Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Lacorne PDF

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 10

Les Matres de Loge parisiens

au XVIII
e
sicle :
lments de biographie
LACORNE,
MATRE DE LA LOGE LATRINIT (I)
par Thierry Boudignon
C
har g de t ous l es pchs dHir am, sel on une cur ieuse
formule de Gustave Bord, Lacorne est un franc-maon aussi
clbre que mconnu. Presque 250 ans aprs sa mort, bien que
de nombreux auteurs lvoquent dans leurs crits, le rle et la place
rels quil a jous dans une institution ayant pour vocation de dlivrer
la Lumire, sont rests pour le moins obscurs et, malgr les travaux
clairants dAlain Le Bihan, il demeure un homme dont, aujourdhui
encore, on ne sait que peu de choses
1
. Matre de Loge, substitut
particulier de Son Altesse Srnissime Louis de Bourbon, comte de
Clermont, prince du sang, Grand Matre de la Franc-Maonnerie fran-
aise, lhistoire lui a lgu une rputation aussi mauvaise quincon-
trle. On la principalement accus davoir une moralit plus que
douteuse ce qui nest pas anodin dans cette cole de vertu et de
sagesse quest la franc-maonnerie, mais surtout on lui reproche
dtre lorigine du premier de tous les schismes qua connus lOrdre
en France. Aussi, avant de proposer quelques lments indits de bio-
graphie, convient-il de porter un regard attentif aux travaux antrieurs
qui ont parl de lui.
Nous commencerons linventaire de quelques-uns de ces histo-
riens par Claude Antoine Thory (1757-1827). Il crit en 1812, soit cin-
quante ans aprs la disparition de Lacorne, que
M. Baure [ substitut du comte de Clermont] , au lieu de soccuper
des affaires de lOrdre, cessa dassembler la Grande Loge; il fut ainsi la
cause de sa dcadence. [ ] . [ Cest alors que] le nomm La Corne,
matre danser, ayant eu loccasion de se rendre agrable au Comte de
Clermont, en laidant dans quelques runions secrtes, destines
initier des femmes, en obtint le titre de son substitut particulier. Cette
faiblesse coupable du grand-matre dplut avec raison aux anciens
membres de la Grande Loge. Ils rent de respectueuses reprsentations
sur linconvenance dun pareil choix, elles ne furent pas coutes. De
son ct La Corne sempressa de se mettre en possession de sa nouvelle
dignit, et de runir [ une] multitude de matres de Loge [ ] . Il tint une
assemble qui fut suivie de plusieurs autres, dans lesquelles il rorganisa
1. Article de Charles Porset in Encyclopdie de
la maonnerie, Le livre de Poche, 2000.
Renaissance Traditionnelle
I:o
la Grande Loge. Il y admit un grand nombre de Maons de tout tat et
de toute profession, et se choisit des ofciers suivant son caprice.
Les anciens Maons, qui avaient refus pour la plupart de recon-
natre le nouveau substitut, ne voulurent point participer ses opra-
tions. Les hommes sans talent quil avait placs dans la Grande Loge
dplaisaient au plus grand nombre. On la vit bientt se diviser en deux
partis fort soigneux de se dchirer entre eux [ ] ; des dmarches
furent faites auprs du comte de Clermont, qui destitua La Corne, et
investit M. Chaillou (sic) de Jonville du gouvernement de lOrdre, avec
le titre de son substitut gnral
2
.
Pendant longtemps, ces lignes de Thory, inspires dune manire
toute personnelle du Mmoire Justicatif du V.F. De La Chausse dont
nous reparlerons , feront autorit et seront souvent reprises.
Dailleurs, trois ans plus tard, en 1815, Thory lui-mme rcidive.
