Symbolique de L'argent Et Psychanalyse (Alain Gibeault)
Symbolique de L'argent Et Psychanalyse (Alain Gibeault)
Symbolique de L'argent Et Psychanalyse (Alain Gibeault)
Gibeault Alain. Symbolique de l'argent et psychanalyse. In: Communications, 50, 1989. L'argent. pp. 51-79;
doi : 10.3406/comm.1989.1756
http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1989_num_50_1_1756
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Cette idée déjà présente dès 1900, Freud ne cessera de lui donner
une importance croissante dans les éditions successives de L
'Interprétation des rêves et de faire une part de plus en plus grande à un
travail de culture. La symbolique de l'argent n'échappe pas à cette
perspective :
Dans les rêves du folklore, l'or est connu de la façon la plus uni-
voque comme symbole des excréments l0.
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2. Genèse de l'argent.
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L'enfant ne connaît pas d'autre argent que celui qu 'on lui donne, il
ne connaît ni l'argent gagné ni l'argent personnel, hérité.
L'excrément étant son premier cadeau, il transfère aisément son intérêt de
cette matière à cette matière nouvelle qui dans la vie se présente à
lui comme le cadeau le plus important ' .
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N'est symbolisé que ce qui est refoulé, et seul ce qui est refoulé a
besoin d'être symbolisé. Cette conclusion doit être regardée
comme la pierre de touche de la théorie psychanalytique 2\
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ses affects. Le dessin d'une petite fille avec des attributs phalliques
(cheveux et jambes) et une bouche avec des dents de loup
menaçantes provoque une régression orale et la projection de son avidité
orale destructrice (mordre et prendre le sein) sur son analyste. Elle se
récupère alors en mettant en scène une mère qui pose sa fille sur le
pot et une fille qui ne veut pas « donner sa crotte », car, si elle la
donnait, elle ne l'aurait plus dans le ventre 3?. La maîtrise sphinctérienne
(retenir les fèces) permet ainsi à l'enfant cette « persistance
narcissique » dont parle Freud 38, par laquelle il peut lutter contre le danger
de l'agression maternelle, récupérer une maîtrise et exercer une
emprise sur l'objet mises en cause par l'intensité des pulsions orales.
Les avantages de cette maîtrise sphinctérienne sont multiples. Un
début d'acting out lors de cette figuration psychodramatique de
l'apprentissage de la propreté montre comment le contrôle de l'activité
mentale et le contrôle sphinctérien sont investis de la même façon 39.
Carine veut saisir la jupe de son analyste, mais s'arrête interdite et
remarque : « Ah ! c'est vrai, ici on ne fait pas les choses, on en parle »,
énonçant ainsi la règle fondamentale de l'analyse sans que, par
ailleurs, elle lui ait jamais été formulée.
La mentalisation peut remplacer l'agi, à partir du moment où la
destructivité sadique-orale et sadique-anale est relativement
maîtrisée. De ce point de vue, la maîtrise sphinctérienne, en tant
qu'ouverture et fermeture volontaires du sphincter anal, contribue à
différencier davantage l'intérieur et l'extérieur du corps et à assurer une
fonction de restauration narcissique. Mais, en même temps, on peut
penser que c'est la liaison des affects par les représentations qui a
permis que cette maîtrise sphinctérienne puisse s'organiser et avoir
cette valeur progrédiente.
On en trouve confirmation à une séance précédente (la
vingtième) 40. Carine est prise d'une envie de déféquer en début de
séance, va aux toilettes et en revient en déclarant avec grande
satisfaction qu'elle a fait un gros caca et qu'elle a utilisé un grand
morceau de papier. Cette jubilation est rapidement mise en cause
lorsqu'elle se demande si son analyste utilise une plus grande quantité de
papier, ce qui la confronte à une rivalité inquiétante et l'oblige à
recourir à la coprolalie. Ce fantasme de pénis anal, qui obéit à
l'équation inconsciente soulignée par Freud entre l'excrément et le pénis,
lui permet néanmoins de se défendre de son sentiment d'impuissance
et d'incomplétude en tant qu'enfant et de ses désirs d'attaquer et de
prendre le pénis anal maternel, correspondant à la toute-puissance de
la maîtrise et de la possession attribuée à la mère.
