, Paris, juillet


1949, p. 329-348.
11 S. CHÉRUBINI, Nubie, Paris, 1847, p. 28.
12 Livret de Friedrich Christian FEUTSKING pour l’opéra de Johann

MATTHESON, créé à Hambourg le 20 octobre 1704 : Cléopatra.


13 Louvre, inv. 2192, en dépôt au Musée des Beaux-Arts de Valen-

ciennes : E. FOUCART-WALTER, Annexe au catalogue du Louvre :


Nouvelles acquisitions du département des peintures 1991-1995, Paris,
1996, p. 288.
14 Le Nouveau Testament, éd. de Maredsous, 1950, p. 143.
15 Cité par S. CHÉRUBINI, op. cit., p. 38.
16 G. FLAUBERT, Voyage en Égypte. Édition du manuscrit original

établie et présentée par P.-M. DE BIASI, Paris, 1991, p. 365. Pour l’opé-
ration elle-même, voir P. TRÉMAUX, Voyage en Éthiopie, au Soudan
oriental et dans la Nigritie, vol. II, Le Soudan, Paris, 1863, p. 174-175.

277
17 J. BEM, Désir et savoir dans l’œuvre de Flaubert. Étude de « La Ten- 39 Archives SAHA, Papiers Prisse, Inv. 37, 18e, page 4 : Un Avesnois...,

tation de Saint Antoine », Neuchâtel, 1979, p. 29-37. op. cit., p. 142.


18 Pour Armand de Montriveau et le baron Sixte du Châtelet, son com- 40 M. CHAUVET, op. cit., p. 213.

pagnon d’expédition, voir l’étude « L’Égypte de Balzac. De la séduc- 41 E. JOMARD, « Observations sur la lettre de Cailliaud, datée de

tion à la conversion », in Cahiers Confrontations, n° 9, Paris, printemps Sennar, 11 juillet 1821 », in Revue encyclopédique, t. XII, décembre
1983, p. 41-65. 1821, p. 646-648 (= n° 104 de la bibliographie établie par Y. Laissus :
19 Nouvelles Annales des Voyages, 2e série, vol. 14, Paris, 1829, p. 101. cf. supra, note 32).
20 Pour l’authentification et la proposition d’attribuer à Chérubini les 42 H. DEHERAIN, « Les résultats archéologiques de l’expédition égyp-

trois carnets de la collection Renéaume, voir l’étude « Nouveaux docu- tienne au Soudan, 1820-1822 », Journal des Savants, juillet-août 1935,
ments relatifs à l’expédition franco-toscane en Égypte et en Nubie », p. 176-179.
in BSFÉ, 111, Paris, avril 1988, p. 31-73. Vingt ans plus tard, authen- 43 J. BALL, Kharga Oasis : its topography and geology, Le Caire, 1900,

tification et attribution sont amplement confirmées. p. 9, 63.


21 S. CHÉRUBINI, op. cit., p. 12-13. 44 M. ASHER, La piste des Quarante Jours, Paris, 1993, p. 110.
22 J. VERNE, Cinq Semaines en Ballon, Paris, 1863, p. 106-107. On 45 À la Girafe, invocation en chœurs et couplets. Paroles et musique

sait que Riou illustra encore de nombreux voyages et récits d’expédi- de F. C., à Paris, s.d. : BnF Vm7 25004.
tion : Brazza, Stanley, Gallieni, Monteil, Binger, etc. 46 Romance ornée d’un portrait de l’animal : BnF Ye 55297; cf.
23 Pour une photographie des Chutes Ripon : A. MOOREHEAD, The G. DARDAUD, « L’extraordinaire aventure de la girafe du Pacha
White Nile, Londres, 1963, Penguin Books, n° 1933, fig. 2a. Comparer d’Égypte », in Revue des Conférences Françaises en Orient, 15e année,
avec le dessin de BAR pour Le Tour du Monde, premier semestre 1864 : n° 1, janvier 1951, p. 1-72.
reproduit par A. HUGON, L’Afrique des explorateurs. Vers les sources 47 Croquis montrant le logement de la mission dans le couloir du

du Nil, Découvertes-Gallimard, n° 117, Paris, 1991, p. 56. tombeau de Ramsès IV (KV 2). Ce plan a été adressé par Champollion
24 G. FLAUBERT, op. cit., p. 271. à son frère, le 28 mars 1829. Voir en dernier lieu A. FAURE, Champol-
25 « Percement de l’Isthme de Suez et exploration archéologique », lion. Le savant déchiffré, Paris, 2004, pl. (10).
in L’Égyptologie en 1979. Axes prioritaires de recherche. Colloque 48 Pour la gazelle, voir « Nouveaux documents… », op. cit., p. 42-43.

internationaux du CNRS, t. I, Paris 1982, p. 224 et n. 20. 49 Lettre à son père, 15 avril 1850 : D. HARLÉ et J. LEFEBVRE, op. cit.,
26 G. HANOTAUX, Histoire de la Nation Égyptienne, t. VII, Paris 1940, p. 315.
p. XXI. 50 Ministère des Affaires Étrangères, Paris, MD, Afrique : E. TAILLE-
27 H. DEHERAIN, « Le soudan perdu et reconquis », in G. HANOTAUX, MITE, « Le Royaume du Prêtre Jean », in Mémoires du monde. Cinq
op. cit., p. 406. siècles d’histoires inédites et secrètes au quai d’Orsay, Paris, 2001,
28 L. A. CHRISTOPHE, Abou-Simbel et l’épopée de sa découverte, p. 92-93.
Bruxelles, 1965, p. 164, 247, n. 171. 51 J.-M. HUMBERT, « À propos de l’égyptomanie dans l’œuvre de Verdi
29 Lettre à son frère : H. HARTLEBEN, op. cit., p. 172 : Attribution à Auguste Mariette d’un scénario anonyme de l’opéra
30 Notice remise au vice-roi pour la conservation des monuments. Aïda », in Revue de Musicologie, t. XII, 1976, n° 2, p. 229-56
Alexandrie, novembre 1829 : H. HARTLEBEN, op. cit., p. 445-447. 52 Anonyme, Aïda, opéra en quatre actes et six tableaux, s.l., s.d., p. 18
31 En effet, c’est à l’insu du Dr Ricci mais bien avec l’aide de Soliman (exemplaire Bibliothèque-Musée de l’Opéra, Rés. 1112). Pour Jean-
– ancien compagnon du Siennois au Soudan – que Champollion alla Marcel Humbert, ce petit opuscule de 23 pages (18 x 13 cm) serait l’un
fureter ce jour-là dans les temples. La stèle est signalée par S. CHÉRU- des rares exemplaires imprimés à Alexandrie en 1870 par Mourès.
BINI, op. cit., p. 89. 53 AURIANT, Les secrets de la Comtesse de Castiglione, Paris, 1942,
32 En atteste à l’évidence sa très complète bibliographie et la liste de p. 139-185.
ses rapports aux sociétés savantes : Y. LAISSUS, Jomard, le dernier 54 G. FLAUBERT, op. cit., p. 291.

Égyptien, Paris, 2004, p. 529-582. 55 Ibid., p. 295.


33 P. M. DE BIASI, in G. FLAUBERT, op. cit., p. 239, n. 180. 56 Catalogue de vente, Drouot, 25 juin 1996, Gros et Delettrez, n° 193.
34 « Un pionnier de l’égyptologie : Mourad Effendi, alias Cailliaud 57 Souvenirs littéraires, ch. XIII : cité par M. DEWACHTER et D. OSTER,

(1787-1869) », introduction à M. CHAUVET, Frédéric Cailliaud. Les Un voyageur vers 1850 : « Le Nil » de Maxime du Camp, Paris, 1987,
aventures d’un naturaliste en Égypte et au Soudan (1815-1822), Saint- p. 53.
Sébastien, 1989, p. 33-36.
35 Correspondance Chabas, Bibliothèque de l’Institut, Ms 2577,

p. 106-109.
36 Voyage à Méroé, vol. II, Paris 1823, pl. XI; l’emprunt imposa

ensuite l’élimination du même élément pour la planche 14 de Chéru-


bini: Soleb.
37 M. SCHIFF-GIORGINI, CL. ROBICHON et J. LECLANT, Soleb I (1813-

1963), Florence, 1963, p. 27 et n. 7-15. Au sujet de Trémaux, absent du


précieux Biographical Dictionary of the Sudan, de Richard Hill (Lon-
dres, 1951; 2e éd., 1967), voir D. CLAUSTRE, « L’expérience égyptienne
de Pierre Trémaux (1818-1895) : architecte, philosophe, photographe »,
in Actes du colloque Vivant Denon, Chalon-sur-Saône, septembre 2005
(sous presse).
38 « Un pionnier de l’Égyptologie… », op. cit., p. 16-17; M. DEWACH-

TER, Un Avesnois : L’Egyptologue Prisse d’Avesnes (1807-1879),


Avesnes-sur-Helpe, 1988, p. 50, 139-143.

278
Catalogue des cartes,
livres et objets
des 18 e et 19 e siècles
98. Abraham ORTELIUS • Coin inférieur droit 1 F. HOEFER, Nouvelle bibliographie générale
depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours,
Légende de la carte : avec les renseignements bibliographiques et l’in-
Theatre oft Toonneel des Aertbodems : waer « Presbiteri Iohannis, sive Abissinorum dication des sources à consulter, 38, Paris, 1862,
in te siene sijn die Landt-tafelen der geheelder Imperii descriptio ». col 537-538.
Weerelt : met een corte verclaringe der 2 J. G. Th. GRAESSE, Trésor de livres rares et pré-

seluer / [Abrahami Ortelii]. – [Antwerpen : cieux ou nouveau dictionnaire bibliographique, 5,


apud Gid. Coppenium Diest, 1571]. – ill., • Coin supérieur gauche Berlin, 1922, p. 55.
cart.; f°. 1) Titre : 3 J. GUÉRIN DALLE MASSE, Égypte. La Mémoire

« Titulus et insignia Presbiteri et le Rêve. Itinéraires d’un voyage, 1320-1601, in


Reliure pastiche « Médiéval » en porc, décor Biblioteca dell’« Archivum Romanicum », série 1,
à froid de cadres et de fleurons sur les plats; Io[hann]is » vol. 237, Florence, 1991, p. 312, 323-324, 327,
dos à 8 nerfs, décor et titre à froid, filet à 2) Titulature du Prêtre Jean : 405, 419, 422, 424-426.
froid sur les coupes; tranches jaspées bleues « David supremus meorum regnorum, a
4 Au XIIIe siècle, on situe le pays du « prêtre Jean»

(448 x 314 x 56 mm). en Asie centrale. La localisation en Éthiopie ne


Deo unice dilectus, columna fidei, ortus s’impose qu’au XIVe siècle. Voir J. LE GOFF,
Musée royal de Mariemont, R 349 b, inv. ex stirpe Iuda, filius David, filius Salo- « L’Occident médiéval et l’Océan indien : un hori-
21.048. monis, filius columnæ Sionis, filius ex zon onirique », in Pour un autre Moyen Âge :
semine Jacob, filius manus Mariæ, filius temps, travail et culture en Occident, Paris, 1977;
Abraham Oertel (1527-1598) (ou Ortelle, J. RICHARD, « L’Extrême-Orient légendaire. Roi
Nahu secundu[m]carnem, filius Sancto-
David et Prêtre Jean », in Annales d’Éthiopie, II,
en latin, Ortelius), savant anversois, géo- rum Petri et Pauli secundum gratiam; 1957, p. 225-243.
graphe de Philippe II, réunit des cartes Imperator superioris et maioris Æthio- 5 Au XVe siècle, certains voyageurs européens

jusque-là publiées isolément par divers piæ, et amplissorum regnorum iurisdic- arrivent en Éthiopie. C. TRASSELLI, « Un Italiano
auteurs. Son Theatrum orbis terrarum tionum et terrarum; rex Goæ, Caffates, in Etiopia nel XV secolo, Pietro Rombulo da Mes-
réimprimé un grand nombre de fois, sina », in Rassegna di Studi Etiopici, I, 1941,
Fatigar, Angotæ, Baru, Baliguanzæ,
p. 172-202; Viaggio nelle Etiopia al Prete Ianni
reproduit par fragments, abrégé, corrigé Adeæ, Vanguæ, Goiamæ ubi Nili fontes, fatto per don Francesco Alvarez portughese, in
et traduit en français, en italien et en Amaræ, Baguamedri, Ambeæ, Vanguci, G. B. RÉAMUSIO, Navigazione viaggi, II, Turin,
espagnol, est le premier travail de ce Tigremahon, Sabaim partiæ reginæ Sabæ, 1978, p. 97-385.
genre qui paraisse au 16e siècle 1. Il sem- Barnagassi; et dominus usque in Nubiam 6 Ch. LIBOIS, L’Égypte et les Jésuites de l’ancienne

ble que la traduction néerlandaise soit compagnie, Rome, 1991, p. 206-209.


quæ in Ægyptum extenditur »
due à Ortelius lui-même 2. Sur la carte MCB, FV, GD
de l’Afrique figure un territoire appelé • Sur la carte même
royaume « du Prêtre Jean » situé au sud
1) Description de la Nubie :
de l’Égypte 3. Depuis le Moyen Âge, 99. Gérard MERCATOR
« Nubia. Regnum olim Christianum,
des rumeurs font état de ce mystérieux
hodie vero nulla[m] fere religionem
royaume chrétien, que l’on ne sait à cette Atlas ou Représentation du monde universel
colunt. Regio est auro ditiss[ima] et des parties d’icelui, faicte en tables et des-
époque situer précisément. Finalement,
atq[ue] ebore, saccari et frumenti fera- criptions tres ample / Gerardi Mercatori. –
il est identifié à l’Éthiopie des auteurs
cissima. Precipua urbs est Dangala, Amsterodami : Sumptibus & typis aenis Hen-
antiques, c’est-à-dire notamment le
cuius incol[a]e sunt ditissimi, et cum rici Hondij, An. D. 1633. – 2 vol. : ill., titre-
Soudan et l’Éthiopie d’aujourd’hui 4. La
Ægÿpti mercatorib[us] negociantur, in frontispice, cart.; f°.
perspective d’une terre chrétienne au-
ea maxima sandali et zibetti copia;
delà de terres musulmanes sert de pré- Reliure en veau brun, double cadre doré sur
domus sunt cretac[eæ] stramineisque les plats suivi à l’intérieur d’un double cadre
texte à de nombreux Européens pour
tectis » doré avec fleurons aux coins; dos à 7 nerfs,
tenter de l’atteindre. Au 15e siècle, quel-
ques intrépides pèlerins entreprennent 2) Mont Amara : compartiments ornés, titre et tomaison dorés;
ce voyage périlleux 5. À la Renaissance, « Amara mons, hic Presbiteri Iohannis tranches jaspées (492 x 336 x 66 mm).
l’intérêt de l’Europe pour la Vallée du filii in custodia a pr[a]esidiis detinentur» Musée royal de Mariemont, inv. Ac. 80/10
Nil est largement conditionné par celui Atl. N° 5.
3) Royaume :
que l’on attache à l’Éthiopie, en tant
« Reg[num] Damute, hic effoditur aurum Gérard Mercator (1512-1594), célèbre
que terre chrétienne. À la faveur du
in magna copia » géographe flamand, dont le véritable
Concile de Ferrare (1435-1442), les Fran-
ciscains envoient plusieurs missions car 4) Bagamidri : nom est Kaufmann, fait progresser la
les chrétiens du pays, considérés comme « Bagamidri, hic argenti fodin[a]e sunt» géographie à grands pas 1. Il est le cosmo-
monophysites, ne vivent pas en pleine graphe du duc de Clèves auquel l’ouvra-
5) Montagnes de la Lune :
union avec Rome. Les explorations qui ge est dédié. G. Mercator rassemble des
« Lun[a]e montes, hinc Austrum versus
se multiplient favorisent naturellement cartes inspirées de celles qui sont attri-
Africa veterib[us] incognita fuit »
une meilleure connaissance de la région. buées à Claude Ptolémée, mathématicien,
Ainsi, les cartes de l’Afrique orientale se 6) À l’ouest (!) : astronome et géographe du 2e siècle de
précisent et s’améliorent régulièrement 6. « Mare Æthiopicum » notre ère, originaire d’Égypte. Ce dernier

281
considère que le Nil prend sa source dans
les Monts de la Lune (Montes Lunæ). Ce
terme désigne, en réalité, le massif du
Ruwenzori, sur lequel s’amoncellent des
nuages plus de trois cents jours par an.
Mais, au début du 16e siècle, considérer
les Monts de la Lune comme étant les
sources du Nil est peu convainquant 2.
Dans l’imaginaire européen de l’époque,
le Nil fait partie des quatre grands fleu-
ves, artères vitales des quatre régions du
monde, dont la source se situe au Paradis
terrestre. Selon la Genèse (2 :10-14) :
«Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le
jardin, et de là, se divisait pour former
quatre bras. Le premier s’appelle le Pis-
hôn; il contourne tout le pays de Havila
où il y a de l’or; l’or de ce pays est pur,
et là, se trouvent le bdellium 3 et la pierre
schoham 4. Le deuxième fleuve s’appelle
le Gihôn : il contourne tout le pays de
Koush. Le troisième s’appelle le Tigre : il
coule à l’orient d’Assur. Le quatrième
fleuve est l’Euphrate ».