Pour lanne 1761, il crit que:
le comte de Clermont, Grand-Matre des Loges du royaume, avait
abandonn la direction de la Franche-Maonnerie des substituts par-
ticuliers. Il choisit pour le reprsenter le nomm Lacorne, matre
danser : la Grande-Loge refuse de reconnatre ce substitut et de sas-
sembler sous sa prsidence. Celui-ci forme une seconde Grande-Loge
et la compose dhommes du bas tage.
Et pour lanne 1762, il ajoute que:
le comte de Clermont, sur les reprsentations qui lui sont faites,
rvoque Lacorne et nomme en sa place M. Chaillou de Jonville pour
son substitut gnral.
Enn, dans lindex des noms, il prsente
Lacorne, matre danser, Dput sous la Grande-Matrise du comte
de Clermont. Il contribua renverser la Grande-Loge, et favorisa
lusurpation du Grand-Orient de France,
3
ce qui est une faon particulire dcrire lhistoire.
En 1829, Jean-Claude Bsuchet, que nous citons daprs lou-
vrage de Daruty afrmait que:
M. Baure, banquier, [ est] plus coupable que le prince du sang
[ ] . Il se dispense dassembler la Grande Loge. Sur les reprsentations
qui lui sont faites, le comte de Clermont se disposait donner
M. Baure un successeur plus digne de sa conance lorsque le matre de
danse La Corne, complaisant agent des affaires secrtes du prince,
parvint lui arracher un titre qui, sous la dnomination de Substitut
particulier du Grand-Matre, le rendit matre absolu de ladministra-
tion maonnique.
4
En 1844, F. T. B. Clavel nhsite pas crire, dans un chapitre
intitul Schismes que:
2. Hi st oi re de l a f ondat i on du Grand Ori ent ,
pp.19 21, publi Paris, rdit en 1992.
3. Acta Latomorum, pp. 78-79 (TomeI) et 341
(TomeII), rdit.
4. Prci s hi st ori que de l ordre de l a Franc-
maonneri e, depui s son i nt roduct i on en
France jusqu en 1829 inDaruty,cf. infra,
p. 101.
N 122 avril 2000
Les Matres deLogeparisiens au XVIII
e
sicle: lments debiographie Lacorne(I) I:,
le frre Baure, substitut du grand-matre, le comte de Clermont,
ayant nglig de remplir les devoirs de sa charge [ ] , la Grande Loge
[ ] , en 1761, sollicita le grand-matre de choisir un autre substitut [ .]
Il dsigna en cette qualit un certain Lacorne, matre de danse, et le
pourvoyeur de ses amours clandestins (sic). Linconvenance dun pareil
choix motiva, de la part de la G.L., de respectueuses reprsentations
qui ne furent point coutes. Lacorne sempressa de prendre posses-
sion de sa dignit. Il convoqua plusieurs assembles, auxquelles
presque tous les membres de la G.L. sabstinrent dassister. Humili et
irrit de cette dsertion, il alla recruter dans les cabarets cette foule de
matres de loges qui faisaient trafic des initiations, et staient sous-
traits jusqualors lautorit et au contrle de la G.L. Il choisit parmi
eux des ofciers sa dvotion, et t subir une rorganisation complte
au corps de la maonnerie franaise. Les membres qui staient retirs
tinrent des assembles spares, protestrent contre les actes de la
faction Lacorne, et lancrent des excommunications.
Cependant, lanne suivante, sur les remontrances qui lui furent
adresses, le comte de Clermont consentit rvoquer Lacorne, et il prit
pour nouveau substitut le frre Chaillou de Jonville.
5
En 1853, Jean-Marie Ragon de Bettignies (1781-1866) en rajouta
un peu :
Le G. M. se disposait donner au financier inhabile [ cest--dire
Baur] un successeur plus digne, lorsquun complaisant agent des
affaires secrtes du prince, le matre danser Lacorne, parvint arra-
cher au chef insouciant un titre qui, sous la dnomination de substitut
particulier du G.-M., rendait cet intrigant matre absolu de toute lad-
ministration maonnique. Cette nomination drisoire excite autant
dindignation que de douleur. Le marchand de ics-acs
6
bravant tous
les murmures, sempare des rnes de ladministration, peuple la G.L.
de ses cratures, et avec leur appui, cet indigne chef de lassociation
devient puissant.
