Les Lois de Minos
TEUCER, roi de Crète.
MÉRIONE, DICTIME, |
archontes. |
PHARÈS, grand-sacrificateur.
AZÉMON, DATAME, |
guerriers de Cydonie. |
ASTÉRIE, captive.
un héraut.
plusieurs guerriers cydoniens.
suite, etc.
ACTE PREMIER.
des cyprès sur le devant.)
Scène I.
Quoi ! Toujours, cher ami, ces archontes, ces grands,
Feront parler les lois pour agir en tyrans[1] !
Minos, qui fut cruel, a régné sans partage ;
Mais il ne m’a laissé qu’un pompeux esclavage,
Un titre, un vain éclat, le nom de majesté,
L’appareil du pouvoir, et nulle autorité.
J’ai prodigué mon sang, je règne, et l’on me brave.
Ma pitié, ma bonté pour cette jeune esclave
Semble dicter l’arrêt qui condamne ses jours ;
Si je l’avais proscrite elle aurait leur secours.
Tel est l’esprit des grands depuis que la naissance
A cessé de donner la suprême puissance :
Jaloux d’un vain honneur, mais qu’on peut partager,
Ils n’ont choisi des rois que pour les outrager[2].
Ce trône a ses périls ; je les connais sans doute ;
Je les ai vus de près ; je sais ce qu’il en coûte.
J’aimais Idoménée ; il mourut exilé
En pleurant sur un fils par lui-même immolé[3] :
Par le sang de ce fils il crut plaire à la Crète ;
Mais comment subjuguer la fureur inquiète
De ce peuple inconstant, orageux, égaré,
Vive image des mers dont il est entouré ?
Ses flots sont élevés, mais c’est contre le trône ;
Une sombre tempête en tout temps l’environne,
Le sort vous a réduit à combattre à la fois
Les durs cydoniens et vos jaloux crétois,
Les uns dans les conseils, les autres par les armes ;
Et chaque instant pour vous redouble nos alarmes :
Hélas ! Des meilleurs rois c’est souvent le destin ;
Leurs pénibles travaux se succèdent sans fin :
Mais que votre pitié pour cette infortunée,
Par le cruel Pharès à mourir condamnée,
N’ait pas, à votre exemple, attendri tous les cœurs ;
Que ce saint homicide ait des approbateurs ;
Qu’on ait justifié cet usage exécrable ;
C’est là ce qui m’étonne, et cette horreur m’accable.
Que veux-tu ? Ces guerriers sous les armes blanchis,
Vieux superstitieux aux meurtres endurcis,
Destructeurs des remparts où l’on gardait Hélène,
Ont vu d’un œil tranquille égorger Polixène[4].
Ils redoutaient Calchas ; ils tremblent à mes yeux
Sous un Calchas nouveau, plus implacable qu’eux.
Tel est l’aveuglement dont la Grèce est frappée :
Elle est encor barbare[5] ; et de son sang trempée,
À des dieux destructeurs elle offre ses enfants :
Ses fables sont nos lois, ses dieux sont nos tyrans.
Thèbes, Mycène, Argos, vivront dans la mémoire ;
D’illustres attentats ont fait toute leur gloire.
La Grèce a des héros, mais injustes, cruels,
Insolents dans le crime, et tremblants aux autels.
Ce mélange odieux m’inspire trop de haine.
Je chéris la valeur, mais je la veux humaine.
Ce sceptre est un fardeau trop pesant pour mon bras
S’il le faut soutenir par des assassinats ;
Je suis né trop sensible : et mon âme attendrie
Se soulève aux dangers de la jeune Astérie ;
J’admire son courage, et je plains sa beauté[6].
Ami, je crains les dieux ; mais dans ma piété
Je croirais outrager leur suprême justice,
Si je pouvais offrir un pareil sacrifice.
On dit que de Cydon les belliqueux enfants
Du fond de leurs forêts viendront dans peu de temps
Racheter leurs captifs, et surtout cette fille
Que le sort des combats arrache à sa famille.
On peut traiter encore ; et peut-être qu’un jour
De la paix parmi nous le fortuné retour
Adoucirait nos mœurs, à mes yeux plus atroces
Que ces fiers ennemis qu’on nous peint si féroces.
Nos grecs sont bien trompés : je les crois glorieux
De cultiver les arts, et d’inventer des dieux ;
Cruellement séduits par leur propre imposture,
Ils ont trouvé des arts, et perdu la nature.
Ces durs cydoniens[7] dans leurs antres profonds
Sans autels et sans trône, errants et vagabonds,
Mais libres, mais vaillants, francs, généreux, fidèles,
Peut-être ont mérité d’être un jour nos modèles ;
La nature est leur règle, et nous la corrompons.
Quand leur chef paraîtra nous les écouterons ;
Les archontes et moi, selon nos lois antiques,
Donnerons audience à ces hommes rustiques :
Reçois-les, et surtout qu’ils puissent ignorer
Les sacrés attentats qu’on ose préparer.
Je ne te cèle point combien mon âme émue
De ces cydoniens abhorre l’entrevue.
Je hais, je dois haïr ces sauvages guerriers,
De ma famille entière insolents meurtriers ;
J’ai peine à contenir cette horreur qu’ils m’inspirent :
Mais ils offrent la paix où tous mes vœux aspirent :
J’étoufferai la voix de mes ressentiments,
Je vaincrai mes chagrins, qui résistaient au temps :
Il en coûte à mon cœur, tu connais sa blessure :
Ils vont renouveler ma perte et mon injure.
Mais faut-il en punir un objet innocent ?
Livrerai-je Astérie à la mort qui l’attend ?
On vient. Puissent les dieux, que ma justice implore,
Ces dieux trop mal servis, ces dieux qu’on déshonore,
Inspirer la clémence, accorder à mes vœux
Une loi moins cruelle et moins indigne d’eux !
Scène II.
Prenez place, seigneurs, au temple de Gortine[8] ;
Adorez et vengez la puissance divine.
Pharès continue.)
Prêtres de Jupiter, organes de ses lois,
Confidents de nos dieux, et vous, roi des crétois,
Vous, archontes vaillants, qui marchez à la guerre
Sous les drapeaux sacrés du maître du tonnerre,
Voici le jour de sang, ce jour si solennel,
Où je dois présenter aux marches de l’autel
L’holocauste attendu, que notre loi commande.
De sept ans en sept ans[9] nous devons en offrande
Une jeune captive aux mânes des héros ;
Ainsi dans ses décrets nous l’ordonna Minos,
Quand lui-même il vengeait sur les enfants d’Égée
La majesté des dieux, et la mort d’Androgée.
Nos suffrages, Teucer, vous ont donné son rang :
Vous ne le tenez point des droits de votre sang ;
Nous vous avons choisi quand par Idoménée
L’île de Jupiter se vit abandonnée.
Soyez digne du trône où vous êtes monté ;
Soutenez de nos lois l’inflexible équité.
Jupiter veut le sang de la jeune captive
Qu’en nos derniers combats on prit sur cette rive.
On la croit de Cydon. Ces peuples odieux,
Ennemis de nos lois, et proscrits par nos dieux,
Des repaires sanglants de leurs antres sauvages,
Ont cent fois de la Crète infesté les rivages ;
Toujours en vain punis, ils ont toujours brisé
Le joug de l’esclavage à leur tête imposé.
Remplissez à la fin votre juste vengeance.
Une épouse, une fille à peine en son enfance,
Aux champs de Bérécinthe, en vos premiers combats,
Sous leurs toits embrasés mourantes dans vos bras,
Demandent à grands cris qu’on apaise leurs mânes.
Exterminez, grands dieux, tous ces peuples profanes !
Le vil sang d’une esclave, à nos autels versé,
Est d’un bien faible prix pour le ciel offensé.
C’est du moins un tribut que l’on doit à mon temple ;
Et la terre coupable a besoin d’un exemple.
Vrais soutiens de l’état, guerriers victorieux,
Favoris de la gloire, et vous, prêtres des dieux,
Dans cette longue guerre où la Crète est plongée,
J’ai perdu ma famille, et ce fer l’a vengée ;
Je pleure encor sa perte ; un coup aussi cruel
Saignera pour jamais dans ce cœur paternel.
J’ai dans les champs d’honneur immolé mes victimes ;
Le meurtre et le carnage alors sont légitimes ;
Nul ne m’enseignera ce que mon bras vengeur
Devait à ma famille, à l’état, à mon cœur :
Mais l’autel ruisselant du sang d’une étrangère
Peut-il servir la Crète, et consoler un père ?
Plût aux dieux que Minos, ce grand législateur,
De notre république auguste fondateur,
N’eût jamais commandé de pareils sacrifices !
L’homicide en effet rend-il les dieux propices ?
Avons-nous plus d’états, de trésors, et d’amis,
Depuis qu’Idoménée eut égorgé son fils ?
Guerriers, c’est par vos mains qu’aux feux vengeurs en proie,
J’ai vu tomber les murs de la superbe Troie,
Nous répandons le sang des malheureux mortels ;
Mais c’est dans les combats, et non point aux autels.
Songez que de Calchas et de la Grèce unie
Le ciel n’accepta point le sang d’Iphigénie[10].
Ah ! Si pour nous venger le glaive est dans nos mains,
Cruels aux champs de mars, ailleurs soyons humains ;
Ne peut-on voir la Crète heureuse et florissante
Que par l’assassinat d’une fille innocente ?
Les enfants de Cydon seront-ils plus soumis ?
Sans en être plus craints nous serons plus haïs.
Au souverain des dieux rendons un autre hommage :
Méritons ses bontés, mais par notre courage :
Vengeons-nous, combattons, qu’il seconde nos coups ;
Et vous, prêtres des dieux, faites des vœux pour nous,
Nous les formons, ces vœux ; mais ils sont inutiles
Pour les esprits altiers et les cœurs indociles.
La loi parle, il suffit : vous n’êtes en effet
Que son premier organe et son premier sujet ;
C’est Jupiter qui règne : il veut qu’on obéisse ;
Et ce n’est pas à vous de juger sa justice.
S’il daigna devant Troie accorder un pardon
Au sang que dans l’Aulide offrait Agamemnon,
Quand il veut, il fait grâce : écoutez en silence
La voix de sa justice ou bien de sa clémence ;
Il commande à la terre, à la nature, au sort ;
Il tient entre ses mains la naissance et la mort.
Quel nouvel intérêt vous agite et vous presse ?
Nul de nous ne montra ces marques de faiblesse
Pour le dernier objet qui fut sacrifié ;
Nous ne connaissons point cette fausse pitié.
Vous voulez que Cydon cède au joug de la Crète ;
Portez celui des dieux dont je suis l’interprète :
Mais voici la victime[11].
Scène III.
La pitié qui vous touche a pénétré mon cœur.
Que dans la Grèce encore il est de barbarie !
Que ma triste raison gémit sur ma patrie !
Captive des crétois, remise entre mes mains,
Avant d’entendre ici l’arrêt de tes destins,
C’est à toi de parler, et de faire connaître
Quel est ton nom, ton rang, quels mortels t’ont fait naître.
Je veux bien te répondre. Astérie est mon nom ;
Ma mère est au tombeau ; le vieillard Azémon,
Mon digne et tendre père, a, dès mon premier âge,
Dans mon cœur qu’il forma fait passer son courage.
De rang, je n’en ai point ; la fière égalité
Est notre heureux partage, et fait ma dignité.
Sais-tu que Jupiter ordonne de ta vie ?
Le Jupiter de Crète, aux yeux de ma patrie,
Est un fantôme vain que ton impiété
Fait servir de prétexte à ta férocité.
Apprends que ton trépas, qu’on doit à tes blasphèmes,
Est déjà préparé par mes ordres suprêmes.
Je le sais, de ma mort indigne et lâche auteur ;
Je le sais, inhumain, mais j’espère un vengeur.
Tous mes concitoyens sont justes et terribles ;
Tu les connais, tu sais s’ils furent invincibles.
Les foudres de ton dieu, par un aigle portés,
Ne te sauveront pas de leurs traits mérités :
Lui-même, s’il existe, et s’il régit la terre,
S’il naquit parmi vous, s’il lance le tonnerre[12],
Il saura bien sur toi, monstre de cruauté,
Venger son divin nom si longtemps insulté.
Puisse tout l’appareil de ton infâme fête,
Tes couteaux, ton bûcher, retomber sur ta tête !
Puisse le temple horrible où mon sang va couler,
Sur ma cendre, sur toi, sur les tiens s’écrouler !
Périsse ta mémoire ! Et s’il faut qu’elle dure,
Qu’elle soit en horreur à toute la nature !
Qu’on abhorre ton nom ! Qu’on déteste tes dieux !
Voilà mes vœux, mon culte, et mes derniers adieux.
Et toi, que l’on dit roi, toi, qui passes pour juste,
Toi, dont un peuple entier chérit l’empire auguste,
Et qui, du tribunal où les lois t’ont porté,
Sembles tourner sur moi des yeux d’humanité,
Plains-tu mon infortune en voulant mon supplice ?
Non, de mes assassins tu n’es pas le complice.
On ne peut faire grâce, et votre autorité
Contre un usage antique, et partout respecté,
Opposerait, seigneur, une force impuissante.
Que je livre au trépas sa jeunesse innocente !…
Il faut du sang au peuple, et vous le connaissez ;
Ménagez ses abus, fussent-ils insensés.
La loi qui vous révolte est injuste peut-être ;
Mais en Crète elle est sainte, et vous n’êtes pas maître
De secouer un joug dont l’état est chargé.
Ton pouvoir a sa borne, et cède au préjugé.
Quand il est trop barbare, il faut qu’on l’abolisse.
Respectons plus Minos.
Et pourquoi dans Minos voulez-vous révérer
Ce que dans Busiris on vous vit abhorrer ?
Oui, j’estime en Minos le guerrier politique ;
Mais je déteste en lui le maître tyrannique.
Il obtint dans la Crète un absolu pouvoir :
Je suis moins roi que lui, mais je crois mieux valoir ;
En un mot à mes yeux votre offrande est un crime.
(À Dictime.)
Viens, suis-moi.
Qu’aux autels on traîne la victime.
Vous osez !…
Scène IV.
Ont marché vers nos murs, et s’y sont présentés.
