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Nathalie Coutelet, Octave Mirbeau Propagandiste Du Théâtre Populaire
Nathalie Coutelet, Octave Mirbeau Propagandiste Du Théâtre Populaire
Nathalie Coutelet, Octave Mirbeau Propagandiste Du Théâtre Populaire
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Critique dramatique de l’Echo de Paris.
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Auteur dramatique, il a par exemple composé le Domaine (1901, Gymnase).
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Il fait partie de la commission rattachée à la Société des Universités populaires, fondée le 12 mars
1898.
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Journaliste, il publie des articles au sein du Journal.
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Il publie plusieurs articles en faveur du théâtre populaire dans la Liberté. Gendre du dramaturge
Victorien Sardou, il compose, en collaboration avec E. Rey, la Belle Aventure, et avec Caillavet, l’Ane de
Buridan et le Cœur a ses raisons. Il est chargé de la critique dramatique de la quinzaine au sein de la Revue
d’Art dramatique.
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Dramaturge, il est l’auteur de la Cage (1898, Théâtre Antoine) et collabore avec Maurice Donnay pour
la Clairière (1899, Théâtre Antoine) et pour Oiseaux de passage (1904, Théâtre Antoine).
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Il publie, en 1900, deux drames, les Enfants de Lucifer et la Sœur Gardienne, sous le titre de Théâtre
de l’Ame. Il a également composé des études esthétiques, comme le Drame musical ou Richard Wagner.
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Dramaturge, il est l’auteur de Joseph d’Arimathie (1898, Théâtre Antoine) ou encore de la Dette
(1909, Théâtre Antoine). Il publie des articles dans la Revue et est adjoint au Comité de la Revue d’Art
dramatique en 1898, chargé du théâtre étranger.
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Collaborateur littéraire de la Revue d’Art dramatique, il en devient secrétaire de rédaction et chargé des
relations avec la presse et les théâtres en 1898.
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Fondé en 1897, le Théâtre Civique présente des spectacles dramatiques, des récitals de poésie et de
musique, gratuits, dans les quartiers de Paris et la banlieue (Montparnasse, Montmartre, etc.). Sans salle fixe,
Lumet et sa troupe d’amateurs durent louer des salles pour présenter un répertoire social, dont le Danton, de
Romain Rolland, en janvier 1900.
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C. de Sainte-Croix mènera d’ailleurs ensuite une ardente campagne de presse, notamment par ses
articles dans la Petite République, pour la création de quatre grands théâtres subventionnés dans les faubourgs
parisiens. En 1905, il présente un projet d’utilisation des théâtres régionaux pour susciter la renaissance
dramatique dans tout le pays.
1
Néanmoins, il produit plusieurs articles, notamment dans la Revue bleue, afin de sensibiliser
l’opinion. Il n’aura de cesse d’étudier les possibilités d’élargissement du public et d’une
baisse des tarifs12. Rolland, quelques années plus tard, en 1903, publie Le Théâtre du
Peuple, brochure destinée à évoquer les diverses réalisations, ainsi que les directives à
suivre, quant à l’organisation, au financement ou au répertoire. Il s’illustre aussi par la
composition de pièces capables d’alimenter ces nouveaux lieux, comme son Théâtre de la
Révolution.
Octave Mirbeau, journaliste, s’est engagé depuis longtemps en faveur des
sculpteurs ou peintres. Dramaturge, ses pièces possèdent une connotation sociale, voire
anarchisante, comme L’Epidémie, qui vient d’être présentée au Théâtre Antoine l’année
précédente ; les Mauvais Bergers, qui ont reçu un accueil mitigé au Théâtre de la
Renaissance dirigé par Sarah Bernhardt en 1897 et le Portefeuille, qui sera monté en 1902
par Firmin Gémier à la Renaissance, de même que le Quatorze Juillet de Rolland. Ses
articles reviennent régulièrement sur le sujet du théâtre populaire, comme ceux de ses
confrères membres du comité. Les œuvres dramatiques, dont la résonance sociale commence
à retentir plus fortement, et la presse seront les principaux instruments de leur lutte ; ils
utilisent pleinement les ressources offertes par les tribunes, publiant même, dans la Revue
d’Art dramatique, qui devient l’organe officiel du mouvement, une « Lettre au Ministre de
l’Instruction Publique et des Beaux-Arts », Georges Leygues :
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Il serait beau de concentrer tous ces efforts, de réunir le faisceau de ces bonnes
volontés qui, se dispersant, s’épuisent. C’est là le rôle du théâtre populaire et sa création
s’impose. La période d’élaborations doit prendre fin.