Tous les hommes de bonne compagnie, de moeurs honntes,
donnent leur dmission ou cessent de prendre part aux travaux [ ]
7
.
En 1864, E.M. Rebold reprit en grande partie ce qui avait t
publi avant lui.
Lacorne, crit-il, est
moins digne encore [ que le banquier Baur] Il se t initier aux plus
hauts degrs du rite dit de Perfection [ aprs avoir obtenu la charge de
substitut particulier. Irrit des ractions dfavorables de la Grande
Loge son encontre] il runit [ ] une multitude de matres de loges,
qui faisaient trafic des initiations, et quil recruta dans les cabarets,
pour rorganiser la G Loge. Il choisit ses officiers suivant son
caprice: ctait des hommes sans talent, qui dplaisaient au plus grand
nombre des membres dont tait compose la GLoge, [ si bien que]
le comte de Clermont rvoqua Lacorne. [ Et] de cet tat de choses, il
5. Hi st oi re Pi t t oresque de l a Franc- Maonne-
rie, pp. 227 et 228, publi Paris, rdit.
6. Il sagit dune gure chorgraphique.
7. Ort hodoxi e maonni que, p. 45, publi
Paris, rdit en 1972.
Renaissance Traditionnelle
Thierry Boudignon I:8
advint que la GLoge se scinda en deux parties, qui ne firent que se
dchirer mutuellement
Plus loin il prcise que les partisans de Lacorne taient
des artisans sans ducation ou [] des hommes mal fams [tandis que
ses adversaires] taient des personnages appartenant soit la noblesse,
soit au barreau, soit la classe la plus distingue de la bourgeoisie.
8
Cent ans aprs sa mort, Lacorne, la suite de Thory, tait donc
couramment vilipend lorsquon abordait cette priode de lhistoire de
la maonnerie franaise, chaque auteur noircissant le tableau dress
par son prdcesseur. Cest ainsi que Lacorne simple matre
danser devient rapidement un complaisant agent des affaires
secrtes du prince puis le pourvoyeur de [ ses] amours
clandestines et un intrigant [ ] marchand de ics-acs qui sen-
toure dabord de Maons de tout tat et de toute profession puis
dhommes du bas tage, de matres de loges qui faisaient trac des
initiations et enn de cratures recrutes dans les cabarets.
*
*
*
Pourtant, la coupe tant sans doute pleine, le commencement
dun long chemin vers une meilleure connaissance du personnage tait
tout proche puisque ds lanne suivante, en 1865, A.G. Jouaust (1825-
1889), critique comme doit ltre un vritable historien, crit qu
il nest pas vrai que le comte de Clermont et abandonn les travaux
maonniques aussi compltement quon la rpt daprs Thory et le
Mmoire justificatif, puisque De Lachausse lui-mme raconte que,
pendant ces dsordres, un Frre Lacorne, Matre danser, homme dun
caractre aimable, eut lavantage daider le comte de Clermont dans
quelques travaux de rception. Puis il ajoute que le Frre Lacorne,
stant fait donner le titre de Substitut particulier, runit cette multi-
tude de Matres de Loge, laquelle il prsida [ ] .
En note, il prcise que
Le Mmoire justificatif, bien que trs hostile Lacorne, ninsinue
mme pas que ce ft un malhonnte homme; nous ne savons sur
quelles preuves on lui a donn lpithte infamante de pourvoyeur des
amours clandestines du comte de Clermont. Thory parle comme De
Lachausse de rceptions faites par Lacorne, mais il dit que ce fut dans
des loges dadoption, cest--dire des runions maonniques des deux
sexes, fort la mode dix ans plus tard .