Dans cette géographie partiellement incer-


taine, le Tigre et l’Euphrate sont, certes,
bien connus. Ils prennent leur source dans
les monts d’Arménie. En revanche, le
Pishôn et le Gihôn sont inconnus. Ail-
leurs, dans la Genèse (10 : 29, 30), Havila
apparaît comme une région d’Arabie.
Dans l’Ancien Testament, le pays de
Koush désigne l’Éthiopie dont le nom
doit être compris au sens antique, c’est-à-
dire une région peuplée d’Africains
noirs au sud de l’Égypte. Le deuxième
fleuve issu du Paradis est donc probable-
ment le Nil. En tout cas, pendant tout le
Moyen Âge et jusqu’au 15e siècle, les
auteurs, les pèlerins et les voyageurs qui
se rendent en Égypte partagent la croyan-
ce que le Nil naît au Paradis terrestre. Les
choses se compliquent et demeurent
inexpliquées quant à savoir où ce fleuve
pénètre dans notre monde. Le voyageur
arabe Ibn Battûta 5 (1304-1369) rapporte
que la tradition musulmane place égale-
ment la source du Nil au Paradis. Pour
cela, il s’en réfère au récit du voyage
nocturne du Prophète : « [Lorsque celui-
ci arriva] au Lotus placé à l’extrême
limite du Paradis, […], il vit sortir de ses
racines quatre fleuves, dont deux jaillis-
saient à l’extérieur et deux restaient à
l’intérieur. Il interrogea là-dessus Gabriel,

282
qui lui répondit : Quant aux deux fleuves petit, les Arabes s’installent en Nubie où Les Nubiens ont le visage fort noir, les
intérieurs, ils coulent dans le Paradis, ils contrôlent les mines d’or. Ils sont bien levres grosses et le nez écrasé, ils sont
mais pour les deux fleuves extérieurs, ce implantés dans tout le pays qui est alors courageux, subtils et superstitieux, ils
sont le Nil et l’Euphrate » 6. La thèse islamisé. La dernière principauté chré- aiment le commerce et l’agriculture. Ils
selon laquelle le Nil proviendrait du tienne disparaît, intégrée à un État musul- ont autrefois professé le Christianisme
Jardin du Paradis est répandue au moins man, le royaume Foung de Sennar. Alors et l’on en voit encore parmi eux des
jusqu’à la fin du 15e siècle 7. que l’Égypte et la Basse Nubie font par- restes. Aujourd’hui, ils ont une religion
tie de l’Empire ottoman à partir du 16e mêlée de Christianisme, de Judaïsme
1 F. HOEFER, op. cit., 35, Paris, 1861, col. 11-12.
2
siècle, le Soudan n’y est pas incorporé et de Mahometisme. L’eau de vie, le vin
J. GUÉRIN DALLE MASSE, op. cit., p. 310-313,
323-325. avant 1820 et le restera jusqu’à 1885. et l’hydromel leur sont defendus. Leur
3 Selon les traductions, aussi : « résine parfumée ». boisson ordinaire est une espèce de
4 Selon les traductions, aussi : « onyx » ou « corna- Cette carte décrit les royaumes de la Nubie Bierre. Ils vivent fort sobrement, ils sont
line ». soudanaise au 18e siècle, mais également mal vêtus, leurs maisons sont de terre,
5 Le marocain Abou Abdalla Muhammad Ibn
le tracé des pistes ainsi que les ressources basses et couvertes de cannes. On ne
Battuta, également connu sous le nom de Shams
ed-din, est né à Tangers et mort à Fez.
exceptionnelles du territoire : mines d’or, se sert point d’argent dans le pays. Le
6 J. GUÉRIN DALLE MASSE, op. cit., p. 295-298. d’émeraude… Un commentaire intitulé commerce s’y fait par échange. Sennar
7 Ibid., p. 313. « De la Nubie » définit les limites du terri- est la capitale de la Nubie, elle est située
MCB, FV toire et l’organisation du pays. sur le Nil d’Abissinie. Cette ville est
grande peuplée et très commerçante, elle
« Ce Royaume a pour bornes l’Egipte au est bâtie sur une hauteur dans un Lieu
Nord, la Mer rouge à l’orient, la Nigritie fort agreable, les rues sont malpropres,
à l’Occident et l’Abissinie au midi. On les maisons malbaties. Les faubourgs un
100. [Carte] de l’Egipte, de la Nubie, lui donne environ 300 Lieues d’étendue amas de cabannes. On ne distingue rien
de l’Abissinie du midi au Nord et 240 du Levant au de régulier dans le palais du Roy les
couchant. Il est arose par le Nil et toutes appartemens en sont bien meublés.
[s.l. : s.n., s.d.]. – gr.s.c.
les terres qui en reçoivent les eaux dans
(364 x 580 mm).
le temps de l’innondation sont fertiles. Dungala sur le Nil est la capitale d’un
La carte a probablement été réalisée pour être La Rivière blanche 2 y coule pendant Royaume de ce nom qui relève de celui
intégrée à une publication plus vaste, atlas ou quelques temps, au delà de ces deux de Fungi. Dekin est la capitale d’un autre
relation de voyage, car elle porte le n° 58. Le Rivières on ne trouve que des Déserts Royaume qui se trouve dans la Nubie.
papier et le texte gravé entièrement à la main
affreux et des montagnes arides. Le long Cette ville est située sur la rivière de
sur cuivre (plus de 200 lignes) orientent sa
du Nil, le pays est assés peuplé et l’on Tacaze, qui se jette dans le Nil à Jalac.
datation vers la seconde moitié du 18e siècle.
y voit plusieurs habitations. À l’Est et Mocho est une grosse bourgade sur le
Collection privée vers la Mer rouge, les habitans de la Nil, à 36 L de Dungala. Elle dépend du
Nubie vivent sous des tentes et mènent Royaume de Sennar. C’est dans cet
Vers 550 de notre ère, la Nubie est évan- une vie errante. Le Roi de Sennar ou endroit que commence le pays des Bara-
gélisée à partir de l’Égypte. Les rois de Fungi, a sous sa dépendance toute la bras qui sont des peuples les plus connus
royaumes nubiens indépendants de Noba- partie méridionale de la Nubie et réside de la Nubie entre le Nil et le Tacaze, dont
tie, Makuria et Alodia, constitués sur les dans la ville de Sennar, capitale de ses nous venons de parler on trouve une
ruines de celui de Méroé, se convertis- états. Il a pour vassal le Roi de Dungala, grde près qu’Isle connue autrefois sous
sent au christianisme. Ils adoptent l’écri- les Peuples qui occupent la partie la plus le nom de Méroé ».
ture copte, et le grec devient la langue Septentrionale de la Nubie des deux
liturgique. En 641, un traité de paix est cotés du Nil sont soumis au Turc 3. 1 Sur le baqt, voir R. LOBBAN, « Relations between
signé avec l’Égypte islamisée. En 652, Islamic Egypt and christian Nubia : the case of the
les conquérants arabes et musulmans Baqt », in Cultural Heritage of Egypt and Christian
Les Chaleurs sont très grandes dans la Orient, 3, Moscou, 2006, p. 141-162.
concluent un accord 1, aux termes duquel Nubie, elles sont insupportables depuis 2 Le Nil Blanc (Bahr el Abiad).
les habitants de l’Égypte et de la Nubie le mois de janvier jusqu’à la fin d’Avril, 3 La région située entre la première et la deuxième

sont autorisés à circuler librement entre les pluyes qui viennent après durent trois cataracte.
les deux pays. Les Arabes s’engagent à mois et occasionnent des maladies. MCB
ne pas envahir le pays. En contrepartie,
les Nubiens doivent respecter la mosquée Le pays fournit l’Yvoire, le Tamarin, le
fondée à Dongola pour les voyageurs Musc, le Tabac, le Bois de Sandal, la
musulmans et verser un tribut annuel de poudre d’Or et beaucoup de Cannes à
trois cent soixante esclaves contre des Sucre, dont les Nubiens ne sçavent pas
fournitures de blé égyptien. Ce traité est faire usage, toutes ces marchandises
en vigueur jusqu’au 13e siècle. Petit à se portent au Caire et dans l’Orient.

283
101. James BRUCE; J. H. Castera (trad.) retour à travers le Sennar et le Soudan 367, [1].; 391, [1] p.) : ill., front. gr. dépl., tab.,
septentrional. Sa description du Soudan cart.; 8°.
Voyage aux sources du Nil, en Nubie et dans les derniers jours de l’Empire Foung Reliures en veau marbré, cadre et roulette
en Abyssynie, Pendant les années 1768, 1769, du Sennar fait encore autorité 7. dorée sur les plats; dos long, pièces de titre et
1770, 1771 & 1772. / Par M. James Bruce; de tomaison en maroquin vert, compartiments
1 W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, Who was who in
Traduit de l’anglais par J. H. Castera. – Lon- ornés; tranches jaspées; gardes de papier
dres [s.n.], 1790-1791. – 12 vol.; 8°. – Des- Egyptology, troisième éd. rev. par M. L. BIER-
marbré, signet de soie verte (202 x 124 x
BRIER, Londres, 1995, p. 66; F. HOEFER, op. cit., 7,
cription établie sur base des tomes III-XII. 22/24 mm).
Paris, 1855, col. 562-564.
Brochés; couverture de papier; dos long, 2 Les Ababdeh sont des nomades qui vivent entre
pièces de titre et de tomaison imprimés sur Collection privée.
le Nil et la mer Rouge. H. J. VAN DER SLEESEN-
étiquette de papier (220 x 134 x 28 mm). DOLK, « Une collection ethnographique des Abab-
Étiquettes de bibliothèque portant les n° ms : des et des Bicharins dans le Museum voor Land
En 1792, trente ans après J. Bruce, l’an-
287-295. and Volkenkunde », in Publicaties van het museum glais. William George Browne (1768-
voor land- en volkenkunde en het maritiem museum 1813) 1 se rend en Égypte. À son tour,
Collection privée. « Prins Hendrik » Rotterdam, n° 4, Rotterdam, 1957, il rêve de se lancer à la découverte
p. 5-26. des sources du Nil. Pour y arriver, W. G.
3 En 1517, le Sultan s’empare de l’Égypte qui fait
L’Écossais James Bruce (1730-1794) 1 se Browne se propose de traverser le Sou-
ensuite partie de l’Empire ottoman pendant quel-
livre au commerce et après avoir amassé dan. Pour s’y rendre, il part d’Assiout, en
ques siècles.
une fortune confortable et, très affecté 4 Les janissaires (du turc « yeni çeri »), littérale- Moyenne Égypte et accompagne la cara-
par la disparition de son épouse, il se ment « nouvelle milice » représentent l’élite de l’in- vane sur la fameuse piste, le Darb al
lance dans les voyages. Il visite de nom- fanterie à l’époque ottomane. Arba’în, qui se rend au Darfour. Le voya-
5 J. O. UDAL, The Nile in Darkness. Conquest and
breux pays dont la Nubie et l’Égypte. geur y séjourne de 1793 à 1796 2, en par-
Exploration 1504-1862, Norwich, 1998, p. 94.
En 1768, il arrive à Alexandrie; il est 6 Ibid., p. 88-109. ticulier à Kobbé. L’espoir de réaliser son
déterminé à découvrir la source du Nil projet initial s’amenuisant au fil du temps
MCB, FV
qu’il situe en Abyssinie, c’est-à-dire en en raison des tracasseries administratives
Éthiopie, un pays d’obédience chré- et des multiples difficultés rencontrées,
tienne. Ses aptitudes linguistiques – il il rentre en Égypte par la même voie
connaît notamment l’arabe et l’éthiopien que celle prise à l’aller. À son retour en
– et son courage impressionnent beau- Angleterre en 1798, il entreprend la rela-
102. Carte de la Route
coup ceux qui le rencontrent. Le 16 mars tion de ses voyages qui paraît en 1799
1769, il est à Qena pour préparer une que suit la Caravane du Soudan
(illustrée p. suivante). sous le titre Travels in Africa, Egypt and
expédition vers le sud. De là, accompa- Syria, from the year 1792 to 1798 3.
gné de quatre cents Ababdeh 2 armés, de Carte de la Route que suit la Caravane du
dix serviteurs également armés, de vingt- Soudan en allant d’Egypte au Dar-Four Avec L’ouvrage rencontre un vif succès et
cinq Turcs 3 et de quatre janissaires 4, il les Routes que font les Marchands d’Esclaves
est traduit en français et en allemand.
traverse le désert nubien en direction de du Dar-Four aux contrées adjacentes, Pour
le Voyage de W. G. Browne, fait depuis 1792
Bien qu’il ait été critiqué, le livre
Qosseir sur la mer Rouge 5. Plus loin, il demeure une référence en ce qui concer-
jusqu’en 1798 /W.G. Browne; écrit par
s’arrête à Massawa, sur le chemin de Miller. – [s.l. : s.n., s.d.]. – (410 x 400 mm). ne le Darfour à cette époque. Dans la pré-
l’Éthiopie. Après avoir atteint Gondar, il face de la version française, intitulée
explore les sources du Nil Bleu dont il Collection privée. « Nouveau voyage… », W. G. Browne
découvre le point de rencontre avec le précise ses objectifs. Il n’a pas d’ambi-
Nil Blanc. Après avoir essuyé de grandes tion littéraire; il veut rendre compte
difficultés. J. Bruce quitte l’Abyssinie en d’une expérience vécue au Darfour, en
1771 et voyage à travers le Sennar pour 103. William George BROWNE faisant « connaître l’état du pays et le
regagner Assouan qu’il atteint en 1772 6. caractère de ses habitants ». Son projet
Deux années lui ont été nécessaires Nouveau voyage dans la Haute et Basse initial s’inspire du voyage effectué en
pour atteindre les sources du Nil Bleu. Egypte, la Syrie, le Dar-Four, Où aucun Abyssinie, près d’un siècle auparavant,
En 1790, le voyageur retourne en Angle- Européen n’avoit pénétré; fait depuis les en 1698, par le médecin français Charles-
terre et, en 1773, il publie le récit de années 1792 jusqu’en 1798 par W.G. Browne;
Jacques Poncet.
son voyage. L’ouvrage fait immédiate- Contenant des détails curieux sur diverses
contrées de l’intérieur de l’Afrique; sur la
ment l’objet de vives critiques. Certes, Alors qu’il séjourne au Caire, entre décem-
Natolie, sur Constantinople et Paswan-Oglow,
J. Bruce a vu les sources du Nil Bleu etc. etc. Avec des notes critiques sur les bre 1792 et avril 1793, W. G. Browne
qu’il prend pour celles du fleuve princi- ouvrages de Savary et de Volney. / Traduit décide de se rendre au Sud en emprun-
pal. Sa contribution scientifique n’est pas de l’anglais sur la deuxième édition, par tant la piste caravanière de l’ouest, qui
négligeable, notamment dans le domaine J. Castera. – A Paris : Chez Dentu, Impri- relie la Haute Égypte au Soudan méridio-
de l’histoire naturelle de l’Éthiopie. Il a meur-Libraire, Palais-Egalité, galeries de nal. W. G. Browne est ainsi le premier
également cartographié la route de son bois, n° 240, An VIII-1800. – 2 vol. (xxxviii, Européen à s’aventurer sur le Darb al

285
286
Arba’în (La Piste des Quarante Jours), L’étape suivante conduit les voyageurs 6 Caravaniers, marchands d’esclaves.
7 M. VALLOGGIA, « Avant-propos », in W. G. BROW-
tristement célèbre par les convois d’escla- vers Leghéa (l’oasis de Laqiya) où ils
NE, Nouveau Voyage dans la Haute et Basse
ves acheminés sur son trajet vers l’Égypte affrontent une tempête de sable. Le 2 Égypte, la Syrie, le Dar-Four, Où aucun Européen
et le Proche-Orient. Le point de départ juillet, la caravane continue jusqu’à la n’avoit pénétré…, Paris, 1800 (Collection Itinera,
du Darb al Arba’în se situe au Darfour dépression d’El Atroun et s’arrête une Paris, 2002), p. 13-15.
méridional, dans l’agglomération, aujour- dizaine de jours au Bîr el-Malha (« la MCB, FV
d’hui abandonnée de Kobbé, à environ source saumâtre »). Du 12 au 20 juillet,
trente-cinq kilomètres d’El Fasher. W. G. elle reprend la route jusqu’au campement
Browne procède à une relation 4 détaillée de Medwa dépourvu d’eau. La première
des septante-quatre jours (15 mai-7 août source située au Darfour est atteinte le 104. John Lewis BURCKHARDT
1793) que dure sa méharée d’Assiout à 23 juillet, tandis que Cobbé (Kobbé),
Kobbé, qui lui fait parcourir environ terme du voyage, est en vue le 7 août Travels in Nubia / by the late John Lewis
mille huit cents kilomètres. 1793. Le trajet est accompli après onze Burckhardt. – Second edition. – London :
étapes de marche et de vingt-quatre jours Association for Promoting the Discovery of
Il consacre près de cent pages du premier de repos et de pacage pour les chameaux. the Interior parts of Africa : John Murray,
volume (p. 268-367) de son ouvrage À l’arrivée, W. G. Browne, miné par la Albemarle Street, 1822 (London : printed
by C. Roworth, Bell-yard, Temple-bar). –
au récit de l’itinéraire emprunté et à maladie, se heurte à de multiples tracas-
[12], xcviii, 498 p. : ill., portr. Gr. en front.,
son séjour sur place. En introduction, series; il n’obtient pas le permis d’accé- cart.; 4°.
l’auteur explique qu’il veut trouver les der au Kordofan. Dès son rétablissement,
sources du Nil Blanc (Bahr el Abiad). l’intrépide Anglais tente, mais en vain, Demi-reliure en maroquin rouge avec coins;
Par leDarfour, il veut accéder au Kordo- de poursuivre sa route en direction du dos long, compartiments, titre et fleurons
dorés (276 x 214 x 34 mm).
fan, puis, à l’est, au Nil Blanc. S’il Nil Blanc. Les tergiversations et vexa-
choisit cet itinéraire, c’est parce qu’il a tions qu’il subit de la part des autorités Collection privée
eu vent des difficultés rencontrées par locales finissent par le décourager. W. G.
les Européens pour atteindre Massawa Browne renonce donc à son projet initial, Originaire de Lausanne, Johann Ludwig
et traverser l’Érythrée, mais aussi de après trois ans d’efforts. En 1796, il rep- Burckhard (1784-1817) 1 fréquente les
l’impossibilité de rejoindre Sennar en rend la route vers le nord et l’itinéraire universités de Leipzig et de Göttingen,
remontant le cours du Nil à travers la du Darb al Arba’în avec les Gellabs 6 avant de se rendre en Angleterre en 1806.
Nubie. C’est ainsi qu’il se joint à une qu’il avait accompagné à l’aller. À son À Londres, il devient l’un des proches de
caravane arrivée du Soudan et qui doit arrivée à Assiout, les difficultés rencon- Sir Joseph Banks qui œuvre dans l’Asso-
y retourner. Le 25 mai 1793, la caravane trées au cours du voyage et son état d’é- ciation for Promoting the Discovery of
prend le départ. En quittant Assiout, la puisement nécessitent vingt jours de réta- the Interior Parts of Africa. En prévision
méharée se dirige d’abord vers El-Wah, blissement 7. de ses futures missions, J.-L. Burchardt
c’est-à-dire Ouhat « l’oasis (de Kharga) apprend l’arabe 2 et acquiert des connais-
». Le 31 mai, les dromadaires atteignent Rentré en Angleterre, le voyageur pré- sances en matière d’astronomie et de
la dépression de l’oasis et descendent pare sa publication. En 1800-1802, W. G. médecine. Il se soumet à des épreuves
le Gebel Roumlie (Gebel el-Ramliya) Browne se lance dans une nouvelle expé- physiques. Lorsqu’il est prêt au départ,
au nord l’oasis de Kharga. Les ruines dition, cette fois, en Turquie et au Levant. il est envoyé par l’African Society 3
romaines du fort de Qasr el-Labeka qui de Londres, pour explorer l’Afrique.
contrôlent toujours cet endroit sont en En 1812, il traverse l’Anatolie et l’Armé- Converti à l’Islam, J.-L. Burckhardt
vue. W. G. Browne signale la source nie. Il prend la direction de Samarcande parcourt d’abord le Levant, vêtu comme
d’Aïn Dizé, qui se trouve à huit heures en 1812. Quelques temps plus tard, en un marchand arabe, sous le nom de
de marche de Charjé (Kharga, chef-lieu 1813, il meurt assassiné alors qu’il se Cheikh Ibrahim. On lui doit la décou-
de l’oasis). Dès le 7 juin, le convoi se trouve à proximité de Tabriz. verte du site de Pétra, en Jordanie. Après
remet en route, traverse les villages de un séjour au Proche-Orient, Burckhardt
Boulak, Béiris (Baris) et, le 13 juin, 1 R. HILL, A Biographical Dictionary of the Sudan, arrive en Égypte. D’Assouan, il se rend
Londres, 1967, p. 88. une première fois en Nubie; il va jusqu’à
quitte l’oasis après le hameau d’El-Meks 2 W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, op. cit., p. 66; R.
(Moughès). La caravane poursuit son Ouadi Halfa et ensuite à Deir Mahas, et
HILL, op. cit., p. 88.
chemin vers le Sud jusqu’à l’oasis de 3 J. O. UDAL, op. cit., p. 119-125. revient à Assouan en 1813. Il évoque ce
Scheb (El Shab), réputée pour son alun. 4 Le manuscrit de son journal de 1791-1798 périple de quelques semaines : « Entre
Le 23 juin, il arrive à l’oasis de Sélima est conservé à la British Library (Add. MS 6132). autres préparatifs, j’ai vendu les deux
W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, ibid. ânes qui m’ont emmené du Caire à Esne 4
(Selima). À cet endroit, pour alléger 5 Quelques années après G. W. Browne, le Tuni-
la charge des dromadaires, les guides et acheté pour environ vingt-deux livres
sien Muhammad al Tunsi emprunte la même voie
enterrent des provisions, qui, selon l’ha- pour se rendre au Ouadaï, près d’Abéché au Tchad. deux dromadaires qui se sont révélés
bitude des chameliers, sont récupérées Son récit complète les informations réunies par à l’usage d’excellents animaux car,
plus tard. Browne dans son journal. durant un voyage de trente-cinq jours