Nous sommes décidés à l’action.
Selon ses ressources, la Revue d’Art dramatique ouvre dès aujourd’hui un
concours dont le prix de cinq cents francs, sera donné à l’auteur du meilleur projet de théâtre
populaire (…).
Paris ne devrait-il pas posséder une salle de spectacle où, pour des prix modiques,
l’ouvrier serait assuré de voir représenter nos chefs-d’œuvre ? Tous les autres pays nous ont
devancés ; à Berlin, à Vienne, en Russie, de sérieux et fructueux efforts ont été tentés.
Nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de vouloir bien nous témoigner
votre intérêt et reconnaître nos efforts en envoyant en Europe un délégué qui étudierait tout
ce que l’on a réalisé sous le nom de théâtre populaire.15 »
« Il faut que le Théâtre du Peuple soit, et il fait qu’il soit grand et beau. Grand,
parce qu’il ne doit pas, un seul jour, refuser un seul spectateur ; beau, parce que le peuple a
besoin de beauté, que la beauté est une force éducatrice et civilisatrice, et parce que la beauté
et la liberté sont les seules raisons d’aimer la vie. On tâchera donc de trouver des architectes
qui abîment le moins possible la conception des artistes. On leur demandera un théâtre vaste
15
« Lettre au Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts », in la Revue d’Art dramatique,
nouvelle série, tome VIII, octobre-décembre 1899, p. 161-163.
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et confortable, selon le modèle des théâtres antiques (…), avec des places équivalentes et
d’un prix uniforme.16 »
« Nous nous réunissions chaque semaine dans les bureaux de la Revue d’art
dramatique pour tenter de la mettre en œuvre, cette idée qui paraît si simple et qui, grâce aux
intérêts qu’elle ménage et aux préjugés qu’elle combat, reste si difficile à réaliser, et si
compliquée !…(…). Ah ! nous en avons fait des projets et des projets… des démarches et
des démarches. Nous en avons entendu des choses comiques, des choses à mettre dans des
pièces, où le peuple se fût esclaffé, car il a, bien plus que les classes riches, le sens de la
merveilleuse et saine ironie… M. Adrien Bernheim, conseil officieux, mais enthousiaste et
non pas encore libéré de ses attaches officielles, assistait à nos réunions, nous encourageait et
nous décourageait tour à tour… pour nous maintenir dans une juste mesure. Il s’était même
fait le voyageur du Comité… Il allait à Vienne, à Munich, à Berlin, à Copenhague, le diable
m’emporte !… Il allait partout, étudiant sur place, analysant, comparant les progrès des
autres pays avec les nôtres… et il revenait mystérieux, ayant vu des choses qu’il ne nous
disait pas… des choses admirables… d’autant plus admirables que nous ignorions ce
qu’elles étaient…
- L’idée marche… l’idée marche !… nous disait-il en clignant des yeux d’une
façon que nous trouvions pleine de promesses.
Et puis un beau jour, on ne le revit plus.17 »
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populaire. Bernheim fut aussi le rapporteur des Beaux-Arts en 1920 et un soutien efficace
pour Gémier quant à la fondation du Théâtre National Populaire au Trocadéro. En revanche,
son action fut plus modeste au tournant du siècle, même s’il faut souligner que les conditions
économiques et sociales n’étaient pas identiques et expliquent en partie ce changement entre
l’attitude de 1900 et celle de 1920.