Et plus loin
il ne faut pas confondre comme la fait le frre Rebold, dans sa
remarquable Histoire des trois Grandes Loges de France, le Substitut
gnral avec le Substitut particulier, ni rpter avec lui et les autres
auteurs qui ont copi Thory, que le Frre Lacorne fut remplac en 1762
8. Histoire des Trois Grandes Loges de Francs-
Maons en France, pp. 48-50, publi
Paris, rdit.
N 122 avril 2000
Les Matres deLogeparisiens au XVIII
e
sicle: lments debiographie Lacorne(I) I:,
par le Frre Chaillon de Jonville. [ Dailleurs] dans cette Grande Loge
[ ] on peut douter que linfluence du Frre Lacorne ait t aussi per-
nicieuse quon le prtend, parce quelle fut de trop courte dure
(de1761 1762) .
9
Jouaust rectifiait donc sensiblement limage de Lacorne en mon-
trant que sa prtendue malhonntet tait loin dtre prouve et, distin-
guant clairement les titres de substitut gnral et de substitut particulier,
dduisait quil navait pas t remplac par Chaillon de Jonville et par
consquent probablement pas rvoqu par le comte de Clermont.
Mais malgr cette premire mise au point, Jean mile Daruty
10
,
ne fit que reprendre les textes de Bsuchet, Clavel, Ragon et Rebold
avec tous les noms doiseaux que lon a dits.
Cependant, en 1899, Ren Philipon, sous le pseudonyme de un
chevalier de la Rose-Croissante publiait une Nouvelle notice historique
sur le Martinsisme et le Martinismeet exprimait un avis beaucoup plus
favorable.
Le frre Lacorne, substitut particulier du comte de Clermont et
prince maon, tait membre [ du] Chapitre [ des Empereurs dOrient et
dOccident] ; ce qui nous amne dfendre ce frre [ ] dont on a dit si
injustement tant de mal.
On na pas pargn les sarcasmes ce matre danser [], sans
rflchir quen Maonnerie un matre danser est sur le mme niveau
quun premier baron chrtien. Sur les documents de lpoque nous
voyons figurer les noms les plus honorables prs de celui du frre
Lacorne; ce sont ceux de Chaillon de Jonville, substitut gnral de
lordre, du prince de Rohan, de Brest de Lachausse et du comte de
Choiseul ; et, si nous nous en rapportons aux crits mmes de ses
adversaires, nous voyons que ctait un homme dun caractre aimable
qui eut lavantage daider le comte de Clermont dans quelques travaux
de rception. Le mmoire justificatif, bien que trs hostile Lacorne,
ninsinue mme pas que ce fut un malhonnte homme et nous ne
savons sur quelles preuves on lui a depuis donn lpithte infamante
de pourvoyeur des amours clandestines du comte de Clermont. Il est
probable qu ce sujet, comme dautres, les auteurs ont plus sacri
lesprit de vrit, puisque Rebold lui-mme a crit que le comte de
Clermont rvoqua Lacorne et nomma sa place le frre Chaillon de
Jonville [ ] pour son substitut gnral, alors quil est avr que
Lacorne ne fut jamais substitut gnral et que Chaillon de Jonville ne
fut jamais substitut particulier. [ ]
Il suft de lire les procs-verbaux de lpoque pour voir quil ne fut
jamais question dhommes assez mal fams que Lacorne serait all
recruter dans les cabarets. Les partisans de Lacorne taient au contraire
de forts honntes hommes dont les pices ofcielles constatent lhon-
ntet civique et maonnique.
9. Histoire du Grand Orient de France, pp. 92
94, rdit.
10. Recherches sur l e ri t e cossai s anci en
accept, p. 101, publi en 1879, rdit en
1988.
Renaissance Traditionnelle
Thierry Boudignon I,o
Et Ren Philipon ajoute en note:
Voy. Brest de Lachausse. Mmoire Justificatif ; ainsi que le
registre original des travaux de la Grande Loge de France.