287
d’Assouan à Mahass et retour, je ne leur nit d’abondantes observations relatives Chrétien. En 1818-1819, il se rend en
ai accordé qu’une journée de repos et je à l’archéologie, la géographie, la géolo- Égypte. Son métier le conduit à s’intéres-
les ai chevauchés en moyenne dix heures gie, l’histoire naturelle et l’ethnologie. Il ser en particulier à l’architecture. Sur
par jour » 5. Le 24 février 1813, il quitte s’intéresse tant aux Nubiens eux-mêmes place, il entreprend de dessiner les monu-
Assouan. À Derr, accompagné d’un seul qu’à leurs voisins, traitant de leurs lan- ments antiques de la Basse Nubie, situés
guide, il s’aventure dans les dangereux gues et de leur histoire. Il évoque, en entre la première et la deuxième cataracte.
rochers du Batn el-Hagar (« le ventre de tout cas, celle des tribus Ababdeh et Il projette de réaliser un complément à la
Pierre »); à Tinari, les chefs veulent l’éli- Bisharin, ainsi que celle des roitelets de fameuse Description de l’Égypte, œuvre
miner 6. Il réussit à prendre la fuite. Sur le Dongola 11. des savants et artistes qui ont accompa-
trajet qu’il parcourt, il est sans doute le gné l’Expédition conduite par Bonaparte
1 C. BURCKHARDT-SARASIN, H. SCHWABE-BURC-
premier Européen à apercevoir, de la rive dans la Vallée du Nil. Les membres de
KHARDT, Scheik Ibrahim, Briefe an Eltern und
droite, les ruines du grand temple jubi- l’Expédition française se sont arrêtés à
Geschwister, Bâle, 1956; W. R. DAWSON, E. P.
laire de Soleb, situées sur le bord occi- UPHILL, op. cit., p. 74; R. HILL, op. cit., p. 90-91;
la première cataracte et n’ont pas visité
dental du fleuve; il regrette amèrement E. STAEHELIN, « Jacob Burckhardt und Ägypten », les temples de Basse Nubie. L’ouvrage
de ne pouvoir s’en approcher : « En face in Zeitschrift fur Ägyptische Sprache und Alter- de Fr.-Chr. Gau fait l’objet de vives cri-
de Soleb, un beau village de la rive occi- tumskunde, 101, 1974, p. 49-62. tiques de la part de J.-Fr. Champollion
2 J. O. UDAL, op. cit., p. 54.
dentale, j’ai vu les ruines d’un grand 3 Ibid., p. 126.
qui regrette le manque de précision des
temple; j’ai offert tout le dhourra 7 qui 4 Esna. dessins. Outre ce livre, Gau a apporté
me restait à quelques paysans qui arro- 5 D. MASSE, Burckhardt au cœur de l’Égypte. sa contribution à l’archéologie en décou-
saient leurs champs afin qu’ils me fassent Textes rassemblés, traduits et présentés, Paris, vrant à Kalabsha, une inscription en grec
traverser et me ramènent ce qui, je pense, 2005, p. 41. du roi Silko. Après cette unique expé-
6 J. O. UDAL, op. cit., p. 128-134.
correspondait à une guinée pour un ser- 7 Terme utilisé pour désigner le sorgho et le maïs.
rience égyptienne, l’architecte poursuit
vice similaire demandé à un marinier de 8 D. MASSE, op. cit., p. 71. sa carrière en France.
Londres. Mais il n’y avait ni radeau ni 9 J. LECLANT, « Un cent-cinquantenaire : J.-L. Burc-
1 W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, op. cit., p. 164;
une de ces sortes d’outres gonflées ser- khardt et la découverte des temples d’Abou Simbel,
1813 », in Cahiers d’Histoire mondiale, VIII, 1964, R. HILL, op. cit., p. 133.
vant de bateaux sur le Nil et, jugeant
p. 587-595. MCB, FV
imprudent de traverser à la nage, j’ai été 10 W. Y. ADAMS, « J.-L. Burckhardt ethnographer»,
obligé de reprendre ma route sans satis- in Ethnohistory, 20, 1973, p. 213-228; J. O. UDAL,
faire ma curiosité. Le temple semblait op. cit., p. 125-147.
être aussi grand que les plus grands édi- 11 J. LECLANT, « Le voyage en Nubie (1813-

fices égyptiens, en bon état avec dix ou 1913)», in D’un Orient l’autre. Les métamorphoses 106. Carte générale de l’Égypte
douze grands piliers. J’espère que quel- successives des perceptions et connaissances. 1. et de la Nubie
Configurations, Paris, 1991, p. 406.
que autre voyageur sera plus heureux que
MCB, FV Carte générale de l’Égypte et de la Nubie à
moi et aura la possibilité d’examiner ce
que je crois être le specimen le plus méri- laquelle on a joint la Cyrénaïque, et l’Arabie
Pétrée, une Partie du Soudan du Golfe Ara-
dional de l’architecture égyptienne… » 8.
bique, de la Palestine, de l’Abyssinie et autres
Pays adjacents / dressée pr Mr. Frédéric Cail-
Ensuite, traversant le Nil à proximité de 105. François Chrétien GAU liaud; écrit par Hacq; gravé par Kardt. –
la cataracte de Dal, il atteint, le 22 mars Paris : Chez Picquet, Géographe ordinaire
1813, la falaise d’« Ebsamboul », c’est-à- Antiquités de la Nubie, ou Monumens inédits du Roi, 1827. – Échelle 1/5.000000
dire Abou Simbel, où il découvre ainsi des bords du Nil, situés entre la première et
les deux fameux temples élevés sous la seconde cataracte dessinés et mesurés en Extrait du « Voyage à Méroé », planches LIV
Ramsès II 9. À la fin de l’année 1813, J.-L. 1819 / Par F.C. Gau, Architecte. – Stuttgart : et LV (652 x 510 mm).
Burckhardt reprend le chemin du Sou- Aux frais de la Librairie de G. Cotta.; Paris : Collection privée.
dan. Il se joint alors à une caravane Imprimerie de Firmin Didot (Paris : Imprimé
de marchands d’esclaves et traverse le chez Paul Renouard), 1822-1827. – VIII, 18,
64 f. de pl. gr.s.c., XIV f. de pl., 29 p. : ill.,
désert nubien depuis Daraw jusqu’à
cart., tab.; plano.
Berber et Shendi où il arrive au début
Demi-reliure en veau glacé olive, plats de
107. Carte détaillée du Cours du Nil
de 1814. À partir de Shendi, il accompa-
gne une autre caravane et se dirige vers papier marbré; dos à 8 nerfs ornés de filets dans la haute & basse Nubie
l’est pour arriver au Delta du Gash dorés, pièce de titre en maroquin fauve (672 x
484 x 34 mm). Carte détaillée du Cours du Nil dans la haute
jusqu’à Souakin 10. En 1817, la dysente- & basse Nubie comprenant le Fleuve bleu
rie l’emporte. Il repose au Caire, dans Collection privée. & une partie des pays à l’ouest jusqu’au
le cimetière de Bab el Nasr, sous le François Christian Gau (1790-1853) 1 10e degré de latitude nord levée pendant
nom d’Ibrahim Ibn Abdallah. Dans les est né à Cologne. Naturalisé français en l’expédition de Mohammed Aly Pacha dans
écrits qu’il laisse, J.-L. Burckhardt four- 1826, il modifie son nom en François les années 1819, 1820, 1821, & 1822 dressée

288
en dix feuilles assujetties aux observations
astronomiques / par Mr. Frédéric Cailliaud. –
Paris : [Debure ?], 1824. – [Vol. II] pl. XLIV:
El Qalâbcheh, pl. XLV : Ebsambol (490 x
320 mm).
Collection privée.

108. Frédéric CAILLIAUD


Voyage à Méroé, au Fleuve Blanc, au-delà de
Fâzoql dans le Midi du Royaume de Sennâr,
à Syouah et dans cinq autres oasis; fait dans
les années 1819, 1820, 1821 et 1822 / par M.
Frédéric Cailliaud de Nantes, Associé Cor-
respondant de la Société académique de Mar-
seille, membre de celle de la Loire-Inférieure,
et de la Société de Géographie… – [Paris] :
A l’Imprimerie impériale (A Paris : Debure
frères, Libraires du Roi et de la Bibliothèque
du Roi : Tillard frères, Libraires du Roi de
Prusse : Treuttel et Wurtz, Libraires), 1826.
4 vol. : ill., cart.; 8°.
Demi-reliures en maroquin olive, plats de
papier marbré; dos long, titres et tomaisons
dorés, filets et fleurons dorés sur les compar-
timents (208 x 128 x 26 mm).
[Volume de Planches]
Voyage à Méroé, au Fleuve Blanc, au-delà
de Fâzoql dans le Midi du Royaume de Sen-
nâr, à Syouah et dans cinq autres oasis; fait
dans les années 1819, 1820, 1821 et 1822 /
par M. Frédéric Cailliaud de Nantes / Ouvra-
ge publié par l’auteur, rédigé par le même et
par M. Jomard. – Paris : De l’Imprimerie de
Rignoux, 1823. – 2 vol. de pl. [relié ici en un
seul] : ill., cart.; f°.
Demi-reliure en maroquin olive, plats de
papier marbré; dos long, titres et tomaisons
dorés, filets et fleurons dorés sur les compar-
timents (546 x 386 x 54 mm).
Collection privée.

Originaire de Nantes, le minéralogiste


Frédéric Cailliaud (1787-1869) 1 voyage
beaucoup dans le bassin méditerranéen
et au Proche-Orient; il arrive en Égypte
en mai 1815. De janvier à août 1816, il
accompagne 2 le consul général de France,
Bernardino Drovetti 3, en Haute Égypte
et en Nubie, jusqu’à la deuxième cata-
racte. Il tente alors en vain de péné-trer
dans le grand temple d’Abou Simbel
dont l’entrée est complètement ensablée 4.
De retour au Caire, nommé minéralogiste
officiel, Fr. Cailliaud est chargé par

289
Mohammed Ali, le vice-roi d’Égypte, un mois : pains de sel, farine, viande vice-roi envoie son troisième fils, Ismaïl
de retrouver les mines d’émeraude, du séchée, café, sucre, des couvertures pour Pacha, conquérir le sud 12. Il s’agit de
mont Zabara dans l’Etbaye évoquées à la nuit, et un faro, ensemble de peaux de découvrir de nouvelles richesses miniè-
l’époque gréco-romaine et par les histo- chèvres cousues, servant de tapis de sol res et de capturer des esclaves destinés
riens arabes. Pour cette expédition, il et de protection contre les vents de sable. tant à l’armée égyptienne qu’aux tâches
acquiert huit dromadaires qu’il examine Il est indispensable aussi d’avoir des du personnel domestique. L’expédition
minutieusement. « On s’assure de la qua- armes : sabres, fusils et des outils : pelles, compte quelques Européens, dont Dome-
lité des guerbas 5, de la solidité du tali, pioches, cordages solides pour explorer nico Ermenegildo Frediani (1783-1823) 13
où le chamelier appuie son dos, les pieds les excavations » 11. Alors qu’il parcourt qui voit d’un mauvais œil la présence de
croisés sur le cou de l’animal. On n’ou- les routes conduisant à la mer Rouge, Fr. Cailliaud, accompagné alors de Pierre
blie pas l’ouïcha, petit tapis qui sert à pour cette mission, Fr. Cailliaud décou- Constant Letorzec, assistant de marine.
protéger l’échine du dromadaire des frot- vre des carrières et des monuments en Néanmoins, les deux français poursui-
tements du bassour 6, ni les récipients ruines tant dans le désert oriental qu’à vent leur route jusqu’à Khartoum 14. Ils
en peau pour la nourriture – l’areg 7, le l’oasis de Kharga. Après ce premier long explorent le Nil Bleu jusque dans le
dabia 8, le mezoued – et la djebira 9 pour séjour dans la Vallée du Nil, il rentre en Fazoql. En 1821, Fr. Cailliaud remonte
serrer les documents; on veille également France. le fleuve jusqu’à Méroé 15 qu’il est aussi
à emporter l’indispensable dellou 10, seau l’un des premiers à atteindre 16 tout
de cuir à longue corde pour tirer l’eau des Quelques années plus tard, en 1819, Fr. comme le grand temple jubilaire de
puits. À cela s’ajoutent des vivres pour Cailliaud repart en Égypte. En 1820, le Soleb où il signale la présence nocturne

290
d’hippopotames 17. Il voit Kerma 18, le The life and times of Bernardino Drovetti, Londres, 16 J. LECLANT, op. cit., p. 408; J. LECLANT, « Frédé-
Gebel Barkal, Nouri… [2000]. ric Cailliaud et la découverte de Méroé », in Archeo-
4 M. CHAUVET, op. cit., p. 73. logia, 33, avril 1970, p. 6-15.
5 Outre en peau de chèvre, d’une contenance de 17 M. CHAUVET, op. cit., p. 158.
À son retour en France, Fr. Cailliaud rap- trente à quarante litres pour transporter l’eau. 18 Ibid., p. 161.

porte une collection de plus de cinq cents 6 Bât utilisé pour fixer les charges sur un droma-
MCB, FV
objets qu’il laisse au Musée d’Histoire daire.
7 Poche en peau.
Naturelle de Nantes dont il devient le 8 Sac en peau pour protéger la nourriture.
conservateur adjoint en 1826. Le récit 9 Sacoche de cuir.
de ses missions pour le compte du gou- 10 Récipient en peau d’une contenance d’environ

vernement français a été édité avec le cinquante litres; également petit seau de cuir d’une 109. George Alexander HOSKINS
concours d’Edmé François Jomard (1777- contenance de cinq litres utilisé par les chameliers.
11 M. CHAUVET, op. cit., p. 77-78. Travels in Ethiopia above the second cataract
1862) auquel avait été confiée l’édition 12 J. O. UDAL, op. cit., p. 208-213; p. 214-218. of Nile exhibiting the state of that country,
de la célèbre Description de l’Égypte. 13 Cet homme, originaire de Milan, est allé en
and its various inhabitants, under dominions
Égypte pour rassembler des antiquités. Il fait office of Mohammed Ali and illustrating the Anti-
1 W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, op. cit., p. 79; R.
de conseiller militaire d’Ismaïl Pacha. Atteint de quities, Arts, and History of the Ancient
HILL, op. cit., p. 93. folie, il est rapatrié au Caire. R. T. RIDLEY, op. cit.,
2 M. CHAUVET, Frédéric Cailliaud. Les aventures Kingdom of Meroe / by G.A. Hoskins, Esq.–
p. 97, 99, 328. Fr. Cailliaud a été accusé d’avoir
d’un naturaliste en Égypte et au Soudan, Saint pillé les notes de Frediani. R. HILL, op. cit., p. 166.
London : Longman : Rees : Orme : Brown :
Sébastien, 1989, p. 61-76. 14 M. CHAUVET, op. cit., p.127-136. Green & Longman, 1835. – xix, [1] p., [1] f.
3 R. T. RIDLEY, Napoleon’s Proconsul in Egypt. 15 Ibid., p. 203-216. dépl., 367, ill., front., cart. dépl.; 4°.

291
Reliure en toile verte, cadre à froid et décor À cet endroit, il traverse le Nil, et en pas- (Kordofan), sont rapidement étendus
égyptisant doré sur le plat supérieur; dos long, sant par le désert de la Bayouda, il va au notamment à l’indigo, aux peaux et à la
titre et décor dorés; gardes de papier jaune. Gebel Barkal et à Dongola. Il atteint fina- poudre d’or 4.
(294 x 226 x 40 mm). lement Ouadi Halfa. Tout au long de son
Provenance : Ex-libris gravé « Avarille » au 1 W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, op. cit., p. 209;
périple, G. A. Hoskins prend des notes
1er contreplat. R. HILL, op. cit., p. 166.
et exécute des dessins archéologiques 2 J. O. UDAL, op. cit., p. 241, 263, 269, 271-273.
Collection privée. dans l’intention de les publier 2. C’est un 3 J. LECLANT, op. cit., p. 409.
voyageur actif. Ses dessins sont de qua- 4 J. O. UDAL, op. cit., p. 273.