Les voyages d’étude à l’étranger réalisés par Bernheim, mandaté par Leygues,
confirmaient la nécessité et la viabilité d’une telle entreprise, renforçant la conviction des
membres du Comité. En 1902, il désirait encore rassembler les notes et documents glanés en
Allemagne, Autriche, Bohême et Belgique afin de fournir les preuves tangibles des réussites
européennes en matière de théâtre populaire. Il évoque la Freie Volksbühne de Berlin ; le
Stadttheater de Strasbourg et ses représentations populaires à cinquante centimes, dont les
places sont tirées au sort ; les représentations à trente centimes de Wiesbaden, Mannheim,
Dresde ou Francfort ; le Volkstheater de Vienne ; le Schiller Theater de Berlin, dont les
bénéfices sont partagés entre les artistes ; les Maisons du Peuple de Bruxelles, Liège,
Verviers et Charleroi ainsi que le Théâtre Populaire Flamand ; enfin, le Franz Josef Theater
de Berndorf, édifié par l’industriel Arthur Krupp à la seule intention de ses ouvriers 18. Tant
de modèles prestigieux ne pouvaient dissimuler le néant des réalisations concrètes en France.
La bonne volonté, l’énergie dépensée par le Comité comme par certains hommes politiques
ne pouvaient suppléer le manque de moyens ; Mirbeau mit à profit sa verve satirique pour
stigmatiser l’attitude du gouvernement dès qu’il était question de donner davantage qu’un
soutien de principe :
« - Je suis avec vous ! dit l’Etat, par la bouche aimable et fleurie de M. le ministre
de l’instruction publique… Mais comment donc !… un théâtre populaire !… Je ne pense
qu’à ça… Je n’en dors plus, cela me passionne au-dessus de tout ; vous n’imaginez pas !
(…). Satisfaire surtout !… Aimer le peuple !… servir le peuple… instruire le peuple – dans
la mesure, bien entendu, où l’Etat exige que le peuple soit instruit… – lui donner, à ce cher
peuple, accès aux chefs-d’œuvre expurgés… lui montrer une certaine beauté… autorisée par
les règlements et les traditions…. Approuvée par Nos Seigneurs les évêques laïques !… quel
plus bel acte de défense républicaine !… Comme ce serait démocratique, enfin !… Eh bien,
j’en parlerai à Bernheim !…
Et Bernheim, qui est le meilleur homme de la terre, un brave garçon tout feu, tout
flammes, tout gestes exubérants, tout promesses passionnées, et que les grandes questions –
les questions sociales, ah ! mais – emballent – ah ! quel emballé ! – s’écrie :
- Le théâtre populaire ! Mais le voilà, le théâtre à faire !… Le peuple ! Parbleu !…
Je crois bien !… Il n’y a que ça !… Il faut le construire tout de suite, entendez-vous ? ce
sacré théâtre-là ! et voulez-vous, des subventions ? Dites votre chiffre, et je le double !…
Car, enfin, un théâtre populaire ne peut pas aller, de-ci, de-là, traînant ses cothurnes éculés
dans de vieilles salles de spectacles !… C’est bien le moins que le peuple soit chez lui !… Il
faut donc que le théâtre soit neuf, immense et moderne ! Il n’y a rien de trop moderne pour
le peuple… rien de trop immense, sapristi !… rien de trop neuf, diable !… Il est souverain,
le peuple !… Allons, marchez ! Demandez immédiatement un terrain au Conseil municipal !
… tout ce que vous voudrez, la place du Trône, les Tuileries, les Halles, le Temple…
n’importe quoi… je vous le garantis d’avance !… Le Conseil ne peut rien vous refuser… ne
peut rien refuser au peuple… Vous êtes le peuple, quand le diable y serait !… Ah ! je la vois
d’ici, la soirée d’inauguration… la foule dans les rues… la joie… le bruit, et M. Loubet, sous
le péristyle éblouissant de lumière, M. Loubet, arrivant à pied, petit chapeau mou et veston…
et acclamé… acclamé… Le voilà, le véritable triomphe de la République !… Marchez,
bâtissez !…
18
Il s’exprime à ce sujet, interrogé par G. Bourdon, in la Revue bleue, n° 14, 5 avril 1902, p. 447-448.
