Oblomoff se réveilla le matin dans son petit lit. Il n’a que sept ans ; il est leste, gai. Comme il est gentil, rose, potelé ! Ses joues sont si rondelettes qu’un espiègle qui gonflerait les siennes exprès ne réussirait point à s’en faire de pareilles.
La bonne attendait son réveil. Elle commence à lui fourrer non sans peine ses petits bas ; il ne se laisse pas habiller, il fait des niches, il bat des jambes ; la bonne cherche à attraper ses petons, et tous les deux se pâment de rire.
Enfin elle a réussi à le mettre debout ; elle le lave, peigne sa petite tête et le conduit à sa mère. En revoyant sa mère morte depuis longtemps, Oblomoff tressaillit de joie même en rêve, par l’effet de son grand amour pour elle : chez lui, chez l’homme endormi, coulèrent lentement entre les cils et s’arrêtèrent immobiles deux chaudes larmes.
La mère le couvrit de baisers passionnés, ensuite elle l’examina d’un regard avide, inquiet, pour voir s’il n’avait point les yeux troubles ; elle lui demanda s’il n’avait pas mal quelque part, s’enquit près de la bonne s’il avait dormi paisiblement, s’il ne s’était point réveillé la nuit, s’il n’avait pas été agité par un rêve, s’il n’avait pas eu trop chaud : puis elle le prit par la main et le fit approcher de l’image.
Là, se mettant à genoux et l’entourant d’un bras, elle lui soufflait les paroles de la prière. L’enfant distrait les répétait en regardant par la croisée, qui laissait pénétrer dans la chambre la fraîche odeur des lilas.
— Irons-nous nous promener aujourd’hui, maman ? demanda-t-il tout à coup au milieu de sa prière.
— Oui, ma petite âme, disait-elle bien vite, sans détourner ses regards de l’image et se dépêchant d’achever les saintes paroles.
L’enfant les répétait en traînant, mais la mère y mettrait toute son âme. Ensuite ils allaient chez le père, et de là prendre le thé.
Près de la table à thé, Élie vit la très-vieille tante de quatre-vingts ans qui demeurait chez eux. Elle grognait continuellement contre sa petite servante qui, branlant la tête de vieillesse, la servait en se tenant derrière sa chaise.
Là étaient aussi les vieilles demoiselles, parentes éloignées de son père, et, en visite, le beau-frère de sa mère, à moitié fou, Tchekméneff, propriétaire de sept âmes ; enfin quelques vieilles et quelques vieux.
Toute cette cour et cette suite des Oblomoff s’emparèrent d’Élie et se mirent à le combler de caresses et de louanges. Il avait à peine le temps d’essuyer les traces de leurs baisers importuns.
Après cette cérémonie commençait l’alimentation du jeune seigneur, avec des petits pains blancs, des biscuits et de la bonne crème.
Ensuite sa mère, après de nouvelles caresses, l’envoyait se promener au jardin, dans la cour, dans la prairie, non sans recommander sévèrement à la bonne de ne point laisser l’enfant seul, de l’écarter des chevaux, des chiens, du bouc, de ne point s’éloigner de la maison, et principalement de ne pas lui permettre d’aller à la cavée, l’endroit le plus terrible des environs et qui jouissait d’une fort mauvaise réputation.
C’est là qu’on trouva un chien qui fut reconnu pour enragé, par ce seul fait qu’il s’était enfui à toutes jambes à l’approche des gens attroupés contre lui avec des fourches et des haches, et qui disparut quelque part derrière la montagne.
C’est dans la cavée qu’on jetait les charognes : la cavée était le repaire supposé des brigands, des loups et de mille autres êtres inconnus non-seulement dans la contrée, mais même dans le monde entier.
L’enfant n’a pas attendu la fin des recommandations maternelles : depuis longtemps déjà il a franchi la porte. Il parcourt la maison avec un ravissement joyeux et comme si c’était pour la première fois : il examine la porte cochère qui penche d’un côté, le toit de bois effondré vers le milieu, et où s’étale une tendre mousse verte, le perron chancelant, les ailes ajoutées et superposées à la maison, le jardin négligé.