Voyageur érudit, le Britannique, George lité moyenne 3. En revanche, ses obser- MCB, FV
Alexander Hoskins (1802-1863) 1 est vations sur le commerce s’avèrent utiles.
aussi un archéologue et un artiste ama- Il évoque le profit considérable fait par
teur qui se lance, à son tour, à la décou- le gouvernement sur les taxes sur la
verte de la Haute Nubie. En 1833, il
110. Karl Richard LEPSIUS
gomme arabique et l’ivoire du Kordofan
quitte le Caire pour se rendre à Assouan. à Dongola. Il s’agit de monopoles gou- Denkmaeler aus Ägypten und Äthiopien
De là, il se dirige vers Korosko d’où il se vernementaux suivant les instructions du nach den Zeichnungen der von seiner Majes-
met en route à travers le désert nubien vice-roi. Ces monopoles, limités d’abord taet dem Koeninge von Preussen Friedrich
jusqu’à Abou Hamad, Berber et les pyra- à l’ivoire (Kordofan), aux plumes d’au- Wilhem IV nach diesen Landern Gesendeten
mides de Méroé pour arriver à Shendi. truches (les Beja) et à la gomme arabique und in den Jahren 1842-1845 Ausgeführten

292
Wissenchaftlichen Expedition / herausgege- sont hors du commun. Sa puissance de ratrice qui s’aventure notamment au Sou-
ben und erlaütert von Richard Lepsius; travail et son sens de l’organisation se dan et en Éthiopie : « Melle Tinne était
Herausgegeben von Edouard Naville : unter révèlent remarquables. Dans la chaleur grande et svelte, blonde et pâle. Très sim-
Mitwirkung von Ludwig Borchardt.; Bearbei- du mois d’août 1844, deux jours suffisent ple dans sa mise, elle portait quelquefois,
tet von Walter Wreszinski; Mit einer Konkor-
à son équipe pour faire la description et pendant son séjour au Caire, le costume
danz für alle Tafel-und Textbände von Her-
le relevé des ruines de Qasr Ibrim. Aupa- égyptien à larges manches ouvertes, plus
mann Grapow. – Berlin : Nicolaische Buch-
handlung; Leipzig : Hinrichs, 1897-1913. – ravant, ils se sont arrêtés à Soleb, du 6 commode dans ce brûlant climat, et dont
6 vol. de texte f°, 12 vol. de pl. : ill., cartes; au 11 juillet; le bilan est considérable : l’ampleur faisait valoir sa grâce naturelle.
plano. tout qui concerne le grand temple jubi- Une étoffe orientale roulée autour de sa
laire, est consigné sur une dizaine des tête rehaussait la délicatesse de ses traits,
Abteilung V : Aethiopische Denkmaeler nach
immenses planches – des Denkmäler – et mêlés d’énergie et de bonté » (p. 290).
den Zeichnungen der von Karl Richard Lep-
sius : Blatt I-LXXV. – Berlin : Nicolaische
une douzaine de pages serrées du Text;
Buchhandlung, [s.d.]. – ill., cart.; plano. les moindres details y sont enregistrés Au cours de leurs pérégrinations à travers
Reliure en toile brune; dos long, titre et tomai- avec une extrême précision. Les albums l’Afrique, Alexine Tinne et sa mère consi-
son dorés (772 x 660 x 56 mm) de planches, minutieusement établis, gnent soigneusement la description des
parurent dans les années 1850; il faudra plantes et des arbres qu’elles observent.
Textband V : Nubien, Hammamat, Sinaï, Leur contribution à la botanique est
attendre 1913 pour que soit achevée la
Syrien und Europaïsche Museen / Bearbeitet
publication des volumes de texte 3. importante, puisque plus de vingt-quatre
von Walter Wreszinski; Mit einer Konkor-
danz für alle Tafel-und Textbände von Her-
espèces nouvelles sont publiées dans un
mann Grapow. – Leipzig : J.C. Hinrichs’sche K. R. Lepsius s’intéresse aussi au lan- ouvrage intitulé « Plantes Tinnéennes ».
Buchhandlung, 1913. – f° gage nubien. En témoigne, son ouvrage :
Nubische Grammatik, Berlin, 1880. Les expéditions de la famille Tinne sont
Reliure en toile brune; dos long, titre et entreprises dans un but scientifique. Les
tomaison dorés (340 x 264 x 34 mm) 1 W. R. DAWSON, E. P. UPHILL, op. cit., p. 249- conditions du voyage sont parfois extrê-
Louvain-la-Neuve, Bibliothèque de l’Univer- 250; R. HILL, op. cit., p. 211-212; J. O. UDAL, op. mement pénibles, tout comme la décou-
sité, inv. Res 2 D 34. cit., p. 346-347. verte horrifiée du commerce des escla-
2 Sur cette expédition: A. VON SPECHT (éd.), Lep-

sius – Die deutsche Expedition an den Nil. Lepsius


ves. Dans une lettre datée du 17 juin
La première exploration scientifique de – The German Nile Expedition (catalogue d’expo- 1862, Alexine évoque ce trafic : « C’est
l’archéologie du Soudan est conduite sition, Le Caire, Musée égyptien, 1er novembre ici que j’ai vu pour la première fois la
par Richard Lepsius (1810-1884) 1. En 2006 - 3 février 2007). traite des noirs. Jamais de ma vie je n’ai
3 J. LECLANT, op. cit., p. 410.
1842, encouragé par Frédéric Guillaume été aussi étonnée et si terrifiée. J’en avais
de Prusse, le jeune savant qui s’est déjà MCB, FV
entendu parler comme tout le monde;
fait remarquer par de brillantes études j’avais lu beaucoup de descriptions de
et recherches à Berlin et à Paris et lors caravanes d’esclaves, mais je n’avais pas
de l’organisation à Rome de l’Institut 111. Edouard CHARTON une idée de l’étendue du mal, ni de la
de Correspondance Archéologique, est cruauté et du cynisme des trafiquants.
chargé de la direction d’une grande expé- Le Tour du Monde : Nouveau Journal des Ces trafiquants arabes, et la plupart euro-
dition. Celle-ci, longuement préparée 2, Voyages / publié sous la direction de M. péens, ont des soi-disant gardes, qui sont
et la mieux équipée de toutes les expédi- Edouard Charton; et illustré par nos plus célè- des chasseurs de nègres, et qui vont cer-
tions jamais organisées précédemment bres artistes : t. XXI-XXII : 1870-1871. –
ner et brûler les villages, pillent tout ce
Paris : Librairie Hachette, 1870-1871 (Paris :
en Égypte, se compose de l’architecte qu’ils trouvent, et ramènent des centaines
Typographie Lahure). – 434; 433 p. : ill.; 4°.
Erbkam, de dessinateurs expérimentés, de nègres aux barques dans lesquelles on
tels les frères Weidenbach ou J. Bonomi Demi-reliure en maroquin bordeau avec les introduit en cachette dans les États
et du chapelain H. Abeken. Au cours de coins; plats de papier marbré; dos à 4 nerfs, du vice-roi; car, quoique la loi contre
cette longue mission, de 1842 à 1845, titre et fleurons dorés; gardes de papier mar- l’esclavage soit parfaitement nulle dans
Lepsius fait le relevé de tous les vestiges bré (300 x 220 x 56 mm).
les régions éloignées du gouvernement,
archéologiques du Nil, non seulement Collection privée on fait pourtant un peu semblant de la
en Égypte, mais jusqu’au cœur de ce que respecter.
l’on nommait alors «l’Éthiopie». Il par- Un long article consacré à « Mademoi-
vient jusqu’au Nil Bleu et à ses affluents, selle Tinne » fait connaître les explora- Mais ici tout se passe sans la moindre
le Rahad et le Dender, traverse le désert tions des dames Tinne, pour rendre pudeur, et ce commerce ayant réussi
oriental jusqu’au Gebel Zeit sur la mer hommage à Alexandrina P. F. (Alexine) cette année, tout le rivage était couvert
Rouge, pour atteindre le Sinaï. La résis- Tinne disparue tragiquement peu de de grandes taches noires, que je vis, en
tance physique de K. R. Lepsius, son temps auparavant, lors d’un nouveau approchant, être des nègres serrés les
apparente impassibilité au milieu des séjour en Afrique. Les auteurs, Zurcher uns contre les autres au point de ne faire
dangers et des innombrables difficultés et Margollé, présentent l’intrépide explo- qu’une masse que l’on surveillait ainsi

293
plus aisément. Tous étaient nus, et les La platine porte la marque de la célèbre fortune des marchands et trafiquants
hommes avaient la tête et le cou attachés firme « Barnett & Son » de Londres, spé- d’armes occidentaux sous le couvert de
à une poutrelle assez lourde pour qu’ils cialisée dans le commerce d’armes d’ex- sociétés commerciales, elles-mêmes bien
ne pussent la soulever seuls. Ce qui me portation vers l’Amérique du Nord et souvent aidées par les gouvernements.
frappa le plus était leur maigreur exces- l’Afrique au 19e siècle. Il s’agit vraisem- Le sujet est vaste et n’a pas encore été
sive. Les marchands les affament par blablement d’une contrefaçon liégeoise abordé de manière exhaustive pour 1’Afri-
économie; mais il faut que la nature de la seconde moitié du 19e siècle, alors que noire 3.
nègre s’y prête; un Européen ne pourrait que Birmingham cédait du terrain à la
probablement rester dans cet état sans cité des Princes-Évêques. Force est de constater à la lecture des
mourir. publications consacrées à l’histoire afri-
caine que leurs auteurs, même récem-
Les malheureux voyaient sans doute que ment, n’ont que très rarement cherché à
nous étions émus de pitié, et comme je identifier les armes dont ils parlent.
circulais dans les groupes, une femme
113. Fusil de traite à silex Généralement, l’on s’est contenté de
qui tenait un petit enfant me prit la main dit « carabine à éléphants » réutiliser une terminologie empruntée
et me dit quelque chose qu’on me tradui- aux sources plus anciennes.
Longueur : 1,280 m
sit. C’était une prière pour me demander
Calibre : 4 (23,3 mm)
d’obtenir de son maître la faveur de voir Que ce soient les inventaires de cargai-
Poids : 4,3 kg
son second fils et sa mère qui apparte- Bruxelles, Musée royal de l’Armée, inv. sons, les récits de voyages ou les compte-
naient à un autre marchand. On me l’ac- 600325 rendus des campagnes militaires, les don-
corda, et la réunion fut si touchante que nées sont souvent très vagues pour les
je les achetai tous quatre. Je les garde Fabriquée par les « Établissements Geor- armes à feu traditionnelles précédant les
chez moi à l’heure qu’il est, en attendant ges Laloux » à Liège au début du 20e modèles à chargement par la culasse 4. Les
que nous passions près de leur pays pour siècle, cette pièce porte la marque de trafiquants eux-mêmes parlaient de «fusils
les y renvoyer » (p. 293-294). fabrique caractéristique apposée sur le anglais » ou de « fusils de munition fran-
corps de la platine. çais », de « Long Deane », de « Boucanier
MCB, FV
mâle ou femelle »; il était inutile de préci-
Nous sommes en présence d’un modèle ser qu’il s’agissait d’armes de surplus
influencé par les fusils et carabines militaires ou de modèles obsolètes, cela
règlementaires français du milieu du 19e allait de soi. Les documents écrits étaient
112. Fusil de traite à silex
siècle. compromettants, le trafic d’armes trop
type « bord anglais » souvent lié à la traite d’esclaves 5, la cor-
Arme sérieuse de gros calibre, cette «cara- respondance des sociétés commerciales
Longueur : 1,5 m
Calibre : 12 (18,6 mm) bine » était prévue pour tirer des charges devait être discrète à ces sujets; les hom-
Poids : 3,950 kg de 10 à 12 grammes de poudre noire mes impliqués dans ce type de commerce
Bruxelles, Musée royal de l’Armée, inv. de traite ainsi que des projectiles des en connaissaient les règles et la pratique
507207. plus variés comme de la grenaille ou des des marchés ne nécessitait pas à leur
balles en plomb coulé ou en fer forgé,
fabriquées par les utilisateurs eux-mêmes.

Depuis la fin du siècle passé, plusieurs


historiens se sont penchés sur le rôle
joué par 1’introduction et la diffusion
de 1’arme à feu sur le continent africain.
Quelques publications résultant de sémi-
naires tenus à Londres entre 1967 et
1970 1 ont mis en valeur 1’intérêt de
recherches spécialisées sur 1’importance
à accorder à 1’impact qu’a pu avoir
1’arme à feu avant le partage colonial de
1’Afrique. Notre but avec cette petite
introduction 2 est d’essayer de définir his-
toriquement et techniquement quels
étaient ces fameux mousquets, fusils et
autres armes à feu de traite ou d’exporta-
tion qui durant des siècles ont fait la

294
niveau des descriptions techniques et typo- matériels de l’ethno-histoire de l’Afrique
logiques. Une grande discrétion devait et correspondent, par le rôle qu’ils ont
aussi être tenue en ce qui concernait la joué, à une partie très importante de ce que
provenance des armes; il fallait que les l’on appelle communément aujourd’hui
intermédiaires préservent leurs sources les phénomènes d’acculturation. Ces
d’approvisionnement… objets doivent être récoltés et conservés:
ils font partie, au même titre que les
Durant les trois siècles qui ont précédé armes traditionnelles, de la mémoire des
la décolonisation des années 1950-60, peuples d’Afrique.
l’arme à feu de traite restera technique-
1 G. WHITE, « Firearms in Africa : an introduc-
ment inchangée : fusils, mousquetons ou, d’usage courant de l’époque (chande-
tion », in Journal of African History, 1971, 12-2,
plus rarement, pistolets (presque toujours p. 173-184. liers, clochettes,…). La surface présente
à un coup) à chargement par la bouche, 2 P. DUBRUNFAUT, « L’arme à feu pour les côtes
clairement les traces de moulage sur la
à canon lisse et à platine à silex 6. Comme de l’Afrique », in « L’Orient, la Bretagne et la tranche. Ces pièces étaient parfois fon-
armes longues, elles servaient à la chasse traite » Cahiers de la Cie des Indes n° 9/10, p. 213-
dues ou retravaillées par les populations
221, Lorient, juin 2006. Voir également du même
ou à la guerre, ou encore lors des fêtes locales, mais servaient aussi de mon-
auteur : « Introduction à l’étude des armes à feu
de villages et certaines activités tradition- de traite en Afrique, à la veille de la colonisation naies, telles quelles, la plupart du temps.
nelles 7. Outil à tout faire, d’une simpli- européenne », in « Beauté fatale, armes d’Afrique
cité remarquable, le fusil de traite ne Centrale (catalogue d’exposition, Bruxelles, Crédit PD
nécessitait que peu d’entretien, pouvait Communal, 1992), p.134-141.
3 Pour une approche historique, voir : R. A. KEA,
être réparé par le forgeron-armurier du
« Firearms and Warfare on the gold and slave cost
village et permettait l’usage de la poudre from the sixteenth to nineteenth centuries », in
noire de mauvaise qualité ainsi que de Journal of African History, 1971, 12,2, p. 185-213; 115. Un fragment de chaîne en fer
projectiles les plus hétéroclites : grenaille R. S. SMITH, Warfare & Diplomacy in Pre-Colo-
de fer ou de plomb, balles coulées en nial West-Africa, 1976, seconde édition, Londres, Poids : 100 gr
James Currey, 1989.
plomb ou en fer forgé, fabriquées par 4 R. BOUCHARD, Les armes de traite, Québec,
Provenant d’une ancienne collection liégeoise
les utilisateurs eux-mêmes. du 19e siècle.
1976, p. 48-51. L’auteur nous donne une idée assez
précise des armes de traite pour l’Amérique du nord
Longueur : 295 mm
Comme nous 1’avons vu plus haut, le mot aux 17e et 18e siècles. Certains modèles ont été
« traite » sous-entend : troque, échange, également utilisés pour la traite en Afrique. Collection privée.
5 Voir H. BRUNSCHWIG, « La troque et la traite »,
commerce. L’arme à feu de traite, que
in Cahiers d’études africaines, 1962, vol. II (7), L’étiquette indique : « fragment de chaîne
ce soit en Afrique ou ailleurs, est une p. 339-346. Le terme « traite » remplacera petit qui servait aux chasseurs d’esclaves à
création de la civilisation occidentale, à petit « troque » pour désigner l’échange des pro-
enchaîner les nègres prisonniers conduits
fabriquée à des fins commerciales à une duits, lorsque la traite des esclaves aura progressi-
vement disparu à la fin du 19e siècle. vers les côtes pour être envoyés en Amé-
époque ou 1’Europe avait un besoin crois-
6 J. MARTIN, « Armes à feu de l’armée française rique ».
sant de marchandises les plus diverses
1860 à 1940», Paris, 1974, p. 24-34. L’auteur retrace PD
pour alimenter ses comptoirs d’Afrique, dans cette excellente étude l’historique de l’arme
des Amériques et d’Asie. Les modèles à feu avec des illustrations très détaillées des diffé-
produits devaient satisfaire une demande rents systèmes de mise à feu : platine à mèche, à
locale plus ou moins exigeante. Néan- chenapan, à miquelet et à silex. 116. Amulette
7 R. S. SMITH, op. cit., p. 81.
moins, les premières armes à feu utilisées Cuir
comme marchandises d’échange ou de PD
L. : 4,2 cm; l. : 3,4 cm; ép. : 0,8 cm
présents aux chefs des populations que Époque turque ou ottomane
rencontrèrent les navigateurs et explora- Soudan, Kulubnarti
teurs européens étaient sans doute celles 114. Deux manilles de traite
dont faisaient usage les équipages et en laiton Londres, British Museum, inv AES.77655.
capitaines de navires eux-mêmes. Bien
avant la colonisation, les armes à feu de Fabriquées au 19e siècle en Angleterre (Liver- Cette amulette se présente sous la forme
traite avaient sans doute influencé le pool, Manchester ou Birmingham) et en France d’une petite boîte en cuir brun qui peut
cours de l’histoire de l’Afrique. Elles ont (Nantes). se porter en pendentif autour du cou ou
cependant été peu considérées par les Diamètre extérieur : 82 mm comme bracelet. Elle renferme un mor-
ethnologues et les collectionneurs. Les Poids unitaire : 120 gr ceau de papier plié sur lequel un texte
quelques exemplaires qui ont survécus Collection privée. arabe est écrit à l’encre noire. Il s’agit de
jusqu’à nous datent pour la plupart du quelques extraits de sourates du Coran :
19e siècle et de la première moitié du 20e Ces sortes de bracelets étaient moulés au 25,23; 10,81; 7, 119; 37, 33-35; 36, 28-
siècle. Ils représentent des témoignages sable comme la plupart des ustensiles 30; 31, 24-29; 41, 42; 7, 118; 31, 16. Ils

295
sont constitués de louanges adressées à l’époque musulmane au Soudan. Jusqu’à
la gloire de Dieu et de versets concernant présent, une dizaine d’établissements,
la protection accordée par Celui-ci à tous deux églises et deux cimetières médié-
les êtres de la création et, en particulier, vaux, ont été fouillés.
au porteur de ce texte. Ces textes protec-
teurs utilisés autrefois par les chameliers Bibl. : W.Y. ADAMS et N.K. ADAMS, « Kulubnarti
II. The Artifactual Remains », in Sudan Archaeo-
lors des méharées à travers le désert sont
logical Research Society Publication, 2, 1998,
toujours en usage aujourd’hui. p. 33, 111.
AQ
Bibl. : W.Y. ADAMS et N. K. ADAMS, « Kulubnarti
II. The Artifactual Remains », in Sudan Archæolo-
gical Research Society Publication, 2, 1998, p. 84-
85, 89, 128, 129, fig. 11.2, pl. 10.2 E, e. 118. Boîte à cigarettes
AQ
Métal
L. : 14,5 cm; l. : 7 cm; h. : 6,2 cm
117. Flacon à parfum Époque moderne, XIXe siècle
Kulubnarti
Verre
L. : 13 cm; l. : 4 cm; ép. : 0,18 cm Londres, British Museum, inv AES.77413.
Époque moderne, XIXe siècle ?
Kulubnarti Sur le couvercle de cette boîte à cigaret-
tes figure une femme fumant une ciga-
Londres, British Museum, inv AES. 77660. rette. Sur le côté gauche de la boîte sont
représentées des colonnes de style pha-
Ce précieux petit flacon à parfum inscrit raonique, un motif typique de cette
au nom d’« Oger-Parfumeur à Paris » a période coloniale en Égypte. L’objet pro-
été trouvé à Kulubnarti, de même que les vient d’ailleurs du Caire, et une inscrip-
cat. 116 et 118, à proximité du Darb al tion offre des détails sur cette production
Arba’în (la Piste des Quarante Jours). issue des manufactures d’Aravanopoulos
Cet objet, manifestement d’origine fran- & Cie :
çaise, trouvé à Kulubnarti, témoigne de Manufacture De Cigar[…]
la circulation des voyageurs occidentaux Aravanopoul[…]
à travers le pays. À l’arrière : Aravanopoulos & Cie
Caire, Egypt
L’île de Kulubnarti est localisée entre 100 Cigarettes
la deuxième et la troisième cataracte, à Extra Fine
150 km au sud de la frontière égypto- Khediviale
soudanaise. Les monuments du site illus- Format Petit
trent le passage de l’ère chrétienne à Tout comme le flacon à parfum (cat.
117), cet étui est une trace du passage de
voyageurs étrangers à travers le Soudan.
AQ