5
J’en parlerai à Ginisty…
Et sur le conseil de Bernheim – car rien n’est plus communicatif, mais,
malheureusement, moins municipal qu’un conseil de Bernheim – le Conseil municipal est
interrogé. Il dit :
- Le théâtre populaire !… Voilà trente ans que nous y pensons. C’est le plus cher
de nos vœux !… Oui, voilà une idée magnifique !… Si nous sommes avec vous ?… Vous
osez le demander ? Voyons, le peuple… l’éducation du peuple, le prolétariat, le salariat…
etc… etc !… Seulement, nous ne pouvons pas vous donner de terrain, nous ne pouvons rien
vous donner ! Ah ! ce n’est pas les emplacements qui manquent ! Il y en a d’admirables et
qui feraient admirablement votre affaire. Mais, voilà, à côté des emplacements, nous avons
des règlements administratifs, et même des décrets qui empêchent qu’on les occupe !… Ah !
le théâtre populaire ! Voilà une belle chose !… et que tout le monde attend avec impatience !
…19»
L’Etat comme la Ville de Paris refusèrent – indirectement – leur aide concrète aux
militants, en s’abritant sous les prétextes les plus divers. Paul Ginisty, nommé co-directeur
de l’Odéon avec Antoine le 3 juin 1896, en conserva seul les rênes trois mois plus tard, après
la démission d’Antoine. Bernheim ne cite pas ce nom au hasard et Mirbeau fait ainsi allusion
aux velléités officielles concernant l’utilisation des théâtres subventionnés au profit d’un
théâtre populaire ; plutôt que de construire de toutes pièces un édifice – ce qui exigeait des
capitaux, un terrain, etc. – l’idée de propager le répertoire de la Comédie-Française, de
l’Odéon, de l’Opéra et de l’Opéra-Comique au cours de journées baptisées « populaires »,
c’est-à-dire à prix réduits, faisait son chemin au sein de la classe dirigeante. Elle se faisait
d’ailleurs l’écho de propositions, anciennes ou récentes, visant à diffuser les œuvres
classiques à des tarifs abordables pour tous. Ritt, directeur de l’Opéra, avait par exemple
remis en 1887 au ministre Fallières un projet détaillant le concours des troupes et répertoires
des scènes officielles et des concerts symphoniques pour donner, plusieurs jours par
semaine, des représentations à tarifs très bas, à Paris comme en province. Mirbeau, de même
que ses confrères de la Revue d’art dramatique, dédaignait cette possibilité qui transformait
la démocratisation du spectacle en formule « discount », dirait-on aujourd’hui, du théâtre.
Seul Camille de Sainte-Croix persévérait dans l’espoir d’une subvention accordée par les
Chambres, d’une part et dans celui d’une cession des théâtres du Châtelet ou de la Gaîté par
la Ville de Paris, d’autre part. Il défendait même l’idée d’un administrateur soumis à
l’approbation parlementaire.
Peu de professionnels partageaient cette opinion, trop méfiants envers cet Etat qui
leur promettait monts et merveilles sans jamais dépasser le stade des projets. Ce qui était en
jeu alors, ce n’était finalement pas tant le répertoire, le lieu ou la troupe, mais le concept
même de théâtre populaire. En rappelant avec cynisme la faiblesse du désir d’instruire le
peuple, Mirbeau dénonçait l’immobilisme du gouvernement face à l’éducation culturelle de
la nation et le manque d’envergure de cette politique et se résignait à étudier d’autres
modalités pour créer le Théâtre du Peuple :
6
et j’aime mieux n’importe quoi, même une commandite privée, qu’une subvention nationale.
Des actionnaires seront encore moins dangereux qu’un ministre. A compréhension égale, ils
seront tenus du moins par l’intérêt.20 »
Avec une certaine acrimonie, il est arrivé à la conclusion que le soutien officiel,
souhaité au début de l’aventure du Comité, ne constituerait qu’une entrave. En effet, de
nombreux artistes craignaient ainsi d’abdiquer leur liberté créatrice et de se soumettre à des
cahiers des charges trop contraignants. De plus, l’inertie des pouvoirs publics rendait
obligatoire le recours à d’autres modes de financement du théâtre populaire, sous peine de
voir le projet enfoui sous une pile d’autres dossiers dans un quelconque bureau ministériel.