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tion de l'argent. Il n'est pas certain que, dans cette conception pure et
dure de l'analyse, la collusion tant décriée entre l'analysant et
l'analysé au nom de la fonction médiatrice de l'argent ne se retrouve pas
par cette référence à une symbolisation univoque : la fonction de
l'argent dans la cure n'a plus qu'un seul sens, finalement, celui
d'introduire à l'ordre symbolique. Au moment où l'argent acquiert ainsi
une dimension universelle et univoque, il perd sa valeur personnelle et
polysémique : l'argent contribue à ce que la structure l'emporte sur la
personne, l'abstraction sur le pouvoir fantasmatique propre à chacun.
Il est vrai, ainsi que le souligne P. Martin, que souvent P« objet du
fantasme mobilisé par l'argent » est le « désir de meurtre », c'est-à-
dire « le refus de toute filiation, l'affirmation d'être né de soi-même,
(soit la dénégation de la différence) ». L'argent comme signifiant
primordial concourt à figurer ce fantasme et à faire apparaître « le père
déjà mort, soit le père symbolique qu'énonce le Nom-du-Père 7? ».
C'est ce que la régression anale de l'Homme aux rats a pu montrer,
par exemple, puisque les obsessions autour de l'argent avaient en
particulier pour fonction de refouler le désir de meurtre inhérent au
conflit œdipien ; son analyse avec Freud lui a permis de retrouver
une filiation fantasmatique à la fois figurée et refoulée par la
symbolique de l'argent 78. Mais cette symbolique, dans sa richesse
polysémique, ne se limite pas en fait à figurer la médiation du tiers paternel
et le vœu de mort à son égard. Ce sont là les limites d'une critique de
l'empirisme génétique qui, à faire prévaloir la dimension structurale
de la médiation, s'établit dans une rupture et une coupure radicales
entre nature et culture, entre histoire et structure, entre relation du
sujet au monde et relation du sujet à l'être, entre fonction
sémantique et fonction syntaxique du symbole.
CONCLUSION
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n'est pas pour autant que ce travail singulier, qui montre que la
symbolique de l'argent ne s'inscrit qu'après coup dans la sexualité
infantile, devrait être fermé à une certaine extension dont témoignent les
correspondances culturelles, le « travail de culture » de la
symbolique. Ce ne peut toutefois être l'universalité du sumbolon qui, repris
par Lacan dans sa conception du symbolique, montre le risque d'une
matérialisation qui n'est que l'envers d'une abstraction d'autant plus
grande.
Malgré l'insistance théorique à délimiter une symbolique du rêve,
qui pouvait rappeler la clef des songes, Freud n'a pas manqué de
souligner l'importance d'un travail de symbolisation individuel et du
détour par les associations du rêveur. De même, la symbolique de
l'argent suit des voies à la fois singulières et multiples, mais cela
n'exclut pas de dégager les conditions générales de son efficacité.
C'est en effet dans le même mouvement, où réalité psychique et
réalité sociale se rejoignent dans l'élaboration du conflit œdipien, que la
symbolique de l'argent trouve à la fois sa temporalité après coup et
son efficacité dans ses possibilités polysémiques. De ce point de vue,
l'ancrage dans l'analité, comme structuration de la relation d'objet,
est apparue déterminante dans ce passage de l'univocité à la
polysémie de cette symbolique. C'est peut-être ce que Freud soupçonnait
lorsque, à propos de l'Homme aux loups, il remarquait :
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NOTES
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Stade d'objet
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35. S. Freud, * Caractère et érotisme anal » (1908), Névrose, Psychose et Perversion, Paris,
PUF, 1973, p. 147-148.
36. R. Diatkine et J. Simon, La Psychanalyse précoce, Paris, PUF, 1972.
37. Ibid., p. 173-175.
38. S. Freud, « Sur les transpositions de pulsions plus particulièrement dans l'érotisme
anal » art. cité, p. 110.