Il est trs regrettable quen parlant des moeurs dplorables de
Lacorne et des individus de son espce, M. Papus se soit content de
copier Clavel ou Rebold, sans chercher sclairer davantage.
11
Certes, mais lui-mme ne copiait-il pas des auteurs sans les citer ?
En 1908, Gustave Bord (1852-1917) fut le premier, croyons-nous,
tenter de replacer Lacorne dans son contexte social et professionnel.
Il rappelle que
Baur fut remplac par un nouveau substitut qui ne valait certes
pas mieux que lui [ ] . Ce second personnage est aussi nigmatique
que le premier. Il sagit du danseur Lacorne. Qui tait Lacorne?
En 1745, il y avait Paris, sous les ordres du comte de Brionne,
grand cuyer de France, trois acadmies pour lducation des jeunes
gentilshommes. Le prix dentre ces acadmies tait assez lev, et
lon enseignait aux lves les mathmatiques, les armes, la danse,
lexercice militaire et lquitation.
Ces trois acadmies taient tenues par Dugard, rue de lUniversit;
Jouan, rue des Cornettes, vis--vis le portail Saint-Sulpice; Croissy, au
mange des Tuileries.
Cest chez Dugard que Lacorne battait ses entrechats. Il gure sur le
tableau de cette cole de 1753 au plus tard 1763 au moins. Pendant
toute cette priode, il habitait rue de Svres, prs des lles Saint-Thomas.
Je ne serais pas tonn que Lacorne, tant donn sa profession, nait
t recommand aux bonts du comte de Clermont par Melle Le Duc,
dont il fut peut-tre le professeur de danse. Lacorne tait voisin du
pre de la marquise de Tourvoye, qui habitait le Luxembourg en qualit
de concierge. Dcidment Lacorne, vnrable matre de la loge de la
Trinit, valait bien Chapelot
12
, Leroy et Baur, et je ne sais pourquoi les
historiens maonniques lont charg de tous les pchs dHiram!
Pour porter sur lui ce verdict indulgent, je dois passer, la vrit,
sous silence, laccusation faite contre Lacorne par ses adversaires, souvent
plus froces que de raison, davoir rempli avec zle auprs du comte de
Clermont les fonctions que Lebel
13
remplissait auprs de Louis XV.
Dans le doute il vaut mieux tre indulgent.
14
Ce premier essai de prise en compte du contexte historique
sans doute non dnu darrires penses ne fut pas suivi par Albert
Lantoine. Citant Bsuchet, il rappelle que
le matre danser La Corne [ ] Vnrable de la loge LaTrinit, [ ]
ne fut vraisemblablement nomm cet emploi de Substitut particulier
du Grand Matre, [ ] quen 1761. [ ] Dsign pour [ ] remplacer
[ Baur, il] ne parat pas avoir eu le prestige ncessaire pour imposer son
autorit.
11. Bibliothque Rosicrucienne, deuxime
srie, n 5. Franz Von Baader, Les enseigne-
ment s secret s de Mart i ns de Pasqual l y
prcds dune notice sur le Martinzisme
& le Martinisme, Paris, bibliothque Chacor-
nac, 1900, pp. XIV XVI.
12. Celui-ci tait marchand de vins.
13. Dominique Guillaume Le Bel tait premier
valet de chambre du roi.
14. La f ranc- maonneri e en France des ori -
gines 1815, pp. 178 180, rdit.
N 122 avril 2000
Les Matres deLogeparisiens au XVIII
e
sicle: lments debiographie Lacorne(I) I,I
Lantoine rappelle ensuite les affirmations de Thory et de Clavel
et donne lopinion dun certain Thveneau de Morande, gazetier
dune humeur crapuleuse qui jugeait Lacorne ainsi :
il tait effectivement trs difficile de rencontrer autant dineptie,
jointe la dbauche la plus effrne. Quoiquil en soit, cette nomina-
tion [ ] va tre le point de dpart dun schisme considrable dans la
maonnerie franaise [ il cite Rebold et Clavel au point que] le
comte de Clermont [ ] le rvoque et donne la place au frre Chaillon
de Jonville.