De l’olivier sacré les branches pacifiques,
Symbole de concorde, ornent leurs mains rustiques :
Ils disent que leur chef est parti de Cydon,
Et qu’il vient des captifs apporter la rançon.
Il n’est point de rançon, quand le ciel fait connaître
Qu’il demande à nos mains un sang dont il est maître.
La loi veut qu’on diffère, elle ne souffre pas
Que l’étendard de paix et celui du trépas
Étalent à nos yeux un coupable assemblage.
Aux droits des nations nous ferions trop d’outrage.
Nous devons distinguer (si nous avons des mœurs)
Le temps de la clémence et le temps des rigueurs :
C’est par là que le ciel, si l’on en croit nos sages,
Des malheureux humains attira les hommages ;
Ce ciel peut-être enfin lui veut sauver le jour.
Allez, qu’on la ramène en cette même tour
Que je tiens sous ma garde, et dont on l’a tirée
Pour être en holocauste à vos glaives livrée.
Sénat, vous apprendrez un jour à pardonner.
Je te rends grâce, ô roi, si tu veux m’épargner ;
Mon supplice est injuste autant qu’épouvantable :
Et, quoique j’y portasse un front inaltérable,
Quoique aux lieux où le ciel a daigné me nourrir,
Nos premières leçons soient d’apprendre à mourir,
Le jour m’est cher… hélas ! Mais s’il faut que je meure,
C’est une cruauté que d’en différer l’heure.
Le conseil est rompu. Vous, braves combattants,
Croyez que de Cydon les farouches enfants
Pourront malaisément désarmer ma colère.
Si je vois en pitié cette jeune étrangère,
Le glaive que je porte est toujours suspendu
Sur ce peuple ennemi par qui j’ai tout perdu.
Je sais qu’on doit punir, comme on doit faire grâce,
Protéger la faiblesse, et réprimer l’audace :
Tels sont mes sentiments. Vous pouvez décider
Si j’ai droit à l’honneur d’oser vous commander,
Et si j’ai mérité ce trône qu’on m’envie.
Allez ; blâmez le roi, mais aimez la patrie ;
Servez-la ; mais surtout, si vous craignez les dieux,
Apprenez d’un monarque à les connaître mieux.
ACTE DEUXIÈME.
Scène I.
Où sont ces députés envoyés à mon maître ?
Qu’on les fasse approcher… mais je les vois paraître,
Quel est celui de vous dont Datame est le nom ?
C’est moi.
Et qui croit, par des dons aux crétois inutiles,
Racheter des captifs enfermés dans nos villes ?…
Nous ne rougissons pas de proposer la paix.
Je l’aime, je la veux, sans l’acheter jamais.
Le vieillard Azémon, que mon pays révère,
Qui m’instruisit à vaincre, et qui me sert de père,
S’est chargé, m’a-t-il dit, de mettre un digne prix
À nos concitoyens par les vôtres surpris.
Nous venons les tirer d’un infâme esclavage,
Nous venons pour traiter.
Est-il ici ?
A retardé sa course, et je puis, en son nom,
De la belle Astérie annoncer la rançon.
Du sommet des rochers qui divisent les nues
J’ai volé, j’ai franchi des routes inconnues,
Tandis que ce vieillard, qui nous suivra de près,
A percé les détours de nos vastes forêts ;
Par le fardeau des ans sa marche est ralentie.
Il apporte, dis-tu, la rançon d’Astérie ?
Oui. J’ignore à ton roi ce qu’il peut présenter ;
Cydon ne produit rien qui puisse vous flatter.
Vous allez ravir l’or au sein de la Colchide ;
Le ciel nous a privés de ce métal perfide ;
Dans notre pauvreté que pouvons-nous offrir ?
Votre cœur et vos bras, dignes de nous servir.
Il ne tiendra qu’à vous ; longtemps nos adversaires,
Si vous l’aviez voulu, nous aurions été frères.
Ne prétendez jamais parler en souverains ;
Remettez, dès ce jour, Astérie en nos mains.
Sais-tu quel est son sort ?
À peine ai-je touché cette terre ennemie,
J’arrive : je demande Astérie à ton roi,
À tes dieux, à ton peuple, à tout ce que je voi ;
Je viens ou la reprendre ou périr avec elle.
Une Hélène coupable, une illustre infidèle,
Arma dix ans vos grecs indignement séduits ;
Une cause plus juste ici nous a conduits ;
Nous vous redemandons la vertu la plus pure :
Rendez-moi mon seul bien ; réparez mon injure.
Tremblez de m’outrager ; nous avons tous promis
D’être jusqu’au tombeau vos plus grands ennemis ;
Nous mourrons dans les murs de vos cités en flammes,
Sur les corps expirants de vos fils, de vos femmes…
(À Dictime.)
Guerrier, qui que tu sois, c’est à toi de savoir
Ce que peut le courage armé du désespoir.
Tu nous connais : préviens le malheur de la Crète.
Nous savons réprimer cette audace indiscrète.
J’ai pitié de l’erreur qui paraît t’emporter.
Tu demandes la paix, et viens nous insulter !
Calme tes vains transports ; apprends, jeune barbare,
Que pour toi, pour les tiens, mon prince se déclare ;
Qu’il épargne souvent le sang qu’on veut verser ;
Qu’il punit à regret, qu’il sait récompenser ;
Qu’intrépide aux combats, clément dans la victoire,
Il préfère surtout la justice à la gloire ;
Mérite de lui plaire.
S’il est grand, s’il est bon, que ne vient-il à moi ?
Que ne me parle-t-il ?… la vertu persuade.
Je veux l’entretenir.
doit paraître au sénat avec tes compagnons.
Il faut se conformer aux lois des nations.
Est-ce ici son palais ?
est le temple où des dieux j’ai prié la justice
de détourner de nous les fléaux destructeurs,
d’éclairer les humains, de les rendre meilleurs.
Minos bâtit ces murs fameux dans tous les âges,
et cent villes de Crète y portent leurs hommages.
Qui ? Minos ? Ce grand fourbe, et ce roi si cruel ?
Lui, dont nous détestons et le trône et l’autel ;
qui les teignit de sang ? Lui, dont la race impure
par des amours affreux étonna la nature[13] ?
Lui, qui du poids des fers nous voulut écraser,
Et qui donna des lois pour nous tyranniser ?
Lui, qui du plus pur sang que votre Grèce honore
Nourrit sept ans ce monstre appelé Minotaure ?
Lui, qu’enfin vous peignez, dans vos mensonges vains,
Au bord de l’Achéron jugeant tous les humains,
Et qui ne mérita, par ses fureurs impies,
Que d’éternels tourments sous les mains des furies ?
Parle : est-ce là ton sage ? Est-ce là ton héros ?
Crois-tu nous effrayer à ce nom de Minos ?
Oh ! Que la renommée est injuste et trompeuse !
Sa mémoire à la Grèce est encor précieuse ;
Ses lois et ses travaux sont par nous abhorrés.
On méprise en Cydon ce que vous adorez ;
On y voit en pitié les fables ridicules
Que l’imposture étale à vos peuples crédules.
Tout peuple a ses abus, et les nôtres sont grands ;
Mais nous avons un prince ennemi des tyrans,
Ami de l’équité, dont les lois salutaires
Aboliront bientôt tant de lois sanguinaires.
Prends confiance en lui, sois sûr de ses bienfaits :
Je jure par les dieux…
Promets-nous que ton roi sera juste et sincère ;
Qu’il rendra dès ce jour Astérie à son père…
De ses autres bienfaits nous pouvons le quitter.
Nous n’avons rien à craindre et rien à souhaiter ;
La nature pour nous fut assez bienfaisante :
Aux creux de nos vallons sa main toute-puissante
A prodigué ses biens pour prix de nos travaux ;
Nous possédons les airs, et la terre, et les eaux ;
Que nous faut-il de plus ? Brillez dans vos cent villes
De l’éclat fastueux de vos arts inutiles ;
La culture des champs, la guerre, sont nos arts ;
L’enceinte des rochers a formé nos remparts :
Nous n’avons jamais eu, nous n’aurons point de maître.
Nous voulons des amis ; méritez-vous de l’être ?
Oui, Teucer en est digne ; oui, peut-être aujourd’hui,
En le connaissant mieux, vous combattrez pour lui.
Nous !
Que, pour leur intérêt, nos deux peuples s’unissent.
Je ne te réponds pas que ta dure fierté
Ne puisse de mon roi blesser la dignité ;
Mais il l’estimera. Vous, allez ; qu’on prépare
Ce que les champs de Crète ont produit de plus rare ;
Qu’on traite avec respect ces guerriers généreux.
Puissent tous les crétois penser un jour comme eux !
Que leur franchise est noble, ainsi que leur courage !
Le lion n’est point né pour souffrir l’esclavage :
Qu’ils soient nos alliés, et non pas nos sujets.
Leur mâle liberté peut servir nos projets.
J’aime mieux leur audace et leur candeur hautaine
Que les lois de la Crète, et tous les arts d’Athène.
Scène II.
Il faut prendre un parti : ma triste nation
N’écoute que la voix de la sédition ;
Ce sénat orgueilleux contre moi se déclare ;
On affecte ce zèle implacable et barbare
Que toujours les méchants feignent de posséder,
À qui souvent les rois sont contraints de céder :
J’entends de mes rivaux la funeste industrie
Crier de tous côtés : religion, patrie !
Tout prêts à m’accuser d’avoir trahi l’état
Si je m’oppose encore à cet assassinat.
Le nuage grossit, et je vois la tempête
Qui, sans doute, à la fin tombera sur ma tête.
J’oserais proposer, dans ces extrémités,
De vous faire un appui des mêmes révoltés,
Des mêmes habitants de l’âpre Cydonie,
Dont nous pourrions guider l’impétueux génie :
Fiers ennemis d’un joug qu’ils ne peuvent subir,
Mais amis généreux, ils pourraient nous servir.
Il en est un surtout, dont l’âme noble et fière
Connaît l’humanité dans son audace altière :
Il a pris sur les siens, égaux par la valeur,
Ce secret ascendant que se donne un grand cœur ;
Et peu de nos crétois ont connu l’avantage
D’atteindre à sa vertu, quoique dure et sauvage.
Si de pareils soldats pouvaient marcher sous vous,
On verrait tous ces grands si puissants, si jaloux
De votre autorité qu’ils osent méconnaître,
Porter le joug paisible, et chérir un bon maître.
Nous voulions asservir des peuples généreux :
Faisons mieux, gagnons-les ; c’est là régner sur eux.
Je le sais. Ce projet peut sans doute être utile ;
Mais il ouvre la porte à la guerre civile :
À ce remède affreux faut-il m’abandonner ?
Faut-il perdre l’état pour le mieux gouverner ?
Je veux sauver les jours d’une jeune barbare ;
Du sang des citoyens serai-je moins avare ?
Il le faut avouer, je suis bien malheureux !
N’ai-je donc des sujets que pour m’armer contre eux ?
Pilote environné d’un éternel orage,
Ne pourrai-je obtenir qu’un illustre naufrage ?
Ah ! Je ne suis pas roi si je ne fais le bien.
Quoi donc ! Contre les lois la vertu ne peut rien !
Le préjugé fait tout ! Pharès impitoyable
Maintiendra malgré vous cette loi détestable !
Il domine au sénat ! On ne veut désormais
Ni d’offres de rançon, ni d’accord, ni de paix !
Quel que soit son pouvoir, et l’orgueil qui l’anime,
Va, le cruel du moins n’aura point sa victime ;
Va, dans ces mêmes lieux, profanés si longtemps,
J’arracherai leur proie à ces monstres sanglants.
Puissiez-vous accomplir cette sainte entreprise !
Il faut bien qu’à la fin le ciel la favorise.
Et lorsque les crétois, un jour plus éclairés,
Auront enfin détruit ces attentats sacrés
(Car il faut les détruire, et j’en aurai la gloire),
Mon nom, respecté d’eux, vivra dans la mémoire.
La gloire vient trop tard, et c’est un triste sort.
Qui n’est de ses bienfaits payé qu’après la mort,
Obtînt-il des autels, est encor trop à plaindre.
Je connais, cher ami, tout ce que je dois craindre ;
Mais il faut bien me rendre à l’ascendant vainqueur
Qui parle en sa défense, et domine en mon cœur.
Gardes, qu’en ma présence à l’instant on conduise
Cette cydonienne, entre nos mains remise.
Je prétends lui parler avant que, dans ce jour,
On ose l’arracher du fond de cette tour,
Et la rendre au cruel armé pour son supplice,
Qui presse au nom des dieux ce sanglant sacrifice.
Demeure. La voici : sa jeunesse, ses traits,
Toucheraient tous les cœurs, hors celui de Pharès.
Scène III.
Que prétend-on de moi ? Quelle rigueur nouvelle,
Après votre promesse, à la mort me rappelle ?
Allume-t-on les feux qui m’étaient destinés ?
Ô roi ! Vous m’avez plainte, et vous m’abandonnez !
Non ; je veille sur vous, et le ciel me seconde.
Pourquoi me tirez-vous de ma prison profonde ?
Pour vous rendre au climat qui vous donna le jour ;
Vous reverrez en paix votre premier séjour :
Malheureuse étrangère, et respectable fille,
Que la guerre arracha du sein de sa famille,
Souvenez-vous de moi loin de ces lieux cruels.
Soyez prête à partir… oubliez nos autels…
Une escorte fidèle aura soin de vous suivre.
Vivez… qui mieux que vous a mérité de vivre !
Ah, seigneur ! Ah, mon roi ! Je tombe à vos genoux ;
Tout mon cœur qui m’échappe a volé devant vous ;
Image des vrais dieux, qu’ici l’on déshonore,
Recevez mon encens : en vous je les adore.
Vous seul, vous m’arrachez aux monstres infernaux
Qui, me parlant en dieux, n’étaient que des bourreaux.
Malgré ma juste horreur de servir sous un maître,
Esclave auprès de vous, je me plairais à l’être.
Plus je l’entends parler, plus je suis attendri…
Est-il vrai qu’Azémon, ce père si chéri,
Qui, près de son tombeau, vous regrette et vous pleure,
Pour venir vous reprendre a quitté sa demeure ?