296
Essai photographique
Claude Iverné

Partie 2
III.
Sur les pistes
avec les caravaniers...
Fig. 1. Autour du puits de Naga. Cliché Nicole Bes.
Hommage aux ânes, précieux auxiliaires
sur la route caravanière des siècles
Albert BURNET

L’homme n’en convient qu’avec réticence et pourtant, sa En remontant les siècles et à défaut de trouver sur le ter-
route sur la voie du progrès s’est accomplie en compagnie ritoire de l’actuel Soudan des indices suffisamment sub-
d’« êtres inférieurs » qui lui furent d’une aide éminemment stantiels en ce qui concerne ce quadrupède, nous consta-
précieuse même si, au fil des siècles, il entreprit de rempla- tons que ce sont les Égyptiens des temps pharaoniques qui
cer par des machines la plupart d’entre eux. Au rang de ont célébré ses mérites sans aucunement le mettre sur un
ces « êtres inférieurs », il y eut les bêtes de somme, et piédestal car chez eux pas plus qu’ailleurs, il ne fut
parmi elles, l’âne qui fut assurément l’un des premiers exempté ni de critiques, ni de sarcasmes, ni de coups.
mammifères soumis à la domestication, bien avant le che- Cependant, les sujets des pharaons l’ont associé à leur
val ou le dromadaire, et peut-être, suggèrent certains cher- mémoire, inconsciemment sans doute, simplement en l’in-
cheurs, dès le VIe millénaire avant notre ère, quand les cluant dans cet espoir d’éternité que sont les scènes de la
hommes découvrirent la culture du blé et du lin, à l’aube vie quotidienne dont ils ont orné leurs tombes. En outre,
du Néolithique. Les services de l’âne furent dès lors pri- dans la Vallée du Nil, quel rôle lui fut-il dévolu en religion,
mordiaux, non seulement pour peiner sur le terrain, mais en littérature, en art ? Quelle est l’image que l’on peut
aussi pour constituer l’essentiel des expéditions caravaniè- composer à partir des rares témoignages qui ont triomphé
res au long cours. Les contacts commerciaux ainsi créés du naufrage des siècles ? Voilà qui mériterait une enquête
engendrèrent progressivement des échanges culturels et approfondie.
spirituels.
C’est l’occasion de mentionner au passage l’étude intitulée
Quelle fut la récompense du pauvre animal ? Le bâton, le Sollicitude et amour pour les animaux en Égypte gréco-
mépris, la médisance. C’est avec ces ingrédients que romaine 1 dans laquelle la papyrologue Claire Gorteman,
l’homme composa l’image d’une créature cumulant tous se basant sur l’exégèse de lettres privées, constatait une
les défauts : entêtement, stupidité, méchanceté, fourberie, gamme de sentiments, « intéressés sans doute mais pro-
libido… tandis que demeurèrent passées sous silence ses fonds et réels » allant jusqu’à l’affection unissant les hom-
qualités : humilité, patience, endurance et, souvent, fidélité. mes, essentiellement aux chiens et aux chevaux, mais se
manifestant aussi pour les bœufs et même les porcs.
Certes, pas plus que l’être humain, l’animal ne saurait être Cependant, l’auteur constatait une carence totale d’intérêt
parfait. En perpétuer éternellement une image négative va à l’égard des ânes. Si le cheval occupe un rang privilégié
toutefois à l’encontre de ce que, dépassant largement ses souligne-t-elle, « l’âne, au contraire, est relégué au rôle
défauts, ses mérites, tout bien pesés, auraient dû lui garan- humble, mais indispensable que – bête de somme et de
tir une meilleure estime. Personnellement, nous avons tou- trait – il remplit encore de nos jours dans les pays méditer-
jours éprouvé un sentiment de sympathie et de compassion ranéens ». Quand il se trouve mentionné dans un papyrus,
pour l’humble aliboron. Il mérite bien qu’on lui rende jus- c’est qu’il s’agit de « pétitions indignées de paysans privés
tice et pour cela, nous verrions avec plaisir et intérêt se de leur âne » ou encore d’actes de vente ou de location.
former l’alliance idéale des zoologues, paléontologues, Le caractère indispensable des baudets est donc bien
préhistoriens, archéologues et sociologues. Seule une telle démontré mais on ne trouvera pas « le moindre trait
coalition serait capable de réaliser de manière impartiale d’égards ou de pitié pour ces animaux ». Sous les Ptolé-
et rigoureuse le portrait et l’historique de ce brave animal. mées, l’âne s’achetait à 10 drachmes alors qu’un veau en

311
valait 80, un dromadaire 40, tandis qu’un cheval pouvait se d’Abydos et montrant un de ces animaux. Il en est un
vendre jusqu’à 800 drachmes. S’il en était ainsi à l’époque autre, au musée de Berlin. Notons aussi l’exemplaire du
de Cléopâtre, en fut-il autrement aux siècles pharaoniques Fitzwilliam Museum de Cambridge 4, ou encore, au Musée
les plus reculés ? Pascal Vernus et Jean Yoyotte 2 citent tou- de Brooklyn, la poignée d’ivoire d’un couteau de silex,
tefois un texte ramesside qui évalue entre 1800 et 2730 provenant d’Abou Zaidan, d’époque Nagada III (3200-
kilos de cuivre le prix d’achat d’un de ces équidés, ce qui 2700 av. J.-C.) 5, ornée de plusieurs rangées de divers ani-
est relativement cher. maux, dont une d’ânes sauvages.

Après que fut adoptée la domestication, une variété


La domestication d’Equus africanus demeura à l’état sauvage. Les hommes
continuèrent de la chasser. On en découvre la preuve
Il sied préalablement de retrouver les origines de l’âne. La sur une stèle d’Amenhotep II découverte à Mit Rahiné
paléontologie nous apprend que, appartenant à l’ordre des (Memphis), sur le couvercle d’un coffret trouvé dans
périssodactyles, l’animal domestique (Equus asinus asi- la tombe de Toutânkhamon (XVIIIe dynastie) 6 et dans
nus L.) est un descendant d’une des trois races sauvages la grande scène cynégétique de Ramsès III, sur la façade
du continent noir, celle de l’Equus asinus africanus Fitz 2. arrière du pylône, au temple de Medinet Habou (XXe
Cette branche se développa dans les semi-déserts monta- dynastie) 7. Il est hautement probable que des courres
gneux de Nubie et du Soudan oriental, entre le Nil et les semblables étaient pratiquées au Soudan ancien. Dans
rives de la mer Rouge. Elle est éteinte depuis 1925 même l’hypogée thébain de Montouherkhepshef (XVIIIe dynas-
s’il en subsisterait encore quelques spécimens dans des tie), une scène de chasse dépeint une curieuse péripétie :
zoos ou même dans la nature soudanaise, une présence une ânesse en train de mettre bas est assaillie par un renard
sans doute renforcée par l’évasion de quelques animaux ou un chacal qui s’apprête à happer le jeune venant
domestiques. On distingue aussi l’existence d’une variété au jour 8.
algérienne de l’africanus qui aurait été importée en
Égypte par les Romains 3. Ces origines dans des régions La plupart des auteurs s’accordent à situer la domestica-
qui ne furent sans doute pas toujours aussi désertes que de tion de l’âne dans la Vallée du Nil au cours du IIIe millé-
nos jours, peuvent néanmoins expliquer l’endurance de naire 9 ou un ou deux siècles plus tôt, sans remonter,
l’âne, sa résistance aux rigueurs du climat. Dans ces comme d’autres chercheurs le pensent, jusqu’au VIe millé-
régions, on le voit souvent au repos, figé sur place par le naire. Même si, d’autre part, la théorie d’un berceau méso-
lien qui l’attache à un piquet, passer des heures sous un potamien garde ses partisans, une majorité se dégage pour
soleil trop ardent, et repartir vaillamment à la tâche quand observer que l’utilisation de l’âne ne se manifeste dans
son maître le réquisitionne. Au temps des pyramides, le cette région que bien plus tard, s’ajoutant à l’usage local
climat ne devait pas être très différent de celui qui règne plus ancien de son cousin l’onagre ou l’hémione, que l’on
de nos jours des confins de l’Éthiopie aux rives de la voit représenté sur l’« Étendard d’Ur » (vers 2500 av.
Méditerranée. La résistance et l’endurance de l’animal J.-C.) conservé au British Museum à Londres 10. Dans la
furent certainement égales ou supérieures à celles de ses Vallée du Nil, en particulier en Nubie, ou encore au Sinaï,
descendants actuels. l’âne est présent dans les gravures rupestres remontant
parfois au Mésolithique. Quelques bons exemples peuvent
En Nubie soudanaise, il n’y a guère foison de témoignages être repérés sur le « Rocher des Vautours » à Elkab 11 et sur
dessinés, gravés ou écrits pouvant nous apporter quelques les pentes d’El Hosh. La domestication est formellement
détails sur le sort réservé à l’espèce domestiquée. Tout au attestée au moment où les hommes atteignent le stade
plus peut-on imaginer, en prenant pour exemples des élé- agricole, durant la période thinite (Ire et IIe dynasties), vers
ments préhistoriques récoltés en Égypte et en Nubie, 3200 avant notre ère. Ces gravures nous apprennent que
oscillant parfois du Ve jusqu’à la fin du IIIe millénaire, que des caravanes parcouraient ces régions en utilisant exclu-
l’âne était connu à l’état sauvage ou peut-être semi-domes- sivement ces animaux comme bêtes de somme. Cette
tiqué : ces indices se trouvent sur des tessons et sur des forme de domestication fut très vraisemblablement la
rochers ornés de gravures. C’est le cas d’un éclat de plus ancienne et dut remonter au moins jusqu’à l’époque
céramique (vers 3000 avant J.-C.), trouvé dans la région prédynastique.

312
Une rareté : les ânes montés relief de la tombe d’Ourkhouou (ou Khouïour, LG 95), à
Giza, datant du règne de Neferirkarê, sous la Ve dynas-
Moins éloigné dans le temps et presque par exception, un tie 16, un autre ornant le mastaba de Khnoumhotep et
document nous révèle au moins une chose pour ce qui Niânkhkhnoum (PM III/2, 641) à Saqqara, quand régnait
concerne le Soudan : l’âne était utilisé dans l’armée des Niouserrê 17, pharaon de la même dynastie. On se devra
souverains de Napata. Il s’agit d’un fragment de bas-relief de signaler au passage que les Égyptiens n’ont que très
provenant du temple de Taharqa (XXVe dynastie) à Sanam rarement représenté des hommes à cheval. Celui-ci était,
Abou Dôm (Musée de Berlin, inv. 7884), représentant trois essentiellement semble-t-il, utilisé comme animal de trait
soldats montant des ânes 12. Ce document a d’autant plus pour les chars de guerre. Quant à un usage « militaire » des
d’intérêt qu’il fait exception à toutes les représentations ânes, on versera au dossier un détail du grand bas-relief
d’époque pharaonique où jamais ne figurent des Égyptiens de la bataille de Qadesh, au Ramesseum (XIXe dynastie).
juchés sur des baudets ! Effectivement, le seul exemple Dans le camp du pharaon, un animal mâle débâté, qui
localisé dans la Vallée du Nil est le détail d’une caravane pourrait être un âne ou peut-être un mulet, est représenté
d’étrangers (Sémites ?) (fig. 2) dans la tombe du vice-roi en état visible d’excitation sexuelle et est maintenu par
Khnoumhotep III à Beni Hassan, datant de la XIIe dynas- un palefrenier 18. Ceci ne nous donne évidemment aucune
tie. Encore faut-il souligner que ce sont des enfants qui précision sur le rôle « guerrier » alloué à l’animal. On peut
sont juchés sur un seul baudet alors que l’autre animal fai- seulement imaginer qu’avec ses congénères, il était chargé
sant partie du convoi, est chargé d’objets qui pourraient des impedimenta des soldats.
être des piquets de tente 13. Dans le Sinaï, un graffito
évoque une famille d’émigrants asiatiques : la femme
monte un âne conduit à la longe par un enfant, alors que Comptabilisés et à la peine
l’homme suit à pied, bâton sur l’épaule 14.
Comme déjà précisé, des textes tardifs nous révèlent que
Ne passons pas sous silence le célèbre bas-relief du temple les ânes n’étaient pas les animaux les plus onéreux à
de la reine Hatshepsout (XVIIIe dynastie) à Deir el Bahari, acquérir. Ce qui ne signifie pas que leur possession était à
où le sculpteur a immortalisé la reine de Pount, une opu- la portée de tout modeste fellah. Leur utilité transparaît
lente personne stéatopyge représentée debout à côté de son cependant de toute évidence dans le fait qu’ils pouvaient
mari recevant les envoyés égyptiens, tandis que « l’âne qui être inclus dans le tribut des peuples soumis. La preuve en
porte sa maîtresse », comme l’indique le texte adjacent, est fournie par une scène relevée sur un fragment de
attend patiemment le moment où il lui faudra supporter palette d’époque gerzéenne ou d’Ancien Empire, conservé
l’adipeuse personne 15… au Musée du Caire 19, sur lequel est illustrée en relief
l’arrivée du tribut en provenance de Libye. À Abousir, une
Quand un Égyptien veut se faire véhiculer, il utilise une autre preuve, plus récente mais encore plus convaincante
sorte de palanquin ou de chaise à porteurs attelée entre consiste en un très beau bas-relief du temple funéraire du
deux ânes marchant côte à côte. C’est ce que révèlent un pharaon Sahourê (VIe dynastie), sur lequel défilent, en
quatre registres scindés en deux, des bœufs, des ânes, des
caprins et des ovins. Le double défilé des ânes comprend,
Fig. 2. Caravane d’étrangers. Tombe de Khnoumhotep III à Beni Hassan à gauche, un ânon et six adultes, à droite, un jeune et sept
(XIIe dynastie). Cliché François Gourdon. adultes. Entre les deux groupes, une inscription hiérogly-
phique mentionne le nombre pharamineux de 223 400
animaux 20 ! Ce nombre, qui, évidemment, ne peut être
qu’exagéré, n’est pas un exemple unique, même s’il
dépasse de loin toute autre illustration de comptabilité
pharaonique. À Giza, dans le mastaba de Seneb, sur un
montant de porte, figurent trois registres symbolisant la
richesse en animaux domestiques du maître 21. Il y a là
les bovidés au premier registre, les ânes au second, les
moutons au troisième. Les ânes ne sont que trois mais

313
l’inscription hiéroglyphique qui les surmonte indique : avoir l’esprit plus coquin : c’est alors un mâle trop amou-
« Mâles 12 017, femelles 1200 » ! reux qui s’en prend à l’ânesse qui le devance dans le rang.
On trouve cette scène également à Beni Hassan, dans l’hy-
À défaut de retracer la condition des ânes domestiques pogée d’Amenemhat, sous la XIIe dynastie 24. Il arrive aux
au Soudan antique, appuyons-nous par analogie sur ce animaux de se rebeller : la scène de l’« âne récalcitrant »,
qu’elle fut en Égypte pharaonique. C’est très largement, que l’on tire par une patte de devant et que l’on bâtonne
grâce aux scènes animant les parois des mastabas et hypo- allègrement 25 est assez fréquente. C’est souvent aux âniers
gées – et essentiellement ceux de l’Ancien Empire – que plus qu’aux baudets que des diversions sont attribuées.
l’on dispose d’une documentation que l’on peut qualifier Il s’agit tantôt de jeux de bâtons durant les pauses, tantôt
d’abondante. Les touristes visitant la nécropole de Saqqara des cris : ordres, réparties, injures parfois, que ces hommes
la découvriront dans les tombes les plus accessibles : chez se renvoient. Ce sont alors de brèves phrases inscrites en
Ti (D 22), Ankhmahor (PM III/1, 512), Mererouka (PM hiéroglyphes que les égyptologues ont bien de la peine
III/1, 525), Ptahhotep (D 64), également dans des musées: à traduire. Ces exclamations insérées dans les images
à Paris, au Musée du Louvre (Akhethetep, inv. E 10958, donnent à ces registres des allures de bande dessinée.
PM III/1, 634), à Bruxelles, aux Musées royaux d’Art et Certaines de ces séquences pittoresques s’ajoutèrent et
d’Histoire (Neferirtenef, inv. E 2465, D 55) ou à Leyde, au vinrent enrichir la tradition en étant introduites décennie
Rijksmuseum van Oudheden (Akhethetepher, inv. 1904/3, I après décennie dans le catalogue des scènes ornant les
et une scène d’un mastaba non identifié). Grâce à ces tombeaux. L’exemple le plus étonnant est celui de l’âne
représentations à large majorité agricoles, les tâches des se roulant à terre, que l’on trouve chez Ankhtifi, (VIe-VIIIe
ânes nous sont bien connues. On peut dresser une typolo- dynastie) à Mo’alla 22, et chez Amenemhat dit Ameni,
gie sommaire des principaux sujets illustrés : l’arrivée au (XIIe dynastie), dont l’hypogée se trouve à Beni Hassan 24.
lieu de travail en petites troupes encadrées par des âniers
armés de bâtons, le dépiquage du grain en tournoyant
sur une aire, le transport de lourdes charges, sous la férule Herkhouf et les caravanes
d’âniers qui manient allègrement le gourdin et enfin la
présentation au maître du domaine au moment du recen- Curieusement, alors que l’âne en fut l’acteur obligé à
sement du cheptel – bovidés, caprins et baudets. On obs- une époque où le dromadaire était encore inconnu (il le
ervera par contre que les vieux artistes n’ont représenté demeura apparemment jusqu’à l’occupation perse), on
des ânes attelés à des araires que très exceptionnellement: ne découvre guère de représentations de caravanes. Par
cette tâche était très généralement réservée à des bovidés. contre, il existe des textes qui les évoquent. C’est le
Le seul exemple indubitable se trouve dans la tombe cas dans la tombe de Herkhouf, l’envoyé de Pépi II
d’Ankhtifi à Mo’alla 22 et c’est une ânesse qui est mise (VIe dynastie) vers le Sud lointain. S’y trouve gravé le récit
à la tâche, tandis que son ânon accompagne le train (VIe- d’un de ses voyages d’où il ramène à son roi, encore
VIIIe dynastie). Ces scènes qui pourraient être monotones enfant, « un nain qui danse la danse des dieux ». Dans un
d’une tombe à l’autre, sont l’occasion, pour les artistes long texte décrivant ses aventures, Herkhouf note, au
sculpteurs et peintres, d’ajouter à la convention imposée retour d’une troisième expédition qui le mena au pays de
en un lieu où la symbolique garde toutes ses prérogatives, Iam (dans le sud de la Nubie), « qu’il retraversa la frontière
des touches de fantaisie que le visiteur moderne apprécie avec trois cents ânes chargés d’encens » 26. On citera aussi
tout particulièrement. C’est par exemple l’âne qui se un papyrus hiératique, trouvé dans la région d’Abou
rebiffe sous une charge trop lourde et mal arrimée; c’est, Simbel, relatant la rencontre d’une patrouille militaire
sur l’aire de dépiquage, un des quadrupèdes qui rompt la et d’un groupe de trente-deux hommes accompagnés de
cadence et se retourne, l’œil mauvais, contre le paysan qui trois ânes 27 sur une piste du désert. Une autre preuve de
règle la manœuvre 23. On voit souvent l’un des animaux l’usage caravanier de ces animaux se trouve sous la
se pencher pour happer au passage une poignée d’épis. forme d’une inscription au temple de Hathor, « Dame de
Lorsque l’image s’attarde sur l’arrivée du troupeau, l’ar- la Turquoise », à Serabit el Khadim, dans le Sinaï. Le texte
tiste prend l’initiative de placer un ânon auprès de sa mère, mentionne une expédition de cinq cents ânes menés par
ou le fait porter par un des gardiens du troupeau. C’est le vingt hommes du Hami, contrée asiatique non identifiée
cas dans la tombe de Baqt à Beni Hassan 17. Il peut aussi à ce jour. Sept ou huit autres textes repérés dans le Sinaï