39. R. Diatkine et J. Simon, op. cit., p. 202.
40. Ibid., p. 67-68.
41. M. Fain, L. Kreisler et M. Soûle, L'Enfant et son corps, Paris, PUF, 1974, p. 239.
42. R. Diatkine et J. Simon, op. cit., p. 320-321. De ce point de vue, le développement de
la fantasmatisation et des processus de pensée permet de suspendre momentanément la
décharge de la quantité d'excitation correspondant à la satisfaction libidinale, et s'oppose
aux comportements et aux actes qui peuvent représenter autant de décharges immédiates
sans possibilité de délai et d'attente dans la recherche de la satisfaction. Cette distinction
entre penser et agir ressort du modèle de l'expérience de satisfaction telle que décrite par
Freud dès « L'esquisse d'une psychologie scientifique », (La Naissance de la psychanalyse,
op. cit., p. 313-396) sur le modèle de l'enfant au sein : face au besoin organique, le
nourrisson peut réagir soit de façon immédiate et inadéquate (cris, pleurs), et risquer d'être débordé
par l'afflux d'excitation, soit de façon médiate et spécifique par l'organisation de processus
de pensée qui permettent d'introduire un délai dans la satisfaction et de trouver Y* action
spécifique > ou adéquate. Selon Freud, le passage du processus primaire au processus
secondaire est dépendant d'un < bon investissement du moi », susceptible de contre-investir
la tendance à la décharge absolue de la quantité d'excitation selon le principe de plaisir.
Dans cette perspective, passages à l'acte et somatisations représentent autant de failles dans
la possibilité d'élaboration psychique et fantasmatique de cette tendance à la décharge
absolue des tensions.
43. M. Fain, L. Kreisler et M. Soûle, op. cit., p. 238-239.
44. B. Grunberger, Le Narcissisme, Paris, Payot, 1971, p. 173-174.
45. Dans Foralité, si la mère nourrit l'enfant, l'enfant ne peut que la dévorer ; les
fantasmes cannibaliques d'incorporation et les angoisses de réincorporation et
d'engloutissement par la mère le confrontent aux risques de perte des limites. Ainsi que le soulignait E.
Kestemberg dans notre groupe de recherche, c'est seulement dans l'analité que l'enfant
retrouve l'identification à la mère qui donne, dans le mouvement où donner ses matières
fécales, c'est également donner une nourriture. Cette identification à la mère qui nourrit
contribue de façon essentielle à la maîtrise du don et à l'établissement de limites entre celui
qui dévore et celui qui est dévoré.
46. Trouble consistant chez un enfant ayant dépassé l'âge normal d'acquisition du
contrôle de ses sphincters (entre deux et trois ans) à déféquer dans sa culotte plus ou moins
habituellement sans atteinte neurologique ou du sphincter anal.
47. M. Fain, L. Kreisler et M. Soûle, op. cit., p. 236.
48. R. Diatkine et J. Simon, op. cit., p. 69.
49. Ibid.
50. S. Freud, « La disposition à la névrose obsessionnelle. Une contribution au problème
du choix de la névrose » (1913), Névrose, Psychose et Perversion, op. cit., p. 193.
51. Ibid., p. 194.
52. S. Freud, Trois Essais sur la théorie de la sexualité (1905), Paris, Gallimard, 1962,
p. 80 (trad, remaniée par moi).
53. Cf. les Cahiers du Centre de psychanalyse et de psychothérapie, c Masochisme », I et II,
1982, n" 4 et 5.
54. On devine ce qui rend problématique la distinction que K. Abraham fait entre deux
étapes dans le stade sadique-anal, la plus précoce marquée par les tendances hostiles (perdre,
détruire) ; la plus tardive, par les tendances conservatrices (retenir, dominer) (K. Abraham,
« Esquisse d'une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse des
troubles mentaux » [1924], Développement de la libido. Formation du caractère. Études
cliniques, Paris, Payot, 1966, p. 258-265). Car il s'agit moins de décrire deux étapes qui se
succèdent dans le temps que d'évoquer un mouvement dialectique, un conflit entre des buts
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opposés qui prennent tantôt une valeur progrédiente, tantôt une valeur régrédiente, selon la
prépondérance de l'amour ou de la haine. Par ailleurs, sans nier l'importance de moments de
développement avec prévalence d'un échange à un niveau corporel privilégié, l'idée de stade
anal ou de régression au stade anal suggère la possibilité d'une relation duelle d'échange
avec la mère, qui existerait en soi, alors qu'il s'agit en fait d'un fantasme défensif ayant pour
but de refouler les vœux de mort à l'égard du rival œdipien.