On le dit. J’ignorais, au fond de ma prison,
Ce qui s’est pu passer dans ma triste maison.
Savez-vous que Datame, envoyé par un père,
Venait nous proposer un traité salutaire,
Et que des jours de paix pouvaient être accordés ?
Datame ! Lui, seigneur ! Que vous me confondez !
Il serait dans les mains du sénat de la Crète ?
Parmi mes assassins ?
J’ai porté, je le vois, de trop sensibles coups ;
Ne craignez rien pour lui. Serait-il votre époux ?
Vous serait-il promis ? Est-ce un parent, un frère ?
Parlez ; son amitié m’en deviendra plus chère ;
Plus on vous opprima, plus je veux vous servir.
De quel ombre de joie, hélas ! Puis-je jouir ?
Qui vous porte à me tendre une main protectrice ?
Quels dieux en ma faveur ont parlé ?
La justice.
Les flambeaux de l’hymen n’ont point brillé pour moi,
Seigneur ; Datame m’aime, et Datame a ma foi ;
Nos serments sont communs, et ce nœud vénérable
Est plus sacré pour nous, et plus inviolable
Que tout cet appareil formé dans vos états
Pour asservir des cœurs qui ne se donnent pas.
Le mien n’est plus à moi. Le généreux Datame
Allait me rendre heureuse en m’obtenant pour femme,
Quand vos lâches soldats, qui, dans les champs de mars,
N’oseraient sur Datame arrêter leurs regards,
Ont ravi loin de lui des enfants sans défense,
Et devant vos autels ont traîné l’innocence :
Ce sont là les lauriers dont ils se sont couverts.
Un prêtre veut mon sang, et j’étais dans ses fers.
Ses fers !… ils sont brisés, n’en soyez point en doute ;
C’est pour lui qu’ils sont faits ; et, si le ciel m’écoute,
Il peut tomber un jour au pied de cet autel
Où sa main veut sur vous porter le coup mortel.
Je vous rendrai l’époux dont vous êtes privée,
Et pour qui du trépas les dieux vous ont sauvée ;
Il vous suivra bientôt : rentrez ; que cette tour,
De la captivité jusqu’ici le séjour,
Soit un rempart du moins contre la barbarie.
On vient. Ce sera peu d’assurer votre vie ;
J’abolirai nos lois, ou j’y perdrai le jour.
Ah ! Que vous méritez, seigneur, une autre cour,
Des sujets plus humains, un culte moins barbare[14] !
Allez : avec regret de vous je me sépare ;
Mais de tant d’attentats, de tant de cruauté,
Je dois venger mes dieux, vous, et l’humanité.
Je vous crois, et de vous je ne puis moins attendre.
Scène IV.
Seigneur, sans passion pourrez-vous bien m’entendre ?
Parlez.
Et vous savez assez que, dans nos grands débats,
Je ne me suis montré le fauteur ni l’esclave
Des sanglants préjugés d’un peuple qui vous brave.
Je voudrais, comme vous, exterminer l’erreur
Qui séduit sa faiblesse, et nourrit sa fureur.
Vous pensez arrêter d’une main courageuse
Un torrent débordé dans sa course orageuse ;
Il vous entraînera, je vous en averti.
Pharès a pour sa cause un violent parti,
Et d’autant plus puissant contre le diadème
Qu’il croit servir le ciel et vous venger vous-même.
« Quoi ! Dit-il, dans nos champs la fille de Teucer,
À son père arrachée, expira sous le fer ;
Et, du sang le plus vil indignement avare,
Teucer dénaturé respecte une barbare !…
Lui seul est inhumain, seul à la cruauté
Dans son cœur insensible il joint l’impiété ;
Il veut parler en roi quand Jupiter ordonne ;
L’encensoir du pontife offense sa couronne :
Il outrage à la fois la nature et le ciel,
Et contre tout l’empire il se rend criminel… »
Il dit ; et vous jugez si ces accents terribles
Retentiront longtemps sur ces âmes flexibles,
Dont il peut exciter ou calmer les transports,
Et dont son bras puissant gouverne les ressorts.
Je vois qu’il vous gouverne, et qu’il sut vous séduire.
M’apportez-vous son ordre, et pensez-vous m’instruire ?
Je vous donne un conseil.
Je n’en ai pas besoin.
Il vous serait utile.
Je sais prendre, sans vous, conseil de ma justice.
Elle peut sous vos pas creuser un précipice :
Tout noble, dans notre île, a le droit respecté[15]
De s’opposer d’un mot à toute nouveauté.
Quel droit !
Chacun de nos égaux est un frein l’un à l’autre.
Oui, je le sais ; tout noble est tyran tour à tour.
De notre liberté condamnez-vous l’amour ?
Elle a toujours produit le public esclavage.
Nul de nous ne peut rien, s’il lui manque un suffrage.
La discorde éternelle est la loi des crétois.
Seigneur, vous l’approuviez quand de vous on fit choix.
Je la blâmais dès lors ; enfin je la déteste :
Soyez sûr qu’à l’état elle sera funeste.
Au moins, jusqu’à ce jour, elle en fut le soutien :
Mais vous parlez en prince.
Et j’agis en guerrier quand mon honneur l’exige :
À ce dernier parti gardez qu’on ne m’oblige.
Vous pourriez hasarder, dans ces dissensions,
De véritables droits pour des prétentions…
Consultez mieux l’esprit de notre république.
Elle a trop consulté la licence anarchique.
Seigneur, entre elle et vous marchant d’un pas égal,
Autrefois votre ami, jamais votre rival,
Je vous parle en son nom.
Au nom de la nature, et pour l’honneur du trône.
Nos lois…
Vous devriez rougir d’être leur protecteur.
Proposez une loi plus humaine et plus sainte ;
Mais ne l’imposez pas : seigneur, point de contrainte ;
Vous révoltez les cœurs, il faut persuader.
La prudence et le temps pourront tout accorder.
Que le prudent me quitte, et le brave me suive.
Il est temps que je règne, et non pas que je vive.
Régnez ; mais redoutez les peuples et les grands.
Ils me redouteront. Sachez que je prétends
Être impunément juste, et vous apprendre à l’être.
Si vous ne m’imitez, respectez votre maître…
Et nous, allons, Dictime, assembler nos amis,
S’il en reste à des rois insultés et trahis.
ACTE TROISIÈME.
Scène I.
Pensent-ils m’éblouir par la pompe royale,
Par ce faste imposant que la richesse étale ?
Croit-on nous amollir ? Ces palais orgueilleux
Ont de leur appareil effarouché mes yeux ;
Ce fameux labyrinthe, où la Grèce raconte
Que Minos autrefois ensevelit sa honte,
N’est qu’un repaire obscur, un spectacle d’horreur ;
Ce temple, où Jupiter avec tant de splendeur
Est descendu, dit-on, du haut de l’empyrée,
N’est qu’un lieu de carnage à sa première entrée [16] ;
Et les fronts de béliers égorgés et sanglants
Sont de ces murs sacrés les honteux ornements :
Ces nuages d’encens, qu’on prodigue à toute heure,
N’ont point purifié son infecte demeure.
Que tous ces monuments, si vantés, si chéris,
Quand on les voit de près, inspirent de mépris !
Cher Datame, est-il vrai qu’en ces pourpris funestes
On n’offre que du sang aux puissances célestes ?
Est-il vrai que ces grecs, en tous lieux renommés,
Ont immolé des grecs aux dieux qu’ils ont formés ?
La nature à ce point serait-elle égarée ?
À des flots d’imposteurs on dit qu’elle est livrée,
Qu’elle n’est plus la même, et qu’elle a corrompu
Ce doux présent des dieux, l’instinct de la vertu :
C’est en nous qu’il réside, il soutient nos courages :
Nous n’avons point de temple en nos déserts sauvages ;
Mais nous servons le ciel, et ne l’outrageons pas
Par des vœux criminels et des assassinats.
Puissions-nous fuir bientôt cette terre cruelle,
Délivrer Astérie, et partir avec elle !
Rendons tous les captifs entre nos mains tombés,
Par notre pitié seule au glaive dérobés,
Esclave pour esclave ; et quittons la contrée
Où notre pauvreté, qui dut être honorée,
N’est, aux yeux des crétois, qu’un objet de dédain ;
Ils descendaient vers nous par un accueil hautain.
Leurs bontés m’indignaient. Regagnons nos asiles,
Fuyons leurs dieux, leurs mœurs, et leurs bruyantes villes.
Ils sont cruels et vains, polis et sans pitié.
La nature entre nous mit trop d’inimitié.
Ah ! Surtout de leurs mains reprenons Astérie.
Pourriez-vous reparaître aux yeux de la patrie
Sans lui rendre aujourd’hui son plus bel ornement ?
Son père est attendu de moment en moment :
En vain je la demande aux peuples de la Crète ;
Aucun n’a satisfait ma douleur inquiète,
Aucun n’a mis le calme en mon cœur éperdu ;
Par des pleurs qu’il cachait un seul m’a répondu.
Que veulent, cher ami, ce silence et ces larmes ?
Je voulais à Teucer apporter mes alarmes ;
Mais on m’a fait sentir que, grâces à leurs lois,
Des hommes tels que nous n’approchent point les rois :
Nous sommes leurs égaux dans les champs de Bellone :
Qui peut donc avoir mis entre nous et leur trône
Cet immense intervalle, et ravir aux mortels
Leur dignité première et leurs droits naturels ?
Il ne fallait qu’un mot, la paix était jurée ;
Je voyais Astérie à son époux livrée ;
On payait sa rançon, non du brillant amas
Des métaux précieux que je ne connais pas,
Mais des moissons, des fruits, des trésors véritables,
Qu’arrachent à nos champs nos mains infatigables :
Nous rendions nos captifs ; Astérie avec nous
Revolait à Cydon dans les bras d’un époux.
Faut-il partir sans elle, et venir la reprendre
Dans des ruisseaux de sang et des monceaux de cendre ?
Scène II.
Ah ! Savez-vous le crime ?…
Quel désespoir est peint sur ton front abattu ?
Parle, parle.
Astérie…
Eh bien ?
Ce lieu qu’on nomme temple est prêt pour son supplice.
Pour Astérie !
En cette même enceinte, en cet affreux séjour,
De je ne sais quels grands la horde forcenée
Aux bûchers dévorants l’a déjà condamnée :
Ils apaisent ainsi Jupiter offensé.
Elle est morte !
Ah ! Grand dieu !
On doit l’exécuter dans ce temple barbare :
Voilà, chers compagnons, la paix qu’on nous prépare !
Sous un couteau perfide, et qu’ils ont consacré,
Son sang, offert aux dieux, va couler à leur gré,
Et dans un ordre auguste ils livrent à la flamme
Ces restes précieux adorés par Datame.
Je me meurs.
Peut-on croire un tel excès d’horreurs ?
Il en est encore un bien cruel à nos cœurs,
Celui d’être en ces lieux réduits à l’impuissance
D’assouvir sur eux tous notre juste vengeance,
De frapper ces tyrans de leurs couteaux sacrés,
De noyer dans leur sang ces monstres révérés.
Qui ? Moi ! Je ne pourrais, ô ma chère Astérie,
Mourir sur les bourreaux qui t’arrachent la vie !…
Je le pourrai sans doute… ô mes braves amis,
Montrez ces sentiments que vous m’avez promis :
Périssez avec moi. Marchons.
Datame, arrête !
Ciel !… d’où part cette voix ? Quels dieux ont sur ma tête
Fait au loin dans les airs retentir ces accents ?
Est-ce une illusion qui vient troubler mes sens ?
Datame !…
Ciel ! Qui la fis pour moi, dieu vengeur, dieu suprême !
Ombre chère et terrible à mon cœur désolé,
est-ce du sein des morts qu’Astérie a parlé ?
Je me trompe, ou du fond de cette tour antique
Sa voix faible et mourante à son amant s’explique.
Je n’entends plus ici la fille d’Azémon ;
Serait-ce là sa tombe ? Est-ce là sa prison ?
Les crétois auraient-ils inventé l’une et l’autre ?
Quelle horrible surprise est égale à la nôtre !
Des prisons ! Est-ce ainsi que ces adroits tyrans
Ont bâti, pour régner, les tombeaux des vivants ?
N’aurons-nous point de traits, d’armes, et de machines !
Ne pourrons-nous marcher sur leurs vastes ruines ?
Quel nouveau bruit s’entend ? Astérie ! Ah ! Grands dieux !
C’est elle, je la vois, elle marche en ces lieux…
Mes amis, elle marche à l’affreux sacrifice ;
Et voilà les soldats armés pour son supplice.
Elle en est entourée.
Qu’il faut, en la vengeant, mourir sacrifiés.
Scène III.
Où pensez-vous aller ? Et qu’est-ce que vous faites ?
Quel transport vous égare, aveugles que vous êtes ?
Dans leur course rapide ils ne m’écoutent pas.
Ah ! Que de cette esclave ils suivent donc les pas ;
Qu’ils s’écartent surtout de ces autels horribles,
Dressés par la vengeance à des dieux inflexibles ;
Qu’ils sortent de la Crète. Ils n’ont vu parmi nous
Que de justes sujets d’un éternel courroux :
Ils nous détesteront ; mais ils rendront justice
À la main qui dérobe Astérie au supplice ;
Ils aimeront mon roi dans leurs affreux déserts…
Mais de quels cris soudains retentissent les airs !
Je me trompe, ou de loin j’entends le bruit des armes.
Que ce jour est funeste, et fait pour les alarmes !
Ah ! Nos mœurs, et nos lois, et nos rites affreux,
Ne pouvaient nous donner que des jours malheureux !
Revolons vers le roi.
Scène IV.
Demeure. Il n’est plus temps de sauver la victime ;
Tous mes soins sont trahis ; ma raison, ma bonté,
Ont en vain combattu contre la cruauté ;
En vain, bravant des lois la triste barbarie,
Au sein de ses foyers je rendais Astérie ;
L’humanité plaintive, implorant mes secours,
Du fer déjà levé défendait ses beaux jours ;
Mon cœur s’abandonnait à cette pure joie
D’arracher aux tyrans leur innocente proie :
Datame a tout détruit.
Comment ? Quels attentats ?
Ah ! Les sauvages mœurs ne s’adoucissent pas !