Mais, considrant le travail de Daruty, Lantoine trouve que :
tout cela manque de clart [ puisque Jouaust crivait que Chaillon de
Jonville et Lacorne] opraient en mme temps, [ le premier] comme
substitut gnral [ et] La Corne comme substitut particulier [ ] .
15
En 1929, Gaston Martin se plaa rsolument dans une perspec-
tive sociale.
A ct du substitut gnral Baure, le comte de Clermont a nomm
une date, qui ne peut pas tre postrieure 1758, un substitut particu-
lier, le Matre de la Loge de la Trinit: le frre Lacorne. Cest un matre
de danse dont le choix soulve bien des rumeurs. Pour lui, plus encore
que pour Baure, les prcisions manquent. Sa mauvaise rputation ne
nous est parvenue qu travers les attaques de ses adversaires.
Gaston Martin cite alors Ragon et estime que si ce rquisitoire
est pittoresque, il nest peut-tre pas tout fait juste.
Selon lui, les troubles de cette priode tmoignent surtout dun
problme sociologique lintrieur de la Grande Loge. Il pense, en
effet que deux clans apparaissent alors au grand jour. Ce serait, dun
ct, les petites gens et, de lautre, les nobles. Et le conflit vient
surtout du fait que ce sont les petites gens, cest--dire les bour-
geois, bref les Lacornards, qui dirigent ce moment-l lassociation.
Il est permis de se demander si la grande lutte qui sengage alors
nest pas un pisode de lopposition entre la bourgeoisie et laristo-
cratie pour ladministration de cette puissance nouvelle: la maon-
nerie? [ Toujours est-il que] le prince de Clermont [ ] remplace
Lacorne et nomme Chaillon, de Jonville, substitut gnral.
16
Il faudra attendre 1938, comme la not Alain Le Bihan, et le
travail dAlice Joly, Un mystique Lyonnais et les secrets de la franc-
maonnerie
17
, pour apprendre, presque deux cents ans aprs sa mort,
que Lacorne tait dcd au plus tard au printemps 1762 ce qui conr-
mait implicitement les dductions de Jouaust et mettait un terme d-
nitif lafrmation selon laquelle, il aurait t rvoqu par le comte de
Clermont et remplac par Chaillon de Jonville.
15. Hi st oi re de l a f ranc- Maonneri e Franai se,
pp. 64 68. Publi en 1925, rdit chez
Slatkine en 1981.
16. Manuel d hi st oi re de l a f ranc- maonneri e
franaise, pp. 44 et 45.
17. p. 17, publi Mcon, rdit.
Renaissance Traditionnelle
Thierry Boudignon I,:
En 1949, Henri-Flix Marcy dans son Essai sur loriginedela franc-
maonnerie et lhistoire du Grand Orient de France (Tome I) insistait
surtout sur les inconnues qui entourent le personnage et son action :
Vers 1758, je nai pu trouver pour quelles raisons, le comte de
Clermont nomme ct de Baur comme substitut particulier du
Grand Matre, le Matre de la Loge de la Trinit, Lacorne. [ ]
Lacorne est [ ] matre de danse [ ] . Au XVIIIesicle, la profes-
sion ntait pas si dcrie et il lexerce dans une des trois acadmies de
Paris fondes pour lducation des jeunes gentilshommes et places
sous la surveillance du Grand Ecuyer de France. Lacorne appartenait
lacadmie dirige par Dugard, rue de lUniversit. Gustave Bord parle
de lui avec une indulgence froce qui noublie aucune information
calomnieuse et en dehors des attaques de ses adversaires, nous ne
savons rien de prcis sur le personnage. Evidemment [ ] il fait partie
des petites gens , mais [ ] si le substitut particulier du Grand
Matre a eu des adversaires, voire dirrductibles ennemis, il eut aussi
des partisans; mais de nombreuses Loges se refusent admettre lauto-
rit de ceux quils appellent les Lacornards, la Grande Loge se divise
en deux groupes [ ] .