314
Fig. 3. Près du puits de Naga. Cliché Nicole Bes.

font état de caravanes réunissant entre deux cents et six Quelques auteurs ont consacré des pages aux ânes dans
cents animaux. Si ces documents reflètent bien la réalité, leurs commentaires sur les scènes déployées dans les
voilà qui évoque des expéditions – pas forcément égyp- mastabas. Citons essentiellement Pierre Montet, dans sa
tiennes – d’une réelle importance 28. monumentale étude des Scènes de la vie privée dans les
tombeaux égyptiens, où il a concentré essentiellement
Répétons qu’aucune étude exclusivement consacrée à son attention sur le mastaba de Ti25. Jacques Vandier en a
l’âne des temps pharaoniques n’a été éditée. Certes, le fait bien davantage encore dans son magistral Manuel
monde animal a été l’objet de plusieurs publications dans d’archéologie égyptienne 23.
lesquelles cet équidé était plus ou moins représenté. Des
notices figurent à leur place alphabétique dans plusieurs
dictionnaires et encyclopédies entièrement ou partielle- La religion, la mort et la satire
ment consacrés à l’Égypte – Lexikon der Ägyptologie,
Civilisation égyptienne (Larousse), Dictionnaire de la Nous ignorons tout du rôle qu’aurait éventuellement
civilisation égyptienne (Hazan), L’homme et l’animal joué l’âne dans la ou les religions soudanaises. En Égypte,
(Encyclopédie Planète), Domesticated Animals from early on a repéré de rares cas où, à partir du Moyen Empire,
times (Heinemann, British Museum Natural History), l’animal est assimilé au dieu Seth, le frère ennemi d’Osi-
A History of Domesticated Animals (Hutchinson) – dont le ris. Ce fut peut-être par confusion entre l’âne et le mysté-
caractère et la destination ne pouvaient produire que des rieux animal hybride (oryx, lièvre ou quelque monstre
informations nécessairement laconiques – auxquels nous sorti de l’imagination humaine ?) qui fut l’apparence habi-
ajouterons les articles du Zeitschrift für ägyptische Spra- tuelle de ce dieu. L’illustration la plus précise à ce propos
che und Altertumskunde et de l’Encyclopédie Universalis. est d’époque ptolémaïque et se trouve au temple de Hathor

315
à Dendera. Il s’agit d’un bas-relief où un personnage à tête profonde de ces sujets, qui sont peut-être des caricatures,
d’âne est agenouillé et lié à un piquet. Ce doit être Seth, le nous échappe et nous échappera sans doute toujours. Nous
frère ennemi et meurtrier d’Osiris. Il est percé de trois poi- noterons simplement que la présence de l’âne signifie
gnards dans le ventre et tourne le dos à une statue d’Osiris que, par sa réputation faite d’éléments positifs ou négatifs,
suivie du dieu Kedetka, à tête de taureau 29. Face à cette l’animal avait un rôle dans les textes et illustrations
scène se trouvent Horus et les figurines de ses quatre fils, d’opinion de la société pharaonique. Qu’une dynastie
suivis d’un personnage féminin que nul indice ni texte venue de Napata – la XXVe – ait été maîtresse de l’Égypte
n’identifie. On trouve aussi l’âne dans certaines versions pendant près d’un siècle (747-656 av. J.-C.) nous permet
du Livre des Morts : sur la vignette du chapitre 40, intitulé de penser que les pharaons « noirs » ayant adopté la reli-
« Formule pour repousser (le serpent) qui avale l’âne », le gion et les traditions funéraires des territoires conquis,
baudet est représenté couché, un reptile ondulant sur son ramenèrent peut-être dans le Sud nubien d’autres habitu-
dos, tandis qu’un homme perce ce dernier d’une lance. des qui prirent racine et perdurèrent jusqu’à la fin du
Selon Paul Barguet, qui a édité une traduction de ce royaume de Méroé.
livre 30, l’âne incarnerait le péché et le serpent jouerait
donc un rôle bénéfique. Cependant, explique l’auteur, le Y en eut-il qui concernèrent les ânes ?
défunt, se disant exempt de tout péché, n’a pas besoin
d’une intervention (en l’occurrence celle du serpent) qui
doit l’en garantir.

Dans un tout autre contexte, relevons que le caractère NOTES


sexuellement ardent des ânes n’a pas échappé aux sculp-
teurs de jadis, qui ont introduit en toute franchise des 1 Cl. GORTEMAN, « Sollicitude et amour pour les animaux en Égypte
séquences de saillie dans des scènes de l’arrivée du trou- gréco-romaine », in Chronique d’Égypte, t. XXXII, n° 63, 1957.
2 Fr. E. ZEUNER, A History of Domesticated Animals, Londres, 1963;
peau 31 ou ont souligné le détail précis qui démontre l’état
P. VERNUS, J. YOYOTTE, Le Bestiaire des pharaons, Paris, 2005;
d’excitation d’un mâle 32. Une figurine en pierre calcaire J. J. JANSSEN, Commodity prices from de Ramessid period, Leyde,
découverte à Deir el Medina aborde carrément la zoophilie 1975.
3 J. CLUTTON-BROCK, A Natural History of Domesticated Animals,
en représentant un personnage sodomisé par un âne 33.
Cambridge, 1999.
C’était aussi l’image que de grossiers individus suscitaient 4 J. VANDIER, Manuel d’archéologie égyptienne, Paris, 1969; E. BRUN-
en lançant à l’endroit d’un interlocuteur exécré : « Qu’un NER-TRAUT, Egyptian artist’s sketches, Istanbul, 1979.
âne copule avec ta femme et tes enfants 34 » ! 5 Brief Guide to the Department of Egyptian and Classical Art, The

Brooklyn, New York, 1974.


6 Entre autres dans : N. REEVES, Toutankhamon, Londres, Paris, 1990-
Il reste aussi à définir la signification exacte des sépultures 1991; P. P. RIESTERER, Das Ägyptische Museum Kairo. Egyptian
ou dépôts funéraires d’ânes découverts à proximité de Museum Cairo. Musée égyptien Le Caire, Berne, 1965.
7 L. KEIMER, « Les “ânes sauvages” abattus par Aménophis II, près
nécropoles, comme c’est le cas près de la tombe du pha-
de Qadesh », in Bulletin de l’Institut d’Égypte, t. XXX, session 1947-
raon Aha, de la Ire dynastie à Abydos, près d’un mastaba
1948; J. H. BREASTED et al., Medinet Habu, Chicago, 1930-1970.
de même époque à Abousir, alors qu’un amas d’ossements 8 D. OSBORN, J. OSBORNOVA, The mammals of Ancient Egypt, War-

mélangés, dont des restes d’ânes, a été recueilli à proxi- minster, 1998.
mité du complexe de Djéser à Saqqara 35. La mise bas d’une ânesse dont profite un renard figure aussi, mais
probablement hors d’un contexte de chasse, dans l’hypogée d’Oukh-
hotep à Meir, datant de la XIIe dynastie. La scène est fort délabrée.
Terminons ce survol dédié à l’âne par la mention de docu- 9 N. BENECKE, Der Mensch und seine Haustiere, Stuttgart, 1994;

ments satiriques. Au Musée égyptien de Turin est conservé I. HOFMANN, H. TOMAND, Die Bedeutung des Tieres in der Meroitis-
un papyrus dont une des illustrations représente un orches- chen Kultur, Vienne, 1987; D. J. BREWER, D. B. REDFORD, S. RED-
FORD, Domestic Plants and Animals. The Egyptian Origins, Gand,
tre composé d’un âne harpiste, d’un lion citharède, d’un 1998.
crocodile mandoriste et d’un singe flûtiste 36. Un sceau- 10 A. PARROT, Sumer, Paris, 1981 (L’Univers des Formes); J. CLUT-

cylindre découvert à Tell Asmar est orné d’une scène TON-BROCK, Domesticated animals from early times, Londres, 1981,
chap. 9, Asses, mules and hinnies.
où l’on voit un âne faisant face à un lion, tous deux assis 11 D. HUYGE, « Cosmology, ideology and personal religious practice in
sur un tabouret, et buvant ensemble à la même cruche à ancient Egyptian rock art », in R. FRIEDMAN, Egypt and Nubia Gifts
l’aide de chalumeaux (Nouvel Empire) 33. La signification of the Desert, Londres, 2001.

316
12 Fr. HINTZE, U. HINTZE, Alte Kulturen in Sudan, Leipzig, 1966; ID., Le mastaba de Neferirtenef, Bruxelles, 1973; Y. HARPUR, op. cit.
S. DONADONI, L’art égyptien, Milan, Turin, Paris, 1993 (Encyclopédies (supra n. 23).
d’aujourd’hui, Librairie générale française). 33 E. BRUNNER-TRAUT, Die altägyptischen Scherbenbilder (Bildos-
13 E. A. WALLIS BUDGE, The Nile, Londres, 1905; G. RACHET, Diction- traka) der deutschen Museen und Sammlungen, Wiesbaden, 1956;
naire de la civilisation égyptienne, Paris, 1968; M. BAUD, Le caractère P.F. HOULIHAN, The Animal world of the Pharaos, Le Caire, 1995; ID.,
du dessin en Égypte ancienne, Paris, 1978. « Some instances of humor associated with animal riding in Ancient
14 P. MONTET, L’Égypte et la Bible, Neuchâtel, 1959. Egypt », in Göttinger Miszellen, n° 190, 2002.
15 H. RANKE, The Art of Ancient Egypt, Vienne, Londres, 1936; 34 L. MANNICHE, Sexual Life in Ancient Egypt, Londres - New York, 1987.

M. SALEH, H. SOUROUZIAN, Catalogue officiel. Musée égyptien du 35 Dépêche d’agence Le Soir, Bruxelles, 16 mars 2004; J. BOESSNECK,

Caire, Mayence, 1987. A. VON DER DRIESCH, A. EISSA, « Eine Eselbestattung der 1. Dynastie
16 K. R. LEPSIUS, Denkmäler aus Aegypten und Aethiopien, Berlin, in Abusir », in Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts.
Leipzig, 1849-1859; J. VANDIER, Manuel (…), op. cit. (supra n. 4); Abteilung Kairo, t. XLVIII, 1992; S. IKRAM, « Typhonic bones. A ritual
M. BAUD, op. cit. (supra n. 13). deposit from Saqqara », in S. J. O’DAY, W. VAN NEER, Behaviour
17 R. JANSSEN, J. JANSSEN, Egyptian Household Animals, Aylesbury, Behind Bones : The zooarchaeology of religion, ritual, states and
1989; autre exemple sur un croquis de la collection Gayer-Anderson identity, Oxford, 2003, p. 41-46.
EGA 475O-1943 au Fitzwilliam Museum de Cambridge; E. BRUNNER- 36 E. PRISSE D’AVENNES, Histoire de l’art égyptien d’après les monu-

TRAUT, Egyptian artist’s sketches, op. cit. (supra n. 4). ments, Paris, 1878; G. FARINA, La pittura egiziana, Milan, 1929;
18 J. H. BREASTED, Medinet Habu, vol. 2, Chicago, 1932; H. CHAM- S. DONADONI, op. cit. (supra n. 12).
POLLION, Chr. ZIEGLER, L’Égypte de Jean-François Champollion,
Suresnes- Nanterre, 1989.
19 J. CAPART, Memphis, à l’ombre des pyramides, Bruxelles, 1930;

A. NIBBI, « Some remarks on Ass and Horse in Ancient Egypt », in


Zeitschrift für ägyptische Sprache und Altertumskunde, 106, 1979.
20 L. BORCHARDT, Das Grabdenkmal des Königs Sahure, Leipzig,

1913; F. E. ZEUNER, A history of domesticated animals, Londres, 1963;


J. CAPART, op. cit.
21 H. JUNKER, Bericht über die Grabungen auf dem Friedhof von Giza,

t. V, VIb, Vienne, Leipzig, 1941.


22 J. VANDIER, Mo’alla. La tombe d’Ankhtifi et la tombe de Sebekho-

tep, Le Caire, 1950. L’auteur signale qu’un texte, le papyrus Lansing,


confirme la scène de labour de Mo’alla. La phrase révélatrice est la sui-
vante : « En cette année, on amènera aussi l’ânesse, et elle labourera en
temps (voulu); elle obéit à (son) conducteur, et il ne lui manque que la
parole ».
23 Tombes de Kahif et de Khafraânkh à Giza : K. R. LEPSIUS, Denkmä-

ler (…), op. cit. (supra n. 16); Mastaba de Ti : J. VANDIER, Manuel


(…), op. cit. (supra n. 4); Mastaba de Khafraânkh à Giza LD 75 :
Y. HARPUR, Decoration in Egyptian Tombs of the Old Kingdom,
Londres- New York, 1987 (Studies in orientation and scene content);
A ERMAN, H. RANKE, La civilisation égyptienne, Paris, 1963.
24 K. R. LEPSIUS, Denkmäler (…), op. cit. (supra n. 16).
25 Par exemple chez Ti et chez Ptahhotep-Akhethetep à Saqqara : N. DE

GARIS DAVIES, The mastaba of Ptahhotep and Akhethetep at Saqqara,


Londres, 1905; P. MONTET, Les scènes de la vie privée dans les tom-
beaux égyptiens de l’Ancien Empire, Strasbourg, 1925.
26 K. SETHE, Urkunden des Alten Reiches, t. I, Leipzig, 1932.
27 C. ALDRED, Les Égyptiens, Paris, 1965.
28 Pour la stèle de Serabit el Khadim : D VALBELLE, Ch. BONNET, Le

sanctuaire d’Hathor,
maîtresse de la turquoise, Paris, 1996; A. NIBBI, op. cit. (supra n. 19)
pour les autres inscriptions du Sinaï.
29 A. MARIETTE, Denderah, t. IV, Paris, 1873.
30 P. BARGUET, Le Livre des Morts des anciens Égyptiens, Paris, 1967.
31 Par exemple dans l’hypogée de Baqt à Beni Hassan : (R. JANSSEN,

J. JANSSEN, op. cit. (supra n. 17); dans celui de Paheri : J. J. TAYLOR,


F.Ll. GRIFFITH, The tomb of Paheri at El Kab, Londres, 1894.
32 Silhouette d’un âne au pénis très exagéré, provenant du cimetière

118 de Tell Alaqi : D. OSBORN, J. OSBORNOVA, op. cit. (supra n. 8);


voir aussi un mâle au premier plan de la scène du dépiquage au mastaba
de Neferirtenef : B. VAN DE WALLE, Le Mastaba de Neferirtenef
aux Musées royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles, Bruxelles, 1930;

317
Fig. 1. Girafe, Encyclopédie de DIDEROT et D’ALEMBERT. Recueil de Planches, vol. VI, pl. V, fig. 1., Paris, 1768.
Cliché M. Lechien.
Zarafa, première Girafe de France !

Olivier LEBLEU

Ce n’était pas la première en Europe : l’Italie en avait Bouches-du-Rhône, Christophe de Villeneuve-Bargemon,


accueilli deux précédemment, au XIIIe puis au XVe siècle. prend derechef la sage décision de libérer la bête à la
Plusieurs dépouilles avaient aussi voyagé dans les malles faveur du crépuscule et de la transférer dans une étable
de voyageurs-chasseurs, tel le français Levaillant à la fin édifiée sur (dé)mesure dans une cour de son hôtel particu-
du XVIIIe siècle. Mais celle-ci fut assurément la première lier. Le reste du cortège aura voyagé en plein jour,
à fouler vivante le sol de France, il y a précisément cent- quelques heures plus tôt, pour effet de diversion.
quatre-vingts ans. De l’arabe zeraffa, signifiant « l’agréa-
ble », « la charmante », on forgea à la fois le terme géné- Car Zarafa n’est pas arrivée seule. Le brigantin, vaisseau
rique de girafe (d’où l’usage répandu des deux f au XIXe à deux mâts et pont unique, réquisitionné pour l’occasion,
siècle, disparus en français, mais conservés en anglais) et emportait avec elle sur la Méditerranée, une escorte digne
le patronyme de cet illustre spécimen : Zarafa. Car c’est du plus haut dignitaire en mission commandée, incluant
bien d’une vedette (même malgré elle) dont il faut parler 1. deux ânes, trois vaches, quatre moutons, deux agneaux,
deux antilopes 2. Presque une arche de Noé ! Des ânes pour
Notre girafe est d’espèce nubienne, Camelopardalis came- le bât, des ovins pour la bouche et des antilopes en cadeau
lopardalis, née dans le désert du Kordofan, futur Soudan bonus... Mais pourquoi des vaches ? Elles remplissent la
(fig. 1). La première partie de son périple la mène de Khar- fonction essentielle de nourrices ! Car comment espérer
toum jusqu’à Alexandrie, à dos de chameau ou sur une acclimater à l’homme un animal sauvage ? En le raptant
felouque du Nil. Après avoir traversé la Méditerranée, à sous la mère. Comment tenir en vie une bête non sevrée ?
bord d’un bateau dont on a scié un carré sur le pont pour En lui assurant un lait de substitution. Et les Arabes du
que son cou puisse émerger de la cale, Zarafa arrive en Kordofan, coutumiers du fait, avaient constaté que celui
France le 23 octobre 1826. À dire vrai, lors de son arrivée de leurs vaches faisait fort bien l’affaire, pourvu qu’on
dans le port de Marseille, elle ne pose pas aussitôt le sabot
à terre. La cité phocéenne demeurant traumatisée par la
Fig. 1. Arabes chassant la girafe © Collection privée.
peste qui emporta la moitié de sa population au siècle
précédent, Zarafa doit auparavant se plier à la dure loi
de la quarantaine, comme toute marchandise animée ou
inanimée, de composition triviale ou exceptionnelle, à des-
tination royale ou populaire. Elle amerrit ainsi dans un
lazaret qui devait tenir davantage d’une prison-hôpital que
d’une auberge quatre étoiles.