Datame…
Quelle est donc sa fatale imprudence !
Il payera de sa tête une telle insolence.
Lui, s’attaquer à moi ! Tandis que ma bonté
Ne veillait, ne s’armait que pour sa sûreté ;
Lorsque déjà ma garde, à mon ordre attentive,
Allait loin de ce temple enlever la captive,
Suivi de tous les siens il fond sur mes soldats.
Quel est donc ce complot que je ne connais pas ?
Étaient-ils contre moi tous deux d’intelligence ?
Était-ce là le prix qu’on dût à ma clémence ?
J’y cours ; le téméraire, en sa fougue emporté,
Ose lever sur moi son bras ensanglanté :
Je le presse, il succombe, il est pris avec elle.
Ils périront : voilà tout le fruit de mon zèle ;
Je faisais deux ingrats. Il est trop dangereux
De vouloir quelquefois sauver des malheureux.
J’avais trop de bonté pour un peuple farouche
Qu’aucun frein ne retient, qu’aucun respect ne touche,
Et dont je dois surtout à jamais me venger.
Où ma compassion m’allait-elle engager !
Je trahissais mon sang, je risquais ma couronne ;
Et pour qui ?
Si leur faute est commune, ils doivent l’expier ;
S’ils sont tous deux ingrats, il les faut oublier.
Ce n’est pas sans regret ; mais la raison l’ordonne.
L’inflexible équité, la majesté du trône,
Ces parvis tout sanglants, ces autels profanés,
Votre intérêt, la loi, tout les a condamnés.
D’Astérie en secret la grâce, la jeunesse,
Peut-être malgré moi, me touche et m’intéresse ;
Mais je ne dois penser qu’à servir mon pays ;
Ces sauvages humains sont mes vrais ennemis.
Oui, je réprouve encore une loi trop sévère :
Mais il est des mortels dont le dur caractère,
Insensible aux bienfaits, intraitable, ombrageux,
Exige un bras d’airain toujours levé sur eux.
D’ailleurs ai-je un ami dont la main téméraire
S’armât pour un barbare et pour une étrangère ?
Ils ont voulu périr, c’en est fait ; mais du moins
Que mes yeux de leur mort ne soient pas les témoins.
Scène V.
Que sont-ils devenus ?
D’un trépas mérité sera bientôt suivie :
Tout le peuple à grands cris presse leur châtiment :
Le sénat indigné s’assemble en ce moment.
Ils périront tous deux dans la demeure sainte
Dont ils ont profané la redoutable enceinte.
Ainsi l’on va conduire Astérie au trépas.
Rien ne peut la sauver.
Je lui tendais les bras ;
Ma pitié me trompait sur cette infortunée :
Ils ont fait, malgré moi, leur noire destinée.
L’arrêt est-il porté ?
Livrer sur nos autels Astérie à la mort ;
Bientôt tout sera prêt pour ce grand sacrifice ;
On réserve Datame aux horreurs du supplice :
On ne veut point sans vous juger son attentat ;
Et la seule Astérie occupe le sénat.
C’est Datame, en effet, c’est lui seul qui l’immole ;
Mes efforts étaient vains, et ma bonté frivole.
Revolons aux combats ; c’est mon premier devoir,
C’est là qu’est ma grandeur, c’est là qu’est mon pouvoir :
Mon autorité faible est ici désarmée :
J’ai ma voix au sénat, mais je règne à l’armée.
Le père d’Astérie, accablé par les ans,
Les yeux baignés de pleurs, arrive à pas pesants,
Se soutenant à peine, et d’une voix tremblante
Dit qu’il apporte ici pour sa fille innocente
Une juste rançon dont il peut se flatter
Que votre cœur humain pourra se contenter.
Quelle simplicité dans ces mortels agrestes !
Ce vieillard a choisi des moments bien funestes ;
De quel trompeur espoir son cœur s’est-il flatté ?
Je ne le verrai point : il n’est plus de traité.
Il a, si je l’en crois, des présents à vous faire
Qui vous étonneront.
Je ne puis rien pour lui. Dérobez à ses yeux
Du sang qu’on va verser le spectacle odieux.
Il insiste ; il nous dit qu’au bout de sa carrière
Ses yeux se fermeraient sans peine à la lumière
S’il pouvait à vos pieds se jeter un moment.
Il demandait Datame avec empressement.
Malheureux !
Ce vain soulagement qu’exige sa faiblesse.
Ah ! Quand mes yeux ont vu, dans l’horreur des combats,
Mon épouse et ma fille expirer dans mes bras,
Les consolations, dans ce moment terrible,
Ne descendirent point dans mon âme sensible ;
Je n’en avais cherché que dans mes vains projets
D’éclairer les humains, d’adoucir mes sujets,
Et de civiliser l’agreste Cydonie :
Du ciel qui conduit tout la sagesse infinie
Réserve, je le vois, pour de plus heureux temps
Le jour trop différé de ces grands changements.
Le monde avec lenteur marche vers la sagesse[17],
Et la nuit des erreurs est encor sur la Grèce.
Que je vous porte envie, ô rois trop fortunés,
Vous qui faites le bien dès que vous l’ordonnez !
Rien ne peut captiver votre main bienfaisante,
Vous n’avez qu’à parler, et la terre est contente.
ACTE QUATRIÈME.
Scène I.
Quoi ! Nul ne vient à moi dans ces lieux solitaires !
Je ne retrouve point mes compagnons, mes frères !
Ces portiques fameux, où j’ai cru que les rois
Se montraient en tout temps à leurs heureux crétois,
Et daignaient rassurer l’étranger en alarmes,
Ne laissaient voir au loin que des soldats en armes ;
Un silence profond règne sur ces remparts :
Je laisse errer en vain mes avides regards ;
Datame, qui devait dans cette cour sanglante
Précéder d’un vieillard la marche faible et lente,
Datame devant moi ne s’est point présenté ;
On n’offre aucun asile à ma caducité.
Il n’en est pas ainsi dans notre Cydonie ;
Mais l’hospitalité loin des cours est bannie.
Ô mes concitoyens, simples et généreux,
Dont le cœur est sensible autant que valeureux,
Que pourrez-vous penser quand vous saurez l’outrage
Dont la fierté crétoise a pu flétrir mon âge !
Ah ! Si le roi savait ce qui m’amène ici,
Qu’il se repentirait de me traiter ainsi !
Une route pénible et la triste vieillesse
De mes sens fatigués accablent la faiblesse.
Goûtons sous ces cyprès un moment de repos :
Le ciel bien rarement l’accorde à nos travaux.
Scène II.
Irai-je donc mourir aux lieux qui m’ont vu naître
Sans avoir dans la Crète entretenu ton maître !
Étranger malheureux, je t’annonce mon roi ;
Il vient avec bonté : parle, rassure-toi.
Va, puisqu’à ma prière il daigne condescendre,
Qu’il rende grâce aux dieux de me voir, de m’entendre.
Eh bien ! Que prétends-tu, vieillard infortuné ?
Quel démon destructeur, à ta perte obstiné,
Te force à déserter ton pays, ta famille,
Pour être ici témoin du malheur de ta fille ?
Si ton cœur est humain, si tu veux m’écouter,
Si le bonheur public a de quoi te flatter,
Elle n’est point à plaindre, et, grâces à mon zèle,
Un heureux avenir se déploiera pour elle ;
Je viens la racheter.
Il n’est plus de rançon, plus d’espoir, plus de paix.
Quitte ce lieu terrible ; une âme paternelle
Ne doit point habiter cette terre cruelle.
Va, crains que je ne parte.
Ainsi donc de son sort
Tu seras le témoin ! Tes yeux verront sa mort !
Elle ne mourra point. Datame a pu t’instruire
du dessein qui m’amène et qui dut le conduire.
Datame de ta fille a causé le trépas.
Loin de l’affreux bûcher précipite tes pas ;
Retourne, malheureux, retourne en ta patrie ;
Achève en gémissant les restes de ta vie.
La mienne est plus cruelle ; et, tout roi que je suis,
Les dieux m’ont éprouvé par de plus grands ennuis :
Ton peuple a massacré ma fille avec sa mère ;
Tu ressens comme moi la douleur d’être père.
Va, quiconque a vécu dut apprendre à souffrir ;
On voit mourir les siens avant que de mourir.
Pour toi, pour ton pays, Astérie est perdue ;
Sa mort par mes bontés fut en vain suspendue ;
La guerre recommence, et rien ne peut tarir
Les nouveaux flots de sang déjà prêts à courir.
Je pleurerais sur toi plus que sur ma patrie,
Si tu laissais trancher les beaux jours d’Astérie.
Elle vivra, crois-moi ; j’ai des gages certains
Qui toucheraient les cœurs de tous ses assassins.
Ah ! Père infortuné ! Quelle erreur te transporte !
Quand tu contempleras la rançon que j’apporte,
Sois sûr que ces trésors à tes yeux présentés
Ne mériteront pas d’en être rebutés ;
Ceux qu’Achille reçut du souverain de Troie
n’égalaient pas les dons que mon pays t’envoie.
Cesse de t’abuser ; remporte tes présents.
Puissent les dieux plus doux consoler tes vieux ans !
Mon père, à tes foyers j’aurai soin qu’on te guide.
Scène III.
Ah ! Quittez les parvis de ce temple homicide,
Seigneur ; du sacrifice on fait tous les apprêts :
Ce spectacle est horrible, et la mort est trop près.
Le seul aspect des rois, ailleurs si favorable,
Porte partout la vie, et fait grâce au coupable :
Vous ne verriez ici qu’un appareil de mort ;
D’un barbare étranger on va trancher le sort.
Mais vous savez quel sang d’abord on sacrifie ;
quel zèle a préparé cet holocauste impie.
Comme on est aveuglé ! Mes raisons ni mes pleurs
N’ont pu de notre loi suspendre les rigueurs.
Le peuple, impatient de cette mort cruelle,
L’attend comme une fête auguste et solennelle ;
L’autel de Jupiter est orné de festons ;
On y porte à l’envi son encens et ses dons.
Vous entendrez bientôt la fatale trompette :
À ce lugubre son, qui trois fois se répète,
Sous le fer consacré la victime à genoux…
Pour la dernière fois, seigneur, retirons-nous,
Ne souillons point nos yeux d’un culte abominable.
Hélas ! Je pleure encor ce vieillard vénérable,
Va, surtout qu’on ait soin de ses malheureux jours,
Dont la douleur bientôt va terminer le cours :
Il est père, et je plains ce sacré caractère.
Je te plains encor plus… et cependant j’espère.
Fuis, malheureux, te dis-je.
Écoute encore un mot : tu vas donc présenter
D’Astérie à tes dieux les entrailles fumantes ?
De tes prêtres crétois les mains toutes sanglantes
Vont chercher l’avenir dans son sein déchiré !
Et tu permets ce crime ?
Il m’accable d’effroi ; je le hais, je l’abhorre ;
J’ai cru le prévenir, je le voudrais encore :
hélas ! Je prenais soin de ses jours innocents ;
Je rendais Astérie à ses tristes parents.
Je sens quelle est ta perte et ta douleur amère…
C’en est fait.
Tu voulais la remettre à son père ?
Va, tu la lui rendras.
Azémon continue.)
On apporte à tes pieds ces dons dignes des dieux.
Que vois-je !
Ils t’ont appartenu… tu gémis et tu pleures !…
Ils sont pour Astérie ; il faut les conserver :
Tremble, malheureux roi, tremble de t’en priver.
Astérie est le prix qu’il est temps que j’obtienne.
Elle n’est point ma fille… apprends qu’elle est la tienne.
Ô ciel !
Ô providence !
Ces gages, ces écrits, témoins de son destin,
Ce pyrope éclatant qui brilla sur sa mère,
Quand le sort des combats, à nous deux si contraire,
T’enleva ton épouse, et qu’il la fit périr ;
Voilà cette rançon que je venais t’offrir ;
Je te l’avais bien dit, elle est plus précieuse
Que tous les vains trésors de ta cour somptueuse.
Ma fille !
Justes dieux !
Mon père ! Mon ami ! Mon seul consolateur !
De la nuit du tombeau mes mains l’avaient sauvée,
Comme un gage de paix je l’avais élevée ;
Je l’ai vu croître en grâce, en beautés, en vertus :
Je te la rends ; les dieux ne la demandent plus.
Ma fille !… allons, suis-moi.
Quels moments !
on l’entraîne à l’autel ! Et déjà le grand-prêtre…
gardes qui me suivez, secondez votre roi…
Ouvrez-vous, temple horrible[18] ! Ah ! Qu’est-ce que je voi ?
Ma fille !
Qu’elle meure !
Arrête ! Qu’elle vive !
Astérie !
Oses-tu délivrer ma captive ?
Misérable ! Oses-tu lever ce bras cruel ?…
Dieux ! Bénissez les mains qui brisent votre autel ;
C’était l’autel du crime.
Sacrilége tyran, sera bientôt punie.
Sauveur de l’innocence, auguste protecteur,
Est-ce vous dont le bras équitable et vengeur
De mes jours malheureux a renoué la trame ?
Ah ! Si vous les sauvez, sauvez ceux de Datame ;
Étendez jusqu’à lui vos secours bienfaisants.
Je ne suis qu’une esclave.
Ô bienheureux moments !
Vous esclave ! ô mon sang ! Sang des rois ! Fille chère !
Ma fille ! Ce vieillard t’a rendue à ton père.
Qui ? Moi !
Goûte un destin nouveau dans mes embrassements ;
Image de ta mère, à mes vieux ans rendue,
Joins ton âme étonnée à mon âme éperdue.
Ô mon roi !
Dis mon père… il n’est point d’autre nom.
Hélas ! Est-il bien vrai, généreux Azémon ?
J’en atteste les dieux.
Tout est connu.
Mon père !
Qu’on délivre Datame en ce moment prospère…
Vous, écoutez.
Oui, si je suis à vous, Datame est votre fils ;
Je vois, je reconnais, votre âme paternelle.
Seigneur, voyez déjà la faction cruelle
Dans le fond de ce temple environner Pharès :
Déjà de la vengeance ils font tous les apprêts ;
On court de tous côtés ; des troupes fanatiques
Vont, le fer dans les mains, inonder ces portiques.