Quatre ans plus tard, en 1953, Roger Priouret publiait un livre
alerte qui ouvrait une autre perspective: le conit des annes 1760-1762,
dpassant la simple personne de Lacorne, pourrait tre lillustration des
rapports difciles, complexes et tendus entre la Grande Loge (grant les
trois premiers grades) et les organismes de hauts grades. Il crit :
Lacorne [ ] succde [ Baur. Cest un] matre de danse dans
lune des trois acadmies parisiennes que frquentent les meilleurs
gentilshommes. Il na mme pas, comme Baur, pignon et comptoir sur
rue, et se trouve galement dsarm devant la prolifration de grades,
de loges, de rites htrodoxes. Veut-il mme la rprimer ?Il en tire
profit, dit-on, fait commerce des constitutions de loges quil autorise
au nom du Grand Matre. On laccuse mme de fournir, contre argent,
des jeunes lles pour les nuits du comte A peu prs au moment de sa
nomination comme substitut (1756) la loge Saint-Jean-de-Jrusalem
devient le Conseil des Empereurs dOrient et dOccident avec des
statuts et une hirarchie particulire. Que fait Lacorne?Il devient
Empereur ! [ ]
Bientt lautorit de Lacorne est discute, mme lintrieur de la
Grande Loge. Une opposition se forme contre lui quil ne surmonte
que par ladjonction de nouveaux membres dont la qualit est
conteste. Il meurt en 1762 [ ] . Remplac par Chaillon de Jonville, il
laisse derrire lui un parti que les historiens maons traiteront comme
des gens pendables et qui ne sont peut-tre que les dfenseurs obstins
des hauts grades.
18
Alain Le Bihan est lhistorien contemporain qui a pouss le plus
loin et le plus scientifiquement les recherches sur Lacorne en rassem-
blant, notamment par le dpouillement du fonds maonnique de la
18. La Franc- Maonneri e sous l es l ys. Rdit
en 10/18, pp. 74 et 75.
N 122 avril 2000
Les Matres deLogeparisiens au XVIII
e
sicle: lments debiographie Lacorne(I) I,,
Bibliothque nationale, les trop rares informations sur son compte.
Cest ainsi quil a pu le suivre sur une priode de huit annes de1754
1762 nous reprendrons son travail et fait le point suivant :
On peut rejeter comme inexactes la succession de Lacorne au
banquier Baur, comme substitut du G. M., sans dautres intermdiaires
entre Baur et Lacorne ne serait-ce que le chirurgien Ledran , et la
date de 1761 avance comme tant la date du choix de Lacorne [ ] .
galement inexactes ces assertions de Thory : La Grande Loge
refusa de reconnatre ce substitut et de sassembler sous sa prsidence.
Celui-ci forme une seconde Grande Loge et la compose dhommes de
bas tage. Socialement et individuellement les matres qui suivirent
Lacorne rent autant et plus dhonneur lordre que ceux qui se grou-
prent derrire son rival de 1760, le frre Peny.
Inexactes, enn la rvocation de Lacorne [ ] , en 1762, et la nomi-
nation sa place de Chaillon de Jonville [ ] .
Voil qui est clair. Cependant, trs honntement, il achve son
article par ces mots:
Reconnaissons en savoir trop peu pour rhabiliter lhomme [ ] ,
mais aussi en savoir assez pour ne plus suivre aveuglment lhistoire
traditionnelle
19
,
ce quil confirmera dans un autre article publi dans le
Dictionnaire de la franc-maonnerie
20
, en constatant quil existe encore
autant dimprcisions sur un personnage passionnment discut.