Sans tarder, en dépit de cet isolement sanitaire, le bruit


se répand à Marseille d’une sorte de monstre importé de
Barbarie. De taille exceptionnelle, de constitution extra-
vagante, l’animal ne serait rien de moins que l’incarnation
effrayante de la Tarasque, issue de la mythologie populaire
méridionale. Craignant pour l’ordre public, le préfet des

319
n’interrompît point ce régime. Prévoyant, le Pacha a aussi donc confortablement profiter des soins constants du Pré-
pris soin de suspendre au cou de Zarafa une amulette fet de Marseille. Une correspondance assidue s’établit
contenant un verset coranique sensé la protéger du mau- entre ce dernier et les professeurs du Muséum, soucieux de
vais œil 3. connaître tous les détails concernant ce phénomène de la
nature. Monsieur Salze, de l’Académie des Sciences de
Pour cheminer de nuit dans cette ville étrangère, provisoi- Marseille, est mandaté pour mener cet examen scientifique
rement séparée de ses mères nourricières, Zarafa se ras- qui aura l’honneur d’une publication officielle, pour satis-
sure avec la vue d’une nouvelle croupe se dandinant faire la curiosité de chacun, savants ou simples curieux.
devant elle, celle du cheval du gendarme ouvrant cette
marche sous haute sécurité. Si l’arrière-train disparaît au L’observateur révise le jugement d’Ibn-El-Faqib, ce géo-
tournant d’une rue, la girafe n’avance plus; elle attend son graphe arabe du XIe siècle qui faisait de la girafe un flori-
retour... Enfin, elle parvient à destination, couvée par le lège animalier : « la taille d’un chameau, la tête d’un cerf,
regard déjà enamouré du Préfet qui a tout prévu pour le la peau d’une panthère, les sabots d’une vache, et la queue
séjour de sa « pupille ». Madame la Préfète aurait, dit-on, d’un oiseau ». À y regarder de près, le fabuleux animal ne
aussitôt entrevu le profit mondain à tirer de cette invitée de ressemble à aucune espèce à ce jour répertoriée. Il est
marque et imaginé le déroulement de ses futurs « dîners à exceptionnel dans ses dimensions (3,47 mètres des sabots
la girafe ». Quoi qu’il en soit, on a décidé de garder Zarafa à la base des cornes), dans son allure (l’amble), dans son
à l’abri jusqu’aux prochains beaux jours, dans le souci de expression (apparemment muette), dans ses mœurs (paci-
préserver la santé de cette fille du désert exilée aux portes fiques), dans ses postures : « Ce n’est pas sans une grande
de notre hiver. difficulté qu’étant debout, il peut abaisser sa bouche
jusqu’à terre; il est obligé pour y parvenir d’écarter les
Zarafa n’avait assurément rien demandé. Mais son fabu- jambes de devant, de rétracter la croupe, de pousser les
leux destin fut de devenir le vivant présent du pacha épaules en avant, d’allonger le cou par un mouvement
d’Égypte au roi de France 4. Ne soyons pas naïfs, il n’est roide, forcé, en quelque sorte ridicule; on le dirait alors
rien de gratuit dans le cadeau d’un souverain à un autre. La disloqué, estropié : il peut bien ramasser une branche d’ar-
largesse de Méhémet-Ali était toute diplomatique. Le bre, mais on ne conçoit pas qu’il puisse boire dans cette
pacha n’étant à cette époque que le vassal du sultan de pénible attitude » 6. Et pourtant ! Notons encore que Zarafa
Constantinople, il tentait ainsi de convertir en sa faveur ne boit pas d’eau, rien que du lait (vingt-cinq litres quoti-
les bonnes grâces européennes alors contrariées du fait diens), servi frais dans une jatte impeccable – et jamais
de la répression sanglante par l’empire ottoman de la ten- en public.
tative d’indépendance grecque. Les journalistes français
ne seront pas dupes : « Grâce soit rendue à Méhémet-Ali; Quelques privilégiés sont cependant conviés au spectacle
il sait que les petits présents entretiennent l’amitié; il de la merveille. Parmi les premiers, une Marseillaise eut
nous envoie des quadrupèdes à défaut d’oreilles de Grecs cet honneur et admira chez Zarafa « sa peau blanche ornée
salés » 5. Charles X ne l’est pas non plus. Mais ce roi, âgé, de taches rousses bien dessinées, sa robe élégante, ses for-
réactionnaire et cléricaliste, y a vu l’opportunité, tout en mes gracieuses, son air doux et même caressant. Comme
servant l’intérêt de la science et la curiosité de ses sujets, je la regardais, elle fixa ses regards sur moi et je ne pus
de redorer son blason. m’empêcher de l’appeler ma belle. À ces mots, elle baissa
la tête qui touchait au plancher et vint la passer par la fenê-
L’ironie de l’histoire est que le Roi de France sera le tre basse où j’étais. Je crois que son intention était de me
dernier à contempler son cadeau. Ainsi en a décidé la lécher, car elle sortait sa langue, mais je me reculais et elle
Duchesse d’Angoulême, gardienne acariâtre de l’étiquette retira son long col » 7. Il faut dire que cette langue préhen-
royale, brocardée comme étant « le seul homme de la sile, de couleur noir-bleuté et longue d’environ cinquante
famille » : c’est à la girafe de monter au roi, et non pas centimètres, en fit défaillir plus d’une, qui crurent voir sur-
au monarque de se précipiter au-devant du vulgaire ! gir un serpent de la gueule de l’animal.
Concédons à la fille de Louis XVI, seule rescapée de
la Terreur, quelques circonstances atténuantes à cette D’apparence nonchalante, la girafe peut aussi démontrer
psycho-rigidité... En attendant le printemps, Zarafa va une force impressionnante, comme tente de le décrire

320
M. Salze : « Elle veut quelquefois se lancer au galop; elle On s’est assuré dans ses promenades, pour lesquelles six
entraîne alors avec elle les quatre Arabes qui la retiennent hommes sont chargés de la tenir par précaution au moyen
et nous l’avons vue, dans un moment de gaieté, entraîner d’autant de longes, que cet animal se laisse facilement
cinq hommes vigoureux ». Le scientifique conclut que l’a- conduire. Les vaches, ses compagnes, la précèdent et
nimal est un miracle d’harmonie : « On peut dire que la elle obéit à leur direction. Ni le bruit, ni les attelages, ni
girafe n’a rien d’élégant ni de gracieux dans le détail de la foule des curieux qui se pressent autour d’elle ne lui
ses formes : son corps court, ses jambes hautes et rappro- causent le moindre ombrage. Les animaux qui font sa ren-
chées, l’excessive longueur de son cou, la déclivité de son contre n’en sont pas plus effrayés » 8.
dos, sa croupe mal arrondie et sa queue, longue et nue,
toutes ces choses contrastent d’une manière choquante. Zarafa remontera donc à pied, ou plutôt à sabot, de Mar-
Elle paraît mal assise, mal en équilibre sur ses pieds, mais seille à Paris – 880 kilomètres ! L’offre de service du direc-
on est cependant saisi d’étonnement à son aspect et on la teur d’un cirque ambulant est brièvement envisagée, mais
trouve belle sans pouvoir dire pourquoi ». on comprend trop bien quels bénéfices privés ledit « Sieur
Polito » compte retirer de l’exhibition itinérante du royal
Chaque mois, le préfet Villeneuve écrit au Muséum, pour présent. Plus sérieusement, le Muséum désigne pour l’or-
tenir informés les Professeurs de l’état de Zarafa, mais ganisation et la mise en œuvre de cette expédition à hauts
aussi de celui des dépenses engagées. Dès janvier 1827, risques, l’un de ses plus éminents membres fondateurs :
le fonctionnaire zélé lance la réflexion sur la « translation» Etienne Geoffroy Saint-Hilaire. Le célèbre naturaliste,
de la girafe. Comment remonter le cadeau au Roi, dans les outre ses compétences scientifiques, bénéficie d’une cré-
meilleures conditions de sécurité pour bêtes et hommes ? dibilité en la matière : trente ans plus tôt, il a participé à
Trois solutions sont envisagées – par voie de mer, de la Campagne d’Égypte de Napoléon, y a dressé un remar-
fleuve ou de terre – mais les avis divergent. Villeneuve quable inventaire de la faune et de la flore locales, et s’est
n’envisage pas la route et rejette la voie maritime. Remet- illustré par son courage physique en refusant de quitter le
tre le précieux animal sur un bateau qui contournerait pays sans ses précieuses collections, une fois que l’Égypte
l’Espagne, via Gibraltar puis jusqu’au Havre pour remon- fut passée aux mains des Anglais. Honorablement âgé de
ter la Seine, lui semble trop risqué. Passionné d’histoire cinquante-cinq ans, perclus de rhumatismes, Geoffroy
locale, il a sans doute en mémoire la mésaventure du rhi- accepte cependant volontiers cette mission spéciale.
nocéros de Léon X : offert en 1513 au roi du Portugal qui
à son tour le destinait au Pape, ce rhinocéros venu d’Asie Car la girafe n’est pas seulement un cadeau diplomatique,
fit escale à Marseille, sur l’île d’If, en 1516, avant de pas seulement un faire-valoir politique, elle est aussi, dans
reprendre sa route et de périr noyé lors d’une tempête ce premier quart du XIXe siècle, l’enjeu d’un brûlant débat
dans le golfe de Gênes; le Pape ne reçut de son cadeau scientifico-religieux. D’un côté, les fixistes menés par
qu’une dépouille et une corne. Georges Cuvier : pour ce collègue de Geoffroy, les espèces
sont immuables, mais des catastrophes auraient anéanti
Consulté depuis Le Caire, le consul de France Bernardino des populations, renouvelées ensuite soit par migration
Drovetti, qui a organisé la première partie du voyage de depuis des régions épargnées, soit par de nouvelles pro-
Zarafa, se prononce contre les inévitables aléas de la route ductions d’êtres organisés. En face, les transformistes
et contre ceux de la voie fluviale, redoutant en particulier représentés par Jean-Baptiste de Lamarck, pour lequel
l’impétuosité du Rhône. Les responsables du Muséum l’évolution des espèces est un fait avéré. Sa théorie repose
sèchent… Finalement, la solution va s’imposer d’elle- sur l’influence de l’environnement sur le développement
même. Alors que le printemps s’annonce, que Zarafa com- des organes et sur l’hérédité des caractères acquis. Avant
mence son sevrage, requérant bientôt un mélange quoti- même l’arrivée de Zarafa, la girafe est au cœur de la théo-
dien de maïs, d’orge et de fèves concassés, et qu’elle se rie transformiste : « on sait que cet animal, le plus grand
met à brouter avec délectation feuilles de tilleul, cerisier, de tous les mammifères, habite l’intérieur de l’Afrique et
mimosa, robinier, if et thuya, le préfet note qu’elle « est qu’il vit dans des lieux où la terre, presque toujours aride
toujours pleine de vigueur et, depuis qu’il ne fait plus et sans herbage, l’oblige de brouter le feuillage des arbres,
froid, on la conduit chaque jour à quelque distance de la et de s’efforcer continuellement d’y atteindre. Il est résulté
ville. On a reconnu que cet exercice lui était nécessaire. de cette habitude, soutenue, depuis longtemps, dans tous

321
les individus de sa race, que ses jambes de devant sont l’impression d’une succession de promenades récréatives.
devenues plus longues que celles de derrière, et que son Son premier souci étant de pouvoir communiquer avec les
col s’est tellement allongé, que la girafe, sans se dresser deux cornacs arabes, Hassan et Atir, le préfet lui confie
sur les jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mèt- pour interprète le jeune Joseph (Youssef) Ebed, « un Égyp-
res de hauteur (presque vingt pieds) 9 ». tien de bonne conduite », descendant d’un soldat mame-
louk de l’Armée impériale 11. Un conducteur et sa char-
C’est dire si Zarafa soulève les passions ! N’oublions pas rette sont engagés pour le transport des effets personnels,
que le régime monarchiste de Charles X est clairement des caisses d’autres animaux exotiques moins encom-
cléricaliste; il peut en coûter de bousculer certains dog- brants, et surtout des provisions de graines pour la girafe.
mes. Déjà sous le règne du roi précédent, l’achat de la Une voiture attelée est prévue pour le repos des hommes.
première collection d’antiquités égyptiennes rassemblée Enfin, en pragmatique, Geoffroy a l’idée de faire confec-
par le (même) consul Drovetti, avait été refusée, officiel- tionner un manteau de pluie pour la belle orpheline : pour
lement en raison de sa cherté, officieusement sous pression 103,50 F, un tailleur lui coupe sur mesure un costume
du clergé qui juge sacrilège l’idée d’importer des objets deux-pièces en toile gommée, boutonnée par le devant,
soi-disant antérieurs à la création de l’Homme selon la avec capuche pour la tête. L’ensemble sera frappé d’un
Genèse. Sous le nouveau roi, le Secrétaire d’État, Mon- côté des armes du pacha d’Égypte, de l’autre de celles du
seigneur Frayssinous, fait limoger un grand nombre de roi de France. Bien lui a pris puisqu’au matin du grand
professeurs pour leurs théories iconoclastes. La stature départ, le 20 mai 1827, il pleut sur Marseille.
scientifique de Geoffroy est trop importante pour lui faire
craindre personnellement des ennuis, mais il peut s’inquié- Le cortège se met en route : dans l’ordre se suivent une
ter pour la diffusion de ses convictions, ou encore pour estafette de deux gendarmes à cheval, devançant Zarafa
l’avenir de ses élèves et, en premier lieu, de son fils et dis- de cinq cents mètres, pour éclairer la route et arrêter les
ciple, Isidore. diligences, voitures de poste, chariots des marchands
et des paysans; le brigadier et trois gendarmes, toujours
Mais Geoffroy en a vu bien d’autres, en Égypte ou au à cheval (escorte relayée à chaque canton); la voiture
Portugal. La remontée de la girafe sera son baroud d’hon- attelée; deux (ou trois) vaches laitières, menées par
neur ! L’étude de Zarafa constitue un parfait exercice de Joseph; Geoffroy (quand il marche); Zarafa; encadrée
vulgarisation, tant elle est la démonstration vivante de sa par le chef palefrenier Hassan devant, Atir à la longe droite
célèbre théorie du « balancement des organes » : « un sys- et le Marseillais Barthélemy Chouquet à la longe gauche;
tème d’organes n’acquiert une dimension hors des propor- la charrette avec bagages, vivres et petits animaux; un
tions communes, que sous la raison nécessaire que d’aut- dernier gendarme à cheval pour fermer le ban. Le 21 mai,
res organes soient restreints et diminués d’une quantité Geoffroy écrit sa première lettre à Villeneuve, début
équivalente ». Voilà pourquoi la girafe possède une tête et d’une précieuse correspondance tenant lieu de journal de
un tronc brefs, des jambes et un cou longs. « Elle se sert de bord : « Notre début a été dur; plus grande distance à par-
sa haute tête comme d’un balancier, pour porter sur un courir, une pluie de longue durée, un monde non encore
côté un excédent de poids selon le besoin 10 ». Geoffroy façonné aux nécessités du voyage et assez disposé à éman-
partira sur la route même qu’emprunta, onze ans plutôt, cipation. Ces premières données n’ont point désobligé la
son vieil Empereur dans une ultime tentative de recon- Giraffe, n’ont point nui à sa santé et sont au contraire
quête du pouvoir. Le créateur du premier zoo de France, va encourageantes pour l’avenir, où de bonnes habitudes
pouvoir innover en promenant par monts et par vaux, par vont être commandées et seront reçues, je l’espère. Tout
villes et villages, l’un des animaux les plus extraordinaires cela prouve, ce qu’on a dit depuis longtemps, qu’il y a un
de la Création. Il va porter la science, l’exotisme, le mer- Dieu pour les innocents » 12.
veilleux jusqu’au seuil des humbles. Son plus beau cours
sera à l’école buissonnière. À Aix, première grande étape, Zarafa est officiellement
accueillie par monsieur le Maire, qui a organisé un défilé
Dès son arrivée à Marseille, Geoffroy s’attache à organiser pour le plus grand plaisir de ses concitoyens : « Elle fut
le convoi. Il prévoit un périple de cinquante-deux jours, promenée par les rues principales; on applaudissait quand
en procédant par petites étapes pour donner à Zarafa elle daignait brouter les fleurs des vases exposés aux

322
fenêtres des premiers étages. On la logea à l’auberge de la Le 2 juin 1827, le naturaliste signale un événement qui dut
Mule-Blanche, dont la porte d’entrée était démesurément lui donner des sueurs froides : « Tout va bien comme à l’or-
élevée 13 » (fig. 2). Au sortir du département, saluant le dinaire. La giraffe avait pris un clou dans la membrane
préfet depuis les bords de la Durance le 24 mai 1827, entre les sabots. Le clou lui a été aussitôt retiré. Elle n’a
Geoffroy fait preuve d’une belle humeur, malgré quelque pas boité. Cependant je m’aperçois qu’elle se lasse de la
querelle d’ego : « Il est difficile de mieux marcher : chacun continuité de la marche et c’est cela qui m’a mis en souci.
sait ce qu’il a à faire et chacun est à son emploi; je dis cela Je viens de ralentir sa marche et elle arrivera de Valence
de toutes bêtes et gens. La giraffe ce matin à Orgon se non en quatre mais en six jours ». Geoffroy redoute l’es-
tenait calme dans son carapaçon armorié : dès qu’elle eut cale lyonnaise, et il n’a pas tort : pendant quatre jours, la
vu les vaches dans le mouvement du départ, elle partit foule va s’y bousculer pour apercevoir cette belle étran-
elle-même, ayant précédé l’ordre son chef palefrenier gère, qui a le bon goût de dresser son long cou au-dessus
Khassan, glorieux comme un paon de tenir la corde de de tous. La force publique est débordée, l’incident est
tête. Il craignait que le marseillais Barthélémi n’élevât la inévitable : « Les curieux ayant couru très vite de son côté,
prétention d’être en flèche, c’est-à-dire, dans les idées elle a pris peur et s’est mise à galoper autour de la statue
de cet arabe, d’être en supériorité à lui. ». Villeneuve de Louis XIV comme elle aurait pu le faire dans les
continuera de couvrir la girafe de sa bienveillance en la déserts d’Afrique. Les nègres ayant voulu la retenir, trois
recommandant expressément aux préfets des départements d’entre eux ont été jetés par terre. Un seul n’a pas lâché
voisins. prise et est enfin parvenu à calmer le pauvre animal. Les
gardes avaient beau dire au peuple de ne pas courir de
peur de l’effrayer, on n’en courait que plus vite... Le
Fig. 2. La Bête au Bois dormant © Collection privée.
cheval d’un des chausseurs de l’escorte de la giraffe, ayant
pris peur en entendant les cris de la foule, a rudement
reculé malgré les efforts de son cavalier et a renversé
une femme octogénaire; celle-ci a été transportée à l’Hôtel
Dieu ainsi qu’un jeune homme assez fortement froissé
dans la mêlée 14 ».

Dans le mouvement de panique, Geoffroy écopera lui


aussi de blessures, quoique bénignes. L’incident du
clou, la pression populaire, la santé de sa protégée font
imaginer à Geoffroy un plan B : embarquer Zarafa sur la
Saône, jusqu’à Chalons. Il s’en ouvre au préfet, avant de
soumettre l’idée à son Excellence le Ministre de l’Inté-
rieur, dans une lettre interminable où l’obséquiosité se
mêle aux maladresses d’expression, révélant son état
personnel de stress et de fatigue. Malheureusement, le
ministre ne daignera jamais répondre. Geoffroy en est si
marri qu’il abandonne presque toute correspondance.
Souffrant de rétention urinaire, il voit avec quelque soula-
gement son fils Isidore, vingt-et-un ans, le rejoindre à
Auxerre. Zarafa reprend la route, remportant toujours plus
de succès sur son passage. Aux abords de la capitale, le
cortège emprunte un itinéraire bis pour semer les foules,
égarant quelques mondains venus à sa rencontre en grand
équipage.

