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Déclaration (1768)/Édition Garnier

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 27 (p. 17-18).


DÉCLARATION[1]


J’ai appris, dans ma retraite, qu’on avait inséré dans la Gazette d’Utrecht, du 11 mars 1768, des calomnies contre M. de La Harpe, jeune homme plein de mérite, déjà célèbre par la tragédie de Warwick, et par plusieurs prix remportés à l’Académie française avec l’approbation du public[2]. C’est sans doute ce mérite-là même qui lui attire les imputations envoyées de Paris contre lui, à l’auteur de la Gazette d’Utrecht.

On articule dans cette Gazette des procédés avec moi, dans le séjour qu’il a fait à Ferney. La vérité m’oblige de déclarer que ces bruits sont sans aucun fondement, et que tout cet article est calomnieux d’un bout à l’autre ; il est triste qu’on cherche à transformer les nouvelles publiques, et d’autres écrits plus sérieux, en libelles diffamatoires. Chaque citoyen est intéressé à prévenir les suites d’un abus si funeste à la société.

Fait au château de Ferney, pays de Gex, en Bourgogne, ce 31 mars 1768.

Voltaire.
FIN DE LA DÉCLARATION.
  1. Cette déclaration, imprimée en 1768 dans le Mercure, avril, II, 148, et dans d’autres journaux, a été quelquefois admise dans la Correspondance, comme lettre adressée à P. Rousseau. (B.)
  2. Voici ce qu’on lit dans la Gazette d’Utrecht, du 18 mars 1768, à l’article Paris, qui est daté du 11 mars :

    « M. de Voltaire, qui avait recueilli chez lui M. de La Harpe et son épouse, vient de leur interdire pour toujours sa maison, en les congédiant, et ils se trouvent actuellement ici, au grand étonnement de tous ceux qui les connaissent. On dit que le jeune poëte, qui n’a jamais su se concilier l’amitié de personne, s’est attiré sa disgrâce pour avoir abusé de la confiance de son bienfaiteur en lui enlevant furtivement différents manuscrits précieux. Quelle que soit la cause de cette aventure, les effets en sont très-funestes à M. de La Harpe : car elle lui fait perdre une honnête subsistance : l’assurance d’une pension de six mille livres après la mort de son protecteur ; l’avantage d’être à portée de consulter le dieu des muses ; l’agrément, lorsqu’il venait à Paris, de se voir rendre des hommages par beaucoup de gens qui respectaient en lui les bienfaits de M. de Voltaire ; en un mot, ce jeune auteur perd le plus solide point d’appui de sa réputation dans la littérature. Au reste, on a peut-être l’obligation au larcin littéraire de M. de La Harpe de certaines brochures qui excitent la vigilance de la police, et que le public recherche avec tant d’avidité, comme l’Homme aux quarante écus, où M. de Voltaire se moque fort plaisamment de plusieurs écrits qui ont paru sur les finances, les impôts, et l’agriculture : le Catéchumène, qui ne contient que des impiétés ; le Sermon, qu’il suppose avoir été prêché à Bâle, le 1er janvier 1768, par Josias Rossette, ministre du saint Évangile, dans lequel il montre les avantages de la tolérance universelle, et foudroie tout ce qui tend au fanatisme de parti qui a occasionné des maux infinis à l’humanité ; une Lettre de l’archevêque de Cantorbéry à milord de Beaumont, archevêque de Paris, sur son mandement contre Bélisaire. Il est sorti de ce fécond génie une multitude d’autres écrits l’année dernière, et cependant il doit encore donner incessamment un roman en deux volumes, intitulé la Reine de Babylone. »

    La même Gazette d’Utrecht, du 5 avril, contient ce qui suit : « On sait à présent que tout ce qui s’est dit au sujet de M. de La Harpe et de son départ de Ferney n’avait aucun fondement. Nos correspondants, mieux instruits, nous assurent qu’il est absolument faux qu’il ait répandu dans le public aucun des ouvrages cités dans l’article de notre Gazette du 11 mars, ni qu’on ait pu les prendre à M. de Voltaire, puisque la plupart ne sont pas de lui, et que les autres, quel qu’en soit l’auteur, ont été composés lorsque M. de La Harpe n’était plus à Ferney. Il n’est pas vrai non plus qu’il ait perdu l’amitié de ce grand homme, qui l’assure encore tous les jours, dans ses lettres, de la plus tendre affection. »

    Il est à remarquer que, dans cet article du 5 avril, on commet la même faute que Voltaire (celle d’indiquer la Gazette du 11, au lieu du 18).