Regardez Mérione, on marche autour de lui ;
Tout votre ami qu’il est, il paraît leur appui.
Est-ce là ce héros que j’ai vu devant Troie ?
Quelle fureur aveugle à mes yeux se déploie ?
L’inflexible Pharès a-t-il dans tous les cœurs
Des poisons de son âme allumé les ardeurs ?
Il n’entendit jamais la voix de la nature ;
Il va vous accuser de fraude, d’imposture.
Datame, en sa puissance, et de ses fers chargé,
A reçu son arrêt, et doit être égorgé.
Datame ! Ah ! Prévenez le plus grand de ses crimes.
Va, ni lui ni ses dieux n’auront plus de victimes ;
Va, l’on ne verra plus de pareils attentats.
Tranquille il frapperait votre fille en vos bras ;
Et le peuple à genoux, témoin de son supplice,
Des dieux dans son trépas bénirait la justice.
Quand il saura quel sang sa main voulut verser,
Le barbare, crois-moi, n’osera m’offenser.
Quoi que Datame ait fait, je veux qu’on le révère.
Tout prend dans ce moment un nouveau caractère :
Je ferai respecter les droits des nations.
Ne vous attendez pas, dans ces émotions,
Que l’orgueil de Pharès s’abaisse à vous complaire :
Il atteste les lois, mais il prétend les faire.
Il y va de sa vie, et j’aurais de ma main,
Dans ce temple, à l’autel, immolé l’inhumain
Si le respect des dieux n’eût vaincu ma colère.
Je n’étais point armé contre le sanctuaire ;
Mais tu verras qu’enfin je sais être obéi.
S’il ne me rend Datame, il en sera puni,
Dût sous l’autel sanglant tomber mon trône en cendre.
(À Astérie.)
Je cours y donner ordre, et vous pouvez m’attendre.
Seigneur !… sauvez Datame… approuvez notre amour :
Mon sort est en tout temps de vous devoir le jour.
Prends soin de ce vieillard qui lui servit de père
Sur les sauvages bords d’une terre étrangère ;
Veille sur elle.
Que ton cœur paternel aura des ennemis…
Ô toi, divinité qui régis la nature,
Tu n’as pas foudroyé cette demeure impure,
Qu’on ose nommer temple, et qu’avec tant d’horreur
Du sang des nations on souille en ton honneur !
C’est en ces lieux de mort, en ce repaire infâme,
Qu’on allait immoler Astérie et Datame !
Providence éternelle, as-tu veillé sur eux ?
Leur as-tu préparé des destins moins affreux ?
Nous n’avons point d’autels où le faible t’implore[19] :
Dans nos bois, dans nos champs, je te vois, je t’adore ;
Ton temple est, comme toi, dans l’univers entier :
Je n’ai rien à t’offrir, rien à sacrifier ;
C’est toi qui donnes tout. Ciel ! Protége une vie
qu’à celle de Datame, hélas ! J’avais unie.
S’il nous faut périr tous, si tel est notre sort,
nous savons, vous et moi, comme on brave la mort ;
vous me l’avez appris, vous gouvernez mon âme ;
et je mourrai du moins entre vous et Datame.
ACTE CINQUIÈME.
Scène I.
Allez, dites-leur bien que, dans leur arrogance,
Trop longtemps pour faiblesse ils ont pris ma clémence ;
Que de leurs attentats mon courage est lassé ;
Que cet autel affreux, par mes mains renversé,
Est mon plus digne exploit et mon plus grand trophée ;
Que de leurs factions enfin l’hydre étouffée,
Sur mon trône avili, sur ma triste maison,
Ne distillera plus les flots de son poison ;
Il faut changer de lois, il faut avoir un maître.
(À Mérione.)
Et vous, qui ne savez ce que vous devez être,
Vous qui, toujours douteux entre Pharès et moi,
Vous êtes cru trop grand pour servir votre roi,
Prétendez-vous encore, orgueilleux Mérione,
Que vous pouvez abattre ou soutenir mon trône ?
Ce roi dont vous osez vous montrer si jaloux,
Pour vaincre et pour régner n’a pas besoin de vous ;
Votre audace aujourd’hui doit être détrompée.
Ou pour ou contre moi tirez enfin l’épée :
Il faut, dans le moment, les armes à la main,
Me combattre, ou marcher sous votre souverain.
S’il faut servir vos droits, ceux de votre famille,
Ceux qu’un retour heureux accorde à votre fille,
Je vous offre mon bras, mes trésors, et mon sang :
Mais si vous abusez de ce suprême rang
Pour fouler à vos pieds les lois de la patrie,
Je la défends, seigneur, au péril de ma vie.
Père et monarque heureux, vous avez résolu
D’usurper malgré nous un empire absolu,
De courber sous le joug de la grandeur suprême
Les ministres des dieux, et les grands, et moi-même ;
Des vils cydoniens vous osez vous servir
Pour opprimer la Crète, et pour nous asservir ;
Mais, de quelque grand nom qu’en ces lieux on vous nomme
Sachez que tout l’état l’emporte sur un homme.
Tout l’État est dans moi… fier et perfide ami,
Je ne vous connais plus que pour mon ennemi :
Courez à vos tyrans.
Vous le voulez ?
Vous punir tous ensemble. Oui, marchez, téméraire ;
Oui, combattez sous eux, je n’en suis point jaloux ;
Je les méprise assez pour les joindre avec vous.
(À Azémon.)
Et toi, cher étranger, toi, dont l’âme héroïque
M’a forcé, malgré moi, d’aimer ta république ;
Toi, sans qui j’eusse été, dans ma triste grandeur,
Un exemple éclatant d’un éternel malheur ;
Toi, par qui je suis père, attends sous ces ombrages
Ou le comble ou la fin de mes sanglants outrages :
Va ! Tu me reverras mort ou victorieux.
Ah ! Tu deviens mon roi… rendez-moi, justes dieux,
Avec mes premiers ans, la force de le suivre !
Que ce héros triomphe, ou je cesse de vivre !
Datame et tous les siens, dans ces lieux rassemblés,
N’y seraient-ils venus que pour être immolés ?
Que devient Astérie ?… ah ! Mes douleurs nouvelles
Me font encor verser des larmes paternelles.
Scène II.
Ciel ! Où porter mes pas ? Et quel sera mon sort ?
Garde-toi d’avancer vers les champs de la mort.
Ma fille ! De ce nom mon amitié t’appelle,
Digne sang d’un vrai roi, fuis l’enceinte cruelle,
Fuis le temple exécrable où les couteaux levés
Allaient trancher les jours que j’avais conservés.
Tremble.
Ce n’était pas ainsi que vous m’aviez instruite.
Le roi, Datame, et vous, vous êtes en danger ;
C’est moi seule, c’est moi qui dois le partager.
Ton père le défend.
Mon devoir me l’ordonne.
Sans armes et sans force, hélas ! Tout m’abandonne.
Aux combats autrefois ces lieux m’ont vu courir :
Va, nous ne pouvons rien.
Astérie, voulant sortir.
Ne puis-je pas mourir ?
Azémon, se mettant au-devant d’elle.
Tu n’en fus que trop près.
Sans doute était horrible à mon âme abattue :
Inutile au héros qui vivait dans mon cœur,
J’expirais en victime et tombais sans honneur ;
La mort avec Datame est du moins généreuse :
La gloire adoucira ma destinée affreuse.
Les filles de Cydon, toujours dignes de vous,
Suivent dans les combats leurs parents, leurs époux,
Et quand la main des dieux me donne un roi pour père,
Quand je connais mon sang, faut-il qu’il dégénère ?
Les plaintes, les regrets et les pleurs sont perdus.
Reprenez avec moi vos antiques vertus,
Et, s’il en est besoin, raffermissez mon âme.
J’ai honte de pleurer sans secourir Datame.
Scène III.
Il apporte à tes pieds sa joie et sa douleur.
Que dis-tu ?
Quoi ! Mon fils ?
Teucer n’est pas vainqueur ?
Il l’est, n’en doutez pas ; je suis le seul à plaindre.
Vous vivrez tous les deux : qu’aurais-je encore à craindre ?
Ô ciel ! ô providence ! Enfin triomphe aussi
De tous ces dieux affreux que l’on adore ici !
Il avait à combattre, en ce jour mémorable,
Des tyrans de l’état le parti redoutable,
Les archontes, Pharès, un peuple furieux,
Qui, trahissant ton père, a cru servir ses dieux.
Nous entendions leurs cris, tels que sur nos rivages
Les sifflements des vents appellent les orages ;
Et nous étions réduits au désespoir honteux
De ne pouvoir mourir en combattant contre eux.
Teucer a pénétré dans la prison profonde
Où, cachés aux rayons du grand astre du monde,
On nous avait chargés du poids honteux des fers,
Pour être avec toi-même en sacrifice offerts,
Ainsi que leurs agneaux, leurs béliers, leurs génisses,
Dont le sang, disent-ils, plaît à leurs dieux propices ;
Il nous arme à l’instant. Je reprends mon carquois,
Mes dards, mes javelots, dont ma main tant de fois
Moissonna dans nos champs leur troupe fugitive.
Bientôt de ces crétois une foule craintive
Fuit, et laisse un champ libre au héros que je sers.
La foudre est moins rapide en traversant les airs.
Il vole à ce grand chef, à ce fier Mérione ;
Il l’abat à ses pieds : aux fers on l’abandonne ;
On l’enchaîne à mes yeux. Ceux qui, le glaive en main,
Couraient pour le venger, l’accompagnent soudain :
Je les vois, sous mes coups, roulant dans la poussière.
Tout couvert de leur sang, je vole au sanctuaire,
À cette enceinte horrible et si chère aux crétois,
Où de leur Jupiter les détestables lois
Avaient proscrit ta tête en holocauste offerte ;
Où, des voiles de mort indignement couverte,
On t’a vue à genoux, le front ceint d’un bandeau,
Prête à verser ton sang sous les coups d’un bourreau :
Ce bourreau sacrilége était Pharès lui-même ;
Il conservait encor l’autorité suprême
Qu’un délire sacré lui donna si longtemps
Sur les serfs odieux de ce temple habitants.
Ils l’entouraient en foule, ardents à le défendre,
Appelant Jupiter qui ne peut les entendre,
Et poussant jusqu’au ciel des hurlements affreux.
Je les écarte tous ; je vole au milieu d’eux ;
Je l’atteins, je le perce ; il tombe, et je m’écrie :
« Barbare, je t’immole à ma chère Astérie ! »
De ma juste vengeance et d’amour transporté,
J’ai traîné jusqu’à toi son corps ensanglanté :
Tu peux le voir, tu peux jouir de ta victime ;
Tandis que tous les siens, étonnés de leur crime,
Sont tombés en silence, et saisis de terreur,
Le front dans la poussière, aux pieds de leur vainqueur.
Mon fils ! Je meurs content.
Ce jour est donc pour moi le plus beau de ma vie !
Cher amant ! Cher époux !
Mais ce jour de ta gloire est horrible pour moi.
Est-il quelque danger que mon amant redoute ?
Non, Datame est heureux.
Lorsque, dans nos forêts et parmi nos égaux,
Ton grand cœur attendri donnait à mes travaux
Sur cent autres guerriers la noble préférence ;
Quand ta main fut le prix de ma persévérance,
Je me croyais à toi : la fille d’Azémon
Pouvait avec plaisir s’honorer de mon nom.
Tu le sais, digne ami, ta bonté paternelle
Encourageait l’amour qui m’enflamma pour elle.
Et je dois l’approuver encor plus que jamais.
Tes exploits, mon estime, et tes nouveaux bienfaits,
Seraient-ils un obstacle au succès de ta flamme ?
Qui, dans le monde entier, peut m’ôter à Datame ?
Au sortir du combat, à ton père, à ton roi,
J’ai demandé ta main, j’ai réclamé ta foi,
Non pas comme le prix de mon faible service,
Mais comme un bien sacré fondé sur la justice,
Un bien qui m’appartient, puisque tu l’as promis ;
Sanglant, environné de morts et d’ennemis,
Je vivais, je mourais pour la seule Astérie.
Eh bien ! Est-il en Crète une âme assez hardie
Pour t’oser disputer le prix de ton amour ?
Ceux qu’on appelle grands dans cette étrange cour,
Et qui semblent prétendre à cet honneur insigne,
Déclarent qu’un soldat ne peut en être digne…
S’ils osaient devant moi…
Astérie est ta femme, ou Teucer est ingrat.
Il ne peut l’être.
La majesté des rois serait déshonorée.
Je ne m’attendais pas que d’un pareil affront,
Dans les champs de la Crète, on pût couvrir mon front.
Il fait rougir le mien.
Ne peut favoriser qu’un prince de la Grèce.
Voilà leurs lois, leurs mœurs.
Ce que la Crète entière a de plus odieux.
De ces fameuses lois, qu’on vante avec étude,
La première, en ces lieux, serait l’ingratitude !…
La loi qui m’immolait à leurs dieux en fureur
Ne fut pas plus injuste et n’eut pas plus d’horreur.
Je respecte mon père, et je me sens peut-être
Digne du sang des rois où j’ai puisé mon être ;
Je l’aime : il m’a deux fois ici donné le jour ;
Mais je jure par lui, par toi, par mon amour,
Que, s’il tentait la foi que ce cœur t’a donnée,
Si du plus grand des rois il m’offrait l’hyménée,
Je lui préférerais Datame et mes déserts :
Datame est mon seul bien dans ce vaste univers.
Je foulerais aux pieds trône, sceptre, couronne.
Datame est plus qu’un roi.
Scène IV.
cydoniens, soldats, peuple.
Il est à toi. Nos lois se taisent devant lui.
Ah ! Vous seul êtes juste.
Oui, tout change aujourd’hui ;
Oui, je détruis en tout l’antique barbarie :
Commençons tous les trois une nouvelle vie.
Qu’Azémon soit témoin de vos nœuds éternels ;
Ma main va les former à de nouveaux autels.
Soldats, livrez ce temple aux fureurs de la flamme[20] :
Pour mon digne héritier reconnaissez Datame ;
Reconnaissez ma fille, et servez-nous tous trois
Sous de plus justes dieux, sous de plus saintes lois.
(À Astérie.)