Enfin, le 30 juin 1827, à cinq heures et demie du soir, la


girafe arrive à Paris ! (fig. 3) Zarafa aura parcouru les

323
moiselle lui a présenté un bouquet qu’elle a effleuré de sa
bouche légère. Le Roi lui-même s’est complu à lui faire
manger dans le creux de sa main des feuilles de rose dont
elle paraît très friande. Les caresses de cet animal, sa dou-
ceur, son affabilité, ont vivement touché les Princes et tou-
tes les personnes de la Cour 15 ».

Dès lors, une véritable girafomania s’empare de la France.


Scientifiques, éditorialistes, caricaturistes, pamphlétaires,
chansonniers, compositeurs, tous récupèrent la girafe. Le
plus grand bénéfice ira aux commerçants, qui reproduisent
l’image de Zarafa sur tous les supports possibles : vais-
selle, statuettes, porte-cure-dent, coupe-cigare, bougeoirs,
boîtes d’allumettes, tabatières, bonbonnières, fers à repas-
ser, bassinoires, médailles, plaques de cheminée, alma-
nach, bronzes, pendules, enseignes, girouettes, tapisserie,
peignes, encriers, bougeoirs, presse-papier, supports de
veilleuse, jouets, pain d’épice, moules à gâteaux, sauce à
la girafe, jouets avec cou articulé, décor sur lits, armoires
de mariage, savons, papier peint. On faillit même avoir à
Paris, place de la Bourse, des lampadaires-girafes au gaz
Lebon pour remplacer les vieux réverbères à huile.

Zarafa est à la mode : chapeaux, ceintures, sacs à main


brodés, bourses de perles, cannes, éventails, mouchoirs,
carnets de bal, ombrelles. Le chignon se porte à la girafe :
Fig. 3. Girafe, cornac et belvédère © Collection privée. à la verticale avec rubans, nœuds, plumes et fleurs. Pour
les messieurs, gilets, chapeaux, cravates et cols hauts sont
baptisés girafiques. On vend du tissu ventre de girafe,
huit cent quatre-vingt kilomètres séparant Marseille de girafe amoureuse, girafe en exil. Comme on loue sa grâce,
Paris en un temps record de quarante-deux jours, dont sept son élégance, sa douceur, sa dignité, on admire ses yeux :
de repos, soit dix jours de moins que les prévisions de on ne peut faire de plus joli compliment à une dame que
Geoffroy. Et selon ce dernier, elle est en pleine forme : de lui dire qu’elle a des yeux de girafe !
«elle a pris du poids et s’est fortifiée par l’exercice. Ses
muscles étaient plus fermes, son poil plus doux et plus lus- Le propre de la mode étant de passer, la gloire de Zarafa
tré à son arrivée à Paris qu’à son départ de Marseille. Elle pâlira avec les événements des Trois Glorieuses et l’exil
mesure à présent trois mètres quatre-vingts. En outre, ses de Charles X – chacun son tour. « Regardez, girafes
manières ont gagné en assurance ». De son côté, le vieux du moment : ainsi passe la gloire ! Méditez sur cette peau
naturaliste se précipite chez un chirurgien. Il croit son bourrée de paille que les gardiens époussètent chaque
calvaire terminé, mais c’est sans compter sur la Duchesse matin, et songez que personne parmi vous ne laissera
d’Angoulême. L’intransigeante veut une présentation offi- même autant après sa mort ! » 16. Certes, mais Zarafa
cielle au château de Saint-Cloud ! Et ce que Duchesse n’en finira jamais d’alimenter notre imaginaire : cent
veut… Le 9 juillet 1827, enfin, Charles X rencontre son quatre-vingts ans plus tard, on en parle encore !
cadeau : « Sa Majesté a voulu voir l’animal courant. On l’a
stimulé, et il a fait, au trot, trois tours du plateau, jetant
d’abord, comme nous l’avons dit, ses jambes de devant,
puis portant ses jambes de derrière un pied en dehors du
point d’appui des premières. Après cet exercice, Made-

324
NOTES

1 O. LEBLEU est l’auteur des Avatars de Zarafa, première girafe de


France : chronique d’une girafomania 1826-1845 (éditions Arléa, 200
pages, 110 illustrations) qui rassemble pour la première fois l’ensemble
de l’iconographie disponible et revient aux sources des archives origi-
nales sur le sujet.
2 Registre du port de Marseille, déclaration du capitaine Manara, 23

octobre 1826.
3 G. DARDAUD, Une girafe pour le roi, Paris, Dumerchez-Naoum,

1985.
4 À l’origine, les girafeaux sont deux. L’autre est revendiqué par le

consul Henry Salt pour attribution au roi d’Angleterre. Un dilemme se


pose considérant le piètre état de santé d’un des animaux. Ne voulant
surtout contrarier personne, Méhémet-Ali procède à un tirage au sort,
qui favorisera la France. La girafe envoyée à Londres ne survivra en
effet que deux ans à son exil.
5 Article du journaliste Méry dans le Messager du 21 novembre

1826.
6 « Notice sur la Giraffe, envoyée au Roi de France par le pacha d’É-

gypte », rédigée par M. Salze de l’Académie des Sciences de Marseille,


publiée dans la Gazette Universelle de Lyon du 14 juin 1827, reprise à
Paris dans le Moniteur Universel du 30 juin 1827.
7 F.-L. TAVERNIER, « Deux hôtes princiers à l’Hôtel Roux de Corse

sous la Restauration », Revue Illustrée du Musée du Vieux Marseille,


avril 1959.
8 Lettre du préfet des Bouches-du-Rhône, Christophe de Villeneuve-

Bargemon, aux Professeurs du Muséum de Paris, en date du 19 mars


1827.
9 J. B., LAMARCK (de), Philosophie zoologique, Paris, 1809.
10 É. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, Sur la girafe, 1827.
11 Ces Mamelouks, survivants de la garde impériale et leurs familles,

vivaient dans un camp de réfugiés en périphérie de Marseille. Ces Har-


kis du XIXe siècle, qui ont combattu auprès de Napoléon pendant la
campagne d’Égypte, sont devenus persona non grata sur leur terre
natale. Placés sous la surveillance de la police française, dépendants
de l’administration militaire bien que rendus à la civile, ils sont mal
vus et souvent maltraités par une population largement royaliste…
L’Histoire a maintes fois démontré que l’envahisseur se révèle diffici-
lement reconnaissant pour ses alliés indigènes.
12 Archives départementales des Bouches-du-Rhône.
13 Le Caducée, souvenirs marseillais, provençaux et autres, tome II,

Marseille, 1879.
14 Gazette Universelle de Lyon, samedi 9 juin 1827.
15 Dernière notice sur la Girafe, contenant la relation de son voyage

à Saint-Cloud, Paris, imp. Moreau, 1827.


16 Le Caducée, op. cit.

325
Le dromadaire

Xavier VAN DER STAPPEN

L’âne représenté sur les bas-reliefs transportant l’or de récente, si on la compare à la tentative manquée du
la Bérénice Pancrisia (Berenike Panchrysos), une cité dromadaire sauvage d’envahir le nord de l’Afrique par le
mythique pour les Grecs, située à plus de 400 km du désert du Sinaï, voici deux à trois millions d’années.
Nil dans l’actuel désert de Nubie, atteste d’un Sahara
autrefois vert et humide. Car, il fallait d’énormes quantités Aujourd’hui, sur une population mondiale de dromadaires
d’eau pour traiter les tonnes de terre et en extraire l’or, estimée à 20 millions de têtes, 80 % vivent en Afrique,
mais aussi maintenir en vie les hommes et les animaux dans les pays de la bande désertique qui s’étend de
dans ces lointaines contrées. Le couvert végétal et le l’Atlantique à l’est, jusqu’à la mer Rouge à l’ouest. Dans
climat vont cependant se modifier radicalement au cours cette zone, deux pays – la Somalie et le Soudan – possè-
des siècles. dent à eux seuls plus de 70 % du cheptel africain. En Asie,
environ 70 % des dromadaires se répartissent sur le sub-
La navigabilité du Nil rendue impossible par les nombreu- continent indien. Les populations les plus importantes se
ses cataractes qui jalonnent son cours en amont du Djebel trouvent en Somalie, 6 millions de têtes; au Soudan, 3,5 à
Barkal, la voie terrestre passant à l’ouest de la Vallée du 4 millions; en Mauritanie, 1,5 à 2 millions; en Inde, 1 mil-
Nil apparaît comme la seule alternative pour accéder aux lion; et en Éthiopie, 1 million. En l’absence de statistiques
esclaves du sud, à la gomme arabique du Darfour et du fiables, ces chiffres sont sans doute sous-évalués. La pré-
Kordofan, ainsi qu’aux ivoires. Mais il faut encore disposer sence du dromadaire est limitée par les climats humides
du moyen de transport adéquat pour traverser des déserts et par l’existence de la mouche tsé-tsé au fur et à mesure
où les oasis sont rares. Si l’âne a, durant des siècles, permis que l’on se rapproche de l’Équateur.
le transport des produits africains vers la terre d’Égypte, le
dromadaire prend la relève à l’époque où commence la
désertification des zones sahariennes. Sans ce « vaisseau Les races de dromadaires du Soudan
du désert », le lien entre l’Égypte et le Soudan (Bilad as-
Sudan) – le pays des Noirs – aurait été définitivement Dans le Soudan actuel, les diverses races de dromadaires
coupé. sont liées à des ethnies d’éleveurs. Il s’agit principalement
des Kababish, des Shukria et des Hadendowa. Les droma-
Le vocable « dromadaire », du grec dromas, - ados, « [celui] daires les plus recherchés seraient de races Anafi et
qui court », dérive de dromos (course). Le dromadaire est Bishareen, réputés pour leur rapidité à la course. Le dro-
un mammifère de la famille des camélidés du genre Came- madaire des Rashaïda est reconnu pour sa grande résistance
lus. Contrairement au chameau asiatique, le dromadaire à la sécheresse, alors que le grand Lahaween à la toison
ne possède qu’une bosse. Le Camelus dromedarius a été claire donne une viande excellente. La race dite Arabe
introduit sous une forme domestiquée, il y a environ 5000 offre un excellent revenu pour son propriétaire, car elle
ans via la Péninsule arabique. Il s’agit d’une introduction allie les qualités d’un animal de transport et une viande
appréciée. Au Soudan, le lait produit par les chamelles
représente un apport alimentaire appréciable. Ce lait,
consommé au niveau local, n’est pas commercialisé. Les
Marché des dromadaires de Kom Ombo. Cliché François Gourdon. camélidés sont principalement destinés à l’exportation

327
et acheminés vers les abattoirs d’Égypte et de Libye. Ce l’estomac du dromadaire contient des bactéries, mais il a
marché représente une importante source de devises. la particularité d’avoir des glandes digestives. Il peut por-
ter des charges de deux cent cinquante kilos pendant plu-
La race cameline Rashaïda (du nom d’un groupe d’éle- sieurs jours sans s’abreuver. Dans les régions désertiques,
veurs) semble avoir conquis les faveurs des pays du Golfe il montre une grande capacité à supporter la faim et la soif.
et de l’Arabie saoudite qui alimente le lucratif marché Sa température corporelle qui peut varier de 6,6 degrés
des courses. Afin d’améliorer cette race, les éleveurs de en moyenne, lui permet de supporter l’effet des grandes
l’ethnie des Rashaïda la croisent avec des dromadaires variations de température. Grâce à sa toison doublée de
Lahaween offrant un gabarit et une ossature plus solides à sous-poils, il peut résister aux climats extrêmes. En réac-
des animaux produisant déjà plus de lait et plus résistant tion au manque d’eau, ses reins ont la particularité de
à la sécheresse. pouvoir travailler en sens inverse : si l’eau est abondante,
les reins travaillent normalement; dans le cas où elle fait
défaut, les reins extraient l’eau de l’urine et la renvoient au
Les secrets du vaisseau du désert corps. L’animal peut vivre normalement, même en perdant
jusqu’à 40 % de son poids, ce qui est mortel pour la plu-
Le dromadaire est utilisé à des fins multiples, ce qui part des autres animaux. La transformation de la graisse de
explique son rôle essentiel. Il est exploité principalement sa bosse lui fournit de l’énergie et de l’eau. S’il a accès à
pour le transport des personnes et des marchandises. Le des pâturages dont il extrait l’eau, il peut se passer de
lait des femelles représente souvent la seule ressource s’abreuver durant dix mois. D’un poids moyen de 350 kg,
alimentaire régulière des populations. Sa viande, sa laine il peut boire jusqu’à cent dix litres d’eau en une fois; un
et son cuir sont largement utilisés. Dans certaines ethnies rapport étonnant !
de l’Afrique orientale, l’animal est régulièrement saigné,
et son sang est consommé pur ou mélangé à du lait. De La sobriété reconnue de l’animal est rendue possible grâce
manière générale, le dromadaire est très estimé et concré- à un métabolisme très lent, et à plusieurs systèmes assu-
tise la réussite sociale de son propriétaire. Ce rôle majeur rant une économie d’eau. Les pertes dues à la respiration
découle directement de la remarquable adaptation du et à la transpiration sont réduites. La chaleur excédentaire,
dromadaire aux conditions de milieux très difficiles; elle accumulée en période très chaude pendant le jour ou à la
lui permet de vivre normalement, là où aucun autre animal suite d’un travail musculaire intense, est restituée ultérieu-
domestique ne peut survivre. Les données concernant la rement par diffusion interne. Ces pertes en eau sont très
production de lait de dromadaire sont assez nombreuses, faibles proportionnellement à la masse de l’animal; l’ex-
mais variable. Selon certains auteurs, la durée de la lacta- crétion d’eau par voies fécale et urinaire est également très
tion varie de 9 à 18 mois, avec des rendements compris limitée. La morphologie de l’animal, caractérisée par la
entre 800 et 3600 litres. Le camélidé est également capable longueur de ses membres et de son cou et par la forme
de détecter un point d’eau à près de 100 km de distance. cylindro-conique de son abdomen, crée une grande sur-
Sa bosse contient entre 1 kg et 90 kg de graisse blanche. face favorable aux échanges thermiques. Le dromadaire
Il fournit une grande quantité de protéines animales se distingue des autres ruminants par la variété de son
(viande et lait). régime alimentaire : il peut indifféremment se nourrir
de plantes herbacées, d’arbustes, de pousses d’arbres
et même de cactées et de noyaux de dattes. Pendant la
Un animal « technique » saison sèche, il ne dispose le plus souvent que de plantes
desséchées ou épineuses, pauvres en protéines mais très
Le dromadaire est donc un animal particulièrement bien riches en fibres et en cellulose. Il semble qu’il digère
adapté à un environnement qui laisse peu de place à une mieux la cellulose et utilise mieux l’azote que tous les
faune de grands mammifères ruminants. Il se contente autres mammifères.
de plantes de climats semi désertiques, xérophiles et halo-
philes; son estomac à quatre poches stocke dans les alvéo- Dans les moindres détails, son adaptation physiologique
les de ses parois jusqu’à cinquante kilos d’aliments et fournit des réponses aux situations climatiques extrêmes.
cent trente six litres d’eau. Comme tous les ruminants, Ainsi le dromadaire est doté de paupières étanches, garnies

328
tes récoltées sur des arbres dits « à myrrhe et encens »,
comme c’est encore le cas dans le Soudan actuel, et
notamment, au Darfour. Il s’agit principalement de diver-
ses variétés d’arbres de type « acacia » qui poussent dans
des zones semi désertiques et subsahariennes. La route
commence aux limites sud du désert pour aboutir aux riva-
ges du bassin méditerranéen et s’orienter à l’est, vers
le Proche-Orient. Ce commerce débute à l’âge du Fer,
au IIe millénaire. Il permet le développement économique
de peuples nomades en charge du transport. Le long de
ces axes afro-orientaux, les sociétés antiques en Égypte
mais aussi en Assyrie vont devoir compter avec des
pouvoirs régionaux émergeants comme la Phillistie, le
royaume de Juda, d’Israël ou d’Edom.

Anciennement assuré par voie maritime sous la forme


d’expéditions le long des côtes africaines, ce commerce
est attesté au pays de Pount, sur la façade maritime du
Soudan actuel, entre le règne de Sahourê, vers 2400 avant
notre ère, jusqu’à la fin du Nouvel Empire au 11e siècle,
lorsque ce commerce s’arrête subitement. Il reprend avec
la domestication du dromadaire au Proche-Orient vers la
fin du IIe millénaire, mais ce n’est que vers le 8e siècle
avant notre ère que les bas-reliefs assyriens apportent des
témoignages indéniables de son utilisation.

Au 13e siècle, le contrôle politique qu’opère l’Égypte


du Nouvel Empire sur la Palestine, donne la main aux
Dromadaires au puits de Naga, nord de Khartoum. L’eau est extraite par Égyptiens. Au 11e siècle, les régions de la Palestine ont
les éleveurs à l’aide d’un dromadaire de trait. © X. Van der Stappen C&C, 1999.
retrouvé une autonomie politique due au retrait de
l’Égypte. Les cités installées dans le sud de la plaine
de deux rangées de cils qui protègent ses yeux des grains de côtière se développent. Dans la zone semi-aride du nord
sable. Ses naseaux et ses oreilles disposent de barrières de du désert du Néguev, a lieu un processus de sédentarisa-
longs poils formant de véritables filtres à air. Le mucus nasal, tion des populations nomades. Au début du Ier millénaire,
plus épais que chez les autres mammifères, limite les pertes les découvertes archéologiques attestent d’un commerce
en vapeur d’eau. De plus, ses lèvres ultra-résistantes lui per- entre l’Arabie du sud et la zone méditerranéenne. En ce
mettent de brouter sans dommage les buissons d’épineux. qui concerne les zones de production, les témoignages ne
sont pas nombreux. On peut cependant prétendre que le
commerce s’établissait des zones de production des den-
Le dromadaire dans le transport des marchandises rées vers les zones de diffusion sur la côte méditerra-
néenne, en passant inévitablement par un long trajet qui
Si le le dromadaire n’a pas tenu de rôle prédominant incluait des lieux épars de stockage, une large zone déser-
durant l’antiquité égyptienne, il va en revanche devenir tique de transport, une région de connexion entre les
fondamental dans les échanges commerciaux interconti- nomades et les sédentaires. Les grandes civilisations vont
nentaux des millénaires suivants. Mille ans après son se succéder dans la zone d’échange : l’Assyrie et la Baby-
introduction sur le continent africain, le dromadaire va lonie au cours de la première moitié du Ier millénaire; les
permettre de pérenniser « la route de l’encens ». Celle-ci Perses à partir de la deuxième moitié du Ier millénaire,
achemine des denrées rares comme les résines odoriféran- ensuite les influences hellénistique et romaine.

329
déserts, bouleverse complètement les rapports qu’entre-
tiennent les communautés qui vivent dans le Sahara. Les
voies caravanières favorisent des conquêtes de plusieurs
types. Commerciales d’abord : elles facilitent à grande
échelle le transport des denrées sur des milliers de kilo-
mètres et relient des régions aussi distantes que l’Afrique
(Ghana, Mali) à celles d’Asie (Chine). Mais, surtout, c’est
par le biais de ces pistes, que se produit l’islamisation
de l’Afrique du Nord, de l’Ouest et de l’Est, à l’origine
de la grande mutation religieuse et culturelle de l’Afrique
jusqu’à nos jours.

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le deuxième millénaire. Ultérieurement, la domestication
du dromadaire, moyen de transport privilégié à travers les

330
Essai photographique
Claude Iverné

Partie 3

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