Il a une envie extrême de grimper, pour voir de là le ruisseau, sur la galerie suspendue qui court autour du logis ; mais la galerie est vermoulue : on ne permet qu’aux gens d’y circuler, et les maîtres n’y vont jamais.
Au mépris des défenses maternelles, il est tout prêt à se diriger vers les degrés tentateurs, quand sur le perron apparaît la bonne, qui le rattrape comme elle peut.
Il se sauve d’elle vers le grenier à foin, avec le dessein d’y monter sur la raide échelle, et, à peine arrive-t-elle au grenier, qu’il faut déjà l’empêcher d’escalader le colombier, de pénétrer dans la vacherie, et, Dieu l’en préserve ! dans la cavée.
— Ah ! Seigneur, quel enfant, quel toton ! mais resteras-tu un moment tranquille, monsieur ? C’est honteux ! disait la bonne.
Et toute la journée, et même tous les jours et toutes les nuits étaient remplis pour la bonne d’inquiétude et d’agitation. C’était tour à tour un grand tourment et une vive joie ! Tantôt on a peur que l’enfant ne tombe et ne se casse le nez, tantôt on s’attendrit sur ses caresses enfantines et sincères.
On s’inquiète vaguement de son avenir. Le cœur de la vieille ne bat que pour lui, ces émotions seules réchauffent son sang et soutiennent à peine sa vie languissante, qui sans cela, peut-être, se serait éteinte depuis longtemps, depuis bien, bien longtemps.
Mais l’enfant n’est cependant pas toujours pétulant : parfois il se calme soudain, il se tient assis près de sa bonne, et observe tout d’un regard attentif. Son intelligence naissante suit les phénomènes qui se produisent sous ses yeux ; ils descendent dans les profondeurs de son âme, ensuite ils croissent et mûrissent avec lui.
La matinée est splendide : l’air est frais, le soleil n’est pas encore bien haut sur l’horizon. La maison, les arbres, le colombier, la galerie, tout projette des ombres qui s’allongent, et forment dans le jardin et dans la cour de fraîches retraites qui vous invitent à la méditation et à la rêverie.
Seulement, au loin, le champ de blé paraît flamboyer, le ruisseau brille au soleil et scintille à vous éblouir.
— Pourquoi donc, ma bonne, qu’il fait sombre ici et clair là-bas, et que tantôt là-bas il fera clair ? demande l’enfant.
— Mais, mon petit seigneur, c’est parce que le soleil va à la rencontre de la lune et que, pour l’apercevoir, il voile à demi ses yeux ; tantôt, dès qu’il la verra de loin, il aura les yeux grands ouverts.
L’enfant tout pensif continue à regarder autour de lui : il voit Anntipe aller à l’eau, et sur la terre, à côté du paysan, chemine un autre Anntipe, dix fois plus grand que le véritable, et l’ombre du tonneau est grande comme la maison, et celle du cheval couvre tout le pré ; l’ombre fait deux pas sur le pré et tout à coup disparaît derrière la montagne : Anntipe cependant n’a pas eu le temps de quitter la cour.
L’enfant aussi fait un pas, puis un autre, encore un, et il va disparaître derrière la montagne. Il voudrait y aller pour voir ce qu’est devenu le cheval. Il se dirige vers la porte cochère, mais de la croisée on entend la voix de la mère.
— La bonne, ne vois-tu pas que l’enfant court au soleil ? emmène-le à l’ombre : il pourrait attraper un coup de soleil ; il aura mal à la tête, mal au cœur ; il ne voudra plus manger. Si tu le laisses faire, il est capable de se sauver dans la cavée.
— Hou ! le polisson ! murmure doucement la bonne, en l’entraînant vers le perron.
Le petit garçon regarde et observe, avec sa sagacité et son penchant à l’imitation, ce que font les grandes personnes, à quoi elles emploient leur matinée. Aucun détail, aucun trait n’échappe à son attention curieuse.
Dans son âme se grave ineffaçable le tableau des habitudes de la vie domestique. Sa molle intelligence s’empreint des exemples vivants, et, sans en avoir conscience, il se trace le programme de sa vie d’après la vie de ceux qui l’entourent.
Il serait injuste de dire que la matinée était perdue dans la maison des Oblomoff. Le bruit des couteaux, hachant à la cuisine la viande et les légumes, arrivait même jusqu’au village.