Quelques années auparavant, en 1895, Mirbeau avait déjà stigmatisé la bêtise des officiels
face à la question de l’art dramatique en mettant en scène Frédéric Febvre, chargé d’étudier
le mouvement théâtral dans les divers archipels de la Polynésie21 et le ministre Leygues fit à
plusieurs reprises les frais de ses attaques dans la presse pour l’étendue de son incompétence
en matière artistique. En dehors du théâtre populaire, Mirbeau s’intéressait de près aux
établissements subventionnés et poursuit avec acharnement la Comédie-Française, l’Odéon,
comme le Conservatoire, auxquels il reprochait de n’être que des musées et non des reflets
d’une dramaturgie vivante22.
Le groupe de la Revue d’Art dramatique avait pourtant détaillé dans un article les
principaux critères du concours, afin d’orienter les travaux soumis au vote du Comité.
L’éthique était fermement établie, mais des différents projets étaient espérés les moyens
pratiques de résoudre les difficultés rencontrées jusqu’alors. Il importait encore davantage de
souligner l’importance du concept, non seulement pour la communauté, mais surtout pour
l’art dramatique, que les professionnels jugeaient majoritairement décadent. L’un des enjeux,
par conséquent, était de renouer avec un théâtre dit de qualité, à l’opposé des divertissements
« digestifs » destinées à la bourgeoisie aisée :
7
à son universalité. Comme les autres professionnels du spectacle, le Comité évoque, non
sans une pointe de nostalgie, les grands modèles du passé ; si l’Antiquité grecque, la
dramaturgie élisabéthaine, la Commedia dell’arte ne sont pas explicitement nommés, ils font
figure de références idéales en matière de théâtre, pour la beauté des œuvres produites, bien
sûr, ainsi que pour la fusion réalisée avec la population. Il s’agit aussi de mettre en exergue
la nécessité pour le pays de se doter d’une scène nationale d’envergure, créatrice de chefs-
d’œuvre nouveaux, gardienne du riche patrimoine culturel régional et reflet d’une
communauté soudée.
De même, l’argument éducatif est destiné à emporter l’adhésion des politiques, en
une époque où les socialistes sont au pouvoir et se targuent d’améliorer le sort des plus
démunis, comme leur niveau de connaissances. Ces éléments ont rencontré une très large
approbation dans les milieux officiels, ce qui laissait entrevoir une évolution rapide du projet
définitif, mais les actes furent rares, par rapport aux discours. Mirbeau imputa à l’Etat la
responsabilité de l’échec, en dépit des annonces tapageuses au sujet d’une fondation :
24
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, 28 janvier 1900.
8
jouées : les Tisserands, de Gerhardt Hauptmann25. Ce drame social, d’abord interdit, avait été
finalement monté par Antoine au Théâtre Libre, mais soulevait trop de remous pour les
autorités. Mirbeau, après réflexion, avançait quelques références de base pour l’esthétique du
futur théâtre populaire, qui allaient dans le sens non seulement des promoteurs de la
démocratisation, mais, plus généralement, des rénovateurs de l’art dramatique :
« Tout, à condition que l’on n’y fasse pas de politique, et qu’on ne permette à
aucune parti de s’y installer. On donnera au peuple ce qui lui manque le plus, des œuvres
d’art, et on lui fera aimer l’humanité, la liberté, la vérité, tout ce qui relève l’homme, tout ce
qui l’affranchit, tout ce qui lui donne conscience de la dignité de sa personne morale. Les
lois et les religions ne sont que des instruments d’asservissement dans la main des forts ou
des malins. Par la contrainte physique et par l’exploitation de l’inconnaissable, elles tiennent
l’homme en tutelle : le peuple doit apprendre que les religions sont des mensonges et qu’il
est maître de la loi ; voilà ce que son théâtre devra lui montrer par le moyen d’œuvres
vivantes, simples, exprimant des idées générales sous une forme dramatique.