55. Cf. R. Diatkine et J. Simon, op. cit., p. 215.
56. Ibid., p. 175.
57. Ibid.
58. Comme dans la genèse du symbolisme décrite par Jones (cf. « La théorie du
symbolisme », art. cité, p. 96-106).
59. Ibid, p. 299.
60. Ibid, p. 190-191.
61. Ibid, p. 226.
62. L'opposition entre les investissements non liés et les investissements liés traduit la
dimension économique de la distinction freudienne entre processus primaire et processus
secondaire : dans un cas, l'énergie est libre, en ce qu'elle circule d'une représentation à une
autre selon le principe de la satisfaction la plus immédiate et la plus rapide ; dans l'autre,
l'énergie est liée, en ce qu'elle permet le délai et l'attente dans la recherche de la satisfaction.
63. J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud »,
Écrits, Paris, Éd. du Seuil, 1966, p. 382.
64. P. Martin, Argent et Psychanalyse, Paris, Navarin, 1984.
65. Ibid, p. 16.
66. J. Lacan, € Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud »,
art. cité, p. 37.
67. P. Martin, op. cit., p. 69-70.
68. Ibid, p. 50-51.
69. Ibid, p. 14.
70. Ibid, p. 51-52.
71. Ibid, p. 152.
72. Ibid, p. 153-154.
73. Ibid, p. 156.
74. R. Mack Brunswick, « Supplément à 1'" Extrait de l'histoire d'une névrose infantile "
de Freud » (1928), L'Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, Paris,
Gallimard, 1981, p. 268-313.
Il est intéressant de remarquer que cette tranche d'analyse avec R. Mack Brunswick se
termine entre autres par un rêve d'argent, qui à la fois rappelle les motifs de l'épisode
psychotique de l'Homme aux loups et en montre la solution. L'analyse gratuite faite avec Freud
en 1919-1920 et la collecte d'argent pendant six ans avaient, on le sait, contribué à
engendrer chez l'Homme aux loups le fantasme d'être le fils préféré de Freud et à accentuer sa
position féminine, qui trouva en particulier un mode d'expression dans son hypocondrie et
son vécu persécutoire à l'égard des médecins. Or, dans ce rêve où le patient consulte un
médecin, il accepte de payer sa consultation plutôt que d'être soigné gratuitement, au prix
toutefois d'une dépréciation et de la devise avec laquelle il paie et de la valeur du médecin.
Par ailleurs, si ce dernier essaie ensuite de donner et non de vendre à son patient de la
« vieille musique » et des « cartes postales coloriées », ce sont là des cadeaux sans valeur, tout
comme le sont devenus alors les dons de Freud. A la fin du rêve, le patient peut aussi
exprimer un désir œdipien positif à l'égard de son analyste femme [ibid., p. 298-300). Dans ce cas,
l'argent n'avait pas pu jouer son rôle médiateur, et seul le travail de désidéalisation de Freud
entrepris par Ruth Mack Brunswick avait permis à l'Homme aux loups d'élaborer son
ambivalence et de se dégager de sa passivité homosexuelle à l'égard de Freud, qui n'était pas sans
rappeler sa quête infantile pour les cadeaux et l'argent du père.
75. P. Martin, op. cit., p. 15.
76. Ibid., p. 51.
77. Ibid, p. 192.
78. Cf. M. Aisenstein, art. cité.
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79. F. Pasche, « Le symbole personnel >, A partir de Freud, Paris, Payot, 1969, p. 157-179.
80. H. Segal, « Notes sur la formation du symbole >, art. cité, p. 696.
81. W.R. Bion, L'Attention et l'Interprétation (1970), Paris, Payot, 1974, p. 122.
82. Ibid., p. 117-118.
83. S. Freud, € L'Homme aux loups » (1918), art. cité. p. 379.