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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/309

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LIVRE SIXIÈME.


renvoya ces janissaires sans les vouloir voir, et leur fit dire que, s’ils ne se retiraient, il leur ferait couper la barbe, ce qui est dans l’Orient le plus outrageant de tous les affronts.

Les vieillards, remplis de l’indignation la plus vive, s’en retournèrent en criant : « Ah ! la tête de fer ! puisqu’il veut périr, qu’il périsse. » Ils vinrent rendre compte au bacha de leur commission, et apprendre à leurs camarades de Bender l’étrange réception qu’on leur avait faite. Tous jurèrent alors d’obéir aux ordres du bacha sans délai, et eurent autant d’impatience d’aller à l’assaut qu’ils en avaient eu peu le jour précédent. L’ordre est donné dans le moment : les Turcs marchent aux retranchements ; les Tartares les attendaient déjà, et les canons commençaient à tirer[1].

Les janissaires d’un côté, et les Tartares de l’autre, forcent en un instant ce petit camp : à peine vingt Suédois tirèrent l’épée ; les trois cents soldats furent enveloppés et faits prisonniers sans résistance. Le roi était alors à cheval, entre sa maison et son camp, avec les généraux Hord, Dahldorf, et Sparre : voyant que tous les soldats s’étaient laissé prendre en sa présence, il dit de sang-froid à ces trois officiers : « Allons défendre la maison ; nous combattrons, ajouta-t-il en souriant, pro avis et focis. »

Aussitôt il galope avec eux vers cette maison, où il avait mis environ quarante domestiques en sentinelle, et qu’on avait fortifiée du mieux qu’on avait pu.

Ces généraux, tout accoutumés qu’ils étaient à l’opiniâtre intrépidité de leur maître, ne pouvaient se lasser d’admirer qu’il voulût de sang-froid, et en plaisantant, se défendre contre dix canons et toute une armée ; ils le suivirent avec quelques gardes et quelques domestiques, qui faisaient en tout vingt personnes.

Mais quand ils furent à la porte, ils la trouvèrent assiégée de janissaires ; déjà même près de deux cents Turcs ou Tartares étaient entrés par une fenêtre, et s’étaient rendus maîtres de tous les appartements, à la réserve d’une grande salle où les domestiques du roi s’étaient retirés. Cette salle était heureusement près de la porte par où le roi voulait entrer avec sa petite troupe de vingt personnes ; il s’était jeté en bas de son cheval, le pistolet et l’épée à la main, et sa suite en avait fait autant.

  1. La lettre écrite après le combat par Fabrice, 15 février 1713, confirme tous les détails donnés par Voltaire, et en ajoute de fort curieux : « Quand le siége commençait, les clairons, hautbois, tambours, timbales et autres instruments de la musique militaire des Turcs, se firent entendre, et le roi, pour ne leur devoir rien de reste, fit monter cinq à six trompettes au haut de sa maison, qui leur répondaient, etc. » (A. G.)