On entendait sortir de l’office le bruissement de la quenouille et le fredonnement d’une voix flûtée de paysanne : il était difficile de distinguer si elle gémissait ou improvisait un air mélancolique sans paroles.
Dans la cour, dès qu’Anntipe revenait avec le tonneau, des différents coins grouillaient vers lui, avec des seaux, des jattes et des cruches, les paysannes et les cochers. Ici, une vieille femme porte de l’office à la cuisine une jatte de farine et un quarteron d’œufs ; là, le cuisinier jette tout à coup de l’eau par la croisée et arrose Arapka qui, la matinée entière, sans détourner ses regards, contemple la fenêtre d’un air gracieux en se léchant et en frétillant de la queue.
Le vieux Oblomoff lui-même ne reste pas inoccupé. Toute la matinée, il se tient à la croisée et surveille consciencieusement ce qui se passe.
— Hé ! Ignachka, qu’est-ce que tu portes là, imbécile ? demande-t-il à un homme qui traverse la cour.
— Je porte à l’office les couteaux à repasser, répond celui-ci sans regarder le barine.
— Ah ! porte-les, porte-les, et qu’on les repasse bien, entends-tu ?
Ensuite il arrête une paysanne.
— Hé ! la femme, la femme, d’où viens-tu ?
La femme s’arrête, s’ombrage les yeux de la main, et, regardant la fenêtre :
— De la cave, monseigneur, répond-elle, tirer du lait pour le dîner.
— Ah ! va, va ! réplique le barine, et prends garde de répandre le lait. Et toi, Zakharka, mauvais petit garnement, où cours-tu encore ? crie-t-il ensuite. Attends, je t’apprendrai à courir ! Voilà la troisième fois que tu sors. Va-t’en dans l’antichambre.
Et Zakharka s’en retourne dans l’antichambre pour reprendre son sommeil.
Les vaches reviennent-elles des champs ? le vieillard est le premier à recommander qu’on les abreuve ; voit-il de sa croisée que le chien de cour poursuit une poule ? tout de suite il prend des mesures sévères contre un pareil désordre.
Sa femme aussi est bien occupée : elle explique durant trois heures à Averka, le tailleur, le moyen de faire avec la camisole de son mari une jaquette pour le petit Élie. Elle trace elle-même le patron avec la craie et surveille Averka pour qu’il ne vole pas le drap ; ensuite elle passe dans la chambre des servantes, leur distribue la besogne et fixe ce que chacune doit faire de dentelle ; puis elle prend avec elle Nastassia Ivanovna ou Stépanida Agapovna, ou quelque autre dame de sa compagnie et va faire un tour au jardin dans un but d’utilité pratique, pour voir comment mûrit telle pomme, et si par hasard celle qui était mûre hier n’est pas tombée. Ici, il faut greffer ; là, il faut tailler, et ainsi de suite.
Cependant sa préoccupation principale est la cuisine et le dîner. Pour le dîner, on rassemble toute la maison en conseil ; la vieille tante y est même appelée.
Chacun propose son plat : qui une soupe aux tripes de volaille, qui une soupe au vermicelle, qui un estomac de porc, qui du gras double, qui une sauce rouge ou blanche. Chaque avis est pris en haute considération, débattu en détail, et ensuite adopté ou rejeté conformément à la sentence définitive de la maîtresse du logis.
À la cuisine sont continuellement expédiées ou Nastassia Pétrovna, ou Stépanida Ivanovna pour rappeler ceci, pour ajouter cela, ou demander autre chose, pour porter le sucre, le miel, le vin des sauces et veiller à ce que le cuisinier ne détourne rien des provisions.
La préparation de la nourriture était le premier et principal souci de la vie dans Oblomofka. Quels veaux on y engraissait pour les fêtes annuelles ! Quelles volailles on y élevait ! Que de fines combinaisons, que de science et de soins minutieux pour leur éducation !
Les dindes et les poulets, destinés aux fêtes patronymiques et autres jours solennels, étaient engraissés à la noisette : les oies étaient privées d’exercice ; on les tenait immobiles, enfermées dans un sac, quelques jours avant la fête, afin qu’elles fussent chargées de graisse.