Les œuvres ne manqueront pas. Elles viendront d’elles-mêmes au peuple. Mais il
n’y a, pour commencer, qu’à fouiller dans le passé. Tous les classiques, tous les grands
tragiques grecs, et Racine, et Shakespeare, et Schiller, et Molière, voilà de quoi émouvoir et
transporter le peuple. Je ne fais d’exception que pour Corneille, dont le style est obscur, dont
l’art engoncé n’a ni humanité, ni vérité. Dans le répertoire de la comédie espagnole, dans
celui du XVIIIème siècle, on trouvera des œuvres merveilleuses, comme le Philosophe sans
le savoir, par exemple, que la Comédie-Française ne joue jamais, naturellement. Plus près de
nous, de notre temps, il y a Ibsen, il y a certaines pièces posthumes de Victor Hugo, comme
Mangeront-ils ? Il y a, il y a… mais on n’aura qu’à choisir…26 »
25
L. Besnard, « Le Théâtre populaire en 1900 », in la Revue d’Art dramatique, janvier 1900, p. 26-28.
26
O. Mirbeau, interrogé par G. Bourdon, op. cit., p. 480.
9
représentations à prix réduits pour contenter l’ensemble de la population et remplir son rôle
de délégué du peuple :
« Nous ne devons pas demander au travailleur de venir à nous. Nous devons aller
à lui. On ne peut pas demander à l’ouvrier de quitter son quartier le soir, de se déplacer ; il
faut, autant que possible, que le théâtre, que l’art aillent vers lui. Comment ? En envoyant de
temps en temps, à l’occasion de fêtes, de soirées de gala, au milieu de ces ouvriers qui
consentent, après une rude journée de labeur, à prendre sur leurs soirées quelques heures tous
les mois pour s’instruire et entendre parler de science, de littérature ou d’art, des artistes de
l’Opéra, des acteurs de la Comédie-Française, de l’Opéra-Comique et de l’Odéon, qui
interpréteraient les plus belles pages des œuvres lyriques ou des fragments des plus belles
œuvres de l’art dramatique, classique ou moderne (…).
Faisons pénétrer, dans les milieux ouvriers, un rayon de joie et de beauté et nous
aurons bien servi la République.27 »
Certes, ramener les couches de la société qui en avaient été éloignées au théâtre
constituait un problème, non négligé par les membres du Comité ou les projets. Morel, par
exemple, avait réglé certains points avec les propositions de réformes des transports et des
horaires de spectacle. Lumet avait réalisé un théâtre itinérant, accueilli dans les salles des
fêtes et les salles de quartier. Et les expériences avaient démontré que le recours aux
subventionnés lors de quelques représentations épisodiques ne pouvait parvenir à établir un
contact réel avec la population, une habitude du théâtre. La Comédie-Française ne donnait
alors que quatre matinées gratuites par an et prêtait son concours aux représentations de
l’Œuvre des Trente Ans de Théâtre ; l’Odéon donnait épisodiquement des spectacles à tarifs
réduits et le projet de l’Association populaire d’art dramatique et lyrique, dont fait partie
Camille de Sainte-Croix, avait déjà émis la possibilité de puiser dans les troupes et
répertoires officiels28.
Plus grave est la méprise au sujet de la définition de l’auditoire – symbolisé ici
sous le vocable général de « travailleur » – et du répertoire du théâtre populaire. En effet, il
ne s’agissait pas, pour Mirbeau comme pour ses confrères, de s’adresser uniquement à un
public ouvrier, mais bien à l’ensemble des citoyens, afin de ne pas perpétrer la séparation qui
sévissait depuis plusieurs siècles au sein des salles de spectacle. Les questions proposées à
l’étude par la Revue d’Art dramatique précisaient, sans confusion possible, la notion de
« peuple » :
« Il y a, à Paris, des théâtres pour toutes les fractions du peuple : il n’y a pas de
théâtre s’adressant au peuple, c’est-à-dire à l’ensemble de la nation.
Il y a, à Paris, autant de tendances et de formes d’art dramatique qu’il y a de
catégories intellectuelles correspondant à des divisions sociales : chacune de ces formes d’art
intéresse un groupe d’hommes, et reste inaccessible ou indifférente aux autres. Il n’y a pas
un art dramatique créant entre les hommes une émotion commune de beauté.