Le peuple, en apprenant de qui vous êtes née,
En détestant la loi qui vous a condamnée,
Éperdu, consterné, rentre dans son devoir,
Abandonne à son prince un suprême pouvoir[21]…
(À Mérione.)
Vis, mais pour me servir, superbe Mérione :
Ton maître t’a vaincu, ton maître te pardonne.
La cabale et l’envie avaient pu t’éblouir ;
Et ton seul châtiment sera de m’obéir…
Braves cydoniens, goûtez des jours prospères ;
Libres ainsi que moi, ne soyez que mes frères :
Aimez les lois, les arts ; ils vous rendront heureux…
Honte du genre humain, sacrifices affreux,
Périsse pour jamais votre indigne mémoire,
Et qu’aucun monument n’en conserve l’histoire !…
Nobles, soyez soumis, et gardez vos honneurs…
Prêtres, et grands, et peuple, adoucissez vos mœurs ;
Servez Dieu désormais dans un plus digne temple,
Et que la Grèce instruite imite votre exemple.
Demi-dieu sur la terre, ô grand homme ! ô grand roi !
Règne, règne à jamais sur mon peuple et sur moi.
Je ne méritais pas le trône où l’on m’appelle ;
Mais j’adore Astérie, et me crois digne d’elle.
- ↑ « Je crains, écrivait d’Alembert à Voltaire, que les amateurs de l’ancien parlement ne trouvent dans cette pièce, dès le premier acte, et même dès les premiers vers, des choses qui leur déplairont, et que l’auteur, en se mettant à la merci des sots, ne les ait pas assez ménagés. »
- ↑ Il ne faut pas s’imaginer qu’il y eût en Grèce un seul roi despotique. La tyrannie asiatique était en horreur ; ils étaient les premiers magistrats, comme encore aujourd’hui, vers le septentrion, nous voyons plusieurs monarques assujettis aux lois de leur république. Ou trouve une grande preuve de cette vérité dans l’Œdipe de Sophocle ; quand Œdipe, en colère contre Créon, crie : « Thèbes ! » Créon dit : « Thèbes, il m’est permis, comme à vous, de crier : Thèbes ! Thèbes ! » Et il ajoute « qu’il serait bien fâché d’être roi ; que sa condition est beaucoup meilleure que celle d’un monarque ; qu’il est plus libre, et plus heureux ». Vous verrez les menues sentiments dans l’Électre d’Euripide, dans les Suppliantes, et dans presque toutes les tragédies grecques. Leurs auteurs étaient les interprètes des opinions et des mœurs de toute la nation. (Note de Voltaire.)
- ↑ Le parricide consacré d’ldoménée en Crète n’est pas le premier exemple de ces sacrifi}ces abominables qui ont souillé autrefois presque toute la terre. Voyez les notes suivantes. (Note de Voltaire.)
- ↑ Les poètes et les historiens disent qu’on immola Polixène aux mânes d’Achille ; et Homère décrit le divin Achille sacrifiant de sa main douze citoyens troyens aux mânes de Patrocle. C’est à peu près l’histoire des premiers barbares que nous avons trouvés dans l’Amérique septentrionale. Il paraît, par tout ce qu’on nous raconte des anciens temps de la Grèce, que ses habitants n’étaient que des sauvages superstitieux et sanguinaires, chez lesquels il y eut quelques bardes qui chantèrent des dieux ridicules et des guerriers très-grossiers vivant de rapine ; mais ces bardes étalèrent des images frappantes et sublimes qui subjuguent toute l’imagination. (Note de Voltaire.)
- ↑ Il faut bien que les peuples d’Occident, à commencer par les Grecs, fussent des barbares du temps de la guerre de Troie. Euripide, dans un fragment qui nous est resté de la tragédie des Crétois, dit que, dans leur île, les prêtres mangeaient de la chair crue aux fêtes nocturnes de Bacchus. On sait d’ailleurs que, dans plusieurs de ces antiques orgies, Bacchus était surnommé mangeur de chair crue.
Mais ce n’était pas seulement dans l’usage de cette nourriture que consistait alors la barbarie grecque. Il ne faut qu’ouvrir les poëmes d’Homère pour voir combien les mœurs étaient féroces.
C’est d’abord un grand roi qui refuse avec outrage de rendre à un prêtre sa fille dont ce prêtre apportait la rançon. C’est Achille qui traite ce roi de lâche et de chien. Diomède blesse Vénus et Mars qui revenaient d’Éthiopie, où ils avaient soupé avec tous les dieux. Jupiter, qui a déjà pendu sa femme une fois, la menace de la pendre encore. Agamemnon dit aux Grecs assemblés que Jupiter machine contre lui la plus noire des perfidies. Si les dieux sont perfides, que doivent être les hommes ?
Et que dirons-nous de la générosité d’Achille envers Hector ? Achille invulnérable, à qui les dieux ont fait une armure défensive très-inutile ; Achille, secondé par Minerve, dont Platon fit depuis le Logos divin, le verbe ; Achille qui ne tue Hector que parce que la Sagesse, fille de Jupiter, le Logos, a trompé ce héros par le plus infâme mensonge et par le plus abominable prestige ; Achille enfin, ayant tué si aisément, pour tout exploit, le pieux Hector, ce prince mourant prie son vainqueur de rendre son corps sanglant a ses parents ; Achille lui répond : « Je
voudrais te hacher par morceaux, et te manger tout cru. » Cela pourrait justifier les prêtres crétois, s’ils n’étaient pas faits pour servir d’exemple.
Achille ne s’en tient pas là : il perce les talons d’Hector, y passe une lanière et le traîne ainsi par les pieds dans la campagne. Homère ne dormait pas quand il chantait ces exploits de cannibales ; il avait la fièvre chaude, et les Grecs étaient atteints de la rage.
Voilà pourtant ce qu’on est convenu d’admirer de l’Euphrate au mont Atlas, parce que ces horreurs absurdes furent célébrées dans une langue harmonieuse, qui devint la langue universelle. (Note de Voltaire.) - ↑ Corneille a dit dans le Cid, acte II, scène II :
J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse. - ↑ La petite province de Cydon est au nord de l’île de Crète. Elle défendit longtemps sa liberté, et fut enfin assujettie par les Crétois, qui le furent ensuite à leur tour par les Romains, par les empereurs grecs, par les Sarrasins, par les croisés, par les Vénitiens, par les Turcs. Mais par qui les Turcs le seront-ils ? (Note de Voltaire.)
- ↑ La ville de Gortine était la capitale de la Crète, où l’on avait élevé le fameux temple de Jupiter. (Note de Voltaire.)
- ↑ Le but de cette tragédie est de prouver qu’il faut abolir une loi quand elle est injuste.
L’histoire ancienne, c’est-à-dire la fable, a dit depuis longtemps que ce grand législateur Minos, propre fils de Jupiter, et tant loué par le divin Platon avait institué des sacrifices de sang humain.
Ce bon et sage législateur immolait tous les ans sept jeunes Athéniens ; du moins Virgile le dit [Æn. VI], 20-22] :
In foribus lethum Androgei tum pendere pœnas
Cecropidæ jussi (miserum) septena quotannis
Corpora natorum…
Ce qui est aujourd’hui moins rare qu’un tel sacrifice, c’est qu’il y a vingt opinions différentes de nos profonds scoliastes sur le nombre des victimes, et sur le temps où elles étaient sacrifiées au monstre prétendu, connu sous le nom de Minotaure, monstre qui était évidemment le petit-fils du sage Minos.
Quel qu’ait été le fondement de cette fable, il est très-vraisemblable qu’on immolait des hommes en Crète comme dans tant d’autres contrées. Sanchoniathon, cité par Eusèbe (Préparation évangélique, liv. I), prétend que cet acte de religion fut institué de temps immémorial. Ce Sanchoniathon vivait longtemps avant l’époque où l’on place Moïse, et huit cents ans après Thaut, l’un des législateurs de l’Égypte, dont les Grecs firent depuis le premier Mercure.
Voici les paroles de Sanchoniathon, traduites par Philon de Biblos, rapportées par Eusèbe :
« Chez les anciens, dans les grandes calamités, les chefs de l’Etat achetaient le salut du peuple en immolant aux dieux vengeurs les plus chers de leurs enfants. Iloüs (ou Chronos, selon les Grecs, ou Saturne, que les Phéniciens appellent Israël, et qui fut depuis placé dans le ciel) sacrifia ainsi son propre fi ls dans un grand danger où se trouvait la république. Ce fils s’appelait Jeüd ; il l’avait eu d’une fi lle nommée Annobret, et ce nom de Jeüd signifi e en phénicien premier-né. »
Telle est la première offrande à l’Être éternel, dont la mémoire soit restée parmi les hommes ; et cette première offrande est un parricide.
Il est difficile de savoir précisément si les Brachmanes avaient cette coutume avant les peuples de Phénicie et de Syrie ; mais il est malheureusement certain que, dans l’Inde, ces sacrifices sont de la plus haute antiquité, et qu’ils n’y sont pas encore abolis de nos jours, malgré les efforts des Mahométans.
Les Anglais, les Hollandais, les Français, qui ont déserté leur pays pour aller commercer et s’égorger dans ces beaux climats, ont vu très-souvent de jeunes veuves riches et belles se précipiter par dévotion sur le bûcher de leurs maris, en repoussant leurs enfants qui leur tendaient les bras, et qui les conjuraient de vivre pour eux. C’est ce que la femme de l’amiral Roussel vit, il n’y a pas longtemps, sur les bords du Gange.
Tantum religio potuit suadere malorum.
Luc. I, 102.
Les Égyptiens ne manquaient pas de jeter en cérémonie une fille dans le Nil, quand ils craignaient que ce fleuve ne parvint pas à la hauteur nécessaire.
Cette horrible coutume dura jusqu’au règne de Ptolémée Lagus ; elle est probablement aussi ancienne que leur religion et leurs temples. Nous ne citons pas ces coutumes de l’antiquité pour faire parade d’une science vaine, mais c’est en gémissant de voir que les superstitions les plus barbares semblent un instinct de la nature humaine, et qu’il faut un effort de raison pour les abolir.
Lycaon et Tantale, servant aux dieux leurs enfants en ragoût, étaient deux pères superstitieux, qui commirent un parricide par piété. Il est beau que les mythologistes aient imaginé que les dieux punirent ce crime, au lieu d’agréer cette offrande.
S’il y a quelque fait avéré dans l’histoire ancienne, c’est la coutume de la petite nation connue depuis en Palestine sous le nom de Juifs. Ce peuple, qui emprunta le langage, les rites, et les usages de ses voisins, non-seulement immola ses ennemis aux différentes divinités qu’il adora jusqu’à la transmigration de Babylone, mais il immola ses enfants mêmes. Quand une nation avoue qu’elle a été très-longtemps coupable de ces abominations, il n’y a pas moyen de disputer contre elle ; il faut, la croire.
Outre le sacrifice de Jephté, qui est assez connu, les Juifs avouent qu’ils brûlaient leurs fils et leurs filles en l’honneur de leur dieu Moloch, dans la vallée de Topheth. Moloch signifie à la lettre le Seigneur. Ædificaverunt excelsa Topheth, quæ est in valle filii Ennom, ut incenderent filios suos et filias suas igni. « Ils ont bâti les hauts lieux de Topheth, qui est dans la vallée du fils d’Ennom, pour y mettre en cendre leurs fils et leurs filles par le feu. » (Jérém., VII, 31.)
Si les Juifs jetaient souvent leurs enfants dans le feu pour plaire à la Divinité, ils nous apprennent aussi qu’ils les faisaient mourir quelquefois dans l’eau. Ils leur écrasaient la tête à coups de pierre au bord des ruisseaux. « Vous immolez aux dieux vos enfants dans des torrents sous des pierres. » (Isaïe, LVII.)
Il s’est élevé une grande dispute entre les savants sur le premier sacrifice de trente-deux filles, offert au dieu Adonaï, après la bataille gagnée par la horde juive sur la horde madianite, dans le petit désert de Madian arabe, sous le commandement d’Eléazar, du temps de Moise : on ne sait pas positivement en quelle année.
Le livre sacré intitulé les Nombres nous dit (Nomb., xxxi) que les Juifs ayant tué dans le combat tous les mâles de la horde madianite, et cinq rois de cette horde, avec un prophète, et Moïse leur ayant ordonné, après la bataille, de tuer toutes les femmes, toutes les veuves, et tous les enfants à la mamelle, on partagea ensuite le butin qui était de 40 000 livres en or, à compter le sicle à 6 francs de notre monnaie d’aujourd’hui ; plus six cent soixante et quinze mille brebis, soixante et douze mille bœufs, soixante et un mille ânes, trente-deux mille filles vierges, le tout étant le reste des dépouilles, et les vainqueurs étant au nombre de douze mille, dont il n’y en eut pas un de tué.
Or, du butin partagé entre tous les Juifs, il y eut trente-deux filles pour la part du Seigneur.
Plusieurs commentateurs ont jugé que cette part du Seigneur fut un holocauste, un sacrifice de ces trente-deux filles, puisqu’on ne peut dire qu’on les voua aux autels, attendu qu’il n’y eut jamais de religieuses chez les Juifs ; et que, s’il y avait eu des vierges consacrées en Israël, on n’aurait pas pris des Madianites pour le service de l’autel : car il est clair que ces Madianites étaient impurs, puisqu’ils n’étaient pas Juifs. On a donc conclu que ces trente-deux filles avaient été immolées. C’est un point d’histoire que nous laissons aux doctes à discuter.
Ils ont prétendu aussi que le massacre de tout ce qui était en vie dans Jéricho fut un véritable sacrifice ; car ce fut un anathème, un vœu, une offrande ; et tout se fit avec la plus grande solennité : après sept processions augustes autour de la ville pendant sept jours, on fit sept fois le tour de la ville, les lévites portant l’arche d’alliance, et devant l’arche sept autres prêtres sonnant du cornet ; à la septième procession de ce septième jour, les murs de Jéricho tombèrent d’eux-mêmes. Les Juifs immolèrent tout dans cette cité, vieillards, enfants, femmes, filles, animaux de toute espèce, comme il est dit dans l’histoire de Josué.
Le massacre du roi Agag fut incontestablement un sacrifice, puisqu’il fut immolé par le prêtre Samuel, qui le dépeça en morceaux avec un couperet, malgré la promesse et la foi du roi Saül qui l’avait reçu à rançon comme son prisonnier de guerre.