Quelles provisions il y avait de confitures, de salaisons, de pâtisseries ! quel hydromel, quel kwas on faisait, quels pâtés on cuisait à Oblomofka !
C’est ainsi que, jusqu’à midi, tous étaient en émoi et en occupation ; c’est ainsi qu’on y vivait de la vie pleine, laborieuse, frappante d’activité, d’une fourmilière.
Ni fêtes, ni dimanches n’arrêtaient ces fourmis travailleuses ; non, alors retentissait plus fort et plus fréquent le bruit des couteaux ; la paysanne faisait des voyages plus nombreux de l’office à la cuisine, avec une double provision de farine et d’œufs ; il y avait à la basse-cour plus de gémissements et de sang versé.
On cuisait un gigantesque pâté, dont les maîtres eux-mêmes mangeaient encore le lendemain ; le troisième et le quatrième jour, les restes paraissaient à l’office ; le pâté prolongeait son existence jusqu’au vendredi, de sorte qu’un seul morceau tout à fait rassis sans aucune farcissure, tombait, comme une grâce particulière à Anntipe, qui, après avoir fait le signe de la croix, détruisait avec fracas et sans peur cette curieuse pétrification.
Son palais était plutôt flatté par l’idée que le pâté venait de la table seigneuriale, que par le pâté lui-même. Ainsi un archéologue boit de la piquette avec délices, pourvu que ce soit dans un débris de vase antédiluvien.
Et l’enfant regardait et observait tout avec son intelligence naissante, qui ne laissait rien échapper. Il voyait comment, après une matinée utilement employée et pleine de tracas, arrivait midi avec le dîner.
Le milieu de la journée est brûlant ; au ciel pas le plus petit nuage. Le soleil est fixe au-dessus de la tête et grille l’herbe ; l’air ne circule plus et pèse immobile.
Ni arbre ni eau, rien ne remue ; sur le village et les champs plane un silence que rien ne trouble : on dirait que tout est mort. Dans le vide résonne au loin la voix humaine.
À quarante mètres on distingue le vol et le bourdonnement du hanneton, et dans l’herbe touffue on entend comme le ronflement d’un homme qui dormirait d’un doux sommeil[1].
Dans la maison règne aussi un silence de mort. L’heure de la sieste générale a sonné. L’enfant voit que le père, la mère, la vieille tante et la suite, tous se sont retirés chacun dans son coin. Celui qui n’a pas de retraite monte au fenil, un autre est allé au jardin, un troisième cherche la fraîcheur sous le vestibule, un autre enfin, de son mouchoir voilant son visage contre les mouches, s’endort là où l’abat la chaleur, où l’a fait choir le repas pantagruélique.
Et le jardinier s’est étendu sous un buisson, dans le jardin, près de sa pelle, et le cocher dort dans l’écurie. Élie jette un coup d’œil dans la chambre des domestiques : là, tous sont couchés les uns à côté des autres, sur les bancs, sur le plancher et dans le vestibule, laissant les garçonnets à eux-mêmes : les marmots rampent dans la cour et grouillent dans le sable.
Et les chiens se sont blottis au fond du chenil, heureux qu’il n’y ait personne contre qui aboyer. On peut traverser la maison d’un bout à l’autre sans y rencontrer âme qui vive. Il aurait été facile de tout voler, même de tout emporter sur des charriots : personne ne l’eût empêché ; mais il n’y avait pas de voleurs dans ce pays.
C’est un sommeil qui embrasse tout d’une étreinte invincible, véritable image de la mort. Tout est mort, et pourtant de chaque coin s’élève un ronflement varié sur tous les tons et dans toutes les cadences.
Parfois quelqu’un relève sa tête en dormant, promène çà et là un regard hébété d’étonnement, se retourne sur l’autre flanc, ou, sans ouvrir les yeux, crache à demi éveillé, et, après avoir fait du bruit en mâchant à vide avec les lèvres, balbutie quelques mots incohérents et se rendort.
Un autre, sans crier gare, saute vivement à pieds joints de sa couche, comme s’il craignait de perdre des moments précieux, saisit la cruche au kwas et y souffle sur les mouches naufragées pour les chasser vers l’autre bord.
Les mouches, jusque-là immobiles, commencent à se trémousser de toutes leurs forces, espérant se tirer de là ; mais l’homme humecte sa gorge et de nouveau retombe sur son lit, comme frappé d’une balle.