Fragments de peuple et fragments d’art. Plus ils se divisent, plus ils
s’amoindrissent ; et ce morcellement aboutit à produire entre eux : le mépris ou la méfiance,
en eux : la barbarie ou la stérilité.
27
G. Leygues, cité par Sergines, « Les Echos de Paris », in les Annales politiques et littéraires, n° 867, 4
février 1900, 18e année, p. 69.
28
C. de Sainte-Croix déposera un dossier très détaillé le 30 mars 1904 au ministère, une sous-
commission étant chargée de l’examen des projets de création de théâtres populaires à cette époque.
10
Nous pensons que l’idéal d’un peuple est de devenir un ensemble fraternel ; que
l’idéal de l’art est d’être un art complet.29 »
« Le Congrès émet le vœu que l’Etat favorise, même par des subventions, toutes
les tentatives sérieuses de théâtre ayant un caractère véritablement populaire, qui pourraient
être faites à Paris ou en province.
Le vœu est adopté.32 »
Ce vœu pieux ne pouvait guère aider les professionnels, soucieux de cesser les
délibérations pour enfin poser la première pierre de l’édifice. Il est intéressant de constater
l’intérêt porté à la province, dont on commençait à percevoir le manque de vie et
29
« Le théâtre populaire à Paris », in la Revue d’Art dramatique, nouvelle série, tome VIII, octobre-
décembre 1899.
30
Revue d’Art dramatique, avril 1900, p. 289.
31
Au sein du comité d’organisation se trouvaient les dramaturges Jean Lorrain et Adolphe Aderer, les
comédiens Le Bargy et Albert Lambert père, le metteur en scène André Antoine, le directeur des Variétés
Fernand Samuel et celui du Vaudeville, Porel, etc.
32
« Congrès International de 1900 », in l’Art théâtral, Paris, Imprimerie C. Pariset, 1901, p. 174.
11
d’équipements artistiques. Adrien Bernheim – toujours lui ! – assistait aux réunions du
Congrès, mais se contenta – encore une fois – d’un soutien de principe. La question du
théâtre populaire, certes, ne manquait ni d’adhérents, ni de débats, ni de projets, mais elle
demeurait en suspens depuis bien longtemps, victime en quelque sorte de son succès comme
le souligne le gagnant du concours de la Revue d’Art dramatique, Eugène Morel :
« Le théâtre populaire a l’air d’une religion. C’est le messie auquel on croit,
comme ça, mais dont on se passe.33 »
Dans cet article aux accents de credo, il reprend des idées relativement répandues
à cette époque, à savoir que le théâtre, issu du peuple, en avait été détaché progressivement
au fil des siècles. L’heure du syndicalisme, des revendications ouvrières ont mis en lumière
la carence culturelle au sein des classes défavorisées ; par ailleurs, le monde du spectacle,
notamment depuis André Antoine, déplorait la ségrégation sociale sévissant dans
l’architecture à l’italienne et dans les prix d’entrée. Cette fracture expliquait la désaffection
et la décadence du théâtre, de même que le succès grandissant des divertissements légers –
café-concert, music-hall – selon eux. Mirbeau avait soutenu le genre de l’opérette par
plusieurs articles, mais il s’accordait à ses confrères quant à la mauvaise qualité des
divertissements accessibles aux plus démunis. Il revendique, comme eux, l’éducation par
l’art dramatique, le spectacle ne devant pas seulement être une distraction pour les
travailleurs, mais encore un enrichissement culturel. Une certaine confusion dans l’acception
du mot « peuple » se fait à nouveau jour dans ses propos ; en effet, s’il a soutenu le principe
d’un établissement voué à l’ensemble de la nation, il prêche ici pour une classe sociale
déterminée, le prolétariat. Il est vrai que ce dernier était défavorisé en matière de spectacle et
d’éducation, mais l’idéal originel du Comité excluait les propositions de salle destinée au
seul usage des démunis.