Plus tard, en 1993, Claude Gurillot
21
consacrera quelques pages
Lacorneen sappuyant principalement sur Alain Le Bihan et en citant
la plupart des historiens ci-dessus. Dans la question relative au prnom
de Lacorne, question mineure certes mais qui montre ltendue de
notre ignorance Jacques ou Antoine sinterrogeait A. Le Bihan
C. Gurillot choisit Jacques.
Enfin, Pierre Chevallier
22
, confirme quon nest pas beaucoup
mieux renseign sur Lacorne que sur Baur. Il rappelle les travaux
antrieurs, Bord et Thory, et, bien quil tienne compte des avances de
Alain Le Bihan, il reste svre puisquil estime, dans lintroduction au
Prcis historique de la Maonnerie franaise, publi en 1995, que ce fut
un bonheur, pour lOrdre, [ que] sa carrire se termine au printemps
de 1762 [ ] .
Et, tout rcemment parue, voici une Histoire des francs-maons
en France
23
publie sous la direction de Daniel Ligou qui consacre
quelques lignes notre personnage :
Matre de danse, et devenu vers 1754 Matre de Loge Paris,
Antoine Lacorne se retrouva substitut particulier du Grand Matre,
pour lavoir second en quelques rceptions. Homme dune socit
19. Francs- maons et at el i ers pari si ens de l a
Grande Loge de France au XVIIIe si cl e,
Paris, 1973, p. 268.
20. Publi sous la direction de Daniel Ligou, 3e
dition, 1991.
21. La gense du ri t e cossai s anci en &
accept, pp. 77 80.
22. Hi st oi re de l a Franc- Maonneri e f ranai se,
TomeI, p. 126. Paru en 1974.
23. ditions Privat, 2000, pp. 77-79.
Renaissance Traditionnelle
Thierry Boudignon I,
aimable, en crira Brest de la Chausse et qui, selon le mme, soc-
troya le titre appel limmortaliser. Simple Matre de la Sainte-Trinit
en 1757 [ ] il signait les diplmes, partir de 1758, du triple titre de
Matre de Loge, cossais, substitut du Grand Matre. Comme son
auguste Matre, Lacorne peut navoir pch que par excs de complai-
sance, jalous quil tait coup sr par des Matres plus anciens dans
lOrdre [ ] . Lacorne tait de trop modeste condition pour en imposer
ses pairs; il laissa aux partisans de Pny le bnfice, et les inconv-
nients, de se constituer en Grande Loge rivale et de se donner de nou-
veaux statuts en mai 1760.
La Grande Loge vcut son premier schisme [ ] .
Dans le cours de 1761, Clermont dsigna un substitut gnral
Auguste-Jean-Franois Chaillon de Jonville. [ ]
En avril 1762, ayant appris le dcs du Matre Lacorne [ la Grande
Loge de Pny] fit taire ses ressentiments [ ] mais le schisme se pro-
longea jusqu la n de lanne 1762.
Ainsi, depuis Jouaust et au terme de ce rapide panorama, on sait
que limmoralit de Lacorne est surtout le fruit de la calomnie si bien
illustre lpoque par Rossini , que son statut social pour tre
modeste ntait pas forcment infamant , quil ne fut pas le succes-
seur de Baur, quil ne fut pas remplac par Chaillon de Jonville et quil
mourut au dbut du printemps de 1762. Quant au schisme de 1760, il
ne se rduit pas lincapacit ou la soif de pouvoir de Lacorne mais
pourrait sexpliquer par un conit de nature sociologique doubl dun
problme de relations difficiles entre organismes qui cherchent
contrler la maonnerie franaise.
( suivre)
N 122 avril 2000
Les Matres deLogeparisiens au XVIII
e
sicle: lments debiographie Lacorne(I) I,,

Vous aimerez peut-être aussi