Vous verrez dans l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations les preuves que les Gaulois et les Teutons, ces Teutons dont Tacite fait semblant d’aimer tant les mœurs honnêtes, faisaient de ces exécrables sacrifices aussi communément qu’ils couraient au pillage, et qu’ils s’enivraient de mauvaise bière.
La détestable superstition de sacrifier des victimes humaines semble être si naturelle aux peuples sauvages, qu’au rapport de Procope, un certain Théodebert, petit-fils de Clovis, et roi du pays Messin, immola des hommes pour avoir un heureux succès dans une course qu’il fit en Lombardie pour la piller. Il ne manquait que des bardes tudesques pour chanter de tels exploits.
Ces sacrifices du roi messin étaient probablement un reste de l’ancienne superstition des Francs, ses ancêtres. Nous ne savons que trop à quel point cette exécrable coutume avait prévalu chez les anciens Welches, que nous appelons Gaulois : c’était là cette simplicité, cette bonne foi, cette naïveté gauloise que nous avons tant vantée. C’était le bon temps quand des druides, ayant pour temples des forêts, brûlaient les enfants de leurs concitoyens dans des statues d’osier plus hideuses que ces druides mêmes.
Les sauvages des bords du Rhin avaient aussi des espèces de druidesses, des sorcières sacrées, dont la dévotion consistait a égorger solennellement des petits garçons et des petites filles dans de grands bassins de pierre, dont quelques-uns subsistent encore, et que le professeur Schœpflin a dessinés dans son Alsatia illustrata. Ce sont la les monuments de cette partie du monde, ce sont la nos antiquités. Les Phidias, les Praxitèle, les Scopas, les Miron, en ont laissé de différentes.
Jules César, ayant conquis tous ces pays sauvages, voulut les civiliser : il défendit aux druides ces actes de dévotion, sous peine d’être brûlés eux-mêmes, et fit abattre les forêts où ces homicides religieux avaient été commis. Mais ces prêtres persistèrent dans leurs rites ; ils immolèrent en secret des enfants, disant qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes : que César n’était grand pontife qu’à Rome ; que la religion druidique était la seule véritable ; et qu’il n’y avait point de salut sans bruler de petites filles dans de l’osier, ou sans les égorger dans de grandes cuves.
Nos sauvages ancêtres ayant laissé dans nos climats la mémoire de nos coutumes, l’Inquisition n’eut pas de peine à les renouveler. Les bûchers qu’elle alluma furent de véritables sacrifices. Les cérémonies les plus augustes de la religion, processions, autels, bénédictions, encens, prières, hymnes chantées à grands chœurs, tout y fut employé ; et ces hymnes étaient les propres cantiques de ces mêmes infortunés que nous y traînons, et que nous appelons nos pères et nos maîtres.
Ce sacrifice n’avait nul rapport à la jurisprudence humaine ; car assurément ce n’était pas un crime contre la société de manger, dans sa maison, les portes bien fermées, d’un agneau cuit avec des laitues amères, le 14 de la lune de mars. Il est clair qu’en cela on ne fait de mal à personne ; mais on péchait contre Dieu, qui avait aboli cette ancienne cérémonie par l’organe de ses nouveaux ministres.
On voulait donc venger Dieu, en brûlant ces Juifs entre un autel et une chaire de vérité dressés exprès dans la place publique. L’Espagne bénira dans les siècle à venir celui qui a émoussé le couteau sacré et sacrilège de l’Inquisition [Aranda]. Un temps viendra enfin où l’Espagne aura peine à croire que l’inquisition ait existé.
Plusieurs moralistes ont regardé la mort de Jean Hus et de Jérôme de Prague comme le plus pompeux sacrifice qu’on ait jamais fait sur la terre. Les deux victimes furent conduites au bûcher solennel par un électeur palatin et par un électeur de Brandebourg : quatre-vingts princes ou seigneurs de l’empire y assistèrent. L’empereur Sigismond brillait au milieu d’eux, comme le soleil au milieu des astres, selon l’expression d’un savant prélat allemand. Des cardinaux, vêtus de longues robes traînantes, teintes en pourpre, rebrassées d’hermine, couverts d’un immense chapeau aussi de pourpre, auquel pendaient quinze houppes d’or, siégeaient sur la même ligne que l’empereur, au-dessus de tous les princes. Une foule d’évêques et d’abbés étaient au-dessous, ayant sur leurs têtes de hautes mitres étincelantes de pierres précieuses. Quatre cents docteurs, sur un banc plus bas, tenaient des livres a la main : vis-à-vis on voyait vingt-sept ambassadeurs de toutes les couronnes de l’Europe, avec tout leur cortège. Seize mille gentilshommes remplissaient les gradins hors de rang, destinés pour les curieux.
Dans l’arène de ce vaste cirque étaient placés cinq cents joueurs d’instruments qui se faisaient entendre alternativement avec la psalmodie. Dix-huit mille prêtres de tous les pays de l’Europe écoutaient cette harmonie, et sept cent dix-huit courtisanes magnifiquement parées, entremêlées avec eux (quelques auteurs disent dix-huit cents), composaient le plus beau spectacle que l’esprit humain ait jamais imaginé.
Ce fut dans cette auguste assemblée qu’on brûla Jean et Jérôme en l’honneur du même Jésus-Christ qui ramenait la brebis égarée sur ses épaules ; et les flammes, en s’élevant, dit un auteur du temps, allèrent réjouir le ciel empyrée.
Il faut avouer, après un tel spectacle, que lorsque le Picard Jean Chauvin offrit le sacrifice de l’Espagnol Michel Servet, dans une pile de fagots verts, c’était donner les marionnettes après l’opéra.
Tous ceux qui ont immolé ainsi d’autres hommes, pour avoir eu des opinions contraires aux leurs, n’ont pu certainement les sacrifier qu’a Dieu.
Que Polyeucte et Néarque, animés d’un zèle indiscret, aillent troubler une fête qu’on célèbre pour la prospérité de l’empereur ; qu’ils brisent les autels, les statues, dont les débris écrasent les femmes et les enfants, ils ne sont coupables qu’envers les hommes qu’ils ont pu tuer ; et quand ou les condamne à mort, ce n’est qu’un acte de justice humaine : mais quand il ne s’agit que de punir des dogmes erronés, des propositions mal sonnantes, c’est un véritable sacrifice à la Divinité.
On pourrait encore regarder comme un sacrifice notre Saint-Barthélemy, dont nous célébrons l’anniversaire dans cette année centenaire 1772, s’il y avait en plus d’ordre et de dignité dans l’exécution.
Ne fut-ce pas un vrai sacrifice que la mort d’Anne Dubourg, prêtre et conseiller au parlement, également respecté dans ces deux ministères ? N’a-t-on pas vu d’autres barbaries plus atroces, qui soulèveront longtemps les esprits attentifs et les cœurs sensibles dans l’Europe entière ? N’a-t-on pas vu dévouer à une mort affreuse, et à la torture, plus cruelle que la mort, deux enfants qui ne méritaient qu’une correction paternelle ? Si ceux qui ont commis cette atrocité ont des enfants, s’ils ont eu le loisir de réfléchir sur cette horreur, si les reproches qui ont frappé leurs oreilles de toutes parts ont pu amollir leurs cœurs, peut-être verseront-ils quelques larmes en lisant cet écrit. Mais aussi n’est-il pas juste que les auteurs de cet horrible assassinat public soient à jamais en exécration au genre humain ? (Note de Voltaire.) - ↑ Plusieurs anciens auteurs assurent qu’Iphigénie fut en effet sacrifiée ; d’autres imaginèrent la fable de Diane et de la biche. Il est encore plus vraisemblable que, dans ces temps barbares, un père ait sacrifié sa fille, qu’il ne l’est qu’une déesse, nommée Diane, ait enlevé cette victime, et mis une biche à sa place : mais cette fable prévalut ; elle eut cours dans toute l’Asie comme dans la Grèce, et servit de modèle à d’autres fables. (Note de Voltaire.)
- ↑ Tantôt Pharès apparaissait à Voltaire sous les traits de l’évêque de Cracovie, tantôt sous la figure de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris. (G. A.)
- ↑ Les Crétois disaient Minos fils de dieu, comme les Thébains disaient Bacchus et Hercule fils de dieu, comme les Argiens le disaient de Castor et de Pollux, les Romains de Riomulus, comme enfin les Tartares l’ont dit de Gengis-kan, comme toute la fable l’a chanté de tant de héros et de législateurs, ou de gens qui ont passé pour tels.
Les doctes ont examine sérieusement si ce Jupiter, le maître des dieux et le père de Minos, était né véritablement en Crete, et si Jupiter avait été enterré à Gortis, ou Gortine, ou Cortine.
C’est dommage que Jupiter soit un nom latin. Les doctes ont prétendu encore que ce nom latin venait de Jovis, dont on avait fait Jovis pater, Jov piter, Jupiter, et que ce Jov venait de Jehovah ou Hiao, ancien nom de Dieu en Syrie, en Égypte, en Phénicie.
Ceux qu’on appelle théologiens, dit Cicéron (de Natura deorum, lib. III), comptent trois Jupiter, deux d’Arcadie et un de Crète. Principio Juves tres numerant ii qui theologi appelluntur.
Il est à remarquer que tous les peuples qui ont admis ce Jupiter, ce Jov, l’on tous armé du tonnerre. Ce fut l’attribut réserve au souverain des dieux en
Asie, en Grèce, à Rome ; non pas en Égypte, parce qu’il n’y tonne presque jamais. La théologie dont parle Ciceron ne fut pas établie par les philosophes. Celuit qui a dit :
Primus in orbe deos fecit timor, ardua cœlo
Fulmina quum caderent.
n’a pas eu tort. Il y a bien plus de gens qui craignent qu’il n’y en a qui raisonnent et qui aiment. S’ils avaient raisonné, ils auraient conçu que Dieu, l’auteur de la nature, envoie la rosée comme le tonnerre, et la grêle ; qu’il a fait les lois suivant lesquelles le temps est serein dans un canton, tandis qu’il est orageux dans un autre, et que ce n’est point du tout par mauvaise humeur qu’il fait tomber la foudre à Babylone, tandis qu’il ne la lance jamais sur Memphis. La résignation aux ordres éternels et immuables de la Providence universelle est une vertu ; mais l’idée qu’un homme frappé du tonnerre est puni par les dieux, n’est qu’une pusillanimité ridicule. (Note de Voltaire.) — Le passage latin cité par Voltaire dans cette note est dans les fragments de Pétrone. Le Primus in orbe deos fecit timor est répété dans la Thébaïde de Stace, chant III, vers 661. (B.) - ↑ Non-seulement Platon et Aristote attestent que Minos, ce lieutenant de police des enfers, autorisa l’amour des garçons, mais les aventures de ses deux filles ne supposent pas qu’elles eussent reçu une excellente éducation. N’admirez-vous pas les scoliastes, qui, pour sauver l’honneur de Pasiphaé, imaginèrent qu’elle avait été amoureuse d’un gentilhomme crétois, nommé Tauros, que Minos fit mettre à la Bastille de Crête, sous la garde de Dédale ?
Mais n’admirez-vous pas davantage les Grecs, qui imaginèrent la fable de la vache d’airain ou de bois dans laquelle Pasiphaé s’ajusta si bien que le vrai taureau dont elle était folle y fut trompé ?
Ce n’était pas assez de mouler cette vache, il fallait qu’elle fût en chaleur, ce qui était difficile. Quelques commentateurs de cette fable abominable ont osé dire que la reine fit entrer d’abord une génisse amoureuse dans le creux de cette statue, et se mit ensuite à sa place. L’amour est ingénieux ; mais voilà un bien exécrable emploi du génie. Il est vrai qu’à la honte, non pas de l’humanité, mais d’une vile espèce d’hommes brute et dépravée, ces horreurs ont été trop communes, témoin le fameux novimus et qui te de Virgile [Eclog. III, vers 8] ; témoin le bouc qui eut les faveurs d’une belle Égyptienne de Mendès, lorsque Hérodote était en Égypte ; témoin les lois juives portées contre les hommes et les femmes qui s’accouplent avec les animaux, et qui ordonnent qu’on brûle l’homme et la bête : témoin la notoriété publique de ce qui se passe encore en Calabre ; témoin l’avis nouvellement imprimé d’un bon prêtre luthérien de Livonie, qui exhorte les jeunes garçons de Livonie et d’Estonie à ne plus tant fréquenter les génisses, les ânesses, les brebis et les chèvres.
La grande difficulté est de savoir au juste si ces conjonctions affreuses ont jamais pu produire quelques monstres. Le grand nombre des amateurs du merveilleux, qui prétendent avoir vu des fruits de ces accouplements, et surtout des singes avec les filles, n’est pas une raison invincible pour qu’on les admette ; ce n’est pas non plus une raison absolue de les rejeter. Nous ne connaissons pas assez tout ce que peut la nature. Saint Jérôme rapporte des histoires de centaures et de satyres, dans son livre des Pères du désert. Saint Augustin, dans son trente-troisième sermon à ses frères du désert, a vu des hommes sans tête, qui avaient deux gros yeux sur leur poitrine et d’autres qui n’avaient qu’un œil au milieu du front ; mais il faudrait avoir une bonne attestation pour toute l’histoire du Minos, de Pasiphaé, de Thésée, d’Ariane, de Dédale, et d’Icare. On appelait autrefois esprits forts ceux qui avaient quelque doute sur cette tradition.
On prétend qu’Euripide composa une tragédie de Pasiphaé ; elle est du moins comptée parmi celles qui lui sont attribuées, et qui sont perdues. Le sujet était un peu scabreux ; mais quand on a lu Polyphème, on peut croire que Pasiphaé fut mise sur le théâtre. (Note de Voltaire.) - ↑ On voulut voir dans Mérione le Suédois d’Hessenstein ; Voltaire protesta en déclarant que Mérionne n’était qu’un petit fanatique, et qu’il n’avait pas la noblesse d’âme du comte suédois. (G. A.)