Et l’enfant observait toujours. Après le dîner, il allait de nouveau prendre l’air avec sa bonne. Malgré les instructions sévères de la dame et sa volonté bien arrêtée, la bonne ne pouvait résister au charme du sommeil. Elle aussi était atteinte de l’épidémie qui régnait à Oblomofka.
D’abord elle gardait l’enfant avec vigilance, et ne le laissait point s’écarter ; elle le grondait sévèrement de sa pétulance, puis, sentant les symptômes de la contagion qui la gagnait, elle commençait à le supplier de ne pas franchir la porte cochère, de ne point agacer le bouc, et de ne pas grimper au colombier ou à la galerie.
Elle-même se mettait commodément au frais, quelque part, sur le perron, sur le seuil de la cave, ou simplement sur l’herbe, se laissant choir en apparence pour tricoter son bas et surveiller l’enfant.
Bientôt elle le réprimandait mollement en hochant la tête. « Il grimpera, oh ! pour sûr il grimpera, ce toton, à la galerie, » murmurait-elle en dormant presque, ou bien encore, « pourvu que dans la cavée… »
Ici, la tête de la vieille s’affaissait sur ses genoux, le bas s’échappait de ses mains ; elle perdait l’enfant de vue et, ouvrant un peu la bouche, elle laissait entendre un léger ronflement. Et lui attendait avec impatience cet instant où il devenait son maître.
Il était comme seul au monde ; il s’éloignait de la bonne en courant, et, sur la pointe des pieds, allait voir où chacun dormait ; il s’arrêtait et observait un dormeur qui se réveillait, crachait, ou mugissait en rêvant ; ensuite, avec un certain effroi, il montait sur la galerie, en faisait le tour en courant sur les planches qui craquaient, grimpait au colombier, se glissait furtivement au fond du jardin, écoutait bourdonner les hannetons et suivait du regard leur vol dans les airs.
Il prêtait une oreille attentive au bruit qui se faisait dans l’herbe, puis cherchait et attrapait les perturbateurs. Il prenait une demoiselle, lui arrachait les ailes et regardait ce qu’elle allait devenir, ou la transperçait d’un brin de paille et examinait comment elle volait avec cet appendice.
Le voici maintenant qui s’amuse à observer, en retenant son souffle, comment une araignée suce le sang de la mouche qu’elle vient de saisir, comment la pauvre victime se débat en bourdonnant entre ses pattes. L’enfant finit par tuer et le bourreau et la victime.
Ensuite, il descend dans le fossé, y fouille, y découvre des racines, les pèle et les mange avidement : il les préfère aux pommes et aux confitures que lui donne sa maman.
Il court aussi derrière la porte cochère : il voudrait aller au bosquet de jeunes bouleaux ; ce bosquet lui paraît si près qu’il est sûr d’y arriver en cinq minutes, non par le détour que fait le chemin, mais en coupant droit à travers le fossé, la haie de branchages et les fondrières ; seulement, il a peur : il y a là, dit-on, des satyres, des brigands et des bêtes épouvantables.
L’enfant a aussi envie de voir la cavée : elle n’est guère qu’à une centaine de mètres du jardin ; il s’est déjà avancé jusque sur ses bords, il a fermé les yeux, puis il a voulu y jeter un coup d’œil, comme dans le cratère d’un volcan.
Mais soudain son imagination lui rappela tous les récits, toutes les traditions sur cette cavée : la terreur le saisit ; plus mort que vif, il vola en arrière : tout pâle d’effroi, il se jeta sur sa vieille bonne et la réveilla.
Elle bondit de son sommeil, rajusta son mouchoir sur sa tête, y ramassa avec le doigt ses touffes de cheveux gris, et, comme si elle n’avait pas dormi, elle jeta un regard soupçonneux sur le petit Élie, puis sur les fenêtres du barine, et de ses doigts tremblants commença à fourrer l’une après l’autre les aiguilles dans le bas qui était sur ses genoux.
Cependant, la chaleur diminuait peu à peu ; tout se ravivait dans la nature ; déjà le soleil avait gagné le bois.
- ↑ L’auteur fait allusion au bruit des grillons, très-nombreux dans cette contrée.