Deux ans après sa participation aux débats, les convictions de Mirbeau sont
toujours fermes, mais sa conception du théâtre populaire est manifestement troublée. La
33
E. Morel, interrogé par G. Bourdon, in la Revue bleue, n° 19, 10 mai 1902, p. 602-
34
O. Mirbeau, « Le théâtre populaire », in le Journal, n° 3419, dimanche 9 février 1902.
12
plupart des praticiens se sont d’ailleurs heurtés à cet écueil et aucun n’échappa à la
contradiction : entre le désir de communion fraternelle des citoyens et la volonté prioritaire
de ramener les plus défavorisés au théâtre, la frontière s’avérait fluctuante, tant pour les
artistes que pour les politiques. Mirbeau conservait surtout amertume et désillusion face à
l’attitude des autorités lors des innombrables auditions auxquelles il participa en tant que
membre du Comité :
« Nous avions eu, ainsi, cette idée extrêmement bizarre de vouloir intéresser à nos
projets des hommes politiques, des députés révolutionnaires, des sénateurs socialistes…
enfin des gens très bien… esprits hardis, cela va de soi, littéraires en diable, et poètes… et je
ne sais quoi encore, et avec qui le gouvernement n’avait qu’à bien se tenir… tous, ils nous
avaient accueillis avec le plus vif enthousiasme, et ils nous disaient :
- Un théâtre populaire !… Ah ! sapristi ! Fameuse idée, mes garçons !… Nous…
nous apportons le panem, vous le circenses… C’est admirable !… Ah ! mais j’en suis !…
j’en suis, non d’un petit bonhomme !… Et, coûte que coûte, nous l’aurons, ce sacré théâtre
populaire !… Parce que… moi… vous savez… quand il s’agit du peuple !… ma fortune… et
s’il le faut… mon sang !… mon sang, vous entendez, sacré mâtin !… Ah ! mais !…
Et cela était accompagné de gestes violents, d’attitudes très Quarante-Huit qui
n’étaient pas sans nous effrayer un peu… Il fallait les calmer, ces bougres-là !… Sans quoi,
ils eussent été bien capables de faire, tout de suite, une révolution, de désaffecter Notre-
Dame, l’Imprimerie nationale, le musée Carnavalet ou l’Elysée… ou n’importe quelle autre
caserne, pour y installer le théâtre du peuple !… du peuple, sacré mâtin !… Ils eussent été
bien capables aussi de nous montrer, à nous qui n’en demandions pas tant, comment on
meurt, sur des barricades, pour un théâtre populaire ! 35»
13
l’absence de généreux mécènes, il était malgré tout nécessaire de s’adresser à l’Etat afin de
trouver les fonds et le lieu. Il avait prévu l’émission de bons afin de pourvoir aux premiers
frais de fonctionnement, mais requérait de la Ville de Paris le prêt gracieux d’un local.
Quelques professionnels, Gémier en tête, estimaient déjà être du devoir de l’Etat d’assurer
l’existence et le fonctionnement d’un théâtre consacré au peuple français. Cette fibre
patriotique vibrait en effet chez les députés ou les ministres rencontrés, sans pour autant
s’accompagner de faits, comme le rappelle Mirbeau :
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et rapide, ne pouvait convenir aux promoteurs de la démocratisation, pour lesquels l’enjeu ne
consistait pas uniquement à baisser les prix des billets, mais surtout à propager la culture au
sein de toutes les classes, à susciter leur communion et à renouveler l’art dramatique.
Nouvelle incompréhension entre les divers protagonistes de la construction du théâtre
populaire qui explique en partie la stagnation de la question durant plusieurs décennies.
Mirbeau délaissa progressivement la question du théâtre populaire.
Découragement, dégoût de la politique et de ses méandres complexes… Certainement, mais
aussi d’autres activités auxquelles il consacrait son énergie, à commencer par la rédaction de
romans et de pièces et la collaboration journalistique. Ses articles reflétaient toujours ses
opinions au sujet du spectacle en France, l’art dramatique constituant pour lui un cheval de
bataille aussi important que l’actualité politique, mais il se retira quelque peu, car d’autres
avaient repris le flambeau du Théâtre du Peuple. Son investissement au tournant du XXe
siècle en faveur de cet idéal éclaire toutefois la portée sociale de son écriture – notamment
dramatique – et corrobore ses engagements à la fois politiques et artistiques.
Nathalie COUTELET
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