- ↑ C’est le liberum veto des Polonais, droit cher et fatal qui a causé beaucoup plus de malheurs qu’il n’en a prévenu. C’était le droit des tribuns de Rome, c’était le bouclier du peuple entre les mains de ses magistrats ; mais quand cette arme est dans les mains de quiconque entre dans une assemblée, elle peut devenir une arme offensive trop dangereuse, et faire périr toute une république. Comment a-t-on pu convenir qu’il suffirait d’un ivrogne pour arrêter les délibérations de cinq ou six mille sages, supposé qu’un pareil nombre de sages puisse exister ? Le feu roi de Pologne, Stanislas Leczinski, dans son loisir en Lorraine, écrivit souvent contre ce liberum veto, et contre cette anarchie dont il prévit les suites. Voici les paroles mémorables qu’on trouve dans son livre intitulé la Voix du citoyen, imprimé en 1749 : « Notre tour viendra, sans doute, où nous serons la proie de quelque fumeux conquérant ; peut-être même les puissances voisines s’accorderont-elles à partager nos États » (page 19)). La prédiction vient de s’accomplir : le démembrement de la Pologne est le châtiment de l’anarchie affreuse dans laquelle un roi sage, humain, éclairé, pacifique, a été assassiné dans sa capitale, et n’a échappé à la mort que par un prodige. Il lui reste un royaume plus grand que la France, et qui pourra devenir un jour florissant comme elle vient d’être détruite dans la Suède, et si la liberté peut y subsister avec la royauté. (Note de Voltaire.)
- ↑ C’était à l’entrée du temple qu’on tuait les victimes. Le sanctuaire était réservé pour les oracles, les consultations et les autres simagrées. Les bœufs, les moutons, les chèvres, étaient immolés dans le périptère.
Ces temples des anciens, excepté ceux de Vénus et de Flore, n’étaient au fond
que des boucheries en colonnades. Les aromates qu’on y brûlait étaient absolument
nécessaires pour dissiper un peu la puanteur de ce carnage continuel ; mais quelque
peine qu’un prit pour jeter au loin les restes des cadavres, les boyaux, la fiente de
tant d’animaux, pour laver le pavé couvert de sang, de fiel, d’urine, et de fange,
il était bien difficile d’y parvenir.
L’historien Flavien Josèphe dit qu’on immola deux cent cinquante mille victimes en deux heures de temps, à la pâque qui précéda la prise de Jérusalem. On sait combien ce Josèphe était exagérateur ; quelles ridicules hyperboles il employa pour faire valoir sa misérable nation ; quelle profusion de prodiges impertinents il étala ; avec quel mépris ces mensonges furent reçus par les Romains ; comme il fut relancé par Apien, et connue il répondit par de nouvelles hyperboles à celles qu’on lui reprochait. On a remarqué qu’il aurait fallu plus de cinquante mille prêtres bouchers pour examiner, pour tuer en cérémonie, pour dépecer, pour partager tant d’animaux. Cette exagération est inconcevable ; mais enfin il est certain que les victime étaient nombreuses dans cette boucherie comme dans toutes les autres. L’usage de réserver les meilleurs morceaux pour les prêtres était établi par toute la terre connue, excepté dans les Indes et dans les pays au delà du Gange. C’est ce qui fait dire à un célèbre poëte anglais :
The priests eat roast beef, and the people stare.
Les prêtres sont à table, et le sot peuple admire.
On ne voyait dans le temple que des étaux, des broches, des grils, des couteaux de cuisine, des écumoires, de longues fourchettes de fer, des cuillers ou des cuillères à pot, de grandes jarres pour mettre la graisse, et tout ce qui peut inspirer le dégoût et l’horreur. Rien ne contribuait plus à perpétuer cette dureté et cette atrocité de mœurs qui porta enfin les hommes à sacrifier d’autres hommes, et jusqu’à leurs propres enfants ; mais les sacrifices de l’Inquisition, dont nous avons tant parlé, ont été cent fois plus abominables. Nous avons substitué les bourreaux aux bouchers.
Au reste, de toutes les grosses masse appelées temple en Égypte et à Babylone, et du fameux temple d’Éphèse, regardé comme la merveille des temples, aucun ne peut-être comparé en rien à Saint-Pierre de Rome, pas même à Saint-Paul de Londres, pas même à Sainte-Geneviève de Paris, que bâtit aujourd’hui M. Sufflot, et auquel il destine un dôme plus svelte que celui de Saint-Pierre, et d’un artifice admirable. Si les anciennes nations revenaient au monde, elles préféreraient sans doute les belles musiques de nos églises à des boucheries, et les sermons de Tillotson et de Massillon à des augures (Note de Voltaire.) - ↑ À ne juger que par les apparences, et suivant les faibles conjectures humaines, par quelle multitude épouvantable de siècles et de révolutions n’a-t-il pas fallu passer avant que nous eussions un langage tolérable, une nourriture facile, des vêtements et des logements commodes ! Nous sommes d’hier, et l’Amérique est de ce matin.
Notre occident n’a aucun monument antique : et que sont ceux de la Syrie, de
l’Égypte, des Indes, de la Chine ? Toutes ces ruines se sont élevées sur d’autres
ruines. Il est très-vraisemblable que l’île Atlantide (dont les îles Canaries sont des
restes), étant engloutie dans l’Océan, fit refluer les eaux vers la Grèce, et que
vingt déluges locaux détruisirent tout vingt fois avant que nous existassions.
Nous sommes des fourmis qu’on écrase sans cesse, et qui se renouvellent ; et pour
que ces fourmis rebâtissent leurs habitations, et pour qu’elles inventent quelque
chose qui ressemble à une police et à une morale, que de siècles de barbarie !
Que le province n’a pas ses sauvages !
Tout philosophe peut dire :
In qua scribeham barbara torra fuit.
Ovid., Trist., livre III, élég. 1, vers 18.
(Note de Voltaire.) - ↑ Il enfonce la porte ; le temple s’ouvre. On voit Pharès entouré de sacrificateurs. Astérie est à genoux au pied de l’autel ; elle se retourne vers Pharès en étendant la main, et en le regardant avec horreur ; et Pharès, le glaive à la main, est prêt à frapper. (Note de Voltaire.)
- ↑ Plusieurs peuples furent, longtemps sans temples et sans autels, et surtout les peuples nomades. Les petites hordes errantes, qui n’avaient point encore de ville forte, partaient de village en village leurs dieux dans des coffres, sur des charrettes traînées par des bœufs ou par des ânes, ou sur le dos des chameaux, ou sur les épaules des hommes. Quelquefois leur autel était une pierre, un arbre, une pique.
Les Iduméens, les peuples de l’Arabie Pétrée, les Arabes du désert de Syrie,
quelques Sabéens, portaient dans des cassettes les représentations grossières d’une
étoile.
Les Juifs, très-longtemps avant de s’emparer de Jérusalem, eurent le malheur
de porter sur une charrette l’idole du dieu Moloch, et d’autres idoles dans le
désert. « Portastis tabernaculum Molovh vestro [Amos, chap. v. v. 26], et imaginem idolorum vestrorum, sidus dvi vestri. qnæ fecistis vobis. »
ll est dit, dans l’Histoire des juges, qu’un Jonathan, fils de Gersam, fils ainé de
Moïse fut le prêtre d’une idole portative que la tribu de Dan [Juges, chap. xviii]
avait dérobée a la tribu d’Éphraïm.
Les petits peuples n’avaient donc que des dieux de campagne, s’il est permis de
se servir de ce mot, tandis que les grandes nations s’étaient signalées depuis plusieurs siècles par des temples magnifiques. Hérodote vit l’ancien temple de Tyr, qui était bâti douze cents ans avant celui de Salomon. Les temples d’Egypte étaient
beaucoup plus anciens, Platon, qui voyagea longtemps dans ce pays, parle de leurs
statues qui avaient dix mille ans d’antiquité, ainsi que nous l’avons déjà remarqué
ailleurs, sans pouvoir trouver de raisons dans les livres profanes, ni pour le nier,
ni pour le croire.
Voici les propres paroles de Platon, au second livre des Lois : « Si on veut y
faire attention, on trouvera en Égypte des ouvrages de peinture et de sculpture,
faits depuis dix mille ans, qui ne sont pas moins beaux que ceux d’aujourd’hui,
et qui furent exécutés précisément suivant les même règles. Quand je dis dix mille
ans, ce n’est pas une façon de parler, c’est dans la vérité la plus exacte. »
Ce passage de Platon, qui ne surprit personne en Grèce, ne doit pas nous
étonner aujourd’hui. On sait que l’Égypte a des monuments de sculpture et de
peinture qui durent depuis quatre mille ans au moins ; et dans un climat si sec et
si égal, ce qui a subsisté quarante siècles en peut subsister cent, humainement
parlant.
Les chrétiens, qui, dans les premiers temps, étaient des hommes simples,
retirés de la foule, ennemis des richesses et du tumulte, des espèces de thérapeutes, d’esséniens, de caraïtes, de brachmanes (si on peut comparer le saint au profane) ; les chrétiens, dis-je, n’eurent ni temples ni autels pendant plus de cent
quatre-vingts ans. Ils avaient en horreur l’eau lustrale, l’encens, les cierges, les
processions, les habits pontificaux. Ils n’adoptèrent ces rites des nations, ne les
épurèrent, et ne les sanctifièrent, qu’avec le temps. « Nous sommes partout, excepté
dans les temples », dit Tertullien. Athénagore, Origène, Tatien, Théophile, déclarent
qu’il ne faut point de temple aux chrétiens. Mais celui de tous qui en rend raison avec le plus d’énergie est Minutius Félix écrivain du troisième siècle de notre ère vulgaire.
« Putatis autem nos occultare quod colimus, si delubra et aras non habemus ? Quod enim simulacrum Deo fingam, cum, si recte existimes, sit Dei homo ipse simulacrum ? Templum quod exstruam, cum totus hic mundus, ejus opere fabricatus, eum capere non possit ; et cum homo latius mancam, intra unam aediculam vim tantæ majusiatis includam ? Nonne melius in nostra dedicandus est mente, in nostro imo consecrandus est pectore ? » [Octavius, xxxii.]
« Pensez-vous que nous cachions l’objet de notre culte, pour n’avoir ni autel ni temple ? Quelle image pourrions-nous faire de Dieu, puisqu’aux yeux de la raison l’homme est l’image de Dieu même ? Quel temple lui élèverai-je, lorsque le monde qu’il a construit ne peut le contenir ? Comment enfermerai-je la majesté de Dieu dans une maison, quand moi, qui ne suis qu’un homme, je m’y trouverais trop serré. Ne vaut-il pas mieux lui dédier un temple dans notre esprit, et le consacrer dans le fond de notre cœur ? »
Cela prouve que non-seulement nous n’avions alors aucun temple, mais que nous n’en voulions point ; et qu’en cachant aux gentils nos ceremonies et nos prières, nous n’avons aucun objet de nos adorations à dérober à leurs yeux.
Les chrétiens n’eurent donc des temples que vers le commencement du règne de Dioclétien, ce héros guerrier et philosophe qui les protégea dix-huit années entières, mais séduit enfin et devenu persécuteur. Il est probable qu’ils auraient pu obtenir longtemps auparavant, du sénat et des empereurs, la permition d’ériger des temples, comme les Juifs avaient celle de bâtir des synagogues à Rome ; mais il est encore plus probable que les Juifs, qui payaient très-chèrement ce droit, empêchèrent les chrétiens d’en jouir. Il les regardaient comme des dissidents, comme des frères dénaturés, comme des branches pourries de l’ancien tronc. Ils les persécutaient, les calomniaient, avec une fureur implacable.
Aujourd’hui plusiurs sociétés chrétiennes n’ont point de temples tels sont les primitifs, nommés quakers, les anabaptistes, les dunkards, les piétistes, les moraves, et d’autres. Les primitifs mêmes de Pensylvanie n’y ont point érigé de ces temples superbes qui ont fait dire à Juvénal :
Dicite, pontifices, in sancto quid facit aurum ?,
et qui ont fait dire à Boileau avec plus de hardiesse et de sévérité :
Le prélat, par la brigue aux honneurs parvenu,
Ne sut plus qu’abuser d’un ample revenu ;
Et, pour toute vertu, fit au dos d’un carrosse.
À côté d’une mitre armorier sa crosse.
Mais Boileau, en parlant ainsi, ne pensait qu’à quelques prélats de son temps, ambitieux, ou avares, ou persécuteurs : il oubliait tant d’évêques généreux, doux, modestes, indulgeants, qui ont été les exemples de la terre.
Nous ne prétendons pas inférer de la que l’Egypte, la Chaldée, la Perse, les Indes, aient cultivé les arts depuis les milliers de siècles que tous ces peuples s’attribuent. Nous nous en rapportons à nos livres sacres, sur lesquels il ne nous est pas permis de former le moindre doute. (Note de Voltaire.) — Le vers latin cité dans l’avant-dernier alinéa n’est point de Juvénal, mais de Perse, satire II, 60 ; les vers de Boileau sont dans le Lutrin, chant VI, vers 39-42. (B.) - ↑ Voici l’exposition que Voltaire faisait de cette tragédie : « D’abord des prêtres et des guerriers disant leur avis sur une estrade, une petite fille amenée devant, eux qui leur chante pouilles, un contraste de Grecs et de sauvages, un sacrifice, un prince qui arrache sa fille à un évêque tout prêt à lui donner l’extrême-onction ; et, à la fin de la pièce, le maître-autel détruit, et la cathédrale en flammes… Voyez l’avertissement page 163.
- ↑ On n’entend pas ici par suprême pouvoir cette autorité arbitraire, cette tyrannie que le jeune Gustave troisième, si digne de ce grand nom de Gustave, vient d’abjurer et de proscrire solennellement, en rétablissant la concorde, et en faisant régner les lais avec lui. On entend pur suprême pouvoir cette autorité raisonnable, ondée sur les lois mêmes, et tempérée par elles ; cette autorité juste et modérée, qui ne peut sacrifier la liberté et la vie d’un citoyen à la méchanceté d’un flatteur qui se soumet elle-même à la justice, qui lie inséparablement l’intérêt de l’Etat à celui du trône, qui fait d’un royaume une grande famille gouverné par un père. Celui qui donnerait une autre idée de la monarchie serait coupable envers le genre humain. (Note de Voltaire.)